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ENEV - Comité permanent

Énergie, environnement et ressources naturelles

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent de
l'Énergie, de l'environnement et des ressources naturelles

Fascicule nº 25 - Témoignages du 13 avril 2017


OTTAWA, le jeudi 13 avril 2017

Le Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles se réunit aujourd'hui, à 8 h 4, pour étudier les effets de la transition vers une économie à faibles émissions de carbone.

Le sénateur Richard Neufeld (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bonjour, chers collègues. Bienvenue à cette séance du Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles. Je m'appelle Richard Neufeld, et j'ai l'honneur de présider ce comité. Je représente la Colombie-Britannique.

J'aimerais souhaiter la bienvenue aux membres du public qui sont ici dans la salle, ainsi qu'à ceux qui nous regardent à la télévision. Pour ceux qui nous regardent, je rappelle que les audiences du comité sont ouvertes au public et qu'on peut aussi les visionner en webdiffusion sur le site web à l'adresse www.sencanada.ca. On peut aussi trouver en ligne tous les renseignements relatifs aux travaux du comité, notamment les rapports publiés, les projets de loi étudiés et la liste des témoins.

J'invite maintenant les sénateurs à se présenter. Je vais d'abord vous présenter le vice-président du comité, le sénateur Paul Massicotte, du Québec.

[Français]

Le sénateur Massicotte : Bonjour.

[Traduction]

Le sénateur MacDonald : Michael MacDonald, de la Nouvelle-Écosse.

La sénatrice Galvez : Rosa Galvez, du Québec.

La sénatrice Fraser : Joan Fraser, du Québec.

Le sénateur Patterson : Dennis Patterson, du Nunavut.

Le sénateur Mockler : Percy Mockler, du Nouveau-Brunswick.

La sénatrice Griffin : Diane Griffin, de l'Île-du-Prince-Édouard.

La sénatrice Seidman : Judith Seidman, de Montréal, au Québec.

Le président : Je présente aussi notre personnel. À ma gauche, notre greffière, Maxime Fortin, et à ma droite, nos analystes de la Bibliothèque du Parlement, Sam Banks et Jesse Good.

Chers collègues, en mars 2016, le Sénat a chargé notre comité d'entreprendre une étude approfondie sur les effets et les coûts de la transition vers une économie à faibles émissions de carbone. Le gouvernement du Canada s'est engagé à abaisser avant 2030 nos émissions de gaz à effet de serre de 30 p. 100 par rapport au tonnage de 2005. C'est une entreprise colossale.

Pour cette étude, notre comité a adopté une démarche sectorielle. Nous étudierons cinq secteurs de l'économie canadienne à qui sont imputables plus de 80 p. 100 de toutes les émissions de gaz à effet de serre : la production d'électricité; les transports; le pétrole et le gaz; les secteurs à forte intensité d'émissions et tributaires du commerce; les immeubles.

Notre premier rapport intérimaire consacré au secteur de l'électricité est paru le 7 mars.

C'est aujourd'hui la 41e séance que nous consacrons à cette étude et je suis heureux d'accueillir M. Timothy M. Egan, président et chef de la direction de l'Association canadienne du gaz. Je vous remercie d'être venu aujourd'hui. Nous avons hâte d'entendre votre exposé, après quoi nous passerons aux questions.

Timothy M. Egan, président et chef de la direction, Association canadienne du gaz : J'aimerais d'abord connaître le temps dont je dispose pour mon exposé.

Le président : Puisque nous aimerions poser des questions, nous aimerions que vous vous en teniez à 10 minutes, environ.

M. Egan : Mon personnel m'a dit que j'aurais cinq minutes; vous me donnez beaucoup de latitude.

Le président : Utilisez le temps qui vous convient.

M. Egan : Mesdames et messieurs les sénateurs, je vous remercie de me donner l'occasion de témoigner ce matin.

L'Association canadienne du gaz vous en est reconnaissante.

Nous vous avons fourni un document sous forme de diapositives; je vois que beaucoup l'ont en main. J'espère que vous y avez tous accès. Je n'en ferai pas la lecture, mais j'y ferai référence pendant mon exposé.

Je vais commencer par vous parler de l'association. La carte répertorie les sociétés de distribution et de transmission du gaz naturel qui fournissent de l'énergie à près de sept millions de clients canadiens, pour autant de compteurs installés à un domicile, une entreprise, une église, un hôpital, une école ou une installation industrielle.

Aujourd'hui, plus de 20 millions de Canadiens ont opté pour le gaz naturel qui est livré à l'aide d'une infrastructure de près de 450 000 kilomètres et d'installations d'entreposage de surface et souterraines. L'entretien du réseau et son expansion continue, au rythme d'environ 100 000 clients par année, représentent des investissements annuels de l'ordre de quatre milliards de dollars.

Beaucoup de gens ignorent l'importance considérable du gaz naturel dans la distribution de l'énergie. Le graphique simple qu'on trouve à la diapositive 3 permet de l'illustrer. Le gaz naturel comble plus du tiers des besoins énergétiques du Canada, ce qui est beaucoup plus que l'électricité. Je fais souvent valoir ce point, étant donné qu'on laisse souvent entendre, dans les discussions sur l'énergie, que le réseau énergétique et le réseau électrique sont synonymes, ce qui n'est pas le cas.

L'électricité est une composante d'un réseau énergétique plus vaste, et elle sert à combler la demande en énergie de charge à la prise, principalement pour l'éclairage, mais aussi pour les appareils électriques, les outils de communication, et cetera, mais nous avons des besoins énergétiques considérables dans deux autres secteurs. Le premier est le secteur des transports, où la demande d'énergie finale est la plus forte, qui mise surtout sur la forte concentration d'énergie des combustibles liquides. Le deuxième en importance est la régulation de la température, principalement le chauffage, dont les besoins sont principalement comblés par le gaz naturel.

Les besoins énergétiques de ces trois secteurs sont comblés par l'intermédiaire de réseaux de distribution distincts, mais interreliés, soit les véhicules et le réseau de transport pour les combustibles liquides, les lignes électriques pour l'électricité et les canalisations pour le gaz naturel. Je mentionne ces trois aspects en raison de leur importance considérable dans la proposition de valeur de l'économie canadienne. L'intégration des trois réseaux améliore la résilience, favorise la mobilité de la main-d'œuvre et des biens, stimule la concurrence et maintient les coûts de l'énergie à des niveaux abordables.

Je suis très préoccupé par la croyance populaire selon laquelle nous pouvons et devrions miser uniquement sur un réseau, le réseau électrique. Mesdames et messieurs les sénateurs, je le dis en sachant que des représentants de sociétés de production électrique comme Manitoba Hydro et FortisBC siègent au comité de direction de mon propre conseil d'administration. Ils partagent toutefois mon point de vue, car le réseau énergétique canadien serait moins fiable, moins robuste, moins concurrentiel et plus coûteux si on misait uniquement sur le réseau électrique.

En outre, remplacer le réseau de gaz naturel par l'électricité nécessiterait une augmentation de la production d'énergie électrique de l'ordre de 290 p. 100 pour satisfaire à la demande de charge, sans compter l'augmentation des coûts de transmission et de distribution.

Je vais maintenant me concentrer sur le réseau de distribution de gaz naturel, l'un des trois principaux réseaux. À la diapositive 4, nous décrivons les caractéristiques de notre produit. C'est un produit abordable qui permet aux ménages moyens d'économiser quelque 2 000 $ par année en frais de chauffage.

Il est abondant. On estime que les réserves actuelles, au Canada seulement, permettront d'alimenter les consommateurs pendant 200 à 300 ans, selon les niveaux de production, et cela, sans prendre en compte le gaz naturel renouvelable ou le méthanol.

Le brûlage est sans résidus; les émissions de contaminants atmosphériques et de CO2 du produit sont extrêmement faibles. En outre, en ce qui concerne les énergies propres, le secteur du gaz naturel est un partenaire important dans le domaine des énergies renouvelables intermittentes comme l'énergie éolienne et solaire, dont l'intégration au réseau électrique doit être appuyée en tout temps par une source d'énergie d'appoint. Il n'est pas étonnant que bon nombre de nos membres soient aussi propriétaires et exploitants de systèmes d'énergie renouvelable intermittente de ce genre.

Le gaz naturel est un carburant novateur. L'innovation est au centre de nos activités de recherche sur les applications finales nouvelles et plus efficientes, notamment : la production combinée de chaleur et d'électricité pour le secteur résidentiel ou les thermopompes alimentées au gaz naturel; la collaboration avec des industries qui dépendent du gaz naturel comme source d'énergie, comme l'industrie chimique ou l'industrie des engrais; l'intégration des systèmes de distribution d'énergie et des véhicules alimentés au gaz naturel, comme les trains, les navires et les véhicules routiers; l'utilisation comme source d'énergie dans les régions éloignées; la conversion de l'électricité en gaz pour la production et le stockage d'hydrogène; la recherche de nouvelles sources d'énergie, comme le gaz naturel renouvelable. Le gaz naturel est en outre un produit fiable et sécuritaire.

J'aimerais examiner le premier aspect, le coût abordable du produit, de façon plus détaillée. Les diapositives 5 et 6 peuvent servir de mise en contexte. Je me plais à dire que le Canada est un territoire remarquable de roche, de forêts, de marais et de plans d'eau caractérisé par des températures extrêmes et des traits géographiques diversifiés et qui a, de plus, une faible population répartie sur un vaste territoire. Or, le Canada figure parmi les pays ayant l'un des niveaux de vie les plus élevés au monde et le plus de possibilités. Je serais porté à dire que c'est intimement lié à la chance que nous avons d'avoir accès à des sources d'énergie aussi abordables.

Actuellement, le gaz naturel est un exemple probant de cet avantage concurrentiel. Statistique Canada révèle que les dépenses totales des ménages en gaz naturel ont diminué, passant d'environ 8,1 milliards de dollars en 2008 à environ 6,4 milliards en 2015. Au cours de la même période, les dépenses en électricité ont augmenté, passant de 15,5 milliards à 20,2 milliards. Pour mettre les choses en perspective, les dépenses en gaz naturel représentent moins de 10 p. 100 des dépenses en énergie des Canadiens moyens, mais plus de 30 p. 100 de leur consommation d'énergie, tandis que l'électricité représente plus de 25 p. 100 des dépenses, mais un peu plus de 20 p. 100 de la consommation.

Le caractère abordable du produit constitue un avantage concurrentiel pour les entreprises canadiennes. À titre d'exemple, en choisissant le gaz naturel plutôt que le diesel pour l'alimentation de la centrale électrique de la mine Renard, au Québec, la société Stornoway a réduit ses coûts d'exploitation annuels d'environ 8 millions de dollars. On compte de nombreux exemples de ce genre au pays, notamment les traversiers de la côte Ouest, les projets de développement industriel dans le Grand Nord, les collectivités éloignées dans les Prairies, les villes minières comme Red Lake, en Ontario, et des collectivités des Maritimes, où l'approvisionnement en gaz naturel est relativement nouveau.

Les Canadiens qui n'ont pas encore accès au gaz naturel veulent l'obtenir afin de maintenir et d'accroître leur compétitivité. Toutefois, cette compétitivité est menacée. Je pense ici à la Coalition des manufacturiers inquiets de l'Ontario, un réseau de petites et moyennes entreprises récemment créé, qui se dit préoccupée par la hausse du coût des services énergétiques dans la province. L'organisme souligne que les entreprises manufacturières canadiennes sont activement courtisées par les États américains, qui leur offrent des tarifs d'électricité beaucoup plus bas comparables aux tarifs du gaz naturel, mais sans tarification des émissions ou sans mécanisme de plafonnement et d'échange, en plus de taux d'imposition des sociétés beaucoup plus faibles. Bref, on parle d'un avantage concurrentiel important.

Mesdames et messieurs les sénateurs, vous avez souligné ce point dans votre rapport, en ces termes :

De nombreuses industries ne sont pas en mesure de transférer l'entièreté des coûts aux consommateurs puisqu'ils se trouvent dans des marchés compétitifs ou des marchés où le prix suit la tendance mondiale. En outre, on craint que les entreprises investissent ou déménagent dans des pays qui ont moins de restrictions concernant les émissions ou qui produisent leur électricité à l'aide de centrales au charbon, ce qui saperait les efforts déployés pour réduire les émissions dans le monde. Dans ce cas, le Canada se retrouverait à assumer le fardeau économique de la perte de production et d'investissement sans même parvenir à réduire les émissions mondiales.

