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BANC - Comité permanent

Banques, commerce et économie

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce

Fascicule no 55 - Témoignages du 1er mai 2019


OTTAWA, mercredi 1er mai 2019

Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce se réunit aujourd'hui, à 16 h 16, pour étudier la situation actuelle du régime financier canadien etinternational.

Le sénateur Douglas Black (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bonjour et bienvenue, chers collègues et membres du grand public qui suivent aujourd’hui les délibérations du Comité sénatorial permanent des banques et du commerce. Je m’appelle Doug Black. Je suis l’un des sénateurs de l’Alberta et j’ai le privilège de présider ce comité.

Je vais demander aux sénateurs de bien vouloir se présenter à monsieur le gouverneur et à madame la première sous-gouverneure.

Le sénateur Klyne : Marty Klyne, de la Saskatchewan.

Le sénateur C. Deacon : Colin Deacon, de Nouvelle-Écosse.

[Français]

Le sénateur Mockler : Percy Mockler, du Nouveau-Brunswick.

[Traduction]

La sénatrice Duncan : Patricia Duncan, du Yukon.

[Français]

Le sénateur Day : Joseph Day, du Nouveau-Brunswick.

La sénatrice Bellemare : Diane Bellemare, du Québec.

Le sénateur Dagenais : Jean-Guy Dagenais, du Québec.

[Traduction]

La sénatrice Frum : Linda Frum, de l’Ontario.

La sénatrice Stewart Olsen : Carolyn Stewart Olsen, du Nouveau-Brunswick.

La sénatrice Marshall : Elizabeth Marshall, de Terre-Neuve-et-Labrador.

[Français]

La sénatrice Verner : Josée Verner, du Québec.

[Traduction]

La sénatrice Wallin : Pamela Wallin, de la Saskatchewan.

Le président : Sachez aussi, madame et monsieur, que nous bénéficions également de l’appui de notre greffière et de nos analystes.

Nous sommes tout à fait ravis d’accueillir à nouveau deux hauts dirigeants de la Banque du Canada, M. Stephen S. Poloz, gouverneur, et Mme Carolyn A. Wilkins, première sous-gouverneure. Lors de notre dernière réunion, en octobre 2018, nous avions traité du Rapport sur la politique monétaire que vous veniez de publier. Nous allons aujourd’hui consacrer nos délibérations à l’édition d’avril 2019 du même titre, publiée il y a une semaine.

Sans plus attendre, je vous invite, monsieur le gouverneur, à nous faire part de vos commentaires préliminaires après lesquels mes collègues auront des questions à vous poser.

Stephen S. Poloz, gouverneur, Banque du Canada : Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du comité, je vous remercie de votre accueil. Une fois encore, madame la première sous-gouverneure Wilkins et moi sommes ravis de vous entretenir du Rapport sur la politique monétaire, que la Banque du Canada a publié la semaine dernière.

[Français]

Lors de notre dernier témoignage il y a six mois, nous estimions que les choses évoluaient de façon très positive. L’économie canadienne allait très bien et, en gros, était de retour à bon port, c’est-à-dire que l’économie tournait près des limites de sa capacité et que l’inflation était près de notre cible. En même temps, on suivait les risques liés aux mesures commerciales protectionnistes et aux niveaux élevés d’endettement des ménages.

Malheureusement, par la suite, il s’est produit deux événements négatifs. Ces événements ont obligé l’économie à prendre un détour et retardent son retour à bon port. Notre prévision part du principe que leur incidence sera temporaire. Une fois que l’économie se sera ajustée, la croissance va se redresser. Par conséquent, dans notre rapport, nous avons abaissé notre prévision de croissance pour cette année. Nous estimons qu’elle sera de 1,2 p. 100 en 2019 et d’environ 2 p. 100 en 2020 et 2021.

[Traduction]

Permettez-moi de vous donner plus de détails. D’abord, l’économie mondiale a ralenti vers la fin de l’année dernière. Je dois préciser que nous nous attendions à un certain ralentissement en raison de la diminution de l’effet expansionniste des mesures budgétaires américaines. Toutefois, la baisse de régime a été plus importante que la plupart des prévisionnistes l’avaient escompté et elle s’est poursuivie en 2019.

Ce ralentissement à l’échelle mondiale s’explique notamment par la guerre commerciale menée par les États-Unis, qui retarde les décisions d’investissement des entreprises dans de nombreux pays. L’incertitude entourant les futures politiques commerciales a augmenté : ici, au Canada, les doutes quant à la ratification de l’Accord Canada — États-Unis — Mexique ont augmenté et ils demeurent un risque à la baisse pour nos perspectives d’investissement.

Il est évident qu’une escalade des conflits commerciaux porterait un coup à l’économie mondiale, mais des progrès vers leur résolution lui seraient très favorables. Je tiens à souligner que les entreprises et les économies finiront par s’adapter au niveau accru d’incertitude concernant les échanges commerciaux, en revoyant leurs projets d’investissement à la baisse. Une fois ces ajustements effectués, toutefois, la croissance économique pourra se redresser.

La nouvelle chute marquée des prix du pétrole à la fin de 2018, qui a exercé une pression considérable sur le secteur pétrolier canadien, constitue l’autre événement important survenu depuis octobre. Plus récemment, les prix du pétrole se sont raffermis, y compris ceux obtenus par les producteurs de l’Ouest du Canada.

Cependant, les effets des contraintes de transport sur la croissance future demeurent une source appréciable de ralentissement et d’incertitude. Ce facteur a entraîné une autre révision à la baisse des intentions d’investissement dans le secteur. Cette révision est probablement en partie de nature plus structurelle que cyclique. En effet, elle représente l’ajustement continu du secteur à des cours mondiaux du pétrole entre 50 et 60 $ US le baril, des cours qui étaient beaucoup plus élevés il y a cinq ans. Ce processus d’ajustement se manifeste aussi dans les salaires et d’autres coûts, ainsi que dans l’évolution du marché du logement en Alberta.

Il est important de noter que, à mesure que les investissements dans le secteur pétrolier diminuent, la croissance de l’économie canadienne ralentit. Cela dit, lorsque ces niveaux d’investissement vont cesser de descendre, la croissance au pays va se redresser, même si ce n’est pas le cas des investissements dans le secteur pétrolier, car d’autres sources de croissance vont devenir prédominantes dans les données. La même dynamique a été observée après le choc des prix du pétrole de 2014-2015.

En plus des préoccupations au sujet du commerce international et des prix du pétrole, nous avons continué de surveiller l’ajustement du marché canadien du logement aux mesures provinciales et municipales en matière de logement, aux nouvelles règles sur les prêts hypothécaires et aux hausses passées des taux d’intérêt. Cet ajustement est particulièrement important, étant donné le niveau élevé d’endettement des ménages.

Notre analyse se trouve compliquée par l’activité sur certains marchés qui étaient effervescents auparavant, en particulier les régions du Grand Toronto et du Grand Vancouver. Une étude menée par le personnel de la banque montre que la hausse marquée des reventes de logements par rapport aux niveaux dictés par les facteurs fondamentaux en Ontario et en Colombie-Britannique — et la baisse qui a suivi — présentent une forte corrélation avec les attentes à l’égard des prix des logements. Ce résultat porte à croire que les mesures provinciales et municipales en matière de logement ont eu un effet beaucoup plus grand sur l’activité dans le secteur de l’habitation que les modifications de la ligne directrice sur les prêts hypothécaires et les hausses des taux d’intérêt.

[Français]

Cette analyse est renforcée par le fait que l’activité est solide dans de nombreux autres marchés au pays. Ces marchés ont les mêmes règles hypothécaires et les mêmes taux d’intérêt. C’est ce qu’on voit dans une économie en croissance où la population augmente et le marché de l’emploi est vigoureux. Par conséquent, à mesure que la situation se stabilise à Toronto et à Vancouver, le secteur canadien du logement devrait globalement croître de nouveau plus tard cette année.

[Traduction]

Enfin, je rappellerais que le gouvernement fédéral et plusieurs provinces ont fait des annonces durant la période budgétaire. Selon notre analyse, l’effet combiné des ajustements aux projets d’investissement annoncés jusqu’ici se traduirait par une révision à la baisse de nos prévisions de croissance d’environ 0,2 point de pourcentage en 2020.

En résumé, l’économie canadienne est confrontée actuellement à des vents contraires, mais il y a de bonnes raisons de croire qu’elle va s’accélérer durant la deuxième moitié de l’année. Dans ce contexte, le conseil de direction de la Banque du Canada juge qu’un taux directeur expansionniste demeure justifié. Nous continuerons d’évaluer le degré approprié de la détente monétaire à mesure que les nouvelles données seront disponibles. En particulier, nous suivons l’évolution des dépenses des ménages, des marchés pétroliers et des politiques commerciales mondiales afin de jauger la mesure dans laquelle les facteurs qui pèsent sur la croissance et les perspectives d’inflation se dissipent.

Pour conclure, j’aimerais mentionner que, depuis notre dernier témoignage, nous avons mis en circulation notre nouveau billet de 10 $ qui est orné, au recto, du portrait de Viola Desmond, figure emblématique canadienne de la lutte pour les droits civils, et, au verso, d’une représentation du Musée canadien pour les droits de la personne. J’ai été ravi d’apprendre que cette nouvelle coupure vient d’être nommée « billet de banque de l’année » 2018 par l’International Bank Note Society.

Sur ce, la première sous-gouverneure Wilkins et moi serons heureux de répondre à vos questions.

Le président : Je vous remercie, monsieur le gouverneur. Nous allons maintenant vous soumettre une série de questions, en commençant par celle de notre vice-présidente.

La sénatrice Stewart Olsen : Je vous remercie d’être venus participer à nos délibérations. Je me souviens que, lors de votre dernier passage parmi nous, vous nous avez dit, pour l’essentiel, la même chose. Par contre, lorsque je lis vos prévisions économiques, la situation n’est pas brillante. Elle n’est tout simplement pas encourageante. Je vous entends bien nous parler de production pétrolière, pour laquelle nous n’obtenons pas les prix que nous devrions recevoir, mais il y a d’autres secteurs de croissance de notre économie qui vont nous permettre de rétablir la situation. Ensuite, vous nous expliquez que vous vous attendez à une accélération de la croissance cette année. Pouvez-vous me dire sur quels éléments vous vous appuyez pour faire cette prévision?

M. Poloz : Je vais répondre brièvement à votre question avant de céder la parole à Mme Wilkins qui, je crois, voudra poursuivre dans la même veine.

Il y a là un concept important qui fait ressentir ses effets, à savoir que les chocs que nous avons cernés, aussi bien sur notre marché intérieur qu’ailleurs dans le monde, sont des chocs qui, à notre avis, ont des répercussions sur le niveau de l’activité économique, par exemple sur le niveau des investissements. Lorsque vous ne savez pas avec certitude ce qu’il adviendra des ententes commerciales, alors que votre entreprise dépend de la libre circulation de vos produits, et que vous pouvez vous voir imposer diverses formes de tarifs ou d’autres mesures, en vous trouvant donc dans l’incertitude, il se peut alors que vous décidiez que ce n’est pas le moment de développer vos activités. Vous reportez donc un investissement ou vous abstenez tout simplement de le faire. Le résultat de ce comportement est que le niveau des investissements baisse.

Nous pourrions prendre un autre exemple, celui du secteur pétrolier. Nous savons que nous avons réduit les investissements d’environ 50 p. 100 à la suite de la forte diminution des prix du pétrole de 2014-2015, et les représentants des entreprises du secteur nous disent que, étant donné l’évolution au cours des six derniers mois, celles-ci planifient une réduction additionnelle des investissements de 20 p. 100. Notre mesure de la croissance va donc baisser pendant cette phase de transition. Lorsque nous aurons cessé de réduire nos investissements, nous allons revenir à ce que nous appelons notre niveau normal d’investissement, et le taux de croissance tendancielle reviendra à son niveau antérieur. Cela s’explique par la croissance de la population et des emplois, par l’expansion du secteur des services qui se poursuit encore, mais ces nombres élevés sont tirés vers le bas par ces phénomènes transitoires. C’est là la nature de la plupart des chocs que nous avons identifiés.

