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ARCT - Comité spécial

Arctique (spécial)

 

Délibérations du Comité sénatorial spécial sur l'Arctique

Fascicule no 6 - Témoignages du 16 avril 2018


OTTAWA, le lundi 16 avril 2018

Le Comité sénatorial spécial sur l’Arctique se réunit aujourd’hui, à 18 h 30, pour examiner les changements importants et rapides qui se produisent dans l’Arctique et les effets de ces changements sur les premiers habitants.

Le sénateur Dennis Glen Patterson (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bonsoir, mesdames et messieurs. Je vous souhaite la bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial spécial sur l’Arctique. Je suis Dennis Patterson. J’ai le privilège d’être président du comité. Je représente le Nunavut au Sénat. Je voudrais souhaiter la bienvenue à tous ceux qui sont présents dans la salle ainsi qu’aux téléspectateurs du pays. Je rappelle à ceux qui suivent nos délibérations que les réunions des comités sont ouvertes au public et qu’il est également possible d’y accéder en ligne à l’adresse sencanada.ca.

Je voudrais maintenant demander aux sénateurs assis autour de la table de se présenter.

La sénatrice Coyle : Je suis Mary Coyle. Je représente la Nouvelle-Écosse.

La sénatrice Pate : Je suis Kim Pate, de l’Ontario.

Le sénateur Neufeld : Richard Neufeld, de la Colombie-Britannique.

La sénatrice Eaton : Nicky Eaton, de Toronto.

La sénatrice Bovey : Pat Bovey, du Manitoba.

Le président : Je vous remercie, chers collègues.

Nous poursuivons ce soir notre examen des questions arctiques. Pour notre premier groupe de témoins, nous sommes heureux d’accueillir, d’Affaires mondiales Canada, M. Alan Kessel, sous-ministre adjoint des Affaires juridiques et jurisconsulte, et Mme Alison LeClaire, haute représentante pour l’Arctique et directrice générale, Affaires circumpolaires et relations avec l’Europe et l’Eurasie est.

Je vous remercie tous deux de votre présence au comité. Je vous invite à présenter vos exposés préliminaires, après quoi les sénateurs auront des questions à vous poser.

Alan Kessel, sous-ministre adjoint des Affaires juridiques et jurisconsulte, Affaires mondiales Canada : Merci, monsieur le président. C’est un plaisir d’être ici aujourd’hui pour m’adresser au comité. Je vous remercie de nous avoir donné l’occasion de parler du travail que nous faisons à Affaires mondiales Canada au sujet de l’Arctique. Ma collègue, Alison LeClaire, vous présentera quelques détails sur notre participation au Conseil de l’Arctique et sur le volet international du Cadre stratégique pour l’Arctique. Je vais maintenant lui céder la parole. Je reviendrai ensuite pour vous parler de l’exercice de la souveraineté du Canada dans l’Arctique et du cadre juridique international mis en place pour l’Arctique en général.

Alison LeClaire, haute représentante pour l’Arctique et directrice générale, Affaires circumpolaires et relations avec l’Europe et l’Eurasie est : Merci beaucoup, Alan. Je vous remercie, monsieur le président. C’est un plaisir d’être ici. Merci de m’avoir invitée à comparaître devant le comité.

Comme entrée en matière et pour situer le contexte, je dirai que nous observons des tendances nouvelles et émergentes dans les régions nordiques et arctiques du Canada ainsi que dans l’Arctique circumpolaire. À l’heure actuelle, cette région génère et subit d’énormes changements. Le Canada arctique n’est pas à l’abri de ces changements. Nous sommes témoins de transformations sociales, économiques et environnementales qui se produisent à un rythme sans précédent. Les changements climatiques, l’ouverture de l’océan Arctique — auparavant pris dans les glaces — et les mesures de rapprochement et d’équilibre de la conservation et du développement entraînent une convergence des tendances et montrent que les anciennes politiques doivent être adaptées aux nouvelles réalités.

En même temps, différents pays, qu’ils bordent l’Arctique ou non, suivent avec intérêt les changements qui se produisent dans cet océan et souhaitent collaborer dans des domaines tels que les sciences, le tourisme, le transport et la pêche.

Je suis donc enchantée de vous présenter quelques exemples de l’intervention d’Affaires mondiales Canada dans cette région dynamique, dans le cadre d’engagements multilatéraux et bilatéraux. Nous sommes très heureux de pouvoir contribuer à l’élaboration d’un nouveau cadre stratégique pour l’Arctique, conçu selon la vision du premier ministre Trudeau visant à adapter la politique étrangère du Canada aux nouvelles réalités de l’Arctique.

Premièrement, je voudrais vous donner un aperçu du Conseil de l’Arctique, qui est le principal forum intergouvernemental favorisant la coopération et la coordination des enjeux sociaux, économiques et environnementaux de l’Arctique au sein des États et des collectivités de l’Arctique. Le conseil a une structure unique, en ce sens qu’il comprend des représentants de six organisations autochtones, qui siègent à titre de « participants permanents » aux côtés des États membres. Trois de ces organisations ont une composante canadienne : le Conseil circumpolaire inuit, le Conseil des Athabaskans de l’Arctique et le Conseil international des Gwich’in.

Le conseil a plusieurs réalisations à son crédit. Je n’en mentionnerai que quelques-unes. Il y a tout d’abord les évaluations pionnières dans des domaines tels que le développement socioéconomique, la glace et la cryosphère, les changements climatiques, le transport maritime et la biodiversité.

Il y a ensuite les accords ayant force obligatoire, notamment dans les domaines suivants : recherche et sauvetage, préparation et intervention en cas de déversements d’hydrocarbures, coopération scientifique, Convention de Stockholm sur les polluants organiques persistants, Convention de Minamata sur le mercure et Recueil de règles internationales en matière de transport maritime polaire.

Le troisième et dernier domaine consiste à définir des objectifs ambitieux et à mettre en œuvre des cadres stratégiques, par exemple pour réduire les émissions de carbone noir et de méthane et prévenir la pollution par les hydrocarbures.

Les priorités du Canada au sein du Conseil de l’Arctique sont déterminées en partenariat avec les résidants du Nord. Nous mettons l’accent sur l’aspect humain et l’intégration du développement économique et de la protection environnementale, tout en fournissant un appui solide aux mesures continues de lutte contre les changements climatiques.

Le Canada soutient également une participation efficace des peuples autochtones, et travaille notamment à inclure les connaissances autochtones dans le travail du conseil.

Je vais vous présenter quelques exemples de la façon dont nous contribuons au succès du Conseil de l’Arctique. Premièrement, nous mettons à sa disposition de l’expertise, des connaissances et des ressources humaines et financières pour favoriser la réalisation des priorités canadiennes. Deuxièmement, de nombreux ministères fédéraux font preuve de leadership au sein des groupes de travail et des équipes spéciales du conseil. Troisièmement, il y a la participation essentielle des gouvernements territoriaux et leur contribution sous forme d’expertise et de présentation du point de vue des résidants du Nord sur les programmes et les projets du conseil.

En contrepartie, il y a la promotion des intérêts canadiens, une coopération circumpolaire efficace avec les États voisins, la participation des peuples autochtones de l’Arctique au dialogue international, le renforcement de l’investissement public grâce aux projets de collaboration, l’expertise scientifique et politique de qualité supérieure et le soutien de l’élaboration des politiques nationales.

Notre participation au Conseil de l’Arctique nous permet d’appuyer des priorités générales du gouvernement du Canada, comme le multilatéralisme constructif, le développement durable, les enjeux environnementaux tels que les changements climatiques et l’avancement de politiques nationales comme le Plan de protection des océans.

À l’avenir, la participation du Canada au Conseil de l’Arctique permettra d’obtenir des engagements et de l’investissement dans le Nord et d’augmenter les ressources humaines et financières qui y sont consacrées. Nous maintiendrons et renforcerons notre engagement avec les résidants du Nord. De plus, nous maximiserons les occasions de mettre à profit les travaux du conseil pour faire avancer les priorités ne touchant pas l’Arctique.

Je vais maintenant aborder le Cadre stratégique relatif au Nord et à l’Arctique. Je sais que vous avez déjà entendu notre collègue, M. Stephen Van Dine, de Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada, qui vous a parlé des efforts constants déployés en vue d’élaborer un nouveau cadre stratégique relatif à l’Arctique en collaboration avec les résidants du Nord, les gouvernements territoriaux et provinciaux, les Premières Nations, les Inuits et les Métis. Je ne veux pas répéter ce que M. Van Dine vous a dit, mais j’aimerais vous donner une idée du travail que nous faisons à Affaires mondiales Canada en faveur du développement international.

Nous travaillons en étroite collaboration avec RCAANC. De plus, nous dirigeons conjointement, avec le ministère de la Défense nationale, l’élaboration des éléments internationaux de ce cadre afin d’en arriver à un cadre intégré regroupant les dimensions tant intérieure qu’internationale. Nous considérons ce nouveau cadre stratégique comme une excellente occasion de proposer de nouvelles priorités et initiatives stratégiques qui permettront au Canada de renforcer son leadership mondial dans l’Arctique.

À part les tables rondes régionales de RCAANC, Affaires mondiales Canada organise des consultations au sujet de la politique internationale sur l’Arctique afin d’obtenir l’avis des autorités territoriales, provinciales et autochtones, des universitaires, de l’industrie et de la société civile.

Je vais enfin parler des jeunes. Je pourrais en dire beaucoup plus sur ce qui se passe actuellement et ce que nous prévoyons pour l’avenir. Il y a par exemple l’accord récemment conclu sur les pêches de l’Arctique ainsi que les efforts constants que nous déployons pour établir des relations bilatérales avec différents partenaires internationaux dans l’Arctique.

Comme il ne reste plus beaucoup de temps, je vais m’arrêter ici. Bien sûr, je serai heureuse de répondre à toutes vos questions et de vous donner plus de détails sur les sujets que j’ai abordés ou que j’aurais dû aborder.

Avant de terminer et de céder la parole à M. Kessel, je voudrais mentionner un document que j’ai ici et que les membres du comité trouveront peut-être intéressant. J’ai apporté des cartes, mais on me dit que vous en avez déjà obtenu de Savoir polaire Canada. Quoi qu’il en soit, si vous souhaitez disposer de plus de cartes, nous pouvons vous en fournir.

Nous avons également apporté un document d’une page sur les ressources disponibles pour le cas où vous voudriez vous inscrire à des fils de nouvelles ou à Twitter. Nous avons en outre un résumé quotidien des médias internationaux qui mentionne l’Arctique, et l’Arctique canadien en particulier. Si vous souhaitez recevoir ce document, soit pour l’ensemble du comité soit pour chacun de ses membres, nous serons heureux d’ajouter votre nom à la liste.

Je m’arrête ici pour redonner la parole à M. Kessel. Je vous remercie de votre attention.

M. Kessel : Merci, Alison.

Je m’en voudrais de ne pas mentionner la contribution de quelques membres de notre équipe qui sont assis derrière et qui nous soutiennent dans le travail que nous faisons à Affaires mondiales Canada.

À mesure que les activités s’intensifient dans l’Arctique canadien, notamment en ce qui concerne le trafic maritime, les préoccupations relatives à la pollution et à la sécurité sont souvent qualifiées à tort de menaces à la souveraineté canadienne. En réalité, un trafic maritime accru peut renforcer la souveraineté du Canada dans l’Arctique s’il est géré adéquatement, conformément à la loi et aux politiques canadiennes.

Personne ne conteste la souveraineté du Canada sur les terres de l’archipel arctique canadien, qui couvre plus de 1,4 million de kilomètres carrés et compte plus de 36 500 îles. La seule exception est l’île de Hans, d’une superficie de 1,3 kilomètre carré. L’île, qui est située entre l’île d’Ellesmere et le Groenland, est revendiquée par le Danemark.

Le Canada est partie à deux différends frontaliers maritimes dans l’Arctique : un avec les États-Unis concernant une partie de la mer de Beaufort (6 250 milles marins carrés), et l’autre avec le Danemark, concernant deux petites zones (totalisant 65 milles marins carrés) dans la mer de Lincoln. Les deux différends sont bien gérés et devraient être réglés pacifiquement à un moment donné, conformément au droit international.

Toutes les eaux de l’archipel arctique canadien, y compris les diverses voies navigables communément appelées passage du Nord-Ouest, sont des eaux intérieures du Canada en vertu d’un droit historique. Par souci de clarté, le Canada a tiré des lignes de base droites autour des îles arctiques en 1986. Toutes les eaux situées du côté terrestre de la ligne de base sont des eaux intérieures : le Canada jouit du droit inconditionnel de les réglementer, comme s’il s’agissait d’un territoire terrestre.

