Aller au contenu
ENEV - Comité permanent

Énergie, environnement et ressources naturelles

 

LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DE L’ÉNERGIE, DE L’ENVIRONNEMENT ET DES RESSOURCES NATURELLES

TÉMOIGNAGES


QUÉBEC, le vendredi 26 avril 2019

Le Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles se réunit aujourd’hui, à 7 h 58, pour étudier le projet de loi C-69, Loi édictant la Loi sur l’évaluation d’impact et la Loi sur la Régie canadienne de l’énergie, modifiant la Loi sur la protection de la navigation et apportant des modifications corrélatives à d’autres lois.

La sénatrice Rosa Galvez (présidente) occupe le fauteuil.

[Français]

La présidente : Bonjour et bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles. Je m’appelle Rosa Galvez. Je suis une sénatrice indépendante qui représente le Québec. Je suis aussi la présidente de ce comité.

Avant d’entamer la réunion, je demanderais aux sénateurs de se présenter.

[Traduction]

Le sénateur MacDonald : Michael MacDonald, de la Nouvelle-Écosse.

[Français]

Le sénateur Forest : Éric Forest, de la région du Golfe, au Québec.

La sénatrice Miville-Dechêne : Julie Miville-Dechêne, Québec.

La sénatrice Simons : Paula Simons, et j’habite en Alberta.

Le sénateur Carignan : Claude Carignan, Mille-Isles, Québec.

Le sénateur Massicotte : Paul Massicotte, de Montréal.

Le sénateur Pratte : André Pratte, du Québec.

[Traduction]

La sénatrice McCallum : Mary Jane McCallum, Traité no 10, région du Manitoba.

[Français]

La présidente : Chers collègues, ce matin nous continuons notre étude du projet de loi C-69, Loi édictant la Loi sur l’évaluation d’impact et la Loi sur la Régie canadienne de l’énergie, modifiant la Loi sur la protection de la navigation et apportant des modifications corrélatives à d’autres lois.

Aujourd’hui dans notre premier groupe on reçoit, du gouvernement du Québec, M. Benoit Charette, ministre de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques; Mme Marie-Josée Lizotte, sous-ministre adjointe aux évaluations et aux autorisations environnementales au ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques; M. Éric Théroux, sous-ministre adjoint à la lutte contre les changements climatiques du ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques; et M. Yves Rochon, directeur général de l’évaluation environnementale et stratégique du ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques.

Donc, vous avez un certain temps pour faire vos remarques, et par la suite nous allons procéder à une période de questions et réponses.

Benoit Charette, ministre de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques, gouvernement du Québec : Merci d’abord. Bienvenue à Québec, capitale nationale du Québec. C’est très apprécié, le fait que vous donniez la possibilité d’aller à la rencontre des citoyens canadiens de par le Canada, donc, merci beaucoup de cette attention. C’est très apprécié.

Vous avez nommé les personnes qui m’accompagnent. Ça m’évite de le faire à mon tour, mais je les remercie sincèrement pour leur présence et surtout leur appui au cours des dernières semaines.

C’est avec plaisir naturellement que l’on se présente devant vous ce matin. Nous sommes reconnaissants de votre présence et c’est pour nous l’occasion justement de commenter le projet de loi qui est à l’étude devant votre instance.

Le Québec privilégie les discussions de gouvernement à gouvernement lorsqu’il est question d’enjeux publics importants qui concernent nos deux ordres de gouvernement. Si nous avons demandé à vous rencontrer, c’est précisément parce qu’il n’y a eu aucun échange réel avec le gouvernement du Canada sur les préoccupations et les commentaires que nous lui avons transmis au cours des derniers mois et des deux dernières années. Qui plus est, le projet de loi tel qu’il a été adopté par la Chambre des communes ne tient pas du tout compte de nos commentaires les plus importants.

Cependant, je dois mentionner que mon homologue fédérale, l’honorable Catherine McKenna, a finalement répondu, il y a deux semaines, à la lettre que je lui adressais au début de février dernier. Sa réponse nous est parvenue tardivement dans le processus, mais j’ai cru y déceler une certaine ouverture d’esprit face aux revendications de fond que j’avais exprimées au nom du Québec.

J’inviterais donc les membres du comité sénatorial à jouer d’audace dans leurs recommandations. Qui sait, nous pourrions tous être surpris des résultats de notre démarche d’aujourd’hui.

Si nous sommes là, c’est fondamentalement dans le but de défendre les pouvoirs que la Constitution canadienne accorde au Québec et aux autres provinces afin qu’elles puissent gérer leurs ressources, aménager leur territoire et protéger l’environnement.

Il en va de soi, selon nous, de l’épanouissement et de la pérennité de notre développement durable et de l’identité québécoise, puisque ceux-ci sont intimement liés à l’exercice de nos compétences législatives.

Nous savons que vous avez à cœur que toutes les régions du Canada soient représentées, et que c’est là votre mission première. Votre présence nous permet de croire en un second examen objectif du projet de loi. Nous comptons sur vous pour entendre et porter les intérêts du Québec face à ce projet de loi dont vous avez amorcé l’étude en février dernier.

Je tiens à préciser, d’entrée de jeu, c’est important de le faire, que nous accueillons favorablement l’intention du gouvernement fédéral de moderniser son régime d’évaluation environnementale.

Il est clair également que le gouvernement du Québec, en participant à cette séance et en soumettant de nouveaux documents au Comité sénatorial aujourd’hui, ne vise nullement à réduire la rigueur des évaluations environnementales ou l’étendue de la protection environnementale au Canada, mais bien d’en optimiser l’application dans le respect de nos domaines de compétence respectifs.

Le Québec souhaite en effet offrir des solutions à des problèmes qui persistent malgré les modifications successives des lois fédérales en matière d’évaluation environnementale. Nous désirons notamment éliminer le chevauchement inefficace des procédures provinciale et fédérale et réellement consacrer le principe qui est très cher au Québec, soit celui d’un projet, une évaluation pour les projets où il est logique et possible de le faire.

À la suite de cette comparution, je vous remettrai un mémoire contenant le détail des propositions du gouvernement du Québec. Celui-ci comprendra d’ailleurs des orientations de modifications législatives offrant plusieurs solutions de rechange à l’égard des enjeux soulevés.

Depuis 1995, date d’entrée en vigueur de la première loi fédérale sur l’évaluation environnementale, l’expérience nous montre que le processus fédéral dédouble inutilement le régime québécois, qui lui a été mis en place dès 1978. À l’époque, le Québec avait fait part de ses préoccupations à cet égard, et l’histoire nous montre malheureusement que toutes les craintes se sont concrétisées.

Ce dédoublement des procédures de tous les projets de compétences québécoises, comme des projets énergétiques et miniers, par exemple, occasionne de nombreux problèmes qui ne sont tout simplement pas nécessaires. Le dédoublement est lourd et complexe pour les initiateurs de projet. Il allonge les délais d’obtention des autorisations et entraîne des coûts additionnels importants.

Il représente un frein au développement du Québec. Il porte également atteinte à la capacité du Québec à développer et à aménager son territoire de manière autonome et durable, alors même qu’il s’agit de projets de compétence provinciale situés sur le territoire du Québec.

En effet, la présence du gouvernement fédéral au moment de l’examen de ces projets subordonne, en pratique, le régime d’évaluation environnementale du Québec, mine par conséquent sa crédibilité, et remet en question ses préoccupations en matière d’environnement.

Dans le cas des projets miniers, par exemple, il s’agit sans aucun doute de projets qui sont de compétence provinciale principale, soit la gestion des ressources naturelles. Cependant, pour peu qu’il puisse y avoir un aspect du projet qui entraîne un effet négatif sur un domaine de compétence fédérale, tel que l’habitat du poisson, par exemple, le gouvernement fédéral impose une deuxième évaluation exhaustive des impacts du projet. Cette situation entraîne des délais et des coûts supplémentaires importants pour les initiateurs de projets, et ce, sans augmenter substantiellement — ce qui est important de retenir — la rigueur de l’évaluation et de la protection environnementales. De plus, le processus fédéral a généré des délais additionnels de trois à onze mois, après l’autorisation provinciale, en plus de dédoubler les processus de consultation publique et autochtone.

En ce qui concerne les projets de compétence fédérale, le fait qu’ils soient assujettis aux lois fédérales sur l’évaluation environnementale a incité certains initiateurs de projets à soutenir jusque devant les tribunaux que leurs projets, même ceux qui sont situés entièrement au Québec, n’ont pas à faire l’objet d’une évaluation provinciale. Or, les répercussions environnementales des projets se manifestent, d’abord et avant tout, au niveau local. Elles concernent donc, au premier chef, les provinces.

Les projets portuaires illustrent sans doute mieux que quelconque cette autre problématique et les enjeux qu’elle soulève. Les tentatives récentes de faire valoir les préoccupations du Québec par l’entremise d’une démarche collaborative ont montré leurs limites. En effet, comme le gouvernement fédéral évalue et encadre uniquement les effets négatifs qui relèvent des domaines de compétence fédérale, plusieurs enjeux qui dépassent ce cadre ne sont pas pris en compte.

C’est le cas, notamment, des impacts sur l’environnement, l’utilisation du territoire et les infrastructures qui entourent ses sites portuaires. Ces projets soulèvent ainsi des questions du public et des différents acteurs du milieu qui requièrent la tenue d’une audience publique par le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement, communément appelé le BAPE au Québec, d’où l’importance d’une application pleine et entière des lois du Québec en matière de protection environnementale.