Je vous ai donné des exemples canadiens. La situation mondiale est critique, parce que 47 pays ont expérimenté exactement le même ralentissement, avec des caractéristiques très similaires.

Je vais maintenant céder la parole à Mme Wilkins.

Carolyn A. Wilkins, première sous-gouverneure, Banque du Canada : Notre évaluation de la reprise au Canada repose en partie sur des facteurs intérieurs agissant sur le marché du logement et, bien évidemment, sur les ajustements en cours dans le secteur pétrolier.

Elle dépend également de la stabilisation de la croissance de l’économie mondiale, et d’un rattrapage dans certains secteurs. Notre analyse est la même quand nous examinons la situation mondiale. Le gouverneur a fait état de l’un des facteurs qui affectent tous les pays, l’incertitude. Il y a aussi l’ajustement à un niveau inférieur d’investissement des entreprises, qui semble correspondre au niveau d’incertitude observé. Même les effets directs des échanges commerciaux ont des répercussions sur le niveau des exportations qui atteignent un nouveau niveau correspondant à celui des tarifs imposés. Lorsque cette situation se stabilisera, nous verrons les effets des moteurs de la croissance reprendre le dessus.

Toutefois, outre le volume des échanges commerciaux, il y a également d’autres facteurs qui font que nous croyons que, dans une certaine mesure, l’économie mondiale va résister et qu’elle enregistrera un taux de croissance plus faible sans doute, mais un taux correspondant à celui d’une croissance durable, soit environ 3,25 p. 100 au niveau mondial. L’un de ces autres facteurs est lié à la façon dont les conditions financières se sont adaptées au cours des derniers mois. Elles sont devenues beaucoup plus accommodantes, en partie sous l’effet des mesures prises par les banques centrales, comment en Chine où les mesures monétaires et budgétaires qui ont été prises vont soutenir son économie. Nous avons déjà observé dans ce pays une reprise de la croissance, et nous espérons que l’activité économique continuera à s’accroître à un rythme passablement soutenu.

D’autres banques centrales ont également, comme la nôtre, indiqué au marché, où elles ont au moins agi comme si elles avaient adopté une approche plus accommodante qu’elle ne l’avait prévu en janvier dernier. Nous avons vu les rendements des obligations diminuer, et pas seulement au Canada, mais partout dans le monde. Le gouverneur vous a parlé des taux hypothécaires inférieurs de 60 points de base au début de cette année. C’est aussi un facteur qui s’est manifesté dans un grand nombre de pays.

Tous ces éléments combinés expliquent la prévision que nous avons faite. Toute prévision est risquée, et le sera toujours, et nous le savons fort bien. C’est la raison pour laquelle nous vous avons dit que nous dépendons des données. Nous allons suivre leur évolution très attentivement.

La sénatrice Stewart Olsen : Je vous remercie de ces explications.

J’ai une question à vous poser sur la façon dont les choses se passent, parce que je n’en suis vraiment pas certain. Lorsque vous observez ces données, informez-vous le gouvernement des mesures prises, par exemple, par la Chine pour redresser son économie? Comment les choses se passent-elles? J’imagine que vous ne vous contentez pas de rester assis en attendant d’observer des données encourageantes ou de constater que la situation se redresse.

M. Poloz : Je pourrais vous dire, par exemple, que c’est lors d’une réunion internationale des banques centrales tenue à Bâle que nous avons obtenu nos meilleures mises à jour sur l’économie chinoise, tout comme lors des réunions du FMI auxquelles nous avons assisté il y a deux semaines. Le ministre des Finances et moi y assistions tous deux, lui avec ses collaborateurs, et moi avec Mme Wilkins, qui est avec nous aujourd’hui. Nous avons tous pris connaissance de ces mises à jour. Les marchés financiers suivent de très près la situation dans ce pays. Ce n’est pas comme si chacun de nous devait informer les autres de ces développements sur la scène internationale.

Il faut garder à l’esprit que l’économie est animée dans une certaine mesure par un élan sous-jacent, qui était alors très puissant. Si nous revenons à 2017-2018, notre objectif était presque atteint. Nous connaissions alors le plein emploi. Le taux de chômage était à son plus bas niveau depuis 40 ans. Le taux de croissance avait atteint son potentiel et l’inflation était au niveau visé. La seule chose qui paraissait un peu étrange était les taux d’intérêt plus faibles qu’à l’accoutumée dans ce type de conditions. Nous nous efforcions donc de tenter de normaliser graduellement les taux d’intérêt. C’était une situation assez courante dans le monde, alors que de nombreux pays faisaient face à des conditions similaires même si, au départ, les conditions dans lesquelles ils se trouvaient étaient différentes.

Nous nous sommes ensuite demandé ce qui s’était passé. Nous n’avons eu d’autre choix que de constater que, lorsque 47 pays réagissent tous de la même façon au même moment, c’est qu’ils obéissent à un même déterminant. Il n’y en a qu’un que l’on puisse mettre de l’avant, et c’est la guerre commerciale lancée par les États-Unis. Ce n’est pas uniquement le fait de la Chine. Tous les partenaires commerciaux des États-Unis ont eu à subir des tarifs douaniers sur l’acier et sur l’aluminium. L’imposition de ceux-ci a déclenché des mesures de rétorsion qui ont touché un éventail beaucoup plus large de biens des États-Unis.

Nous savons tous que, au bout du compte, les guerres commerciales ont pour effet de réduire la capacité de dépenser des consommateurs et de ralentir les économies. Elles sont déclenchées dans l’espoir d’améliorer la situation d’un secteur d’activité ou d’un autre dans le pays d’origine, mais ce n’est jamais vraiment comme cela que les choses se passent, mais c’est bien ce qui ralentit l’économie mondiale. Ce ralentissement n’est pas causé par les mesures commerciales elles-mêmes. Nous avons intégré ces mécanismes à notre prévision. Ce ralentissement tient au sentiment que, partout dans le monde, pour que les gens d’affaires décident d’investir l’argent qu’ils ont durement gagné, il faut qu’ils aient un minimum de confiance envers le système dans lequel ils évoluent or, aujourd’hui, ils ne sont plus certains de ce que l’avenir leur réserve.

La sénatrice Stewart Olsen : Je vous remercie de ces explications.

La sénatrice Wallin : Je vous remercie. J’ai deux questions à vous poser. Le jour suivant le dépôt du budget, M. David Rosenberg, un économiste que la plupart des gens connaissent, a déclaré ce qui suit :

La Banque du Canada veut donc que les Canadiens et les Canadiennes réduisent leur niveau d’endettement et rééquilibre l’économie en abandonnant les dépenses de logement et de consommation au profit des investissements et des exportations. Pourtant, le Budget fédéral a fait précisément l’inverse!

Êtes-vous d’accord ou non avec cette affirmation et qu’en pensez-vous?

M. Poloz : Je partage les opinions de David Rosenberg sur quantité de sujets, mais pas dans ce cas-ci.

La façon dont nous voyons globalement la situation, à la suite de la crise financière mondiale, est que les économies s’en sont remises à un régime minceur constant de la dette des consommateurs, en croissance, afin d’encaisser les chocs qui causaient leurs érosions. J’ai déjà eu l’occasion de vous dire auparavant qu’un gouvernement aurait peut-être mieux fait de prendre un grand nombre de mesures financières et d’accroître la dette du secteur public. Certaines économies sont allées davantage dans ce sens, et d’autres en sens inverse. Au Canada, nous avons adopté la solution de la dette fiscale en 2008 et en 2009-2010, avant d’entamer une consolidation sur le plan financier. La faiblesse des taux d’intérêt a fait grimper le niveau d’endettement des consommateurs et le secteur du logement a alors enregistré une croissance destinée pour l’essentiel à compenser les chocs venant de l’étranger qui touchaient notre économie. Nous n’avons donc pas accumulé de dette.

Ce que nous espérons est que l’économie revienne à l’équilibre; le secteur de l’exportation jouant un rôle plus important dans la croissance. Les investissements devraient alors aller de pair parce que si votre entreprise parvient à exporter davantage, vous n’allez pas hésiter à tenter de la développer. Bien évidemment, lorsque nous normalisons la situation, les taux d’intérêt grimpent un peu, et ils dépassent déjà les planchers antérieurs. Au fur et à mesure que ces taux d’intérêt continuent à monter, le secteur du logement a tendance à ralentir en pourcentage de la croissance économique. C’est ce que nous appelons un rééquilibrage de l’économie qui nous ramène à la normale.

Dans le cas du budget de cette année, ses effets ont été passablement neutres. Il comportait beaucoup de mesures, mais au niveau macroéconomique, celles-ci n’ont pas vraiment eu d’effets sur notre prévision.

La sénatrice Wallin : Je vous remercie. Dans le prolongement de la question précédente, vous parlez maintenant de la diminution de vos anticipations pour le second semestre de cette année alors que vous vous attendez à une reprise de l’activité, tout en sachant qu’elle ne viendra pas du secteur pétrolier, mais que les autres secteurs d’activité compenseront les faiblesses de celui-ci. Pouvez-vous nous dire quels devraient être ces autres secteurs?

M. Poloz : Oui. En vérité, j’ai prononcé un discours sur ce sujet à Iqaluit il y a environ quatre semaines. Pour l’essentiel, les effets de l’économie se font ressentir dans deux domaines. Environ 50 p. 100 de l’économie enregistrent une croissance de plus de 4 p. 100, plus près de 5 p. 100 en vérité. Ce volet de l’économie est mené par les entreprises de services de TI. Ces services de TI enregistrent les croissances les plus rapides des exportations et de la création d’emplois. Le second groupe en importance est celui des services d’ingénierie et des autres services professionnels. Lui aussi enregistre une croissance très rapide et, comme nous le savons tous, c’est un secteur dans lequel le nombre d’emplois bien rémunérés augmente.

L’un des autres secteurs de ce groupe est celui du tourisme. Il est passablement important et appartient aussi au domaine des services. Il est intéressant de rappeler ici que ce secteur comprend également des services éducatifs, qui constituent pour nous une très importante catégorie d’exportation en croissance. Lorsqu’un étudiant étranger vient poursuivre des études au Canada, il doit acquitter des frais d’inscription et pendant les quatre années qu’il passe au pays, il engage quantité d’autres dépenses liées à son logement qui sont comptabilisées comme des recettes touristiques, parce que les fonds proviennent de l’étranger. Une autre catégorie très importante est celle des services financiers. Dans ce groupe, le dernier secteur que j’évoquerai est celui de la santé. Ces grands secteurs de services sont des moteurs de l’économie.

L’autre moitié de notre économie enregistre globalement un rythme de croissance plus lent. Nous avons parlé du secteur pétrolier, mais il faut savoir que, en règle générale, les secteurs manufacturiers sont les plus sensibles à l’incertitude touchant les échanges commerciaux. Cette incertitude affecte les activités d’investissement des entreprises de ces secteurs.

Entre ces deux grands groupes, nous avons quelques secteurs d’activité qui se trouvent à mi-route, comme le secteur agroalimentaire qui obtient de bons résultats si ce n’est de quelques problèmes d’échanges commerciaux. C’est aussi un secteur qui offre un potentiel de croissance élevé.

Tout cela pour dire qu’on observe tout un éventail de situations, et qu’il y a quantité d’activités qui ne sont pas touchées par les chocs dont nous avons discuté. Pour certaines d’entre elles, les taux de croissance sont même passablement bons. Cela est manifeste quand on observe le marché du travail. Celui-ci se comporte particulièrement bien. C’est d’ailleurs ce que nous constatons dans quantité d’autres pays qui ont connu un ralentissement de leur croissance économique. C’est le secteur manufacturier qui a encaissé le plus durement les effets de la guerre commerciale alors que les autres 80 p. 100 de l’économie, constitués de secteurs de services dans la plupart des grandes économies, connaissent une bonne croissance et créent beaucoup de nouveaux emplois.

