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ARCT - Comité spécial

Arctique (spécial)

 

Délibérations du Comité sénatorial spécial sur l'Arctique

Fascicule no 15 - Témoignages du 15 octobre 2018


OTTAWA, le lundi 15 octobre 2018

Le Comité sénatorial spécial sur l’Arctique se réunit aujourd’hui, à 18 h 29, pour examiner les changements importants et rapides qui se produisent dans l’Arctique et les effets de ces changements sur les premiers habitants.

Le sénateur Dennis Glen Patterson (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Unnusakkut Bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial spécial sur l’Arctique. Je m’appelle Dennis Patterson, sénateur du Nunavut. J’ai le privilège de présider ce comité.

Avant de demander à mes collègues de se présenter, j’aimerais accueillir un nouveau membre au comité, la sénatrice Yvonne Boyer. Bienvenue au comité. Nous avons hâte de travailler avec vous. Le comité accueille un autre nouveau membre, la sénatrice Donna Dasko. Soyez la bienvenue. Je tiens aussi à remercier de leur contribution deux collègues, qui ne siégeront plus au comité, les sénatrices Galvez et Pate.

J’invite mes collègues à se présenter.

La sénatrice Bovey : Patricia Bovey, du Manitoba, vice-présidente du comité.

Le sénateur Oh : Victor Oh, de l’Ontario.

La sénatrice Coyle : Mary Coyle, de la Nouvelle-Écosse.

La sénatrice Boyer : Yvonne Boyer, de l’Ontario.

Le président : Merci.

Ce soir, dans le cadre de notre étude sur les changements importants et rapides qui se produisent dans l’Arctique et les effets de ces changements sur les premiers habitants, nous traiterons de deux aspects précis, le développement économique et les infrastructures.

J’ai le plaisir d’accueillir, pour la première partie, un homme qui a comparu plus d’une fois devant des comités sénatoriaux, M. Natan Obed, président de l’Inuit Tapiriit Kanatami. Il est accompagné de M. Will David, conseiller juridique.

Merci de vous joindre à nous. Veuillez présenter votre exposé. Nous passerons ensuite aux questions. Bienvenue.

Natan Obed, président, Inuit Tapiriit Kanatami : Nakurmiik. Merci beaucoup de l’occasion de comparaître devant vous ce soir. Le développement économique et les infrastructures sont des enjeux d’une importance capitale pour les Inuits. Je me réjouis d’avoir l’occasion de discuter de ces enjeux dans un contexte plus large, en particulier dans le cadre des initiatives en cours avec le gouvernement actuel, mais aussi dans le contexte du renouvellement des relations entre les Inuits et la Couronne.

Voici un aperçu de notre structure de gouvernance. Les Inuits ont une structure démocratique parallèle aux ordres de gouvernement fédéral, provincial et territorial. Inuit Tapiriit Kanatami est l’organisation nationale inuite qui défend les droits de 65 000 Inuits au Canada. Nous avons quatre régions revendiquées, et chacune de ces régions a un traité moderne ou une entente sur les revendications territoriales avec la Couronne. Nous avons divers mécanismes de gouvernance à l’échelle régionale, qui vont de l’autonomie gouvernementale, au Nunatsiavut, à des sociétés dans la région désignée des Inuvialuit. En outre, la Société Makivik et Nunavut Tunngavik travaillent avec les provinces et les territoires pour répondre aux besoins des Inuits et faire respecter leurs droits dans ces régions.

Nous assurons également la cogestion d’une gigantesque partie de la superficie du pays. En effet, 35 p. 100 de la superficie terrestre du Canada est cogérée par l’intermédiaire des quatre ententes sur les revendications territoriales. Cela représente quelque 3,5 millions de kilomètres carrés et environ la moitié du littoral du Canada. On compte 51 collectivités, dont très peu sont munies d’infrastructures maritimes permettant le transport de biens et l’offre de services, dans un sens ou dans l’autre, même si elles sont toutes, sauf deux, situées à proximité d’une zone de marée.

Il y a au pays un important déficit d’infrastructures dont la plupart des Canadiens ignorent l’existence. S’ils en avaient l’occasion, j’imagine qu’ils se diraient totalement stupéfaits qu’il puisse y avoir au pays des collectivités côtières sans aucune infrastructure maritime, d’autant plus que notre seul lien routier avec le Sud du Canada est l’autoroute Dempster reliant Nunavik et Tuktoyaktuk au Sud du Canada.

J’aimerais m’attarder aux questions du développement économique et des infrastructures dans le contexte de la relation renouvelée. Ces trois dernières années, nous avons relevé divers défis pour progresser avec le nouveau gouvernement et avec le Canada, à un rythme respectueux et dans la reconnaissance des droits et des ententes sur les revendications territoriales. Pour ce faire, nous avons créé le Comité de partenariat entre les Inuits et la Couronne, par l’intermédiaire d’une déclaration commune des Inuits et de la Couronne signée à Iqaluit, au Nunavut, en février 2017. Nous en sommes à la deuxième année de notre plan d’action. Dans ce plan, nous cernons les domaines prioritaires communs, pas uniquement les domaines d’intérêt pour le gouvernement du Canada ou pour les Inuits. Nous avons établi des activités conjointes afin de donner vie à notre engagement commun à l’égard d’une relation renouvelée.

Il s’agit d’un processus bilatéral entre les Inuits et la Couronne.

L’autre lien important à faire par rapport à cet enjeu précis est le Cadre stratégique pour l’Arctique. Ce n’est pas un lien bilatéral entre les Inuits et la Couronne, mais un cadre auquel participent de nombreux acteurs. Cependant, ce cadre est tout aussi important que notre entente bilatérale pour l’amélioration du développement économique ou des infrastructures dans l’Arctique canadien.

Je vais m’attarder brièvement à l’élaboration du Cadre stratégique pour l’Arctique et à l’espoir qu’il suscite; je reviendrai ensuite à notre partenariat avec la Couronne et à certaines priorités connexes qui définissent les paramètres d’une prise en compte adéquate du développement économique ou des infrastructures et des investissements nécessaires au pays.

Le Cadre stratégique pour l’Arctique devrait remplacer la Stratégie pour le Nord, qui était essentiellement un énoncé de politique auquel aucun financement particulier n’était rattaché à l’époque. Il est à espérer qu’on ne reproduira pas les erreurs du passé pour la mise en œuvre du nouveau Cadre stratégique pour l’Arctique. Par conséquent, en ce qui concerne les enjeux... Pour le moment, on s’imagine que l’un des éléments importants sera un énoncé de politique sur l’Arctique qui servirait à orienter la mise en œuvre des politiques et programmes fédéraux dans l’Inuit Nunangat, ainsi que des plans d’action régionaux pour les énoncés de politiques et les directives de mise en œuvre propres aux provinces, aux territoires et à l’Inuit Nunangat.

J’aimerais ajouter quelques mots sur les régions. L’Arctique peut être défini de bien des façons; le terme est très subjectif. Cela dit, les Inuits ont créé un terme, Inuit Nunangat, qui s’englobe la totalité de notre territoire ancestral, selon les critères de 2018. Nous espérons créer, dans toutes les sphères d’activités à l’échelle fédérale, un espace politique pour l’Inuit Nunangat qui, dans un premier temps, prend en compte ce concept et, deuxièmement, englobe toutes les autres conceptions antérieures sur le Nord et l’Arctique.

Nous reconnaissons l’existence d’autres intérêts autochtones dans l’Arctique. Nous appuyons sans réserve les autres peuples autochtones dans leur démarche vers l’autodétermination. Il est toutefois nécessaire d’avoir une discussion constructive sur l’Inuit Nunangat, étant donné son vaste territoire et le caractère homogène de cet espace. Les Premières Nations et les Métis ne sont pas seulement répartis dans ce territoire ancestral; ils sont présents ailleurs dans le Nord et l’Arctique. Ce n’est pas cela qu’il est question lorsqu’on parle de l’Inuit Nunangat.

Il existe un centre dans tout débat sur les politiques publiques. Lorsqu’on parle de l’industrie automobile ou des infrastructures maritimes sur la côte Ouest, on peut imaginer au centre de la discussion un point qui retient l’attention de la majorité des gens ou des acteurs de l’industrie. Par rapport à l’Arctique ou même au Nord en général, on ne s’attend pas à ce que l’Inuit Nunangat et les intérêts inuits dominent le débat sur les politiques publiques.

J’espère, sur la question des plans d’action régionaux, que les intérêts inuits occuperont la place qui leur revient dans le contexte général des politiques publiques, mais sans nuire à d’autres intérêts provinciaux, territoriaux ou autochtones.

Il y a également dans ce Cadre stratégique pour l’Arctique une disposition sur l’établissement d’un cadre sur le leadership dans l’Arctique, pour aider les gouvernements fédéral, provincial, territorial et inuit pour la mise en œuvre le Cadre stratégique pour l’Arctique, et leur permettre de discuter, d’encourager la collaboration et d’évaluer les résultats. Une telle mesure cadre très bien avec les plans communs en matière de développement économique ou d’infrastructures dans l’Arctique canadien ou dans l’Inuit Nunangat, car nous travaillons en collaboration avec les gouvernements et en étroite collaboration avec le gouvernement fédéral pour actualiser nos accords sur les revendications territoriales et leur donner vie.

Dans le cadre de ces accords, nous n’établissons pas de distinction entre notre territoire et le Canada. Notre perception, dans nos accords sur les revendications territoriales, c’est que nous sommes toujours des Canadiens, que nous avons les mêmes droits que tous les citoyens et que nous interagissons avec les administrations publiques. Ces administrations assurent toujours la prestation des services, mais en rupture avec le concept des réserves de la Loi sur les Indiens et de manière différente par rapport aux relations distinctes entre le gouvernement fédéral et les Premières Nations.

Nous sommes favorables à l’établissement de nouvelles tribunes qui permettent l’élimination des silos du passé qui, pour le meilleur et pour le pire, ne nous ont pas donné les résultats que nous souhaitions sur les plans de l’équité sociale, des infrastructures et du développement.

Un dernier aspect du Cadre stratégique pour l’Arctique que nous considérons comme important est la stratégie de financement pour l’Arctique. J’imagine que cela fera l’objet d’une annonce, probablement dans le cadre d’un budget, avec des cibles spécifiques pour l’Arctique. On ciblerait probablement le développement des infrastructures et les initiatives de développement économique. On peut être porté à penser que cela pourrait s’accompagner de fonds de contrepartie du secteur privé ou de fonds réservés aux Autochtones, de façon à créer plus d’occasions, comparativement aux possibilités qu’offrirait une source de fonds unique.

