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BANC - Comité permanent

Banques, commerce et économie

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce

Fascicule no 44 - Témoignages du 20 septembre 2018


OTTAWA, le jeudi 20 septembre 2018

Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce se réunit aujourd’hui, à 10 h 32, pour étudier les enjeux nouveaux et émergents pour les importateurs et exportateurs canadiens dans les marchés nord-américains et mondiaux.

Le sénateur Douglas Black (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bonjour, chers collègues et membres du grand public qui suivent cette séance par le Web. Je vous souhaite la bienvenue à la séance d’aujourd’hui du Comité sénatorial permanent des banques et du commerce. Nous accueillons cette participation avec joie.

Je m’appelle Doug Black et j’ai le privilège de présider ce comité. J’aimerais faire un tour de table et demander à mes collègues de se présenter aux témoins.

La sénatrice Wallin : Sénatrice Pamela Wallin, Saskatchewan.

La sénatrice Moncion : Lucie Moncion, Ontario.

Le sénateur C. Deacon : Sénateur Colin Deacon, de la Nouvelle-Écosse, je suis le sénateur le plus récent, je viens tout juste d’être nommé.

Le sénateur Tannas : Scott Tannas, Alberta.

Le sénateur Wetston : Howard Wetston, Ontario

[Français]

Le sénateur Dagenais : Jean-Guy Dagenais, du Québec.

[Traduction]

Le sénateur Smith : Larry Smith, Québec.

Le sénateur Day : Joseph Day, Nouveau-Brunswick.

La sénatrice Stewart Olsen : Carolyn Stewart Olsen, Nouveau-Brunswick.

Le sénateur Tkachuk : David Tkachuk, Saskatchewan. Je suis content de vous voir ici, monsieur Mintz.

Le président : Comme toujours, nous bénéficions de l’aide de notre greffière et de nos analystes.

Aujourd’hui, notre comité recueillera des témoignages afin de poursuivre son étude sur les enjeux nouveaux et émergents pour les importateurs et exportateurs canadiens dans les marchés nord-américains et mondiaux. En incluant les témoignages d’aujourd’hui, notre comité a tenu huit séances dans le cadre de cette étude et entendu 23 témoins. Nous tenons aujourd’hui notre dernière séance sur la question, après quoi le comité fera preuve de toute la diligence nécessaire pour préparer son rapport final, que nous espérons publier bientôt.

Je suis heureux de souhaiter la bienvenue à nos témoins. Je commencerai par leur présenter nos excuses, parce que je pense que nous avons dû reporter le témoignage de ce groupe à trois reprises. Nous nous en excusons. Il y a eu des circonstances hors de notre contrôle, et le comité vous est très reconnaissant de votre patience. Merci d’être avec nous aujourd’hui.

Nous recevons donc trois témoins d’exception, aujourd’hui. Accueillons en personne, à Ottawa, M. Jack Mintz, boursier du recteur à l’École de politique publique de l’Université de Calgary. Par vidéoconférence de Toronto, nous entendrons ensuite Tiff Macklem, doyen de la Rotman School of Management, à l’Université de Toronto. Les membres du comité le connaissent bien, puisqu’il a déjà comparu à maintes reprises devant nous quand il était gouverneur adjoint de la Banque du Canada. Toujours par vidéoconférence, de Calgary, cette fois, nous accueillons enfin John Mercury, partenaire et vice-président de Bennett Jones s.r.l.

Je vous remercie tous infiniment d’être ici. Nous sommes impatients d’entendre vos observations. Vous êtes notre dernier groupe de témoins, donc nous nous attendons à une finale en force. Commençons par M. Mintz, qui se trouve avec nous, à Ottawa.

Jack Mintz, boursier du recteur, École de politique publique, Université de Calgary, à titre personnel : Merci infiniment, honorables sénateurs. C’est toujours un plaisir de participer aux séances du comité sénatorial. J’aime toujours comparaître devant vous.

Je ferai probablement deux choses sur la base de la présentation PowerPoint que je vous ai distribuée et dont je crois que vous avez tous copie. Je souhaite vous expliquer pourquoi la compétitivité est importante, plus précisément quel est son effet sur l’investissement et en quoi l’investissement est si déterminant dans les problèmes de compétitivité. À partir de là, je vous présenterai des données récentes que nous avons colligées sur les taux effectifs d’imposition. Certaines ne sont pas si nouvelles, puisque nous les avons publiées ailleurs, mais certains d’entre vous ne les ont probablement pas encore vues parce qu’elles sont encore toutes nouvelles. Nous avons récemment assemblé des chiffres dans un objectif précis, dans le cadre d’un projet sur lequel nous n’avons encore rien publié, donc ces chiffres pourraient vous intéresser.

Je commencerai par quelque chose que vous connaissez probablement très bien : les taux de croissance annualisés du Canada et des États-Unis depuis 2015. Quand je dis « annualisés », j’entends pour les quatre trimestres de croissance du PIB de l’année. Il ne s’agit pas seulement du taux de croissance de ce trimestre-ci; quand on utilise le qualificatif « annualisé », on englobe les quatre. Les taux présentés dans les journaux sont parfois les taux annualisés, parfois les taux trimestriels, mais il est utile d’analyser les taux annualisés pour en dégager une tendance plus générale. Un trimestre, ce n’est qu’un trimestre; ce n’est pas nécessairement indicateur de la façon dont le monde évolue.

Aussi, pour vous compliquer un peu les choses, nous présentons en bleu les chiffres du Canada et en rouge, ceux des États-Unis. Essayez de vous en souvenir. C’est que nous avons choisi la couleur en fonction de la température et du drapeau ou d’autre chose.

Comme vous pouvez le voir, en 2016, le Canada a connu une moins bonne croissance que les États-Unis, mais en 2017, nous avons été très bons au cours des deux premiers trimestres, en particulier, après quoi notre taux a commencé à chuter. Vous pouvez voir qu’au deuxième trimestre de 2018, notre taux de croissance annualisé est descendu sous la barre des 2 p. 100, à 1,9 p. 100. Cela s’explique par le fait que nous avons enregistré une croissance de 0,4 p. 100 au cours des trois trimestres précédents, puis de 0,7 au dernier trimestre. Ce déclin de plus de 3 p. 100 à 2 p. 100 reflète le ralentissement observé depuis la deuxième partie du premier trimestre, mais il y a aussi alors eu un rattrapage, qui compensait pour une très mauvaise année 2016. Donc je dirais que ce chiffre de 3 p. 100 n’était peut-être pas ce que j’appellerais un accident, mais que c’était une aberration, puisque c’était un rattrapage qui compensait pour une période précédente.

L’élément le plus important, toutefois, c’est que si l’on regarde les prévisions de la plupart des gens pour 2019, on ne s’attend pas à plus de 2 p. 100 pour l’économie canadienne. Certaines prévisions sont peut-être un peu plus optimistes, mais c’est à peu près la moyenne. Ce n’est pas surprenant, parce que les taux de croissance correspondent en fait à la somme de deux taux de croissance. Il y a le taux de croissance de la population — il serait probablement préférable de parler de la croissance du nombre d’heures travaillées —, qui se situe autour de 1 p. 100 par année. L’autre partie de notre croissance correspond à la croissance de la productivité, qui se situe aussi généralement autour de 1 p. 100. En fait, elle demeure autour de 1 p. 100. C’est là où je veux en venir : nous pourrions atteindre une croissance de 3 p. 100, comme certains pays, en améliorant notre productivité. Il est plus difficile d’améliorer la croissance de la population. En fait, de nos jours, plus de 70 p. 100 de la croissance de la population vient de l’immigration, et il y a une limite à ce genre de croissance. En fait, c’est la productivité qui demeure un défi important et unique pour l’économie canadienne.

Vous pouvez en voir une illustration au graphique suivant, qui porte sur la croissance de la productivité. En fait, il n’illustre pas la croissance de la productivité en tant que telle, mais la productivité indexée de la main-d’œuvre au Canada depuis 2010, et c’est la même chose pour les États-Unis. C’est la courbe ici qu’il faut remarquer. Aux États-Unis, la croissance de la productivité, qui n’a pas été très bonne depuis 2010 jusqu’à tout récemment, a été d’un peu plus de 1 p. 100. Ce n’est pas particulièrement bon, mais c’est un peu plus que la croissance observée au Canada depuis 2010. On voit que la courbe s’accentue plus vite. La productivité a augmenté plus vite au États-Unis que la productivité de la main-d’œuvre au Canada, mais nous avons aussi enregistré une croissance relativement lente avant 2010, et vous pouvez voir que la croissance des États-Unis de 2001 à 2007 a été assez robuste, à presque 2 p. 100.

C’est toujours un défi au Canada. Nous avons fait toutes sortes de bonnes choses pour améliorer nos régimes d’impôt, nous avons créé les chaires de recherche du Canada et augmenter nos dépenses en infrastructure, entre autres, mais nous ne semblons jamais arriver à faire véritablement augmenter la productivité. Elle reste la même année après année. Pour moi, c’est une question de compétitivité. C’est là où le bât blesse le plus. Tant que nous n’arriverons pas à améliorer la productivité de la main-d’œuvre, nous ne pourrons pas être plus concurrentiels sur les marchés d’exportation internationaux.

Je pense que cela s’explique en partie par des investissements faibles, surtout dernièrement. Si vous prenez le graphique suivant, sur la formation brute de capital jusqu’à la période actuelle, nous avons exclu de nos calculs les habitations, qui peuvent être considérées comme de l’investissement résidentiel. Nous voulions mettre davantage l’accent sur l’entreprise. Nous avons également inclus les dépenses gouvernementales en infrastructure.

Vous pouvez voir que le Canada a connu un fort déclin après 2014, où il est passé d’un investissement total dans les affaires, à l’exclusion de l’investissement résidentiel, de plus de 18 p. 100 du PIB à 16 p. 100. En fait, c’est beaucoup plus bas qu’aux États-Unis. Bien que nous ayons amélioré notre fiche depuis le premier trimestre de 2017, la situation n’est toujours pas rose. En fait, si l’on regarde ce qui s’est passé en 2009, juste après la récession, on peut voir que nous avons connu une très mauvaise période de formation brute de capital. Nous en sommes au même niveau qu’à cette période, si bien que nous ne nous portons pas très bien sur le plan de l’investissement.

Les dépenses en infrastructure des gouvernements ont augmenté passablement après 2009, mais pas autant depuis 2015, assez étonnamment, malgré tout l’accent qu’on met sur les infrastructures.

J’essaie toujours de sortir un peu de la donne gouvernementale pour comprendre l’investissement privé, que j’estime plus important. Si les entreprises ne sont pas prêtes à investir et à créer les revenus fiscaux dont les gouvernements ont besoin, nous ne pourrons pas enregistrer de croissance ni toucher tous les revenus nécessaires pour offrir tous les services publics que nous souhaitons que les gouvernements offrent. C’est la raison pour laquelle il est problématique d’avoir une faible compétitivité.

Dans ce diagramme... Malheureusement, les données présentées ici s’arrêtent à 2015, puisque les données les plus récentes ne sont pas encore sorties, mais je ne pense pas que cela changerait beaucoup le portrait. Nous avons pris la moyenne des pays de l’OCDE de 2011 à 2015 et calculé la proportion du PIB que représente ce que j’appellerai l’investissement du secteur privé. Nous avons exclu de l’équation les dépenses en éducation et en santé, parce qu’elles relèvent principalement du public, comme nous en avons exclu les dépenses gouvernementales, mais avons inclus les dépenses des entreprises et les dépenses gouvernementales en infrastructure. Vous pouvez constater qu’il y a une partie importante des investissements au Canada qui viennent du secteur des ressources. C’est ce qui est représenté en vert. En fait, notre secteur manufacturier est relativement faible comparativement à celui d’autres pays, mais nous ne sommes pas si loin des chiffres qu’affichent le Royaume-Uni et quelques autres pays.

Ce qui me frappe surtout, ce sont les chiffres sur les services. Je suis renversé par la proportion des investissements privés dans le secteur des services, et j’entends par là tous les investissements provenant d’autres secteurs que le secteur des ressources et le secteur manufacturier. Cela comprend la vente au détail, les services professionnels, les services d’entretien ménager, les communications — un domaine que j’estime très important pour les technologies de l’information —, les transports, et cetera. C’est un grand pan de l’économie, qui devrait représenter normalement environ 70 p. 100 de l’économie canadienne.

Comme vous pouvez le voir, la proportion des investissements par rapport au PIB dans le domaine des services sont assez bas au Canada, étonnamment bas, en fait pires qu’en Grèce, bien que ce secteur demeure très important. C’est significatif.

J’ai souvent démontré, au cours des dernières années, que notre régime fiscal est biaisé et qu’il défavorise particulièrement les secteurs des services. Nous imposons des taux effectifs d’imposition élevés sur le capital dans le domaine des services, comparativement aux taux imposés dans les secteurs manufacturier et des ressources. Ce biais se répercute sur la faiblesse des investissements dans les services. Il y a probablement d’autres raisons à cela, je ne prétendrai pas que les taxes et l’impôt en sont la seule raison, mais il faut comprendre que l’une de nos principales lacunes actuelles concerne les décisions d’investissement dans le secteur des services. Nous affichons un rendement très inférieur à celui des autres pays de l’OCDE. C’est une chose à garder en tête.