Rappelons, à cet égard, que le Québec se trouve actuellement devant les tribunaux, car le gouvernement fédéral appuie les initiateurs de projet qui refusent de respecter les lois environnementales provinciales. Il s’agit d’une situation où la collaboration est tout simplement inexistante. Or, le projet de loi C-69 ne fait rien pour parer à une situation similaire qui se présenterait à l’avenir.

Pourtant, le Québec possède un régime d’évaluation environnementale moderne dans la zone de ce que nous appelons le Québec méridional, où sont concentrés la majorité des projets. En effet, l’Assemblée nationale a adopté, le 23 mars 2017, une loi qui a modifié la Loi sur la qualité de l’environnement afin de moderniser le régime d’autorisation environnementale, lequel datait de 1972.

La nouvelle Loi sur la qualité de l’environnement est venue doter le Québec d’un régime d’autorisation clair, prévisible, optimisé et conforme aux plus hauts standards en matière de protection de l’environnement.

Les grands axes du nouveau régime d’autorisation environnementale québécois sont notamment une modulation du régime d’autorisation en fonction du risque environnemental, de négligeable à élevé, et qui maintient les plus hautes exigences environnementales; des autorisations simples et des processus prévisibles; un grand accès à l’information et plusieurs occasions de participer pour le public; et la prise en compte de la lutte contre les changements climatiques dans les processus d’autorisation.

Les projets qui appartiennent à la catégorie du risque environnemental élevé sont assujettis à la procédure d’évaluation et d’examen des impacts sur l’environnement.

Au Québec, le BAPE est un organisme reconnu. Il est crédible pour les groupes, les municipalités et les citoyens concernés par les projets. Il leur assure une participation pleine et entière.

Par ailleurs, il est essentiel de rappeler que le Québec respecte son obligation constitutionnelle de consulter et d’accommoder, s’il y a lieu, les communautés autochtones dans le cadre de cette procédure. Il le fait, d’ailleurs, avec des pratiques qui rencontrent, et même surpassent dans certains cas, les standards en la matière établis par la Cour suprême du Canada. Le Québec s’est doté d’outils efficaces pour assumer cette obligation, dont un guide de consultation et un pôle d’expertise en consultation autochtone.

En ce qui concerne la région de la baie James et du Nord québécois, les procédures d’évaluation environnementales ont été établies à partir d’ententes impliquant, notamment, le gouvernement du Québec, bien sûr, le gouvernement du Canada et les nations autochtones concernées, soit les Cris, les Inuits et les Naskapis. Elles assurent la participation de ces nations autochtones au processus de décision concernant les projets réalisés sur ce territoire. Ces procédures d’évaluation et d’examen des impacts sur l’environnement comportent aussi des occasions de participation du public.

Malgré la situation, le projet de loi C-69, dans sa forme actuelle à tout de moins, perpétue le double emploi des procédures environnementales et le discrédit du cadre législatif et réglementaire québécois en matière d’environnement sur le territoire du Québec. Pire encore, il élargit l’emprise du gouvernement fédéral sur les évaluations environnementales de projets, accentuant les problèmes déjà existants.

Tel qu’il est, le projet de loi C-69 n’atteint pas son objectif d’un projet, une évaluation. C’est notamment dû au fait qu’il prévoit essentiellement les mêmes mécanismes de coopération que les lois précédentes qui n’ont pas permis d’éliminer les dédoublements jusqu’à présent.

Actuellement, les mécanismes de coopération font reposer sur les provinces le fardeau de réduire les dédoublements, puisqu’ils impliquent que la procédure provinciale s’éclipse au profit de la procédure fédérale ou encore que les régimes provinciaux soient transformés pour s’harmoniser au régime fédéral.

Même le mécanisme de substitution prévu s’avère plutôt une forme de délégation supervisée. Il a une application très limitée et, lorsque c’est le cas, il exige des concessions considérables de la part des provinces.

Selon le nouveau gouvernement du Québec, il est grand temps de rééquilibrer l’exercice d’évaluation environnementale d’une façon qui serait plus respectueuse du principe du fédéralisme. C’est ce que visent les principales demandes formulées par le Québec concernant la nouvelle Loi sur l’évaluation d’impact fédérale qui, je le rappelle, ne s’attaque en rien à ce problème.

Premièrement, le gouvernement du Québec veut que la Loi sur l’évaluation d’impact prévoie la possibilité que seule la procédure d’évaluation québécoise s’applique aux projets relevant principalement de la compétence provinciale. Pensons, par exemple, aux projets de nature locale ou aux projets visant l’exploitation de ressources naturelles.

En effet, il arrive que le gouvernement fédéral assujettisse à son régime d’évaluation environnementale des projets provinciaux, parce qu’ils peuvent avoir des répercussions dans un domaine de compétence fédérale qui est accessoire à leur réalisation, tel que l’habitat du poisson ou les oiseaux migrateurs. Nous croyons qu’il s’agit là d’une source de dédoublements de la procédure provinciale, d’alourdissement administratif et d’allongement des délais pour les initiateurs de projets.

Par ailleurs, mon collègue, le ministre de l’Énergie et des Ressources naturelles, conclut également que ce dédoublement nuit à la prévisibilité des autorisations et affecte la compétitivité du Québec lors de la recherche d’investisseurs. Pourtant, ce dédoublement est tout à fait évitable, et ce, sans affecter la protection de l’environnement ni la consultation publique et autochtone.

Une telle solution où seule la procédure d’évaluation québécoise s’applique aux projets relevant principalement de la compétence provinciale n’empêcherait pas la considération des aspects qui relèvent de compétences fédérales, au contraire.

Rappelons que les initiateurs de projets doivent nécessairement obtenir les permis et les autorisations nécessaires auprès des autorités fédérales, par exemple, en vertu de la Loi sur les pêches.

Le Québec a toutes les compétences et l’expertise nécessaires pour faire des évaluations environnementales complètes des projets de nature provinciale et pour juger s’ils doivent être autorisés ou non. Les provinces sont propriétaires des ressources naturelles qui se trouvent sur leur territoire et qui n’appartiennent pas au privé. Elles interviennent pour protéger le domaine public provincial, dont le sol, le sous-sol, les cours d’eau, les forêts, l’énergie, les minéraux, la flore, l’habitat de la faune et tous les autres éléments de l’environnement qui s’y trouvent.

D’ailleurs, bien que les pêcheries relèvent de la compétence fédérale, la Cour suprême du Canada a expressément confirmé en 1988 que les provinces ont compétence pour protéger les pêcheries qui leur appartiennent.

De même, le Québec consulte le gouvernement fédéral dans le cadre de sa procédure d’évaluation environnementale. Il peut alors prendre en compte et collecter l’information pertinente, le cas échéant, sur des éléments qui concerneraient les répercussions du projet dans un domaine de compétence fédérale.

Deuxièmement, le gouvernement du Québec demande que la Loi sur l’évaluation d’impact soit claire sur le fait qu’aucun projet de compétence fédérale situé en partie ou entièrement sur le territoire d’une province ne peut échapper aux lois environnementales provinciales. Le fait qu’un projet de compétence fédérale soit assujetti à la LEI ne peut constituer une raison valable pour ignorer les lois environnementales provinciales.

Nous demandons que les projets provinciaux soient uniquement assujettis au processus environnemental provincial, car les provinces ont l’autorité et la capacité de mener seules une évaluation environnementale rigoureuse de la majorité des projets réalisés sur leur territoire, et de prendre des décisions à leur égard.

L’inverse n’est pas vrai toutefois pour le gouvernement fédéral, qui a une compétence limitée à l’égard des projets de nature provinciale.

Aux dires même du comité d’experts que le gouvernement du Canada a mandaté pour réaliser l’examen de son processus d’évaluation environnementale, sa capacité à fixer des conditions à un projet est limitée aux matières sur lesquelles il possède une compétence constitutionnelle. Par conséquent, l’évaluation fédérale, pour être rigoureuse et complète, exige la coopération avec les provinces. Toutefois, cette coopération doit être respectueuse du rôle constitutionnel de chacun, ce qui n’est pas le cas actuellement.

En bref, les mécanismes de collaboration prévus dans la loi doivent permettre aux provinces de jouer un rôle déterminant à l’égard de tous les projets qui les concernent, sans exception. Au Québec, nous croyons d’ailleurs que, dans tous les cas, les mécanismes d’information et de consultation publique menés par le BAPE devraient être favorisés.

Troisièmement, le gouvernement du Québec revendique que la Loi sur l’évaluation d’impact respecte les accords sur les revendications territoriales en vigueur. Nous jugeons important qu’elle prévoie expressément de soustraire à son application les projets de nature provinciale devant être réalisés sur le territoire de la Convention de la Baie James et du Nord québécois, signée en 1975, notamment avec les Cris, les Inuits du nord du Québec et le gouvernement fédéral.

Ce devrait être la même chose pour les projets de nature provinciale qui concernent le territoire de la Convention du Nord-Est québécois, signée en 1978, notamment avec les Naskapis de Schefferville et le gouvernement fédéral.

En somme, nous demandons que le projet de loi C-69 permette l’application des régimes de protection de l’environnement prévus dans ces ententes. Bien qu’elles aient été signées il y a plus de 40 ans, elles ont démontré leur efficacité et se sont avérées avant-gardistes en ce qui concerne la participation des communautés autochtones au processus d’évaluation environnementale.

En ce qui concerne les projets à l’égard desquels le gouvernement fédéral possède une compétence principale sur l’ouvrage, je vous rappelle que ces conventions prévoient déjà un processus d’évaluation faisant appel à un comité impliquant le gouvernement fédéral.

