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BANC - Comité permanent

Banques, commerce et économie

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce

Fascicule no 39 - Témoignages du 26 avril 2018


OTTAWA, le jeudi 26 avril 2018

Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce se réunit aujourd’hui, à 10 h 33, pour étudier les enjeux nouveaux et émergents pour les importateurs et exportateurs canadiens dans les marchés nord-américains et mondiaux, et à huis clos, pour étudier un projet d’ordre du jour (travaux futurs).

Le sénateur Douglas Black (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bonjour. J’aimerais souhaiter la bienvenue à mes collègues et aux membres du grand public qui suivent aujourd’hui les délibérations du Comité sénatorial permanent des banques et du commerce, ici dans la salle ou sur la toile.

Je m’appelle Doug Black. Je suis un sénateur de l’Alberta et je suis président du comité.

J’invite mes collègues à se présenter.

Le sénateur Marwah : Sabi Marwah, de l’Ontario.

La sénatrice Unger : Betty Unger, de l’Alberta.

La sénatrice Wallin : Pamela Wallin, de la Saskatchewan.

Le sénateur Wetston : Howard Wetston, de l’Ontario.

Le sénateur Tkachuk : David Tkachuk, de la Saskatchewan.

La sénatrice Frum : Linda Frum, de l’Ontario.

Le président : Merci beaucoup. Nous avons évidemment l’aide de notre greffière et des analystes.

Aujourd’hui, le comité poursuit son étude sur les enjeux de compétitivité nouveaux et émergents auxquels les importateurs et exportateurs canadiens sont confrontés sur les marchés internationaux.

Le comité souhaite s’informer des répercussions possibles des développements sur la compétitivité des importateurs et exportateurs canadiens, ainsi que de la façon dont les importateurs et exportateurs canadiens et le gouvernement fédéral peuvent réagir à ces développements.

Je suis heureux de vous présenter les témoins qui ont été invités à présenter leurs observations à ce sujet en fonction du contexte réglementaire.

Par vidéoconférence à partir de Washington, nous accueillons Mme Laura Dawson, qui est directrice de l’Institut canadien au Wilson Center. Bonjour, Laura. En personne, nous accueillons M. Philip Cross, agrégé supérieur à l’Institut Macdonald-Laurier.

Merci à tous les deux de vous joindre à nous. Nous entendrons d’abord les déclarations préliminaires, en commençant par vous, madame Dawson. Puis nous passerons évidemment aux questions des sénateurs.

Laura Dawson, directrice, Institut canadien, Wilson Center : Bonjour. Je suppose que vous m’entendez bien. Il y a un peu de décalage de mon côté.

Merci, sénateur Black. C’est un plaisir de me joindre à vous et à vos collègues. Je vous prie de m’excuser; je souffre d’une laryngite qui s’apparente davantage à ce que j’appellerais une « ALEN-ite ». Il se passe tant de choses avec l’ALENA que j’en perds la voix à force d’en parler.

J’ajoute que je suis enchantée de comparaître avec M. Philip Cross. Phil est un analyste très sage et expérimenté qui fait preuve d’un grand dévouement envers la fonction publique. Je lis tout ce qu’il écrit.

Où en sommes-nous? Aujourd’hui, je tiens à parler de la protection de l’environnement d’affaires pour les importateurs, les exportateurs et les investisseurs canadiens.

Lorsque j’étais professeure de commerce, nous parlions des intérêts offensifs et défensifs liés au commerce. Les intérêts offensifs, ce sont les nouveaux marchés auxquels on veut avoir accès et les nouvelles occasions que l’on recherche. Le maintien et la protection des acquis représentent les intérêts défensifs.

À mon avis, le Canada a un excellent bilan sur le plan des intérêts offensifs dans le contexte d’une économie mondiale très perturbée. Le Canada, dont l’économie de taille moyenne est orientée vers les exportations, a pris des mesures très importantes. Plus particulièrement, je pense que sa stratégie axée sur le dynamisme et la diversification des accords commerciaux est excellente. Nous avons conclu le PTP... Je vous prie de m’excuser; j’habite à Washington, et j’ai toujours l’habitude de parler au « nous », car je suis une ardente patriote canadienne.

Nous avons conclu le PTP ainsi qu’un excellent accord avec l’Union européenne. Nous envisageons un accord avec la Chine. Nous diversifions nos activités en Amérique latine et nous sommes en train de renégocier l’ALENA. Le Canada est résolument tourné vers de nouveaux marchés, ce qui est à la fois bon et important.

Le Canada investit également, à l’échelle nationale, dans la recherche-développement, l’innovation, les nouvelles supergrappes, et cetera. Ce sont toutes d’excellentes mesures, comme le sont aussi les investissements dans les compétences, qui visent à donner aux gens des compétences adaptées à la nouvelle économie; les politiques d’immigration axées sur des gens qui ont des compétences recherchées au Canada; les mesures d’aide à la transition adaptées aux besoins des travailleurs et les mesures visant à attirer les travailleurs de métiers non traditionnels.

Ces mesures et l’accent mis par le Canada sur les technologies écologiques, les nouvelles technologies et l’intelligence artificielle font du pays un véritable chef de file. Toutefois, ce qui me préoccupe, c’est la faiblesse du jeu défensif du Canada. Pour faire une analogie avec le golf, je pense que nous sommes bien loin de la normale actuellement.

Je pense que le Canada se concentre sur l’économie qu’il aimerait avoir, mais sans nécessairement tenir compte de l’état actuel de l’économie mondiale. Il convient également de garder à l’esprit la réalité canadienne. Le Canada est une économie relativement petite axée sur les ressources et les exportations, et quelque 70 p. 100 de ses exportations sont destinés à son voisin, lui-même doté d’une économie énorme et très volatile.

À mon avis, il existe sur le plan des intérêts défensifs d’importants problèmes qui nuisent à la capacité du Canada d’importer, d’exporter, de maintenir des chaînes d’approvisionnement efficaces et d’attirer des investissements.

La perturbation Trump — si je peux l’appeler ainsi sans perdre mon emploi actuel au Wilson Center — a un effet considérable sur le Canada.

Je pense que le Canada a pris la bonne décision en acceptant de payer le prix associé à cette perturbation pour obtenir un ALENA solide et moderne.

L’incertitude des investisseurs a des répercussions pour les fournisseurs et entraîne de l’incertitude dans la chaîne d’approvisionnement, mais je pense que le jeu en vaut la chandelle si cela mène à un accord commercial modernisé dont le Canada, le Mexique et les États-Unis ont besoin pour être concurrentiels à l’avenir.

On constate en même temps que les États-Unis ont pris beaucoup de mesures arbitraires sur le plan commercial. Prenons à titre d’exemple les droits de douane sur l’acier et l’aluminium, et d’autres, qui semblent être des coups de semonce. Chaque semaine, de nouvelles mesures visant le Canada ont des répercussions sur les investisseurs. Les investisseurs internationaux se demandent s’ils veulent vraiment investir au Canada, tandis que les investisseurs canadiens s’interrogent sur la pertinence d’accroître leurs investissements au pays. Le Canada en paie le prix.

Le Canada subira aussi les conséquences de l’écart des taux d’imposition. La politique fiscale de l’administration Trump entraîne un important écart entre les taux d’imposition canadien et américain. Cette politique permet en outre la déduction à 100 p. 100 de dépenses en capital. L’économiste, ici, c’est Phil; il pourra vous donner d’excellentes explications à ce sujet.

Il va sans dire que cela a aussi pour effet de décourager les investisseurs ou de les inciter à se tourner vers les États-Unis.

Il y a aussi un écart lié au carbone. Le Canada est un chef de file mondial avant-gardiste de la lutte contre les changements climatiques, et c’est un aspect important. Cela dit, du point de vue des investisseurs, pourquoi investir dans un pays qui a les prix du carbone parmi les plus élevés en Amérique du Nord, alors que son principal partenaire commercial a mis un frein à son plan de réduction des émissions de carbone? Dans leur analyse des pressions concurrentielles, les trois grands constructeurs automobiles tiennent compte de pressions internes : Ford du Canada ne regarde pas du côté de GM et de Chrysler, mais plutôt du côté de la filiale de Ford en Indonésie, en Chine, peu importe, là où la tarification du carbone est plus faible. C’est donc un autre aspect qui nuit réellement à la compétitivité du Canada.

À cela s’ajoutent évidemment les goulots d’étranglement dans le secteur du transport. Je ne crois pas qu’il est nécessaire de souligner l’importance de l’engorgement du système ferroviaire, qui nuit au transport du grain et des fibres, ou de l’engorgement du réseau pipelinier, qui empêche le transport des produits énergétiques canadiens jusqu’aux ports de mer.

Le dernier aspect est le fardeau de la réglementation. Nous pouvons certainement faire quelque chose à cet égard. Plus nos entreprises exportatrices et importatrices auront à assumer les coûts liés aux formalités frontalières, comme les inspections et les formulaires, moins elles seront concurrentielles. Les plus durement touchées sont les PME, et ce, de façon disproportionnée. Nous fonctionnons toujours avec des formulaires papier pour les dédouanements à la frontière; il est temps d’utiliser des iPad.

En résumé, le coût des affaires augmente au Canada, ce qui détourne l’investissement et fait du Canada un pays moins attrayant à court terme pour les gens d’affaires. Ici aux États-Unis, je fais affaire avec beaucoup d’entreprises qui ont aussi des activités au Canada, et leurs dirigeants se disent préoccupés par la viabilité continue du climat d’affaires canadien.

J’aimerais aborder un dernier aspect pour terminer ces 10 minutes. Plus récemment, je consacre l’essentiel de mes activités à l’ALENA. J’aimerais prendre une ou deux minutes pour vous mettre à jour à ce sujet.

