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ENEV - Comité permanent

Énergie, environnement et ressources naturelles

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent de
l'Énergie, de l'environnement et des ressources naturelles

Fascicule nº 18 - Procès-verbal du 8 décembre 2016


OTTAWA, le jeudi 8 décembre 2016

Le Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles se réunit aujourd'hui, à 8 h 5, pour étudier les effets de la transition vers une économie à faibles émissions de carbone.

Le sénateur Richard Neufeld (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bienvenue à la réunion du Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles.

Je m'appelle Richard Neufeld. Je représente la province de la Colombie-Britannique au Sénat et je préside ce comité.

J'aimerais souhaiter la bienvenue aux honorables sénateurs, aux membres du public qui sont dans la salle avec nous et aux téléspectateurs de partout au pays qui suivent nos délibérations à la télévision. Je rappelle à tous ceux qui nous regardent que les séances du comité sont ouvertes au public et disponibles en webdiffusion sur le site web du Sénat du Canada. Vous pouvez également obtenir de plus amples renseignements sur les témoins prévus à l'horaire sur notre site web à la rubrique « Comités du Sénat ».

Je vais maintenant demander aux sénateurs de se présenter eux-mêmes, mais je vais commencer par présenter notre vice-président, le sénateur Paul Massicotte du Québec.

Le sénateur Massicotte : Bonjour.

La sénatrice Fraser : Joan Fraser, Québec.

Le sénateur Patterson : Dennis Patterson, Nunavut.

Le sénateur Lang : Daniel Lang, Yukon.

La sénatrice Seidman : Judith Seidman, Québec.

La sénatrice Raine : Nancy Greene Raine, Colombie-Britannique.

Le président : J'aimerais également présenter notre personnel en commençant par notre greffière, Maxime Fortin, assise à ma gauche. À ma droite, voici nos deux analystes de la Bibliothèque du Parlement, Sam Banks et Marc LeBlanc.

Nous amorçons aujourd'hui la 27e séance de notre étude sur les effets de la transition vers une économie à faibles émissions de carbone. Cette transition est requise pour atteindre les cibles annoncées par le gouvernement du Canada en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre.

Pour la première partie de notre séance, j'ai le plaisir d'accueillir, de la Fédération canadienne des municipalités, M. Clark Somerville, président, et Mme Dallas Anderson, gestionnaire, Politiques et recherche. Je crois que vous allez nous présenter une déclaration préliminaire; par la suite, nous passerons aux questions. Je vous remercie d'avoir accepté de venir témoigner ce matin.

Clark Somerville, président, Fédération canadienne des municipalités : Merci beaucoup.

[Français]

Merci beaucoup, honorables sénateurs. Je suis très heureux de comparaître devant votre comité.

[Traduction]

Je tiens à remercier les membres du comité de nous avoir invités à venir exposer le rôle capital que peuvent jouer la FCM et le secteur municipal dans la transition du Canada vers une économie à faibles émissions de carbone.

La Fédération canadienne des municipalités est le porte-parole national du secteur municipal canadien. Nous sommes la seule organisation nationale qui compte des membres dans toutes les circonscriptions du pays.

Nos 2 000 membres représentent 91 p. 100 de la population canadienne dans chaque province, chaque région et chaque territoire, dans les grandes villes, les villes rurales et les collectivités rurales et isolées du Nord. Nous comprenons très bien que les villes et les collectivités des diverses régions du pays sont en première ligne pour faire face aux changements climatiques. Autrefois, les municipalités se préparaient à affronter de grandes perturbations météorologiques une fois tous les 100 ans. De nos jours, les situations d'urgence liées à la météo sont de plus en plus fréquentes, que l'on pense aux incendies de Fort McMurray, aux tempêtes de glace du Sud de l'Ontario ou aux inondations à Calgary.

La bonne nouvelle, c'est que les municipalités sont également à l'avant-garde pour ce qui est de trouver des solutions à ces événements climatiques. Les villes et les collectivités du Canada ont déjà endossé le rôle indispensable de leader dans l'adaptation aux changements climatiques et la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Les administrations locales du pays exercent une influence sur environ la moitié des émissions de gaz à effet de serre du Canada.

De plus en plus, les décisions que nous prenons mettent l'accent sur la durabilité — comme c'est le cas à Nelson, en Colombie-Britannique, où la municipalité a entrepris des travaux de rénovation des bâtiments, pris des initiatives vertes pour son parc automobile et offert des ateliers de sensibilisation des intervenants qui ont permis de réduire de 20 p. 100 les émissions par comparaison aux résultats obtenus en 2016, ou encore à Guelph, en Ontario, où une initiative communautaire sur l'énergie permettra de réduire la consommation énergétique de 50 p. 100 dans les immeubles, dans l'industrie et dans les transports, d'ici 2031. Partout au pays, plus de 300 municipalités se sont engagées publiquement à réduire les émissions dans le cadre du programme Partenaires dans la protection du climat de la FCM. Ces 300 collectivités représentent 65 p. 100 de la population canadienne.

Il importe de souligner que les pratiques les plus novatrices et les plus rentables sur la réduction des émissions de carbone sont élaborées au niveau local. En conséquence, les administrations locales ont acquis une réelle expertise en matière de durabilité. Pour que le Canada puisse atteindre les ambitieux objectifs fixés par l'Accord de Paris signé l'an dernier, il faudra mettre à profit les compétences acquises dans ce domaine au niveau local. Il faudra habiliter les administrations locales et développer les solutions éprouvées. Il est tout simplement impossible de réaliser les progrès qui sont attendus de nous sans solliciter la participation des leaders locaux sur le terrain qui, chaque jour, œuvrent en faveur de la durabilité.

La généralisation de l'innovation verte aurait un effet transformateur pour la population, pour les collectivités et pour la planète. Une analyse réalisée par la FCM un peu plus tôt cette année a constaté que si l'on atteint les cibles de réduction des émissions d'un groupe choisi de 23 municipalités canadiennes représentant 8,6 millions d'habitants, il serait possible d'éliminer plus de 51 millions de tonnes de GES d'ici 2030. C'est facilement le quart des réductions que le Canada doit réaliser, selon le directeur parlementaire du budget, pour atteindre les cibles fédérales. Par conséquent, les solutions existent et le potentiel est énorme.

La transition vers une économie à faibles émissions de carbone et résiliente au changement climatique nécessitera la collaboration de tous les ordres de gouvernement. Je suis ici pour vous dire que les villes et les collectivités du Canada ainsi que leurs administrations sont prêtes à retrousser leurs manches et conclure des partenariats. Des représentants de la FCM étaient à Paris, au sein de la délégation canadienne officielle, afin de prendre part à l'événement historique de la COP21. Nous avons également participé à la COP22, le mois dernier à Marrakech et, l'été dernier, à notre congrès annuel à Winnipeg, les leaders municipaux ont adopté à l'unanimité une résolution appuyant l'engagement du Canada à Paris.

Les leaders municipaux constatent avec plaisir que le gouvernement fédéral comprend le rôle central que les administrations locales doivent exercer pour bâtir un avenir plus durable. Le budget de 2016 comprenait un nouvel investissement en capitaux de 125 millions de dollars dans le Fonds municipal vert de la FCM qui est le leader du Canada en matière de solutions climatiques locales. De ce fait, la FCM s'est vu confier un nouveau programme fédéral pour aider les municipalités à adopter des solutions climatiques novatrices.

Pour faire de véritables progrès dans le domaine du changement climatique, il faudra multiplier les investissements stratégiques axés sur les compétences locales. Après tout, ce sont les dirigeants locaux qui connaissent le mieux les besoins des collectivités et les projets qui offrent le meilleur rendement.

Plus précisément, la deuxième phase du plan fédéral d'infrastructure doit réserver dans son volet d'infrastructure verte des fonds pour appuyer les projets d'atténuation et d'adaptation à grande échelle au niveau local. Des projets comme ceux-là, qui consistent aussi bien à améliorer le rendement énergétique qu'à se préparer à des conditions climatiques extrêmes, sont indispensables pour réduire les GES et protéger la qualité de vie qu'attendent les Canadiens. Bien entendu, ce type d'investissement doit également prendre en compte les besoins particuliers du Nord canadien en matière de résistance au changement climatique. La deuxième phase doit aussi proposer des ressources prévisibles aux administrations locales pour l'aménagement de leur réseau de transport. Les municipalités ont déjà mis en œuvre certains projets qui permettront de réduire les émissions de gaz à effet de serre, de créer des emplois et de bâtir des collectivités plus durables. Pour débloquer ce potentiel, nous devons trouver une solution à la capacité fiscale limitée à laquelle sont confrontées en si grand nombre nos administrations locales.

Les différents ordres de gouvernement continuent de se mobiliser contre le changement climatique. Les dirigeants municipaux sont convaincus que le partenariat est la voie indispensable vers le progrès, un partenariat qui tire parti des forces de chacun d'entre nous. Les administrations locales sont prêtes à conjuguer leurs efforts, car elles luttent déjà quotidiennement contre le changement climatique et parce qu'elles considèrent que c'est le minimum que l'on puisse faire pour le bien de nos enfants et de nos petits-enfants.

Je vous remercie et je me tiens prêt à répondre à vos questions.

Le président : Merci beaucoup. Nous allons pour commencer donner la parole au vice-président, le sénateur Massicotte.

Le sénateur Massicotte : Merci à tous les deux. Je crois que nous sommes tous d'accord pour dire que les municipalités sont en première ligne pour servir la population canadienne et qu'elles exercent également un rôle extrêmement important dans la gestion et la réalisation de nos objectifs en matière de changement climatique. Félicitations, et je dois dire que nous sommes vraiment tributaires de vous pour atteindre ces objectifs.

J'aimerais présenter quelques observations et je vous demanderai d'y réagir afin que je puisse savoir si j'ai une bonne compréhension de la situation. Nous savons que l'urbanisme peut, bien entendu, nous aider énormément non seulement à atteindre nos objectifs en matière de changement climatique, mais également en faveur d'une plus grande efficience, d'une infrastructure verte et de moyens de transport verts. C'est fondamental pour la conception de nos villes et pour les habitants de ces villes. Il y a une cinquantaine d'années est apparu le concept des nœuds de transport en commun, concept selon lequel il faudrait encourager une très forte densité autour des nœuds principaux pour pouvoir réduire les coûts d'infrastructure et diminuer les émissions de CO2. Il faudrait essentiellement décourager l'étalement urbain, l'exode de la population vers les banlieues. La théorie est très claire et pourtant, décennie après décennie, nous constatons que beaucoup de villes ne l'appliquent pas. En fait, je lisais la semaine dernière que l'on prévoit construire une gare ferroviaire à Montréal et je ne comprends pas pourquoi on refuse d'augmenter la densité urbaine autour de cette future gare, alors qu'on devrait construire des immeubles de 20 étages dans le voisinage. Je vois constamment des villes construire de nouveaux ponts, de nouvelles routes vers les banlieues, ce qui ne fait que contribuer à augmenter le nombre d'habitants qui y vivent, ainsi que la congestion sur les routes. Quel est le problème? Pourquoi est-ce si difficile à réaliser? Théoriquement, c'est très clair et très évident, et pourtant beaucoup de villes ne suivent pas cette approche supposément meilleure en matière d'urbanisme.

M. Somerville : Je vais donner mon point de vue personnel, tant pis si l'on me reproche de m'éloigner de mes notes. En Ontario, la province a adopté la Loi sur les zones de croissance qui permet de désigner certaines régions de l'Ontario comme des zones de croissance planifiée. Ma propre ville de Halton Hills, localité qui se trouve à une heure de route à l'ouest de Toronto, prend des mesures pour planifier une croissance qui ne manquera pas de survenir et tenir compte de ces densités. Il ne s'agit pas de mettre en place des services de transport en commun de niveau supérieur, métro, bus, transport en commun rapide ou SLR, mais de nous assurer que les zones de croissance se trouvent à proximité des services de transport en commun.

Si l'on prend l'exemple de Vancouver, on constate que la croissance s'est énormément intensifiée le long des lignes de transport en commun, par exemple le long de la ligne Canada ainsi que dans les environs de False Creek où ce type de croissance s'est produit, mais je pense que nous devons surtout changer nos mentalités à propos de ces zones de transport en commun. Cela finira par se produire avec la croissance, mais les gens veulent avoir un jardin, une maison unifamiliale ou une vie de banlieusard. Pourtant, je crois que les choses bougent dans les banlieues, en particulier dans le Sud de l'Ontario où l'on peut constater que les terrains sont de plus en plus petits. Il y a de plus en plus de logements superposés et de maisons jumelées. Petit à petit, les choses évoluent. Je pense qu'il nous faut juste du temps.

Le sénateur Massicotte : J'ai toujours pensé que les transports en commun, le bus et autres services urbains sont excellents pour lutter contre le changement climatique, mais des témoins de l'Association des transports nous ont dit que l'achalandage des transports urbains n'a pratiquement pas évolué. La fréquentation des transports en commun augmente légèrement lorsque la population active augmente et que les gens sont plus nombreux à se rendre au travail. Sinon, l'achalandage n'augmente presque pas et demeure stationnaire autour de 20 ou 21 p. 100. En fait, le gouvernement précédent avait décidé d'offrir aux usagers un crédit d'impôt pour le transport en commun. Ce crédit d'impôt n'a absolument pas augmenté la fréquentation. Le soir, les transports en commun autres que les bus urbains sont pratiquement vides.