La Coalition des manufacturiers inquiets de l'Ontario est du même avis.

Cela nous amène au point central de votre étude : comment peut-on réduire les émissions de CO2 en nuisant le moins possible à l'économie? Cela soulève de nombreuses questions, notamment sur les délais, les avantages relatifs des diverses approches, l'équilibre lié au remplacement des activités existantes par d'autres ou simplement l'atténuation des risques associés aux activités existantes, ou encore la recherche de solutions de rechange, comme l'élaboration de stratégies d'adaptation.

En guise de première contribution à cette discussion, nous voulons vous présenter les résultats d'une étude sur les solutions au gaz naturel possibles que nous avons commandée à ICF International l'an dernier. Vous trouverez un résumé des résultats aux diapositives 8, 9 et 10. On y présente diverses solutions au gaz naturel qui pourraient entraîner une réduction des émissions pouvant aller jusqu'à 48 mégatonnes d'ici 2030, ce qui contribuerait énormément à l'atteinte de l'objectif national d'émissions. Parmi ces activités, notons l'utilisation plus efficace du gaz naturel dans les applications existantes; le remplacement du gaz par d'autres carburants, dont le gaz naturel liquéfié, ou GNL, pour diverses applications; l'intégration du gaz naturel renouvelable, ou GNR, dans l'offre énergétique globale.

Cela s'inscrit dans la continuité des activités entreprises par l'industrie de distribution de gaz naturel depuis des années. Plus tôt, j'ai parlé des économies réalisées par la mine de Stornoway grâce au gaz naturel. J'ai omis de mentionner qu'outre cette importante économie de coût, la décision de passer au gaz naturel permettra à la mine de Stornoway de réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 43 p. 100 et de réduire considérablement ses émissions de dioxyde d'azote et de dioxyde de soufre, ce qui démontre l'effet que peut avoir la transition au GNL, par exemple.

Je dois toutefois faire une mise en garde : les substitutions ne sont pas toujours avantageuses sur tous les plans, étant donné la hausse importante des coûts qu'on observe dans bien des cas. Actuellement, le gaz naturel renouvelable offert sur le marché est de trois à huit fois plus coûteux que le gaz naturel conventionnel, même s'il demeure moins coûteux que toutes les autres sources d'énergie de remplacement renouvelables, comme l'énergie éolienne et solaire. Il faut faire des choix.

Nous en sommes à évaluer les coûts liés aux recommandations d'ICF. Nous estimons qu'ils pourraient atteindre les huit milliards de dollars, ou environ 150 $ la tonne. Même s'il s'agit d'un montant moins élevé que le montant de 300 $ la tonne rapporté récemment dans les médias à partir de documents du gouvernement, une taxe des 150 $ la tonne sur le CO2 sur le gaz naturel se traduit tout de même par des frais importants d'environ 7,50 $ le gigajoule, ou GJ, de gaz naturel. Pour le propriétaire moyen qui aurait une consommation annuelle de 80 gigajoules, cela représenterait des frais de 600 $, qui réduiraient d'autant son revenu disponible. Pour le ménage canadien moyen, c'est une somme importante, d'autant plus qu'il faut y ajouter les taxes sur l'essence et les frais d'électricité, dans les cas où l'électricité est produite à partir de carburants producteurs d'émissions de carbone.

À cela s'ajoutent toutes sortes de frais. On sait que dans notre système, l'augmentation des coûts des utilisateurs industriels et commerciaux est en fin de compte assumée par les consommateurs, par l'intermédiaire de l'augmentation du prix des biens et services, ou encore que les coûts comprennent d'autres frais de nature économique, comme la baisse des recettes de l'impôt des sociétés, lorsque des entreprises s'établissent ailleurs ou font moins de profits. Ajoutez ensuite les coûts liés à la réglementation, aux subventions pour les technologies émergentes et les nouvelles taxes, comme celle associée à la nouvelle norme sur les combustibles propres. Nous craignons que dans la ferveur qu'on met à vouloir réduire les émissions, on en vienne à oublier tous les frais connexes.

En terminant, nous vous recommandons une série de mesures ciblées, en guise de point de départ. Nous continuons de travailler avec acharnement pour réduire nos émissions; nous progressons. À titre d'exemple, la consommation de gaz naturel d'une maison construite aujourd'hui est de 30 à 40 p. 100 inférieure à celle d'une maison construite en 1990. Nous estimons parvenir à une réduction supplémentaire de 35 p. 100 à l'horizon 2030.

Dans le cadre de nos efforts visant à promouvoir l'innovation, dont le Fonds d'innovation en matière de gaz naturel que nous avons créé récemment, nous avons établi divers partenariats, notamment avec RNCan et ses laboratoires de CanmetÉNERGIE, le Conseil national de recherches, le Centre des technologies du gaz naturel de Boucherville, au Québec, le Gas Technology Centre, à Chicago, et de nombreux homologues internationaux, partout dans le monde.

Notre culture d'amélioration continue de la gestion de l'exploitation nous a permis de réduire considérablement nos émissions fugitives de méthane. Notre collaboration avec le Sénat vise à favoriser l'adoption d'une mesure législative qui aidera à réduire les dommages causés par des tiers à l'origine de ces fuites.

Nous travaillons avec acharnement, mais le discours public nous préoccupe. La volonté d'agir rapidement ne menace pas seulement l'abordabilité; elle crée un climat — pardonnez le jeu de mots — caractérisé par l'étroitesse d'esprit. On se trouve à exclure des discussions, sous prétexte qu'il s'agit d'une industrie du passé, une industrie qui a grandement contribué aux avancées les plus spectaculaires du Canada dans le secteur de l'extraction, du transport et de la distribution du carburant qu'est le gaz naturel. Nous recommandons fortement une analyse plus exhaustive des coûts de chacune des propositions qui seront présentées et une ouverture à l'égard de toutes les options en matière de carburants et de technologies qui s'offrent à nous. De notre côté, nous nous engageons à continuer de vous informer des résultats de notre analyse.

Je vous remercie de votre temps.

Le président : Merci beaucoup de cet exposé fort intéressant. Nous passons maintenant aux questions.

Le sénateur Massicotte : Merci, monsieur Egan, d'être ici ce matin. Je pense que c'est très important.

Je vais vous présenter ma compréhension des choses, et je vous demanderais de me dire si cela constitue un bon point de départ. Sur le plan des changements climatiques, l'intérêt à l'égard du gaz naturel est essentiellement lié au fait qu'il émet environ 50 p. 100 moins de GES que le charbon et environ 25 p. 100 de moins que le pétrole. Est-ce exact?

M. Egan : Cela dépend entièrement de l'application : comment utilisez-vous le carburant, comment le consommez- vous et comment le brûlez-vous? Pour certaines applications de transport, la réduction ne sera pas très importante tandis que pour certaines applications de production d'électricité, la réduction sera très importante. Le résultat est en grande partie attribuable à l'efficacité de la technologie utilisée et aux conditions d'utilisation de la technologie.

Le sénateur Massicotte : Est-ce une bonne moyenne?

M. Egan : On parle d'une moyenne générale de 30 p. 100.

Le sénateur Massicotte : Comparativement au pétrole ou au charbon?

M. Egan : Il faudrait que je vérifie, mais je dirais que c'est en comparaison avec le charbon.

Le sénateur Massicotte : Vous parlez beaucoup des distorsions et des coûts de conversion, ce qui est très pertinent. Quelle est votre opinion au sujet de la taxe sur le carbone?

M. Egan : Nous n'avons pas de position officielle à ce sujet. Nos sociétés membres se trouvent dans 8 des 10 administrations du pays et ont des approches très différentes en ce qui a trait aux plans de contrôle des émissions.

Le commentaire que je pourrais faire, c'est qu'il existe diverses approches pour réduire les émissions. Aucun des arguments en faveur d'une approche en particulier ne nous convainc qu'il s'agit de la meilleure approche à adopter, puisque les circonstances varient d'une administration à l'autre. De nombreuses dispositions intégrées sont en place et ont déjà une incidence sur l'économie de l'énergie.

Le sénateur Massicotte : Aidez-moi un peu. Supposons que la taxe sur le carbone ou le prix du carbone — peu importe la méthode choisie — est de 50 $. Dites-moi quelle en sera l'incidence sur le ménage moyen au Canada... sur une famille de trois ou quatre personnes. Vous avez donné des exemples... sur la consommation. Donnez-moi une idée de l'incidence de cette taxe sur un ménage comparativement au coût du carburant ou de l'énergie.

M. Egan : Nous utilisons une statistique simple : chaque 10 $ de taxe sur le carbone correspond à 50 cents par gigajoule de gaz naturel. Le ménage moyen utilise environ 80 gigajoules de gaz naturel. Cela varie. Dans votre province, un ménage moyen qui utilise le gaz naturel en consommera plus, parce que les besoins en matière de chauffage sont supérieurs à ceux de la province du sénateur Neufeld.

Le sénateur Massicotte : Donnez-moi des chiffres ronds.

M. Egan : Donc, 80 gigajoules à 50 cents par gigajoule correspondent à une différence de 40 $. Une taxe de 50 $ par tonne sur le carbone correspond à une différence de 200 $ par année. C'est sur la facture de gaz naturel; vous verriez votre facture de gaz naturel augmenter de 200 $. Or, ce calcul ne tient pas compte de la façon dont le coût de l'utilisation du gaz naturel dans tous les autres secteurs contribue aux coûts supplémentaires pour les consommateurs.

Le sénateur Massicotte : Le coût annuel pour le ménage moyen au Québec ou ailleurs serait de 200 $ par tonne comparativement à combien?

M. Egan : Pardon, ce n'est pas 200 $ par tonne, mais bien 200 $ par année.

Le sénateur Massicotte : Vous avez raison. Comparativement à des frais d'électricité et de chauffage de combien?

M. Egan : Le ménage moyen dépense probablement 900 ou 1 000 $ par année en gaz naturel.

Le sénateur Massicotte : Donc, la facture passera de 1 000 à 1 200 $... pour le ménage moyen au Canada?

M. Egan : Oui.

La sénatrice Galvez : Les représentants de l'industrie gazière ont témoigné devant d'autres comités. Pourriez-vous nous dire si le gaz qui circule au Canada provient de sources canadiennes ou s'il est importé des États-Unis? Dans l'affirmative, selon quelle mesure?

M. Egan : Cela dépend des régions et des jours, sénatrice.

La sénatrice Galvez : Disons au Québec.

M. Egan : Comme vous le savez, nous faisons partie d'un système intégré d'alimentation en gaz. Par le passé, nous nous sommes approvisionnés presque en totalité à partir du bassin sédimentaire de l'Ouest canadien en Alberta, par l'entremise du système de transport d'ouest en est.

Comme on a développé des ressources gazières dans le nord-est des États-Unis, un plus grand volume de gaz arrive dans les marchés de l'est du Canada — le Québec et l'Ontario — à partir de là.

En ce qui a trait à un pourcentage... Il faudrait que je vous revienne avec un chiffre précis. Les marchés varient de jour en jour, sénatrice. Le marché au comptant attire de nombreux joueurs. La tendance générale consiste en une diminution des exportations du Canada vers les États-Unis et en une augmentation de l'importation. La réalité est qu'au cours des 10 prochaines années, nous n'aurons peut-être aucune incidence nette sur le commerce, parce que nous importons beaucoup de gaz à partir des marchés du Nord-Est vers les marchés de l'Est. Ainsi, les consommateurs des marchés de l'Est économisent beaucoup.

La sénatrice Galvez : La raison pour laquelle je pose la question, c'est que vous n'êtes pas la première personne qui dit avoir été exclue du dialogue sur l'énergie et qu'on a mis de côté plusieurs projets d'exploitation et d'extraction du gaz naturel pour faire place à d'autres types de ressources énergétiques.

Si je dresse une liste des sources d'énergie et que je passe du charbon le plus sale au pétrole, puis au gaz naturel et enfin à l'énergie éolienne et solaire, vous représentez le gaz, soit une transition très intéressante de l'énergie fossile vers l'énergie verte.

Pouvez-vous me dire le plus honnêtement possible pourquoi vous avez mis de côté vos projets d'extraction du gaz naturel? Quelles sont les raisons, selon vous? S'agit-il de raisons politiques? Pour être honnête, je ne crois pas qu'il s'agisse de raisons techniques. Ce sont probablement des raisons politiques ou économiques.