Je pense que le Canada fait un travail formidable à la table des négociations. La ministre Freeland, Steve Verheul et son équipe d’Affaires mondiales Canada forment une équipe des plus solides qui ne pourrait être mieux placée pour mener cette négociation dans un contexte si volatile, incertain et politisé. Soulignons que la négociation est difficile. Il y a deux semaines, les négociations étaient terminées pour seulement 6 des 32 chapitres, et nous sommes probablement rendus à 10 chapitres actuellement. J’ajoute que ces négociations sont au centre des préoccupations politiques des États-Unis. Par conséquent, nous traiterons peut-être sous peu des enjeux les plus difficiles, les « pilules empoisonnées ». À mon avis, l’impulsion n’est pas assez forte pour que les négociations se terminent plus rapidement que prévu, malgré la tenue prochaine des élections de mi-mandat au Congrès des États-Unis et l’élection présidentielle au Mexique. Nous devrons trouver le moyen de surmonter cette difficulté.

Je ne crois pas que le Canada sortira des négociations avec un ALENA affaibli, c’est-à-dire un accord moins solide demain que ce qu’il avait hier. Je pense que la ministre est déterminée à y arriver, mais étant donné la complexité des négociations et les nombreux aspects à régler, cela ne se sera pas réglé d’ici la fin de semaine, à mon avis. Je pourrais me tromper et être la risée de tous lundi, mais je ne crois pas que ce sera le cas.

Pour terminer, j’aurais un commentaire sur la compétitivité. Je répète que sur le plan des intérêts offensifs, le Canada a une excellente stratégie à long terme. À l’échelle internationale, le Canada prend d’importantes mesures, à juste titre, mais je suis vraiment préoccupée de constater qu’à l’échelle nationale, le gouvernement néglige les aspects qu’il devrait contrôler — ses intérêts défensifs — afin de se prémunir contre les perturbations associées à des facteurs externes sur lesquels nous n’exerçons aucun contrôle. Merci.

Le président : Merci beaucoup, madame Dawson. C’était un excellent exposé.

Monsieur Cross, allez-y, s’il vous plaît.

Philip Cross, agrégé supérieur, Institut Macdonald-Laurier : Merci de vos bons mots, Laura. Il y a six ans, lorsque je suis passé de la fonction publique au merveilleux monde des groupes de réflexion, j’ai rapidement appris que les gens intelligents comme Laura qui font les choses à temps valent leur pesant d’or. Je lui dois beaucoup.

Je vais rapidement lire la déclaration que j’ai préparée afin que nous ayons le plus de temps possible pour discuter.

Le rôle du Canada au sein du système commercial international est en grande partie défini par nos relations à l’intérieur de l’Amérique du Nord et en particulier avec les États-Unis, pays qui représente plus des deux tiers de notre commerce. Deux questions fondamentales se posent au sujet du rôle du Canada au sein du système commercial international. Premièrement, le Canada continuera-t-il de faire partie de l’Accord de libre-échange nord-américain? Si oui, quel rôle jouerons-nous à l’intérieur de ce bloc commercial régional? La réponse à la première question dépend des négociations sur les règles régissant le commerce. Quant à la deuxième, elle dépend de la compétitivité de nos coûts, largement ignorée en raison de l’accent actuellement mis sur les accords commerciaux.

En ce qui concerne le commerce mondial, en gros, trois régions dominent le réseau des chaînes d’approvisionnement qui assurent la distribution des biens intermédiaires : l’Europe, l’Amérique du Nord et l’Asie de l’Est. Comme l’a indiqué Richard Baldwin dans son livre intitulé The Great Convergence, il est faux d’affirmer qu’il y a des chaînes d’approvisionnement mondiales. Les matières premières, comme le pétrole brut, et les produits finis, comme les téléphones intelligents, voyagent bien d’un bout à l’autre du monde, mais les chaînes d’approvisionnement tendent à être très régionales. L’Amérique latine et l’Afrique ne font partie d’aucune chaîne d’approvisionnement régionale d’importance, une des raisons expliquant le retard de développement de ces continents et l’inutilité de faire partie du Mercosur.

Chacun des trois principaux blocs commerciaux est composé à la fois de pays riches qui conçoivent et contrôlent les chaînes d’approvisionnement et de pays à bas salaires qui produisent les biens dont la valeur ajoutée est inférieure. Les producteurs d’Europe occidentale, notamment l’Allemagne, externalisent leurs activités vers les pays à bas salaires en Europe de l’Est. Les pays asiatiques prospères, notamment le Japon, ainsi que l’Australie, impartissent certaines parties de leur processus de production aux pays à bas salaires comme la Chine. L’externalisation vise non pas les pays d’outre-mer, mais les pays voisins, car l’objectif est de réaliser des économies en coûts de déplacement du personnel, notamment pour superviser la production, lesquels sont encore élevés par rapport au coût de transport des marchandises.

Penser que la place du Canada dans le système commercial international peut se définir autrement que par l’ALENA tient du rêve. L’accroissement du commerce outre-mer est toujours bénéfique, mais nous sommes fondamentalement et intimement liés à la chaîne d’approvisionnement nord-américaine, et nos relations avec les États-Unis continueront d’être déterminantes pour l’avenir commercial du Canada. Notre place dans le commerce nord-américain découle à la fois des règles qui régissent le commerce et de notre capacité de livrer concurrence dans le respect de ces règles. Négocier des accords commerciaux en ignorant notre structure de coûts serait la pire stratégie commerciale qui soit.

Le rôle du Canada dans la chaîne d’approvisionnement nord-américaine a beaucoup évolué au fil du temps, ce qui démontre que la compétitivité des coûts est aussi importante que les règles régissant le commerce. Durant les années qui ont suivi la mise en place de l’Accord de libre-échange initial avec les États-Unis en 1988, avant que le Mexique ne se soit joint à l’accord, le Canada est devenu de facto le producteur à faible coût des États-Unis, car la constante régression de notre taux de change avait provoqué l’expansion soudaine des industries d’exportation produisant des biens de consommation bon marché au Canada. Le taux de change avait tellement contribué à réduire les coûts de production au Canada que même l’entrée du Mexique dans l’ALENA en 1994 n’avait pas ralenti la croissance de ces industries, un pari risqué qui reposait trop sur le maintien d’une structure de coûts bas et la faiblesse du huard.

Cela a entraîné une distorsion démesurée dans le développement économique du Canada en faveur des exportations durant les années 1990. Profitant d’un dollar faible, notre secteur manufacturier s’est spécialisé dans les industries à bas salaires. Facteur négligé à l’époque, le Canada a été le seul pays du G7 qui a connu des hausses de l’emploi manufacturier au cours des années 1990. Cela montre à quel point il était devenu rentable d’absorber avec des dollars canadiens les coûts de production et les salaires des travailleurs embauchés pour gagner des revenus d’exportation en dollars américains. Même les entreprises de haute technologie comme Nortel ont exploité cette stratégie.

Parallèlement, notre secteur du pétrole et du gaz s’est développé rapidement, favorisé par l’accès garanti au marché américain découlant des accords de libre-échange, et ce, après des décennies de quotas et de restrictions au commerce imposés par les gouvernements du Canada et des États-Unis. On oublie que les États-Unis ont interdit les importations de gaz naturel dans le cadre d’une stratégie peu judicieuse visant à favoriser le développement des industries du secteur sur le territoire américain après la crise énergétique de 1974.

La place du Canada dans la chaîne d’approvisionnement nord-américaine s’est amenuisée lorsque la structure de coûts a commencé à se dégrader rapidement au pays après 2002 tandis que le dollar canadien revenait à la parité égale avec la devise américaine, que les gouvernements relevaient les coûts de l’énergie et de la main-d’œuvre et que les réglementations environnementales étaient renforcées, et ce, au moment même où la Chine adhérait à l’Organisation mondiale du commerce. Soudainement, les producteurs de biens de consommation bon marché, notamment de vêtements et de meubles, n’ont plus été capables de soutenir la concurrence, et ces industries ont vite disparu ou se sont déplacées vers l’étranger.

Les industries manufacturières axées sur les ressources naturelles et les biens d’équipement, qui versent toutes deux des salaires élevés, de même que certains actifs ayant survécu dans l’industrie automobile, allaient désormais monopoliser l’activité manufacturière au Canada. La forte baisse des exportations et l’abandon des « malinvestissements » dans la fabrication nous rappellent le point de vue éclairé de John Crow, ancien gouverneur de la Banque du Canada, lorsqu’il a affirmé qu’il n’est pas avisé de promouvoir une politique favorisant les mouvements à la baisse du taux de change, même s’ils semblent bénéfiques à court terme.

L’évolution du rôle du Canada dans la chaîne d’approvisionnement nord-américaine permet de préciser ce qui est en jeu dans la tourmente qui secoue nos présentes négociations et ententes commerciales. Bien que les accords commerciaux avec l’Europe et l’Asie soient importants pour nos producteurs de ressources naturelles et nos consommateurs d’importations, nous ne pourrons jamais faire partie intégrante de leurs chaînes d’approvisionnement. Le Canada est tout simplement désavantagé par sa position géographique et sa structure de coûts trop élevés.

L’avenir commercial du Canada dépend du créneau de marché que le pays pourra cibler dans la chaîne d’approvisionnement nord-américaine. Malgré la dépréciation du dollar après 2014, nos exportations ont stagné parce que nos coûts élevés et notre faible productivité limitent de façon croissante notre rôle dans la production de matières premières, l’achat de produits finis et la fourniture de gros biens d’équipement, comme l’aérospatiale et certains équipements de haute technologie. Cela indique à quel point il est fondamental de renégocier l’ALENA avec succès et d’abaisser nos coûts, la seule façon d’élargir la gamme de produits que nous exportons.

Ce qui complique la conclusion des accords commerciaux entre le Canada et d’autres pays, c’est que le gouvernement insiste sur une « approche progressiste » qui dégradera inévitablement notre structure de coûts. Ce gouvernement affirme qu’il ne signera pas un mauvais accord commercial. Accepter des accords commerciaux tout en imposant à nos entreprises des coûts plus élevés serait encore pire; nous aurions accès aux marchés d’exportation, mais serions incapables de rivaliser avec nos concurrents.

Plus fondamentalement, les accords commerciaux ne sont utiles que pour inciter un pays à devenir plus efficace en utilisant les meilleures technologies et les techniques de gestion les plus nouvelles. À long terme, ce qui détermine la prospérité d’un pays n’est pas l’efficacité acquise au moyen du commerce, mais sa capacité à maîtriser ce que Schumpeter a appelé la « destruction créatrice », force au cœur de l’innovation.

