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CSSB - Comité spécial

Secteur de la bienfaisance (spécial)

 

Délibérations du Comité sénatorial spécial sur le
Secteur de la bienfaisance

Fascicule n° 6 - Témoignages du 17 septembre 2018


OTTAWA, le lundi 17 septembre 2018

Le Comité sénatorial spécial sur le secteur de la bienfaisance se réunit aujourd’hui, à 9 h 4, pour examiner l’impact des lois et politiques fédérales et provinciales gouvernant les organismes de bienfaisance, les organismes à but non lucratif, les fondations et autres groupes similaires, et pour examiner l’impact du secteur volontaire au Canada.

Le sénateur Terry M. Mercer (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Je tiens à tous vous souhaiter un bon retour de la pause estivale. J’espère que vous avez eu autant de plaisir que moi. Je suis le sénateur Terry Mercer, de la Nouvelle-Écosse. Je suis le président du Comité sénatorial spécial sur le secteur de la bienfaisance. Comme vous le savez tous, le comité accueillera plusieurs groupes de témoins aujourd’hui, et je tiens à remercier tous les particuliers et toutes les organisations d’avoir réservé un peu de temps dans leur horaire très chargé et d’avoir gentiment accepté notre invitation.

Le comité poursuit aujourd’hui son examen de l’impact des lois et politiques fédérales et provinciales gouvernant les organismes de bienfaisance, les organismes à but non lucratif, les fondations et les autres groupes similaires et de l’impact du secteur volontaire au Canada.

Durant la réunion, nous allons nous concentrer sur la question des activités de collecte de fonds des organismes de bienfaisance et des organisations sans but lucratif. Avant d’accueillir nos témoins, je vais demander à mes collègues sénateurs et sénatrices de bien vouloir se présenter.

La sénatrice Omidvar : Ratna Omidvar, de l’Ontario.

Le sénateur Duffy : Mike Duffy, de l’Île-du-Prince-Édouard.

La sénatrice Martin : Yonah Martin, de la Colombie-Britannique.

Le président : Je crois savoir que le sénateur Gold se joindra à nous. Il est probablement en chemin depuis Montréal ce matin.

Pour ce qui est de nos témoins ce matin, nous accueillons M. Scott Decksheimer, président, et Mme Andrea McManus — tous deux de Calgary — de l’Association des professionnels en philanthropie, et M. Bill Schaper, directeur, Politiques publiques, d’Imagine Canada.

Merci d’avoir accepté notre invitation à comparaître. Je vais demander aux témoins de présenter leur exposé, mais je tiens aussi à leur rappeler que, conformément aux directives qui leur ont déjà été fournies, leur exposé ne doit pas durer plus de cinq à sept minutes. Après les exposés des témoins, nous procéderons à une séance de questions et de réponses, et chaque sénateur aura cinq minutes pour poser des questions avant que le président ne donne la parole au prochain.

Il y aura autant de séries de questions que le temps le permettra, alors les sénateurs n’ont pas à se sentir obligés de poser toutes leurs questions d’un coup. Je demande aux personnes qui posent les questions et à celles qui répondent d’être brèves, afin que nous puissions obtenir le plus d’informations possible.

Nous allons commencer par M. Schaper.

Bill Schaper, directeur, Politiques publiques, Imagine Canada : Merci, monsieur le président. Même si l’invitation envoyée par le comité à Imagine Canada en vue de la réunion d’aujourd’hui concernait la collecte de fonds, je demande l’indulgence des sénateurs puisque je vais aussi adopter un point de vue un peu plus général. En tant qu’un des facteurs permettant d’assurer la viabilité générale des organismes de bienfaisance et des organisations sans but lucratif, les activités de collecte de fonds nous amènent à réfléchir à l’environnement dans lequel les organisations fonctionnent et au rôle du gouvernement dans un tel environnement.

Le secteur de la bienfaisance et à but non lucratif est extrêmement diversifié; on y retrouve un peu de tout, de l’Université de Toronto, qui affiche des revenus annuels de près de 3,5 milliards de dollars et compte environ 16 000 employés, à des initiatives communautaires dirigées par des bénévoles, comme le Water and Wheels Project, qui vise à construire une fontaine à jet douchant et un planchodrome pour les jeunes de Thamesford, en Ontario. Pardonnez-moi cette publicité éhontée, mais l’époux de ma mère est président du comité directeur de ce projet.

Étant donné cette diversité, il n’y a pas d’organisation type. Chaque situation est unique, mais il y a des tendances et des défis auxquels nous sommes tous confrontés. Cependant, puisque chaque situation est unique, il n’y a pas de solution miracle quant aux politiques. L’environnement opérationnel doit être assez souple pour permettre aux organisations de choisir l’approche qui répond le mieux à leurs besoins.

Vous avez déjà entendu beaucoup de témoins parler de l’importance du secteur, de ses contributions économiques et sociales et des problèmes de durabilité auxquels nous sommes tous confrontés. Par conséquent, sans trop entrer dans le détail, j’aimerais revenir sur deux ou trois points.

Vous avez entendu le témoignage de notre économiste en chef au sujet du déficit social, de l’écart prévu entre la demande pour des services et les ressources disponibles. Au cours de la prochaine décennie, si les tendances démographiques et économiques se maintiennent, on peut de façon réaliste s’attendre à un manque à gagner de 25 milliards de dollars par année.

De quelle façon pouvons-nous atténuer ce problème?

La collecte de fonds est assurément un aspect de la solution; c’est une option qui comporte des défis et des occasions qui lui sont propres. Nous avons récemment publié et communiqué aux membres du comité le document 30 ans de don au Canada. Il s’agit de l’analyse la plus complète jamais réalisée du secteur de la bienfaisance canadien.

La bonne nouvelle, c’est que les Canadiens sont très généreux. Nous estimons que les dons des particuliers s’élevaient à environ 14,3 milliards de dollars en 2014. Il s’agit là d’une augmentation de 150 p. 100 en dollars constants depuis 1985. En outre, lorsqu’on compare les dons au PIB, seules les populations des États-Unis et de la Nouvelle-Zélande sont plus généreuses.

Cependant, nous constatons aussi plusieurs tendances troublantes dont l’incidence se fera bientôt sentir.

Le pourcentage de contribuables qui déclarent des dons de bienfaisance est à la baisse. En effet, il est passé d’une pointe de près de 30 p. 100 en 1990 à moins de 21 p. 100 en 2014. De moins en moins de personnes donnent de plus en plus. En effet, les Canadiens âgés de 70 ans ou plus sont maintenant responsables de plus de 30 p. 100 des dons. Nous ne savons tout simplement pas à quoi nous attendre quand ces donateurs disparaîtront, surtout lorsque les données révèlent que chaque génération est moins généreuse que la précédente, du moins lorsqu’il est question de la façon traditionnelle de donner.

Les efforts pour maintenir et renforcer les niveaux de dons ne pourront pas se limiter à de petits rajustements du régime fiscal. Même s’il y a des propositions que nous soutenons, comme les dons de biens immobiliers et d’actions d’entreprises privées, les mesures incitatives fiscales du Canada sont déjà très généreuses, et les recherches révèlent que, lorsqu’il est question de don, les considérations fiscales sont très loin dans la liste des motivations ou des obstacles.

Nos recherches révèlent que, si les Canadiens qui gagnent 100 000 $ et plus augmentaient leurs dons à 1 p. 100 de leur revenu et que ceux qui le font déjà continuaient de le faire, nous pourrions générer 1,6 milliard de dollars par année. Pour créer cette norme sociale, nous devons tous — notre secteur, le secteur privé et les gouvernements — travailler en collaboration pour changer les mentalités. Cependant, même si nous réussissons, ces 1,6 milliard de dollars ne comblent qu’une fraction du déficit social potentiel.

Mon temps est presque écoulé, alors je vais vous parler rapidement de ce que nous envisageons lorsqu’il est question de nouvelles relations et d’un nouvel environnement opérationnel. Ce sont des thèmes que nous avons abordés dans notre mémoire, et nous serons heureux de comparaître à nouveau si les sénateurs sont intéressés.

Actuellement, le secteur n’a pas sa « place » au sein du gouvernement fédéral. Nous avons un chien de garde — l’ARC —, mais aucun ministère, organisme, ministre ou secrétariat chargé de s’assurer que les politiques fédérales contribuent à la santé, à la vitalité et à la durabilité de l’ensemble du secteur. C’est un peu comme si, au pire de la crise économique de 2008, le secteur de l’automobile n’avait personne d’autre à qui parler au sein du gouvernement à part le fisc.

Nous voulons examiner avec le gouvernement la façon de rectifier la situation afin qu’on nous accorde la même reconnaissance que celle dont bénéficient les autres secteurs de l’économie.

Il ne manque pas de problèmes sur lesquels nous pouvons travailler, des enjeux qui sont tous essentiels à la durabilité future du secteur. Ces enjeux incluent la relation de financement avec le gouvernement fédéral, par exemple, l’administration des subventions et des contributions, les nouvelles structures organisationnelles et les nouveaux modèles de financement qui ont vu le jour au Canada et à l’étranger, question sur laquelle s’est penché de façon approfondie le groupe directeur sur l’innovation sociale et la finance sociale, la réglementation générale des organismes de bienfaisance et des organisations sans but lucratif et la façon dont on pourrait procéder, à cet égard, à une réforme pour aplanir les obstacles qui empêchent les organisations d’être plus résilientes et autosuffisantes d’un point de vue financier.

Nous tenons à remercier le Sénat de réaliser la présente étude. Les sénateurs ont peut-être eu les yeux un peu plus grands que la panse, mais la situation est révélatrice de la façon dont le secteur est tenu pour acquis depuis bien trop longtemps. Elle témoigne aussi de la gamme des possibilités qui s’offrent et du cheminement excitant que nous croyons vraiment pouvoir parcourir ensemble.

Merci.

Le président : Monsieur Decksheimer.

Scott Decksheimer, président, Association des professionnels en philanthropie :

Merci, monsieur le président, madame la vice-présidente et membres du Comité sénatorial spécial sur le secteur de la bienfaisance. Je m’appelle Scott Decksheimer. Je suis président et directeur général du ViTreo Group, une société d’experts-conseils du secteur philanthropique, ce qui signifie que je travaille en collaboration avec de nombreux organismes de bienfaisance différents dans le cadre de leurs activités de collecte de fonds. Je comparais ici officiellement en tant que président bénévole de l’AFP. Je suis accompagné d’Andrea McManus, ancienne présidente bénévole de l’organisation internationale de l’AFP et première Canadienne à exercer cette charge à l’échelle internationale.

L’AFP, l’Association des professionnels en philanthropie, est la plus grande association du genre au monde. Elle représente environ 31 000 particuliers et organisations dont, au Canada, environ 3 500 solliciteurs et organismes de bienfaisance différents qui recueillent des fonds pour différentes causes d’un bout à l’autre du pays. Nous croyons à une réglementation appropriée et exigeons de nos membres qu’ils respectent la réglementation ainsi qu’un code déontologique en matière de collecte de fonds ayant force exécutoire. En fait, l’AFP a aidé l’Agence du revenu du Canada à élaborer ses lignes directrices en matière de collecte de fonds.

Le rôle le plus important d’un organisme de bienfaisance, c’est de fournir des programmes qui améliorent la qualité de vie de tous ceux qui vivent dans nos collectivités. Imagine Canada, entre autres organisations, constate que le ralentissement économique et une demande accrue pour des services de bienfaisance entraîneront dans le secteur un déficit de 25 milliards de dollars. D’où ces revenus viendront-ils? On les générera entre autres grâce aux dons de bienfaisance des citoyens.

Essentiellement, la collecte de fonds est une approche méthodique pour créer et maintenir des relations sur de nombreuses années. Le processus de collecte de fonds ne peut pas seulement être réalisé par des bénévoles, même si ces derniers jouent un rôle énorme dans leur réussite. Il faut des connaissances spécialisées, de la planification et une compréhension de la déontologie. La collecte de fonds ne se limite pas à trouver de l’argent; elle est assortie de nombreux avantages. Dans le cadre d’un récent sondage mené auprès de donateurs au Royaume-Uni, 63 p. 100 des répondants avaient posé d’autres gestes dans leur collectivité après avoir donné, notamment recommander des causes à des membres de leur famille et à des amis, chercher de l’information au sujet d’une cause ou d’un organisme de bienfaisance, donner de son temps bénévolement et même utiliser un ou plusieurs services offerts par des organismes de bienfaisance. Un programme de collecte de fonds en santé et en croissance est un indicateur de la santé d’une organisation et, peut-être, du secteur.

De quelle façon le comité peut-il favoriser une politique efficace qui assurera la croissance du secteur? Il pourrait le faire grâce à une exemption de l’impôt sur les gains en capital associés aux dons de biens immobiliers et d’actions d’entreprises privées. Peut-être aussi en veillant au maintien et à la stabilité de l’actuel crédit d’impôt fédéral pour les dons de bienfaisance, permettant ainsi aux Canadiens de planifier leurs dons et leur succession. En outre, on pourrait examiner les règles afin de permettre aux organismes de bienfaisance d’accroître leur financement en augmentant leurs activités commerciales ou en misant sur d’autres nouveaux mécanismes pour réunir des capitaux.

Un autre aspect de la question, c’est le ton du gouvernement, son approche, et le fait qu’il fournisse un soutien bien visible et qu’il l’affirme haut et fort. Sans un tel soutien, les donateurs se retirent ou modifient leurs habitudes en matière de don, ce qui déstabilise l’intérêt et le soutien à l’égard d’enjeux importants pour les Canadiens. Qu’est-ce que le gouvernement peut faire?

Andrea McManus, Association des professionnels en philanthropie : Tous les ordres de gouvernement ont l’occasion et le moyen d’influer sur l’opinion publique en ce qui a trait aux travaux du secteur sans but lucratif en reconnaissant leur partenariat avec les organisations du secteur, comme, par exemple, lorsque le Sénat a mené la charge pour créer et mettre en place la Journée nationale de la philanthropie. Nous sommes encore à ce jour le seul pays du monde à avoir reconnu officiellement la Journée nationale de la philanthropie, et elle est célébrée dans de nombreuses villes partout au pays pour mettre l’accent et attirer l’attention sur l’importance des contributions au secteur sans but lucratif.

De plus, pourquoi n’examine-t-on pas toutes les nouvelles politiques du point de vue du secteur sans but lucratif? De quelle façon une initiative précise influera-t-elle sur le secteur? Quelle sera l’incidence sur les gens qui s’appuient sur ces organisations? Pouvons-nous nommer un ministère fédéral qui assumerait une responsabilité économique et stratégique relativement aux organismes de bienfaisance et aux organisations sans but lucratif, reconnaissant ainsi la valeur du secteur au-delà de la simple réglementation fiscale de l’Agence du revenu du Canada?

Il y a tellement de façons de façonner l’opinion publique pour reconnaître la valeur du secteur et faire comprendre aux gens qu’il est plus important que jamais, et c’est la raison pour laquelle les travaux du comité arrivent vraiment à point nommé, parce que nous sommes à une époque d’accélération des changements. Bon nombre des membres de notre profession sont totalement concentrés sur Internet et les médias sociaux. De nos jours, les grands et petits organismes de bienfaisance ont accès à une technologie qui tente d’uniformiser les règles du jeu et offre beaucoup de nouveaux moyens de recueillir des fonds. Parallèlement, les sources de revenus comme le financement participatif, qui, techniquement, ne sont pas de nature caritative, sont devenues des moyens efficaces d’attirer l’attention du public.

Le sondage de la Foundation for Philanthropy—Canada de l’AFP et d’Ipsos Reid intitulé « Ce que veulent les donateurs canadiens » révèle que 80 p. 100 des Canadiens interrogés sont très susceptibles ou susceptibles de faire un don au cours des 12 prochains mois. Cependant, 60 p. 100 des répondants sont préoccupés au sujet de l’économie et pourraient réévaluer les dons qu’ils ont prévus.

Le secteur et le gouvernement doivent encourager plus de personnes à participer et à donner, et il faut pour cela fournir plus d’options de dons et sensibiliser les gens à ce sujet.

J’espère que notre exposé aura réussi à décrire ce que le comité peut faire pour aider le secteur à cette époque cruciale. Merci de votre attention. Nous serons heureux de répondre à vos questions.

Le président : Merci à vous trois de vos exposés. Nous allons maintenant commencer la période de questions par la sénatrice Omidvar.

La sénatrice Omidvar : Merci, monsieur le président, et merci à vous tous d’être là et d’avoir pris le temps de nous rendre visite. Vous deux ou vous trois affichez tous la même préoccupation au sujet du fait que le secteur n’a pas de « foyer » au sein du gouvernement. C’est quelque chose dont les membres du comité ont souvent entendu parler. Les gens ont utilisé le mot « ambassadeur », mais vous parlez, en fait, si je ne m’abuse, d’habiliter l’appareil gouvernemental à travailler en collaboration avec votre secteur.

Dans votre exposé, madame McManus, vous avez en fait décrit plus précisément que M. Schaper ce à quoi cela pourrait ressembler. Vous parlez d’un ministère fédéral, Innovation, Sciences et Développement économique Canada.

Monsieur Schaper, pouvez-vous nous donner une idée de ce que d’autres administrations ont fait, parce que les organismes de bienfaisance sont très présents dans des administrations similaires, et je ne parle pas seulement des États-Unis et du Royaume-Uni. De quelle façon composent-elles avec cette idée d’un environnement habilitant?

M. Schaper : Deux ou trois exemples me viennent à l’esprit. L’Australie compte en fait un ministre responsable du secteur des organismes de bienfaisance ou sans but lucratif. Elle possède aussi un organisme de réglementation indépendant qui joue aussi un rôle habilitant d’un point de vue stratégique. Dans un même ordre d’idées, l’organisme de réglementation créé assez récemment en Irlande joue un rôle habilitant du point de vue des politiques.

Au Royaume-Uni, je peux dire qu’il y a eu un genre de transition. Il y a actuellement là-bas un ministre responsable du secteur. Précédemment, le bureau du Cabinet — l’équivalent de notre Bureau du Conseil privé — comptait un secrétariat, l’Office for the Third Sector, qui était un rouage central au sein de l’appareil gouvernemental. Il y a donc différentes façons de procéder. Assurément, l’idée d’un secrétariat responsable, peu importe la forme que cela prendra au sein d’Innovation, Sciences et Développement économique Canada, est l’une des possibilités auxquelles nous avons réfléchi, parce que, selon nous, le gouvernement enverrait aussi ainsi un message clair au sujet des contributions économiques du secteur, en plus de ses contributions sociales.

La sénatrice Omidvar : J’ai une question complémentaire rapide à ce sujet.

Oui, le Royaume-Uni, l’Australie et la Nouvelle-Zélande sont des modèles. Ces pays ont adopté des lois en matière de bienfaisance. Ils ont établi une définition d’organisme de bienfaisance, et c’est la raison pour laquelle ils possèdent une commission des œuvres de bienfaisance. Nous n’avons pas une telle loi régissant les organismes de bienfaisance. Nous définissons ce que les organismes de bienfaisance peuvent ou ne peuvent pas faire, mais nous n’avons pas une loi en tant que telle, et, par conséquent, nous n’avons pas la possibilité de mettre sur pied une commission chargée des œuvres de bienfaisance.

Selon vous, devrait-on envisager d’adopter une telle loi ainsi qu’une définition d’organisme de bienfaisance?

M. Schaper : Selon nous, il ne faut pas nécessairement changer la définition d’organisme de bienfaisance actuelle. À notre avis, vu la façon dont tout cela a été mis en œuvre au Canada, conformément à la common law, on a bénéficié d’une assez bonne marge de manœuvre au moment de définir si les organisations sont ou non admissibles au statut d’organisme de bienfaisance.

Cependant, dans le cadre de la discussion plus générale, lorsque nous affirmons espérer discuter avec le gouvernement au sujet d’une réforme juridique et réglementaire plus générale, c’est assurément , selon moi, un des sujets qu’on pourrait soulever dans le cadre de telles discussions. Que ce soit nécessaire ou non de le faire, j’ose espérer que, dans le cas d’un tel processus, nous parviendrons à un consensus d’un côté ou de l’autre.

La sénatrice Omidvar : Je veux poser une troisième question parce qu’elle est pertinente à ce dont on parle. Avez-vous une position quant à savoir — j’utilise le langage de l’école de politique publique — si l’environnement habilitant devrait se trouver au sein ou à l’extérieur du gouvernement? Je tiens à rappeler à tout le monde que nous avions, à une lointaine époque, un ministre sous le gouvernement du premier ministre Brian Mulroney. Je ne me rappelle plus s’il s’agissait du ministère du bénévolat ou quelque chose du genre. Une telle entité doit avoir un certain poids et du mordant. Est-il préférable qu’il s’agisse d’une entité indépendante du gouvernement ou d’une entité gouvernementale?

M. Schaper : Selon moi, c’est probablement un peu des deux. J’estime que, si on met les bonnes mesures en place au sein de l’appareil gouvernemental — Andrea a parlé du strict minimum, soit de la possibilité que, au moment de l’élaboration des politiques, on cerne les répercussions différentes sur les organismes de bienfaisance et les organisations sans but lucratif et on en tient compte, tout comme on le fait pour le sexe et le genre, les langues officielles, les collectivités autochtones et les petites entreprises comparativement aux grandes —, ce serait déjà un pas dans la bonne direction.

Cependant, il est évident que, à l’extérieur du gouvernement, on a constaté au cours des 10 à 12 dernières années ce qu’on pourrait presque décrire comme une érosion des capacités du secteur de se réunir et des organismes-cadres de vraiment se rassembler. On ne peut pas, ici, blâmer le gouvernement. Le financement était là, dans le passé, et il n’y est plus, mais, en même temps, si c’est quelque chose que nous prenons au sérieux au sein du secteur, nous devons aussi nous organiser et mettre en place nous-mêmes ces mécanismes et structures.

Le président : Madame McManus ou monsieur Decksheimer? D’accord.

La sénatrice Martin : Merci de vos exposés. J’ai l’impression que vous n’avez fait qu’effleurer le sujet et que vous pourriez nous fournir de l’information sur beaucoup d’autres choses.

Monsieur Schaper, vous dites qu’il n’y a pas de chien de garde et qu’il faut renforcer les mesures d’application de la loi relativement à ce qui se passe au sein du secteur de la bienfaisance du Canada. J’ajouterais que l’on constate la même chose dans bien d’autres secteurs. Nous avons des lois, et nous appliquons ce que nous pouvons bien appliquer, mais la situation est fort complexe, et le domaine recoupe plusieurs administrations, alors l’application de la loi est toujours un point faible.

Vous avez piqué ma curiosité lorsque vous avez parlé des tendances liées aux médias sociaux et au financement participatif. Nous avons constaté dans les médias certains des problèmes à ce sujet.

Pouvez-vous nous parler un peu plus des enjeux liés à l’application de la loi et des défis auxquels nous sommes confrontés tandis que le secteur pénètre le monde virtuel, des façons novatrices dont on recueille maintenant des fonds et des pistes de réflexion pour renforcer l’application de la loi? Nous devons renforcer les capacités et nous voulons soutenir le secteur et en faire plus, mais je crains qu’il faille aussi se préoccuper de bien d’autres aspects du secteur, surtout la composante en ligne. Et, en plus, on entend aussi parler d’une tendance en ce qui concerne les intérêts étrangers et d’une certaine influence étrangère dans l’ensemble du secteur.

Je veux qu’on parle précisément d’application de la loi, de certains des défis connexes et de ce que vous nous recommanderiez.

M. Schaper : Pour ce qui est de l’application de la loi, l’ARC compte la Direction des organismes de bienfaisance. On peut parfois avoir tendance à s’en prendre à l’ARC parce que ses représentants ne font pas ce qu’on veut ou je ne sais quoi, mais, d’après notre expérience, l’ARC est un organisme de réglementation très efficace. Il applique aussi très bien la loi. Les mains de l’ARC sont souvent liées par le fait que notre système de réglementation n’a pas été modernisé de façon importante depuis la décision d’un tribunal dans les années 1800, qui était fondée sur une loi adoptée durant le règne de la reine Elizabeth 1ere. Lorsque vient le temps de composer avec certains des enjeux modernes et nouveaux, les mains de l’agence sont liées par son cadre réglementaire. C’est l’une des raisons pour laquelle nous souhaitons ardemment communiquer avec le gouvernement pour comprendre la nature des règles. Qu’est-ce qui est logique? Quelles sont les prochaines étapes? Et ce n’est pas nécessairement un rôle qui revient à l’ARC.

Il est dans l’intérêt des organismes de bienfaisance et des organisations de bénéficier d’un solide mécanisme d’application de la loi et d’un solide cadre de réglementation, parce que c’est une des raisons qui expliquent la confiance du public dont nous bénéficions et que nous nous démenons constamment à maintenir et à améliorer.

Pour ce qui est de certains des enjeux liés aux technologies, je vais peut-être laisser Andrea ou Scott vous en parler. Ils ont beaucoup plus d’expérience que moi dans ce domaine.

Vous avez cependant mentionné le financement étranger. Nous n’avons pas produit de rapport officiel, mais nous avons commencé à nous pencher sur cette question, du moins pour ce qui est des organismes de bienfaisance enregistrés, à la lumière de leurs déclarations de renseignements T3010, parce qu’ils doivent déclarer les fonds qui viennent de l’étranger. Plus récemment, on a aussi commencé à regarder les fonds qui viennent de l’étranger et qui sont destinés à des fins politiques. Pour ce qui est des activités politiques, je n’ai pas le chiffre exact à l’esprit, mais les organismes de bienfaisance enregistrés obtiennent moins de 1 million de dollars par année de fonds étrangers destinés à des activités politiques.

Pour ce qui est du financement étranger de façon générale — encore une fois, je pourrais me pencher là-dessus —, mais on parle de dizaines de milliards de dollars qui viennent de l’étranger. Il y a dans ce montant un peu de tout, des droits de scolarité payés par les étudiants étrangers aux subventions de recherche en passant par les accords de financement entre les hôpitaux et les autorités sanitaires en matière de remboursement. Ces fonds incluent aussi les dons d’anciens étudiants, les fonds des organismes de développement international. Il y a pas mal d’organisations différentes, et je vais m’arrêter ici.

Mme McManus : Pour ce qui est de l’enjeu de l’application de la loi, je suis d’accord avec ce qu’a dit Bill au sujet du fait que l’ARC est un organisme de réglementation très efficace. Au cours des 10 dernières années, et jusqu’à tout récemment, j’ai été membre du Groupe de travail sur les questions techniques de l’ARC, et les membres de ce groupe se sentent vraiment responsables de la santé du secteur. Ils sont limités par nos lois périmées, mais je crois qu’il s’agit tout de même d’un organisme de réglementation très efficace.

Pour ce qui est des médias sociaux, si on regarde un événement comme l’accident d’autocar des Broncos de Humboldt le printemps dernier, les gens ont réussi à recueillir 15 millions de dollars en très peu de temps sur le site GoFundMe. Techniquement, il ne s’agit pas de fonds philanthropiques, mais les gens donnent. Comme Scott l’a souligné dans ses commentaires, faire ce genre de choses pousse les gens à poser d’autres gestes.

Par conséquent, je ne crois pas qu’il faut établir des règlements sur ce genre de don. Là où, selon moi, les gouvernements fédéral et provinciaux ont un rôle majeur et inexploité à jouer, c’est en aidant à changer les mentalités quant à la valeur du secteur sans but lucratif, en reconnaissant que, comme Bill l’a dit, absolument tout, des grandes universités aux petits organismes de bienfaisance locaux et familiaux, contribue au tissu social et à ce qui fait du Canada un endroit aussi spécial. C’est là où nous avons besoin d’aide. Nous avons besoin que le gouvernement dise que c’est une composante très importante de notre société. C’est un domaine qui mérite vraiment votre soutien et le nôtre, et nous voulons qu’il soit plus fort, qu’il s’améliore et qu’il soit plus en santé. Il y a là une excellente occasion à saisir.

Le président : Avons-nous examiné de quelle façon nous pouvons convertir cet enthousiasme lié au financement participatif en une participation annuelle de ces mêmes donateurs? J’imagine que beaucoup de ces personnes donnent pour la première fois, particulièrement à la cause X ou Y dont il s’agit, mais c’est aussi peut-être la première fois qu’ils donnent à des organismes de bienfaisance de façon générale.

Quelqu’un réfléchit-il à la façon d’assurer une telle conversion, de façon à ce qu’une réaction peut-être impulsive de donner à une cause à la saveur du jour devienne une habitude annuelle et que les gens deviennent ainsi des donateurs à long terme?

M. Decksheimer : Je crois que certaines organisations s’en tirent mieux que d’autres. C’est l’un des problèmes : la technologie permet aux organismes de bienfaisance et aux organisations sans but lucratif d’atteindre des marchés et des gens qu’ils ne pouvaient pas atteindre avant. Les principaux bénéficiaires de ces fonds sont les petites organisations sans but lucratif qui peuvent élargir leurs activités de don et leurs activités d’extension.

Cependant, l’une des choses que nous savons, c’est qu’il y a environ 86 000 organismes de bienfaisance au pays, et nombre d’entre eux sont relativement petits et n’ont pas l’infrastructure de base nécessaire. Donc, encore une fois, les grandes organisations réussissent mieux à joindre certains contributeurs que d’autres, et cette capacité est pour eux une excellente façon d’assurer leur croissance. Nous espérons cependant que les petites organisations tireront profit de ces nouvelles possibilités et pourront mieux tisser des liens avec les donateurs à long terme.

Pour ce qui est de l’application de la loi, je voulais ajouter que, d’après mon expérience, les membres de conseils dans les organisations prennent très au sérieux leur responsabilité d’intendance. Ils examinent les grosses contributions. Ils veulent comprendre d’où l’argent vient et l’incidence qu’elle peut avoir.

C’est l’un des mécanismes internes que nous oublions souvent. Nos bénévoles, qui sont souvent trop prudents lorsqu’ils acceptent des fonds et du soutien, tout simplement parce qu’ils veulent protéger l’organisation et qu’ils assurent une bonne gestion de ces cadeaux.

Lorsqu’on réunit la réglementation de l’ARC et le sens aigu des responsabilités des conseils de bénévoles, je crois que, dans bien des cas, les organisations sont bien gouvernées.

Le président : Madame McManus, vous avez dit que l’ARC écoute, mais est-ce qu’elle change? Beaucoup de personnes qui ont oeuvré dans le système ont parfois critiqué à voix basse l’ARC, tandis que d’autres l’ont fait avec beaucoup moins de retenue. Vous êtes membre de ce groupe de travail depuis un certain nombre d’années. Avez-vous constaté un changement?

Mme McManus : Oui. Je vais vous donner un exemple. Lorsqu’on a présenté la première ébauche des lignes directrices sur les activités de financement par les organismes de bienfaisance au Groupe de travail sur les questions techniques — le premier groupe à les avoir vues —, le ton utilisé était très consternant : le libellé était vraiment négatif. On comprenait tout de suite l’objectif du document : le gouvernement passait à l’action pour empêcher les mauvais organismes de bienfaisance de faire de terribles choses.

Je n’exagère pas. Le libellé était vraiment très négatif.

Les gens ont écouté. Ils devaient écouter : ils étaient embarrés dans une salle avec nous. Et pas seulement nous, les membres du Groupe de travail sur les questions techniques. En effet, les responsables ont ensuite élargi la discussion à la communauté plus générale. Au bout du compte, le document — sans dire qu’il reflétait une relation entre partenaires — était beaucoup plus positif et habilitant.

J’ai constaté, au cours des 10 années que j’ai passées au sein du groupe de travail, que les représentants de l’ARC doivent certes appliquer la loi telle qu’elle est rédigée, mais ils sont passés d’un processus misant premièrement sur les sanctions à un processus qui mise d’abord sur l’éducation, puis sur des sanctions. Ce changement était vraiment nécessaire.

Comme Bill l’a dit, leurs mains sont liées. La définition d’« organisme de bienfaisance » remonte à 1604 ou quelque chose du genre, au droit élisabéthain, et c’est cette définition qu’on retrouve dans la Loi de l’impôt sur le revenu. C’est l’un des problèmes : personne ne veut rouvrir la Loi de l’impôt sur le revenu.

La sénatrice Martin : Monsieur le président, vous aviez plusieurs questions de suivi, mais je tiens à souligner clairement que je suis très impressionnée par le travail de nos organismes de bienfaisance à l’échelle du pays. J’ai moi-même participé et je participe encore aux travaux de divers organismes. Cependant, ce dont j’ai entendu parler concerne le secteur sans but lucratif, qui existe lui aussi, et les gens sont préoccupés par un besoin de transparence accru en ce qui concerne le suivi des fonds étrangers destinés au secteur sans but lucratif.

Je comprends ce que vous avez dit : nous devons moderniser le système et nous attaquer aux nouveaux enjeux afin que les organismes de bienfaisance puissent continuer à croître et à faire leur bon travail, mais je veux mettre l’accent sur l’application de la loi et la surveillance dans le secteur sans but lucratif, où nous ne semblons pas avoir autant d’information. Les médias ont soulevé certaines préoccupations, comme l’ont aussi fait, entre autres, différents témoins.

M. Schaper : Si je peux poursuivre sur votre lancée et me faire un peu de publicité, dans notre mémoire, nous parlons du manque de données sur l’ensemble du secteur.

Pour ce qui est des organismes de bienfaisance, nous avons certaines bonnes sources de données et d’autres qui le sont moins, mais, du côté du secteur sans but lucratif, nous ne savons même pas combien il y a d’organisations : il n’y a pas de liste. Certaines organisations sont constituées en vertu d’une loi fédérale et d’autres, en vertu d’une loi provinciale, et la dernière fois que le gouvernement fédéral a tenté de réunir et de recueillir de tels renseignements remonte à 2003.

À notre avis — je parle ici du secteur de façon générale, mais je réfléchis aussi à la façon dont on peut s’attaquer à ces enjeux —, un des éléments nécessaires, c’est, déjà, de savoir combien il y a d’organisations, qui elles sont et où elles se situent.

Nous le disons depuis des années. Nous en avons parlé dans nos mémoires prébudgétaires. Nous en parlons encore dans le mémoire que nous avons soumis aujourd’hui. Nous avons rencontré des représentants de Statistique Canada à ce sujet, mais nous n’avons pas accès à des données exhaustives sur le secteur. Je crois que ce serait très utile. On pourrait ainsi s’attaquer à certains des problèmes que vous avez soulevés.

Le président : J’attire aussi l’attention de nos collègues sur le rapport d’Imagine Canada. Il contient six recommandations. Vous devriez aussi les examiner.

Le sénateur Duffy : Merci d’être là. C’est un sujet très important.

J’ai l’impression que l’examen de la situation permet de déceler deux enjeux généraux : les rouages, le cadre juridique dans lequel les diverses organisations œuvrent — tant du côté des organisations sans but lucratif que du côté des organismes de bienfaisance —, et ce dont M. Schaper a parlé il y a quelques instants, soit le nombre en déclin de donateurs et le manque de liquidités des organismes de bienfaisance qui, jour après jour, répondent aux besoins des Canadiens.

Monsieur Schaper, pouvez-vous nous rappeler les données sur le déficit social? Je crois que c’est important pour les gens qui nous regardent à la maison de comprendre à quel point la situation actuelle est critique. Pouvez-vous nous redonner l’information? J’aimerais ensuite vous parler rapidement de certaines solutions qui permettaient de surmonter ce problème.