M. Egan : Sénatrice, c'est peut-être à cause de ma formation d'avocat, mais ma réponse, malheureusement, est « cela dépend ». Je comprends qu'il s'agit probablement de la pire réponse que je puisse vous donner, alors je vais essayer de vous donner plus de détails.

Tout d'abord, je vais revenir sur ce que vous avez dit : « le gaz est une transition ». Nous n'utilisons pas ce mot-là. Nous ne parlons pas d'un carburant de transition ou d'un pont; nous parlons d'un carburant de base parce que nous croyons que le gaz naturel est essentiel pour répondre aux besoins énergétiques du Canada à long terme. C'est une chose.

Ensuite, vous avez parlé de passer de « l'énergie fossile à l'énergie verte ». Il faut préciser ce qu'on veut dire par « verte ». Je crois que la discussion se centre principalement sur les émissions de CO2. J'ai parlé avec un éminent journaliste canadien, qui m'a dit : « Vous conviendrez qu'il faudra un jour abandonner le gaz naturel. » Ce à quoi j'ai répondu : « Pourquoi? Votre objectif est-il de réduire les émissions ou de choisir un carburant? Parce que ce n'est pas le même objectif. Si vous voulez réduire les émissions et que je vous montre des façons créatives d'atteindre cet objectif, pourquoi n'utiliseriez-vous pas de combustible fossile? »

Nous avons une importante base de ressources qui peut offrir une valeur économique aux Canadiens et qui peut être propre; pourquoi ne pas essayer de l'utiliser? Cela n'a rien à voir avec le type de carburant. Nous croyons que le gaz offre de nombreuses possibilités à cet égard.

En ce qui a trait à notre exclusion des discussions, je ne parle pas du domaine de l'extraction, parce que nous nous occupons de l'alimentation. Nous travaillons en étroite collaboration avec nos collègues chargés de la transmission, de l'extraction et de la production.

Je crois que les principaux enjeux ont trait tout d'abord aux conditions du marché. Certains bassins de ressources canadiens ne seront pas développés si le marché n'est pas propice. C'est un énorme obstacle pour certaines possibilités relatives au GNL dans le nord-est de la Colombie-Britannique. Ce gaz n'est pas nécessairement celui qui coûte le moins cher à produire dans le monde. Le marché mondial est très compétitif. C'est un facteur.

Le deuxième facteur est le défi associé au processus de réglementation. Je parlais de cela hier à un groupe de diplômés de l'Université Johns Hopkins, à Washington. Tous ceux qui songent à investir dans des projets d'extraction au pays vont étudier les autres possibilités offertes dans les marchés du monde et tenir compte de divers facteurs. La lourdeur du processus de réglementation est l'un de ces facteurs. Le processus de réglementation est un facteur supplémentaire.

Le sénateur Patterson : Sept ans et plus.

M. Egan : Oui. Mais la difficulté à laquelle je suis confronté, c'est le préjugé derrière les commentaires de ce journaliste et cette hypothèse selon laquelle pour réduire les émissions, il faut cesser d'utiliser ce produit. Ainsi, on se dit que cela ne vaut pas la peine d'accroître nos infrastructures, puisque nous serons plus dépendants de cette source d'énergie au fil du temps.

C'est une vision très étroite, qui entraîne notre exclusion de certaines conversations.

Au Canada, une coalition d'associations du secteur des énergies renouvelables s'est créée. J'ai beaucoup travaillé avec le secteur de l'électricité. J'ai aussi travaillé dans les secteurs de l'énergie solaire, de l'hydroélectricité et de l'énergie éolienne, alors je connais de nombreux intervenants. Je les ai appelés et je leur ai manifesté mon souhait de faire partie de leur coalition. Nous avons du gaz naturel renouvelable. Ils m'ont dit que notre énergie n'était pas vraiment renouvelable, parce qu'une grande partie du carburant ne l'est pas. J'ai répondu : « Attendez une minute. Est-ce que le vent est toujours renouvelable? Qu'arrivera-t-il si vous avez un système d'énergie éolienne, que vous avez besoin d'une source d'énergie fiable et que vous ne pouvez pas garantir cette fiabilité? Qu'allez-vous faire? Je parie que vous allez utiliser le gaz à titre de solution de rechange. Ainsi, est-ce que votre énergie est renouvelable? Parce que nous faisons tous partie d'un système énergétique intégré. »

Personne n'est blanc comme neige dans ce domaine. C'est à cela que je faisais référence lorsque j'ai dit qu'on nous excluait de certaines conversations.

Le sénateur MacDonald : Je suis heureux de vous revoir, monsieur Egan.

Tout d'abord, je crois beaucoup au gaz naturel et je crois que le potentiel économique et le potentiel environnemental du gaz naturel sont sous-exploités.

Je veux vous parler de ce qui se passe sur la côte Est avec le gaz naturel. En Nouvelle-Écosse, la société Heritage distribue le gaz naturel. Au Nouveau-Brunswick, c'est Enbridge. Il n'y a presque plus de gaz à l'île de Sable et le gisement Deep Panuke ne produit pas autant de gaz que prévu. Qu'arrivera-t-il avec le gaz au Canada atlantique? Qu'arrivera-t-il avec les coûts, surtout à l'hiver? Dans quelle mesure l'alimentation sera-t-elle fiable? Je crois que nous serons confrontés à certains problèmes au fil du temps. Est-ce que j'ai raison ou est-ce que j'exagère?

M. Egan : Je crois que le Canada atlantique est le seul endroit au Canada où le prix change de façon importante avec les saisons et cela reflète à mon avis deux problèmes dans la région : d'abord, le manque de capacité pipelinière pour amener le gaz vers le marché. Ainsi, lorsque la demande est plus forte, il y a congestion. Il est difficile de trouver le gaz pour répondre à la demande. Ensuite, la capacité de stockage est insuffisante dans la région.

Dans ma déclaration préliminaire, j'ai dit que la capacité de stockage du gaz était importante au pays. Mesdames et messieurs les sénateurs, je ne sais pas si vous pouvez visiter les sites, mais je vous encouragerais à visiter une installation à proximité, le centre d'entreposage de Dawn, au sud-ouest de l'Ontario, qui est l'une des installations de stockage d'énergie les plus extraordinaires au monde. C'est un site de stockage géologique.

Le stockage est ce qui nous permet de maintenir les prix tout au long de l'année. Nous emmagasinons les stocks pour six mois, ce qui nous permet de maintenir le niveau des prix.

Le stockage est très faible dans les Maritimes; la région est donc assujettie à la volatilité des prix. Étant donné les contraintes relatives aux pipelines, le système dépend indûment de quelques bassins d'approvisionnement, et les bassins locaux présentent certains défis, comme vous l'avez mentionné. À mon avis, il faut plus d'infrastructures au Canada atlantique pour éviter la congestion. On développe présentement une importante installation de stockage en Nouvelle- Écosse — celle d'Alton — et si le projet va de l'avant, il aura une incidence positive importante sur les consommateurs.

Par exemple, l'Université Dalhousie a installé un système de chauffage au gaz il y a quelques années et a économisé des millions de dollars. Quelques années après l'installation du système, il y a eu un hiver très froid. Le prix du gaz a augmenté, et la facture d'électricité de l'université aussi. Il y a eu beaucoup de reportages des médias sur l'augmentation de la facture d'électricité de l'université. On disait que c'était parce qu'elle utilisait le gaz naturel. Or, on ne parlait pas du montant de sa facture avant qu'elle ne passe au gaz naturel. L'université est maintenant assujettie aux fluctuations du marché. Le stockage et la transmission peuvent régler ce problème.

Le sénateur MacDonald : Les réserves stratégiques de pétrole suivent le même principe, n'est-ce pas?

M. Egan : Oui.

Le sénateur MacDonald : En ce qui a trait à l'acheminement du gaz des États-Unis vers l'est du Canada, disons, et pas seulement le Canada atlantique, mais aussi l'Ontario et le Québec, pouvons-nous nous fier à cet approvisionnement pour les 20 prochaines années alors qu'on construit de nombreuses installations d'exportation du gaz naturel liquéfié, ou GNL? Je suppose que les exportateurs du gaz américain préfèrent avoir 16 $ par unité que 4 $. Quelle sera l'incidence du développement du GNL sur l'approvisionnement et les coûts?

M. Egan : À l'heure actuelle, il n'y a aucune incidence sur l'approvisionnement ou le coût parce que les États-Unis, comme le Canada, abondent en gaz naturel. L'offre est extraordinaire.

Maintenant, combien d'installations de GNL construira-t-on et quelle incidence auront-elles? Le temps nous le dira, mais je me fie au discours du Congrès sur la question de l'exportation. Les députés des deux Chambres du Congrès ont vivement critiqué l'exportation du GNL, mais ces critiques ont grandement diminué.

Les critiques avaient trait à la question que vous avez soulevée : est-ce que cela aura une incidence sur les prix du marché intérieur? Il semble que ce ne soit pas le cas dans un avenir rapproché aux États-Unis, et donc au Canada, mais je reviens à un point que j'ai soulevé plus tôt au sujet du caractère intégré de nos systèmes de transmission d'énergie. Nous avons un réseau de pipelines extraordinaire qui nous relie aux États-Unis, mais aussi aux bassins canadiens existants. Nous avons toujours accès au gaz du bassin sédimentaire de l'Ouest.

Le marché répondra aux signaux. Si le prix de l'approvisionnement en gaz augmente de façon significative aux États-Unis, je crois que nous allons en acheminer plus à partir de l'Ouest canadien. Nous avons le luxe de choisir.

La sénatrice Griffin : Nous vous remercions de votre présence ici aujourd'hui.

Le gouvernement du Canada dispose de deux instruments pour influer sur la politique publique ou atteindre ses objectifs. L'un d'eux est bien sûr la réglementation et l'autre, les mesures économiques.

Vers la fin de votre rapport, vous recommandez une analyse plus détaillée des coûts des propositions, et j'aurais aimé avoir d'autres recommandations. Ma question est donc la suivante : quelle est, selon vous et votre industrie, la plus importante mesure que le gouvernement du Canada puisse prendre pour passer à une économie à faibles émissions de carbone?

M. Egan : Madame la sénatrice, vous avez raison : les gouvernements ont des outils réglementaires et économiques. Ils ont aussi recours à la persuasion morale, et d'ailleurs, il faudrait exercer davantage ce pouvoir de persuasion, lorsqu'on parle de la valeur de notre carburant et de nos infrastructures. Je tenais à le souligner.

En ce qui concerne les outils économiques, nous sommes ravis de voir que le présent gouvernement s'intéresse à un programme d'innovation. Nous croyons que cela offre d'énormes possibilités. À vrai dire, selon nous, l'innovation est ce qui nous a permis d'avoir l'extraordinaire approvisionnement en gaz naturel que nous avons aujourd'hui en Amérique du Nord. Cette innovation est le fruit d'une collaboration entre les gouvernements et le secteur privé, qui ont su récupérer des combustibles non conventionnels. Je crois que ce type de collaboration en innovation peut donner lieu à une importante réduction d'émissions.

Je vais vous donner des exemples : nous avons travaillé en étroite collaboration avec l'Office de l'efficacité énergétique de Ressources naturelles Canada pendant de nombreuses années, et l'efficacité moyenne d'un appareil de chauffage dans une maison au Canada est passée de 60 à 90 p. 100. Cela représente donc une réduction importante et immédiate d'émissions, étant donné qu'on a diminué la consommation de carburant. Nous prévoyons d'autres réductions d'émissions et améliorations au chapitre de l'efficacité énergétique des maisons, grâce à l'arrivée de nouvelles technologies, et nous essayons de collaborer avec le gouvernement là-dessus.

Je sais que vous êtes très occupés, mais je me demandais si vous étiez allés aux laboratoires Canmet. Le travail qu'ils font est exceptionnel. J'ignore si vous avez vu les systèmes de microgénération qu'ils ont conçus. À première vue, cette technologie peut paraître courante, mais pour les applications à petite échelle, elle est potentiellement révolutionnaire. On travaille également sur des pompes à carburant. Je dirais que les gouvernements devraient se concentrer plus directement sur ce type d'activités et miser sur la collaboration afin de contribuer à stimuler l'innovation sur le marché.