Comme l’a formulé Deirdre McCloskey dans sa trilogie sur la bourgeoisie et la croissance économique, le capitalisme et l’innovation s’épanouissent dans les cultures où l’esprit d’entreprise et les affaires sont valorisés et encouragés. Les mots et les attitudes comptent.

Le public canadien soutient le libre-échange uniquement avec les pays du G7, un bon point de départ. Cependant, à moins que nous puissions développer une culture qui encourage davantage les entreprises à développer leurs capacités, y compris pour les pipelines, le Canada devra continuer de lutter pour réussir en matière de commerce. Si notre niveau de vie continue de prendre du retard par rapport à celui des États-Unis, les Canadiens commenceront inévitablement à remettre en question leur appui à la libéralisation des échanges.

Le président : Merci beaucoup, monsieur Cross.

La sénatrice Stewart Olsen : Vos deux exposés étaient très intéressants. Madame Dawson, comme vous le savez, nous allons produire un rapport et nous espérons que le gouvernement va y porter attention. À votre avis et de mémoire, quelles seraient les trois premières choses que devrait faire le Canada, à court terme peut-être, pour mieux défendre sa compétitivité?

Mme Dawson : Merci, sénatrice Stewart Olsen. J’ai toujours une liste numérotée en tête.

Supposons que le commerce va aussi bien que possible en ce moment. Le Canada devrait maintenir le cap, sans réagir impulsivement aux mesures annoncées, par exemple les tarifs sur l’acier et sur l’aluminium, qui pourraient le forcer à faire des concessions hâtives pour des industries clés. Comme je le disais, disons que le commerce se porte très bien.

Je le répète, je suis très préoccupée par la situation fiscale des Canadiens. Le gouvernement du Canada devrait jouer de prudence et se parer aux mesures fiscales annoncées aux États-Unis — notamment la radiation des frais liés aux biens d’équipement pour les manufacturiers américains — et planifier très soigneusement la mise en œuvre de son plan de réduction du carbone. Je comprends que l’intention est d’éviter tout impact négatif sur les revenus et la compétitivité des entreprises. Cependant, il y a souvent tout un monde entre l’intention et le résultat final. Nous n’avons pas vraiment le temps de nous inquiéter de la mise en œuvre.

J’ai déjà parlé des goulots d’étranglement dans les transports, alors je vais passer au troisième point tout de suite, c’est-à-dire le fardeau réglementaire.

Le Canada a fait du bon travail avec le Conseil de coopération en matière de réglementation, une initiative du gouvernement Harper. Le ministre Scott Brison est à la tête du projet, auquel son équipe travaille très fort. Elle collabore avec les États-Unis pour réduire les formalités administratives et les inspections, et simplifier les règlements harmonisés, lorsque c’est possible. C’est principalement les biens de consommation, les produits alimentaires et les marchandises en général qui sont visés.

Savez-vous où nous avons failli à la tâche? C’est avec l’initiative Par-delà la frontière. Il s’agissait d’un projet en collaboration avec les États-Unis visant à faciliter et à accélérer le transport transfrontalier des marchandises. Il prévoyait différents programmes pilotes, portant notamment sur le dédouanement préalable et le transport efficace des passagers.

Nous avons conservé les programmes faisant partie de l’initiative Par-delà la frontière. Ils sont toujours assurés par différents ministères fédéraux. Par contre, nous avons perdu cet élan politique et l’investissement de ressources qui l’accompagnaient, et il n’y a plus cette pression exercée sur les États-Unis pour qu’ils travaillent de concert avec le Canada. Lorsque les hautes sphères usent de leur influence, les choses bougent. Mais c’est terminé. Cela m’étonne vraiment, étant donné l’importance du commerce transfrontalier.

La sénatrice Stewart Olsen : Merci beaucoup.

Monsieur Cross, voulez-vous ajouter quelque chose là-dessus?

M. Cross : Rien de particulier. Seulement, il ne faut pas négliger l’importance des signaux qu’envoient les gouvernements au milieu des affaires. On ne cherche pas la perfection, mais quand on voit des échecs à répétition… des projets de pipelines qui avortent, l’augmentation abrupte du salaire minimum sans trop de préavis aux entrepreneurs, notre structure réglementaire et fiscale qui perd du terrain par rapport aux États-Unis… Bref, quand tout va de travers, cela envoie un message peu reluisant.

On peut se permettre une ou deux erreurs, mais il ne faut pas perdre la confiance des entrepreneurs, qui est à un bien bas niveau au Canada, surtout en Ontario. Aux États-Unis, c’est tout le contraire.

Vous voulez savoir si quelqu’un est antifrancophone? Posez la question à un francophone. Si le racisme est bien vivant? Demandez-le à un membre des minorités visibles. Si vous voulez savoir si le gouvernement a fait ce qu’il faut pour le monde des affaires, parlez à un entrepreneur.

Je crois que les entrepreneurs ont été très clairs : nous avons manqué notre coup à bien des égards au Canada.

La sénatrice Wallin : Vous avez tous les deux soulevé la question. Hier, nous avons entendu le témoignage du gouverneur de la Banque du Canada. Nous avons passé en revue les différents facteurs, et nous en avons abordé quelques-uns aujourd’hui : un dollar faible, des taux d’intérêt bas et une réduction des impôts. Comme vous l’avez dit, Laura, le commerce transfrontalier est en crise. Nos exportations de produits non énergétiques vers les États-Unis ont connu une forte baisse. Nous vendons nos ressources à rabais.

J’aimerais avoir vos commentaires, à tous les deux. Je sais que vous êtes plutôt du type optimiste, Laura, mais pourquoi les États-Unis auraient-ils besoin d’un accord commercial avec le Canada, compte tenu de tous ces facteurs?

Mme Dawson : C’est une excellente question. Pendant des siècles, nous nous sommes affiliés aux États-Unis. Nos chaînes d’approvisionnement sont grandement intégrées. Il est impossible d’extraire un œuf d’une omelette pour le remettre dans sa coquille. Nos secteurs automobile et agroalimentaire sont liés de très près à ceux des États-Unis. Le Canada demeure le marché le plus facile d’accès pour les États-Unis. Le Canada est la destination de choix pour les petites et moyennes entreprises américaines qui se lancent dans l’exportation. La proximité et le fait que nous partageons la même culture et les mêmes valeurs commerciales pèsent lourd dans la balance.

Parallèlement, le Canada, par l’entremise de ses accords commerciaux et d’initiatives comme celle du Conseil de coopération en matière de réglementation, a harmonisé ses cadres réglementaires à ceux des États-Unis, alors c’est un peu comme faire des affaires à la maison. Les exportateurs et entrepreneurs sont sensiblement confrontés aux mêmes réalités, d’un côté comme de l’autre. C’est donc facile pour nous de transiger avec eux. Il est beaucoup plus difficile pour les États-Unis de faire des affaires avec un autre marché, quel qu’il soit. Les traditions et l’intégration des institutions jouent en notre faveur.

Des sénateurs, comme vous, font du bon travail pour rappeler aux premiers ministres et aux délégations commerciales en visite aux États-Unis, ainsi qu’aux États-Unis eux-mêmes, à quel point cette relation est importante et dans quelle mesure nos marchés sont intégrés.

Nous sommes l’un et l’autre notre plus grand partenaire commercial. Le Canada est le plus grand marché d’exportation pour les États-Unis. Malheureusement pour nous, tout n’est pas proportionnel. Environ 20 p. 100 de notre PIB provient de nos échanges commerciaux avec les États-Unis, par rapport à moins de 2 p. 100 pour le commerce au Canada.

Les États-Unis ont besoin d’alliés dans le monde. Le Canada peut garder son statut d’allié, mais parbleu, il doit absolument faire preuve d’une grande créativité et d’une fabuleuse résilience pour maintenir ces liens à l’heure actuelle.

M. Cross : Je suis d’accord. Nos échanges commerciaux sont importants pour les États-Unis, mais cet accord est vital pour le Canada. Nous le constatons dans nos négociations.

Les États-Unis sont plus catégoriques que jamais dans leurs demandes. À preuve, dans l’accord original de libre-échange avec les États-Unis, nous avions réussi à protéger quelque 25 p. 100 de notre économie dans les secteurs des télécommunications, de la commercialisation, des banques, de la culture, et cetera. Nous avions obtenu bien des choses. Aujourd’hui, les États-Unis se rebiffent et exigent plus en retour.

La sénatrice Wallin : Et nous en sommes là.

M. Cross : Nous en sommes là, et honnêtement, ils vont gagner, car nous avons besoin de cet accord.

Le sénateur Tkachuk : Monsieur Cross, vous avez dit que la modernisation de l’accord de libre-échange était une bonne chose. Vous pourrez peut-être m’aider à comprendre, tous les deux. Vous y avez fait allusion, monsieur Cross, en mentionnant que les États-Unis avaient obtenu une bonne partie de leurs demandes avec l’accord de libre-échange. Le temps est peut-être venu… Ou plutôt, le Canada a obtenu une bonne partie de ses demandes. Les États-Unis pourraient vouloir se reprendre, maintenant.

Pourriez-vous me dire quelles sections mériteraient d’être revues? Et comment vont les négociations, selon vous? Nous ne le savons pas trop, mais vous avez peut-être une exclusivité pour nous. Pensez-vous que les États-Unis vont accroître leur capacité commerciale à nos dépens?

M. Cross : Laura est l’experte en la matière, mais rapidement, je peux vous dire que, par exemple, Internet n’était pas ce qu’il est à la conclusion de l’ALENA, en 1994. À l’époque, les droits de propriété intellectuelle n’avaient pas la même proéminence qu’aujourd’hui. De toute évidence, ces ententes doivent être actualisées. Nous avons manqué notre chance. Nous aurions pu moderniser beaucoup de ces sections avec le PTP, mais comme les États-Unis s’en sont retirés, le seul moyen de le faire reste par l’entremise de l’ALENA. C’est le seul instrument qui nous permet encore d’intégrer ces nouvelles technologies et de nouvelles idées. Je vais laisser Laura vous répondre plus en détail.