En conclusion, comme vous pouvez le constater à la lumière de mes propos, le Québec ne s’oppose pas, et loin de là, à l’intention du gouvernement fédéral de moderniser son régime, mais propose des amendements visant à améliorer la performance globale de la pratique de l’évaluation environnementale au Canada en réglant des problématiques réelles d’application.

En effet, dès la première loi fédérale relative aux évaluations environnementales adoptée en 1992, le gouvernement du Canada n’a cessé de multiplier ses interventions dans ce domaine au détriment des régimes provinciaux, dont celui du Québec. Il en résulte des mésententes fédérales-provinciales et des dédoublements inutiles et coûteux pour les citoyens en plus d’une problématique relative à l’imputabilité.

Or, non seulement le gouvernement du Canada persiste à maintenir cette situation inacceptable vécue depuis 1992, mais il crée de nouvelles pommes de discorde avec le projet de loi C-69, en ce sens qu’il ne fera qu’aggraver la situation.

Par ailleurs, contrairement au message véhiculé, la Loi sur l’évaluation d’impact ne permet pas la mise en œuvre du principe un projet, une évaluation chère au Québec. Dans ce contexte, l’accroissement des pouvoirs fédéraux en matière environnementale proposé par le projet de loi C-69 aura un impact majeur au Québec. Un double examen n’est pas toujours nécessaire; il le devient lorsque le projet relève principalement de la compétence fédérale, ce qui constitue une exception à la règle selon laquelle les ouvrages dans la province relèvent, en principe, des provinces. Dans ce cas, le projet fédéral doit être assujetti aux lois fédérales et provinciales en matière environnementale, et des mesures de collaboration efficaces doivent être mises en place. Il en va ainsi parce que les provinces sont les principales concernées par les impacts environnementaux des projets qui se déploient sur leur territoire.

Le Parlement du Canada a l’occasion de démontrer qu’il souhaite assurer la protection de l’environnement en prenant un fédéralisme respectueux des compétences provinciales, tout en poursuivant des objectifs d’efficience et d’usage efficace des ressources. Nous souhaitons qu’il le fasse en révisant substantiellement le projet de loi C-69.

Je le répète : le gouvernement du Québec possède à la fois les instruments légaux et réglementaires, l’expérience et l’expertise, ainsi que l’autorité constitutionnelle nécessaire à l’évaluation des impacts de tout projet réalisé sur son territoire. Les solutions qu’il propose régleraient, nous en sommes persuadés, les inconvénients majeurs du projet de loi C-69.

Je vous remercie, mesdames et messieurs, de votre présence et de votre patience à Québec aujourd’hui et de votre attention. J’espère vous avoir convaincu de l’importance d’apporter des modifications substantielles au projet de loi C-69. Nous allons déposer à votre intention un mémoire contenant le détail des propositions du gouvernement du Québec concernant la Loi sur l’évaluation d’impact ainsi que les deux autres lois que le projet de loi C-69 vient modifier. Pour être constructifs, nous y avons inclus des orientations de modification législative.

Donc, je vous souhaite une bonne poursuite de votre travail. Je suis disponible maintenant pour répondre à vos questions.

La présidente : Merci, monsieur le ministre, pour cette présentation assez exhaustive. Nous allons procéder à une période de questions. Je demande à mes collègues de garder leurs préambules les plus courts possible pour que tout le monde ait la chance de poser ses questions.

Le sénateur Carignan : Merci, madame la présidente. Je suis heureux de voir mon député venir faire une présentation sur le projet de loi C-69.

Je vous écoutais, et en même temps je révisais un peu la loi puis je cherchais les mots « gouvernement provincial ». Je pense que je l’ai vu une fois dans la définition d’instance, où on le met au même pied qu’un organisme, on le met au même pied qu’un corps dirigeant autochtone ou une organisation quelconque.

Il me semble que, dans la loi, il n’y a pas de statut particulier pour une province au niveau de la collaboration, au niveau des mécanismes. Il me semble que le projet de loi est très paternaliste et considère les provinces comme toute autre agence ou organisation.

Est-ce que c’est votre impression et, deuxièmement, est-ce que, dans les amendements que vous avez proposés, il y aura des amendements pour rehausser le statut des provinces dans le cadre du projet de loi?

M. Charette : Pour le deuxième volet de votre question, effectivement, le rapport qu’on publiera dans les prochains instants propose des amendements précis à cet égard-là. Votre question est pour moi l’occasion de réitérer l’importance que l’on accorde à l’environnement au gouvernement du Québec.

Donc, les modifications que l’on souhaite ne visent nullement à diminuer les exigences environnementales, mais plutôt à reconnaître l’expertise du Québec en la matière. Je le disais tout à l’heure, le gouvernement du Québec s’est doté d’une loi ou d’un groupe de lois depuis plusieurs années en la matière bien avant, d’ailleurs, le gouvernement fédéral, et ces lois-là ont montré leur utilité. Elles ont démontré leur pertinence, mais cette expertise-là n’est malheureusement pas reconnue.

Vous l’avez mentionné à juste titre, les espaces de collaboration, de discussion qui ont pu être éprouvés au cours des dernières années, sinon des dernières décennies démontrent une chose : sur bien des enjeux, le gouvernement du Québec est considéré au même titre qu’un groupement de citoyens ou un groupe militant ou un groupe d’experts, donc la particularité est le gouvernement du Québec lui-même n’est pas reconnu.

Ce qui est malheureux, le projet de loi C-69 aurait pu être une belle occasion de corriger cet état de fait, et ce n’est pas le cas, malgré les nombreuses tentatives que l’on a faites au cours des derniers mois.

Ce qui est important de mentionner, oui, le gouvernement actuellement du Québec est nouveau, quelques mois à peine, mais ce n’est pas la position d’un parti politique gouvernemental que je vous expose aujourd’hui. Mes prédécesseurs du gouvernement précédent ont malheureusement vécu les mêmes frustrations depuis 2017. Il y a plusieurs lettres, il y a plusieurs échanges, il y a plusieurs demandes qui ont aussi été formulées en ce sens au cours des dernières années sans qu’il y ait de réponse satisfaisante.

Donc, ce n’est pas la position ce matin d’un parti politique aujourd’hui au gouvernement qui vous est présentée, mais réellement la position du gouvernement du Québec, une position historique qui, malheureusement, s’appuie sur des expériences frustrantes au cours des dernières années.

Le sénateur Carignan : Finalement, une courte dernière question. On a parlé, et j’ai posé la question dans plusieurs provinces, parce que comme vous savez on a fait le tour du Canada, et à plusieurs endroits j’ai posé cette question-là. Je vous la pose également.

On entrevoit en tout cas une possibilité pour diminuer l’empreinte environnementale de certains projets de pipelines, de gazoducs, ou de lignes hydroélectriques, d’élaborer un corridor énergétique où on pourrait concentrer l’ensemble, ou en tout cas la majorité, des infrastructures de transport énergie, que ce soit gazier, hydroélectrique ou autre. Ça semblait être la musique aux oreilles des gens de l’ouest et des gens de l’est.

Le projet de loi ne permet pas d’avoir un processus simplifié en disant, bon, on fait une évaluation dans ce corridor-là, et par la suite on concentre nos infrastructures à l’intérieur de ça. Pour installer ces infrastructures-là, on y va de façon plus rapide, plus prévisible, avec certains éléments.

Ma question est donc la suivante : est-ce que le gouvernement serait favorable à ce genre de corridor énergétique, où on concentre des infrastructures de transport d’énergie, et est-ce que vous croyez que la loi devrait contenir certains éléments pour permettre ce genre d’évaluation plus rapidement?

M. Charette : C’est une option qui mériterait d’être évaluée de la part du gouvernement du Québec très, très certainement. La proposition que vous évoquez illustre deux défis, le défi du territoire québécois qui serait naturellement visé par un éventuel projet de cette nature, mais également un projet qui s’étale sur un territoire plus vaste que celui du Québec. C’est là où toute la complexité s’illustre de façon admirable.

Sur le territoire québécois, on aurait des ressources naturellement pour évaluer les conséquences, mais c’est le dédoublement qui viendra s’ajouter. Je l’ai mentionné tout à l’heure, et pour moi c’est très, très révélateur. Pour tous types de projets, ça concernerait un projet de la nature que vous exposez. On ajoute des délais excessivement importants aux initiateurs.

Dans le cas présent, on peut parler d’initiateurs privés, mais dans d’autres cas des initiateurs peuvent être aussi des municipalités. Ça peut prendre différentes formes. Donc, on vient ajouter jusqu’à 12 mois supplémentaires après l’approbation qui a été donnée par le gouvernement du Québec. Ça représente, oui, des coûts, mais surtout des efforts inutiles, parce que bien souvent les exigences qui seront posées par le gouvernement fédéral auront été satisfaites dans l’évaluation menée par le gouvernement du Québec.

C’est un projet qui mériterait d’être écouté, d’être évalué à sa juste valeur du côté québécois, mais dans tous les cas simplifions la procédure pour que l’on puisse de tous les côtés s’assurer d’une bonne protection environnementale, mais d’une efficacité au niveau du processus lui-même.

La sénatrice Miville-Dechêne : Bienvenue, monsieur Charette.

Je vous ai écouté très attentivement et j’aimerais que vous m’expliquiez en quoi le projet de loi C-69 aggravera la situation sur le plan du partage des compétences par rapport à la situation actuelle. Parce qu’il me semble que, bon, cette lourdeur, cette certaine lourdeur du fédéralisme, que les compétences sont partagées; les poissons, c’est plutôt le fédéral; les ressources naturelles, c’est évidemment le Québec.