Le graphique suivant vous donne une idée de l’investissement direct étranger. J’ai décidé de vous montrer aujourd’hui la part des investissements directs étrangers en Amérique du Nord qu’obtiennent le Canada, le Mexique et les États-Unis. Vous voyez en rose la part des États-Unis. Elle domine nettement le total des investissements directs étrangers en Amérique du Nord. C’est une chose qu’il ne faut jamais oublier.

La part du Canada représente actuellement environ 12,8 p. 100. Elle a diminué depuis 2014, où elle était de 20,3 p. 100. C’est toutefois mieux qu’en 2010, où nous n’avons pas connu une très bonne année, pas plus qu’en 2009, où notre part se situait à environ 10 p. 100. Bien sûr, nous avons connu notre moment le plus fort en 2007, où nous attirions environ 25 p. 100 des investissements en Amérique du Nord, la meilleure proportion que nous n’ayons jamais enregistrée.

Cela indique que nous connaissons un certain déclin, mais vous pouvez voir que cela ne descend pas si facilement ou qu’il n’y a pas qu’une tendance. Par exemple, au quatrième trimestre de 2017, nous avons obtenu une part relativement élevée des investissements directs étrangers, soit 17 p. 100, ce qui est assez bon. Ce n’est pas aussi bon que d’autres années, mais ce n’était qu’un trimestre. Quand on regarde la période intermédiaire de 2014 jusqu’au quatrième trimestre de 2017, on voit que les chiffres étaient bas. Nous nous situions en fait à moins de 10 p. 100 la plupart des années. C’est la raison pour laquelle nous ne faisons pas particulièrement bonne figure au chapitre de l’investissement direct étranger.

Nous pourrions parler longuement des raisons pour lesquelles nos investissements sont si bas. Il y a des raisons de nature réglementaire; il peut y avoir d’autres raisons, dont certaines personnes ont parlé, notamment que les entrepreneurs ne prennent pas assez de risques et qu’ils n’investissent pas assez. Il y a toutes sortes de choses qui pourraient être mentionnées. Toutefois, il est clair que s’il y a une chose qui inquiète les gens, c’est le régime fiscal.

Pour terminer, je ferai un rapide survol de ce que nous faisons sur le plan fiscal.

Premièrement, je vous présente les taux d’imposition du revenu des particuliers. La raison pour laquelle cela compte dans les décisions d’investissement, surtout dans les entreprises fermées, quand les entrepreneurs doivent prendre des décisions, c’est qu’ils ne tiennent pas seulement compte du taux d’imposition des sociétés, ils tiennent aussi compte du taux d’imposition des particuliers pour décider où investir et où vivre. Nous avons gonflé un peu la moyenne du taux supérieur d’imposition des particuliers au Canada pour nous arrimer au taux de l’Ontario, qui est de 53,53 p. 100, pour l’impôt fédéral et provincial combiné, mais la moyenne est un peu inférieure à cela, parce que le taux d’imposition des particuliers est un peu plus bas en Colombie-Britannique, en Alberta et en Saskatchewan. Il est plus élevé au Québec, mais en fait, il se situe à peu près entre 52 et 53 p. 100 à l’heure actuelle.

Nous l’avons appliqué à un revenu d’environ 220 000 $, et non de 300 000 $, comme on le voit ici. C’est une erreur.

Si l’on fait la comparaison avec d’autres pays, à part la France et le Japon, qui ont des taux comparables aux nôtres ou un peu plus élevés, nos taux sont beaucoup plus élevés que ceux des États-Unis. Cela tient compte de la loi adoptée en 2018 aux États-Unis, qui prescrit que l’impôt d’État et l’impôt local sur le revenu ne sont pas déductibles. En fait, il est déductible jusqu’à concurrence de 10 000 $, mais nous avons supposé qu’il ne l’était pas et l’avons ajouté au taux actuel de 37 p. 100, pour obtenir 44 p. 100. Bien sûr, les taux en vigueur aux États-Unis s’appliquent jusqu’à des seuils beaucoup plus élevés que ceux en vigueur au Canada; ils sont presque de deux à trois fois plus élevés que les seuils canadiens.

Donc, si vous êtes un entrepreneur et que vous vivez aux États-Unis, vous paierez beaucoup moins d’impôt sur le revenu des particuliers que si vous viviez au Canada. Ce doit être pris en considération.

Si vous prenez la page suivante, vous y trouverez des données toutes nouvelles, qui n’ont pas encore été publiées. Vous êtes les premiers à les voir. Nous calculons les taux effectifs d’imposition sur les nouveaux investissements, ou les taux marginaux effectifs d’imposition. Nous le faisons pour les petites entreprises et ce que nous appelons les moyennes entreprises. On présume qu’il s’agit de sociétés fermées. Aux États-Unis, beaucoup de petites entreprises ne sont en fait que des intermédiaires, ou des sociétés de transfert, comme on dit aux États-Unis, c’est-à-dire que l’entreprise ne paie pas d’impôt des sociétés, mais que tout le revenu est attribué à la personne, y compris le revenu affecté aux bénéfices non répartis de l’entreprise. Cela fait une très grande différence.

Ces chiffres comprennent également des choses comme les taxes de vente au détail sur l’achat d’immobilisations, ainsi que des règles concernant les déductions pour amortissement et les stocks qui s’appliquent aux États-Unis et au Canada, par province et par État, aux États-Unis.

Premièrement, si je vous avais présenté les chiffres de 2017, vous auriez constaté que la différence entre les taux effectifs d’imposition des particuliers et des sociétés pour les entrepreneurs étaient assez comparables aux États-Unis et au Canada; ils n’étaient pas très différents. Or, depuis l’adoption de la nouvelle loi de 2018, aux États-Unis, ils sont beaucoup plus concurrentiels pour l’investissement dans les petites entreprises. Par exemple, au Canada, le taux global est de 42,4 p. 100, ce qui comprend le taux d’imposition des particuliers propriétaires de petites entreprises, tandis qu’aux États-Unis, une fois prise en compte la déduction spéciale désormais accordée pour le revenu transféré, il se situe à 32,5 p. 100 pour une entreprise dont les actifs s’élèvent à 10 millions de dollars. Pour les entreprises dont les actifs sont de 20 millions de dollars, le taux canadien est de 48 p. 100, parce qu’on se trouve à perdre la déduction pour les petites entreprises, en réalité. Aux États-Unis, il y a aussi une limite à la déduction, mais le taux demeure inférieur, à 37,8 p. 100. Cela s’explique en partie par la passation en charges et d’autres règles, aux États-Unis, qui font diminuer le taux d’imposition.

Ce qu’il faut surtout en retenir, c’est que, si j’étais un jeune entrepreneur et que je cherchais à me tailler une place sur le marché, aux États-Unis, et que je me demandais si je ferais mieux de mener mes activités du Canada, pour ensuite exporter mes produits aux États-Unis, il serait beaucoup plus avantageux pour moi, fiscalement, de m’établir aux États-Unis. Cela ne signifie pas qu’il n’y a pas d’autres considérations qui entrent en ligne de compte, mais nous sommes vraiment hors jeu. C’est très différent de ce que vous dira le ministère des Finances, qui compare toujours les taux d’imposition des sociétés, ce qui est toujours ridicule à faire avec les États-Unis de toute façon. Si l’on fait la comparaison en tenant compte des transferts, pour une entreprise visée par le sous-chapitre S aux États-Unis, vous verrez que l’entreprise ne paiera pas d’impôt des sociétés, sauf en Californie et dans quelques autres États. Il y a alors un peu d’impôt des sociétés à payer à l’État pour ces transferts, mais à des taux très inférieurs à d’autres.

Vous avez peut-être vu cet autre graphique qui a été mis à jour. On y compare les taux d’imposition réels sur le capital pour les multinationales, un aspect particulièrement important. L’impôt des particuliers n’intervient pas dans ce contexte. Une multinationale peut trouver des fonds n’importe où dans le monde et si l’impôt des particuliers peut avoir une incidence sur certains éléments du système financier mondial comme les taux d’intérêt, il n’influe pas directement sur le coût des investissements pour une société canadienne par rapport à une entreprise des États-Unis. Autrement dit, les entreprises américaines, canadiennes et britanniques peuvent s’approvisionner en capitaux sur les marchés internationaux, mais je ne prends pas en considération dans ce contexte l’impôt des particuliers en présumant que son incidence est à peu près la même dans toutes les régions du monde.

Nous avons mis à jour nos chiffres qui s’approchent maintenant de ceux du ministère des Finances pour les États-Unis. Nous obtenons un taux d’imposition effectif sur le capital d’environ 18,8 p. 100 — ou 18,9 p. 100 selon un autre calcul, ce qui est à peu près équivalent. Sans savoir ce que nous réservent les prochains budgets, le Canada se retrouve maintenant avec un taux d’imposition effectif sur le capital qui est plus élevé à 20,9 p. 100.

Notre taux d’imposition effectif est concurrentiel par rapport à ceux plus élevés de l’Amérique latine où l’on note par exemple au Brésil différentes mesures comme une taxe sur la valeur ajoutée non remboursable pour les immobilisations. C’est la même chose en Asie où les taux d’imposition effectifs sont élevés. C’est le cas tout particulièrement en Inde, ce qui ne manque pas de hausser la moyenne, mais aussi dans différents autres pays de ce continent. En Europe, on trouve un peu de tout. La plupart des petits pays européens ont un taux d’imposition effectif sur le capital inférieur au nôtre. C’est notamment le cas en Suède et dans les autres pays scandinaves. Les pays de plus grande taille comme l’Allemagne, surtout, et la France ont un taux d’imposition effectif sur le capital plus élevé, mais la France a annoncé qu’elle allait réduire au cours des trois prochaines années son taux d’imposition des sociétés de 34 p. 100 à 25 p. 100. Elle aura ainsi un taux inférieur au nôtre à ce chapitre. Il faudra donc que je revois les chiffres pour déterminer quelles seront les incidences. Il y en aura effectivement, mais elles ne seront pas énormes.

Voilà qui vous donne une idée de notre situation par rapport à la concurrence. Nous ne sommes plus vraiment en milieu de peloton. Nous avons longtemps pensé qu’un taux de 27 p. 100 nous situait dans la moyenne pour ce qui est de l’imposition des sociétés, mais ce n’est plus le cas. Parmi les pays de l’OCDE, c’est le Japon qui a le taux le plus élevé à près de 31 p. 100, mais les entreprises japonaises bénéficient d’un incitatif spécial pour réduire ce taux d’imposition si elles embauchent suffisamment d’employés.

En Allemagne et en Italie, les taux officiels sont plus élevés qu’au Canada, mais ils ne dépassent pas 28 p. 100 ou 30 p. 100. Autrement dit, notre taux de 27 p. 100 nous situe pas très loin du sommet pour ce qui est de l’imposition des sociétés. Le taux canadien à ce chapitre est donc relativement élevé, ce qui incite un grand nombre d’entreprises à transférer leurs coûts vers le Canada, surtout depuis la plus récente réforme fiscale américaine, d’autant plus que certains États n’ont pas d’impôt sur les sociétés et ont un taux d’imposition de 21 p. 100, comme le Texas et l’Ohio, des concurrents importants pour le Canada. On peut ajouter à l’équation le nouveau taux d’imposition américain pour les bénéfices incorporels de source étrangère — propriété intellectuelle, personnel de vente, marketing et revenus miniers, chose intéressante — qui est de 13,125 p. 100, soit beaucoup moins que le taux canadien de 21 p. 100. Dans ce contexte, il y a déjà un certain nombre d’entreprises qui ont réduit leurs activités au Canada et déplacé leur personnel de vente aux États-Unis, entre autres mesures.

Les règles fiscales des États-Unis sont très complexes. Je me ferai un plaisir de répondre à vos questions à ce sujet, mais c’est un élément qu’il faut garder à l’esprit.

J’ai pensé en terminant que, compte tenu de toutes les tractations concernant l’ALENA — et nous pourrons en discuter plus à fond —, vous pourriez être intéressés à prendre connaissance des droits tarifaires en vigueur au Canada et aux États-Unis pour les biens manufacturés et l’ensemble des produits. Comme vous pouvez le constater, ces tarifs ont chuté pour se situer désormais sous la barre des 2 p. 100. Nos taux tarifaires sont en fait légèrement inférieurs à ceux des États-Unis. C’était tout au moins le cas jusqu’en 2016 où ils sont repartis à la hausse. Selon un rapport de JP Morgan dont je pourrai vous communiquer les coordonnées si la chose vous intéresse, l’impact des taux tarifaires pour l’aluminium et l’acier sur les tarifs en vigueur aux États-Unis serait plutôt négligeable, soit de l’ordre d’un peu moins d’un point de pourcentage. Même si je n’ai pas fait les calculs, je présume que c’est sans doute un peu la même chose au Canada.

Toujours selon les estimations de JP Morgan, les répercussions seraient beaucoup plus considérables si l’on portait les droits de douane sur les automobiles à 25 p. 100. On verrait ainsi augmenter le taux en vigueur aux États-Unis d’un peu plus de 5 p. 100, avec des tarifs pour l’aluminium et l’acier de l’ordre de 2,5 p. 100. Ce serait une hausse marquée.