Mme Dawson : Merci. Il y a deux ou trois voies dans ces négociations. On entend souvent parler de la voie politique. Il s’agit de ces nouvelles « pilules empoisonnées », ou pour reprendre l’expression de Chrystia Freeland, des « problèmes non conventionnels ». On parle d’une règle d’origine dans le secteur automobile qu’aucun fabricant nord-américain n’arriverait à respecter, d’une disposition de temporisation qui rendrait l’entente caduque au bout de cinq ans, d’une offre d’approvisionnement publique de la part des États-Unis qui est très loin d’égaler ce dont le Canada bénéficie avec la version actuelle de l’ALENA ou avec l’OMC. C’est aussi le saccage du mécanisme de règlement des différends, au chapitre 19, dont le Canada a besoin pour le bois d’œuvre, chapitre 20, et chapitre 11, mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États.

Ce sont les enjeux politisés et ceux dont nous entendons le plus parler. Toutefois, ces questions ne reçoivent pas beaucoup d’appui du milieu des affaires aux États-Unis. Ces questions ne reçoivent pas beaucoup d’appui des membres du Congrès. Ce sont des enjeux politisés qui sont soulevés pour faire plaisir à la base électorale qui a élu le président Trump. Il faut réussir à gérer ces enjeux, parce que c’est ce qui met du sable dans l’engrenage pour la suite des choses, mais ce ne sont pas vraiment les questions les plus importantes du point de vue économique.

Les questions les plus importantes du point de vue économique sont les grands enjeux dont il a toujours été question dans nos négociations avec les États-Unis : l’accès au marché, l’agriculture, les obstacles techniques, les mesures sanitaires et phytosanitaires ainsi que les aspects ayant trait à la modernisation dont a parlé Phil.

Bon nombre d’éléments liés à la modernisation découlent du Partenariat transpacifique. Nous avons déjà conclu des accords avec les États-Unis et le Mexique sur ce qui se trouve dans le Partenariat transpacifique. Nous pouvons penser à la modernisation numérique, aux pratiques exemplaires en matière de réglementation, à ce que nous appelons la facilitation des échanges, ce qui est un euphémisme pour parler de l’amélioration des pratiques à la frontière, aux sociétés d’État, et cetera. Nous sommes d’accord concernant bon nombre d’éléments. Nous l’avons déjà fait dans le cadre du Partenariat transpacifique. Comme les États-Unis ne peuvent pas se prévaloir de ces dispositions du Partenariat transpacifique, nous voulons donc les inclure dans l’ALENA.

La grande ironie dans tout cela, c’est que nous nous entendons tous pour dire que les aspects, dollar pour dollar, qui seraient utiles aujourd’hui à l’économie canadienne sont principalement de bons éléments : les pratiques exemplaires en matière de réglementation, les mesures douanières à la frontière, la modernisation numérique qui fait entrer au XXIe siècle notre économie en ligne, de nouvelles mesures portant sur la propriété intellectuelle, et cetera. Voilà des éléments qui influeront sur l’économie d’aujourd’hui et de demain. Cela fait passablement consensus parmi les parties, mais nous devons continuer de nous renvoyer la balle sur ces questions inhabituelles pour des raisons politiques, et c’est vraiment dommage, parce que les importateurs et exportateurs canadiens auraient besoin d’un nouvel ALENA aujourd’hui et pas l’année prochaine ou en 2021.

Le sénateur Tkachuk : Pourrais-je vous entendre tous les deux au sujet des offices de commercialisation? Est-ce un problème? Je crois que c’est un problème dans les négociations de libre-échange, mais j’aimerais vous entendre à ce sujet.

Mme Dawson : La décision concernant la politique intérieure de maintenir des systèmes de gestion de l’offre au Canada doit être prise par les Canadiens, le gouvernement, les consommateurs et les producteurs. Je ne vais pas vous dire ce que vous devez faire en la matière.

Les négociateurs canadiens diront à leurs homologues américains que les États-Unis ont beaucoup de politiques protectionnistes, leur demanderont pourquoi il n’est pas possible d’exporter du sucre ou du coton aux États-Unis et ils feront aussi valoir que les États-Unis ont la Jones Act et leurs propres politiques protectionnistes dans l’industrie laitière. Pour ce qui est des négociations, Donald Trump a fait de l’industrie laitière un point chaud dans sa campagne politique pour plaire à sa base électorale. C’est amplifié par la façon dont est structurée la gestion de l’offre dans l’industrie laitière. Nous empêchons l’importation de tous les produits énumérés; nous maintenons fermé le marché, et c’est correct. Nous n’exportons pas non plus de produits, et c’est très bien. L’OMC n’y voit pas de problème.

Toutefois, de temps à autre, un nouveau produit est inscrit sur la liste. Un producteur innove et conçoit un produit qui n’est pas protégé et auquel les restrictions ne s’appliquent pas. Les producteurs américains ont ainsi accès au marché. Pourquoi? C’est tout simplement parce que les Canadiens achètent le produit.

La question concernant le lait de classe 7 en est un bon exemple. Les exportateurs américains acheminent ce produit au Canada. À leurs yeux, ils ont l’impression qu’un mur vient d’être construit de manière arbitraire et que le Canada ferme son marché. Ils n’ont pas l’impression que c’est du libre-échange.

Je crois que la structure et l’application du système de gestion de l’offre par les offices de commercialisation continueront de nuire au pouvoir de négociation du Canada et de teinter la perception de nos partenaires commerciaux.

M. Cross : Je n’ai rien d’autre à ajouter à ce que Laura a dit en ce qui concerne la gestion de l’offre. J’aimerais par contre saisir l’occasion pour compléter ma réponse à la première question, si vous me le permettez.

L’un des aspects qui ont évolué et l’une des raisons pour lesquelles nous renégocions maintenant l’ALENA, c’est que l’ALENA au milieu des années 1990, du point de vue des Américains, était censé contribuer à réduire l’immigration illégale. L’idée était d’exporter des emplois au Mexique pour que les gens y restent. Ce qui a changé et ce que nous n’avions pas prévu à l’époque, c’était que le Mexique vivrait de multiples crises; il y a premièrement eu la crise du peso en 1994-1995. Le Mexique a connu une très grave récession en 2001. Les salaires réels des Mexicains ont chuté de 40 à 50 p. 100. Les Américains n’avaient jamais prévu que les salaires réels des Mexicains chuteraient autant.

Si les Américains avaient su que les salaires réels allaient chuter de 40 ou de 50 p. 100 au Mexique, je crois qu’ils auraient probablement insisté pour conclure un accord distinct en 1994, et Donald Trump arrive en 2016 et il affirme, quelle surprise, que cela dure depuis trop longtemps, que nous avons un énorme déficit et que ce n’était pas prévu.

Comme je l’ai déjà mentionné, une partie du problème est que le monde a évolué de manière imprévisible.

Le sénateur Tkachuk : Je remarque que vous avez mentionné la base électorale de Donald Trump. Toutefois, il y a la base électorale de Donald Trump et il y a la base électorale de Bernie Sanders, et les deux ont en gros la même opinion au sujet du commerce. C’est un enjeu politique important aux États-Unis non seulement pour les tenants de la droite, mais aussi ceux de la gauche.

La sénatrice Frum : J’aimerais que vous nous en disiez un peu plus sur le coût et les conséquences de la taxe sur le carbone sur la compétitivité du Canada. Madame Dawson, vous avez demandé de manière rhétorique pourquoi des investisseurs choisiraient le Canada, étant donné que nous avons les taxes sur le carbone les plus élevées en Amérique du Nord. Monsieur Cross, vous avez accordé une entrevue à la chaîne BNN, et vous avez dit que, si la taxe est basse, cela n’aura pas vraiment d’effet, mais que des répercussions énormes se feront sentir sur l’économie si la taxe est élevée. Pouvez-vous préciser votre pensée?

M. Cross : Avec plaisir. Je vais y aller en premier, si Laura me le permet.

La tarification du carbone ne semble pas être conçue pour avoir un effet réel sur les habitudes. Pour l’instant, l’objectif est d’avoir une taxe de 50 $ la tonne, ce qui représente 5 cents le litre à la pompe. Bonté divine, le prix de l’essence varie chaque jour ces temps-ci de 5 cents. C’est banal.

Cela me fait penser aux indulgences papales. Nous payerons 5 cents de plus, puis nous poursuivrons notre petit bonhomme de chemin comme si de rien n’était, mais nous pourrons montrer au reste du monde à quel point nous sommes écologiques et bons, parce que nous avons une taxe sur le carbone.

Si nous voulons vraiment changer les habitudes, je crois que toute personne qui examine sérieusement cette mesure comprend que nous devrons imposer une taxe sur le carbone d’au moins 150 ou 200 $ pour vraiment commencer à changer les habitudes des gens. Toutefois, aucun gouvernement n’aurait intérêt à aller jusque-là. Aucun gouvernement ne réussirait à se faire réélire s’il imposait une taxe aussi élevée.

J’ai l’impression que c’est une mesure qui vise beaucoup à... C’est comme les bacs bleus et verts. C’est bien beau. Cela nous fait sentir très bien. Nous les plaçons chaque semaine au bord du chemin, puis nous prenons la voiture pour nous rendre au travail et nous prenons l’avion pour nous rendre ailleurs, mais nous pouvons dire que nous avons rempli notre bac de recyclage et que nous sommes bons.

La sénatrice Frum : Dans le cas d’une taxe qui a le même impact que le bac de recyclage, cette tarification n’aura peut-être pas de graves conséquences sur notre compétitivité par rapport aux États-Unis si le montant demeure aussi bas qu’il l’est actuellement.

M. Cross : En effet. C’est pourquoi je me demande ce que cela donne.

La sénatrice Frum : Très bien.

M. Cross : Si cela vise seulement à nous donner bonne conscience, disons-le tout simplement. Ne prétendons pas que cela bouleversera notre économie. Ne prétendons pas que de telles politiques nous permettront d’atteindre nos objectifs à l’égard du carbone.

La sénatrice Frum : D’accord. Très bien.

Madame Dawson, allez-y.

Mme Dawson : Je crois que l’un des nombreux défis est les divergences entre les pays. Les accords commerciaux et l’OMC ont toujours de la difficulté à gérer la situation lorsqu’un gouvernement prend une décision politique et impose des coûts différents que ce qu’ont décidé d’autres gouvernements.