Ces éléments sont intimement liés, comme ils sont manifestement liés au sujet de cette étude. Nous n’avons aucune certitude actuellement, que ce soit pour une version définitive du cadre ou pour l’affectation de fonds réels au terme de négociations où les intérêts des Autochtones, des provinces et des territoires et du gouvernement fédéral sont en jeu. Il s’agit d’un projet de grande envergure auquel participent beaucoup d’acteurs. C’est aussi un projet très ambitieux qui, s’il est couronné de succès, pourrait être transformateur. Nous savons que cela prendra du temps, et nous sommes heureux d’avoir eu des discussions actives avec le gouvernement du Canada pendant deux ans, environ.

L’autre aspect majeur que j’ai évoqué d’entrée de jeu était la déclaration commune des Inuits et de la Couronne, ou la Déclaration de l’Inuit Nunangat, un accord bilatéral dans lequel nous avons cerné huit secteurs prioritaires. Ils ne sont pas énumérés en ordre d’importance; il s’agit de huit secteurs prioritaires sur lesquels nous travaillons avec acharnement. Les voici : la mise en œuvre des accords sur les revendications territoriales; la création de l’espace politique de l’Inuit Nunangat; l’éducation; le logement; les langues; la santé; les mesures de réconciliation; l’environnement et le développement durable. Nous avons établi des plans d’action pour chacun de ces aspects. Nous tenons trois rencontres par année avec les ministres fédéraux de la Couronne ainsi qu’une rencontre annuelle avec le premier ministre pour veiller à l’obtention de véritables progrès.

La mise en œuvre des accords sur les revendications territoriales et de l’espace politique de l’Inuit Nunangat est directement liée aux infrastructures et au développement économique, même si tous nos secteurs prioritaires visent à créer un contexte favorable à l’équité sociale, un environnement où l’Inuit Nunangat — ou le lieu les Inuits sont établis — peut tirer parti de toutes les occasions qui lui sont offertes dans ce pays, qu’il s’agisse de l’expression de l’autodétermination des Inuits, en tant que peuple autochtone du Canada, ou en tant que citoyens canadiens qui lancent de nouvelles entreprises et tirent parti des terres et des ressources des régions où ils habitent.

Nous présentons des mémoires dans le cadre des consultations prébudgétaires chaque année, et, cette année encore, nous mettrons de nouveau l’accent sur les infrastructures. Nous nous sommes aussi attardés longuement aux questions d’environnement, notamment de l’élimination du diesel dans les communautés et son remplacement pour la production d’électricité, conformément à nos objectifs de lutte contre les changements climatiques. Il est parfois difficile de savoir par où commencer lorsqu’il s’agit de calculer les coûts de construction d’infrastructures maritimes essentielles dans nos 51 communautés. Les coûts augmentent rapidement. À cela s’ajoutent les coûts des infrastructures aériennes, comme les aéroports, les pistes d’atterrissage ou même les subventions aux transporteurs aériens pour la prestation d’un service essentiel, puisqu’il n’existe aucun autre moyen pour se rendre dans nos communautés pendant la majeure partie de l’année, voir toute l’année.

Nous avons divers besoins pour des infrastructures de grande envergure, mais il nous arrive de ne pas les quantifier, car les chiffres ne justifient pas une discussion approfondie avec les intervenants compétents. Les chiffres importants ont tendance à faire peur, ce qui comprend, sur le plan politique. Cela dit, nous vivons dans un pays où tout n’a pas encore été construit, un pays qui a rêvé de la construction d’un réseau de chemin de fer transcontinental, qui a rêvé de ports maritimes pour favoriser les échanges commerciaux internationaux. Dans cet imaginaire, l’Inuit Nunangat ne faisait pas partie de l’équation à l’échelle nationale ou internationale. Pour se doter d’infrastructures à la hauteur de ses rêves, le Canada devra investir massivement.

Passons au développement économique. À cet égard, bon nombre de nos intérêts et nos objectifs sont fondés sur les infrastructures et sont étroitement liés aux infrastructures essentielles. Il nous est extrêmement difficile de participer à la nouvelle économie, étant donné que l’Inuit Nunangat n’a pas accès aux services à large bande nécessaires pour établir des liens avec le reste du monde et saisir des occasions de développement économique. Divers projets d’exploitation des ressources naturelles sont en cours ou sont envisagés sur notre territoire. Certaines infrastructures essentielles seraient très utiles, non seulement pour assurer un accès plus rapide aux marchés ou pour améliorer l’efficacité des chaînes d’approvisionnement. Elles pourraient aider les Inuits à tirer parti d’occasions d’affaires ou de possibilités d’emploi liées à d’importants projets de développement économique dans l’Inuit Nunangat.

Nous ne voulons pas perdre les occasions qui s’offrent à nous. Nous voulons aussi nous retrouver dans notre propre société. Nous sommes convaincus de pouvoir faire tout cela. Nous devons toutefois avoir l’occasion de discuter, à l’échelle fédérale, des conditions favorables à la réussite, pas seulement en fonction des Inuits et de nos ambitions, mais aussi en fonction des ambitions du Canada.

Le président : Merci.

La sénatrice Bovey : Merci. Je vous suis reconnaissante de vos observations, et je vous félicite de votre réflexion profonde, de vos stratégies générales et de votre façon de décrire certains détails. Ma question s’adresse à vous deux, si vous le permettez.

Concernant vos stratégies générales, dans une perspective d’avenir... Les gens m’ont déjà entendu dire que je considère que l’avenir du Canada passe par l’Arctique.

Ma question générale est la suivante : quel est votre avis sur le calendrier pour l’adoption du cadre stratégique? Vous avez dit que vous ne savez pas à quel moment il sera prêt, et vous êtes au courant que nos travaux y sont liés.

Souhaiteriez-vous qu’il soit établi très rapidement ou, d’après ce que j’ai compris de vos propos, préféreriez-vous prolonger les discussions en vue d’avoir, peut-être, un document plus étoffé? Voilà ma question d’ordre général.

M. Obed : L’échéancier du Cadre stratégique pour l’Arctique ne pourra être respecté. Nous voulions en être déjà à la première ou deuxième année de mise en œuvre du cadre. Nous voulons bien faire les choses. C’est notre plus grande préoccupation. L’échéancier reflète l’ambition des autres joueurs également.

Les provinces et les territoires veulent avoir leur mot à dire en ce qui a trait au Cadre stratégique pour l’Arctique et le gouvernement fédéral doit gérer les attentes des Autochtones et des gouvernements relatives à son contenu, en plus des demandes relatives à la mise en œuvre du cadre. Je comprends ces préoccupations. Je crois que les Inuits se sont montrés rationnels et cohérents. Nous espérons maintenir la bonne volonté et le désir d’être honnête et clair au sujet de nos ambitions. Nous espérons que le gouvernement maintiendra son engagement à consacrer une partie du Cadre stratégique pour l’Arctique à l’Inuit Nunangat, ce qu’il nous avait promis dès le départ. De plus, nous voulons tirer le meilleur parti de la situation. Je crois qu’on peut prendre des mesures concrètes rapidement. Nous n’avons pas besoin d’un ou deux ans de plus pour créer un cadre ambitieux qui aurait une portée significative.

La politique relative au financement représente probablement le plus grand défi. J’espère que nous pourrons travailler de la façon la plus efficace possible.

La sénatrice Bovey : Vous avez parlé de la large bande et de cette partie de l’infrastructure. Je sais que vous avez parlé de l’infrastructure maritime. Je vais me centrer sur la large bande, si vous me le permettez. En ce qui a trait à vos huit priorités — sans vouloir ennuyer mes collègues —, vous savez peut-être que je viens du monde des arts visuels et que j’ai travaillé avec de nombreux artistes inuits. Je me préoccupe grandement de l’accès équitable. Vous parlez d’égalité sociale et des moteurs économiques. Si nous revenons aux années 1950, 1960, 1970 et 1980, l’un de ces moteurs économiques pour les Inuits était, je crois, les œuvres d’art, qui étaient achetées à l’international, aux États-Unis et dans le Sud.

J’aimerais que vous me donniez votre avis sur ce qui est arrivé à l’accès aux marchés pour cette partie de l’économie inuite et à la possibilité de financer l’innovation créative, qui semble maintenant fondée sur la présentation de demandes en ligne. Dites-moi si j’exagère lorsque je dis que les artistes et les créateurs du Nord n’ont pas un accès équitable aux fonds qui leur permettraient de faire leur travail. Je ne vois pas la culture dans votre liste. Je me demande si elle fait partie de la langue, de l’éducation, de la santé et de l’environnement. À mon avis, la culture est partout. Pouvez-vous me dire si j’ai tort ou si j’ai raison?

M. Obed : Vous avez raison de dire que notre culture, notre société, notre vision et notre langage sont ancrés dans tous les domaines prioritaires, surtout en ce qui a trait au travail que nous avons entrepris dans l’espoir de créer une administration des langues des Premières Nations, des Inuits et des Métis.

En ce qui a trait à l’art inuit, je crois que bon nombre de Canadiens comprennent que les Inuits sont des artistes et que l’art inuit représente le Canada. En ce qui a trait à la mesure dans laquelle l’art inuit joue un rôle essentiel dans le développement économique de l’Arctique, je crois qu’il y a un manque de compréhension et de soutien. Dans certaines de nos communautés, jusqu’à la moitié de la population tire un revenu des arts. C’est remarquable, si l’on compare au nombre d’artistes parmi la population d’Ottawa, par exemple.

Les œuvres d’art sont surtout mises en marché par l’entremise des coopératives de l’Inuit Nunangat. Par le passé, c’était avec la Compagnie du Nord-Ouest. Bon nombre de nos artistes reconnus entretiennent des liens directs avec les galeries. Je crois qu’il faut que le système évolue pour veiller non seulement à ce que l’art inuit soit commercialisé à l’échelle internationale, mais aussi à ce que les artistes obtiennent le meilleur prix pour leur travail et puissent vivre de leur art.