C’est ainsi que 80 p. 100 de l’économie peuvent croître et qu’il suffit qu’un secteur traîne de la patte pour entraîner à la baisse les résultats de l’ensemble de l’économie. Quand ce ralentissement cesse, par exemple après la période de ralentissement des investissements, lorsque c’est la fin des coupures, les autres 80 p. 100 de l’économie apparaissent à nouveau comme des leaders. C’est le cœur de notre histoire.

Le sénateur C. Deacon : Monsieur le gouverneur, madame la première sous-gouverneure, je vous remercie tous deux d’être venus nous rencontrer et des efforts que vous avez faits pour nous expliquer les choses de façon simple. C’est d’une grande aide pour ceux d’entre nous qui ne vivent pas dans votre univers.

Au Canada, nous avons choisi de mettre l’accent sur les investissements et les gains de productivité qu’ils devraient permettre. Je crois que c’est en 2014 que Dominic Barton a énoncé pour la première fois que le Canada réussit fort bien à mettre en œuvre des idées quand l’argent est disponible, mais ces idées ne se révèlent pas nécessairement rentables. C’est là une formulation percutante d’une question fondamentale, à laquelle je m’intéresse activement.

La mesure dans laquelle vous observez des preuves de ceci dans… Vous nous avez dit que le secteur des services de TI est celui qui a la plus forte croissance, et j’imagine qu’il peut s’agir des entreprises appliquant le modèle SaaS, et d’autres.

Donc, dans la mesure où vous constatez que des investissements consacrés à la mobilisation des connaissances obtiennent des succès très réels sur un marché mondial hautement concurrentiel, succès qui s’avèrent fort utiles pour compenser les résultats décevants de certains secteurs à la traîne, pouvez-vous nous entretenir un peu plus longuement de ce phénomène? Ce qui motive cette demande est que je crois qu’il est grand temps de prendre conscience qu’il s’agit d’un de ces mécanismes que nous maîtrisons assez bien, mais que nous pourrions le faire encore bien mieux. Il faut aussi que nous sachions quels autres aspects de l’économie peuvent être touchés de façon favorable par un tel mécanisme.

M. Poloz : Bien sûr. Permettez-moi auparavant, avant de céder la parole à Mme Wilkins, de vous dire ceci à titre de préambule : je crois que l’ensemble de la réponse que je viens de donner à la sénatrice Wallin peut vous donner une idée de la diversité des expériences qu’il peut y avoir. Dans certains domaines d’activité, des entreprises pourraient tout à fait forcer les portes sans que les données agrégées que nous utilisons couramment, et qui sont simplifiées à l’emporte-pièce dans la citation de Dominic Barton, ne nous révèlent quoi que ce soit. C’est donc un élément important qu’il faut garder à l’esprit lorsque nous voyons ces histoires encourageantes. Pourquoi ne parleriez-vous pas un peu de ces…

Le sénateur C. Deacon : Il faut donc que je cherche des entreprises qui se distinguent, mais dont les données ne sont pas agrégées dans une catégorie.

Mme Wilkins : C’est intéressant. Vous cherchez des entreprises qui se distinguent, mais dont les données ne sont pas agrégées dans une catégorie. Je comprends cela. Il est sûr que les entreprises qui adoptent rapidement la technologie vont se distinguer.

Lorsque vous examinez de façon générale la façon dont les choses se passent au Canada et que vous cherchez à déterminer pourquoi sa productivité accuse du retard, par exemple par rapport aux États-Unis, on dit toujours que c’est en partie parce que nous n’avons pas accès aux mêmes économies d’échelle que d’autres concurrents. Par contre, lorsque vous creusez un peu plus la question, ce sont en vérité les gains dont peuvent vous faire bénéficier les nouvelles technologies et les entreprises qui se distinguent qui sont diffusés partout dans l’ensemble du spectre industriel.

Donc, ce qui semble retarder le Canada ou l’empêcher d’enregistrer autant de gains obtenus grâce aux nouvelles technologies que d’autres pays tend à être que les entreprises, pour une raison ou une autre, n’ont pas tendance à adopter autant ces nouvelles technologies que ce n’est le cas dans d’autres pays. Il y a de nombreuses raisons à cela, mais c’est la situation dans laquelle nous nous trouvons.

Donc, quand nous examinons notre prévision, en réalité, en matière de croissance de la productivité, nos attentes sont assez modestes.

Le sénateur C. Deacon : Oui.

Mme Wilkins : J’examine les chiffres, et c’est un peu comme si le 1 p. 100 baissait à 0,8 p. 100 et nous avons en vérité révisé ce chiffre à la baisse. Cela s’explique en partie parce que le profil des investissements a été revu à la baisse, mais cela tient aussi en partie au fait que les tendances au Canada n’ont pas été aussi affirmées que dans d’autres pays.

Donc, alors que nous pourrions nous retrouver, au bout du compte, avec plus ou moins le même potentiel de croissance de la production, mais un peu plus lent qu’aux États-Unis, la composition de cette croissance potentielle est différente. Notre productivité inférieure contribue à cela ainsi qu’à une plus forte croissance de la population.

Je pense donc que le travail réalisé par le Forum des politiques publiques du Canada, et par d’autres, pour réfléchir à des politiques qui nous permettraient de capitaliser sur les éléments intangibles dans les nouvelles innovations est réellement important.

Pour en terminer avec ceci, si ces investissements en innovations proviennent dans une large mesure d’éléments intangibles, un sujet que vous avez beaucoup abordé, monsieur le gouverneur, nous allons devoir vraiment nous demander si nous mesurons ou non les investissements en productivité comme ils doivent l’être.

Le sénateur C. Deacon : C’est en effet un sujet que vous avez abordé en octobre.

Le président : Merci beaucoup.

Le sénateur C. Deacon : J’ai une question complémentaire à poser.

Le président : Si vous n’y voyez pas d’inconvénient, vous la poserez lors de la seconde série de questions. J’ai une longue liste.

Le sénateur C. Deacon : Pas de problème pour moi.

Le président : Cette question sera donc pour la seconde série de questions. Je donne maintenant la parole à la sénatrice Frum, et ensuite à la sénatrice Marshall.

La sénatrice Frum : Gouverneur, les trois pays concernés n’ont pas encore ratifié le nouvel Accord Canada—États-Unis—Mexique, l’ACEUM. Pensez-vous qu’un facteur d’insécurité relatif à la possibilité que le traité ne soit pas ratifié joue encore dans les décisions d’investissement des entreprises? Est-ce à cela que vous faites allusion à la page 21 de votre rapport quand vous dites que « l’incertitude liée au commerce extérieurréduira le niveau des investissements des entreprises d’environ 2,5 p. 100 d’ici la fin de 2021 »?

M. Poloz : Oui, tout à fait. C’est exactement ce que nous avons à l’esprit. Nous vivons avec cette incertitude depuis l’arrivée au pouvoir de l’administration Trump. Les gens se sont tout de suite demandé ce qu’il allait advenir de l’ALENA.

L’écart était de plus en plus grand entre ce que nos modèles annonçaient en matière d’investissement au Canada, surtout étant donné combien les choses étaient serrées parce que les exportations avaient tellement augmenté que nous tournions à plein régime dans beaucoup d’entreprises manufacturières. Il y avait donc un écart croissant entre ces deux choses, l’investissement réel et l’investissement prévu. Nous avons donc commencé à inclure cet élément dans nos prévisions en nous disant qu’une fois l’ALENA renégocié, nous rétablirions les choses. Comme vous le savez, le soulagement était palpable dans les entreprises canadiennes quand un accord a été trouvé.

Cependant, c’est à peu près à ce moment-là qu’avaient lieu beaucoup de consultations prébudgétaires et une des idées avancées était que nous pourrions avoir un amortissement pour nous aligner, en quelque sorte, sur ce qui se faisait aux États-Unis. Pour essayer d’arriver à des règles du jeu équitables en matière d’impôt sur les bénéfices. Donc, à mon avis, dans la deuxième moitié de 2018, les gens attendaient de voir si cela se produirait et cela a été le cas, évidemment, et les feux sont repassés au vert pour 2019.

Toutefois, nous avons ensuite replongé dans l’incertitude à cause de la question de la ratification. Il y a une sorte de bras de fer en ce moment.

Nous savons, bien entendu, que de nombreuses entreprises ne comptent pas sur l’ALENA ou l’ACEUM pour prospérer.

Bon nombre de celles que je mentionnais tout à l’heure... La sénatrice Wallin évoquait les entreprises de services dont je parlais. Il se peut qu’elles comptent sur certains aspects, mais pas autant que celles du secteur des biens échangés.

Il se peut donc qu’il y ait une bonne reprise et des investissements. Nous pensons que ce sera le cas, mais nous décrivons seulement, je dirais, une reprise respectable de l’investissement. Nous ne voulons pas exagérer. Nous espérons avoir une bonne surprise. Nous nous montrons prudents tant qu’elle ne s’est pas matérialisée.

Cependant, les entreprises directement touchées par l’incertitude qui entoure l’ACEUM doivent décider si elles veulent avancer prudemment ou attendre plus longtemps, c’est-à-dire jusqu’à ce que nous y voyions plus clair au sujet de la ratification.

Nous n’avons encore aucune donnée sur les investissements en 2019. Nous avons notre propre enquête qui, je le répète, donne à penser que les intentions d’investissement sont assez importantes. Nous attendons de les voir se réaliser, mais la question est de savoir quand exactement. Nous devons donc attendre d’avoir des données qui confirment notre hypothèse.

Les chiffres agrégés continueront, bien sûr, d’être nettement en baisse, à cause de la réduction des investissements dans le secteur de l’énergie. Il nous faut filtrer cet élément pour savoir comment le reste de l’économie se comporte.

En ce qui concerne les données du commerce, normalement, elles nous donnent des indices parce que, si on importe des machines et de l’équipement, ça se voit. Pour l’instant, il n’y a pas grand-chose à voir. Nous avons les données de deux mois seulement et il n’y a pas grand-chose de nouveau à signaler.

Le président : Je vous remercie, sénatrice Frum. La sénatrice Marshall sera suivie du sénateur Day.

La sénatrice Marshall : Je vous remercie beaucoup, monsieur le président. Je remercie les témoins de leur présence aujourd’hui.

Je voulais parler de quelque chose de très précis, les taux d’intérêt. Nous attendons tous de savoir ce que vous allez annoncer et c’est à qui prédit que les taux resteront inchangés ou qu’ils seront relevés.

Il est tellement question des taux dans les médias en ce moment. Ils disent, à propos de l’endettement des consommateurs, que 46 p. 100 des Canadiens sont au bord de la faillite ou de l’insolvabilité. Ils disent aussi, bien sûr, que l’endettement des entreprises augmente et devient plus risqué. Le gouvernement est, évidemment, accro à la dette, puisqu’il doit maintenant plus de 1 billion de dollars, si on regarde les sociétés d’État.

Pensez-vous que les taux d’intérêt vont augmenter? Est-il possible qu’ils augmentent dans un proche avenir? Je n’arrive pas à croire que ce sera le cas. Que pouvez-vous nous dire à ce sujet?

J’ai l’impression que nous sommes pris entre l’arbre et l’écorce. Si les taux augmentent même un peu, l’économie s’en ressentira durement. Les finances publiques aussi. Pouvez-vous nous en parler? Je sais que vous dites que les taux d’intérêt dépendent des données, mais les données que je regarde sont toutes dans le rouge.

M. Poloz : Dans cette analyse, nous commencerons par regarder où en sont les taux d’intérêt par rapport à leurs fourchettes normales. À l’heure actuelle, notre taux d’intérêt à 1,75 est inférieur au taux d’inflation qui, comme vous le savez, est un taux d’intérêt négatif.

Il est difficile de croire que l’économie connaît une croissance égale à son potentiel et que l’inflation atteint sa cible, que le taux de chômage est au plus bas en 40 ans et que nous avons besoin d’un taux d’intérêt réel négatif pour que cela se maintienne.

Nous savons, en nous fondant sur ce que nous faisons et sur ce que nous avons dit dans notre dernière annonce relative aux taux d’intérêt, que c’est en fait la conclusion à laquelle nous sommes arrivés. Aujourd’hui, d’après ce que nous voyons, nous avons besoin de taux d’intérêt à ce niveau pour nous maintenir et pour projeter cette reprise dont nous parlions.