J'en conclus que les transports en commun ne vont pas contribuer à notre objectif en matière de changement climatique, mais c'est un important service pour les Canadiens, un service sûr et pratique. Ce n'est pas une question de changement climatique. C'est tout simplement une question d'urbanisme, de densité et dans le but d'offrir des transports en commun aux citoyens. Ai-je bien compris? Quel est votre point de vue à ce sujet?

M. Somerville : Il est important de mettre en place des réseaux de transport en commun, étant donné que la congestion qui sévit dans les villes a un impact économique réel. Un bon réseau de transport en commun permettra aux gens de se rendre plus rapidement au travail et d'en revenir. Il facilitera également le transport des marchandises et le commerce. Il suffit pour s'en convaincre de regarder la circulation sur l'autoroute 401 et le temps qu'il faut actuellement pour se rendre d'un bout à l'autre de la ville.

Avec les transports en commun, il n'y a pas de problème. Par ailleurs, le transport en commun a une incidence positive sur l'économie, puisque chaque dollar investi produit 3 $ en PIB, en particulier grâce au nombre d'emplois créés. Le transport en commun est un élément important, mais là encore, il faut encourager les gens à l'utiliser pour qu'il soit vraiment utile. Si le transport en commun est disponible, les gens l'utiliseront. Si le transport en commun est pratique, ils l'utiliseront. Par ailleurs, il faut s'assurer qu'il y ait une masse critique qui permette aux gens d'utiliser le transport en commun.

La sénatrice Seidman : Merci beaucoup d'être venus ce matin.

Je viens de Montréal, une ville qui a consacré beaucoup de temps à l'élaboration de plans de viabilité énergétique, en particulier dans les domaines qu'elle peut contrôler. Les municipalités ont une incidence très directe sur certaines choses telles que leurs parcs de véhicules et leurs sites d'enfouissement des déchets et beaucoup d'autres choses.

Ma question est la suivante : que font les municipalités dans les domaines sur lesquels elles ont une influence très directe et quels sont les plus grands obstacles auxquels se heurtent les municipalités dans l'élaboration de plans de viabilité énergétique pour leurs villes?

M. Somerville : C'est une excellente question. Ce que j'ai remarqué, surtout depuis que je voyage beaucoup au pays, c'est le nombre de chargeurs pour véhicules électriques. C'est un petit détail. Les municipalités ont vraiment opté pour les véhicules hybrides ou les véhicules électriques, quand cela se justifie. Ce n'est pas le cas pour les chasse-neige, parce que ces engins doivent disposer d'un couple mécanique puissant et tout ce qui est nécessaire pour ce type d'opération. On remarque vraiment les autobus hybrides. Ils fonctionnent au diésel, au gaz ou au gaz naturel et à l'électricité. Ce sont de petits détails.

Dans ma propre municipalité, je constate que nous avons cinq bâtiments municipaux qui sont chauffés à l'énergie géothermique. C'est aussi une option que nous utilisons. Les municipalités se tournent plus souvent vers les installations de chauffage centralisé, lorsque cela s'avère faisable et logique. Ce n'est pas le cas dans toutes les municipalités. Il est important de savoir qu'il n'y a pas de solution universelle. Les solutions varient selon chaque municipalité, sa taille et l'endroit où elle se trouve.

La sénatrice Seidman : Certaines villes étrangères constituent d'excellents modèles. Je pense par exemple à plusieurs villes nordiques. Personnellement, je sais qu'Helsinki utilise beaucoup l'incinération des déchets pour produire de l'électricité et que beaucoup d'autres villes nordiques ont des solutions similaires.

Je vais vous poser une question à deux volets : d'après votre expérience et vos connaissances, dans quelle mesure les municipalités s'inspirent-elles des modèles internationaux pour s'adapter à ce défi et est-il difficile d'obtenir des fonds publics pour adopter de telles solutions?

M. Somerville : Je me dis toujours que c'est la population qui nous guide. Je l'ai remarqué dans ma propre collectivité lorsque nous avons commencé à réfléchir au plan vert. Nous savions que nous ne faisions pas bien les choses et nous voulions nous améliorer. C'est ce qui a amené notre collectivité à présenter un plan de viabilité. Ce fut une initiative communautaire; ce sont les gens qui nous disaient ce qu'ils voulaient voir accomplir. Je constate que beaucoup d'initiatives bénéficient d'un formidable soutien de la population, car les gens comprennent l'utilité des changements.

Par contre, je pense qu'il faut s'assurer d'une chose, c'est que le public comprenne la loi des conséquences imprévues. En termes de législation générale, les municipalités ont besoin d'un délai de transition pour être en mesure de passer des bus diésel aux bus hybrides ou aux bornes de recharge. Par ailleurs, je crois que le public veille à ce que les changements ne soient pas trop rapides et que nous prenions le temps de faire la transition et de tracer le chemin pour passer d'un point à un autre. C'est, je crois, un aspect important pour la population.

La sénatrice Seidman : Je vous rappelle que la deuxième partie de ma question portait sur les modèles internationaux.

M. Somerville : Je vous prie de m'excuser. Je l'avais pris en note, mais je n'arrivais plus à relire mon écriture.

Toutes les municipalités s'intéressent aux modèles internationaux et font des recherches pour voir ce qui se fait ailleurs. C'est le cas par exemple lorsqu'il a été question de créer un site de gestion des déchets dans ma région, ou dans d'autres régions du pays. Nos municipalités regardent ce qui se fait ailleurs au pays, mais également au niveau international. Le Fonds municipal vert que gère la FCM regroupe un certain nombre d'études de cas qui nous permettent d'avoir accès à une base de connaissances.

La sénatrice Seidman : Par conséquent, votre organisation permet aux municipalités de tout le pays de partager des informations sur les meilleures pratiques?

M. Somerville : Oui. Quelqu'un m'a appelé de St. John's, à Terre-Neuve-et-Labrador, pour me demander des informations à propos des solutions en matière de gestion des déchets, puisque notre site de gestion des déchets était un des derniers sites municipaux ouverts en Ontario; cette personne voulait savoir comment nous avions procédé et nous avons bien volontiers partagé nos connaissances.

La sénatrice Seidman : J'essaie toujours de comprendre quels sont les plus grands défis que vous pouvez constater et que les maires des différentes municipalités du pays rencontrent. Quels sont les plus grands défis auxquels feront face les villes canadiennes?

M. Somerville : La capacité fiscale. Le plus grand défi pour les municipalités, c'est qu'elles doivent se contenter de 8 à 12 cents par dollar d'impôt alors qu'elles doivent assurer le contrôle direct ou indirect de plus de 50 p. 100 des émissions de gaz à effet de serre.

La sénatrice Raine : Je suis une simple suppléante au sein de ce comité, mais je viens de Colombie-Britannique où nous avons une taxe sur le carbone. Je me souviens qu'au moment de son application, beaucoup de municipalités avaient soulevé des inquiétudes et demandé à être exemptées de la taxe sur le carbone, étant donné qu'elle revient en fait à payer une taxe sur de l'argent qui a déjà été imposé. C'est un genre de double taxation.

Dans le cas des taxes sur le carbone, a-t-on envisagé de verser les taxes payées aux municipalités dans un fonds spécial qui permettrait d'offrir un financement durable aux projets verts? De cette manière, le contribuable saurait au moins qu'il paye une taxe à la municipalité pour certains services qu'elle fournit, mais que la municipalité conservera cet argent pour le consacrer à des projets verts.

M. Somerville : Nous sommes prêts à parler de tout ce qui peut contribuer à financer les municipalités.

La sénatrice Raine : Si votre organisation souhaite conserver cette taxe au niveau municipal, elle doit être prête à en défendre l'argument.

M. Somerville : La FCM est convaincue que la tarification du carbone peut jouer un rôle important dans l'atteinte des objectifs d'atténuation, mais là encore, nous devons nous assurer qu'il n'y aura pas de conséquences imprévues. Nous devons mettre en contexte les préoccupations municipales lorsque nous avons la capacité locale de mettre en œuvre une infrastructure à grande échelle. Nous en disposons actuellement, mais nous devons nous assurer, sans faire appel à un soutien transitoire, que nous ne risquons pas de réduire notre capacité en remplaçant soudainement nos parcs d'autobus.

Je pense que c'est un sujet qui mérite d'être débattu et je sais que notre personnel prend des notes à cet effet.

La sénatrice Fraser : Bonjour. J'ai deux questions différentes qui se rapportent au transport en commun.

Le sénateur Massicotte a signalé que l'achalandage ne semble pas beaucoup changer dans les réseaux de transport en commun et il a même dit que le transport en commun n'était pas un élément de la solution. Je vais vous poser une question à deux volets à ce propos.

Premièrement, je crois que l'électrification du réseau de transport en commun existant contribuerait à diminuer les émissions. Je suis d'accord avec vous au sujet des chasse-neige, mais combien de temps devrons-nous attendre avant que la plupart des parcs municipaux de transport en commun et de bus soient électrifiés ou tout au moins hybrides et que cela devienne la norme au Canada? Et quels seront les coûts d'une telle initiative?

M. Somerville : Voilà des questions intéressantes auxquelles j'aurais aimé pouvoir vous répondre. Je pourrais vous donner un chiffre, mais il serait hypothétique. Je pense qu'il faudra faire un travail préparatoire avant de pouvoir procéder à une électrification à grande échelle, parce qu'il faudra s'assurer de disposer de bornes de recharge et de la capacité nécessaire.

L'an dernier, à Paris, j'ai vu un système extraordinaire, un petit chargeur électrique qui se connectait au bus quand il arrivait à l'arrêt, pour le recharger rapidement pendant 30 ou 45 secondes. Quand le bus était prêt à partir, l'appareil se retirait automatiquement.

La sénatrice Fraser : Comme c'est ingénieux!

M. Somerville : Quand vous sortez du bus, vous avez tendance à vous arrêter pour regarder, parce que vous êtes fasciné par cette technologie internationale. Je n'ai pas entendu dire qu'elle était utilisée ailleurs. Ce dispositif de recharge rapide est une des choses auxquelles les municipalités devraient s'intéresser lorsqu'elles vont changer leurs véhicules de transport en commun.

La sénatrice Fraser : Pour chaque arrêt d'autobus? Cela doit être coûteux.

M. Somerville : Sans doute, mais l'infrastructure aussi sera coûteuse si l'on veut qu'elle soit en mesure de charger toute une flotte d'autobus, surtout la nuit, sans parler de la rotation des bus. Si tous les autobus étaient électriques, il faudrait aussi que les réseaux de transport aient la capacité nécessaire pour pallier l'immobilisation des véhicules pendant la recharge des batteries, surtout dans le cas des réseaux qui fonctionnent 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Le calcul des coûts devrait également tenir compte des véhicules supplémentaires qui seraient nécessaires pour cette raison.

La sénatrice Fraser : Savez-vous si quelqu'un au Canada a pensé à imposer un péage, comme cela se fait à Londres? Il me semble qu'il y a beaucoup moins de véhicules au centre de Londres maintenant, mais que les gens sont tout aussi nombreux. Je suppose qu'ils empruntent les transports publics pour s'y rendre. Évidemment, les Londoniens ont un bon réseau de transport en commun, ce qui n'est pas le cas partout, mais le péage a donné d'excellents résultats à Londres. Je sais que d'autres villes ont appliqué cette formule, mais Londres est celle que je connais le mieux.

M. Somerville : Je n'ai pas connaissance que certaines régions s'intéressent au péage. D'autre part, puisque ce sont les provinces qui décident de ce que les municipalités ont le droit de faire, je ne sais pas dans quelle mesure les municipalités auraient la capacité d'utiliser une telle formule, parce que cela varie selon les provinces.

La sénatrice Fraser : Je n'aurais jamais pensé que cela ne relevait pas des compétences municipales. C'est une formule qui mérite réflexion.

La sénatrice Griffin : Je vous remercie pour l'exposé que vous avez présenté aujourd'hui. Je vous ai rencontré à plusieurs reprises aux réunions de la FCM puisque j'étais encore conseillère municipale il y a un mois. C'est donc vous dire que je suis toute nouvelle ici. J'avais posé ma candidature pour siéger au comité ou au conseil du Fonds municipal vert, mais j'ai dû retirer ma demande, puisque maintenant je suis sénatrice.

J'étais à Winnipeg pour appuyer la résolution en faveur de l'engagement de Paris et pour presser le gouvernement canadien à s'engager.

Je suis d'accord avec vous pour dire que les municipalités sont un ordre de gouvernement qui a une capacité fiscale limitée; je ne pense pas qu'elles soient traitées de manière égale par le partage des revenus et j'entends par-là le partage de l'assiette fiscale. La FCM a-t-elle pris des mesures à cet égard? Je crois que chacune des associations provinciales est intervenue auprès des gouvernements provinciaux à cet égard, parce que je faisais partie moi-même de l'association provinciale, mais au niveau national, avez-vous pris contact avec le gouvernement du Canada pour réclamer un partage plus juste, plus prévisible et plus équitable des recettes fiscales?