Il me semble que ça perdure. Alors en quoi y a-t-il une aggravation de la situation sur cette question-là précisément, et précisément en quoi le fait... Je comprends qu’il y a lourdeur et dédoublements, mais vous parlez carrément d’un empiétement sur vos pouvoirs. Donc, en quoi le projet de loi C-69 empiète-t-il sur vos pouvoirs, au-delà du fait que ça prolonge les évaluations, que c’est complexe?

D’abord, pourquoi trouvez-vous que le projet de loi C-69 aggrave la situation sur le plan de vos compétences?

M. Charette : En fait, je vous dirais que le projet de loi C-69 était surtout l’occasion de corriger une situation qui n’est pas nouvelle. Je le mentionnais tout à l’heure. Le Québec depuis la fin des années 1970 s’est doté d’un régime relativement efficace et qui a été modernisé au fil du temps en matière d’évaluation et de protection de l’environnement.

La sénatrice Miville-Dechêne : Mais vous parlez d’aggraver la situation.

M. Charette : Effectivement. Avec ce que prévoit le gouvernement fédéral actuellement, non seulement on passe à côté des occasions de corriger la situation, mais dans certains cas on va ajouter aussi aux procédures.

Je le mentionnais tout à l’heure. Ce sont des délais supplémentaires souvent excessivement importants. Je peux vous donner une illustration qui malheureusement n’est pas corrigée dans le projet de loi actuel et qui peut, au contraire, l’aggraver, lorsque l’on parle, par exemple, d’une infrastructure qui, oui, relève des compétences fédérales.

Disons, par exemple, qu’on parle de la construction d’un nouveau port. L’évaluation va naturellement se concentrer sur l’aspect marin sans pour autant prendre en considération tous les impacts que ça peut avoir sur les infrastructures environnantes, qui elles relèvent du gouvernement du Québec; sur la faune et la flore dans l’environnement de ce futur port-là; et c’est réellement problématique.

Donc, une autorisation qui pourrait être donnée par le gouvernement fédéral sans que les aspects qui sont touchés et qui touchent davantage la compétence québécoise soient pris en compte. C’est assujettir en quelque sorte la réglementation québécoise à la réglementation fédérale, et c’est problématique.

C’est non seulement aggravé, mais moi, ce qui me peine le plus dans ce projet de loi là, c’est qu’on avait la possibilité de corriger une situation qui a été longtemps déplorée par le gouvernement québécois. C’est plutôt rare que l’occasion se présente.

Je vous le disais tout à l’heure, le Québec a revu sa Loi sur la qualité de l’atmosphère l’année dernière. Ce sont des révisions qui se font souvent après plusieurs années. C’est le cas avec le projet de loi C-69. C’est une occasion qui ne s’était pas présentée depuis longtemps et, malheureusement, elle ne corrige pas, et aggrave dans certains cas, cette situation-là. Naturellement, cette situation a été déplorée par le gouvernement actuel, mais également par le gouvernement précédent à la suite du dépôt du projet de loi C-69.

La sénatrice Miville-Dechêne : J’ai une petite dernière question. J’avais posé la question au début de ces audiences-là aux hauts responsables qui nous disaient, au cas par cas, qu’ils tenteraient de simplifier le processus et donc de déléguer. Vous, vous voulez avoir un amendement qui ferait que, de façon systématique, il y ait une délégation quand ce sont vos compétences majoritairement.

En même temps, comment prévoir tous les cas de figure et avoir une loi qui dit systématiquement dans tous les cas où la compétence provinciale est prépondérante, ce sera le Québec? N’est-ce pas là difficile, étant donné qu’on ne sait pas dans l’avenir quels genres de projets vont se présenter et comment ils seront évalués?

M. Charette : Le mémoire que je vais déposer dans les prochains instants répond spécifiquement à cette question-là avec des projets d’amendement bien précis et bien détaillés. En même temps, vous parlez de projets dans l’avenir. Moi, je peux vous parler des mesures ou des projets désignés que l’on appelle.

Malheureusement, à ce jour, malgré le fait que le projet de loi a été déposé il y a plus deux ans, essentiellement deux ans, le Québec n’a même pas la connaissance des projets désignés qui seront impactés ou touchés par le projet de loi.

Il y a quelques semaines à peine, il y a eu une rencontre du côté de Toronto, si je ne m’abuse, avec les fonctionnaires notamment du ministère de l’Environnement. On leur a évoqué un scénario possible, mais sans pour autant leur permettre de ramener quelque document que ce soit. On leur a demandé de signer un avis de confidentialité, donc on est encore dans le secret par rapport à ce que l’on appelle les mesures ou les projets désignés. C’est drôlement, drôlement dommage en ce sens qu’il y aura un impact important pour le gouvernement du Québec.

Donc, c’est ce degré de collaboration. Dans la lettre effectivement que j’ai reçue de la ministre McKenna il y a quelques jours tout juste, on démontre une ouverture au principe d’un projet, une évaluation. Je salue et je reconnais cette ouverture-là, mais rien concrètement pour l’appliquer.

On nous dit que la réglementation à venir devrait apporter des précisions à ce niveau-là, mais à partir du moment où la protection n’est pas garantie dans la loi elle-même à travers des amendements bien précis, la réglementation, bien, on sait comment ça fonctionne. On aurait très peu d’emprise et très peu de possibilités de la modifier par la suite.

On ne veut pas se contenter d’engagements verbaux, peu importe leur bonne foi, mais on aimerait que les amendements soient apportés directement au niveau du projet de loi, et on aimerait apporter des clarifications importantes au niveau des projets désignés.

La sénatrice Miville-Dechêne : Merci, monsieur le ministre.

Le sénateur Pratte : Merci. J’entends ce que vous dites, monsieur le ministre, et personnellement je serais favorable certainement à ce que le projet de loi soit amendé afin que les compétences du Québec soient mieux protégées.

En même temps, je pense qu’il faut être conscient du fait que le gouvernement fédéral a des compétences et que les Canadiens, y compris les Québécois, s’attendent à ce que le gouvernement fédéral protège ces compétences et applique ces compétences. Or, la solution me semble toujours résider dans une sorte d’entente à long terme entre les deux gouvernements.

Je souligne le fait qu’on entendra cet après-midi l’Association québécoise pour l’évaluation d’impacts, et je cite leur mémoire qui a été déposé au comité. Ils sont favorables aux processus de substitution et ils disent :

Ce serait important que les gouvernements fédéral et québécois s’entendent rapidement pour mettre en place un cadre dans le cadre de la substitution visant tous les sujets assujettis à la double procédure d’autorisation.

Alors j’aimerais mieux comprendre, puisque ces experts de l’évaluation d’impacts du Québec semblent croire que la substitution est un bon mécanisme. Vous semblez croire, de votre côté, que la substitution n’est pas un bon mécanisme pour atteindre les objectifs « un projet, une évaluation ».

Alors quelles sont vos réserves par rapport au mécanisme de substitution?

M. Charette : Très bonne question, effectivement. C’est un principe qui a été utilisé par le passé, notamment en Colombie-Britannique, mais notre conclusion à nous, c’est que la substitution s’apparente davantage à une forme de délégation supervisée, quand un mécanisme qui permet la reconnaissance de l’autorité et de l’expertise des provinces en matière de protection environnementale.

On s’entend sur une chose. Le gouvernement fédéral a ses responsabilités et ses compétences, et on ne les remet nullement en question. Je comprends l’intervention qui est proposée dans le mémoire que vous citez. Cependant, au niveau de l’application passée, on se rend compte rapidement que c’est une délégation qui est largement, largement supervisée et qui ne permet pas la concrétisation du principe très cher au Québec d’« un projet, une évaluation ».

Je dis au Québec : la revendication qui est la nôtre aujourd’hui n’est pas propre au Québec. Moi, je regardais un petit peu les positions des provinces à l’égard du projet de loi, et toutes semblent très, très soucieuses de ce principe-là, non seulement de simplifier la procédure, mais de reconnaître le travail qui est fait.

Ce que les Canadiens et les Canadiennes souhaitent, je le crois, ce sont des mesures efficaces qui permettent d’assurer la plus grande protection possible de l’environnement, et le cadre québécois, sans le vanter outre mesure, a largement fait ses preuves à ce niveau-là.

Donc, il ne faut pas voir la revendication qui est la nôtre aujourd’hui de voir une occasion d’abaisser les exigences. Au contraire, les exigences qui sont celles du Québec depuis des années, elles sont très, très performantes, surtout très complètes, et on ne voudrait pas à travers le texte que je vous lisais tout à l’heure arriver à un résultat contraire où non seulement il y a un assujettissement de la loi fédérale, mais au final une protection qui peut même être fragilisée de l’environnement.

Le sénateur Pratte : Rapidement, madame la présidente. On verra comment le projet de loi va aboutir, mais êtes-vous ouvert à discuter d’une entente à long terme avec le gouvernement du Canada pour arriver à cette idée d’« un projet, une évaluation »?

M. Charette : Tout à fait. En fait, c’est ce que l’on a tenté de faire au cours des dernières années au gouvernement du Québec. Il y a eu effectivement un échange de lettres, mais j’ai moi-même rencontré spécifiquement à Ottawa la ministre McKenna sur ces enjeux-là.

Donc, la volonté de collaborer du Québec ne doit pas être remise en question. Cependant, chacune de ces rencontres-là a été très cordiale. Je ne dirais pas le contraire, mais on attend maintenant les gestes tangibles qui nous permettront de nous convaincre que la volonté de collaboration va dans les deux sens.

Toute la correspondance, tous les échanges qui ont eu cours demandent cette collaboration-là, mais la collaboration doit passer naturellement par le processus d’évaluation qui est en place actuellement au Québec.

