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ENEV - Comité permanent

Énergie, environnement et ressources naturelles

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent de
l'Énergie, de l'environnement et des ressources naturelles

Fascicule nº 36 - Témoignages du 7 décembre 2017


OTTAWA, le jeudi 7 décembre 2017

Le Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles se réunit aujourd’hui, à 8 h 29, pour poursuivre son étude sur les effets de la transition vers une économie à faibles émissions de carbone.

La sénatrice Rosa Galvez (présidente) occupe le fauteuil.

[Français]

La présidente : Bonjour et bienvenue au Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles. Je m’appelle Rosa Galvez, je représente le Québec au Sénat et je suis la présidente de ce comité depuis tout récemment.

Lors de la dernière rencontre, j’avais remercié les présidents et le vice-président antérieurs; je veux profiter de cette occasion pour également remercier la greffière du comité, Maxime Fortin, ainsi que les analystes du comité, Sam Banks et Marc LeBlanc.

J’inviterais maintenant les sénateurs à se présenter.

[Traduction]

La sénatrice Cordy : Jane Cordy, Nouvelle-Écosse.

Le sénateur Richards : Dave Richards, Nouveau-Brunswick.

La sénatrice Fraser : Joan Fraser, Québec.

Le sénateur Patterson : Dennis Glen Patterson, Nunavut.

La sénatrice Seidman : Judith Seidman, Montréal, Québec.

Le sénateur Wetston : Howard Wetston, Ontario.

[Français]

La présidente : Merci.

En mars 2016, le comité a débuté son étude sur la transition vers une économie à faibles émissions de carbone. Le comité s’intéresse à cinq secteurs qui, ensemble, sont responsables de plus de 80 p. 100 des émissions de gaz à effet de serre : l’électricité; le transport; les pétroles et les gaz; les industries tributaires du commerce et à forte intensité d’émissions; et, enfin, les bâtiments.

[Traduction]

Nous accueillons aujourd’hui la commissaire à l’environnement et au développement durable, Mme Julie Gelfand. Elle est accompagnée de trois hauts fonctionnaires du Bureau du vérificateur général : David Normand, Elsa DaCosta et Doreen Deveen.

Ils sont ici pour nous parler du plus récent rapport de la commissaire, publié cet automne, ainsi que du rapport du vérificateur général sur les combustibles fossiles, publié plus tôt cette année.

Nous vous remercions d’avoir accepté notre invitation. Je vous invite à présenter vos remarques liminaires. Après cela, nous passerons à une série de questions et de réponses.

[Français]

Julie Gelfand, commissaire à l’environnement et au développement durable, Bureau du vérificateur général du Canada : Bonjour. Je vous remercie.

[Traduction]

Je vous remercie de l’occasion qui m’est donnée de discuter de mes rapports de l’automne 2017, qui ont été déposés en octobre dernier au Parlement, et du rapport du vérificateur général du Canada du printemps 2017 qui porte sur les subventions aux combustibles fossiles.

Mes rapports de l’automne 2017 font état de notre examen de trois secteurs dans lesquels le gouvernement s’efforce de lutter contre les changements climatiques : la réduction des émissions de gaz à effet de serre; l’adaptation aux impacts des changements climatiques; et, enfin, la promotion du développement des technologies d’énergie propre.

Les changements climatiques sont l’un des grands défis du XXIe siècle. C’est un problème complexe et lourd de conséquences. Nos audits montrent qu’en matière d’action sur les changements climatiques, le Canada a encore beaucoup à faire pour atteindre les cibles qu’il s’est fixées.

Dans notre premier audit, nous avons examiné si Environnement et Changement climatique Canada avait piloté les efforts mis en œuvre pour réaliser les engagements pris par le Canada de réduire les émissions de gaz à effet de serre.

Le Canada a manqué toutes ses cibles de réduction des émissions de gaz à effet de serre depuis 1992, et il n’est pas non plus en voie d’atteindre la cible de 2020. Dans le cadre de notre audit, nous avons constaté que le gouvernement fédéral s’était fixé une nouvelle cible, plus exigeante, qui doit être atteinte en 2030. Cela revient à retarder l’échéance pour atteindre la cible de réduction des émissions.

[Français]

En décembre 2016, le gouvernement a publié son nouveau plan en matière de changements climatiques, soit le Cadre pancanadien sur la croissance propre et les changements climatiques. Nous avons constaté que le gouvernement fédéral, les provinces et les territoires avaient établi une structure de gouvernance pour faire le suivi de la mise en œuvre du cadre et pour faire rapport à ce sujet.

Environnement et Changement climatique Canada (ECCC) a travaillé avec d’autres ministères fédéraux afin de définir les rôles et les responsabilités de chacun en vue de mettre en œuvre les mesures prévues dans le cadre. Le ministère a aussi élaboré des processus pour surveiller les progrès et planifier la présentation de rapports annuels au premier ministre. Même si ECCC a fait des progrès en ce qui concerne la collaboration avec les territoires et les provinces pour élaborer le cadre qui est censé contribuer à l’atteinte de la cible de 2030, ce plan n’en reste pas moins le dernier d’une longue série de plans qui ont vu le jour depuis 1992. ECCC a déjà établi que même si toutes les mesures de réduction prévues dans le cadre sont mises en œuvre dans les délais prévus les émissions baisseront, mais qu’il faudrait des mesures additionnelles pour atteindre la cible de 2030.

[Traduction]

Dans notre deuxième audit, nous avons examiné les efforts du gouvernement fédéral visant l’adaptation aux impacts des changements climatiques. Les conséquences des feux de forêt, des inondations et des phénomènes météorologiques extrêmes se font sentir partout au pays. Les gouvernements peuvent prendre des mesures pour favoriser l’adaptation à un climat changeant, y compris définir les risques liés aux changements climatiques et prendre des mesures pour y remédier.

Nous avons examiné 19 organisations fédérales pour vérifier si elles avaient défini les risques liés aux changements climatiques pour leurs programmes et activités, et si elles avaient pris des mesures pour tenter de les contrer. Dans l’ensemble, nous avons constaté que le gouvernement fédéral n’était pas du tout prêt en ce qui concerne l’adaptation aux impacts des changements climatiques.

Environnement et Changement climatique Canada a mis au point un Cadre stratégique fédéral sur l’adaptation en 2011, mais sans entreprendre sa mise en œuvre. De plus, le ministère n’a pas fourni aux autres organisations fédérales des conseils et des outils adéquats susceptibles de les aider à cerner leurs risques liés aux changements climatiques.

[Français]

Nous avons donc constaté que seulement 5 des 19 ministères et organismes que nous avons examinés avaient pleinement évalué leurs risques liés aux changements climatiques et pris des mesures pour y faire face.

Par exemple, Pêches et Océans Canada a établi que la hausse du niveau de la mer et l’augmentation des zones de tempête pourraient avoir des conséquences sur certains ports pour petits bateaux. C’est pour cette raison qu’en Nouvelle-Écosse, par exemple, le ministère a relevé la jetée d’un port qui avait été inondé pour tenter d’éviter que le problème ne se reproduise. Un autre exemple indique que, en réponse au risque de perte de pergélisol et d’une hausse du niveau de la mer, Ressources naturelles Canada a examiné la vulnérabilité des pratiques de gestion des déchets miniers dans le Nord et a élaboré des stratégies d’adaptation.

Par contre, nous avons constaté que les 14 autres ministères et organismes n’avaient pris que peu ou pas de mesures afin de contrer les risques liés aux changements climatiques qui pourraient les empêcher de fournir des programmes et des services aux Canadiennes et aux Canadiens. De nombreux ministères ont une image incomplète des risques qui les menacent.

Le gouvernement fédéral, pour sa part, n’a pas le portrait complet de ses risques liés aux changements climatiques. Pour que le Canada puisse s’adapter à un climat changeant, ECCC se doit d’imposer son leadership, et il faut que les différents ministères fassent preuve de plus d’initiatives.

Notre troisième audit a porté sur trois fonds qui appuient le développement de projets de démonstration de technologies d’énergie propre. Ces technologies constituent une façon de réduire les émissions de gaz à effet de serre provenant de la production et de l’utilisation de l’énergie. Je suis heureuse de pouvoir dire que les trois fonds que nous avons examinés fonctionnaient généralement bien. L’argent avait été correctement dépensé. Il était facile de déterminer quels projets avaient été financés, et le processus d’approbation était rigoureux et objectif.

[Traduction]

J’aimerais maintenant parler de notre audit portant sur les subventions aux combustibles fossiles présenté dans les Rapports du vérificateur général du printemps 2017. Dans le cadre de cet audit, nous avons cherché à déterminer si Environnement et Changement climatique Canada et le ministère des Finances avaient appuyé l’engagement pris par le Canada lors du sommet du G20 d’éliminer progressivement et de rationaliser les subventions inefficaces aux combustibles fossiles tout en apportant une aide ciblée aux plus démunis.