En ce qui a trait aux subventions et à la présentation des demandes, qu’il s’agisse du Conseil des arts du Canada ou des mécanismes provinciaux ou territoriaux, l’obstacle n’est pas toujours l’accès à large bande, mais aussi la langue de rédaction des demandes et la terminologie nécessaire pour réussir à obtenir une subvention dans le système fédéral ou un système qui est peut-être complètement étranger pour le demandeur. Je crois qu’on pourrait mettre en place d’autres mesures de soutien pour nos artistes et notre marché artistique, pour que les Inuits et les artistes jouent un rôle plus important dans notre société.

Vous avez probablement déjà tous vu une danse au tambour ou des chants gutturaux, ou une expression de l’art inuit. Il n’y a que 65 000 Inuits au pays environ. Lorsqu’on pense à l’art inuit, on voit des gravures ou des impressions, et lorsqu’on pense à l’expression culturelle inuite, on voit les danseurs au tambour. Ce sont des formes d’art extraordinaires, dont nous sommes très fiers. Il y a aussi un lien à faire entre l’espace spirituel et culturel et le développement économique.

La sénatrice Bovey : Merci. C’est très important, à mon avis.

Le président : J’aimerais vous parler de votre travail sur les diverses mesures législatives qui appuyaient l’approche pangouvernementale relative au Cadre stratégique pour l’Arctique. Je sais qu’on a beaucoup travaillé au projet de loi sur les langues autochtones, en vue de vous aider à atteindre vos objectifs en matière d’amélioration et de préservation de la langue. Cela aide aussi à l’atteinte des objectifs relatifs à la force, à la santé et à la prospérité des peuples de l’Arctique.

Nous avons toutefois entendu certaines préoccupations au sujet du projet de loi sur les langues et du cadre de reconnaissance et de mise en œuvre des droits des Autochtones qui avait été promis. On se préoccupe des progrès réalisés dans le cadre de ces deux engagements. Je me demande tout d’abord si le gouvernement communique avec ITK au sujet de ces projets de loi — le cadre sur les droits et le projet de loi sur les langues autochtones — et sur le Cadre stratégique pour l’Arctique?

M. Obed : Je vous remercie de votre question, monsieur Patterson. Je vais répondre aux deux volets.

En ce qui a trait à la loi sur les langues des Premières Nations, des Inuits et des Métis, nous avons travaillé avec le gouvernement au projet de loi sur les langues autochtones dès le début, en vue d’en définir les objectifs, qui n’avaient pas été révisés depuis un bon moment. Nous voulions voir l’inuktitut reconnu à titre de langue officielle de l’Inuit Nunangat; c’est ce que nous voulons toujours. Nous voulions avoir droit à la prestation de services en inuktitut, en vertu de la Déclaration sur les droits des peuples autochtones et de sa mise en œuvre au pays, et de nos droits généraux à titre d’Autochtones, au-delà de la déclaration.

L’enjeu, c’est que le cadre vise aussi les Premières Nations et les Métis. Nous tentons de faire adopter la loi. Nous tentons de veiller à maintenir ses objectifs. Nous espérons y arriver.

Nous avons un groupe de travail solide avec l’Assemblée des Premières Nations, la nation métisse et Patrimoine canadien; Inuit Tapiriit Kanatami y participe. Patrimoine canadien entretient aussi une conversation avec les leaders inuits et toutes les régions inuites, et nous tentons de créer une loi qui irait au-delà du symbolisme. Les Inuits ne peuvent accepter que la loi se limite au symbolisme.

On nous a dit à maintes reprises de ne pas comparer cet exercice à celui de la Loi sur les langues officielles et aux droits des francophones ou des anglophones au Canada. C’est tout à fait fascinant.

Les Inuits respectent pleinement les droits des autres groupes linguistiques du pays. Nous respectons la Loi sur les langues officielles, les droits des francophones et des anglophones du Canada. Il n’est pas logique à mon avis de ne pas nous rendre la pareille de façon pratique.

Lorsqu’on regarde les chiffres pour le Nunavik, c’est près de 100 p. 100 de la population qui parle l’inuktitut. Au Nunavut, les chiffres sont plus bas, mais c’est tout de même la majorité... Environ 70 p. 100. Je n’ai pas le chiffre exact avec moi. Ce sont des espaces viables où la langue autochtone est la langue dominante au sein d’une société inuite. Si nous ne pouvons pas avoir l’ambition d’accepter et de reconnaître qu’il est toujours possible pour le pays d’adopter une loi qui mettrait fin à 150 années d’oppression des langues autochtones... Ce serait incroyable, non? Cependant, nous nous sommes perdus dans les précédents et nous nous inquiétons de l’incapacité de fournir des services, et nous nous engageons une fois de plus sur la voie du symbolisme. J’espère que les choses pourront changer.

En ce qui a trait à la reconnaissance et à la mise en œuvre de nos droits dans ce cadre particulier, nous avons certaines préoccupations. Nous travaillons avec le gouvernement à cet égard. Je tiens à le dire aux fins du compte rendu.

Les Inuits ont quatre accords sur les revendications territoriales, ce qui représente un défi. C’est pourquoi nous aimerions obtenir un plus grand appui sur le plan législatif.

Nous appuyons aussi les Autochtones du pays dont les droits ne sont pas reconnus au même titre que les nôtres. Le défi est de comprendre l’approche du cadre à l’égard de tous les Autochtones d’une façon qui respecte toutes les réalités des Autochtones.

J’espère que nous y arriverons. À la table du partenariat entre les Inuits et la Couronne, nous avons parlé de modifier ou d’examiner les politiques et les programmes afin de permettre la mise en œuvre des revendications territoriales de manière beaucoup plus efficace. Nous espérons que ces enjeux, dont nous parlions bien avant les discussions sur le cadre, font toujours partie des mesures possibles et que nos ambitions ne sont pas trop grandes pour les calendriers prévus.

La sénatrice Boyer : Nous vous remercions, monsieur Obed, pour ce bon aperçu de la situation. J’ai aimé vous entendre et avoir une idée de la situation générale.

La semaine dernière, nous avons entendu parler du projet de construction d’une route et d’un port à Grays Bay. Est-ce que, selon l’avis d’ITK, ce projet correspond aux plans d’action régionaux?

M. Obed : Nos régions demandent parfois l’appui des leaders nationaux pour faire avancer leurs projets. Comme bon nombre de ces projets sont réalisés dans une seule de nos quatre régions, il revient à la bonne volonté de la démocratie inuite nationale de soutenir les projets s’ils bénéficient d’un appui général.

Le projet de Grays Bay a été présenté à notre conseil, qui l’a appuyé. Nous avons transmis une lettre à ce sujet aux ministres responsables.

Nous appuyons aussi un projet qui permettrait de construire une route reliant Churchill à la région de Kivalliq, en plus d’un projet de développement hydroélectrique.

On réalise d’importants projets d’infrastructure dans chacune de nos régions. Parfois, les principaux promoteurs inuits demandent l’appui de notre organisation. En règle générale, les leaders inuits offrent un très bon soutien, ce qui me permet de défendre leur cause également. Le projet de route et de port à Grays Bay est l’une des grandes initiatives liées aux infrastructures appuyées par ITK, en plus d’autres initiatives dans les diverses régions de l’Inuit Nunangat.

La sénatrice Boyer : Plus tôt cette année, vous avez parlé de la tuberculose devant le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones. Je vois qu’elle fait partie de vos huit priorités. Que s’est-il passé entre janvier et aujourd’hui? C’était peut-être une priorité avant, mais je me demande où elle se situe et si la situation s’est améliorée? Avez-vous obtenu suffisamment de financement?

M. Obed : Dans le budget de 2018, nous avons reçu 27,5 millions de dollars sur cinq ans pour notre travail en vue d’éliminer la tuberculose. La ministre Philpott et moi avons annoncé en mars, je crois, notre objectif de réduire le taux de tuberculose active de 50 p. 100 d’ici 2025 dans l’Inuit Nunangat et d’y éliminer la tuberculose d’ici 2030.

Pour atteindre cet objectif, nous avons beaucoup de travail à faire. Chaque région devra créer un plan régional. Depuis janvier, nous avons mis sur pied une équipe de spécialistes de la tuberculose, qui travaille à la création d’un cadre national.

Le cadre orientera notre travail, non seulement avec les Inuits, mais aussi avec les provinces, les territoires et les ministères fédéraux qui appuient notre travail. Les organismes fédéraux comme Services aux Autochtones, l’Agence de la santé publique du Canada, Santé Canada, Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada auront beaucoup de travail à faire. Les gouvernements devront aussi travailler à leur portefeuille de la santé. Les régions inuites auront elles aussi beaucoup de travail, avec les organismes de revendications territoriales et les gouvernements autonomes.

À cette fin, nous allons créer des plans d’action. Nous espérons qu’ils seront achevés d’ici février 2019, ce qui nous permettra d’utiliser les 27,5 millions de dollars de façon stratégique pour réaliser les phases initiales dans nos quatre régions.

De plus, nous reconnaissons que la tuberculose est une maladie sociale et nous savons que si nous n’améliorons pas la situation relative aux logements ou aux soins de santé, alors nous n’arriverons pas à éliminer la maladie à long terme. Cela nous amène à notre présentation prébudgétaire de 2019, qui se centre sur l’augmentation du nombre de logements, l’amélioration de la sécurité alimentaire, la réduction de la pauvreté ainsi que la prestation et l’accès aux soins de santé. Ces éléments, associés à la capacité de cibler les populations qui présentent le plus haut risque et de faire un dépistage dans les communautés qui sont particulièrement touchées par la tuberculose, représentent les mesures que nous devons prendre pour atteindre cet objectif final.

Cela coûtera beaucoup plus que 27,5 millions de dollars sur cinq ans, mais nous faisons preuve d’ambition, avec le gouvernement actuel. Tout comme pour les avis d’ébullition de l’eau, il faut commencer quelque part. Il faut trouver une façon de passer le message. Ensuite, il faut mobiliser les divers acteurs du gouvernement et agir, même si tout n’est pas en place dès le premier jour.

Je vais donner le bénéfice du doute au gouvernement et je salue son ambition. Nous sommes là avec lui. C’est une priorité pour nous. La santé des communautés est essentielle à la santé de l’économie.