Cela veut dire qu’il y a quelque chose — nous parlons de vents contraires — qui nous fait reculer et les faibles taux d’intérêt font contrepoids et nous permettent d’avoir un taux de chômage au plus bas en 40 ans.

Il faut que ces vents contraires se dissipent et s’ils se dissipent, les taux d’intérêt augmenteront. Nous appliquons un taux neutre qui correspond, selon nous, à ce vers quoi il tendrait naturellement. Parce que nous ne voulons pas que les gens pensent qu’ils n’arrêteraient pas de grimper. Nous l’expliquions dans notre déclaration, il y a quelques mois, afin d’aider les gens à gérer cette attente selon laquelle si les taux d’intérêt se normalisent, il y a une fourchette de 2,25 à 3,25 p. 100, qui semble la moyenne, ou 1,75 maintenant. Nous ne sommes pas loin du bas de cette fourchette, qui est incertaine pour bien des raisons et c’est pourquoi nous ne la traitons pas comme étant figée.

Voilà pour notre contexte, et je suis d’accord que vous avez réussi à suivre en ce qui concerne l’endettement. Nous pensons que l’économie est plus sensible aux taux d’intérêt que jamais à cause de la dette que vous décriviez, ce qui influe sur l’analyse. Il s’agit peut-être du vent contraire le plus important, mais c’est pourquoi nous disons que les taux « dépendent des données ». Voulez-vous ajouter quelque chose à ce sujet?

Mme Wilkins : Il y a juste une chose au sujet de l’endettement des ménages qui est, à mon sens, vraiment importante. Nous avons dit qu’il s’agit d’une de nos plus grandes vulnérabilités intérieures, qu’il nous expose à un ralentissement. Il faut vraiment se demander d’où vient tout cet endettement.

Pour commencer, 30 p. 100 des particuliers, des ménages, n’ont aucune dette. Parmi les autres, certains sont très endettés. Nous ne regardons pas seulement les niveaux d’endettement moyens, mais la répartition, qui sont vraiment très endettés. Environ 16 p. 100 des particuliers ont un ratio d’endettement supérieur à 450 p. 100, ce qui est beaucoup. Si nous regardons comment ils en sont arrivés là et d’où vient la hausse des ratios d’endettement parallèlement, nous votons que la hausse des taux d’intérêt y est un peu pour quelque chose. Le prix des maisons y est pour beaucoup, surtout à Toronto et dans la région métropolitaine de Vancouver.

Par conséquent, quand on examine les problèmes qui se posent, il faut s’occuper de celui du montant des prêts hypothécaires, qui est plus important pour les ménages, étant donné le prix des maisons. Les rajustements que nous voyons sur les marchés immobiliers, qui concernent en partie ce problème, et les politiques adoptées pour encadrer les nouveaux emprunts, comme les règles de souscription, sont difficiles pour beaucoup de gens, mais ils contribuent aussi à la durabilité de l’économie canadienne et à la croissance que nous espérons voir.

La sénatrice Marshall : J’ai une dernière petite question. Si nous prenons l’endettement, disons l’endettement des consommateurs, et vous dites que les taux d’intérêt dépendent des données, examinez-vous ou évaluez-vous l’effet qu’ils auront sur le logement? Si les taux d’intérêt augmentent et que les gens ne peuvent pas rembourser leur prêt hypothécaire, quelles seront les répercussions sur le marché du logement? Est-ce que cela fait partie des données? Jusqu’où vont vos données?

Mme Wilkins : Nous essayons d’aller dans deux directions. Nous avons un modèle macroéconomique qui est très théorique et qui vise à modéliser différentes sortes d’emprunteurs. On sait que ce sera imparfait. C’est entièrement théorique. Nous avons des données individuelles qui sont anonymisées et qui nous permettent de faire des expérimentations. Nous disons, par exemple, pour ceux qui avaient un prêt hypothécaire de cinq ans en 2014, quelle sera leur situation au moment où ils le renouvelleront. Nous le faisons pour différentes années de prêts hypothécaires.

En fait, c’est pourquoi, quand nous comparons à l’an dernier, où nous pensions que les taux d’intérêt des prêts hypothécaires seraient peut-être beaucoup plus élevés pour les ménages, aujourd’hui, nous voyons qu’ils ont baissé de 60 points de base. Il se peut qu’il y ait une augmentation pour certains, mais pas aussi forte que nous pensions. C’est très important de calibrer cet élément. Ce sont de vraies personnes qui supportent le coût dans la vraie vie.

La sénatrice Marshall : Les taux baissent, leur capacité d’endettement augmente.

Mme Wilkins : Je dois dire que nous suivons cela de près. Nous examinons aussi les taux de faillite, les taux d’arriérés, pour repérer les signes de tension.

La sénatrice Marshall : Oui, je vous remercie.

Le sénateur Day : Monsieur le gouverneur, madame la première sous-gouverneure, je vous remercie de votre présence dans ce magnifique édifice temporaire du Sénat. Nous vous le ferons visiter plus tard, mais je me demande si vous pouvez développer vos observations préliminaires au sujet du marché du logement et des rajustements sur ce marché que vous surveillez.

On pourrait en conclure que les mesures prises par les provinces et les municipalités ont beaucoup plus d’effet sur l’activité immobilière que les changements apportés aux directives relatives aux prêts hypothécaires et les relèvements de taux d’intérêt passés.

Dans les provinces de l’Atlantique, j’ai l’impression que le test de résistance appliqué aux jeunes qui achètent leur première maison ou qui souhaitent acheter un meilleur logement leur complique beaucoup la tâche parce qu’ils ne peuvent plus avoir à faire à quelqu’un à l’échelle locale qui connaît la résilience et les facteurs non économiques qui entrent en jeu, l’aide de la famille et ce genre de choses, parce qu’on envoie leur relevé d’emploi à Toronto, où il passe dans un programme, et leur demande est rejetée tout net et leur prêteur local ne peut rien pour eux.

J’espérais que vous disiez que l’ajustement des prêts hypothécaires, le test de résistance qui est maintenant en place depuis deux petites années, devrait être réduit. Vous semblez dire que d’autres facteurs plus importants doivent être pris en compte et cela me décourage, de même que toutes les personnes qui viennent me parler de leurs difficultés.

M. Poloz : Je comprends, sénateur. Nous avons au moins trois scénarios sur le marché du logement. Nous avons celui de l’Alberta et, dans une moindre mesure, de la Saskatchewan, qui s’adaptent encore à la baisse du prix du pétrole et qui sont en pleine adaptation structurelle. Concrètement, la croissance de l’emploi est plus faible ou une partie de la main-d’œuvre s’en va, ce qui fait baisser le prix des maisons. Le marché du logement tourne alors au ralenti.

Le deuxième scénario est, en fait, celui de Toronto et Vancouver, où nous avons eu une flambée des ventes, une guerre des prix et des enchères, des augmentations de prix à deux chiffres, et ainsi de suite. C’est à ce moment-là que le marché s’est emballé et que nous avons eu une série de changements aux politiques. Il s’est maintenant calmé et nous le surveillons de près pour voir quand il se stabilisera.

Le troisième scénario est celui que nous qualifions de normal, autrement dit où ce qui détermine l’évolution du marché du logement, c’est la croissance de l’emploi, des taux d’intérêt qui restent très faibles, mais une bonne croissance de l’emploi. Bien entendu, les changements aux politiques ont aussi une incidence. La situation que vous décrivez est donc assez typique. C’est ce que j’appelle un marché normal.

Nous savons, par des microanalyses, en remontant à 2017 et en analysant les microdonnées, qu’environ 25 p. 100 des personnes qui répondaient aux critères d’obtention d’un prêt hypothécaire cette année-là ne répondraient pas aux nouveaux critères pour un prêt identique, ce que fait beaucoup de personnes. À l’époque, c’est la question précédente, celle de la hausse de l’endettement, qui nous préoccupait, et nous nous demandions si les Canadiens seraient capables de gérer ces dettes et un régime où les taux d’intérêt seraient plus normaux, au lieu d’être, comme alors, à 0,5 p. 100.

Nous savions tous que ces taux ne seraient pas immuables. Des taux de la Banque du Canada à 0,5 p. 100 ne sont pas tenables. C’est littéralement impossible. Il fallait donc préparer les Canadiens. Quand on examine les microdonnées, on s’aperçoit que les gens achètent une maison et empruntent autant qu’ils peuvent. Ils achètent ce qu’ils peuvent se permettre d’acheter.

Dans nos interventions très régulières, nous expliquons aux gens que c’est un problème imminent. Je ne devrais pas avoir à vous convaincre d’enfiler un gilet de sauvetage si vous sortez en canot. C’est un geste normal. Il en va de même des prêts hypothécaires. Vous devriez passer vous-même un test de résistance. Que se passera-t-il si les taux ont grimpé de 100 ou 200 points de base au moment de renouveler le prêt? Cela n’a pas vraiment eu d’incidence sur les chiffres, d’après ce que nous avons pu en juger.

Nous avons ces trois marchés du logement et nous avons seulement une politique qui touche tout le monde de la même façon, car franchement, les taux d’intérêt touchent tout le monde de la même façon. Cette non-durabilité et le risque d’instabilité financière, en cas de choc subi par l’économie — par exemple, si l’économie s’emballe soudain et que les taux d’intérêt augmentent —, n’auront pas d’importance.

Comme vous le voyez, nous n’avons pas baissé les taux d’intérêt au cours des six derniers mois, mais les taux hypothécaires ont baissé de 60 points de base au Canada. L’inverse peut tout aussi facilement se produire. Les taux hypothécaires peuvent grimper de 60 ou 100 points de base sans que nous changions notre taux. Les personnes qui renouvellent leur prêt hypothécaire en feront les frais. Si elles ont emprunté en pouvant uniquement se permettre le taux d’intérêt actuel, que se passera-t-il? Ce que nous aurons, c’est une amplification importante des chocs subis par l’économie canadienne, des gens perdront leur maison, et ainsi de suite.

Ces nouveaux critères sont imposés pour protéger l’économie de ces possibilités. C’est l’intention.

Nous surveillons pour voir comment les gens réagissent. Si 25 p. 100 n’obtiennent pas de prêt hypothécaire, ils peuvent réagir de différentes manières. Ils peuvent se dire que le prix est trop élevé pour eux. Ce qu’ils se disent vraiment, c’est qu’ils veulent toujours avoir une maison un jour et qu’ils vont continuer d’épargner dans l’espoir que dans un an ou deux, ils pourront en acheter une. Sur un marché normal, le prix des maisons n’augmente pas très vite. Ils peuvent encore planifier un achat.

Les gens peuvent aussi se dire qu’ils ont les moyens d’acheter quelque chose de plus petit, que la maison qui leur plaisait est trop chère pour eux, mais qu’ils peuvent en trouver une plus petite ou dans un quartier moins cher. Ils s’adaptent de cette manière.

Ce que nous voyons, c’est qu’ils ne s’arrêtent pas. Ils s’adaptent aux règles et ces règles remplissent leur fonction. La qualité des créances émises s’est donc beaucoup améliorée.

Je reviens à la question précédente. La dette en part du revenu a augmenté non pas tant parce que chaque personne s’endette davantage, mais parce que de nouvelles personnes qui se sont ajoutées au groupe endetté se sont lourdement endettées pour acheter une maison. Cela fait partie du phénomène de la capacité financière et de la peur de passer à côté d’une occasion. Si le prix des maisons augmente de 10 à 15 p. 100, ce sera la raison pour laquelle il ne sera plus abordable pour vous, et ce ne sera pas à cause du test de résistance.

Ce qui se passe, par ailleurs, c’est que les nouveaux critères ont été adoptés et que ces pressions ont disparu. Le marché du logement fonctionne donc plus normalement, ce qui est une bonne chose pour les Canadiens qui essaient de planifier leur vie.