Nous travaillons très fort avec nos homologues provinciaux, et nous avons demandé au gouvernement fédéral d'appuyer cette initiative pour permettre la création de redevances d'innovation sur la base tarifaire. Nous avons dit aux gouvernements que s'ils imposaient un régime de réduction des émissions, soit par l'intermédiaire de taxes ou de régimes de plafonnement et d'échange, ces frais seraient directement refilés à nos consommateurs. Permettez-nous de consacrer une partie de ces revenus à l'innovation. Ainsi, l'innovation serait supervisée par les organismes de réglementation, et on n'aurait pas à craindre le détournement de fonds. Il y aurait une transparence complète. Nous croyons qu'il s'agit d'une bonne occasion de réaliser des progrès au chapitre de la réduction d'émissions. Les secteurs sur lesquels ICF s'est penchée, comme le GNR, en sont des exemples, mais il y en a beaucoup d'autres.

La sénatrice Seidman : Merci beaucoup, monsieur Egan, pour votre exposé. Soyez le bienvenu au sein du comité.

J'aimerais parler du mémoire qu'a présenté l'Association canadienne du gaz à Ressources naturelles Canada en octobre 2016, plus particulièrement de l'utilisation du gaz naturel pour le transport, de ses émissions et de la situation en général. Vous avez parlé de la politique de transport et des besoins technologiques, et vous avez précisément fait allusion aux besoins uniques du Canada en matière de transport de marchandises.

Au sein du comité, nous avons entendu, par exemple, que l'industrie du camionnage lourd était réticente à utiliser les nouvelles technologies pour convertir ces camions. On a invoqué diverses raisons, notamment les dépenses, le fait que la technologie n'est pas garantie et toutes sortes de raisons concernant le manque d'infrastructure.

Toutefois, comme vous l'avez indiqué clairement dans ce rapport, il y a des possibilités énormes de réduction de l'empreinte carbone. J'aimerais donc que vous nous parliez des difficultés auxquelles vous êtes confrontés, de la raison de ces difficultés et de ce qu'on peut faire pour y remédier.

M. Egan : Comme je l'ai dit plus tôt, les carburants de transport représentent 39 p. 100 de la consommation finale d'énergie. Vous avez donc raison : c'est énorme.

Nous collaborons avec divers sous-secteurs du domaine des transports. Je sais que Sophie Brochu a comparu devant le comité et a parlé du travail que faisait Gaz Métro au Québec avec le Groupe Robert et d'autres. Il y a des projets pilotes comparables en Colombie-Britannique, avec FortisBC, et dans d'autres provinces également.

Comme vous le savez, le transport des marchandises est un secteur très compétitif où les marges sont minimes. Dans le cas du camionnage, on trouve des milliers de propriétaires de camion individuels et de très petites entreprises. La transition majeure d'un carburant à un autre représente un grand risque pour eux.

Vous avez souligné quelques-unes des principales difficultés, et nous nous penchons là-dessus. Il y a tout d'abord l'infrastructure de ravitaillement. Il y a ensuite l'entretien des véhicules puis le coût de l'équipement. Comment peut-on surmonter ces difficultés de façon systématique, de sorte que la marée montante soulève tous les bateaux?

Nous discutons de ce dossier avec Transports Canada, et nous lui avons recommandé d'entreprendre une étude sur la mise en place de postes de ravitaillement stratégiques. Prenez par exemple le transport ferroviaire au Canada. Il s'agit d'un secteur extrêmement concurrentiel en Amérique du Nord. Un directeur à la retraite du secteur ferroviaire m'a dit qu'on pourrait alimenter le réseau ferroviaire au Canada en gaz naturel liquéfié grâce à trois à six postes de ravitaillement répartis partout au pays. Cela dit, où ces postes seraient-ils mis en place?

J'ai ensuite communiqué avec certaines de mes sociétés membres. Par exemple, j'ai parlé au représentant de Manitoba Hydro et je lui ai dit : « S'il y avait un poste de ravitaillement en GNL, quels autres avantages pourrait-on en retirer? » L'ancien directeur à qui j'ai parlé a fait remarquer qu'il y avait de nombreuses communautés des Premières Nations dans le Nord du Manitoba qui dépendent du diesel, et qu'il coûterait beaucoup trop cher d'étendre le réseau électrique jusqu'à elles, mais qu'on pourrait transporter le GNL par camion. Par conséquent, si on avait un poste de GNL à Winnipeg, par exemple, cela pourrait fonctionner.

À l'heure actuelle, en Colombie-Britannique, le GNL est acheminé par camion de la vallée du bas Fraser jusqu'à Inuvik. Il est plus économique de transporter le GNL par camion de la vallée du bas Fraser, en Colombie-Britannique, jusqu'à Inuvik et d'autres localités du Grand Nord. C'est extraordinaire, alors imaginez si on avait en place une série de postes stratégiques qui nous permettraient de répondre à ces besoins, pour le transport ferroviaire, le camionnage, le transport maritime et l'exploitation minière dans les régions éloignées.

Il ne faut pas se leurrer : le coût des innovations technologiques est très élevé. Nous ne sommes pas en train de dire qu'il faut privilégier cette option parce qu'elle est économique; cela va coûter beaucoup d'argent. Toutefois, nous devons envisager toutes les possibilités puis nous demander : « Comment doit-on répartir les coûts? » Ce que nous avons dit au gouvernement fédéral, c'est : « Vous assumez déjà une grande partie des coûts des collectivités éloignées, et bon nombre sont liés au diesel et à la technologie connexe. Vous avez entrepris de remplacer cette technologie. Nous croyons pouvoir offrir une solution plus économique qui permettra de réduire vos coûts en diesel, mais nous voulons l'intégrer. »

Il faut adopter une approche intégrée systématiquement. Nous parlons ici d'un plan d'action que nous pourrions mettre en œuvre.

Le président : Je vais devoir céder la parole à un autre intervenant.

Le sénateur Black : Je vous remercie d'être ici, monsieur Egan. Tout comme mon collègue, le sénateur MacDonald, je suis un grand partisan de votre industrie et de sa contribution au développement du pays. Cela me dérange lorsque j'entends des gens dire que le gaz naturel est un combustible du passé. Selon moi, il s'agit d'une conversation naïve et dangereuse. Il ne faut pas généraliser. Je tiens à souligner clairement que je suis un grand partisan de ce que vous faites.

Brièvement, si l'on examine la situation dans son ensemble, est-ce que votre association est d'avis que le Canada peut respecter les objectifs de réduction des gaz à effet de serre qu'il s'est fixés?

M. Egan : D'ici 2030, non.

Le sénateur Black : Merci beaucoup.

Selon vous, où le Canada se situe-t-il par rapport à cet objectif?

M. Egan : Je peux seulement vous parler de notre propre secteur et de l'étude qu'a réalisée ICF. Si les sénateurs n'ont pas accès à l'étude, car je ne vous l'ai pas distribuée, je peux toujours vous la transmettre. On a parlé de 48 mégatonnes, ce qui est bien loin de l'objectif souhaité pour 2030, mais encore une fois, cela entraînera des coûts considérables.

Toutefois, je ne peux pas vous parler des autres secteurs de l'économie ni des mesures qui s'imposent relativement à ces secteurs.

Le sénateur Black : Quelles seraient les deux ou trois recommandations que le comité pourrait formuler afin d'aider au développement de votre industrie alors que nous tentons d'atteindre les objectifs que nous nous sommes fixés?

M. Egan : Je reviens à ce que j'ai dit plus tôt en réponse à la question de votre honorable collègue au sujet de l'innovation. Nous avons besoin d'une stratégie coordonnée en matière d'innovation, et d'une approche coordonnée sur les possibilités pour le secteur des transports. La persuasion morale dont j'ai parlé, en ce qui a trait à la proposition de valeur du gaz naturel, serait bénéfique également.

Le sénateur Black : Ce sont des points très pertinents.

Vous avez également laissé entendre que les Canadiens n'avaient absolument aucune idée des coûts de cette initiative.

M. Egan : C'est ce que je crois. En réalité, les Canadiens ne savent pas grand-chose au sujet du système énergétique. Ils n'ont qu'à allumer la lumière, monter le chauffage, démarrer la voiture — tout fonctionne. Peu de gens se souviennent qu'il y a à peine quelques générations — et c'est même encore le cas dans les collectivités éloignées —, il fallait partir à la recherche de l'énergie, du carburant.

Un ministre fédéral m'a dit lors d'une réunion : « Pourquoi vous voulez me parler? Vous n'avez pas de problème. J'ai des problèmes. Vous me faites perdre mon temps. » Et je lui ai dit que je croyais avoir la solution à quelques-uns de ses problèmes.

Le danger, c'est de croire que l'on peut cesser d'utiliser cette ressource. Certains d'entre vous ont vu l'ébauche du plan de mesures pour lutter contre les changements climatiques du gouvernement de l'Ontario l'an dernier. Vous avez peut-être lu la lettre ouverte que je lui ai adressée. Naturellement, j'ai vertement critiqué ce plan d'action, puisqu'il était question d'éliminer le gaz naturel des applications de l'Ontario, ce qui aurait entraîné des coûts énormes. Le maire de Vancouver a parlé d'interdire le gaz naturel à Vancouver. Maintenant, les restaurateurs disent : « Attendez un instant. Nous en avons besoin pour cuisiner, et nos marges sont très limitées. Comment allons-nous nous y prendre? »

Lorsque j'entends des gens faire ce que je considère être des déclarations farfelues, je trouve cela utile, car cela ouvre la porte aux discussions. Toutefois, nous devons redoubler d'ardeur pour que les gens comprennent la proposition de valeur de notre produit et de notre industrie.

Le sénateur Black : Excellent témoignage. Merci.

Le sénateur Patterson : J'aimerais maintenant m'attarder sur la situation dans le Nord. Selon le document intitulé Les possibilités du gaz naturel au Canada, « d'ici 2025, au moins 23 installations de production d'électricité et 58 clients industriels dans le Nord canadien pourraient passer au GNL », ce qui permettrait d'économiser sur les coûts de l'énergie et de réduire les émissions de GES.

Soit dit en passant, je viens d'apprendre qu'une nouvelle mine d'or a été annoncée par Agnico Eagle Mines Limited dans mon territoire, le Nunavut. On m'a dit que leurs groupes électrogènes diesel seraient convertis au gaz naturel.

Jusqu'à quel point le gaz naturel est-il une solution de remplacement viable pour réduire la dépendance au diesel pour la production d'électricité dans le Nord? Dans quelle mesure est-ce pratique et économique?

M. Egan : La technologie est très comparable. On utilise un hydrocarbure pour faire fonctionner la technologie du moteur, alors il n'y a aucun problème technique à cet égard. Ce qui pose problème, c'est le transport et le stockage du carburant.

Évidemment, pour les collectivités les plus éloignées de votre territoire, monsieur le sénateur, il n'est pas réaliste de penser qu'on peut leur acheminer le gaz naturel par oléoducs, et c'est la façon la plus économique de le faire. Les autres options sont le gaz naturel comprimé ou liquéfié. Le GNL est la forme de gaz la plus concentrée et, par conséquent, la plus efficace à acheminer par unité d'énergie.

Je vous ai donné l'exemple d'Inuvik dans les Territoires du Nord-Ouest. Là où il y a du gaz, il y a une route. On peut donc envisager le transport par barge et par route d'hiver. Ces technologies existent. Une grande partie du gaz naturel est acheminée par barge dans diverses régions du monde, que ce soit en Asie du Sud-Est, dans les fjords de la Norvège et sur la mer Baltique.

Comme vous le savez, les conditions climatiques dans le Nord sont uniques, alors il faut se doter d'installations de stockage saisonnier. Il y a déjà des installations industrielles dans le Grand Nord qui peuvent stocker de grandes quantités d'énergie. En fait, il est avantageux de stocker le GNL dans le Grand Nord : il y a beaucoup moins d'évaporation en raison du climat froid.

La question est de savoir : peut-on créer une demande suffisante pour justifier l'investissement dans les infrastructures? Je pense que nous observons de bons résultats au Yukon et dans les Territoires du Nord-Ouest en ce moment, et nous aimerions aller de l'avant dans votre territoire également.

Le sénateur Patterson : Si j'ai bien compris, Ressources naturelles Canada a eu des entretiens avec votre organisation au sujet du potentiel du GNL ou du gaz comprimé pour appuyer les activités minières dans le Nord, et je sais qu'Affaires autochtones et du Nord Canada a reçu des crédits dans les derniers budgets pour envisager des solutions de remplacement au diesel. Votre organisation a-t-elle participé à l'une de ces initiatives, et si oui, où en êtes-vous?