Il y a une analyse qui n’a pas encore été faite, y compris par les différents ministères des Finances. Il conviendrait en effet de se demander en quoi les taux tarifaires en vigueur influent non seulement sur le prix des biens de consommation, mais aussi sur le coût du capital. Une hausse des droits de douane dans le secteur automobile ferait augmenter le prix d’un grand nombre de camions légers et de voitures. C’est une catégorie de coûts très importante pour ceux qui songent à investir au Canada. Les entreprises verraient leurs coûts augmenter, et il y aurait aussi un impact sur leurs investissements.

J’essaierai peut-être un jour d’inclure les droits de douane eux-mêmes dans nos calculs. Nous tenons compte actuellement des taxes de vente au détail, de certaines autres taxes de vente et des coûts d’acquisition d’immobilisations, mais il serait bon d’intégrer les tarifs à tout cela. Quoi qu’il en soit, je veux que vous gardiez à l’esprit que ces augmentations des droits tarifaires se traduiront également par des coûts d’investissement plus élevés pour les entreprises.

Je vais en rester là pour l’instant.

Le président : Merci beaucoup. Nous allons maintenant entendre ce que M. Macklem a à nous dire.

Tiff Macklem, doyen, Rotman School of Management, Université de Toronto, à titre personnel : Merci, monsieur le président. Je suis très heureux de comparaître devant le comité sénatorial pour discuter de cette importante question de la performance commerciale du Canada. Je regrette seulement de n’avoir pas pu être avec vous sur place. Petit détail que M. Mintz trouvera peut-être embarrassant, c’est lui qui était enseignant, alors qu’il était encore tout jeune, lorsque j’ai suivi mon tout premier cours d’économie. Je me réjouis toujours de pouvoir travailler à nouveau avec lui.

Comme M. Mintz vous l’a exposé de façon assez détaillée, notre capacité à soutenir la concurrence sur les marchés mondiaux dépend dans une large mesure de notre productivité. Mes propos vont porter sur un aspect différent, quoique tout à fait complémentaire, de notre performance commerciale, soit la nécessité de diversifier nos échanges commerciaux en sortant des frontières de l’Amérique du Nord.

Il va de soi que notre relation commerciale la plus importante est celle que nous entretenons avec les États-Unis, et que nous devrions tout mettre en œuvre pour assurer la reconduction de l’ALENA. C’est une étape incontournable qui est sans l’ombre d’un doute notre grande priorité en matière commerciale.

Notre expérience avec l’ALENA a toutefois déjà fait ressortir notre vulnérabilité. Nous ne devrions pas nous retrouver dans la position où nous sommes actuellement. Nous devons diversifier nos échanges commerciaux sans nous limiter aux États-Unis en cherchant tout particulièrement à nouer des liens plus étroits avec les économies de marché émergentes en croissance rapide.

Avant de jeter un coup d’œil avec vous sur les quelques diapositives que je vous ai transmises, je veux vous dire que nous devons élargir la portée de nos relations commerciales d’abord et avant tout parce que les 15 dernières années ont vu la tangente de croissance se renverser en faveur des économies de marché émergentes, principalement en Asie. Il faut donc se demander pour quelles raisons nos activités commerciales n’ont pas évolué en conséquence. Je crois que la réponse est bien simple. Depuis très très longtemps, au moins pour une bonne part des 60 dernières années, la proximité des États-Unis a procuré un énorme avantage commercial au Canada. Nous sommes les voisins du marché le plus important et le mieux nanti au monde. Nous n’avons aucun problème à faire affaire avec les Américains. Nous parlons la même langue, regardons les mêmes émissions de télé et les mêmes événements sportifs, écoutons la même musique et avons de nombreuses institutions et politiques qui sont similaires. Pendant longtemps, la proximité des États-Unis a été un atout extraordinaire pour le Canada. Il en a résulté que nos deux économies sont très étroitement intégrées pour ce qui est de la vente au détail, de la fabrication, des services financiers et de l’agriculture. Les deux pays en ont énormément bénéficié : 75 p. 100 de nos échanges commerciaux sont avec les États-Unis, et nous sommes le principal marché d’exportation pour les Américains, ce que nous devons leur rappeler quotidiennement.

Pourquoi faut-il diversifier notre économie? Il y a bien sûr cette vulnérabilité manifeste qui est mise en lumière jour après jour dans nos relations avec un partenaire américain devenu imprévisible. Ce besoin de diversification existait toutefois déjà avant les événements récents. Depuis 15 ans, les États-Unis ne sont plus le moteur de croissance planétaire qu’ils étaient auparavant. La croissance est désormais l’affaire des économies de marché émergentes, surtout en Asie. Par ailleurs, la concurrence que nous livrent ces économies émergentes sur le marché américain s’est accrue considérablement.

Voilà une dizaine d’années déjà que nous aurions dû établir une stratégie pour la diversification de nos échanges commerciaux. Malheureusement, en l’absence d’une véritable crise, nous étions peu motivés à le faire. On pourrait parler d’un manque de vision, de prise de risques ou de leadership. Je crois que les Canadiens considèrent trop souvent les marchés émergents, et asiatiques tout particulièrement, comme une réalité éloignée. On les connaît moins; on pense qu’ils sont plus risqués; on considère qu’il est plus coûteux de s’y faire une place. Dans ce contexte, l’établissement de bonnes relations est essentiel, et il faut beaucoup de temps pour y parvenir. Ce manque de détermination à diversifier nos relations commerciales a malheureusement eu de lourdes conséquences. Je vous invite à ce sujet à regarder la première de mes diapositives, en espérant que vous les avez en main. Vous pouvez voir que la part canadienne des exportations mondiales a chuté abruptement. Au cours des 15 dernières années, elle est passée de 4,5 p. 100 à environ 2 p. 100 aujourd’hui. Comme le graphique l’indique, le Canada se situe à l’avant-dernier rang parmi les 20 principaux pays exportateurs pour ce qui est de l’ampleur de cette perte depuis 2000. Il y a seulement le Japon qui a fait pire.

Alors, à quoi attribuer cette contre-performance? Comme vous pouvez le constater à la diapo suivante, l’identité de nos partenaires commerciaux nous fournit pour ainsi dire les deux tiers de la réponse. Environ 85 p. 100 de nos échanges commerciaux se font avec des économies développées à croissance lente. Bien évidemment, les échanges avec les États-Unis comptent pour 75 p. 100 de cette portion de nos activités commerciales. Les 10 p. 100 qui restent concernent d’autres économies développées à croissance lente. À peine 9 p. 100 de nos échanges visent des économies de marché émergentes à croissance rapide. Vous verrez d’ailleurs dans cette dernière liste un certain nombre de marchés importants, comme la Chine, l’Inde, le Mexique et le Brésil, notamment.

La diapositive suivante établit une comparaison avec nos pairs. On peut constater que le Canada profite vraiment très peu des possibilités qu’offrent les économies de marché émergentes et les pays en développement. La part des exportations canadiennes qui va vers ces économies est légèrement inférieure à 10 p. 100. Elle est d’environ 20 p. 100 pour l’Allemagne et se situe autour de 30 p. 100 pour le Japon et les États-Unis. L’Australie, de par sa proximité avec la Chine, bien évidemment, dépasse la barre des 40 p. 100.

Notre contre-performance commerciale s’explique également par une concurrence plus intense sur le marché américain où nous perdons du terrain. Cette situation est en partie attribuable à bon nombre des facteurs que M. Mintz vient de vous exposer.

Le graphique de la diapo suivante nous indique que le Canada représentait en 2000 la principale source pour les importations des États-Unis avec une portion de ces importations supérieure à 18 p. 100. C’est maintenant la Chine qui détient la plus grosse part de ce gâteau avec une proportion des importations américaines qui est passée de 8 p. 100 à 20 p. 100 depuis 2000. Pendant cette même période, la part du Canada a chuté de 18 p. 100 à 12 p. 100.

Comme le graphique l’illustre bien, la pénétration du marché américain par les Chinois s’est faite en grande partie au détriment de deux pays : le Canada et le Japon. D’autres pays comme le Mexique, l’Allemagne et la Corée ont vu leur part de ce marché demeurer relativement stable ou même augmenter dans certains cas.

Quel message faut-il donc en tirer? Il faut comprendre qu’au cours des 15 dernières années, la part du PIB mondial détenue par les États-Unis est passée d’environ un tiers à un quart, et que le Canada perd du terrain sur ce marché. Nous sommes donc en régression sur un marché qui se rétrécit. Nous avons mis trop de temps à reconnaître le problème. Notre proximité avec les États-Unis nous a procuré un avantage énorme pendant la majeure partie des 60 dernières années, mais la croissance a pris depuis 15 ans une autre tangente sans que nous parvenions à évoluer dans le même sens.

Plutôt que de perdre du terrain dans un marché en perte de vitesse, nous devrions nous efforcer d’en gagner dans un marché en pleine croissance, ce qui exige une diversification de nos échanges commerciaux en misant sur les économies émergentes en croissance rapide, surtout en Asie.

En conclusion, nous devons chercher en priorité à nous assurer sans tarder l’accès au marché des États-Unis, notre plus grand partenaire commercial. Il faut toutefois également que la vulnérabilité mise au jour par cette renégociation de l’ALENA nous incite à envisager sérieusement la diversification de nos échanges commerciaux. Enfin, pour revenir aux arguments présentés par M. Mintz, il faut renforcer notre capacité concurrentielle afin de prendre une plus grande place sur les marchés mondiaux.

Je sais que nous avons sans doute davantage soulevé des questions que fourni des réponses, mais je vais m’arrêter ici en vous rendant la parole, monsieur le président.

Le président : Merci beaucoup pour cet exposé extrêmement utile et très succinct.

Monsieur Mercury, nous vous écoutons.

John Mercury, partenaire et vice-président, Bennett Jones s.r.l., à titre personnel : Bonjour à tous. Merci, monsieur le président. Je me sens privilégié de pouvoir prendre part à ces échanges. Vous accomplissez de toute évidence un travail très important au bénéfice de tous les Canadiens. Nous vous en sommes reconnaissants, et je suis honoré de pouvoir y contribuer.

Je suis conseiller juridique d’entreprise. Je pratique au sein du cabinet Bennett Jones depuis une dizaine d’années. La plupart de mes dossiers concernent des transactions entre des entreprises canadiennes et américaines pour des fusions, des acquisitions ou du financement par prise de participation, notamment via la conversion des dettes. Avant cette décennie au Canada, j’ai fait le même travail pendant 10 ans à New York avec un cabinet américain s’occupant de nombreuses transactions avec le Canada, mais du point de vue des États-Unis. C’était donc un bref aperçu de mes antécédents.

Lors de mon séjour aux États-Unis, j’ai passé énormément de temps à discuter avec des investisseurs américains dans des villes comme New York, Chicago, Houston et Dallas. Il s’agissait dans bien des cas de fournisseurs de services d’investissement non traditionnels comme par exemple les fonds de couverture privés. Il est bien certain que mes observations de ce matin vont s’inspirer de ce que j’ai pu entendre de ces gens-là. Je crois que le moment est bien choisi pour vous faire part de quelques-uns de ces points de vue. Il est important que tout le monde puisse en prendre connaissance.

S’il y a un message que je tiens à vous transmettre aujourd’hui, c’est le suivant. Dans un contexte planétaire où les investisseurs ont des choix à faire, le Canada doit s’engager sans équivoque à prendre les moyens pour demeurer une destination privilégiée non seulement pour les investisseurs étrangers, mais aussi pour les Canadiens. Depuis la fin de la crise financière, on a vu exploser la quantité de capitaux privés disponibles pour des investissements. Il y a plusieurs raisons qui expliquent ce phénomène, mais elles sortent du cadre des observations que je souhaite vous adresser. Sans surprise, cette croissance accélérée des marchés des capitaux privés s’est accompagnée d’une concurrence féroce à l’échelle planétaire pour obtenir sa part des nouveaux investissements. À la faveur de conditions de crédit propices, cette concurrence a exercé une pression à la hausse sur le prix des biens et l’évaluation des entreprises. Cet effort de déploiement de capitaux sur les marchés privés s’est surtout manifesté aux États-Unis. Les Américains ne sont pas les seuls, mais ils ont certes mené la marche en la matière. Les pressions qui s’exercent sur ces entreprises qui doivent obtenir des rendements suffisants pour leurs investisseurs les incitent à parcourir la planète à la recherche de nouvelles possibilités d’investissement. Le Canada a été naturellement l’une des premières destinations internationales à bénéficier de cette forme d’attention.

L’intérêt des fonds d’investissement américains pour notre pays, un intérêt qui ne se dément pas encore aujourd’hui, peut s’expliquer par différents facteurs. Premièrement, les préférences et les comportements des consommateurs canadiens sont davantage semblables à ceux de leurs voisins américains, ce qui permet des modèles de financement plus fidèles pour ce qui est des revenus et des rendements escomptés. Deuxièmement, l’environnement bancaire canadien doit être considéré comme stable et solide. C’est un aspect important non seulement à l’amorce d’une relation d’affaires mais surtout, comme nous le savons, dans des temps plus difficiles où il est essentiel de pouvoir compter sur un partenaire commercial fort et estimé. Troisièmement, le vaste secteur énergétique du Canada n’a jamais cessé d’intéresser tout naturellement les investisseurs américains, comme nous le savons tous. C’est toujours le cas malgré nos difficultés bien documentées à mettre en marché nos produits. Quatrièmement, le secteur canadien de la technologie qui se targue d’être à l’avant-garde de la recherche dans des domaines comme l’intelligence artificielle et l’apprentissage machine suscite de plus en plus l’intérêt des investisseurs des États-Unis et des autres pays, ce dont nous devions tous être très fiers. Enfin, notre proximité géographique avec les États-Unis, nos liens familiaux et amicaux, nos valeurs et nos institutions communes et la préférence que nous accordons de part et d’autre de la frontière à la primauté du droit sont tous des facteurs qui montrent bien que, malgré nos différences, nos économies ont davantage de similitudes que de disparités et sont, quoiqu’il arrive, inexorablement liées. Voilà autant d’éléments susceptibles de rassurer les investisseurs américains et de procurer au Canada une longueur d’avance lorsqu’il s’agit d’attirer les investissements en provenance des États-Unis.