M. Somerville : Je pense que j'en ai parlé dans tous les discours que j'ai prononcés devant les associations provinciales et territoriales. Je crois que j'ai eu neuf rencontres de ce type cet automne. C'est une question que nous évoquons. Au conseil, c'est une question que nous présentons comme une priorité au gouvernement depuis plusieurs années. En effet, c'est une réalité à laquelle on ne peut échapper quand on se penche sur le cadre fiscal.

Un autre élément que j'ai mentionné à chaque occasion depuis que je suis président, surtout lorsque je me suis présenté devant les associations provinciales et territoriales, c'est qu'il est extraordinaire que le gouvernement consente une participation de 50 p. 100 au financement de la première phase. Cette participation est d'autant plus appréciée lorsqu'on prend connaissance des coûts du cycle de vie utile. Les municipalités assument plus de 50 ou 70 p. 100 du coût total puisqu'elles assurent l'exploitation et l'entretien d'une grande partie des infrastructures, ce qui inclut les réparations et l'entretien à long terme.

Par ailleurs, je prends bien soin de rappeler aux associations municipales que si elles reçoivent une participation de 50 p. 100 de la part du gouvernement fédéral, elles doivent aussi demander aux provinces de continuer à verser leur part traditionnelle qui correspond à un tiers des dépenses. Les municipalités assument 17 p. 100, ce qui est très proche de notre capacité fiscale.

La sénatrice Griffin : Lorsque le Fonds municipal vert a été créé, je pensais que c'était un exemple formidable de partenariat et de collaboration du gouvernement fédéral et de notre porte-parole national en faveur des municipalités de notre pays. C'est ce que je pensais et c'est ce que je pense toujours. J'espère recevoir une réponse positive à la question que je vous pose maintenant : croyez-vous que ce fonds durera encore pendant quelques années?

M. Somerville : Absolument. Ce fonds relève du conseil qui gère le fonds et fait rapport au gouvernement du Canada par l'intermédiaire de la FCM. Nous nous assurons toujours que le fonds demeure durable et que nous respectons les termes de l'entente de financement que nous avons avec le gouvernement fédéral. Grâce aux subventions supplémentaires que le gouvernement fédéral lui a réservées dans le budget de l'an dernier, ainsi qu'aux deux autres programmes sur la gestion des actifs et les mesures d'atténuation des conséquences du changement climatique, ce fonds est là pour rester, ce qui est formidable. C'est une grande source de fierté pour nous de voir se réaliser les projets soutenus par le fonds, ainsi que les innovations que proposent les municipalités qui font des demandes de subvention.

La sénatrice Griffin : Très bien. Merci.

Le sénateur Lang : Je vous remercie d'être venu témoigner ce matin. Comme je vous l'ai déjà mentionné en tête-à- tête, je viens du Nord et je représente le Yukon. Une des inquiétudes dont on m'a fait part concerne l'avenir qui nous attend dans une économie à faibles émissions de carbone, ainsi que l'application de la taxe sur le carbone et les coûts connexes. Nous savons aussi que la facture arrive toujours chez le contribuable qui habite dans une municipalité ou dans une région rurale. L'argent sort des poches du contribuable.

Votre organisation a-t-elle fait des études approfondies afin de connaître l'effet qu'aura la mise en œuvre de la tarification du carbone dans toutes les régions du pays et ses coûts pour les contribuables et les municipalités? Par ailleurs, savez-vous quel en sera l'impact sur la capacité des municipalités à trouver des fonds lorsque les contribuables ne pourront plus payer?

M. Somerville : Je ne sais pas si nous avons effectué ce type d'étude, mais je peux faire des recherches et vous revenir à ce sujet.

Le sénateur Lang : Ne pensez-vous pas que votre organisation devrait s'en préoccuper? La réalité est que pour pouvoir fonctionner, nous devons tous collectivement pouvoir payer notre juste part, mais en même temps, chacun d'entre nous doit être capable de faire cet effort individuellement.

M. Somerville : Cela revient à ce que j'ai dit un peu plus tôt au sujet des conséquences imprévues. Tout ce qui diminue la capacité des municipalités est toujours une préoccupation. Nous vous reviendrons là-dessus, monsieur le sénateur.

Le sénateur Lang : Juste en terminant, je crois que votre organisation n'a pas pris de décision ferme au sujet de la tarification du carbone, parce que vous n'avez pas les connaissances nécessaires pour prendre une telle décision. Est-ce bien exact?

M. Somerville : C'est exact.

Le président : J'aimerais poser quelques questions avant de passer au deuxième tour.

Vous avez dit que la municipalité de Guelph, en Ontario, allait diminuer sa consommation d'énergie de 50 p. 100 d'ici 2031 dans les bâtiments, l'industrie et les transports. Quel sera le résultat de cette mesure? Par exemple, quelle est la réduction en GES qui résulte du fait de couper de moitié la consommation d'énergie?

M. Somerville : Je ne sais pas exactement. Nous devrons peut-être communiquer avec vous plus tard, monsieur le président, pour vous fournir ces chiffres, une fois que nous aurons vérifié s'ils sont indiqués sur le site web de la Ville de Guelph. Je sais notamment que cette ville venait activement en aide aux entreprises d'installation de systèmes géothermiques, par exemple. Nous nous sommes inspirés du modèle de Guelph lorsque nous avons installé de tels systèmes dans notre collectivité. Nous tenterons de trouver ces renseignements afin de vous les fournir.

Le président : Je vous pose la question, parce qu'on peut facilement avancer le chiffre de 50 p. 100, mais une fois que l'on a vraiment fait les calculs, la situation peut s'avérer légèrement différente. Je ne veux pas dire que ce chiffre est faux. Je dis tout simplement que c'est formidable de citer une réduction de 50 p. 100 quand on s'adresse au public, mais dans les faits, qu'est-ce que cela signifie exactement? Si l'on extrapole ce chiffre à l'ensemble de la population, qu'est-ce que cela signifie? Ayant déjà été maire, je sais comment cela se passe.

M. Somerville : À propos, monsieur le sénateur, Guelph fait partie du programme Partenaires dans la protection du climat de la FCM et chacun des membres de ce programme doit faire l'inventaire de ses émissions de gaz à effet de serre. C'est probablement à partir de ce chiffre qu'ils ont établi leurs projections. Nous vous ferons parvenir les informations à ce sujet.

Le président : Vous avez dit également qu'un groupe choisi de 23 municipalités canadiennes représentant 8,6 millions d'habitants pourrait réduire ses émissions de 51 millions de tonnes de GES d'ici 2030. Si toutes les villes participaient à un tel effort, c'en serait complètement fini de nos émissions. Nous pourrions atteindre nos objectifs, si j'en crois ces chiffres. J'aimerais vous demander de m'expliquer, parce que pour moi c'est un peu confus. Je vais vous dire pourquoi dans la prochaine question, mais pour le moment, je veux entendre votre réponse.

M. Somerville : Tout administrateur avisé sait que lorsque la question est difficile, il faut toujours se tourner vers le personnel pour demander des explications. Je vais donc demander à Dallas d'intervenir pour nous expliquer ce qu'elle a tenté de me faire comprendre hier. Il est probablement préférable de demander à Dallas de nous donner des explications.

Dallas Alderson, gestionnaire, Politiques et recherche, Fédération canadienne des municipalités : Vous voulez en fait avoir des détails sur cette ambition des administrations locales. Les 23 municipalités citées dans cette statistique ont fixé d'ambitieuses cibles de réduction des émissions et mis en œuvre des plans détaillés pour les atteindre. Chacun des plans établirait un certain nombre de mesures allant de l'électrification à la rénovation d'immeubles en passant par d'autres types de systèmes énergétiques centralisés, et cetera. Ces 23 plans exposeraient les détails complets.

Je pense que c'est une décision importante. Ce groupe de 23 municipalités rassemble des administrations grandes et petites. Elles ont vraiment soupesé tous les détails des mesures qui seront requises à l'échelon local pour garantir un avenir faible en carbone. C'est pourquoi elles sont en mesure d'avancer cette statistique.

Le président : M. Somerville a parlé de conséquences imprévues. Dans ce cas précis, a-t-on tenu compte également des conséquences imprévues? Je pose la question parce que j'estime qu'il est un peu facile de déclarer que 23 municipalités canadiennes pourraient réduire leurs émissions de plus de 51 millions de tonnes. Si c'est vrai, n'hésitez pas une seconde, car vous allez pouvoir atteindre toutes les cibles. Pourtant, les experts nous disent que ce ne sera pas aussi facile.

Les chiffres que nous fournit le secteur de l'environnement, en extrapolant jusqu'en 2030, révèlent que pour atteindre une simple croissance moyenne des émissions des gaz à effet de serre, nous devons atteindre la cible de 30 p. 100 en dessous des niveaux de 2005. La cible est de 291 mégatonnes. Elle semble relativement facile à atteindre quand on pense aux 51 mégatonnes. Quand on en parle dans la conversation, 291 mégatonnes, ça ne paraît pas beaucoup. Mais savez-vous, monsieur, que si l'on arrêtait complètement les activités de production du pétrole et du gaz au Canada, dans toutes les régions du Canada, on ne parviendrait pas à atteindre cette cible de 291 mégatonnes? Si l'on suspendait complètement les transports au Canada — les autobus et tous les modes de transport — on parviendrait à éliminer la moitié de ces 291 mégatonnes. Et on pourrait continuer longtemps ce type de comparaison.

Les gens disent que nous produisons déjà de l'électricité propre à 80 p. 100 partout au Canada. À ce chapitre, nous figurons parmi les six meilleurs pays du monde.

Je crois qu'il sera assez difficile d'atteindre cette réduction de 291 mégatonnes. Quand j'entends dire que 23 municipalités canadiennes — je ne sais pas exactement combien de municipalités nous avons au Canada, mais il y en a beaucoup — pourraient à elles seules obtenir une réduction de 51 mégatonnes, j'ai du mal à le croire. J'ai du mal à imaginer les dommages collatéraux que cela entraînerait. Est-ce que vous comprenez un peu mieux ce que je veux dire, monsieur?

M. Somerville : Oui. Ces 23 municipalités étaient toutes en Colombie-Britannique, n'est-ce pas?

Mme Alderson : Pas toutes.

M. Somerville : Non, mais la majorité se trouvaient en Colombie-Britannique, n'est-ce pas?

Mme Alderson : Oui.

M. Somerville : Je pense que c'est la situation à laquelle nous sommes confrontés actuellement. C'est un chemin ardu que nous devrons emprunter si nous voulons atteindre ces cibles. Pour que les municipalités y parviennent, nous devrons revoir notre façon de penser, notre conception des villes et des collectivités, la façon dont nous pouvons protéger des endroits comme le Nord qui sont particulièrement menacés par le changement climatique, ainsi que les zones inondables du pays. Nous serons tous confrontés à des défis différents, car il n'y a pas de solution valable pour tous. Il n'y a pas de solution universelle. C'est une situation à laquelle nous n'avons jamais été confrontés auparavant et qui nous forcera à examiner différents types d'approches.

Je suis convaincu que les villes et les collectivités du Canada, ainsi que nos administrations locales sont prêtes à relever le défi. Il suffit de faire le compte des infrastructures que l'on trouve dans une municipalité — les systèmes de production de glace pour les arénas de hockey, les piscines, le réseau de transport en commun, les routes — pour constater que toutes ces installations produisent des gaz à effet de serre. Nous allons devoir trouver des solutions novatrices, en particulier des approches qui ont été mises à l'épreuve ailleurs dans le monde et d'autres que nous devrons imaginer nous-mêmes. Mais je suis totalement convaincu que les villes canadiennes et nos administrations locales seront capables de relever le défi.

Le président : C'est très bien. Je suis content d'entendre cela. J'ai tendance à penser un peu la même chose que le sénateur Massicotte en matière d'urbanisme. Je pense que les villes doivent vraiment commencer à planifier leur développement. Au lieu de construire des grandes autoroutes et voies de circulation, il serait peut-être temps de penser à diminuer tout ça et, au lieu de toujours en faire plus, d'utiliser l'argent ainsi économisé pour l'investir dans les transports en commun et autres moyens pour amener les gens dans les villes.

Je pense que les villes peuvent faire appel à toutes sortes de solutions pour changer les choses. Il faut que des gens comme vous prennent des mesures audacieuses pour faire ce genre de choses, mais c'est très bien. Si vous avez trouvé la solution, je ne demande qu'à la voir en action, parce que nous devons atteindre ces objectifs dans 14 ans. Il ne nous reste pas beaucoup de temps et, je dois vous dire qu'après, ce sera encore plus difficile. En effet, même si nous trouvons cela extrêmement difficile en ce moment, ce n'est rien par rapport à ce que sera la deuxième tranche de réduction des gaz à effet de serre. Je vous remercie.