Dans ce document, nous avons un problème historique qui doit être résolu. C’est dans le cadre de nos mesures de réconciliation prévues dans le plan de travail de notre partenariat entre les Inuits et la Couronne. C’est le traitement par le gouvernement du Canada des patients inuits atteints de tuberculose dans les années 1950 et 1960. Durant les années 1950, je crois que 50 p. 100 des membres de la population adulte inuite avaient été emmenés à un moment donné dans des sanatoriums dans le sud. De nombreux Inuits ne sont pas rentrés à la maison. Leurs proches n’ont pas été avisés, leur lieu de sépulture est inconnu, mais il y a des dossiers de leur traitement. Nous voulons des excuses de la part du gouvernement du Canada pour le traitement des Inuits durant cette période d’abus des droits de la personne, et nous voulons un programme qui permettrait aux familles de retrouver leurs proches disparus.

Il y a une base de données dans les services des relations Couronne-Autochtones qui ne demande qu’à être utilisée. Dans le cadre de ces mesures relatives à la tuberculose, nous espérons que le gouvernement actuel présentera des excuses et que des fonds seront prévus pour que ces gens puissent retrouver leurs proches et avoir la décence de marquer leur lieu de sépulture et leur rendre un dernier hommage.

Imaginez que vous ne savez pas où votre mère ou votre tante sont enterrées. La raison est que dans le cadre de sa prestation de services, le gouvernement du Canada a tout simplement décidé que ces gens n’étaient pas suffisamment humains pour recevoir ce niveau de respect. Je ne pense pas que l’on puisse suffisamment s’excuser. Je crois que s’il y a des violations des droits de la personne au pays qui sont documentées et que des populations sont disposées à accepter des excuses et à tourner la page, nous devrions saisir ces occasions. Il en va de l’avenir et de la santé de l’ensemble de ce pays.

Je sais que je vous en ai dit davantage que ce à quoi vous vous attendiez avec cette question. Je pense que cela fait partie d’une situation d’ensemble que nous ne pouvons pas oublier.

La sénatrice Boyer : Merci.

Le président : Vous avez mentionné les logements, Natan. Nous venons d’effectuer une tournée de l’Arctique d’est en ouest, et ce sujet a été soulevé à maintes reprises. Comme vous l’avez dit, si nous décidons de ne rien faire à propos des logements, ce problème de la tuberculose ne fera qu’empirer. J’aimerais savoir où se situe cette priorité dans le cadre de vos travaux.

Je dois parler un instant de ma région du Nunavut, où la pénurie de logements documentée par le comité des peuples autochtones, juste pour essayer de rattraper l’arriéré, est d’environ 3 000 logements. Le gouvernement du Canada s’est engagé à verser 240 millions de dollars sur 10 ans. C’est 24 millions par année, et la Société d’habitation du Nunavut a déclaré qu’elle pourrait construire environ 48 maisons avec cet argent. À moins que la situation change, j’ai l’impression que nous perdons du terrain. Je sais que vous avez une présentation budgétaire qui porte sur le logement. Si vous pouviez la faire parvenir au comité, je suis certain que nous serions très intéressés d’en prendre connaissance.

Avez-vous bon espoir que des progrès seront réalisés dans ce dossier fondamental grâce à vos travaux?

M. Obed : Nous travaillons actuellement à créer une stratégie nationale pour le logement. Nous en sommes aux dernières étapes et nous espérons qu’au cours des deux prochains mois, elle pourrait être soumise à l’examen et, espérons-le, à l’approbation du conseil d’administration de l’ITK.

Nous travaillons avec le gouvernement à l’administration des logements autant que nous travaillons au financement versé pour le logement. Nous avons réussi au cours des trois dernières années à déterminer à quoi servent les fonds destinés au logement que le gouvernement du Canada verse aux Inuits. C’est un pas dans la bonne direction pour cette nouvelle relation.

Les Inuits de l’Inuit Nunangat n’œuvrent peut-être pas dans le secteur de la construction, mais nous avons le droit de déterminer où les fonds destinés au logement sont dépensés, de nouer des partenariats, de créer des capacités pour faire le travail nous-mêmes, selon la région, ou de nous assurer que nos partenaires avec qui nous nous associons partagent notre engagement à optimiser les fonds que nous recevons et la façon dont l’argent est dépensé.

Ce qui ressort clairement dans les conversations que nous tenons concernant notre stratégie en matière de logement, c’est que nous avons besoin de plus de fonds pour les logements sociaux. Cependant, nous allons devoir imaginer une nouvelle structure pour le logement dans le cadre de laquelle la distribution de la richesse, l’administration, la gestion des inspecteurs du logement, le fonctionnement et l’entretien des logements se font différemment dans les communautés de petite taille. Ce faisant, elles n’auront pas à dépendre perpétuellement des logements sociaux ou des logements subventionnés par les gouvernements fédéral, provinciaux ou territoriaux comme étant leurs seules options de logement au sein de l’Inuit Nunangat.

Il y a un petit volet d’accession à la propriété dans le secteur du logement de l’Inuit Nunangat jusqu’à présent, mais c’est négligeable. Il y a une autre différence fondamentale entre la façon dont la majorité des Canadiens imaginent votre réalité concernant le logement et la situation actuelle dans le secteur du logement de l’Inuit Nunangat. Je n’ai pas les données sous les yeux, mais un très petit pourcentage d’Inuits sont propriétaires de maisons. Un très grand pourcentage vivent dans des logements sociaux. Une autre proportion d’Inuits vivent dans des logements locatifs subventionnés s’ils travaillent pour la GRC, des écoles ou les gouvernements.

Nous devons trouver un moyen pour que le système de logement suscite un sentiment de fierté chez les gens d’être propriétaires, ce qui créera une pierre d’assise pour assurer le développement économique et la prospérité, mais aussi l’élément social pour veiller à offrir des logements à notre population. Cinquante-deux pour cent des membres de notre population vivent dans des logements surpeuplés. C’est une portion importante de notre population. Ce taux a augmenté de 10 p. 100 depuis les deux derniers comptes ou recensements de Statistique Canada.

Nous devons faire mieux et, oui, ces fonds contribueront à résoudre ce problème. Nous devons également repenser le secteur du logement. Nous espérons que cette stratégie sur le logement dans l’Inuit Nunangat sera la prochaine étape pour déterminer comment le logement peut fonctionner au cours des 20, 30 ou 40 prochaines années.

Nous sommes en situation de crise, cependant. Nous avons besoin de plus de fonds pour nous assurer que nous n’avons pas de situations d’itinérance cachée, qu’il n’y a pas de nombreuses conditions sociales très négatives qui découlent du surpeuplement et que nous construisons des infrastructures essentielles dans tout le Canada, et non pas seulement dans certaines régions.

Le président : Le ministre Duclos a parlé d’une stratégie sur le logement autochtone en lien avec la Stratégie nationale pour le logement. Vous dites qu’ITK est en train d’élaborer une stratégie sur le logement dans l’Inuit Nunangat qui sera différente de la stratégie sur le logement autochtone, ou s’inscrira-t-elle dans le cadre de cette stratégie? Pourriez-vous fournir des explications?

M. Obed : Le mois dernier, le gouvernement du Canada a rendu publique une stratégie d’apprentissage et de garde des jeunes enfants. Il y a des éléments fondés sur les distinctions. Les Inuits ont travaillé avec le gouvernement du Canada pour créer cette section au sein de cette stratégie. Le double du montant est prévu pour cette initiative particulière destinée aux Inuits par rapport au budget précédent. Nous espérons que le ministre Duclos et le travail que nous faisons contribueront directement à la stratégie sur le logement autochtone, qu’une approche fondée sur les distinctions sera adoptée et que la stratégie sur le logement dans l’Inuit Nunangat sera conforme à notre stratégie. La stratégie sera le produit de l’Inuit Tapiriit Kanatami. Nous travaillons en étroite collaboration avec le ministre Duclos, la ministre Philpott et d’autres organismes fédéraux. Nous espérons qu’il puisse y avoir cette transition directe entre le travail que nous faisons en tant qu’Inuits et le travail que nous faisons en collaboration avec le gouvernement canadien au nom des Inuits.

Le sénateur Oh : Le comité s’est récemment rendu dans l’Arctique. Nous avons vu beaucoup de choses, avons entendu bien des gens et avons beaucoup appris. Pourriez-vous nous parler du problème du logement causé par la fonte du pergélisol? Y a-t-il quoi que ce soit que nous pouvons faire pour sauver ces logements?

M. Obed : Les mesures d’adaptation et d’atténuation à l’égard des changements climatiques constitueront l’un des facteurs à prendre en considération pour l’ensemble des infrastructures et des logements de l’Inuit Nunangat. Lorsqu’on pense aux écoles, aux centres de soins de santé, aux aéroports et aux routes, la fonte du pergélisol aura une incidence importante sur notre société. Elle a déjà d’énormes répercussions sur notre société.

Il est important que les fonds existants pour les mesures d’adaptation et d’atténuation à l’égard des changements climatiques soient liés aux sources de financement destinées aux Autochtones et plus précisément aux Inuits pour atténuer les effets négatifs.

Nous entendons souvent parler de ces importantes sources de financement pour la lutte contre les changements climatiques, mais ces fonds sont souvent réservés aux provinces et aux territoires pour des projets très précis. À moins d’avoir élaboré une stratégie avec le gouvernement du Canada au préalable et d’avoir une approche fondée sur les distinctions dans un milieu autochtone, les Inuits passent très souvent entre les mailles du filet pour ce qui est d’obtenir des fonds dans l’un ou l’autre de ces dossiers. Je pense aussi que nous pouvons bénéficier de l’innovation et que le Canada devrait être un chef de file pour comprendre les effets de la fonte du pergélisol et d’autres formes d’érosion causées par le climat dans l’Arctique et pour pouvoir régler ces problèmes à l’aide de solutions précises conçues au Canada.

Dans l’ensemble de l’Arctique, d’autres pays le font. J’espère que nous, au Canada, pourrons être un chef de file mondial pour trouver des solutions aux changements climatiques.

Le sénateur Oh : Jusqu’à présent, sommes-nous capables d’endiguer, de prévenir ou de ralentir les changements climatiques?