Compte tenu des nombreux avantages que le Canada présente, comment les investisseurs américains perçoivent-ils actuellement le climat d’investissement dans notre pays? Les sentiments sont mitigés, c’est le moins que l’on puisse dire. D’une part, l’économie canadienne est en croissance et demeure un cadre naturel pour les efforts de consolidation et d’intégration en Amérique du Nord. À ce sujet, nous savons que les chaînes d’approvisionnement et les programmes de gestion à l’échelle mondiale connaissent un rayonnement optimal lorsqu’ils bénéficient d’une application territoriale, ce qui témoigne bien des avantages dont nous disposons.

D’un autre côté, on croit de plus en plus que le Canada perd rapidement un grand nombre de ses avantages historiques. Cela devrait tous nous mettre en garde, car les capitaux et les talents, qui sont les éléments fondateurs d’une économie prospère, sont mobiles. À mon avis, plusieurs enjeux structurels nuisent aux investissements de capitaux dans notre pays, ce qui en retour réduit la compétitivité du Canada. J’aimerais nommer deux exemples de ces enjeux, à savoir les règlements et les impôts. Tout d’abord, les investisseurs américains et mondiaux, qui ont chacun leurs propres coûts liés aux capitaux, refusent de plus en plus de participer aux projets d’infrastructure canadiens, en grande partie parce qu’ils ont l’impression que notre processus réglementaire est mal défini, qu’il diffère d’une province à l’autre, qu’il contient du chevauchement, qu’il ne tient pas compte des échéances et des réalités commerciales auxquelles font face les entreprises et qu’il est constamment assujetti à des poursuites judiciaires devant nos tribunaux. Ce point de vue est largement répandu et est aggravé par une perception — et je sais qu’il s’agit d’une perception — selon laquelle notre gouvernement fédéral et nos gouvernements provinciaux ne souhaitent pas s’attaquer à ces enjeux structurels ou en sont incapables et qu’ils ont d’autres priorités. Les investisseurs mondiaux ont besoin d’obtenir des précisions sur les conditions avant de s’engager dans le financement de n’importe quel type de projet, et la perception selon laquelle les objectifs du Canada ne cessent de changer est visiblement frustrante pour les promoteurs de projets et les sources de financement connexes.

Nous devons de toute urgence remanier nos processus d’approbation de projets, en partant d’une prémisse différente, à savoir que la capacité d’attirer des capitaux et la capacité de créer des emplois sont des impératifs nationaux. Si nous n’effectuons pas des changements décisifs maintenant, notre récent bilan continuera probablement de décourager les investissements, surtout dans nos industries de l’extraction des ressources.

Deuxièmement, et surtout en raison de la réforme fiscale aux États-Unis, la compétitivité du Canada en matière d’impôt sur le revenu des sociétés et des particuliers a diminué relativement à celle des États-Unis. M. Mintz a déjà abordé cette question. On a déjà beaucoup parlé de ce sujet, et je suis certain que cette discussion se poursuivra.

Enfin, lorsque les Canadiens mettent la compétitivité en contexte, ils ne doivent pas oublier leur position collective dans la vie. En effet, le Canada est un vaste pays doté de grandes ressources, d’universités de classe mondiale et d’une main-d’œuvre qualifiée, mais nous n’offrons qu’un petit marché intérieur à la consommation et à l’investissement, et nous n’avons donc pas d’autre choix que d’accueillir à bras ouverts le commerce international, comme nous l’avons fait, et de tenter d’attirer des capitaux internationaux. Il y a présentement beaucoup de fonds disponibles sur les marchés de capitaux, mais si le Canada souhaite en profiter et obtenir sa juste part, nous devons nous tenir debout, faire preuve d’audace et agir à l’échelle nationale de façon décisive et bipartisane. À mon avis, toute autre façon d’agir mettra en jeu la prospérité future de notre pays.

Le président : Merci beaucoup. C’était un exposé très percutant, et nous vous en sommes reconnaissants.

Mesdames et messieurs les sénateurs, nous passons maintenant aux questions. Nous avons une longue liste d’intervenants.

La sénatrice Stewart Olsen : Je vous remercie de vos exposés. Je serai brève, car la situation que vous décrivez est assez déprimante.

Parmi les choses qui ont été dites, je crois, par M. Mintz sur l’impôt des sociétés, je pense que votre message était que la réduction des impôts est une bonne chose. Et en ce qui concerne les investissements en matière d’infrastructure au Canada, ce matin, nous avons entendu une histoire qui portait sur la Banque de l’infrastructure, qui a manifestement dû emprunter au Canada pour payer les programmes d’infrastructure. Je ne suis donc pas certaine de la façon dont nous pourrons sortir de cette situation dans laquelle nous nous enfonçons. Je suis inquiète, et j’aimerais que vous m’aidiez, M. Mintz. Si nous ne pouvons pas attirer ces investissements et que nous ne pouvons pas réduire nos impôts, comment pourrons-nous maintenir notre niveau de vie, nos services sociaux, et cetera?

M. Mintz : Tout d’abord, c’est réellement une question d’équilibre, car d’un côté on veut s’assurer d’avoir les recettes fiscales nécessaires pour financer les services publics. Nous ne parlons donc pas de réduire les impôts à zéro. Ce serait ridicule. D’un autre côté, nous devons nous demander à quoi servent les impôts et les dépenses. En effet, certaines dépenses peuvent effectivement contribuer à la croissance de l’économie, par exemple les dépenses dans l’infrastructure, si elles sont effectuées de façon appropriée et non dépensées sur des projets superflus. L’éducation joue aussi un rôle très important et dans l’ensemble, nous avons très bien réussi dans ce domaine, selon moi, au Canada. Ces éléments contribuent au niveau de vie élevé des Canadiens et à l’accroissement de la compétitivité en améliorant le capital humain.

Cependant, ce qui me préoccupe réellement, en ce moment, ce sont les investissements privés. Ils ont réellement ralenti, et pas seulement sur le marché de l’énergie. C’est ce que les gens ne comprennent pas. Vous avez vu dans les chiffres que j’ai fournis que le secteur des services posait un problème particulier. En fait, notre régime fiscal — et dans une certaine mesure, notre régime réglementaire — a un parti pris contre les services depuis de nombreuses années. Nous l’avons amélioré dans une certaine mesure à l’aide de réformes fiscales amorcées en 1985, et ensuite plus tard, mais nous n’avons pas complètement résolu la situation.

Nous devons repenser le régime fiscal en général. Les impôts font toujours du tort à l’économie, mais on souhaite minimiser ce tort. La meilleure façon d’y arriver, c’est de compter sur les types d’impôts qui entraînent les coûts économiques les moins élevés, et dans une certaine mesure, tenter d’utiliser ces fonds pour financer nos services publics.

Comme nous le savons, l’impôt des sociétés a tendance à entraîner les coûts d’efficacité les plus élevés. Les gens pensent qu’il est équitable d’imposer le revenu des sociétés, mais comme nous le savons, les sociétés ne paient pas d’impôt, car au bout du compte, ce sont les gens qui paient les impôts. De nombreuses études économiques menées récemment à l’échelle mondiale et au Canada ont démontré qu’une partie importante des impôts des sociétés, surtout dans le cas des grandes entreprises internationales, croyez-le ou non, ont tendance à frapper surtout la main-d’œuvre dans l’économie — soit en raison de prix à la consommation plus élevés, car ces impôts sont déplacés vers les consommateurs par l’entremise de prix plus élevés sur le marché intérieur, ce qui diminue le pouvoir d’achat des Canadiens, ou par l’entremise de salaires moins élevés, en congédiant des travailleurs ou en embauchant moins de travailleurs, et cetera.

Plusieurs études ont confirmé qu’une très grande partie de ces impôts était déplacée vers la main-d’œuvre. J’ai conclu que les deux tiers ou les trois quarts avaient été déplacés vers la main-d’œuvre. L’impôt des sociétés est aussi un impôt injuste.

Nous devons vraiment repenser, en particulier, le régime d’impôt sur le revenu. Je pense au système d’imposition différenciée qui a été adopté en Scandinavie, dans des pays tels le Danemark, la Suède, la Norvège et la Finlande. Ce système impose faiblement le revenu du capital; par exemple, 20 p. 100 dans certains pays en ce moment. Cela comprend le revenu des intérêts, des dividendes, des gains en capital et des sociétés. En fait, il n’y a qu’un seul taux d’imposition du revenu des sociétés et non des taux différentiels pour les petites et les grandes entreprises. Ensuite, il y a l’impôt progressif sur le revenu du travail. Ce type de régime fiscal pose plusieurs problèmes. Il n’est pas parfaitement simple, et ces problèmes doivent être résolus, mais les Scandinaves l’utilisent et plusieurs autres pays ont maintenant adopté ce type de système. Je crois que c’est la voie que nous devrions suivre. Cela aurait des répercussions importantes, au bout du compte, sur notre compétitivité.

La sénatrice Stewart Olsen : Merci, monsieur. Par souci d’équité à l’égard des autres membres du comité, je vais m’arrêter ici.

M. Macklem : J’aimerais ajouter quelques commentaires sur la question de l’imposition. Il est important de ne pas oublier, en ce qui concerne la réforme fiscale aux États-Unis, que l’impôt des sociétés était globalement très élevé aux États-Unis. Les Américains l’ont réduit à une proportion plus près de la moyenne mondiale. Le Canada avait un grand avantage relativement à l’impôt des sociétés, mais cet avantage a disparu. Maintenant, nous sommes un peu désavantagés. Nous pourrions le réduire un peu, mais je ne crois pas que nous souhaitions livrer une concurrence trop féroce sur l’impôt des sociétés à l’échelle internationale.

Pour revenir au problème lié à l’investissement souligné par M. Mintz, l’autre partie de la réforme fiscale des États-Unis repose sur un vaste amortissement accéléré des investissements, de la machinerie et de l’équipement. Le Canada devrait sérieusement envisager de faire la même chose. C’est directement lié au problème de l’investissement. En effet, nous ne voulons pas que nos sociétés qui font face à des décisions en matière d’investissement soient désavantagées lorsqu’elles peuvent investir aux États-Unis ou au Canada. Nous devrions équilibrer les règles du jeu dans ce domaine.

En ce qui concerne le taux d’imposition des particuliers, j’ai les mêmes préoccupations que M. Mintz. Notre pays a un programme d’innovation. C’est un élément essentiel de notre productivité. Nous avons de nombreuses percées scientifiques, mais nous ne réussissons pas à bien les commercialiser. Nous devons harmoniser notre programme d’innovation avec nos taux d’imposition des particuliers, afin que les fondateurs aient suffisamment d’incitatifs pour lancer, construire et étendre leurs entreprises canadiennes à l’échelle internationale.

Le sénateur Tannas : Je vous remercie beaucoup d’être ici. En ce qui concerne certains des diagrammes que nous ont montrés M. Mintz et M. Macklem, comment normalisez-vous des notions comme le changement de devises entre le Canada et les États-Unis, le prix du pétrole, les coûts liés à l’assurance-maladie qui sont intégrés à nos impôts, mais pas à ceux des États-Unis et les déductions hypothécaires? Tentez-vous de le faire ou est-ce plutôt un marché de dupes dans lequel vous dites que nous ne pouvons pas y arriver, que nous examinerons simplement les données brutes et qu’avec le temps, tout s’arrangera? Est-ce la façon dont vous fonctionnez?

M. Mintz : J’aimerais dire quelque chose en réponse à mon ancien étudiant et, je présume, l’une des choses que j’ai négligées dans l’un de mes exposés.

En ce qui concerne votre question, je fais cela de temps en temps, mais il faut beaucoup d’efforts, et j’ai étudié les répercussions de toutes les mesures fiscales sur les coûts liés aux activités commerciales. Lorsqu’on pense aux coûts liés aux activités commerciales, il faut se rappeler que les entreprises utilisent de la main-d’œuvre, des capitaux et de l’énergie. Il y aurait un taux d’imposition efficace pour chacun de ces éléments, mais il y a également diverses subventions et d’autres contributions fournies par le gouvernement — les subventions à l’assurance-maladie en font partie — qui aident à réduire les coûts liés à la main-d’œuvre comparativement aux États-Unis.