Tout cela pour dire que, évidemment, la réponse est très compliquée. Votre question comporte beaucoup d’éléments. Je crois que, une fois que les gens auront digéré les nouvelles règles et formulé leur nouveau projet, nous assisterons à un retour de la croissance sur le marché du logement dans la deuxième moitié de cette année.

Le sénateur Day : Le test de résistance qui est appliqué aujourd’hui porte sur une augmentation de 200 points de base du taux d’intérêt sur le prêt hypothécaire envisagé. Pensez-vous que ce test de résistance sera réduit ou supprimé? Atteint-il son objectif?

M. Poloz : Il ne s’agit pas de notre test de résistance. Nous faisons partie d’un groupe qui conseille le ministre et le Bureau du surintendant des institutions financières, le BSIF, sur ces questions.

À mon sens, le test a été conçu pour la situation dans laquelle nous nous trouvons. Libre à tout le monde de surveiller la situation pour savoir comment les choses devraient évoluer avec le temps, mais pour le moment, nous avons encore des taux d’intérêt très bas.

Dans d’autres pays, les tests de résistance sont beaucoup plus importants pour se protéger contre les risques dont nous parlons. Bâle pourra recueillir des données sur l’expérience internationale dans toutes ces politiques.

La politique macroprudentielle est le nouvel instrument. Nous en avions besoin parce que les taux d’intérêt ont dû rester faibles pendant si longtemps qu’ils ont eu des effets secondaires comme ceux-ci qui ne sont, évidemment pas, du ressort de la banque centrale. Si nous essayions de maîtriser la dette avec notre taux d’intérêt, il faudrait que nous provoquions une récession pour ralentir l’endettement. Cela voudrait, bien sûr, dire que nous n’atteindrions pas notre objectif en matière d’inflation. Nous ne pouvons donc pas faire toutes ces choses avec un instrument.

Le sénateur Day : Ou l’emploi.

M. Poloz : Ou l’emploi.

Le président : Sénateur Day, vous pensiez que c’était une question simple.

[Français]

La sénatrice Bellemare : J’ai d’abord une question à poser à M. Poloz et ensuite une autre à Mme Wilkins. Je vais commencer par la première, qui concerne les risques liés à l’inflation. Dans vos prévisions pour la croissance économique, vous êtes assez pessimiste pour 2019. Dans votre rapport, vous parlez de l’inflation autour de la cible, soit environ 2 p. 100, mais pour le premier trimestre de 2019, c’est un peu plus bas que la cible, c’est-à-dire 1,7 p. 100.

J’aimerais vous entendre commenter le chapitre sur les risques liés aux perspectives d’inflation. À première vue, on dirait qu’il s’agit plutôt de risques où l’inflation sera mieux contrôlée qu’à un niveau de 2 p. 100 ou qu’elle sera peut-être même plus basse. J’aimerais vous entendre davantage sur les risques liés à l’inflation.

M. Poloz : Quand on mentionne ces risques à la fin du rapport, souvent, ces risques concernent le taux de croissance. Ce sont des risques économiques, mais c’est à cause de notre paradigme. C’est simplement que ces taux de croissance sont relatifs au taux de croissance du potentiel qui influence le taux d’inflation en deux ans. C’est sur une perspective d’environ six à huit trimestres que nous faisons ces prévisions. S’il y a un risque vers le bas pour la croissance de l’économie, on le voit dans un encadrement d’inflation, c’est-à-dire que si cela pose un risque au taux de croissance, cela va toucher éventuellement l’inflation.

La sénatrice Bellemare : C’est dans cette perspective que vous examinez la question.

M. Poloz : C’est cela. C’est une chaîne de raisonnement.

La sénatrice Bellemare : Cela n’a rien à voir avec la dynamique de l’inflation comme telle.

M. Poloz : Ce n’est pas du tout l’inflation immédiate, c’est plutôt la perspective.

La sénatrice Bellemare : Vous nous avez dit en novembre dernier que vous entrepreniez des études pour commencer à réfléchir à votre entente avec le gouvernement. Pourriez-vous nous expliquer un peu où vous en êtes dans vos études sur l’entente entre la Banque du Canada et le gouvernement concernant les cibles d’inflation mises à jour?

Mme Wilkins : Notre recherche, qui nous permet d’élaborer notre entente avec le gouvernement, laquelle sera renouvelée, a trois volets. Le premier porte sur le cadre de la politique monétaire qu’on devrait suivre. Qu’est-ce qui est le mieux? Depuis plus de 25 ans, on cible un taux d’inflation de 2 p. 100. Le cadre a changé un peu ici et là, mais c’est relativement le même depuis longtemps. On trouve que c’est un succès, mais on sait que le cadre contient de petites faiblesses et on veut voir s’il y en a un autre qui serait meilleur.

On a donc établi un plan de recherche qui nous permet d’examiner plusieurs cadres qui existent dans la littérature ou qui sont des options. Une telle option est un cadre à double mandat où l’on ciblerait non seulement le taux d’inflation, mais le plein emploi; dans une autre option, on ciblerait un niveau de prix. Il y en a plusieurs autres. Notre approche sera de modéliser ces cadres et de les évaluer en fonction de critères bien ancrés pour mieux comparer des pommes avec des pommes et non pas avec des oranges.

Le deuxième volet porte sur les outils dont nous avons besoin. Comme vous le savez, normalement, nous utilisons le taux directeur. Nous le montons ou nous l’abaissons selon nos perspectives et nos objectifs. Toutefois, nous savons que, avec un taux neutre qui est très peu élevé, la probabilité d’avoir besoin d’un autre outil sera plus élevée qu’avant. On va mieux comprendre les autres outils qui existent et qui ont été utilisés par d’autres banques centrales, tels l’assouplissement quantitatif et les taux d’intérêt nominaux négatifs, entre autres.

Le troisième volet vise à nous permettre de mieux comprendre comment les politiques macroéconomiques opèrent ensemble. Nous sommes très conscients du fait que la politique fiscale, la politique monétaire et les politiques macroprudentielles — telles les politiques de B20 dont on vient tout juste de parler — fonctionnent ensemble. Ces politiques pourraient faire bonne équipe pour nous permettre d’atteindre nos objectifs, non seulement en matière d’inflation, mais en ce qui concerne l’économie canadienne. De l’autre côté de la médaille, elles pourraient travailler à contre-courant. C’est une partie de notre étude que nous menons avec nos partenaires. Avec tous nos programmes de recherche, nous parlons non seulement aux universitaires, mais aussi aux gens qui font partie du tissu canadien, tels les entreprises et les représentants de sociétés. Nous allons discuter non seulement de nos méthodes, mais aussi de nos trouvailles.

La sénatrice Bellemare : Vous serez amenés à échanger, j’imagine.

Mme Wilkins : Il y a tout un échange. Il y a des points de vue très différents, mais nous nous attendons à faire avancer nos programmes cette année et l’année prochaine. Nous travaillons de très près avec le ministère des Finances, évidemment, et nous présenterons une recommandation au gouverneur et au ministre des Finances à un moment donné en 2021.

[Traduction]

La sénatrice Duncan : Je vous remercie de votre exposé. Je remercie d’avance mes collègues de leur patience par rapport à ma question, car je n’y vois pas très clair pour l’instant. Je vous sais gré, comme le sénateur Deacon, de parler simplement et sans détour.

Ma question concerne l’incidence des prévisions économiques financières relatives à l’état actuel de l’environnement naturel du Canada. Nous voyons notre environnement naturel changer. Nous voyons les conséquences des changements climatiques. J’ai noté que vous avez parlé de la tarification du carbone, mais aujourd’hui, nous voyons les effets du dérèglement climatique à notre porte.

Je comprends que c’est immédiat et que Mme Wilkins mentionnait une surveillance dans le temps, mais c’est le premier rodéo du Canada pour ce qui est de s’adapter à ce type de conséquences des changements climatiques. Je prends note des feux de forêt en Alberta et en Colombie-Britannique ces dernières années.

L’impact sur notre économie est énorme, ce qui est une mauvaise chose. Il en sort quelque chose de bien, par exemple dans la reconstruction et l’utilisation de nos ressources naturelles. La demande de bois d’œuvre est immense.

J’ai lu dernièrement un article sur l’énorme besoin de main-d’œuvre qualifiée dans le domaine du transport d’électricité. On y prévoit une demande de milliers de travailleurs. Je parlais à un de ces travailleurs qualifiés qui m’a dit que beaucoup de ses collègues sont partis en Californie pour y reconstruire les lignes de transport d’électricité.

Là encore, il s’agit de nouvelles immédiates à Ottawa et elles n’apparaîtraient pas dans ces documents — peut-être en parlez-vous ailleurs et cela m’a échappé —, mais je m’interroge sur les données et sur ce que nous faisons pour en tenir compte dans nos prévisions économiques. Vous avez mentionné que vous conseillez aux gens de mettre un gilet de sauvetage quand les vents contraires soufflent. Dans quelle mesure les conséquences des changements climatiques entrent-elles dans les prévisions économiques?

M. Poloz : C’est un nouveau domaine pour les banques centrales. Je vais laisser la parole à Mme Wilkins, et ce n’est pas parce qu’il s’agit d’une question difficile.

La sénatrice Duncan : Parce que vous esquivez la question?

Le sénateur Day : C’est elle qui devient l’experte en la matière.

M. Poloz : Parce qu’elle dirige notre approche institutionnelle sur le sujet. Vous en apprendrez plus dans la Revue du système financier que nous publions le 16 mai.

Dans un premier temps, c’est un risque pour la stabilité financière à travers le régime d’assurance ou le potentiel d’actifs délaissés sur le bilan des prêteurs, ce genre de choses. Faire en sorte d’avoir plus de transparence et tenir compte de ces éléments dans l’analyse constitue une sorte de première étape.

Plus généralement, nous nous sommes associés à quelques autres banques centrales. Pourquoi n’en présentez-vous pas les principaux éléments?

Mme Wilkins : Certainement. C’est intéressant parce que la série de problèmes posés par les changements climatiques est large et touche tout le monde. C’est donc très important. Notre objectif est de voir comment nous pouvons, en tant que banque centrale, étant donné notre mandat, contribuer au débat ou aux discussions de fond sur le sujet.

De notre point de vue, deux domaines ont des liens avec notre mandat pour ce qui est de surveiller le système financier, qui gagnerait au travail que nous accomplissons et à notre collaboration avec d’autres qui font la même chose.

Les deux domaines que nous jugeons très importants et pertinents en ce qui nous concerne sont liés aux risques physiques. Ces risques physiques sont terribles pour la population. Nous le voyons, comme vous le disiez, à notre porte.

Ils ont aussi des conséquences pour les sociétés d’assurances qui assurent contre ces risques. Étant donné la fréquence accrue, la nature différente de ce genre de risques lorsqu’ils se matérialisent, la question que nous poserions est la suivante : quelles seront les conséquences pour les sociétés concernées? Évidemment, le BSIF s’y intéresse aussi. Nous ne sommes donc pas les seuls.

Le deuxième domaine est un peu plus vaste. C’est celui du passage à une économie à plus faible intensité de carbone. Cette évolution fait aussi évoluer le type de travailleurs dont nous pourrions avoir besoin. Elle change les secteurs qui reçoivent beaucoup d’investissements et la valeur relative même entre pays qui ont des avantages comparatifs différents dans un nouveau type de climat.

Il s’agit donc d’un très vaste domaine. Le gouverneur a parlé des actifs délaissés. Nous voyons même aujourd’hui que les sociétés de placement et les banques examinent leurs plans d’investissements liés au climat dans leurs engagements. Il existe très peu de données à ce sujet.

L’objectif des réseaux est donc d’avoir une taxonomie où nous parlons tous de la même chose, d’améliorer les données que nous utilisons et d’intégrer les risques liés au climat dans toutes les analyses de stabilité financière et les analyses financières que nous faisons.

La dernière chose que j’aimerais dire, c’est qu’il est évident que nous participons aux marchés. Nous avons un immeuble qui consomme de l’énergie. Il y a donc une part de citoyenneté que les banques centrales, y compris la Banque du Canada, examinent aussi. Notre nouvel immeuble consomme moitié moins d’énergie que l’ancien. Ce n’est pas par accident, mais à dessein. Nous examinons nos activités sous cet angle et nous participons avec les banques centrales dans ce même domaine aussi.