M. Egan : Nous avons voulu participer à ces discussions. Le gouvernement fédéral, en collaboration avec le gouvernement manitobain, si je ne me trompe pas, avait tenu un premier atelier dans le cadre d'une stratégie visant à éliminer l'utilisation du diesel. On nous a informés, à ce moment-là, que le premier événement ne concernait que les énergies renouvelables et on ne nous a pas invités. Cependant, les discussions sont en cours, et nous avons manifesté notre désir d'y prendre part.

Le sénateur Patterson : Je me demande s'il s'agit d'un exemple du faux raisonnement dont vous avez parlé plus tôt, c'est-à-dire qu'on néglige le gaz naturel au profit de l'énergie solaire et éolienne, qui est beaucoup plus à la mode, alors que le gaz est probablement la meilleure solution de remplacement au diesel.

M. Egan : Si je peux me permettre, monsieur le sénateur, comme nous le disons depuis longtemps : « Nous devons fournir le bon carburant au bon moment et au bon endroit. » Nous ne disons pas que le gaz naturel est la meilleure des options; nous disons simplement que chaque forme d'énergie mérite d'être étudiée et peut mieux convenir dans certaines situations. Nous n'avons rien contre les énergies renouvelables; en fait, ce sont des partenaires clés.

Comme vous le savez sans doute, et certains de vos collègues du Nord l'ont signalé, lorsqu'il fait particulièrement froid, nous avons besoin d'une source d'énergie extrêmement fiable. L'avantage du diesel, c'est qu'il est très fiable et qu'il fonctionne bien dans le Nord. Cela dit, la solution de rechange devra être tout aussi fiable. Autrement, aussi intéressantes qu'elles puissent paraître, les autres options peuvent ne pas convenir à ce type de marché.

Nous devons nous montrer plutôt cartésiens, et nous estimons que le gaz naturel liquéfié peut servir à quelques-unes de ces fins, mais sans doute pas à toutes, et ce, pour toutes sortes de raisons.

Le sénateur Patterson : Merci beaucoup.

Le président : Je vais profiter de l'occasion pour vous poser moi-même quelques questions. J'ai beaucoup aimé votre exposé.

Je n'habite pas à Vancouver. Dans mon coin de la province, le gazon n'est pas vert à longueur d'année. Nous avons de la neige au sol. Je vis dans le nord-est de la Colombie-Britannique.

Lorsque nous utilisons des moyennes pour l'ensemble du Canada, nous faussons vraiment les données pour les gens qui vivent dans le Nord. C'est même le cas pour Edmonton qui est presque aussi loin vers le Nord que chez moi. Nous parlons de la consommation moyenne au pays du gaz naturel... Pouvez-vous me rappeler combien de gigajoules exactement?

M. Egan : Pour le ménage moyen, c'est 80.

Le président : Eh bien, pour mon ménage, qui est tout à fait moyen, la consommation est de 160 gigajoules. Voilà qui vous donne une assez bonne idée des écarts possibles. Pour mettre les choses en perspective de telle sorte que chacun sache à quoi s'en tenir, je vous signale que je paye 2,20 $ le gigajoule pour le gaz naturel. À 30 $ la tonne, ma taxe sur le carbone me coûte 1,50 $ le gigajoule. Si cette taxe était doublée, je me retrouverais à payer davantage pour la taxe sur le carbone que pour le gaz naturel lui-même. On peut se demander comment il va être possible de justifier une telle chose.

Je me préoccupe surtout du sort de l'industrie qui utilise d'énormes quantités de gaz naturel. Cela m'inquiète beaucoup parce que nous cherchons à savoir quels seront les coûts pour les particuliers. On a fait valoir à ceux-ci, de toutes sortes de manières, que le monde court à sa perte si l'on n'arrête pas d'utiliser des carburants fossiles, mais on ne leur a jamais dit comment on comptait s'y prendre et quels seraient les coûts pour chacun.

Je veux que les gens restent bien conscients de ces questions. Je n'ai rien contre les moyennes, mais je ne veux pas avoir à composer avec le maire de Vancouver qui veut éliminer le gaz naturel, même si la moitié de la population de la province habite dans cette ville.

Vous pourriez peut-être également nous en dire davantage au sujet de ce fonds pour l'innovation qui serait utilisé pour payer les factures. Vous connaissez certes le fonds ICE pour l'énergie propre novatrice que j'ai moi-même mis en place lorsque j'étais ministre en Colombie-Britannique. Envisagez-vous un fonds qui s'y apparenterait? Il s'agit en fait de taxer les carburants fossiles et d'utiliser les sommes recueillies pour l'innovation en fonction des décisions prises par un conseil constitué à cette fin.

Troisièmement, j'aimerais savoir ce que vous pensez de la situation dans l'industrie pétrochimique. C'est le Sud de l'Ontario qui accueille le pan le plus important de cette industrie au Canada, suivi par l'Alberta. Lorsqu'on commence à voir une tarification à hauteur de 30 $, 100 $ ou 150 $ la tonne alors qu'il n'y a rien du tout à payer au sud de la frontière, il y a lieu de s'interroger sur les effets pour les entreprises de ce secteur à Sarnia et à Hamilton. Ces industries procurent de l'emploi à des milliers de travailleurs.

Par ailleurs, même si nous avons surtout parlé du chauffage des maisons et des utilisations semblables, il faut aussi penser à tous les produits issus des carburants fossiles qui sont bien présents dans nos vies. Où va-t-on prendre le plastique pour construire toutes ces magnifiques voitures électriques? Il viendra encore des carburants fossiles, tout au moins dans un avenir immédiat.

Pouvez-vous nous dire ce que vous pensez de ces différents enjeux?

M. Egan : Je vais vous répondre en commençant par la fin. Pour ce qui est de l'industrie pétrochimique, je vous encourage à jeter un coup d'œil à certains documents publiés par l'Association canadienne de l'industrie de la chimie.

Le président : Je veux seulement que vous sachiez que notre comité s'est rendu à Sarnia.

M. Egan : Vous savez donc à quel point le gaz naturel peut être une charge d'alimentation essentielle pour l'industrie chimique. L'imposition de taxes sur cette charge d'alimentation peut faire grimper considérablement le coût des facteurs de production pour ces industries, sans compter tous les coûts dérivés dont vous avez parlé.

Qu'est-ce que cela signifie pour les entreprises de ce secteur? L'industrie pétrochimique est planétaire et les décisions d'investissement sont prises à l'échelle mondiale. Si vous avez trois ou quatre options à considérer pour votre prochain investissement, vous allez prendre en compte une variété de facteurs dont le coût des intrants. Si ce coût est beaucoup plus élevé au Canada, il y a fort à parier que vous allez choisir d'investir ailleurs, ce qui est plutôt paradoxal étant donné que nous avons d'ores et déjà un système énergétique extrêmement sobre en émissions. C'est ce que j'avais à dire concernant l'industrie chimique.

Nous avons beaucoup parlé de la situation du ménage moyen, mais les industries canadiennes consomment énormément de gaz naturel, un élément essentiel à leur bon fonctionnement. Je vous remercie donc d'avoir souligné cette réalité.

Pour ce qui est d'un fonds de l'innovation, nous avons effectivement suivi de près ce qui se passe avec le fonds ICE. Nous sommes conscients des possibilités qui s'offrent avec un bassin de 7 millions de consommateurs canadiens, dont plusieurs verront leur facture de gaz être majorée par une taxe additionnelle imposée par les gouvernements dans le cadre d'un régime de réduction des émissions. Nous soutenons qu'une partie de cette nouvelle taxe devrait servir à des fins d'innovation. Il faut que les provinces s'en chargent, car ces entités sont régies par les instances réglementaires provinciales. Le gouvernement fédéral peut toutefois avoir un rôle à jouer à ce chapitre, car il a les moyens d'exercer son influence en la matière, comme vous le savez. Voilà pour ma réponse à propos du fonds pour l'innovation.

Concernant votre premier point, sénateur, je me permets de vous faire remarquer qu'il y a eu effectivement de la neige au sol à Vancouver cet hiver. Ce fut une saison très froide dans notre ville et les Vancouvérois ont consommé beaucoup plus de gaz naturel qu'à l'accoutumée. Je conviens cependant tout à fait avec vous que l'utilisation d'une moyenne minimise l'importance des coûts énergétiques supplémentaires que doivent assumer ceux qui vivent dans des régions froides.

Vous avez parlé d'une taxe sur le carbone à 1,50 $ en Colombie-Britannique alors que le produit lui-même coûtait 2,20 $. Comme vous le savez, le prix du produit baisse tellement lors de certaines saisons qu'il y a eu des moments l'an dernier où il était inférieur dans la province à la taxe sur le carbone. C'est le cas lorsque celle-ci est fixée à 30 $. Il est donc vrai qu'avec une taxe sur le carbone à 50 $, on parlerait de 2,50 $ le gigajoule, ce qui serait supérieur au prix actuel du gaz.

Je faisais valoir au départ que pour remplacer le gaz naturel par l'énergie électrique, il faudrait accroître de 290 p. 100 la capacité de notre réseau. Les besoins en énergie résidentielle sont extrêmement élevés au Canada en janvier et en février. Ils le sont à longueur d'année pour le secteur industriel. Il convient d'évaluer les répercussions possibles de ces taxes.

Le président : Vous nous avez brossé un excellent portrait de la situation. Merci beaucoup pour tous ces éclaircissements. Nous voulons bien faire comprendre aux Canadiens que l'atteinte des cibles fixées ne sera pas nécessairement une partie de plaisir. Vous avez confirmé que nous n'allons pas y parvenir. Vu la façon dont les choses se passent au pays, je serais plutôt d'accord avec vous.

Il faudrait se pencher plus sérieusement sur les mesures d'adaptation possibles, car nos actions ne vont rien y changer. Nous pourrions bien interrompre toute production industrielle au Canada afin d'atteindre nos cibles, mais cela ne freinerait aucunement la hausse des températures à l'échelle planétaire. Nous devrons de toute manière composer avec les changements climatiques, et il nous faut mieux analyser les mécanismes d'adaptation à mettre à contribution dans ce contexte.

Nous vous sommes très reconnaissants pour votre exposé.

Pour la seconde partie de notre séance, je suis heureux de souhaiter la bienvenue à Mme Katrina Marsh, de la Chambre de commerce du Canada. Merci d'être des nôtres aujourd'hui. Nous avons grand-hâte d'entendre ce que vous avez à nous dire avant que nous vous posions nos questions.

Katrina Marsh, directrice principale, Politique des ressources naturelles et de l'environnement, Chambre de commerce du Canada : Merci beaucoup de me donner l'occasion de prendre la parole devant vous. C'est ma première comparution devant un comité sénatorial. Je suis très honorée d'être ici.

Je suis donc la directrice responsable de la politique des ressources naturelles et de l'environnement à la Chambre de commerce du Canada. Notre mandat principal consiste à défendre les intérêts des 450 membres de notre réseau regroupant des chambres de commerce provinciales, locales et territoriales de toutes les régions du pays. Nous représentons 200 000 entreprises de toutes les tailles et de tous les secteurs.

La transition vers une économie à faibles émissions de carbone pourrait être assimilée à la construction d'un pont. La Chambre de commerce du Canada est d'avis que ce pont doit être construit. Nous nous inquiétons toutefois des techniques de construction qui sont utilisées.

Les politiques relatives aux changements climatiques ne sont pas imposées en vase clos. C'est la conjoncture économique qui détermine leurs répercussions sur la capacité concurrentielle. Il y a plusieurs facteurs à prendre en considération. Les taux de cotisation au RPC sont à la hausse. Le tarif maximal d'électricité pour les entreprises ontariennes augmente quatre fois plus vite que l'inflation depuis 2006. Le salaire minimum est majoré partout au pays. Une réduction prévue du taux d'imposition des petites entreprises a été annulée. Le budget de 2017 a instauré des hausses permanentes d'un large éventail de frais d'exploitation des entreprises.

Chaque année, la Banque mondiale classe 190 pays en fonction du soutien offert aux entreprises par leur cadre réglementaire. Le Canada se situait en 7e place en 2008, mais a glissé au 22e rang à peine 10 ans plus tard.

Les frais d'exploitation représentent l'enjeu principal pour les membres de notre réseau partout au pays. Nous ne voyons malheureusement pas les gouvernements adopter une approche holistique à l'égard de ces frais. C'est pourtant l'un des éléments clés à considérer dans le contexte du Cadre pancanadien sur la croissance propre et les changements climatiques ainsi que des politiques provinciales en la matière.