Dans les travaux que j’ai menés il y a plus d’une décennie, nous avons démontré que les avantages fiscaux qu’offrait le Canada aux entreprises étaient très importants, car ils compensaient de nombreux autres désavantages. Les subventions en matière d’assurance-maladie étaient également très importantes. Nos calculs ont démontré qu’au bout du compte, nous n’avions pas un gros avantage sur les États-Unis en raison de tous les autres éléments. Nous devons réexaminer cela, car nous avons des impôts plus élevés sur l’énergie. En effet, nos taxes d’accise sur le carburant sont beaucoup plus élevées qu’aux États-Unis. Nous adopterons une taxe sur le carbone plus élevée qu’aux États-Unis, et cela fera grimper les coûts des entreprises. Les impôts des particuliers sont beaucoup plus élevés ici qu’aux États-Unis, et cela mène à un taux d’imposition plus élevé de la main-d’œuvre. Nous avons tenu compte des subventions en matière d’éducation, et je sais comment cela fonctionnerait. Ensuite, les subventions pour la recherche et le développement sont beaucoup plus élevées aux États-Unis qu’au Canada. Je n’ai pas fait les calculs nécessaires, mais selon moi, lorsqu’on tient compte de tous les éléments fiscaux, on obtient probablement un bilan négatif pour le Canada en ce moment, car nous avons perdu cet avantage lié à l’impôt des sociétés.

La question qui se pose, c’est comment remédier à cette situation. Je suis d’accord avec Tiff lorsqu’il dit que si nous éliminons certains autres désavantages que nous avons créés — en particulier les éléments du domaine réglementaire dont je n’ai pas parlé et les taxes plus élevées sur l’énergie — et si nous éliminons certains autres éléments, nous n’aurons pas besoin, dans ce cas, d’être concurrentiels sur le plan des impôts des sociétés. En effet, nous serions à peu près égaux aux États-Unis.

Toutefois, je suis complètement en désaccord avec Tiff sur un point, car je pense que nous devrions faire preuve d’une grande prudence avec l’amortissement accéléré. Souvenez-vous des antécédents de cet outil. En effet, pendant des années, nous avons utilisé l’amortissement accéléré dans le secteur de la fabrication. Nous l’avons utilisé jusqu’en 1988-1989 et nous l’avons ensuite éliminé, pour le réutiliser en 2006. Honnêtement, cet outil n’a pas fait beaucoup de bien au secteur de la fabrication, et ce, pour plusieurs raisons. En effet, l’amortissement accéléré ne fonctionne pas nécessairement et peut créer plus de pertes fiscales pour les entreprises qui ne peuvent pas profiter de la déduction. Cela n’a plus de répercussions sur leurs décisions marginales. Elles accumulent également de grandes pertes. Toutes sortes de petits jeux se jouent pour transférer les pertes d’une entreprise à l’autre, et cela met de la pression sur le système.

C’est ce qui s’est produit en 1985, lorsque nous avons amorcé notre première grande réforme fiscale. Michael Wilson était ministre des Finances à l’époque.

Nous l’avons fait pour les mêmes raisons qui ont poussé le Royaume-Uni a le faire en mai 1985. Il y avait énormément de pressions dans le régime fiscal, car nous avions des crédits d’impôt à l’investissement et l’amortissement accéléré, et de nombreuses entreprises faisaient des profits, mais ne payaient aucun impôt, et elles s’efforçaient de faire payer leurs pertes à quelqu’un d’autre. Il fallait que le ministère des Finances prenne des règlements pour tenter de corriger la situation. C’est à ce moment-là que nous avons commencé à réduire les taux et à éliminer ces choses.

Je ne dirais pas que les dispositions en matière de dépenses des États-Unis représentent une excellente politique fiscale. Honnêtement, je crois que c’était une erreur. Je crois que si nous souhaitons améliorer notre régime fiscal, nous n’y arriverons pas en utilisant l’amortissement accéléré. Je suis très déçu par la communauté des affaires qui commence à défendre cette idée et qui soutient que nous devrions en quelque sorte imiter les Américains à cet égard.

Le sénateur Tannas : Notre part des flux d’investissements étrangers est actuellement de 12 p. 100, près de la limite inférieure, mais ce n’est que le premier trimestre. D’après vous, où en sommes-nous maintenant, et où pensez-vous que nous serons pendant la prochaine année avec le statu quo?

M. Mintz : Eh bien, c’est seulement une impression. Je n’aime pas prévoir ces choses, mais honnêtement, je ne vois aucune grande volonté. En fait, je suis d’accord avec M. Mercury.

C’est anecdotique, mais j’ai entendu de nombreuses entreprises qui font des présentations aux États-Unis affirmer que les investisseurs américains ont éliminé le Canada, car il présente trop de risques sur le plan politique en ce moment. Je ne m’attends donc pas à de grands flux d’investissements directs de l’étranger.

Le président : Monsieur Macklem, avez-vous des commentaires à formuler à cet égard?

M. Macklem : Eh bien, Jack est le fiscaliste. Le point fondamental que je ferais valoir, c’est que lorsqu’il s’agit des impôts, surtout dans le cas de notre partenaire commercial le plus important, les États-Unis, le fait d’avoir des règles du jeu équitables, dans la mesure où nous le pouvons, appuierait notre capacité de mieux faire concurrence aux États-Unis et à d’autres pays.

Comme on peut le constater quand on essaie de le faire, il est devenu très complexe de définir ce qui est équitable, et le système fiscal des États-Unis n’est pas parfait non plus. Je crois que lorsque les règles du jeu ne sont vraiment pas équitables, cela influence les décisions d’affaires qui sont prises ici au Canada, et nous devons en tenir compte.

Dans l’ensemble, les taux d’imposition des sociétés sont équivalents. Il faut aussi tenir compte de certains autres facteurs au Canada, mais je ne parlerai pas des détails. Dans l’ensemble, il faut tenter d’équilibrer les règles du jeu.

Le président : Merci. Monsieur Mercury, avez-vous quelque chose à ajouter?

M. Mercury : Oui. Merci. J’aimerais formuler une observation en adoptant un point de vue légèrement différent à l’égard des flux de capitaux au Canada, et c’est qu’en ce moment, nous observons une concurrence très féroce entre les acteurs américains aux États-Unis. Cela fait en sorte que la valeur des actifs augmente et que le rendement de l’investissement diminue dans ces occasions. Par conséquent, ces investisseurs iront — et continueront d’aller — chercher des occasions et des idées à l’étranger.

Nous avons rencontré des gens de New York qui se rendaient à Toronto et à Calgary toutes les semaines. Ces gens sont ici pour créer des liens, entrer dans le jeu et trouver une occasion exclusive, car personne ne veut participer à des enchères.

Je suis plus optimiste à cet égard. J’ai mentionné tous ces problèmes structurels. Ces problèmes persisteront, et nous espérons que nous pourrons les régler, et je crois que nous tournerons la page. Je crois que les fournisseurs de capitaux américains continueront de s’engager à long terme et à considérer le Canada comme étant un pays partenaire. C’est l’un des commentaires que j’aimerais formuler.

Je voudrais soulever quelques points rapidement sur les impôts. C’est peut-être un penchant partial dans l’Ouest canadien, mais nous voyons certainement un exode des capitaux en Alberta en termes de particuliers dont les actifs ont une valeur nette élevée. C’est peut-être attribuable aux impôts ou, bien franchement, à l’économie. Ce qui me paraît le plus inquiétant, c’est que lorsqu’il y a une nouvelle occasion que nous pourrions saisir à Calgary ou à Houston, les Canadiens optent pour l’option méridionale pour toutes les raisons dont nous avons déjà discuté. Ce sont là des problèmes bien réels de ce côté-là de la table.

J’ai deux autres points moins importants qui, à mon avis, valent la peine d’être soulevés. Nous parlons des impôts de façon globale. Je ferais remarquer que les États-Unis ont des approches à l’égard des déductions bien différentes, alors il est difficile d’examiner les taux minimaux et de dire que l’on fait des comparaisons parfaites. Toutefois, c’est un sujet qui devrait être abordé par les deux autres experts plutôt que par moi.

En ce qui concerne les accords, je vais souligner deux points. L’un est que lorsque des investisseurs étrangers injectent des capitaux au Canada, dans certains types d’entités, y compris les industries extractives et les biens immobiliers, lorsqu’elles disposent de ces investissements, il y a une retenue d’impôt et un processus par lequel les gens doivent passer. Cela devrait se faire assez rapidement.

Nous sommes maintenant dans une période où s’il fallait trois mois dans le passé, il faut maintenant jusqu’à deux ans. Vous essayez de mobiliser les capitaux pendant une longue période d’une manière qu’ils ne peuvent pas être redistribués aux investisseurs. Cela nuit considérablement aux taux de rendement globaux internes. Cela peut sembler être un problème administratif mineur, mais c’est un autre facteur que les gens prennent en considération lorsqu’ils envisagent d’investir aux États-Unis ou au Canada.

Le dernier point que je ferai valoir a déjà été abordé, mais nous devons vraiment envisager plus sérieusement l’équité salariale pour nos équipes de direction au Canada, ou nos pionniers ou fondateurs, et leur montrer que nous connaissons clairement les avantages de l’équité salariale, des options d’achat d’actions et autres. Traiter ces mesures comme si elles sont des sanctions parce que votre entreprise a créé de la valeur pour l’économie va à l’encontre de la façon dont ce modèle fonctionne dans le monde. Nous pourrions faire mieux, certainement pour nos entreprises et les preneurs de risques au pays.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Merci à nos invités. Ma question s’adresse à M. Mintz.

Si on suit les actualités, on sait qu’il n’y a toujours pas d’entente entre le Canada et les États-Unis sur l’ALENA. Croyez-vous que la gestion de l’offre représente encore un avantage pour le Canada?

[Traduction]

M. Mintz : Brièvement, non, je ne vois aucune raison d’avoir la gestion de l’offre pour politique. Je pense que c’était une grave erreur. En fait, c’est l’une des raisons pour lesquelles je m’inquiète souvent des politiques qui entrent en vigueur. Il est difficile de faire marche arrière plus tard.

Cela a fait augmenter les prix à la consommation, et c’est comme une taxe d’accise sur le lait, la volaille et les œufs payés par les consommateurs. Par conséquent, les personnes à faible revenu ont été les plus touchées. Pourquoi pouvons-nous croire qu’une politique régressive est une bonne idée? Je ne sais trop.

De plus, si nous examinons le Canada, nous réussissons mal pour exporter nos produits laitiers comme le fromage et le yogourt. Pourquoi? Parce que le lait cru est tellement dispendieux que personne ne peut soutenir la concurrence internationale. En fait, l’une des grandes réussites de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande pour se départir de leurs systèmes de gestion de l’offre, c’est qu’elles sont devenues de grands exportateurs de produits faits à base de lait. Autrement dit, une partie de la chaîne de production à valeur ajoutée a augmenté. Sur le plan de la politique intérieure, nous devrions nous débarrasser de la gestion de l’offre, sans parler de la menace de l’ALENA.

La gestion de l’offre nous a nui dans toutes nos négociations avec d’autres pays. Par exemple, je suis tout à fait d’accord avec Tim à propos de l’importance de la diversification des échanges, mais ce n’est pas aussi simple qu’on le pense. Je crois que c’est un objectif louable. Cependant, si vous parlez à de nombreuses personnes qui ont participé à des négociations de traités avec d’autres pays, la gestion de l’offre a toujours été l’un des obstacles pour conclure les meilleures ententes. En fait, c’est la raison pour laquelle si vous discutez avec d’autres agriculteurs comme les éleveurs de bovins, ils vous diront ce qu’ils pensent de la gestion de l’offre. Elle leur a nui sur les marchés d’exportation parce que nous avons ce processus difficile.

En ce qui concerne l’ALENA, je ne peux pas croire qu’un gouvernement voudrait nuire à l’industrie de l’automobile et sauver plutôt 11 000 fermes laitières et peut-être 4 000 ou 5 000 fermes qui élèvent de la volaille et produisent des œufs. C’est illogique.

[Français]

Le sénateur Dagenais : J’ai une autre question d’actualité. Elle concerne la fameuse taxe sur le carbone. Ce matin, on pouvait lire dans les journaux que le Québec, qui applique la taxe sur le carbone, a échoué dans 50 p. 100 des investissements qu’il a faits. On sait que la Saskatchewan et l’Ontario n’appliquent pas la taxe sur le carbone.

Pour les gens qui songent à investir au Canada, les provinces de l’Ontario et de la Saskatchewan ne seraient-elles pas plus attrayantes, étant donné l’absence de taxe sur le carbone?

[Traduction]

M. Mintz : C’est une bonne question. Je ne sais trop, du point de vue de la compétitivité, si le système de plafonnement et d’échange au Québec — et je pense qu’on applique encore la petite taxe sur le carbone — a une grande incidence sur la compétitivité à l’heure actuelle dans la province, car il n’est pas très grand. En fait, j’ai participé à des travaux récemment où l’on essayait d’examiner l’incidence du système de plafonnement et d’échange dans sa forme actuelle sur les investissements en Ontario, qui faisait augmenter le prix de l’essence de 4 cents le litre à peu près. L’incidence sur la compétitivité, le coût du capital, était très faible. Elle n’était pas insignifiante, mais elle n’était pas très grande. Je ne suis pas certain si c’est un gros problème.

Lorsqu’on arrive à 50 $, on doit également penser davantage à l’incidence. Le principal problème que j’ai avec la taxe sur le carbone, c’est que je crois qu’elle est la solution pour lutter contre les problèmes des émissions de carbone. Parce que l’on fixe un prix, les gens peuvent trouver les meilleures technologies avec le temps pour réagir à la taxe sur le carbone et le coût de la tarification du carbone. Ce qui me préoccupe à l’heure actuelle, c’est que ce n’est pas ce que prévoit la politique gouvernementale sur les émissions de carbone à l’heure actuelle. Nous avons un éventail de règlements très coûteux et de subventions qui sont assortis de taxes sur le carbone efficaces qui sont beaucoup plus élevées que 30 ou 20 $, ou peu importe. Cette situation mine la compétitivité également. En Ontario, les tarifs de rachat garantis ont entraîné d’énormes coûts d’électricité, qui devront être assumés et représentent un important problème en Ontario qui a une incidence sur la compétitivité de la province.