La présidente : Juste dans le même sens et juste pour un complément, c’est vrai ce que vous dites que ce n’est pas seulement le Québec qui cherche à avoir un maintien de pouvoirs des provinces. Par contre, je pense que vous comprenez que les différentes évaluations environnementales des provinces ne sont pas toutes pareilles. Elles ne sont pas comparables. Il y a des évaluations beaucoup plus rigoureuses, comme celles du Québec — je suis très fière de ça et de le dire, parce que vous avez des années derrière vous qui vous ont permis de les moderniser puis de les améliorer, donc c’est parfait — mais on a entendu dans d’autres provinces des demandes de centaines de projets qui sont évalués et où les permis sont donnés en 48 heures. On ne peut pas accepter ça.

Dans le passé, il y avait deux possibilités pour « une évaluation, un projet ». On avait la substitution ou l’équivalence de l’évaluation. Dans le projet de loi C-69, on a enlevé l’équivalence puis on a laissé la substitution disponible. La Colombie-Britannique, je pense que c’est la seule province qui fait appel et qui a une entente provinciale-fédérale, et je pense qu’ils sont très contents de cette façon de procéder.

J’aimerais encore vous demander, parce que vous parlez de collaboration, mais il y a encore la possibilité pas seulement de collaborer, mais de substitution. Je reviens à la question de mon collègue Pratte, à savoir si vous êtes ouvert à plus que la collaboration, mais à la substitution?

M. Charette : En fait, comme je l’ai mentionné et on ne le dira jamais assez, la collaboration, elle est souhaitée. Cependant, lorsqu’il est question de substitution, on demande aux lois provinciales de s’adapter à la loi fédérale. Donc, c’est déjà un principe à la base de substitution.

Je respecte tout à fait les choix qui ont été faits dans les autres provinces, mais en Colombie-Britannique, par exemple, sa propre loi est calquée sur la loi fédérale, donc c’est beaucoup plus facile de penser à un arrimage dans ce cadre-là.

Pour ce qui est des choix des autres provinces ou des motivations des autres provinces, je ne peux pas les juger, mais dans le cas du Québec, cette procédure-là a fait ses preuves. Quand je vous parle des risques d’alourdir, je vais vous donner un exemple très, très simple. Avec mon collègue des Ressources naturelles au cours des dernières semaines, on a procédé à une évaluation de la procédure qui est imposée à un projet qui souhaite obtenir les approbations nécessaires. On parle de ni plus ni moins de près de 700 étapes, lorsqu’on compte toutes les étapes qui doivent être franchies autant au niveau de l’environnement qu’au niveau des autres ministères.

C’est déjà une procédure qui est très lourde, qui est très exigeante pour les initiateurs. Si en plus de ça on doit impliquer de nouvelles exigences imposées par le gouvernement fédéral, on comprend que, pour l’initiateur, c’est réellement un chemin du combattant qu’on lui impose.

Donc, pour les provinces qui n’ont pas une réglementation qui est incompatible avec le gouvernement fédéral ou qui se collent sur le gouvernement fédéral, comme la Colombie-Britannique, et encore une fois je respecte entièrement ses choix, la substitution, elle est nettement plus facile, ou tout mécanisme d’équivalence également.

Dans le cas du Québec, la réglementation, elle est déjà en place. Elle a déjà été modernisée. Elle laisse déjà place à un large éventail de procédures de consultation. C’est là où on ne veut pas diminuer nos exigences. On souhaite tout simplement que le gouvernement fédéral s’ajuste et s’adapte aux nôtres à ce niveau-là.

Le sénateur Massicotte : Merci. J’avais des questions sur la substitution, mais il y a eu plusieurs questions. Je pense que le sujet a été traité sans rentrer dans toutes les nuances.

Je sais que vous dites que vous allez nous laisser un mémoire qui formule des commentaires sur le projet de loi comme tel en totalité. On a entendu beaucoup de commentaires, surtout de l’industrie pétrolière, qui découragent ou sont négatifs sur le concept d’évaluation préalable. Le projet de loi C-69 change totalement les procédures à suivre. Maintenant, ce qu’on propose, c’est qu’un initiateur nous donne l’avis de son projet, et là il y a une discussion informelle avec le public, ainsi qu’avec les ministères, qui réagissent à ces commentaires et identifient exactement les besoins et les critères d’approbation.

C’est une nouvelle étape. Êtes-vous d’accord avec cette procédure-là ou voyez-vous l’avantage de maintenir le courant où on rentre immédiatement dans les détails et les approbations?

M. Charette : Ce qui est amusant, je suis conforté par les propos de mon collègue. Au cours des deux dernières années, lorsqu’on a amorcé et complété le processus de modernisation de la LQE, la Loi sur la qualité de l’environnement, c’est exactement la réflexion qu’on a faite au Québec.

Donc, cette réflexion-là, avec la modernisation qui est maintenant en vigueur depuis l’année dernière, ce principe-là, il est appliqué, c’est-à-dire qu’il ajoute une plus grande visibilité pour l’initiateur d’un projet. Ainsi, cette réflexion qui est conduite par le biais du projet de loi C-69, elle est déjà en place au niveau du Québec.

L’année dernière, avec une même volonté, un même désir, oui, une protection de l’environnement, mais que l’initiateur soit plus au fait du parcours qui l’attend avant d’obtenir la réponse à sa demande.

Moi, je peux vous donner le cas de plusieurs municipalités, parce que souvent on fait référence aux initiateurs comme étant un promoteur privé, mais les municipalités doivent aussi s’assujettir à cette procédure-là, et le commentaire que l’on a reçu en grand nombre, c’était justement le caractère imprévisible de la démarche qui les attendait.

Depuis un an, au Québec, avec la modernisation, là il y a des règlements qui en découlent qui doivent être aussi mis en vigueur. On vise cette prévisibilité-là pour aider le promoteur, quel qu’il soit, et c’est incontournable.

Donc, bravo si le projet de loi C-69 le prévoit, mais il ne faut pas que ça vienne contrecarrer l’exercice qui a déjà été complété au Québec à ce chapitre.

Le sénateur Massicotte : L’autre commentaire qui revient souvent, c’est les délais. C’est une des raisons principales des amendements qu’on étudie. Certains nous ont dit que ça prend cinq ans. Puis, il y a des études qui ont été menées dans le secteur privé qui démontrent qu’au Canada, toutes les provinces comprises, on a des délais beaucoup plus longs que les autres pays dans le monde, et ça fait en sorte qu’on est non compétitifs.

Certaines mesures ont été prises. On essaiera d’augmenter la certitude et cerner exactement les besoins, à quoi le public peut s’attendre.

Au Québec, honnêtement, on a des commentaires favorables d’après ces études-là du point de vue des délais et de la certitude, mais le projet de loi C-69 va-t-il assez loin pour s’assurer que, comme pays, comme province, on demeure compétitif comparativement aux autres pays dans le monde?

M. Charette : Au niveau des délais liés au projet de loi C-69, je ne vois pas de mesures susceptibles de nous rassurer. Je le mentionnais tout à l’heure. Déjà quand j’étais nommé ministre de l’Environnement — ça fait tout juste quelques mois —, un des principaux mandats qui m’a été confié est d’analyser et de revoir les délais qui sont imposés aux initiateurs, et ce, j’insiste et je ne le dirai jamais assez, sans revoir à la baisse les exigences environnementales.

Donc, déjà pour le Québec, c’est une préoccupation qui est importante, mais malheureusement, lorsqu’il y a un dédoublement — comme le projet de loi C-69 les maintient, ces dédoublements-là — c’est démontré qu’après l’évaluation québécoise, qui prend un certain temps, on en convient, on peut ajouter jusqu’à 11 mois supplémentaires lorsque vient le temps de compléter l’évaluation fédérale. On parle dans certains cas d’une année supplémentaire, et pour bien des initiateurs, ça vient changer du tout au tout la prévisibilité de leur projet.

Je n’insisterai jamais assez pour dire qu’un initiateur n’est pas uniquement un promoteur privé. Dans certains cas, il s’agit de projets d’intérêt de nature publique qui peuvent aussi être affectés.

Donc, déjà notre souhait, au gouvernement du Québec, est de réduire les délais. La révision de la LQE a des objectifs ambitieux à ce niveau-là. Toutefois, si on a un projet de loi fédéral qui s’ajoute et qui ne règle pas la problématique et qu’on ajoute 11 mois, autant dire une année supplémentaire, on ne cède aucunement.

Le mémoire pourra donner des exemples encore plus précis. Si ces 11 mois supplémentaires étaient une occasion de bonifier considérablement le projet, si ces 11 mois supplémentaires étaient une occasion d’assurer une plus grande protection de l’environnement, on pourrait au final conclure que c’est un délai qui en vaut la peine.

Cependant, il est démontré que les 11 mois supplémentaires qui sont exigés n’ont pas d’impact réel au niveau de la protection de l’environnement, et c’est là où, malheureusement, on perd un temps précieux.

Tout à l’heure, je disais que c’était une belle occasion, et ça demeure une belle occasion, le projet de loi C-69, pour favoriser un meilleur arrimage, mais ça passe définitivement par des amendements importants pour qu’on puisse atteindre cet objectif-là.

Le sénateur Massicotte : Merci.

La sénatrice Simons : Merci de votre présentation. En Alberta, nous conservons notre puissance et notre compétence pour ce qui est de nos propres ressources naturelles avec autant de passion que vous.

Je ne suis pas vraiment bilingue, malheureusement, mais j’aimerais essayer de poser une question en français, même si mon français est un peu faible.