M. Obed : Je n’ai pas suffisamment de renseignements pour vous donner une réponse éclairée à ce sujet.

La sénatrice Coyle : Merci, monsieur Obed. C’est le moment idéal pour entendre votre témoignage. Nous venons de parcourir l’Arctique, comme vous l’avez entendu, et nous voulons nous assurer que les recommandations que nous formulerons en lien avec le Cadre stratégique pour l’Arctique reflètent les opinions des habitants de l’Arctique. L’argument que vous avez fait valoir selon lequel nous devons nous assurer que ce cadre tient grandement en considération votre peuple, vos terres et vos côtes est un argument que nous avons entendu haut et fort. J’ai également aimé que vous ayez parlé de l’objectif, du leadership mondial, de l’innovation et du fait de ne pas créer un autre cadre, mais d’élaborer un cadre de transformation et de viser haut pour le Canada. L’Arctique est une région qui offre d’énormes possibilités. Nous devrions l’examiner sous un angle différent. Je vous remercie.

Cependant, pour revenir aux deux questions que mes collègues ont posées et sur lesquelles j’aimerais en savoir plus, je suis convaincue qu’il doit y avoir une révolution dans les soins de santé mentale. Votre peuple sera votre plus grand atout. Votre autre plus grand atout est votre territoire. J’aimerais connaître les mesures qui devront être prises dans le secteur de la santé mentale. De plus, en ce qui concerne les terres, vous avez parlé des changements climatiques et de la possibilité de délaisser le diésel et d’autres carburants de ce genre. Quels sont vos objectifs dans ce secteur?

M. Obed : En ce qui concerne la santé mentale, nous avons publié à l’ITK une Stratégie nationale de prévention du suicide chez les Inuits en 2016. La santé mentale est un facteur prédominant du suicide dans l’Inuit Nunangat et, dans un cadre axé sur les solutions, des soutiens de santé mentale sont nécessaires pour veiller à réduire le taux de suicide dans l’Inuit Nunangat.

Nous avons encore du mal à avoir des installations de soins internes pour la toxicomanie et la santé mentale. Dans notre présentation prébudgétaire pour 2019, nous avons attiré l’attention sur ce problème et nous espérons que des investissements dans des installations de soins internes dans l’Inuit Nunangat pourront être effectués. À l’heure actuelle, la seule en place est située à Kuujjuaq au Nunavik. On veut une nouvelle installation et on cherche les fonds pour y parvenir.

En ce qui a trait à la prestation des soins en santé mentale, le problème, c’est qu’il faut envoyer des milliers de personnes à des kilomètres de distance, les loger dans des foyers d’accueil ou des hôtels, et utiliser un modèle de soins cliniques qui n’est pas adapté à la société inuite. C’est un défi pour la santé mentale en soi. Certains Inuits bénéficient grandement de ce modèle. Je ne dis pas qu’il est mauvais sur toute la ligne. Ce que je dis, c’est que pour de nombreuses personnes, les besoins en santé mentale sont mieux satisfaits dans des communautés qui offrent des soins adaptés aux Inuits. Il est préférable qu’elles soient suivies par des gens qui connaissent leur réalité, qui sont au courant de leur dossier et qui savent ce qu’elles ont traversé au cours de leur vie. C’est inestimable dans une relation pour assurer la viabilité d’une bonne santé mentale.

Il y a aussi un élément en amont à cette question, que nous abordons dans notre stratégie de prévention du suicide, qui consiste à créer des environnements optimaux pour nos jeunes. Cela signifie que nous devons intervenir pour lutter contre l’exploitation sexuelle des enfants. Nous devons faire plus pour nous assurer qu’il y a une continuité culturelle et des occasions pour les enfants d’apprendre leur culture et leur langue, de grandir dans un milieu aimant et dans un environnement adapté aux Inuits, d’être en santé et d’avoir une bonne alimentation.

Ce sont tous là des facteurs de protection de la vie que l’on ne peut jamais enlever à un être humain. Citons notamment le sentiment d’appartenance, la langue ou le fait que les gens ne sont pas confrontés à des épreuves qui diminuent leur capacité d’être des membres productifs de la société. Nous pouvons le faire pour nos enfants. Nous pouvons le faire pour nos communautés. Je pense que nous devons simplement prendre le temps de nous concentrer là-dessus.

Je pense à l’enquête qui est menée en ce moment sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées et sur la façon dont la violence dans notre société est souvent un facteur qui contribue à une mauvaise santé mentale et même au décès de bien des gens. Ce sont des problèmes que nous devons régler. Les recommandations qui ont été formulées dans le cadre de l’enquête, le rapport provisoire qui a été rendu public, le travail d’organismes comme Pauktuutit Inuit Women of Canada et ses recommandations pour créer des refuges sécuritaires pour les femmes inuites, des pratiques d’éducation des enfants et d’autres solutions pour notre société sont tous des éléments que nous devons prendre plus au sérieux et auxquels nous devons consacrer plus de temps.

Parfois, lorsque nous travaillons sur l’un ou l’autre de ces enjeux au niveau fédéral, vous avez terminé un rapport et vous passez au suivant. On ne prend tout simplement pas le temps de se concentrer sur la mise en œuvre, car il y a un autre mandat à réaliser ou un autre dossier à régler.

Nous discutons de ces enjeux depuis longtemps. Il y a une continuité dans les politiques inuites que l’on ne retrouve pas dans les politiques fédérales, provinciales ou territoriales. Bien souvent, il n’y a pas de système de partis qui se traduit par des variations soudaines de mandats d’un régime à l’autre. J’examine attentivement ce que mon prédécesseur a fait en ce qui concerne les priorités de mon organisme.

La santé mentale, l’environnement et nos liens avec la terre et tous les êtres vivants sont des priorités depuis longtemps.

En ce qui concerne le climat et la lutte contre les changements climatiques, nous voulons nous assurer que nous adoptons un mode de vie durable dans notre environnement. Nous avons établi nos mécanismes de mise en œuvre des ententes sur les revendications territoriales, surtout entourant la cogestion, pour nous assurer d’atteindre cet objectif. S’il y a une menace plus importante relative aux changements climatiques et que nous craignons de perdre le fondement essentiel de notre environnement arctique, nous devrons alors nous pencher là-dessus et faire tout notre possible pour assurer l’avenir de nos générations futures plutôt de les laisser s’inquiéter de la façon de maintenir une société dans un environnement fracturé.

Le président : Sénatrice Dasko, bienvenue à notre comité. Il nous reste du temps pour une question avant de devoir conclure.

La sénatrice Dasko : Puisque je suis nouvelle à ce comité, je vous prie de m’excuser de poser une question comme celle-ci. Je vous suis très reconnaissante de votre déclaration. Vous avez utilisé l’expression « développement économique à grande échelle ». Lorsque vous jetez un regard sur l’avenir, quels développements économiques à grande échelle imaginez-vous? Qu’entrevoyez-vous? Quels sont ces développements? Est-ce que c’est ce que nous verrions habituellement dans le Sud comme l’exploitation des ressources ou des projets hydroélectriques ou miniers? Est-ce différent? Est-ce le secteur manufacturier? Est-ce l’agriculture? Est-ce le commerce? Qu’entrevoyez-vous lorsque vous parlez de « développements économiques à grande échelle »? C’est ma première question.

Avec ce développement, prévoyez-vous qu’il y aura un afflux de personnes dans l’Arctique? Cela fait-il partie de l’avenir? Vous parlez de vos communautés à l’heure actuelle, mais si nous nous lançons dans des projets de « développement économique à grande échelle » — pour reprendre votre expression, encore une fois —, c’est probablement ce à quoi nous pouvons nous attendre. Je vous demande, en quelque sorte, de vous transporter dans le temps et de nous dire ce que vous entrevoyez pour l’avenir.

M. Obed : Je pense que tout le monde conviendra que Baffinland promet d’être un projet de développement économique à grande échelle. Il s’agit d’un gigantesque projet d’extraction de minerai de fer dans le nord de l’île de Baffin.

Habituellement, quand nous songeons à l’Arctique et aux possibilités de développement économique dans la région, ce sont les secteurs du pétrole, du gaz et des ressources naturelles qui dominent notre imaginaire. Nos accords sur les revendications territoriales ont été négociés et signés à l’intérieur de ce cadre particulier. Les revenus autonomes qui assurent la mise en œuvre de nos accords sur les revendications territoriales, notre autonomie gouvernementale et notre autodétermination vont de pair avec ce genre de projets. La capacité de profiter des initiatives de développement économique, comme l’exploitation minière ou l’extraction de ressources naturelles, a toujours été le grand espoir des peuples autochtones.

À l’avenir, surtout compte tenu des changements climatiques, de l’ouverture des routes maritimes et de la mondialisation sur plusieurs fronts, le développement économique à grande échelle prendra peut-être une tout autre forme. À l’heure actuelle, les intérêts immédiats des dirigeants inuits — ainsi que des provinces et des territoires — portent encore sur une idée très traditionnelle, à savoir les mines d’or ou l’exploitation des ressources pétrolières et gazières ou des gisements de minerai de fer, de nickel et de cobalt. Voilà le genre d’occasions qui stimulent l’économie et qui procurent des revenus autonomes aux organismes de représentation des Inuits.

Je défends donc tous ces intérêts, ainsi que ceux des Inuits. Les organisations inuites se sont montrées favorables à un grand nombre de projets miniers ou de possibilités de développement économique. La seule mise en garde, c’est qu’il y a un système en place qui permet l’autodétermination dans le cadre de ce processus. Contrairement à d’autres endroits au Canada, les Inuits n’ont pas besoin de toujours dire oui au développement économique, même si d’autres y tiennent, en raison des revendications territoriales, des processus d’évaluation environnementale et des ententes sur les répercussions et les avantages. Nous sommes chanceux de pouvoir travailler à l’intérieur d’un tel cadre lorsqu’il s’agit de « développement économique à grande échelle ».

Pour ce qui est de savoir comment cela influe sur la société et l’arrivée de personnes désireuses de profiter de ces débouchés, la plupart de ces projets entraînent un va-et-vient constant de travailleurs. Dans le cas de nombreux projets, les gens partent du Sud pour aller directement à un site minier éloigné, puis ils rentrent chez eux et ne remettent plus jamais les pieds dans une communauté inuite. Là encore, il s’agit souvent d’ententes qui sont conclues entre les promoteurs de projets et les responsables d’évaluations environnementales avant même que le projet soit approuvé.

À l’avenir, je suis sûr qu’il y aura un afflux de personnes dans l’Arctique. On observe déjà, dans certains de nos grands centres, l’arrivée massive de non-Inuits qui viennent profiter des possibilités de développement économique.