Monsieur le président, permettez-moi de souligner que personne ne conteste le droit du Canada d’exercer sa souveraineté sur ces eaux. Certains passages récents de navires étrangers dans les eaux arctiques du Canada ont retenu l’attention des médias, certains commentateurs soutenant que ces passages menaçaient d’une certaine façon la souveraineté canadienne. De tels arguments semblent reposer sur une mauvaise compréhension de la situation juridique. Permettez-moi de vous donner un exemple.

L’été dernier, un navire de recherche chinois, le Xue Long, a effectué un passage assez remarqué dans les eaux canadiennes de l’Arctique. Le Canada avait donné son consentement à ce voyage en réponse à une demande présentée par le gouvernement chinois, après avoir été convaincu que le navire respecterait toutes les règles canadiennes applicables. Il est important de noter que la navigation effectuée conformément aux exigences canadiennes témoigne de la reconnaissance — et non de la contestation — de la souveraineté du Canada sur nos eaux arctiques.

Je signalerai également que des scientifiques canadiens ont été invités à se joindre aux chercheurs chinois à bord du navire au cours du volet canadien de l’expédition. Sur recommandation de Transports Canada, le Xue Long avait aussi retenu les services d’un officier canadien de navigation dans les glaces.

Monsieur le président, le mois prochain, le Canada et ses voisins de l’Arctique célébreront le 10e anniversaire de la Déclaration d’Ilulissat signée par les cinq États côtiers de l’océan Arctique, c’est-à-dire le Canada, les États-Unis, la Russie, la Norvège et le Danemark. Cette déclaration rappelle qu’un vaste cadre juridique international s’applique à l’océan Arctique. Elle souligne que le droit de la mer prévoit d’importants droits et obligations concernant la définition des limites extérieures du plateau continental, la protection de l’environnement marin, y compris les zones couvertes de glace, la liberté de navigation, la recherche scientifique marine et d’autres utilisations de la mer. Le Canada demeure attaché à ce cadre juridique et au règlement ordonné de toutes les revendications qui pourraient se chevaucher dans l’Arctique.

Monsieur le président, les négociations qui ont récemment abouti à un accord juridique contraignant visant à prévenir la pêche commerciale non réglementée en haute mer dans le centre de l’océan Arctique ajoutera un autre élément important au cadre juridique de l’Arctique. L’accord, négocié avec nos voisins arctiques ainsi qu’avec le Japon, la Corée du Sud et l’Union européenne, interdirait la pêche commerciale non réglementée en haute mer dans le centre de l’océan Arctique pendant au moins sa première période de validité de 16 ans ou jusqu’à ce que les connaissances scientifiques courantes montrent qu’une pêche commerciale durable est possible et que les parties aient mis en place un régime de gestion de la pêche. L’accord servira d’outil important pour la gestion internationale des ressources halieutiques de l’océan Arctique central et positionnera le Canada comme chef de file en matière de conservation de ces ressources.

Monsieur le président, je voudrais conclure en faisant le point sur les travaux réalisés par le Canada en vue de définir les limites extérieures de son plateau continental au-delà de 200 milles marins dans l’océan Arctique. Le Canada en est actuellement à l’étape finale de la préparation de sa demande relative à l’océan Arctique qui sera soumise à la Commission des limites du plateau continental, qui est l’organe scientifique établi par la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer pour examiner les demandes des États côtiers concernant le plateau continental. Nous disposons maintenant de toutes les données scientifiques nécessaires sur le plancher océanique et la géologie sous-jacente pour établir nos limites extérieures conformément aux dispositions de la convention. Nous analysons maintenant ces données et rédigeons notre demande. Nous serons probablement prêts à la présenter à la fin de 2018 ou au début de 2019.

Une fois la demande soumise, la commission l’examinera, ce qui prendra plusieurs années, en raison de la longue liste de demandes déjà présentées. Elle formulera ensuite des recommandations fondées sur les définitions scientifiques et juridiques de la convention. Le résultat final de ce projet sera la reconnaissance internationale de la zone sur laquelle le Canada exercera ses droits souverains sur le fond marin et le sous-sol de l’océan Arctique, permettant ainsi de tracer la dernière ligne sur la carte du Canada.

Je vous remercie encore de nous avoir invités ce soir. Je suis maintenant prêt à répondre à vos questions.

Le président : Merci beaucoup.

La sénatrice Bovey : J’ai trouvé vos exposés très intéressants. Les textes que j’ai lus pour me préparer à cette réunion m’ont amenée à me poser de nombreuses questions. J’espère avoir la possibilité d’en poser une ou deux d’une façon assez claire.

J’ai été très encouragée par ce que vous avez dit au sujet de l’entente des cinq États à l’échelle internationale. Je suis aussi très consciente du fait que nos peuples autochtones siègent au Conseil de l’Arctique à titre d’observateurs et non de participants avec droit de vote. Est-ce exact?

Mme LeClaire : Ils ont un statut intermédiaire entre les deux. Ils ne sont pas observateurs. Il y a au conseil des observateurs qui siègent, comme il se doit, derrière les participants. Lorsque j’assiste à une réunion du Conseil de l’Arctique, je note que les groupes autochtones sont assis à la même table que nous. Ils ne participent pas aux décisions, cette responsabilité étant exclusivement assumée par les gouvernements, mais ils parlent en égaux aux représentants des États participants.

C’était vraiment une innovation. Je dirais que c’est une innovation canadienne parce que nous avons joué un rôle central dans la formation du Conseil de l’Arctique, il y a 20 ans. Cette catégorie, parrainée par Mary Simon, était celle des « participants permanents ». Ils ont une voix égale, mais la prise de décision appartient aux gouvernements.

J’ajoute cependant que le conseil est un organe de consensus. À ma connaissance, aucune décision des gouvernements n’a été prise sans tenir très sérieusement compte du point de vue des organisations autochtones présentes.

La sénatrice Bovey : Avez-vous donc l’impression que le gouvernement du Canada travaille de concert avec les Inuits — puisque nous parlons de l’Arctique — au chapitre de la gouvernance et de l’établissement de la souveraineté dans l’Arctique?

Je suis bien consciente du fait que les collectivités inuites sont très éloignées les unes des autres. Ce sont de petites collectivités éparpillées un peu partout dans le Nord. J’essaie d’imaginer un peu comment tout cela peut s’arranger pour définir certaines des questions liées à la souveraineté.

Mme LeClaire : Voilà qui transforme une question que je croyais simple en un sujet beaucoup plus complexe.

À titre d’État membre du Conseil de l’Arctique, le Canada cherche à renforcer l’attention, le dialogue, la coopération et la création de programmes sociaux et économiques à l’échelle circumpolaire. Nous collaborons très étroitement avec les sections canadiennes — il s’agit de trois des six participants permanents — pour veiller à ce que nos positions tiennent pleinement compte de leurs priorités. Dans cette mesure, nous veillons, lorsque nous siégeons au conseil, à ce que les projets que nous souhaitons pouvoir réaliser reflètent les priorités, les points de vue et les intérêts des peuples autochtones.

Je ne voudrais sûrement pas parler en leur nom, mais je peux dire que c’est certainement notre objectif. Les réactions dont on m’a fait part sont assez positives.

Toutefois, ce n’est pas la même chose que d’essayer de relier cela à la souveraineté. Je préfère laisser cette question à mon collègue.

M. Kessel : Je ne suis pas sûr d’avoir bien compris la question parce que je ne crois pas qu’il y ait un problème de souveraineté. Les États collaborent étroitement avec nos collègues autochtones au sein d’un organisme de consensus pour veiller à ce que les aspects socioéconomiques et autres du travail du Conseil de l’Arctique soient bien intégrés. La question de la souveraineté n’intervient pas vraiment.

La sénatrice Bovey : Je suis encouragée de vous entendre dire qu’il n’y a pas de problème de souveraineté. Beaucoup de Canadiens sont tellement déconcertés lorsqu’on parle de l’Arctique qu’ils ont l’impression qu’il existe, au contraire, un énorme problème de souveraineté.

M. Kessel : Je dirais qu’il n’y a pas plus de problèmes de souveraineté dans le centre-ville de Toronto qu’il y en a au sujet des terres et des eaux canadiennes de l’Arctique.

La sénatrice Eaton : J’aimerais aborder la question de la Chine. J’ai récemment lu — vous pouvez me corriger si j’ai tort — que Singapour souhaite obtenir le statut d’observateur au Conseil de l’Arctique. Est-ce exact?

Mme LeClaire : Singapour a déjà le statut d’observateur au Conseil de l’Arctique.

La sénatrice Eaton : De même que la Chine.

La Chine a également annoncé l’adoption d’une politique officielle de l’Arctique qui encourage l’établissement d’une infrastructure pour appuyer la navigation maritime et favoriser davantage d’investissements dans l’extraction des ressources. Lorsque les Chinois envoient des navires de recherche dans l’Arctique, vous n’avez pas l’impression qu’il s’agit d’une menace. Vous ne percevez pas comme une menace la présence au Conseil de l’Arctique de pays tels que la Chine et Singapour. Je crois que ce n’est probablement qu’un début.

Pourquoi sont-ils là? Je peux le comprendre du point de vue de la Chine, mais pourquoi souhaiterions-nous que ces pays soient présents?

Mme LeClaire : La présence d’observateurs autour de la table signifie qu’il y a des gens qui écoutent et qui sont donc au courant de ce que sont les priorités et les attentes des pays dont le territoire national s’étend à l’Arctique.

La sénatrice Eaton : On peut trouver ces renseignements dans les journaux.

Mme LeClaire : Toutefois, nous recherchons en définitive la coopération internationale.

La sénatrice Eaton : N’êtes-vous pas en train de légitimer d’éventuelles revendications futures en leur accordant le statut d’observateurs? Ils ne possèdent aucun territoire dans l’Arctique et n’en sont même pas proches. Et que dire de Singapour, qui est encore plus au sud?

Mme LeClaire : Par souci de clarté, je dirais tout d’abord que la navigation maritime occupe une place extrêmement importante pour Singapour. À l’heure actuelle, Singapour s’intéresse surtout non à l’Arctique canadien, mais aux voies de navigation vers l’Europe passant au nord de la Russie.

La sénatrice Eaton : Est-ce que Singapour a besoin pour cela du statut d’observateur?

Vous me suggérez d’excellents arguments en affirmant que Singapour s’intéresse uniquement aux voies de navigation. Si un navire part d’ici pour aller en Angleterre, a-t-il besoin du statut d’observateur au Conseil européen? Une voie de navigation est une voie de navigation.

Les Chinois s’installent petit à petit en Afrique. Nous semblons légitimer leur intérêt pour l’Arctique en leur accordant le statut d’observateur même s’ils peuvent se renseigner autrement sur ce qui se passe. Ils n’ont pas besoin de ce statut. Pouvez-vous me donner ne serait-ce qu’une raison pour laquelle le Canada peut tirer parti de leur présence au conseil?

Mme LeClaire : Nous souhaitons établir un dialogue avec eux pour qu’ils connaissent nos priorités et nos attentes. Nous sommes ainsi en meilleure position pour influencer l’activité inévitable — je dirais même l’activité légitime — de la Chine et d’autres pays dans l’Arctique. Comme l’a dit M. Kessel, s’ils…

La sénatrice Eaton : C’est très bien. Les bateaux de croisière font la même chose. Nous leur ouvrons la voie, et nous avons des brise-glaces.

Je ne crois pas que nous puissions nous entendre parce que vous ne semblez pas en mesure de me donner une raison que je puisse comprendre.

M. Kessel : Sénatrice Eaton, vous avez posé une excellente question. Je vous en remercie. Vous avez clairement exprimé une chose que beaucoup de Canadiens et d’autres trouvent déconcertante. Nous sommes ici pour contribuer…

La sénatrice Eaton : Elle n’est pas déconcertante. Nous voulons simplement comprendre.

M. Kessel : C’est vrai, mais la question est déconcertante. Autrement, pourquoi souhaiterions-nous que d’autres écoutent ce que nous avons à dire? Pourquoi voudrions-nous que d’autres soient présents comme observateurs dans notre organisation? C’est pour la même raison que nous voulons nous-mêmes être observateurs au sein d’autres organisations. Nous avons, par exemple, le statut d’observateur au Conseil européen. Nous ne sommes pas membres de l’Union européenne. Nous ne participons pas à toutes ses activités, mais nous voulons être présents. Le Canada a énormément profité d’organisations dont il n’est pas membre. Nous voulons en effet influencer leur action tout en tirant des leçons de leur façon d’agir.

Le Code polaire a été élaboré par l’Organisation maritime internationale qui a son siège à Londres. Les Chinois y jouent un rôle très important. Nous devions trouver un groupe de pays pouvant travailler avec nous à l’établissement de règles et de règlements régissant la construction de navires et leur navigation dans l’Arctique. Il est donc très important pour nous de collaborer avec les grands pays qui ont d’énormes intérêts dans la navigation maritime.

Notre souveraineté n’est pas menacée. Ce n’est pas un problème de souveraineté. Comme je l’ai dit dans mon exposé préliminaire, aucun navire gouvernemental ne peut passer dans nos eaux sans notre permission.