Dans la troisième partie du projet de loi C-69 qui concerne les fleuves, il est écrit qu’on ne peut pas changer la profondeur et l’écoulement de l’eau.

Au Québec, vous avez beaucoup de ressources hydroélectriques et de nombreux barrages, des petits et des gros. Avez-vous quelque chose à dire au sujet de cette troisième partie du projet de loi, au sujet des fleuves et de l’écoulement de l’eau?

Le sénateur Carignan : Bravo!

M. Charette : Dans un premier temps, permettez-moi de vous féliciter et de vous remercier. Votre français est très bon. Un jour, j’aspire à parler anglais aussi bien que vous parlez français, alors félicitations et merci de cette délicate attention.

C’est une question qui est encore plus technique. Je vais vous demander de patienter quelques instants. Au moment du dépôt du mémoire, donc dans les prochains instants, je vais vous référer à la section 7, donc la Loi sur les eaux navigables canadiennes. C’est à la page 13. Vous allez avoir un détail plus approfondi de ces questions-là.

Naturellement, l’eau demeure un enjeu de préoccupation pour tout le monde, y compris pour le gouvernement du Québec, c’est certain. Vous allez avoir une réponse plus détaillée provenant du mémoire dans quelques instants.

La sénatrice Simons : Merci.

[Traduction]

La sénatrice McCallum : Je vous remercie de votre exposé, et je suis très heureuse d’être dans votre province. Elle est magnifique.

Je ne peux pas parler français; je vais donc poser mes questions et faire tous mes commentaires en cri. Je plaisante.

Je voulais parler de la relation qu’entretiennent le gouvernement fédéral et le gouvernement provincial avec les peuples autochtones et des problèmes de compétence qui en découlent, parce que les Premières Nations sont dans une situation très particulière. Nous relevons de la compétence des provinces à certains égards et pas à d’autres, et nos enjeux ne sont au premier plan que depuis quelque temps.

Je voulais donc parler de l’exploitation minière, qui est normalement régie par les provinces, et particulièrement de l’extraction de diamants; je veux parler de l’environnement.

Pour procéder à l’extraction de diamants, laquelle se fait sous un lac, vous devez vider le lac. Lorsque j’ai demandé : « Que faites-vous avez l’eau et le poisson qui se trouve dans ce lac? » On m’a répondu : « Eh bien, nous allons faire un autre lac. »

J’ai alors répondu : « Qu’en est-il alors de la biodiversité de ce lac? Vous ne pouvez pas la reproduire. »

J’ai dit : « Il n’est pas seulement question des poissons. Il est également question de la migration des orignaux. » Je parle de compétence. « Il s’agit des droits de récolte des peuples autochtones et des oiseaux qui migrent par là. »

J’ai dit : « Ce n’est pas tout. Il s’agit d’une infrastructure qu’il faut construire pour faire venir l’équipement nécessaire à l’exploitation minière, ce qui perturbe une grande partie des terres. »

Comme pour les Québécois, les peuples autochtones se soucient beaucoup de l’environnement; il est également question de consentement et de l’utilisation de l’eau nécessaire à l’extraction.

Donc, les poissons, les oiseaux et les animaux sont des ressources naturelles très précieuses qui, à l’heure actuelle, en raison de toutes les activités d’extraction de ressources, pourraient disparaître. Des droits comme celui de l’autodéterminatation qui comporte des notions de collectivité, de communauté et de capital social, seront touchés par le projet de loi C-69.

Ce projet de loi pourrait-il améliorer ou aggraver la situation des peuples autochtones et leurs relations avec les gouvernements provincial et fédéral, puisqu’ils ont tenu le rôle le plus silencieux dans ce processus?

[Français]

M. Charette : Tout d’abord, mon cri est aussi encore très limité, mais je vous dis : « Kwe kwe ». Ça se limite à ça, mais je suis très, très heureux de vous recevoir aussi à Québec. Merci de votre commentaire.

Vous allez me permettre juste une petite parenthèse. Vous avez abordé un thème très important, celui de la biodiversité. On le voit, et c’est une préoccupation de plus en plus grande, et pas uniquement au Québec, mais partout sur la planète. On est très fier de se créer un objectif, et je reviendrai dans quelques instants à votre question plus spécifique au sujet de la protection de la biodiversité, notamment dans les aires protégées.

Vous allez voir, au cours des prochains mois, le gouvernement du Québec fera assurément des annonces en ce sens, parce que je suis entièrement d’accord avec vous. La protection de la biodiversité entraîne également de grands avantages pour la population humaine, c’est bien certain.

Pour ce qui est de votre préoccupation plus particulière, je pense que le gouvernement du Québec et le Grand conseil des Cris, par ailleurs, visent le même but : le respect des conventions qui ont été signées dans certains cas il y a plusieurs années, mais qui demeurent tout aussi pertinentes aujourd’hui, que ce soit la Convention de la Baie James et du Nord québécois et la Convention du Nord-Est québécois également. Il faut s’assurer du respect de ces conventions-là. Elles ont démontré un très bel esprit de partage d’information et de collaboration.

Il faut surtout respecter — vous l’avez bien dit, et personne n’en doute — les peuples autochtones, qui ont une conscience environnementale qu’on ne peut remettre en doute, et il faut aussi miser beaucoup sur le processus de consultation des peuples autochtones.

Je faisais référence à la LQE ou sinon aux procédures d’évaluation environnementale au Québec, on a mis beaucoup l’accent — et c’est même précisé dans la réglementation et dans la loi — sur cet espace de communication et de consultation avec les peuples autochtones. Il faut maintenir ces espaces-là pour s’assurer que l’expertise et la connaissance fine des peuples autochtones au niveau de la protection de leurs territoires, de leur environnement, soient respectées. Assurons-nous que le projet de loi C-69 permette cette protection-là.

Cela passera, d’abord et avant tout, par le respect des conventions qui ont été signées il y a longtemps, quelques décennies dans certains cas, mais qui ont surtout démontré la portée et l’efficacité de ces conventions-là.

Le sénateur Patterson : Je ne peux pas parler aussi facilement que la sénatrice Simons.

[Traduction]

J’ai une question à poser.

Monsieur le ministre, je vous remercie de votre témoignage. Je tiens à dire que votre intervention appuie les propos non seulement de dirigeants d’autres provinces, mais également de représentants d’autres organismes de réglementation à l’échelle provinciale comme l’Office des hydrocarbures extracôtiers de Terre-Neuve et l’organisme de réglementation de l’énergie de l’Alberta. Mon collègue a qualifié cette ingérence du gouvernement fédéral dans la compétence provinciale de « paternaliste »; à mon sens, il s’agit de colonialisme. Le gouvernement fédéral pense qu’il a toujours raison et il veut décider pour les provinces. Le pouvoir de substitution à l’article 31 « peut » être appliqué. C’est entièrement à la discrétion du ministre. J’attends vos amendements avec impatience, et ils devraient être respectés, tout comme nous devons respecter l’équilibre des pouvoirs au sein de la Confédération.

Ma question porte sur le principe « un projet, une évaluation ». Vous avez eu un processus en place pendant 45 ans, comme je le comprends, lequel a été actualisé en 2017. Vous avez dit que votre processus est simple et qu’il respecte le principe « un projet, un examen ».

Le projet de loi C-69 ne respecte pas cette notion. Il met en place un processus fragmenté au sein duquel l’évaluation d’impact, la délivrance de permis et la surveillance du cycle de vie sont séparées; ces éléments sont tous séparés, et il s’agit d’étapes distinctes. On est loin du principe « un projet, un examen ».

De quelle façon votre administration provinciale dispose-t-elle d’un processus plus simple, unifié et supérieur?

[Français]

M. Charette : En guise d’anecdote, avant-hier, j’étais à un événement auquel participait en tant qu’organisatrice la ministre McKenna à Montréal, le Sommet des champions de la nature. Dans son allocution, je ne pouvais pas être plus d’accord avec elle lorsqu’elle disait que nous devons tous collaborer, les municipalités, les provinces et le gouvernement fédéral.

À cette affirmation, je dis oui. Toutefois, lorsque l’on voit le statut qui est réservé aux provinces dans le projet de loi C-69, c’est là où j’ai le sentiment qu’on s’éloigne de cette volonté de tous collaborer.

Ce que je mentionnais tout à l’heure, dans le cadre de certaines mesures d’évaluation, le gouvernement du Québec a le statut tout juste d’observateur ou au mieux le statut d’expert au même titre que n’importe quel autre organisme. Je dis le Québec, mais c’est effectivement le cas des autres provinces aussi.

Donc, le discours que Mme McKenna prononçait à Montréal avant-hier, j’aimerais qu’il puisse s’incarner aussi dans la lecture du projet de loi C-69. Nous sommes tous des partenaires et, pour ça, il ne faut pas qu’il y ait cette volonté de contrecarrer une mesure qui, dans le cas du Québec, s’applique depuis plusieurs années.

Donc, ce partenariat-là peut s’incarner de façon véritable, parce que je pense que les défis environnementaux qui nous attendent sont effectivement importants, mais ne contrecarrons pas ce qui fonctionne déjà bien, et simplifions quand c’est possible — et c’est possible de le faire — l’avis des initiateurs. Encore une fois, je ne peux pas dire ça sans dire l’autre partie de ma phrase, sans diminuer les exigences environnementales.

Cette collaboration-là doit s’incarner dans le texte même du projet de loi. Je le mentionnais tout à l’heure, il y a une première réponse qui nous est parvenue il y a quelques jours à peine de la ministre McKenna, et je salue son geste. C’est la réponse la plus concrète depuis des années de tentatives de communication avec le gouvernement. Encore là, on laisse entrevoir au respect de ce principe-là, mais sans l’appuyer par des amendements — du moins, on ne nous en a pas démontré — et surtout en faisant référence à une réglementation qui est à venir.