M. Schaper : Nous avons produit divers modèles économiques qui portent sur la prochaine décennie et, en réalité, si les tendances actuelles se poursuivent en ce qui a trait à la croissance économique globale, les revenus du secteur et les demandes accrues qui lui sont formulées, il faut s’attendre à un manque à gagner de 25 milliards de dollars au cours de la prochaine décennie.

Le problème, c’est qu’on ne parle pas ici d’un déficit gouvernemental. Le manque à gagner n’apparaîtra nulle part dans les bilans. Il y aura des retards lorsqu’on veut obtenir des services ou encore les gens ne pourront tout simplement pas avoir accès aux services. Des organisations arrêteront d’offrir certains services parce qu’elles n’ont pas les ressources nécessaires, et les bénévoles et le personnel devront composer avec de plus en plus de demandes.

Le sénateur Duffy : Ce qu’on constate aussi, parallèlement, c’est le vieillissement de la population. En effet, il y a de plus en plus d’aînés. Je sais que c’est difficile à croire, mais nous vieillissons chaque jour, et les enfants du baby-boom auront besoin de plus en plus de services pendant leurs vieux jours. Par conséquent, les gens donnent de moins en moins, et notre population aînée demande de plus en plus de services et de soutien.

Vous estimez donc que, au bout de 10 ans, le manque à gagner s’élèvera à 25 milliards de dollars, ce qui signifie que, dans chaque collectivité du Canada, les petits organismes de bienfaisance — qui font du travail important à l’heure actuelle — manqueront encore plus d’argent en raison de l’importante demande et du fait qu’ils n’auront plus assez de fonds.

M. Schaper : C’est ce que donnent à penser les tendances, oui.

Le sénateur Duffy : De quelle façon peut-on pousser les gens à donner? Les études que nous avons consultées ici ces derniers temps nous donnent à penser que les citoyens aînés, les gens qui — comme vous nous l’avez dit aujourd’hui — ont plus de 70 ans, sont ceux qui donnent le plus. Cette source de fonds vient d’une autre génération. De quelle façon pouvons-nous atteindre la nouvelle génération et la convaincre que ce n’est pas suffisant de faire un don seulement pour se sentir bien, lorsqu’il y a une tragédie comme celle dont on a été témoin en Saskatchewan, de simplement prendre son téléphone intelligent et de faire un don parce qu’on est touché sur le moment par les images qu’on voit à la télévision?

Que peut-on faire pour que ce soit quelque chose que les gens ont toujours à l’esprit, quelque chose qu’ils font chaque mois, automatiquement? Bien sûr, maintenant, avec toutes les technologies, l’argent peut être prélevé directement dans notre compte de banque. Nous n’avons même plus à faire de chèques. De quelle façon peut-on communiquer ce message au public? Est-ce qu’une partie de la réponse consisterait à nommer un ministre dont l’unique responsabilité serait de faire le tour du pays, de visiter chaque groupe de service et chaque groupe communautaire pour encourager la nouvelle génération à donner, lui en rappeler l’importance et la pousser à donner? Est-ce, du moins, une partie de la réponse?

M. Decksheimer : Merci de la question. Selon nous, c’est une des solutions. Les gens donnent lorsqu’ils font confiance aux organisations et lorsque les personnes en position de pouvoir sont bien reconnues et qu’elles prennent la parole pour demander aux gens de faire leur part et qu’elles communiquent ce message.

Ce dont vous parlez, c’est d’accroître la confiance à l’égard de notre secteur et d’accroître la confiance à l’égard du travail qu’on y fait. Chaque fois qu’un membre du gouvernement ou qu’un membre de la collectivité peut renforcer cette confiance, nous en sortons gagnants au bout du compte parce que cela donne le ton à notre milieu et, peut-être aussi pour ce qui est des attentes qu’on a à notre égard en tant que Canadiens, en prévision de l’avenir

Nous sommes un pays très généreux, cela ne fait aucun doute. Cependant, je sais que, partout au pays, des bénévoles membres de conseil aimeraient que d’autres personnes appuient leur travail et leur donne cette reconnaissance. Nous devons reconnaître qu’il y a des groupes de bénévoles partout au pays — il y a environ 80 000 organismes de bienfaisance — dont le conseil d’administration tente, chaque jour, de combler ce manque à gagner.

Je crois que nous reconnaissons que, dans 10 ans, on se retrouvera avec un manque à gagner de 25 milliards de dollars. Il y a une demande énorme de services qui n’est pas comblée, et les organismes de bienfaisance gèrent leurs fonds au jour le jour. Les conseils gèrent l’argent pour s’assurer d’en maximiser l’efficience.

Selon moi, on ne dit pas assez souvent non plus à quel point notre secteur assure une prestation de programmes efficiente. Il offre des programmes que le secteur à but lucratif ou les gouvernements ne sont pas en mesure d’offrir parce que, bien sûr, eux aussi manquent de liquidités. Ce secteur prend les devants pour faire le travail et tente d’être le plus efficient possible.

Le sénateur Duffy : Les gens sont-ils toujours presque à sec? Il n’y a jamais de jour faste pour les organismes de bienfaisance, parce qu’il y a toujours plus de demandes.

Mme McManus : Bon nombre d’organisations sont presque à sec, et on s’attend à ce qu’il en soit ainsi. Ce n’est pas juste, et ce n’est pas de cette façon qu’on doit combler les lacunes en matière de service et veiller à ce qu’il n’y ait pas de déficit social.

Le sénateur Duffy : Y a-t-il une résistance au sein du gouvernement — pas seulement le gouvernement actuel, je parle de façon générale — à l’égard du secteur des organismes de bienfaisance et des organisations sans but lucratif? A-t-on l’impression que ce sont des choses que le gouvernement devrait faire et que ces gens empiètent sur nos plates-bandes?

M. Decksheimer : Je peux parler au nom des gens à qui j’ai parlé. Au Canada, les gens croient souvent que le gouvernement fait une bonne partie du travail que font les organismes de bienfaisance. Ce que ces derniers tentent de faire, c’est de montrer leur valeur aux gens dans la collectivité au quotidien.

Selon moi, notre principal défi reste la perception que, en quelque sorte, nos organisations devraient être composées d’indigents. Il y a plusieurs réalités ironiques dans notre secteur. En effet, les gens disent que nous devrions ressembler davantage à des entreprises, mais dès que nous adoptons de telles pratiques, on nous rappelle de mettre l’accent sur la bienfaisance. On passe souvent d’un à l’autre.

À nos yeux, nos pratiques doivent être similaires à celles d’entreprises, mais nous devons continuer d’adopter des pratiques charitables dans le cadre de notre travail. Selon moi, on ne peut jamais oublier la façon dont nous abordons notre travail. Je ne sais pas si j’ai bien répondu à votre question, monsieur le sénateur.

Le sénateur Duffy : Vous y avez répondu. Merci.

Le président : Ce commentaire est intéressant, monsieur Decksheimer. C’est très important, en plus de ce que Mme McManus a dit : les gens veulent que les organismes de bienfaisance soient bien dirigés et bien financés, mais lorsqu’ils deviennent bien financés, une question se pose. Il y a de nombreuses années, quand je travaillais pour le YMCA du Grand Toronto, je me rappelle qu’un des changements fondamentaux qui se sont produits dans les années 1950, et pendant une bonne partie des années 1960, c’était que les membres et les usagers du YMCA disaient : « Nous n’aimons pas les vieux bâtiments; ils sont délabrés. » Le YMCA a ensuite lancé une campagne très dynamique pour amasser des fonds. J’y ai participé dans une grande mesure, puis des gens ont dit : « Ces bâtiments sont neufs et luxueux. » Cependant, si vous interrogiez les membres et les usagers de l’installation et leur demandiez ce qui était important pour eux, ils répondaient un environnement moderne, propre et sécuritaire où ils pourraient participer au YMCA. Ce sont tout un tas de contradictions que vous devez surmonter qui entrent ici en jeu.

J’aimerais poser la question suivante à Mme McManus et à M. Decksheimer : une des responsabilités de l’AFP est d’aider à former les gens qui contribuent en réalité à amasser l’argent pour les organismes de bienfaisance. Le gouvernement a-t-il créé des obstacles qui empêchent l’AFP ou toute autre organisation comme celle-ci de continuer d’offrir la formation de bonne qualité que vous fournissez à vos membres?

Mme McManus : Je ne crois pas que le gouvernement ait érigé des obstacles. Le plus grand obstacle au perfectionnement professionnel continu est la perception du public à l’égard du grand mythe des frais généraux. Je veux vous donner de l’argent, mais je ne veux pas que vous le dépensiez en frais administratifs.

Donc, nous voulons que vous soyez consciencieux et professionnel et que vous utilisiez notre argent à bon escient, mais n’allez pas dépenser de l’argent pour former vos employés. Encore une fois, c’est cette contradiction et la tension qui existe entre le fait d’agir comme une véritable entreprise et la perception de ce à quoi les organismes de bienfaisance devraient ressembler. Toutefois, je ne crois pas qu’il y ait d’obstacles de la part du gouvernement.

Le président : Selon les exigences, la fonction administrative est signalée comme un élément distinct. Est-ce un obstacle? Vous savez, lorsque les gens examinent des rapports d’organismes de bienfaisance et disent : « Oh, eh bien, la fonction administrative de cet organisme de bienfaisance correspond à ce pourcentage. » En réalité, ce pourcentage peut être exactement ce qui est exigé pour assurer le bon déroulement des choses et respecter les règles.

M. Decksheimer : Je pense que ce dont vous parlez, c’est la perception que nous semblons avoir d’un taux d’efficacité global, où l’organisme de bienfaisance A est mauvais s’il se situe à un certain niveau administratif, et l’organisme de bienfaisance B est bon.

Dans le secteur des entreprises, si nous décidions de comparer une grande société pétrolière et gazière avec votre dépanneur local et disions qu’ils exercent leurs activités selon les mêmes paramètres, nous dirions que c’est insensé. Toutefois, dans notre monde, nous allons comparer une organisation de fiducie pour l’environnement qui achète des actifs et des terres grâce à des dons avec une église locale ou une collectivité qui construit un terrain de jeu; nous allons fixer exactement les mêmes paramètres et les superposer, et c’est très difficile à comprendre pour les gens.

La sénatrice Omidvar : Merci de poser ces questions. Je vais poursuivre sur le sujet des gros joueurs et des petits joueurs. Nous devrions préciser que, même si nous avons parlé du fait que les organismes de bienfaisance ont de moins en moins de fonds — je pense qu’on a utilisé le mot « indigents » —, je n’accolerais pas exactement ces mots aux universités, aux hôpitaux et aux musées, qui absorbent une bonne partie des dons de bienfaisance.

Malgré cela, ce sont des questions intéressantes — nous devrions peut-être examiner différentes approches pour des gens différents. Recommanderiez-vous que le gouvernement du Canada envisage de réglementer les organismes de bienfaisance et les organismes sans but lucratif d’une certaine taille différemment de ceux d’une autre taille? Je sais que vous avez parlé d’au moins 80 000 organismes de bienfaisance environ, mais les hôpitaux, les musées et les universités, selon toutes les données probantes, obtiennent la plus grande part des dons, tandis que les petits joueurs profitent d’un financement participatif, et on pourrait donc déployer différents leviers.

Le comité devrait-il examiner la taille comme fonction de la réglementation et de la réforme?

M. Schaper : En ce qui concerne les définitions globales de la création d’une catégorie distincte ou quoi que ce soit du genre, ce n’est pas quelque chose sur quoi nous avons vraiment un point de vue ou à quoi nous avons longtemps réfléchi.

Lorsque vous examinez la question des traitements différents pour des organisations de tailles différentes, peu importe leur activité, une partie de cela est déjà intégrée, dans une certaine mesure, et les organisations de petite taille n’ont pas à présenter le même degré de détails financiers à l’ARC que les grandes organisations. Pour des choses comme les règles des activités politiques, peu importe ce que l’avenir leur réserve, il y a des seuils différents pour des organisations de tailles différentes.

Encore une fois, ce sont toutes des choses très techniques; je le reconnais. Nous observons l’administration des subventions et des contributions, où les exigences redditionnelles sont souvent les mêmes peu importe la taille de l’organisation ou la quantité de fonds gouvernementaux en jeu. Le groupe d’experts a fait rapport là-dessus il y a 12 ans et a essentiellement dit que vous deviez faire quelque chose à ce sujet. Ce n’est pas logique.

Dans ces sortes de domaines, nous sommes très à l’aise de dire : « Oui, regardez les différents besoins des différents types d’organisation, si on veut les modeler ou quelque chose du genre. » Ce n’est pas quelque chose dont nous pourrions parler en ce moment.

La sénatrice Omidvar : Je voudrais faire suite à une question posée à l’Association des professionnels en philanthropie. Dans votre mémoire, vous avez tous deux formulé une recommandation concernant le fait d’encourager un plus grand nombre de dons de bienfaisance au moyen de l’approbation des dons de biens immobiliers et d’actions de sociétés privées.

D’après l’ensemble des données du secteur, ce sont les gens âgés qui donnent — des gens prospères — et la plupart de leurs dons sont ensuite redirigés vers les gros joueurs, c’est-à-dire les universités, les hôpitaux et les fondations.

Comment pouvons-nous nous assurer que, si une telle réforme est envisagée, les avantages de l’augmentation de la philanthropie se feront ressentir dans l’ensemble du secteur, et non seulement par les élites, pour ainsi dire? Je vais parler franchement. C’est ma préoccupation au sujet de cette recommandation.

M. Decksheimer : Une bonne partie des dons qui sont faits à des fondations communautaires sont répartis dans des petites organisations partout au pays. Je peux témoigner personnellement des avantages d’une fondation communautaire à Calgary, où une âme généreuse a fait un don de plus de 100 millions de dollars. De façon annuelle, cela revient à 5 millions de dollars pour des organismes de bienfaisance de toutes tailles dans l’ensemble de la collectivité, pas seulement les grandes organisations.

Donc, oui, je suis d’accord pour dire que les hôpitaux et les universités vont recevoir la part du lion de tout incitatif fiscal majeur, parce que l’incitatif fiscal augmente la taille des contributions, mais je dirais qu’il y a des retombées pour les petites organisations. Je connais de nombreuses petites organisations qui ont reçu des dons de capitaux en plus d’actions de sociétés publiques. Cela ne correspondra jamais à la taille que nous recherchons pour les grandes organisations, qui font aussi l’objet d’une planification complexe en matière de dons et pour qui des bailleurs de fonds très importants font des dons depuis de nombreuses années.

Mme McManus : Je pense que c’est une question fascinante. Pendant les sept dernières années, j’ai travaillé à Calgary pour une campagne qui s’appelle RESOLVE, une campagne de financement de 120 millions de dollars pour des logements abordables. Neuf organisations de tailles très différentes se sont rassemblées pour amasser cet argent, mais aucune d’entre elles n’était une grande organisation de type institutionnel. Malgré que nous avons eu une inondation à Calgary puis un krach, cette campagne s’est concrétisée. Elle n’atteindra probablement pas 120 millions de dollars, mais ça sera vraiment très près. Si j’avais pu accepter des dons de biens immobiliers et émettre des reçus d’impôt pour ceux-ci, la différence aurait été énorme, mais pas seulement à Calgary. La question du logement abordable touche l’ensemble du pays, et elle est alimentée par de nombreuses petites organisations.

Je suis d’accord avec Scott pour dire que les choses seront toujours comme elles sont. Vous avez parfaitement raison de dire que 1 p. 100 des organismes de bienfaisance au Canada sont de grandes organisations. Elles reçoivent 60 p. 100 des dons de bienfaisance. Toutefois, ce sont des choses comme des biens immobiliers, je crois, qui aideraient à uniformiser les règles du jeu.

La sénatrice Martin : Je veux juste revenir sur une question. Je pense que c’est très important.

Monsieur Decksheimer, vous avez dit qu’il y avait des retombées pour les petites organisations. C’est fantastique de savoir que cela se produit. Pour les organisations ethniques qui ne sont peut-être pas nécessairement aussi connaissantes et qui font partie du réseau, faites-vous des activités de sensibilisation ou y a-t-il quelques-unes de ces organisations qui mènent de bonnes activités de sensibilisation pour atteindre ces petits groupes? Je pense à nombre de ces organisations qui ne savent pas nécessairement comment le processus fonctionne et qui pourraient ne même pas demander à obtenir ces grands dons ni en profiter.

Je suis curieuse de connaître le type de sensibilisation qui est faite et la portée de ces activités.

M. Decksheimer : Merci de poser la question. Les nouveaux arrivants au Canada apportent leur propre philanthropie à notre pays, mais ils prennent aussi des mesures pour faire partie de notre pays. Je suis très fier du travail que fait notre association. Nous avons travaillé et nous nous sommes penchés sur ce que nous appelons notre projet de diversité et d’inclusion en Ontario, avec 60 personnes, je crois, pour fournir du mentorat et faire du travail dans des groupes diversifiés de collectivités différentes — pas seulement des gens venus d’autres pays —, mais aussi dans d’autres groupes qui seraient considérés comme minoritaires dans notre collectivité.

Je crois qu’environ 20 personnes au pays mènent des activités de sensibilisation et de croissance, de sorte que nous puissions atteindre un nombre encore plus grand de collectivités également. Vous entendrez plus tard M. Krishan Mehta, qui a exécuté une partie de ce travail et examine des façons d’accroître les dons. Nous sommes d’avis que bon nombre de ces nouveaux arrivants dans notre pays sont très généreux, mais ils ont appris à donner de l’argent d’une façon différente, en établissant des liens différents avec leur collectivité et en transmettant leur philanthropie de manière inédite.

En tant que groupe professionnel, nous essayons de trouver des moyens de travailler avec ces collectivités pour pouvoir apprendre comment celles-ci donnent, de manière à ce que nous puissions être plus efficaces dans notre travail partout au pays, mais aussi pour renforcer le lien que nous tissons avec tous ces différents groupes au pays.

En ce moment, des gens dans environ cinq provinces travaillent à élargir nos groupes dans le secteur culturel.

La sénatrice Martin : Merci.

Le président : Au nom du comité, j’aimerais remercier nos témoins d’être ici. La discussion a été très instructive.

J’aimerais aussi vous encourager, alors que nous poursuivons notre étude, si vous surveillez nos travaux et voyez quelque chose sur quoi vous aimeriez ajouter un commentaire, à soumettre une proposition écrite au greffier. Il s’assurera de la communiquer aux membres du comité, et nous pourrons en tenir compte dans la poursuite de nos travaux.

C’est important que nous vous parlions, mais c’est aussi important que vous sachiez que vous pouvez nous parler également. Merci beaucoup.

Mesdames et messieurs, nous entendrons maintenant nos prochains témoins : M. Krishan Mehta, vice-président adjoint, Engagement, Université Ryerson, et M. John Hallward, chef de la direction, de DONN3.

Merci d’avoir accepté notre invitation à comparaître, messieurs.

Je vais maintenant inviter les témoins à présenter leur exposé. Je sais que vous faisiez partie du public lors de la comparution du groupe de témoins précédent. Vous verrez ce qui se passe. Nous procéderons à une période de questions à la fin de vos exposés, et je demanderais à tous de garder leurs questions et leurs réponses concises.

Monsieur Hallward, je crois comprendre que vous êtes le premier.

John Hallward, chef de la direction, DONN3 : Bonjour, monsieur le président et mesdames et messieurs les sénateurs. Je vous remercie de l’occasion de vous exposer nos perspectives et les résultats de nos recherches.

Je m’appelle John Hallward, je suis président et fondateur de la Fondation DONN3, organisme de bienfaisance enregistré dont la mission singulière est d’encourager plus de Canadiens à donner davantage.

J’ajouterai que je suis analyste de marchés professionnel dans ma vie privée. J’adore les faits, je mène des études et je m’intéresse aux faits dans le secteur philanthropique.

En particulier, DONN3 est responsable de la conception et de l’exécution de programmes novateurs visant à encourager les Canadiens à donner davantage. Nous coanimons au Canada l’initiative importante Mardi je donne, dont vous avez peut-être entendu parler, en partenariat avec plus de 6 000 organismes de bienfaisance, et coanimons avec CanaDon le Grand défi caritatif canadien, qui a recueilli plus de 11 millions de dollars pour de bonnes causes en juin dernier.

DONN3 souhaite également contribuer aux discussions sur les meilleures politiques publiques à adopter en réponse au repli du comportement caritatif dont nous avons tous entendu parler dans l’ensemble du Canada. C’est ce que nous appelons l’occasion d’un milliard de dollars. Nous avons déjà entendu parler des milliards de dollars. Si nous faisons la comparaison avec la situation il y a 40 ans, juste avec les donateurs privés dans le secteur de bienfaisance, aujourd’hui nous recevons 2 milliards de dollars de moins annuellement de la part des donateurs privés. Ce n’est pas mesuré, parce que c’est ce que nous ne donnons pas. Cela représente le déclin de notre comportement caritatif annuel au secteur à but non lucratif.

La recherche que nous avons réalisée nous amène à penser qu’une augmentation des crédits d’impôt ou d’autres incitatifs fiscaux entraînant une perte de recettes fiscales pour l’ARC n’est pas la solution pour renverser ces tendances. Nous pensons plutôt qu’il faut s’attarder au renforcement de normes qui favorisent le don, à la définition de ces normes et à l’encouragement du comportement caritatif dans nos localités. Ce serait en outre une solution qui coûterait bien moins cher en fonds publics, car il s’agirait d’une initiative sociale multidimensionnelle visant à enseigner, à inspirer, à mener par l’exemple et à célébrer les dons de bienfaisance et le bénévolat. En tout et pour tout, elle coûterait moins de 20 millions de dollars par année au gouvernement.

Pourquoi donc préconisons-nous cette position? Vous savez peut-être qu’il y a une très faible corrélation entre les crédits d’impôt pour dons de bienfaisance offerts par les provinces et le montant des dons dans ces provinces-là. Par exemple, parmi les provinces, le Québec offre le crédit d’impôt pour dons de bienfaisance le plus élevé au Canada, et c’est là que le comportement caritatif est le plus faible. Par contraste, le Nunavut offre le plus faible crédit d’impôt pour dons de bienfaisance au pays, mais il affiche le comportement caritatif le plus fort parmi tous les Canadiens.

De surcroît, les groupes religieux et culturels ont des comportements caritatifs différents, et ce, dans le même territoire de compétence fiscale. Autrement dit, il existe des comportements caritatifs différents même lorsque le régime fiscal est le même. Cela donne à penser que ce ne sont pas les incitatifs fiscaux qui expliquent la différence dans les comportements. Le don a bien plus à voir avec les valeurs, l’éducation, les caractéristiques sociales et les normes sociales dans chacun de ces groupes culturels.

Le fait est qu’il n’existe aucune corrélation entre les crédits d’impôt et le montant des dons, où que l’on soit au Canada. Une étude que nous venons de terminer aux États-Unis avec un partenaire américain nous apprend que le montant des dons dépend principalement des valeurs des donateurs, de la priorité qu’ils accordent au don et de leurs motivations personnelles à l’égard de la philanthropie. Le rapport est sans doute semblable au Canada. Comme nous l’avons entendu dire, nous n’avons pas assez de données au Canada pour le confirmer, et nous aimerions beaucoup voir cela changer.

Ces éléments d’information portent uniformément à croire que le repli de notre comportement caritatif est non pas une question fiscale, mais bien une question de valeurs. La baisse des dons est proportionnelle au déclin de la religiosité et à l’effritement des valeurs qu’enseignent quasiment toutes les religions. Nous sommes ainsi d’avis qu’il y a lieu au Canada d’adopter une solution sur le plan des valeurs qui rappellerait aux Canadiens l’importance d’aider nos concitoyens dans le besoin.

Le Grand défi caritatif canadien et Mardi je donne sont la preuve de l’énorme potentiel des innovations sociales. Ces deux programmes ont entraîné une augmentation marquée des montants des dons. Mardi je donne, par exemple, a produit une hausse de plus de 460 p. 100 des dons comparativement au même mardi en 2012, l’année précédant l’introduction de l’initiative au Canada. De plus, un examen approfondi des données aux États-Unis indique que l’initiative a produit plus de 300 millions de dollars de dons en ligne l’année dernière. Le Grand défi caritatif canadien a entraîné une augmentation de 150 p. 100 en juin 2017, comparativement au mois de juin 2014, avant l’introduction de l’initiative, selon les données mesurées sur la plateforme de dons CanaDon.

Afin de saisir cette occasion d’un milliard de dollars, nous suggérons une nouvelle initiative qui favorise la générosité et la culture du don. Nous envisageons quelque chose comme le programme ParticipACTION, une campagne financée par le gouvernement fédéral visant à encourager l’activité physique et l’exercice dans l’intérêt public. Nous imaginons une initiative semblable qui encouragerait le don de bienfaisance dans le secteur à but non lucratif, car nous croyons qu’une marée montante soulève tous les bateaux. Pour assurer la plus grande efficience et éviter le double emploi, nous suggérons une seule initiative globale, intégrée, coordonnée et ciblée qui mettrait la collaboration à profit dans l’ensemble du secteur. Peut-être le programme relèverait-il du ministère du Revenu national. Il serait la responsabilité de l’ARC et de la Direction des organismes de bienfaisance; ce n’est pas un grand ministère comparativement à celui des Finances, par exemple, mais nous croyons qu’il est en mesure d’assumer ce type de rôle.

Le budget que nous imaginons... Je crois que ParticipACTION obtient environ de 5 à 6 millions de dollars en fonds publics par année, donc nous envisageons quelque chose de semblable. C’est environ la taille de ce que nous voyons comme solution, peut-être de 10 à 20 millions de dollars au maximum. L’initiative suivrait une approche multidimensionnelle et aurait diverses cibles, autant chez les jeunes que les moins jeunes — peut-être un programme propre au Québec francophone, compte tenu des très faibles taux de dons au Québec. Elle sensibiliserait sans arrêt et rappellerait les avantages du don dans une société civile bienveillante; elle dissiperait toute perception négative des organismes de bienfaisance, et nos recherches démontrent qu’il y a quelques perceptions négatives à leur égard, même si les gens font généralement confiance aux organismes de bienfaisance du Canada; elle contribuerait à l’élimination des obstacles au don, même si les données américaines montrent qu’il ne semble pas y avoir beaucoup d’obstacles au don, puisque les textos et les cellulaires ont facilité les dons; elle favoriserait le don et le bénévolat; et elle envisagerait les avantages de la définition de normes sociales. Je pense que c’est un enjeu important.

En conclusion, il serait dommage de se retrouver dans 20 ans à devoir expliquer pourquoi personne n’a rien fait. Nous continuons d’observer cette tendance décroissante. Une des choses que nous avons apprises dans le cadre de nos recherches, c’est que les gens à qui on enseigne à donner donnent davantage. Les gens qui comprennent la norme sociale liée au don donnent davantage. Si nous laissons passer une autre génération, et qu’il y a de moins en moins de mentors et de chefs qui affichent le comportement positif associé au don, nous nous retrouverons dans une spirale infernale. Je ne veux pas me retrouver dans 20 ans d’ici à me demander pourquoi nous n’avons rien fait pendant que nous avions encore l’infrastructure et les mentors en place. J’espère que vous êtes d’accord avec ce point de vue et je vous remercie de votre attention.

Le président : Monsieur Hallward, merci beaucoup. Notre prochain témoin est M. Krishan Mehta, qui est vice-président adjoint, Engagement, à l’Université Ryerson à Toronto.

Krishan Mehta, vice-président adjoint, Engagement, Université Ryerson, à titre personnel : Bonjour. Je vous remercie de m’avoir invité à vous parler aujourd’hui. Je travaille à soutenir les dons caritatifs à l’Université Ryerson, comme cela a été mentionné plus tôt.

Je suis aussi président sortant du chapitre de l’AFP du Grand Toronto, qui sert environ 1 300 professionnels en philanthropie, ce qui en fait le plus grand chapitre de l’AFP au monde.

Toutefois, je suis ici aujourd’hui en ma qualité de chercheur et d’auteur sur la philanthropie et le don. Récemment, j’ai obtenu mon doctorat à l’Université de Toronto, où j’ai mené une étude portant sur les intérêts caritatifs des immigrants les plus fortunés au Canada. Ce projet de recherche a été guidé par le travail de financement d’études postsecondaires qui s’est déroulé sur près de 20 ans, mes expériences, puisque j’ai grandi dans un ménage d’immigrants et, bien sûr, mon bénévolat dans le secteur.

J’aimerais commencer par souligner quelques éléments de données importants qui, j’espère et je crois, aideront à vous faire comprendre la générosité des nouveaux arrivants.

D’abord, d’après Statistique Canada, même si les immigrants sont tout aussi susceptibles de donner que les personnes nées au Canada, ils contribuent en réalité davantage en moyenne. Le montant médian donné par des donateurs immigrants s’élève à 155 $, contre 111 $ pour ceux nés ici. Même si ces sommes peuvent sembler négligeables à première vue, lorsqu’il s’agit de ménages de la classe moyenne et supérieure, l’écart dans les dons caritatifs devient beaucoup plus important. Par exemple, les immigrants ayant un revenu du ménage annuel d’au moins 100 000 $ donnent environ 250 $ ou plus, en moyenne, que les donateurs nés au Canada qui ont le même revenu.

Ensuite, il y a quelques années à peine, une grande banque canadienne a déclaré que la moitié des personnes riches au Canada étaient des immigrants de première ou de deuxième génération. Plus tard, il y a quelques mois, le gouvernement fédéral a annoncé un plan pour accueillir plus de 1 million de nouveaux immigrants au Canada entre 2018 et 2020. En fait, le Canada se classe maintenant cinquième au monde lorsque nous comptons le nombre de citoyens très fortunés, et bon nombre d’entre eux ne sont pas nés ici.

Puis, en 2017, Toronto, l’épicentre financier du Canada et la principale ville d’atterrissage des migrants, renferme une majorité de non-Blancs. D’autres villes importantes au Canada suivent également cette voie, ce qui a contribué à jeter un nouvel éclairage sur les possibles répercussions de transformation des immigrants et des gens de couleur sur les organismes de bienfaisance et les organismes sans but lucratif.

Bien que j’en aie beaucoup plus à dire sur le sujet, j’aimerais aujourd’hui vous faire part de seulement trois questions et thèmes importants, des choses auxquelles j’ai réfléchi au cours des 10 dernières années.

D’abord, les dons caritatifs ne commencent pas au Canada. Les immigrants arrivent avec des expériences variées au sujet des organismes de bienfaisance et des dons, et ces expériences teintent leur participation et leur soutien au travail important de notre secteur. Par conséquent, les gouvernements et les responsables d’ONG doivent ici connaître le contexte historique qui influence ces perceptions. C’est donc notre responsabilité collective de transformer ces perceptions, afin de démontrer à quel point il importe de se soutenir les uns les autres au moyen de dons et des répercussions que ceux-ci peuvent avoir sur le renforcement du Canada. C’est pourquoi je suis vraiment ravi que le présent comité sénatorial se soit réuni afin de paver de nouvelles voies, d’imaginer et de rêver à des façons dont le gouvernement peut mieux collaborer avec les organismes de bienfaisance, le secteur privé et tous les Canadiens pour faire avancer le travail important que nous faisons.

Ensuite, les donateurs les plus fortunés de la diaspora rendent les ONG locales encore plus mondiales. Les philanthropes immigrants jouent un rôle essentiel pour faire avancer les partenariats internationaux. Ils soutiennent une terre d’accueil originale, un « pays d’origine », en consentant des engagements de plusieurs millions de dollars à des programmes qui produisent des effets ici et là-bas. On observe déjà ce phénomène dans les campagnes de financement des universités et des hôpitaux canadiens, où plusieurs philanthropes immigrants ont récemment fait des dons importants pour transformer les programmes d’échange des étudiants internationaux et les bourses et faire avancer la recherche en santé et les essais cliniques, ainsi que d’autres projets à long terme qui propulsent et cimentent la collaboration transfrontalière.

Toutefois, ce n’est pas juste un phénomène qu’on observe auprès des plus nantis dans nos collectivités. En effet, lorsqu’il s’agit de catastrophes naturelles, de guerres, de famine et d’autres crises, les immigrants de partout au monde, et particulièrement au Canada, font front commun pour soutenir leur collectivité, sans hésitation et sans limites.

Enfin, les immigrants font partie intégrante de l’histoire du Canada. Nous reconnaissons tous que le Canada s’est tourné vers l’immigration pour satisfaire ses aspirations commerciales et économiques mondiales depuis la toute première fois où les Européens ont mis le pied sur ces terres autochtones. Des vagues successives de migration de masse, au cours des 170 dernières années, ont fait du Canada un des pays les plus diversifiés au monde, comme nous le savons tous. Pour les philanthropes immigrants, cela offre de nouvelles occasions de s’asseoir à la table d’honneur de divers établissements, des tables d’où ils pourraient avoir été exclus ou qui étaient réservées à des populations majoritaires. Essentiellement, la philanthropie de la diaspora — la philanthropie des immigrants — soutient la redéfinition de l’immigrant, qui passe de bénéficiaire à bienfaiteur, ainsi qu’un contexte plus général du Canada comme terre de grandes et d’incroyables occasions.

Pour terminer, je n’ai vraiment pas besoin de vous raconter toutes les façons dont l’immigration a changé le cours de l’histoire canadienne. Toutefois, ce qu’on ne raconte pas, c’est l’histoire de la générosité des vagues successives d’immigrants. Le fait de donner, je suppose, transcende les divisions raciales et culturelles. Cela rassemble les collectivités. Cela stimule l’innovation et soutient les changements sociaux. Grâce à ce travail important que vous dirigez tous, j’espère que nous prendrons appui sur ces fondations pour créer un secteur à but non lucratif qui englobe nos généreuses communautés, autant les nouvelles que celles qui sont déjà bien établies.

Le président : Merci, messieurs, de vos exposés. Monsieur Mehta, avant tout, je vous félicite pour l’obtention de votre doctorat.

J’aurais un commentaire à formuler, plutôt qu’une question. Pour la première fois de ma vie en tant que personne vivant dans le Canada atlantique, l’immigration est une question prioritaire chez les Canadiens de l’Atlantique, et ce, de façon positive. Les Canadiens de la région comprennent que nous avons besoin de plus de gens dans le Canada atlantique et que, avec notre faible taux de natalité, il n’y a qu’une seule façon d’y arriver : c’est de générer de l’immigration. Si les nouveaux immigrants ressemblent aux résidents immigrants qui vivent dans le Canada atlantique, nous passerons de bons moments, parce qu’ils ont été très généreux et sont devenus des meneurs dans notre collectivité. Nous nous portons beaucoup mieux parce qu’ils ont décidé de rester dans notre région, et nous espérons qu’ils seront plus nombreux à le faire.

La sénatrice Omidvar : Merci de ce commentaire, monsieur le président, et merci à vous deux d’être ici. Félicitations, Krishan, pour votre nouveau titre.

J’ai deux questions distinctes, pour chacun d’entre vous, et nous pourrons passer à la deuxième série de questions, au besoin. Monsieur Hallward, vous avez dit que Mardi je donne amasse, si ma mémoire est bonne, environ 11 millions de dollars, et vous les distribuez à plus ou moins 6 000 organismes de bienfaisance. Est-ce exact? Ma mémoire est-elle bonne?