Le ministère des Finances est chargé des mesures fiscales liées à cet engagement. Les mesures non fiscales sont du ressort d’Environnement et Changement climatique Canada.

La partie non fiscale de l’engagement est importante parce qu’elle a trait aux subventions et aux contributions du gouvernement, aux prêts ou aux garanties d’emprunt accordés par le gouvernement à des taux avantageux, aux interventions du gouvernement sur les marchés pour faire baisser les cours et au financement de la recherche et du développement.

Notre audit nous a permis de constater qu’Environnement et Changement climatique Canada ne connaissait pas l’étendue des mesures non fiscales qui pouvaient être des subventions inefficaces aux combustibles fossiles. Cependant, en février 2017, la ministre de l’Environnement et du Changement climatique a approuvé un plan assorti d’échéances pour recenser les mesures non fiscales et interpréter l’engagement du G20.

Du côté fiscal, le ministère des Finances a abordé l’engagement en s’employant à relever toutes les mesures fiscales qui se rapportaient à la production ou à la consommation de combustibles qui privilégie les contribuables. Nous avons cependant constaté que le ministère n’avait pas examiné un certain nombre de mesures fiscales qui visaient expressément les secteurs pétroliers, gaziers et miniers.

Nous avons aussi constaté que le ministère des Finances n’avait pas défini de plan de mise en œuvre assorti d’échéances pour éliminer progressivement et rationaliser les mesures fiscales qui constituent des subventions inefficaces aux combustibles fossiles.

La question des changements climatiques est non seulement complexe, mais elle est aussi importante et urgente. Elle requiert une action pangouvernementale de la part de l’ensemble des ministères et des organismes. Le gouvernement fédéral s’est doté d’un nouveau plan d’action sur les changements climatiques, qu’il a élaboré avec d’importants acteurs du domaine. C’est ce qui démarque ce plan des plans précédents, qui ne donnaient suite à aucun des engagements que le Canada avait pris en matière de changements climatiques. Le gouvernement fédéral doit maintenant transformer ce nouveau plan en action. Nous avons bon espoir de voir des progrès se réaliser. Nous allons continuer d’auditer ce dossier très important.

[Français]

En terminant, j’aimerais informer les membres du comité que nous déposerons au Parlement, au début de 2018, un rapport sur les changements climatiques préparé en collaboration avec les provinces et les territoires.

C’est ainsi que se termine ma déclaration d’ouverture. Nous serons très heureux de répondre aux questions des membres du comité. Merci beaucoup.

[Traduction]

La présidente : Je vous remercie beaucoup de votre exposé. Nous procéderons à deux séries de questions. Si possible, je demande aux sénateurs de limiter au maximum leur préambule et aux témoins de répondre de manière directe.

La sénatrice Seidman : Je vous remercie pour votre exposé, madame Gelfand. Le comité a beaucoup entendu parler de la portée du Cadre pancanadien sur la croissance propre et les changements climatiques, notamment l’accent qu’il met sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre dans toutes les régions et dans tous les secteurs de l’économie. Bien sûr, cette approche signifie que bon nombre des activités quotidiennes des Canadiens, comme la conduite d’un véhicule ou le chauffage d’une maison, seront touchées par ce cadre.

Par exemple, des représentants de Ressources naturelles Canada nous ont parlé de l’engagement du cadre envers de nouvelles normes du Code du bâtiment en matière d’énergies vertes, y compris de nouvelles exigences sur la modernisation des habitations existantes prévue pour 2022. Nous avons entendu dire que ces nouvelles exigences feraient en sorte que les propriétaires doivent remplacer des éléments comme les fenêtres et l’isolation lorsqu’ils vendent ou rénovent leurs demeures. Pour ce faire, un propriétaire pourrait devoir débourser jusqu’à 35 000 $.

Voici ma question : croyez-vous que les Canadiens comprennent bien l’effet que les engagements du gouvernement en matière de changements climatiques pourraient avoir dans leur vie quotidienne?

Mme Gelfand : Je suis commissaire à l’environnement et au développement durable au Bureau du vérificateur général. Cela signifie que je peux vous parler des résultats de notre vérification. Je ne peux pas me prononcer au sujet de politiques ou d’énoncés de politiques. Voici l’exemple que j’utilise toujours. Tous ne l’apprécient pas, mais il est très clair à mon avis. Si le gouvernement dit qu’il enverra une femme sur la lune, je peux aller vérifier cela. Je peux leur demander : « Avez-vous une fusée? Avez-vous formé plusieurs femmes au cas où l’une d’entre elles serait malade? Avez-vous suffisamment de carburant pour vous y rendre? Avez-vous un plan de vol? Serez-vous en mesure de revenir sur terre? » Voilà le type de questions que je peux poser.

Si vous me demandez s’il s’agit d’une bonne idée que d’envoyer une femme sur la lune, je ne peux répondre à cette question. Je peux vous dire que le gouvernement a affirmé qu’il allait le faire et que je vais procéder à une vérification pour voir s’il atteint ou non ses objectifs.

Dans ce cas-ci, un cadre pancanadien a été établi dans lequel le Canada affirme qu’il procédera à plusieurs reprises à des réductions des émissions de gaz à effet de serre. Il y en a probablement eu de 8 à 12, selon la façon dont un vérificateur définit ce qu’est un plan de réduction des changements climatiques. De 5 à 10 plans différents ont été mis en œuvre. Aucun n’a permis d’atteindre nos cibles de réduction des gaz à effet de serre.

La sénatrice Seidman : Je vais vous poser la question différemment. Votre bureau a révélé qu’Environnement et Changement climatique Canada n’avait pas toujours rapporté au public les résultats de la mise en œuvre de règlements visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre. Ma question a donc trait aux communications.

Mme Gelfand : C’est exact. Oui, nous l’avons constaté par le passé.

La sénatrice Seidman : Les médias ont suggéré que le gouvernement fédéral n’avait pas beaucoup pensé à informer les Canadiens au sujet des moyens qu’il comptait utiliser pour atteindre ses cibles climatiques.

Pouvez-vous donc nous parler de vos conclusions sur le manque de bonnes communications des actions du gouvernement au sujet des changements climatiques?

Mme Gelfand : Nous étudions les engagements en matière de changements climatiques depuis bon nombre d’années. Nous avons pris part au plan de mise en œuvre de l’accord de Kyoto et devions faire rapport chaque année des réalisations du gouvernement. Il n’y en a eu que très peu.

Quand on fait peu de réalisations, on n’a pas grand-chose à rapporter. Si on n’atteint aucun de nos buts, si on ne met en œuvre aucun de nos plans, il n’y a rien à dire dans les faits. Je dirais que, lorsque certaines des mesures seront mises en œuvre, on pourra mieux constater si le gouvernement fait un bon travail de communication.

En matière de rapport, nous avons notamment parlé du niveau des émissions de gaz à effet de serre. Nous avons vérifié quels étaient les niveaux actuels et si le gouvernement faisait rapport des émissions de façon efficace. Lors de notre dernière vérification, nous avons constaté que le gouvernement avait amélioré sa méthodologie de rapport des émissions de gaz à effet de serre.

Le sénateur Wetston : J’aimerais vous parler d’une chose à laquelle je crois que les vérificateurs pensent, mais je pourrais avoir tort. L’ampleur de l’incertitude au sujet des changements climatiques est claire — la mesure dans laquelle le climat changera au fil du temps, les modèles que vous utilisez, la méthodologie que vous employez. Le problème, c’est que cette incertitude a trait à notre avenir.

Bien sûr, vous savez que le problème avec l’avenir, c’est qu’il faut l’attendre. Alors, nous attendons.

Voici ma question : quel taux d’actualisation utilisez-vous? Avez-vous recours à un taux d’actualisation pour évaluer les coûts et les avantages au fil du temps? Comme vous le savez, différents taux d’actualisation ont été utilisés. À quoi vous fiez-vous lorsqu’il est question d’aborder l’incertitude sur l’étendue des changements climatiques à l’avenir?

Mme Gelfand : C’est une excellente question. Nous n’avons pas vérifié cela. Nous n’abordons pas les aspects financiers des changements climatiques. Nous évaluons si le gouvernement a réalisé ce qu’il avait dit qu’il allait faire.

Le gouvernement a affirmé : « Nous allons atteindre une cible de réduction des émissions de gaz à effet de serre en 2020. » Nous avons vérifié si le gouvernement était en voie d’atteindre cette cible. Nous n’avons pas étudié les coûts pour y arriver. Nous avons seulement examiné l’engagement du gouvernement et les actions qu’il a affirmé vouloir prendre. Nous avons vérifié si le gouvernement avait dit qu’il allait s’adapter aux changements climatiques et se préparer à évaluer les risques. Le gouvernement a dit qu’il allait le faire. Notre vérification a montré qu’il ne l’avait pas fait.

