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BANC - Comité permanent

Banques, commerce et économie

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce

Fascicule n° 21 - Témoignages du 30 mai 2017


OTTAWA, le mardi 30 mai 2017

Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce se réunit aujourd'hui, à 14 h 3, pour examiner la teneur des éléments des sections 3, 8, 18 et 20 de la partie 4 du projet de loi C-44, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 22 mars 2017 et mettant en œuvre d'autres mesures.

Le sénateur David Tkachuk (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bonjour. Avant de commencer, permettez-moi de souhaiter la bienvenue à notre nouveau collègue, le sénateur Maltais. Je vous remercie de revenir au sein de notre comité, puisque vous en avez été membre durant un certain temps.

Je sais que certains d'entre vous souhaitent avoir le temps d'aller au Sénat avant l'ajournement, afin d'y faire acte de présence comme à l'école. Je ne crois pas que notre réunion s'éternise au point de nous empêcher d'y retourner. Après ce groupe, nous aurons un seul autre témoin à entendre et ce sera tout pour la journée.

La sénatrice Wallin : Si nous avons l'approbation du Sénat, est-ce qu'on ne nous considère pas comme étant présents?

Le président : Non. Nous sommes considérés comme étant ici, mais pas au Sénat, à moins d'y être présents physiquement. Je crois que cela ne posera pas de problème.

Bonjour et bienvenue à nos invités et aux membres du grand public qui suivent les travaux du Comité sénatorial permanent des banques et du commerce, soit ici dans la salle, soit sur le Web. Je m'appelle David Tkachuk et je suis président du comité.

Aujourd'hui, nous poursuivons notre étude de la teneur du projet de loi C-44, Loi portant exécution du budget déposé le 22 mars 2017 et d'autres mesures, notamment des sections 3, 8, 18 et 20 de la partie 4 du projet de loi. Honorables sénateurs, je vous rappelle que notre comité doit présenter ses constatations au Sénat d'ici le mercredi 7 juin 2017.

Durant la première partie de notre réunion, nous accueillons des témoins que nous devions entendre il y a quelques semaines, mais notre réunion a été annulée parce que nous avons dû siéger jusqu'à une heure tardive. Messieurs, je suis ravi de vous accueillir aujourd'hui et je vous remercie d'être venus. Votre présence est grandement appréciée.

Du Conseil canadien des affaires, nous accueillons Brian Kingston, vice-président, Politiques; de la Chambre de commerce du Canada, Hendrik Brakel, directeur principal, Politiques économiques, financières et fiscales, et Ryan Greer, directeur, Politiques du transport et de l'infrastructure; et, enfin, de l'Institut C.D. Howe, Benjamin Dachis, directeur associé, Recherche.

Je vous invite à prononcer vos allocutions d'ouverture et nous vous poserons ensuite des questions. Qui veut donner le coup d'envoi?

Hendrik Brakel, directeur principal, Politiques économiques, financières et fiscales, Chambre de commerce du Canada : Je vous remercie. Nous sommes ravis et honorés d'être parmi vous aujourd'hui. Nous vous remercions de nous avoir invités à vous faire part de notre opinion sur le budget fédéral. Nos membres ne cessent de nous parler de cet enjeu vital pour les entreprises canadiennes des quatre coins du pays. Nous allons donc faire trois brèves observations.

Premièrement, nous sommes vivement préoccupés par la compétitivité du Canada. Nous avons connu une baisse des investissements des entreprises au Canada durant neuf trimestres consécutifs ainsi que deux années de croissance nulle de nos exportations. En 2015, nous aurions attribué ce faible niveau d'investissement à la baisse des prix des ressources naturelles, mais nous constatons aujourd'hui que cette baisse touche une diversité de secteurs d'investissement, notamment la machinerie et l'équipement, l'informatique et la recherche et développement. Il se peut que la renégociation de l'ALENA ait un effet paralysant, mais nous croyons qu'il est impératif d'améliorer notre compétitivité et de réduire le prix que doivent payer les entreprises pour faire des affaires au Canada.

Nos membres ne cessent de nous répéter que le Canada est un endroit extraordinaire où faire des affaires, mais un endroit cher. Les salaires y sont élevés et ne cessent d'augmenter. Les charges sont en hausse — impôt provincial des sociétés, cotisations au RPC, taxe sur le carbone — et les cotisations à l'assurance-emploi sont bloquées à leur plus haut niveau. Le pire, c'est que de nombreux pays ont commencé à abaisser leurs taux d'imposition, notamment le Japon, l'Espagne, Israël, la Norvège, l'Italie, le Royaume-Uni et, surtout les États-Unis, jusqu'à un certain point. Nous craignons que les défis à venir sur le plan de la compétitivité deviennent particulièrement difficiles à relever si jamais les États-Unis décidaient de réduire l'impôt des sociétés, ce qui pourrait nuire à notre capacité d'attirer et de retenir des investissements étrangers. Il est donc urgent d'agir.

Le deuxième point que nous souhaitons soulever aura, heureusement, un effet positif pour l'investissement étranger. La hausse du seuil d'examen à 1 milliard de dollars, en général, et à 1,5 milliard pour nos partenaires signataires d'accords commerciaux est une mesure que nous appuyons sans réserve et que nous réclamons d'ailleurs depuis longtemps. Parmi les pays de l'OCDE à haut revenu, rares sont ceux qui imposent des examens officiels des investissements et des processus d'approbation de ce genre. Le Canada et l'Australie sont les seuls à y recourir.

Nous pensons que le processus d'examen prévu à la Loi sur Investissement Canada est très complexe et qu'il alourdit grandement le fardeau réglementaire. Des investisseurs étrangers nous ont parlé de l'incertitude qui plane quant à la manière d'interpréter les exigences. Les critères relatifs à l'avantage net pour le Canada sont trop vagues, allant des emplois aux fournitures, en passant par les chaînes d'approvisionnement; tout cela est compliqué et augmente le temps et les coûts à payer pour investir au Canada pour y conclure une grosse transaction. Cela donne également la fâcheuse impression que notre contexte réglementaire et politique ici décourage les investisseurs étrangers.

Nous sommes tout à fait d'accord avec la hausse des seuils. C'est une mesure fantastique que nous préconisons depuis des années.

Je vais maintenant céder le micro à mon collègue, Ryan Greer, qui abordera la question de la Banque de l'infrastructure.

Ryan Greer, directeur, Politiques du transport et de l'infrastructure, Chambre de commerce du Canada : Permettez-moi de faire quelques observations au sujet de la Banque de l'infrastructure ou BIC. Nous demeurons prudemment optimistes au sujet de cette banque et de son potentiel, tout en étant conscients que nous ne savons pas encore comment elle fonctionnera, comment s'exercera son leadership ni quels types de projets elle privilégiera. En revanche, le principal avantage de la banque pourrait découler de sa fonction de collecte de renseignements.

La capacité actuelle du gouvernement fédéral et d'Infrastructure Canada de formuler des politiques stratégiques en matière d'infrastructures est infime, voire nulle; il serait donc très avantageux à long terme que cette nouvelle institution, qui sera appelée à prendre de l'expansion, donne une portée nationale à sa fonction de collecte et d'analyse de données afin d'aider les décideurs à cerner les défis qui attendent le Canada à long terme.

Nous avons certes entendu parler du modèle Infrastructure Australia; si la BIC jouait un rôle similaire à cet organisme, elle pourrait, à long terme, s'avérer plus utile que le volet financement.

Je pense que le mandat initial d'analyse de données confié à la banque est un peu étroit, mais au fur et à mesure que cette institution acquerra de la maturité et que le gouvernement précisera son mode de fonctionnement, elle pourrait jouer un rôle important dans les années à venir en matière d'élaboration de politiques. Tout ce que peut faire la banque pour accélérer la progression de projets d'envergure au Canada sera bénéfique.

Le projet de train grande fréquence de VIA Rail est un bon exemple. Conformément à cette proposition, VIA Rail serait propriétaire de ses propres voies, ce qui l'obligera à réunir des capitaux privés. Le gouvernement tarde à se prononcer sur ce projet. Il a adopté une approche « lenteur ». Si la BIC pouvait favoriser la structuration d'un arrangement financier et faire avancer ce projet et d'autres projets similaires, cela serait avantageux.

En général, réunir autour d'une table les différents paliers de gouvernement et les intervenants, dont les Premières Nations, pour des projets publics exige énormément de temps. Même pour les projets dont le succès est assuré — pensons aux projets de construction de ponts et même à la Canada Line, en Colombie-Britannique — il faut souvent beaucoup de temps pour réunir les acteurs des secteurs public et privé et conclure une entente.

Si la banque pouvait servir de carrefour d'échanges pour certains projets en PPP et réunir tous ces acteurs pour faire avancer les projets plus rapidement — des projets qui sont importants pour notre économie nationale — ce serait là un autre avantage, à notre avis.

En conclusion, j'encouragerais le Sénat à continuer de répéter au gouvernement que s'il souhaite attirer des investissements privés dans des projets d'infrastructures, il doit alors rendre la vie plus facile aux investisseurs privés. Pour instaurer un climat propice aux investissements, le gouvernement ne doit pas se contenter d'assumer une part de risque; s'il veut vraiment encourager l'investissement privé au Canada, il doit éliminer les délais causés par la paralysie réglementaire et le processus d'obtention de permis ainsi que tous les autres obstacles sur le chemin des investisseurs du secteur privé.

Brian Kingston, vice-président, Politiques, Conseil canadien des affaires : Merci de m'avoir invité à participer à vos consultations sur le projet de loi C-44. Je vais commencer par vous faire part de certaines réflexions sur le budget de 2017. Je parlerai en particulier de la Banque de l'infrastructure, de l'initiative Investir au Canada et de la hausse des seuils d'investissement.

Le Conseil canadien des affaires représente des dirigeants d'entreprise et des entrepreneurs de 150 grandes entreprises canadiennes de l'ensemble des secteurs et régions du pays. Nos entreprises emploient 1,7 million de Canadiens, représentent plus de la moitié de la valeur de la Bourse de Toronto, versent la plus grande part des impôts fédéraux sur les sociétés et sont les plus grands contributeurs à l'exportation, au mécénat et aux investissements du secteur privé en recherche et développement.

Dans notre mémoire de consultation prébudgétaire, nous avons exhorté le gouvernement à focaliser d'abord et avant tout sur la compétitivité, le principal moteur susceptible de nous aider à stimuler notre croissance économique à long terme et à améliorer la qualité de vie de l'ensemble des Canadiens. Comme vous le constaterez, mes observations rejoignent les vôtres. Le Canada doit se doter d'une stratégie ciblée afin d'encourager les entreprises à faire de nouveaux investissements, d'attirer des capitaux étrangers et d'accroître notre compétitivité sur le marché mondial.