M. Hallward : Ce sont beaucoup de faits et de chiffres. Mardi je donne est un mouvement ouvert, donc l’argent ne vient pas jusqu’à nous. Nous demandons seulement à des organismes de bienfaisance de participer. Pour ceux qui sont au courant, après le Vendredi fou et toutes ses promotions et ses aubaines vient le Cyberlundi, parce que les gens qui font du commerce électronique étaient mécontents du fait que tout le monde allait chez Walmart pour acheter des choses dans des lieux physiques. Le Cyberlundi est le jour commercial le plus important au monde.

Mardi je donne a été créé après ces deux jours comme jour pour redonner. C’est un mouvement ouvert pour redonner. Les organismes de bienfaisance participent de leur propre chef. Nous demandons aux Canadiens de donner aux organismes de bienfaisance, pas à nous, donc l’argent n’arrive pas jusqu’à nous.

La sénatrice Omidvar : Merci. Je vais m’en souvenir. Mardi je donne est une stratégie de marketing très intelligente. Assurément.

Pouvez-vous nous dire qui sont les 6 000 organismes de bienfaisance qui s’inscrivent à la plateforme? S’agit-il de grands ou de petits organismes? Sont-ils répartis partout au pays? Sont-ils principalement à vocation éducative? Avez-vous des renseignements à ce sujet?

M. Hallward : Il y a de tout. Nous entendons parler de ce chiffre de 85 000 ou 86 000 organismes de bienfaisance, et je ne suis pas sûr de savoir combien d’entre eux sont des organismes de bienfaisance actifs. J’ai entendu les chiffres de 12 000 et de 15 000, donc c’est une estimation. Si vous vous dites que 6 000 serait peut-être la moitié de ces organismes de bienfaisance actifs, presque à l’aide de moyennes, ils représentent tout. C’est tout à fait national parmi toutes les provinces. Toutes les collectivités participent, particulièrement les petites, parce qu’elles voient cela comme une façon de communiquer et de participer à un mouvement pour encourager le don.

Donc, c’est entièrement ouvert, et tout le monde, peu importe le type, participe.

La sénatrice Omidvar : Vous avez fait une observation intéressante au sujet de la diversité et de l’écart des crédits d’impôt provinciaux. Diriez-vous que le gouvernement fédéral a un rôle à jouer pour travailler avec ses homologues provinciaux afin de comprendre la diversité et l’écart, et peut-être favoriser une collaboration à l’échelon fédéral et provincial? Nous croyons savoir qu’il n’y a pas de table fédérale-provinciale sur les organismes de bienfaisance et les organismes à but non lucratif... Il n’y en a pas qui se réunisse régulièrement.

M. Hallward : Je dois avouer que je ne connais certainement pas aussi bien les lois et les politiques. J’ai tendance à croire que bon nombre des incitatifs et des crédits d’impôt pour les organismes de bienfaisance relèvent du gouvernement provincial. Cependant, il y a une absence de coordination, et, par conséquent, l’ARC est presque devenue l’administratrice par défaut — on utilise le mot « chien de garde » —, mais le chef du secteur et de la Direction des organismes de bienfaisance est l’ARC, une instance fédérale, seulement parce que les provinces ont permis ce genre de choses.

C’est une chose étrange, mais je crois que les lois et les crédits qui touchent les organismes de bienfaisance relèvent davantage de la compétence provinciale que de la compétence fédérale.

Pour ce qui est de savoir s’il devrait y avoir de la coordination, la collaboration est une question délicate dans presque chaque demande. Elle ne coule pas toujours de source. Les parties individuelles ont leurs propres intérêts et programmes. Quiconque peut intervenir, coordonner et rassembler des groupes disparates qui ont des programmes et des intérêts disparates et des conseils d’administration différents, et tout cela sous le même toit, à mon avis... C’est probablement une bonne chose. J’aimerais beaucoup voir un type de leadership centralisé et organisé qui pourrait assurer la coordination, puis éliminer les chevauchements et les inefficacités.

La sénatrice Omidvar : Ma question s’adresse à M. Mehta. Je vous remercie d’avoir mis en lumière une grande partie de l’histoire du Canada grâce à l’immigration. Ma question concerne la gouvernance. Vous avez signalé que les tables de gouvernance de grandes institutions philanthropiques sont devenues de plus en plus diversifiées. Est-ce quelque chose que vous avez observé ou y a-t-il des données qui sous-tendent cela?

M. Mehta : Il n’y a pas de données à ce sujet. Cela concerne une idée soulevée précédemment au sujet du besoin de comprendre le secteur d’un point de vue davantage quantitatif. Cela dit, au cours des 10 dernières années, j’ai observé tout particulièrement qu’on a mis un énorme accent sur la diversité et l’inclusion dans les tables de gouvernance. En fait, une bonne partie du travail qui est fait, particulièrement dans les grands organismes à but non lucratif axés sur l’intérêt public, se centre vraiment sur la diversité des voix et des points de vue. Souvent, cela englobe des points de vue à l’extérieur de la culture dominante.

Selon ma propre expérience en tant que bénévole à l’AFP et ailleurs, c’est devenu un objectif important du travail qui se fait à la table stratégique. Avons-nous toutes les voix qui représentent les collectivités que nous servons et dans lesquelles nous sommes intégrés et utilisons-nous aussi ces voix pour réfléchir de façon créative et novatrice afin de régler des problèmes au sujet de la philanthropie?

Je suis vraiment impatient de connaître ce que l’avenir nous réserve. Nous avons besoin d’un lieu et d’un espace pour favoriser davantage la rigueur et la compréhension au sujet de ce potentiel.

La sénatrice Martin : Merci à vous deux de vos exposés très positifs et inspirants au sujet de ce grand potentiel et de l’histoire du Canada, dont nous faisons partie.

Ma première question concerne cette initiative nationale, semblable à ParticipACTION. J’ai été éducatrice, et je sais que les écoles sont l’endroit où nous pouvons le mieux éduquer et éclairer la prochaine génération de donateurs, et nous avons en place quelques très bons programmes.

Je suis curieuse d’en entendre un peu plus au sujet de l’initiative coordonnée et multidimensionnelle dont vous avez parlé dans votre exposé. Vous avez mentionné Mardi je donne et le Grand défi caritatif canadien, mais pourriez-vous expliquer ces initiatives de manière concise?

M. Hallward : Je ne crois pas qu’il y ait un problème ou un enjeu qui explique pourquoi les choses déclinent. Je pense que ce sont des changements sociologiques. Le déclin de la religiosité est une explication, parce que les gens religieux donnent davantage que les profanes. Donc si la religiosité est en déclin, en corrélation, il en va de même pour le comportement caritatif.

Comme il n’y a pas un problème unique, nous croyons qu’il n’y a pas non plus de solution unique. Nous croyons qu’il y aura un ensemble de solutions multidimensionnelles, qui touchent alors l’idée de la collaboration et de la coordination où les différents volets sont réunis. Je pense que c’est un peu comme ParticipACTION ou le recyclage; vous devez avoir les enfants, les municipalités avec leurs bacs bleus, vous devez ressentir la pression des pairs dans la rue, qui veulent savoir pourquoi vous n’avez pas de bac bleu sur votre rue. Une bonne partie de ces différentes choses sont réunies, et 30 ans plus tard, cela change. C’est pareil avec les ceintures de sécurité, pareil avec bon nombre de ces choses. Ce sont toutes des initiatives multidimensionnelles qui améliorent les choses.

La sénatrice Martin : Je me disais que cela touche plusieurs administrations, et l’éducation est gérée à l’échelon provincial, et j’essayais d’imaginer comment tout cela se tiendrait.

Comme vous l’avez dit, c’est multidimensionnel, et cela nécessiterait une réunion de beaucoup de partenaires. Avez-vous mis sur papier quelque chose concernant une campagne nationale ou une initiative que, si vous étiez responsable ou si on vous donnait cette occasion, nous pourrions mettre en œuvre?

M. Hallward : Je serai très heureux de vous en faire part. Nous essayons d’effectuer beaucoup de recherches et de décrire ce à quoi cela ressemble, à notre avis. Nous avons détaillé de 12 à 15 initiatives différentes d’un paragraphe chacune.

La sénatrice Martin : Merci.

Monsieur Mehta, lorsque vous parlez des immigrants les plus fortunés et du profil démographique changeant dans l’ensemble du Canada — je vis à Vancouver — je peux penser à des centaines d’organismes de bienfaisance à but non lucratif qui sont constamment actifs.

Plus tôt, nous avons parlé de l’AFP et du type de sensibilisation qui est fait à l’égard de certains de ces petits organismes. Pourriez-vous parler de l’efficacité de cette sensibilisation et du fait de savoir si des petits organismes, particulièrement dans les collectivités ethniques, sont même au courant de la façon dont ils pourraient obtenir plus d’appui et faire partie du grand réseau du secteur caritatif?

Dans les groupes que j’ai rencontrés, bon nombre d’entre eux ne savent même pas qu’ils pourraient travailler avec d’autres organismes de bienfaisance mieux établis. Ils travaillent de façon autonome, mais en même temps, ils n’ont pas la croissance nécessaire et ratent ces occasions. Je suis curieuse de connaître les activités de sensibilisation, leur efficacité et la façon dont c’est fait.

M. Mehta : Merci, sénatrice Martin. En fait, j’aimerais répondre à cette question de deux façons. La première porte sur les types de formation et d’éducation que l’AFP offre, et les autres organisations également. Je peux parler du travail qui est fait à l’AFP, particulièrement en ce qui concerne le soutien des nouveaux professionnels en philanthropie issus d’un éventail de milieux.

Il y a plusieurs années, nous avons reçu du financement de l’Ontario pour jeter les bases de ce besoin ou pour constituer un dossier en rassemblant des philanthropes, des bénévoles, des dirigeants d’organismes à but non lucratif et des collecteurs de fonds de 12 collectivités différentes, afin de tenir une conversation au sujet de la nature des dons dans ces collectivités et, aussi, de leurs liens à l’extérieur de leur propre collectivité.

Ces rassemblements ont donné lieu à d’énormes occasions d’apprentissage qui, au final, ont rassemblé près de 1 000 personnes au cours d’un an et demi.

Une des plus grandes leçons à tirer était le besoin d’une formation rigoureuse et de soutien à l’éducation pour ceux qui n’y ont pas nécessairement accès. Pour faire fond sur un point dont je parlais plus tôt concernant la gouvernance, des programmes incroyables partout au pays soutiennent cette éducation et cette formation. Particulièrement au chapitre de la collecte de fonds, l’AFP prend l’initiative. Par contre, au chapitre de la gouvernance et de la formation des conseils d’administration, on doit lever notre chapeau à quelques programmes vedettes, y compris le travail qui se fait maintenant à l’Université Ryerson, mais aussi ailleurs, avec DiverseCity onBoard et le Conseil canadien pour la diversité administrative, qui offrent des occasions et des apprentissages essentiels aux participants des conversations sur la façon dont la collecte de fonds et la philanthropie diffèrent d’une collectivité à l’autre.

En ce qui concerne mon prochain point, qui porte d’une certaine façon sur le fait de désapprendre certaines des traditions que nous avons adoptées par rapport à la collecte de fonds, parce qu’elles sont juste la norme, la façon dont nous faisons les choses, mon expérience me dit que nous devons être ouverts à apprendre comment d’autres collectivités embrassent la philanthropie et collaborent de façon très novatrice pour soutenir des causes qui leur tiennent à cœur.

En passant, une de mes plus grandes inquiétudes, c’est que nous devenons souvent préoccupés par la collecte de fonds pour des organisations. Notre structure repose en réalité sur l’organisation, où on doit présenter des demandes pour des organisations, imaginer et comprendre les effets d’une organisation. Toutefois, nous avons une excellente occasion de parler plus largement des façons dont — dans mon cas ou dans ceux que j’ai étudiés — les immigrants jouent un rôle pour régler les problèmes entre les institutions et jusqu’au secteur, de façon plus large. Je pense que c’est quelque chose sur quoi, si vous deviez prédire l’avenir, nous devrions nous concentrer. C’est quelque chose sur quoi nous pourrions produire des effets vraiment concrets, particulièrement si nous réfléchissons à la collaboration avec le gouvernement et le secteur privé.

Le sénateur Duffy : Merci à vous deux d'être venus.

Monsieur Mehta, il y a certainement une histoire à raconter au sujet de l’influence exceptionnelle qu’ont les nouveaux Canadiens sur l’ensemble du pays, et toutes les conséquences sont très positives. Il me semble que, si nous établissions un genre de ministère du bénévolat, des organismes caritatifs — choisissez le nom —, nous aurions un endroit où cibler les efforts du gouvernement et tenter de propager partout au pays les nombreux messages que nous avons entendus aujourd’hui, qui sont tous très positifs, pour l’avenir du pays.

Monsieur Hallward, je suis intrigué par votre liste de nombreuses choses que nous pouvons faire et par la preuve empirique de ce qui est arrivé à Humboldt et à d’autres endroits. Il y a de l’argent, et il doit y avoir un moyen, une pulsion, un signal, un genre d’élément déclencheur qui pousse les gens à donner cet argent d’une manière qui ne semblait pas nécessaire dans le passé.

Le volet apprentissage est incroyablement important, étant donné que nous avons entendu parler du manque à gagner qui se profile à l’horizon; il est maintenant déjà là et ne va qu’empirer à mesure que les baby-boomers vieilliront et auront besoin de plus de services. Il me semble que les provinces qui sont des fournisseurs de services particuliers devraient être emballées à l’idée d’être vos partenaires et adopter l’idée d’enseigner à donner et à participer à des œuvres caritatives, d’être le gardien de son frère, et cetera, dans le système scolaire. Vous avez tout à fait raison au sujet de tout le reste. Si vous pouvez amener les jeunes, à un âge très précoce, à comprendre la notion, ils répandront la bonne parole et encourageront leurs propres parents.

Y a-t-il des manuels? Existe-t-il des documents d’apprentissage qui pourraient être adoptés dans les écoles? Avez-vous pris la parole devant le Conseil des ministres de l’Éducation? Comme vous y avez fait allusion, les provinces protègent l’éducation — sauf lorsque le gouvernement fédéral donne de l’argent pour la formation; dans ces cas-là, elles détournent le regard —, mais, essentiellement, elles protègent très jalousement l’éducation. Il me semble que vos idées, à tous les deux, pourraient être transformatrices, surtout si elles sont présentées à un jeune âge, et plus particulièrement par le truchement du système scolaire. Pouvez-vous formuler un commentaire à ce sujet?

M. Hallward : Oui, au sujet de tout cela. Je pense que le fait d’amener les universités et les écoles à offrir un enseignement commun en fait partie. Nous sommes-nous adressés précisément à chacune des administrations provinciales régissant l’éducation? Non, pour être honnête. Nous avons en quelque sorte concentré nos ressources limitées sur nos propres initiatives et programmes.

Notre liste de 10 à 12 ou 15 initiatives différentes est une liste de souhaits. Par exemple, j’adorerais contribuer à l’investissement dans un programme destiné aux étudiants de niveau universitaire et le rendre accessible à l’ensemble des collèges communautaires et des universités de partout au pays. Il ne s’agit que d’une initiative qui offre un cours gratuit aux étudiants en voie d’obtention de leur diplôme. Il y en a qui n’ont jamais reçu un chèque de paye, et ils sont sur le point d’obtenir leur premier; et la question que je veux leur poser est : « Pourriez-vous vivre avec 98 p. 100 de votre revenu? Vous n’avez jamais touché cet argent auparavant, alors, manifestement, vous devriez être en mesure de vivre grâce à 98 p. 100 de cette paye. Pourriez-vous faire don de 2 p. 100? » Toutefois, où ce message est-il communiqué?

Nous venons tout juste de tenir la course Terry Fox. Je pense que c’est formidable, mais elle mobilise principalement les jeunes étudiants qui n’ont pas d’argent. Toutefois, les élèves de quatrième année universitaire sont sur le point d’obtenir un chèque de paye et de commencer à contribuer à la société canadienne d’une manière significative. Il ne s’agit là que d’une initiative, par exemple, que je pense que j’adorerais voir être réalisée. Qu’on s’adresse à chaque administration ou qu’on s’adresse à Universités Canada — cette dernière voie serait plus facile pour nous —, ce sont toutes des initiatives qui doivent être étudiées.

M. Mehta : Merci d’avoir posé cette question très importante et opportune. Actuellement, au Canada, un programme d’études supérieures en philanthropie est offert à l’Université Carleton, juste à proximité, ici. C’est intéressant: j’enseigne dans le cadre de ce programme également, et, selon l’une des expériences les plus surprenantes que j’ai vécue, dans le cadre de conversations avec des étudiants et d’autres personnes du milieu des études postsecondaires, il nous faut davantage de ces programmes. Nous en avons besoin de plus partout au pays.

Je suis le coordonnateur pédagogique du programme de certificat en gestion des collectes de fonds offert à la Chang School de l’Université Ryerson, et je dois dire que nous observons une croissance exceptionnelle du taux d’inscription aux programmes d’éducation systématique et de formation en collecte de fonds. Je sais que, à l’AFP, à l’échelon international, on offre également un programme collégial dans le cadre duquel on tente d’intégrer des pratiques et des connaissances relatives à la collecte de fonds au premier cycle et aux cycles supérieurs sur des campus de partout aux États-Unis, et c’est une initiative que nous pourrions souhaiter entreprendre au Canada, grâce à nos connexions et à nos réseaux dans ces milieux.

Les collèges communautaires offrent également un certain nombre de programmes. Il y en a aussi un à Humber et à Seneca, on en offre certains en ligne, certains en classe ou sous forme hybride. Je dois dire que beaucoup de ces programmes d’apprentissage s’adressent aux adultes. Les travaux dont John parlait plus tôt en ce qui a trait à ParticipACTION et à d’autres formes d’initiation à la collecte de fonds et au travail philanthropique sont bien perçus, et ils sont intégrés dans le travail que nous faisons à l’égard des heures de bénévolat permettant à des jeunes d’obtenir leur diplôme d’études secondaires et ce genre de travail.

Il existe une culture axée sur le don et sur le partage qui commence tôt, mais on pourrait en faire plus.

M. Hallward : Simplement pour ajouter quelque chose, je pense qu’il y a également un autre élément éducatif. Comme nous l’avons entendu dire, 85 p. 100 des Canadiens font des dons, alors je ne pense pas que le problème tienne au fait qu’ils ne donnent pas. Selon moi, c’est que nous ne donnons pas assez et que la somme des dons par contribuable, par personne, diminue. Les dons sont de moins en moins importants. La question est de savoir comment on peut définir cela. Comment peut-on enseigner à faire des dons? Les recherches dont nous disposons — certaines canadiennes et une grande partie provenant des États-Unis également — montrent que, si les gens qui apprécient la norme sociale relative aux dons savent ce qu’on attend d’eux, ils donnent plus d’argent.

Je pense que la raison pour laquelle la communauté juive, la communauté sikhe et certaines communautés religieuses sont très généreuses, c’est qu’elles comprennent clairement la dîme — elles comprennent les 10 p. 100 —, et elles donnent plus d’argent. Celles qui ne le comprennent pas en donnent moins, alors, à mes yeux, une partie de l’éducation — plus particulièrement dans le cas d’une salle de classe — consiste à définir ce qu’est une norme sociale. Si nous laissons passer une autre génération qui dit : « Mes parents ne faisaient pas de dons », l’enfant en question ne donnera pas d’argent. Alors, les jeunes savent et apprennent ce qu’est la norme sociale : en tant que Canadiens, on aide les gens et on redonne. Il s’agit non pas de 100 $, mais plutôt de 500 $ ou peu importe le bon chiffre. C’est une partie importante de l’éducation que nous envisageons.

Le sénateur Duffy : Cela faisait partie de ma réflexion en ce qui concerne le Conseil des ministres de l’Éducation. Si on commence à l’école primaire, il sera question de pièces de 5 cents et de 10 cents. Certains enfants et certaines familles n’ont tout simplement pas les moyens, et nous comprenons cela, mais, s’il pouvait y avoir une cible selon laquelle une partie de la façon dont on vit sa vie consiste à donner un pourcentage, et c’est — comme vous l’affirmez — ce qu’enseignent les religions, mais, dans les familles où la religion est absente, c’est une partie de ce que vous faites.

Il en va de même pour le recyclage... Il devient une partie de notre façon de fonctionner.

M. Hallward : On m’a posé cette question aux États-Unis. Quel est le marché pour cette question? Qui est responsable d’enseigner la norme sociale? Toute personne qui fait un don à un organisme de bienfaisance a son don annuel, et elle tente de recueillir de l’argent pour sa cause particulière; elle rédige des lettres et effectue du réseautage social, et elle tente de recueillir de l’argent par elle-même. Les gens ne sont pas responsables du problème que pose l’absence d’une norme sociale définie.

Alors, où est le marché? Qui doit régler le problème du déclin de la norme sociale? À notre avis, il s’agit du bien-être public, et il faut un dirigeant unique et fort, comme un ministère ou une initiative fédérale, car la marée montante soulève tous les bateaux. Autrement, chaque petit organisme de bienfaisance est un navire, et il se borne à tenter de s’en tirer tout seul.

Le président : À ce sujet, je vais vous raconter très rapidement une histoire au sujet du dirigeant d’une collectivité dans laquelle j’ai travaillé à une occasion; nous parlions de collecte de fonds, et tout le monde a dit : « Cette collectivité est très pauvre, alors nous ne nous en donnerons pas la peine. » Le dirigeant a répliqué très rapidement. Il a déclaré : « Ne présumez pas que les gens de ma collectivité ne peuvent pas faire de don. » Au bout du compte, quand nous avons mené une campagne auprès de chaque personne, cette collectivité a été extrêmement généreuse. Toutefois, si vous aviez effectué une analyse du niveau de revenu, du taux d’emploi des gens dans la collectivité, vous seriez arrivé à la même conclusion que la personne qui avait affirmé que nous n’obtiendrions pas de très bons résultats à cet endroit.

Le simple fait que les gens ne conduisent pas une Cadillac ne signifie pas qu’ils ne peuvent pas être généreux. Je pense qu’il s’agit d’un élément très important à souligner.

M. Hallward : Les gens de Statistique Canada pourront peut-être répondre à cette question, mais mon coup d’œil rapide aux données montre que les personnes à faible revenu donnent un pourcentage plus élevé de leur revenu disponible que les personnes très riches. Les nantis font don de 1 000 $ et disent : « C’est au-dessus de la moyenne, et j’ai terminé. » Il s’agit d’une absence de norme sociale. Ces personnes ne savent tout simplement pas qu’elles devraient donner plus d’argent que cela.

La sénatrice Omidvar : J’ai quelques questions rapides à poser, parce que tout le monde veut arriver à la deuxième série de questions.

J’apprécie réellement votre conclusion selon laquelle la philanthropie est stimulée non pas par les impôts, mais par les valeurs. Ainsi, je souscris entièrement à l’opinion selon laquelle nous devons en faire le plus possible une partie de notre vie quotidienne, comme le port de la ceinture de sécurité dans la voiture.

Dans votre commentaire précédent, selon lequel, de fait, les Canadiens à faible revenu donnent proportionnellement une plus grande part de leur revenu disponible, pensez-vous que nous devrions envisager d’inciter davantage les Canadiens à faible revenu à donner plus d’argent à des organismes de bienfaisance ou à être plus charitables, ou bien devrions-nous plutôt nous concentrer sur les philanthropes dont la valeur nette est élevée et les aider à donner plus d’argent, ce qui est aussi une proposition qui a été faite?

M. Hallward : C’est une grande question, de même que la reconnaissance du fait qu’un énorme transfert de richesse est attendu au cours des 30 prochaines années, des baby-boomers qui sont très riches aux enfants du millénaire.

Je pense qu’il faut l’enseigner aux milléniaux, car, pour l’instant, les données montrent que ces personnes accordent une moins grande priorité au don dans leur vie que les personnes âgées. Toutefois, actuellement, une grande part de l’argent se trouve dans les poches d’un très petit groupe, alors, dans le monde des affaires, je dis toujours aux clients de cibler l’endroit où se trouve l’argent.

Même si on prête une grande attention aux enfants du millénaire, les groupes âgés possèdent beaucoup plus d’argent. Dans ce cas, la réponse est que je pense que nous avons besoin des deux.

La sénatrice Omidvar : Dans la question que j’adresserai à M. Mehta, je m’en tiendrai à la diversité et à la gouvernance.

Vous avez observé que les salles de conférence se diversifient, mais qu’il n’existe aucune donnée ni donnée probante. D’après ce que j’ai vu de l’Université Ryerson et du Diversity Institute, les villes les plus grandes et les plus multiculturelles du Canada — Vancouver, Calgary, Toronto, Montréal — sont très diversifiées, mais les tables du gouvernement ne le sont pas.

Pensez-vous que, si les organismes caritatifs déclarent les profils démographiques sur les formulaires T3010, nous en tirerons les données probantes nécessaires de la même manière que nous mesurons la diversité dans le secteur des affaires? Nous pourrions poser la question suivante aux organismes caritatifs et sans but lucratif : « Dites-nous chaque année combien de femmes et de personnes appartenant à une minorité siègent à votre conseil d’administration, au moyen des définitions relatives à l’équité en matière d’emploi. » Pensez-vous que cette exigence améliorerait la base de connaissances et que vous sauriez ainsi ce qui fonctionne et où nous devons travailler davantage?

M. Mehta : Assurément. En fait, je crois que si nous établissions un mécanisme permettant de faire le suivi de notre croissance dans ces domaines et de la cartographier, nous pourrions ensuite réfléchir à sa valeur et à son incidence, non seulement sur l’argent recueilli pour des œuvres de bienfaisance, mais aussi sur la satisfaction générale à l’égard de la vaste participation dans le cas des bénévoles et de l’incidence sur la gouvernance et sur les activités d’une organisation.

Cela dit, ma grande préoccupation concerne la possibilité que nous créions une diversité pour les apparences et que, dans certains cas, nous soyons pressés de trouver des gens qui appartiennent à une certaine catégorie ou à une autre dans le but d’atteindre ces cibles.

Selon moi, d’un point de vue institutionnel, il est très important que l’on commence dès le tout début à fournir ces occasions de formation, à offrir ces possibilités de leadership et à nous donner les moyens de formuler et de recevoir de la rétroaction sur les façons dont nous pouvons participer aux échelons du leadership et de la gouvernance.

La sénatrice Omidvar : Je veux préciser que je n’ai jamais dit quoi que ce soit au sujet de cibles. Je veux seulement que ce soit clair, afin que personne ne pense que je...

Le président : Personne ne veut assumer le blâme à cet égard.

La sénatrice Omidvar : Oui.

Je suis préoccupée par la possibilité que l’argent passe d’un groupe de personnes à un ensemble d’institutions; je suis également préoccupée par la possibilité que les immigrants ne donnent qu’à leur propre communauté et diaspora. Tendent-ils réellement la main afin d’aider le Canada en entier? Plus particulièrement, y a-t-il une volonté d’établir un lien entre la philanthropie des immigrants et les questions autochtones?

M. Mehta : Oui, oui et oui. Dans la recherche que j’ai menée — dans le cadre de ces travaux —, j’ai interrogé les directeurs généraux d’organismes d’établissement qui ont un mandat de bienfaisance et qui recueillent activement des fonds. Je voulais tirer des apprentissages au sujet de leur expérience de travail auprès de personnes, dont la valeur nette est élevée qui viennent de leur propre collectivité, et les obstacles sont énormes. Des questions difficiles concernant l’alignement des classes compliquent beaucoup la tâche aux organismes communautaires d’établissement et de services aux réfugiés qui souhaitent percer au sein de leur propre communauté et recueillir des fonds importants auprès d’immigrants philanthropes.

Cela dit, d’après mon expérience, les grandes organisations ont également d’excellentes occasions de collaborer avec certaines des petites organisations pour offrir des services, des cours de formation et des possibilités d’apprentissage. Je songe aux travaux qui sont réalisés à l’Université Ryerson, en particulier, relativement à l’accès au programme d’études pour les étudiants hispaniques dirigé par et pour la communauté hispanique locale. Je pense qu’il y a là des possibilités formidables.

Toutefois, je suis également très curieux au sujet de l’occasion qui se présentera à nous en ce qui concerne la philanthropie mondiale par l’intermédiaire de nos diasporas. Comme je l’ai mentionné dans ma déclaration préliminaire, j’y vois de grandes occasions pour nous de réfléchir aux façons dont les organismes de bienfaisance canadiens peuvent établir des liens à l’échelon international pour contribuer à la résolution de gros problèmes mondiaux. Les diasporas jouent vraiment un rôle important de déverrouillage dans le cadre de ces travaux, en raison de leurs liens avec leur pays d’origine et de leurs attaches familiales dans ce pays. En ce qui concerne les économies reposant sur le transfert de fonds et le travail d’aide internationale qui a lieu et qui va dans le sens des dons caritatifs sur de nombreux fronts, il est question de transferts de fonds d’environ 62 milliards de dollars qui ne sont pas comptabilisés dans bien des cas.

Alors, que devons-nous faire à ce sujet? Quel rôle le gouvernement fédéral joue-t-il pour ce qui est de comprendre l’incidence qu’il a sur nous?

Le président : Merci, monsieur Mehta.

La sénatrice Martin : Je pense que le travail que vous faites est très précieux. Quand nous parlons d’accroître notre base de donateurs canadiens, je crois vraiment que les nouveaux immigrants, les diasporas, seront la clé d’une diversification et d’une croissance réelles de notre base.

J’étais curieuse au sujet de certaines des pratiques exemplaires que nous observons chez certains groupes caritatifs — peut-être certains groupes ethniques — et de la façon dont nous devrions les communiquer. Y a-t-il dans d’autres régions du Canada, dans les universités, des gens comme vous qui font peut-être de la sensibilisation et qui s’adressent à ces groupes? Il est bien que nous tenions cette conversation. Quelques exemples créatifs me viennent à l’esprit, dont un à Calgary, la Calgary Korean Scholarship Foundation. L’un des directeurs a décidé qu’il encouragerait tous ses amis et qu’il léguerait un certain pourcentage de ses actifs à la fondation, et l’idée a fait son chemin. Les organismes de bienfaisance et les organisations font beaucoup de choses à l’échelon local.

Ces exemples et pratiques exemplaires sont-ils abordés dans le cadre de ces échanges? Comment pouvons-nous les faire participer aux discussions et communiquer cette mine de connaissances à d’autres groupes également?

M. Mehta : Pas mal de travaux sont réalisés dans le but de comprendre l’incidence transformatrice de la philanthropie immigrante, au Canada et ailleurs. Il n’existe actuellement aucun endroit où tous ces renseignements sont recueillis. Je voudrais avoir chez moi un petit tiroir dans lequel je mettrais beaucoup de ce contenu, mais, cela dit, on a de plus en plus besoin de résumer ces renseignements et de pouvoir les fournir et les communiquer sous une forme traduisible, en particulier les renseignements universitaires ou les recherches qui sont traduisibles à des fins d’utilisation par le grand public.

Un peu en guise de note marginale à ce sujet, d’après mon expérience de travail auprès de donateurs immigrants dont la valeur nette est élevée, ils ne souhaitent pas seulement soutenir les membres de leur communauté d’origine et les causes qui les concernent précisément. Ils s’intéressent beaucoup à l’établissement d’une vaste communauté, d’un réseau de sécurité sociale, d’un réseau de bien-être social et d’une toile et s’y consacrent. Au sujet de l’élément que vous avez soulevé plus tôt concernant les collectivités autochtones, je vois de plus en plus de donateurs immigrants et de la diaspora appuyer certaines des recommandations formulées par la Commission de vérité et réconciliation du Canada relativement aux dons. Nous le constatons par les programmes d’éducation et les bourses d’études en particulier, mais il reste beaucoup de travail à faire dans ce domaine.

En ce qui a trait à votre question au sujet de ce qui se passe ailleurs au pays, un certain nombre de chercheurs examinent le perfectionnement de la population active et l’immigration relativement aux droits de la personne et à la migration. Concernant la question posée par le sénateur Duffy plus tôt, il est peut-être possible d’étudier les façons dont un effort coordonné déployé à l’échelon fédéral pourrait influer sur d’autres administrations à l’échelon provincial. Je songe principalement à l’éducation, aux collèges et aux universités ainsi qu’aux instituts de formation spéciale. Je songe également à d’autres domaines, comme les bureaux de Condition féminine Canada de l’ensemble du pays. Il s’agit vraiment d’une orchestration complexe de nombreux portefeuilles distincts qui se réunissent pour s’attacher à une grande cause.

Si nous pouvions comprendre les capacités de chacun de ces secteurs, je pense que nous serions en mesure de trouver des domaines que nous verrions vraiment prospérer à court terme.

Le président : Messieurs Hallward et Mehta, je vous remercie infiniment de vos exposés. Nous vous sommes reconnaissants de votre présence. Nous avons appris beaucoup de choses.

Nous avons maintenant installé la vidéoconférence. Nous accueillons M. Malcolm Burrows, conseiller en philanthropie de Scotia Gestion de patrimoine, par vidéoconférence. Je vous remercie d’avoir accepté notre invitation à comparaître, monsieur Burrows. J’inviterais le témoin à présenter son exposé, mais je voudrais aussi rappeler à tout le monde, comme toujours, que nous tiendrons une période de questions à la fin et que les questions devraient être brèves. Monsieur Burrows, nous espérons que vous pourrez vous en tenir à des réponses courtes afin que nous puissions obtenir le plus grand nombre de questions et de réponses possible.

Monsieur Burrows, à vous la parole.

Malcolm Burrows, conseiller en philanthropie, Scotia Gestion du patrimoine : Merci infiniment. Aujourd’hui, je me joins à vous depuis Edmonton. Je suis ravi d’être ici.

En guise de présentation, je suis un conseiller en philanthropie de Toronto et, depuis 29 ans, je travaille au sein d’organismes de bienfaisance et de Scotia Gestion de patrimoine. Les points de vue communiqués aujourd’hui sont les miens.

Aujourd’hui, je voudrais concentrer ma déclaration sur trois sujets : l’état du régime d’incitation aux dons, les dons de biens immobiliers imposables et de valeurs mobilières privées et, enfin, l’évolution des organismes de bienfaisance au Canada.

Pour commencer par l’état de notre système, on peut soutenir que les modifications apportées à la Loi de l’impôt sur le revenu depuis 1996 ont fait du régime d’incitation fiscale aux dons du Canada le plus généreux au monde. Ces incitatifs sont axés sur des dons exceptionnels d’actifs, notamment des cadeaux légués et des dons majeurs à vie.

Comme d’autres témoins vous le diront sans doute, ces incitatifs ont accru la valeur des dons, mais pas le nombre de donateurs. Entre-temps, nous avons été témoins d’une augmentation du financement participatif, c’est-à-dire la bienfaisance en général, pas les œuvres caritatives qui ne procurent aucun avantage fiscal au donateur. Généralement, je crois que le Canada a trop mis l’accent sur le crédit d’impôt pour dons dans le but de susciter des dons ordinaires, de tous les jours, et, honnêtement, on n’en a pas autant besoin, de toute manière.

Comme les recherches philanthropiques le montrent constamment, les dons sont motivés par un mélange complexe d’altruisme, de valeurs, de foi, de liens communautaires et de participation personnelle. Comme en témoigne l’échec d’incitatifs tels que le super crédit pour premier don de bienfaisance, la bonification du crédit d’impôt pour dons motive peu le comportement des donateurs. Toutefois, elle amène le gouvernement à subventionner excessivement l’argent qui est déjà versé dans le secteur.