La sénatrice Eaton : Pour le moment.

M. Kessel : Je ne sais pas ce que vous entendez par là, sénatrice. Non, aucun navire ne peut le faire.

La sénatrice Eaton : Je crois que nous vivons dans un monde imaginaire. Nous ne sommes qu’une oie bien grasse attendant d’être dépecée. Nous n’avons presque pas de brise-glaces. Nous n’avons pas de sous-marins pouvant naviguer sous la glace. Nous n’avons actuellement aucun appareil pouvant survoler facilement cette région. Quoi qu’il en soit, c’est ce que je pense.

Le président : Avez-vous quelque chose à ajouter, monsieur Kessel?

M. Kessel : Je serais bien en peine de le faire.

Le sénateur Neufeld : Monsieur Kessel, vous dites que personne ne conteste notre souveraineté. Cela signifie-t-il que le Danemark, la Finlande, l’Islande, la Norvège, la Russie, la Suède et les États-Unis ne revendiquent absolument rien? Sont-ils parfaitement d’accord avec vous que ces lignes tracées sur la carte représentent bien le territoire canadien? Aucun de ces pays ne dit : « Non, nous ne sommes pas d’accord »? Je pense que nous avons quelques différends frontaliers, mais ce n’est pas de cela que je parle. Est-ce que la Russie dit officiellement : « Oui, vous avez parfaitement raison, ce territoire est entièrement à vous »?

M. Kessel : C’est sans doute curieux, mais c’est bien ce que dit la Russie. En fait, les Russes ont adopté de nombreux éléments de notre approche de la gestion de l’archipel et des eaux qui l’entourent parce qu’ils ont une situation très semblable à la nôtre dans leur région du monde.

Je vais essayer d’être un peu plus précis. Nous avons une série de différends. Nous sommes par exemple en conflit avec les Américains dans la mer de Beaufort. Nous avons quelques autres différends, comme celui de l’île de Hans, petit rocher situé entre le Groenland et le Canada. Il y a aussi une ligne au nord du Groenland où nous avons réglé le statut de la frontière. Nous attendons l’occasion de célébrer cet événement en signant un accord à son sujet.

L’île de Hans fait l’objet d’un conflit depuis un certain temps. Vous ne serez pas surpris d’apprendre que le Canada et le Danemark continuent à en discuter.

En ce qui concerne la mer de Beaufort, tant les Américains que les Canadiens devaient s’acquitter d’un certain travail de cartographie dans la région. Les deux parties ont terminé leurs relevés bathymétriques et géologiques. À un moment donné, elles pourront engager des discussions sur la façon de régler le différend.

Je crois que le plus important dans tout cela, c’est la manière dont des pays comme les nôtres se servent des instruments qu’ils ont créés de concert avec d’autres pour régler des problèmes sans recourir à la violence. Nous continuerons à le faire. Nous en avons certainement pris l’engagement dans le cadre de la Déclaration d’Ilulissat.

Le président : Monsieur Kessel, je crois que le sénateur Neufeld veut savoir si tous les États qu’il a mentionnés conviennent que les eaux de l’archipel sont des eaux intérieures, comme le Canada l’a déclaré il y a quelques années.

M. Kessel : Comme vous l’avez dit, il y a des désaccords. J’ai mentionné celui que nous avions évidemment avec les Américains. Ce différend a été réglé grâce à l’accord conclu après le Sommet de Shamrock où, comme certains d’entre nous s’en souviendront, nous avions admis que nous n’étions pas d’accord.

Les discussions que nous avons avec nos amis américains concernent la nature des chenaux du passage du Nord-Ouest et la question de savoir s’il s’agit d’un détroit international. Il n’y a pas de différend au sujet de la propriété des terres ou du fond marin. Nous cherchons simplement à déterminer s’il existe un droit de passage. C’est là une discussion qui se poursuit entre nous et certains de nos amis.

Le sénateur Neufeld : Le conseil tient-il des votes ou bien agit-il par consensus?

Mme LeClaire : C’est un organe de consensus.

Le sénateur Neufeld : Pouvez-vous nous dire dans quels documents les États membres du Conseil de l’Arctique ont convenu de ce que vous dites, à savoir qu’il n’y a pas un problème de souveraineté? Y a-t-il des engagements fermes? J’imagine qu’il est facile de parler, mais quand on en vient aux choses concrètes, y a-t-il des engagements fermes?

M. Kessel : J’ai dit qu’il n’y a pas de problème au sujet des terres, du fond marin et des eaux. Le seul problème que nous ayons et que nous essayons de régler, c’est une discussion qui se poursuit quant à l’existence d’un droit de passage. Nous avons pris les mesures nécessaires pour que personne ne puisse emprunter ces eaux sans notre permission. Le fait de nous demander une permission montre que nous avons le droit d’en accorder une. Cela correspond à l’exercice de notre souveraineté. Nous continuons donc à l’exercer.

Le sénateur Neufeld : Comme nous sommes pressés par le temps, je vais m’arrêter là parce que j’ai d’autres questions à aborder. S’il y a des documents qui établissent ces faits, qui prouvent que les participants se sont entendus au sujet des frontières, j’aimerais vous demander de les transmettre, si possible, à la greffière de notre comité pour que nous puissions les voir.

M. Kessel : Vous voudrez bien noter que le Conseil de l’Arctique ne s’occupe pas de questions frontalières. Ces questions sont réglées au niveau bilatéral.

Le sénateur Neufeld : D’accord.

Mme LeClaire : J’aimerais donner des précisions à ce sujet. Comme l’a dit M. Kessel, le Conseil de l’Arctique ne s’occupe pas de questions frontalières. C’est un forum intergouvernemental qui s’intéresse essentiellement aux questions sociales, économiques et environnementales. Il recherche les domaines où la coopération est possible. La déclaration portant création du conseil exclut explicitement les questions militaires et de sécurité.

Cela dit, lorsque nous parlons des domaines de coopération entre partenaires circumpolaires, nous n’abordons pas les questions frontalières. Nous supposons que chaque État est responsable de son territoire national.

Le sénateur Neufeld : D’accord. Lorsque M. Kessel a dit qu’il n’y avait aucun différend au sujet des frontières, j’ai cru que cela avait fait l’objet de discussions au conseil. Je sais maintenant que ce n’est pas le cas.

J’ai une autre petite question à poser. Nous avons parlé des navires qui transitent, comme le navire chinois. Je voudrais m’attarder sur le sujet pendant quelques instants. Je suppose qu’il s’agissait d’un navire de recherche. Je voudrais savoir si le Canada a eu accès à l’information recueillie pour savoir ce qu’il a fait et peut-être même en tirer des leçons. Cela fait-il partie de l’entente, ou bien laissons-nous tout simplement ces navires étrangers transiter et faire ce qu’ils veulent sans rien en tirer nous-mêmes?

M. Kessel : Il y a là de nombreux éléments, mais je crois savoir que les Chinois nous ont donné accès à la partie de leur recherche qui s’est faite dans nos eaux.

Mme LeClaire : Nous avions aussi un scientifique à bord.

M. Kessel : Oui, c’est bien le cas.

La sénatrice Coyle : Merci beaucoup, monsieur Kessel et madame LeClaire. Vous avez présenté des exposés aussi importants qu’intéressants. Je vais reformuler ma question pour tenir compte de ce qui a été dit.

Tout d’abord, monsieur Kessel, vous nous avez brossé un tableau très optimiste de la situation. Je crois que c’est la raison pour laquelle les membres du comité vous posent des questions pointues. J’aimerais bien en apprendre davantage sur les désaccords qui sont en train d’être réglés. Vous nous avez clairement dit qu’il n’y a pas de problème de souveraineté et que les gens travaillent bien ensemble. Quels désaccords se manifestent au sein du Conseil de l’Arctique et des autres organismes dont le Canada fait partie?

M. Kessel : Je vais demander à Alison de répondre à votre question concernant le Conseil de l’Arctique et les points de désaccord. Il y a des discussions, et certaines portent sur des questions très importantes.

Je ne cherche pas tant à brosser un tableau trop optimiste qu’à vous mettre au courant des réalités juridiques dont nous devons tenir compte sur une base quotidienne et à faire la distinction entre la situation réelle et les histoires que vous ont probablement racontées les médias depuis plus d’une décennie. De toute évidence, il y a des gens qui consacrent beaucoup de temps à monter ces histoires.

Dans notre travail de tous les jours, nous devons nous demander s’il y a quelqu’un qui conteste notre souveraineté. J’ai eu recours à une analogie dans certains de mes entretiens avec les gens. Pendant que vous êtes couchée dans votre lit la nuit, vous entendez la porte du jardin s’ouvrir. Quelqu’un entre, puis saute par-dessus la clôture pour aller chez le voisin. Est-ce une violation de votre souveraineté? J’ai tendance à dire non. Il y a peut-être un problème de sécurité, mais non un problème de souveraineté.

Par contre, si vous vous réveillez le matin et constatez que quelqu’un a dressé sa tente dans votre jardin et vient maintenant vous demander ce que vous allez servir au petit déjeuner, vous avez sans doute un problème de souveraineté parce qu’il y a un étranger qui est chez vous et qui vous demande des choses.

Nous n’avons pas ce problème. Notre façon de réagir à l’incursion de la personne qui traverse le jardin pour aller chez les voisins consiste à lui dire : « Nous sommes heureux de vous voir passer tant que vous vous conformez à nos lois environnementales et à nos règlements sur la navigation et que vous nous demandez la permission. » Nous obtenons ces engagements. Bref, quand je dis que je suis satisfait au chapitre de la souveraineté, c’est ainsi que les choses se présentent.

Pour ce qui est des points de désaccord, je crois qu’Alison peut vous dire s’il y en a au sein du Conseil de l’Arctique.

Mme LeClaire : Si vous voulez parler de désaccords particuliers entre États, ces désaccords ne se manifestent pas vraiment au sein du Conseil de l’Arctique.

Ce qui nous anime au conseil, c’est une vision commune d’après laquelle le plus grand danger qui menace actuellement l’Arctique est attribuable aux changements climatiques. Le Conseil de l’Arctique doit donc démontrer que les gouvernements de l’Arctique ont les moyens et la capacité de coopérer pour déterminer comment s’adapter à l’évolution du climat, comment y résister et comment se positionner pour faire face à une accessibilité croissante de l’Arctique, qui suscite un très grand intérêt à cause du potentiel économique de la région.

Que faut-il donc faire à cet égard? Quelles politiques, quelles règles faut-il adopter dans la communauté circumpolaire? Quand on considère ce que le Conseil de l’Arctique a accompli — accords relatifs à la recherche et au sauvetage, planification des mesures d’urgence, pollution par les hydrocarbures —, on peut déterminer ce que nous jugeons urgent de réaliser, en tant que groupe d’États, pour faire une gestion responsable de notre environnement.

Bien entendu, il y a des divergences d’opinions. Je dirais que le Canada, encore plus que les autres, est extrêmement conscient des conséquences pour les collectivités autochtones. Il y a par ailleurs des pays comme la Norvège qui tirent une grande partie de leur richesse du développement de leurs régions arctiques, et notamment de l’exploitation du pétrole et du gaz. Ces pays cherchent à étendre leurs activités dans ce domaine tout en protégeant leur environnement.

Nous nous inquiétons beaucoup de la façon dont nos collectivités sont touchées par les changements climatiques et de la manière dont elles s’y adaptent. Nous cherchons des moyens de les inciter à trouver et à mettre en œuvre des solutions fondées sur les connaissances autochtones.

Nous participons par exemple à une académie circumpolaire de l’énergie renouvelable qui permet à des représentants des collectivités locales et des peuples autochtones de travailler avec des scientifiques à l’établissement de modèles pouvant offrir des solutions locales adaptées à notre climat particulier.

D’autres exemples sont liés à la création d’une économie durable visant une croissance qui maximise les occasions et minimise les risques pour les populations locales. Ces initiatives favorisent la croissance économique, mais tiennent aussi compte des problèmes sociaux très réels de nos collectivités du Nord. Le Conseil de l’Arctique est une tribune où nous encourageons ces initiatives, où l’esprit de réconciliation qui anime le gouvernement se traduit par des mesures visant par exemple la préservation des langues autochtones, la santé mentale et le bien-être et certaines autres questions faisant partie de nos priorités intérieures. Le Conseil de l’Arctique est en quelque sorte une plateforme qui nous permet d’apprendre les uns des autres pour aboutir à des solutions.

Toutes mes excuses, monsieur le président. C’était une longue réponse, mais j’espère qu’elle vous donne une idée du travail qui se fait au Conseil de l’Arctique. Notre volonté de favoriser les collectivités locales, et particulièrement les collectivités autochtones, influence le travail accompli au conseil.

La sénatrice Pate : Je vous remercie de votre présence au comité. Je vous invite à nous en dire davantage sur le sujet dont vous venez de parler. J’aurai ensuite une autre question à poser.