Dans nos recommandations, nous demandons instamment au gouvernement de simplifier le processus d'approbation des projets d'infrastructure présentés par le secteur privé, d'établir un plan d'ensemble visant l'élargissement de l'assiette fiscale et la réduction des taux d'imposition et de tracer une voie financièrement viable vers l'équilibre budgétaire, tout en se fixant une cible claire à atteindre quant au rapport dette-PIB. En donnant suite à ces recommandations, nous pourrions contribuer à faire du Canada une plaque tournante du commerce et de l'investissement mondial. Nous croyons que cela est plus important que jamais devant la montée du protectionniste et les menaces qu'il représente pour notre compétitivité.

Nous saluons les efforts du gouvernement pour établir la Banque de l'infrastructure dans le but d'attirer les investissements privés et institutionnels dans de nouveaux projets d'infrastructures générateurs de recettes. Un bon moyen de renforcer la compétitivité à long terme du Canada consisterait à cibler les dépenses dans des projets qui stimuleront la productivité et le commerce. Nous pensons que la Banque de l'infrastructure doit chercher à privilégier, par le biais d'un processus d'appel d'offres concurrentiel et ouvert, des projets qui, autrement, ne seraient pas entrepris par les instances fédérales, provinciales ou municipales.

L'injection de nouveaux capitaux ne suffira pas à améliorer le contexte canadien en matière d'infrastructures. Le gouvernement fédéral peut jeter les bases de nouveaux grands projets d'infrastructures en veillant à ce que les mécanismes réglementaires d'approbation soient transparents, prévisibles, fondés sur des faits et susceptibles d'accélérer la prise de décisions.

Pour ce qui est de l'investissement étranger, le Conseil canadien des affaires réclame depuis longtemps la création d'un guichet unique pour attirer des investissements majeurs au Canada. C'est pourquoi nous saluons l'initiative Investir au Canada prévue dans le projet de loi C-44.

La capacité du Canada à attirer des investissements étrangers s'est érodée. Au début des années 1980, le stock d'investissements directs étrangers en pourcentage du PIB était plus élevé au Canada qu'en Australie, en Norvège, en Suède et au Royaume-Uni. Aujourd'hui, la situation s'est inversée; nous sommes à la traîne de ces quatre pays comme destination pour les investisseurs étrangers.

Au cours de la même période, la part du Canada des investissements directs étrangers dans le monde a chuté, passant d'environ 8 à 3 p. 100. Selon le Rapport sur l'investissement dans le monde de 2016, colligé par la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement, le Canada ne se classe même pas parmi les 15 principales économies destinataires de l'investissement multinational au cours de la période 2016-2018. Ces chiffres proviennent d'un sondage réalisé auprès de dirigeants de multinationales.

Nous croyons que l'initiative Investir au Canada et l'adoption d'une approche simplifiée de guichet unique pour faciliter les nouveaux investissements sont des mesures susceptibles de contribuer au renversement de ces préoccupantes tendances en matière d'investissement.

Enfin, notre conseil est aussi d'avis que l'investissement étranger est bénéfique pour le Canada, sauf dans des circonstances exceptionnelles. Pour cette raison, nous sommes favorables à la hausse du seuil d'examen prévu dans la Loi sur Investissement Canada jusqu'à 1 milliard de dollars.

Voilà qui conclut mes observations. Je vous remercie.

Benjamin Dachis, directeur associé, Recherche, Institut C.D. Howe : Merci beaucoup. Pour ceux d'entre vous qui ne connaissent pas bien l'Institut C.D. Howe, je vous signale que nous sommes un groupe de réflexion national et impartial en matière de politique publique.

Je vais vous parler d'un projet de recherche que je viens de réaliser et qui démontre la nécessité de l'investissement du secteur privé dans l'infrastructure, en particulier de la Banque de l'infrastructure; vous pouvez consulter mon rapport sur le site web de l'institut, ainsi qu'une étude que nous publierons dans quelques semaines, réalisée par mon collègue, Steve Robins, de l'Université Harvard.

Le principal message qui ressort de notre étude est que l'initiative du gouvernement de créer une banque d'infrastructure est un pas dans la bonne direction. Il ne reste plus qu'à trouver la bonne formule. Selon nous, cette banque requiert une structure de gouvernance indépendante, un profond engagement à prendre des décisions fondées sur des faits et une faible ingérence politique dans la négociation avec des partenaires potentiels du secteur privé, des administrations locales et des gouvernements provinciaux.

Premièrement, il est très important de se rappeler les avantages qui découlent du recours à l'investissement privé plutôt qu'à la dette publique financée par les contribuables. Le financement public de l'infrastructure comporte deux coûts cachés pour l'économie. Le premier est un risque accru pour les contribuables et le deuxième est le préjudice économique engendré par la fiscalité.

L'un des arguments les plus courants que vous entendrez pour démontrer la nécessité de l'investissement public dans l'infrastructure, c'est que le gouvernement paie un taux d'intérêt inférieur à celui payé par tout autre emprunteur. Faut- il donc laisser le gouvernement emprunter? Non, ne sautons pas trop vite à cette conclusion. Ce faible taux d'intérêt s'explique par le fait que les prêteurs voient les contribuables comme les garants de tout dépassement de coûts ou tout retard de livraison. Il serait donc préférable pour tout le monde que le risque soit partagé avec des investisseurs institutionnels.

Deuxièmement, chaque denier public dépensé par le gouvernement dans l'infrastructure provient nécessairement des impôts payés par quelqu'un; cela veut donc dire que certaines entreprises n'investissent pas et que certaines personnes ont moins de travail. Les gouvernements peuvent atténuer le préjudice économique en faisant payer les infrastructures par les usagers et non par les contribuables et en laissant les investisseurs institutionnels financer les travaux à la place des gouvernements. C'est l'argument avancé pour démontrer la nécessité de l'investissement du secteur privé.

La question qu'il faut maintenant se poser, c'est quelle est la bonne façon de procéder? Premièrement, Ottawa et les provinces devraient mettre en place, si le besoin s'en fait sentir, des organismes de réglementation indépendants chargés de la surveillance des infrastructures pour faire en sorte que leurs propriétaires, que ce soit des gouvernements ou des entités du secteur privé, agissent dans l'intérêt public et en assurent la viabilité à long terme. Il est important que ce rôle n'incombe pas à la Banque de l'infrastructure.

Notre prochaine étude portera sur certains éléments de la future Banque de l'infrastructure et c'est là-dessus que je vais conclure. Le premier est la gouvernance. La banque devrait avoir un seul objectif dans son mandat, celui de définir quels projets elle financera. Son indépendance doit être enchâssée dans la loi de manière à la mettre à l'abri de toute ingérence politique. Quant au conseil d'administration, il devra être indépendant et les mandats de ses membres devront avoir une durée déterminée.

Deuxièmement, le gouvernement fédéral devra mettre en place un mécanisme normalisé de planification de projets ainsi qu'un mécanisme cohérent de mesure des coûts, des bénéfices et des risques. Il sera également nécessaire de recueillir ces données à l'égard de tous les projets bénéficiant d'un financement fédéral et ayant engagé plus 100 millions de dollars dans les coûts en capital. L'engagement pris dans le budget de 2017 à l'égard d'une collecte plus rigoureuse de données est sans contredit un pas dans cette direction.

Enfin, pour que la banque soit considérée comme une institution crédible, rigoureuse et dont les décisions sont fondées sur des faits, elle doit être indépendante des impératifs politiques du gouvernement du jour. L'expérience de l'initiative australienne Infrastructure Australia est très instructive à cet égard. Lors de sa création, son conseil d'administration jouissait d'une indépendance limitée et comprenait même des représentants de ministères du gouvernement. Cela a dissuadé les États et les municipalités d'y participer. Ils trouvaient que la banque n'était pas assez indépendante.

Pour dissiper leurs inquiétudes, le gouvernement australien a donc modifié le mandat de la banque, en 2014, en créant un conseil d'administration vraiment indépendant. Les administrateurs ne peuvent être remplacés que pour des motifs valables et un quart d'entre eux sont recommandés par d'autres paliers de gouvernement.

Cette indépendance statutaire signifie que le ministre ne peut pas dicter à la banque la teneur d'une analyse ni l'obliger à autoriser des projets dont les résultats nets seront négatifs. Tout déploiement initial de ressources publiques doit être approuvé par le ministre de l'Infrastructure et des Collectivités ou par l'ensemble du Cabinet. Cette condition est absolument nécessaire pour garantir le niveau approprié de contrôle démocratique, mais l'approbation ministérielle doit être accordée dès le début du processus. Dès que la banque lance le processus d'approvisionnement auprès de partenaires privés ou gouvernementaux, elle doit avoir la capacité de conclure une transaction sans avoir à demander d'autres autorisations ministérielles; cela permet de gagner la confiance du marché dans le processus d'approvisionnement.

Bref, la proposition du gouvernement de créer une Banque de l'infrastructure est une excellente idée, à condition que les choses soient faites dans les règles de l'art; le projet de loi trace les grandes lignes d'une bonne proposition. Il faudra cependant prévoir d'autres sauvegardes institutionnelles. Quant à la meilleure façon de procéder, c'est une question importante que le comité devra se poser et examiner dans le cadre de son étude de ce projet de loi.

Je suis maintenant prêt à répondre à vos questions.

Le président : Je vous remercie beaucoup. La loi d'exécution du budget dont nous sommes saisis correspond-elle à votre définition d'une bonne gouvernance?

M. Dachis : Non, il y manque incontestablement des sauvegardes en matière de gouvernance. L'un des éléments clés de la gouvernance qui fait actuellement défaut dans ce projet de loi est l'indépendance du conseil d'administration. Il faut ajouter certains éléments, par exemple des mandats d'une durée déterminée et le pouvoir de mettre fin à un mandat seulement pour des motifs valables.

On ne voit pas grand-chose non plus dans la loi dans son état actuel, et on peut se demander si cela devrait être dans la loi parce que, en réalité, ce qui nous relie à la loi, c'est le processus de va-et-vient entre la banque et le gouvernement. Ce va-et-vient doit avoir lieu, mais la loi ne précise pas pour l'instant quand exactement le ministre peut intervenir, et on peut effectivement se demander si la loi devrait le préciser.

Les éléments relatifs à la gouvernance du conseil d'administration doivent absolument être précisés dans le projet de loi. Il vaut peut-être mieux que d'autres aspects de l'indépendance de la banque soient réglés dans le plan d'entreprise et relèvent de la pratique quotidienne et des modalités de fonctionnement informelles.

Le président : J'ai une autre question avant de passer à ma liste. La banque elle-même, ce qu'on appelle la Banque de l'infrastructure, s'agit-il vraiment d'une banque? Selon un chroniqueur, c'est très clair : il ne s'agit d'une banque que parce que le gouvernement fédéral peut employer le terme « banque », mais on n'y fait pas de dépôt, et elle n'a pas de relations avec la population. Elle fonctionne à l'égard de ces grands projets comme le ferait une administration. Mais nous avons entendu également des témoins nous dire ici que cette banque servira en fait à subventionner des projets pour qu'ils deviennent des occasions d'investissement. Autrement dit, à défaut de l'aide gouvernementale, ce sont de mauvais investissements, mais, avec l'aide gouvernementale, ce sont de bons investissements. Est-ce que nous devrions vraiment nous y prendre ainsi? Pourquoi avons-nous besoin d'une Banque de l'infrastructure pour cela?