Les Canadiens savent qu’ils obtiennent des réductions d’impôt en échange des dons qu’ils versent à des organismes de bienfaisance, mais ils connaissent rarement la valeur du crédit d’impôt. De plus, ils ne sont pas influencés par les seules économies d’impôt. Dans mon mémoire écrit, j’ai fourni des renseignements supplémentaires sur notre système et sur les avantages qu’il présente par rapport à celui des États-Unis.

Enfin, je veux insister sur le fait que notre système est mature. Nous avons passé plus de 20 ans à travailler dessus, à le modifier de façon importante et à l’élargir. J’envisage peu d’autres possibilités d’expansion productives. Je pense que le comité est très important parce qu’il se concentre ailleurs, loin des incitatifs, quoiqu’il y en a quelques-uns dont il faut discuter.

À ce stade, le danger, c’est la perte ou l’érosion des incitatifs aux dons, que nous commençons déjà à observer. Encore une fois, j’en ai mentionné deux ou trois dans mon document, et je serai heureux de revenir sur cette question.

Il existe deux grandes catégories d’immobilisations qui ne font pas l’objet d’incitatifs aux dons spéciaux dans notre système, et il s’agit des biens immobiliers imposables et des actions d’entreprises privées. Nous y étions presque. Une loi devait être mise en œuvre en 2017, mais elle a été annulée en raison du changement de gouvernement. En 2009 et en 2011, j’ai rédigé deux documents militant pour que les gains en capital soient éliminés lors du don de ces actifs, mais seulement dans certaines circonstances. Je souligne que les dons en nature sont problématiques et qu’ils soulèvent des problèmes d’évaluation et — fait le plus important — de gestion pour les organismes de bienfaisance.

Dans le document que j’ai rédigé pour C.D. Howe, j’ai recommandé que l’incitatif soit lié aux dons en espèces provenant de la vente de tels biens versés à au moins un organisme de bienfaisance dans les 30 jours suivant la transaction. La logique était d’éliminer les problèmes d’évaluation, de garantir que tous les organismes caritatifs pourraient tirer parti de l’élimination des problèmes qu’ils connaissent sur le plan de la gestion de biens complexes et qu’ils obtiennent des sommes en espèces ainsi que de susciter des dons. Le mécanisme fait également en sorte qu’il est plus facile de donner une portion des produits d’une vente majeure. Cette idée a été adoptée dans la proposition législative.

Cette proposition vise également l’équité régionale. À l’extérieur des grandes villes, la richesse est créée grâce aux entreprises privées et à l’immobilier. Le fait d’inciter les gens à faire don d’actifs appartenant à ces catégories nous aidera à veiller à ce que les organismes caritatifs des petites collectivités obtiennent leur juste part des dons majeurs.

Les dispositions déposées par le ministère des Finances en 2015 ont été critiquées par certains intervenants du milieu de la planification fiscale, qui les ont qualifiées de complexes et de contraignantes. Je pense que nous avons besoin de contraintes afin d’équilibrer les intérêts et de préserver les objectifs en matière de politique publique. Les règles proposées permettront aux créateurs de richesse de redonner aux organismes de bienfaisance de leur collectivité au moment de la vente d’un actif majeur. Elles ne régleront pas tous les problèmes, mais elles susciteront un certain nombre de dons importants.

Enfin, même si l’audience d’aujourd’hui est axée principalement sur les incitatifs fiscaux et sur la santé de la collectivité, je ferais preuve de négligence si je n’exhortais pas le comité à se faire le champion de l’évolution de la définition du terme « bienfaisance ». Comme en témoignent les propositions législatives de vendredi dernier sur les activités politiques, il s’agit d’un aspect qui est actuellement source de préoccupation et en évolution.

Les lois canadiennes régissant la bienfaisance sont principalement issues de la common law et ont commencé avec la loi d’Elizabeth en 1601. Le Canada accuse du retard par rapport à d’autres pays de common law au chapitre de l’évolution des lois régissant la bienfaisance, pour ce qui est de répondre aux besoins de la société contemporaine. Au Canada, le plus grand inhibiteur est le processus d’appel.

J’encourage le comité à recommander une modification de la Loi de l’impôt sur le revenu qui permettrait que les appels concernant le refus d’enregistrer un don ou les affaires de révocation soient instruits devant la Cour de l’impôt du Canada. Actuellement, ces appels sont interjetés devant la Cour d’appel fédérale, laquelle examine le dossier actuel de l’ARC. Comme les appels sont interjetés devant la CAF, en presque 30 ans, peu de progrès ont été réalisés relativement à la définition du droit régissant les organismes de bienfaisance. Ces organismes n’interjettent pas appel. De fait, l’ARC a défini le droit régissant les organismes de bienfaisance par le truchement du processus administratif.

D’autres décisions rendues au titre de la Loi de l’impôt sur le revenu font l’objet d’appels devant la Cour de l’impôt. Par contre, les organismes caritatifs et les demandeurs enregistrés n’ont aucun recours juridique pratique sous le régime actuel. On freine le droit régissant les organismes de bienfaisance, qui devrait être dynamique afin de répondre aux besoins de la collectivité. Cette modification pourrait être apportée à peu de frais et aurait pour effet important et à long terme de permettre au droit régissant les organismes de bienfaisance au Canada, qui est axé sur l’avantage public pour les collectivités de partout au pays, d’évoluer.

Merci. Je serai ravi de répondre à toute question.

Le président : Merci, monsieur Burrows. Je vous suis reconnaissant de votre présence.

Je poserai une question très rapide. Dans le document que vous avez rédigé pour C.D. Howe, vous recommandez que l’incitatif soit lié aux dons en espèces versés à au moins un organisme caritatif dans les 30  jours suivant la vente d’actions privées ou d’un bien immobilier.

Incombe-t-il aux organismes caritatifs de vendre les actions privées ou le bien immobilier dans un délai de 30 jours? Le cas échéant, 30 jours est une très courte période pour vendre un actif qui, il faut l’espérer, a une valeur importante, et pourrait mener à une vente à un prix inférieur à ce que pouvait être sa valeur sur le marché.

M. Burrows : Il s’agit d’une excellente précision à apporter. Je vous remercie de cette question.

Pour être clair, la proposition n’est pas que les organismes caritatifs touchent aux biens immobiliers ou aux actions de l’entreprise privée, mais que le donateur les vende. Ainsi, le donateur doit d’abord vendre les actions de l’entreprise privée ou le bien immobilier, puis il dispose de 30 jours pour choisir la somme en espèces tirée de la vente dont il veut faire don à au moins un organisme caritatif.

Ainsi, l’élément clé, c’est que les organismes caritatifs ne s’occupent pas du bien en question. Ils n’ont pas à l’évaluer. Ils n’ont pas à le vérifier. Il n’y a pas de vente-incendie. Il s’agit d’une vente légitime sur le marché et de produits en espèces. Il existe déjà une disposition... Je fonde cette information sur quelque chose qui figure déjà dans la loi régissant les options d’achat d’actions des employés. Une disposition permet l’exercice des options d’achat d’actions des employés et la distribution subséquente de sommes en espèces, et ce système fonctionne très bien depuis l’an 2000.

La sénatrice Omidvar : Merci beaucoup d’avoir pris le temps de soumettre votre mémoire. Je vais m’en tenir au thème des questions posées par le sénateur Mercer. Je trouve votre idée de génération de plus de philanthropie grâce à la vente d’actifs immobiliers — pas le don d’actifs immobiliers — intéressante.

Comment s’aligne-t-elle sur les lois et les règlements qui régissent actuellement les dons de valeurs mobilières publiques et de terres écosensibles? Disposerons-nous de plateformes différentes pour des dons différents? Une telle situation ne sèmerait-elle pas la confusion? Je me pose des questions à ce sujet.

M. Burrows : C’est une excellente question. Dans le cas des valeurs mobilières publiques, la règle prévoit maintenant que les dons doivent être en nature, et cette règle existe sous diverses formes depuis 1997. Dans la plupart des cas, les valeurs mobilières publiques sont des liquidités que les organismes caritatifs doivent vendre rapidement sur le marché, alors ils en tirent une valeur. C’est vraiment l’essentiel. Les organismes caritatifs ont besoin de cette valeur pour leurs fins caritatives.

Le deuxième élément relatif aux terres écosensibles, qui s’applique également aux biens, c’est qu’au Canada nous voulons les terres en tant que telles. Nous voulons qu’elles aillent dans une écofiducie approuvée.

La sénatrice Omidvar : On vous perd.

M. Burrows : Est-ce que c’est mieux? Non. Je vous entends bien, mais c’est quelque chose dans le système, quelque part entre Edmonton et Ottawa.

Le dernier élément sur lequel je voulais mettre l’accent est le fait que, oui, il s’agit d’un système différent, mais je ne crois pas que nous pourrions avoir un système de dons en nature pour ces deux catégories d’actifs. Autrement, seuls les grands organismes caritatifs vont gagner. Ils seront les seuls à en profiter. Et la plupart des organismes de bienfaisance — même les très grands — ont réellement de la difficulté à s’occuper des actions d’entreprises privées. Je le sais. Je travaille dans une institution financière qui œuvre auprès... Et le traitement de ces dons est très complexe. Ainsi, le fait d’inciter les donateurs à faire don de ces actifs en nature aux 86 000 organismes caritatifs mènerait, selon moi, à la catastrophe, et, honnêtement, ce serait injuste pour les organismes caritatifs. Il s’agirait d’une taxe... Alors, cette solution corrige la valeur afin qu’il y ait une certitude et garantit également que les organismes de bienfaisance obtiendront ce dont ils ont besoin, c’est-à-dire de l’argent.

Le président : Si vous me permettez de poser une question complémentaire... Il me semble que, dans certains organismes caritatifs et dans certaines circonstances, le don d’une partie d’un bien immobilier est exactement ce qu’on veut. Par exemple, dans une collectivité qui construit une nouvelle installation afin de fournir des services à ses membres, ce dont on a besoin, en réalité, c’est d’un bien immobilier. En outre, si on peut trouver quelqu’un qui en fera don, il s’agit évidemment d’un avantage majeur pour cette collectivité.

Toutefois, dans votre proposition, il faudrait que le donateur le vende ou en fasse don, mais, une fois qu’il l’a vendu, il ne lui appartient plus.

M. Burrows : Oui. Exactement. Dans la proposition que j’ai rédigée pour C.D. Howe, je les appelais des dons à utiliser pour des missions. Alors, ce pourrait être une école, une église ou n’importe quel type de logement public à faible coût. Ce sont des parties essentielles de notre système, et j’ai proposé un placement d’actions d’une filiale et un certain genre de retenue. Cette suggestion ne s’est pas rendue jusqu’à la version finale du projet de loi non plus.

Je pense qu’en ce qui concerne ces choses, il faut aller de l’avant. On ne résoudra pas tous les problèmes en même temps et, si on ne dispose pas de mesures de protection, le système apporte plus d’argent et permet à un maximum d’organismes caritatifs de l’utiliser. Ce n’est pas que les donateurs ne peuvent pas faire don de terres; cela signifie seulement que, du moins, selon le libellé actuel, il leur serait interdit d’obtenir des incitatifs supplémentaires, c’est-à-dire l’élimination des gains en capital.

La sénatrice Omidvar : Merci. Quand vous dites « le libellé actuel » de la proposition législative, pourriez-vous nous dire exactement à quoi vous faites allusion parce que, pour autant que je sache, vous parlez peut-être du gouvernement précédent. Est-ce exact?

M. Burrows : Oui, exactement.

La sénatrice Omidvar : J’avais seulement besoin que cela soit précisé.

M. Burrows : C’est important.

La sénatrice Omidvar : Je suis très curieuse au sujet de cette proposition, car elle démocratise un peu plus l’incitatif en veillant à ce que les petits organismes caritatifs puissent également tirer des avantages.

Ma question concerne votre deuxième proposition, qui porte sur la définition du terme « bienfaisance » — nous devons la faire évoluer, l’établir; elle est très désuète. Vous avez évoqué le fait que le Canada accuse du retard par rapport à d’autres pays au chapitre de l’évolution du droit régissant les organismes de bienfaisance et de la façon de répondre aux besoins de la société contemporaine.

Pouvez-vous nous dire à qui nous devrions nous adresser en ce qui concerne certaines des pratiques prometteuses, si elles fonctionnent et ce que vous savez à leur sujet?

M. Burrows : J’ai regardé à un certain nombre d’endroits. Diverses administrations ont abordé la question de manières différentes. Au Royaume-Uni, on a créé une définition prévue dans la loi du terme « charity » — ou bienfaisance —; ainsi, nos quatre catégories traditionnelles d’œuvres caritatives sont passées à 26. Je ne suis pas entièrement favorable à cette expansion, et je suis conscient de la possibilité que nous puissions être en train de transformer la common law et cette tradition en un enjeu politique. On craint beaucoup, au sein de certains groupes religieux, par exemple, que la place occupée traditionnellement par la religion à l’intérieur de la common law soit marginalisée dans un contexte contemporain.

L’Australie et la Nouvelle-Zélande sont d’excellents exemples d’endroits où on examine et on fait évoluer sa définition, en grande partie par l’intermédiaire du système d’appel. Ainsi, les responsables de ces pays ont été en mesure de régler, par exemple, des questions comme celles des activités politiques d’une manière beaucoup plus progressiste. Il s’agit d’un problème qui s’est posé de façon répétée au cours des dernières années. Je salue le gouvernement actuel pour la manière dont il l’a réglé; la version du projet de loi qui a été présentée vendredi était bonne. Nous avons traversé une période très douloureuse et délicate parce que nous n’avions pas mis à jour le système et que nous ne disposions pas d’un mécanisme permettant aux organismes caritatifs d’interjeter appel. Les échanges dont on a besoin dans une démocratie solide n’avaient pas lieu.

Le sénateur Duffy : Monsieur Burrows, je vous remercie d’être des nôtres. Vous avez mentionné le dépôt du projet de loi vendredi dernier. Je ne l’ai pas encore vu.

La sénatrice Martin : Il s’agit du projet de loi C-76, n’est-ce pas? Est-ce bien celui-là? Non? Lequel?

Le sénateur Duffy : Sans égard à cela, vous pourriez peut-être nous en dire un peu à ce sujet. Ensuite, je veux discuter avec vous de la lettre de mandat du premier ministre datée du 15 novembre 2015, adressée à la ministre de la Justice, Jody Wilson-Raybould, à ce sujet même. Je ne sais pas si vous êtes au courant de la lettre du premier ministre. Tout d’abord, pourriez-vous dire à notre comité ce qui s’est passé vendredi?

M. Burrows : Vendredi, le gouvernement a déposé un certain projet de loi; je pense que c’était le projet de loi C-17, lequel clarifiait un certain nombre d’éléments prévus à l’article 149.1 de la Loi de l’impôt sur le revenu qui portent sur la définition du terme « organisme de bienfaisance ». Alors, il a réaffirmé la primauté des services caritatifs, qui correspond à une définition de la common law, et il a retiré un des aspects litigieux qui avait pris de l’ampleur dans le système canadien relativement à un maximum de 10 p. 100 liés aux fins politiques.

Or, les fins politiques sont accessoires aux fins caritatives et les complètent, et le projet de loi a renforcé le besoin que les fins politiques — qui comprennent, dans la plupart des cas, la défense des droits — appuient les fins caritatives; il a également mis l’accent sur le fait que l’interdiction d’avoir une fin caritative partisane est conforme à toute la common law. Les organismes de bienfaisance ne peuvent pas défendre les droits d’un parti ou d’un autre ou d’un candidat ou d’un autre, surtout dans le contexte d’élections. Alors, le projet de loi apporte des précisions dont on avait besoin depuis longtemps.

Le sénateur Duffy : Certains d’entre nous étaient en déplacement vendredi et ont raté cette mise à jour, alors nous allons examiner ce projet de loi avec beaucoup d’intérêt, car il s’agit de l’un des aspects clés sur lequel le comité se penche.

Pour en venir à ma question, le 15 novembre 2015, au moment de l’assermentation de son nouveau Cabinet, le premier ministre Trudeau a remis à chaque ministre une lettre de mandat qui expose ce qu’il voulait qu’il fasse de son portefeuille. Dans la lettre de mandat adressée à la ministre de la Justice — l’honorable Jody Wilson-Raybould —, le premier ministre écrit qu’il veut qu’elle travaille avec les ministres des Finances et du Revenu national afin d’élaborer un cadre juridique et réglementaire modernisé régissant les secteurs caritatif et sans but lucratif.

Le projet de loi que vous avez mentionné, qui a été présenté vendredi, donne-t-il suite à cette directive du premier ministre?

M. Burrows : Je pense qu’il fait partie de ce cadre. Toutefois, il a été élaboré en réaction directe à une affaire qui avait été instruite devant la Cour d’appel fédérale — je pense que c’était au début de juillet — appelée Canada sans pauvreté, où une contestation en vertu de la Charte a été déposée au nom d’un organisme de bienfaisance relativement à des activités politiques. Le gouvernement a réagi de deux façons. L’une a consisté à interjeter appel concernant cette contestation parce qu’un certain nombre de questions se posent: la Charte est-elle un instrument approprié pour régler les affaires touchant le droit régissant les organismes de bienfaisance? Le deuxième élément a été la modification proposée qui a été publiée à 16 h 30 vendredi. Il s’agit d’une partie du système dans son ensemble. Ce qui est bien au sujet d’une lettre de mandat, c’est qu’elle est suffisamment vaste pour inclure à peu près n’importe quoi. Je pense que l’une des questions clés — et c’est le cas dans tous les pays de common law —, c’est comment pouvons-nous évoluer? Nous sommes ancrés dans ce système qui a été codifié de nombreuses manières dans d’autres pays et à d’autres époques, et comment pouvons-nous continuer à évoluer dans le contexte canadien et répondre à nos besoins en avantages publics? Nous accusons du retard.

Le sénateur Duffy : J’allais vous demander quel devrait être l’échéancier selon vous. Le projet de loi va évidemment devoir suivre tout le processus législatif. Je doute qu’il soit possible de l’adopter d’ici les prochaines élections. D’après vous, est-ce urgent que les amendements ou les propositions qui ont été publiés vendredi dernier soient adoptés le plus rapidement possible? Voilà ce que je veux savoir. Je veux dire, que ce soit fait avant les prochaines élections.

M. Burrows : Bien sûr. Dans l’ensemble, du point de vue du secteur de la bienfaisance, je dirais qu’il est encore tôt. Cela ne fait qu’une fin de semaine, mais l’avant-projet de loi a été favorablement accueilli au départ. Je crois que le gouvernement, de façon générale, a su écouter et réagir de façon équilibrée. Il y a un besoin qui doit être comblé, et selon nous, il faut que ce soit fait par le gouvernement actuel.

La sénatrice Martin : J’aimerais avoir des précisions sur ce qu’on vient d’entendre.

Monsieur, pourriez-vous nous dire de quel projet de loi il s’agit? Est-ce le projet de loi C-76 ou un autre projet de loi?

M. Burrows : Je crois que c’est le projet de loi C-76. Je n’ai pas tous les documents sous les yeux en ce moment. C’est quelque chose que je devrais savoir.

La sénatrice Martin : Vous avez mentionné qu’une modification visait l’élimination du financement politique partisan, un aspect controversé. Croyez-vous que cela règle convenablement une partie des préoccupations associées à l’ingérence étrangère dans les organismes de bienfaisance? Je sais que c’est un sujet de discussion depuis les dernières élections.

M. Burrows : Bien sûr. Évidemment, c’est quelque chose qui concerne le milieu de l’environnement en particulier. Il y a de l’argent qui circule d’un côté à l’autre de la frontière ainsi qu’à l’étranger, dans plus d’un secteur. Je ne crois pas que l’ingérence étrangère soit un problème très important. À l’évidence, la question a été politisée au Canada, mais nous avons besoin d’opinions diverses sur toutes ces questions cruciales. Je crois que c’est quelque chose dont une démocratie saine a besoin.

En vérité, l’incident lié à une ingérence étrangère était manifestement négligeable, et il a exigé l’intermédiaire d’organismes de bienfaisance canadiens. Je suis convaincu qu’il ne s’agit pas d’ingérence directe, et je ne vois pas du tout quelle incidence ce projet loi aura là-dessus.

Le président : Aux fins de la discussion, j’aimerais préciser : le projet de loi C-76 modifie la Loi électorale, laquelle comprend des dispositions concernant la collecte de fonds pour les élections.

La sénatrice Martin : Donc, il parle d’un autre projet de loi.

Le président : Ce sont donc deux choses distinctes. Pour l’instant, nous devons garder à l’esprit que le projet de loi C-76 va...

La sénatrice Martin : Ce n’est pas ce dont il parlait. Merci.

Le président : C’est quelque chose qui nous concerne tous, mais ce n’est ni le moment ni le mandat du comité en ce moment. Étant donné les autres commentaires qui ont été faits vendredi, il semble que des précisions s’imposent, et c’est ce que nous allons faire dans les prochaines 24 heures.

La sénatrice Martin : Merci, monsieur le président.

Le président : Merci de poser la question, sénatrice Martin.

Monsieur Burrows, avez-vous quelque chose à ajouter?

M. Burrows : J’ai une précision à apporter, parce que j’ai été un peu vague. C’est un avant-projet de loi qui a été présenté vendredi. Ce n’est pas encore un projet de loi, d’où ma méprise. Le ministère des Finances l’a présenté à 16 h 30, environ.

Le président : Nous allons retenir notre souffle jusqu’à ce que ce soit un projet de loi.

La sénatrice Omidvar : Je vais utiliser le temps qui m’est imparti et profiter de votre expertise pour parler de certaines questions que vous n’avez pas abordées dans votre mémoire. Vous êtes responsable des services consultatifs en philanthropie de Scotia Gestion de patrimoine, et vous avez des clients fortunés qui donnent à des œuvres de bienfaisance. Ma question concerne donc la hausse des fonds orientés par le donateur. À la lumière de ce que vous savez, pourquoi semble-t-il y avoir une augmentation aussi fulgurante des fonds orientés par le donateur? Pourriez-vous aussi nous donner une idée des tenants et aboutissants?

Deuxièmement, diriez-vous que nous devrions envisager de prendre des mesures pour veiller à ce qu’il y ait une certaine transparence et une certaine reddition de comptes dans les fonds orientés par le donateur, qui sont très opaques? Il est pratiquement impossible de savoir si les fonds orientés par le donateur sont réellement distribués au taux de 3,5 p. 100 ou même si le taux devrait être de 3,5 p. 100, de manière générale, mais c’est peut-être une autre histoire. Pour l’instant, je vais m’en tenir aux fonds orientés par le donateur. Faites-nous profiter de votre expertise sur ces questions.

M. Burrows : Merci. Je suis très content de pouvoir faire des commentaires à ce sujet.

Une grande partie de mes activités professionnelles se déroulent aux États-Unis. Le groupe Scotia Gestion de patrimoine a fondé et dirige depuis 12 ans une fondation publique, Aqueduct Foundation, dotée d’un conseil d’administration indépendant. Depuis ses débuts, nous avons reçu 650 millions de dollars en dons, et les dons que nous avons distribués totalisent près de 340 millions de dollars.

Il y a une chose qu’il faut savoir à propos des fonds orientés par le donateur, et c’est qu’ils prennent toutes sortes de formes. Il y a le mouvement des fondations communautaires, qui possède pour 5 milliards de dollars d’actifs; des témoins en ont parlé plus tôt ce matin. De notre côté, nous nous voyons comme des intermédiaires dans le milieu de la philanthropie, comme une sorte de pont. Les actifs de l’année dernière représentaient 200 millions de dollars, et nous avons distribué 40 millions de dollars. Les montants que nous octroyons ne sont pas égaux au niveau minimum. Notre but est de soutenir les activités philanthropiques, parce qu’il arrive souvent que des montants très élevés soient versés en même temps, et les gens veulent que les fonds soient affectés de façon responsable pour qu’ils aient un impact.

Dans la plupart des cas, les donateurs individuels veulent trouver des organismes de bienfaisance plus petits. J’ai déjà travaillé pour des œuvres de bienfaisance très importantes, et je peux vous dire qu’ils disposent d’employés compétents et d’une image de marque reconnaissable, alors c’est très facile de tout donner d’un coup à ces organismes. Quand il y a des versements de 1 million de dollars, de 2 millions de dollars ou de 3 millions de dollars tout d’un coup, il est beaucoup plus difficile de trouver les bonnes œuvres de bienfaisance et de faire en sorte que les modalités de versement soient assez souples pour que vous puissiez leur faire un don. Dans bon nombre de cas, l’argent est versé d’un seul bloc, et il est distribué sur une période de dépenses limitée de 5 ou 10 ans. À cet égard, notre modèle est très différent.

Notre but est de veiller à ce que les donateurs puissent prendre le temps de bien choisir à qui ils donneront. Notre rôle est essentiellement d’agir comme un pont, d’où le nom « Aqueduct Foundation ».

La sénatrice Omidvar : Très rapidement, dans le même ordre d’idées, le manque de transparence et d’obligation redditionnelle en ce qui concerne les fonds orientés par le donateur semble soulever de plus en plus de préoccupations. Prenez par exemple Aqueduct Foundation. Lorsque ce groupe envoie son formulaire T3010 — je crois — à l’ARC, est-ce que les fonds ou les pourcentages individuels sont indiqués? Il semble que les gens penchent vers cette solution. Avez-vous quelque chose à dire à ce sujet?

M. Burrows : Ce n’est effectivement pas le cas. Il s’agit d’un organisme de bienfaisance. Le conseil d’administration prend les décisions touchant les fonds, et ce n’est pas indiqué. Les dons accordés par l’organisation sont déclarés à l’ARC, mais pas les fonds. Nous produisons un rapport annuel. Le mouvement des fondations communautaires a une très longue tradition par rapport à cela : il a inventé le concept des fonds orientés par le donateur au Canada.

Pour l’instant, le taux de décaissement minimal est de 3,5 p. 100. Aux États-Unis, il est de 5 p. 100. Nous sommes principalement des organismes voués au bien public. Ce que nous devrions faire, c’est veiller à ce que les efforts pour le bien public aient un effet dans les collectivités. Le but n’est pas seulement de s’asseoir sur de la valeur.

La sénatrice Omidvar : Le taux de décaissement au Canada est de 3,5 p. 100 à l’heure actuelle. Je sais qu’il a été réduit, mais je ne suis pas sûre de savoir quel était l’ancien taux.

M. Burrows : Il était de 4,5 p. 100.

La sénatrice Omidvar : Il a été réduit d’un point de pourcentage. Cette diminution était en partie une tentative d’aider les fondations à composer avec la crise financière.

Croyez-vous qu’il est temps de ramener le taux de décaissement à 4,5 p. 100, maintenant que la crise financière est passée?

M. Burrows : Il est toujours important, en particulier dans un contexte comme celui-ci, de réfléchir au bien public. Avec ce genre de fondations, vous avez énormément de capital, mais relativement très peu de répercussions sur les collectivités. Il y a des entités exonérées d’impôt et des entités qui en reçoivent.

Je ne veux pas me prononcer catégoriquement, mais je crois que c’est un débat très important. Le taux est plus élevé ailleurs.

La sénatrice Omidvar : Dans le dernier budget, le ministre des Finances a attribué des fonds de secours aux journaux, en particulier les journaux d’intérêt public, en accordant le statut d’organisme de bienfaisance aux journaux d’intérêt public.

J’aimerais connaître votre opinion sur le sujet. Laissez-moi remettre brièvement la question dans son contexte. Étant donné les difficultés qu’ils vivent, je crois qu’il est nécessaire de soutenir les journaux d’intérêt public, et les journaux locaux en particulier, mais doit-on utiliser l’argent des fonds de bienfaisance pour cela? N’est-ce pas s’éloigner un peu de la mission des organismes de bienfaisance traditionnels? Aujourd’hui, on commence avec les journaux d’intérêt public, et demain, peut-être que ce sera les marchés fermiers. Le monde est-il en train de changer devant nos yeux?

M. Burrows : C’est une question vraiment excellente. On en revient d’ailleurs à la notion de l’évolution du bien public. Quels sont les besoins de notre démocratie actuellement? La réponse : de freins et de contrepoids. Le journalisme a toujours été extrêmement important, et nous nous préoccupons particulièrement de la perte, au niveau local, des voix de l’opposition qui sont solides et qui disposent de ressources suffisantes, et cetera. C’est l’un des piliers de notre démocratie.

En réponse à cette question, je dis toujours que le journalisme est déjà soutenu de plus d’une façon et de manière personnalisée par le secteur de la bienfaisance. C’est un phénomène très répandu aux États-Unis : il y a la ProPublica Foundation, par exemple, qui est très utile, à mon avis. Selon moi, le journalisme traditionnel vit une crise, et bien peu de gens y voient une sorte de panacée — ce ne l’est pas —, mais des organisations comme TVOntario ou la radiodiffusion publique bénéficient déjà de dons. Alors, de là à dire que cela ne fait pas déjà partie de notre système...

Le magazine The Walrus est un organisme de bienfaisance enregistré, tout comme le magazine Canadian Art. Ce n’est pas vraiment du journalisme en bonne et due forme, mais il y a beaucoup de recoupements. Selon moi, la possibilité que Le Devoir devienne un organisme de bienfaisance enregistré est une question de politique publique qui devrait être débattue. Je crois que c’est un excellent exemple de la façon dont, en tant que pays, nous devons cerner nos besoins publics en évolution et nous demander si notre définition d’organisme de bienfaisance devrait évoluer avec eux.

Le président : Merci, monsieur Burrows. C’est un bon moment pour arrêter. Je tiens à vous remercier de votre participation et de vous être joint à nous à partir d’Edmonton. Il est toujours important pour nous de pouvoir discuter avec des gens de partout au pays.

Cet après-midi, nous allons écouter les témoignages des trois témoins suivants : M. Donald K. Johnson, membre du conseil de quatre organismes sans but lucratif dans les domaines de la santé, de l’éducation, des services sociaux ainsi que des arts et de la culture et un soutien bien connu du secteur; M. Adam Aptowitzer, qui est avocat oeuvrant dans le secteur caritatif et à but non lucratif chez Drache Aptowitzer s.r.l.; et, enfin, Mme Ruth MacKenzie, chef de la direction, Association canadienne des professionnels en dons planifiés. Merci d’avoir accepté notre invitation à témoigner. Je demanderais donc aux témoins de nous présenter leurs exposés, et nous passerons ensuite à la période de questions. Je demanderais aussi aux intervenants de poser des questions aussi brèves que possible et aux témoins, en retour, de faire de même et de répondre succinctement, afin que nous puissions faire autant de tours que possible.

Nous allons commencer par M. Johnson.

Donald K. Johnson, membre du conseil, Quatre organismes sans but lucratif dans les domaines de la santé, de l’éducation, des services sociaux ainsi que des arts et de la culture, à titre personnel : Merci. Avant tout, je tiens à remercier le comité de m’avoir invité à témoigner à la séance d’aujourd’hui. Je me présente à titre de membre bénévole du conseil de quatre organismes de bienfaisance enregistrés dans les domaines de la santé, de l’éducation, des services sociaux ainsi que des arts et de la culture.

Nous recommandons au gouvernement de supprimer l’impôt sur les gains en capital des dons de bienfaisance en actions de société privée et en biens immobiliers dans le budget de 2019, de la même manière que pour les valeurs cotées en bourse. Selon les estimations, une telle mesure aurait un effet stimulant qui permettrait d’augmenter les dons de bienfaisance de 200 millions de dollars par année. Il s’agit de la mesure fiscale la plus importante et la plus efficace que le gouvernement pourrait prendre afin d’accroître substantiellement les dons de bienfaisance annuellement dans l’avenir.

Puisque vous avez déjà reçu une copie de mon mémoire, j’ai décidé de prendre les cinq minutes qui me sont imparties afin d’apaiser les préoccupations que certains députés et sénateurs nourrissent peut-être à propos de cette mesure.

Comme vous le savez tous, les spécialistes de la politique fiscale du ministère des Finances s’opposent toujours à ce genre de mesures parce qu’elles entraînent une diminution des recettes fiscales de l’État. Toutefois, les décisions de politique publique concernant la Loi de l’impôt sur le revenu sont prises par le ministre des Finances, avec l’appui du premier ministre.

Une préoccupation évidente, qu’il faudrait apaiser, est que cette mesure pourrait être interprétée comme une façon d’offrir un allégement fiscal aux mieux nantis, et nous avons déjà un régime fiscal très généreux lorsqu’il est question de dons de bienfaisance. En réalité, cette mesure éliminerait un obstacle aux dons à des organismes de bienfaisance et permettrait aux personnes qui possèdent des actifs de valeur de redonner à leur collectivité. Le gouvernement et le donateur assument chacun une partie des coûts des dons, au lieu que ce soit le contribuable à 100 p. 100.

Concrètement, cette mesure profitera aux millions de Canadiens qui utilisent les services offerts par nos hôpitaux, nos organismes de services sociaux, nos universités et nos organisations du domaine des arts et de la culture. Elle corrige également une injustice du régime fiscal actuel en distinguant les entreprises qui deviennent une société ouverte et qui font un don d’actions à un organisme de bienfaisance et les entreprises qui restent privées et veulent faire un don d’actions.

Une autre préoccupation qu’il convient d’atténuer est l’idée que cette mesure profitera uniquement aux grandes organisations de l’élite, et que les petits organismes de bienfaisance venant en aide aux moins bien nantis de notre société n’auront pas leur part du gâteau. Autant les grands que les petits organismes de bienfaisance et les gens qui comptent sur leurs services bénéficieront de cette mesure. Le meilleur exemple est celui de Centraide du Grand Toronto. De 1956 à 1996, soit en 40 ans, Centraide du Grand Toronto a reçu seulement 44 000 $ au total en dons d’actions. À partir de 1997, depuis le moment où l’impôt sur les gains en capital sur les dons de bienfaisance de titres cotés en bourse a été réduit de 50 p. 100 et que l’impôt sur les gains en capital restant a été retiré par le budget de 2006, Centraide du Grand Toronto a reçu plus de 200 millions de dollars en dons d’actions. Centraide du Grand Toronto verse des fonds à plus de 200 organismes dans la région du Grand Toronto, lesquels offrent des services essentiels à des centaines de milliers de Torontois et Torontoises qui en ont besoin. Ceci n’est qu’un exemple parmi d’autres.

J’ai le plaisir de siéger au conseil des grands donateurs de Centraide du Grand Toronto depuis 17 ans. Centraide est l’un de mes organismes de bienfaisance favoris.

Advenant l’élimination de cet obstacle dans le budget de 2019, de nombreux donateurs potentiels créeraient un fonds orienté par le donateur ou une fondation familiale, ce qui permettrait d’acheminer des fonds aux petits organismes de services sociaux dans leur collectivité, qui fournissent des services essentiels aux personnes défavorisées qui ont désespérément besoin d’aide.

Voilà ce que j’avais à dire. Si vous avez des questions, j’y répondrai avec plaisir. Merci.

Le président : Merci, monsieur Johnson. Madame MacKenzie.

Ruth MacKenzie, chef de la direction, Association canadienne des professionnels en dons planifiés : Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du comité, je vous remercie de m’avoir invitée à témoigner devant vous aujourd’hui au nom de l’Association canadienne des professionnels en dons planifiés, l’ACPDP, afin que nous puissions discuter de l’avenir du secteur de la bienfaisance et en particulier du rôle que jouent les avantages fiscaux, les dons de valeurs mobilières privées et les biens immobiliers.