Nous disposons d’une certaine documentation venant de l’Inuit Tapiriit Kanatami et de Mary Simon. D’après eux, « le statut du Canada en tant que nation arctique est extraordinairement renforcé par l’occupation et l’exploitation depuis des milliers d’années des terres et eaux arctiques par les Inuits ». Toutefois, « la souveraineté du Canada est affaiblie et compromise sur la scène internationale en raison des inégalités économiques et sociales inacceptables qui existent entre le sud du Canada et les collectivités et régions inuites ». Vous avez un peu parlé de tout cela. Pourriez-vous nous en dire davantage à ce sujet? Que fait Affaires mondiales Canada pour essayer de remédier aux inégalités économiques et sociales dont souffrent nos collectivités inuites?

Mme LeClaire : Je pourrais peut-être vous parler des discussions qui se déroulent actuellement au sujet du Cadre stratégique pour l’Arctique et souligner qu’au cours des consultations que nous avons tenues un peu partout au Canada sur les questions aussi bien intérieures qu’internationales, c’est uniformément ce que nous avons entendu.

Le point de vue exprimé par Mary Simon est repris par les gens du Nord, qui disent : « Comment peut-on être un chef de file international si on a ce genre de problèmes chez soi? » Nous avons souvent entendu des propos de cette nature, qui jouent un grand rôle dans l’élaboration du cadre stratégique sur lequel nous travaillons. C’est un sujet de préoccupation tant au niveau national qu’au niveau international.

Qu’envisageons-nous à l’échelle internationale? Nous examinons les outils et les politiques nécessaires pour appuyer une croissance économique durable. Dans la dimension internationale, cela se traduit, par exemple, par une stratégie de commerce et d’investissement. Comment pouvons-nous favoriser l’accès des entreprises du Nord aux marchés internationaux? Quels sont les obstacles à cet accès? De quels outils disposons-nous? À Affaires mondiales Canada, nous avons bien entendu le Service des délégués commerciaux. De quelle façon les outils de ce service peuvent-ils aider les entreprises du Nord? D’après ce que nous avons entendu, c’est ce que les résidants du Nord souhaitent. Ils ne veulent pas des solutions importées du Sud. Ils veulent avoir la possibilité d’user de leur propre entreprenariat, de leurs propres activités économiques pour tenir compte des valeurs et des intérêts des collectivités locales, et principalement des valeurs inuites. Ils ne veulent pas d’une croissance économique qui leur imposerait de sacrifier leur culture. Ils veulent qu’on leur donne les moyens d’agir par eux-mêmes pour atteindre leurs objectifs.

J’ai un autre exemple. Au cours de notre dernière présidence du Conseil de l’Arctique, nous avions préconisé la création du Conseil économique de l’Arctique. Cet organisme a été établi grâce à la Déclaration d’Iqualuit, dont l’adoption a constitué le point culminant de notre présidence. C’est aujourd’hui un organisme indépendant qui est encore jeune, mais qui regroupe les entreprises privées du Nord. Le Conseil économique produit des rapports consultatifs sur les réalités économiques et les perspectives commerciales de la région. Si nous considérons la dimension internationale, c’est certainement un aspect important.

Il y a aussi l’exemple d’un projet du Conseil de l’Arctique relatif au bien-être mental. Nous avons travaillé avec nos partenaires circumpolaires pour constituer une trousse de prévention du suicide. Le projet a permis de réunir des experts de l’ensemble de la région circumpolaire, des experts en santé mentale et en suicide qui ont examiné de près ce qui se passe afin de cerner les points communs entre la Russie et le Canada ou entre le Nord canadien et l’Alaska, de concert avec les peuples autochtones et les collectivités locales. Il s’agissait d’aboutir non seulement à des évaluations, mais aussi à des outils pouvant vraiment servir sur un plan pratique dans les collectivités locales.

Ce sont là deux exemples de ce qui a été réalisé et de ce qu’on envisage de faire grâce au Cadre stratégique pour l’Arctique.

La sénatrice Pate : J’ai également noté dans la documentation que j’ai pu trouver qu’on avait profité des connaissances traditionnelles inuites dans le processus de décision qui a abouti à la conclusion du premier accord relatif à l’interdiction de la pêche commerciale dans les eaux internationales. J’aimerais en apprendre davantage sur le processus suivi ainsi que sur la façon d’intégrer les connaissances traditionnelles et d’associer les Inuits à la conclusion de l’accord. Qu’avez-vous appris à cette occasion? Cela n’a pas été mentionné dans les échanges aujourd’hui, mais si je n’ai pas été aussi attentive qu’il l’aurait fallu, je vous prie de me le signaler. Je pense aux questions de justice et de santé mentale ainsi qu’aux problèmes sociaux que vous avez évoqués.

Mme LeClaire : Je n’ai pas participé à ces discussions. L’équipe de négociation se composait de collègues de Pêches et Océans et d’avocats.

Au sujet des connaissances autochtones, vous avez raison. C’est une grande réalisation dont le Canada s’était fait le champion.

Je regrette de ne pas pouvoir vous donner plus de détails, mais je ferai de mon mieux pour vous procurer de plus amples renseignements.

M. Kessel : Tout ce que je sais, c’est que nous avons eu recours aux connaissances de nos groupes autochtones en matière de zones de pêche pour déterminer dans quelle mesure elles étaient durables et pour savoir si le poisson commençait à remonter à partir du Sud. Avec le réchauffement des eaux du Sud, le poisson se dirige vers des eaux plus froides. Nous prévoyons donc qu’à un certain moment, le poisson arrivera dans l’océan Arctique. Ce sont essentiellement ces connaissances que nous avons recherchées. Je crois qu’elles sont maintenant intégrées dans le processus de surveillance. Je vais cependant essayer d’obtenir plus de détails à votre intention parce que je ne faisais pas partie de l’équipe de négociation.

Le président : J’ai une question complémentaire à poser avant de céder la parole à la sénatrice Deacon.

Le sénateur Watt, ancien président du comité, s’était beaucoup inquiété du fait que les Inuits pouvaient se prévaloir de droits sur la zone extracôtière en vertu du droit international, étant des peuples de la mer qui occupaient les glaces, mais qu’ils avaient été exclus du processus de la Conférence des Nations Unies sur le droit de la mer. Il estimait que leur participation aurait pu renforcer la position du Canada.

Avez-vous des observations à formuler au sujet de cette thèse, monsieur Kessel? Vous êtes peut-être au courant des avis juridiques recueillis par le sénateur Watt à cet égard.

M. Kessel : Malheureusement, je dois dire que je ne suis pas au courant des opinions du sénateur Watt, même si je connais bien l’avis de quelques autres intervenants.

La Convention des Nations Unies sur le droit de la mer a été négociée il y a une quarantaine d’années, mais je crois que nous avons été prévoyants. La position alors défendue par le Canada était plutôt novatrice : Comme les Inuits vivaient sur l’eau comme si c’était à terre, nous avions réussi à inclure dans la convention — à l’article 234, je crois — la capacité de traiter les régions couvertes de glace comme s’il s’agissait de régions terrestres. La situation du Canada à cet égard est vraiment unique. Cela nous a permis d’adopter des mesures législatives s’appliquant aux régions couvertes de glace. Ainsi, en vertu de la Loi sur la prévention de la pollution des eaux arctiques, nous pouvons aller jusqu’à 200 milles. Cela permet aux populations inuites d’utiliser les zones couvertes de glace pour en tirer leur subsistance. Cela s’est fait 40 à 50 ans avant que nous ayons la moindre idée de ce qu’étaient les changements climatiques.

Je crois que cela répond dans une certaine mesure aux préoccupations du sénateur Watt. Heureusement, les Canadiens pensaient à ces choses depuis très longtemps. Même si nous n’avons pas tendance à nous vanter de nos réalisations, il y a eu beaucoup de Canadiens intelligents et prévoyants qui, lors de l’élaboration de différents instruments internationaux, ont pensé à l’ensemble du pays et à ses différents aspects. Nous en profitons aujourd’hui.

La sénatrice Deacon : J’ai une question très simple à poser au sujet du Conseil de l’Arctique. Depuis combien de temps fonctionne-t-il dans son mode actuel?

Mme LeClaire : Le conseil a été créé en 1996. Il vient donc de célébrer son 20e anniversaire.

La sénatrice Deacon : Cela fait un certain temps. Je suis sûre qu’il a évolué en fonction de votre orientation et de vos besoins.

En prenant du recul, pouvez-vous me dire que le Conseil de l’Arctique fonctionne bien? Comment le savez-vous?

Mme LeClaire : C’est une question très importante qui tombe à point puisque nous nous la posons nous-mêmes en ce moment. Le conseil a effectivement évolué. Il s’est développé, mais je dirais qu’il a encore un long chemin à parcourir.

Créé en 1996, il se fondait sur une organisation antérieure, la Stratégie de protection de l’environnement arctique, qui n’avait pas duré très longtemps. Comme vous l’aurez sans doute deviné d’après son nom, cette organisation était axée sur la protection de l’environnement et sur les sciences naturelles. Depuis, le principal changement a consisté à ajouter davantage d’aspects sociaux et économiques, mais je dirais que le conseil n’a pas encore atteint le niveau des aspirations exprimées dans la Déclaration d’Ottawa qui l’a établi et qui prévoyait la mise en place de trois piliers — social, économique et environnemental — agissant ensemble d’une façon intégrée.

Sous la présidence des États-Unis, qui a pris fin en 2017, il avait été décidé pour la première fois de doter le Conseil de l’Arctique d’un plan stratégique. Par conséquent, quand je dis qu’il se développe, mais qu’il lui reste encore un long chemin à parcourir, c’est parce qu’il n’a pas un plan stratégique. C’est encore la somme de ses différents éléments qui, d’une certaine façon, fonctionnent encore indépendamment les uns des autres. Le caractère horizontal de l’organisation se développe, mais il n’est pas encore assez cohérent.

Le Canada est étroitement associé à tout cela. Nous avons organisé un atelier de deux jours à London pour réunir les hauts responsables de l’Arctique et les participants permanents dans le cadre d’une séance non structurée de remue-méninges destinée à imaginer de quoi le Conseil de l’Arctique a besoin, compte tenu de ce qu’il est appelé à faire.

Vous avez posé une question précise concernant les moyens de mesurer le succès du conseil. Il est difficile de répondre, mais je pourrais en dire autant de la plupart des organisations internationales. Comme dans leur cas, le succès se mesure en partie à ce qui n’a pas été réalisé. Le conseil a maintenu la coopération et le dialogue dans l’Arctique. Malgré la nature instable des changements climatiques, les échanges internationaux sont pacifiques et empreints de coopération.

Je dirais que le succès se mesure aussi en fonction des traités négociés. Compte tenu de tout ce qu’on dit au sujet de l’Arctique, nous avons besoin de sérieuses capacités de recherche et de sauvetage dans la région circumpolaire. Les gardes côtières des cinq États limitrophes doivent pouvoir agir de concert les unes avec les autres. Par conséquent, le Conseil de l’Arctique a créé un forum de gardes côtières et a conclu des traités. Selon moi, ce sont des indices clairs du fait que le conseil répond aux besoins que nous avons jugés urgents.

Pour ce qui est de la dimension humaine en particulier, je dirais qu’il reste encore beaucoup à faire. Je signale par exemple que les États membres ne s’entendent pas sur l’importance des connaissances traditionnelles autochtones dans les mesures prises pour relever les défis qui se posent dans l’Arctique. Il est impératif de réaliser des progrès à cet égard. Voilà un exemple des domaines où il conviendrait de déployer plus d’efforts.

Ce n’est pas une réponse très précise à votre question, mais j’espère qu’elle donne une idée des secteurs dans lesquels le conseil est efficace et de ceux où il pourrait faire mieux.

Le président : Pour faire suite à la question de la sénatrice Deacon, j’aimerais aller un peu plus loin.

Vous avez parlé d’accords juridiquement contraignants. J’aimerais mieux comprendre. Nous avons des accords juridiquement contraignants sur la recherche et le sauvetage ainsi que sur la planification des mesures de lutte contre la pollution par les hydrocarbures. Vous avez mentionné l’accord sur les pêches et le Code polaire relatif à la navigation. S’agit-il d’accords contraignants qui s’appliqueraient si un État ne s’acquitte pas de ses obligations de recherche et de sauvetage dans son secteur de l’Arctique? Y a-t-il des conséquences en cas de non-observation de ces accords? Employez-vous l’expression « juridiquement contraignants » d’une façon rigoureuse? Les accords sont-ils vraiment exécutoires?

M. Kessel : Pour répondre à la question de la sénatrice Deacon, je dirais que, dans les 20 dernières années, nous sommes passés d’un forum de discussion plus ou moins théorique à un organisme normatif qui a produit des instruments juridiquement contraignants. Si vous voulez parler d’évolution et de niveau de maturité, vous devez vous rendre compte que nous avons affaire à une organisation qui a suffisamment mûri pour aboutir à des accords contraignants.