Le sénateur Klyne : Bienvenue, et merci de votre présence. Ma question s’inscrit dans le contexte des tensions commerciales à l’échelle mondiale et de vos prévisions de PIB. Du côté des tensions commerciales, il se passe à l’heure actuelle un certain nombre de choses qui, probablement, provoquent chez certaines personnes la réaction de vouloir rentrer chez eux, se cacher sous les couvertures et espérer que tout disparaisse comme enchantement. Il y a le feuilleton du renouvellement de l’ALENA; l’ACEUM qui n’a pas encore été ratifié; les négociations sur le Brexit qui se prolongent encore et encore; les droits de douane relativement récents que la Chine impose aux légumineuses, et maintenant l’incertitude au sujet du canola. Tout ceci vient s’ajouter à un secteur pétrolier et gazier déjà lent dans l’Ouest du Canada. Ensuite, il y a la discussion ou la réflexion tant attendue sur l’éventualité d’un accord général entre la Chine et les États-Unis, et du moment auquel celui-ci interviendra.

Compte tenu de ces éléments, comptez-vous dans vos prévisions sur le PIB sur le fait que certaines de ces choses seront réglées? Si la Chine et les États-Unis s’entendent sur un accord général, si l’ACEUM est ratifié et si la Chine et le Canada règlent leurs différends, cela va-t-il entraîner un surajustement ou augmenter la pression à la hausse, créant un scénario d’inflation?

M. Poloz : Je pourrais répondre simplement oui à tout ce que vous avez dit, et vous pouvez certainement deviner lesquels, parce que c’est un schéma compliqué. Pour expliquer clairement, voici ce que nous avons fait.

Tout d’abord, il y a les droits de douane qui sont déjà en place — je les ai mentionnés plus tôt — sur l’acier et l’aluminium. Ensuite, il y a certaines hausses prévues dans les droits de douane américains, sauf s’ils sont officiellement arrêtés ou reportés. Ils ont déjà été reportés une fois, mais ils sont prévus pour plus tard cette année. Nos prévisions en tiennent compte.

Comme j’ai déjà essayé de le souligner, les droits de douane eux-mêmes, les modèles que nous avons pour le commerce... D’une manière ou d’une autre, on s’y adapte. C’est le consommateur qui finit par payer. Vous avez vu notre récente étude selon laquelle le coût d’une machine à laver et d’un séchoir aux États-Unis a augmenté. Cela coûte X milliards de dollars, et signifie un montant énorme par emploi épargné. Ce type de politiques est extrêmement contreproductif et avantageux pour personne.

En tout cas, on se retrouve à devoir intégrer ces choses et à les accepter comme elles sont. Ensuite, il y a les contre-mesures, qui sont encore plus compliquées parce qu’elles s’appliquent à une plus vaste gamme de choses. Si l’on applique une contre-mesure aux droits de douane sur l’acier et l’aluminium, pour percevoir à peu près le même montant d’argent et pour que cela compte, il faut imposer des contre-mesures à une plus vaste gamme de produits des États-Unis. Bien sûr, on choisit ceux-ci stratégiquement. Tout cela fait partie intégrante d’un différend commercial typique.

Nous faisons de notre mieux pour gérer toutes ces choses. Elles n’ont pas besoin d’avoir un effet macroéconomique marqué sur nos modèles. Prenons, par exemple, les restrictions sur les importations de canola par la Chine. C’est gros. Cela représente 1 p. 100 de nos exportations. Le nombre est très élevé dans cette catégorie à elle seule. Alors, on impose des restrictions, mais la Chine achètera probablement encore à peu près autant de canola, sauf qu’elle l’achètera ailleurs.

Il y a un marché mondial et, une fois que les choses se calment, nous devrions pouvoir trouver un autre endroit où vendre le canola. Bien sûr, c’est une perte d’énergie que de faire tout cela, mais c’est ainsi que les choses finissent par se faire. Elles se trouvent un peu déformées, mais on ne finit pas avec des baisses marquées.

Le gros impact vient de ce dont j’ai parlé, l’élément moins marqué qui est plus difficile à analyser. Comment une femme ou un homme d’affaires réagit à cet environnement menaçant? Est-ce le moment pour lui d’investir dans son entreprise pour l’agrandir? La réponse est probablement non. Voilà pourquoi on constate alors un ressac uniforme dans les investissements partout dans le monde.

Les gens veulent savoir à quoi s’attendre, connaître les règles qu’ils devront respecter, avant de risquer tant de millions de dollars supplémentaires. Ce n’est pas comme la mécanique; ce sont des gens qui prennent ces décisions.

On a constaté ce ralentissement partout. La bonne nouvelle, bien sûr, c’est que c’est fondé sur des sentiments. Ce n’est pas un processus long et pénible. C’est immédiat. Vous le lisez dans les journaux. Vous faites partie d’un conseil d’administration et le conseil déclare qu’il n’approuve pas le projet tant que ces choses n’ont pas été réglées. Le PDG aimerait quand même l’essayer, mais ce n’est pas le travail du PDG de risquer tout cet argent. Donc, tout s’arrête. Par contre, cela signifie simplement que, s’il y a résolution, le vent peut tourner très vite, car, une fois de plus, c’est une question de sentiments. « Oh, la lumière est revenue, on reprend les affaires. » Bien sûr, il est possible que l’orientation change, parce qu’une menace de droits de douane importants sur les voitures européennes plane à l’horizon. Les Européens sont déterminés à ce que la phase suivante soit la leur, par opposition à la Chine, s’il y a un accord avec la Chine. Toutes sortes de personnes se demandent de quoi cet accord aura l’air.

Nous ne pouvons pas supposer que tout ira bien. Nous disons que ce n’est pas le pire scénario. Le pire scénario serait une escalade importante et un véritable retranchement. Ce serait une situation où l’économie mondiale ralentit considérablement et, soit dit en passant, les investissements dans les nouvelles capacités s’arrêteraient probablement de façon permanente et la tendance à la hausse de l’économie de tous les pays ralentirait dans un monde où le commerce est difficile.

Cela arriverait aussi dans le contexte où le prix de bien des choses augmente parce que les gens imposent des droits douaniers à gauche et à droite. Je viens de décrire un scénario de risque d’inflation tandis que l’économie ralentit. Au cours des années 1970, nous avons connu une telle période: la stagflation. C’est le genre de risques auxquels nous serions exposés, et c’en est un qui est difficile à gérer.

Ça, c’est le pire des cas. Dans le meilleur des cas, tout est signé, nous avons accompli beaucoup et nous sommes revenus à la normale. Cela donnerait à tout le monde un certain élan, parce que les décisions d’investissement dont j’ai parlé reviendraient sur le tapis. Nos prévisions se situent vers le milieu, parce que nous devons prévoir les possibilités des deux côtés. C’est simplement la nature de l’enjeu.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Merci à nos invités. Je vais toucher un peu ce qu’a mentionné le sénateur Klyne.

Quand on regarde les zones d’intervention du gouvernement lorsqu’il s’agit de soutenir certains secteurs, on a parfois raison d’être un peu méfiant. Prenons l’exemple des problèmes liés aux pipelines au Canada. Le gouvernement achète l’oléoduc Trans Mountain sans se soucier du prix. Quant à l’ALENA, on ne peut pas dire que ça a été un succès sur toute la ligne. Le gouvernement subventionne les producteurs de lait. Pour ce qui est du problème des journaux qui ne sont plus rentables, le gouvernement crée un programme d’aide pour les soutenir. On a parlé du secteur du canola, qui bénéficie également d’un programme d’aide. Il y a aussi le dossier de la taxe sur l’aluminium. En somme, quel impact tout cela peut-il avoir sur la vitalité réelle de l’économie du Canada?

M. Poloz : C’est une excellente question, mais il est très difficile d’y répondre. Il y a une distorsion et une mesure pour contrebalancer cette distorsion. Toutefois, les distorsions restent dans le système. La question la plus importante est à savoir quelles sont les implications pour le monde des affaires à l’avenir. Faut-il investir aujourd’hui pour l’année prochaine? La situation est-elle temporaire? Il serait intéressant de calculer les implications à court terme. Toutefois, la question la plus importante est celle du long terme. Pour le moment, j’imagine que cela va simplement décourager les investissements et la croissance économique, car c’est la certitude qui importe le plus.

Ce n’est pas vraiment une prévision pour vous, c’est juste pour tenir compte de l’incertitude dans la prévision. On a analysé les scénarios pour tenir compte, comme je viens de le mentionner, de la situation aux États-Unis, et de ce qu’il en découle s’il y a une résolution ou pas, sur combien de temps, et cetera. Il y a beaucoup de cas possibles. Il n’est pas vraiment possible de faire une prévision plus simple si on prend tout cela en compte.

Le sénateur Dagenais : Pour en rajouter, vous parlez d’une inflation à 2 p. 100. Quelle serait la portion de celle-ci qui serait attribuable à la nouvelle taxe sur le carbone qui sera imposée par l’actuel gouvernement?

M. Poloz : C’est une question pour Mme Wilkins.

Mme Wilkins : Il n’y a pas de problème; j’ai la réponse, car nous avons essayé de le calculer. Comme pour chaque changement qui a des implications sur l’inflation, on tente de le mesurer, étant donné notre cible. Quand on regarde les effets directs sur l’inflation, on pense que cela pourrait ajouter 0,1 p. 100 en 2019, et la moitié de cela au cours des années à suivre, tant qu’il y a une augmentation. Cela ajoute à l’inflation, mais ce n’est pas très élevé.

Le sénateur Dagenais : Merci beaucoup.

La sénatrice Verner : Merci beaucoup, madame Wilkins et monsieur Poloz, d’être ici avec nous aujourd’hui. Je voudrais poursuivre dans la même veine que ma collègue, la sénatrice Wallin, lorsque vous indiquez dans votre discours que, même s’il y a des difficultés d’investissement dans le secteur pétrolier, il y a d’autres sources de croissance qui vont devenir prédominantes. Vous en avez énuméré un certain nombre, comme les TI, le tourisme et d’autres. Dans un contexte où on dit qu’une grande part des apports financiers dans la péréquation sont les revenus du secteur pétrolier, diriez-vous que ces autres sources de croissance vont contribuer autant à la formule de péréquation actuelle?

M. Poloz : C’est une bonne question également. Chacun de ces secteurs va compter à l’avenir. Par exemple, le secteur pétrolier génère environ 80 milliards de dollars.

La sénatrice Verner : Mais c’est en baisse.

M. Poloz : C’est en baisse de croissance, oui, mais en fin de compte, ce sera encore 80 milliards de dollars chaque année. Il s’agit de notre exportation la plus importante et elle le restera pendant longtemps, j’imagine. Quand on parle du secteur des services, il s’agit de 25 p. 100 du total des exportations; c’est beaucoup moins que les exportations de pétrole.

Alors, c’est une base pour notre économie. Quand on parle de croissance, on se demande si cela va croître à un taux de 2, de 3 ou 1 p. 100. En fin de compte, s’il y a un taux de croissance naturelle pour ce secteur — ou « organique » — d’environ 2 p. 100 par année, ou au minimum de 1 p. 100, et si nous avons la capacité de livrer le pétrole, nous profiterons de cette croissance naturelle. Avec les contraintes de livraison, ce n’est pas possible. Durant cette période, on voit moins d’investissements. C’est un secteur qui, historiquement, était important pour le taux d’investissement total de l’économie. C’est beaucoup moins aujourd’hui, et nous l’avons ajusté depuis 2015. On ne doit pas oublier ce secteur. Il est très important et il va rester très important.

Comme source de croissance, parmi les autres secteurs que j’ai mentionnés, celui des TI par exemple atteint un taux de 7 à 8 p. 100 de croissance par année depuis cinq ans. C’est formidable. C’est un secteur qui touche tous les autres secteurs. Certainement, le secteur pétrolier utilise beaucoup de ces services pour réduire les coûts, et cetera. Il y a une économie entière qui se numérise. Il n’est pas vraiment possible de les séparer, car cela touche l’économie entière.