C’est une question de grande importance pour l’avenir. Je ne connais certainement pas la réponse, mais je peux seulement dire que grâce à nos accords sur les revendications territoriales, grâce à la force et à la résilience de notre société et grâce à notre volonté de participer à l’économie canadienne, tout en conservant notre mode de vie inuit, nous pourrons y arriver.

Le président : Sur cette note, permettez-moi de vous remercier de vos réponses judicieuses à nos questions et de votre exposé mûrement réfléchi.

Pour notre deuxième segment, j’ai le plaisir d’accueillir Darrell Beaulieu, chef de la direction de Denendeh Investments Incorporated, qui se joint à nous par vidéoconférence depuis Yellowknife. Bienvenue, et merci d’être des nôtres ce soir.

Je vous invite à nous faire votre déclaration préliminaire. Nous aurons peut-être quelques questions à vous poser par la suite.

Darrell Beaulieu, chef de la direction, Denendeh Investments Incorporated : Merci, sénateur Patterson. Je m’appelle Darrell Beaulieu, et je suis chef de la direction de Denendeh Investments. Constituée en société en 1982, Denendeh Investments appartient aux 27 Premières Nations des Territoires du Nord-Ouest. Nous œuvrons dans une multitude de secteurs : pétrole et gaz, mines, immobilier, communications, entretien des infrastructures, services alimentaires et carburants. Voilà, en gros, ce que nous faisons.

Plus récemment, nous avons travaillé avec les groupes autochtones ici, dans les Territoires du Nord-Ouest, sur d’importantes initiatives en matière d’infrastructures. Nous envisageons de collaborer avec les Métis et les Dénés du Nunavut pour donner suite à une motion historique adoptée par la nation dénée il y a quelques années en vue d’appuyer et de promouvoir l’idée de travailler ensemble avec les gouvernements autochtones pour soutenir le développement contrôlé des ressources et la création de corridors d’exportation qui procureront aux Dénés d’importantes retombées sociales et économiques à long terme. Autrement dit, les Dénés veulent être des intervenants clés, de concert avec d’autres gouvernements, dans l’établissement des corridors de transport, d’énergie et de communication dont on a si désespérément besoin en matière d’infrastructures dans les Territoires du Nord-Ouest. Une partie de ce plan consiste à concevoir, bâtir, s’approprier et exploiter des corridors, en collaboration avec les groupes autochtones et les gouvernements, à mener des recherches et des consultations, et à trouver des moyens de recueillir des fonds, que ce soit en provenance de sources publiques, privées, autochtones ou au moyen de droits de péage ou de frais d’utilisation.

Bien entendu, il faut tout d’abord mobiliser l’appui des Autochtones à l’égard du projet de corridor, obtenir les autorisations de sécurité nécessaires et mettre de côté des terres. Un tel projet a comme avantage de fournir des revenus autonomes aux gouvernements autochtones au moyen d’ententes d’accès aux terres, de redevances et de tarifs, sans oublier les redevances pour d’autres gouvernements. Il s’ensuit normalement des perspectives d’emploi et des occasions d’affaires pour les personnes, les entreprises et les sociétés autochtones. À cela s’ajoute la formation axée sur des compétences. Voilà qui permettra assurément d’avoir une certitude et un contrôle quant au choix des emplacements et à l’ampleur des projets de développement grâce à la simplification des processus d’évaluation environnementale et, bien sûr, grâce à la réduction du coût de la vie dans les collectivités éloignées.

C’est, à mon avis, ce qui doit précéder la question de savoir comment nous pouvons nous développer économiquement et améliorer les bénéfices indirects ou les conditions sociales induites, comme le logement, la santé, et cetera. Ce projet est censé être une source de transformation plutôt qu’une simple transaction. Telle est la norme en matière d’affaires. Nous avons besoin de solutions novatrices pour éliminer les disparités sociales. Comme vous le savez peut-être, nous occupons le deuxième rang, après le Nunavut, au chapitre des régions les plus pauvres au pays, et ce, malgré nos PIB élevés. Sans revenus autonomes, les collectivités autochtones continueront de dépendre des paiements de transfert et des programmes fédéraux, le tout accompagné souvent d’un niveau de vie moins élevé.

Comme je l’ai mentionné tout à l’heure, selon les estimations, le coût de la vie dans le Nord est de 28 à 40 p. 100 plus élevé que dans le reste du Canada. Dans le secteur minier, le coût d’exploration est de deux à trois fois plus élevé que celui des projets menés dans des collectivités non éloignées. Les coûts d’exploitation sont de 30 à 40 p. 100 plus élevés. Le Canada, c’est comme deux mondes différents. Je ne sais pas si mes chiffres sont exacts, mais environ 80 p. 100 des Canadiens vivent à 200 kilomètres de la frontière américaine. Je dirais qu’entre 60 et 70 p. 100 de ceux qui vivent dans cette zone habitent probablement dans quatre ou cinq villes.

Si vous regardez une prise de vue nocturne du Canada, vous verrez que tous les points lumineux sont concentrés dans ces 100 à 200 kilomètres. Le reste est dans la noirceur. Il n’existe aucune infrastructure. En fait, il y a un manque criant d’infrastructures dans le Nord. Je ne crois pas qu’on y trouve actuellement des ports, mis à part une station de ravitaillement. Lorsqu’on examine le Nord du point de vue des ressources, plus précisément dans la province géologique des Esclaves jusqu’au site du projet de la route et du port de Grays Bay, je crois que cela représente un investissement en capital de 2 milliards de dollars qui stimulerait, à son tour, des investissements d’environ 39 milliards de dollars dans des projets d’immobilisations — peut-être des mines, qu’il s’agisse de l’exploitation de mines d’or ou de l’agrandissement de mines de diamants, de mines de plomb-zinc, entre autres.

Quand on examine le développement économique dans le Nord, on constate que c’est surtout axé sur l’exploitation minière. Le pétrole et le gaz y étaient exploités jusqu’à tout récemment, et ce, depuis 1921. Nous sommes assis sur des billions de pieds cubes de gaz et des millions de barils. Toutefois, à cause du manque d’infrastructures, ces ressources sont laissées en plan et continueront de l’être dans un avenir prévisible. Nous sommes tous conscients aujourd’hui que les États-Unis constituent le seul et unique client ou acheteur de nos produits, d’où la nécessité d’établir ces infrastructures dans l’Est, l’Ouest et le Nord.

Je vais peut-être ajouter encore quelques mots. Pour faire avancer les choses, nous nous demandons ce qu’il est possible de faire et quelles mesures les gouvernements peuvent prendre. Dans le Nord, il y a le règlement lié aux ententes sur les terres et les ressources de l’Akaitcho et du Dehcho. Il faut mettre en œuvre pleinement les accords d’autonomie gouvernementale, en plus de soutenir les gouvernements autochtones dans leurs démarches pour élaborer des processus réglementaires et des politiques économiques. Il faut également mettre en œuvre des plans d’aménagement du territoire qui garantissent le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause afin de protéger l’environnement et de simplifier des régimes de réglementation complexes. Enfin, il faut évidemment promouvoir de véritables relations de gouvernement à gouvernement, dans le cadre desquelles les gouvernements autochtones gèrent le développement et l’entretien des infrastructures par l’entremise de leurs sociétés de développement et de leurs entreprises locales.

Sur le plan géographique, le Yukon, les Territoires du Nord-Ouest et le Nunavut représentent 40 p. 100 de la superficie du Canada. C’est un territoire immense qui compte plus de 100 000 habitants, mais où il n’y a guère d’accès à des capitaux suffisants au moyen de programmes de financement ou de prêts garantis ou encore, de mesures visant à permettre aux sociétés et aux entreprises autochtones de jouer un rôle important au chapitre des perspectives d’avenir.

Une des choses dont nous avons parlé, c’est la création d’un fonds d’investissement dans les infrastructures pour les Autochtones. En ce qui a trait au déficit en matière d’infrastructure, je crois que le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest a déclaré qu’il y avait un déficit d’environ 13 milliards de dollars. Si on examine la situation de façon plus globale, il faut plutôt environ 30 milliards de dollars, selon la prévision faite en 1996 par la Commission royale sur les peuples autochtones, prévision qui se chiffrait alors à 20 milliards de dollars.

Je vais m’arrêter là. Si vous avez des questions, je serai heureux d’y répondre.

Le président : Merci beaucoup, Darrell. Je vais d’abord céder la parole à la sénatrice Bovey, qui est vice-présidente de notre comité.

La sénatrice Bovey : Merci beaucoup. Permettez-moi de m’attarder un peu sur les chiffres. Je comprends tout à fait la complexité des enjeux auxquels vous faites face.

J’aimerais savoir quels devraient être les critères pour le financement fédéral. Il y a, me semble-t-il, une uniformité entre le Nord et le Sud quant au montant d’argent qui est distribué. J’aimerais que vous consultiez votre boule de cristal pendant un instant. Que devrions-nous changer dans les critères pour le financement fédéral? Qu’en est-il des règlements? La réglementation pour le secteur minier, l’industrie pétrolière et gazière et l’environnement devrait-elle être établie uniquement par les Territoires du Nord-Ouest et le Nord? Quelle sorte de rôle en matière de réglementation devraient jouer les territoires et le gouvernement fédéral?

M. Beaulieu : Tout d’abord, si les lois fondamentales de l’économie et du libre marché s’appliquaient ici, chaque dollar au Canada serait dépensé dans les villes. Comme je l’ai dit tout à l’heure, en raison du coût de la vie et de l’éloignement du Nord canadien, c’est presque un pays séparé à cause de la façon dont cette région a été traitée sur le plan des investissements. En fait, nous sommes comme un pays du tiers monde, à la différence près que nous avons un environnement stable.

En ce qui concerne les questions liées à la réglementation, on a réglé certaines revendications territoriales dans le cadre d’ententes sur les terres et le gouvernement. Mentionnons la Loi sur la gestion des ressources de la vallée du Mackenzie, qui régit les lois régionales aux termes de l’accord du Sahtu et de l’accord des Gwich’in; d’ailleurs, les Inuvialuit et les Tlichos ont leurs organismes de réglementation qui sont conformes à la Loi sur la gestion des ressources de la vallée du Mackenzie. Quant aux Akaitcho et Dehcho, ils négocient encore leurs accords sur les terres et les ressources.