En réponse à la question du président, je dirais que ce sont des accords juridiquement contraignants en droit international. Cela signifie que les parties s’engagent mutuellement à s’acquitter de leurs engagements. Jusqu’ici, les parties ont tenu leurs promesses. Il n’y a pas de doute qu’au cours des rencontres entre parties, celles-ci n’hésitent pas à pointer du doigt ceux qui ne satisfont pas à leurs obligations.

Nous attendons avec un grand intérêt l’accord sur les pêches parce qu’il aura une influence extraordinaire sur les moyens d’existence des habitants du Nord ainsi que sur la survie de beaucoup des stocks de poisson de l’Arctique.

Le président : Le Code polaire est-il volontaire ou contraignant?

M. Kessel : Un accord juridiquement contraignant impose aux parties signataires de respecter les dispositions et les principes qui y sont énoncés. Aux termes du Code polaire, le Canada peut décréter qu’un navire ne peut pas entrer dans ses eaux à moins d’avoir une double coque et de se conformer aux dispositions spéciales du Code relatives aux eaux de cale. Par conséquent, si le navire demande à entrer dans nos eaux, nous pouvons dire non si nous savons qu’il n’est pas conforme.

On possède un important pouvoir quand on peut dire à un autre État que ses navires ne peuvent pas entrer dans nos eaux. C’est pour cette raison que la Corée, Singapour et la Chine se sont beaucoup intéressées à la négociation du Code polaire. Ces pays pensent au fait que, dans une vingtaine d’années, nous pourrions leur imposer de se conformer à nos normes de protection environnementale sous peine d’interdiction de leurs navires. Ils croient que, dans 20 ans, ils voudront passer par nos eaux pour transporter leurs marchandises entre l’Asie et l’Europe et ailleurs. Oui, pour eux, il est extrêmement important que le Canada compte parmi les signataires d’un accord juridiquement contraignant.

La sénatrice Eaton : Comment pouvons-nous vérifier que les navires respectent les engagements pris? Quelles mesures d’exécution pouvons-nous prendre si un navire passait sans permission?

M. Kessel : Les normes s’appliquent à tous les navires. Nous les connaissons. Ils sont tous immatriculés. L’Organisation maritime internationale est l’organe des Nations Unies qui se tient au courant des normes et de leur application. Par conséquent, nous connaissons les navires, nous connaissons leur nom et leurs caractéristiques et nous savons s’ils se sont conformés aux normes.

Dans le domaine des relations internationales, il est rare qu’un État tente de faire passer un navire dans nos eaux territoriales sans que nous y ayons consenti. Dans le monde de la diplomatie, il n’arrive pas souvent — surtout si les pays en cause veulent faire affaire avec nous à l’avenir — que les gens gaspillent leur énergie en se livrant à des activités de ce genre.

Nous sommes sûrs d’avoir réussi, de concert avec nos partenaires circumpolaires, à faire du Code polaire un investissement, une police d’assurance pour l’avenir. Nous en sommes très fiers.

Le président : L’étape suivante consistera-t-elle à établir des corridors approuvés pour empêcher les navires d’aller dans des eaux dangereuses ou inconnues? Travaille-t-on là-dessus?

M. Kessel : Je n’ai pas de renseignements précis à vous donner parce que ce sujet relève plutôt de Transports Canada ou de la Garde côtière. Nous exigeons seulement que ces navires aient à bord un pilote canadien connaissant bien l’endroit pour les aider à franchir les chenaux dangereux.

Parmi les mythes que nous cherchons à dissiper, il y a l’idée que les glaces sont en train de disparaître dans l’Arctique. En réalité, l’état des glaces change. Ceux qui comprennent la nature de la circulation arctique savent qu’il y a une force centrifuge qui agite l’océan. Tandis que les glaces changent de forme, passant de l’état de glace pluriannuelle à un état moins durable, beaucoup des endroits qui étaient exempts de glace sont envahis. Du point de vue de la sécurité, nous faisons de grands efforts pour savoir quelles zones sont couvertes de glace et quelles autres se prêtent à la navigation.

Bref, les navires ne seront pas autorisés à aller dans ces zones, surtout si Lloyd’s refuse de les assurer. À moins que Lloyd’s ne soit convaincu — et nous aussi — que ces navires peuvent aller là sans danger, ils n’iront pas dans les endroits non autorisés.

Mme LeClaire : Les travaux scientifiques visant à définir les corridors de navigation sûrs font l’objet de discussions au Conseil de l’Arctique et de ses organes auxiliaires tels que le Forum des gardes côtières. Des travaux scientifiques d’exploration sont en cours. C’est une première étape nécessaire à l’établissement de règles et de normes.

La sénatrice Bovey : Je m’intéresse encore à la question des observateurs. Je sais que la Grèce, la Turquie et la Mongolie souhaitent obtenir le statut d’observateurs au Conseil de l’Arctique. Je sais aussi que d’autres organisations, comme l’Association internationale des producteurs de pétrole et de gaz et Greenpeace, aspirent au même statut. Ayant déjà le statut d’observateur, la Chine cherche à acquérir des ports en Islande afin de pouvoir partager la côte avec les membres du Conseil de l’Arctique.

C’est fort bien de dire que l’entente règne et qu’il n’y a pas de problèmes, mais la situation mondiale change. La position de la Russie dans le monde a évolué. Je trouve étrange que la Russie et les États-Unis puissent s’entendre à ce sujet, sans être d’accord sur grand-chose d’autre en ce moment.

Pouvez-vous nous en dire davantage à ce sujet, compte tenu du fait que la Chambre des communes débat actuellement le projet de loi C-55 sur les aires marines protégées? Il y a des dimensions intérieures ainsi que des dimensions changeantes à l’étranger.

Je parlais à des Islandais l’autre jour. Ils disaient que la Chine voulait acquérir quelques-uns de leurs ports. J’ai immédiatement pensé que cela changeait la nature du débat.

Mme LeClaire : Ce sont effectivement des questions très complexes.

La Chine veut devenir un acteur mondial. C’est ce qui explique son intérêt. Elle souhaite pouvoir intervenir partout dans le monde. Comme un membre du comité l’a noté, elle a récemment publié une stratégie arctique. Il n’y avait rien dans ce document qui nous ait surpris ou que nous ne savions pas déjà. Toutefois, le simple fait de le rédiger et de le publier est certainement révélateur.

Auparavant, les Chinois avaient publié ou énoncé leur initiative d’infrastructure « Une ceinture, une route » qui porte maintenant le titre « La ceinture et la route ». Leur politique sur l’Arctique contient l’expression « Route polaire de la soie ». C’était la première fois que je la voyais. Ils ont donc fait connaître leurs ambitions.

Comme la Russie, la Chine est un acteur compliqué. Nous ne pouvons pas en faire abstraction. Nous devons en tenir compte et trouver des moyens d’établir avec Beijing des rapports qui nous permettent de protéger nos intérêts.

Vous avez mentionné les activités de la Russie et des États-Unis dans l’Arctique. C’est une dynamique intéressante. Lors de la création du Conseil de l’Arctique, les partenaires se sont engagés à coopérer. De plus, compte tenu des intérêts communs, le Conseil avait également pris l’engagement de s’abstenir, dans la mesure du possible, de discuter d’autres questions géopolitiques. Jusqu’ici, l’engagement a été tenu. Aux réunions du Conseil, nous discutons de la coopération arctique.

M. Kessel a dit plus tôt que nous avons des positions très proches de celles de la Russie parce que nous avons beaucoup d’intérêts communs. Nous sommes en effet les plus importants propriétaires terriens de l’Arctique. Nous devons faire face à des défis communs relevant des changements climatiques et de leurs effets sur les glaces, la cryosphère, la fonte du pergélisol, les infrastructures et la croissance économique. Bref, nous pouvons discuter de beaucoup de questions et de priorités communes.

Il en est de même pour la Russie et les États-Unis. Les deux pays ont annoncé au cours de leur réunion la plus récente le lancement d’un projet destiné à cerner les corridors de navigation sûrs du détroit de Béring. Ils collaborent donc lorsque leurs intérêts coïncident.

Le Conseil de l’Arctique demeure la tribune où nous concentrons vraiment nos efforts sur les intérêts communs et le travail conjoint.

Pour ce qui est de la multiplication des observateurs, oui, il y a de plus en plus de pays qui veulent obtenir ce statut. Les motifs sont différents. Le Conseil de l’Arctique a défini une série de critères — que nous appelons « les nouveaux critères » — dont nous nous servons pour évaluer les candidatures. Lors de la dernière ronde, une seule demande, celle de la Suisse, a été acceptée. Les autres demandes ont été rejetées, mais les pays en cause peuvent revenir à la charge.

Ces demandes visent différents objectifs. Les Suisses avaient un objectif scientifique lié à ce qu’ils appellent les « pôles verticaux ». Comme leurs montagnes constituent des environnements semblables à ceux de l’Arctique, ils croient qu’il y a des possibilités d’échange de pratiques exemplaires.

Dans d’autres cas, c’est l’intérêt économique qui prime. De son côté, la Mongolie s’intéresse à l’élément autochtone à cause de son propre peuple autochtone.

Au conseil, il y a différents points de vue quant à l’opportunité d’accepter davantage d’observateurs. Toutefois, beaucoup des préoccupations exprimées semblent refléter la crainte que les réunions du Conseil de l’Arctique ne puissent plus se tenir dans le Nord si l’organisation prend trop d’ampleur.

Par ailleurs, il est admis que ce qui se passe dans l’Arctique ne se limite pas à l’Arctique. Il y a des ramifications partout dans le monde, notamment au chapitre de l’élévation du niveau de la mer.

Le président : Je vous remercie. Nous arrivons au terme de cette partie de la réunion, mais il serait encore possible de poser une dernière question très brève.

La sénatrice Eaton : Je suis sûre que les témoins pourront y répondre très rapidement.

Madame LeClaire, vous avez dit que les Inuits siègent en égaux au Conseil de l’Arctique et que vous tenez compte de leur point de vue lors de la formulation des réponses des gouvernements. Je m’interroge cependant sur ce qu’ils pensent. Comme vous le savez, Donald Trump a signé un décret abrogeant les restrictions imposées par le gouvernement Obama sur les forages pétroliers. Il y a, sous les eaux de l’Arctique, d’énormes réserves de gaz naturel et de pétrole ainsi que des gisements de diamants, de terres rares, et cetera. Que pensent nos peuples autochtones de l’exploitation des ressources naturelles?

Mme LeClaire : Je sais quel point de vue a exprimé le Gwich’in Council International au sujet de la décision américaine d’autoriser les forages dans la Réserve faunique nationale de l’Arctique. Les Gwich’in sont très inquiets à cause des effets que cela peut avoir sur la harde de caribous de la Porcupine. Le caribou constitue 80 p. 100 du régime alimentaire des collectivités autochtones de la région. C’est donc essentiellement une question de sécurité alimentaire, ce qui explique l’inquiétude des Gwich’in. Sur le plan bilatéral, le gouvernement canadien est en contact avec les États-Unis. Je ne peux donner aucun détail, mais je sais que c’est actuellement une question bilatérale canado-américaine. J’ai assisté à une réunion du Conseil de l’Arctique au cours de laquelle les Gwich’in ont fait part de leurs graves préoccupations aux représentants des États-Unis.

La sénatrice Eaton : Ont-ils exprimé un point de vue au sujet du fond marin ou de l’exploitation pétrolière et gazière?

Mme LeClaire : Je n’ai entendu aucun commentaire de leur part relativement à l’exploitation sous-marine ou extracôtière.

Le président : Je voudrais exprimer mes sincères remerciements aux témoins pour les renseignements aussi utiles qu’instructifs qu’ils nous ont présentés.

Sénateurs, nous sommes heureux de souhaiter la bienvenue à M. David Barber, professeur à l’Université du Manitoba, qui se joint à nous de Winnipeg par vidéoconférence.

Je vous remercie de votre présence et vous invite à présenter votre exposé préliminaire. Vous pouvez vous attendre à ce que les membres du comité vous posent ensuite des questions. À vous.

David Barber, professeur, Université du Manitoba, à titre personnel : Merci beaucoup. Je vous ai fait parvenir un document que vous devriez avoir en main. Je vais simplement me servir des numéros des diapositives pour que vous puissiez suivre mon exposé.

Le président : Oui, nous avons le document.

M. Barber : Le document a pour titre : « Incidences mondiales de la fonte des glaces de l’Arctique ». Je voudrais parler au comité des conséquences de la fonte et des changements climatiques observés dans l’Arctique.

Je dirige un groupe assez important de chercheurs à l’Université du Manitoba. Le groupe compte environ 135 membres, comme on peut le voir sur la diapositive 2. Nous formons le groupe de recherche spécialisé en glaces marines le plus important du monde. Nos recherches sur l’Arctique se poursuivent depuis plus de 35 ans.