Le sénateur Patterson : Je viens d'une région au Nunavut où toutes les municipalités sont petites. Même notre capitale n'a que 8 000 habitants, ce qui en fait probablement une petite municipalité. Nous n'utilisons pas, hélas, d'énergie de remplacement. Tout marche au diésel.

Il semble que la FCM a appuyé avec enthousiasme l'engagement pris par le Canada à Paris, et que vous étiez ensuite à Marrakech après que le gouvernement a annoncé une politique fédérale en vertu de laquelle il imposerait la tarification du carbone si elle n'était pas mise en œuvre par les provinces et territoires eux-mêmes. Pourtant, si j'ai bien compris la question posée par le sénateur Lang, vous n'avez pas réellement fait une analyse des conséquences de la tarification du carbone sur les municipalités.

Je me demande comment la FCM a obtenu le pouvoir de soutenir les engagements pris par le Canada à la COP. Comment les municipalités que vous représentez ont-elles accepté cet engagement?

M. Somerville : Cela faisait partie d'une résolution qui a été adoptée. Je crois que Toronto était un des parrains de la résolution qui a également été appuyée par d'autres municipalités. C'est une résolution qui a été proposée aux membres, lors de notre assemblée générale annuelle. Elle a été amplement débattue. Nos résolutions sont totalement ouvertes, comme le savent les sénateurs. Celle-ci a été adoptée.

Pour ce qui est de la tarification du carbone, je pense que la raison pour laquelle nous n'avons pas terminé l'analyse complète — et c'est pourquoi je vous ai promis de faire le suivi à ce sujet également — est que nous devons nous assurer que toutes les mesures prises en matière de tarification du carbone ainsi que toutes les autres approches visant à atténuer les conséquences du changement climatique feront partie de la gamme d'instruments que les municipalités devront utiliser. Je pense que l'autre élément de l'équation c'est que nous devons nous assurer que cela fait partie de la panoplie que nous avons à notre disposition. Il n'y a pas de solution universelle.

Au cours des discussions que nous avons eues avec Mme Redfern la maire d'Iqaluit, il a été question des risques qu'encourt le Nord et en particulier le Nunavut en raison du changement climatique et de l'infrastructure nécessaire qui se chiffre en milliards de dollars. Ce sont des dépenses que cette ville n'aurait jamais les moyens de se permettre. Pour cela, nous nous appuyons sur nos membres.

Il est difficile de mener à bien une analyse aussi vaste au Canada où nous avons 4 000 municipalités. C'est une des difficultés que nous avons. Par ailleurs, nous n'avons pas la capacité fiscale de le faire non plus, à grande échelle, pour chaque municipalité.

Le sénateur Patterson : Merci pour votre réponse. Vous avez parlé du programme Partenaires dans la protection du climat et vous avez mentionné la participation de 300 municipalités. Je me demande si cela comprend les petites localités, les municipalités isolées, les municipalités du Nord. La meilleure façon pour vous de répondre à cette question serait peut-être de donner au comité quelques détails au sujet de ce programme.

Il serait intéressant, je crois, d'en savoir un peu plus au sujet des 23 municipalités qui ont analysé leurs émissions et qui prévoient des réductions aussi spectaculaires. Est-ce que vous pouvez nous donner des détails à ce sujet?

M. Somerville : Certainement.

Je sais que ma propre municipalité est membre de Partenaires dans la protection du climat depuis une douzaine d'années, mais nous ne nous sommes pas beaucoup impliqués au cours des 10 premières années. Depuis deux ans, nous sommes rendus à l'étape 3, qui consiste à faire l'inventaire des sources d'émissions de gaz à effet de serre dans la collectivité. Les deux prochaines étapes sont les plus difficiles puisqu'elles consistent à élaborer le plan d'action en vue de réduire les émissions, puis à le mettre en œuvre.

Les membres du groupe proviennent de toutes les régions du Canada. La liste est publiée sur notre site web à l'adresse fcm.ca. Elle est sur le site web et nous vous ferons parvenir le lien pour que vous puissiez voir la liste des collectivités membres, en particulier celles qui sont situées dans vos provinces. Dans le Nord, je sais que Yellowknife est une municipalité membre. Je sais également qu'il y a des municipalités de toutes tailles. Comme je l'ai dit, la fédération représente 65 p. 100 de la population du Canada. Pas seulement les grandes villes, mais également les zones rurales, le Nord et les municipalités éloignées.

Le sénateur Massicotte : Puisque je vous ai tous les deux sous la main — et vous avez l'air vraiment impliqués et responsables au niveau municipal — je vais vous poser une macro question. Pour tous ceux qui, comme nous, représentent le public, l'efficacité dépend énormément de notre crédibilité. Le modèle de gouvernance du secteur municipal a déjà fait l'objet de nombreux commentaires. Par comparaison au niveau provincial et au niveau fédéral, les municipalités affichent le taux le plus faible de participation électorale. Je généralise peut-être un peu, mais c'est le cas pour les grandes villes certainement. Des études ont montré qu'au niveau municipal, les prestations de retraite et les salaires sont toujours les plus élevés des trois ordres de gouvernement, suggérant là encore, une mauvaise gouvernance. Un récent article au sujet des chauffeurs d'autobus de Montréal révélait qu'un cinquième d'entre eux gagnait plus de 100 000 $ par an. Selon de nombreuses informations, les prestations sont beaucoup plus généreuses, notamment les retraites. En fait, il faut savoir que 40 p. 100 des Canadiens n'ont pas de prestations de retraite. Et pourtant, les prestations sont encore plus généreuses au niveau municipal qu'au niveau provincial et fédéral. Que dites-vous de cela? Un beau jour, la population vous dira qu'elle ne peut plus vous faire confiance, qu'elle n'est pas sûre d'approuver ce que vous faites. Votre efficacité en sera diminuée. Qu'avez-vous à répondre à cela?

M. Somerville : C'est une question difficile à commenter, mais, quand on est un politicien municipal, on n'a pas peur de répondre aux questions difficiles.

À l'échelon local, nous sommes fiers d'être transparents. C'est une chose que nous réussissons assez bien. Comme dans la plupart des provinces, nous avons la Sunshine List — les provinces qui n'en ont pas devraient en publier une. Les chiffres sont publiés et tout le monde peut les consulter.

Par ailleurs, étant donné que nous appartenons à l'ordre de gouvernement qui est le plus proche de la population, il m'est généralement facile de savoir ce que pensent les gens de ma collectivité quand je les rencontre au magasin. Quand je pousse mon chariot, les gens me disent ce qu'ils pensent sur toutes sortes de sujets. Chaque gouvernement et chaque municipalité doit prendre des décisions. Je ne peux pas me prononcer au sujet des chauffeurs d'autobus de Montréal, pas plus que ceux de Calgary ou de Vancouver.

Cependant, les gens ont le choix d'élire les personnes qui vont les représenter. Je dois vraiment réfléchir à toutes les mesures qui entraînent des dépenses, parce que je sais que je devrai me justifier auprès de ma mère lorsqu'elle m'appellera le lendemain, après avoir pris connaissance des délibérations du conseil municipal et qu'elle me demandera de rendre des comptes.

Je ne peux pas poser la question directement comme cela; je ne peux que vous donner mon opinion personnelle. J'analyse toujours de près les budgets et je passe des heures à éplucher les dépenses afin de vérifier s'il y a des choses dont nous n'avons pas besoin. C'est comme cela que je fonctionne.

La sénatrice Raine : En fonction de mes antécédents et de mes intérêts personnels, j'aimerais savoir quel est l'impact du transport actif sur l'urbanisme. C'est une préoccupation qui est soulevée par un groupe qui travaille à une stratégie cycliste nationale. J'aimerais simplement savoir ce que fait la FCM dans ce domaine. Est-ce que vous avez un groupe de travail qui s'intéresse aux principes de la planification urbaine en fonction du transport actif? Cette expression désigne les déplacements qui se font à bicyclette, sur les sentiers polyvalents, les sentiers pédestres, les règlements qui imposent des limites de vitesse pour que les gens se sentent à l'aise lorsqu'ils marchent sur le trottoir ou, lorsqu'il n'y a pas de trottoir, lorsqu'ils marchent sur le bas-côté de la route. Je me demande si la FCM a prévu quelque chose à ce sujet. Je crois en effet qu'à l'avenir, on pourrait contribuer à réduire les émissions de carbone en incitant les gens à laisser leurs voitures et à faire plutôt de l'exercice. C'est très bon pour la santé, mais il faut planifier tout cela. Est-ce que vous avez un groupe de travail qui s'intéresse au transport actif?

M. Somerville : Nous n'en avons pas. Je crois qu'il serait important par ailleurs de poser la question à l'association d'urbanisme du Canada. Je sais que beaucoup de municipalités s'activent actuellement à créer des sentiers, des pistes cyclables et à renforcer la sécurité pour les cyclistes. C'est une autre chose. Il ne sert à rien de créer un sentier polyvalent si les cyclistes ou les piétons n'y sont pas en sécurité. Nous n'avons pas de groupe de travail à ce sujet, mais c'est une suggestion que je vais noter. Je vous suggère également de poser la question à l'association des urbanistes canadiens, car je sais que c'est un aspect auquel ils ont réfléchi, parce que dans notre région, nous nous sommes penchés sur une approche régionale en matière de transport actif. Vous ne pouvez pas proposer aux citoyens un sentier qui les mène aux limites de la localité si ce sentier ne continue pas dans la collectivité voisine.

La sénatrice Raine : En fait, ce que j'aimerais savoir, c'est si les municipalités adoptent la même approche dans toutes les régions du pays. Est-ce qu'il existe une tribune qui permet de partager les meilleures pratiques et les expériences de chacun? Est-ce que tout se fait en silo à la FCM et à l'association d'urbanisme? Est-ce que des échanges se font d'une manière quelconque?

M. Somerville : Nous avons quelques échanges, mais il y a aussi le Fonds pour l'infrastructure verte. Tel qu'il est formulé, nous espérons que nous serons en mesure de l'utiliser également pour le transport actif.

Le président : Merci. Ce fut très intéressant. Merci beaucoup d'être venu et d'avoir pris le temps, malgré votre emploi du temps chargé, de présenter un exposé et de répondre aux questions. C'est très apprécié.

Poursuivant notre étude sur les effets de la transition vers une économie à faibles émissions de carbone, nous avons le plaisir d'accueillir maintenant le professeur Mark Jaccard de l'Université Simon Fraser. Merci beaucoup d'être venu. Vous avez déjà témoigné devant notre comité et nous apprécions votre contribution et les travaux que vous faites depuis de nombreuses années sur certaines des questions que nous tentons d'analyser. Nous allons écouter votre exposé et, par la suite, nous passerons aux questions.

Mark Jaccard, professeur, Université Simon Fraser, à titre personnel : Merci beaucoup.

[Français]

Merci de m'avoir invité à comparaître devant vous aujourd'hui.

[Traduction]

Depuis 1986, j'ai consacré la plus grande partie de ma carrière de professeur à concevoir et appliquer des modèles d'économie-énergie dont se servent les gouvernements pour évaluer les politiques climatiques et je vais m'appuyer sur cette expérience pour vous présenter quelques commentaires préliminaires. Je vais rester assez près du document écrit que vous avez, je crois, devant vous, mais j'ajouterai quelques précisions et je vais essayer d'être assez rapide pour garder du temps pour les questions.

Je dirais tout d'abord que le gouvernement doit mettre en œuvre des politiques contraignantes dont la rigueur va croissant, et cela est pertinent même pour ceux dont vous venez de parler en ce qui concerne les gouvernements municipaux. C'est intéressant : j'étudie présentement, en partie avec la Ville de Vancouver, ce qu'ils peuvent réellement faire.

Je crois qu'il y a un graphique montrant que les politiques contraignantes peuvent se partager en deux types de tarification du carbone et deux types de réglementation. Les deux types de politique sur la tarification du carbone sont la taxe sur le carbone — comme celle de la Colombie-Britannique, et ce que l'Alberta est sur le point de mettre en œuvre — et les politiques de plafonnement et d'échange, que le Québec a mis en œuvre et que l'Ontario est sur le point de mettre en œuvre.

Les deux types de réglementation sont les règlements prescriptifs et les règlements souples, et je parlerai de cela plus en détail un peu plus tard.

Seuls ces types de politiques encouragent la transition de procédés et de combustibles à haute production de carbone à ceux à faible production de carbone. Contrairement à ces politiques, les politiques non contraignantes peuvent être attrayantes pour d'autres raisons, mais à elles seules, elles ne suffisent pas. Il y en a une liste, mais je vais passer par- dessus.

En commençant par les politiques mises en œuvre par le gouvernement de la Colombie-Britannique en 2007 — et le sénateur Neufeld les connaît très bien —, plusieurs gouvernements canadiens ont reconnu de plus en plus, au cours de la dernière décennie, qu'il faut des politiques contraignantes et que celles-ci doivent être graduellement plus rigoureuses : donc, une hausse de la taxe sur le carbone, un plafond décroissant sur les émissions ou des règlements moins souples forçant la transition à des procédés de combustibles à faibles émissions de carbone.

Deuxièmement, il n'y a pas une seule politique contraignante qui soit essentielle, mais toutes ces politiques ont des résultats différents.