En gros, la taxe sur le carbone du Canada devient une sorte de subvention pour les États-Unis. En fait, elle devient une sorte de subvention pour tout pays qui exporte des produits au Canada et qui n’impose pas une taxe semblable sur le carbone. Il faut trouver une manière à la frontière de répartir ces coûts. Nous devrons avoir un système de tarifs douaniers verts. Ce sera une autre chose dont les entreprises devront tenir compte à la frontière en vue de s’adapter à cette subvention perçue dans l’autre pays.

Pour rendre le tout encore plus complexe, nous aurons des prix différents entre les provinces. Comme si la question du commerce interprovincial n’était pas déjà suffisamment complexe, il faudra maintenant procéder à des ajustements fiscaux à la frontière lorsqu’un produit passera d’une province où la taxe sur le carbone est basse à une province où la taxe sur le carbone est élevée. Le gouvernement affirme que nous trouverons des manières d’accorder des remises ou des rabais, et nous l’avons fait par l’entremise de la TVH, par exemple. Si vous êtes propriétaire d’une PME, vous avez déjà énormément de paperasse dont vous devez vous occuper. Cela s’ajoute au fardeau et cela rend le tout plus difficile.

Je vous invite à consulter un excellent document que j’ai lu de l’Alliance canadienne du camionnage sur la manière dont les membres essaieront de gérer les différents prix du carburant entre les régions et de déterminer si leurs camions circuleront seulement au Canada ou s’ils passeront par les États-Unis et s’ils achèteront leur carburant aux États-Unis, puis le transporteront. C’est un cauchemar sur le plan logistique.

À la base, c’est une bonne idée. Toutefois, plus nous favorisons une variation des coûts entre les régions et plus il est difficile de faire des affaires au Canada.

Le sénateur Wetston : Je pense encore à la réponse que vous avez donnée à la dernière question, et cela me laisse énormément perplexe par rapport à ces enjeux. Je suis certain que vous avez pris connaissance de la récente décision de la Cour suprême dans l’arêt Comeau, qui ne favorisera pas, selon moi, une promotion plus positive du commerce interprovincial. Je crois que nous entendons beaucoup de commentaires à ce sujet. Je ne vous demanderai pas de vous prononcer sur la question à moins que vous soyez des constitutionnalistes.

J’aimerais revenir un peu sur la question de la stagnation des exportations. Je comprends un peu ce qu’a dit John Crow au sujet de l’idée de favoriser la dépréciation du huard.

Croyez-vous que c’est ce que la Banque du Canada fait? Selon vous, la Banque du Canada s’applique-t-elle à favoriser la dépréciation du huard?

Voici la deuxième partie de ma question. Comme vous le savez, nous avons malheureusement connu une productivité plutôt mauvaise au pays, et cela semble découler de la faiblesse apparente des investissements. Si nous arrivons à conclure un accord, comment l’ALENA réussira-t-il à favoriser une hausse de la productivité au Canada?

J’aimerais vous entendre sur ces deux éléments.

M. Cross : Avec plaisir. Je crois que la Banque du Canada et surtout son gouverneur, M. Poloz, ont sauté sur toutes les occasions pour surprendre les marchés, comme lorsqu’il a réduit les taux d’intérêt de manière inattendue en janvier 2015 pour accélérer la dépréciation du huard. Je crois qu’une telle mesure a un effet à très court terme. Par contre, de manière générale, le huard a chuté de 25 p. 100 par rapport à la parité avec le dollar américain en raison de la baisse des cours du pétrole. La situation a peut-être été accélérée un peu par les actions et les affirmations du gouverneur, mais la devise allait chuter de 25 p. 100 à un moment ou à un autre de toute manière.

Je dirais que la Banque du Canada a encouragé cela et qu’elle l’a accéléré. Elle n’en change pas vraiment la valeur fondamentale.

En ce qui concerne l’ALENA et les investissements des entreprises, je crois que c’est tout à fait juste, en particulier durant cette période d’incertitude, que tout pousse les sociétés à construire leurs installations aux États-Unis pour y étendre leurs activités. Si l’ALENA est conclu, les entreprises pourront alors exporter leurs produits en franchise de droits au Canada. Si l’ALENA n’est pas conclu, les entreprises auront des installations aux États-Unis, et c’est le pays où il faut être. À mon avis, en particulier durant cette période d’incertitude, cela accentue les autres raisons dont nous avons parlé, notamment les taxes, et qui incitent les entreprises à investir aux États-Unis.

Je crois qu’il vaut la peine de souligner que les investissements des entreprises, selon la dernière enquête de Statistique Canada sur les intentions d’investissements pour 2018, devraient diminuer pour la quatrième année consécutive, alors que les investissements augmentent aux États-Unis.

L’écart le plus évident entre la situation au Canada et aux États-Unis sur le plan économique ces jours-ci se voit dans la confiance et les dépenses des entreprises.

Mme Dawson : Je ne répondrai pas à votre question sur la Banque du Canada, mais je suis d’accord avec Phil concernant les bienfaits de l’ALENA sur la productivité et la compétitivité. J’aimerais également rappeler ce que j’ai dit à la sénatrice Frum : les divergences entraînent des dépenses. Nous avons un accord commercial « âgé » qui n’a pas été modernisé depuis 1994. De nombreux éléments doivent être modifiés et améliorés pour éviter d’avoir des divergences non nécessaires entre les États-Unis, le Canada et le Mexique.

Il y a des mesures sanitaires et phytosanitaires dans le domaine agricole concernant des produits agroalimentaires. Les divergences non nécessaires entraînent des coûts élevés pour les producteurs. Il y a les barrières techniques au commerce et les questions touchant l’étiquetage et le poids. Je sais que cela semble être des détails insignifiants, mais ce sont des mesures graduelles qui tuent à petit feu la compétitivité, parce que ces divergences incitent les investisseurs à se tourner vers le grand marché, et les États-Unis sont un marché 10 fois plus grand que le Canada. Le marché canadien n’en vaut pas la peine, si les divergences sont trop grandes.

Je crois que la modernisation numérique sera un élément du nouvel ALENA qui renforcera la compétitivité du Canada et qui sera aussi un peu moins touché par certains problèmes d’économies d’échelle qu’a fait valoir Phil.

Dans les industries de haute technologie et numériques, le Canada peut rivaliser avec n’importe quel pays dans le monde sur le plan des ressources, des connaissances, des cerveaux, des entreprises en démarrage, de l’incubation d’entreprises, et cetera. Le Canada peut être un chef de file dans ce domaine, mais il y a beaucoup d’obstacles réglementaires qui pourraient nuire à la capacité du Canada d’être aussi fort qu’il peut l’être.

Par exemple, il y a les règles concernant la localisation des données, soit l’impossibilité de stocker les données de clients au Canada. Nous nous disons que ce n’est pas un problème au Canada et que cela concerne d’autres pays, mais certains pays affirment que les données des clients ne doivent pas être stockées ailleurs que dans le pays où les clients habitent. Si vous êtes une petite entreprise canadienne en démarrage, ces règles sur la localisation des données vous nuisent.

De même, le fait d’être simplement incapable de suivre les transactions liées à l’économie numérique et de ne pas savoir en quoi elles consistent rend très difficile l’élaboration de politiques pour soutenir les activités qui existent. Je pense que bon nombre des nouvelles mesures qui figurent dans le chapitre sur la modernisation numérique — et vous pouvez les lire en ligne parce qu’elles sont pratiquement identiques à celles du PTP — auront une incidence importante sur les Canadiens et sur l’industrie canadienne. Je vous avertis que ces règles ont été influencées principalement par les États-Unis. Si le Canada a des commentaires ou différentes perceptions à cet égard, ce serait le bon moment de s’assurer que le nouvel ALENA en tient compte.

Par exemple, le PTP comprend une protection du droit d’auteur d’une durée de 100 ans. Le Canada ne pensait pas que cette protection était nécessaire pour défendre les intérêts de ses propres innovateurs et créateurs. Par conséquent, il se peut que cette protection ne soit pas requise dans le nouvel ALENA.

La sénatrice Unger : Je vous remercie tous les deux de vos exposés. J’ai une question à vous poser à propos des règlements. Le président Donald Trump s’emploie à supprimer les règlements et, comme je viens de l’Alberta, il me semble que le pipeline d’Énergie Est a été mis de côté en raison d’une réglementation accrue. Voilà l’un des problèmes.

L’autre problème, monsieur Cross, c’est que vous avez déclaré que notre structure de coûts était trop élevée. De quelles façons le gouvernement élève-t-il le niveau de cette structure de coûts? Est-il possible de faire quoi que ce soit pour l’abaisser?

M. Cross : Eh bien, il ne fait aucun doute que les gouvernements ont joué un rôle important à cet égard, en particulier depuis 2003 et en particulier dans le centre du Canada. Au cours des dernières années, nous avons observé des hausses très élevées du prix de l’électricité en Ontario et du salaire minimum en Alberta et en Ontario. Outre le fardeau accru de la réglementation, je pense qu’une étude menée par le gouvernement de l’Ontario lui-même a révélé que ce gouvernement avait 300 000 règlements en vigueur. La province occupant le deuxième rang au chapitre du nombre de règlements est la Colombie-Britannique, dont le nombre s’élève à environ 75 000. Même le gouvernement de l’Ontario a examiné cette statistique et a déclaré qu’ils étaient peut-être allés un peu trop loin.

Je pense qu’il y a un grand nombre de données qui prouvent que certaines provinces ont pris des mesures qui ont entraîné une augmentation considérable des coûts d’exploitation de notre pays.

Pour ce qui est de savoir dans quelle mesure le président Donald Trump allège le fardeau réglementaire, je vais laisser Laura vous en parler.

Mme Dawson : Pour tout bouleverser, les États-Unis ont un président qui met l’accent sur la déréglementation. Il élimine les règlements inutiles grâce à son programme deux pour un, par exemple. Les États-Unis se concentrent fortement sur la réduction de la réglementation. Dans certains secteurs, vous pourriez dire du président qu’il « va trop vite », mais dans d’autres secteurs il rend peut-être les processus plus efficaces. En ce qui concerne les pipelines, les États-Unis ont actuellement un président qui se prononce en faveur d’eux et qui réduit la réglementation. Précédemment, le président Barack Obama était légèrement contre les pipelines ou, du moins, les pipelines transfrontaliers, et préconisait un niveau de réglementation accru.