M. Dachis : Oui, eh bien, tout d'abord, je dois dire que je suis entièrement d'accord. Le mot « banque » ne convient pas du tout. Il s'agit simplement d'une appellation qui donne l'impression de remplir une promesse électorale. Si on retourne à la proposition initiale formulée durant la campagne électorale, on voit bien qu'il s'agit de tout autre chose.

J'ai critiqué la proposition initiale, qui prévoyait que le gouvernement fédéral prête effectivement de l'argent aux paliers inférieurs de gouvernement à raison d'un taux d'intérêt moindre, ce qui, comme je l'ai déjà dit, est un très mauvais argument et une très mauvaise raison d'engager quelque dépense gouvernementale que ce soit.

Mais vous avez absolument raison, et la question qui suit est de savoir s'il s'agit effectivement d'un simple moyen de subventionner des projets, et c'est probablement le cas. Cela dit, il est bon de subventionner certains projets d'infrastructure. L'existence même d'infrastructures a des effets économiques plus vastes qui, dans certains cas, donnent lieu à des avantages plus importants que les bénéfices immédiats d'un entrepreneur privé.

Donc, cette Banque de l'infrastructure, si elle est bien conçue, peut servir à faciliter la réalisation de projets d'infrastructure qui, sinon, n'auraient pas existé, et cela peut avoir des répercussions plus générales que les avantages retirés par un entrepreneur, disons un propriétaire de pipeline ou de réseau électrique, sous la forme de retombées économiques plus générales, par exemple en matière de transport. L'infrastructure de transport a des retombées économiques plus vastes. C'est exactement le genre de projet, à condition qu'on y joigne un instrument de production de recettes, que la banque pourrait et devrait soutenir.

Le président : J'en viens à notre liste, en commençant par le sénateur Massicotte.

Le sénateur Massicotte : J'ai beaucoup de questions, mais je vais essayer de rester centré.

La question s'adresse aux messieurs qui sont ici présents. Vous avez entendu M. Dachis, de l'Institut C.D. Howe. Il a des améliorations à recommander à la Banque de l'infrastructure. Vous êtes tous en faveur de la banque. Vous pensez que c'est une bonne chose pour l'économie et pour l'efficacité et la compétitivité des entreprises, mais vous ne dites rien concernant la nécessité d'une plus grande indépendance. Comme vous le savez, il y a à cet égard deux écoles de pensée. Certains estiment que nous ne devrions pas procéder ainsi et que nous devrions investir des deniers publics et oublier le secteur privé, tandis que d'autres pensent que nous devrions tirer parti de l'argent que nous avons pour optimiser l'argent investi. Êtes-vous d'accord avec le type de gouvernance prévu dans la loi ou, sinon, quelles mesures précises recommanderiez-vous pour que cela marche?

M. Kingston : Dans l'état actuel des choses, nous sommes à l'aise avec la loi et avec la façon dont la gouvernance de la banque y est envisagée. À notre avis, l'expérience dira si cela fonctionne effectivement sans ingérence politique quotidienne. Nous espérons que ce sera le cas et nous pensons, du moins compte tenu des grandes lignes de la loi, que ce sera possible, mais je ne veux pas affirmer de façon définitive, car il faudra vérifier ce qu'il en est lorsque le système sera en place et fonctionnel.

Le sénateur Massicotte : La loi, dans sa formulation actuelle, prévoit que les projets devront être approuvés par le ministre, et celui-ci a depuis publiquement déclaré qu'il examinerait chaque projet. Veuillez en tenir compte dans la suite de votre réponse.

M. Greer : Pour faire écho aux remarques de Brian, je dirais que la loi, dans sa version actuelle, est une toile vierge. Tant qu'il n'y aura pas de leadership et que nous n'aurons pas pris connaissance des détails opérationnels, il est difficile de se faire une idée de la façon dont cela fonctionnera.

Pour en revenir à mes remarques sur ce que nous pensons que la banque pourrait faire pour donner de bons résultats à terme et qui n'est pas précisé pour l'instant dans son mandat en matière de renseignement et d'analyse, il faut voir comment les choses évoluent, et il se pourrait bien que nous constations que, si le gouvernement vide le plateau et en fait un moyen de faire avancer des projets à caractère politique qui auront été trop loin dans une direction, inversement, un gouvernement pourrait estimer que la banque est peu utile sur le plan stratégique et ne pas fournir le capital initial ou ne pas privilégier certains projets par le biais de la banque s'il considère que cela ne fait pas avancer ses objectifs stratégiques. Pour porter un jugement sur le plan proposé, il faut encore voir comment cela fonctionnera, comment cela marchera effectivement.

Le président : La banque, c'est cela. Pour autant que nous sachions, il n'y a pas d'autres mesures législatives. La loi applicable à la banque est celle que nous avons sous les yeux. Pensez-vous qu'elle suffit à garantir l'indépendance de la banque?

M. Greer : Désolé, je voulais simplement dire que nous ne saurons pas si le système fonctionne bien tant qu'il ne sera pas en place. L'idée de la banque et la loi ont un caractère tellement général qu'on a encore un peu de mal à savoir exactement le genre de projets et de financement privé que cela attirera, et je ne crois pas que le texte législatif puisse en dire beaucoup plus pour préciser les choses tant que tout cela n'est pas opérationnel. Pour nous, il s'agit d'attendre patiemment, de corriger et d'évaluer au fur et à mesure, afin de garantir que nous aurons en fin de compte la meilleure institution possible.

Le sénateur Massicotte : Permettez-moi une petite digression. Tout le monde est en faveur du nouveau centre d'investissement, y compris l'Institut C.D. Howe. J'ai un peu de mal à comprendre. Je suis d'accord avec l'idée qu'un guichet unique est plus efficace; on sait qui appeler et où obtenir l'information. Peut-être que quelque chose m'échappe. Je ne vois pas pourquoi nous créons une institution dotée d'un conseil d'administration distinct, un organisme de cette importance, aussi complexe, et que nous essayons d'en faire une entreprise distincte, alors qu'un tas de gens, tous les conseillers du système actuel ont fourni une aide extrêmement précieuse. Qu'en pensez-vous?

M. Brakel : Nous avons organisé des tables rondes dans l'ensemble du pays pour discuter avec des hommes d'affaires, à qui nous avons demandé ce qu'ils voulaient, ainsi que leur avis sur l'investissement direct étranger. Ils nous ont dit qu'ils voulaient quelque chose de spécialisé et pas simplement un autre ministère gouvernemental occupé à rédiger des documents pour expliquer que le Canada est un pays magnifique offrant de nombreuses possibilités. Ils voulaient des spécialistes vraiment compétents et aptes à prendre des décisions.

Si vous allez en Caroline du Sud parce que vous songez à y construire une usine de fabrication, il y aura quelqu'un pour vous accueillir à l'aéroport et vous informer : « Vous devez vous adresser à telle municipalité. Voici le zonage dont vous avez besoin. Vous devez parler à telle personne pour être raccordé au réseau électrique. » Ce sont vraiment des gens qui savent et qui peuvent vous informer et vous orienter.

Je pense que c'est ce que ces hommes d'affaires estimaient plus utile que de charger le Service des délégués commerciaux d'une autre série de tâches ou quelque chose comme ça. C'est pour cela que nous aimons bien l'idée d'avoir des spécialistes qui, au Canada, sauraient aider un investisseur en lui indiquant à quel palier de gouvernement et à quel bureau s'adresser, qui appeler, et cetera.

Le sénateur Massicotte : L'Institut C.D. Howe s'est-il prononcé?

M. Dachis : Non, pas au sujet de cette partie du projet de loi, non.

Le sénateur Tannas : Il arrive que certaines idées soient suffisamment vagues pour que, peut-être, tout le monde puisse y projeter ses propres désirs. Certains d'entre vous ont parlé de gouvernance indépendante et pensent que cela doit être enchâssé dans la loi. Voici la loi. Il n'y a rien d'enchâssé à cet égard. J'en reviens à ma question : est-elle suffisamment détaillée?

Je vais maintenant vous entraîner dans les considérations d'ordre politique qui sont les nôtres. Il s'agit ici d'un projet de loi d'exécution du budget. Il faut qu'il soit adopté pour de nombreuses raisons urgentes. Il semble familier. Je me rappelle que ce gouvernement, à l'époque de la campagne électorale, avait promis de ne pas faire cela parce que c'était un péché capital du gouvernement précédent. Et pourtant nous en sommes là, déjà au milieu du mois de juin alors que cela doit faire son chemin avant d'être présenté, et on nous demande d'accélérer la procédure.

Il y a donc une question d'ordre politique à examiner, et c'est la suivante : devrions-nous, nous sénateurs, donner une forme à cet aspect, dépêcher le reste du projet de loi pour que tout le monde soit payé et que les choses démarrent durant l'été, puis prendre le temps d'examiner la loi dans sa forme rudimentaire et tâcher de faciliter les choses? Est-ce suffisamment important à vos yeux pour que nous prenions le temps de veiller à ce que les choses soient bien faites ou y a-t-il des raisons urgentes que vous pouvez nous expliquer pour nous inciter à lâcher prise en estimant que la loi est suffisamment bonne?

M. Greer : La Chambre aurait bien du mal, me semble-t-il, à dire si ce groupe et le Sénat ont eu suffisamment de temps pour examiner intégralement ce qui lui a été présenté. Tout ce que je peux dire, c'est que, quand la promesse a été faite la première fois dans le cadre du programme libéral, quand le gouvernement a annoncé qu'il y donnait suite, quand il a fourni d'autres détails dans l'Énoncé économique de l'automne et quand nous avons pris connaissance de ce projet de loi, nous étions heureux d'y contribuer et d'avoir notre mot à dire au ministère, au ministre, au personnel du ministère et à l'équipe intérimaire chargée de s'occuper de ce projet à tous les stades et qui continuera de le faire, mais il nous serait difficile de dire si vous avez eu suffisamment de temps pour l'étudier.

Le sénateur Tannas : Voulez-vous dire que la loi est suffisamment bonne ou qu'il y a encore beaucoup de travail à faire? Je pense que c'est vous, en fait, qui avez dit que le principe d'indépendance devrait être enchâssé dans la loi.

M. Greer : Je pense que c'est au comité de déterminer s'il a eu suffisamment de temps.

Le sénateur Tannas : D'accord, merci. D'autres remarques?

M. Dachis : Je pense que Ryan a eu une bonne idée, à savoir que, quand on se demande quoi faire au sujet de cette loi et de la banque elle-même, il serait bon de laisser aller le projet, mais de l'examiner attentivement.

On peut proposer quelques éléments simples et qui ne prêteront probablement pas à controverse. Par exemple, on pourrait, dans un an ou deux, reconsidérer les choses et se demander si elles vont dans le bon sens, si la banque est suffisamment indépendante, si la structure du conseil d'administration doit être révisée, et cetera. Au lieu de laisser aller le projet tel quel et le considérer comme définitif, souhaitez-vous y imposer des modifications mineures comme celle-là, c'est-à-dire non pas nécessairement une disposition de temporisation, mais une disposition d'examen.