Vous verrez, sur la diapositive 3, le nom des principaux réseaux au sein desquels nous travaillons. Le réseau international est le Partenariat scientifique de l’Arctique, qui a été formé par une fusion entre l’Université Aarhus du Danemark, l’Institut des ressources naturelles du Groenland et mon laboratoire de l’Université du Manitoba. Le partenariat a été créé il y a environ sept ans dans le cadre du Programme des chaires d’excellence en recherche du Canada, que nous avions financé. Depuis, plusieurs autres groupes ont voulu se joindre à nous, dont une université norvégienne, l’Institut Alfred Wegener d’Allemagne, l’Université Laval de Québec et Pêches et Océans Canada. Nous avons actuellement des discussions avec des pays d’Asie, et notamment la Chine et la Corée.

ArcticNet est l’autre réseau dont nous faisons partie. Je suis sûr que beaucoup de Canadiens le connaissent bien. Le Programme des réseaux de centres d’excellence fonctionne depuis 14 ans. Nous participons énormément à ses activités.

J’aimerais vous parler de quelques nouveaux grands programmes que nous avons en cours. Je suis maintenant à la diapositive 4. Nous avons eu du succès dans un certain nombre de nouveaux programmes de grande envergure que je vais aborder. Il y a par exemple l’Observatoire maritime de Churchill, qui est actuellement en construction à Churchill, au Manitoba.

Nous venons aussi de réussir à décrocher une subvention du Programme des chaires d’excellence en recherche du Canada et une autre du Programme des chaires de recherche Canada 150. Dans les deux cas, nos travaux seront concentrés sur des recherches liées à l’Arctique.

Nous engagerons quelque 65 nouveaux employés à notre installation de l’Université du Manitoba. Il y aura, parmi eux, sept nouveaux membres du corps enseignant, plusieurs titulaires de chaires de recherche subalternes et trois titulaires principaux. Nous mettons également au point un nouveau programme de formation des Inuits, dont je vous parlerai un peu plus tard.

À la diapositive 5, vous pouvez voir nos principaux centres d’intérêt. Nous voulons travailler partout dans l’Extrême-Arctique en concentrant nos efforts sur l’interaction entre l’eau douce et l’environnement marin. Les glaces continentales sont en train de se liquéfier. Cela entraîne une hausse du niveau de la mer dans le monde, mais aussi beaucoup de complications dans le système marin à mesure qu’il est envahi par l’eau douce. Vous pouvez voir que nous travaillons dans tout l’Arctique circumpolaire.

Nous nous intéressons à la circulation à grande échelle des glaces. À la diapositive 6, vous pouvez voir les principales voies qu’empruntent les glaces marines dans l’hémisphère Nord. Vous noterez le cercle tracé à l’extrémité nord du Groenland et de l’île d’Ellesmere. Nous l’appelons le commutateur des glaces marines. C’est un élément très important du phénomène de déplacement des glaces entre l’Extrême-Arctique et l’Atlantique Nord. Nous insistons particulièrement sur la recherche dans ce domaine.

À la diapositive 7, vous pouvez voir le Groenland même. Notre nouvelle titulaire de la chaire d’excellence en recherche du Canada est Dorthe Dahl-Jensen, qui vient de l’Institut Niels Bohr de Copenhague. Elle est spécialisée dans l’interprétation des carottes de glace prélevées dans le glacier continental groenlandais. Grâce à elle, nous pouvons recréer les climats qui ont régné par le passé dans l’hémisphère Nord. Nous faisons ensuite le lien entre l’analyse de ces climats du passé et les phénomènes climatiques actuels afin de prévoir ce qui viendra à l’avenir. Je peux répondre à des questions à ce sujet s’il intéresse des membres du comité.

La diapositive 8 présente sous forme schématique l’approche systématique adoptée pour comprendre de quelle façon l’eau douce agit et modifie les conditions dans l’écosystème marin de l’Arctique. Nous étudions l’ensemble des différentes composantes de ce que vous voyez sur la diapositive. Nous collaborons étroitement avec les collectivités autochtones de tout le Nord circumpolaire, profitant des connaissances qu’elles ont accumulées pendant des générations en vivant tout près des environnements terrestres et marins de l’Arctique. Nous associons ensuite les renseignements recueillis aux connaissances scientifiques occidentales pour examiner les interactions et les interconnexions dans les différents éléments de la chaîne alimentaire.

La diapositive 9 montre de façon schématique que les effets des phénomènes qui se produisent dans l’Arctique ne se limitent pas nécessairement à la région de l’Arctique. Nous constatons maintenant qu’il existe de très fortes connexions entre l’Arctique et les latitudes tempérées. Nous croyons que ces connexions sont à la source des perturbations atmosphériques inhabituelles que nous connaissons aux latitudes moyennes de la planète. Nous sommes en train de modifier la forme et la structure du tourbillon polaire. C’est parce que nous perdons des glaces marines dans l’hémisphère Nord et ajoutons beaucoup trop de chaleur dans l’atmosphère, ce qui altère les schémas de pression et modifie donc le tourbillon polaire ainsi que nos conditions météorologiques et notre climat aux latitudes tempérées.

La diapositive 10 nous rappelle qu’une autre des interactions entre le Nord et les latitudes moyennes donne lieu à des risques pour la navigation qui sont liés aux glaces marines. Le secteur des transports maritimes croit souvent qu’avec la réduction du volume des glaces marines dans l’Extrême-Arctique, il sera plus facile pour les navires d’emprunter les corridors intercontinentaux que vous pouvez voir sur la diapositive 10. En réalité, la situation est très complexe. Aussi récemment que l’été dernier, notre brise-glace de recherche n’a pas pu aller au-delà de la côte de Terre-Neuve. Nous avions mis le cap sur la baie d’Hudson, mais nous avons été arrêtés par des formations très intenses de glace venant — comme nous avons pu le découvrir — de l’Extrême-Arctique. Par conséquent, ces petits navires que vous voyez au-dessus de la carte de la baie d’Hudson, ces crabiers venant de Terre-Neuve ont été pris dans une forte épaisseur de glaces marines pluriannuelles qui n’auraient pas dû être là.

La diapositive 11 montre une image de notre nouvelle base de recherche de Churchill, qui est unique au monde. Ce sera un mésocosme qui nous permettra d’étudier les déversements d’hydrocarbures dans les glaces marines. Nous avons spécialement conçu cette installation pour l’étude des moyens de détection du pétrole et d’autres contaminants liés au transport, de leurs effets sur le système et des méthodes possibles de nettoyage. Ce programme a été financé par la Fondation canadienne pour l’innovation et un certain nombre d’autres partenaires. Il permettra aussi d’ajouter à notre programme de recherche un nouveau navire, que vous pouvez voir au bas de la diapositive 11. Il passera l’hiver dans l’estuaire du Churchill et pourra ainsi servir à des travaux de recherche l’année prochaine.

Je passe maintenant à la diapositive 12 pour vous parler un peu des partenariats avec les Inuits. Les Inuits ont joué depuis des années un rôle de premier plan dans nos programmes de recherche. Je voudrais mentionner en particulier deux de ces programmes. Le premier concerne le rapport de la commission Pikialasorsuaq sur la polynie des eaux du Nord. Il est organisé par le Conseil circumpolaire inuit et appuyé par Océans Nord. Nous avons formé un partenariat en vue de créer un programme de surveillance communautaire. Vous pouvez voir sur la diapositive 12 le sigle NOW dans un cercle qui représente la superficie de la polynie des eaux du Nord. Nous travaillerons avec les collectivités des deux côtés pour établir ce programme de surveillance communautaire. Nous espérons qu’il constituera la base d’une nouvelle aire de gestion marine sous contrôle inuit dans la polynie des eaux du Nord. Nous sommes très préoccupés par l’évolution future de cette polynie.

L’image à droite est intitulée SIKU. Elle me rappelle que je dois vous parler de notre engagement avec les Inuits de la baie d’Hudson. Du côté sud de la baie, nous collaborons avec les Cris et avec les Inuits de Sanikiluaq pour établir un programme de surveillance communautaire destiné à étudier les courants d’eau douce dans la baie ainsi que leurs effets sur les activités maritimes.

La dernière diapositive concerne l’Observatoire de la baie de Baffin, également appelé BBOS, ou Système d’observation de la baie de Baffin. Il s’agit d’un effort que nous déployons pour établir un système d’observation conjoint à grande échelle entre l’Europe et le Canada, qui comprendrait un partenariat particulier avec le Danemark et le Groenland. Il s’agit d’un projet de cogestion et de codéveloppement d’un grand système d’observation marine qui nous permettrait d’étudier quelques-unes des questions fondamentales liées aux effets de l’Arctique sur les régions situées plus au sud et sur différentes activités de type industriel dans la baie de Baffin.

Cela comprend également la cogestion inuite de la région. Les Inuits tant canadiens que groenlandais recherchent des moyens de collaboration pour établir, exploiter et maintenir ce genre de système d’observation à l’avenir. Je serais heureux de parler aux membres du comité du BBOS si nous en avons le temps.

C’est tout ce que j’ai dans mes notes. Je suis maintenant prêt à répondre aux questions des sénateurs.

Le président : Nous passons maintenant aux questions, monsieur Barber, en commençant par notre vice-présidente.

La sénatrice Bovey : Monsieur Barber, je vous remercie de votre présence au comité aujourd’hui. Vous savez que je suis vos recherches à différents titres depuis un certain temps. Je suis toujours impressionnée par l’étendue et la portée de ce que vous faites.

Vous pouvez peut-être nous renseigner sur un certain nombre de choses afin de nous aider dans notre travail. Tout d’abord, l’Observatoire maritime de Churchill devait être construit l’année dernière. J’ai cru comprendre que, par suite de l’inondation de la voie ferrée, le matériel nécessaire n’a pas pu être expédié. C’est du moins ce que j’ai appris l’été dernier à mon passage à Churchill. Je sais maintenant, d’après mon entretien avec vous, que le matériel a été expédié cet hiver par les routes de glace. L’observatoire sera-t-il construit l’été prochain?

M. Barber : Je vais faire le point sur cette question. Comme vous le savez, la voie ferrée de Churchill a été emportée au cours d’une grande tempête de neige en 2017. Le matériel nécessaire à la construction de l’Observatoire maritime de Churchill se trouvait à Thompson, au Manitoba, et devait être expédié par rail, mais la voie ferrée est coupée.

Depuis, Omnitrax, propriétaire de la voie ferrée et du port, a engagé des négociations pour vendre le port. La voie ferrée doit être réparée avant d’être elle-même vendue en même temps que le port.

Les discussions avancent bien à ma connaissance. Elles visent un nouveau modèle de propriété de la voie ferrée et du port. Aux dernières nouvelles, la voie ferrée sera réparée cet été. Nous devrions être en mesure de recommencer l’expédition de notre matériel à destination de Churchill afin de reprendre les travaux de construction.

Nous avons tout juste commencé à construire. Nous avons aplani le terrain pour couler la fondation et avons fait quelques autres travaux de base sur le site. Ensuite, nous avons dû arrêter. Il faudra plus d’un an pour construire l’observatoire. Nous avons prévu une période de construction d’environ 18 mois. Nous nous attendons donc à ce que l’installation soit prête en 2020.

La sénatrice Bovey : Dans le cadre des travaux que vous avez entrepris, vous avez parlé de partenaires internationaux et de projets conjoints. Je sais que vous collaborez avec l’Institut polaire et le Centre de recherches polaires et que vous travaillez partout dans le Nord canadien ainsi que dans les régions circumpolaires. Vous regroupez toutes sortes d’initiatives et dirigez de nouvelles formes de recherche.

Vous avez mentionné certains problèmes qui toucheront le Sud. Il y a la fonte du pergélisol. Je comprends qu’il s’agit non de glaces marines, mais d’une autre forme de glace. Au cours du bref entretien que nous avons eu récemment, vous avez dit qu’avec la fonte du pergélisol, vous constatez la présence de niveaux accrus de mercure dans l’eau. Pouvez-vous nous en parler dans le contexte de la biodiversité dans le Nord?

M. Barber : Nous avons été assez surpris de découvrir ces niveaux de mercure. Nous nous attendions à ce que les taux naturels de mercure baissent avec l’amélioration de la réglementation des sites industriels du monde développé. Nous nous attendions à cette baisse dans l’Arctique, comme cela a été le cas lorsque nous avons réduit la teneur de l’essence en plomb. On peut constater la baisse de la concentration de plomb dans les carottes extraites dans l’Arctique. Toutefois, en ce qui concerne le mercure, nous avons noté qu’il augmentait dans beaucoup des organismes de l’environnement marin.

Pendant un certain temps, nous nous sommes interrogés sur les raisons de ce changement. Récemment, il est devenu clair que le mercure était stocké dans le pergélisol. Avec la fonte, il est libéré et fait son chemin dans les bassins hydrographiques pour aboutir dans les estuaires et l’environnement marin. Différents éléments de la chaîne alimentaire ont capté le mercure et provoqué une bioaccumulation dans le système.