En Alberta, nous avons adopté les normes de 30 p. 100 pour l’électricité renouvelable, éliminé le charbon et pris des mesures de ce genre. C’est l’équivalent dans la taxe sur le carbone de plus de 100 $. Cela aura une plus grande incidence sur la compétitivité que ce dont nous discutons à propos de la taxe sur le carbone aujourd’hui. J’aimerais que les gouvernements soient honnêtes et commencent à mesurer toutes ces taxes sur le carbone efficaces associées aux subventions pour les véhicules électriques, et cetera. Si nous augmentons la taxe sur le carbone, ce n’est pas seulement une question de ce que l’on ferait avec les revenus. De plus, nous devrions réduire ces règlements, qui créent un coût plus élevé pour l’économie canadienne. Plutôt, nous avons une approche complètement embrouillée à l’égard de la politique sur le carbone en ce moment, à mon avis, et la philosophie actuelle n’a aucun sens.

Le président : Monsieur Macklem ou monsieur Mercury, avez-vous quelque chose à ajouter?

M. Macklem : En ce qui concerne la gestion de l’offre, j’ai davantage souscrit à ces déclarations par rapport à d’autres que j’ai entendues, Jack, si bien que nous sommes sur la même longueur d’onde.

Pour ce qui est de la taxe sur le carbone, comme certains d’entre vous le savent, je préside un groupe d’experts en financement durable dont les membres sont nommés par la ministre McKenna et le ministre Morneau. Nous avons tenu de vastes consultations avec l’industrie des services financiers, mais également avec des entreprises de façon plus générale au pays.

L’un des messages que nous avons entendus clairement de la part du milieu des affaires est la nécessité d’avoir des politiques plus claires. Lorsque les entreprises comprennent les règles du jeu, elles peuvent examiner les questions et les risques. Elles peuvent découvrir quelles possibilités s’offrent à elles et comment gagner de l’argent en réglant les problèmes.

Les intervenants du milieu des affaires nous ont dit qu’ils reconnaissent largement la nécessité de faire la transition vers une plus faible croissance d’émissions de carbone. Il est généralement reconnu qu’une taxe sur le carbone est un moyen efficace d’y parvenir, mais jusqu’à ce qu’elle soit mise en œuvre et éprouvée partout au pays, les entreprises sont hésitantes.

Aussi, comme M. Mintz l’a signalé, c’est qu’il y a un certain nombre d’autres éléments : codes du bâtiment et normes relatives aux émissions des véhicules. Là encore, ils ne sont pas encore complètement définis. Lorsqu’ils seront mieux définis et approuvés, la communauté de l’innovation peut voir quelles seront les possibilités et peut intervenir pour régler ces problèmes. La communauté financière peut voir les possibilités et les risques plus clairement et peut effectuer les types d’investissements nécessaires.

Plus vite nous pourrons clarifier les politiques au pays, plus vite nous pourrons aller de l’avant.

M. Mercury : J’aimerais ajouter que je souscris complètement à ce raisonnement. Réfléchir à cet enjeu sous un angle différent est une question importante, mais les discussions à propos de la taxe sur le carbone doivent aller de pair avec des discussions plus globales à propos de notre politique énergétique complète. Lorsqu’on interroge les décideurs sur les dépenses en capital, l’évaluation des coûts et la compréhension des taxes sur le carbone, cela doit se faire conjointement et parallèlement à l’évaluation de leurs entreprises, des dépenses en capital et des projets.

Ce peut être un sujet légèrement différent, mais c’est lié à ce que l’on a demandé. La Cour d’appel fédérale a rendu une décision sur Trans Mountain et le projet de loi C-69 au cours des dernières semaines. Lorsqu’on examine le message que l’on envoie aux communautés de façon générale, ce sont des directives qui créent beaucoup d’incertitude et de confusion. Nous pouvons entrer dans les détails si vous le voulez, mais le fait d’avoir une période interminable pour les consultations et une obligation de consulter qui est complètement non définie et subjective nuit aux intérêts à long terme du pays.

On doit garder à l’esprit que, en faisant ces démarches et en créant de nouvelles politiques et lois, on envoie le message au monde entier que l’on a des critères clairs et objectifs. C’est une qualité indispensable qu’un investisseur doit comprendre. Autrement, nous verrons de moins en moins de gens qui se bousculeront pour proposer d’investir ou de planifier des projets au pays.

Le président : Merci, monsieur Mercury.

La sénatrice Wallin : Merci beaucoup. Vous avez été très clair dans vos remarques. Monsieur Mercury, merci de vos dernières observations, car nous ne faisons que commencer à examiner ces questions par l’entremise du projet de loi C-69.

Je veux suggérer à mes collègues que nous avons placé votre tableau sur la page couverture, monsieur Mintz — le tableau sur les investissements privés en tant que part du PIB —, car il devrait faire peur à tout le monde, et c’est peut-être une bonne chose.

Comme le président l’a dit, nous rédigeons actuellement ce rapport, et nous en sommes à la dernière phase. Nous voulons des recommandations claires et précises. C’est nécessaire. Vous avez fait du bon travail, mais je vais m’adresser à chacun de vous. Ce sera une question avec trois réponses.

Si vous pouviez formuler l’une de ces recommandations — d’environ trois lignes —, quelle serait-elle? Nous allons commencer avec M. Mintz.

M. Mintz : Pour être bref, j’ai déjà mentionné que si je devais prendre une mesure sur le plan fiscal, je ne pense pas que nous devrions nous empresser de mettre en place l’amortissement accéléré pour les raisons que j’ai invoquées. Nous devrions envisager davantage une réforme fiscale majeure. Je pense que le temps est probablement venu de procéder à une réforme. Nous ne l’avons pas fait depuis le groupe d’experts sur la réforme de l’imposition des entreprises que j’ai présidé il y a 20 ans pour Paul Martin lorsqu’il était ministre des Finances.

Je pense que nous devrions nous pencher sur de nouvelles idées telles que le régime d’impôt sur le revenu à deux volets que j’ai mentionné plus tôt.

M. Macklem : Je vais revenir sur la diversification des échanges commerciaux. Je veux préciser — et les explications de M. Mercury étaient probablement meilleures que les miennes — qu’il y a de nombreux éléments positifs. Nous nous concentrons volontairement sur les questions qui doivent être réglées.

En ce qui concerne le commerce, le nouveau Partenariat transpacifique a été adopté. C’est un grand pas en avant. L’Accord économique et commercial global avec l’Union européenne est encore plus important. L’Union européenne est le plus gros marché mondial, et cet accord donne au Canada un excellent accès au plus important marché dans le monde. Nous devons mettre à profit ces accords commerciaux.

Nous devons faire participer le milieu des affaires aux possibilités que ces accords créent, et nous devons ensuite examiner les nouveaux accords commerciaux, plus particulièrement les grandes économies de marchés émergentes qui connaissent une croissance rapide. La Chine et l’Inde seraient les marchés les plus importants et évidents où commencer. Ce sont d’énormes marchés.

Je rappelle que ces accords commerciaux sont une chose, mais nous devons faire participer le milieu des affaires à l’élaboration de ces accords. Le milieu des affaires doit faire partie intégrante de ce cheminement parce que ce sont les entreprises qui noueront les relations commerciales.

Je pense ensuite à toute la série de politiques favorables dont nous avons besoin au Canada pour que les accords fonctionnent. Je ne les passerai pas en revue en détail, mais rapidement, nous avons besoin de plus d’infrastructures et de transports pour acheminer nos produits jusqu’aux marchés, et plus particulièrement en Asie. Nous avons créé la Banque de l’infrastructure du Canada. Utilisons-la pour accélérer ces projets. Nous avons créé l’organisme Investir au Canada. Il offre l’occasion encore une fois de mettre davantage l’accent sur la relation de l’IDE avec les marchés émergents. Nous avons l’Initiative des supergrappes d’innovation, qui favorisera l’expansion des entreprises. Dans le cadre de cette initiative, on favorisera l’expansion des entreprises pour qu’elles exportent ailleurs qu’en Amérique du Nord.

Je soulignerais, comme M. Mintz l’a dit, que nous avons un merveilleux système d’éducation et des universités de calibre mondial. Nous sommes ouverts à l’immigration. Le talent est notre atout de taille au pays. Nous devons continuer d’en tirer parti. C’est important pour notre compétitivité. Merci.

La sénatrice Wallin : Merci. Monsieur Mercury?

M. Mercury : Je risque de me répéter, mais je vais revenir à l’argument que j’ai soulevé plus tôt, à savoir que nous devons redoubler d’efforts pour fournir au monde des lignes directrices et des critères clairs, précis et objectifs sur les approbations réglementaires. Il est très clair pour moi que c’est l’un des principaux problèmes au pays à l’heure actuelle. Nous avons couvert de nombreux sujets ici. Je suis plus optimiste à propos de l’avenir du pays que bien d’autres car nous avons de nombreuses raisons de l’être, et je pense qu’elles ont été bien résumées.

C’est un problème de taille que nous ne puissions pas donner des conseils aux clients et aux gens qui sont prêts à déployer des capitaux. Comme vous le savez, ces projets sont multipartites, il y a différents promoteurs et les négociations sont multilatérales. Les intervenants doivent être tous d’accord; autrement, on n’aboutit à rien.

C’est raisonnable. Nous savons qu’il y a une obligation de consulter les parties et une obligation de satisfaire les besoins des parties dans la mesure du possible, mais le message que nous envoyons dans le projet de loi C-69, si vous le passez en revue, c’est que la définition de « durabilité » doit être respectée et doit contribuer au bien-être social et économique du Canada. C’est excellent. Nous en convenons tous. Renforcer notre économie et l’assiette fiscale permettra de faire tout cela, mais je crains que si on permet une aussi grande subjectivité et que l’on confie au ministre un pouvoir discrétionnaire aussi important, on fera échouer les projets avant même qu’ils démarrent.

Je vais m’arrêter là, mais ce serait ma principale recommandation.

La sénatrice Wallin : Merci beaucoup.

Le sénateur Wetston : Je vous remercie tous pour les renseignements utiles que vous nous fournissez aujourd’hui. Cela englobe beaucoup de choses, et il est difficile de les étudier en une ou deux questions. Je crois que vous le comprenez tous.

On parle de la productivité depuis des années. Nous le savons tous. Il en est de même pour les accords commerciaux, et nous le comprenons tous. Vous avez tous parlé de problèmes auxquels le pays fait face.

Pensez-vous que notre pays est bien organisé? Je ne parlerai pas ici de la démarche constitutionnelle, alors n’en faites pas trop de cas. La structure de notre pays nous permet-elle de régler les problèmes complexes dont vous parlez aujourd’hui?

Je peux faire seulement une observation au sujet du fédéralisme coopératif. Fonctionne-t-il? Cela fait partie du processus d’approbation réglementaire dont parle M. Mercury. Je ne vais pas me lancer dans une discussion sur la question de savoir si les tribunaux interviennent trop. C’est un tout autre sujet. Or, bon nombre des problèmes dont vous avez parlé aujourd’hui ont trait à la façon dont notre pays est organisé et dont il les règle. À vrai dire, la fragmentation excessive commence à me préoccuper un peu plus, et le fait que les gouvernements qui se succèdent pensent qu’ils ont de meilleures solutions me préoccupe vivement. Je ne sais pas trop si c’est aussi un problème qui se pose.

C’est une question générale. J’en ai une autre, mais je n’aurai peut-être pas le temps de la poser. Est-ce que l’un d’entre vous peut répondre à la question? Si oui, je vous prie de le faire.

M. Mintz : En fait, j’ai écrit un article dans lequel je disais essentiellement que nous faisons face à de très grandes tensions fédérales au pays. C’est en partie en raison de désaccords au sujet du développement des ressources. C’est également lié à la taxe sur le carbone — encore une fois, il n’y a pas de consensus à ce sujet. Même en ce qui concerne l’ALENA, il pourrait y avoir des conflits entre le fédéral et les provinces, quand on pense à la gestion de l’offre par rapport à l’industrie automobile.

Je vais vous parler du volet réglementaire sous un angle intéressant — je n’en ai pas beaucoup parlé, mais je suis tout à fait d’accord avec mes collègues —, c’est-à-dire que c’est un obstacle majeur présentement. J’ai une étudiante à la maîtrise en politique publique qui a terminé de rédiger son mémoire. Il contient de l’information intéressante. Mon étudiante y fait une comparaison entre le régime de réglementation canadien, même concernant 2012 et le projet de loi C-69, et ce qui se passe en Australie, en Europe et aux États-Unis. Fait intéressant, le régime américain est un peu dysfonctionnel, comme on pouvait s’y attendre, et il s’agit d’un pays à régime fédéral comme le nôtre. Or, si l’on fait une comparaison entre le Canada et, en particulier, l’Australie, nos systèmes de réglementation ne sont pas les meilleurs. En fait, parmi les quatre pays que mon étudiante a comparés, c’est probablement le Canada qui a les pires résultats pour tous les critères.