L’expérience démontre que, pour avoir une portée réelle, ça doit être précisé dans un texte du projet de loi lui-même et non pas dans la réglementation qui en découlera.

Alors, oui à la collaboration, mais en respectant naturellement le travail qui se fait déjà.

Le sénateur Forest : Merci et bienvenue ce matin. Je suis préoccupé par la question de la substitution, mais vous avez ouvert la porte tantôt en mentionnant le mot « municipalités ». Disons que dans mon ancienne vie, j’ai été profondément marqué par cette réalité.

Le projet de loi ne fait aucunement mention des municipalités. Moi, c’est un des éléments qui me préoccupent, parce que, quand on pense aux défis liés à l’environnement, il est clair et net qu’il faut avoir une perspective globale, mais il faut agir localement.

Les municipalités sont un niveau de gouvernement, c’est incontournable à ce niveau-là. Les municipalités ont la responsabilité de l’aménagement du territoire. On le voit, malheureusement, ces jours-ci; elles sont les « premiers répondants » quand il arrive une catastrophe, quand il arrive des événements incontrôlables.

Bien sûr, les municipalités ne sont pas dans la Charte constitutionnelle. Elles sont des créatures régies par des lois provinciales. Le projet de loi ne devrait-il pas au moins indiquer que les municipalités doivent recevoir en amont l’information sur des projets de nature privée afin de partager leurs préoccupations? Avec des audiences et avec le BAPE, ce serait un élément fort intéressant. Elles seraient en mesure de réfléchir et de partager leurs préoccupations dans le cadre de cette analyse d’impact.

M. Charette : C’est un très, très bon commentaire. Je me souviens de votre passé, pas si lointain, où vous aviez, et à juste titre, fait valoir ces préoccupations-là. Dans le cadre de l’étude du présent projet de loi, je notais que l’Union des municipalités du Québec a d’ailleurs déposé un mémoire pour réitérer cette préoccupation.

Pour le gouvernement du Québec, on reconnaît le rôle fondamental des municipalités au niveau de l’aménagement de leur territoire, mais également de la protection de leur territoire. Donc pour nous, ce sont de réels partenaires. La procédure actuelle à travers le BAPE, je ne dis pas qu’elle ne doit pas être améliorée. Il n’y a pas si longtemps, il y a quelques semaines à peine, on soulignait les 40 ans du BAPE, et d’une façon assez unanime, on a salué sa collaboration dans le processus d’évaluation et de consultation avec le public.

Les municipalités s’inscrivent admirablement bien dans cette procédure-là. Pour ce qui est d’un rôle plus grand par le biais du BAPE, ce sont des discussions que nous entamerons, mais il est clair que les municipalités ont un rôle à jouer, comme vous le dites.

Malheureusement, je suis dans un secteur où les inondations en inquiètent plusieurs ces jours-ci, et moi, sans les deux municipalités de mon territoire comme partenaires, je serais, je vous le dis aujourd’hui, très, très démuni. Donc, ce sont des partenaires incontournables et il faut reconnaître leur expertise.

Le sénateur Forest : Est-ce que cela vous indisposerait qu’on apporte un amendement, dans le cadre du projet de loi C-69, qui ferait en sorte que les municipalités soient informées en amont des projets de secteur privé pour qu’elles puissent y réfléchir?

M. Charette : Pour ce qui est de l’information, de notre côté on sera toujours ouvert à ce que l’information circule bien, autant sur le projet lui-même que sur les étapes à franchir pour qu’un projet puisse être accepté.

On tente d’améliorer nos propres processus de communication à notre endroit. Donc, je pourrais difficilement m’opposer à ce que les municipalités soient aussi mieux informées à travers une loi aussi importante que celle que propose le projet de loi C-69.

Le sénateur Forest : Merci.

La présidente : Voilà qui met fin à cette partie de notre réunion. Je vous remercie beaucoup de votre présence, monsieur le ministre, de même que vos collègues.

Pour ce deuxième groupe, nous accueillons maintenant, du Secrétariat international francophone pour l’évaluation environnementale, M. Gilles Côté, directeur général, et du Centre québécois du droit de l’environnement, Mme Karine Péloffy, conseillère juridique.

Gilles Côté, directeur général, Secrétariat international francophone pour l’évaluation environnementale : Madame la présidente, messieurs les sénateurs, mesdames les sénatrices, d’abord, au nom du conseil d’administration du SIFEE, je tiens à remercier le comité pour son invitation à cette séance de consultation sur le projet de loi C-69.

Le Secrétariat international francophone pour l’évaluation environnementale est un organisme à but non lucratif qui a été créé il y a plus d’une vingtaine d’années avec l’appui des gouvernements français et québécois pour faire la promotion de la pratique de l’évaluation environnementale dans les pays membres de la Francophonie. Toutefois, je tiens à préciser que les réflexions ou les opinions qui sont exprimées dans le cadre de ma comparution devant le comité n’engagent que moi.

Avant de procéder, j’attire votre attention sur le dossier qui vous a été remis et qui comporte trois documents, les deux premiers auxquels je vais me référer dans ma courte intervention, et le dernier qui est un article que j’ai publié avec deux chercheurs et duquel je m’inspire pour faire le commentaire d’aujourd’hui, et dans lequel vous allez pouvoir trouver des informations supplémentaires, le cas échéant.

Mon intervention d’aujourd’hui porte sur un enjeu important, du moins je l’estime, de la réforme de la LCEE, mais qui n’a pas été l’objet de beaucoup d’attention à ce jour. Il concerne les dispositions relatives à la prise de décision, soit les articles 52(2) et suivants de la loi actuelle, qui sont remplacés par les articles 60 et suivants du projet de loi.

Il ne faut pas oublier qu’à la fin du processus, il revient au décideur public de trancher, de faire les arbitrages entre les intérêts des parties impliquées ou affectées par la décision, et de décider des compromis entre les considérations environnementales, sociales et économiques soulevées par un projet.

Or, la logique appliquée pour faire ces arbitrages ou pour décider de ces compromis influence la décision. La logique renvoie à des systèmes de pensée qui la plupart du temps ne sont pas explicités, mais néanmoins identifiables.

À titre d’exemple, je pense à une entrevue réalisée par le journaliste Alain Gravel avec l’ancien maire de Montréal, Denis Coderre, au moment où faisait rage la controverse concernant le projet d’oléoduc Énergie Est. Cette journée-là le promoteur devait annoncer les retombées économiques du projet pour le Québec. Aussi, le journaliste Gravel posait une question toute simple au maire Coderre :

Maire Coderre, les retombées économiques du projet pour le Québec et Montréal en particulier ne rendent-elles pas le projet plus acceptable à vos yeux ?

Le maire Coderre avait alors répondu :

Tant qu’on ne m’aura pas démontré que le projet ne comporte pas de risque pour la population montréalaise, non, le projet n’est pas acceptable. »

Alors au-delà de l’aspect purement politique de cette réponse, elle s’appuie sur une logique complètement différente de celle du journaliste. La question du journaliste s’appuyait sur une logique utilitariste d’application courante en science économique — vous êtes tous familiers avec ça — elle consiste à évaluer les conséquences d’une action et à appliquer une logique de compensation en procédant à un test de proportionnalité entre les avantages, les retombées économiques, les inconvénients et les impacts sur l’environnement.

La réponse de l’ancien maire Coderre renvoyait plutôt à une logique rationaliste qui consiste en l’élaboration de normes d’application universelle, énoncées a priori et devant être respectées en soi. Suivant cette logique, pour être acceptable, le projet doit donc bien performer sur tous les plans à la fois : environnemental, social et économique.

Aussi, la bonne performance du projet sur le plan économique ne peut pas compenser pour une moins bonne performance du projet sur le plan environnemental, comme c’est le cas dans une approche utilitariste, et comme le postulait la question du journaliste Gravel.

Comme proposé dans le court texte que je vous ai soumis, il m’apparaît que la logique rationaliste est plus cohérente avec une approche axée sur la durabilité que l’approche utilitariste. Or, le libellé de l’article 52 de la loi actuelle renvoie à une logique utilitariste, à mon avis, inadéquate pour traiter les problématiques complexes impliquant des considérations de nature diverse environnementale, sociale et économique. Je l’explique dans le document. On pourrait y revenir, si vous le souhaitez.

La question qui se pose alors consiste à se demander dans quelle mesure la reformulation des dispositions relatives à la prise de décision aux articles 60 et suivants du projet de loi qui renvoient aux notions d’intérêt public et de durabilité induit un changement à cet égard.

Bien que cela soit possible avec le libellé actuel, je propose un amendement à l’article 63 a) pour garantir le changement de logique nécessaire à l’application de la notion de durabilité et dont la traduction sur le plan opérationnel est incarnée par des méthodes d’aide à la décision spécifique.

Parce que c’est ça qui est intéressant. C’est que, dans le domaine de l’évaluation environnementale, il y a des méthodes qui renvoient à ces deux logiques-là que je viens de caricaturer par l’exemple que je vous ai donné.

En effet, l’introduction de la notion de durabilité, à mon avis, implique également de revoir l’approche méthodologique appliquée à la réalisation des études d’impact, ce qui n’a pas été beaucoup discuté jusqu’à maintenant. La méthode la plus souvent utilisée, inchangée depuis plus de 40 ans, consiste à évaluer l’importance de l’impact par composante de l’environnement laissant, à mon avis, le décideur à lui-même pour faire les arbitrages dont je parlais tout à l’heure.