Le sénateur Tannas : Voilà qui est intéressant.

Le président : C'est un processus qui a fait ses preuves. Il me semble que les institutions gouvernementales ne disparaissent jamais — en tout cas c'est mon impression. Je suppose que cela arrive, mais il ne m'en vient pas à l'esprit pour l'instant.

Le sénateur Wetston : D'après mon expérience dans ce domaine, puisque je me suis occupé de réglementation applicable à des infrastructures, il me semble qu'il serait utile de favoriser le développement des infrastructures dans ce pays. Je pense même que c'est absolument nécessaire. J'aimerais que nous puissions aller plus vite, mais ce n'est malheureusement pas une réponse aux questions qui sont soulevées ici.

Monsieur Greer, est-ce que nous ne vous avons pas vu récemment dans le cadre de l'étude sur le corridor national?

M. Greer : En effet.

Le sénateur Wetston : Je vois que vous prenez l'habitude de venir nous voir. Sachez que vous êtes le bienvenu en tout temps, mais je me rappelle votre témoignage.

J'ai une question pour M. Dachis, et peut-être une autre pour tous les témoins ici présents. Lorsque je parle de ce projet à des gens de l'extérieur du Sénat, la question qui les préoccupe le plus est celle de l'indépendance. La gouvernance. Je crois que c'est le sujet qui est abordé ici, mais j'ai été un peu surpris, monsieur Dachis, de votre idée d'introduire un autre élément de réglementation en créant des organismes de réglementation indépendants également responsables de la surveillance de ces projets. Pourriez-vous expliquer ce que vous voulez dire et nous dire pourquoi vous croyez nécessaire d'élargir la surveillance dans ce domaine?

M. Dachis : Cela dépend du domaine. Dans certains cas, la concurrence suffit parfaitement à garantir que n'importe quelle entreprise privée agira dans l'intérêt de l'économie générale et ne se conduira pas en entreprise monopolistique. On peut penser, par exemple, à n'importe quel investissement dans les chemins de fer, dans le cadre duquel les entreprises privées exploitant, disons, entre Toronto et Montréal se heurteraient à la féroce concurrence des compagnies aériennes, des camionneurs, et cetera. Par contre, quand il s'agit d'investissements privés dans des domaines comme l'électricité, l'eau et un certain nombre d'autres de ce genre qui ont, par nature, un caractère très monopolistique, il faut absolument veiller à ce que ces secteurs soient réglementés.

Compte tenu de votre expérience à la Commission de l'énergie de l'Ontario, Howard, vous êtes bien placé pour savoir qu'un puissant organisme de réglementation peut protéger l'intérêt public, qu'il s'agisse d'une entreprise privée ou d'une entreprise publique. Il est important de rappeler qu'un organisme de réglementation indépendant peut garantir la protection de l'intérêt public, que le propriétaire appartienne au secteur privé ou au secteur public. En fait, il vaudrait mieux que les sommes investies dans des projets d'infrastructure viennent du secteur privé parce qu'on verra alors plus clairement que l'organisme de réglementation peut poursuivre les entreprises en cause si elles ne respectent pas les normes environnementales ou n'agissent pas dans l'intérêt public, alors que, s'il s'agit d'une entreprise publique, l'organisme de réglementation ne fera, en fin de compte, que poursuivre le contribuable pour financer des améliorations.

Le sénateur Wetston : Voilà matière à un débat plus long. Ce débat pourrait avoir lieu, mais pas ici. Ce que je veux dire pour l'essentiel, c'est qu'il y a déjà beaucoup de surveillance. Lorsqu'on essaie de construire quelque chose à l'échelle municipale, peu importe le type de projet d'infrastructure, la municipalité va largement participer au processus d'approbation. Cela ne fait aucun doute. Je sais ce qui vous inquiète. Je soulève simplement la question pour dire que l'on veut une procédure efficace et peu coûteuse au lieu d'ajouter une couche supplémentaire de surveillance à l'égard de ces projets. Nous pourrons avoir cette discussion une autre fois.

J'ai abordé cette question, monsieur le président, parce que je pense que c'est quelque chose dont je contesterais la viabilité ou la nécessité. Je comprends votre point de vue.

La question suivante s'adresse à ceux qui voudront bien y répondre. Lorsqu'on parle d'indépendance ici, on ne peut pas vraiment aborder la question de la même façon qu'on le ferait s'il s'agissait de désigner un organisme de réglementation indépendant qui serait susceptible d'assumer des responsabilités en matière de conformité et d'application de la loi et de remplir des fonctions quasi judiciaires. Ce n'est pas de cela qu'il s'agit. Cela est censé être un conseil d'experts qui offrent leurs compétences dans le cadre de projets susceptibles d'être financés à la fois par le gouvernement et par le secteur privé. Ma question — et n'importe lequel d'entre vous peut répondre — est la suivante : je vois bien l'importance de l'indépendance et d'une bonne structure de gouvernance, mais je ne suis pas sûr de comprendre pourquoi il est nécessaire d'avoir un modèle institutionnel indépendant au point où on le jugerait absolument nécessaire dans ce cas. Je me demande si l'un d'entre vous pourrait donner plus de détails.

M. Kingston : Permettez-moi de commencer. Selon notre point de vue, l'indépendance a trait à l'aptitude de la banque à analyser et à structurer les projets. C'est là que nous souhaitons qu'il n'y ait pas d'ingérence politique. La banque a besoin de pouvoir fonctionner sous la direction d'un directeur général et de choisir les projets qu'elle juge viables et dans l'intérêt du pays. Ce qui nous importe, c'est qu'elle soit totalement indépendante à cet égard.

Que le ministre des Finances doive approuver les garanties de prêt est tout à fait normal quand on songe aux sommes d'argent en question. C'est une question d'équilibre. La banque a besoin de fonctionner à titre indépendant, mais, quand il s'agit des fonds publics, il faut rendre des comptes.

M. Greer : Nous verrons avec les investisseurs si cet équilibre est possible. Les capitaux afflueront si les investisseurs pensent que la situation est dépolitisée à l'échelle opérationnelle, et ils n'afflueront pas si les investisseurs ont le sentiment qu'il n'y a pas d'indépendance. Les investisseurs et les capitaux investis ou non serviront de lampes témoins.

Le sénateur Wetston : Il faut éviter que la politique s'en mêle, c'est ce que vous voulez dire, en fait.

M. Greer : Oui.

Le sénateur Wetston : Et la commission d'experts fournira ce type d'expertise.

L'autre enjeu concerne la sélection des produits, parce que ce ne sont pas des projets habituels, facilement définissables. Quand de tels projets se présentent, qui prend une décision à leur sujet? De toute évidence, on y investira beaucoup d'argent.

M. Greer : Il faudra attendre de voir la suite, car en vertu du mandat de la banque, les propositions proviendront de différents niveaux de gouvernement. J'accepterai des propositions spontanées du secteur privé. Je ne comprends pas clairement comment ces dernières seront évaluées sur le plan opérationnel. Le ministre des Finances devra approuver toutes les garanties de prêt et tout le capital du gouvernement mis en jeu. Nous attendons toujours de voir à quoi ressemblera ce processus d'approbation.

M. Dachis : Nous voulons avoir une participation politique d'une manière ou d'une autre tôt dans le processus, mais une fois le projet approuvé dans ses grandes lignes, la banque a l'indépendance, dans le cadre de la prise de décision définitive, d'aller de l'avant.

Cela revient à la question entendue plus tôt sur la gouvernance, qui se trouve dans un document que nous allons publier incessamment. Nous allons recommander que la banque ne soit pas aussi indépendante que l'Office d'investissement du RPC, que le RREO ou qu'un organisme de réglementation indépendant. L'activité de cette banque est, par définition, politique. Le fait de prendre de l'argent de gens de Toronto ou de Timmins et de le réinvestir ailleurs constitue une redistribution qui est, en soi, politique. Cela nécessite un encadrement politique, contrairement à l'Office d'investissement du RPC, qui prend l'argent d'une personne et qui lui rend directement, sans qu'il y ait ce genre de redistribution.

La sénatrice Ringuette : Ma première question se veut une suite à votre témoignage, monsieur Dachis. À la page 3 de votre document, vous dites que l'élément conceptuel de base de l'infrastructure proposée... Et puis vous passez au numéro 1 et au numéro 2.

Au numéro 2, vous dites que le gouvernement fédéral devra normaliser la planification de ses projets et établir des paramètres constants de mesure coût-avantages et de mesure du risque. Pourtant, votre recommandation no 1 au gouvernement porte sur le fait que la banque ne devrait avoir qu'un seul objectif à son mandat, qui définirait clairement dans quels projets la banque devrait s'engager.

Vous voulez le beurre et l'argent du beurre. Vous dites que le gouvernement fédéral devrait normaliser la planification des projets, l'analyse des coûts et l'analyse du risque, mais en ce qui a trait à la gouvernance, cette banque doit décider seule à quels projets elle donnera suite. J'ai bien du mal à comprendre où vous vous situez en ce qui a trait à la participation du gouvernement fédéral dans la planification et la mise en œuvre, dans un contexte de gouvernance indépendante de la banque.

M. Dachis : Laissez-moi préciser ma pensée. Ce à quoi je fais référence dans cette deuxième proposition sur les paramètres constants est l'afflux de propositions d'investissement, de l'Ontario, de la Colombie-Britannique, de villes, tout ce que vous voulez. Il va falloir trouver une façon de comparer toutes ces propositions. La banque devrait présenter ce modèle de proposition, et de cette façon, elle pourrait décider, parmi les innombrables propositions qu'elle recevra, dans lesquelles elle devrait s'engager, car elle ne pourra pas donner le feu vert à chacun des projets pour lequel elle recevra une demande.

C'est ce que nous entendons par mandat. Son mandat devrait être que, une fois ces demandes reçues, elle ait une idée claire de celles dans lesquelles elle va investir. Est-ce que cela répond à votre question?

La sénatrice Ringuette : Oui. Pourtant, la semaine dernière, nous avons reçu un groupe d'experts qui disaient espérer que la banque recevrait de nombreuses demandes, mais on en doutait.

Deuxièmement, Infrastructure Canada a, pendant presque deux décennies, reçu des demandes et dressé une liste de celles-ci dans le domaine des infrastructures. Il existe déjà une liste de propositions que les banques doivent analyser sans ce déluge de demandes.

M. Dachis : Il faut des critères clairs quant à celles qu'elle retiendra. Qu'est-ce qui justifiera ses choix? Choisira-t-elle ceux qui vont dans l'intérêt public, sur la base de votre définition de l'intérêt public? Est-ce que l'intérêt public n'est pas la définition de ce que souhaite tout politicien au bout du compte? Est-ce que cela veut dire que le projet doit faire ses frais? Est-ce que cela veut dire un projet qui possède les plus grands avantages économiques ou les plus grands avantages économiques et sociaux? Il faut avoir des critères clairs quant aux projets à prioriser.