Toutefois, le problème n’est pas le niveau de réglementation, mais plutôt la politisation du processus réglementaire. Je pense que, pour les pipelines et tout autre projet que nous envisageons et qui concilient des avantages économiques, publics et sociaux, nous pouvons éliminer dans la mesure du possible tout pouvoir politique discrétionnaire. Non pas que vous, les parlementaires, ne devriez pas intervenir, mais les investisseurs ont besoin que le processus soit transparent et prévisible. Ils veulent savoir comment les choses fonctionneront du début à la fin. Lorsque les règles du jeu changent tous les deux ou trois mois, lorsque vous croyez quelque chose, mais que cela devient autre chose, c’est là que vous perdez la certitude recherchée par les investisseurs. Ce sont dans ces circonstances que vous devenez moins concurrentiels. Sans faire de commentaires sur l’efficacité des pipelines canadiens, si le processus était moins politisé et plus transparent cela aiderait tout le monde. De même, les États-Unis pourraient bénéficier d’être moins politisés.

Le sénateur Marwah : Madame Dawson, je souhaite simplement apporter des précisions sur une question que vous avez fait valoir à propos de la PI et de l’économie numérique. Le Canada semble obsédé par l’idée d’attirer des géants américains du secteur technologique, au lieu de se concentrer sur l’établissement d’une industrie canadienne de haute technologie dynamique. Bien que je doive admettre que les supergrappes ont le potentiel, je dis bien le potentiel, de donner des résultats très positifs, œuvrons-nous suffisamment dans ce secteur? Il représente l’avenir, et c’est un secteur dans lequel le Canada peut soutenir la concurrence. Élaborons-nous suffisamment de politiques et de stratégies liées à la PI, et prenons-nous les mesures nécessaires pour réduire les règlements et les formalités administratives? Nos efforts suffisent-ils, car ce sera notre avenir pendant la prochaine centaine d’années?

Mme Dawson : Je crois que le Canada prend un grand nombre d’excellentes mesures. Comme je l’ai mentionné, le Canada joue un rôle dans les supergrappes, investit dans l’innovation, soutient l’éducation et encourage les femmes, les enfants et les personnes non conventionnelles à apprendre à coder — des initiatives qui sont toutes excellentes.

Le Canada a la réputation de lancer des entreprises novatrices. Toutefois, le problème consiste à conserver ces entreprises. Que pouvons-nous faire pour nous assurer que, une fois qu’une entreprise en démarrage de la vallée d’Ottawa réussit, elle n’est pas déménagée à Silicon Valley? Je crois que le Canada a amplement réussi à attirer des gens du secteur privé qui investissent du capital de risque, mais peut-être pas suffisamment. Des fonds de capital de risque sont disponibles, mais pas aux mêmes niveaux que ceux qu’on retrouve au sein des grappes américaines majeures.

Je pense à bon nombre des facteurs que Phil a mentionnés, ne serait-ce que la structure des coûts, les impôts, et cetera. La grande question est la suivante : voudriez-vous rester à Ottawa si vous pouviez déménager à Palo Alto?

Je vais revenir sur la question de la réglementation. Le Canada doit concilier le désir principalement américain de diffuser des renseignements rapidement facilement et efficacement avec le désir de protéger les renseignements et les biens personnels. Le scandale du grattage de données de Facebook fait ressortir ce problème. Comment pouvons-nous concilier ces désirs contradictoires? Le Canada doit relever le véritable défi de s’assurer que ses innovateurs ont tout ce dont ils ont besoin pour innover, sans pour autant mettre en œuvre des politiques qui entravent leur capacité de soutenir la concurrence à l’échelle mondiale.

L’univers du commerce numérique est naissant. Nous disposons de certaines règles à cet égard dans le cadre du Partenariat transpacifique. Il y a aussi d’autres règles qui découlent de l’accord sur les services de l’OMC. Le Royaume-Uni et l’Union européenne font preuve d’une grande initiative à cet égard. À l’autre bout du spectre, il y a la Chine, dont les règles sur la numérisation et la localisation des données sont restrictives et abusives, et dénaturent les marchés. Le Canada doit trouver sa place dans le spectre entre des politiques très ouvertes et des politiques très fermées, et il doit déterminer comment établir un juste équilibre entre la protection des consommateurs et le soutien de nos innovateurs.

Le sénateur Marwah : Monsieur Cross, avez-vous des réflexions à nous communiquer ?

M. Cross : Je ne supposerais pas automatiquement que les 100 prochaines années vont se dérouler d’une certaine manière au Canada. Je crois que la meilleure façon de prédire comment nous nous développerons au cours du prochain centenaire consiste à examiner la façon dont nous nous sommes développés au cours des 100 dernières années.

Nous jouerons toujours de nos atouts, de nos avantages comparatifs. Dans quoi excellons-nous? De quoi notre pays retourne-t-il? Il est énorme. Nous excellons dans les transports sur de longues distances, dans les pipelines, dans les chemins de fer et dans les communications sur de longues distances.

Où avons-nous frappé des coups de circuit de la haute technologie dans le passé? C’était au sein de Nortel et de BlackBerry. Ces entreprises étaient-elles issues de grappes choisies par le gouvernement? Non. Elles ont découlé de nos atouts naturels dans le domaine des communications sur de longues distances. Nortel, en particulier, a surgi de Bell Canada.

Nous sommes doués pour la production d’énergie, car nous habitons un pays où il fait froid. Nous devons acheminer l’énergie sur de longues distances, ce qui explique qu’Hydro-Québec était un chef de file de la transmission d’électricité sur de longues distances.

Nous avons toujours excellé dans le domaine bancaire, en raison du commerce des peaux de castor. Entre le moment où les hommes partaient à la chasse aux castors et le moment où leurs produits étaient vendus en Europe, trois années s’écoulaient. Un système bancaire était nécessaire pour combler le déficit.

Lorsque les gens demandent dans quels domaines le Canada excellera dans les années à venir, je nomme nos avantages comparatifs, et c’est dans ces secteurs que notre avenir se poursuivra. Si quelque chose fonctionne à Silicon Valley, mais que cela ne trouve pas écho au Canada, si cela n’a aucun caractère canadien, je ne vais pas tenter d’imiter ces activités et prétendre que c’est notre modèle de croissance pour les années à venir.

La sénatrice Stewart Olsen : Merci. Je vais vous poser une question. Je ne sais pas quelles conséquences elle aura. Je suis donc un peu inquiète à ce sujet.

Madame Dawson, vous avez parlé de la façon dont nous semblons nous être éloignés de l’idée d’ouvrir nos frontières, ce qui faciliterait le commerce.

Prévoyez-vous que la nouvelle mesure législative sur la marijuana nuira à une ouverture plus grande des frontières?

Mme Dawson : Excellente question. Oui. En un mot, la réponse est oui.

À long terme, lorsque nous serons tous morts, les choses s’arrangeront parce que les politiques des États-Unis évoluent dans la même direction que celles du Canada. Les problèmes que nous rencontrerons au cours des 5 ou 10 prochaines années seront liés à des personnes qui franchiront la frontière en tentant de faire à l’échelle internationale ce qu’ils souhaitent faire à la maison.

Par exemple, une retraitée migratrice d’Oshawa qui se rend en Floride avec son ordonnance de marijuana à des fins médicales dans sa poche sera tout à fait dans son droit à Oshawa, mais, une fois qu’elle arrivera à la frontière, elle fera face à un certain nombre de questions que l’agent du Service des douanes et de la protection des frontières des États-Unis doit poser. Ensuite, ce n’est plus qu’une question d’algorithme. Si vous répondez oui à cette question, puis oui à cette autre question, vous finirez dans un bureau secondaire.

Je crois, d’après mes échanges avec les agents, que les États-Unis aimeraient y aller doucement. Ils ne veulent pas que la dame d’Oshawa soit interdite à vie de séjour aux États-Unis. Selon la façon dont leurs règlements sont rédigés, s’ils reçoivent ce genre de réponse, ils doivent prendre ce genre de mesures. J’ai entendu ces agents dire qu’ils préféreraient vraiment que le Canada fasse marche arrière afin que nous puissions peut-être procéder de concert. Pour en revenir à l’argument qui a été avancé plus tôt, les différences occasionnent des coûts. Dans le cas présent, les différences occasionneront des difficultés au Canada. Je crois que nous allons faire face à un certain nombre de problèmes, avant de déterminer comment gérer cette situation. La solution consistant à demander simplement aux États-Unis d’y aller mollo n’est probablement pas gérable à long terme.

[Français]

Le sénateur Dagenais : J’aime la réponse de madame. Imaginez si la personne qui traverse les douanes est un chauffeur de camion et qu’il a de la marchandise à livrer aux États-Unis. Je suis certain qu’il y aura une seconde inspection et qu’il sera retardé, ce qui aura un impact économique. Ce chauffeur devra se soumettre à une deuxième inspection, et cela retardera la fluidité à la frontière. Ce que vous dites est tout à fait exact.

[Traduction]

Mme Dawson : Je ne vais que vous fournir une réponse fondée sur ce que j’ai entendu des représentants de l’industrie du camionnage dire à ce sujet il y a quelques semaines de cela. Premièrement, ils ont indiqué clairement que tous les exploitants de parcs de camions ont leur propre ensemble de règles qui garantissent que tous leurs camionneurs conduisent en toute légalité — en définitive, ils ne toléreront pas que leurs conducteurs consomment des drogues.

En même temps, chaque fois qu’un agent frontalier a le pouvoir discrétionnaire de retarder le passage d’un véhicule en n’appliquant pas nécessairement l’esprit de loi, mais plutôt la lettre de la loi, vous créez la possibilité d’un retard. Plus vous pouvez retirer aux gens leur pouvoir discrétionnaire en rendant leur interaction automatique et institutionnalisée, moins la gestion de la frontière aura des répercussions négatives, et moins elle sera coûteuse.