Alors qu'elles ressentent déjà la pression exercée par la hausse de leurs différents frais, les petites et moyennes entreprises s'inquiètent beaucoup des répercussions que pourraient avoir sur leur bilan les nouvelles politiques sur les changements climatiques. Leurs préoccupations sont exacerbées par les changements proposés aux mesures fédérales de réglementation et de taxation aux États-Unis, parce que ce pays est non seulement notre principal partenaire commercial, mais aussi, dans bien des cas, un concurrent important lorsqu'il s'agit d'attirer des investisseurs.

La solution ne consiste toutefois pas à faire fi des changements climatiques ou à s'abstenir d'adopter de nouvelles politiques afin de réduire les émissions. Les gouvernements doivent cependant s'assurer de garder la capacité concurrentielle des entreprises canadiennes au cœur de leurs préoccupations. Nous avons cinq suggestions quant à la façon dont ils devraient s'y prendre.

Premièrement, il faut investir dans la mission. La Chambre de commerce du Canada appuie la tarification du carbone depuis 2011. Une telle hausse des frais pour tous ne peut toutefois être justifiable que si les recettes ainsi générées sont utilisées pour remplir la mission que l'on s'est donnée. Les fonds provenant des mécanismes de tarification du carbone doivent servir à réduire les impacts sur la capacité concurrentielle de nos entreprises ou à favoriser l'innovation en matière climatique. Sans cela, les changements climatiques ne seraient qu'un prétexte invoqué par les gouvernements pour augmenter les impôts.

Deuxièmement, il doit y avoir tarification du carbone ou réglementation, mais pas les deux à la fois. Selon les économistes, la tarification du carbone est le moyen le moins coûteux de réduire les émissions d'un pays, mais nous voyons tout de même les gouvernements ratisser le plus large possible en ajoutant une couche de réglementation aux taxes sur le carbone et aux systèmes de plafonnement et d'échange. Cette façon de faire risque d'aller à l'encontre de l'un des principaux avantages de la tarification du carbone, à savoir la possibilité pour les entreprises de choisir elle- même la façon dont elles vont procéder pour réduire leurs émissions.

Troisièmement, il faut considérer les choses dans une perspective locale, mais agir en tenant compte du contexte planétaire. Si l'on s'emploie uniquement à diminuer les émissions au Canada, on pourrait rater des occasions de les réduire ailleurs dans le monde grâce au commerce et à d'autres formes de coopération internationale.

Quatrièmement, il faut développer des outils et des technologies à émissions négatives. Les mesures de compensation et les technologies permettant d'extraire des émissions de l'atmosphère pourraient grandement aider le Canada à progresser vers l'atteinte de ses cibles sans nuire à l'économie.

Cinquièmement, il faut miser sur une bonne gouvernance pour obtenir de meilleurs résultats. En vertu de la Convention de Paris, le Canada devra faire le point à tous les cinq ans sur sa contribution à l'égard des changements climatiques, et ce, à compter de 2023. Les gouvernements doivent faire montre de transparence relativement à l'analyse économique qui sert de base à l'élaboration de leurs politiques et de leurs programmes, en veillant à ce que les entreprises de toutes tailles soient conscientes des répercussions sur leurs frais d'exploitation, et en s'assurant que le secteur privé est consulté dès le départ quant à la teneur de ces politiques.

Nos membres comprennent bien qu'il faut faire le nécessaire relativement aux changements climatiques et conviennent que cela ne sera pas gratuit. Ils ne sont toutefois pas prêts à accepter que l'on fasse preuve de laxisme quant au maintien de la capacité concurrentielle de nos entreprises. Il faut d'abord et avant tout concevoir les politiques relatives aux changements climatiques de manière à en minimiser l'impact pour les entreprises.

Nous souhaiterions également qu'une approche pancanadienne soit adoptée à l'égard des frais d'exploitation imposés aux entreprises par les gouvernements. Comme les coûts associés à la transition vers une économie à faibles émissions ne cessent d'augmenter, les gouvernements devraient consentir des réductions par ailleurs de façon à maintenir la capacité concurrentielle de notre économie.

Le président : Merci beaucoup pour cet exposé.

Nous passons aux questions des sénateurs.

Le sénateur Massicotte : Merci d'être des nôtres ce matin, madame Marsh. Il est toujours intéressant d'entendre le point de vue de la Chambre de commerce du Canada.

Votre association appuie la tarification du carbone depuis quelques années déjà. Avez-vous une idée du niveau auquel on devrait situer la taxe sur le carbone pour atteindre nos cibles? Vous avez indiqué clairement dans votre exposé qu'il fallait imposer une taxe sur le carbone ou adopter des règlements, mais pas les deux à la fois. Vous devez donc avoir une idée du taux de tarification du carbone nécessaire pour que notre pays puisse respecter ses engagements.

Mme Marsh : Nous n'avons jamais effectué d'analyse qui nous aurait permis de savoir exactement à quel niveau doit se situer la taxe sur le carbone pour nous permettre d'atteindre nos cibles actuelles. Selon nous, il faut d'abord et avant tout prendre des mesures pour lutter contre les changements climatiques. Dans ce contexte, trois options s'offrent à nous, soit les subventions, la réglementation et la tarification. Nous estimons que la tarification est celle des trois qui, pour autant qu'elle soit correctement structurée, a le moins d'impact sur l'économie. C'est donc cette option que nous privilégions.

Le sénateur Massicotte : Certains témoins experts nous ont indiqué que la tarification du carbone pourrait avoir un coût très élevé — près de 150 $ à 200 $ la tonne — s'il s'agissait du seul instrument utilisé pour atteindre nos cibles. Contrairement à ce que vous recommandez, certains soutiennent que, compte tenu des répercussions pour les consommateurs et les familles, nous pourrions sans doute combiner les deux approches en misant par exemple sur une taxe sur le carbone moins élevée qui serait assortie d'une réglementation. Si j'ai bien compris, vous n'êtes pas de cet avis.

Mme Marsh : Je crois que la Commission de l'écofiscalité du Canada s'emploie actuellement à déterminer quels règlements pourraient être complémentaires à une tarification du carbone et lesquels ne feraient que s'y ajouter. Nous n'avons pas tous les détails à ce sujet. C'est toutefois une question qui préoccupe certes les membres de notre association. Si l'on s'intéresse au processus d'élaboration des normes pour le carburant propre comme le gaz naturel, il est difficile pour nous de commenter des politiques qui n'ont pas vraiment été communiquées depuis la phase de consultation.

Tout bien considéré, il n'est pas illogique de croire que ces politiques viennent simplement se greffer à une taxe sur le carbone en essayant d'obtenir le même résultat.

Je ne suis pas en train de dire qu'il n'existe pas de secteur où la réglementation pourrait être complémentaire à la tarification du carbone, mais il faut bien avouer que nous n'avons pas encore vu d'analyse gouvernementale nous indiquant qu'une réglementation est nécessaire dans certains secteurs en raison des répercussions des mesures de tarification du carbone qui ont été mises en place.

Le sénateur Massicotte : Avez-vous une idée de la manière dont nous devrions utiliser les produits de la tarification du carbone? Il est question ici de milliards de dollars. Comment les gouvernements provinciaux devraient-ils répartir ces recettes?

Mme Marsh : Il y a différentes façons possibles. Nous préconisons le recours à un fonds d'appui technologique. Le problème avec ce genre de fonds, c'est qu'il contribue à la capacité concurrentielle à venir. On favorise le développement de technologies qui vont être bénéfiques dans 5, 10 ou 20 ans.

Des mesures complémentaires doivent être offertes pour aider les entreprises dès maintenant. Il y a différentes solutions envisageables. Vous pouvez réduire l'impôt des sociétés ou offrir des subventions fondées sur la production, notamment pour les industries à fortes émissions qui sont tributaires du commerce. De cette manière, vous les incitez à réduire leurs émissions tout en maintenant les frais totaux moins élevés dans ces secteurs grâce aux subventions basées sur la production. Je crois que l'on procède ainsi au Royaume-Uni et en Alberta. On diminue les frais totaux d'exploitation des entreprises tout en établissant une tarification qui les incite à réduire leurs émissions.

La sénatrice Galvez : J'aimerais approfondir la question posée par le sénateur Massicotte. Vous avez indiqué que les fonds provenant de ces taxes devraient servir à atténuer les impacts sur la capacité concurrentielle des entreprises ou à promouvoir l'innovation en matière climatique.

Pourriez-vous m'expliquer ce que vous entendez exactement par innovation en matière climatique?

Mme Marsh : On peut distinguer deux catégories. Il peut s'agir de technologies qui réduisent directement les émissions — des technologies de remplacement comme les énergies renouvelables — ou encore de technologies qui vont aider les industries à forte intensité d'émissions à diminuer celles-ci.

À titre d'exemple, la prochaine génération de techniques de production sur place à base de solvants pourrait réduire considérablement les émissions dans le secteur de l'exploitation des sables bitumineux. Cela fait partie selon moi des technologies permettant de diminuer la teneur en carbone. Une de nos entreprises membres, EnSolve, en est rendue à l'étape de la précommercialisation. Ses études révèlent que l'emploi de la technologie en question pourrait permettre de diminuer de 80 p. 100 les émissions, comparativement aux technologies habituellement utilisées pour la production sur place. C'est donc une autre catégorie possible.

Comme troisième catégorie, on pourrait sans doute citer les technologies à émissions négatives, comme celles qui visent littéralement à extraire les émissions de l'atmosphère. Il peut s'agir par exemple de projets de gestion forestière qui ne sont pas à proprement parler technologiques, mais il y a aussi des initiatives comme le projet Quest de Shell dont vous avez sans doute entendu parler ou celui de la centrale de Boundary Dam en Saskatchewan, en plus de quelques projets expérimentaux qui sont en cours. Je crois d'ailleurs qu'il y en a un dans le secteur pétrolifère où l'on utilise des algues pour capter les émissions dans l'atmosphère près des sites de production où elles sont les plus fortes. Les algues transforment les émissions captées en biocarburant. C'est donc un autre exemple de technologie à émissions négatives.

La sénatrice Galvez : Ne parlez-vous pas en fait de recherche et technologie?

Mme Marsh : Vous voulez dire de recherche?

La sénatrice Galvez : Vous décrivez des activités de recherche et technologie.

Mme Marsh : Effectivement.

La sénatrice Galvez : Merci.

Le sénateur Dean : Merci pour votre excellent exposé. J'ai été appelé à prendre la parole au sujet des associations commerciales au Sénat l'autre jour, et laissez-moi vous dire que la vôtre, la Chambre de commerce du Canada, est selon moi parmi les plus progressistes et les plus équilibrées dans sa démarche, ce qui est ressorti nettement de votre allocution.

Ma question porte sur le point 3 à la deuxième page de votre mémoire. Vous nous invitez à envisager les choses dans une perspective locale tout en agissant à l'échelle planétaire. Cela nous ramène au cœur d'un important débat relativement aux actions que nous menons ici par rapport à ce que nous pourrions faire ailleurs.

Je présume que vous voulez faire valoir qu'il pourrait être avantageux pour nous de trouver un plus juste équilibre entre nos actions locales et planétaires. Pouvez-vous nous donner quelques exemples de la manière dont le Canada pourrait travailler en collaboration bilatéralement ou multilatéralement? Que pourrions-nous faire de plus que ce que nous faisons actuellement en nous tournant vers l'extérieur pour chercher à influencer le comportement des autres?

Mme Marsh : Je pense que les développements en vertu de l'article 6 de l'Accord de Paris joueront un rôle très important à cet égard. De plus, pour en revenir à la question des mesures complémentaires autres que la tarification du carbone, l'une d'elles pourrait consister à investir dans des projets à l'étranger, mais à appliquer les réductions des émissions réalisées dans le cadre de ces projets afin d'atteindre notre objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Le Canada atteindra probablement la limite de ce que nous pouvons accomplir de façon rentable au chapitre des réductions des émissions au Canada, compte tenu de notre économie et de l'état actuel de la technologie.

Si nous concentrons nos efforts sur la réduction des émissions non pas au Canada, mais là où elles peuvent être réduites au coût le plus bas, nous pourrons alors envisager d'investir dans des possibilités d'action à l'échelle internationale et d'appliquer encore une fois ces réductions d'émissions pour atteindre nos objectifs. Voilà une façon dont nous pourrions les atteindre sans entraver notre économie.