Le sénateur Enverga : Merci de vos témoignages. Il semble que le monde des affaires croie en l'idée d'avoir une Banque de l'infrastructure. J'ai entendu quelque chose qui me semble une bonne idée. Vous avez mentionné que nous devrions aller de l'avant, mais qu'il fallait se montrer patient, que c'était incertain.

Il y a également la question de l'indépendance. Il y a même eu une recommandation selon laquelle ce n'était peut- être pas lié — mais que ce pouvait également l'être — en ce qui a trait à l'élaboration d'un plan global d'élargissement de l'assiette fiscale et de baisse des taux, de sorte que l'on ouvre la voie à un plan détaillé et fiscalement viable pour équilibrer les budgets en se fixant un ratio dette-PIB et en s'y tenant.

Avec toute cette incertitude et ces questions sur l'indépendance, les gens d'affaires investiront-ils leur argent à ce moment-ci, ou attendront-ils d'avoir plus d'information?

M. Brakel : Notre défi, depuis toujours, est qu'on ne manque pas d'argent ici, au Canada. Nous avons des banques imposantes, des fonds de pension et des compagnies d'assurances. Quand nous avons demandé aux gens s'ils investiraient dans une Banque de l'infrastructure, ils ont répondu qu'en leur qualité de gestionnaire de fonds de pension, leur responsabilité de fiduciaire était de maximiser le rendement par rapport au risque qu'ils prenaient. Ils ont dit que la Banque de l'infrastructure pouvait les aider à ce chapitre.

Un projet d'infrastructure comme une usine de traitement d'eau ou un pont s'étale sur 25 ans, et il est très difficile à analyser pour une banque. Est-ce que les profits seront au rendez-vous? Ils seraient partants pour de très vastes projets. Mais il n'y a pas de cote de crédit ou de bilan comptable, ce qui complique l'analyse du risque. Et vu la nature de ces projets de longue durée, l'entreprise privée trouve difficile d'y investir.

Une Banque de l'infrastructure instituée par le gouvernement et financée par lui représenterait un moindre risque pour une entreprise canadienne ou un investisseur que ne le serait un simple projet d'infrastructure municipale à Saskatoon.

Le sénateur Enverga : Alors vous y investiriez parce qu'il y aurait une garantie que le public paiera, au cas où?

M. Braket : D'une certaine façon, c'est exact. Ça demeure une possibilité, qu'il y ait des garanties et que la banque vende des obligations. Une fois de plus, ça revient au fait que nous ne sommes pas certains de quel genre de projets cette Banque de l'infrastructure offrira. Elle pourrait offrir des obligations de l'infrastructure. Elle pourrait combiner un ensemble de projets de moindre envergure puis les vendre, ou elle pourrait envisager de gigantesques projets de ponts à 2 milliards de dollars et d'autres choses du genre, de sorte qu'un investisseur canadien puisse arriver et prendre une participation, mais le tout prendrait la forme d'obligations publiques garanties par le gouvernement. C'est là l'idée générale.

Si on se fie aux rapports de la Fédération canadienne des municipalités ou des associations d'ingénieurs, les besoins en infrastructures au Canada sont tellement énormes, de l'ordre de 800 milliards de dollars, que nous souhaitons attirer des fonds qui ne proviennent pas de nos contribuables. Si la Banque de l'infrastructure peut aider en ce sens, le monde des affaires l'appuiera.

Le sénateur Enverga : En conclusion, si on tient à faire quelque chose, les gens d'affaires participeront, car il n'y a pour eux aucun risque autre que celui de refiler la facture aux contribuables, qui se porteront garants dans le cas où l'entreprise échouerait.

M. Brakel : Dans le cas d'une garantie de prêt, la garantie vient du gouvernement, alors oui, cela réduit le risque, mais il y a d'autres façons. Le milieu des affaires pourrait investir dans des actions. Le principe est que la Banque de l'infrastructure attire plus d'argent pour les infrastructures. Il y a de nombreuses façons de structurer cela. Le secteur privé partagerait certains des risques, oui.

Le président : Avec des garanties de prêt, de quelle sorte de risque parlez-vous? Soyons sérieux. Si elle veut construire un pont, pourquoi la municipalité ne le construirait-elle pas tout simplement en le finançant par un péage? Pourquoi aurait-elle besoin de la Banque de l'infrastructure?

M. Brakel : Le coût d'emprunt est plus élevé pour les municipalités.

Le président : Vraiment?

M. Brakel : Le Canada a une cote AAA.

Le président : Presque tous les emprunts sont garantis par les gouvernements provinciaux. Du moins, c'est ainsi dans notre province.

M. Greer : Si je peux me permettre, le réel avantage réside dans le fait d'amener l'entrepreneur ou l'exploitant du secteur privé à se rendre compte, comme Ben y a fait allusion dans ses remarques liminaires, du coût réel du pont, du coût de cycle de vie du pont. Quand il est question de l'entretenir de la façon la plus efficace, la participation du secteur privé comme partenaire apporte de réels avantages, pas seulement pour la collectivité, pas seulement pour les contribuables, mais pour l'économie en général, car les actifs sont gérés non seulement comme des instruments servant à générer des revenus, mais entretenus pendant toute leur vie utile de 20 ou 30 ans.

Le président : Alors tout se joue sur le plan de l'expertise, et non du risque.

M. Greer : Je pense que c'est un peu des deux.

[Français]

Le sénateur Maltais : Je vais vous laisser le temps de mettre vos écouteurs. Vous voyez, c'est l'avantage d'être dans un pays bilingue.

J'ai écouté attentivement votre témoignage; je ne me base pas sur vos mémoires. Vous avez dit tous les trois que la mise sur pied d'une Banque de l'infrastructure vous semblait une bonne chose. On pourrait aussi appeler cela une société d'investissement, au fond, ce serait la même chose. Mais là où le bât blesse, c'est que vous ne savez pas comment elle fonctionnera. Vous attendez d'avoir la réglementation.

Ma question la plus importante concerne la gouvernance d'un tel organisme. Comme M. Dachis l'a fort bien dit, il faut que l'institution soit apolitique, il ne faut pas que le gouvernement puisse intervenir dans sa gouvernance. Au départ, les garanties de prêts seront approuvées par le ministre des Finances qui, à ce que je sache, n'est pas un fonctionnaire. Ensuite, c'est le ministre de l'Infrastructure qui décidera quels projets en feront partie. Il n'est pas non plus un fonctionnaire. Or, vous avez oublié quelqu'un : le ministre de l'Environnement. C'est elle ou lui qui prendra les décisions en ce qui a trait à la phase finale du projet. Demandez-le à certains sénateurs ici, ils vous en parleront longuement. Cela fait déjà beaucoup d'étrangers dans la boîte.

Selon ce que vous avez compris, est-ce que le projet de loi nous offre une garantie contre ce risque, à l'heure actuelle?

M. Brakel : Vous avez raison. C'est encore une question qu'on se pose. Certaines des mesures du projet de loi nous inquiètent, mais on attend de savoir comment cela va fonctionner. Une influence politique peut être positive, si c'est pour garantir des projets stratégiques au Canada, comme un énorme pont ou des projets qui sont de l'ordre de milliards de dollars.

Pour que la banque fonctionne et pour que le projet attire un financement du secteur privé, il faut qu'elle ait une certaine indépendance. Toutefois, comme M. Dachis l'a dit, nous croyons qu'il faut nécessairement qu'il y ait une certaine influence de la part du gouvernement. Implicitement, l'objectif de la banque est de créer de l'infrastructure au Canada. C'est un objectif politique.

Le sénateur Maltais : En fait, on peut faire un parallèle avec la première journée d'un enfant à la maternelle : le parent le tient par la main. C'est ce que vous me dites, et c'est aussi ce que je comprends du projet de loi.

Cependant, M. Dachis a dit quelque chose d'important : s'il y a des pertes dans un projet, c'est la banque qui absorbera le déficit. Or, la banque, c'est le gouvernement.

Dans la vraie vie, si la Banque Royale, par exemple, investit 100 millions de dollars dans un projet et qu'elle les perd, ce n'est pas l'ensemble des Canadiens qui subira la perte, c'est l'ensemble des actionnaires de la Banque Royale.

Le pont Champlain avait une structure de partenariat public-privé, qui incluait un péage. Le gouvernement a décidé de retirer le péage. Qui va compenser cette perte de profits? Est-ce la Banque de l'infrastructure? Est-ce qu'elle peut rétroagir?

M. Brakel : Toutes les banques ont des réserves. Une grande banque ou une grande institution qui fait des investissements subira des pertes, c'est normal. On s'attend à ce que la banque ait les capitaux et les réserves nécessaires pour subir des pertes qui pourraient survenir de temps en temps.

Le sénateur Maltais : Oui, je comprends, mais dans ce cas-ci, la réserve de la future Banque de l'infrastructure, c'est l'ensemble des contribuables canadiens.

Je vous remercie, monsieur le président, c'est tout.

[Traduction]

M. Kingston : J'aimerais juste faire valoir un point. Le Canada a de longs antécédents en ce qui a trait aux PPP et un bilan, à mon avis, très positif en la matière, alors je pense que nous sommes en bonne posture dans le monde des infrastructures pour mettre en œuvre ce genre de projet. Au cours des quelque 22 dernières années, il y a eu plus de 200 projets totalisant des dépenses de près de 100 millions de dollars. Bien sûr, il y aura toujours une part de risque dans des projets d'infrastructure à grand déploiement. Je pense que le Canada possède une expertise dans le domaine, et je m'attends à ce que certains de ces experts se joignent à la Banque de l'infrastructure. Nous sommes optimistes. Je ne veux pas spéculer sur la structure, sur les différentes ententes, cela dépendra des projets individuels, mais je pense que le Canada est en bonne posture étant donné son bilan avec les PPP.

Le président : La Banque de l'infrastructure sonnera-t-elle le glas des PPP?

M. Kingston : Absolument pas. Selon mon interprétation, les PPP pourraient continuer d'être financés par la banque. Ils ne le seraient pas nécessairement, mais ce n'est pas la fin des PPP.

M. Dachis : Il est très important de faire la différence entre le rôle de la banque et le rôle des PPP. Par le passé, les PPP ont fait ce que l'on voit ici au Canada, particulièrement en Ontario. Ils n'ont été que des investissements privés permettant d'amoindrir le risque pour les contribuables par la construction. Si le projet connaissait des dépassements de coûts ou des retards importants, les PPP, tels qu'ils sont structurés en Ontario, protégeraient le contribuable. Par contre, pour nombre des projets de PPP au Canada, le risque lié à la demande demeure le lot des contribuables. S'il n'y a pas assez de gens qui utilisent une route ou un métro, ce sont les contribuables qui paient.

La banque constitue une excellente façon de déplacer le fardeau du risque, en faisant soutenir un moindre risque aux contribuables et en le transférant aux entrepreneurs privés pour, disons, une nouvelle ligne de métro ou un nouveau projet générateur de revenus. C'est là une innovation importante que cette banque pourrait offrir.