Le président : Madame Dawson, monsieur Cross, nous sommes très emballés de vous avoir parmi nous. Nous espérions que vous accepteriez notre invitation à comparaître en raison de l’étendue de vos connaissances et de l’expérience que vous avez acquise pendant plusieurs années. Vous les avez démontrées très clairement aujourd’hui. Vos exposés nous ont été très utiles à plusieurs égards.

Je vous remercie infiniment. J’espère que nous pourrons communiquer de nouveau avec vous à un moment approprié. Merci beaucoup, Laura. Merci beaucoup, monsieur Cross.

Sénateurs, à titre d’information avant de présenter notre prochain témoin, je vous précise que lorsque nous aurons fini de poser nos questions, nous poursuivrons la séance à huis clos. Il y a un certain nombre de renseignements que j’ai hâte de communiquer aux sénateurs afin de les mettre au courant. Je sais qu’un certain nombre de sénateurs doivent partir un peu plus tôt. Je demanderai donc à la greffière de préparer une note qui sera distribuée aux sénateurs afin qu’ils prennent connaissance des sujets que nous aborderons.

Comme vous le savez, parce que vous avez rencontré les sénateurs, je m’appelle Doug Black. Nous sommes très heureux d’accueillir aujourd’hui Lai-King Hum, avocate principale chez Hum Law Firm. Nous vous demandons de faire un exposé initial, puis nous passerons aux séries de questions.

Lai-King Hum, avocate principale, Hum Law Firm, à titre personnel : J’ai préparé une déclaration que je lirai. Après quoi, c’est avec plaisir que je répondrai à toutes vos questions.

Merci, honorables sénateurs, de m’avoir invitée à témoigner devant vous sur le territoire traditionnel non cédé des peuples algonquins et anishinaabe.

[Français]

Je suis très honorée d’être invitée à faire part de mes observations devant ce comité du Sénat.

[Traduction]

Je suis avocate spécialisée en droit du travail et en droits de la personne. Je suis également membre du conseil d’administration de la Toronto Chinese Business Association et membre de la CPAC Foundation, qui vient en aide à des professionnels formés à l’étranger. Les commentaires que je formule sont personnels mais éclairés par les divers rôles que j’ai assumés, en particulier en représentant des clients qui travaillent pour des organisations allant d’entreprises en démarrage à des entreprises Fortune 100, dont des sociétés ayant leur siège social à Silicon Valley, au Royaume-Uni, en Chine et en Corée, et des entreprises établies au Canada et achetées au moyen d’investissements étrangers directs.

En tant que Canadiens, nous reconnaissons et valorisons en général la nécessité d’avoir des milieux de travail justes et équitables, d’offrir la stabilité aux travailleurs et de garantir le respect des droits fondamentaux de la personne.

Je crois qu’il importe que nous demeurions catégoriquement canadiens dans notre approche à l’égard du commerce international même lorsque nous nous efforçons d’obtenir ou de maintenir un avantage concurrentiel.

Je vais aborder deux sujets, à savoir les normes du travail et la mobilité de la main-d’œuvre.

En ce qui concerne le commerce international et les normes du travail, le comité pose des questions à propos de l’ALENA et des accords de libre-échange en général. La question soulevée est de savoir si le Canada devrait insister sur l’adoption d’un programme moderne et progressiste en matière de droit du travail et de droits de la personne lorsqu’il négocie des accords de libre-échange.

À mon avis, le gouvernement canadien devrait entreprendre des négociations qui élèvent le commerce et les milieux de travail, chercher à conclure des accords de libre-échange de nouvelle génération et ne pas niveler par le bas, mais plutôt devenir un chef de file.

J’ai plusieurs clients internationaux, dont de nouveaux Canadiens qui ont lancé des entreprises ici. Voici les paroles que l’un d’eux a prononcées : « Bien sûr, faire des profits est important, mais ce n’est pas la seule chose qui compte. »

Les relations commerciales et internationales sont entretenues dans le contexte du respect de certaines valeurs, y compris un programme progressiste. L’intégration d’un tel programme dans des négociations commerciales présente des risques.

Comme Laura l’a mentionné plus tôt, le fait est qu’en pratique, de nombreux partenaires commerciaux potentiels jouissent d’une plus grande influence. Prenons le Canada et la Chine, par exemple. Ce sont des pays très différents ayant une histoire, des valeurs sociales et des difficultés distinctes. Ces différences devraient être reconnues, et il se peut qu’il faille choisir les programmes à négocier.

Certains clients sont d’avis que les discussions relatives aux normes du travail et aux droits de la personne devraient être menées séparément.

En entretenant une relation commerciale et amicale avec un pays, vous exercerez une plus grande influence sur lui qu’en cherchant à lui imposer des normes qu’il n’est pas prêt à respecter, pour une foule de raisons, et qui empêcheront le Canada d’établir une relation commerciale.

Selon moi, il y a des normes de base auxquelles tous les pays devraient être en mesure de se conformer, et ces normes devraient être intégrées dans les accords de libre-échange. Ces normes du travail figurent dans les accords de libre-échange de nouvelle génération.

En outre, pour relever les défis internes associés au besoin de concurrencer avec le droit au travail en vigueur au sud de la frontière ou avec d’autres États où les salaires sont bas et les coûts d’exploitation sont moins élevés qu’ici, mes clients ont invariablement parlé de la nécessité d’obtenir un traitement fiscal équitable en échange des efforts qu’ils font pour assumer le fardeau financier du traitement fiscal équitable des travailleurs et pour créer des emplois au Canada, notamment durant les premières années des entreprises en démarrage, l’objectif étant d’encourager la prise de risque et la croissance.

Mes clients soulignent également le besoin de modifier l’impôt des petites entreprises de manière à stimuler la croissance réelle et la création d’emplois plutôt que de les décourager.

Je suis d’accord avec le témoin de tout à l’heure : il est grand temps de procéder à une réforme fiscale. Mes clients aiment aussi les programmes gouvernementaux qui ouvrent des portes pour le commerce, dont les missions commerciales populaires et les séances d’information qui ont pour fonction de multiplier les débouchés commerciaux à l’étranger. Cela est particulièrement vrai pour les PME.

En lien avec cela, il convient de parler de la mobilité de la main-d’œuvre. Derrière toutes ces questions que votre comité se pose au sujet de l’ALENA, du libre-échange en général et de la compétitivité du Canada, il y a, je présume, la question plus vaste de la situation de notre main-d’œuvre. Beaucoup de mes clients se plaignent de ne pas être en mesure de trouver de travailleurs spécialisés pour travailler sur leurs projets et d’avoir été forcés à mettre la pédale douce sur le développement de leur entreprise à cause de cela, un phénomène particulièrement marqué dans le domaine des technologies de pointe ou de la biotechnologie.

Dans cette optique, outre les préoccupations sur les normes du travail dans les négociations de libre-échange, mes clients aimeraient que ces négociations comprennent des mesures pour améliorer la mobilité de la main-d’œuvre, notamment celle des professionnels. Ces considérations ont été intégrées aux récentes négociations de l’AECG.

Lorsqu’il s’agit d’emplois manufacturiers traditionnels, nous ne sommes pas en mesure de concurrencer efficacement les États où les salaires sont bas, mais nos services et nos industries axés sur le savoir et sur le développement de technologies numériques peuvent être concurrentiels.

Compte tenu des observations formulées par nos clients, j’encouragerais le gouvernement à continuer d’investir afin de développer au Canada des établissements d’enseignement et des carrefours d’innovation de pointe et de calibre international, et de prêter main-forte aux entreprises en démarrage dans ces secteurs, entreprises qui profitent toutes de la mobilité de la main-d’œuvre.

J’exhorte le comité sénatorial à formuler à l’intention du gouvernement des recommandations qui tiendront compte des standards progressistes du Canada, mais qui chercheront également à améliorer notre compétitivité.

Je vais terminer mon exposé en revenant sur les deux éléments suivants. Tout d’abord, il faut aider les entreprises canadiennes par l’intermédiaire : a) d’impôts préférentiels et, possiblement, par une réforme fiscale reconnaissant le rôle que les entreprises jouent pour assumer le fardeau financier associé à l’équité en milieu de travail et à la création d’emplois; b) d’un soutien à la création de réseaux et de débouchés en matière de commerce international; et c) d’investir dans l’excellence en éducation et dans les carrefours axés sur la technologie et l’innovation afin de diversifier les industries au Canada.

Deuxièmement, il conviendrait de travailler dans une optique progressiste afin d’instaurer une nouvelle génération d’accords de libre-échange tout en permettant l’instauration de relations souples avec certains partenaires commerciaux par la recherche de principes communs au sujet des normes du travail fondamentales.

Merci.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Merci à notre invité. Votre exposé était très intéressant. Vous avez mentionné l’ALENA. On parlera sans doute d’un accord symbolique dans quelques semaines. Toutefois, un accord symbolique demeure un accord symbolique.

Vous comprenez le français?

Mme Hum : Oui, je parle français. L’ALENA, c’est quoi?

Le sénateur Dagenais : C’est le NAFTA. Les Américains sont revenus avec la « clause crépusculaire », afin que, dans cinq ans, ils puissent mettre fin à l’ALENA, ce qui nous obligera à renégocier.

Vous avez parlé du taux de taxation pour les employeurs, qui peut freiner l’arrivée d’entreprises au Canada. Vous avez aussi parlé du taux de taxation des travailleurs. Bien souvent, aux États-Unis, ceux-ci sont moins taxés, mais ils ont moins d’avantages sociaux. Toutefois, il n’en demeure pas moins que les travailleurs y sont attirés.

Si vous aviez une recommandation importante à faire au gouvernement pour attirer les entreprises et les travailleurs au Canada, quelle serait-elle?

[Traduction]

Mme Hum : Si je vous ai bien compris, vous voulez savoir ce que je recommanderais pour attirer les employeurs, les entreprises, mais aussi les travailleurs au Canada. Eh bien, je crois que cette question en est une à deux volets. Je n’ai pas de réponse unique à donner à cela.