Le sénateur Wetston : Dans le même ordre d’idée, les modèles utilisent un taux d’actualisation pour évaluer ce que l’avenir pourrait représenter. Voici ce que je veux dire : on semble beaucoup utiliser des chiffres de 3 à 4 p. 100. Au Royaume-Uni, dans un rapport important qui a été publié, je pense, assez récemment, on utilise un chiffre de 1,7 p. 100. Je ne vous demande pas une analyse complète des coûts et avantages. Je vous demande simplement ce que vous utilisez. Il est en effet possible d’utiliser des chiffres différents pour évaluer ce que pourrait être l’incertitude. Peut-être ne le faites-vous pas du tout, mais j’ai l’impression qu’il s’agit d’une question assez importante, parce qu’il faut utiliser un modèle, une méthodologie, pour évaluer le niveau de conformité. De quoi vous servez-vous?

Mme Gelfand : Voici ce que nous faisons. S’ils disent qu’ils vont réduire leurs émissions de gaz à effet de serre, nous examinons les graphiques concernant les émissions et nous leur demandons : « Avons-nous atteint ces cibles? » Nous ne sommes pas des spécialistes de la modélisation, et nous ne nous sommes pas attardés à la question des coûts, ce qui faisait partie de votre question, il me semble.

Le sénateur Wetston : Plus ou moins.

J’aimerais vous poser une question sur la technologie.

Mme Gelfand : Oui.

Le sénateur Wetston : J’ai pris une petite note ici, et c’est important, selon moi. Je pense que l’avenir de la réduction des gaz à effet de serre ne passe pas nécessairement par le comportement humain, compte tenu de la façon dont se comportent les humains. On peut avoir recours à toutes les sciences comportementales, à l’économie et à la technologie qu’on peut utiliser, mais au bout du compte, je pense qu’à l’avenir, il faudra accélérer les changements technologiques. Ce sera nécessaire.

Vous en avez bien sûr parlé, en abordant les questions associées aux technologies de l’énergie propre. J’aimerais savoir ce que vous pensez de ce qui suit ou ce que vous avez à dire à ce sujet. Par exemple, le budget prévoit un financement considérable pour les technologies propres, avec lesquelles j’imagine que vous n’êtes pas nécessairement d’accord, mais j’ai l’impression qu’il vous importe peu de savoir si vous êtes d’accord ou non. Ce n’est pas votre travail. Mais pensez-vous que nous soutenons une recherche suffisante dans les technologies propres, compte tenu des résultats de vos audits? Si non, que pouvons-nous faire? Je pense que, à l’avenir, nous devrons investir considérablement dans les technologies propres pour atteindre ces objectifs.

Mme Gelfand : Dans notre audit sur les technologies propres, les gens peuvent être rassurés; l’argent dépensé jusqu’à maintenant a été bien dépensé. Je pense que du montant de 1,4 milliard de dollars annoncé, 713 millions de dollars ont été dépensés. Trois fonds ont été créés : deux à Ressources naturelles Canada et un à Technologies du développement durable Canada. Nous avons examiné ces deux fonds. Nous cherchions les problèmes éventuels. Nous avons examiné 65 différents dossiers, 65 différents projets. Nous sommes sortis et avons visité physiquement six ou sept d’entre eux, parlé avec ceux qui ont reçu les fonds, et tout ce que nous avons entendu, c’est qu’il s’agit de bonnes nouvelles.

Les Canadiens peuvent être convaincus que nous pouvons financer ces processus et que cela mènera à de bonnes avancées technologiques.

Je me souviens que mon personnel m’a parlé d’une préoccupation : nous obtenons de très bons résultats au début du cycle de la recherche, mais nous avons plus de mal avec l’intensification. Il semblerait que le Canada ait un peu de mal avec cela. C’est ce que nous ont dit les bénéficiaires du financement. À la première étape, tout va bien. À la deuxième, un peu moins.

Le sénateur Westston : J’apprécie beaucoup votre dernière observation.

La sénatrice Fraser : Cela a toujours été ainsi. Aussi loin que je me souvienne, nous avons eu de très bons résultats aux premières étapes, puis avons échoué à l’étape du développement et de la mise en œuvre.

Je ne suis ni scientifique ni vérificatrice. Une question que je me pose souvent est celle de savoir dans quelle mesure nous pouvons faire confiance aux chiffres que l’on nous donne. J’espère que vous pourrez me le dire.

Par exemple, lorsqu’on nous dit que les émissions de gaz à effet de serre ont augmenté de 15 p. 100 ou diminué de 5 p. 100, comment pouvons-nous faire confiance à ces chiffres? Un non-initié pourrait, par exemple, penser au dossier Volkswagen, où les gens croyaient sur parole les chiffres qui étaient donnés, alors qu’ils étaient frauduleux. À quel point pouvons-nous faire confiance aux chiffres qu’on nous donne?

Mme Gelfand : En général, je dirais que le travail d’Environnement Canada est plutôt bon dans le domaine des émissions de gaz à effet de serre. Il n’est pas parfait, mais ces imperfections sont minimes. Elles sont accessoires.

Ma confiance ou celle de notre bureau à l’égard des chiffres qui ont été présentés par Environnement Canada est assez élevée. J’ai également examiné la question sous l’angle des prédictions pour l’avenir. Je vais laisser Mme DaCosta parler.

Elsa DaCosta, directrice, Bureau du vérificateur général du Canada : À titre de précision, Environnement Canada produit deux séries de chiffres. Il y a le rapport d’inventaire national, qui présente des données historiques sur les émissions qui sont recueillies à partir de l’information obtenue des émetteurs, du secteur industriel.

La sénatrice Fraser : Je vous interromps pour obtenir une précision. Ce ne sont pas les employés d’Environnement Canada qui sont sur le terrain avec des instruments de mesure?

Mme DaCosta : Non, il y a un système de rapport, et ils travaillent avec les provinces et l’industrie pour obtenir les données.

Il y a aussi des données prévisionnelles. Il s’agit de données historiques qui servent à faire des projections.

Ces processus respectent des lignes directrices internationales établies par la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques, qui comprend également un processus de surveillance. Pour ce qui est des projections, on fait un examen rigoureux et une actualisation des méthodes utilisées. Je peux vous assurer que ces chiffres sont des plus exacts. Ils évoluent à chaque collecte de données et à chaque année, mais je peux vous assurer que nous avons confiance en ce processus.

La sénatrice Fraser : Sauf pour les fonds liés à l’énergie propre, la lecture de vos documents est plutôt déprimante.

Mme Gelfand : Je suis désolée.

La sénatrice Fraser : Si je suppose d’emblée que dans l’ensemble de l’appareil gouvernemental, les gens font essentiellement preuve de bonne volonté et de bonnes intentions, où sont les lacunes quant à l’évaluation et à la complexité de la tâche à accomplir? Et une fois que nous avons bien compris l’ampleur du problème, qu’est-ce qui nous empêche de faire ce qui doit être fait, au juste?

Comme vous l’avez dit, nous sommes très doués pour élaborer des plans, mais où est-ce que les choses tournent mal?

Mme Gelfand : C’est une excellente question, car dans certains cas, les choses se passent bien. Si l’on regarde le rapport de David sur l’adaptation, nous avons examiné 19 différents ministères. Environnement Canada s’est adressé à tous les ministères et leur a dit : « Hé, les changements climatiques sont en train de se produire, évaluez vos risques. » Le Canada détient 66 milliards d’actifs. Le gouvernement canadien est la plus importante entité du pays, avec 66 milliards d’actifs. Nous devrions examiner les risques liés aux changements climatiques.

Environnement Canada élabore un cadre et, ce qui est remarquable, c’est que cinq ministères s’y attèlent et font du bon travail. Il y a donc un certain leadership, quelque part. Soyons francs, 14 autres ministères, dont Environnement Canada, n’ont pas fait de bonnes évaluations des risques. Il est très difficile de mettre le doigt exactement sur le problème. Parfois, les choses vont bien.

Si je me fie à ma propre expérience, je me souviens que, il y a de nombreuses années de cela, voire des dizaines d’années, Transports Canada avait commencé à embaucher des experts en changement climatique et avait commencé à mettre sur pied une petite équipe de personnes. Ce ministère fait partie des cinq qui avaient examiné les risques liés aux changements climatiques. Certains fonctionnaires ont eu les moyens et le leadership requis pour dire : « Hé, nous allons être confrontés à des risques qui auront un effet sur nos aéroports, nos voies ferrées et toute notre infrastructure nationale. Nous devons les prévenir. » Et ils se sont lancés et l’ont fait. D’autres, non. Je ne peux pas vous répondre sur les échecs; ils arrivent tout simplement, mais pas toujours. Dans certains cas, nous avons enregistré de bons résultats.

La sénatrice Fraser : Vous avez utilisé le mot « leadership » à quelques reprises. En fait, il faut que tout cela soit chapeauté par la haute direction ou presque, non?