L'article 6 traite essentiellement des efforts que les Nations Unies déploient pour faciliter ce genre d'échanges.

Je ne sais pas si le gouvernement peut prendre des mesures en ce moment pour investir dans un projet en Inde et récupérer les crédits pour le compte du Canada, mais c'est une démarche dont nous devrions discuter pour, ensuite, la préconiser à l'échelle internationale et planifier de l'utiliser. Notre objectif devrait consister à réduire les émissions au coût le plus bas; il ne devrait pas nécessairement consister à être atteint au Canada.

La deuxième idée que nous recommandons sous la rubrique « penser à l'échelle locale, mais agir à l'échelle mondiale » est un peu compliquée, et il est difficile d'imaginer comment nous pourrions la concrétiser. C'est l'idée selon laquelle, si une industrie canadienne produit une forte quantité d'émissions, mais que cette quantité est inférieure à toute autre sur la planète, il est insensé de ne pas poursuivre nos activités, parce que nous réduisons les émissions à effet de serre lorsque nous sommes en mesure de nous emparer d'une part du marché et de vendre nos produits au reste du monde. Nous devons reconnaître les industries qui peuvent démontrer que leurs méthodes sont supérieures à celles employées dans tout autre pays, et nous devons nous assurer qu'elles ne sont pas pénalisées et que nous appuyons la position commerciale du Canada par rapport à la concurrence. Cela pourrait également faire partie de la contribution du Canada en matière de réduction des émissions à l'échelle mondiale.

Le sénateur Patterson : Vous avez mentionné le Cadre pancanadien en matière de croissance propre et de changement climatique. Je me demande si la chambre de commerce a été consultée au cours de l'élaboration de ce cadre.

J'aimerais également vous interroger à propos de votre observation relative aux règlements redondants. Vous pensez qu'on doit avoir recours soit à la tarification du carbone, soit aux règlements, mais non aux deux.

Pourriez-vous nous donner des exemples de règlements qui s'ajoutent à la tarification du carbone ou aux systèmes de plafonnement et d'échange auxquels vous avez fait allusion au cours de votre exposé?

Mme Marsh : Quelle était votre première question?

Le sénateur Patterson : Avez-vous été consultée au cours de l'élaboration du Cadre pancanadien en matière de croissance propre et de changement climatique?

Mme Marsh : Nous avons participé à tous les groupes de travail qu'ils ont établis en général. Il y a eu le forum en ligne — nous y avons pris part —, mais ils ont aussi créé trois groupes de travail particuliers qui se sont réunis en personne au cours de l'été dernier. Nous avons participé aux trois groupes de travail.

Nous avons été consultés en ce sens dans le cadre de la consultation générale, mais non individuellement.

La deuxième question portait sur des exemples précis. Non, je n'ai pas d'exemples à vous donner. En fait, nous lançons en ce moment un projet appelé « Compétitivité en matière de climat » dans le cadre duquel nous étudierons ces cinq thèmes. Nous nous porterons à la rencontre de nos membres afin de leur demander, entre autres, de nous indiquer plus précisément les règlements qui sont compatibles avec la tarification du carbone, et ceux qui ne le sont pas. Nous avons organisé une table ronde à Calgary pendant laquelle une personne a mentionné que la réglementation relative au méthane qu'ils recevaient était un peu problématique parce qu'ils n'arrivaient pas à trouver... c'est peut-être une mauvaise idée de mentionner cet exemple, parce que je n'en connais pas les détails techniques.

Je vais en rester là. Nous examinons la question en ce moment. Jusqu'à maintenant, nous avons tenu une seule table ronde, mais nous en avons planifié plusieurs à l'échelle nationale.

Le sénateur Patterson : En ce qui concerne votre projet, il nous sera très utile dans le cadre de notre étude. Pouvez- vous nous donner une idée de l'échéancier prévu pour cette initiative? Je suis certain que vous seriez disposée à communiquer vos résultats au comité.

Mme Marsh : Absolument. Nous avons lancé le projet à Calgary il y a seulement quelques semaines. Nous avons planifié des tables rondes pendant le mois en cours, ainsi qu'en mai et en juin. Nous prévoyons que le rapport sera prêt en septembre ou en octobre. Voilà à quoi ressemble notre échéancier.

Le président : Pouvez-vous vous assurer que la greffière le reçoit afin que nous l'obtenions tous par la suite? Cela nous aiderait beaucoup.

Mme Marsh : Outre le rapport final, si des exemples pertinents nous sont présentés avant sa publication, je serais heureuse de les partager avec vous dès qu'ils nous auront été communiqués.

Le sénateur Patterson : Vous avez proposé d'investir les fonds dans des émissions — c'est la première suggestion que vous avez faite au comité. Vous avez également parlé d'utiliser les fonds recueillis grâce aux mécanismes de tarification du carbone pour réduire l'incidence de la compétitivité sur les entreprises ou pour promouvoir l'innovation en matière de climat.

J'aimerais vous interroger à propos de la réduction de l'incidence de la compétitivité sur les entreprises. Je peux peut-être vous fournir un exemple. Nous avons consulté l'industrie sidérurgique, et nous avons visité l'entreprise Dofasco à Hamilton. Ils se sont servis de nombreuses innovations pour réduire leurs émissions, mais ils nous ont plus ou moins dit, si j'ose résumer leurs paroles, qu'ils ne pensent pas pouvoir faire beaucoup plus. Leur industrie produit des émissions élevées, et leur marché est très compétitif à l'échelle mondiale. Ils réussissent à faire des profits, mais on nous a dit que ces profits étaient plutôt marginaux.

S'il n'y a pas de solutions simples, comment pouvez-vous utiliser la taxe sur le carbone qui a peut-être été payée par Dofasco, par exemple, pour réduire la compétitivité? Remettez-vous la taxe à l'entreprise? Si c'est le cas, pourquoi collecterions-nous la taxe en premier lieu? Est-il possible d'exempter les industries fortement dépendantes du marché qui produisent des émissions élevées, qui emploient un grand nombre de travailleurs et qui, comme nous l'avons appris à Hamilton, apportent d'énormes contributions aux collectivités? Avez-vous une observation à formuler à ce sujet?

Mme Marsh : Absolument. Des exemptions devraient être envisagées, en particulier dans les industries mentionnées auparavant. Dans les domaines où le Canada est un chef de file en matière de réductions des émissions, il se peut qu'il n'y ait pas beaucoup d'autres possibilités de réduire ces émissions, compte tenu des technologies actuelles. Ensuite, vous risquez de voir l'industrie déménager, ce qui n'aidera ni le climat ni le Canada. Des exemptions devraient être négociables.

Toutefois, je vais reprendre mon argument précédent à propos de l'attribution de subventions fondées sur la production à certaines entreprises. Ce serait un moyen de rendre l'argent qui maintiendrait l'incitation à réduire les émissions de gaz à effet de serre. Imaginez deux entreprises, l'une ayant des émissions par bidule élevées et l'autre ayant des émissions par bidule faibles. Si vous les subventionnez en fonction de la quantité d'émissions qu'elles produisent, l'entreprise dont les émissions par bidule sont élevées sera relativement désavantagée par rapport à l'entreprise produisant de faibles émissions. L'entreprise ayant des émissions élevées continue d'être incitée à les réduire, même si elle récupère une partie de son argent. Elle n'a pas tout à fait atteint le niveau qui convient, comparativement à l'entreprise concurrente qui produit de faibles émissions.

Voilà un moyen valable de rendre l'argent qui signale toujours le caractère avantageux de la tarification du carbone.

Le sénateur Mockler : Je vis dans une ville qui se trouve à la frontière des États-Unis et, croyez-moi, nous sommes inondés là-bas de nouvelles concernant la nouvelle direction prise par l'administration américaine. Il y a environ trois semaines, je lisais dans un quotidien de Van Buren, dans l'État du Maine, que la chambre de commerce des États-Unis était préoccupée par l'industrie, c'est-à-dire par la direction que prenait le gouvernement actuel.

Pensez-vous que les gouvernements canadiens doivent modifier leurs objectifs en matière de réduction des émissions et leurs politiques en matière de changements climatiques dans le contexte de la nouvelle administration américaine? De plus, devrions-nous ralentir le rythme de réduction des émissions et fonctionner État par État au lieu d'envisager le marché américain dans son ensemble?

Mme Marsh : Je ne vais pas indiquer précisément si les provinces devraient ralentir la réduction de leurs émissions. Ce que nous faisons valoir, c'est que les provinces devraient étudier les coûts totaux d'exploitation pendant qu'elles mettent en œuvre leurs politiques et reconnaître qu'elles y ajoutent de nouveaux coûts substantiels au cours d'une période économique tendue. Y a-t-il d'autres endroits où elles pourraient effectuer des réductions?

Voici surtout ce que nous souhaitions signaler : examinez les coûts totaux d'exploitation et ayez pour priorité de les réduire.

En ce qui concerne les actualités aux États-Unis, c'est une situation intéressante. L'économie américaine se décarbonise et réduit ses émissions sans que le gouvernement fédéral l'y encourage fortement. Elle le fait principalement en raison des forces du marché qui agissent dans le secteur de l'électricité, lequel est en train de passer du charbon au gaz naturel, ainsi qu'en raison de plusieurs mesures prises par les États, comme l'a fait la Californie.

Mes membres sont préoccupés par leur position concurrentielle par rapport aux États-Unis. Toutefois, il vaut la peine de signaler que l'élection du président Trump n'a pas changé grand-chose en réalité. Un autre président n'aurait pas mis en place un système fédéral de tarification du carbone; dans tous les cas, cela ne se serait pas produit. Ce n'est pas comme si nous étions dans une situation où nous allions adopter un système fédéral de tarification du carbone et que nos voisins allaient mettre en œuvre un système équivalent. Cela ne serait pas survenu même si Hillary Clinton avait été élue présidente. Je le répète, bon nombre des forces qui ont orienté la politique américaine sont liées au marché ou, dans certains cas, aux politiques étatiques. Cela n'a pas changé.

Ce qui a changé davantage, c'est le fait que l'administration parle très agressivement de la position concurrentielle des entreprises américaines, de la nécessité de réduire leurs impôts et de ramener certaines industries aux États-Unis. Nous n'entendons pas le même genre de discours au Canada, à savoir un discours qui met l'accent sur les taux d'imposition, les coûts d'exploitation et les aspects de la réglementation qui pourraient aider les entreprises. Selon nous, une grande partie des inquiétudes découlent davantage de ces enjeux plus généraux que des détails de cette politique sur les changements climatiques.

Le sénateur Mockler : Cela m'amène à ma prochaine question.

Nous connaissons la décision qui a été prise au sujet du pipeline Keystone XL. Je parle en ce moment de la compétitivité, et l'administration américaine a indiqué qu'elle élaborerait des politiques visant à promouvoir énergiquement la production nationale de pétrole et de gaz.

Quelle incidence cela aura-t-il sur le Canada?

Mme Marsh : Voilà un secteur où le retrait de la réglementation fédérale aura des répercussions concurrentielles plus importantes que la politique globale. Les objectifs en matière de réduction des émissions de méthane produites par l'industrie pétrolière et gazière avaient été harmonisés et, par conséquent, le Canada va toujours de l'avant à cet égard. Cependant, les États-Unis ont déclaré qu'ils allaient freiner leurs efforts en ce sens.

Je crois donc que les gens craignent énormément que les investisseurs se tournent vers les États-Unis, car c'est une période un peu tendue pour l'industrie pétrolière. Les investissements dans les sables bitumineux canadiens ont tendance à rapporter à plus long terme, et vous faites face à une situation où les États-Unis prennent des mesures à l'échelle fédérale pour réduire les coûts liés à la réglementation. En outre, on peut entreprendre des activités dans le secteur américain et y mettre fin beaucoup plus rapidement que dans le secteur de l'exploitation des sables bitumineux où il faut construire des mines ou des installations sur place. Je pense qu'on craint un peu que les investissements se déplacent vers les États-Unis.

Le sénateur Mockler : Les pipelines sont le mode de transport le plus sécuritaire qui soit. Nous le voyons bien grâce au pipeline Keystone. Votre organisation a-t-elle des observations à formuler à propos de l'oléoduc Énergie Est de TransCanada?