L’objectif a toujours été de respecter l’esprit et l’intention des traités. C’était une question de coexistence. La cogestion était l’un des principaux éléments de certains des anciens accords de gestion de l’utilisation des terres. Le partage de la responsabilité de la gestion des terres et des ressources reposait vraiment, si je me souviens bien, sur l’approche des aînés; il s’agissait d’une approche holistique qui tenait compte du bien-être politique, économique et social des gens du Nord.

La sénatrice Bovey : En ce qui concerne les modèles de financement proportionnel au nombre d’habitants, lorsqu’on tient compte de l’éloignement des collectivités du Nord et, comme vous l’avez dit, de leur superficie, qui représente environ 40 p. 100 de celle du Canada, et de la taille de la population — j’émets peut-être une opinion personnelle, chose que je ne devrais pas faire —, n’y a-t-il pas lieu d’admettre que ces modèles aggravent forcément le déficit au lieu d’aider à le résorber?

M. Beaulieu : Vous avez raison. En fonction du nombre d’habitants, cela ne fonctionnerait pas, mais si vous tenez compte des prévisions pour l’avenir et de la croissance démographique du Canada ou de la migration interne, ainsi que de la demande de ressources, qu’il s’agisse de pétrole, de gaz, de minerais, d’aliments traditionnels ou de produits forestiers, je crois que le Nord du Canada est bien placé à cet égard. Lorsque vous dites que c’est dans l’intérêt du Nord, nous estimons également que c’est dans l’intérêt du Canada.

Maintenant, au chapitre de la souveraineté du Canada, ce qui présenterait un autre avantage du point de vue des routes, des ports, par exemple, je dirais que ce serait dans l’intérêt du Canada.

La sénatrice Bovey : Merci.

Le président : Merci. Monsieur Beaulieu, vous avez évoqué les revendications en suspens concernant les territoires de l’Akaitcho et du Dehcho.

Je sais que vous participez aux affaires publiques des territoires depuis de nombreuses décennies. Où en sommes-nous dans le dossier des territoires de l’Akaitcho et du Dehcho? Est-ce que cela tire à sa fin? Des progrès ont-ils été accomplis depuis le transfert des responsabilités du Canada aux Territoires du Nord-Ouest? Faut-il donner un simple coup de pouce pour clore le tout?

M. Beaulieu : D’après mes discussions avec certains dirigeants, il y a eu des réactions mitigées quant aux effets concrets du transfert des responsabilités. Je crois que cela entre en conflit avec l’objectif de leurs négociations. Il faut tenir beaucoup de discussions, et il faut agir rapidement en ce qui a trait aux négociations actuelles sur les terres et les ressources. Selon ce que je crois comprendre, ils sont probablement sur le point de terminer ces négociations. Cependant, je ne pourrais pas vraiment vous dire à quel moment ils parviendront à l’étape d’un accord de principe dans le territoire de l’Akaitcho ou à quel moment ils concluront un accord dans le territoire du Dehcho.

La sénatrice Boyer : Merci beaucoup de cet aperçu. Je vous en suis reconnaissante. J’ai une question sur l’industrie minière. Quelles mesures s’imposent, selon vous, pour amener plus d’Autochtones aux échelons supérieurs, c’est-à-dire à la haute direction et à des postes de cadre, dans l’industrie minière? Le Fonds d’infrastructure pour les Premières Nations s’est-il avéré un outil utile pour faire avancer ces intérêts?

M. Beaulieu : Les peuples autochtones ont été actifs dans l’industrie et l’industrie minière, pas tant autrefois, mais certainement au cours des 20 dernières années. J’ai participé à la négociation des ententes sur les répercussions et les avantages avec les mines de diamants. Il y en avait déjà une avec une mine d’or. Elle s’est traduite par des emplois et des occasions d’affaires. La mine emploie de 40 à 50 p. 100 des habitants du Nord qui travaillent, ce qui correspond aussi à environ 40 à 50 p. 100 de la population, et elle a donné naissance à quelque 60 ou 70 entreprises de services et de fournitures.

L’une des lacunes que nous avons constatées il y a quelques années, c’est qu’il n’y avait pas beaucoup de gens qui occupaient des postes de gestion ou de supervision. Une mine a cependant relevé le défi en lançant un programme pour amener les gens à occuper ces postes.

En ce qui concerne l’ensemble de l’industrie de l’exploration, il y a eu une participation du côté de l’exploration minérale, mais pas tellement du côté de l’exploitation minière proprement dite. Quand je dis cela, je parle de participation au capital et à la propriété. L’une des initiatives que nous avons prises a été de mettre sur pied notre propre société d’exploration, la Denendeh Exploration and Mining Company, ou DEMCo. Nous avons fait l’acquisition de certaines propriétés minières, nous avons repris des baux, nous avons fait de l’exploration minière et nous avons embauché des géologues et des géophysiciens pour travailler sur ces propriétés. Comme pour toute autre société d’exploration minière, le défi consiste à trouver du financement et à inciter les investisseurs à investir dans nos projets.

Cette démarche se fondait sur des directives que nos aînés nous ont données il y a de nombreuses années. Ils avaient dit : « Eh bien, nous possédons les terres et les ressources, mais comment se fait-il que des entreprises internationales puissent venir sur ces terres, les exploiter, en tirer profit et les laisser dans un tel gâchis — des sites contaminés qu’il faut ensuite assainir —, comme on l’a vu pour la mine Giant ou Faro ou d’autres projets? »

En 2013, lorsque nous avons réuni les chefs et tous les PDG, l’objectif était de participer à l’exploitation des ressources et aux infrastructures, et de nous s’investir dans le développement et l’exploration de sites miniers dans l’intérêt du Nord. Nous sommes conscients de la nature changeante de nos populations : nous encourageons nos enfants à obtenir une bonne éducation, à poursuivre des études postsecondaires, que ce soit dans les disciplines du génie ou en gestion ou en affaires, entre autres choses. Dans de vastes territoires comme les nôtres, faire de l’exploration est une occasion de parcourir les terres. C’est l’occasion d’intéresser nos jeunes à la géologie et aux géosciences, et de leur permettre de marcher sur la terre de leurs ancêtres. S’ils trouvent quelque chose, cela profitera aux populations actuelles.

La sénatrice Boyer : Merci.

La sénatrice Coyle : Merci beaucoup de votre exposé. J’ai deux questions. Je vais faire très vite. Nous étions dans les Territoires du Nord-Ouest. Une personne que nous avons rencontrée nous a parlé de l’écart qui se creuse entre le revenu des Autochtones des Territoires du Nord-Ouest et celui des autres Canadiens ou des autres habitants des Territoires du Nord-Ouest, mais aussi de celui qui se creuse au sein même de la population autochtone. Une classe de nantis et une classe de démunis sont en train de se former au sein de la population autochtone des territoires. Qu’avez-vous constaté à cet égard? Que pourrait faire votre organisation pour contrer ce phénomène? Je pense que vous avez commencé à en parler un peu.

La deuxième question porte sur les possibilités liées à l’exploitation minière, mais davantage sur le plan de l’assainissement. Lorsque nous sommes allés au Yukon, nous avons beaucoup entendu parler de l’exploitation minière et de l’exploration, mais nous avons aussi beaucoup entendu parler des possibilités économiques et des possibilités d’emploi en matière d’assainissement. Vous avez déjà mentionné des cas où il y avait des problèmes environnementaux auparavant. C’est un travail énorme que de nettoyer tout cela. Est-ce quelque chose qui intéresse votre groupe d’entreprises?

M. Beaulieu : Pour ce qui est de votre première question, une industrie comme celle des mines de diamants a profité à beaucoup de gens. Comment? Par les salaires que ces gens gagnent. Ils sont très bien payés. Dans le Nord, beaucoup de collectivités n’ont jamais eu de telles possibilités. C’est complètement nouveau. Il y a des gens qui gagnent soudainement entre 70 000 $ et 100 000 $. Maintenant, ils commencent à apprendre de leurs collègues travailleurs du Sud, notamment. Ensuite, ils examinent le coût de la vie dans le Nord et le coût de la vie dans le Sud. Dans certains cas, on assiste à une déruralisation, puisqu’il est parfois beaucoup moins coûteux de rester dans une ville du Sud et de faire l’aller-retour en avion que de vivre dans une collectivité.

Dans les petites collectivités, les gens qui touchent maintenant de bons salaires préfèrent déménager dans de grands centres comme Yellowknife. Si je demande pourquoi — certaines sont des familles monoparentales, d’autres des mères célibataires et d’autres encore des familles entières —, on me répond : « Eh bien, nous voulons que nos enfants aient accès à des sports organisés, au hockey, aux piscines, à l’éducation. » Les parents eux-mêmes veulent s’instruire. C’est ce qui crée cet écart par rapport aux collectivités.

Oui, à l’heure actuelle, les mines de diamants produisent probablement 30 p. 100 du PIB des Territoires du Nord-Ouest. Nous ne devons toutefois pas perdre de vue que ces mines ont une durée de vie limitée. La Diavik Diamond Mine va fermer ses portes en 2024. La mine De Beers prévoit faire la même chose en 2027. C’est pareil pour la Dominion Diamond, quoiqu’une prolongation des activités reste possible. On parle de 3 000 employés.

Cela dit, il y a quatre ou six mines qui sont à la recherche de financement. Cependant, toutes ces mines — les mines d’or et les mines de plomb et de zinc — ne remplaceront pas une seule mine de diamants. Ce sera un véritable défi, car c’est ce qui fait tourner l’économie présentement. C’est une réalité avec laquelle nous devons vivre.

Les employés qui ont désormais un permis de soudeur ou qui sont certifiés ne voudront plus vivre dans les collectivités. Ils passeront peut-être à autre chose parce qu’ils ont une hypothèque à payer, des paiements à faire sur un camion, des familles à nourrir, par exemple. Habituellement, au Canada, les gens déménagent là où il y a du travail. Ils vont quitter les collectivités.

Il y a toutes sortes de choses qui se profilent à l’horizon. J’ai oublié votre deuxième question.

La sénatrice Coyle : Elle portait sur les possibilités associées à l’assainissement des mines.

M. Beaulieu : Oui. C’est l’une de nos recommandations. Je vais être très franc avec vous : dans le Nord, il y a eu un certain nombre de grands travaux d’assainissement, mais les deux plus importants sont Giant et Faro. Je pense que l’on s’attend à ce que cela coûte environ 1 milliard de dollars. Ces travaux vont s’étendre sur de nombreuses années. Il y a aussi d’autres mines qui pourraient occasionner des dépenses de 50 ou 100 millions de dollars, par exemple.