Mme Gelfand : Je n’ai pas effectué de vérification. Je n’ai pas été voir, à Transports Canada, comment ils y étaient arrivés, tout comme je n’ai pas été à Pêches et Océans pour leur demander pourquoi ils avaient fait tout ce bon travail par rapport aux autres ministères. En réalité, nous leur avons dit : « Vous étiez censés le faire. L’avez-vous fait? » Nous n’avons pas été plus loin pour voir pourquoi cinq d’entre eux avaient fait un bon travail, mais pas les 14 autres. À quoi cette différence était-elle attribuable? Était-ce liée à l’équipe de personnes qui avait créé cela? Je n’en suis pas certaine. Je ne sais pas si vous le savez.

La sénatrice Fraser : J’aimerais avoir une précision.

Savez-vous si les primes incluent, dans les critères, les mesures environnementales pangouvernementales?

Mme Gelfand : Il y a une disposition de la Loi fédérale sur le développement durable qui traite des ententes de rendement avec les sous-ministres sur l’atteinte des résultats de la stratégie de développement durable de leur ministère.

Toutefois, bon nombre de ces stratégies dépendent de l’approvisionnement, de l’écologisation des activités gouvernementales, de l’achat de bons crayons ou types de papier, de la réduction des déplacements par avion, et de ce genre de choses. Selon la recherche en gestion, cela pourrait donner lieu à la prise de mesures.

[Français]

Le sénateur Massicotte : Merci beaucoup d’être parmi nous ce matin.

[Traduction]

Pour résumer, le message que le public peut retenir, c’est que nous n’avons pas de plan. C’est extrêmement important. Ce n’est pas une étude théorique. Cela aura des conséquences importantes sur notre style de vie. Malheureusement, le climat ne connaît pas de frontière. Le monde entier sera touché, les autres pays tout autant que nous, je présume.

Ce que je retiens de vos remarques, c’est que nous nous en tirons assez bien. Comme bien des organisations, nous savons dresser des plans et élaborer des stratégies, mais nous avons beaucoup de mal à les réaliser. Il est facile de concevoir une stratégie, mais plus difficile de la mettre en œuvre. Les conséquences sont graves, et j’espère que les Canadiens exerceront des pressions pour que nous accordions, comme il se doit, la priorité à leurs vies et à nos ressources.

En ce qui concerne votre rôle de vérificatrice, comme vous le savez, bien des études ont été menées. Les ministres font état d’études indiquant, par exemple, que si nous n’agissons pas dès maintenant, ce qui coûterait 1 $ aujourd’hui coûtera 1,40 $ dans 10 ans, si ma mémoire est bonne. D’autres études indiquent qu’on ne réalise pas d’économie en ne faisant rien maintenant, car les conséquences et les coûts augmenteront de façon radicale. D’ici 20 ans, ce pourrait être trois fois plus pour notre PIB, par exemple.

Bien sûr, vous connaissez tous ces chiffres. Ces chiffres sont-ils exacts? Est-ce que ce pourrait être bien plus? Là où je veux en venir, c’est que les gens devraient comprendre que toute stratégie de lutte contre le changement climatique entraînera des coûts. C’est gênant. Cela change nos vies, mais les gens doivent savoir que ces coûts et ces perturbations ne sont rien si on les compare à ce qu’ils seront dans 20 ans si nous n’agissons pas maintenant. Êtes-vous d’accord?

Mme Gelfand : C’est justement pour cela, entre autres, que nous nous sommes penchés sur l’adaptation et la question de savoir si nous nous préparons à ces changements.

Je vous raconte une petite anecdote. Nous avons tenu des rencontres avec les présidents et vice-présidents des comités parlementaires pour leur parler du rôle du Bureau du vérificateur général et de mes fonctions à moi.

Un député, M. Casey, m’a apporté cette photo. Il a décrit la Nouvelle-Écosse et toutes les activités et l’argent qui passent par le port d’Halifax, puis par ce petit couloir entre la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick jusqu’à Chicago. Cela représente quelque 50 millions de dollars en activités économiques par jour.

Le problème, c’est que, avec la montée du niveau de la mer, c’est la voie ferrée qui devient le chasse-vague. La voie ferrée est sur un talus et c’est ce qui la protège de l’eau et empêche l’eau de se rendre jusqu’à l’autoroute et aux terres agricoles.

Nous devons nous préparer, car les effets du changement climatiques se font déjà sentir. Nous vivons déjà avec les conséquences du changement climatique. Si les émissions continuent d’augmenter, il est fort probable que les conséquences seront encore plus graves.

Dans le cadre de notre vérification, nous avons tenté de déterminer si le gouvernement est en voie d’atteindre ses cibles de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Tous les pays du monde, sauf les États-Unis, se sont engagés à réduire leurs émissions, et le Canada devrait faire sa part. La population du Canada représente environ 0,009 p. 100 de la population mondiale, soit une très petite proportion, mais nous sommes la source de 2 p. 100 des émissions mondiales.

Nous produisons beaucoup de gaz à effet de serre, compte tenu de la taille de notre population. Nous avons donc examiné la situation et cherché à savoir si le gouvernement est prêt à s’adapter aux changements climatiques maintenant. Il y a des actifs d’une valeur de 66 milliards de dollars. J’ai simplement eu à demander au vérificateur général combien d’actifs nous avons, si on avait examiné les changements climatiques et si nous étions prêts. Ces actifs vont-ils être engloutis par la mer ou par le pergélisol? Qu’arrivera-t-il à ces actifs.

Nous avons aussi examiné la possibilité de réduire les subventions au secteur des combustibles fossiles et d’investir dans de nouvelles technologies écologiques. Donc, à partir de ce quadrant, nous avons tenté d’examiner le tout de façon globale dans le cadre de notre audit.

Le sénateur Massicotte : Après le dépôt de votre rapport, il y a deux ou trois semaines, les Nations Unies ont publié un rapport qui comportait sensiblement les mêmes conclusions que les vôtres quant au rendement du Canada. Ce rapport renfermait également une conclusion au sujet du monde entier.

En d’autres mots, si vous regardez ce qui se passe maintenant, les gouvernements ont fait de nombreuses promesses et bon nombre d’entre eux ne parviennent pas à les tenir, surtout le Canada. Vous parlez d’une augmentation de 3,5 p. 100 ou de 4 p. 100 en degrés Celsius par rapport aux prévisions actuelles, et vous tenez compte de ce qu’on pourrait qualifier d’une réduction considérable des émissions de CO2 provenant des ressources naturelles. Il y a des choses proactives qu’on peut faire, mais il y a encore beaucoup d’éléments qui, on présume, pourraient absorber le CO2 dans l’air, domaine dans lequel nous semblons aller nulle part.

Je suis très découragé. Il semble que nous allons frapper un mur assez durement et découvrir qu’il est trop tard. On ne peut pas simplement arrêter tout et penser que le CO2 va disparaître. Il faut attendre des centaines d’années avant d’avoir une influence.

Je tente de tirer la sonnette d’alarme. Cela dit, ne devrions-nous pas dire aux gens : « Voilà où nous nous en allons » au moyen d’une description claire et concrète? Voici la conséquence sur notre mode de vie lorsque la température augmente de 3,5 p. 100 ou de 4 p. 100. Des gens au Canada disent que 4 p. 100 d’augmentation, c’est bien, car nous sommes dans un climat froid, mais les gens ne comprennent pas qu’à l’ère glaciaire, la différence était seulement de 5 degrés Celsius et que pourtant, l’humanité n’aurait pas pu survivre. L’heure est grave. Comment pouvons-nous faire comprendre ce message?

Mme Gelfand : Vous devrez poser votre question au gouvernement. En tant que commissaire, je comprends que les changements climatiques sont un enjeu sérieux et important, et c’est pourquoi j’ai effectué des audits pour déterminer si le gouvernement respecte ses engagements.

Ce ne sont pas des engagements que j’ai pris au nom du gouvernement; ce sont des engagements que le gouvernement a pris. Le gouvernement a dit qu’il évaluerait ses risques par rapport aux changements climatiques et il a déclaré qu’il investirait dans les nouvelles technologies écologiques. C’est ce qu’il fait. Il a dit qu’il réduirait les subventions inefficientes au secteur des combustibles fossiles et qu’il se préparerait à s’adapter.

Nous avons passé en revue tout ce que le gouvernement a dit qu’il ferait dans cette situation très importante, complexe et urgente…

Le sénateur Massicotte : Alors, sur quatre, trois ont échoué?

Mme Gelfand : Eh bien, n’oubliez pas que, sur le plan de l’adaptation, cinq ministères ont fait un bon travail. Je tiens à les en féliciter. Toutefois, nous n’avons pas atteint notre cible pour 2020 et nous avons maintenant une cible plus difficile à atteindre d’ici 2030. Du côté des réductions d’émissions, la situation n’est pas exemplaire. Quant à l’adaptation, cinq ministères ont fait du bon travail.

Le sénateur Massicotte : Ils ont rédigé de bons rapports.