Mme Marsh : Nous appuyons fermement les pipelines. Nous ne voyons pas ce qu'il y a de contradictoire entre le fait de soutenir les pipelines et le fait d'appuyer une transition vers une économie à faibles émissions de carbone. Nous avons le sentiment que le système de transport ne cessera pas de dépendre du pétrole avant des dizaines d'années.

Tant qu'une demande mondiale de pétrole existe, nous ne voyons absolument aucune raison pour que le Canada ne soutienne pas la concurrence sur ces marchés. Nous disposons d'une réglementation robuste, d'une société civile active et de technologies avancées qui peuvent permettre au Canada de produire du pétrole en ayant une incidence environnementale inférieure à celle de tout autre pays du monde entier. Par conséquent, il n'y a aucune raison pour que nous ne soutenions pas la concurrence. L'un des facteurs clés sera la façon dont nous serons en mesure d'acheminer ce produit sur les marchés mondiaux d'une façon peu coûteuse et efficace, c'est-à-dire grâce aux pipelines.

Nous sommes très favorables au pipeline Trans Mountain. Nous sommes très heureux de savoir que sa construction commencera en septembre. Nous appuyons également le projet d'Énergie Est. Nous aimerions que les discussions à ce sujet reprennent. Nous prévoyons participer à la discussion concernant la réglementation de ce projet. Nous sommes également satisfaits de la décision qui a été prise concernant le projet Keystone, mis à part le fait que cette décision n'aidera pas nécessairement le Canada à acheminer son pétrole vers divers marchés aussi facilement que les deux autres projets de pipeline que j'ai mentionnés.

Le président : Il n'y a aucun nom inscrit pour la deuxième série de questions. Par conséquent, je vais vous poser quelques questions.

Vous avez dit qu'il fallait avoir recours à la tarification du carbone ou à la réglementation, mais non aux deux, et le sénateur Massicotte vous a interrogé brièvement à ce sujet. Jusqu'à récemment, pour atteindre d'ici 2030 l'objectif de réduction de 30 p. 100 par rapport aux niveaux de 2005, le gouvernement cherchait à trouver 291 millions de tonnes d'émissions. Les nouveaux chiffres s'élèvent à 219, ce qui représente encore un assez gros obstacle, car les 72 millions de tonnes qu'ils ont trouvées découlaient en grande partie d'un règlement qui avait été ajouté, mais qui n'avait pas encore été pris en considération. Le règlement entraînait la fermeture de plusieurs centrales au charbon de l'Alberta. Selon moi, une partie de cette réduction d'émissions était prévue de toute manière. Nous allons devoir attendre pour voir si cela se produit ou non.

C'est ce que j'appelle un fruit mûr facile à cueillir. Il est facile d'atteindre ces objectifs en fermant une centrale au charbon. Mais, à mesure que nous progresserons et que ces centrales au charbon auront été éliminées, il sera plus difficile de trouver les 219 tonnes qui restent.

Croyez-vous qu'à 50 $ la tonne d'ici 2022, nous pourrons trouver ces 219 millions de tonnes d'ici 2030, sans trop nuire à l'économie canadienne? Pouvez-vous me dire si vous pensez que cela se produira? Les industries que vous représentez vous disent-elles discrètement que cela ne posera aucun problème?

Mme Marsh : Elles ne disent pas que cela ne posera pas de problème. Elles considèrent que c'est un objectif ambitieux. En fait, lorsque le gouvernement a décidé de ne pas modifier l'objectif, les gens ont pensé que c'était une bonne chose, parce qu'en le modifiant pour le rendre plus audacieux, le gouvernement aurait nui à sa crédibilité.

La chambre n'a pas procédé à une analyse afin de déterminer si la réduction est crédible et de calculer l'incidence économique que cette réduction aurait. Par conséquent, je ne dispose d'aucune donnée probante pour appuyer cette décision. Toutefois, je crois que nos membres ont l'impression qu'en l'absence d'une certaine planification et de la prise de certaines mesures, l'atteinte de cet objectif placera le Canada dans une position de désavantage concurrentiel par rapport aux autres nations, en particulier les États-Unis.

Cela dit, je pense que c'est la raison pour laquelle le point 3, c'est-à-dire « penser à l'échelle locale, mais agir à l'échelle mondiale », revêt une grande importance. Si le Canada peut envisager des façons de réduire les émissions mondiales, trouver les réductions les plus économiques qui soient et les utiliser pour atteindre notre objectif, cela nous donnera accès à un nouvel éventail de possibilités.

Le président : Eh bien, si vous éliminiez l'industrie pétrolière et gazière et que vous vous absteniez de brûler le moindre gigajoule d'énergie au Canada, vous obtiendriez une réduction de 233 millions de tonnes d'émissions, ce qui nous permettrait d'atteindre notre objectif. Toutefois, c'est pour ainsi dire impossible.

Mme Marsh : Cela permettrait au Canada d'atteindre son objectif, mais cela ne réduirait pas la demande mondiale.

Le président : Exactement.

Mme Marsh : Lorsque vous ne réduisez pas la demande mondiale, vous ne réduisez pas les émissions en tant que telles, parce que ce n'est pas le fait que les sables bitumineux produisent un peu plus d'émissions que les autres sources de pétrole qui stimule la production d'émissions.

Le président : Et l'on s'attend à ce que les émissions augmentent à l'échelle mondiale. L'Agence internationale de l'énergie nous indique que l'utilisation de combustibles fossiles s'accroîtra jusqu'en 2050, et probablement après cette date.

Voici un autre exemple. Si vous retirez tous les transports de l'équation, c'est-à-dire tout ce qui utilise des combustibles fossiles, vous obtenez 157 millions de tonnes. Lorsque j'examine ces chiffres, je me dis, bon sang, certains de ces objectifs n'ont simplement... C'est bien d'avoir un objectif, et je ne vois pas d'objection à envisager les mesures sensées que nous pouvons prendre. Toutefois, j'estime que le Canada est ciblé un peu injustement en raison de sa taille, si on le compare à d'autres pays qui sont peut-être en mesure de réduire leurs émissions plus aisément.

En outre, vous avez déclaré que nous devions penser à l'échelle locale, mais agir à l'échelle mondiale. Le nom de l'entreprise Dofasco a été mentionné. Nous avons été là-bas. L'un des commentaires que nous avons entendus et qui me revient justement, c'est le fait qu'en raison des mesures que Dofasco a prises pour assainir son processus de fabrication, l'acier fabriqué en Chine ou dans d'autres pays du monde entier entraîne la production de trois fois plus d'émissions de gaz à effet de serre que celui fabriqué par Dofasco.

Nous entendons le gouvernement fédéral discuter longuement des infrastructures, comme les ponts, les routes et les immeubles. Toutes ces infrastructures nécessitent beaucoup d'acier. Pensez-vous que, lorsque le gouvernement fédéral investit dans des infrastructures — plus précisément dans de l'acier, parce que c'est ce dont je parle en ce moment —, il devrait utiliser de l'acier canadien, étant donné qu'il émet trois fois moins d'émissions de gaz à effet de serre à l'échelle mondiale? Nous vivons tous dans un village planétaire. Qu'en pensez-vous? C'est presque une politique d'achat au Canada, au lieu d'une politique d'achat aux États-Unis.

Mme Marsh : Je ne suis pas certaine que la Chambre de commerce du Canada est une grande admiratrice des dispositions favorisant les achats aux États-Unis. À l'inverse, elle se montre un peu prudente à l'égard des dispositions favorisant les achats au Canada.

Je crois que l'approvisionnement écologique, dans le cadre duquel les matériaux sont jugés en fonction d'un critère de durabilité d'une sorte ou d'une autre, est une politique en matière d'approvisionnement que le gouvernement pourrait adopter. Cela pourrait avoir pour effet d'accroître la compétitivité du Canada lorsqu'il présente des soumissions pour des produits de ce genre, qui sont demandés pour les raisons que vous avez mentionnées.

J'hésiterai à appuyer explicitement un étiquetage canadien de ce genre. Les questions commerciales ne me préoccupent pas, mais j'imagine que ce ne serait pas le cas de l'OMC — lorsque l'Ontario appuyait les éoliennes, il a adopté une politique de ce genre dont les dispositions favorisaient l'achat de produits ontariens, et il s'est avéré que ces dispositions n'étaient pas compatibles avec les règles de l'OMC. Ce serait donc une préoccupation à prendre en considération.

Je crois qu'il serait acceptable d'appliquer des politiques d'approvisionnement qui indiqueraient que, dans le cadre du contrat, nous allons examiner les matériaux dont les émissions de gaz à effet de serre sont les plus faibles. J'estime qu'un grand nombre d'entreprises canadiennes seraient hautement concurrentielles en vertu de ces règles.

Le président : Et voilà une façon de réaliser cet objectif. Je viens de déclarer très ouvertement ce que cela signifie. Si nous voulons réduire les gaz à effet de serre, parce que nous vivons dans un village planétaire, et non repliés sur nous- mêmes, je soutiens que le gouvernement fédéral devrait, d'une manière ou d'une autre, examiner la façon dont nous pourrions utiliser des matériaux ayant une plus faible intensité carbonique pour réaliser les milliards de dollars de travaux que nous planifions.

Mme Marsh : Je pense que le Conseil du Trésor a établi un groupe de travail à cet égard. Je ne me rappelle pas de son nom exact, mais une séance portant sur l'approvisionnement écologique a eu lieu le 10 avril, je crois. Elle traitait d'enjeux de ce genre. Je crois que l'approvisionnement écologique est une mesure qu'ils envisagent de prendre afin d'atteindre eux-mêmes l'objectif fédéral en matière de réduction des émissions. L'élargissement des critères utilisés lorsqu'on présente une soumission pour un projet serait une façon d'appuyer ces réductions d'émissions.

Le président : Merci.

Le sénateur Massicotte : Permettez-moi de pousser plus loin le débat. Manifestement, les choses changent, et tous les gens ont différentes opinions. Au cours de votre discussion, vous avez beaucoup parlé de la question de compétitivité d'un point de vue entrepreneurial. Je ne suis pas en train de révéler mes ambitions — M. Trudeau n'a rien à craindre en ce qui concerne son poste —, mais si j'étais premier ministre, que la décision me revenait entièrement, que j'examinais mes options et que j'observais toutes les recettes perçues qui retournent dans les provinces — et vous travaillez avec les provinces —, je soupçonne que je prêterai probablement beaucoup d'attention à l'argument très important selon lequel nous devons protéger nos industries tributaires du commerce qui produisent des émissions élevées. Si vous examinez ce qui se passe dans le monde, y compris en Allemagne, vous constaterez que c'est ce qu'ils ont fait. Il y a des arguments solides en faveur de cette idée.

Vous n'avez pas mentionné cette considération, mais je dirais que le deuxième facteur dont je tiendrais compte serait les familles à faible revenu ou les gens qui seraient proportionnellement plus touchés. Comme notre président l'a mentionné plus tôt, ces personnes seraient considérablement touchées par la taxe sur le carbone et, d'une façon indue, parce qu'elles n'ont pas les moyens de payer une augmentation.

Pour le moment, je ne modifierais pas les impôts. D'un point de vue fiscal, le Canada est extrêmement concurrentiel. Il se peut que le président Trump change cet état de choses, mais, compte tenu des circonstances actuelles, je n'affecterais pas de fonds à cet égard. J'affecterais probablement des fonds au reste des recettes générales. Mes priorités diffèrent légèrement des vôtres.

Mme Marsh : Évidemment, le travail du premier ministre consiste à établir un équilibre entre une foule de priorités concurrentes. Sa volonté d'aider les ménages à faible revenu est certainement un objectif louable, mais nous travaillons à la Chambre de commerce du Canada, et notre raison d'être consiste à militer en faveur de la compétitivité des entreprises. Par conséquent, lorsque nous nous présentons à la table des négociations, nous défendons des positions qui aident nos membres.

Cela dit, en tant que créateurs d'emplois et de prospérité, ces deux contributions des entreprises sont liées. Si vous nuisez à la compétitivité des entreprises, vous nuirez également aux perspectives d'emploi des Canadiens et aux recettes du gouvernement, qui servent à aider les gens moins privilégiés. Il est possible de faire valoir que vous devez préserver les fondements de votre économie, vous assurer qu'elle est robuste et ne pas nier la valeur de toute autre utilisation des fonds publics.

Le président : Je vous remercie beaucoup de votre exposé. Il était très intéressant, et il a donné lieu à de bonnes questions et d'excellentes réponses. Nous vous sommes très reconnaissants du temps que vous avez passé ici.

(La séance est levée.)

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