La sénatrice Verner : J’aimerais poursuivre avec la question du secteur du transport du pétrole de l’Ouest. On sait à quel point ce dossier pose problème. Du moins, il fait l’objet de nombreuses revendications, dans un sens comme dans l’autre. Je me demandais, si les projets se concrétisent ou au moment où ils se concrétiseront — Trans Mountain et Enbridge —, s’ils permettront de résoudre en partie le problème du transport du pétrole, surtout si cela se produit bientôt. À titre d’information, quelle pourrait être la valeur du baril de pétrole par rapport à sa valeur actuelle si ces deux oléoducs étaient en fonction? Avez-vous une idée quant à savoir à combien se chiffrerait le baril de pétrole si ces projets étaient mis en œuvre à ce moment-ci?

M. Poloz : Il y a beaucoup de possibilités. Il est possible de voir le prix global. Par exemple, le pétrole à Terre-Neuve-et-Labrador s’évalue au prix du Brent. Selon le mode de transport, si c’est par rail, cela coûte environ 10 ou 12 $ le baril. Cela vous donne une idée de l’équilibre entre ces prix. Si le pétrole était acheminé de l’Ouest par pipeline, il est sûr qu’il s’évaluerait au prix du cours mondial.

La sénatrice Verner : Mais vous n’avez pas, pour le moment, élaboré de scénarios hypothétiques.

M. Poloz : Nous avons indiqué à la canalisation 3, pour l’année prochaine, que cela s’ajoute à la capacité et à la croissance du secteur, et, naturellement aux revenus, pas juste pour le secteur, mais aussi pour le Canada. Au niveau des exportations, Trans Mountain est plutôt incertain pour le moment.

Le sénateur Mockler : Il ne fait aucun doute dans mon esprit que, quelle que soit ma question, vous êtes la meilleure personne pour y répondre.

[Traduction]

Hier, j’ai participé à une activité dont le modérateur était l’ancien premier ministre McKenna, également ancien ambassadeur du Canada aux États-Unis. Il a dit qu’au cours de ses voyages dans le monde, les gens lui signifient que le Canada n’est pas un pays où il est conseillé d’investir. Parallèlement, le ministre Sohi a reconnu qu’il y a un manque réel de capacité de pipeline au Canada.

Où se situent les projections de croissance économique de la Banque du Canada sur le plan du manque de capacité de transport du pétrole brut canadien? Sans aucun doute, vous suivez cela. Dans quelle mesure une capacité de transport accrue ferait-elle monter le prix du pétrole brut canadien, par rapport également aux marchés mondiaux, comme la sénatrice Bellemare vient de vous demander?

[Français]

M. Poloz : Nous n’avons pas d’estimation exacte, mais j’imagine que Mme Wilkins pourra vous répondre.

Mme Wilkins : Vous demandez quelle serait l’augmentation de la croissance si le Canada avait davantage de capacité de transport?

Le sénateur Mockler : Si on avait la capacité de transport est-ouest et vice-versa.

Mme Wilkins : Je ne sais pas, parce que nous n’avons pas fait ce genre de calcul. Cependant, en ce qui concerne la volonté des gens d’investir au Canada, on entend des gens qui parlent du secteur et des problèmes de transport. En général, lorsqu’on examine les chiffres actuels, on constate que l’investissement direct vers le Canada a beaucoup augmenté récemment, surtout dans le secteur financier, ce qui inclut les assurances et surtout la bourse.

S’il est vrai que le sentiment n’est pas très positif pour le Canada, l’investissement vers le Canada, quant à lui, serait encore plus solide.

[Traduction]

Le sénateur Mockler : J’ai traversé le Canada en long et en large au cours des deux dernières semaines... Laissez-moi vous dire qu’il y a beaucoup de colère et que le Canada est divisé. Je n’ai jamais vu cela dans mes 36 ans de vie publique. Le Canada atlantique a une opinion, le Québec une autre, puis il y a l’Ontario et l’Ouest du Canada qui ont la leur. On dit que nos pertes en investissements sont de l’ordre de 100 à 150 milliards de dollars dans ce secteur particulier.

M. Poloz : Oui.

Le sénateur Mockler : Je ne peux pas croire que la Banque du Canada n’en a pas analysé l’impact sur notre économie.

M. Poloz : Nous l’avons fait, bien sûr. Cette analyse revient à la question à savoir combien nous avons — je suis réticent à utiliser le terme « perdu » —, mais dans quelle mesure les investissements ont diminué au cours des cinq dernières années? C’est un très gros chiffre, mais ce n’est pas des investisseurs étrangers seulement; c’est des investisseurs nationaux.

Le sénateur Mockler : Absolument.

M. Poloz : Quel que soit le produit que vous vendez, si vous pensez pouvoir obtenir 100 $ à l’unité, vous faites vos plans en conséquence et, si quelque chose arrive du jour au lendemain — ce qui s’est passé vers la fin de 2014 —, le prix descend à 30 $ et les gens commencent à penser qu’il pourrait se situer à 50 $ ou 60 $ parce qu’il y a tant de pétrole de schiste aux États-Unis... Ils ont connu une croissance fulgurante. Le résultat net est que, pour chaque baril que nous envoyons aux États-Unis, ceux-ci en en exportent un. Notre croissance de l’exportation de pétrole aux États-Unis se traduit par une croissance de leurs exportations nettes. C’est comme une voie de transit parce qu’ils en produisent tant.

Comme on vous dit que c’est ainsi que votre modèle d’entreprise a changé, vous déterminez que vous allez réduire vos plans. Les investisseurs étrangers reconnaissent cela tout autant que les investisseurs canadiens, donc les investissements diminuent. Cependant, cela ne change pas le fait que, au fur et à mesure que nous ajoutons une capacité ferroviaire, la canalisation 3 et, on l’espère, Trans Mountain, la croissance se poursuit à partir de ce niveau-là. Il y a, bien sûr, une certaine incertitude quant au prix que l’on obtiendra, mais une chose est certaine, c’est que tout ce qui passe par Trans Mountain pour être vendu dans le monde ne passe pas par le système américain ni par les chemins de fer; ces coûts supplémentaires ne s’ajoutent donc pas.

Je conçois qu’il y a eu une séquence de mauvaises nouvelles, mais il ne faut pas perdre de vue le fait que nous continuons à vendre du produit d’une valeur approximative de 80 milliards de dollars par an, et c’est une base très importante de notre économie, comme je le disais précédemment.

Quant aux investissements, j’ai entendu la même histoire. J’ai entendu des remarques comme celles que M. McKenna répète. Je crois qu’il y a une certaine validité à cela. Il y a eu bien de l’incertitude au sujet des projets et de la façon dont ils sont exécutés. J’en ai parlé à plusieurs reprises cet après-midi. Dans le monde entier, les gens hésitent à investir dans de nombreux secteurs. L’incertitude politique est un des éléments primordiaux qui a un thème commun. Cette incertitude ne vient pas d’un seul endroit. La majeure partie touche Washington, bien sûr, mais il y a d’autres endroits où cette incertitude est importante.

Donc, certainement, l’investissement étranger direct, l’investissement réel au Canada, a augmenté de 5 p. 100 l’an dernier. Peut-être qu’il aurait dû augmenter de 10 p. 100, mais il n’a été que de 5 p. 100. Il n’a pas diminué. Je crois que nous attirons des investissements dans de nombreux autres domaines qui ne sont pas mentionnés. Il est possible que ce soit la raison. Nous nous inquiétons des choses, bien évidemment, c’est un fait.

Le sénateur Mockler : Une dernière question?

Le président : Très courte.

Le sénateur Mockler : Le président Obama a annulé Keystone et, au cours des trois dernières années et demie, les États-Unis ont construit des pipelines équivalant à 8 à 10 Keystone, sur une distance de 19 000 kilomètres de pipeline.

M. Poloz : Oui.

Le sénateur Mockler : Au Canada, c’est zéro.

M. Poloz : Oui.

Le sénateur Mockler : La question que je vous pose, monsieur, c’est avez-vous fait une analyse de l’impact d’Énergie Est? Les 19 000 kilomètres de pipeline correspondent à trois pipelines partant du port de Halifax et se terminant au port de Vancouver au Canada. Avez-vous fait une analyse de l’impact d’Énergie Est sur l’économie du Canada atlantique en particulier et du Canada dans son ensemble?

M. Poloz : Non, monsieur.

Le sénateur Mockler : Merci.

Le président : Merci beaucoup, sénateur Mockler. Je crois que nous allons faire de vous un Albertain honoraire. C’est ce que je pense.

Le sénateur Day : Nous en avons besoin au Nouveau-Brunswick.

Le président : Avant de passer à la deuxième série de questions, j’ai moi-même deux petites questions pour vous, monsieur le gouverneur, si vous le voulez bien.

Dans mes allées et venues, bien des gens me posent des questions plutôt directes. Dernièrement, on me demande comment il se fait qu’au Canada nous ayons réduit nos projections de croissance de 1,7 à 1,2 p. 100 et que, parallèlement, les États-Unis aient propulsé les leurs à 3,5 p. 100. C’est ce que les gens me demandent. Avez-vous une réponse rapide à cela? Pourquoi est-ce arrivé?

M. Poloz : C’est un peu des pommes et des oranges. En ce qui concerne le 3,5 p. 100, c’est pour le premier trimestre...

Mme Wilkins : Oui, le premier trimestre.

M. Poloz : Donc, le trois et quelque chose que les États-Unis ont annoncé ne porte que sur le premier trimestre. C’était une hausse un peu surprenante. Au fond, la prévision semble moins robuste parce qu’il y a eu une grande accumulation de stocks, et le pays tient compte de conséquences météorologiques qui peuvent avoir influencé les chiffres. On peut s’attendre à ce que les chiffres continuent de baisser, en raison du fait que les mesures de stimulation financière de l’an dernier ont une durée bien définie. Elles prennent fin d’ici la fin de cette année, ou le début de 2020.

Au Canada, les 1,7 et 1,2 p. 100 que vous avez mentionnés sont pour l’année 2019 tout entière. Notre prévision était de 1,7 p. 100. La semaine dernière, nous l’avons ramenée à 1,2 p. 100. Le principal élément moteur est le même. Elle porte sur le premier trimestre qui est plutôt faible, pour une deuxième fois consécutive, parce que le dernier trimestre de l’année précédente était très lent. Ces prévisions sont très difficiles à faire, parce que certains de nos indicateurs sont très forts. Le marché du travail reste très fort, comme je l’ai mentionné plus tôt. Nous avons des indicateurs de production qui ne sont pas trop mauvais, mais des indicateurs du côté de la demande qui sont très faibles. Prenant tout cela en compte, on arrive à une croissance très faible, presque minime, au premier trimestre, et une accumulation des stocks, comme aux États-Unis. Nous passons à travers tout cela le restant de l’année, mais cela exige certains rajustements. Par conséquent, nous avons pour cette année une moyenne de 1,2. Ce sont principalement les mois d’hiver qui sont la cause de la diminution.

Certains facteurs pourraient être liés au climat. Nous y avons fait allusion. C’était mentionné dans les résultats des États-Unis. C’est mentionné dans les résultats de certaines entreprises. CP et CN ont eu beaucoup de difficulté cet hiver à transporter les marchandises — des trains plus courts, des trains plus lents, des températures glaciales, et cetera. Eh bien, nos exportations se trouvaient dans ces trains. Les chiffres de l’exportation ont été ce qu’il y a eu de plus faible. Il est possible que les stocks se soient accumulés parce que les exportations ne se sont pas rendues au port, que la commande de ces articles est encore en vigueur et qu’elles finiront par être remplies quand le climat sera plus clément. C’est possible, mais nous ne voulons pas supposer que tout est beau; nous faisons donc preuve de prudence. J’espère qu’avec un climat plus clément les chiffres seront meilleurs assez rapidement, de fait, dans le trimestre actuel, quand nous disposerons de ces données. Cependant, nous ne le saurons pas avant quelques mois.

Le président : Merci beaucoup.