Mme Gelfand : Non, en réalité, ils ont réalisé quelques activités et fait de bons gestes. Du côté des investissements dans les nouvelles technologies écologiques, nous faisons du bon travail. Au début du cycle, pour l’innovation et, finalement, sur les subventions au secteur des combustibles fossiles. À ce stade, la raison pour laquelle le vérificateur général a déposé ce rapport est que le ministère des Finances ne nous donnait pas l’information que nous recherchions. C’était un enjeu d’accès à l’information qui ne se limitait pas au travail de la commissaire.

Nous ferons bientôt un autre audit sur la réduction des subventions inefficientes au secteur des combustibles fossiles afin de nous assurer que le ministère des Finances nous donne l’information.

Le sénateur Patterson : Sur quoi porteront exactement les rapports conjoints sur les changements climatiques rédigés de concert avec les provinces et les territoires et qui doivent être déposés au Parlement au début de 2018?

Mme Gelfand : Excellente question. Les vérificateurs généraux de tout le pays ont convenu d’examiner deux éléments au sein de leur province ou territoire : leur province ou territoire va-t-il atteindre sa cible de réduction des émissions de gaz à effet de serre — enfin, s’il en a une; ce n’est pas le cas de toutes les provinces et de tous les territoires —, et leur province ou territoire se prépare-t-il à s’adapter et à cerner les risques relatifs aux changements climatiques?

Pour la première fois, tout le monde travaille ensemble à cet enjeu. Toutes les provinces et tous les territoires ont préparé des rapports. Je crois d’ailleurs que le Yukon en a déposé un mardi. Chaque province et chaque territoire a déposé son propre rapport d’audit à son assemblée législative.

Dès que ces rapports seront terminés, ce qui devrait se produire en février, nous publierons un rapport sommaire. Encore une fois, il s’attardera à deux questions : les provinces et les territoires atteignent-ils tous leurs propres cibles de réduction? Ont-ils tous examiné et cerné leurs risques en matière de changements climatiques et commencé à se préparer à s’adapter aux changements climatiques?

Le sénateur Patterson : Nous parlons actuellement de votre rôle. Si on prend le Nunavut, cela me désole d’admettre qu’il est le chouchou des producteurs de diesel au Canada, car nous n’avons pas d’autres sources d’énergie comme les territoires voisins. Nous n’avons pas d’hydro-électricité.

Lorsque vous découvrirez qu’il n’y a pas eu de progrès en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre au Nunavut — c’est ma prédiction —, votre mandat vous permettra-t-il d’examiner pourquoi aucun progrès n’a été enregistré?

Mme Gelfand : Je ne connais pas encore les détails du chapitre sur le Nunavut, car il n’a pas encore été déposé, mais nous pourrons seulement vérifier si le Nunavut a fixé des cibles de réduction des émissions. Je ne sais pas si le gouvernement du Nunavut a dit qu’il réduirait ses émissions. Certains territoires ont déclaré que leurs émissions de gaz à effet de serre augmenteraient, car ils n’ont pas bien le choix. Je ne connais pas la situation exacte du Nunavut. Le rapport n’a pas encore été déposé. Il est en cours de rédaction à l’heure actuelle.

Nous pouvons seulement effectuer un audit si un gouvernement a pris un engagement. Le gouvernement a-t-il pris un engagement, à quoi s’est-il engagé, est-il en voie d’atteindre sa cible? Ensuite, nous poserons des questions sur les engagements, sur ce que le gouvernement fait en matière d’adaptation et s’il a atteint ses cibles.

Le sénateur Patterson : Vous avez dit que vous examinerez si les gouvernements sont en voie d’atteindre leurs cibles.

Mme Gelfand : La cible que les gouvernements se sont fixée.

Le sénateur Patterson : C’est le point qui m’intéresse. Au fait, vous êtes la vérificatrice générale du Nunavut.

Mme Gelfand : C’est exact.

Le sénateur Patterson : Le Nunavut n’ayant pas son propre vérificateur général, il fait appel à vous.

Mme Gelfand : C’est exact.

Le sénateur Patterson : Lorsque vous déterminerez si le Nunavut est en voie d’atteindre ses cibles de réduction des émissions, examinerez-vous des enjeux comme les progrès en matière d’énergie de rechange, ou allez-vous vous contenter de déclarer : «Le territoire n’a pas atteint sa cible » ou « Le territoire a atteint sa cible »? Lorsque vous examinez les progrès, vous penchez-vous sur la méthodologie utilisée pour réduire les émissions?

J’en parle, car le Nunavut a signé le Cadre pancanadien sur la croissance propre et les changements climatiques. Cela signifie qu’il a accepté, du moins en principe, de réduire ses émissions de gaz à effet de serre et a signé le cadre de bonne foi. On nous a promis des accommodements, on nous a promis une étude sur les répercussions de la tarification du carbone. L’étude n’est pas terminée et rien n’a été publié. En fait, l’étude n’a encore pas été faite. Nous serons bientôt en 2018, et la seule promesse que nous avons est que le prix du carbone sera augmenté dans la région du pays ayant le coût de la vie le plus élevé. À ce que je sache, il n’y a aucun progrès du côté des énergies de rechange.

En tant que vérificatrice générale chargée du dossier, examinerez-vous le progrès en matière d’énergie de rechange afin que les consommateurs aient un choix lorsque le coût de la vie augmentera ou devront-ils simplement composer avec un coût de la vie plus élevé?

Mme Gelfand : Je pense que, s’ils ont utilisé la même méthode, et c’est le cas, comme l’ensemble des autres provinces et territoires, ce que nous cherchons à savoir, c’est si l’administration a établi une cible de réduction des émissions, oui ou non, et dans quelle mesure elle a réalisé son objectif. Est-ce qu’elle l’a fait ou pas? Est-ce qu’elle est sur le point d’y arriver? Est-ce que l’administration a signifié son intention de cerner les risques que comportent pour elle les changements climatiques? Est-ce qu’elle l’a fait? C’est ce sur quoi nous nous pencherons au Nunavut.

Le principal n’est pas ici, et donc c’est une autre personne qui mène cet audit pour le Nunavut. Nous pourrions essayer d’obtenir pour vous les critères qu’ils ont appliqués s’ils ont fait quoi que ce soit de plus.

Le sénateur Patterson : J’apprécierais que vous puissiez transmettre cette information au comité.

La sénatrice Cordy : Merci beaucoup. J’aimerais parler des 5 ministères et organismes sur les 19 qui ont pleinement évalué les risques que comportent les changements climatiques et ont pris des mesures à leur égard. Est-ce que vous pourriez nous dire quels sont ces ministères et organismes? Je pense que vous avez déjà dit que ceux des Transports et des Pêches en faisaient partie.

Mme Gelfand : J’ai un tableau ici. J’ai donc Pêches et Océans Canada, Affaires autochtones et du Nord Canada, Ressources naturelles Canada, Transports Canada et Santé Canada. Si je me souviens bien, je pense que Santé Canada était un peu à la limite.

Quand on examine 19 ministères, ce qui est difficile, c’est de faire la part entre les très bons élèves, les moyens et les vraiment mauvais. À moins qu’on ne fasse que deux catégories. Santé Canada est tout juste parvenu à se classer par les cinq premiers. Ce ministère pourrait faire encore beaucoup plus.

La sénatrice Cordy : Donc, il y a les vraiment bons élèves. Où en sont les autres ministères? Nous parlons déjà depuis longtemps de changements climatiques, et j’espère que les Canadiens commencent à comprendre que nous avons tout intérêt à agir vite, avec tous ces incendies et inondations qui dévastent le Canada. Vous avez parlé de la Nouvelle-Écosse et du ministère des Pêches, qui relève un quai à cause des inondations. Vous avez raison, l’isthme de Chignecto qui relie le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Écosse est très étroit, les transporteurs l’empruntent avec des produits frais et du matériel du port d’Halifax pour traverser le Nouveau-Brunswick et se rendre à Chicago, New York ou Boston, alors c’est assez inquiétant.

Dans quelle catégorie est-ce qu’ils se situent? Est-ce que ce sont les mauvais élèves? Est-ce que certains ont évalué les situations sans rien faire pour y remédier? Peut-être pourriez-vous nous expliquer cela.

Mme Gelfand : Absolument. Je vais vous donner un aperçu, et si David le souhaite, il pourra ajouter des éléments.

Certains ministères n’ont pas fait la moindre évaluation des risques que posent les changements climatiques, absolument rien. Il s’agissait du ministère des Services publics et de l’Approvisionnement et du ministère de l’Innovation, des Sciences et du Développement économique. Les autres que nous avons examinés ont pris certaines mesures. Je vais vous donner un exemple. Le ministère de la Défense nationale a réalisé que certaines de ses opérations en Arctique connaîtront des problèmes d’accessibilité, donc il a étudié la question et a peut-être fait quelque chose pour y remédier.

Certains ministères ont recensé des enjeux clés et ont fait quelque chose. Ce sont les ministères de l’Agriculture, de l’Environnement, des Affaires mondiales, de l’Infrastructure, et de la Défense nationale, ainsi que Parcs Canada, l’Agence canadienne d’inspection des aliments et l’Agence de la santé publique. Certains ont recensé des problèmes, mais n’ont pas fait ce qu’on appelle une évaluation complète des risques en application des lignes directrices du Conseil du Trésor, dans le cadre de laquelle on fait une analyse de toutes les opérations et de tous les programmes et services pour déterminer le risque que pourrait poser pour eux le changement climatique, et ce qu’ils feraient pour y remédier.