Le sénateur Marwah : Je voudrais revenir au concept de la gouvernance. Monsieur Dachis, l'argument que vous avez soutenu est que l'un des critères de bonne gouvernance serait d'avoir un conseil avec un mandat à durée déterminée. J'ai travaillé pour l'entreprise privée toute ma vie et je n'ai encore jamais vu de conseil avec un mandat à durée déterminée. Aucun conseil ne fonctionne comme ça dans le secteur privé. Les actionnaires ont le droit de révoquer des membres du conseil si leur rendement n'est pas à la hauteur ou s'ils ne satisfont pas à certains critères. Pourquoi croyez-vous qu'ils devraient avoir un mandat à durée déterminée dans ce cas-ci?

Mon deuxième point est que les actionnaires ont le droit de révoquer un membre du conseil. Dans le cas qui nous occupe, le gouvernement est le seul actionnaire, alors pourquoi ne pourrait-on pas lui permettre de révoquer des membres du conseil s'ils ne satisfont pas à certaines exigences?

M. Dachis : De toute évidence, c'est un critère très clair, et pour cause. C'est le genre de critère que l'on retrouve dans la structure de gouvernance des directeurs de l'Office d'investissement du RPC, par exemple, c'est normal et ça devrait absolument constituer un critère de congédiement.

Quand il s'agit de comparer sociétés publiques et entreprises privées, on en vient vite à la question de l'ingérence politique comparée à l'ingérence des actionnaires. Ce sont deux choses fondamentalement différentes. Nous avons de nombreuses préoccupations quant à l'ingérence politique dans les projets d'infrastructure dans tout le pays et depuis longtemps, alors la motivation vient de là.

Le sénateur Marwah : Qui révoque le directeur? Si le gouvernement ne peut le faire, alors qui le peut?

M. Dachis : Le gouvernement peut les destituer pour une bonne raison, bien entendu, mais cela dépend des structures fondamentales de gouvernance de la banque et de l'adoption de paramètres de gouvernance appropriés. Quand elle propose un projet et qu'elle veut aller de l'avant, il faut qu'elle reçoive ce type d'approbation de la part du gouvernement. Cela tombe sous le sens, mais un conseil indépendant pourrait protéger la banque de l'ingérence quotidienne dans ses affaires.

Le sénateur Marwah : Je ne crois pas que quiconque soit en désaccord avec le fait qu'on ne puisse pas s'opposer au concept d'analyse du risque, à la décision quant aux projets que la banque peut ou ne peut pas prendre ou aux projets qui satisfont aux objectifs économiques. Mais on pourrait certes décider de destituer certains directeurs s'ils ne réussissaient pas le test. Votre seule question, donc, porte sur la cause. Vous croyez qu'il devrait y avoir une cause prédéterminée pour la destitution d'un directeur? Est-ce que c'est tout?

M. Dachis : C'est quelque chose que le comité pourrait examiner plus en détail, à savoir si cela constitue une épreuve appropriée ou si c'est un test trop difficile que l'on propose au gouvernement.

[Français]

Le sénateur Carignan : Ma première question s'adresse à M. Brakel. Vous avez répondu au sénateur Maltais en disant que, selon vous, le projet avait d'autres problèmes. Vous avez soulevé d'autres problèmes, d'autres inconvénients ou éléments qui vous inquiètent. Pourriez-vous nous citer ces autres éléments qui vous inquiètent?

M. Brakel : Notre inquiétude est liée à l'indépendance décisionnelle de la banque. Le fait que les garanties de prêts doivent être approuvées par le ministre était l'élément qui nous inquiétait principalement. Comment cela va-t-il fonctionner? Y aura-t-il un processus complexe pour présenter les projets au ministre? Il s'agissait de ce point.

Le sénateur Carignan : Vous avez vu dans le projet de loi, en parlant de l'indépendance de la banque, qu'elle est mandataire de la Couronne. Avez-vous examiné les conséquences juridiques liées au fait d'être un mandataire de la Couronne?

M. Brakel : En matière de...

Le sénateur Carignan : En matière de juridiction, en matière d'études environnementales, en ce qui concerne les projets dans lesquels la banque pourrait investir, par exemple, et aussi en matière de poursuites et d'immunité dans les poursuites contre la banque.

M. Brakel : C'est une très bonne question. Je ne suis pas avocat. Je ne crois pas qu'on ait étudié cette particularité des sociétés de la Couronne.

Le sénateur Carignan : Vous parlez de l'indépendance de la banque, mais vous n'avez pas couvert cette disposition qui stipule que la banque est mandataire de la Couronne. Vous parlez davantage du contrôle, de la nomination, des modalités, et ce sont des éléments suffisants pour vous inquiéter de l'indépendance de la banque.

M. Brakel : Ce n'est pas une inquiétude. Par exemple, Exportation et développement Canada et la Banque de développement du Canada sont des sociétés de la Couronne qui ont une certaine influence et des mandats gouvernementaux, mais qui fonctionnent de façon très indépendante. On a certaines inquiétudes quant au projet de loi. Toutefois, si la banque fonctionne très bien, comme EDC ou la BDC, on sera satisfait. Pour l'instant, il est difficile de prédire comment les choses vont se dérouler.

Le sénateur Carignan : Vous dites que la banque absorbera les pertes, que c'est la banque qui devra assumer la perte dans un projet, et que cela permettra d'inciter le secteur privé à investir. Ne devrait-on pas changer cette façon de faire, en faveur de la création d'une assurance d'infrastructures plutôt que d'une banque de l'infrastructure?

M. Brakel : Il y a une différence entre une garantie et une assurance.

Le sénateur Carignan : Une assurance tous risques signifie la même chose : vous investissez, et s'il y a une perte, vous l'assumez; s'il y a un profit, il me reviendra.

M. Brakel : Comme M. Kingston l'a expliqué, selon notre expérience, il y a très peu de pertes dans ce genre de projets d'infrastructure. Toutefois, cela peut se produire et, dans ce cas, on veut que la banque ait les réserves et le capital nécessaires pour absorber ces pertes.

Le sénateur Carignan : S'il y a très peu de pertes, pourquoi le gouvernement fédéral ne conserve-t-il pas la responsabilité des infrastructures? Pour le contribuable, ne serait-ce pas préférable?

M. Brakel : C'est simplement pour attirer beaucoup plus d'argent dans le domaine de l'infrastructure. On entend souvent dire que les fonds de pension au Canada investissent dans des ports en Australie ou dans des aéroports en Amérique latine. On aimerait que cet argent soit investi ici. On préfère que ce soit l'argent du secteur privé qui paie pour ces expansions plutôt que l'argent des contribuables. Si on regarde les sommes d'argent massives qu'il faut investir au Canada en infrastructure, on parle de plus de 800 milliards de dollars au cours de la prochaine décennie. Ce sont des montants énormes.

Si la Chambre de commerce recommandait que le gouvernement dépense encore 200 milliards de dollars en faveur de l'infrastructure, nous serions pris au dépourvu. Il s'agit de sommes énormes. C'est pourquoi nous voulons attirer le secteur privé.

Le sénateur Carignan : Ce n'est rien pour le budget du gouvernement du Canada, qui connaîtra un déficit de 30 milliards de dollars.

M. Brakel : On préfère que les déficits soient plus bas, et que les coûts liés aux infrastructures soient assumés davantage par le secteur privé que par le gouvernement et les contribuables.

[Traduction]

Le sénateur Massicotte : Essentiellement, ma question portera sur les intérêts. Nous avons reçu des témoins à ce sujet plus tôt, il y a quelques semaines de cela. Ils ne cessaient de parler des PPP et du succès de la privatisation des projets d'infrastructure, et ils mentionnaient souvent l'autoroute 407 à Toronto. Je ne suis pas de Toronto, alors quelqu'un de Toronto pourrait peut-être m'aider. En quoi l'autoroute 407 a-t-elle eu autant de succès et quelle leçon pouvons-nous en tirer? Mon attitude est quelque peu différente. S'ils ont eu autant de succès et fait autant d'argent, il me semble que ça n'a pas dû être un très bon projet pour les contribuables et que quelqu'un s'est fait avoir là-dedans. C'était peut-être tellement bon que de l'autre côté, on a cru que quelque chose avait dû clocher lors de la planification et de la structuration de l'investissement. Quelqu'un peut-il m'aider? Pourquoi ce projet a-t-il eu autant de succès ou pourquoi n'en a-t-il pas eu? Nous avons peut-être des leçons à tirer de ce projet.

M. Dachis : Je suis ravi de vous répondre, car je suis actuellement à Toronto. Merci encore de me laisser participer par vidéoconférence.

Le problème politique fondamental de la vente de l'autoroute 407 est que le gouvernement l'a construite lui-même, puis l'a vendue en bloc à un consortium de construction privé, qui a fini par le vendre à l'OIRPC et à d'autres partenaires. À la base, le problème était que sa valeur, après coup, était bien plus élevée que ce que le gouvernement avait obtenu avec la vente initiale.

Mais également, il y a eu un manque de compréhension des conditions selon lesquelles l'exploitant pouvait augmenter le péage, et le péage a augmenté un peu plus que ce à quoi les gens s'attendaient initialement. Alors, voilà pour la préoccupation politique.

Mais au bout du compte, ce projet est allé de l'avant, et il connaît beaucoup de succès auprès des voyageurs qui empruntent la 905. Dans les faits, nous avons assisté depuis à la construction de nombreux prolongements de routes à péage. Cela revient à ce que j'ai dit plus tôt à ce sujet devant un comité de la Chambre, qui était que l'absence de tarification pour les routes et l'absence de frais d'utilisation font en sorte que nous ne pouvons pas avoir de belles choses au Canada. Si nous avions recours aux frais d'utilisation comme c'est le cas pour la 407 pour de plus nombreux projets d'autoroute, si nous imposions des frais d'utilisation plus appropriés pour tout, de l'eau à l'électricité, en passant par le transport, nous aurions de bien meilleures infrastructures dans tout le pays.

La sénatrice Ringuette : Au bout du compte, j'imagine que l'on peut spéculer sur tout ce qu'on veut et comme on le veut, qu'il s'agisse de l'aspect financier ou de l'aspect politique ou de quoi que ce soit d'autre, mais je pense que monsieur Greer, vous aviez raison et monsieur Dachis, vous vouliez un processus d'examen. Il y a un processus d'examen dans la législation du ministre. Cet examen sera déposé pour étude dans les deux chambres, le Sénat et la Chambre des communes, alors il y aura un double examen tous les cinq ans de ce qui se fera. Si des redressements devaient être faits, je suppose que l'occasion se présentera au moins tous les cinq ans.

M. Greer : J'ajouterais simplement : la meilleure évaluation du risque politique que comporte la banque viendra des investisseurs eux-mêmes. Si nous n'avons pas structuré ce projet de façon équilibrée, nous le saurons avant cinq ans.

La sénatrice Ringuette : Exactement. Merci.

Le sénateur Wetston : J'ai une petite question. Je voudrais que nous reparlions des risques liés à ces projets. Je vais suggérer qu'il s'agit de projets qu'autrement, on n'aurait jamais construits. Si je comprends bien, la Banque de l'infrastructure doit encourager la construction de projets que ni le gouvernement ni le secteur privé ne veut assumer, mais qui sont importants — il peut s'agir de traitement des eaux usées, de ponts ou de routes.