À l’heure actuelle, le mercure demeure un problème dans l’Arctique parce qu’une grande quantité de ce qui était stocké dans le pergélisol a été libérée et s’est retrouvée dans l’environnement marin et les systèmes d’eau douce où il y a bioaccumulation.

C’est un problème qui touche les aliments prélevés dans la nature. Les Inuits comptent beaucoup sur ces aliments pour remplacer avantageusement les produits transformés vendus dans les magasins. On peut s’inquiéter si le mercure commence à s’accumuler car, lorsqu’il atteint des niveaux trophiques élevés, il peut être dangereux pour les humains.

De nombreuses recherches sont en cours dans ce domaine au Canada. ArcticNet en fait beaucoup, de même que d’autres pays circumpolaires.

Le président : Monsieur Barber, j’ai une question à poser au sujet du Système d’observation de la baie de Baffin. J’ai l’impression qu’il s’agit d’un très important effort international puisque les eaux de l’Arctique sont partagées par un certain nombre de pays. Pouvez-vous nous en dire davantage sur ce projet, et notamment sur les possibilités de financement? Où en sommes-nous à cet égard?

M. Barber : Je vais commencer par présenter un bref aperçu de la situation.

Au Canada, nous avons la Fondation canadienne pour l’innovation, qui est notre principal organisme de financement en matière d’infrastructures universitaires. Les Européens ont un organisme équivalent qui s’occupe de leurs universités et, aux États-Unis, il y a la National Science Foundation.

Dans le cadre de la FCI, le Canada a engagé des discussions avec les Américains et les Européens pour déterminer la faisabilité d’une initiative scientifique internationale à grande échelle dans l’Arctique. Nos interlocuteurs formaient un groupe très branché au niveau international et très présent au Canada. Ils nous ont demandé : « Si vous deviez concevoir un grand programme d’infrastructure scientifique pour s’attaquer aux problèmes de l’Arctique, quelle structure aurait-il? »

Nous avons donc réuni un groupe de personnes représentant tous les coins du Canada, qui a consacré près d’un an et demi à la conception du Système d’observation de la baie de Baffin. Tout d’abord, nous avons décidé que Churchill était l’endroit le plus indiqué pour un certain nombre de raisons scientifiques. Nous avons ensuite commencé à discuter de la structure scientifique et des questions devant faire l’objet des recherches. Nous avons produit un livre blanc sur la raison d’être et la justification scientifique d’un important programme de ce genre. Nous avons discuté du livre blanc avec nos collègues européens et américains en visant la création d’un programme scientifique tripartite majeur pour l’Arctique.

Nous avons ensuite présenté le livre blanc à la ministre fédérale des Sciences. Après avoir jeté un coup d’œil au document, elle nous a écrit pour nous dire en substance : « Merci beaucoup, c’est un programme très intéressant, mais nous ne sommes pas sûrs de savoir ce qu’il convient d’en faire. Nous ne savons pas comment le financer ou comment le réaliser. » Nous avons alors décidé de lui faire savoir qu’elle nous avait demandé de proposer des idées et de lui expliquer les raisons pour lesquelles le projet est important. C’est ce que nous avons produit. Si nous pouvions susciter de l’intérêt au niveau fédéral canadien et auprès de nos partenaires d’Europe et des États-Unis, il serait peut-être possible de réaliser ce projet. La structure d’ensemble et toutes les justifications scientifiques sont là. Ce qui manque à l’heure actuelle, ce sont les moyens de réunir ces différentes organisations et agences au niveau politique pour réaliser un projet de cette nature.

À cette fin, nous avons décidé de consacrer le grand projet suivant dont nous avons obtenu le financement — c’est la chaire d’excellence en recherche du Canada que nous sommes en train d’établir actuellement — à la formation d’un partenariat à l’extrémité nord de la baie de Baffin. C’est là que nos relations avec la commission Pikialasorsuaq avaient commencé. Pour nous, ce serait une approche progressive de la réalisation du Système d’observation de la baie de Baffin. Nous commencerons par développer le système à l’extrémité nord de la baie, puis nous passerons à d’autres étapes pour la partie sud.

Quant au financement, une partie du projet est déjà financée grâce au Programme des chaires d’excellence en recherche du Canada. Nous avons d’importantes discussions avec les Inuits du Groenland et ceux de l’île d’Ellesmere et de la baie de Baffin sur les moyens de former un partenariat pour la mise en place d’un programme de surveillance communautaire dans la région de la polynie des eaux du Nord. Nous considérons que c’est la première phase du Système d’observation de la baie de Baffin.

C’est le genre de grand projet qui nécessite une certaine volonté politique pour faire bouger les choses. Nous continuerons à faire le travail scientifique nécessaire sur les éléments du système.

Le président : Avant de céder la parole à la sénatrice Coyle, j’aimerais vous demander, puisque vous avez parlé de la polynie des eaux du Nord et de la participation des Inuits à la gestion de ces régions, de nous expliquer de quelle façon les Inuits pourraient le faire. Je sais que ni le Conseil circumpolaire inuit ni les autres organisations inuites ne possèdent les navires, le personnel ou les ressources nécessaires pour intervenir dans l’Arctique. Comment pourraient-ils aller là?

M. Barber : Bien sûr, je ne peux vous donner que mon point de vue personnel. Vous devrez vous adresser aux Inuits des deux côtés pour obtenir des renseignements concrets.

J’estime personnellement que nous n’irons pas loin dans l’Arctique à moins de réussir à amener les Inuits à diriger et à gérer beaucoup de choses de leur propre initiative. À titre de scientifique canadien, je crois qu’il m’incombe de les aider à le faire. Par conséquent, lorsqu’ils se sont adressés à moi dans le cadre du rapport de la commission Pikialasorsuaq, j’ai pu constater que le rapport émanait du niveau politique, examinant ce qu’il fallait gérer, pourquoi et comment. Ils ont ensuite demandé : « Comment la science peut-elle nous aider dans ce processus? » J’ai dit que nous pouvions les aider en leur fournissant les appareils scientifiques voulus pour recueillir les données dont ils avaient besoin pour assurer une gestion continue. Nous pouvons leur donner accès à des stations automatisées à installer sur les glaciers et dans l’environnement marin. De leur côté, ils peuvent mettre à notre disposition les bateaux de pêche dont ils se servent régulièrement. Nous aimerions commencer à recueillir des données scientifiques au cours des sorties de pêche en mer et dans le voisinage des collectivités. Il y a aussi une certaine activité commerciale du côté groenlandais de la baie de Baffin. En contrepartie, nous avons dit que nous pouvions venir participer à des projets communs dans la région. Au cours des expéditions de chasse, ils peuvent emporter avec eux du matériel pour recueillir des données scientifiques. Nous pouvons leur donner la formation nécessaire à cette fin.

Nous aimerions en outre que les Inuits gèrent les données ainsi produites. Nous voudrions voir établir un système de gestion de données qu’ils pourraient eux-mêmes maintenir et administrer. Les données produites leur appartiendraient. C’est le programme SIKU que nous développons dans la baie d’Hudson. Nous aimerions que cela s’étende à la polynie des eaux du Nord pour que les Inuits commencent à utiliser le même genre de programme que celui qui sert actuellement dans le sud de la baie d’Hudson.

Différentes mesures sont prises dans le cadre de ce partenariat, mais le principe fondamental, c’est que les scientifiques doivent aider le Nord à gérer tout cela à l’avenir. C’est très compliqué, très coûteux et très difficile à faire, mais je pense que la science peut jouer un grand rôle pour aider les Inuits à assumer les fonctions de gestion nécessaires.

Je dirai enfin que nous avons beaucoup à apprendre de la façon dont les Inuits du Groenland ont développé leurs connaissances scientifiques par rapport à la façon dont cela se fait au Canada. Il y aurait donc lieu d’organiser des échanges entre Inuits sur la façon de prendre contact et de collaborer avec les scientifiques.

Cela s’est également reflété dans le rapport final de la commission Pikialasorsuaq. D’après le rapport, ce sont les mêmes Inuits qui ont traversé le pont qui a toujours existé à l’extrémité nord de la baie de Baffin. Dans bien des cas, ce sont les mêmes familles. Il y a de nombreux liens familiaux dans la région, ce qui la rend très propice à des transferts de connaissances entre Inuits groenlandais et canadiens.

La sénatrice Coyle : Merci beaucoup pour votre exposé. J’ai trouvé très intéressante votre diapositive sur l’interaction entre l’eau douce et l’environnement marin. C’est un domaine dont je ne connais pas grand-chose. J’ai lu vos explications concernant les conséquences biochimiques, géochimiques, écologiques et humaines. Pouvez-vous nous en dire davantage sur ces conséquences?

M. Barber : Ce qui se passe essentiellement, c’est que nous sommes en train de faire fondre les glaces de l’Arctique. La fonte des glaces marines n’élève pas le niveau de la mer parce qu’il s’agit de glaces flottantes. Par contre, lorsque les glaciers fondent, l’eau douce produite va dans l’océan et fait monter le niveau de l’eau. C’est la première chose qui se produit.

Il y a suffisamment d’eau douce dans le glacier continental groenlandais pour faire monter de 6 mètres le niveau des mers et des océans du monde. Quand on y pense, il y a vraiment beaucoup de gens qui vivent dans cet intervalle de 6 mètres du niveau des mers.

Nous constatons aussi en particulier que le glacier continental groenlandais fond beaucoup plus vite que nos modèles ne l’ont prédit. Le glacier a perdu de son volume près de six fois plus vite qu’on ne le pensait. C’est pour cette raison que nous concentrons là-dessus nos prochains programmes de recherche. Le phénomène est attribuable au fait que l’eau qui fond en surface s’infiltre dans la glace et lubrifie la couche qui se trouve entre le roc du fond du glacier et la surface inférieure de la glace. Avec moins de frottement, la glace cède du volume à l’océan beaucoup plus rapidement.

Cela donne lieu à de nombreux problèmes. Une partie de l’eau de fonte arrive dans l’océan sous forme liquide et une autre partie forme des icebergs qui font courir de grands risques à la navigation maritime. Il y a donc de nombreuses complications touchant la façon dont nous pourrons utiliser l’Arctique. Chacun a hâte d’aller là pour intensifier la navigation et la pêche, mais de grands changements climatiques se manifestent encore, avec d’importants effets sur l’environnement. Nous devons comprendre ces phénomènes. C’est la raison pour laquelle nous concentrons nos recherches sur cet aspect. Beaucoup de nos collègues internationaux s’intéressent aussi de très près à l’important problème causé par l’eau douce.

Enfin, le principal effet est lié à la biologie de l’eau douce qui, flottant à la surface de l’océan, maintient les éléments nutritifs en profondeur parce qu’ils ne peuvent pas traverser la couche d’eau douce. Par conséquent, il y a moins d’éléments nutritifs en surface, là où se trouve la lumière, ce qui altère aussi l’activité biologique de l’océan. C’est un problème compliqué que nous ne connaissons pas encore assez. Nous avons donc besoin de lui consacrer davantage de recherche.

La sénatrice Pate : Merci beaucoup. Ma question n’aurait aucun sens si les gens n’ont plus une place pour vivre. Quoi qu’il en soit, je trouve intéressants les efforts que vous déployez pour associer les Inuits à votre travail. Compte tenu de ce que nous savons des liens entre la situation socioéconomique, la santé mentale et la réalisation de soi, combien d’Inuits pouvez-vous en pratique engager? À quels groupes appartiennent-ils? Combien y a-t-il d’aînés et de jeunes? J’ai l’impression, d’après ce que vous avez dit, que tout est tiré des connaissances traditionnelles ou historiques, si je peux m’exprimer ainsi, mais il y a aussi beaucoup de choses que les jeunes peuvent faire en matière d’observation et de collecte d’information.

M. Barber : Je me suis rendu dans l’Arctique pour la première fois en 1981. J’y travaille depuis plus de 35 ans, et j’ai toujours étroitement collaboré avec les Inuits. Nous échangeons de différentes façons. Nous utilisons dans toute la mesure du possible les connaissances que possèdent les aînés.

Pendant mes quelque 40 ans de travail avec eux, j’ai pu constater qu’ils ont une conception extraordinaire des questions temporelles et de la façon dont les choses évoluent avec le temps. Ils ont une zone locale dans laquelle ils chassent et récoltent. C’est là que réside l’essentiel de leur expertise, mais ils ont aussi une bonne compréhension de ce qui se passe d’une saison et d’une année à l’autre.

Ces dernières années, nous avons beaucoup plus travaillé avec les jeunes de l’Arctique parce que nous avons noté chez eux un grand intérêt pour les sciences. Ils ont appris de leurs parents et de leurs ancêtres que la science est importante et peut les aider à comprendre leur situation naturelle. Ils souhaitent donc s’en servir pour faire carrière dans ces domaines.