David Normand, directeur, Bureau du vérificateur général du Canada : En fait, je pense que c’est un tableau assez juste de la situation. Par exemple, les bons élèves ont recensé les risques au regard de leur mandat. Il y a là deux éléments : ce qu’ils peuvent faire ou devraient faire pour aider les Canadiens à s’adapter, et ce qu’ils devraient faire dans le cadre de leur mandat pour réaliser leurs propres activités en vue de pleinement s’acquitter de leur mandat. Ces cinq ministères ont fait une bonne évaluation des risques. Ils ont déterminé que le changement climatique pouvait avoir une incidence sur leurs activités. Non seulement cela, mais ils ont pu aussi déterminer la nature des changements et les méfaits que le changement climatique aurait réellement sur leurs activités. Ils ont ensuite recensé des mesures d’adaptation. Donc, c’étaient des mesures concrètes, avec des échéanciers, et cetera.

Ce que nous avons constaté, c’est que les 14 autres ministères et organismes n’ont pas fait cette démarche. En gros, certains d’entre eux ont constaté que le changement climatique était l’un des nombreux facteurs de risque potentiels pour l’organisation, mais ils n’ont pas déterminé en quoi il les toucherait. En conséquence, ils ont pris très peu de mesures pour s’adapter et accroître leur propre résilience au changement climatique.

La sénatrice Cordy : Alors que va-t-il se passer? Le rapport est publié, et 14 ministères et organismes n’ont certainement pas fait ce qu’ils auraient dû faire. Que va-t-il se passer? Faites-vous un suivi? Est-ce que vous vous en remettez au ministère de l’Environnement? Il n’est d’ailleurs pas sur la liste. Que devez-vous faire? Je suppose que je devrais demander ce que nous devons faire.

Mme Gelfand : En théorie, la façon dont tout devrait se dérouler, c’est que le Parlement dit au gouvernement ce qu’il faut faire et le vérificateur va vérifier si le gouvernement a fait ce que lui a demandé de faire le Parlement et en rend compte au Parlement. Donc, maman dit à son gamin qu’il lui faut un B en sciences. Je vais vérifier si les devoirs ont été faits, et je vais dire à maman si son gamin va avoir un A, un B ou un C. Ensuite, maman doit aller secouer le gamin et lui dire : « Fais tes devoirs. »

La façon dont les choses devraient se passer, c’est que le gouvernement a dit à ces ministères qu’ils doivent évaluer les risques que pose le changement climatique. Nous avons fait des vérifications et avons constaté que 14 d’entre eux n’ont rien fait. Nous en avons rendu compte au Parlement. En principe, maintenant c’est au Parlement de dire au gouvernement qu’il doit le faire.

Maintenant, dans nos recommandations, chacun des ministères a dit qu’il s’exécuterait. Certains ont donné des échéanciers quant à leurs intentions. Nous faisons souvent des suivis, mais il y a tant à faire, alors nous vous encourageons à pousser les ministères à se mettre à la tâche, à les convoquer devant vous, à leur demander ce qu’ils font et à vous présenter un plan d’action. Nous invitons les comités de la Chambre des communes à en faire autant.

Le sénateur Richards : Je vous remercie d’être venus. Peut-être que David peut répondre à la question que j’ai à poser, ou peut-être qu’on y a déjà répondu.

Quel pourcentage d’énergie renouvelable a déjà remplacé les combustibles fossiles au Canada, actuellement, en tant que forme d’énergie durable? Pouvez-vous m’en donner une vague idée? Est-ce que c’est très peu?

M. Normand : Je ne peux pas vous répondre. Nous n’avons pas examiné cette question. Comme l’a dit la commissaire, nous avons vérifié si chaque organisation avait fait une évaluation de ses propres risques et de la façon dont elle y fait face.

Le sénateur Richards : Je pensais que ce pouvait-être une façon d’y réagir. Il me semblait que cela pouvait être un élément de réponse. Ce n’est pas le cas?

M. Normand : Non, nous n’avons pas vérifié cela.

Le sénateur Richards : J’aimerais parler du marais de Tantramar. Je vais me faire l’avocat du diable, et je le resterai tant que se poursuivra ce débat. Le marais de Tantramar est inondé depuis une centaine d’années. Nous allons maintenant faire quelque chose pour y remédier, et il est grand temps de le faire parce que nous sommes en train de perdre notre structure. Le gouvernement du Nouveau-Brunswick a demandé au gouvernement fédéral de l’aider à construire des digues là-bas pour aider à la circulation.

Je ne dis pas que le changement climatique n’est pas le principal coupable; je dis seulement qu’il y en a d’autres. Et cette situation existait déjà quand j’avais cinq ans.

Mme Gelfand : Je n’ai donné cet exemple que parce qu’un député l’a soulevé. Nous n’avons pas fait d’audit de ce côté-là.

Le sénateur Richards : D’accord.

La présidente : J’ai deux ou trois questions à poser.

Nous sommes tous quelque peu frustrés à cause de promesses qui n’ont pas été remplies, et vous jouez un peu un rôle de comptable : « Voici là où nous devrions en être, et nous sommes ici. » Vous ne pouvez faire de recommandations politiques relativement à ce qui devrait être fait.

J’ai une question globale et une question spécifique. La question globale est la suivante : si vous vous mettez à notre place et que vous avez accès à beaucoup de données ou d’information, que pouvons-nous faire en tant que sénateurs de ce comité pour vous aider à mettre de la pression ou à être la mère qui punit l’enfant lorsqu’il ne fait pas ce qu’il faut? Voilà ma première question.

Mme Gelfand : Pour répondre à votre question globale, un comité sénatorial peut demander aux ministères de venir faire une présentation devant vous. Lorsque vous demandez à un ministère de venir vous parler, assurez-vous que ce soit le sous-ministre qui se présente parce que j’ai vu bien des cas où on a demandé à quelqu’un à un poste inférieur de se présenter, et cette personne ne pouvait pas répondre au nom du ministère. Si vous êtes préoccupé par les émissions ou par le fait d’atteindre les cibles du Cadre pancanadien sur la croissance propre et les changements climatiques, demandez des comptes au sous-ministre, demandez-lui quel est son plan et appelez-le encore l’année prochaine.

Je crois que le pouvoir des comités réside dans le fait qu’ils peuvent demander des comptes au gouvernement en les appelant à témoigner devant eux, en leur posant des questions, et en leur demandant de revenir six mois ou un an plus tard et de faire encore une fois une présentation devant le comité. C’est le plus grand rôle que vous puissiez jouer en tant que sénateurs.

La présidente : Ma seconde question est la suivante : avez-vous comparé votre travail avec du travail semblable qui a été fait ailleurs, comme en Angleterre ou…

Mme Gelfand : Oui. J’ai cette information devant moi, en fait. Concernant l’adaptation, plusieurs pays ont rendu l’évaluation des risques obligatoires. Certains pays ont des mesures législatives sur les changements climatiques.

Au Royaume-Uni, ils ont enchâssé l’adaptation au changement climatique dans leur mesure législative. Le Royaume-Uni et la Finlande demandent à leur gouvernement d’évaluer leurs risques et d’élaborer des plans d’adaptation au niveau national.

L’Allemagne a formulé une stratégie d’adaptation en 2008, et déterminé 15 domaines de vulnérabilité et dégagé des priorités précises en 2015.

La France, le Royaume-Uni et l’Allemagne ont donné priorité à leurs activités. Par exemple, en France, ils ont identifié 230 mesures à mettre en place, avec des échéanciers dans leur plan d’adaptation de 2011. Le Royaume-Uni, comme je l’ai déjà dit, doit déterminer ses priorités en matière de risques.

Certains pays ont un comité national d’évaluation. Au Royaume-Uni et en Finlande, ils ont un sous-comité qui donne au Parlement une évaluation indépendante des progrès réalisés en ce qui concerne leur plan d’adaptation. En Finlande, il existe un groupe de surveillance nationale qui offre des présentations au Parlement.

Dans le domaine de l’adaptation, nous avons examiné ce qui se fait dans d’autres pays.

La présidente : Merci.

Le sénateur MacDonald : Mes excuses. J’ai un projet de loi qui se trouve au Comité des pêches et j’ai essayé de me rendre à deux comités pendant la même matinée, ce qui n’est pas facile à faire.

En ce qui concerne le point no 16 sur votre liste, je suis heureux qu’on fasse rapport du fait que ces trois fonds d’énergie propre fonctionnaient tous très bien. L’argent a été bien dépensé, les projets suivent l’échéancier, le financement a été facile à suivre et les projets ont été approuvés dans le cadre d’un processus rigoureux et objectif. Je me demandais si vous pouviez élaborer sur ce point.