L’ACPDP est un organisme national regroupant des professionnels en dons de bienfaisance planifiés et tout un éventail de professionnels connexes, tels que des conseillers et des planificateurs financiers, des avocats, des spécialistes en plans de succession et des comptables. L’ACPDP compte 20 sections et 1 200 membres, grâce auxquels nous avons pu faire appel à des milliers de donateurs d’un bout à l’autre du pays. Depuis plus de 25 ans, l’ACPDP inspire et sensibilise les intervenants du secteur de la planification stratégique de dons de bienfaisance. L’ACPDP réclame en outre la mise en place d’un environnement fiscal et législatif avantageux qui sera propice aux dons philanthropiques. Dans le mémoire qu’elle a présenté récemment au Comité sénatorial permanent des finances nationales à propos des consultations prébudgétaires de 2019, l’ACPDP faisait deux recommandations précises au sujet des dons de bienfaisance stratégiques. Nos recommandations étaient de modifier la Loi de l’impôt sur le revenu afin de supprimer la retenue d’impôt sur le revenu lorsqu’un donateur demande à son institution financière de prendre une somme de son Régime enregistré d’épargne-retraite ou de son Fonds enregistré de revenu de retraite pour faire un don à un organisme de bienfaisance canadien enregistré ou à un autre donateur reconnu.

En plus des dons en argent traditionnel, les donateurs utilisent de plus en plus leurs actifs dans leurs planifications stratégiques de dons. Cela est particulièrement vrai en ce qui a trait aux montants importants qui sommeillent dans les REER et les FERR. Nous recommandons donc de procéder à cette petite modification qui permettra d’accroître l’efficience d’un don. Présentement, lorsqu’une personne souhaite faire un don à partir de son REER ou son FERR, son institution financière doit obligatoirement retenir l’impôt, et cela, sans égard au fait que le don n’entraînera aucun paiement d’impôt. Ensuite, le donateur doit mentionner le don dans sa déclaration de revenus pour obtenir un remboursement d’impôt, après quoi, s’il le veut, il peut verser le solde à l’organisme de bienfaisance pour compléter son don.

Ce processus compliqué nuit aux organismes de bienfaisance qui essaient d’expliquer ce mécanisme de dons aux donateurs potentiels. Il devient difficile pour eux de recevoir des dons correctement et d’obtenir la somme complète des dons que les donateurs veulent verser. Ce processus semble inutilement compliqué pour les donateurs qui veulent que leur institution financière verse les fonds directement à un organisme de bienfaisance enregistré. Nous croyons que notre recommandation au Comité sénatorial permanent des finances nationales bénéficierait de l’appui déclaré de votre comité sénatorial spécial.

Nous demandions aussi, dans notre mémoire prébudgétaire, que le gouvernement élimine l’impôt sur les gains en capital applicable aux actions des sociétés privées et aux biens immobiliers lorsque les produits de la vente de ce type d’actifs sont remis à titre de dons à des organismes de bienfaisance. L’élimination de l’impôt sur les gains en capital applicable aux dons en titres cotés, en 2006, a connu un vif succès, et depuis, des milliards de dollars en actions sont versés en dons à des organismes de bienfaisance chaque année.

Les biens immobiliers et les actions des sociétés privées sont les deux dernières classes d’actif pour lesquelles il n’existe aucun incitatif. Une fois que ces deux classes d’actifs immobilisés seront elles aussi exonérées de l’impôt sur les gains en capital, nous disposerons d’un ensemble complet de mécanismes stratégiques de dons d’actifs. Cela permettra non seulement d’accroître considérablement les dons faits aux organismes de bienfaisance, mais aussi de renforcer la culture de la générosité au Canada, en proposant un moyen novateur de redonner à la collectivité ainsi qu’un mécanisme grâce auquel les donateurs particuliers pourront réduire au minimum l’impact fiscal sur leurs finances tout en soutenant des causes chères à leurs yeux.

Étant donné que les petits entrepreneurs jouent un très grand rôle dans l’économie canadienne, nous pourrions avantager considérablement le secteur de la bienfaisance en leur permettant de transformer leurs actifs en dons de bienfaisance. En outre, nous savons qu’un grand nombre de Canadiens choisissent de se débarrasser de leurs biens immobiliers pour les loisirs, ce qui est un signe avant-coureur du transfert intergénérationnel de la richesse. Que leur but soit de rationaliser leurs actifs ou de tuer dans l’œuf toute possibilité de chicane d’héritage, nous croyons qu’un grand nombre de Canadiens seront plus enclins à faire un don, au moment de vendre leur chalet, si l’impôt sur les gains en capital était éliminé.

Je tiens à souligner que ce ne sont pas seulement les mieux nantis du Canada qui possèdent ce genre d’actifs. Il y a beaucoup de petits entrepreneurs et de propriétaires de chalet dans la classe moyenne canadienne. L’élimination de l’impôt sur les gains en capital applicable à ces actifs — au moment de faire un don de bienfaisance — démocratiserait les dons de bienfaisance et donnerait l’occasion à M. et Mme Tout-le-monde de faire des dons de bienfaisance importants qui ont un impact réel.

Cela vaut aussi pour les organismes de bienfaisance dans les régions rurales du Canada, où il y a beaucoup de petites entreprises et de biens immobiliers pour les loisirs.

Pour l’ACPDP, il s’agit d’un enjeu politique majeur, dont l’issue pourrait avoir une grande incidence sur les organismes de bienfaisance canadiens. Tout le secteur appuie fermement cette proposition, et nous encourageons le comité à la soutenir également.

Si vous me le permettez, j’aimerais, en ma qualité de chef de la direction de l’ACPDP, vous faire part d’une chose qui m’empêche de dormir la nuit : c’est le fait que si peu de donateurs et d’organismes de charité — voire le secteur de la bienfaisance en entier, à dire vrai — en sont conscients. Les données sont un peu vieilles, mais il semble que moins de 10 p. 100 des Canadiens prévoient faire un don de bienfaisance par testament. Peu de gens, parmi les donateurs ordinaires, savent à quel point il est facile de faire un don de bienfaisance substantiel à une cause importante pour eux simplement en établissant une police d’assurance. Des milliers d’autres personnes pourraient tirer parti des dons de titres.

Malgré tout, on parle rarement des dons d’actifs dans les études sur les habitudes des donateurs canadiens. Peu d’organismes de bienfaisance s’assurent que leur personnel est au courant des avantages et des modalités complexes de la planification de dons ou prévoient un budget à cette fin. Peu d’entre eux sont en mesure d’entamer ce genre de discussions avec les donateurs.

Je crois que la situation est claire pour tout le monde : les organismes de bienfaisance, en particulier les petits, ont de la difficulté à obtenir les ressources dont ils ont besoin à l’heure actuelle. Il est impensable pour eux d’investir dans un programme qui n’aura de retombées que dans 5, 10 ou 20 ans. Ils mettent donc cela de côté à leurs dépens et ne pourront jamais en tirer parti. Ils font une croix sur d’importants revenus, par voie de conséquence.

Il y a un dernier point que je veux soulever et qui est tout aussi pertinent à l’égard de nos recommandations sur ces deux dispositions stratégiques en matière de dons. Nous demandons à votre comité de reconnaître et de souligner le fait que le régime fiscal et le secteur philanthropique canadien s’inscrivent dans un contexte plus vaste de dialogue politique. Nous avons un régime fiscal extrêmement généreux, qui permet les dons de charité. Il a fallu 20 ans pour édifier ce régime, à coups de planification éclairée et de politiques publiques équilibrées. Nous devons absolument en être conscients et garder à l’esprit comment le système a été créé afin de le préserver et de le protéger. C’est un régime qui doit refléter les valeurs canadiennes, non pas seulement un ensemble de mesures fiscales incitatives indépendantes, que l’on peut dissocier à tout moment. C’est un exemple parfait de cas où le tout vaut plus que la somme des parties.

Encore une fois, laissez-moi vous remercier de votre invitation à témoigner aujourd’hui.

Le président : Merci, madame MacKenzie.

Adam Aptowitzer, avocat, Secteur caritatif et à but non lucratif, Drache Aptowitzer s.r.l. : Bon après-midi et merci, mesdames et messieurs les sénateurs, de votre invitation à témoigner aujourd’hui.

Ma pratique et mes écrits publics portent surtout sur la fiscalité du secteur de la bienfaisance canadien. On m’a demandé de vous parler aujourd’hui des aspects techniques de la question parce que j’ai écrit un article qui a été publié en collaboration avec l’Institut C.D. Howe à propos des dons d’actions de sociétés privées et de biens immobiliers à des organismes de bienfaisance.

Je tiens pour acquis que vous pouvez consulter les données sur les immenses richesses détenues par des Canadiens sous forme de biens immobiliers et d’actions de sociétés privées. Une grande partie de cette richesse appartient à des gens qui arrivent à l’âge de la retraite et qui réfléchissent à leur planification successorale et aux dons de bienfaisance qu’ils pourraient faire.

À l’heure actuelle, il n’y a aucun obstacle aux dons d’actions de sociétés privées ou de biens immobiliers à une œuvre de bienfaisance, et rien n’empêche un organisme de bienfaisance d’accepter les dons de ce genre faits de bonne foi.

Bien sûr, il y a tout de même l’impôt qui entre en ligne de compte.

Ce type de dons soulève quatre préoccupations en matière de politique publique. Premièrement, il y a l’évaluation de la valeur des dons pour l’établissement du reçu aux fins d’impôt. Deuxièmement, il y a la possibilité que le donateur conserve son droit de vote une fois le don fait. Troisièmement, bien sûr, il y a l’incidence sur les recettes fiscales et, quatrièmement, il y a le mauvais usage potentiel des actifs de bienfaisance pour financer une entreprise dont l’organisme de bienfaisance serait propriétaire.

Actuellement, la Loi de l’impôt sur le revenu permet les dons de ce genre. Il va donc sans dire qu’il existe déjà des dispositions assurant que les dons sont évalués convenablement et que les donateurs ne conservent pas leur pouvoir au sein de la société une fois que le don a été fait. Ces dispositions remontent à de nombreuses années, et leur efficacité n’est plus à démontrer.

Le ministère des Finances s’est déjà penché sur les deux premières préoccupations, et la loi a été modifiée afin de les atténuer.

Lorsqu’un donateur individuel reçoit son reçu pour un don, le traitement fiscal est le même que pour tout autre don d’immobilisations. Une façon d’encourager de tels dons serait de réduire l’impôt sur les dons de façon que les crédits d’impôt auxquels donne lieu le reçu puissent s’appliquer à l’impôt à payer sur le revenu d’autres sources. La même méthode est utilisée pour accroître les dons de titres cotés en bourse, de biens environnementaux et de biens culturels canadiens.

Tout cela ramènerait à zéro l’impôt applicable aux dons, dans certaines conditions. Il serait possible d’adopter la même approche pour les dons d’actions de sociétés privées, même si rien ne permet de penser que le taux d’imposition applicable devrait être nul dans ce cas. Dans la mesure où le Parlement se préoccupe de la perte de recettes fiscales dans le cas où les dons d’actions de titres de sociétés privées étaient exonérés d’impôt, il serait possible de fixer le taux d’imposition à un certain montant inférieur au taux présent mais supérieur à zéro. Le Parlement pourrait même faire une période d’essai pour juger de l’efficacité de cette approche sans prendre des risques démesurés.

La dernière préoccupation non négligeable est la possibilité qu’un organisme de bienfaisance se retrouve propriétaire d’une entreprise en tant qu’actionnaire et qu’il doive alors consacrer du temps et des ressources financières à cette entreprise. Ce genre de chose est permis présentement, et à dire vrai c’est utile dans une certaine mesure, mais, bien évidemment, si la loi encourage ce genre de dons, ils seront de plus en plus fréquents, et le risque que les organismes de bienfaisance utilisent des fonds déductibles d’impôt pour financer les entreprises dont ils sont propriétaires augmentera.

Malheureusement, l’administration des organismes de bienfaisance relève de la compétence provinciale, alors ce genre de réglementation, si elle s’impose, nécessitera la collaboration des provinces.

Les dons de biens immobiliers sont un sujet plus épineux. Comme je l’ai mentionné plus tôt, la Loi de l’impôt sur le revenu comprend déjà des dispositions qui encouragent les dons de biens environnementaux aux organismes de bienfaisance voués à l’environnement. Advenant un élargissement des modalités relatives aux dons traditionnels de biens immobiliers, il se pourrait que cela nuise au programme de dons environnementaux en vigueur, parce que les gens possédant des actifs pouvant être certifiés comme biens environnementaux songeront peut-être à faire des dons à d’autres types d’organismes de bienfaisance qui ne se soucient pas de la préservation des biens immobiliers, simplement parce que c’est plus facile ou plus pratique.

Nous avons deux façons de régler ce problème. Premièrement, nous pourrions améliorer le programme des dons environnementaux afin de rendre ces dons bien plus attrayants. Nous pourrions aussi faire en sorte que les dons de biens immobiliers traditionnels soient moins intéressants et ne donnent pas droit au même crédit d’impôt que les dons de biens environnementaux.

Pour l’instant, je ne vois pas du tout quelle forme ce genre de programme pourrait prendre. J’imagine qu’il faudrait entreprendre une étude approfondie afin de déterminer quel genre de politique encouragerait le don de biens immobiliers non environnementaux sans nuire au programme des dons environnementaux.

Sur ce, j’ai conclu mon témoignage. Bien sûr, je serai heureux de répondre à toutes les questions que vous pourriez avoir à ce sujet.

Le président : Merci beaucoup, maître Aptowitzer. J’ai une petite question à vous poser. Vous n’avez pas parlé du cas des organismes de bienfaisance qui mènent des activités commerciales indirectement, par exemple un YMCA qui offre des services à ses membres en échange d’équipements. Cela finit par devenir une activité commerciale, même si c’est censé être un service au départ, parce qu’il y a un échange d’argent. Cela a des apparences entrepreneuriales. Comment ce cas s’insère-t-il dans votre plan?

M. Aptowitzer : Vous m’avez demandé de répondre succinctement, mais cela risque d’être difficile.

Je crois, monsieur le sénateur, que vous parlez des règles de la Loi de l’impôt sur le revenu applicables aux entreprises. À l’heure actuelle, les organismes de bienfaisance ont le droit de mener des activités commerciales pour autant que celles-ci sont en harmonie avec leurs objectifs et sont complémentaires à l’ensemble de leurs programmes. L’ARC fournit une orientation en plusieurs points qui permet aux organismes de déterminer si, de leur point de vue, les activités font bien partie de cette catégorie.

Le problème, comme je l’ai dit dans mon exposé, c’est que l’administration des organismes de bienfaisance relève fondamentalement de la compétence provinciale, non pas fédérale. Pour l’instant, personne n’a vraiment contesté la constitutionnalité des règles relatives aux entreprises de la Loi de l’impôt sur le revenu, mais cela pourrait bien se faire. Je crois qu’une personne pourrait légitimement contester la constitutionnalité de ces règles. Ce que j’aimerais, moi, c’est que les règles relatives aux entreprises administrées par des organismes de bienfaisance encouragent les provinces à veiller à ce que les organismes de bienfaisance n’utilisent pas les fonds qu’ils reçoivent pour faire des prêts aux actionnaires d’une entreprise qui ne fonctionne pas. Donc, oui, c’est une préoccupation, et je crois que cela nécessite la participation des provinces.

La sénatrice Omidvar : Merci à vous tous d’être ici. Je crois que je vais poser ma première question à M. Johnson et à Mme MacKenzie. Vous avez tous deux recommandé d’ajouter comme incitatif l’exonération d’impôt des dons de biens immobiliers, de titres de sociétés privées, de REER et de FERR. Selon vous, est-ce que cela aurait pour conséquence de rendre plus épaisse l’enveloppe des dons ou est-ce que les gens se contenteraient simplement de substituer ce genre de dons à leurs dons en argent?

M. Johnson : C’est une préoccupation légitime, mais ces dons seraient plus importants dans 95 p. 100 des cas. Laissez-moi vous donner un exemple. Je connais quelqu’un qui est actionnaire minoritaire dans une société privée qu’il a possédée pendant 25 ans. Il peut vendre ses actions au fondateur de l’entreprise, l’actionnaire dominant, à n’importe quel moment et à un prix dont ils conviendront. En ce moment, ses actions valent 6 millions de dollars.

Supposons que l’impôt sur les gains en capital applicable aux actions des sociétés privées est éliminé; cette personne va tout de suite faire un don de 6 millions de dollars à deux organismes de bienfaisance, alors qu’actuellement, il fait des dons de 10 000 $ en argent chaque année. Donc, avec l’élimination de l’impôt, il verse 6 millions de dollars en comparaison des 10 000 $ qu’il donne chaque année aux organismes de bienfaisance. Ceci n’est qu’un exemple.

Je suis fermement convaincu qu’un très grand pourcentage des dons seraient supérieurs, et ne feraient pas que remplacer les dons en argent.

Mme MacKenzie : Merci. C’est une excellente question. À dire vrai, j’abordais ce sujet dans la première version de mon exposé, mais j’arrivais à environ neuf minutes. Merci beaucoup de poser cette question.

La réponse est que nous ne sommes vraiment certains de rien, parce qu’il n’existe pas suffisamment de données à propos des habitudes précises des donateurs canadiens pour comparer les dons d’actifs aux dons en argent. Malgré tout, les membres de l’ACPDP sont des experts en planification stratégique de dons, et, lorsqu’on discute avec les donateurs de ces sujets, on entend un autre son de cloche. Si vous demandez à un donateur s’il veut faire un don d’argent ou un don de biens immobiliers ou d’actifs, il répondra qu’il fait un don à un moment propice du point de vue de la fiscalité. Pour lui, le régime fiscal ne l’encourage pas à faire un don; il ne fait que faciliter le processus.

Selon nos membres qui interagissent avec les donateurs, les dons annuels ou les dons en argent ne diminuent généralement pas, même lorsqu’ils planifient avec les donateurs des dons d’actions plus stratégiques. C’est anecdotique, mais c’est ce que nous voyons. Je suis certaine qu’il arrive que certaines personnes remplacent l’un par l’autre, mais je crois que dans l’ensemble, le montant net des dons va augmenter.

Le président : Le sénateur Duffy a une question complémentaire.

Le sénateur Duffy : Merci. Rapidement, j’ai une question complémentaire avant que notre public ne perde le fil.

Monsieur Johnson, à propos de votre ami qui a 6 millions de dollars en actions... Pourriez-vous donner davantage d’explications pour ceux d’entre nous qui ne sont pas sûrs de comprendre les répercussions fiscales? Cet ami est actionnaire minoritaire dans une société privée. S’il se prévalait de la convention de rachat d’actions au propriétaire, ses actions auraient une valeur de 6 millions de dollars. Dans le régime actuel, combien devrait-il payer d’impôt sur les gains en capital, approximativement, pour ces actions? Quel montant irait au gouvernement plutôt qu’à un organisme de bienfaisance. Est-ce le tiers?

M. Johnson : Puisque cela fait 25 ans qu’il détient ces actions, le prix de base est pratiquement nul. S’il vendait ses actions maintenant, dans le régime fiscal en vigueur, il devrait payer de l’impôt sur les gains en capital. Il aurait à payer de l’impôt sur le revenu équivalant à 50 p. 100 des gains en capital, ce qui veut dire que 3 millions de dollars seraient imposables, et qu’il paierait 1,5 million de dollars en impôts. Puisqu’il aurait à payer à peu près 1,5 million de dollars en impôts s’il vendait ses actions maintenant, il va simplement les conserver comme il le fait depuis 25 ans.

Le sénateur Duffy : Donc, pour poursuivre, si le gouvernement décidait de modifier la loi, il donnerait les 6 millions de dollars à des organismes de bienfaisance au lieu de payer 1,5 million de dollars ou plus au gouvernement fédéral pour ce don. Alors, de ces 6 millions de dollars, au moins 1,5 million de dollars irait, disons, au ministère des Finances ou au ministère du Revenu. En résumé, une modification de ce genre aurait des conséquences importantes pour les bénéficiaires, c’est-à-dire les organismes de bienfaisance.

M. Johnson : Absolument. On élimine ainsi un obstacle aux dons de charité. Voyez-vous, avant 1997, personne ne faisait de dons d’actions ou de titres cotés en bourse parce que c’était insensé. L’impôt sur les gains en capital à payer aurait été trop important par rapport aux déductions d’impôt, alors personne ne faisait de dons d’actions.

Depuis 2006, avec l’élimination des autres dispositions de l’impôt sur les gains en capital applicable aux titres cotés en bourse, les organismes de bienfaisance reçoivent des dons de plus de 1 milliard de dollars pratiquement chaque année, des fonds supplémentaires qui vont aux organismes de bienfaisance dans les secteurs de la santé et de l’éducation. D’ailleurs, ces secteurs représentent les deux plus grandes dépenses fiscales pour le gouvernement.

La sénatrice Omidvar : Sommes-nous en train d’échanger quatre trente sous pour un dollar? Je crois que nous sommes tous d’accord sur le fait qu’il est très tôt pour se prononcer.

En ce qui concerne notre homme de 6 millions, n’oubliez pas que, même s’il ne paie pas 1,5 million de dollars en impôts, il obtiendra un reçu pour don de charité de 6 millions de dollars. Il y a tous ces aspects dont nous devons tenir compte, mais merci beaucoup.

Nous avons discuté avec Malcolm Burrows et il nous a parlé de ce qui avait été proposé. En fait, il a proposé un petit ajout concernant l’évaluation et la gestion des biens immobiliers et des titres de sociétés privées par de grands ou de petits organismes de bienfaisance qui les reçoivent. Sa proposition était de créer un incitatif pour encourager les gens à faire un don en argent à un organisme de bienfaisance ou plus dans les 30 jours suivant la vente d’actions de sociétés privées ou de biens immobiliers. Il a même été jusqu’à affirmer que nous courons au-devant d’un désastre si on n’intègre pas la proposition à ce genre de mesures de protection.

Il nous a également dit que cette mesure de protection aurait pour effet d’encourager les donateurs dans les petites collectivités à faire don du produit au comptant de la vente de leur bien immobilier, de leur chalet, et cetera, aux collectivités locales. Je pose la question à tout le monde, si vous avez quelque chose à dire.

M. Aptowitzer : Merci. C’est une question intéressante.

Cette idée faisait partie des propositions présentées en 2015, juste avant la prorogation du Parlement et le déclenchement des élections. Nous n’avons pas eu beaucoup de temps pour nous pencher là-dessus.

L’un des problèmes avec cette proposition en particulier est le fait qu’un grand nombre de personnes ne touchent pas l’argent dans les 30 jours lorsqu’elles vendent leur société. Elles ont une capacité de gain sur cinq ans, ou il y a un délai entre la vente et le moment où elles touchent l’argent. Donc, elles se retrouvent dans une fâcheuse position : elles doivent emprunter de l’argent pour faire un don tout en espérant recevoir leur argent si tout se passe comme prévu par rapport à la capacité de gain sur cinq ans. Donc, il y avait énormément de difficultés, en pratique.

Encore une fois, je dois revenir aux dispositions de la loi actuelle. Avec la disposition en vigueur, la raison pour laquelle une personne voudrait faire don du produit d’une vente est que c’est un tiers indépendant qui possède les actions, ce qui évacue toute question à propos de l’évaluation. Cela ne représente pas une difficulté. Les dispositions qui existent dans la Loi de l’impôt sur le revenu sont très bonnes. Si une personne fait un don d’actions à une fondation privée, par exemple, on ne lui donne pas de reçu. L’organisme de bienfaisance conserve les actions, et c’est seulement lorsque les actions sont cotées en bourse ou que l’organisme de bienfaisance les vend que le donateur obtient un reçu pour un montant équivalant au montant de la vente à un tiers, disons, ou de l’évaluation lorsque les actions sont cotées en bourse.

Étant donné les dispositions en vigueur dans la loi, tout cela n’a pas vraiment d’importance.

La sénatrice Omidvar : Monsieur Johnson, vous avez dit que vous êtes un grand partisan de Centraide. Je le suis moi aussi. J’aimerais savoir si Centraide s’est doté d’une politique lorsqu’il a commencé à recevoir des dons de titres cotés en bourse? Certains organismes de bienfaisance le font. Certains ont pour politique de vendre immédiatement les actifs de ce genre reçus en dons, et d’autres préfèrent les conserver. Quelle est sa politique pour s’assurer que les dons soient répartis aux organismes membres?

M. Johnson : Je ne suis pas sûr de comprendre la question, mais je crois que Centraide verse environ 85 p. 100 des dons reçus aux quelque 200 organismes de services sociaux de la région du Grand Toronto, et ce sont ces organismes qui aident les gens dans le besoin dans la collectivité.

La sénatrice Omidvar : Peut-être devrais-je préciser ce que je veux dire. Est-ce que Centraide du Grand Toronto, par exemple, conserve les actions en attendant de voir si le prix monte ou descend ou se contente-t-il de les vendre? Les organismes de gouvernance ont des politiques à ce sujet.

M. Johnson : Il vend les actions immédiatement. Il n’a aucune raison de les conserver. Les actions sont vendues immédiatement, et l’argent est réparti.

La sénatrice Omidvar : Et c’est sa politique?

M. Johnson : Oui.

La sénatrice Omidvar : D’après vous, est-ce que cela fonctionne de cette façon dans ce secteur, en général? Lorsqu’il y a un don d’actions, la politique est-elle de les vendre?

M. Johnson : Oui. Les organismes de bienfaisance ne veulent pas conserver les titres. Ils veulent de l’argent pour remplir leur mission. Ils ne conservent pas les actions.

M. Aptowitzer : Si vous le permettez, j’aimerais ajouter que les organismes de bienfaisance sont assujettis au contingent des versements, ce qui veut dire qu’une certaine partie de leurs actifs qui ne peuvent pas servir à des fins de bienfaisance doivent être vendus et servir à leurs activités de bienfaisance l’année suivante. Donc, il existe déjà des dispositions pour cela également.

Le président : Avant de donner la parole au sénateur suivant, j’aimerais souligner la présence aujourd’hui de l’ancienne sénatrice Landon Pearson, qui a été pendant de longues années la représentante du secteur de la bienfaisance au Sénat. Nous sommes heureux de la recevoir, et la remercions d’être parmi nous.

Le sénateur Gold : Bienvenue et merci d’être ici. En principe, j’approuve ce que vous avez tous recommandé. Dans une autre vie, je faisais partie du conseil d’administration de Centraide à Montréal et je faisais aussi partie de la Fondation communautaire juive de Montréal et du Canada. Je suis également président de la planification des dons pour l’Orchestre symphonique de Montréal. J’ai été aux premières loges lorsque la politique a été modifiée de façon à permettre les transferts de titres cotés en bourse, et j’ai pu constater à quel point les organisations, les organismes de charité et les groupes que nous financions étaient avantagés. Je sais que c’est plus un commentaire qu’une question, mais je voulais remercier Mme MacKenzie de son commentaire à propos du fait qu’il fallait remettre tout cela dans le contexte de la planification des dons.

D’après mon expérience, ce qui pourrait arriver est qu’un grand nombre de Canadiens qui n’imaginent pas pouvoir être des donateurs importants auront désormais cette possibilité. La plupart des gens croient qu’il faut être riche pour faire de gros dons. Dans un certain nombre d’organismes dont je fais partie, il est arrivé que des gens ayant des revenus apparemment très modestes, une fois mis au courant des options et des avantages fiscaux touchant les titres et la planification de dons en particulier, constatent qu’ils étaient en mesure de faire des choses incroyables et d’avoir un véritable impact dans les circonstances, même si leurs dons annuels sont loin d’être aussi importants que le don de 10 000 $ que fait la connaissance de M. Johnson.

Donc, les détails techniques ont de l’importance. Nous allons étudier adéquatement les questions qui ont été soulevées, mais pour ma part, je crois que si le comité, dans ses travaux, était en mesure d’améliorer la recommandation, cela aurait un effet bénéfique considérable pour les gens qui comptent sur les organismes de bienfaisance dans l’ensemble du pays.

J’ai une petite question pour Me Aptowitzer. Ce que vous avez dit à propos des biens environnementaux me préoccupe. J’ai eu le même genre d’expérience, d’une certaine façon, dans ma vie professionnelle: il y avait un terrain que nous aurions pu donner à une organisation vouée à l’environnement, mais elle ne semblait pas vraiment savoir quoi en faire, au bout du compte, et nous ne savions pas quoi en faire nous non plus. Nous ne voulions pas et ne pouvions pas l’exploiter. Finalement, il n’a pas été d’une grande utilité pour quiconque. Je suis impatient d’entendre des recommandations concrètes afin de corriger cela, d’une part, sans impact négatif pour les groupes voués à l’environnement susceptibles de recevoir ce genre de biens et, d’autre part, pour créer des incitatifs pour ceux d’entre nous qui ne sont pas en mesure, pour une raison ou une autre, de trouver des groupes prêts à reprendre ce genre de parcelle de terrain.

M. Aptowitzer : Je comprends. J’ai passé beaucoup de temps à réfléchir à cette question lorsque j’écrivais mon article pour l’Institut C.D. Howe. En somme, une solution évidente s’impose : il suffit de faire en sorte que les incitatifs liés aux dons de biens immobiliers traditionnels n’aient pas autant de valeur que ceux liés aux dons de biens environnementaux.

Pour l’instant, les dons de biens immobiliers environnementaux sont une classe à part des autres dons de charité, puisque le crédit d’impôt pour ce genre de don de charité peut être reporté sur 10 ans plutôt que sur 5 ans. C’est une chose. Quand je parle de « valeur », je ne parle pas nécessairement d’argent. Il y a d’autres façons d’aborder la question.

L’un des problèmes avec les propositions de 2015 était qu’elles encourageaient les dons de biens immobiliers environnementaux parce qu’il était permis de faire don du produit de la vente de biens immobiliers. Un donateur pouvait dire : « Eh bien, je pourrais retirer les mêmes avantages en donnant une partie de l’argent qu’en donnant le tout », même si le calcul est, dans les faits, un peu différent.

Prenez les dons de biens immobiliers... Je vous encourage à y jeter un œil; au cas où ce n’était pas clair dans mes commentaires, je suis fortement en faveur des dons et de la modification du régime fiscal applicable aux dons de titres de sociétés privées également. Je crois que vous devriez aussi vous attarder sur le Programme des dons écologiques pour vous assurer que toute modification relative aux dons de biens immobiliers ne vienne pas nuire au Programme des dons écologiques, par exemple si un programme légèrement différent était mis en place.

Le sénateur Gold : Merci. Pour revenir aux questions à propos de l’impact sur les recettes fiscales de l’élargissement des incitatifs liés aux dons de bienfaisance, sachez qu’il y aura des impacts, jusqu’à un certain point. Si tout se déroule comme prévu, on peut s’attendre à ce que des compromis soient faits. Je suis conscient qu’une grande partie de tout cela relève de la compétence provinciale. J’ai une formation d’avocat constitutionnaliste, alors je sais être prudent lorsqu’il s’agit de ce genre de questions.

Les activités de nos organismes de bienfaisance sont financées en partie par les deniers publics, directement par le gouvernement et, bien sûr, par l’impôt. Quel genre de politiques pourrions-nous mettre en place afin d’atténuer l’impact de cet incitatif sur les recettes fiscales? S’attend-on simplement à un résultat neutre, ou y a-t-il des façons d’atténuer au moins l’impact sur le Trésor public?

M. Aptowitzer : C’est une question très intéressante, et je crois qu’il y a un lien à faire avec la question du sénateur Duffy sur le calcul de l’impôt à payer sur un don ou une vente.

Une chose très intéressante, en ce moment, c’est que le taux de crédit d’impôt en Ontario n’équivaut pas, pour les deux tranches les plus élevées, au taux d’imposition. Ce qui veut dire que si vous gagnez 1 $, puis que vous en faites don, vous allez tout de même devoir payer 4 sous au gouvernement.

Donc, si on regarde le solde, on voit qu’il reste effectivement de l’argent dans les coffres des provinces. Les dispositions fédérales n’ont pas ce résultat — c’est à leur honneur, si je puis dire —, mais il y a une façon d’évaluer les impacts et de veiller à ce que les recettes fiscales n’en pâtissent pas trop.

J’aimerais aussi prendre un instant pour souligner que M. Johnson a parlé de 1997 et de 2006. Ce qui est arrivé, voyez-vous, c’est qu’en 1997, le ministre des Finances — je crois que c’était M. Martin — a réduit le taux d’imposition global, mais ce n’est qu’en 2006 qu’on l’a éliminé complètement. Donc, comme je l’ai dit dans mon témoignage, il y a une façon d’évaluer l’impact sans tout jouer d’un coup. Vous pourriez réduire le taux de moitié, par exemple, pour une durée de cinq ans, afin de voir quelles en seront les conséquences avant de prendre des mesures plus complètes et de modifier de façon permanente — je l’espère — la Loi de l’impôt sur le revenu. Donc, vous avez des options.

Le président : Monsieur Johnson, voulez-vous ajouter quelque chose?

M. Johnson : Je tiens pour acquis que l’estimation selon laquelle il y aura une augmentation annuelle de 2 millions de dollars en dons d’actions et de biens immobiliers de sociétés privées est tirée d’une analyse des dons faits aux États-Unis. Aux États-Unis, les dons de biens en capital à valeur accrue sont exonérés d’impôt, et cela comprend les titres cotés en bourse, les actions de sociétés privées et les biens immobiliers, alors qu’au Canada cela ne comprend que les titres cotés en bourse, du moins pour l’instant.

Toutefois, aux États-Unis, environ 80 p. 100 des dons de biens en capital à valeur accrue concernent des titres cotés en bourse, et environ 20 p. 100 — cela varie d’année en année — concernent des actions de sociétés privées ou des biens immobiliers. Les organismes de bienfaisance reçoivent plus de 1 milliard de dollars pratiquement chaque année depuis 2006, avec un total de dons supplémentaires dans les environs de 200 millions de dollars.

Pour répondre aux préoccupations du ministère des Finances à propos des coûts fiscaux de cette mesure, le manque à gagner en impôt sur les gains en capital liés à ces 200 millions de dollars de dons supplémentaires est approximativement de 50 à 65 millions de dollars par année; et le crédit d’impôt pour les dons de bienfaisance demeure le même que pour les dons en argent. Donc, le coût différentiel pour le gouvernement fédéral est seulement de 50 à 65 millions de dollars, mais les organismes de bienfaisance reçoivent 200 millions de dollars par année. Si vous ajoutez le manque à gagner en impôts sur les gains en capital et le crédit d’impôt pour dons de bienfaisance, on arrive en gros à 120 millions de dollars, mais les organismes de bienfaisance ont toujours leurs 200 millions de dollars. Donc, sur le plan fiscal, c’est évidemment plus efficace pour le gouvernement et pour les contribuables, que si le gouvernement déboursait directement ces sommes.

Le sénateur Gold : Merci.