Je sais que la question des frais d'utilisation est assez délicate. Nous nous sommes heurtés à ce problème dernièrement à Toronto dans le cas de l'hôtel Don Valley. L'occasion s'était présentée, mais malheureusement on ne l'a pas saisie. Je roule assez souvent sur l'autoroute 407 quand je suis à Toronto. Je ne peux pas répondre entièrement à votre question, mais je suis d'accord avec M. Dachis. En effet, si vous me permettez, monsieur le président, je trouve aussi que le problème découle du début de la construction, du financement et de la vente. Je vous dirais qu'à l'heure actuelle — mais je ne peux pas vous le confirmer —, cette autoroute est extrêmement utile, elle répond à un besoin important dans la région du Grand Toronto. Mais ses débuts se sont avérés assez difficiles.

Voici la question que je voudrais poser à M. Dachis, et peut-être aussi à M. Greer : qui assume les risques de la construction de ces projets? Qui assume les risques opérationnels? Pourriez-vous aussi m'expliquer — puisque ces situations se reproduisent souvent dans notre société — la différence entre les contribuables et les usagers? Parce que ces projets génèrent des recettes. Pourriez-vous nous expliquer ce concept en termes généraux et ce que vous pensez de la manière dont je viens de vous le décrire? Je pose cette question autant à M. Dachis qu'à M. Greer ou à quiconque se sent en mesure d'y répondre.

M. Greer : Dans le cas des projets P3 en général et des projets que l'on envisage de mettre en œuvre à l'aide de cette banque, on dispose d'une grande souplesse en établissant l'entente et en répartissant les risques. Mais en réalité, comme Ben le mentionnait dans son intervention tout à l'heure, ces projets ont l'avantage de partager le risque, de répartir le risque, d'étaler le risque, de souvent transférer le risque du secteur public au secteur privé. Dans le cas de la construction et de l'exploitation, suivant l'entente — conception et construction; conception, construction, exploitation — il y a bien des façons de répartir ce risque. À mon avis, la souplesse des différentes ententes P3 et de la banque permet de répartir le risque.

Le problème dans le cas de la banque réside dans le fait qu'avec l'intérêt des contribuables, certains projets généreront des recettes. Cependant, suivant la structure de l'entente et le type d'aide fournie par le gouvernement, l'apport des contribuables s'ajoutera à celui des usagers. Les structures actuelles des P3 offrent une grande souplesse, et cette banque en offre encore plus pour structurer ces types d'ententes.

M. Dachis : Pour vous donner un exemple bien précis des critères que la banque pourrait considérer, prenons le tout dernier budget du Québec. Les responsables ont anticipé la conception de la Banque de l'infrastructure en présentant leur proposition de ce qu'on appelle le REM. Il s'agit d'un réseau de métro léger qui traverserait toute l'île de Montréal. Les responsables de ce projet ont recommandé des modalités précises selon lesquelles le gouvernement fédéral partagerait sa participation avec la Caisse de dépôt. Cette dernière obtiendrait un certain taux de rendement et le gouvernement un taux différent. Le tout serait structuré par une sorte de financement subordonné. Donc, cette proposition précise de subventionnement accompagné d'un élément de frais d'utilisation est très particulière. En effet, ce modèle du REM comprend un élément de frais d'utilisation et un élément très novateur d'optimisation des valeurs foncières — qui en fait correspondent à des frais d'utilisation portant un autre nom. Il est vraiment intéressant d'examiner le potentiel de réussite de ce modèle.

M. Brakel : Permettez-moi de vous présenter rapidement un exemple de structure possible, celui de la proposition de VIA Rail pour son transport de voyageurs. À l'heure actuelle, il faut cinq heures pour se rendre à Toronto, parce que le train ne peut pas dépasser 50 miles à l'heure sur les rails des trains de marchandises qu'il emprunte. VIA pourrait construire un réseau spécial pour les trains de voyageurs. Ils iraient deux fois plus vite et vous amèneraient à Toronto en deux heures. Cela coûterait en tout entre 2,5 milliards et 4 milliards de dollars. Qui assumerait ces coûts? La Banque de l'infrastructure pourrait le faire, et VIA Rail pourrait émettre des obligations. La Banque de l'infrastructure pourrait les acheter toutes. Elle pourrait fournir à la société VIA Rail la garantie nécessaire puisqu'elle n'a pas de cote de crédit. Comme tout ce modèle est gouvernemental, comment se structure-t-il? VIA Rail pourrait vendre des actions à la Banque de l'infrastructure, ou le gouvernement pourrait donner 2 milliards de dollars à VIA Rail. C'est pourquoi nous désirons vraiment que la Banque de l'infrastructure offre de participer à un projet de cette envergure qui attire les fonds du secteur privé. Voilà le genre de projets pour lesquels la Banque de l'infrastructure serait extrêmement utile.

Le président : Oui, c'est très intéressant. Toute cette discussion est passionnante.

Le sénateur Massicotte : Voici ma dernière question, monsieur Dachis : David Dodge, l'ancien gouverneur de la Banque du Canada, a envoyé une lettre au ministre des Finances. Cette lettre est publique, nous en avons tous une copie. Il y parle d'un ton très négatif de l'inefficacité de la prise de décisions des politiciens, en ajoutant que les dirigeants municipaux choisissent souvent les projets en fonction de leur intérêt politique, qu'ils en font une grande promotion sans se soucier de l'absence d'utilité stratégique à long terme pour le Canada. Il recommande que l'on applique ce type de structure non seulement aux projets que financeront les 35 milliards de dollars dont vous parlez, mais aussi à ceux qui seront financés par les 90 milliards de dollars restants dépensés de concert avec les municipalités. Que pensez-vous de cette proposition, ou de cette suggestion?

M. Dachis : Je m'oppose pour différentes raisons aux malencontreux encouragements qu'apportent les subventions fédérales aux ordres de gouvernements locaux. Mais ce n'est pas le moment d'en débattre. Je considère la Banque de l'infrastructure comme une sorte de laboratoire de réflexion sur les moyens d'attirer plus de fonds privés pour les infrastructures. Nous pourrons ensuite chercher des moyens d'appliquer ces modèles dans d'autres situations.

Le président : Je remercie nos témoins.

J'ai le plaisir d'accueillir par vidéoconférence M. Colin Hansen, président et chef de la direction du groupe AdvantageBC. Je crois que vous allez nous parler de la division 20, la Loi sur Investir au Canada. Veuillez nous présenter votre allocution, après quoi les membres du comité vous poseront quelques questions.

Colin Hansen, président et chef de la direction, AdvantageBC : Merci beaucoup. Je comprends que les députés devront très bientôt retourner sur la Colline, alors nous sommes prêts à adapter la durée de notre comparution aux besoins du comité.

Je tiens à vous dire tout d'abord que je suis très heureux de comparaître à nouveau devant le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce. J'ai eu l'honneur de témoigner devant vous, il y a un peu plus d'un an, pour l'étude que vous meniez sur les obstacles au commerce interprovincial. Je félicite le comité d'avoir publié un si bon rapport.

Je vais vous rappeler un peu mes antécédents et celui du groupe AdvantageBC. Je travaille dans le domaine du commerce international et des relations internationales du Canada depuis les années 1980, alors que j'occupais le poste de vice-président de la toute nouvelle Fondation Asie Pacifique du Canada. En 1996, j'ai été élu à la législature de la Colombie-Britannique. J'y ai servi pendant 17 ans, soit 10 ans comme membre du Cabinet, trois ans et demi au poste de ministre des Finances et trois ans comme ministre du Développement économique.

Je me suis beaucoup penché sur la difficulté d'attirer des investissements directs au Canada. C'est en fait ce qui m'a amené au poste de président d'AdvantageBC il y a trois ans.

AdvantageBC est un organisme non gouvernemental, sans but lucratif et financé entièrement par ses membres, qui sont pour la plupart des entreprises. Nous avons pour mandat de promouvoir la Colombie-Britannique auprès de sociétés situées partout dans le monde. Nous la présentons comme un lieu favorable à l'exercice d'activités commerciales internationales, particulièrement dans le domaine des services financiers. Nous soulignons que pour développer un milieu de commerce international robuste dans une ville comme Vancouver, il faut offrir une base solide de services financiers aux entreprises. Nous y sommes parvenus avec beaucoup de succès au cours des années.

Nous nous concentrons beaucoup sur la région Asie-Pacifique. Vancouver est un portail vers la zone du Pacifique. Je rappelle souvent aux gens que l'Asie orientale est notre Proche-Occident, et non notre Extrême-Orient. Nous travaillons avec des entreprises et avec des investisseurs qui s'intéressent beaucoup au Canada. Ils reconnaissent les occasions extraordinaires que leur offre notre pays. Nous devons toutefois leur indiquer où se trouvent ces occasions et comment déterminer les avantages qu'ils pourront retirer en investissant chez nous. Nous collaborons avec ces entreprises pour les aider.

Je trouve que l'organisme Investir au Canada proposé dans la division 20 de ce projet de loi repose sur un excellent concept. Je suis convaincu qu'il comblera une lacune au Canada si nous le mettons en œuvre de la bonne manière. Rien ne me laisse penser pour le moment que sa création n'est pas sur la bonne voie. J'ai participé à d'excellentes rencontres avec des fonctionnaires ministériels à Ottawa et à Vancouver qui reconnaissent l'importance de certaines préoccupations. Je ne peux que continuer à avertir le milieu des affaires de la Colombie-Britannique de ces préoccupations, mais je pense qu'elles s'appliquent tout autant à d'autres régions du Canada.

Tout d'abord, l'organisme Investir au Canada doit compléter les activités que nous menons déjà. On ne ferait que gaspiller l'argent des contribuables en dédoublant les activités existantes. Je sais qu'en décrivant cet organisme, on parle souvent du rôle des commissions municipales de développement économique ainsi que des activités que mènent les gouvernements provinciaux pour attirer les investissements directs étrangers, mais il devrait aussi englober les nombreux organismes non gouvernementaux, comme AdvantageBC, qui jouent un rôle très important dans la promotion et l'accueil des investissements directs étrangers. Je pense à l'organisation sœur avec laquelle nous collaborons de très près sur les services financiers, Finance Montréal. Je peux aussi vous citer la Toronto Financial Services Alliance ainsi que l'organisme Calgary Economic Development, avec lequel nous collaborons de très près en faisant la promotion de l'image de marque du Canada dans le domaine des services financiers internationaux.

Mon autre recommandation est de structurer cet organisme selon un modèle bien décentralisé. Le Canada est très vaste. Plus notre promotion visant à attirer les investissements directs étrangers sera intense dans chaque région du pays, mieux nous servirons l'intérêt supérieur de la population.

Je vais conclure en vous présentant un exemple de collaboration qui, à mon avis, contribuerait à rehausser l'image de marque du Canada dans le monde. Il s'agit des organismes situés dans les quatre villes que j'ai mentionnées tout à l'heure : Finance Montréal, Toronto Financial Services Alliance, Calgary Economic Development et notre organisme à Vancouver.