Mme Gelfand : Nous avons évalué trois différents fonds dans ce cas-ci. Deux de ces fonds provenaient de Ressources naturelles Canada et un d’entre eux était le Fonds d’appui technologique au développement durable.

Chez Ressources naturelles Canada, une partie de l’argent a été utilisé pour l’utilisation de la capture du carbone et pour des projets de technologie de stockage. Le reste de l’argent a été injecté dans des fonds destinés à des programmes d’énergie renouvelable à petite échelle et des systèmes d’énergie propre.

Quand on parle de ces trois fonds, 1,4 milliard de dollars ont été alloués entre 2006 et 2017, soit sur une période d’environ 11 ans. Environ la moitié de cet argent a été dépensée. Dans la plupart des cas, il s’agissait d’appels publics pour la soumission de propositions de la part d’entreprises particulières, sauf dans le domaine de la capture du carbone, parce qu’il s’agit d’installations industrielles très importantes où on capture le carbone qui découle de la transformation du bitume en produits pétroliers nouveaux.

Je disais plus tôt que nous avons évalué 65 différents projets. Nous sommes allés visiter six ou huit d’entre eux. Mon personnel s’est rendu partout au pays, et ils ont rencontré les gens et les entreprises qui reçoivent l’argent. Dans l’ensemble, nous croyons que c’est un audit qui apporte de bonnes nouvelles. Cela est rare, parce que les vérificateurs cherchent généralement les choses qui ne fonctionnent pas. Ce fut donc un plaisir d’observer que de bonnes choses se produisaient dans ce domaine et que, en tant que Canadiens, nous pouvons être assurés que si nous investissons dans ces projets, notre argent sera bien dépensé. Nous pouvons l’affirmer.

Comme je l’ai dit plus tôt, les gens qui ont reçu de l’argent nous ont dit que nous faisions bien les choses au début du cycle d’innovation, mais que c’étaient les stades du développement et de l’intensification qui nous donnaient du fil à retordre au pays.

Le sénateur MacDonald : Vous dites que l’argent est bien dépensé. Où est-il dépensé? Est-ce qu’il est dépensé un peu partout au pays dans chaque province, ou est-ce qu’une ou deux régions siphonnent la moitié de l’argent?

Mme Gelfand : Je n’ai pas cherché cette information en particulier. Nous n’avons pas entendu parler de problème avec l’endroit où allait l’argent. L’utilisation de la capture du carbone et son stockage ont reçu beaucoup de financement parce que ce sont des projets à grande échelle.

La sénatrice Fraser : C’est très intéressant. J’aimerais revenir sur cet engagement à éliminer progressivement et à rationaliser les subventions inefficaces aux combustibles fossiles.

Quelle est la définition et quels sont les critères pour déterminer si quelque chose est « inefficace »? D’un côté, ce pourrait simplement être de savoir si l’argent va là où le gouvernement affirme qu’il va, ou à l’autre extrémité de l’échelle, on pourrait se demander s’il y a, en fait, une augmentation de la production des gaz à effet de serre. Qu’entend-on par « efficace »?

Mme Gelfand : Je vais commencer à répondre et ensuite passer le micro à Doreen. Nous nous attendions à ce que les membres du gouvernement puissent nous dire ce qu’ils définissent comme « subvention inefficace aux combustibles fossiles ». Qu’est-ce qui est inefficace? Ce que nous avons découvert, c’est qu’ils ne l’avaient pas définie.

La sénatrice Fraser : Donc, ils vont l’éliminer progressivement, mais ils ne savent pas de quoi il s’agit?

Doreen Deveen, directrice, Bureau du vérificateur général du Canada : Lorsque nous avons commencé l’audit, nous avons présumé qu’il y avait un certain nombre de termes assez spécifiques qui se trouvaient dans cet engagement du G20, et « subvention inefficace aux combustibles fossiles » en faisait partie.

Les leaders du G20 n’ont pas défini ce qui était « inefficace », car ils croyaient qu’il était important pour chaque État membre de le définir dans son propre contexte.

Comme l’a dit la commissaire, ils n’avaient pas défini ce qu’étaient les « subventions inefficaces aux combustibles fossiles ».

La sénatrice Fraser : Le G20 ne l’a pas fait, mais est-ce que le Canada l’a fait?

Mme Deveen : Non.

La sénatrice Fraser : Pas du tout? Est-ce que quelqu’un y travaille?

Mme Deveen : Nous avons recommandé que les ministères des Finances et de l’Environnement du Canada travaillent à une définition. Cela étant dit, Finances Canada a défini de façon vague que ces subventions sont des subventions qui sont préférentielles — que, au fil du temps, ils élimineraient progressivement les subventions qui offrent une préférence aux secteurs pétrolier, gazier et minier. Donc, certaines mesures ont été prises, mais en l’absence d’une définition formelle de ce que constitue précisément « efficace ».

La sénatrice Fraser : Elle accorde une préférence aux combustibles fossiles plutôt qu’à l’énergie solaire ou hydroélectrique ou autre?

Mme Deveen : C’est exact.

Je voulais également ajouter qu’une autre composante de cet engagement d’éliminer progressivement ou de rationaliser les subventions, est d’offrir un soutien ciblé aux plus démunis. Nous leur avons également demandé ce que cela signifiait. Encore une fois, il n’y a pas de définition précise de ce que cela signifie dans leur contexte.

La sénatrice Fraser : Les gens les plus pauvres? Les secteurs les plus pauvres? Les régions les plus pauvres?

Mme Deveen : C’est ce dont il faut parler.

La sénatrice Fraser : Le Nunavut?

Mme Deveen : Une fois de plus, nous leur avons recommandé de préciser ce que cela voulait dire dans leur travail visant à éliminer progressivement ou à rationaliser ces subventions.

D’après eux, l’objectif des pays du G20 se concentrait sur les subventions aux consommateurs. Ces dernières étaient plus pertinentes pour des pays comme l’Inde, qui offraient du carburant et de l’énergie à coûts réduits afin de soutenir les plus pauvres au pays. Nous n’avons pas l’habitude de le faire autant au Canada.

La sénatrice Fraser : D’accord, alors nous n’avons pas à nous en faire.

La présidente : Est-ce que cela se retrouve dans un des rapports? Pourriez-vous envoyer à Maxime une note écrite sur la définition de l’inefficacité et ce que vous en pensez?

[Français]

Le sénateur Massicotte : Vous définissez le terme « subvention inefficace ».

Mme Gelfand : Oui.

Le sénateur Massicotte : L’interprétation du ministère est à savoir s’il y a une préférence, en d’autres mots, s’il y a une subvention. Selon la définition de « subvention », c’est un avantage qu’on donne à quelqu’un. Laissons tomber le mot « inefficace ». Plusieurs organisations dans le monde lancent des chiffres pour parler de subventions, et les chiffres sont assez importants pour le Canada.

Mme Gelfand : Oui.

Le sénateur Massicotte : Cette définition de « subvention » est nébuleuse. Par exemple, si l’on dépense 1 million de dollars en frais d’exploitation ou développement pour un puits de pétrole, et que les lois fiscales permettent une déduction sur 15 ou 20 ans, et que l’on déduit ce coût sur la période d’amortissement prévue dans les normes comptables, s’agit-il d’une subvention? Plusieurs organisations disent que tout avantage constitue une subvention. Si l’on suit les normes comptables typiques, il est normal, lorsqu’on dépense un sou pour gagner un autre sou, de considérer cette dépense comme légitime et non comme une subvention. Selon votre interprétation, la déduction d’une dépense en exploration pour un puits de pétrole est-elle considérée comme une subvention?

Mme Gelfand : Le rapport 7 a été déposé par le vérificateur général au printemps 2017. La raison pour laquelle je n’ai pas déposé ce rapport est attribuable au fait que le ministère des Finances n’a pas collaboré avec notre bureau en nous fournissant les informations dont on avait besoin pour atteindre les objectifs de l’audit. La question d’accès à l’information est très importante pour tous les vérificateurs généraux à travers le monde. On est censé avoir accès à l’information dont on a besoin. C’est pourquoi le vérificateur général a pris le rapport.

Dans notre rapport, on parle de certaines mesures fiscales qui ont été éliminées et qui visaient strictement le secteur des combustibles fossiles. On a aussi parlé des mesures qui font partie du régime fiscal de référence. On a vu que le ministère des Finances n’avait pas regardé de façon complète et exhaustive toutes les subventions possibles, toutes les déductions dont vous parlez, pour déterminer celles qui étaient efficaces et celles qui ne l’étaient pas. Il n’avait pas défini le mot « inefficace ». Il était donc difficile pour eux de faire la détermination. Il n’avait pas examiné les déductions selon une méthodologie exhaustive pour voir s’ils faisaient preuve de favoritisme envers un secteur par rapport à un autre. Est-ce que cela répond à votre question?

Le sénateur Massicotte : C’est à voir, en d’autres mots.