La sénatrice Martin : Merci. J’aimerais approfondir ce que vous disiez et ce que vous avez mis dans votre exposé. Comme le sénateur Gold et d’autres intervenants l’ont dit, je crois également être susceptible de soutenir votre recommandation, en particulier vu le travail remarquable que font les organismes de bienfaisance afin d’encourager un plus grand nombre de Canadiens à faire ce genre de dons. Cependant, si cette méthode est plus efficace sur le plan fiscal et que la perte de recettes fiscales pour le gouvernement est seulement, comme vous l’avez dit, de 55 à 60 millions, il doit y avoir une autre raison pour laquelle on s’oppose aux mesures que vous demandez au gouvernement de prendre. Y a-t-il des risques autres que ceux que vous avez mentionnés dans votre exposé touchant les préoccupations liées à ce type de dons? Vous en avez mentionné quatre. C’est sans doute un processus très complexe. Il y a un chevauchement des sphères de compétences, et il va nous falloir travailler avec les provinces, mais quelles sont les réserves ou les raisons du gouvernement? Je crois qu’il est important pour notre comité de comprendre le point de vue des deux côtés afin de pouvoir faire nos recommandations.

Je serais curieuse de savoir si, faute de temps, vous n’auriez pas omis quelque chose. Quelles sont les réserves du gouvernement, outre le fait que cela coûtera au Trésor public?

M. Johnson : Je crois avoir abordé les deux principaux motifs de réserve probables. C’est un allégement fiscal pour les mieux nantis. C’est un sujet classique qui revient chaque année depuis 24 ans; on craint que la mesure n’avantage que les grands organismes de bienfaisance de l’élite. Je crois avoir abordé chacune des préoccupations.

Selon moi, les spécialistes de la politique fiscale du ministère des Finances se sont toujours opposés à ces mesures. Ils s’y opposent depuis 1997. Il est très rare qu’un ministre des Finances ne suive pas les conseils du ministère des Finances. En ce qui concerne l’imposition des dons de bienfaisance, d’après mon souvenir, ce n’est arrivé que trois fois, dont une fois en 1997, lorsque le ministre des Finances, Paul Martin, a réduit de moitié l’impôt sur les gains en capital pour une période d’essai de cinq ans afin de prouver que cela n’avantageait pas seulement les grands organismes de l’élite et que les petits organismes de bienfaisance, comme Centraide, allaient aussi en tirer parti.

La fois suivante où un ministre des Finances est allé à l’encontre des conseils du ministère des Finances, c’était en 2006, lorsque le ministre des Finances, Jim Flaherty, a éliminé ce qui restait de l’impôt sur les gains en capital applicable aux dons d’actions.

La troisième fois, c’était en 2015, quand Joe Oliver était ministre des Finances. Dans le budget de 2015, une mesure permettait au détenteur d’actions de sociétés privées dans l’immobilier de vendre les actifs à une partie indépendante et de donner le produit de la vente en espèces à un organisme de bienfaisance, dans les 30 jours, pour être exempté. Une des principales préoccupations du ministère des Finances concernait les évaluations abusives, parce que, dans les titres cotés, vous avez un marché public pour les valeurs mobilières, alors qu’il n’y en a pas pour les actions de sociétés privées dans l’immobilier. On s’inquiète du fait que, si le crédit d’impôt pour don de bienfaisance est fondé sur une valeur estimative, il pourrait y avoir conflit d’intérêts si un donateur retient les services de l’évaluateur, et ce conflit tient au fait que les évaluateurs pourraient être encouragés à gonfler de façon artificielle la valeur des actifs. Comme la condition était que le détenteur vende ses actifs à une partie indépendante, cela dissipait toute préoccupation au sujet des évaluations abusives.

Le budget de 2015 était celui d’un gouvernement conservateur, mais il bénéficiait de l’appui des libéraux et du NPD. Scott Brison, alors porte-parole en matière de finances pour les libéraux, appuyait publiquement cette mesure du budget de 2015. Le chef du NPD l’appuyait aussi publiquement. Elle a été appuyée par les trois partis en 2015.

Au final, comme je l’ai mentionné dans mon exposé, la décision ne revient pas au ministère des Finances, en tout respect. Il a la responsabilité de s’opposer à toute mesure qui prive le gouvernement de recettes fiscales. Au final, la décision revient au ministre des Finances, qui bénéficie de l’appui du ministère des Finances. Pour que le ministre des Finances donne son appui, il importe que les députés communiquent leur appui dans les réunions du caucus libéral.

La sénatrice Martin : Ce sont de bons exemples pour décrire ce qui doit arriver. Merci.

Le sénateur Duffy : Merci. J’aimerais revenir sur quelque chose qui a été mentionné il y a quelques minutes par notre collègue, le sénateur Gold, et qui, je crois, résume encore une fois pour les gens à la maison l’objet de notre discussion.

Le sénateur Gold a parlé de chalets. De nombreuses personnes qui ne s’estiment pas riches ont des chalets. Nous avons entendu M. Johnson et Me Aptowitzer dire que, quand il est question d’actions de sociétés privées, tout cela semble très compliqué. Les gens à la maison vont se dire : « Eh bien, cela ne s’applique pas à moi. » Toutefois, ils ont un chalet, peut-être un petit coin dans la forêt, et celui-ci a probablement accusé une énorme plus-value depuis qu’ils en sont devenus propriétaires.

Ne serait-il donc pas dans l’intérêt de tous les Canadiens, si on souhaite élargir le bassin de donateurs, de simplifier le processus, de sorte que ces types de dons n’aient pas l’air tellement compliqués et difficiles que les gens diront : « Eh bien, je ne me donnerai pas la peine. »

Mme MacKenzie : Je pense que c’est un excellent point. Comme vous le laissiez entendre, cela sert à démocratiser les dons de charité. Comme le sénateur Gold l’a dit plus tôt, c’est une occasion pour les Canadiens moyens de profiter du pouvoir de la philanthropie en faisant un don important qui peut apporter un grand changement à une cause qui leur tient à cœur. Je pense que la démocratisation s’applique aussi aux petits organismes de bienfaisance, particulièrement lorsque ce sont des gens qui ont eu des propriétés de loisir dans une collectivité rurale et qui veulent soutenir cette collectivité locale. Je ne crois pas que les dollars iront uniquement aux grands organismes de bienfaisance des milieux urbains.

Le sénateur Duffy : Donc, la difficulté pour nous, pour notre rapport et pour le gouvernement, qui reçoit le rapport, consiste à trouver une façon d’élaborer des règles qui facilitent les choses, de la même façon que, lorsque des gens achètent un REER ou quoi que ce soit, ils ne font que cocher une case; vous pouvez donc fournir l’option d’aider un organisme de bienfaisance.

M. Aptowitzer : C’est exact. Si je peux me permettre, je crois que les processus sont déjà assez simples. Pour donner des actions de sociétés privées, il suffit de signer quelques documents. Le don de biens immobiliers est un véhicule, c’est comme si vous les achetiez ou les vendiez. Donc, la façon de faire est déjà bien établie, je dirais. L’enjeu, c’est la réception et l’évaluation, pour revenir au point soulevé par la sénatrice Martin. Je pense que c’est pourquoi les dispositions actuelles fonctionnent très bien.

Si vous possédez un chalet à Muskoka, au nord de Toronto, vous n’aurez pas de difficulté à le vendre, dans cette région qui jouit d’un grand bassin de population. Vous pouvez donc en faire don à un organisme de bienfaisance. Même s’il y a une période de réserve de cinq ans, il est probable que l’organisme de bienfaisance soit en mesure de trouver quelqu’un dans cinq ans. Je pense que la difficulté réside dans les régions rurales, où le marché n’est peut-être pas aussi actif. Lorsque nous nous apprêtons à donner des biens immobiliers — ou, dans le cas d’une petite entreprise, à donner des actions d’une petite entreprise à un organisme de bienfaisance —, si le reçu était émis sur-le-champ, l’organisme de bienfaisance pourrait bien émettre un reçu pour un actif qui ne vaut rien, qu’il ne peut ni utiliser ni vendre.

C’est pourquoi j’aime les dispositions actuelles relatives à la réserve de cinq ans d’après lesquelles, essentiellement, les intéressés doivent dire s’ils veulent vraiment le don ou non et s’ils peuvent le vendre ou non. C’est très logique. Je crois que le comité devrait considérer les dispositions actuelles comme un modèle, simplement parce qu’il n’est pas nécessaire de réinventer la roue.

Le sénateur Duffy : On nous a dit plus tôt qu’il y a un écart de 2,5 milliards de dollars entre ce dont les organismes de bienfaisance auront besoin et ce qu’ils prévoient recevoir en dons publics au cours des 10 prochaines années. Assurément, cela en fait un enjeu pressant.

M. Johnson : Oui, je pense que le moment est parfait pour introduire ces mesures dans le budget de 2019.

Par rapport à votre commentaire au sujet des chalets, si une personne veut prendre sa retraite et qu’elle vend simplement le chalet, elle peut immédiatement donner le produit en espèces à un organisme de bienfaisance.

Le sénateur Duffy : Par contre, il y a des répercussions fiscales.

M. Johnson : Non. Si elle vend un bien immobilier, y compris un chalet, à une partie indépendante et qu’elle donne le produit en espèces à un organisme de bienfaisance, elle sera exemptée de l’impôt sur les gains en capital.

Le sénateur Duffy : Parfait. Vous nous avez renseignés, le public et moi. Merci.

M. Johnson : C’est très simple.

Le président : Espérons que notre témoignage nous aura permis de générer quelques dons. Vous n’avez qu’à communiquer avec l’organisme de bienfaisance de votre choix.

La sénatrice Omidvar : J’ai deux séries de questions distinctes, mais j’aimerais reprendre vos mots, madame MacKenzie, la démocratisation de la philanthropie. Je m’inquiète des petits organismes de bienfaisance, des causes qui sont essentielles, mais pas nécessairement populaires. Tout comme Me Aptowitzer, qui a laissé entendre qu’il faudrait assurer une certaine protection pour les dons faits dans une optique environnementale ou écologique, envisageriez-vous des mesures incitatives, advenant l’adoption d’une telle proposition, selon lesquelles ceux qui donnent à des organismes de bienfaisance ayant un revenu annuel inférieur à un certain montant obtiendraient un incitatif supplémentaire?

Mme MacKenzie : Je dois admettre que ce n’est pas une disposition que nous avons beaucoup étudiée. Je pense que, si cela servait à uniformiser un peu les règles du jeu pour ce qui est d’acheminer des dons à de petits organismes de bienfaisance, c’est quelque chose qu’il vaudrait la peine d’examiner et d’étudier.

La sénatrice Omidvar : Ma question repose sur les données probantes. Nous avons beaucoup entendu parler de chalets. Aussi jolis qu’ils puissent être, les données probantes révèlent que 60 p. 100 des dons philanthropiques sont destinés aux hôpitaux, aux musées, aux fondations, etc. Rien ne me permet de dire à ce moment-ci que, si c’est approuvé, cela va changer. Donc, je recherche un certain réconfort. Je crois moi aussi que la philanthropie est une bonne chose, mais je souhaite la démocratiser. C’est ce qui me motive. Je vous demande de m’aider ici.

Mme MacKenzie : J’aurais une chose à dire — et je n’ai pas sous la main le chiffre exact; je pourrai certainement vous revenir là-dessus — : je sais que des centaines de milliers de dollars de dons de titres passent par la plateforme de dons CanaDon, une plateforme qui uniformise les règles du jeu concernant les dons de charité et qui facilite grandement les dons à de petits organismes de bienfaisance. C’est un exemple de la façon dont cette disposition profite aux petits organismes de bienfaisance, et pas seulement aux gros.

La sénatrice Omidvar : D’accord. Si je résume, les plateformes, y compris Mardi je donne et toutes ces autres plateformes dont nous avons entendu parler aujourd’hui — c’est fantastique —, les données probantes indiquent tout de même que les donateurs les plus fortunés ont tendance à donner à des organismes de bienfaisance d’un certain type. Merci d’avoir pensé à cette question.

J’ai une autre question à poser, durant le peu de temps qu’il me reste, à M. Johnson.

Monsieur Johnson, vous avez dit qu’il en coûterait environ de 50 à 65 millions de dollars annuellement au gouvernement fédéral.

M. Johnson : En manque à gagner en impôts sur les gains en capital.

La sénatrice Omidvar : Oui. Malcolm Burrows laisse entendre que ce manque à gagner serait de 190 à 440 millions de dollars annuellement, tandis que le directeur parlementaire du budget l’estime à 102 millions de dollars à l’échelon fédéral, en plus de 50 millions de dollars à l’échelon provincial. Pourrions-nous simplement nous entendre pour dire que nous ne le savons pas?

M. Johnson : Comme je l’ai dit plus tôt, le manque à gagner en impôts sur les gains en capital du gouvernement est de 50 à 65 millions de dollars. L’information figurait dans un rapport de l’Institut C.D. Howe, il y a plusieurs années, lorsque se tenait une conférence spéciale visant à favoriser les dons de bienfaisance au Canada. Le coût du crédit d’impôt pour don de bienfaisance se situe à environ 34 p. 100 des 200 millions de dollars, ce qui revient à environ 65 ou 70 millions de dollars. Donc la combinaison des deux — les 50 à 65 millions de dollars, plus les 60 à 65 millions de dollars — représente environ 125 ou 130 millions de dollars pour le gouvernement fédéral. S’il y en a qui veulent remettre ces chiffres en question, j’aimerais les entendre.

La sénatrice Omidvar : Ce sont vos collègues…

M. Johnson : Les 50 à 65 millions de dollars, c’est en présumant que le détenteur des actions de sociétés privées dans l’immobilier va vendre les actifs immédiatement. Ce n’est pas le cas. Le coût réel pour le gouvernement fédéral est la valeur actuelle de ce que le gouvernement recevrait lorsque le détenteur finirait par vendre. Dans l’exemple de mon ami qui possède 6 millions de dollars, il va tout donner à un organisme de bienfaisance si c’est dans le budget de 2019, mais il va garder la somme en réserve pendant des années. Donc, c’est la valeur actuelle du manque à gagner en impôts sur les gains en capital.

Le président : Mesdames et messieurs, merci beaucoup d’être venus ici aujourd’hui. La discussion a été très instructive. Le sénateur Duffy a tenté de faire du débat un argument de vente pour le public. J’espère que cela a fonctionné. J’espère que quelqu’un communique en ce moment même avec l’organisme de bienfaisance de son choix pour faire un don important. Cela serait fantastique.

Si je peux me permettre un commentaire personnel, la chose qu’on ne mesure jamais dans tout cela — dans ce qu’il en coûte au gouvernement en impôts qui ne sont peut-être pas payés —, c’est l’avantage pour les bénéficiaires du travail caritatif, que ce soit l’organisme Centraide d’une collectivité ou quelque autre organisme de bienfaisance qui sert des Canadiens. On ne peut pas mesurer les économies que cela représente pour les contribuables et le gouvernement.

Vous nous avez aidés à clarifier tout cela. Nous vous en remercions.

Nous allons maintenant entendre nos prochains témoins : Keith Sjögren, directeur général, Services de conseil, Strategic Insight; Hilary Pearson, présidente, Fondations philanthropiques Canada; et, enfin, Philip Cho, président, Korean Canadian Scholarship Foundation. Je vous remercie tous d’avoir accepté notre invitation.

Nous entendrons maintenant vos exposés, après quoi nous aurons des questions. Je demanderais à mes collègues de poser des questions courtes et rapides, et je remercie les témoins de bien vouloir donner des réponses semblables, pour que nous puissions poser le plus de questions et donner le plus de réponses possible.

Allez-y, s’il vous plaît.

Keith Sjögren, directeur général, Services de conseil, Strategic Insight, à titre personnel : Merci beaucoup, monsieur le président. J’aimerais juste ajouter qu’en plus de jouer un rôle professionnel à Strategic Insight, j’ai le privilège d’être le président du comité consultatif du programme de maîtrise en philanthropie et leadership dans le secteur à but non lucratif de l’Université Carleton. Je suis ravi que l’une des membres de ce comité soit présente aujourd’hui : Hilary Pearson.

Je tâcherai d’être bref dans mes observations, et je me concentrerai sur le marché des fonds orientés par le donateur au Canada de même que sur les avantages et les enjeux liés à ce mécanisme de dons. Aussi, plutôt que d’utiliser fréquemment l’expression « fonds orientés par le donateur », j’utiliserai le terme FOD pour y faire référence. Cela nous permettra d’aller plus rapidement.

Les donateurs canadiens ont plusieurs options pour structurer leur soutien financier aux organismes caritatifs. Les facteurs qui influent sur le choix des méthodes d’un donateur comprennent l’échéancier du donateur, la source de financement du don, la valeur du don et la volonté du donateur de soutenir une ou plusieurs causes. De plus, le donateur doit se demander s’il faudrait effectuer des recherches supplémentaires sur la cause ou sur l’organisme caritatif.

De plus en plus de donateurs, financièrement capables d’envisager de faire des dons relativement importants et plus stratégiques, choisissent des mécanismes de dons structurés comme les fonds orientés par le donateur. Ces derniers sont des comptes créés au sein d’une fondation publique ou privée existante. Pour créer un compte, le donateur fait un don irrévocable à la fondation, et, en échange, il reçoit un reçu aux fins de l’impôt ainsi que des services administratifs et financiers. Les dons aux fonds orientés par le donateur peuvent être faits sous plusieurs formes : argent comptant, titres et autres types d’investissement, produits de l’assurance ou des legs. Les fonds sont accordés, souvent à terme, par la fondation parraineuse aux donataires reconnus, sur la recommandation du titulaire du compte.

La fondation a la responsabilité de se conformer aux règlements et de s’occuper des questions administratives afin de s’assurer que le compte est géré conformément à l’accord conclu par la fondation et le donateur, ainsi qu’à tous les règlements.

Le versement annuel exigé, effectué par les fondations aux donataires qualifiés, est applicable à l’échelle de la fondation parraineuse, non pas à l’échelle du fonds orienté par le donateur. Puisque les fonds orientés par le donateur ne sont pas uniformisés aux termes d’un règlement, chaque fondation parraineuse a la capacité d’établir ses propres conditions en ce qui concerne les contributions minimales, les soldes minimums à maintenir, les options d’investissement et les différents types de frais.

Les fonds orientés par le donateur existent au Canada depuis 1952 et sont généralement appréciés des donateurs aisés qui sont à la recherche de flexibilité à différents niveaux, mais qui n’ont peut-être pas la capacité ou l’envie de créer une fondation privée. Les titulaires des comptes de FOD sont généralement déjà des soutiens des organismes de bienfaisance. Ils sont généralement âgés de plus de 50 ans, et touchent souvent un règlement à la suite d’un événement de liquidité ou un montant forfaitaire lié à un emploi. Par événement de liquidité, nous parlons de la vente d’une entreprise familiale ou de biens immobiliers.

Comme point de référence — et Hilary pourra me corriger si je me trompe —, sachez qu’en 2016, il y avait environ 5 500 fondations privées au Canada avec un actif global d’environ 41 milliards de dollars et un niveau d’actif moyen de 7,4 millions de dollars. En comparaison, le total des actifs détenus dans les fonds orientés par le donateur était estimé à 3,2 milliards de dollars à la fin de 2016.

Le solde moyen des quelque 10 000 comptes de fonds orientés par le donateur, au Canada, était à la fin de cette année-là d’environ 300 000 $. Le montant total canadien est proche de celui des FOD au Royaume-Uni, mais il est éclipsé par les 285 milliards de dollars d’actifs des FOD déclarés aux États-Unis. Cependant, il faut souligner que les soldes moyens au Canada et aux États-Unis sont semblables.

Les fondations communautaires détiennent un peu plus de la moitié des actifs des fonds orientés par le donateur au Canada, avec un total d’actifs estimé, pour ce type de compte, à 1,7 milliard de dollars. Les autres fondations parraineuses, comme celles associées aux institutions de services financiers et aux entreprises financières, détiennent des actifs estimés à environ 1,5 milliard de dollars.

Nous sommes actuellement en train de rédiger un important rapport sur les fonds orientés par le donateur, qui indiquera que les actifs détenus par un échantillon représentatif de fonds orientés par le donateur ont augmenté d’environ 20 p. 100 par an ces dernières années. Cela reflète à la fois les rentrées de fonds dans ces types de comptes et le rendement du marché sur les actifs non répartis détenus dans ces comptes.

Le changement de la réglementation fiscale fédérale en 2017, qui éliminait les gains en capital sur les dons des titres cotés en bourse, ainsi que l’évolution du profil démographique de la richesse, sont reconnus comme étant les principaux moteurs de la récente augmentation de l’utilisation des fonds orientés par le donateur et de la mise sur pied de fondations destinées spécifiquement à héberger des comptes.

Les fonds orientés par le donateur offrent plusieurs avantages : ils intéressent un large éventail de donateurs, ils permettent d’ouvrir un compte et de travailler en collaboration avec un conseiller financier, ils sont relativement faciles à créer et simples d’un point de vue administratif, ils coûtent moins cher que certains autres choix, et ils permettent aux particuliers de séparer leur planification fiscale de leurs activités philanthropiques. De plus, les gens affirment qu’ils simplifient planification successorale, incitent les jeunes adultes à la philanthropie et permettent, au besoin, aux donateurs de rester anonymes.

Par contre, les fonds orientés par le donateur soulèvent aussi des préoccupations. Les exigences en matière d’information et de déclaration sont très limitées, les fondations parraineuses n’ayant pas l’obligation de divulguer de détails fouillés sur les fonds orientés par le donateur qu’elles détiennent. Il y a clairement un délai entre la perception de l’avantage fiscal et l’octroi de subventions aux organismes de bienfaisance exécutants. Il n’y a pas de taux de décaissement minimal pour les fonds orientés par le donateur individuel, comme c’est le cas pour les fondations privées, et certains croient que l’utilisation des fonds orientés par le donateur, prive en fait, de capital des organismes de bienfaisance exécutants.

Il y en a également qui croient qu’il existe un conflit entre certains intervenants, particulièrement entre les conseillers financiers qui sont rémunérés sur la base des actifs non répartis et les besoins des organismes caritatifs.

Il y a aussi un débat sur la valeur créée pour les donateurs au regard des frais payés aux divers participants des fonds orientés par le donateur.

Outre la nécessité d’améliorer la divulgation de l’information et de fournir plus de détails dans les déclarations, pour les donateurs comme pour le gouvernement, la nécessité d’une réglementation n’est pas tout de suite apparente. Il n’y a peu, pour ainsi dire jamais, de cas de mauvaise gestion des fonds orientés par le donateur, et les fondations parraineuses sont bien gouvernées et reconnaissent que leur rôle n’est pas d’accumuler des actifs pour en tirer des avantages commerciaux, mais de faciliter les dons à des fins caritatives. C’est pourquoi certaines fondations parraineuses pourraient assouplir les restrictions sur les seuils minimaux des dons et des soldes, sur les périodes de détention et les subventions maximales. Il conviendrait également que les fondations donnent aux donateurs l’occasion d’utiliser une partie ou la totalité du capital non réparti détenu dans les fonds orientés par le donateur pour faire des investissements d’impact. Même si leur rendement est inférieur à celui des marchés publics, de tels investissements d’impact contribueraient à la réalisation d’objectifs sociaux spécifiques.

Étant donné la sensibilisation accrue en ce qui concerne les fonds orientés par le donateur, les tendances relatives à la création de la richesse au Canada et les transferts importants de richesse prévus pour les deux prochaines décennies, et étant donné le rôle de plus en plus actif des institutions financières dans la philanthropie axée sur les établissements de détail, nous prévoyons que les actifs détenus dans les fonds orientés par le donateur et le flux des subventions venant de ces fonds continueront à augmenter à moyen terme. Il ne serait pas déraisonnable de s’attendre à ce que le total des actifs de ce type de compte atteigne environ 7 milliards de dollars d’ici la fin de 2024.

Le président : Merci. Je donne la parole à Mme Pearson.

Hilary Pearson, présidente, Fondations philanthropiques Canada : Monsieur Mercer, mesdames et messieurs, membres du comité, je vous remercie de m’avoir invitée à comparaître devant vous aujourd’hui.

Je suis présidente de Fondations philanthropiques Canada, une association pancanadienne de fondations qui octroie des subventions. Aujourd’hui, je parlerai du rôle des fondations de bienfaisance canadiennes, et de la manière dont elles sont encouragées ou bloquées par les politiques fédérales et le régime de réglementation applicable aux organismes caritatifs.

Comme il est mentionné dans le mémoire écrit que nous avons fourni au comité, les fondations canadiennes ont versé ensemble, en 2016, des subventions d’environ 5,7 milliards de dollars à des organismes caritatifs canadiens. Nous réunissons des fondations privées et publiques. Il s’agit d’un montant important, même s’il est réparti entre quelque 85 000 organismes caritatifs du pays.

Je ne suis pas ici aujourd’hui pour discuter du montant versé; j’aimerais plutôt orienter la discussion sur les conditions dans lesquelles les subventions sont octroyées, et de vous montrer qu’il est possible pour les fondations philanthropiques de devenir des bailleurs de fonds plus efficaces dans le Canada d’aujourd’hui. En particulier, nous recommandons que le comité sénatorial encourage le ministère des Finances et l’ARC à entreprendre un examen approfondi du cadre réglementaire prévu par la Loi de l’impôt sur le revenu et s’appliquant aux organismes caritatifs.

Je souhaite souligner un fait important qui a eu lieu justement vendredi dernier, lorsque le gouvernement fédéral a publié un avant-projet de loi qui supprimerait de la Loi de l’impôt sur le revenu les limitations quantitatives sur ce qu’on appelle les activités politiques des organismes de bienfaisance. C’était une première, une réponse très positive au Groupe de consultation sur les activités politiques des organismes de bienfaisance, qui a présenté l’année dernière son rapport au gouvernement. Notre organisme, Fondations philanthropiques Canada, est très encouragé et ravi de voir que le gouvernement fédéral est prêt à supprimer cette disposition qui a dissuadé les organismes de bienfaisance d’apporter leur aide dans l’élaboration des politiques publiques conformes à leurs objectifs de bienfaisance.

C’est une étape très importante dans l’examen de la réglementation et le contrôle des organismes caritatifs, c’est-à-dire de leurs activités, en l’occurrence, leurs activités politiques. Nous apprécions la volonté du gouvernement à aller de l’avant et nous voyons cela comme un signe très encourageant. Nous avons hâte de voir les modifications législatives promises qui seront soumises à la Chambre cet automne.

Cependant, généralement, le système de réglementation fédéral actuel, à notre avis, continue à contraindre inutilement l’utilisation du capital caritatif et empêche la mise en place de partenariats efficaces au sein du secteur caritatif, ainsi qu’entre ce dernier et les secteurs privé et public. Ces contraintes comprennent des exigences disproportionnées en matière de rapport, des règles rigides régissant les relations financières entre les organismes caritatifs et non caritatifs, un manque de clarté dans la réglementation en ce qui concerne les façons dont le capital d’investissement peut être versé aux organismes caritatifs par des fondations de bienfaisance et une attention excessive accordée aux activités des organismes caritatifs, plutôt qu’à leurs objectifs.

Ces contraintes concourent à rendre les organismes caritatifs et les bailleurs de fonds philanthropiques moins novateurs, moins efficaces et moins aptes à contribuer à notre société dans son ensemble. Nous aimerions voir une réglementation fédérale et une loi qui encouragent, plutôt qu’elles ne découragent, les partenariats légitimes et productifs entre les organismes caritatifs, les fondations, les entreprises et les gouvernements. Je pense que mon collègue d’Imagine Canada vous en a un peu parlé ce matin.

Une disposition de la Loi de l’impôt sur le revenu, que nous aimerions voir examiner, concerne le maintien de l’orientation et du contrôle des fonds. Nous joignons notre voix à celle des autres acteurs du secteur caritatif qui recommandent que le gouvernement fédéral change les règles régissant l’octroi de subventions et de prêts aux organismes non caritatifs, qui doivent être faits par convention de mandat, et remplace ces conventions par ce qu’on appelle les conventions de responsabilité en matière de dépenses pour s’assurer que les ressources des organismes caritatifs servent à l’exécution de leur mission. Cela signifierait qu’une fondation aurait la responsabilité de s’assurer que ses fonds sont utilisés à des fins caritatives et devrait les verser à des organismes non caritatifs qui ont également des objectifs de bienfaisance et qui sont disposés à signer un accord avec la fondation.

Aujourd’hui, les subventions et les prêts accordés aux organismes non caritatifs doivent être faits par une convention de mandat par l’Agence du revenu du Canada et qui impose des règles de contrôle et de gestion strictes aux agents eux-mêmes. On peut changer cela sans abandonner le principe selon lequel les fonds de bienfaisance sont utilisés à des fins de bienfaisance.

Pour terminer, nous revenons à notre demande principale : que le comité sénatorial recommande un examen exhaustif de la Loi de l’impôt sur le revenu en ce qui concerne les organismes de bienfaisance. Nous n’avons pas réalisé un tel examen des dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu concernant les organismes de bienfaisance dans les 50 années qui ont suivi l’introduction de ces dispositions, même si nombre d’entre elles ont été mises en place ultérieurement durant les 50 dernières années. Il est insensé qu’aucun examen exhaustif n’ait été réalisé. Beaucoup de ces dispositions ont été introduites séparément et se contredisent. Il n’y a aucune façon de réglementer un secteur important qui contribue énormément à l’économie et à la société canadiennes au XXIe siècle. Il faudra un certain temps pour réaliser l’examen comme il se doit, et idéalement, il devrait être fait en collaboration avec des experts et des intervenants du secteur caritatif, mais il faut le faire.

L’un de nos membres, la Fondation Muttart d’Edmonton, a proposé dans un exposé devant les sénateurs en février 2017, l’année dernière, un certain nombre d’enjeux qui pourraient être examinés. L’un d’eux est que l’examen pourrait inclure une discussion ouverte sur la définition du terme « organisme de bienfaisance », qui n’a pas été modernisée au Canada comme cela a été le cas dans d’autres pays du Commonwealth, comme le Royaume-Uni et l’Australie. L’examen pourrait aussi chercher à savoir pourquoi les appels interjetés par les organismes de bienfaisance à l’égard de décisions de l’ARC doivent être entendus par la Cour d’appel fédérale au lieu de la Cour canadienne de l’impôt, qui est plus accessible. En outre, étant donné que les organismes de bienfaisance ont de plus en plus besoin de générer des revenus en prenant part à des activités commerciales, pourquoi ne pas envisager la possibilité de leur permettre de générer de tels revenus, dans la mesure où ils sont destinés à des activités visant des fins caritatives? Pourquoi la Loi de l’impôt sur le revenu insiste-t-elle autant sur les activités plutôt que sur les fins tout simplement?

Les organismes de bienfaisance sont surveillés de manière déroutante, et l’ARC les force à produire des rapports sur divers types d’activités, dont certaines sont caritatives, d’autres visent le financement, et d’autres encore sont de nature administrative et, bien sûr, politique. Comment décider de manière constante et produire des rapports clairs sur toutes ces activités? Pourquoi ne sont-elles pas toutes considérées comme des activités visant une fin caritative, ce qui est, à la base, accepté par l’ARC?

Devrait-on retirer les activités de la loi? Les tribunaux eux-mêmes ont souligné la confusion et les difficultés que pose la définition des diverses activités des organismes de bienfaisance. Un examen exhaustif permettrait de répondre à certaines de ces questions.

Mon dernier commentaire concerne le rôle des fondations dans le contexte actuel des donateurs, des bénéficiaires et des organisations de la société civile. Les fondations ont sans contredit un rôle unique. Elles fournissent des fonds à long terme. Elles sont capables de prendre des risques calculés, même de s’exposer à un risque d’échec, sans subir de conséquences à court terme. Elles ne comptent pas d’électeurs ni d’actionnaires. Comme elles peuvent prendre des risques et qu’elles fournissent des fonds à long terme, elles peuvent financer des initiatives sociales expérimentales, novatrices et non éprouvées. Ces caractéristiques font en sorte qu’il est d’autant plus important qu’elles soient autorisées et encouragées à verser des fonds de manière flexible et créative tout en respectant les cadres politiques publics.

Merci de votre temps, et je suis disposée à répondre à vos questions.

Le président : Merci. Le prochain intervenant est M. Cho.

Philip Cho, président, Korean Canadian Scholarship Foundation : Merci, mesdames et messieurs les sénateurs. Bonjour. Je m’appelle Philip Cho. Je suis président de la Korean Canadian Scholarship Foundation. J’occupe ce poste à titre purement bénévole. Les dispositions législatives en matière de bienfaisance et le financement ne sont pas des domaines dans lesquels j’ai reçu une formation officielle.

Je préside la KCSF depuis maintenant six ans et j’ai dû apprendre beaucoup de choses en ce qui concerne les organismes de bienfaisance, le financement et même ma propre communauté coréenne du Canada. Mon témoignage d’aujourd’hui sera fondé sur mon expérience à ce poste et sur les discussions que j’ai eues avec d’autres gens qui travaillent au sein de la communauté coréenne du Canada.

Quand je parle de « notre communauté », il faut que vous compreniez que, dans le contexte, je fais principalement référence à la communauté coréenne du Canada de la région du Grand Toronto, mais n’allez pas croire que cela signifie que la communauté coréenne du Canada est en quelque sorte différente de l’ensemble des Canadiens. Seulement, il est plus facile de dire « notre communauté » que de répéter sans cesse la communauté coréenne du Canada.

Merci de me donner l’occasion de vous parler aujourd’hui. Encore une fois, je ne suis pas en mesure de dire précisément en quoi des politiques fédérales ou provinciales particulières touchent notre travail. En fait, j’aimerais vous fournir certains renseignements au sujet de nos activités et vous dire pourquoi le comité pourrait vouloir examiner des façons de favoriser la croissance des organismes communautaires axés sur la culture. Je parlerai des travaux que nous faisons, mais les enjeux pourraient s’appliquer à de nombreux autres organismes communautaires axés sur la culture.

Certains croient que le fait d’avoir des programmes ethnocentriques peut empêcher ou gêner l’intégration au Canada. Sachez que, s’ils sont menés de manière adéquate, ces programmes favorisent en fait une meilleure intégration et une meilleure participation au Canada et sont même peut-être essentiels à ce chapitre.

La KCSF est un organisme de bienfaisance qui a été fondé en 1978. Nous n’avons pas d’employés, mais nous avons recours aux services d’un commis comptable externe. Nous avons un conseil de bénévoles qui compte environ 10 membres et deux comités permanents de bénévoles, ce qui totalise environ 25 jeunes professionnels à l’heure actuelle.

Notre programme de bourses d’études verse annuellement plus de 130 000 $ à quelque 25 étudiants à l’échelle du Canada. Actuellement, nous avons un fonds de dotation d’environ 2 millions de dollars, et un fonds de bourses désigné d’environ 225 000 $. Nous offrons aussi d’importants programmes pour les étudiants et les nouveaux diplômés du secondaire et de l’université. Ces programmes visent le perfectionnement de certaines des compétences générales que doivent maîtriser les jeunes de notre communauté pour réussir au Canada. Nous devons travailler très fort pour amasser des fonds pour ces programmes, qui sont indépendants des fonds du programme de bourses.

Pour appuyer son excellent programme de bourses, la KCSF a commencé à offrir d’autres programmes, car nos membres, qui font partie d’une communauté racialisée, ne profitent peut-être pas toujours pleinement des programmes semblables offerts par la société en général. Par exemple, les programmes généraux sont souvent conçus en fonction d’un Canadien « typique », et souvent les minorités visibles ne se perçoivent pas comme des Canadiens typiques et ont parfois le sentiment de ne pas réellement être des Canadiens. Il se peut qu’on nous demande d’où on vient réellement parce que notre apparence trahit nos racines étrangères. En outre, les programmes généraux n’expliquent pas comment la culture d’un groupe ethnique peut être adaptée ou intégrée à la culture dominante. Bien souvent, ils ne tiennent pas compte des conflits potentiels entre une valeur culturelle précise et ce qui peut être considéré comme une pratique exemplaire au Canada. Ce n’est pas une faille ou un défaut du programme général, car ce dernier n’a jamais été conçu pour aborder ces questions.