Nous avons eu pendant une quinzaine d’années un programme appelé Schools on Board à bord de l’Amundsen, notre brise-glace de recherche. Nous embarquions des étudiants du secondaire. Nous avons mis en œuvre à différentes occasions un programme pour les étudiants des écoles inuites circumpolaires. Des enfants inuits de tous les coins de l’hémisphère Nord venaient à bord du navire pour suivre le programme avec la participation de scientifiques.

Nous mettons fin au programme à la fin de cette année pour le remplacer par un programme de formation technique pour les Inuits du Nord canadien. Nous utiliserons notre brise-glace pour former les jeunes du Nord et leur permettre de trouver un emploi dans le domaine des sciences de la mer.

Nous voulons les familiariser avec ces sciences et les amener à y intégrer leurs propres connaissances, puis combiner le tout dans un programme agréé. Nous travaillons avec les collèges du Nord à la mise au point d’un tel programme. Nous considérons que l’Observatoire maritime de Churchill sera l’un des endroits où ces gens pourront trouver de l’emploi après avoir obtenu leur diplôme. Nous avons également des discussions avec Pêches et Océans Canada pour étendre ce programme à l’ensemble des activités du ministère et s’en servir comme moyen d’amener des gens à suivre une formation aux côtés de scientifiques.

Nous espérons atteindre ainsi un double objectif : d’une part, créer des occasions d’emploi pour les jeunes qui veulent rester dans le Nord et faire un travail technique et, de l’autre, inciter les jeunes à s’intéresser aux sciences, puis à faire des études universitaires et des études supérieures afin de rentrer chez eux avec une maîtrise ou un doctorat.

Nous faisons cela en collaboration avec nos partenaires groenlandais, qui ont des programmes de ce genre depuis une cinquantaine d’années. Ils en sont arrivés au point où, par exemple, la Division de recherche sur les pêches de l’Institut des ressources naturelles du Groenland est dirigée par une Inuite détenant un doctorat. Elle est à la tête de tout le programme des pêches.

C’est de cela que nous avons besoin au Canada. Nous voulons avoir dans le Nord des gens qui puissent gérer les ressources à l’avenir. Nous avons une structure de cogestion. Nous devons apporter notre concours sur les plans de l’éducation et de la technologie et collaborer avec eux. Par conséquent, nous consacrons des efforts et de l’énergie à cet objectif particulier.

J’aimerais beaucoup que le gouvernement du Canada se montre plus proactif dans ce domaine. Je suis heureux de dire que Pêches et Océans Canada souhaite former un partenariat avec nous dans le cadre de cette initiative. Je crois que ce serait une excellente chose. Nous pourrions même étendre la coopération à Environnement et Changement climatique Canada, à AANC et à d’autres organismes. Il y a beaucoup d’Inuits qui souhaiteraient participer aussi à l’élaboration des politiques qui seront nécessaires à l’avenir.

Nous ne trouverons pas de solutions pour l’Arctique tant que les peuples du Nord ne participeront pas à la recherche de ces solutions. Il faudra que tout le pays s’attelle à la tâche pour avancer dans cette direction.

La sénatrice Pate : Merci beaucoup.

Le sénateur Neufeld : Merci, monsieur Barber, de votre présence au comité. Nous n’avons pas souvent l’occasion d’entendre des gens de votre calibre qui soient prêts à partager avec nous quelques parcelles de leurs connaissances.

J’ai deux questions à vous poser. Il y en a une qui sera plus longue que l’autre.

Depuis que le comité a entrepris son étude, tout ce que j’ai vu semble être centré sur l’Arctique de l’Est plutôt que sur l’Arctique de l’Ouest. Comme je vis dans le Nord de la Colombie-Britannique, j’ai passé une partie de ma vie dans le Grand Nord.

Est-ce que des travaux de même nature se déroulent dans l’Arctique de l’Ouest? Quand j’examine les universités et les pays avec lesquels vous collaborez, je peux comprendre la situation parce que je vois où ils en sont. Je suis curieux de savoir ce qui se passe dans l’Arctique de l’Ouest.

M. Barber : L’exposé que je vous ai présenté privilégiait beaucoup l’Arctique de l’Est et ne reflétait donc pas bien nos activités. Il est probable que nous en faisons davantage dans l’Arctique de l’Ouest au chapitre de la recherche.

Mon propre groupe a passé les 12 dernières années à travailler dans le secteur sud de la mer de Beaufort parce qu’il s’intéressait surtout à la prospection pétrolière et gazière dans le plateau de la mer de Beaufort, au Mackenzie et à la façon dont il se déverse dans le secteur sud de la mer de Beaufort, à beaucoup des activités qui se déroulent en Alaska et le long de sa côte arctique ainsi qu’à la collaboration entre le Canada et les États-Unis. Bref, de nombreuses recherches ont également lieu dans l’Arctique de l’Ouest.

La seule raison pour laquelle je vous ai présenté cet exposé est que nous avons du financement pour deux grands projets de recherche réalisés dans l’Arctique de l’Est. Par conséquent, une bonne part de nos activités est passée à l’est.

Quoi qu’il en soit, les problèmes sont très semblables. Je dirais aussi que le niveau de l’effort est à peu près le même partout dans le pays. La façon d’aborder le contexte canadien est assez uniforme du point de vue scientifique.

Il y a cependant le problème du glacier continental groenlandais, qui est unique à cause de l’énorme masse d’eau qui s’y trouve depuis si longtemps. À mesure que cette eau se déverse dans l’Arctique, elle a des effets sur l’Atlantique Nord, qui joue un rôle de premier plan dans le système climatique mondial. Par conséquent, quand on pense au contexte mondial de l’Arctique, il faut admettre que les phénomènes qui se produisent dans le secteur est ont plus de poids que ceux du secteur ouest, notamment en ce qui concerne l’eau douce. C’est là que nous concentrerons nos efforts pendant quelque temps. Toutefois, il y a quand même beaucoup d’activité dans l’Arctique de l’Ouest.

Le sénateur Neufeld : Il serait peut-être avantageux de vous demander ou de demander à une personne que vous recommanderiez de venir nous donner un aperçu de ce qui se passe dans l’Arctique de l’Ouest car, jusqu’ici, nous n’avons parlé que de l’Arctique de l’Est.

M. Barber : L’expert à qui vous devriez parler se trouve à l’Université du Manitoba. Il dirige l’étude régionale intégrée d’impact dans l’Arctique de l’Ouest pour le compte d’ArcticNet. C’est une organisation qui vient de faire une synthèse et une évaluation de l’environnement de l’Arctique de l’Ouest du triple point de vue des Inuits, du développement industriel et du gouvernement. Il s’appelle Gary Stern. C’est l’un des professeurs de mon groupe. Je dirige l’étude régionale intégrée d’ArcticNet pour la baie d’Hudson, et il dirige l’étude régionale intégrée d’ArcticNet pour le secteur sud de la mer de Beaufort. C’est certainement la personne à qui vous devriez vous adresser.

Le sénateur Neufeld : Je vous remercie.

Je ne suis évidemment pas un scientifique. C’est sans doute la raison pour laquelle je trouve tellement intéressant de discuter avec des gens comme vous. Nous parlons beaucoup du Nord, mais nous n’avons pas entendu grand-chose au sujet du pôle Sud. Il est toujours question de l’Arctique, de l’Extrême-Arctique, mais pas du Sud.

Quelle est la différence? Pourquoi n’y a-t-il pas là les mêmes activités que dans le Nord? Je suppose que la réponse est longue, mais vous pourrez peut-être en trouver une courte.

M. Barber : Je vais essayer de vous donner une réponse assez brève.

Tout d’abord, le Canada est tellement pris par la recherche dans l’Arctique que son infrastructure scientifique n’a pas grand-chose à consacrer à la recherche dans l’Antarctique. Nous avons été invités à plusieurs reprises à participer à cette recherche, mais nous sommes tellement occupés dans l’Arctique qu’il nous est difficile de trouver le temps d’aller au pôle Sud.

De plus, les questions scientifiques qui se posent sont très différentes parce que l’Antarctique est un continent bordé par l’océan. On y trouve ce glacier géant entouré par un océan. C’est le contraire dans l’Arctique : nous avons là un grand océan entouré de chaque côté par des continents. Les processus qui se déroulent aux deux pôles sont donc très différents.

En fait, nous nous servons scientifiquement de ces différences pour comprendre le climat de la planète. Nous pouvons procéder à des forages dans le glacier continental antarctique et remonter dans le temps en examinant les carottes. La neige s’accumule pendant de longues périodes, ce qui nous permet de mesurer les caractéristiques chimiques des carottes pour déterminer les températures et les concentrations en CO2. Nous pouvons aussi faire des forages dans le glacier continental groenlandais pour obtenir les mêmes données. Cela nous renseigne sur les réactions de l’hémisphère Nord par rapport à celles de l’hémisphère sud. Nous pouvons déterminer ainsi s’il y a ou non synchronisme entre les deux systèmes.

Les données chronologiques révèlent qu’ils fonctionnent de manières très différentes, surtout parce que l’un se situe dans un continent bordé par un océan dans l’hémisphère sud tandis que l’autre correspond à océan entouré de continents. Il s’agit donc d’endroits très différents.

Il n’en reste pas moins que beaucoup de travail est fait dans l’Antarctique, notamment par les États-Unis, le Japon, la Corée, l’Italie, l’Australie et la Nouvelle-Zélande. La Chine et le Japon y ont d’importantes activités. Le Canada ne joue qu’un petit rôle dans l’Antarctique parce que nous n’y avons pas une base. La plupart des autres pays ont une base dans la péninsule antarctique.

Le président : Monsieur Barber, vous avez parlé des risques que les glaces font courir au transport maritime. Vous nous avez montré comment les glaces de l’Arctique peuvent dériver vers le sud et constituer un danger pour la navigation dans les eaux méridionales. Peut-on s’attendre à l’avenir à des étés exempts de glace dans l’Arctique canadien, et surtout dans le passage du Nord-Ouest?

M. Barber : Oui. D’après les projections les plus récentes, on peut s’attendre à ce que l’Arctique soit exempt de glace sur une base saisonnière aux alentours de 2030. Cela signifie qu’il y aurait alors moins de 10 millions de kilomètres carrés de glace, ce qui n’est pas grand-chose dans l’Extrême-Arctique. Il est assez compliqué de réfléchir, mais c’est la façon dont les glaces circulent autour de l’hémisphère Nord. Vous pouvez voir sur la diapositive 6 que la plupart des flèches sont orientées vers le côté nord-américain. Cela signifie que le passage du Nord-Ouest comptera parmi les dernières voies à s’ouvrir.

J’avais une carte là. Si vous regardez la diapositive 10, vous verrez trois grands corridors de transport passant par le pôle Nord. Celui qui longe la côte russe porte le nom de route maritime du Nord. Il est déjà exempt de glace. Les Russes s’en servent maintenant toute l’année pour transporter le gaz naturel liquéfié entre l’Asie et la Russie.

La route du pôle, qui est celle du milieu, est ouverte depuis 2010, mais seulement sur une base saisonnière en été.

La route verte est celle du passage du Nord-Ouest, qui passe par nos îles de l’Arctique. Ce sera la dernière des trois à s’ouvrir.

La route rouge est celle du pont dont nous avons parlé entre Mourmansk et le port de Churchill, au Manitoba. Elle peut être reliée à tous ces corridors de transport, permettant d’exporter des biens venant de l’intérieur de l’Amérique du Nord. C’est un pont important du point de vue canadien à cause de son accès au réseau ferroviaire et à l’intérieur de l’Amérique du Nord.

Bref, nous devrions avoir une route arctique exempte de glace sur une base saisonnière aux alentours de 2030. Les routes maritimes et les passages du Nord sont déjà ouverts. C’est la raison pour laquelle nous devons nous assurer d’être prêts à saisir les occasions qui s’offriront.

Je vais vous donner un exemple. Nous avons interdit la prospection pétrolière et gazière dans le Nord canadien, mais les Russes mettent actuellement en valeur leurs réserves de pétrole dans leur secteur de l’Arctique. Je dirais, pour vous donner une idée de la situation, que la Russie tire 26 p. 100 de son PIB de l’Arctique. Au Canada, ce n’est même pas 1 p. 100. C’est pourtant le même Arctique, avec les mêmes ressources et les mêmes matières premières. Nous n’avons tout simplement pas l’infrastructure bâtie pouvant nous permettre de tirer parti de notre propre Arctique.

J’estime personnellement que nous devrions développer l’Arctique. Nous devons préparer l’avenir. Notre Arctique doit être beaucoup plus accessible. Grâce aux Inuits qui vivent là et aux scientifiques qui étudient la région, nous devons obtenir une meilleure information pour mieux gérer l’Arctique.

Le président : Une excellente récapitulation et un excellent exposé, monsieur Barber. Merci beaucoup. Qujannamiik.

(La séance est levée.)

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