La Commission de l'écofiscalité, qui est établie ici à Ottawa et qui a peut-être comparu devant vous, a déclaré que la tarification du carbone est essentielle à la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Cette déclaration est erronée. N'importe quelle économie peut arriver à des émissions de carbone presque nulles au moyen de la réglementation seule ou au moyen de la tarification du carbone seule. Les gouvernements doivent décider d'une politique ou d'une combinaison de politiques en fonction des critères standard qu'ils utilisent pour l'évaluation des politiques, surtout celui de l'efficience économique par rapport à celui de l'acceptabilité politique, parce que le choix de politiques réellement efficaces est politiquement très difficile, et le sera toujours.

La Commission de l'écofiscalité a aussi déclaré que la tarification du carbone est la formule la plus efficiente économiquement, et cette déclaration est probablement vraie dans la plupart des cas, bien qu'il soit possible de manquer son coup, selon le talent des politiciens, disons. Tout se joue sur la conception.

La Commission de l'écofiscalité a aussi déclaré que la tarification du carbone est la politique sur le climat la plus pratique. Cette déclaration est trompeuse : l'aspect pratique est fonction des objectifs. La tarification du carbone n'était pas pratique pour Stéphane Dion ni pour l'ancien premier ministre de l'Australie. Il est possible qu'elle ne soit pas pratique pour le premier ministre actuel de l'Alberta. Les dirigeants politiques doivent toujours évaluer très attentivement l'acceptabilité de leurs politiques contraignantes quand ils déterminent ce qui est pratique ou pas. Sinon, ils risquent de s'exposer à des répercussions électorales.

En ce qui concerne mon affirmation suivante, je brûlais d'envie de répondre à certaines des questions que vous posiez aux témoins précédents parce qu'elles concernaient les émissions en particulier. C'est là-dessus que je travaille, et nous avons publié une étude le 20 septembre dans laquelle, comme notre déclaration le dit, nous avons estimé la trajectoire du prix du carbone que le Canada doit suivre pour atteindre ses cibles climatiques. Vous avez le lien Internet par lequel vous pouvez vous procurer cet article. Il est court — 35 pages — et il a été écrit à l'intention d'un public non expert, sauf en ce qui concerne le petit bout sur la modélisation que vous pouvez ignorer.

Deux associés de recherche et moi-même avons produit ce rapport, intitulé Is Win-Win Possible? Can Canada's Government Achieve Its Paris Commitment . . . and Get Re-elected? Nous avons simulé la trajectoire du prix du carbone en supposant que c'était l'outil politique dominant des gouvernements canadiens. Nous avons projeté que le prix du carbone devrait partir immédiatement à environ 30 $ par tonne de CO2 — c'est la taxe de carbone actuelle en Colombie-Britannique —, et monter graduellement à un rythme soutenu jusqu'à environ 200 $ d'ici 2030.

Pour les cibles dont le gouvernement canadien a parlé, le gouvernement Harper a projeté une réduction de 60 à 80 p. 100 des émissions canadiennes d'ici le milieu du siècle. Dans ce cas, le prix devait s'élever à plus de 300 $ au cours de la période 2030 à 2040.

Avec la montée du prix des émissions, d'ici 2030, les ventes des véhicules à essence ou au diésel diminueront de beaucoup, et la production d'électricité dans l'ensemble du pays ne brûlerait que de petites quantités de gaz naturel et aucune de charbon. D'ici 2050, la plupart des bâtiments utiliseraient soit du gaz naturel renouvelable, soit de l'électricité à émissions presque nulles pour le chauffage et l'eau chaude, l'exploitation des sables bitumineux ne produirait presque pas d'émissions et la plupart des autres secteurs combleraient leurs besoins thermiques au moyen de l'électricité, de la biomasse et d'autres sources non productrices d'émissions. C'est important. La plupart des technologies et des combustibles dont on a besoin sont déjà commercialement disponibles, et c'est ce qui permet aux gens comme moi de projeter le coût de la transition vers ces sources.

Enfin, pour ce qui est du Canada dans le monde, dans les politiques que nous avons conçues, nous avons été indulgents envers les secteurs qui produisent une grande quantité d'émissions et qui sont exposés à la concurrence.

Dans ce même rapport, nous avons créé un portefeuille de règlements souples qui permettraient aussi d'atteindre la cible de l'Accord de Paris pour 2030 et de poursuivre les réductions jusqu'en 2050. Il s'agit, entre autres, d'un règlement sur l'électricité, comme celui de la Colombie-Britannique, mais avec plus de souplesse pour l'utilisation du gaz naturel en Alberta, au Nouveau-Brunswick et en Nouvelle-Écosse; d'une norme pour le carburant à faible teneur en carbone semblable à celles mises en œuvre par la Californie et la Colombie-Britannique; d'une norme sur les émissions des véhicules, comme celle de la Californie; d'une norme de performance pour les divers secteurs, comme celle qu'a l'Alberta depuis les 10 dernières années, et d'autres règlements encore. Ce sont des règlements qui ont été appliqués ailleurs et dont on peut voir les effets et les coûts.

Bien que cette approche ait un coût quelque peu plus élevé que la tarification du carbone toute seule, les politiques ressemblent plus à celles qui ont été mises en vigueur à divers endroits où il y a eu des réductions considérables des émissions. Nous avons procédé à la simulation de cette option pour que les politiciens puissent être conscients des possibilités autres que la tarification des émissions à elle seule si celle-ci devait entraîner de trop grands compromis sur le plan des conséquences politiques.

Enfin, les politiques fédérales annoncées récemment sont conformes à la formule de réglementation souple que nous avons élaborée il y a six mois; nous travaillons à cela depuis le début du mois de janvier de l'an dernier. En octobre, par exemple, le premier ministre Trudeau a annoncé une tarification minimale du carbone à l'échelle nationale, comme vous le savez, mais avec cette trajectoire de tarification, il devra ajouter des politiques réglementaires pour atteindre les cibles de l'Accord de Paris, comme je l'ai dit.

Plus tôt, en mars, M. Trudeau a annoncé des règlements sur les émissions de méthane; ensuite, en novembre, il a annoncé un règlement sur l'élimination graduelle du charbon, et en décembre, un règlement sur le carburant propre. Bien que les détails ne soient pas encore déterminés, il est prévu que ces règlements produiront des réductions semblables à celles que nous avons présentées dans notre portefeuille de politiques en septembre.

Je vais m'arrêter ici, et je répondrai avec plaisir à vos questions. Merci de votre attention.

Le président : Merci beaucoup de cette présentation. Nous commençons avec le sénateur Massicotte.

Le sénateur Massicotte : Merci, monsieur Jaccard. C'est très utile parce que ça nous donne enfin un plan selon lequel il serait possible, avec la modélisation, d'atteindre nos objectifs. Ça nous donne quelque chose de concret à partir de quoi réagir.

Vous parlez d'une formule de tarification du carbone uniquement, qui est théoriquement le modèle le plus économique, mais qui ne peut être suivi pour des raisons très pratiques.

Dans votre dernière phrase, vous parlez d'une politique essentiellement moins rigoureuse pour les secteurs qui produisent une grande quantité d'émissions et sont exposés à la concurrence. Je suppose que ce sont les mêmes secteurs que le gouvernement désigne déjà de grands importateurs. Vous dites « moins rigoureuses ». Que proposez-vous exactement pour ce secteur de l'économie?

M. Jaccard : Pour les sables bitumineux, par exemple, on parle d'aller jusqu'à 200 $ par tonne de CO2 d'ici 2030. Les sables bitumineux commenceraient à 100 $ par tonne de CO2. Il y a aussi ce que j'appellerais des « ristournes » encourageant les changements techniques. Nous savons que le secteur des sables bitumineux affirme avoir réduit ses émissions considérablement, faire la capture et le stockage du carbone, utiliser davantage de gaz naturel et travailler à la mise au point de solvants pour les activités in situ. Tout cela représente des coûts. Le 100 $ ne serait qu'un exemple. En fin de compte, il finit par augmenter ses coûts de production de 2 $ à 6 $ par baril de pétrole. Par conséquent, si le prix du pétrole dans le monde est très bas, c'est un gros problème pour lui, mais si le prix du pétrole est supérieur à 50 $ ou 60 $, ça devient abordable.

Le sénateur Massicotte : Permettez-moi de vous dire ce que dit souvent notre président pour démontrer à quel point le défi est énorme pour nous. Il part du nombre de tonnes de CO2 — et, comme vous le savez, nous devons arriver à une réduction de 35 à 40 p. 100 —, et dans le cas de l'économie canadienne, pour arriver à nos fins, il faut arrêter la totalité du transport routier et de la production du gaz et du pétrole. Vous pouvez voir ce que ça représente; c'est une simple question de calcul. Comment répondez-vous à cela? C'est une façon pratique d'illustrer le défi, mais vous avez un modèle beaucoup plus compliqué. Vos projections semblent être plus faciles à réaliser que le simple modèle arithmétique. Que pensez-vous de cela? Aidez-nous.

M. Jaccard : Je suis content de cette question. Je ne sais pas si je peux le demander au sénateur Neufeld, mais vous avez dit 290 mégatonnes?

Le président : J'ai dit 291. Ce sont les chiffres d'Environnement Canada, pas les nôtres.

M. Jaccard : Nos chiffres aussi viennent d'Environnement Canada, mais ce ne sont pas les mêmes chiffres. À l'heure actuelle, le Canada en est à 700 mégatonnes, et une réduction de 30 p. 100 donne un peu plus de 500 mégatonnes comme résultat. Cela représente une réduction d'environ 100 mégatonnes. Sous réserve de rectification plus tard — et je vous invite à le vérifier plus tard —, ce ne sont pas là les chiffres que nous avons obtenus d'Environnement Canada.

Le président : Ils ont été extrapolés par Environnement Canada — et je l'expliquerai un peu — jusqu'à 2030. Il y a donc le coût élevé, le coût moyen et le coût faible.

M. Jaccard : Oui. C'est ce que j'utilise.

Le président : Les gens chez Environnement Canada extrapolent jusqu'à 2030 les chiffres de la moyenne pour ce qui est attendu du pétrole et du gaz ou de l'électricité. Je l'ignore. Je regarde vos chiffres. Je ne cherche pas à vous rendre la tâche plus difficile; Seigneur, elle est déjà assez complexe. Mais ce sont là les chiffres que nous avons obtenus d'eux, et les chiffres que nous utilisons depuis le début.

M. Jaccard : Bon. Quand nous utilisons leurs chiffres, nous considérons que le Canada « fonctionne comme à l'accoutumée » jusqu'en 2030. Cela signifie simplement qu'on reste avec les politiques actuelles; autrement dit, c'est encore un peu plus que 700 mégatonnes. C'est peut-être à cause de la façon dont on mesure les émissions nettes relatives aux forêts et à l'utilisation des terres, et ainsi de suite; je ne m'aventurerai pas là. Dans le rapport pour lequel vous avez le lien maintenant, vous pouvez voir les chiffres que nous avons.

Que ce soit 300 ou 200 mégatonnes, nous expliquons dans notre rapport comment on arrive à cela. Même si l'on peut dire que c'est un modèle et, donc, que c'est compliqué, nous indiquons cependant à la figure 4 — et je suis désolé que vous n'ayez pas cette figure devant vous — la réduction au niveau du transport personnel, quelque 20 mégatonnes; la réduction pour le transport des marchandises, presque 60 ou 70 mégatonnes; la réduction pour le pétrole et le gaz, 50 à 60 mégatonnes; la réduction pour la production de l'électricité, presque 30 mégatonnes. Il y a d'autres prévisions pour les bâtiments, et ainsi de suite.

Nous faisons les mêmes calculs ici. Je suis désolé qu'il y ait un écart. Je ne crois pas que nous devrions passer beaucoup de temps là-dessus maintenant. Nous procédons au même exercice et nous présentons nos résultats de la même façon.

Le sénateur Massicotte : Une dernière petite question, puis je laisserai le reste pour le deuxième tour. Vous avez aussi dit dans votre modèle idéal que la production d'électricité dans l'ensemble du pays brûle une petite quantité de gaz naturel seulement, et pas de charbon. Que feront les provinces de l'Alberta et de la Saskatchewan si elles ne brûlent pas de charbon et si elles n'utilisent pas beaucoup de gaz naturel? Vous supposez que la Colombie-Britannique et le Québec fourniront de l'électricité aux provinces voisines? Éclairez-moi ici.

M. Jaccard : Non, quoiqu'il y aura un peu de cela. Pensez un peu à l'Ontario au cours des 10 dernières années, dont 25 p. 100 de l'électricité était produite au charbon initialement — et près de 50 p. 100 en Alberta —, et vous verrez ce qui arrive. Pour réduire les émissions, il faut soit capter et stocker les émissions provenant du charbon — et la Saskatchewan a une installation, ce que vous savez probablement —, soit passer à l'énergie renouvelable et utiliser le gaz naturel comme énergie de secours pour parer aux intermittences de l'énergie renouvelable. C'est, essentiellement, ce qu'a fait l'Ontario. Un scénario semblable se déroulera en Alberta, en Saskatchewan, au Nouveau-Brunswick et en Nouvelle-Écosse.