D’après notre expérience, de nombreux Coréo-Canadiens ont senti le besoin de séparer leur identité coréenne de leur identité canadienne pour réussir dans la société canadienne. Il serait plus juste de les décrire comme des « Coréens/Canadiens » plutôt que des Coréo-Canadiens. La culture forge et influence les valeurs fondamentales d’une personne et de sa famille en ce qui a trait à la participation à la société canadienne; le fait de devoir ou de vouloir différencier sa culture peut lui causer inutilement un stress ou de l’anxiété, et cela réduit les avantages inhérents d’une société diversifiée.

Le sentiment de devoir distinguer les identités peut parfois être renforcé chez les jeunes, même lorsque nous organisons des festivals du patrimoine coréen et des célébrations de la culture coréenne, car nous continuons de voir la culture coréenne comme une culture ethnique ou autre, ce qui est certainement important pour certains Coréo-Canadiens qui sont venus au Canada à l’âge adulte, mais pour les membres de notre communauté qui sont nés ici ou qui sont venus à un très jeune âge, la Corée n’a jamais été leur pays d’appartenance, et leurs expériences sont uniquement coréo-canadiennes.

Par ailleurs, nous continuons d’accueillir de nouveaux immigrants coréens, et ces membres peuvent éprouver diverses difficultés à s’adapter à la vie au Canada. La langue et la culture sont des obstacles pour eux. Ils ne savent pas être Canadiens de la même manière que ceux nés ici. Des études montrent chez ces jeunes des taux élevés de dépression, d’anxiété et d’autres problèmes de santé mentale, ainsi qu’une grande réticence à demander de l’aide.

Dans le Canada d’aujourd’hui, je crois que nous devrions déployer des efforts pour que les Canadiens à double identité — Coréo-Canadiens, Judéo-Canadiens, Indo-Canadiens, et cetera — puissent sentir qu’ils ont une seule identité qui s’harmonise avec tous les aspects de leur expérience. Ce sera différent pour chacun. Ma coréanité peut être différente de celle de la sénatrice Martin, mais nous ne devrions jamais ressentir le besoin de laisser notre « coréanité » à la maison pour réussir au sein de la société canadienne.

Nos programmes tentent de montrer à nos jeunes membres qu’un Canadien ayant des origines coréennes est aussi Canadien que celui dont la famille est établie depuis maintes générations au Canada. Nous tentons de leur enseigner que l’expérience personnelle unique qu’ils ont vécue en grandissant au Canada est tout aussi canadienne que celle de n’importe qui d’autre et que personne ne devrait y voir une distinction. Ils font partie d’un même ensemble.

Parmi nos programmes, nous offrons aux élèves du secondaire un camp de mentorat qui est organisé par des étudiants de l’université. Nous collaborons avec les étudiants universitaires et les aidons à perfectionner leurs compétences en leadership, en gestion de projet, en travail d’équipe et en expression orale pour qu’ils puissent diriger le camp. Tout au long de la formation et du camp, on discute de l’identité et on parle en toute franchise de la façon de réconcilier ces identités apparemment distinctes pour réussir au Canada.

Nous organisons des conférences, dans lesquelles interviennent des conférenciers uniques qui ont réussi dans la société dominante, afin que nos jeunes puissent avoir des modèles et des mentors qui les guident et les inspirent. Nous tenons chaque année dans la région du Grand Toronto un événement de réseautage très populaire qui attire près de 300 Coréo-Canadiens désireux de connaître la puissance et la valeur du réseautage et d’exercer leurs compétences dans un espace sécuritaire.

En outre, simplement en mettant sur pied ces programmes et ces comités, la KCSF a créé une plateforme et un espace pour permettre à nos membres de trouver des collègues, des pairs et des mentors qui peuvent les aider à s’épanouir sur les plans personnel et professionnel. À titre d’exemple supplémentaire, je reviens tout juste d’une conférence d’avocats à Atlanta. Environ 350 avocats d’origine coréenne des quatre coins du monde y étaient rassemblés. Il y avait des avocats de la Nouvelle-Zélande, de l’Australie, de Dubaï, de l’Allemagne, de l’Argentine, du Brésil, des États-Unis, de la Corée et du Canada. C’est une des seules associations d’avocats au monde qui rassemble des avocats partageant un héritage commun. L’existence de cette organisation n’isole pas les Coréens à double identité de leur pays respectif. Elle procure à ses membres la force et le soutien nécessaires pour qu’ils deviennent des chefs de file et des pionniers dans leur pays respectif. L’autre avantage lié à la croissance de ces organismes communautaires est d’élaborer un réseau d’organismes qui se soutiennent entre eux et qui peuvent aiguiller des membres vers d’autres services en cas de besoin. Ce type d’information n’est pas facilement accessible par l’entremise des organismes généraux ou panasiatiques.

Ce que j’aimerais que le comité retienne, c’est que ces organismes axés sur la culture, qui font du travail indispensable dans leur collectivité, devraient avoir tout le soutien du Canada. Comme j’ai pu le constater, la réalité n’est pas facile. Beaucoup d’organisations différentes sollicitent des fonds auprès des mêmes donateurs, qui finissent par se lasser. Les dirigeants des organisations sont des bénévoles et s’épuisent très rapidement. Les bénévoles ne sont ni des experts ni des personnes officiellement formées pour offrir les services, il y a donc de nombreuses lacunes dans la conception de ces programmes. Il n’y a tout simplement pas assez de ressources humaines pour effectuer adéquatement le travail, amasser des fonds et assurer la conformité avec les cadres réglementaires de manière à favoriser la croissance réelle de l’organisation. Il faut déployer beaucoup d’efforts simplement pour continuer d’offrir le niveau de services ou de programmes très limité.

Lorsque vous écoutez d’autres témoignages d’experts dans le domaine, prêtez une attention particulière au travail important que font les organismes communautaires axés sur la culture pour la grande société canadienne et à la façon dont leur travail peut être amélioré et soutenu. Merci.

Le président : Merci à tous les trois. Vos exposés étaient très intéressants et inspirants. Conformément à nos directives de poser des questions courtes, je vais commencer par une petite question pour M. Sjögren.

Dans votre exposé, vous avez dit : « Nous sommes actuellement en train de rédiger un important rapport. » J’aimerais savoir qui est ce « nous »?

M. Sjögren : Le « nous » représente une société, Strategic Insight. Nous sommes une société de recherche et de consultation située à Toronto, mais nos seuls clients sont les gens du secteur des services financiers, et cela inclut autant le gouvernement du Canada que des entreprises d’investissement relativement petites.

Nous avons constaté un intérêt croissant à l’égard de l’intégration de la philanthropie et de la gestion de patrimoine chez nos clients. En fait, à titre de service pour nos clients, nous avons décidé d’entreprendre une enquête détaillée au sujet des fonds orientés par le donateur. C’est un rapport que nous avons parrainé, et nous serions ravis d’en remettre une copie au comité lorsqu’il sera publié. Nous espérons qu’il soit publié d’ici quatre à six semaines.

Le président : Merci beaucoup. Nous vous serions reconnaissants d’en avoir une copie.

La sénatrice Martin : Je vous remercie tous de vos points de vue et de vos exposés très importants. Je vais commencer avec Philip, qui, je le sais, fait partie de la grande communauté coréenne du Canada.

Je connais l’excellent travail que fait la KCSF depuis des décennies. Ma question est la suivante : utilisez-vous différentes stratégies pour établir votre base de donateurs, particulièrement s’il s’agit de fonds orientés par le donateur ou de dons d’actions d’entreprises privées en immobilier? Examinez-vous ce genre de stratégies? Travaillez-vous avec d’autres organismes de bienfaisance plus expérimentés, collaborez-vous avec eux et établissez-vous peut-être le genre de partenariats auxquels a fait allusion notre autre témoin? Pourriez-vous nous décrire un peu ce que vous faites en tant que fondation?

M. Cho : Nous examinons des stratégies, mais en restons essentiellement à l’étape exploratoire, car, encore une fois, nous n’avons pas les ressources humaines nécessaires. Il faut énormément de temps simplement pour amasser des fonds en vue de notre prochaine activité de financement, diriger les programmes et nous assurer qu’ils sont réalisés de manière adéquate — ce sont tous des bénévoles. Normalement, les gens qui font du bénévolat au sein de notre organisation viennent de la société canadienne traditionnelle. Ce sont des avocats et des comptables qui sont très occupés dans leur vie quotidienne. Nous avons de la difficulté à amasser des fonds pour embaucher des employés à temps plein, ce dont nous avons réellement besoin pour progresser. C’est pratiquement un cercle vicieux, dans la mesure où nous ne pouvons pas examiner d’autres partenariats que nous savons disponibles. Encore une fois, les règles régissant les partenariats et l’obtention des subventions sont parfois si compliquées que le fait de les chercher et de déterminer s’il y a une cause à défendre peut exiger beaucoup de temps et d’efforts. Malheureusement, nous n’avons pas été en mesure de surmonter ces obstacles.

La sénatrice Martin : Madame Pearson, pourriez-vous nous en dire plus au sujet de la complexité et des difficultés qui nuisent aux types de partenariats qui pourraient être établis en plus de ce que vous avez déjà mentionné?

Mme Pearson : Oui. J’ai cité un exemple, soit la relation entre un bailleur de fonds philanthropique et un organisme sans but lucratif, qui doit s’établir dans le cadre d’une convention de mandat. L’ARC a un but légitime lorsqu’elle veut s’assurer que les fonds d’un bailleur de fonds philanthropique servent à des fins caritatives. Personne ne le nierait. Je crois que c’est très important.

La vraie question vise à savoir comment on peut s’assurer que tel est bien le cas sans imposer de lourdes exigences, soit au bailleur de fonds ou à l’organisme de bienfaisance, dans des situations où il y a si peu d’employés ou de capacité pour gérer le tout que l’on abandonne tout effort. Il n’est tout simplement pas possible de le faire.

Je dois dire que les fondations dans l’ensemble, particulièrement les fondations privées, un peu comme la fondation coréenne, ont très peu d’employés; il y a peut-être une ou deux personnes qui travaillent. Habituellement, les fondations privées fonctionnent en accordant des subventions à ce qu’on appelle des donataires reconnus. L’Agence du revenu du Canada et la Loi de l’impôt sur le revenu encadrent le processus de manière assez rigoureuse. Il s’agit d’un processus relativement simple. On peut accorder une subvention en vérifiant auprès de l’Agence du revenu du Canada; il est possible de trouver beaucoup d’information au sujet d’un organisme de bienfaisance en consultant le site web de l’ARC. On pourrait croire, en principe, qu’il s’agit d’un projet assez simple, mais ce qui pose vraiment problème, ce sont les exigences redditionnelles, la volonté de savoir à quoi servira la subvention et le genre de choses qu’il faut demander au bénéficiaire de nous dire pour pouvoir nous conformer aux exigences de déclaration de l’Agence du revenu du Canada.

La sénatrice Martin : J’interviendrai au deuxième tour. Merci.

La sénatrice Omidvar : J’ai une question à poser à chacun de nos témoins. Merci beaucoup d’être ici. Essayez de rester concis.

Monsieur Sjögren, je suis très intéressée par votre point de vue sur les fonds orientés par le donateur, puisqu’il s’agit de l’instrument caritatif qui croît le plus à notre époque, mais il y a des préoccupations quant au manque de transparence et de responsabilisation. Nous ne savons pas réellement si tous les fonds sont déboursés annuellement, car il s’agit d’un montant total. J’ai également entendu parler de la corporatisation des organismes caritatifs avec de plus en plus de sociétés financières qui interviennent, comme Mackenzie, Fidelity, et cetera. Que pensez-vous d’une stratégie simple consistant à assurer la transparence et la responsabilisation à l’aide des renseignements supplémentaires sur le formulaire T3010 des organismes de bienfaisance qui détiennent des fonds orientés par le donateur?

M. Sjögren : L’un des problèmes que nous avons constatés en tant que chercheurs, c’est le manque de renseignements au sujet des fonds orientés par le donateur, puisque les fondations parraineuses ne sont pas tenues de fournir des renseignements quant à la ventilation de tous les comptes. Je ne dis pas que nous avons besoin de rapports sur les comptes en tant que tels, mais à l’heure actuelle, même les rapports rendus publics ne font pas état de l’ensemble des fonds orientés par le donateur. Si on regarde diverses fondations communautaires, elles font la ventilation des fonds considérés comme des fonds orientés par le donateur, et elles fournissent certaines analyses.

Dans le cadre de notre travail, nous nous sommes penchés sur la transparence des fondations communautaires par rapport au peu de transparence des rapports disponibles provenant de ce que j’appellerais des fondations commerciales.

Si on regarde du côté des États-Unis, l’organisme Fidelity Charitable, par exemple, a reçu en 2016 plus de dons que l’organisme Centraide de ce pays. Ses actifs valent plus de 17 milliards de dollars. L’organisme publie un rapport annuel détaillé, de même qu’un bilan et des résultats annuels. Les renseignements disponibles au sujet des parraineurs de fonds orientés par le donateur aux États-Unis sont beaucoup plus nombreux qu’ils ne le sont ici.

Il y a donc certainement des cas où la transparence est plus grande et où il est possible d’examiner les activités sous-jacentes des fondations parraineuses.

Certains parraineurs de fonds orientés par le donateur au Canada exigent en fait qu’un montant à distribuer soit établi pour chaque fonds. Vous en avez mentionné un, soit la fondation associée à Mackenzie Financial. Elle exige de ses détenteurs de compte qu’ils distribuent entre 4 et 8 p. 100.

La distribution moyenne, si on regarde les fonds orientés par le donateur, se situe probablement autour de 12 p. 100, donc de façon générale, le pourcentage des fonds orientés par le donateur distribués est trois fois supérieur à celui exigé d’une fondation privée. Donc, le dossier...

Mme Pearson : Tout organisme de bienfaisance devrait fournir cela.

M. Sjögren : Oui. Comme je l’ai dit, il y a certainement des fonds orientés par le donateur qui ne distribuent rien au cours d’une année donnée. Certains d’entre eux ont été établis aux fins d’héritage afin d’être distribués au moment du décès du titulaire du compte, ce qui n’est pas déraisonnable. Il y a donc des circonstances particulières, mais il y a manifestement des titulaires de compte qui peuvent choisir, pour différentes raisons, de ne faire aucune distribution une année, mais de procéder à une distribution considérable l’année suivante.

La sénatrice Omidvar : Merci. C’était très utile.

Je vais passer à Mme Pearson. Merci pour votre mémoire. J’ai particulièrement apprécié la spécificité de vos recommandations, mais j’aimerais insister sur les contraintes que vous mentionnez, comme les exigences redditionnelles, les relations entre les organismes de bienfaisance et le gouvernement, les limites relatives à la façon d’utiliser les capitaux de placement et l’accent sur les activités plutôt que sur le but. Je vais me servir d’une réplique du sénateur Duffy et vous demander de clarifier ce point pour nos téléspectateurs. Disons l’attention excessive accordée aux activités plutôt qu’aux fins d’un organisme de bienfaisance. Comment cela s’applique-t-il pour les organismes de bienfaisance touchés?

Mme Pearson : Cela passe certainement par le formulaire T3010, l’exigence de déclaration annuelle et, bien sûr, toutes les activités de tenue de livres et de tenue à jour des dossiers administratifs qui doivent se faire pour que l’on puisse bien remplir ce formulaire. L’Agence du revenu du Canada exige beaucoup de détails sur les différents types d’activités que mène un organisme de bienfaisance, il est parfois difficile pour l’organisme de ventiler les données, de dire : « X p. 100 de mon temps a été consacré à une activité administrative, au financement, à une activité politique ou à une activité de bienfaisance », par exemple. Ce sont les différents types d’activités que vous devez déclarer dans le formulaire T3010.

Une organisation qui vise des fins caritatives pourrait prendre part à toutes ces activités et le fait habituellement, particulièrement s’il s’agit d’un organisme qui s’intéresse à la politique publique ou à la défense d’intérêts publics, ce qui veut dire qu’elle peut prendre part également à des activités politiques.

Tout cela doit faire l’objet d’un suivi et d’un rapport. Pour les organismes de bienfaisance qui ont des ressources assez limitées, cela les détourne de leur travail essentiel, qui, encore une fois, vise des fins caritatives. Je ne dis pas qu’il ne devrait pas y avoir du tout de rapports. Je tiens à être claire à ce sujet. Cela s’appliquerait à tous les organismes de bienfaisance, peu importe qu’il s’agisse de fondations, de bailleurs de fonds ou de véritables organismes de bienfaisance qui offrent des services. La production de rapports est importante, la responsabilisation l’est aussi.

En fait, quand l’Agence du revenu du Canada et la Loi de l’impôt sur le revenu elle-même — car on fait référence aux activités dans cette dernière — deviennent la seule manière de surveiller un organisme de bienfaisance, je pense que vous perdez la vue d’ensemble. Il devient question d’examiner chaque détail plutôt que de regarder l’ensemble des activités de l’organisme de bienfaisance et de déterminer si, en effet, elles visent des fins caritatives ou non.

La sénatrice Omidvar : Merci. C’est très utile. J’aurais aimé que nous ayons plus de temps. Puis-je poser une dernière question?

Le président : Vous avez parlé de temps, nous prenons du retard. Allez-y rapidement, je vous prie.

La sénatrice Omidvar : Des témoins ont recommandé l’augmentation des incitatifs, de sorte que plus de gens soient en mesure de contribuer davantage en faisant des dons de biens immobiliers ou en cotisant à un REER. Si on tient compte de ces propositions, diriez-vous qu’il faut offrir d’autres incitatifs aux petits organismes de bienfaisance et renforcer leur capacité afin qu’ils puissent eux aussi tirer profit de cette largesse qui devrait améliorer le secteur philanthropique?

M. Cho : Nous accepterons tout. Encore une fois, je crois que cela se résume à certaines des exigences de déclaration, aux processus et au savoir-faire à l’égard desquels, malheureusement, nous n’avons pas d’expertise.

Un autre problème auquel nous faisons face dans de nombreux cas, c’est lorsque des fonds disponibles viennent de différentes sources, qu’ils viennent de subventions gouvernementales ou de sociétés commanditaires, on a tendance à octroyer des subventions fondées sur le projet, il y a donc très peu d’argent disponible pour l’administration et les frais généraux. L’organisation n’arrive tout simplement pas à s’établir de manière à être autosuffisante et à réellement mettre à contribution les différents outils à sa disposition.

Je sais qu’un de nos donateurs voulait nous accorder une subvention de valeurs mobilières privées, et nous ne savons pas très bien comment cela fonctionne. Chose certaine, il y a la plateforme CanadaDons et, encore une fois, nous devons comprendre cela, et nous travaillons avec le donateur. Ce sont des choses dont on discute tard en soirée en plus de tout ce qui nous occupe dans nos carrières professionnelles.

Le concept, peut-être... Je pense au monde des entreprises en démarrage, aux incubateurs d’entreprises et aux démarches progressives en ce qui concerne les activités entrepreneuriales, si quelque chose comme cela pouvait s’appliquer aux organismes communautaires du secteur caritatif, ce type de soutien permettrait d’accélérer leur croissance.

Le président : Merci beaucoup.

Le sénateur Gold : Merci à tous d’être ici. Je ne saurais être plus d’accord avec vous en ce qui concerne l’importance des fondations axées sur la culture et des fondations communautaires. Seriez-vous d’accord pour dire que, à tout le moins en ce qui concerne les fondations caritatives, cela donne une orientation stratégique pour le renforcement communautaire? C’est-à-dire que la fondation peut agir de manière stratégique et parfois diriger des fonds, y compris des fonds orientés par le donateur, vers des causes qui ne sont peut-être pas évidentes ou frappantes, mais qui en ont vraiment besoin, particulièrement si la fondation ou les professionnels ont établi une relation avec le donateur — comme leurs conseillers financiers, dans certains cas, ce que je connais bien.

Un simple commentaire général sur l’approche de la fondation communautaire dissipe certaines préoccupations quant aux fonds orientés par le donateur et aide aussi à financer des causes moins populaires.

M. Sjögren : Je peux peut-être commencer. Les fondations communautaires, dans l’ensemble, sont d’importants fournisseurs de fonds orientés par le donateur, et, dans le cadre de l’analyse que nous avons réalisée, nous nous sommes penchés précisément sur les frais imposés aux donateurs par les fondations parrainant des fonds orientés par le donateur. Comme on pouvait s’y attendre, les frais totaux qui seraient imposés à un donateur par une fondation communautaire sont considérablement inférieurs à ceux imposés par une fondation associée à un grand courtier en placement.

Du point de vue de la valeur, nous avons également constaté que les fondations communautaires tendent à être plus près des donateurs que les autres types de fondations parraineuses du fait qu’elles offrent des installations d’éducation, elles comptent des groupes de pairs, elles accompagnent ces donateurs pour qu’ils deviennent des philanthropes et elles les encouragent à octroyer leurs subventions à l’échelle locale. Elles jouent un rôle important au chapitre de l’élaboration de ce moyen particulier.

Le fait est que la croissance des fonds orientés par le donateur détenus par les fondations communautaires est beaucoup plus lente à l’heure actuelle qu’elle ne l’est pour les fonds orientés par le donateur détenus par des fondations commerciales.

Le sénateur Duffy : Monsieur Sjögren, vous avez dit que les institutions financières avaient commandé cette étude et s’y intéressaient. Vous l’avez réalisée, mais elle s’adresse aux institutions financières qui ont démontré un intérêt à cet égard.

Comment pouvons-nous amener les banques à participer? Je sais qu’elles ont ces fonds dans leurs portefeuilles, habituellement grâce à leurs volets d’investissement. Lorsque vous achetez un REER, ou peu importe l’opération bancaire que vous faites, comment arrivez-vous à convaincre les banques d’ajouter cela à un aide-mémoire des choses dont il faut discuter avec sa clientèle?

M. Sjögren : Je vous remercie de votre question. C’est une difficulté à laquelle nous avons fait face. De manière générale, les banques admettent généralement qu’il n’y a que le dixième de leurs conseillers financiers qui discutent des dons de bienfaisance avec leurs clients, et le pourcentage est légèrement meilleur lorsqu’on examine les rangs sociaux plus élevés; les conseillers qui font affaire avec des Canadiens bien nantis sont donc plus susceptibles d’évoquer la question.

En fait, si vous demandez aux conseillers pourquoi ils ne parlent pas des dons de bienfaisance, ils répondent qu’ils n’en ont pas les connaissances techniques. Certains d’entre eux disent qu’ils préfèrent ne pas s’engager dans les valeurs personnelles et en rester avec les valeurs financières. D’autres, plus honnêtes, diront que, s’ils encouragent leur client à faire un don, ils risquent de perdre des actifs à partir desquels ils gagnent des revenus.

Mme Pearson : Le témoin précédent, Ruth MacKenzie, de l’Association canadienne des professionnels en dons planifiés, son organisation et la mienne ont publié cette semaine une étude sur les conseillers du secteur caritatif. Elle s’intitule « Doing Good for Business ». Elle contient une série d’études de cas sur les conseillers eux-mêmes et des entrevues réalisées avec ces derniers. Ce sont des gens qui ont connu du succès en parlant de bienfaisance avec les clients. L’intention était de montrer au reste de la communauté de conseillers que c’est une très bonne chose, non seulement pour le secteur caritatif, mais aussi pour leurs propres activités commerciales et leurs propres relations avec les clients.

Le sénateur Duffy : Je vous en félicite, et je salue au passage le sénateur Gold, qui a dit à un groupe de témoins précédent que certaines personnes sont mieux loties qu’elles ne le croient. Je pense que le slogan d’une des banques est le suivant : vous êtes plus riche que vous ne le croyez. Si nous pouvons amener les Canadiens qui ne se croient pas bien nantis à dresser un inventaire et à décider ce qu’ils veulent, c’est une bonne chose.

Le président : Cette publicité vous a été présentée par la Banque Scotia. Merci, monsieur le sénateur Duffy.

Je vous remercie de vos exposés. C’était très intéressant. J’ai une liste de noms de sénateurs qui aimeraient poser plus de questions, mais nous devons passer au prochain groupe de témoins.

Nous allons poursuivre notre audience avec nos prochains témoins. Nous sommes en compagnie de M. James Temple, directeur de la responsabilité d’entreprise de PricewaterhouseCoopers LLP, Canada. Par vidéoconférence, nous avons Kevin McCort, président et chef de la direction de la Vancouver Foundation. Il y a M. Andrew Chunilall, chef de la direction de Fondations communautaires du Canada.

Merci d’avoir accepté notre invitation. Je vais vous demander de présenter votre exposé et d’essayer de respecter le temps qu’on vous a alloué. Je disciplinerai mes collègues afin qu’ils respectent la limite de temps que je leur accorde pour poser des questions lorsque nous serons rendus là.

Nous commençons par M. Chunilall.

Andrew Chunilall, chef de la direction, Fondations communautaires du Canada : Merci, monsieur le président. Je comprends que notre groupe comparaît à la fin d’une longue journée. J’admets qu’il risque d’y avoir certaines redondances, je vais donc essayer de formuler mes propos différemment. J’insisterai moins sur certaines dispositions législatives fédérales et plus sur les tendances que nous observons dans l’industrie, qui ont des répercussions sur le cadre législatif qui régit les organismes de bienfaisance et les fondations au Canada.

Évolution rapide des technologies, changements de génération, bouleversements démographiques et mondialisation accrue... Tous les secteurs doivent s’adapter aux réalités actuelles et futures qui façonnent les collectivités canadiennes. L’économie du XXIe siècle appelle chaque secteur à trouver de nouvelles façons de mener ses activités, en mettant l’accent sur le savoir et sur les réseaux.

En cette période de changement rapide, les Canadiens continuent de compter sur les services, le leadership et l’innovation qu’offrent les organismes de bienfaisance enregistrés, les organismes à but non lucratif et les entreprises sociales dans tous les domaines qui touchent le bien-être des communautés et de la société. Les organismes de bienfaisance et les organismes à but non lucratif ont généré des revenus de 176 milliards de dollars, emploient deux millions de personnes et représentent plus de 8 p. 100 du PIB du Canada. Tout indique que le secteur continuera de jouer un rôle de premier plan. Comme mes collègues d’Imagine Canada l’ont dit ce matin, la demande liée aux services essentiels fournis par les organismes de bienfaisance et sans but lucratif connaîtra une croissance fulgurante pendant la prochaine décennie.

Sous le régime réglementaire actuel, le secteur privé dispose d’une grande souplesse pour s’adapter à l’économie du XXIe siècle, caractérisé par les plateformes, le regroupement et la collaboration entre les secteurs. Les entreprises ont accès au crédit, à des capitaux et à du financement pour atteindre leurs objectifs, et les organisations du secteur privé disposent de la souplesse nécessaire pour concentrer leurs efforts sur le profit, les retombées sociales ou les deux. Cette souplesse est à l’origine d’une augmentation du nombre d’entreprises multimillionnaires, comme Benevity et GoFundMe, qui facilitent l’embauche et les dons en ligne, et qui ont prospéré sur un territoire traditionnellement occupé par les organismes de bienfaisance enregistrés.

À l’heure actuelle, les organismes de bienfaisance enregistrés et les organismes à but non lucratif du Canada se consacrent explicitement aux retombées sociales, et pourtant, ils sont soumis à des restrictions quant à la manière dont ils génèrent ces retombées. Par exemple, des organismes de bienfaisance enregistrés doivent surmonter d’importants obstacles pour travailler avec des donateurs non reconnus, même dans les cas où une telle collaboration serait la façon la plus efficace d’atteindre leurs objectifs caritatifs. Par ailleurs, les organismes de bienfaisance sont aux prises avec une définition restreinte des activités commerciales connexes autorisées, ce qui limite leur capacité de recourir à des entreprises sociales pour mener à bien leurs missions.

La modernisation de la Loi de l’impôt sur le revenu, notamment l’ajout d’un critère quant à l’affectation des profits, comme l’a suggéré le groupe directeur dans son rapport de 2018, peut débloquer la capacité des organismes de bienfaisance et des organismes à but non lucratif de s’engager plus activement auprès des entreprises sociales dans l’intérêt des collectivités canadiennes.

À Fondations communautaires du Canada, nous avons été témoins des rapides changements sociaux et du leadership responsable des organismes de bienfaisance et des organismes sans but lucratif dans les collectivités des quatre coins du Canada. Fondations communautaires du Canada est un réseau national regroupant 191 fondations communautaires dont le travail philanthropique dans une variété de secteurs aide les Canadiens à bâtir des collectivités solides et résilientes. Environ 90 p. 100 des Canadiens ont accès à une fondation communautaire et, en tout, les fondations communautaires détiennent des actifs de 5,4 milliards de dollars. Ces actifs, comme ceux d’autres fondations publiques et privées, servent à financer des organismes de bienfaisance enregistrés, des organismes à but non lucratif et des entreprises sociales. Ce sont des compléments importants aux investissements du gouvernement.

En 2017, Fondations communautaires du Canada a consenti plus de 60 millions de dollars et investi 60 millions de dollars dans des investissements à retombées sociales. En prévision de l’avenir, Fondations communautaires du Canada invite le Comité sénatorial spécial sur le secteur de la bienfaisance à étudier les recommandations suivantes.

D’abord, que l’on procède à un examen attentif de la Loi de l’impôt sur le revenu en vue de moderniser l’encadrement des organismes de bienfaisance enregistrés, conformément aux recommandations formulées par le Groupe de consultation sur les activités politiques des organismes de bienfaisance, mis sur pied par le gouvernement du Canada en mars 2016, et par le Groupe directeur sur la co-création d’une Stratégie d’innovation sociale et de finance sociale en août 2018.

Deuxièmement, que l’on détermine quelle entité gouvernementale devrait avoir la responsabilité officielle du secteur philanthropique dans le but de mettre en valeur et de favoriser plus efficacement le rôle crucial que jouent les organismes de bienfaisance et à but non lucratif dans la société canadienne.

Je vous remercie de votre attention. Je peux répondre aux questions à la fin.

James Temple, directeur de la responsabilité d’entreprise, PricewaterhouseCoopers LLP, Canada : Monsieur le sénateur Mercer, madame la sénatrice Omidvar, merci de m’avoir généreusement invité ici aujourd’hui. Je comparais en tant que directeur de la responsabilité d’entreprise à PwC Canada. À ce titre, je surveille l’équipe responsable d’aider PwC à résoudre les problèmes à l’échelle du pays. Avec les membres de notre équipe répartis à l’échelle du pays, nos clients et nos collectivités, nous nous attaquons à des problèmes sociaux, environnementaux et économiques complexes en mettant à profit nos compétences, nos capacités et notre leadership éclairé pour joindre notre voix à celle des gens qui ne peuvent pas souvent prendre la parole.

PwC compte, au Canada, plus de 6 700 partenaires et employés répartis sur tout le territoire. À PwC, nous nous enorgueillissons de plus de 110 années d’un service d’excellence et nous offrons des services professionnels axés sur l’industrie, notamment dans les domaines de la vérification, de l’assurance, dont l’assurance-risque, de la fiscalité, de la consultation et des transactions. Afin d’aider les organismes sans but lucratif canadiens à faire face à de nouveaux enjeux, nous avons une équipe dévouée de spécialistes et de conseillers qui travaillent en étroite collaboration avec les chefs de fiole en leur offrant une orientation stratégique. Dans le cadre de mon travail, j’ai aussi l’immense plaisir d’occuper la fonction de directeur exécutif de la Fondation Pricewaterhouse Coopers Canada.

Je félicite le comité pour son travail sur les lois et les politiques fédérales et provinciales régissant les organismes caritatifs, les organismes et fondations à but non lucratif et d’autres groupes semblables, ainsi que sur les répercussions du secteur extrêmement important du bénévolat au Canada.

En portant une attention particulière à la façon dont ce secteur à vocation sociale est financé, et compte tenu de mon rôle au sein de l’entreprise, j’aimerais formuler les observations suivantes pour renforcer ce que j’ai entendu aujourd’hui et y ajouter un point de vue opérationnel.

Nous savons que, selon Imagine Canada, le secteur à vocation sociale du Canada est constitué d’organismes de bienfaisance enregistrés, de groupes d’intérêt public, d’organismes sans but lucratif et d’entreprises sociales. Ensemble, ils représentent plus de 8 p. 100 du PIB et se butent à un déficit social croissant, lequel pourrait atteindre plus de 25 milliards de dollars au cours des 10 prochaines années. On parvient à ce chiffre en comparant la demande en services sociaux et la situation de viabilité financière fragile en raison de la population vieillissante et de questions concernant la façon de mobiliser une nouvelle tranche de population à l’échelle du pays. Les fondations, les fonds assujettis aux instructions des donateurs et les autres mécanismes de financement sont essentiels à la survie à long terme de ce secteur. Ils complètent les investissements du gouvernement et nous soutiennent dans la résilience économique pour un Canada encore meilleur.

Nous vivons également dans une société où les gens en sont venus à avoir des attentes à l’égard de ces organismes à vocation sociale et de la façon dont ils interagissent avec nous. Pour continuer de répondre aux attentes du public, le secteur a besoin d’un environnement sûr au sein du gouvernement pour prendre des risques, innover et commettre des erreurs, comme toutes les autres entreprises.

Il n’y a personne avec qui tenir une conversation ciblée au sein du gouvernement. Aujourd’hui, je viens présenter au comité des observations et des pistes à explorer.

Premièrement, il est nécessaire de créer une entité formelle au sein du gouvernement consacrée au secteur à vocation sociale afin de mieux cerner, recueillir et accroître les données utiles liées à la force et à l’incidence de ce secteur à titre de moteur économique important pour la croissance économique et la compétitivité du Canada. J’appuie ce que mes collègues du groupe de témoins ont affirmé à propos du Groupe directeur sur la co-création d’une Stratégie d’innovation sociale et de finance sociale du Canada, par l’entremise d’EDSC, présentée au mois d’août.

Deuxièmement, il est nécessaire de moderniser le cadre réglementaire régissant les secteurs de la bienfaisance et des organismes sans but lucratif. Une attention particulière devrait être accordée à la définition de ce qui constitue un but caritatif par opposition aux activités, ainsi qu’aux mécanismes offerts aux fondations publiques, privées et d’entreprise pour collaborer avec des entités dont les activités ont des retombées sur le public, mais qui ne sont pas des donateurs reconnus actuellement. Cela pourrait comprendre l’établissement de directives précises concernant le droit d’une fondation d’effectuer des investissements ou d’offrir des prêts liés à un programme auprès d’entités à vocation sociale — par exemple, une entreprise à vocation sociale — ou d’investir dans des partenariats public-privé qui offrent un meilleur rendement quant à la vocation sociale et pour les parties concernées.

Pour terminer, il est nécessaire d’élaborer une stratégie pancanadienne concurrentielle et un cadre de travail relativement aux données, comme l’ont mentionné d’autres témoins aujourd’hui.

Je vous remercie de votre attention et je serai heureux de répondre à vos questions.

Le président : Merci beaucoup. Nous allons maintenant donner la parole à M. Kevin McCort, qui témoignera par vidéoconférence depuis Vancouver.