La sénatrice Wallin : Pouvons-nous poursuivre sur ce sujet un moment? Nous vous entendons dire que ce sont les problèmes commerciaux de ce genre créés par Trump qui sont à l’origine de tout cela. En fait, les États-Unis ont acquis une indépendance énergétique. C’est une décision qu’ils ont prise. Nous sommes obligés de leur vendre notre énergie à un prix réduit parce que nous n’avons pas d’autre moyen de les vendre à d’autres acheteurs; alors, nous la vendons à prix réduit. Eux la vendent à profit à quelqu’un d’autre... S’ils gagnent de l’argent, tant mieux pour eux.

Le résultat de l’étranglement ou de la réduction des investissements au Canada dans tous les secteurs — pas seulement dans le secteur de l’énergie, mais dans tous les secteurs — découle tout aussi bien de problèmes internes que de ce que Donald Trump peut avoir fait à un moment donné. Il nous faut, à mon avis, examiner un peu plus la question que le sénateur Mockler et la sénatrice Verner ont soulevée, c’est-à-dire que nous avons besoin de certains chiffres sur l’impact du fait de ne pas avoir des pipelines ou d’avoir des problèmes de transport, de ce qui aurait pu être. J’ignore si vous ne disposez réellement pas de ces chiffres, ou si vous les avez et ne voulez pas vous insérer dans un débat politiquement délicat à l’heure actuelle avec les projets de loi C-69 et C-48, les élections, et tout ça. Disposez-vous de ces chiffres? Vous dites qu’ils sont là et qu’ils sont gros. Ils doivent être troublants et l’impact doit être plus fort que ce que vous nous laissez entendre. Vous pouvez laisser Mme Wilkins répondre, si vous le voulez.

M. Poloz : S’il y avait un pipeline Trans Mountain, ce n’est qu’une question d’arithmétique que de savoir combien de barils il transporterait. C’est une banalité pour moi que de dire combien cela nous coûte. Quand la canalisation 3 entrera en service... Nous avons pris cela en compte dans notre prévision. Elle augmentera le nombre de barils que nous pourrons produire. Nous avons aussi tenu compte d’une augmentation de la capacité dans le transport ferroviaire parce que c’est un processus qui est en cours. Des wagons sont ajoutés quotidiennement.

Ce n’est pas que nous ignorons la question, mais je ne crois pas que ce soit notre place de tourner les choses à l’envers et de dire que si cette décision n’avait pas été prise, nous aurions tant. Notre devoir est de déterminer ce que nous avons à faire, compte tenu des politiques en vigueur et de l’activité économique, et de vous donner un taux d’inflation stable. Dans tout ce dont nous avons parlé aujourd’hui, nous n’avons presque pas mentionné cela, mais l’inflation est à 2 p. 100, malgré tout ce par quoi nous sommes passés. Quand on pense à 2015 et 2016, ce par quoi nous sommes passés et les mesures que la Banque a prises, deux ans plus tard, l’inflation était revenue au niveau cible, exactement comme les manuels de cours le préconisent. Cela mérite au moins d’être rappelé à notre bon souvenir. Je ne cherche pas à nous vanter à ce sujet, mais c’est notre objectif. C’est la raison de notre existence. Tenter de comprendre tout cela nous aide dans notre tâche, mais ce n’est pas à nous de montrer du doigt des chiffres, comme vous dites, pour alimenter un débat politique.

La sénatrice Wallin : D’accord.

Le sénateur C. Deacon : Merci à vous deux, de nouveau. Je vais continuer à creuser, si vous me le permettez, madame Wilkins, le sujet de la richesse produite par chaque heure travaillée. Quand nous vous avons entendue à l’automne, j’ai été emballé d’apprendre la mesure dans laquelle vous vous attachez à analyser la productivité.

J’aimerais avoir une idée de la façon dont nous pourrions examiner la question de façon plus étendue pour bien comprendre où nous accusons un retard et pour nous renseigner sur la façon dont nous pourrions le régler. Nous avons accusé une perte de capacité et une perte d’occasions sur le plan de la productivité. Nous en parlions justement d’une ici.

Aussi, sur le plan de la diversification de nos marchés, je crois que bien des occasions ont été manquées. Il y a eu beaucoup d’occasions de numérisation de diverses industries qui ont été perdues. Les occasions de croissance accrue, ou de croissance plus rapide, ainsi que d’exportations à valeur ajoutée sont là.

Sur quoi devrions-nous diriger notre attention? Sur tout ce qui précède, j’en suis sûr. Vous en savez plus que moi, mais les données quantitatives et qualitatives dont vous disposez sont de loin meilleures que celles de n’importe quel autre groupe dans le pays.

Qu’allons-nous commencer à voir dans les rapports qui nous aidera réellement dans l’examen des lois à venir — pour que nous obtenions le meilleur revenu par heure travaillée dans ce pays — et appuyons-nous réellement les industries qui nous offrent dorénavant le plus grand potentiel de croissance?

Mme Wilkins : Si la Banque s’intéresse autant à la croissance de la productivité, c’est parce que celle-ci augmente la taille du gâteau qui peut être partagé. Le revenu par habitant n’augmente que si la productivité augmente.

En ce qui concerne les occasions qui existent, celles-ci viennent manifestement de tous les côtés, mais la numérisation est un domaine particulier parce qu’elle alimente toutes les industries. Il ne s’agit pas du secteur de la technologie informatique lui-même. C’est une occasion d’utiliser les nouvelles technologies. L’intelligence artificielle et l’apprentissage automatique sont celles dont tout le monde parle, mais il y en a d’autres bien sûr qui permettent de mettre véritablement à profit le genre d’expertise que possèdent les entreprises canadiennes — pas forcément pour remplacer les travailleurs, mais pour rendre ces travailleurs plus productifs. Nous voyons des entreprises canadiennes qui font cela en effet. Pour celles qui disent qu’elles vont investir, c’est surtout à ce niveau qu’elles investissent.

Vous demandez comment nous pouvons habiliter cela? Comme le gouverneur vient de le dire, donner des conseils stratégiques n’est pas notre responsabilité. Si l’on examine la recherche, elle nous permet de voir quels sont les obstacles à l’adoption ou au développement de la technologie. Cela peut aller des politiques sur le marché du travail qui permettent la formation — c’est-à-dire, donner aux entreprises les bons incitatifs les encourageant à investir à long terme dans la formation de leurs employés — au système d’éducation — c’est-à-dire, commencer avec les jeunes, leur inculquer les bonnes compétences.

Je crois que c’est une chose qui a toujours été importante tant pour le Canada que pour tous les autres pays. Ce qui est réellement nouveau en cette ère, c’est la façon de créer un cadre pour les données, le fondement de toutes les nouvelles technologies, qui soit équitable pour les consommateurs et les gens qui fournissent leurs données et uniformise aussi les règles du jeu, pour ainsi dire. Cela signifie avoir un environnement réellement bon et concurrentiel dans lequel les entreprises peuvent se faire concurrence pour l’utilisation des données qui peuvent être recueillies. Je crois que les conversations sur les stratégies en matière de données qui se déroulent à l’heure actuelle sont aussi un domaine particulièrement important.

J’ai présenté une allocution il y a deux ou trois semaines. Le G7, dirigé par la France, s’intéresse beaucoup au sujet de la concurrence et de l’impact de certaines nouvelles technologies pour la concentration du marché que nous avons vues au cours des dernières années. À mon avis, cela n’est pas loin des données, mais la politique en matière de concurrence est un autre domaine.

Le sénateur C. Deacon : Ce que je recherche, c’est un tableau de bord que vous pourriez nous présenter dorénavant pour nous donner une idée des domaines où l’on peut constater un véritable succès et des domaines où il y a des difficultés.

Mme Wilkins : Nous disposons d’un plan de travail numérique qui examine un certain nombre de domaines, dont les mesures. Quiconque souhaite disposer d’une analyse fondée sur les faits pour alimenter une politique doit disposer des bonnes données parce que l’on peut inventer beaucoup de choses, surtout dans l’espace numérique. Il y a beaucoup de baratin.

Une autre chose qui pourrait être utile serait de tenter de comprendre comment la numérisation change la structure de l’économie, où il y a un besoin de travailleurs et où les travailleurs doivent faire une transition, et comment cela pourrait changer la dynamique de la détermination des salaires et la façon dont les gens sont payés. Cela aiderait les décideurs.

Le sénateur C. Deacon : Ainsi, dans les rapports futurs, nous pourrons peut-être voir plus d’observations à cet égard de votre part?

Mme Wilkins : Je l’espère. Nous avons pour objectif premier d’éclairer la façon dont nous faisons notre travail et la façon dont nous comprenons l’économie, mais il y a, à mon avis, beaucoup de recoupement entre cela et ce que les législateurs comme vous ont besoin de savoir.

Le sénateur C. Deacon : Merci beaucoup.

M. Poloz : Ce programme est fantastique. J’aimerais revenir une seconde au niveau macro. N’oubliez pas ce que j’ai dit précédemment, que la composition de l’économie compte beaucoup. On peut avoir une productivité faramineuse dans la moitié de l’économie, et une croissance nulle de la productivité, ou à peine un demi-point de pourcentage dans l’autre moitié, et l’on obtient ce que vous voyez. Au fur et à mesure que cette autre moitié croît, elle dominera les chiffres.

Prenons, par exemple, le flux des données sur le marché du travail et les gens qui changent d’emploi pour mieux faire concorder leurs compétences. Si un ingénieur conduit un taxi parce qu’il n’a pas encore trouvé d’emploi et, brusquement, il en trouve un, il atteint une meilleure concordance entre ses compétences et son emploi. D’après les microdonnées, nous savons que ceux qui changent d’emploi sans avoir une période de chômage entre les deux emplois obtiennent, en moyenne, une augmentation de salaire de 12 p. 100. Cela s’explique parce que ce nouvel emploi est bien plus productif que celui qu’ils avaient auparavant.

Plus il y a de changements d’emploi comme cela, avec une meilleure concordance et un taux de chômage qui se maintient à son plus bas niveau depuis 40 ans, plus on sait que cela se produit.

Je suis convaincu que nous aurons dorénavant de meilleurs ensembles de mesure de la productivité, ne serait-ce que pour ces raisons. Nous avons quelques vents contraires, on le sait. Par exemple, dans le secteur de l’énergie, on réduit les prix, et nous sommes dans une période de stress. Nous ne verrons pas une forte croissance de la productivité tant que nous ne serons pas sortis de la pénombre. C’est une assez grande partie de l’économie. Aux États-Unis, le secteur des soins de santé est privé et il connaît un énorme taux de productivité. Au Canada, il est public, et il est mesuré par le nombre de personnes qui y travaillent et non pas par les résultats.

Quelques autres différences interviennent aussi. Nous ne mesurons tout simplement pas les choses de la même façon que les États-Unis.

Soit dit en passant, c’est la chose la plus difficile à mesurer. Des sociétés me disent : « Je me suis débarrassé de quatre personnes dans mes services administratifs. J’ai envoyé un chèque à un type pour obtenir tous mes services sur le iPad à partir du nuage. » Tous les investissements qu’elles faisaient auparavant ont disparu. Les investissements sont moindres, mais cette société est plus productive. Sur quels plans? Sur tous les plans, je trouve, sauf sur le plan des données. Il va falloir un peu plus de temps pour que les méthodes liées aux données rattrapent cette nouvelle économie. Je suis convaincu que cela se produira. Je suis un optimiste.

Le sénateur C. Deacon : Je vous remercie de vos efforts.

Le président : Monsieur le gouverneur et madame la sous-gouverneure, merci beaucoup. Ces séances que nous avons avec vous sont toujours très ouvertes et très franches, et j’espère que vous comprenez que si certaines questions sont parfois un peu tranchantes, c’est parce que nous essayons de comprendre. Les gens se tournent vers nous pour savoir comment vont les choses, parce qu’ils se soucient du pays et de ce que vous faites. Vous faites tous les deux un travail extraordinaire, nous vous en sommes reconnaissants et vous en remercions beaucoup.

M. Poloz : Merci beaucoup.

(La séance est levée.)

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