Le sénateur Massicotte : Aidez-moi à comprendre. Comme vous le savez, en Ontario, il y a la capacité de base, l'énergie nucléaire et une certaine quantité d'hydroélectricité. Vous dites que la capacité de base en Saskatchewan et en Alberta sera au gaz naturel, mais qu'elle serait totalement éolienne et solaire?

M. Jaccard : Oui. Ces provinces ont une certaine quantité d'hydroélectricité également, mais on ferait essentiellement concorder les énergies renouvelables avec certaines possibilités. Cela pourrait être de la biomasse, mais cela peut aussi être le gaz naturel qui permettra d'assurer qu'on a de l'électricité quand on en a besoin.

Le sénateur Lang : J'aimerais parler de la prémisse de votre rapport, et des hypothèses que vous avez avancées. Je suppose qu'elles s'appliquent au gouvernement du Canada également.

La plupart des Canadiens l'ignorent, mais environ 500 000 nouvelles personnes entrent dans le pays tous les ans. Tout bien considéré, il y a 500 000 nouveaux Canadiens. En 15 ans, nous accueillerons à peu près 7,5 millions de nouveaux Canadiens. De toute évidence, chacun d'entre eux devra disposer des commodités que nous tenons tous pour acquises. Votre modèle prend-il en considération ces chiffres, le fait que nous allons avoir cette augmentation de la population?

M. Jaccard : Oui. Nous avons utilisé les prévisions de base d'Environnement Canada.

Le sénateur Lang : Pouvez-vous nous dire sur quoi celles-ci sont fondées?

M. Jaccard : Non. Je l'ignore. C'est ce qu'ils ont, la croissance du PIB et la croissance de la population.

Le sénateur Lang : Pouvez-vous nous faire parvenir cela?

M. Jaccard : Certainement.

La sénatrice Seidman : Merci, monsieur Jaccard. Dans votre exposé, vous avez décrit ce qu'on peut s'attendre à voir dans le cheminement vers une énergie durable, et je crois que le sénateur Massicotte a commencé en vous posant quelques questions à ce sujet. Vous avez ensuite fait une déclaration au sujet de laquelle j'aimerais parler, si vous me le permettez, en me fondant sur de nombreux témoignages que nous avons entendus à ce comité concernant l'innovation et la nécessité de consacrer beaucoup plus de fonds aux nouvelles technologies, nos problèmes de commercialisation dans ce pays et le fait que nous ne sommes pas un chef de file en la matière.

Vous avez dit que la majeure partie des technologies et combustibles requis sont déjà disponibles commercialement. Cela m'a un peu surprise, et j'apprécierais si vous pouviez m'aider à le comprendre.

M. Jaccard : Oui, je vais vous donner un exemple. Tout d'abord, nous avons déjà parlé de l'électricité, et nous sommes d'accord là-dessus. Nous avons vu qu'il est possible de réduire considérablement nos émissions causées par la production d'électricité. D'autres pays et d'autres administrations dans le monde le font. Je suis sûr que vous en convenez.

Le transport est une source importante de nos émissions. Il y a présentement sur le marché des véhicules polycarburants qui peuvent accepter 85 p. 100 d'éthanol et 15 p. 100 d'essence. Ce sont des véhicules commerciaux. Dans 10 ans, si nous commencions à appliquer une politique aujourd'hui, 90 p. 100 des véhicules sur la route seraient polycarburants et nous pourrions produire l'éthanol qu'ils utilisent. La société Scania a prévu qu'elle vendra environ 1 500 tracteurs de semi-remorques à biodiésel cette année. Nous pourrions, en 14 ans, produire 30, 60 ou 90 p. 100 du biodiésel qui alimente les gros camions interurbains. Là encore, ce sont des technologies présentement disponibles, et c'est un exemple.

Enfin, des bâtiments, tant commerciaux que résidentiels, utilisent des pompes à chaleur. Celles-ci existent depuis près de 20 ans. En Colombie-Britannique, on intensifie l'isolation de certains bâtiments, puis on utilise le chauffage par résistance, et c'est probablement la même chose au Québec si l'on tient compte des appartements, des condos et des maisons en rangée, ainsi que des maisons unifamiliales et semi-familiales. En Colombie-Britannique, je crois que 40 p. 100 des logements utilisent de l'électricité qui provient de ressources à émissions quasi nulles.

Cela signifie, au niveau de l'utilisateur final, soit l'électrification, soit les biocarburants. Tout cela fait appel à des technologies qui existent depuis une décennie au moins.

La sénatrice Seidman : Nous avons entendu dire aussi que l'industrie tarde exceptionnellement à adopter ces nouvelles technologies et à y adapter ses produits, comme c'est le cas dans l'exemple du transport que vous nous avez donné. Quelles sortes de mesures incitatives faudrait-il adopter pour pousser dans le sens que vous nous proposez?

M. Jaccard : Ce serait soit la taxe sur le carbone qui augmente d'elle-même, comme je l'ai indiqué, et qui crée l'incitatif, soit une réglementation souple. La Californie a une norme de carburant à faible teneur en carbone qui exige, à toutes fins pratiques, que la proportion d'essence et de diésel diminue graduellement, et les détaillants de véhicules doivent atteindre cette norme ou verser des amendes de 5 000 à 10 000 $ par voiture.

Prenons un autre exemple. Je sûr que je vais me tromper dans les dates, mais au cours de 1982 à 1992 environ, le Brésil a converti à l'éthanol tout son parc de véhicules. L'industrie vous dira toujours que ça prend un temps interminable, et ça prend un certain temps. J'ai fait une modélisation de ce que nous appelons, dans le jargon de notre métier, le roulement du capital social. Quand je dis voitures, le nombre 16 me vient à l'esprit. Il faut 16 ans pour que le roulement du stock de voitures se fasse, mais c'est en réalité presque 20 ans parce que les constructeurs prennent le temps de s'adapter et d'aller chercher des ventes. Ce n'est pas que c'est seulement ce type de voitures qui sera vendu dans cinq ans, mais il constituerait 20 ou 40 p. 100 du marché.

C'est ainsi que se fait notre modélisation. J'ai un nombre sur les ventes de nouveaux véhicules en 2030. Ce sont encore des voitures à essence, principalement, qui se vendent en 2030, ou ça commence un peu à changer à ce stade, mais le stock au complet a commencé la transition.

La sénatrice Seidman : Et comme nous le savons, quand des produits novateurs viennent sur le marché, ils coûtent généralement beaucoup plus aux consommateurs, n'est-ce pas?

M. Jaccard : Ça dépend de la façon dont c'est fait. Au Brésil, par exemple, ça a été comme un petit sursaut dans les coûts, puis les fabricants ont commencé à les produire en masse et, tout à coup, les coûts ont baissé.

C'est le résultat qui se produit dans le cycle d'évolution de toute chose, n'importe quoi, qu'on force. Quand il a été question d'éliminer le soufre des raffineries et des centrales d'électricité au charbon pour arrêter l'émission de soufre, les intéressés ont dit que ce serait beaucoup plus cher et il y a eu bien des débats; ensuite, il y a eu publication après publication démontrant que, dans le cas des deux ou trois premières centrales qui ont fait la transition, c'était plus cher, puis c'est devenu beaucoup moins cher que l'industrie a jamais dit que ce serait. Résultat : quand nous pensions que le coût par tonne de soufre atteindrait 800 $, il a fini par ne s'élever qu'à 100 $, et les répercussions sur le prix de l'électricité ont été négligeables.

J'affirme, en me fondant sur les preuves que j'ai constatées et la documentation pertinente, qu'il faut regarder en arrière ce qui s'est passé. Il faudrait prendre avec un grain de sel toute affirmation voulant que le coût sera exorbitant. Mais, il y a un coût de démarrage, certainement.

Le sénateur Patterson : Vous avez mentionné le leadership du sénateur Neufeld pour la taxe sur le carbone en Colombie-Britannique, et vous avez raison, pour la Colombie-Britannique. Je sais que vous recommandez que la taxe sur le carbone augmente graduellement et je crois qu'elle a cessé d'augmenter en Colombie-Britannique. Est-il évident que la taxe sur le carbone a réduit les émissions de carbone en Colombie-Britannique? J'ai entendu des opinions diverses là-dessus. Quelle est l'analyse définitive?

M. Jaccard : Parlant du temps requis pour le roulement du capital social, quand la Colombie-Britannique a mis en vigueur sa taxe sur le carbone, les gens me demandaient avec quelle rapidité cela réduirait les émissions et si celles-ci diminueraient au cours des cinq années suivantes. Je leur ai toujours répondu de se tourner vers la Suède, parce que celle-ci a fait un grand nombre d'études sur la mise en œuvre de sa taxe sur le carbone en 1991. Il nous a fallu jusqu'à 10 ans avant de pouvoir constater des changements appréciables.

En Colombie-Britannique, les économistes qui font des analyses statistiques de cela doivent tenir compte d'un grand nombre de facteurs : les gens conduisent-ils simplement pour aller aux États-Unis? Est-ce parce que Vancouver a plus de transport en commun et de densification? Pourquoi la consommation d'essence en Colombie-Britannique pourrait- elle diminuer plus rapidement que dans les autres provinces, ou ne pas augmenter aussi rapidement? Peut-on établir une causalité dans le cas de cette taxe sur le carbone?

En général, ils affirment que oui, ils ont commencé à détecter un certain effet, mais il faudrait que cela augmente encore plus pour que les gens soit utilisent moins leurs voitures, soit n'achètent pas de voitures à essence. Je ne recommande pas une taxe sur le carbone de 200 $. Je dis simplement, en tant que personne qui œuvre dans ce domaine, que c'est ce qu'il faudrait avoir pour atteindre la cible établie dans le cadre de l'Accord de Paris, ou des règlements équivalents.

Le sénateur Patterson : Merci. Votre rapport est fort opportun pour nous, parce qu'il se rapporte très étroitement à ce que nous étudions.

Vous dites qu'il devrait y avoir un traitement préférentiel des industries produisant une grande quantité d'émissions et exposées à la concurrence, parce qu'elles n'ont pas autant de souplesse quand elles fabriquent de l'acier, bien que les procédés se soient améliorés grandement. Ensuite, bien sûr, nous avons une nouvelle administration aux États-Unis qui pourrait changer le climat concurrentiel entre le Canada et les États-Unis pour ce qui est du carbone.

J'aimerais vous poser des questions concernant ma région du Nord. Aujourd'hui, le gouvernement fédéral et les ministres provinciaux et territoriaux vont annoncer un plan de lutte contre le changement climatique pour le Canada. Dans le Nord, je suis sûr que vous savez que nos populations sont trop petites réellement pour payer de l'électricité. Nous avons une obscurité quasi totale en hiver, et donc l'énergie solaire est limitée et les vents ne sont pas constants, donc nous nous appuyons fortement sur le diésel. À ce sujet, que pensez-vous de la situation des régions plus rurales et éloignées du pays? Diriez-vous qu'elles méritent un traitement préférentiel pour les choses comme la tarification du carbone, comme vous l'avez recommandé pour les industries produisant une grande quantité d'émissions et exposées à la concurrence?

M. Jaccard : Je vous remercie de cette question. Pour éclaircir simplement les choses, quand nous avons procédé à cette modélisation, nous ne recommandions pas au gouvernement de faire quoi que ce soit. Nous disions simplement que s'il faut le faire avec des tarifs sur les émissions, voilà comment cela se fait, et s'il faut le faire avec des réglementations souples, voilà ce que nous pensons que cela coûtera et comment il faudrait le faire.

Ensuite, nous avons simplement tenté d'ajouter des choses que nous avons entendues un peu partout. En Colombie- Britannique, le gouvernement a dit : « Nous n'allons plus augmenter la taxe sur le carbone sans protéger les industries exposées à la concurrence. » L'Alberta est en train de concevoir son plan climatique avec une protection pour les industries exposées à la concurrence. Ce n'est pas ma recommandation. Je tente simplement de produire un modèle de ce que je pense que les gens ont dit vouloir, et de tenter de clarifier ce que cela représente.

En ce qui concerne les collectivités éloignées, les coûts de l'énergie sont bien plus élevés. Les carburants fossiles sont fantastiques, ce que je répète à tout le monde tout le temps. Ils sont merveilleux. Ils ont été très bénéfiques pour l'humanité. Qu'il s'agisse d'une collectivité éloignée en Inde ou de régions froides ou isolées au Canada, les combustibles fossiles sont fantastiques pour ce qui est de leur fournir de l'énergie.

À l'heure actuelle, nous pouvons produire de l'éthanol. Nous pouvons produire du biodiésel. Je ne voulais pas donner l'impression que l'innovation ne peut se poursuivre. Il y a une innovation continue, surtout au niveau de ces carburants dans les températures très froides, et elle se poursuit encore et elle est appliquée. Mais il va falloir en faire davantage, et c'est onéreux.