Chose curieuse, l’un des volets dans lequel nous faisons particulièrement piètre figure comparativement à, par exemple, l’Europe et l’Australie, et même les États-Unis dans une certaine mesure, c’est le volet fédéral-provincial. Nous avons très peu d’évaluations conjointes et de processus de réglementation qui simplifient le système parce que nous avons différents organismes qui ont leur propre réglementation. Cela cause de longs délais, fait augmenter les coûts, et cetera.

C’est un bon exemple du problème que vous soulevez.

Comment se porte le fédéralisme coopératif? Je dirais qu’il ne se porte pas très bien. Le fédéralisme coopératif est-il le bon modèle? Nous savons qu’il existe une autre approche à l’égard du fédéralisme, qui consiste à séparer les responsabilités pour éviter les chevauchements. On pourrait dire que ce serait une meilleure approche pour le pays. Comme je l’ai dit, le Canada a une société fragmentée, selon de nombreuses lectures sur l’identité sociale que j’ai faites au cours de l’été. C’est un obstacle, mais nous devons composer avec cette situation; je ne crois pas que nous ayons le choix.

Pouvons-nous faire mieux? Oui, mais il faut une grande volonté politique.

Le président : Les questions sont de plus en plus faciles, n’est-ce pas?

M. Macklem : Il semble qu’elles sont de plus en plus grandes. J’ai les mêmes préoccupations que vous, sénateur Wetston. Il y a tellement d’exemples qui nous indiquent que nous pourrions collaborer de façon plus efficace. J’ai pris quelques notes.

Il y a encore beaucoup trop d’obstacles au commerce interprovincial. Si nous avions un réseau national de distribution d’électricité, nous pourrions réduire nos coûts d’électricité et notre empreinte carbone, et accroître notre compétitivité. Nous avons beaucoup de mal à créer une porte d’entrée pour le transport de produits jusqu’aux marchés étrangers au pays. Une des questions qui est très importante pour vous, c’est qu’il n’y a toujours pas d’organisme national de réglementation des valeurs mobilières. Comme on l’a mentionné, le cadre de tarification du carbone est fragmenté.

Nous devons consacrer moins de temps à rivaliser entre nous et en consacrer plus à rivaliser avec le reste du monde. En cette époque de mondialisation croissante, nous constituons un petit marché, et en le fragmentant, nous ne faisons qu’en réduire la taille davantage. Nous devons trouver des moyens de prendre de l’expansion de sorte que nous puissions soutenir la concurrence et simplifier nos structures réglementaires, et accélérer les processus pour pouvoir soutenir efficacement la concurrence dans le marché mondial.

M. Mercury : Je suis tout à fait du même avis. Nous ne devons pas oublier que pour un observateur extérieur, qu’il s’agisse d’un Américain, d’un Chinois, d’un Japonais ou d’un Européen, qui souhaite faire un investissement au pays, il pense au Canada en tant que tel et ne se demande pas dans quelle province il aboutira. Si l’on ajoute à cela tous les coûts et les délais que nous avons pour des raisons héritées du passé qui ont déjà été mentionnées, il faut déterminer le prix au bout du compte. En définitive, c’est un jeu de risques et de bénéfices et de dépenses en capital. Les gens y pensent à deux fois lorsqu’il y a des risques et des coûts supplémentaires, et nous ne devons pas l’oublier.

Soit dit en passant, c’est une excellente question, et cet élément figure au haut de la liste avec la question de la réglementation. Les deux vont de pair à mon avis. L’élément manquant dans la discussion jusqu’à maintenant, c’est la nécessité d’agir avec célérité et détermination et d’établir un échéancier et un cadre pour l’atteinte de certains objectifs. Théoriquement, ce sont des idées et des discussions intéressantes, mais si l’on n’en tire pas de conclusions et qu’on ne fait pas une autoévaluation ou de réforme ou peu importe ce qu’il est nécessaire de faire, tout reste purement théorique. Je crois que nous en arrivons à un moment dans l’évolution de notre pays, dont nous devrions être très fiers d’ailleurs, où il nous faut faire un redémarrage pour certains de ces éléments. Il est grand temps de le faire, et je crois qu’une bonne partie des problèmes auxquels nous sommes confrontés partout au pays aujourd’hui découlent de cet héritage du passé.

Le président : Sénateur Wetston, vous avez indiqué que vous aviez une autre question.

Le sénateur Wetston : J’aimerais connaître le point de vue des témoins sur une question à laquelle je réfléchis. Je crois que cela a un effet direct sur les exportations et les importations, de même que le commerce et la productivité. J’ignore si quelqu’un parmi vous a fait une étude sur le sujet. Et je suis bien heureux, monsieur Macklem, que vous ayez soulevé la question de la création d’une commission nationale des valeurs mobilières, car notre pays est le seul au sein de l’OICV, l’Organisation internationale des commissions de valeurs, qui n’en a pas une — le seul. Je voulais seulement le mentionner. Je suis ravi d’avoir eu l’occasion de le souligner, pour le compte rendu.

Cependant, concernant la structure de notre économie, avez-vous des commentaires à faire sur la politique de concurrence ou le manque à cet égard; l’augmentation de la concentration d’entreprises; et la nature du type d’acquisitions que nous avons observées de la part de multinationales qui ont acquis des entreprises canadiennes et ont changé leur nature? Je ne dis pas que ce sont des succursales, mais il s’est passé beaucoup de choses et l’innovation s’en va ailleurs dans le monde, et cetera. Je crois que l’un d’entre vous a mentionné que le monde devient de plus en plus petit.

Monsieur Macklem, nous pensons, au Canada, que le monde devient plus grand et plus lent plutôt que plus petit et plus rapide, si nous pensons à la façon dont nous réglons certaines de ces questions. Puis, monsieur Mercury, il y a la détermination dont nous avons besoin pour le faire. Avez-vous des observations à faire au sujet de la concentration d’entreprises et de la politique de concurrence par rapport à nos résultats sur le plan de la productivité?

M. Mintz : J’ai toujours pensé que le groupe présidé par Red Wilson avait un message très important, et c’est que la concurrence est un élément très important si l’on veut rendre une économie plus dynamique. En fait, je crois qu’il y a trop de mesures de protection au Canada. Je n’ai pas essayé de réunir des données exactes là-dessus, mais lorsqu’on parle de limites de la propriété et des banques et des télécommunications, c’est une façon de protéger certaines entreprises. Cela fait en sorte qu’on mène des activités dans un marché sans trop de problèmes et qu’on n’a pas à se soucier autant des marchés d’exportation.

Il y a également la propriété provinciale dans le secteur de l’énergie, en grande partie, sauf pour l’Alberta. On parle là aussi, mais sous une autre forme, d’un manque de concurrence dans un marché. Nous avons par exemple la gestion de l’offre et d’autres systèmes réglementaires qui sont à l’origine de mini monopoles. Comme l’a mentionné Tim, il y a des obstacles au commerce intérieur. Tout le monde aime parler de l’industrie de la bière, mais c’en est certainement un autre exemple. Quand on commence à regarder chaque secteur, on constate que les gouvernements ont dressé toutes sortes de barrières et ont restreint la concurrence.

L’un des grands avantages d’une plus grande exposition au monde et au commerce international, de même qu’aux investissements directs étrangers, bien sûr, c’est qu’on peut exercer des pressions sur le milieu des affaires ici au Canada pour améliorer les choses. En fait, c’est probablement l’une des meilleures choses qu’a apportées l’ALENA, et il y a d’autres bons accords commerciaux également, même si nous essayons toujours de protéger certaines industries dans toutes les négociations.

À mon avis, si nous voulons vraiment prendre des mesures sérieuses au sujet de la productivité, la concurrence est probablement l’un des éléments sur lequel nous devons encore aller plus loin pour que nous ayons un milieu des affaires plus dynamique qui sera plus concurrentiel. Ensuite, bien entendu, comme nous l’avons fait pour l’Accord de libre-échange canadien, il faut prendre d’autres mesures, comme le passage de la taxe de vente à la fabrication à la TPS et apporter d’autres changements de politique pour que les entreprises soient concurrentielles à l’échelle internationale et qu’on ne les empêche pas de rivaliser avec d’autres.

La préoccupation que j’ai concerne les entreprises d’État. Je ne pense pas qu’elles constituent le type d’investissement direct étranger qui est bon pour une économie. Je crois que les cas de privatisation que nous avons vus au fil des ans ont donné de bons résultats. Pensons à Air Canada et au Canadien National. Je peux parler de toutes les sociétés privées qui ont été créées et des études qui ont montré qu’il en a résulté une économie plus productive et dynamique qui nous apporte beaucoup.

Maintenant que nous avons obtenu de bons résultats à cet égard, je ne crois pas que nous devrions nationaliser l’économie canadienne à nouveau avec des entreprises d’État étrangères. Ce volet d’investissements directs étrangers m’inquiète.

M. Macklem : Je vais ajouter deux ou trois arguments. Tout d’abord, j’aimerais parler de certains points que M. Mintz a soulevés sur la concurrence et le lien entre la concurrence, la productivité et le commerce. À statistique Canada, il y a plus d’une décennie, John Baldwin a mené toute une série d’études qui ont indiqué sans équivoque que nos industries exportatrices sont beaucoup plus productives. Elles investissent davantage dans les nouvelles technologies, les personnes ayant un diplôme d’études supérieures et le talent. Il en résulte que leur production par travailleur est plus élevée.

Les données montrent clairement que si les entreprises sont exposées à la concurrence internationale, la pression du marché fait augmenter la créativité et les investissements. Lorsqu’il est question d’accords commerciaux, on parle beaucoup d’assurer l’accès aux marchés internationaux. Beaucoup d’éléments soulevés par des gens comme Dan Trefle, de l’École de gestion Rotman à Toronto, attestent que le plus grand avantage du commerce, c’est en fait qu’il stimule l’innovation, les investissements et la productivité. Il est important de le souligner.

Ensuite — et c’est vraiment lié aux observations de M. Mercury —, je pense que l’autre chose qu’on constate, c’est que les entreprises prennent de l’expansion à un rythme beaucoup plus rapide maintenant. Un certain nombre de raisons expliquent cette situation. On peut créer une entreprise de plusieurs milliards de dollars avec une dizaine de personnes. Il n’est même pas nécessaire d’acheter des serveurs; on peut louer de l’espace dans le nuage. On peut maintenant faire prospérer une entreprise beaucoup plus rapidement. Il en résulte que, dans le marché mondial, le meilleur aura la plus grande part du marché. C’est pourquoi on assiste à la croissance rapide de très grands joueurs.

L’un des très grands problèmes au Canada, c’est qu’il n’y a pas beaucoup de champions mondiaux. Nous sommes très bons pour démarrer des entreprises, mais pas pour les amener à prendre de l’expansion. Il faut que nous soyons capables de le faire plus rapidement qu’auparavant parce que quiconque obtient cette place dans le marché mondial en premier aura un grand avantage, et une fois que la place a été prise, il est très difficile de changer la situation. Cela illustre vraiment un certain nombre de points qui ont été soulevés.

Nous devons agir plus rapidement, et non plus lentement. Si nous ne le faisons pas, nous plaçons nos entreprises dans une situation concurrentielle désavantageuse, et elles ne seront pas en mesure d’avoir une place important à l’échelle mondiale.

M. Mercury : Je souscris entièrement aux deux principaux points, et j’ai toujours cru qu’une économie plus libre et plus ouverte favorise la prospérité nationale et qu’avec le temps, nous devons éliminer progressivement les mesures protectionnistes dans tout secteur.

En ce qui concerne la numérisation rapide de notre économie, je dois avouer que j’ai dû aller voir ce que cela voulait dire, car j’étais un peu dépassé par le concept la première fois que j’en ai entendu parler. Comprendre les données et la façon d’accroître la valeur des entreprises, c’est ce vers quoi le monde se dirige à un rythme rapide. Pour ce qui est de l’argument qui vient d’être soulevé, les grands deviennent encore plus grands rapidement. L’effet Amazon a des répercussions sur tous les types d’entreprises et crée des bouleversements partout dans le monde.

Dans la mesure où nous pouvons adopter ces technologies, garder les gens, importer les technologies, créer de la valeur le plus vite possible, si à un moment donné, une entité canadienne va ailleurs et entame une troisième ronde à Palo Alto, ce n’est pas la fin du monde. Ce n’est pas mauvais. Ou, à l’inverse, nos marchés de capitaux sont aussi attrayants pour des investisseurs étrangers. Voilà l’essentiel de ce que je pense à ce sujet.

Le sénateur Tkachuk : Monsieur Macklem, j’aimerais donner suite à votre question concernant le commerce et le fait que nous n’avons pas fait un bon travail relativement aux marchés émergents. Et pourtant, nous avons négocié des accords de libre-échange avec environ 40 pays, dont ceux de l’Union européenne. Parmi eux, on retrouve également un certain nombre de pays d’Amérique du Sud et les parties prenantes du Partenariat transpacifique. Je ne crois pas que cet accord ait déjà été signé ici, au Canada. Je ne comprends pas vraiment pourquoi, mais il n’en reste pas moins qu’il ne l’a pas été, et il concerne des marchés émergents.

La Chine et l’Inde demeurent, en quelque sorte, les grands acteurs hors du système. Laquelle devrait être notre priorité? L’Inde, ou la Chine? Eh bien, les États-Unis sont une affaire réglée. Je veux dire qu’ils constituent notre marché par excellence. Sans eux, nous sommes morts, mais, en ce qui concerne les marchés émergents, faut-il pencher vers l’Inde ou la Chine?