[Traduction]

Le sénateur Wetston : Je tenais à vous dire que c’est très utile de voir quelles sont les stratégies adoptées par d’autres pays. Je crois que vous savez tous que c’est un peu plus difficile au Canada, surtout parce que nous sommes d’une fédération, et non un État unitaire. Inévitablement, on compare que ce que les États unitaires peuvent accomplir à ce que nous pouvons accomplir plus facilement au Canada, étant donné la nature de notre fédération. Nous aimons notre fédération, mais reste qu’il est difficile de gouverner dans ce pays.

Cela étant dit, il ne s’agit que d’une observation à propos des renseignements que vous nous avez donnés.

J’ai une question plus précise sur le fonctionnement de vos audits et les compromis que vous avez peut-être observés, à savoir comment les ministères font face à la décarbonisation par rapport à l’adaptation. Y a-t-il ou non des compromis importants entre ces deux objectifs? Si nous ne pouvons limiter ou réduire la décarbonisation et que nous n’atteignons pas les cibles que nous avons fixées, nous aurons d’importants problèmes d’adaptation.

Dans le cadre de vos travaux, avez-vous été en mesure d’examiner les compromis entre ces objectifs?

Mme Gelfand : Votre question est très intéressante. Je dirais que, en général, nous nous sommes penchés sur chaque enjeu en le considérant comme une pièce indépendante du puzzle. Nous avions donc à l’esprit que le gouvernement a affirmé qu’il allait réduire les émissions de gaz à effet de serre et atteindre une cible, qu’il s’agisse de la cible de Kyoto — jusqu’à ce que nous nous retirions du protocole —, la cible de 2020 ou, dorénavant, la cible de 2030. Notre mandat de vérificateurs reposait sur la question suivante : « Vous avez affirmé que vous alliez atteindre la cible de 2020, alors où en êtes-vous? » Bon, nous en sommes bien loin. Est-ce qu’on travaille encore à atteindre la cible de 2020? Il semble que ce ne soit plus l’objectif. Tout ce dont on parle maintenant, c’est de la cible de 2030.

Essentiellement, comme l’un de nos collègues l’a dit, on reporte à plus tard l’échéancier. La cible n’est pas facile à atteindre pour le Canada. Notre pays a une forte production d’hydrocarbures, et cette production génère beaucoup de gaz à effet de serre. C’est donc une cible difficile à atteindre pour un pays comme le Canada, qui est froid et immense et qui comprend des collectivités très isolées aux quatre coins de son territoire. Voilà pourquoi j’affirme que c’est complexe. Pour le Canada en particulier, respecter les engagements en matière de réduction des gaz à effet de serre est une entreprise à la fois complexe, importante et urgente.

En ce qui a trait à l’adaptation, nous nous sommes penchés sur le cadre d’adaptation, à savoir le cadre stratégique qui a été établi par Environnement Canada et qui a été communiqué aux ministères. On y indique que les ministères du gouvernement du Canada devraient se pencher individuellement sur leurs risques rattachés aux changements climatiques et prendre des mesures d’atténuation après les avoir recensés. Nous les avons considérés comme… Je ne suis pas certaine que l’on ait fait les compromis dont vous avez fait mention. Nous avons dit que le gouvernement s’est engagé à atteindre des cibles de réduction des émissions. Où en sommes-nous? Le gouvernement a déclaré qu’il devait recenser les risques qu’il présente relativement aux changements climatiques. Il possède de nombreux actifs et a en place de nombreux programmes. Comment s’y prend-il? Nous avons donc travaillé dans cette optique.

La présidente : J’aimerais vous poser une dernière question. Serait-il possible que, dans votre prochain exercice, vous teniez compte des données économiques et financières selon certaines circonstances et conditions? Les gens croient qu’il est très onéreux de mettre en œuvre les mesures. Très peu de gens ont commencé à calculer le coût de ne rien faire. Étant donné que vous êtes le vérificateur et, si j’ai bien compris, vous avez des objectifs en tête, pourriez-vous utiliser la même technique lorsqu’il s’agit de l’expliquer financièrement?

Mme Gelfand : C’est une excellente question. Environ la moitié des personnes qui travaillent pour le Bureau du vérificateur général sont des comptables. De plus, tous les vérificateurs généraux des provinces, qui examinent maintenant les changements climatiques en ce qui a trait aux audits de rendement et à la valeur monétaire vont, je l’espère, commencer à réfléchir à ces points. Combien est-ce que cela coûtera à notre province si nous allons de l’avant avec la décarbonisation et si nous ne faisons pas? Qu’en est-il des risques liés aux changements climatiques et combien est-ce que tout cela va coûter?

En encourageant les vérificateurs généraux du pays à réfléchir de la sorte, j’espère que cela incitera les comptables — car ils se trouvent dans une autre section dans notre bureau — à commencer à y réfléchir aussi et à examiner cet enjeu.

Je ne sais pas exactement comment les comptables procèdent à ce genre d’audit, ni même s’ils le font. En règle générale, ils examinent les livres comptables d’une entité. Par exemple, nous examinons les livres comptables du gouvernement du Canada. Je ne sais pas exactement comment les comptables procéderaient à une telle analyse économique, mais sachez que nous sommes dotés d’une équipe d’économistes qui travaille au Bureau du vérificateur général. Je pourrais leur en faire part à titre d’examen potentiel.

La présidente : J’aimerais faire une brève observation. Les compagnies d’assurance et les banques le font déjà. Je pense donc que le gouvernement devrait le faire également.

Le sénateur Richards : Voici ma dernière question. Je ne vais pas trop vous déranger. Je me demandais si vous saviez combien de fonds étaient attribués à la recherche qui portait sur des formes alternatives d’énergie au pays? Combien d’argent est attribué sous la forme de subventions? Cela représente quel pourcentage de l’enveloppe totale? Il me semble que si la situation est aussi grave qu’elle semble l’être, une des premières choses que nous devrions faire c’est d’investir dans la recherche. Comme vous l’avez dit vous-même, il s’agit d’un grand pays où les hivers sont très froids. La plupart des gens augmentent le chauffage pendant l’hiver.

Mme Gelfand : Oui. Je suis en train de revoir rapidement notre chapitre sur l’énergie propre pour voir si on indique le montant total au pays. Je ne crois pas que ce soit le cas.

Nous avons examiné trois des plus grands fonds que le gouvernement a établis afin de financer cela, mais nous n’avons pas fait d’examen de l’ensemble de la recherche et du développement. Notre bureau n’a pas fait tout le travail dans ce domaine. Nous avons seulement examiné trois domaines de financement.

Mme Deveen : En 2012, nous avons fait une étude qui visait, notamment, à examiner le financement fédéral au secteur des combustibles en termes de subventions, et cetera. En se basant sur les chiffres que nous avions à l’époque, le financement fédéral au secteur des combustibles fossiles pour la recherche et le développement ainsi que pour le développement économique se chiffrait à 508 millions de dollars entre les années 2007-2008 et 2011-2012.

Le sénateur Richards : Oui, mais il s’agit ici du secteur des combustibles fossiles. Je vous parle de recherche concernant les autres sources d’énergie. Une jeune femme pourrait découvrir une façon de faire de la fusion et, du jour au lendemain, nous serions tous sauvés. Tôt ou tard, cela devra se produire, je l’espère.

La sénatrice Fraser : J’ai une dernière question, si vous me le permettez. J’aimerais revenir sur la façon d’effectuer des compromis.

Quel est le mécanisme approprié pour qu’une étude soit effectuée, par exemple, en ce qui concerne la situation du marais de Tantramar? Quelqu’un doit-il demander au vérificateur général d’y aller, d’observer et de dire : « Voici ce qui se produira probablement, et voici le coût pour empêcher les inondations d’aller au-delà de leur niveau historique »? Et quel serait le coût pour le Canada si nous ne le faisions pas?

L’idée que la Nouvelle-Écosse devienne une île est…

Mme Gelfand : Plutôt sérieuse.

La sénatrice Fraser : Je crois que l’Assemblée législative du Nouveau-Brunswick y a travaillé, mais ils ne sont pas allés dans les détails…

Le sénateur Richards : Ils s’y sont attelés tard, comme pour tout le reste.

La sénatrice Fraser : Comment faire pour accomplir le travail?

Mme Gelfand : Il faut se rappeler que les vérificateurs peuvent mener des vérifications en fonction des engagements pris par le gouvernement. Le gouvernement doit s’engager à prévenir l’inondation de ce marais et, ensuite, nous pourrons aller vérifier.

Je crois toutefois que vous pouvez demander une étude à la Bibliothèque du Parlement. Le directeur parlementaire du budget ou son bureau pourrait également examiner certaines de ces questions.

La sénatrice Fraser : En raison des installations fédérales sur ces terres.

Mme Gelfand : Absolument.

[Français]

La présidente : Merci à vous quatre pour cette enrichissante discussion. Merci aussi aux sénateurs de leurs questions révélatrices.

[Traduction]

Il est maintenant temps de lever la séance. Merci.

(La séance est levée.)

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