Maintenant, que votre politique climatique doive l'inclure ou pas, des transferts aux gens qui subissent davantage l'impact sont, une fois de plus, une chose pour laquelle je ne recommande rien, mais, en tant qu'économiste, je peux aider à faire les calculs dont ont besoin les gens qui veulent avancer cet argument.

Le sénateur Patterson : Vous dites qu'il est possible de manquer son coup avec la tarification du carbone. Vous m'intriguez. Pouvez-vous nous dire où des administrations ont manqué leur coup, et comment elles l'ont fait?

M. Jaccard : À un moment donné, un des sénateurs a dit, en quelque sorte : « Combien pouvons-nous nous permettre de plus quand on élimine la taxe sur le carbone? » J'ai eu envie de dire : « Un instant. On n'élimine pas la taxe sur le carbone. » Le gouvernement applique une taxe sur le carbone, perçoit les fonds et fait quelque chose avec. Voilà pourquoi, même quand la Saskatchewan a dit : « Vous saisissez cette taxe sur le carbone », le premier ministre a été très clair en disant que les fonds reviendraient à la Saskatchewan. C'est elle qui décidera quoi faire avec. Ne qualifiez pas cette taxe d'une perte dans votre économie. Mais les gouvernements peuvent prendre cet argent et, littéralement, le brûler. Ils peuvent le gaspiller, si pitoyablement, qu'une taxe sur le carbone pourrait ne pas être le meilleur moyen si les fonds sont mal utilisés.

La sénatrice Fraser : Eh bien, chaque fois que je viens à ce comité, je constate à quel point mon ignorance est profonde.

Dans le modèle de la réglementation souple, vous avez parlé d'une norme de carburant à faible teneur en carbone, comme celle de la Colombie-Britannique et de la Californie, et d'une norme sur les émissions des véhicules, comme celle de la Californie. Nous parlons donc de beaucoup plus d'éthanol encore, n'est-ce pas?

M. Jaccard : Non.

La sénatrice Fraser : C'est bien.

M. Jaccard : Peut-être, et peut-être pas. Mais les normes sur les émissions des véhicules disent : « Vous, détaillants de véhicules et, implicitement, les constructeurs également, vous devez fournir une petite mais croissante proportion de véhicules à émissions presque nulles », puis il est possible de décider si l'on veut inclure ou non l'éthanol dans cela, inclure ou non l'électricité, inclure ou non l'hydrogène. Donc on peut éliminer cela, et les Européens, avec certaines de leurs politiques, ont déclaré : « Nous allons éliminer un type d'éthanol, mais pas l'autre; nous voulons savoir comment il est fait. » La politique peut inclure n'importe laquelle de ces choses. Si j'ai bien compris, le Québec met en œuvre maintenant quelque chose de semblable à ce qu'a la Californie, mais il se concentre principalement sur l'électricité.

La sénatrice Fraser : Nous avons entendu un exposé très intéressant d'Hydro-Québec. Si nous n'avons pas besoin de tant d'éthanol, la deuxième partie de ma question n'est peut-être pas pertinente.

M. Jaccard : J'aimerais préciser que je suis un fervent supporteur de l'emploi de l'éthanol en grande quantité.

La sénatrice Fraser : Bon. Alors, d'où l'obtenons-nous? D'où vient-il?

M. Jaccard : Il y a de nombreuses façons de produire l'éthanol, et il y a bien des innovations dans ce domaine. On peut le faire à partir de céréales. On peut le faire à partir de bien d'autres formes de biomasse, de déchets de bois, et cetera. Il y a de nombreuses bonnes études qui nous disent qu'il y a peut-être chez les gens de véritables mythes voulant que le prix des aliments va monter.

La sénatrice Fraser : On entend cela au sujet des États-Unis, et j'aimerais en apprendre davantage à ce sujet.

M. Jaccard : À l'heure actuelle, la consommation d'éthanol continue à croître aux États-Unis, au cours des huit dernières années, alors que les prix des aliments ont baissé. C'est compliqué, mais je recommande de prendre avec scepticisme toute affirmation voulant qu'on ne peut pas utiliser l'éthanol parce que ça détruit la biodiversité ou fait grimper le prix des aliments pour les pauvres. Il y a des preuves que ce n'est pas le cas. Il est possible de le faire sans que cela arrive. Beaucoup de terres marginales pourraient être utilisées. Peut-être que le prix des arbres de Noël montera un petit peu. Les possibilités d'utilisation des terres pour la production de biocarburants de toutes les sortes sont nombreuses.

La sénatrice Raine : Je me demande quel est le rôle du nucléaire dans tout cela. Fait-on beaucoup de progrès dans ce domaine? En particulier, on a tendance à voir l'énergie nucléaire comme d'énormes centrales qui produisent de l'électricité dans certaines parties du monde, mais je me demande quelles sont les possibilités de plus petites centrales nucléaires qui pourraient fonctionner dans notre Nord, ou s'il y a une recherche quelconque qui est faite à cet égard.

M. Jaccard : Oui, il y a, et il y a eu pendant bien longtemps la notion de petites centrales nucléaires modulaires. De fait, à un moment donné, quand le prix du gaz naturel était plus élevé — je ne me souviens pas si c'était il y a une dizaine d'années —, on a parlé de la possibilité pour l'Alberta de construire de petites centrales nucléaires — et même en Saskatchewan — dans le cadre de la mise en valeur du pétrole et du gaz, pour produire de l'électricité, de la chaleur, et ainsi de suite. Donc elles sont disponibles.

Notre modèle s'articule sur des facteurs économiques, mais parfois on doit omettre le modèle et déterminer que c'est, de fait, une décision politique. Faut-il construire une nouvelle centrale hydroélectrique, comme le site C en Colombie-Britannique? Les politiciens sont-ils disposés à le faire? Le nucléaire est comme ça. Les politiciens sont-ils disposés à mettre une centrale nucléaire quelque part? Parce que c'est un très grand défi. C'est un très grand défi dans les pays riches, et cela devient un très grand défi dans les pays en développement, même en Chine qui agrandit son parc nucléaire.

La sénatrice Raine : Si je me suis intéressée à l'énergie nucléaire comme source éventuelle d'énergie propre, c'est, entre autres, à cause du problème du combustible irradié, mais je sais qu'il y a des solutions à ce problème au Canada, en raison de notre géographie unique. Je suis toujours intéressée si je peux être certaine que des études se poursuivent à ce sujet, parce qu'à un moment donné, la prise de décisions politiques peut changer. La politique publique ne peut précéder l'opinion publique. Présentement, le public a encore très peur du nucléaire, et pourtant, je crois que cela peut changer au gré de l'évolution de la technologie. Je me demandais simplement où nous en sommes dans ce spectre, et si c'est : « Oh non; ils ne l'approuveront jamais », ou « Ça devrait faire partie des possibilités »?

M. Jaccard : De nos jours, les montants attribués à la recherche-développement en nucléaire ne sont pas énormes en pourcentage de la totalité de R-D, comparativement à il y a 20 ans ou 25 ans. Ils ont beaucoup baissé, mais là encore, ils font état des priorités du public et font état du fait que les énergies renouvelables ont été une surprise très agréable. On croyait que les énergies renouvelables étaient tout simplement intermittentes, et qu'elles avaient besoin d'une très grande superficie parce qu'elles produisent une énergie à plus faible densité que les combustibles fossiles. Mais nous, les êtres humains, nous savons de mieux en mieux comment innover et trouver des façons d'obtenir une énergie concentrée, comme ce qu'il y a dans une bonbonne de propane ou dans un réservoir d'essence de voiture, à partir d'énergies renouvelables, ou produire de l'électricité en particulier. Le défi que pose le nucléaire, c'est qu'il y a d'autres énergies propres concurrentes non affligées de l'angoisse sociale en matière de risque, même si ce risque peut bien n'être qu'une perception. Nous savons que ce risque n'est pas complètement illusoire, cependant, parce qu'il peut arriver avec le nucléaire des choses imprévues, comme nous l'avons vu à Fukushima et ailleurs.

La sénatrice Griffin : Merci de votre exposé aujourd'hui. Je le trouve vraiment fascinant.

Au cours des 30 derniers jours environ, depuis les élections aux États-Unis, je me demande, avec une inquiétude vacillante, ce que cela signifie pour le Canada et pour le fait que nous passons à une économie à faibles émissions de carbone. Ce matin, j'ai entendu à la radio que la personne nommée au cabinet pour diriger l'agence américaine pour la protection de l'environnement est censée être un négateur du changement climatique; par conséquent, mon inquiétude s'est rallumée.

Que pensez-vous que cela signifiera pour le Canada en fonction de ce qui pourrait arriver aux États-Unis à l'issue de ces changements récents? Que cela signifiera-t-il pour l'innovation ici et pour la transition vers une économie à faibles émissions de carbone? Y a-t-il des aspects positifs? Y a-t-il des aspects négatifs, ou les deux?

M. Jaccard : Je pourrais parler longtemps de cela. De toute manière, il est trop tôt pour prédire quoi que ce soit, mais j'aimerais préciser certaines choses.

Entre autres, en huit ans, le président Obama n'a pas eu la capacité politique, le pouvoir législatif ni le soutien nécessaires pour instituer une tarification du carbone ou toute une série de réglementations souples avec augmentation rapide, mais il a pu établir des réglementations souples pour le transport, les véhicules, et il le fait maintenant pour la production de l'électricité, par des centrales au charbon. Il est possible que le nouveau gouvernement fédéral américain ne pousse pas autant qu'il l'a fait pour ces choses.

Je tiens à signaler, cependant, que si nous n'avons pas été rapides du tout avec le gouvernement Harper pendant neuf ans, des choses ont été créées à l'échelle provinciale pour compenser. Avec près de 40 millions d'habitants, la Californie est plus peuplée que le Canada. J'ai fortement l'impression que l'État de New York va rapidement imiter ce que la Californie est en train de faire. La Californie a pris la tête en disant : « Regardez, cela ne détruit pas l'économie. Il y a des coûts, mais ils ne détruisent pas l'économie. Nous avons d'autres possibilités que le charbon, le pétrole et le gaz naturel. » Et parfois, cela signifie la consommation de plus de gaz naturel.

Généralement parlant, on peut s'attendre à ce que certains États agissent de façon plus agressive. En tout, les États qui pourraient le faire représenteraient plus de 100 millions de personnes aux États-Unis. Ce serait encore très important à l'échelle mondiale, et même pour le Canada en tant que leur voisin. Nous avons maintenant le Québec, et peut-être l'Ontario, sur le point d'adhérer au système de plafonnement et d'échange de la Californie. Il ne serait pas étonnant que ce système devienne très répandu au cours des quatre prochaines années et que les États de New York, de l'Oregon, de Washington et toute une série d'autres États de la Nouvelle-Angleterre se joignent au système de plafonnement et d'échange, qui est un excellent système. Il a beaucoup de failles, mais il est de grande portée. Il couvre les carburants de transport, pas seulement l'électricité et pas seulement l'industrie.

Le président : Avant de passer au deuxième tour, j'aimerais vous poser quelques questions. J'ai apprécié votre exposé, monsieur Jaccard. Il est toujours intéressant d'entendre vos idées.

Nous allons produire cinq rapports, puis un rapport final, avec un peu d'espoir, d'ici la fin de 2017. Comprenez-moi bien, nous ne sommes pas ici pour dire que le changement climatique n'est pas en train de se produire, et toutes ces autres choses. Nous savons que nous devons régler toutes ces choses, mais d'une façon rationnelle que les Canadiens, en fin de compte, accepteront et seront capables d'accepter.

Les industries exposées à la concurrence sont un domaine qui m'inquiète beaucoup. Je vais vous donner un exemple. Nous sommes allés à Kitimat pour visiter l'aluminerie d'Alcan, une toute nouvelle usine d'aluminium. Ils ont réduit leurs émissions de 50 p. 100. Mais ils ont dit que si on appliquait un taux de tonnage des gaz à effet de serre à leurs procédés, cela les empêchera d'être concurrentiels sur la scène mondiale. Que dites-vous de cela? Comment régler cela? C'est juste l'aluminium.

Je vais vous donner un autre exemple, l'acier. Nous sommes allés visiter Dofasco. C'est facile de dire qu'ils peuvent utiliser l'électricité pour produire l'acier, et ils le font. Il y a beaucoup de cela aux États-Unis. Ils nous l'ont expliqué. Mais ils ont dit aussi que pour produire certains des types d'acier requis pour les véhicules légers et ce genre de choses, il faut encore utiliser le coke et le charbon. De fait, ils nous ont dit — il faut écouter cela attentivement — qu'il n'y a aucune technologie, même dans un avenir proche, qui pourrait changer cela.

Ces deux rencontres m'ont amené à penser qu'il est très intéressant de voir comment nous continuons à avoir ce genre d'industries qui sont exposées à la concurrence étrangère. Que peut-on faire sur ce plan? Sommes-nous en train de dire que nous devons prendre les fonds publics et les mettre là où ils pourront augmenter la compétitivité? Je ne sais pas. Donnez-moi une idée en ce qui concerne ces deux industries. C'est deux seulement, mais il y en a des tonnes, et vous le savez. Nous avons peu de temps, donc je vous demande simplement de me parler de ces deux-là.