M. Macklem : Je suis tout à fait d’accord. Les États-Unis sont notre priorité et, avec un peu de chance, nous pourrons conclure une entente avec eux dans quelques jours ou quelques semaines.

Par ailleurs, la Chine et l’Inde constituent toutes deux de gigantesques marchés au potentiel énorme. Je commencerais probablement par la Chine, mais les deux pays offrent un immense potentiel et quelques avantages différents.

L’Inde deviendra probablement la plus importante économie du monde, si vous tenez compte des tranches d’âge de sa population. Elle a une population beaucoup plus jeune. De plus, l’Inde est une démocratie, à l’instar du Canada. En fait, nos institutions ont un assez grand nombre de points en commun. Nos deux pays sont d’anciennes colonies britanniques, mais la société indienne est complexe.

La Chine est la plus importante économie du monde. Sa perspective devient de plus en plus mondiale, et je pense que si nous parvenions à définir un territoire commercial et que nous évitions de chercher à atteindre trop d’objectifs supplémentaires, la Chine serait prête à nouer un dialogue avec nous.

M. Mercury : J’aimerais reprendre simplement ce sujet, car je suis d’avis que, si nous examinons la relation stratégique qui existe entre la Chine et les États-Unis ainsi que les tensions à l’échelle mondiale qui ne se dissiperont probablement pas de notre vivant, nous constaterons, à mon avis, que cette situation offre une véritable occasion au Canada.

Un article a justement été écrit hier à propos de débouchés possibles pour le gaz naturel liquéfié de la côte Ouest, débouchés qui ne cessent de prendre de l’ampleur, compte tenu de certaines des questions qui ont été soulevées à ce sujet au cours des derniers mois dans le contexte des relations sino-américaines. Je pense que nous avons une bonne occasion de jouer un rôle de premier plan dans cette partie du monde si vous voulez et, si j’avais voix au chapitre, c’est là que je me trouverais. Je préférerais que nous courtisions les deux pays. En toute honnêteté, nous devons pouvoir marcher et mâcher de la gomme en même temps. Toutefois, c’est le pays en faveur duquel je me prononcerais.

M. Mintz : Je vais formuler deux observations supplémentaires. Premièrement, je ne pense pas que ce soit une question de choix. J’estime que ce sont les possibilités qui s’offrent à nous et qu’il faut en profiter.

Comme je crois l’avoir mentionné plus tôt, je conviens que la diversification du commerce est une bonne chose pour l’ensemble du pays, en partie parce qu’en ayant d’autres solutions de rechange, nous améliorons notre position au cours de nos négociations avec les États-Unis. J’ai examiné la question comme une solution qui va plus loin que la seule diversification du commerce ou la seule possibilité de tirer parti d’autres débouchés.

Je tiens à injecter un peu de réalisme dans la diversification du commerce. Les deux principaux produits que nous vendons à l’étranger sont l’énergie, qui représente environ un tiers de nos exportations, et les véhicules automobiles et leurs pièces, y compris les véhicules utilitaires légers et d’autres produits de ce genre, qui représentent à peu près un autre tiers. C’est un peu moins que cela, soit 30 p. 100. Nous parlons donc de classer près de 60 p. 100 de nos échanges commerciaux dans ces deux catégories. Qui est notre client? Ce sont les États-Unis. À l’heure actuelle, presque tous nos produits énergétiques sont envoyés aux États-Unis; ils ne vont nulle part ailleurs. En ce qui concerne le Pacte de l’automobile original et l’ALENA actuel, il est possible de commercer avec d’autres pays dans le secteur automobile. Soyons réalistes; nous sommes vraiment liés aux États-Unis dans ce secteur, compte tenu de toutes les chaînes d’approvisionnement qui ont été créées.

Maintenant, en ce qui concerne le marché de l’énergie, oui, nous pourrions produire du GNL. L’Australie a construit cinq usines de GNL, les États-Unis, six, alors que nous n’en avons construit aucune. En fait, nous vendons aux États-Unis du gaz naturel peu coûteux qui, en un sens, est réexporté en GNL. Je pense effectivement que le GNL est un secteur potentiel, mais je peux vous dire que, pour le moment, je ne crois pas que plus d’une usine de GNL sera construite au Canada. Il n’est pas tout à fait clair que les conditions économiques propices à cette production existent encore. Il se peut que, dans une grande mesure, nous ayons raté le coche.

Dans le cas du pétrole et du gaz naturel, la question est la suivante : où le pétrole transporté par l’oléoduc Trans Mountain serait-il envoyé? Eh bien, il est probable qu’une part importante de ce pétrole serait envoyée en Californie, là où ils ont besoin de pétrole lourd. C’est la façon la plus économique de le transporter, et les prix en vigueur pour cette ressource sont les meilleurs. En fait, même si nous bénéficierions d’un plus grand nombre de débouchés si nous avions d’autres options, il n’est pas tout à fait certain que nous pourrions diversifier beaucoup plus notre commerce grâce à l’oléoduc Trans Mountain.

Dans le cas d’Énergie Est, la plupart des membres de l’industrie diraient qu’une quantité considérable de ce pétrole aboutirait sur la côte du Golfe du Mexique, là où il y a d’énormes raffineries et où on peut obtenir d’importantes économies d’échelle.

En d’autres termes, même si nous pouvions construire un plus grand nombre de pipelines, une part importante du pétrole transporté finirait probablement par être envoyée aux États-Unis de toute façon. C’est dû au fait que les coûts de transport vers ce pays sont les plus faibles, et que nous pouvons profiter des économies d’échelle associées au pétrole lourd, par exemple. Ces facteurs sont donc très importants.

Cependant, cela ne veut pas dire que l’Inde en particulier, mais aussi la Chine ne manifesteront pas un véritable intérêt pour le pétrole canadien dans les années à venir. Cela pourrait se produire parce que ce sont d’importants importateurs de pétrole. Nous jouirions donc d’un plus grand nombre d’options si nous construisions ces pipelines et ces usines de GNL, mais je tenais à dire que vaincre la domination des États-Unis et de l’énergie ne sera pas une tâche particulièrement facile à accomplir.

La même chose vaut pour le secteur automobile. Si l’ALENA 2.0 ou, comme certains l’appellent, l’ALENA 0.8 est conclu, il ne fera que nous lier plus étroitement aux États-Unis au chapitre des politiques et des chaînes d’approvisionnement du secteur automobile. Je ne pense pas que nous apporterons des changements remarquablement importants à notre commerce, même si nous le diversifions davantage.

Dans l’industrie forestière, certains de nos efforts ont été fructueux. À une époque, presque aucun produit tiré du bois n’était acheminé en Asie. D’après quelques chefs de la direction qui se confient à moi, en raison des restrictions en matière d’exportation du bois qui sont en vigueur en Colombie-Britannique et qui entraînent la vente d’un bois essentiellement subventionné aux usines de produits forestiers et de pâtes et papiers parce que les restrictions provoquent une réduction du prix des arbres, il est beaucoup plus difficile d’exporter des arbres vers l’Asie. Les entreprises sont incapables de réaliser les économies d’échelle qui leur permettraient de tirer parti des prix plus élevés là-bas, car la quantité de bois qu’elles peuvent exporter vers l’Asie est limitée. Par conséquent, nous devons apporter une foule de changements au système si nous souhaitons véritablement tirer parti d’autres marchés. Je pense que ces changements seraient utiles, mais il est beaucoup plus difficile de réussir à diversifier son commerce que les gens l’imaginent. Les traités ne seront pas la seule solution requise.

Le sénateur Tkachuk : Monsieur Macklem, si vous avez une quelconque influence sur les membres du comité, je leur rappelle que vous avez dit, entre autres, que des mesures comme la Banque de l’infrastructure du Canada et les supergrappes ne sont pas des moyens de renforcer l’économie canadienne afin qu’elle soit compétitive. Nous devons nous débarrasser des barrières commerciales interprovinciales. Nous avons besoin d’une commission nationale des valeurs mobilières. Nous devons être en mesure de transporter nos produits hors du Canada, sans qu’ils soient bloqués en Alberta et en Saskatchewan. Voilà le genre de mesures que nous devons prendre pour accroître notre productivité.

La valeur du dollar canadien est établie à 75 ou 76 cents. Si nous voulons avoir une productivité accrue... Je veux dire que nous subventionnons nos exportateurs. Les prix de nos produits de base doivent être plus élevés, si nous voulons accroître la valeur de notre dollar. C’est ce que la banque nous a dit la dernière fois que ses représentants ont comparu devant nous. Toutefois, dans quelle mesure les prix de nos produits de base doivent-ils augmenter avant que la valeur du dollar canadien s’établisse à, disons, 80 ou 85 cents, à savoir le niveau où il devrait se trouver, selon moi? Mais un dollar qui vaut 74, 75, 76 cents? Tant que notre dollar demeurera à ce niveau, il nous sera impossible d’accroître notre productivité, alors que nous vivons à côté d’une énorme frontière de 5 000 milles qui nous sépare des États-Unis.

M. Macklem : Eh bien, je ne parlerai pas au nom de la Banque du Canada, mais en ce qui concerne le rapport entre la productivité et le taux de change, j’estime que le lien de cause à effet va plutôt dans le sens inverse. Notre dollar s’établit à environ 75 cents parce que notre productivité équivaut à 75 p. 100 de celle des États-Unis. Si nous voulons que notre économie soit plus forte, que notre dollar canadien soit plus fort, nous devons améliorer notre compétitivité et notre productivité. Vous verrez alors ces paramètres se rapprocher du niveau désiré.

Le sénateur Tkachuk : Ce n’est pas lié au prix des produits de base?

M. Macklem : Nous ne pouvons simplement pas entrer en concurrence avec eux. Si la valeur de notre devise était égale à celle des États-Unis, ce serait problématique, car nous ne pourrions pas soutenir leur concurrence.

M. Mintz : Je partage l’avis de Tiff. Selon moi, le taux de change est un prix. Les prix sont déterminés par l’offre et la demande. Un taux de change faible n’est pas en soi une subvention aux exportateurs. Je dirais que c’est un signe que nous avons des problèmes en matière de compétitivité. Nous oublions que, lorsque notre taux de change est faible, les Canadiens sont plus pauvres parce que leur capacité d’acheter des biens et services ailleurs est plus coûteuse. Nos revenus réels sont donc inférieurs. En fait, je suis moins préoccupé par la perspective d’avoir une devise forte que par la perspective d’avoir une devise faible, car la valeur élevée du dollar est un signe de force et la valeur inférieure du dollar est un signe de faiblesse. Cette valeur inférieure découle d’un manque de productivité, c’est-à-dire d’un problème fondamental.

J’aimerais faire valoir très rapidement un autre argument. Nous ne devons pas perdre de vue que, lorsque notre dollar est faible, cela accentue l’exode des cerveaux vers les États-Unis. Nous n’avons pas encore observé ce phénomène parce que les données commencent seulement à nous parvenir, mais les conditions sont réunies, étant donné que notre taux d’imposition des particuliers est très élevé et que notre dollar est faible — notre situation était identique dans les années 1990. Nous avions alors observé des problèmes très importants d’exode des cerveaux dans un certain nombre de domaines, qu’il s’agisse de médecins, d’entrepreneurs ou d’autres professionnels qui décidaient qu’il valait mieux travailler aux États-Unis parce que les salaires et d’autres avantages étaient meilleurs là-bas. Il se peut que nous attirions au Canada quelques emplois supplémentaires offerts par Microsoft et Google, mais cela ressemble typiquement à ce qui s’est produit il y a quelques années dans les secteurs manufacturiers et autres. Les entreprises investissent dans les faibles salaires du Canada, dont ils tirent parti. Donc, à Vancouver, elles versent un salaire de 50 000 $, alors que de l’autre côté de la frontière, à Seattle, il se pourrait qu’elles versent un salaire deux fois plus élevé. À mon avis, ce problème est grave, car il indique vraiment que notre niveau de vie pâtit de notre manque de productivité.

Le président : Monsieur Mercury, souhaitez-vous ajouter quelque chose à cela?

M. Mercury : J’aimerais juste faire une brève observation parce qu’à mon avis, cet enjeu est grandement axé sur la productivité. Pour aborder la question sous un angle légèrement différent, je dirais que, selon moi, nous voyons un plus grand nombre de jeunes Canadiens qui visitent les États-Unis et qui y travaillent maintenant. Je pense que les acteurs américains, que ce soit des sociétés, des cabinets ou des fonds, déploient davantage d’efforts pour recruter au Canada. Je crois que ce phénomène est très réel, et qu’il ne va pas disparaître. En fait, il gagnera en intensité, et les employeurs nous soutireront quelques-uns de nos travailleurs les plus talentueux, dans lesquels notre pays a déjà investi, entre autres, en finançant d’excellentes universités. C’est un vrai problème et un résultat prévisible que nous devons combattre.

Le président : J’ai maintenant le privilège de vous remercier, messieurs Mintz, Macklem et Mercury. Nous avions prévu une séance d’une heure, et elle a duré le double de temps parce que vos témoignages nous étaient trop précieux pour que nous les interrompions. Je tiens à remercier tous les participants. Nous avons une dette envers chacun de vous, et nous ferons de nouveau appel à vous. Merci.

(La séance est levée.)

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