Les entreprises autochtones ont exprimé le souhait d’être de celles qui seront choisies pour nettoyer ces sites. En fait, elles ont soumissionné pour le travail, mais sans succès. Certaines politiques gouvernementales ne fonctionnent pas vraiment ici.

Il semble que, dans le Nord, les projets d’assainissement ne s’appliquent pas aux programmes gouvernementaux de marchés réservés. L’autre gros problème, c’est que les grands projets d’assainissement ont été confiés à des entreprises américaines.

Si vous voulez développer les capacités et les compétences des peuples autochtones du Nord et que vous avez ces projets d’assainissement qui vont durer plusieurs années, n’y aurait-il pas lieu de leur offrir cette possibilité? Je ne dis pas de confier toute l’affaire à un seul fournisseur, mais je pense que c’est un domaine où cela peut être fait.

C’était renversant d’entendre dire que le programme de marchés réservés ne fonctionnait pas alors que le lendemain, on apprenait qu’IBM avait obtenu ce marché d’un demi-milliard de dollars à titre de fournisseur unique. Comment pouvez-vous justifier cela?

La sénatrice Coyle : Merci beaucoup.

Le président : Monsieur Beaulieu, vous avez parlé des efforts que vous avez déployés depuis que Denendeh Investments a été constituée en société, dans les années 1980, afin d’envisager la prise en charge des corridors de développement des ressources et des corridors d’exportation. Pourriez-vous nous en dire plus sur cette initiative et, en particulier, nous dire si les Dénés des Territoires du Nord-Ouest ont participé ou pourraient participer au projet Eagle Spirit, qui, je crois, est essentiellement un corridor d’exportation?

M. Beaulieu : Oui, je vous remercie de votre question. Je m’occupe du corridor énergétique Eagle Spirit depuis quatre ou cinq ans, et c’est essentiellement le même concept. Comme vous le savez, Fred Carmichael, Nellie Cournoyea, le chef Harry Deneron et les dirigeants d’il y a environ 15 ou 20 ans faisaient partie de l’Aboriginal Pipeline Group, qui était propriétaire à 33 p. 100 du gazoduc du Mackenzie. Malheureusement, le prix du gaz a chuté et le marché s’est effondré. Le projet a donc été mis en veilleuse.

Je crois que c’est le seul projet autorisé au Canada à détenir un certificat en règle jusqu’en 2022.

Encore une fois, Eagle Spirit est un projet qui est proposé pour le nord de la Colombie-Britannique et de l’Alberta et qui a été approuvé à 100 p. 100 par 35 Premières Nations du Nord de la Colombie-Britannique. Malheureusement, une proposition de bannir les pétroliers a été proposée et elle est en train de faire son chemin.

Les gens et les dirigeants de ces collectivités ont toujours l’intention d’élaborer un projet pour permettre l’acheminement du pétrole et du gaz, un corridor qui accueillera aussi les trains, les lignes de fibre optique et tout ce qui se fait le long de la vallée du Mackenzie, de Fort Simpson jusqu’au Nunavut. Ce corridor permettra de limiter l’ensemble des risques environnementaux en concentrant autour d’un même axe les pipelines, les routes et les voies ferrées, ce qui évitera d’avoir à prévoir des mesures d’atténuation à différents endroits. Pour tout grand projet, il convient d’évaluer les risques liés à la construction, mais aussi toutes sortes d’autres risques.

Le président : Est-il exact de dire que votre société maintiendra sa participation au projet Eagle Spirit si l’interdiction sur les pétroliers ne se concrétise pas?

M. Beaulieu : Je crois que les Autochtones participent de plus en plus aux infrastructures canadiennes dans l’ensemble du pays. Pour des projets de grande envergure comme celui-là, il faudra atteindre une masse critique de personnes concernées, trouver le financement nécessaire, essayer d’atténuer les risques environnementaux, notamment. C’est tout le processus qu’il faut examiner, y compris le cadre juridique qui préside aux grands travaux d’infrastructure comme celui-là. La croissance démographique et la volonté d’accroître la participation des Autochtones s’intensifient.

La sénatrice Coyle : J’ai une question qui m’est venue à l’esprit lorsque vous décriviez ce qui se passe dans la région minière de votre territoire. C’est un classique. Nous l’avons constaté dans d’autres environnements ainsi que dans des régions où les ressources sont abondantes. Il est essentiel de trouver le bon équilibre pour attirer les investissements de l’extérieur dont vous parlez. Aussi, pour tout grand projet, il y a le boom et le cycle d’effondrement que vous décrivez. Vous êtes préoccupé par le fait que l’effondrement pourrait se produire assez rapidement, compte tenu des grandes mines qui vont fermer au cours des prochaines années.

En tant que chefs de file du développement économique dans la région, quel genre de diversification envisagez-vous au-delà du secteur pétrolier, gazier ou minier typique? Nous avons parlé du développement des infrastructures, mais ce sont ces infrastructures qui seront porteuses d’autres possibilités économiques. Qu’y a-t-il à l’horizon?

M. Beaulieu : C’est une très bonne question, et il n’y a pas que le pétrole, le gaz et les mines dans le Nord. Il y a le tourisme, les économies traditionnelles et, désormais, le raz-de-marée de la robotique et de l’Internet des objets, par exemple.

Vous savez que l’Islande, si je ne m’abuse, est en tête pour l’aménagement d’un énorme centre de données, attendu que ces énormes centres ont besoin de basses températures pour les refroidir. Or, s’ils produisent autant de chaleur, pourquoi ne les installe-t-on pas près de collectivités du Nord afin qu’elles puissent fournir ces collectivités en chauffage? Nous avons besoin de chaleur. Ils ont besoin du froid. Nous avons besoin de chaleur.

L’autre chose dont ils ont besoin, c’est de l’énergie abordable ou ce qu’ils appelleraient de l’« énergie bon marché », je suppose. Comme vous le savez, le coût de l’électricité dans le Nord est exorbitant. Sans les subventions gouvernementales, cela pourrait vous coûter de 3 à 4 $ le kilowattheure. À l’heure actuelle, avec ces subventions, nous payons 33 ou 35 cents par kilowattheure. Le prix peut changer si vous utilisez 700 kilowattheures ou plus par mois et si vous êtes un particulier ou une entreprise. Les choses pourraient changer si nous avions la masse critique d’un gros utilisateur, parce qu’à l’heure actuelle, nous n’utilisons pas toute l’hydroélectricité qui est produite. La majorité de nos autres collectivités utilisent du diésel, et la taxe sur le carbone proposée pourrait avoir des conséquences énormes puisque nous serons presque doublement imposés, en plus du coût de la vie qui, chez nous, est de 30 à 40 p. 100 plus élevé qu’ailleurs. C’est un impact énorme. Les gens d’affaires et les collectivités du Nord cherchent une approche équilibrée et d’autres moyens de faire croître notre économie. Nous avons vu ce qui est arrivé en Alberta avec cette économie qui dépendait entièrement du pétrole et du gaz. Nous avons vu ce qui est arrivé dans d’autres régions. Assurément, ce sont des choses dont les chefs discutent, que ce soit dans la région des Dénés, des Métis ou des Inuvialuit.

Le président : J’aurais juste une autre question à vous poser en terminant, monsieur Beaulieu. Vous avez parlé des énormes lacunes en matière d’infrastructure dans le Nord canadien. Vous avez mentionné le Fonds d’infrastructure autochtone. Nous savons que le gouvernement actuel a engagé d’importantes sommes d’argent à cet égard. Je pense que le montant destiné aux infrastructures est de 180 milliards de dollars sur 10 ans. Pourriez-vous nous décrire un peu plus en détail le fonctionnement du Fonds d’infrastructure autochtone et nous dire si des progrès ont été réalisés à cette fin?

M. Beaulieu : Je vois ce qui se passe d’un bout à l’autre du pays en ce qui concerne Wataynikaneyap Power, en Ontario. Les gouvernements fédéral et provincial ont investi une partie des fonds requis pour l’aménagement d’une ligne de transmission de 1 800 kilomètres. Je vois certains des projets de la First Nations Power Authority, en Saskatchewan. Je sais que, en Colombie-Britannique, la Coalition des grands projets des Premières Nations s’efforce de trouver des moyens de participer aux grands projets et d’obtenir du financement. Je crois que l’Administration financière des Premières Nations a examiné un certain nombre d’instruments financiers en Colombie-Britannique. Elle s’est penchée sur les obligations. Pour ce qui est de trouver du financement ou d’envisager le développement des infrastructures, je pense que nous ne procédons pas autrement que les multinationales du sud du Canada, sachant que les capacités de financement des gouvernements territorial et fédéral sont limitées.

Ici, dans les Territoires du Nord-Ouest, le gros problème, c’est que les fonds destinés à l’infrastructure n’atteignent pas les peuples autochtones, les collectivités autochtones ou les sociétés de développement autochtones. Le ministre Sohi, qui était à l’époque ministre d’Infrastructure Canada, était presque atterrée d’apprendre que les fonds destinés aux infrastructures n’atteignent pas les collectivités et les gouvernements autochtones.

Le président : Et c’est là que le Fonds d’infrastructure autochtone entrerait en jeu, n’est-ce pas?

M. Beaulieu : Oui. Nous voyons cela comme un partenariat entre le gouvernement fédéral, les administrations régionales, provinciales et territoriales et les gouvernements autochtones. Ce n’est pas comme si cela n’avait jamais été fait. Du côté de l’Alaska, il y a un fonds — le fonds de développement des exportations et de l’industrie —, et ce fonds a soutenu l’aménagement de la Red Dog Road, qui relie le port à la mine Red Dog. Ils avaient accès à cet argent pour développer cette infrastructure. Je ne parle pas seulement des routes, des pipelines et des lignes de transmission. Il faut aussi tenir compte des infrastructures sociales. En effet, beaucoup de collectivités n’ont pas les infrastructures municipales voulues pour assurer la construction de logements, l’approvisionnement en eau, le traitement des eaux usées et le développement communautaire.

Le président : Merci beaucoup de vos observations et de vous être joints à nous ce soir. C’est très apprécié. C’est bon de vous revoir.

(La séance est levée.)

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