M. Jaccard : Je le sais. Je les ai modélisés. J'avais un institut à l'Université Simon Fraser appelé le CIEEDAC, le Centre canadien de données et d'analyse de la consommation finale d'énergie dans l'industrie. Nous sommes particulièrement ceux qui travaillent avec l'industrie au Canada. Je n'entrerai pas dans des discussions technologiques, mais j'ai entendu parler de la granulation du gaz naturel et de nombreuses nouvelles applications de l'électricité dans la production de l'acier. Mais ces technologies sont onéreuses. C'est là que le problème demeure. Même s'il y a les technologies, le coût de production augmente. Il y a deux choses dont il faut tenir compte.

Tout d'abord, je vous conseille la prudence. L'industrie a depuis toujours l'habitude de dire : « Ne faites rien, sinon nous allons en souffrir tout de suite », et je ne dis pas qu'elle le dit pour tout. Quand on a appliqué les politiques en Colombie-Britannique, le secteur du ciment a déclaré que cela lui nuirait beaucoup, puis il a montré que ses ventes avaient baissé au cours des premières années. Le gouvernement de la Colombie-Britannique a engagé des associés de recherche, parmi lesquels il y en avait que j'avais moi-même formés, qui étaient des économistes indépendants. Ils ont analysé une situation où du ciment était exporté dans d'autres provinces canadiennes qui n'avaient pas la taxe sur le carbone ou ce genre de structure fiscale. Eh bien, surprise! La taxe sur le carbone n'était pas assez élevée pour nuire à leur coût de production et donc à leur position concurrentielle relative ailleurs au Canada. Les ventes de ciment baissaient tout simplement parce que les Chinois étaient plus concurrentiels que les cimenteries québécoises, ontariennes, et cetera.

Mais manifestement, à un moment donné, on en arrivera au point d'influer négativement sur les coûts de production de quelqu'un qui est exposé à la concurrence. S'il s'agit d'une concurrence intérieure, comme dans le cas du ciment, nous avons analysé ce qu'on appelle les ajustements fiscaux à la frontière. Des pays commencent à mettre en place des ajustements en petits montants. Ceux-ci disent essentiellement, à la Chine, par exemple : « Nous allons examiner votre production de ciment. Si elle a une intensité carbonique plus élevée et si vous n'avez pas de politiques semblables aux nôtres, il y aura un ajustement fiscal. »

De fait, tous les projets de loi qui ont été presque adoptés, en quelque sorte, aux États-Unis en 2005 — le projet de loi de John McCain au Sénat, le projet de loi Waxman-Markey qui est passé à la Chambre des représentants en 2010, mais a coulé au Sénat — tous ces projets de loi donnaient à la Chine et aux autres pays comme elle environ 5 à 10 ans, puis précisaient comment les ajustements fiscaux à la frontière entreraient en vigueur graduellement.

Enfin, vous pouvez — et c'est en quelque sorte ce que l'Alberta envisage maintenant pour, disons, le secteur du pétrole et du gaz et d'autres industries exposées à la concurrence — dire que vous appliquerez la politique différemment à ces industries. Elles ne seraient pas frappées aussi durement que les autres jusqu'à ce que leurs concurrents soient soumis à une politique semblable de tarification du carbone. C'est ce que nous avons fait dans la simulation dans l'étude que je vous ai décrite et à laquelle vous avez accès maintenant.

Le président : Je suis au courant du ciment. Le ciment n'a pas été assujetti, et pour une bonne raison, à la taxe sur le carbone en Colombie-Britannique. Je comprends ce que vous dites, mais ces industries doivent quand même évoluer dans le monde réel et arriver effectivement à vendre leurs produits, quel que soit l'endroit. Je peux vous donner un autre exemple.

M. Jaccard : Mais ils ont été assujettis à la taxe. La taxe sur le carbone était appliquée au ciment.

Le président : Mais pas tout de suite. Je le sais.

M. Jaccard : Bon.

Le président : Enfin, nous pouvons débattre de cela.

M. Jaccard : C'est la raison pour laquelle on nous a demandé de faire l'analyse, à cause des effets de cette taxe.

Le président : L'industrie du ciment nous a aussi dit que quand il y a eu l'électrification d'une partie de Dofasco — j'essaie de me souvenir des nombres; j'espère ne pas me tromper. On nous a dit qu'en moyenne, pour l'acier produit à Hamilton, il y a environ une tonne de gaz à effet de serre par tonne d'acier. Cela ne nous a été donné qu'à titre d'exemple. Si on achète cet acier de la Chine, c'est à peu près trois tonnes par tonne.

Nous avons accueilli ici la FCM. Si ses membres devaient acheter beaucoup d'acier pour un projet quelconque dans leurs collectivités, l'achèteraient-ils de Chine ou l'achèteraient-ils de Dofasco au Canada? Il y aurait une énorme différence dans les coûts. Comment faire face à cela? Là encore, doit-on simplement dire à la Chine : « Désolés; nous allons appliquer un tarif et il sera si élevé que votre prix correspondra au nôtre »? Ils doivent exporter dans ce marché.

M. Jaccard : Oui, mais c'est ainsi qu'il faut le faire. Sinon, l'humanité n'agira pas pour régler ce problème parce qu'il y aura toujours ceux qui vont au plus petit dénominateur. C'est un problème qui ne peut être évité. On ne peut dire que nous ne réduirons pas les émissions de nos industries pour la simple raison qu'il y aura toujours un pays quelque part dans le monde qui ne le fera pas.

Voilà pourquoi les tarifs sont nécessaires. Il faut avoir des tarifs associés au climat. Ce que je vous ai décrit, c'est exactement ce que le gouvernement des États-Unis avait l'intention de faire quand il a adopté une stratégie climatique importante, et ça ne me surprendrait pas que Donald Trump soit le premier à le faire.

Le président : Je suis d'accord avec vous; il le fera probablement.

L'autre aspect dont il faut tenir compte, c'est que le Canada représente 1,6 ou 1,5 p. 100 des émissions de gaz à effet de serre dans le monde. Supposons que nous éliminions tout cela et atteignions la cible sur le plan des émissions. Il y a d'autres pays. On nous a dit que 2 400 centrales d'électricité au charbon seront construites dans les 10 prochaines années environ. Nous avons entendu parler de l'Inde. Les gaz à effet de serre ne sont pas sa plus grande préoccupation présentement. Elle veut simplement que sa population puisse bénéficier de certains des avantages que possède le monde occidental, comme nous, c'est-à-dire une énergie bon marché. C'est probablement le charbon et ce genre de choses. Mais si nous devions atteindre cette cible, pensez-vous que cela changerait la température d'une façon quelconque dans le monde? Même si 100 et quelques pays ont signé toutes sortes d'accords, pensez-vous que la température ne va pas augmenter?

Je crois que nous pouvons faire toutes ces choses. Je ne dis pas que nous ne devrions pas les faire. Nous devons faire notre possible. Mais en fin de compte, je ne crois pas que la petite quantité que nous avons dans le tableau global changera de façon considérable la température du monde. Ne devrions-nous pas plutôt examiner les possibilités d'adaptation, la façon dont nous pourrons réellement aborder ce problème? Parce que je crois qu'il est réel, qu'il se produira probablement. Nous devons avoir cette cible, et nous efforcer de l'atteindre de notre mieux.

Je n'entends pas parler beaucoup de l'adaptation, à dire franchement. J'ai posé la question à beaucoup de gens comme vous. Personne ne parle d'adaptation. Comment nous adapterons-nous à cet état de fait? Comment le Nunavut s'adaptera-t-il? Comment nous adapterons-nous, là où je vis? Comment Vancouver ou les villes en bordure de l'océan s'adapteront-elles? Je n'entends personne en parler. Pouvez-vous m'aider un peu? Avez-vous fait des études sur l'adaptation et sur ce que nous devons faire? Si vous en avez fait, pouvez-vous nous en envoyer les résultats?

M. Jaccard : Oui. Tout d'abord, je vais vous dire qui a procédé à de telles études sur le sujet.

Vous m'avez soumis deux questions, si j'ose m'exprimer ainsi. Une d'entre elles était sur ce que nous appelons une erreur de composition. C'est quand, parce qu'une chose est un petit élément, quand toutes les composantes sont de petits éléments qui, une fois réunis produisent un mauvais résultat, on adopte le raisonnement voulant qu'il n'y a pas lieu de s'inquiéter de cette petite chose. C'est comme si on se disait, à chaque cigarette fumée, que celle-ci ne représente que 0,000001 p. 100 de risque d'avoir le cancer du poumon, et on se répétait cela à chaque nouvelle cigarette.

Un exemple semblable serait le rôle du Canada à la Seconde Guerre mondiale. Nous ne représentions pas plus de 1 ou 2 p. 100 des forces qui ont aidé à vaincre l'Allemagne nazie et le risque qu'elle représentait pour la planète. Nous aurions pu appliquer le même raisonnement, c'est-à-dire que puisque nous n'étions que 1 p. 100 seulement de la solution, pourquoi nous en mêler?

Le président : Je ne dis pas le contraire. Je dis que si nous le faisons, si nous atteignons effectivement cette cible, à l'échelle du Canada, en fin de compte...

M. Jaccard : Mais je réponds à votre question.

Le président : ... il y aura encore une adaptation.

M. Jaccard : En réponse à votre question, je vous dis que le seul moyen d'affronter un problème d'action collective mondiale, c'est d'agir et de tenter d'amener les autres à agir aussi, par l'exemple — ou la force, comme les mesures de commerce dont nous avons parlé. C'est là que se situe l'intention de l'action. Ce n'est pas : « Nous allons réduire nos émissions, mais nous savons que le reste du monde ne le fera pas. » C'est : « Nous allons réduire nos émissions pour participer à une stratégie de survie pour la planète. »

Si nous échouons là-dessus — et nous échouons depuis 30 ans, depuis que Brian Mulroney a été le premier à dire : « Nous allons agir », puis d'autres chefs d'État l'ont fait —, les coûts, d'après ce que m'ont dit les scientifiques, seront horrifiants, et s'adapter à plusieurs de ces choses entraînera des coûts phénoménaux.

La dernière étude sur ce sujet à laquelle j'ai participé, c'est quand j'ai été nommé par Stephen Harper à la Table ronde nationale sur l'environnement et l'économie. Nous avons examiné les coûts, région par région au Canada, et nous avons examiné les possibilités d'adaptation également. Ce rapport est certainement disponible quelque part. À ma connaissance, de nombreux rapports ont été produits depuis lors, et je peux les trouver pour vous si vous voulez.

Le président : Merci. C'est ce que nous recherchons. Je ne dis pas que nous ne devrions pas faire de notre mieux et être des chefs de file pour tout ce genre de choses. Je viens de la Colombie-Britannique; de toute évidence, vous savez cela.

M. Jaccard : Oui.

Le président : Mais je suis quand même convaincu que nous devrions passer un peu plus de temps à étudier l'adaptation et à voir comment nous pourrions nous adapter à un changement climatique, parce que c'est en train de se produire et ça va continuer à se produire. C'est très beau d'avoir une cible pour que la température ne monte pas de plus de 1,5 ou 2 degrés, mais je crois que ces choses échappent à notre contrôle. Nous devons faire notre possible, mais entretemps, nous devrons examiner les moyens par lesquels nous pourrions nous adapter à tous ces problèmes.

Le sénateur Massicotte : Deux petites questions, en bref. Selon ce que vous appelez la démarche pratique, quel est le prix du carbone?

M. Jaccard : Celle de la réglementation souple?

Le sénateur Massicotte : Oui.

M. Jaccard : D'ici 2030, environ 40 $.

Le sénateur Massicotte : Vous avez mentionné à la toute fin qu'une politique fédérale est conforme à votre formule de réglementation souple. En d'autres termes, compte tenu de ce que nous avons entendu jusqu'à présent et compte tenu de ce qui devrait être annoncé sous peu par les provinces, est-ce suffisant? Sommes-nous en bonne forme?

M. Jaccard : La démarche pour l'électricité, si je la comprends bien, est très bonne. Celle sur les véhicules commence à arriver au bon niveau. J'aimerais savoir ce qu'elle représente pour le transport des marchandises, parce que c'est important. Dans le cas des règlements sur le pétrole et le gaz, comme le méthane, et ce qu'ils font, nous n'en sommes pas encore là. Je n'ai rien entendu au sujet de ce que nous allons faire au sujet du bâtiment et, de fait, d'autres industries pour ce qui est des normes de performance.

Donc, nous n'en sommes pas encore là, mais je suis plutôt surpris de toutes les choses qui sont annoncées présentement. Je suis optimiste. Cela me rappelle un peu les deux années avec le premier ministre Gordon Campbell et le sénateur Neufeld comme ministre critique dans ce gouvernement, et comment ils ont mis en œuvre les choses très rapidement.

Le président : Merci beaucoup, monsieur Jaccard. Nous avons grandement apprécié votre exposé et vos réponses aux questions. Merci, monsieur, de nous en avoir accordé le temps.

M. Jaccard : Merci. Ce fut un plaisir pour moi.

Le président : La séance est levée.

(La séance est levée.)

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