Kevin McCort, président et chef de la direction, Vancouver Foundation : Merci beaucoup. Comme vous l’avez mentionné, je suis actuellement à Vancouver sur des territoires traditionnels non cédés des Premières Nations Musqueam, Squamish et Tsleil-Waututh.

J’ai la chance d’avoir occupé tour à tour pendant 30 ans les rôles de président et chef de la direction, de membre de conseil d’administration, d’employé et de bénévole. Je suis actuellement président et chef de la direction d’une fondation communautaire dynamique qui a versé plus de 1 milliard de dollars et qui assure la gouvernance d’un fonds de 1,2 milliard de dollars. Auparavant, j’ai occupé pendant six ans le poste de PDG d’un des plus importants organismes canadiens de bienfaisance voué au développement international. De plus, près de 20 ans auparavant, j’ai travaillé comme intervenant de première ligne dans le cadre de projets d’aide humanitaire et de développement communautaire dans des pays en développement.

J’appuie sur cette expérience ma réflexion sur le mandat du comité sénatorial et sur les commentaires formulés par le sénateur Mercer et la sénatrice Omidvar, qui ont souligné la nécessité d’outiller les organismes de bienfaisance et de leur permettre d’être davantage en mesure de relever les défis actuels et futurs. Ces opinions sont fondées. Le secteur de la bienfaisance au Canada est extraordinaire et ses acteurs peuvent compter sur le soutien positif et continu des citoyens et des gouvernements. Cependant, il est possible d’améliorer n’importe quel système et, vu que la demande pour nos services demeure très importante, je suis heureux de vous faire part des recommandations suivantes.

Premièrement, je recommande que l’on reconnaisse le rôle essentiel que joue ce secteur pour faire du Canada le pays que nous souhaitons; par ailleurs, la question dépasse le fait d’avoir un secteur de la bienfaisance solide. Il s’agit de reconnaître ce que Henry Mintzberg, professeur à l’Université McGill, a écrit dans son livre intitulé Rééquilibrer la société. Selon lui, dans une société en santé, il existe un équilibre entre le secteur public, formé par des gouvernements respectables, le secteur privé, constitué d’entreprises responsables et le secteur pluriel, formé de collectivités robustes.

Il faut créer une entité dédiée à ce secteur, et pas seulement un organisme de réglementation, comme l’ARC; cela permettra d’envoyer le message que les Canadiens cherchent à conserver l’équilibre social nécessaire pour protéger leur environnement et leur démocratie, et pour assurer un avenir viable à leurs enfants.

Deuxièmement, je recommande que l’on aide les acteurs du secteur à augmenter les revenus et les actifs afin de mieux servir les Canadiens. Une des croyances principales à propos du secteur de la bienfaisance, c’est que les ressources devraient être consacrées à la mission des organismes, et que très peu devrait servir à payer les dépenses de fonctionnement. Au fil du temps, cette croyance a mené à une culture de sous-investissement dans tout le secteur et a fait en sorte que les donateurs s’attendent à ce que les organismes aient de faibles dépenses. Les efforts pour changer ce discours et porter l’attention sur les résultats ou les effets, et non sur les coûts fixes et le coût pour chaque dollar recueilli, ont échoué dans une large mesure. C’est souvent parce que les responsables des organismes de bienfaisance font valoir la faiblesse de leurs dépenses comme un avantage concurrentiel, ce qui entretient l’idée que c’est une bonne chose qu’il n’y ait pas d’investissement dans le secteur lui-même. Pour que les acteurs du secteur de la bienfaisance puissent espérer atteindre un équilibre par rapport aux secteurs public et privé, il faut changer les choses. Les organismes de bienfaisance doivent être en mesure de présenter des bilans et des états des revenus et des dépenses solides, et de dégager un excédent de fonctionnement, tout en produisant des résultats et des effets positifs. Les responsables gouvernementaux se penchent régulièrement sur des recommandations pour aider le secteur privé. Par exemple, au cours des dernières semaines, on a discuté, notamment, de la possibilité de modifier la déduction pour amortissement applicable à certains investissements. Pour ce qui est des organismes de bienfaisance, le comité doit recommander des modifications qui permettront d’augmenter les dons au secteur et les actifs détenus par celui-ci.

Vous n’avez peut-être jamais entendu auparavant cette première recommandation, c’est-à-dire que vous devriez envisager de réglementer les biens non réclamés. La Colombie-Britannique, l’Alberta et le Québec sont les trois seules administrations au Canada où il existe des mesures législatives portant sur la disposition des biens non réclamés. Cela exclut les banques sous réglementation fédérale. La Colombie-Britannique est la seule administration en Amérique du Nord où les biens qui sont jugés ne pouvant pas être retournés sont donnés à un organisme de bienfaisance.

La Vancouver Foundation est l’organisme de bienfaisance qui reçoit ces biens. Nous avons reçu 36 millions de dollars depuis 2004 et donné 100 p. 100 de cette somme à des organismes de bienfaisance de la province. Le système en place en Colombie-Britannique devrait être instauré partout au Canada.

La deuxième recommandation est qu’il faut examiner si les crédits d’impôt et les contingents des versements sont harmonisés avec les priorités du secteur public. Des exemples ont été mentionnés concernant des terres écosensibles; toutefois, ce que l’on veut ici, c’est une augmentation. Les gouvernements établissent et fixent les limites, donc celles-ci peuvent varier en fonction des objectifs des politiques mises en place par les gouvernements. Dans l’ensemble, cette réglementation peut changer en fonction des tendances et de l’utilisation des actifs par les acteurs du secteur.

Il vaut vraiment la peine d’examiner l’augmentation des crédits d’impôt liés à des causes jugées plus importantes ou urgentes ou l’établissement du contingent des versements de façon à inciter certains types d’investissements effectués par des organismes de bienfaisance.

Ma troisième recommandation tient au fait que nous devons faire en sorte d’équilibrer les avantages fiscaux et les avantages sociaux. Pour que le secteur de la bienfaisance conserve le soutien du public quant au statut que lui confèrent les avantages fiscaux, les gens doivent comprendre que le bienfait public l’emporte sur les avantages personnels que les crédits d’impôt peuvent offrir. J’ai deux préoccupations particulières à ce sujet. La première touche les dons liés à des polices d’assurance-vie.

La Vancouver Foundation a récemment refusé des dons très importants d’assurances-vie qui étaient structurés d’une façon qui, à notre avis, ne conférait pas un bienfait social assez important par rapport aux reçus pour don de charité que nous aurions pu délivrer. Nous avons donc modifié notre politique : nous n’acceptons plus de dons effectués au moyen d’une assurance-vie quand il s’agit d’un mineur et nous ne voulons plus remettre de reçus pour don de bienfaisance pour des primes d’assurance-vie payées maintenant, alors que les dons promis ne seront versés que dans plusieurs décennies.

Aussi, comme d’autres témoins l’ont mentionné aujourd’hui, nous avons des préoccupations concernant le contingent de versements relatif aux fondations communautaires et aux fonds orientés par le donateur. Le contingent des versements correspond à un montant minimum que l’organisme de bienfaisance doit dépenser pour ses propres activités caritatives et pour des dons à des donateurs reconnus ou d’autres organismes de bienfaisance enregistrés.

Étant donné qu’une autre fondation ou une fondation communautaire a qualité de donateur reconnu, il est possible de créer des donations circulaires qui, de fait, brisent le lien entre l’avantage fiscal offert et le bénéfice au public conféré. Pour éviter les possibilités d’abus et conserver la confiance du public dans la fondation et la communauté philanthropique, il faudrait peut-être exiger qu’une permission soit demandée si des transferts entre des fondations sont supérieurs à un certain pourcentage des versements annuels de la fondation en question.

Pour gagner du temps, je vais présenter mes dernières recommandations de façon succincte. Ma quatrième recommandation vise à renforcer le capital humain. Nous sommes d’avis qu’il est important que le comité souscrive à l’idée que les organismes versent un salaire de subsistance à leur personnel. Les gouvernements sont les principaux bailleurs de fonds du secteur — 40 p. 100 —, et ils doivent fournir des subventions suffisantes pour permettre aux organismes de bienfaisance d’offrir à leur personnel un salaire suffisant, et nous savons que ce n’est bien souvent pas le cas.

Ensuite, il importe de soutenir la mise en place de pensions transférables pour les travailleurs du secteur. Le réseau d’organismes de bienfaisance et d’organismes sans but lucratif a mené des études approfondies à ce sujet. Je soutiens vivement les recommandations qu’il a formulées concernant la nécessité d’effectuer ce type d’investissement à l’égard des ressources humaines.

Par ailleurs, je vous invite fortement à examiner les crédits d’impôt pour les bénévoles. Selon notre expérience, nous savons que certaines des personnes que nous souhaitons le plus voir joindre les bénévoles œuvrant dans nos organismes de bienfaisance n’ont tout simplement pas les moyens de donner de leur temps. Pour bon nombre de personnes, faire don de leur temps entraîne un important coût de renonciation, et on devrait examiner la possibilité d’offrir une certaine aide pour compenser ce coût.

Pour terminer, comme vous le savez peut-être, j’ai fait partie du Groupe de consultation sur les activités politiques des organismes de bienfaisance; nous avons présenté notre rapport au ministre du Revenu national en mars 2017. J’incite les membres du comité à appuyer pleinement les recommandations formulées par le groupe.

Le président : Merci beaucoup. Nous sommes reconnaissants pour vos trois exposés. Je rappelle à mes collègues que nous tentons de respecter l’horaire. Je demande donc que vos questions soient brèves, et que les réponses des témoins le soient tout autant.

La sénatrice Omidvar : Merci à tous de vos excellents exposés. Pour gagner du temps, je vais raccourcir mes questions. Je vais m’adresser tout d’abord à Andrew et à James. Vous demandez tous les deux la création d’une entité consacrée au secteur. James, vous recommandez une entité réservée au secteur à vocation sociale, et Andrew, vous avez mentionné une entité consacrée au secteur des organismes de bienfaisance.

Pouvez-vous nous en dire un peu plus? Pouvez-vous nous donner des précisions? S’agit-il d’un ministre, d’un rôle d’ambassadeur, d’un ministère disposant d’instruments politiques et budgétaires? S’agit-il d’un organe à l’extérieur ou à l’intérieur du gouvernement? Cette entité consacrée au secteur a été évoquée assez souvent, et il nous serait utile que vous puissiez nous en donner une image un peu plus précise.

M. Temple : Je dirais que c’est une combinaison de ce que vous avez mentionné. Si on examine différentes administrations comme celles du Royaume-Uni, de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande, qui ont été mentionnés, où il existe une entité et un secrétariat au sein du gouvernement, cela nous permet de savoir aussi qu’il sera essentiel de collaborer avec les responsables du secteur ainsi qu’avec ceux des secteurs public-privé et des organismes sans but lucratif pour cerner ce qu’il faudra faire.

Nous avons pu constater, d’après nos observations, qu’il s’agit d’une entité où la fonction d’établissement de rapports est centralisée de façon plus cohérente. Parmi les entités du gouvernement, si on examine la surveillance exercée par l’ARC, de quelle façon pouvons-nous structurer un organe qui pourrait exercer une fonction de surveillance, tout en faisant l’objet de surveillance ministérielle, et qui pourrait aussi aider le gouvernement à faire des économies? Suivant le principe selon lequel ce qui fait l’objet de gestion fait l’objet de mesures, nous pourrons ensuite accroître la quantité de renseignements accessibles afin d’éclairer la prise de décisions et permettre au secteur une certaine souplesse et une capacité d’adaptation par rapport à d’autres secteurs.

M. Chunilall : James a soulevé de bons points. Permettez-moi de poursuivre. Au Royaume-Uni, on a créé la Charity Commission for England and Wales en 2017, il s’agit d’un organe non ministériel. En Australie, on a mis sur pied l’Australian Charities and Not-for-profits Commission en 2012. Du côté de la Nouvelle-Zélande, on a établi les Charities Services et le Charities Register au sein du ministère des Affaires internes. Ce sont trois exemples qui viennent de pays du Commonwealth.

Pour terminer, j’aimerais souligner que, dans les entités données en exemple, les responsables sont arrivés à la conclusion que le fait d’avoir un secteur soutenant un objectif à caractère social harmonisé aux autorités fiscales du pays ne permettait pas d’obtenir des résultats optimaux.

La sénatrice Omidvar : Merci.

Monsieur McCort, votre exposé était bien rempli. Pendant le temps qui m’est alloué, je vais porter mon attention sur une recommandation en particulier, soit que les crédits d’impôt devraient offrir de la flexibilité quant aux priorités de notre pays. Donc, j’imagine que ce que vous voulez dire, c’est que les personnes ou les organisations qui font des dons en argent en faveur de, disons, la cause de la réconciliation, pourraient obtenir un crédit d’impôt plus important que si leurs dons étaient versés à une université ou un hôpital. Est-ce exact?

M. McCort : Oui. Cela s’appuie sur le fait qu’il existe déjà certaines différences liées à des préférences. Il a été mentionné ce matin que les dons de terres écosensibles font l’objet d’un traitement fiscal différent de celui qui s’applique aux dons de biens immobiliers. Je crois que c’est une bonne chose que notre gouvernement examine le fait qu’il est l’organe qui donne des crédits d’impôt et que, au fil du temps, différents gouvernements ont différentes priorités, alors que tous les dons pour des activités de bienfaisance reçoivent le même traitement. Cette situation tient pour acquis qu’ils sont tous aussi bons les uns que les autres, et peut-être que c’est le cas, mais je suis d’avis qu’il est raisonnable qu’un gouvernement reconnaisse que ses priorités changent au fil du temps, et que certaines priorités puissent être extrêmement importantes à un moment donné. On pourrait affirmer que les changements climatiques constituent actuellement le défi le plus important auquel nous faisons face, et que les dons qui y sont liés devraient peut-être être assortis de crédits d’impôt plus importants que ceux octroyés pour des dons visant d’autres priorités, que nous estimons moins urgentes.

Le sénateur Gold : Je suis tenté de prendre part à cette discussion parce que j’ai quelques réserves au sujet du transfert de l’établissement des priorités dans le secteur à but non lucratif et d’autres secteurs selon les caprices changeants de la politique gouvernementale. Cela vaut toutefois la peine d’examiner la question. Je vous remercie de la suggestion.

Merci à tous. Permettez-moi de vous demander de vous prononcer sur une tendance plus générale que j’ai du moins constatée et observée. Ce n’est pas simplement le fait que la tendance au chapitre des dons soit légèrement à la baisse à certains égards et qu’elle décroisse en fonction de l’âge, mais c’est aussi le fait qu’il y a eu un vrai changement et une transition de ce que nous pourrions appeler les dons collectifs vers les dons plus ciblés. Des organismes comme United Way ou Centraide au Québec, qui servent 350 organismes dans mon coin de pays, ont vraiment de la difficulté à continuer de verser les dons que demandent les organismes qu’ils appuient.

Pourriez-vous nous parler des risques qu’il y a à soutenir les causes les moins populaires, les organismes dont la publicité n’est pas tapageuse ou qui ne sont pas branchés, comme on dirait au Québec, pour ce qui est de faire intervenir des vice-présidents de banque ou des groupes consultatifs? Y a-t-il un moyen de régler ce problème? Existe-t-il une solution à ce problème? Ou une politique? Ou est-ce que cela fait simplement partie du changement générationnel lié à l’iPhone et à l’iPad que nous observons dans tous les secteurs?

M. Chunilall : Je suis heureux d’intervenir au début de cette question.

Je pense que vous avez raison, monsieur le sénateur. En ce qui concerne les dons, qu’ils soient à la baisse ou non, le verdict n’a pas encore été rendu. La façon dont nous mesurerions les dons, par exemple, consisterait à examiner toutes les recettes que les organismes à but non lucratif et les organismes de bienfaisance enregistrés ont perçues. Dans ma déclaration préliminaire, j’ai parlé de GoFundMe et, souvenez-vous de la tragédie survenue en Saskatchewan avec les Broncos de Humboldt, GoFundMe a amassé plus de 12 millions de dollars en dons, mais il ne s’agissait pas de dons de bienfaisance parce qu’aucun reçu d’impôt n’a été émis. Cela est-il pris en compte dans les données, lesquelles traitent ensuite de la pertinence du crédit d’impôt pour dons, ce que nous n’avons pas encore abordé?

La deuxième partie de votre question portait sur ce que nous faisons en ce qui concerne les causes moins passionnantes ou moins populaires. Je ne pense pas qu’une cause ou une retombée sociale puisse être moins passionnante qu’une autre. C’est simplement que l’organisme de bienfaisance en soi ne dispose peut-être pas des ressources nécessaires pour faire entendre sa cause ou pour la faire valoir et encourager les dons. Il s’agit en partie de certaines des contraintes du régime de réglementation, parce que la quasi-totalité de vos actifs, définie sur le plan administratif comme étant 90 p. 100 des actifs, devrait servir à des fins de bienfaisance. Comme mon collègue Kevin McCort l’a mentionné, cela ne laisse pas beaucoup de place pour une stratégie de communication, une stratégie d’image de marque, un engagement auprès des donateurs ou même l’élaboration d’une façon novatrice de régler le problème lui-même. Nous devons examiner à plus grande échelle la façon dont nous pouvons moderniser le cadre réglementaire qui permet le renforcement des capacités au sein de la collectivité afin que l’on puisse s’attaquer de façon plus efficace aux problèmes auxquels elle se bute.

Le sénateur Duffy : Nous avons parlé d’avoir un ministre pour les organismes de bienfaisance, quelqu’un qui se rendrait dans les clubs philanthropiques, les écoles secondaires, les écoles primaires et partout dans le pays afin de sensibiliser le public à l’importance de ce secteur.

Dans vos interactions avec le gouvernement au sein des divers groupes de travail et autres, avez-vous l’impression que, au sein du gouvernement, les gens pensent que ce serait une bonne façon de faire que de rassembler tout le monde en un seul endroit? On a l’impression que cela aboutit à l’ARC, presque par accident, parce que c’est l’Agence qui perçoit l’argent et émet des reçus aux fins d’impôts et ainsi de suite.

M. Temple : Monsieur le sénateur, je ne peux pas parler de ce que nous entendons au sein du gouvernement, mais ce que je peux vous dire, c’est ce que nous observons, c’est-à-dire que l’inefficacité créée par une bureaucratie supplémentaire dans le secteur caritatif est ahurissante. Plus tôt aujourd’hui, il y a eu un mouvement et une discussion concernant les frais généraux, le comité pourrait se demander dans quelle mesure nous ajoutons des frais généraux supplémentaires aux organismes de bienfaisance; peut-être s’agit-il d’une conséquence imprévue de la surveillance. Toutefois, pour communiquer les exigences supplémentaires en matière de frais généraux — l’établissement de rapports serait un bon exemple —, il faut préciser à quoi cela servirait.

Le sénateur Duffy : Il s’agit du fardeau réglementaire des organismes de bienfaisance...

M. Temple : Exactement.

Le sénateur Duffy : ... en comparaison avec le rôle de sensibilisation que nous espérons que quelqu’un au sein du gouvernement se chargera de jouer dans l’ensemble du pays.

Le président : M. McCort avait un commentaire par rapport à votre question, monsieur Duffy.

M. McCort : Merci. J’aimerais attirer votre attention sur Affaires mondiales Canada et sur le ministre du Développement international, là où il y a des centaines d’organismes de bienfaisance canadiens qui participent au développement international et qui ont une entité ministérielle au sein du gouvernement. Ils disposent également d’un organisme de réglementation, l’ARC, ainsi que de solides organismes de défense des intérêts ou de solides organismes cadres. Je crois qu’il s’agit en fait de ce dont le secteur caritatif dans son ensemble a besoin, à savoir un point central au sein du gouvernement, un organisme de réglementation solide et un leadership fort de la part du secteur lui-même. On a besoin de trois choses. La réponse ne repose pas que sur un aspect. Il ne s’agit pas seulement d’un organisme de réglementation ou d’un ministre. C’est une combinaison de tout cela.

Selon mon expérience, après 25 ans de développement international, une entité ministérielle est effectivement très avantageuse pour le secteur.

Le sénateur Duffy : Un autre élément du processus de sensibilisation est, par exemple, l’interdiction de fumer. D’ailleurs, l’un de nos témoins de ce matin a mentionné les bacs verts, après quoi il est devenu la norme que les gens recyclent, ainsi que tous les autres changements sociaux qui se sont produits au cours des 20 ou 25 dernières années qui ont modifié le comportement des gens de façon positive.

Le secteur a-t-il envisagé d’organiser des réunions avec le Conseil des ministres de l’Éducation, les provinces, pour voir si on ne pourrait pas mettre en place, même dans les écoles primaires, un genre de cours, un livre, une brochure, peu importe, qui permettrait de décrire les organismes de bienfaisance, ce qu’ils font et comment ils fonctionnent? Nous avons l’UNICEF et la course Terry Fox, entre autres, mais c’est plutôt ponctuel. Si, d’une quelconque façon, nous pouvions intégrer cette notion à la culture des gens dès leur plus jeune âge, cela nous aiderait peut-être plus tard, car les statistiques montrent que la génération du baby-boom vieillit et que, par la même occasion, les dons diminuent.

M. Chunilall : C’est avec plaisir que je vais répondre à cette question. Je pense que vous avez trouvé le bon mot, monsieur le sénateur : culture. Beaucoup d’actions philanthropiques, particulièrement dans le secteur des fondations communautaires, sont le fruit des Rockefeller et des Carnegie de toutes ces années passées. En effet, la philanthropie prévaut toujours au Canada, et beaucoup de bien en résulte.

Cependant, comme nous le savons tous, le pays connaît sa propre évolution culturelle. Le représentant d’un groupe de membres de la communauté coréenne a parlé plus tôt de l’attitude et du point de vue différents des Coréo-Canadiens à l’égard des dons. C’est vrai dans tout le Canada.

Je crois donc que toute initiative qui concerne les dons et qui amène le sujet par l’entremise du système scolaire doit être culturellement riche et sensible à la diversité de nos jeunes partout au Canada. Certes, cela permet de créer des ouvertures pour les dons et de mettre en place un secteur plus solide.

Le président : Il faut reconnaître, monsieur le sénateur Duffy, que certaines administrations au pays exigent que les jeunes obtiennent leur diplôme d’études secondaires pour faire du bénévolat, ce qui, espérons-le, fait partie du processus.

Le sénateur Duffy : Les représentants du secteur ont-ils parlé aux provinces à ce sujet?

M. Temple : Monsieur le sénateur, à ma connaissance, cela ne s’est pas produit. Toutefois, je dirais qu’il y a de grands organismes provinciaux — par exemple, Ontario Nonprofit Network, Bénévoles Canada et Imagine Canada — qui organisent d’importantes discussions, et peut-être convient-il de réfléchir à cette question.

La sénateur Duffy : Je vous remercie.

La sénatrice Omidvar : Merci beaucoup. Je tiens à souligner ce que M. McCort a dit au sujet du capital humain dans le secteur, mais je tiens également à faire savoir à tout le monde que nous avons un groupe complet de témoins qui s’intéressent au sujet; j’essaierai donc de prendre le temps de vous poser quelques questions.

Je pense que ce que vous avez dit concernant la façon dont votre fondation traite les avantages publics par rapport aux avantages privés est en fait une pratique très intéressante et prometteuse que nous devrions examiner et envisager de recommander à d’autres ou, en fait, d’inclure dans la réglementation.

Cependant, je voulais vous poser une question particulière au sujet de votre proposition concernant les crédits d’impôt pour les bénévoles. J’ai des sentiments mitigés à l’égard de cette proposition. Je pense que le bénévolat n’apporte aucun avantage pécuniaire; et si c’est le cas, cela devient alors quelque chose d’autre.

Je suis également d’accord avec le fait qu’il ne devrait pas y avoir d’obstacles inutiles au bénévolat, mais je crains qu’on retire l’essence du bénévolat. Si, d’une façon ou d’une autre, vous assortissez votre déclaration de revenus d’un avantage pécuniaire, à qui cela profiterait-il? Ce sont ceux qui ont un revenu imposable qui en profiteraient. Cela exclurait tous les autres qui ne font pas partie de cette catégorie. Je m’inquiète donc à ce sujet. Pourriez-vous me rassurer? Je pense que c’est ce dont j’ai besoin.

M. McCort : Je vous remercie de votre question. La Vancouver Foundation Act a été rédigée en 1950, et il est très clair que nous n’avons pas le droit de verser de fonds à nos bénévoles. Ce qui a changé depuis les années 1950, c’est que nous tentons activement d’inclure parmi nos bénévoles des gens pour qui le bénévolat est un véritable coût. Il s’agit d’un coût de renonciation qui les éloigne du travail et de leur famille. Nous sommes en mesure de leur rembourser ces coûts, mais nous sommes coincés dans ce cadre en vertu duquel nous sommes incapables de vraiment comprendre quel est le coût total du bénévolat pour une personne.

Je suis d’accord avec votre point de vue. Nous pouvons embaucher du personnel s’il le faut, mais là n’est pas la question. Il s’agit de régler la question du coût de renonciation chez les gens qui se butent à des obstacles dans le système actuel lorsqu’ils veulent participer, et d’essayer d’éliminer ces obstacles. Qu’un crédit d’impôt remboursable soit offert ou non, il y a plusieurs façons dont le régime fiscal rend effectivement de l’argent aux gens.

Je n’ai pas la réponse à cette question, mais je sais que nous cherchons des façons d’agir, en particulier en ce qui concerne les jeunes, les communautés autochtones, les mères monoparentales, qui sont des voix que nous souhaitons entendre à la fondation; cependant, des obstacles nous empêchent de les encourager à participer. Un crédit d’impôt, comme vous le soulignez, n’est pas utile si la personne n’a pas de revenu imposable. Il y a matière à réflexion; nous ne connaissons pas exactement la réponse, mais nous pensons qu’il faut étudier les moyens d’encourager les gens pour qui faire du bénévolat est effectivement très difficile.

Le président : Il convient de souligner, sénatrice Omidvar, quelques études antérieures réalisées par des comités sénatoriaux spéciaux. Par exemple, dans l’une des recommandations contenues dans le rapport du Comité spécial du Sénat sur vieillissement, il était question de la reconnaissance des bénévoles. En fait, je siégeais à ce comité, et cette question a été soulevée lors d’une séance que nous avons tenue à Vancouver. L’endroit où nous nous sommes réunis comptait une grande quantité de bénévoles, mais le plus gros problème de ces derniers était le coût du stationnement au centre-ville de Vancouver. Ils étaient prêts à faire du bénévolat, mais il s’agissait d’aînés dans la plupart des cas, et le coût du stationnement au centre-ville de Vancouver a mis un frein à nos tentatives de trouver une solution créative. On doit donc examiner la question sous d’autres angles.

La sénatrice Omidvar : Permettez-moi d’approfondir un peu la question. Lorsque nous avons reçu des propositions visant à améliorer le crédit d’impôt ou le régime relatif aux organismes de bienfaisance, nous avons toujours cherché à obtenir des réponses quant aux coûts que cela entraînerait dans le budget. Disposez-vous d’une estimation à cet égard, ou connaissez-vous des études que nous pourrions examiner?

M. McCort : Prenez, par exemple, le crédit d’impôt pour les pompiers volontaires, pour lequel il est établi que, si vous donnez un certain nombre d’heures, disons 200 heures par année, vous pouvez déduire environ 3 000 $ de votre revenu.

L’exemple que je donnais concernait les cas où il y a une partie précise de la population qui effectue un nombre important d’heures de travail non payées pour l’intérêt public. Comment, alors, pouvons-nous mettre à profit un autre intérêt public, soit notre système fiscal, qui élimine les obstacles auxquels se butent les gens afin que l’on puisse reconnaître ce comportement et espérons-le, inciter les gens à agir de cette façon?

Comme je l’ai mentionné, je n’ai pas de solution précise, mais il y a beaucoup d’obstacles au bénévolat. Comme l’a soulevé le secteur, 12 millions de personnes font du bénévolat, mais ce nombre est en baisse. Il s’agit donc de quelque chose à examiner afin de préserver notre bassin de bénévoles dans l’avenir.

La sénatrice Omidvar : Cette référence aux pompiers volontaires était très utile. Merci.

Je m’intéresse à votre expérience antérieure à la tête d’un organisme de bienfaisance en matière de développement international. Nous n’avons pas beaucoup entendu parler, jusqu’à présent, des obstacles nuisant à l’aide internationale, des restrictions par rapport aux dons de charité. Pourriez-vous nous dire rapidement quels sont les obstacles les plus importants auxquels se heurtent les Canadiens lorsqu’ils veulent donner de l’argent pour des causes ou des enjeux internationaux?

M. McCort : Un obstacle important sont les dispositions sur la direction et le contrôle mises en place par l’ARC, selon lesquelles un organisme de bienfaisance canadien ne peut faire de don qu’à un programme sous sa direction et son contrôle. Cela va en fait à l’encontre de plusieurs convictions des organismes de bienfaisance, qui souhaitent travailler avec des partenaires dans le cadre d’un partenariat où il n’y a pas de relation supérieur-client et où il s’agit plutôt d’un travail d’équipe. De nombreux organismes de bienfaisance éprouvent de grandes difficultés à mettre en place des accords pour prouver à l’ARC qu’ils ont une direction et un contrôle tout en collaborant avec leurs partenaires dans un véritable esprit d’équipe. Voilà un exemple précis où la modernisation de l’infrastructure serait très profitable pour les organismes de bienfaisance. Il s’agit du côté opérationnel.

Lorsqu’il s’agit de Canadiens qui donnent à des organismes de bienfaisance, certains obstacles se dressent. Je suis absolument en faveur du regroupement dans le milieu, processus dans lequel les organismes de bienfaisance se réunissent et lancent un même appel pour une grosse catastrophe plutôt que de lancer plusieurs appels en concurrence. La Coalition humanitaire est un organisme que vous pourriez inviter afin d’apprendre comment la collaboration entre ce qui serait normalement considéré comme des compétiteurs a généré d’importants bénéfices pour les organismes de bienfaisance, pour les bénéficiaires à l’échelle internationale ainsi que pour les donateurs canadiens. Voilà deux exemples précis.

Le président : Ce sera notre dernier intervenant.

Le sénateur Gold : Merci. J’ai simplement quelques commentaires brefs ainsi qu’une question. Ils s’adressent tous à vous, M. McCort. Je suis entièrement d’accord avec vous en ce qui concerne les difficultés relatives aux partenariats internationaux. J’ai moi-même vécu cela ainsi qu’un audit de l’ARC à cet égard. C’est un supplice pour les organismes que de créer des conventions de mandat de bonne foi lorsqu’ils font affaire avec des partenaires qui sont parfois, très franchement, plus dominants et importants qu’eux.

Deuxièmement, par rapport à un commentaire portant sur la reconnaissance, d’une certaine façon, du bénévolat, qui a été fait dans un autre comité du Sénat auquel je siège, nous réalisons une étude portant sur la recherche et le sauvetage. Nous avons découvert que l’un des réels défis dans le Nord, que notre comité va bientôt visiter, c’est que l’une des catégories de bénévoles qui effectuent un travail extrêmement important de recherche et de sauvetage, puisque le gouvernement ne peut le faire, sont des bénévoles et ne peuvent pas être rémunérés. Il y a un autre groupe, faisant partie des gardes, qui fait un travail remarquable rémunéré. Cela a un effet dissuasif auprès des personnes qui souhaitent participer bénévolement là où leur aide serait la bienvenue, car elles ne peuvent pas être indemnisées adéquatement. Cela s’applique à de nombreux domaines où des gens travaillent pour l’intérêt public.

Je suis très intéressé par les préoccupations que vous avez exprimées et par les politiques que vous avez adoptées par rapport au don d’une police d’assurance-vie. Je préside le comité de dons planifiés d’un grand orchestre du Canada. Nous insistons sur les dons de police d’assurance-vie parce qu’il s’agit d’un moyen important de bâtir notre fondation.

Quels sont les principes et les politiques que vous avez élaborés qui pourraient nous être utiles afin d’éviter de faire la mauvaise chose avec les meilleures intentions?

M. McCort : Je vais parler précisément des dons que nous avons refusés. Comme vous le savez, il y a de nombreux dons de police d’assurance-vie qui correspondent aux intérêts des organismes de bienfaisance, mais comme pour toute chose, les limites peuvent être poussées jusqu’à ce que les dons ne soient plus acceptables. Dans notre cas, une de ces limites a été franchie lorsque quelqu’un nous a proposé une assurance-vie pour un mineur, quelqu’un âgé de moins de 18 ans. Cela nous posait deux problèmes. Le premier étant la question du consentement. Cette personne est-elle effectivement présente? Cette personne a-t-elle donné son consentement? Nous croyons que non. Donc, il serait inapproprié de notre part d’accepter la police d’assurance-vie d’un mineur. Nous ne les acceptons plus. Nous ne les avons jamais acceptées, mais nous ne les accepterons pas si quelqu’un le propose.

Le deuxième problème concernait la date d’échéance. Encore une fois, cela s’est produit avec des mineurs, mais pourrait se produire avec quelqu’un dans la vingtaine, car la date d’échéance pourrait bien être 70 ans à partir du moment où les frais de l’accord sont payés. Lorsque nous recevons un don de police d’assurance-vie, cela peut se faire de deux façons différentes.

Dans le premier cas, le propriétaire de la police lègue les recettes à une fondation et chaque fois qu’il paie la prime, il obtient un reçu d’impôt. L’autre cas survient lorsque l’organisme de bienfaisance paie la prime à même ses frais de fonctionnement en prévision d’un don.

Quand la réalisation de la police et la prime sont rapprochées, cela nous semble raisonnable. Si l’écart de temps entre l’émission d’un reçu d’impôt et le moment où l’argent est donné à un organisme de bienfaisance et génère une retombée sociale est trop long, dans de tels cas, nous préférons ne pas accepter le don. Il y a deux raisons à cela. La première est que la perception et l’éthique du don n’équivaut pas au bienfait d’intérêt public et à l’avantage fiscal pour la période en question. La deuxième est plus concrète. Lorsque nous payons une prime d’assurance, celle-ci est inscrite dans nos livres de compte comme des frais d’administration et non comme un don de bienfaisance. Vous pouvez avoir une augmentation importante de vos frais d’administration sans avoir d’augmentation concomitante au niveau des dépenses d’ordre caritatif. Cela donne une mauvaise image de l’organisme de bienfaisance aux yeux des donateurs qui se questionnent sur le ratio entre les frais d’administration et des dépenses en dons de bienfaisance.

Le président : Messieurs, un grand merci à vous trois. C’était très intéressant. Comme vous pouvez le constater, vous avez fait naître un bon nombre de questions et de discussions. Nous allons évidemment examiner le tout lorsque nous allons faire nos recommandations plus tard.

J’aimerais rappeler à tous mes collègues que nous nous rencontrons demain matin à 9 heures dans cette même salle. Puisque le Sénat va siéger demain, nous aurons terminé au plus tard à 15 heures afin que vous puissiez participer à la prise de présence en Chambre. Si vous siégez ici pendant une séance de comité, vous serez inscrits comme étant absents selon nos règles. Nous allons donc avoir terminé au plus tard à 15 heures pour éviter une telle situation.

Je pense que nous avons eu une journée productive. Je suis satisfait des deux derniers jours. Nous avançons considérablement dans l’échéancier que nous nous sommes fixé il y a quelque temps.

(La séance est levée.)

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