Cette collaboration repose avant tout sur l'idée qu'au lieu de promouvoir Vancouver, Calgary ou Toronto aux dépens d'autres villes canadiennes, il serait bien plus avantageux de rehausser l'image de marque du Canada et d'afficher le drapeau canadien au lieu de promouvoir les intérêts de nos localités. En réunissant les fonds de nos quatre organismes, nous avons réussi à établir une présence considérable au Forum financier asiatique tenu à Hong Kong en janvier de l'année dernière. Nous avons ainsi pu promouvoir l'image de marque du Canada en expliquant pour quelles raisons il est avantageux d'investir chez nous.

Nous avons ensuite demandé au Conference Board du Canada d'examiner les points forts de chacun de ces quatre centres financiers canadiens. Personne n'avait mené une telle étude. On avait mené des études nationales sur des groupes d'organismes, mais pour promouvoir le Canada à l'étranger, nous devons comprendre chacun de ces centres et la façon dont leurs forces se complètent. Il me semble qu'en agissant ensemble, nous serons plus forts que la somme de nos efforts individuels.

Le Conference Board a publié ce rapport l'été dernier. Il s'intitule Travailler de concert : Les atouts des quatre grands centres financiers du Canada. Il nous permet de bien comprendre ce secteur, ce qui nous aide à rehausser l'image de marque du Canada dans le monde entier.

Le président : Les témoins que nous avons entendus ont souvent souligné le fait que dans nos ambassades et dans les bureaux de nos agents commerciaux, de nombreux représentants font justement la promotion de notre pays un peu partout dans le monde. Ces gens n'effectuent-ils pas déjà ce travail? Sinon, que font-ils donc?

M. Hansen : Nous collaborons de très près avec le Service des délégués commerciaux un peu partout dans le monde, mais surtout en Asie orientale. Je vous dirai que je suis très fier, comme Canadien, du service que nous recevons du personnel de nos ambassades et de nos consulats. Ces gens nous aident énormément à accomplir notre travail, et j'entends très souvent l'expression de cette satisfaction dans le milieu des affaires.

Mais la lacune réside dans le fait que quand nous trouvons un investisseur qui s'intéresse particulièrement au Canada, il nous demande si nous avons des mines en activité à vendre. Dernièrement, les investisseurs veulent acheter des sociétés de technologie. Nous constatons une tendance croissante à vouloir investir dans des sociétés technologiques en démarrage ou dans des entreprises reconnues dont le fonctionnement est bien établi.

Nous avons déjà un personnel canadien efficace sur le terrain qui aide ces investisseurs, mais il leur faut aussi quelqu'un au Canada qui les oriente et qui coordonne leurs intérêts auprès des organismes municipaux et provinciaux et auprès des organismes non gouvernementaux comme AdvantageBC. À mon avis, l'organisme Investir au Canada pourra assumer ce rôle avec beaucoup d'efficacité.

Le président : Si je comprends bien, cet investissement fédéral ressemblera à une société d'État dirigée par le Conseil du Trésor — un genre de société d'État relevant d'un ministère. L'organisme Investir au Canada sera passablement autonome, n'appartiendra pas à la fonction publique et engagera des personnes qui encourageront les investissements. Pourquoi ne créerions-nous pas simplement un poste dans les ambassades dont les titulaires se chargeraient uniquement d'encourager les investisseurs du pays où se trouve l'ambassade à placer des fonds au Canada? Pourquoi nous faudrait-il un organisme spécial et tout ce qui va avec?

M. Hansen : Comme je vous l'ai dit, je respecte profondément le travail que les fonctionnaires canadiens accomplissent au Canada et à l'étranger, mais d'après ce que j'ai entendu dire sur l'organisme Investir au Canada, on veut recruter des personnes qui aient un bon sens de l'initiative et une certaine expérience des affaires. On cherche des gens qui comprennent la façon de penser des investisseurs afin d'anticiper leurs besoins. On veut que leurs activités produisent les meilleurs résultats possible.

Cet organisme devra fonctionner avec beaucoup de souplesse et de résilience. Ses dirigeants devront être prêts à apporter leur aide en tout temps — pendant les week-ends, les soirées et longtemps après la fermeture des bureaux. Je ne dis pas que nos fonctionnaires n'en font pas autant, ils ont eux aussi de très longues journées, mais il nous faut des personnes qui possèdent une expérience pratique du milieu des affaires.

Le président : C'est assez intéressant.

Le sénateur Enverga : Il me semble que vous assumez le rôle que l'on se propose de confier à la Banque de l'infrastructure. Est-ce que je me trompe? Pourquoi aurions-nous intérêt à utiliser un organisme plus vaste, comme la Banque de l'infrastructure, au lieu de nous servir de ce que fait déjà votre organisme?

M. Hansen : Je ne prétends pas connaître le contexte dans lequel on a décidé de créer la Banque de l'infrastructure. Je n'ai pas suivi l'évolution de ce dossier avec autant d'attention que celui de l'organisme Investir au Canada. Toutefois, ce dernier vise à attirer des investisseurs qui soutiendront les activités canadiennes dans tous les secteurs, qu'il s'agisse d'agriculture, de technologie ou de ressources naturelles. Si je comprends bien, ses activités auront une portée bien plus vaste que la banque, qui se limitera aux infrastructures.

Le sénateur Enverga : Est-ce que votre organisme pose un risque quelconque pour les contribuables, ou est-il entièrement privé?

M. Hansen : Non. AdvantageBC est un organisme entièrement privé. Il est financé par ses membres. Nous ne recevons aucun financement du gouvernement. Nous accomplissons une fonction de marketing pour la province en cherchant à attirer les activités commerciales d'entreprises étrangères en Colombie-Britannique.

Le sénateur Enverga : Seriez-vous en mesure d'attirer ces investisseurs à une plus grande échelle, comme pour tout le pays, comme le ferait la Banque de l'infrastructure?

M. Hansen : Notre mandat se limite expressément à la Colombie-Britannique, mais nous collaborons de très près avec nos organisations sœurs situées dans d'autres villes canadiennes. Nous avons eu beaucoup plus de succès en menant ensemble certaines de ces initiatives que si nous avions essayé de le faire en poursuivant les intérêts de nos localités, surtout sur la scène internationale.

L'image de marque du Canada est très forte. Quiconque essaie d'attirer des investissements et des entreprises au Canada sans brandir notre drapeau national n'aura pas autant de succès.

[Français]

Le sénateur Carignan : Je vous écoute, et je me demande si notre marque de commerce est aussi forte. Quelle organisation, quel investissement doit-on faire pour renforcer la marque de commerce du Canada? Ma question sera plus spécifique. D'un point de vue pratique, vous nous avez dit que cela devrait nous aider lorsqu'un investisseur étranger veut savoir quelles sont les entreprises qui sont à vendre au Canada. Toutefois, je ne vois pas cet aspect dans le mandat du projet de loi. Est-ce que vous le voyez, vous?

[Traduction]

M. Hansen : Je vois dans ce projet de loi un cadre de fonctionnement de l'organisme. La plupart des propositions déposées au gouvernement dans un projet de loi deviennent des cadres de travail, et le défi consiste à les mettre en œuvre correctement. J'ai beaucoup aimé certains témoignages que nous avons entendus sur la Banque de l'infrastructure. Il me semble que nous nous trouvons dans la même situation; le cadre est prêt, mais tout dépendra de la mise en œuvre. Ce sera la clé du succès de ces deux organismes.

[Français]

Le sénateur Carignan : Dans cet exemple, si Investir au Canada renvoie simplement à la compagnie de courtage qui, elle, a l'information sur les entreprises qui sont à vendre et sur le secteur dans lequel elles se situent, les compagnies de courtage existent déjà. On se demandera peut-être comment on devrait établir un code d'éthique pour les membres qui veulent investir au Canada afin qu'ils ne fassent pas appel à leur compagnie de courtage préférée plutôt qu'à une autre. On risque d'avoir des problèmes.

[Traduction]

M. Hansen : Vous avez tout à fait raison. Comme je l'ai dit au début, en structurant le fonctionnement de cet organisme, il sera crucial d'éviter les dédoublements et, je vous le dirai franchement, de ne pas faire ce que le secteur privé accomplit déjà de façon plus efficace. Cependant, cet organisme a le potentiel de combler une lacune importante.

Il faut aussi reconnaître que les gens ne se précipitent pas dans un avion de tous les coins du monde pour venir demander d'investir au Canada. Il faut que nous profitions mieux de l'image de marque positive dont jouit le Canada à l'étranger et que nous placions le Canada sur la carte des marchés mondiaux.

Je vais vous donner un exemple. Le dernier forum sur les investissements directs étrangers s'est tenu à Shanghai. Ce forum mondial a lieu une fois par année à différents endroits dans le monde, mais il se tenait à Shanghai cette année-là. Je n'y suis pas allé, mais mon collègue d'AdvantageBC y était. Il décrivait aux investisseurs les occasions que leur offrait le Canada.

Les fonctionnaires des missions à l'étranger le font aussi, mais leurs budgets sont trop limités pour effectuer ce genre de promotion. J'espère que l'on affectera une partie du financement de l'organisme Investir au Canada à ce type de promotion afin que les investisseurs étrangers soient bien au courant de ce que le Canada peut leur offrir.

[Français]

Le sénateur Carignan : Vous avez dit que, lors des rencontres que vous avez eues avec les officiels, ils vous avaient assuré que l'organisation serait complémentaire à ce qui existe déjà. Qu'est-ce que les fonctionnaires vous ont dit quant au contenu de la loi? Ce que disent les fonctionnaires, ce n'est pas la loi. Est-ce qu'ils vous ont référé à des articles précis?

[Traduction]

M. Hansen : Nous n'avons pas discuté de dispositions particulières du projet de loi...

Le sénateur Carignan : Je vais finir de poser ma question, et vous comprendrez.

[Français]

Quels sont les éléments de la loi qui vous permettent de dire que l'organisation sera complémentaire et qu'elle ne remplacera pas ce qui se fait déjà? Vous avez dit qu'AdvantageBC faisait un excellent travail. Est-ce qu'on ne devrait pas plutôt donner davantage d'argent à AdvantageBC, par exemple?

[Traduction]

M. Hansen : Tout d'abord, AdvantageBC ne reçoit pas de financement du gouvernement, et cela depuis de nombreuses années. J'en suis très fier, parce que notre organisme est soutenu par le secteur privé qui bénéficie de notre travail.

Quand j'ai recommandé que cette initiative complète les activités existantes, je ne me basais pas sur des dispositions du projet de loi, mais sur ce que j'ai lu sur la manière dont le gouvernement envisage de structurer cet organisme. Comme je le disais, en discutant avec ces fonctionnaires, j'ai eu l'impression qu'ils comprenaient l'importance de ne pas dédoubler les activités existantes.

Le président : S'il n'y a pas d'autres questions, nous allons lever la séance. Merci beaucoup, monsieur Hansen.

M. Hansen : Merci à vous.

(La séance est levée.)

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