Je crois que, de façon générale, le Canada est attrayant pour les travailleurs. Les normes du travail sont très rigoureuses et les protections sociales dont jouissent les travailleurs sont très généreuses. Ce sont des normes que les autres pays essaient d’émuler.

Cependant, lorsqu’il s’agit d’intérêts commerciaux, les choses sont difficiles pour moi puisque les gens qui deviennent mes clients ont déjà investi. Une fois qu’ils ont investi au pays, ils présument qu’ils seront en mesure de combiner avec les changements, avec l’augmentation du salaire minimum.

Une des raisons pour expliquer ce qui les a motivés à investir au Canada, c’est que le pays a une population généralement diversifiée et qu’il y a un bon niveau de vie.

Ce que je ne vois pas dans mon travail, ce sont ces entreprises qui choisissent de ne pas embaucher, qui choisissent de ne pas investir au Canada.

D’après les rapports que j’ai lus sur les investissements étrangers au Canada, le nombre d’entreprises qui ont décidé de s’installer au Canada est à son plus bas depuis, je crois, une décennie. Voilà qui est préoccupant.

Je sais que les employeurs à qui j’ai affaire ici sont préoccupés du fait qu’ils doivent assumer un fardeau financier important pour veiller à ce que leurs travailleurs soient bien traités. Aucun d’eux n’a dit vouloir un retrait de ces normes. Ils n’ont pas été enchantés de voir à quelle vitesse l’Ontario a modifié le salaire minimum, mais ils comprennent la nécessité d’assurer un salaire équitable aux travailleurs.

Ce qui embête, c’est que ces avantages sociaux accordés aux travailleurs sont offerts aux frais des employeurs. Ce que les employeurs souhaitent, c’est que l’on apporte des modifications à la taxation afin de les aider à être plus concurrentiels. C’est une question qui touche particulièrement les petites entreprises.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Vous semblez avoir une compétence en matière de main-d’œuvre transfrontalière. Peut-être que vous avez eu à vous occuper d’arbitrages concernant des travailleurs spécialisés, tels les travailleurs des technologies de l’information, qui ont dû faire un choix entre travailler physiquement aux États-Unis ou au Canada.

Étant donné les avantages que cela représente, mis à part les subventions importantes, est-ce que leur choix tendait davantage vers le sol américain ou vers le sol canadien?

[Traduction]

Mme Hum : Ma pratique d’avocate est limitée au Canada. Ce sont des choses qui sont dans les lois en matière d’emploi et de main-d’œuvre. Je n’ai jamais travaillé sur des arbitrages transfrontaliers. C’est une question à laquelle il m’est difficile de répondre.

Le sénateur Wetston : Savez-vous — et ce n’est pas quelque chose que je sais de façon précise —, savez-vous si la version actuelle de l’ALENA contient des dispositions sur la mobilité de la main-d’œuvre?

Mme Hum : Oui.

Le sénateur Wetston : Savez-vous si de nouvelles dispositions ou des dispositions plus modernes sur la mobilité de la main-d’œuvre font partie de la renégociation actuelle de l’ALENA?

Mme Hum : Je ne sais pas si les dispositions sur la mobilité de la main-d’œuvre occupent une place importante dans les négociations actuelles. Je suis ces négociations, et c’est un sujet dont je discute avec mes clients et mes collègues. La mobilité de la main-d’œuvre est une préoccupation en ce qui a trait au statut actuel du visa TN-1, qui concerne la mobilité des travailleurs professionnels. Je crois comprendre que le nombre de professions figurant dans la liste des professions visées par le visa TN-1 ne sera vraisemblablement pas augmenté.

J’aimerais que ce nombre soit augmenté. Je ne crois pas que l’administration étasunienne actuelle soit ouverte à cette l’idée, et je ne crois pas que la bonification de cette liste est à l’ordre du jour, mais je peux me tromper.

Toutefois, je crois que la liste actuelle a effectivement besoin d’être allongée, car elle se fonde sur le marché du travail et la situation économique d’il y a 20 ans. Certains des éléments importants de la mobilité de la main-d’œuvre devront tenir compte de professions et de compétences professionnelles qui n’existaient pas à cette époque. Je pense à la technologie de pointe et aux autres personnes qui travaillent dans ce domaine.

Le sénateur Wetston : Le Sénat traitera bientôt du projet de loi d’exécution du budget, si ce n’est pas déjà le cas. Comme vous le savez, il y a eu beaucoup de controverse l’été dernier au sujet des diverses modifications qui devaient être apportées à la Loi de l’impôt sur le revenu, comme celle sur le revenu passif, notamment.

Mme Hum : Oui.

Le sénateur Wetston : Je ne sais pas exactement si vous ne représentez que des clients internationaux qui pourraient investir au Canada. Je présume que vous traitez également avec des entités d’ici, notamment avec des entreprises en démarrage et des PME, semble-t-il.

Avez-vous des observations à formuler en ce sens, y compris des choses que vos clients auraient pu vous dire?

Mme Hum : Oui. Les professionnels ainsi que les petites et moyennes entreprises sont préoccupés. La question des investissements passifs retient particulièrement l’attention, attendu que c’est un moyen que les entreprises utilisent pour grandir. C’est aussi un moyen dont les professionnels et les propriétaires de petites entreprises se servent pour se créer leur propre régime de pension. Ils sont en mesure de se donner, à l’intérieur de l’entreprise, un moyen de grandir. Ces modifications ont beaucoup fait parler mes clients. Elles ont donné lieu à bien des préoccupations.

Le président : Pour revenir sur la question du sénateur Wetston, croyez-vous que le régime de mobilité de la main-d’œuvre du Canada nuit à sa compétitivité — ou améliore sa compétitivité, c’est à vous de me le dire? Ce régime aide-t-il oui ou non le Canada en ce qui a trait à sa position concurrentielle? J’aimerais vous entendre là-dessus.

Mme Hum : Je crois qu’il y a plusieurs aspects à considérer. Une bonne mobilité de la main-d’œuvre est utile pour développer les entreprises du pays si vous êtes en mesure d’attirer des talents de partout dans le monde. Certains domaines spécialisés font face à une pénurie de main-d’œuvre. Disons qu’il manque de gens talentueux pour aider les entreprises canadiennes à se développer.

L’autre côté de la médaille, c’est la possibilité d’un exode des cerveaux. S’il est plus facile pour les Canadiens d’aller travailler sous d’autres cieux, ce potentiel existe.

Étant donné la place importante qu’occupe l’enseignement supérieur au Canada, l’un des avantages découlant d’une mobilité accrue de la main-d’œuvre serait le fait de pouvoir attirer des étudiants qui pourront rester ici — ce qui facilitera leur recrutement au Canada — et convertir leur statut d’étudiant international en un statut de résident permanent.

L’autre enjeu en ce qui a trait à la mobilité de la main-d’œuvre, c’est la reconnaissance mutuelle des titres de compétence étrangers. Prenons l’exemple d’un ingénieur américain qui aurait satisfait à toutes les exigences professionnelles et qui se serait astreint à un long processus pour s’assurer que tous ses permis sont conformes aux exigences de la province ou du territoire où il compte aller travailler.

Ce processus comporte plusieurs éléments. Les normes américaines en matière d’octroi de permis sont peut-être différentes des nôtres; même à l’intérieur du Canada, ces normes varient d’une province à l’autre.

Pour assurer la mise en œuvre d’une vraie mobilité internationale en ce qui a trait aux compétences professionnelles, il faudrait que les provinces travaillent avec le gouvernement fédéral, comme cela s’est fait dans le cadre de l’AECG.

La sénatrice Unger : Merci pour votre exposé. Je regarde la section de votre texte où il est question du commerce international et des normes plancher en matière de main-d’œuvre et d’emploi. Vous affirmez que les affaires et les relations internationales se déroulent sur fond de valeurs, puis vous ajoutez que le fait d’inclure des éléments progressistes dans des négociations commerciales comporte des risques.

Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet?

Mme Hum : Dans la négociation actuelle de l’ALENA, le Canada a mis de l’avant certains éléments en matière de normes du travail, ainsi que la reconnaissance de l’égalité des sexes et des droits autochtones. Ce sont des éléments progressistes.

En ce qui concerne les normes du travail, je pense que le Canada veut supprimer le droit de travailler dans divers États des États-Unis. Le Canada est un endroit où les employés sont obligés d’adhérer au syndicat. Aux États-Unis, même s’il y a un syndicat, les travailleurs ont le droit de ne pas y adhérer et de ne pas payer les cotisations syndicales. Beaucoup de gens au Canada perçoivent cela comme étant un avantage injuste pour les Américains, et c’est quelque chose que le gouvernement canadien tente actuellement de négocier.

Bien que nous souhaitions être progressistes et que nous voulions faire avancer nos positions pour favoriser la mise en place de conditions de travail équitables pour tous — y compris les femmes — et pour donner des perspectives d’emploi aux peuples autochtones, le fait de poser ces éléments comme des conditions d’entente déterminantes pourrait mettre les négociations en péril. C’est ce que je tentais d’évoquer.

Cela dit, qu’il s’agisse de l’ALENA ou de l’Accord de Partenariat transpacifique global et progressiste, une bonne partie des dispositions sont ambitieuses de nature. Or, si ces dispositions n’ont pas de dents, s’il n’y a aucun mécanisme pour les surveiller ou pour veiller à leur application, je ne vois pas quel avantage il y aurait à les inclure dans ces accords.

Le Canada aimerait que la question de l’égalité des sexes soit assortie de mécanismes d’application. C’est quelque chose que nous avons appris au cours des dernières semaines. Je ne sais pas comment cela va fonctionner. Je crois que les États-Unis s’inquiètent du fait que le Canada pourrait se servir de cela pour évoquer des différends dans certains domaines.

Le président : Merci beaucoup, maître Hum, d’avoir été là. Nous vous sommes très reconnaissants d’avoir interrompu votre pratique pour venir nous faire part de votre point de vue sur les enjeux relatifs à la mobilité de la main-d’œuvre. C’est un point de vue inédit. Nous avions besoin de l’entendre dans le cadre de nos travaux, et nous vous sommes extrêmement reconnaissants d’avoir pris le temps de venir ici pour nous en parler.

Mme Hum : Merci.

(La séance se poursuit à huis clos.)

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