Je vous renvoie maintenant au tableau, à un des tableaux qui est dans le document, qui est tiré d’une étude d’impact typique, qui est un tableau synthèse des impacts d’un projet, appliquant cette méthode-là.

Alors vous avez sur les colonnes de gauche les activités constituant des sources d’impact, les composantes de l’environnement touchées, après ça les variables qui sont appliquées pour évaluer l’impact, la valeur de la composante de l’environnement, l’intensité, la durée, l’étendue, l’évaluation qualitative utilisant une codification du type fort, moyen ou faible, les mesures d’atténuation et une réévaluation de l’impact à la lumière de l’application de ces mesures-là.

Cette méthode-là, si vous regardez le tableau, c’est une page d’un tableau. Si vous additionnez les pages et qu’on prend en compte que le tableau a plusieurs pages et plusieurs considérations, je vous mets au défi de faire la synthèse des informations qui sont dans ce tableau-là pour les fins de faire des compromis ou des arbitrages. Si vous ajoutez à ça la comparaison de plusieurs variantes d’un même projet, là, c’est absolument impossible.

Parce que ces méthodes-là ne comportent aucun dispositif d’agrégation des résultats. Il est tout simplement impossible d’identifier les enjeux du projet et, partant, de décider des compromis qui devront éventuellement être faits.

C’est quand même extraordinaire, parce que les ressources dépensées pour réaliser les études d’impact sont considérables. Comment peut-on s’assurer que ces documents-là soient plus performants pour nous aider, pour aider les décideurs, justement à faire des compromis?

À mon avis, il est grand temps de revoir les façons de faire. Les méthodes d’aide à la décision appliquées à l’évaluation environnementale peuvent jouer un rôle dans la mise en œuvre de la loi et devraient faire partie, à mon avis, de la réflexion. Autrement, ceux-ci risquent de demeurer esthétiques et perpétuer l’application d’une logique économique simpliste à la résolution de problèmes environnementaux et sociaux complexes.

Afin de terminer sur une note positive, j’attire votre attention, et vous avez la deuxième page du document et la page frontispice d’une étude d’impact sur laquelle je vais me référer qui me paraît intéressant sur le plan de l’application des principes de la durabilité. Il s’agit du projet d’implantation d’une usine de silicium à Port-Cartier, au Québec, qui est assujetti à la procédure québécoise d’évaluation environnementale du Québec et où on a adopté une approche que je considère comme étant innovatrice à plusieurs égards.

Entre autres, la démarche d’analyse a été segmentée en deux étapes. Pour ceux qui se soucient effectivement de la lourdeur du processus, du temps que ça prend et son efficacité, ça me paraît être un exemple intéressant.

Alors la première étape a consisté d’abord à se demander quelles sont les décisions à prendre concernant le projet. Parce qu’il faut, je pense, distinguer les décisions qui sont déterminantes dans la décision d’autoriser ou non un projet, et les éléments de sa mise en œuvre.

Alors on s’est d’abord posé la question : quelles sont les décisions que je dois prendre? Soit le choix du site, le choix de la configuration des installations sur le site et les choix technologiques.

Pour faire ces choix-là, on s’était basé sur les 18 principes de la Loi sur le développement durable du Québec. On a identifié parmi ces principes-là ceux qui s’appliquaient aux décisions à être prises. On a élaboré une grille d’analyse, parce que c’est beau de se référer à des principes, mais il faut les appliquer. Alors on a construit une grille d’analyse multicritères basée sur les principes retenus afin de comparer les différentes options au regard de chaque décision devant être prise. Une fois le projet optimisé, on a réfléchi aux mesures d’atténuation et de compensation des impacts du projet.

Il a découlé de cet exercice un projet beaucoup plus performant sur le plan économique à la satisfaction du promoteur et qui a répondu aux questionnements des toutes les parties prenantes, incluant les groupes environnementaux.

Malheureusement, le projet n’a jamais vu le jour parce que le marché du silicium a changé, mais ça a été une histoire à succès étant donné que, après la période d’information du BAPE, il n’y a eu aucune demande d’audience publique. Tout le monde était satisfait de la démarche. Merci.

La présidente : Merci.

Karine Péloffy, conseillère juridique, Centre québécois du droit de l’environnement : Honorables sénateurs et sénatrices, merci beaucoup pour l’honneur de témoigner ce matin devant vous.

Je représente le Centre québécois du droit de l’environnement, qui depuis 1999 est le seul organisme indépendant à offrir une expertise en droit de l’environnement aux citoyens, à participer aux consultations publiques sur la réforme des lois environnementales et à prendre des litiges d’intérêt public devant tous les tribunaux, lorsque jugé nécessaire.

Je suis aussi membre du Comité multilatéral consultatif de la ministre fédérale sur l’évaluation environnementale depuis 2016, et coauteur d’un important rapport de recherche collaboratif sur l’inclusion du climat dans les évaluations de projet.

Le message principal du CQDE repose sur l’importance que le projet de loi C-69 soit adopté avant la levée de la séance parlementaire, et ce sans amendements qui pourraient affecter l’équilibre fragile atteint entre différents intérêts par l’entremise d’amples consultations préalables. Il est essentiel de préserver les protections environnementales, la participation publique et les droits des peuples autochtones.

Les amendements que nous proposerons ne perturbent pas l’équilibre atteint, mais aident à restaurer la confiance du public dans les décisions fédérales en assurant l’indépendance et la crédibilité du processus menant aux rapports qui fondent les décisions. C’est un enjeu crucial qui a passé sous le radar depuis la publication du rapport d’expert en 2017 et sera le sujet de ma présentation, bien que je serais heureuse de prendre des questions sur d’autres aspects.

Pour restaurer la confiance du public, le processus d’évaluation doit être et paraître indépendant de l’influence et de l’industrie et du gouvernement. Le projet de loi C-69 apporte une mesure d’indépendance face à l’industrie, mais n’apporte aucune amélioration du côté de l’influence du gouvernement en ce qui a trait à la nouvelle agence, bien que certaines mesures soient en place pour la nouvelle régie de l’énergie.

Le manque d’indépendance des organismes administratifs fédéraux est décrié par l’Association du barreau canadien depuis plus d’un quart de siècle, et leur important rapport de 1990 sur la question fonde la plupart de nos recommandations, qui sont aussi inspirées du cadre entourant le BAPE, le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement du Québec.

En effet, dans le processus d’évaluation québécois, qui ressemble grandement à la structure envisagée par le projet de loi C-69, l’indépendance de l’organisme de recommandation, le BAPE, apparaît comme un élément clé assurant la crédibilité des rapports qui en découlent et qui entraînent des décisions finales prises par les représentants élus, qui sont mieux informés et mieux acceptés par le public.

Dans le projet de loi sur l’évaluation d’impact actuel, il est possible que l’agence et les commissions d’examen se comportent de manière indépendante. Après tout, c’est souvent une question de culture institutionnelle autant ou encore plus que de texte législatif. Toutefois, l’indépendance n’a pas tendance à survivre lorsque le gouvernement du jour cesse de la supporter, si elle n’est pas requise par la loi. Seules des mesures statutaires peuvent garantir que l’indépendance future existe et sera protégée par les tribunaux, qui s’en remettent souvent à l’intention du législateur.

Les gouvernements favorisent souvent ouvertement et légitimement des projets alors que les audiences ne sont pas terminées. Le contrepoids nécessaire à cette liberté est que la neutralité, l’indépendance et la rigueur du processus d’évaluation environnementale doivent être au-dessus de tout soupçon pour que l’ensemble du système fonctionne.

Nos amendements portent sur trois thèmes de l’indépendance, soit le mode de nomination et l’inamovibilité du dirigeant de l’agence, la sélection et la nomination des membres sur les commissions d’examen et la nature et les pouvoirs des commissions d’examen qui devraient être celles d’une commission d’enquête.

Premièrement, dans le projet de loi C-69, le président de l’agence est nommé à titre amovible par le gouverneur en conseil. Or, les dirigeants d’organismes risquent souvent la fin d’emploi lorsqu’ils prennent des décisions ou publient des rapports qui déplaisent au gouvernement du moment que la loi le leur permet. Les nominations à titre amovibles, selon les experts de partout, sont entièrement incompatibles avec les principes d’indépendance.

Le président de l’agence doit être nommé selon le processus fédéral le plus rigoureux possible, soit par le parlement, et à titre inamovible.

Deuxièmement, sous le projet de loi C-69 la ministre de l’Environnement doit essentiellement créer deux listes de personnes qui peuvent être admissibles à faire partie des commissions d’examen. Il y a une liste générale, que j’appelle la « liste environnement » et une liste pour les organismes de réglementation et offices extracôtiers qui soit faite en consultation avec ces organismes et avec le ministre des Ressources naturelles.

La loi devrait également créer des postes permanents pour les membres de commissions issus de la liste générale similaire à ceux qui proviendront des organismes de réglementation. Cela permettrait en plus de développer une expertise dans l’approche plus généraliste nécessaire pour les évaluations de durabilité comportant de nombreux enjeux.

De plus, la préparation des listes de personnes admissibles pouvant siéger aux commissions devrait être faite par un comité indépendant, soit le comité d’experts établi par l’agence sous la Loi.

Enfin, si on fait une analogie avec un tribunal, le gouvernement pourrait être considéré comme ayant un intérêt dans la cause en plus d’en être le décideur final. S’il décide en plus de qui conduira l’examen, cela permet que le processus en entier soit orchestré afin de favoriser un résultat désiré. Le cadre actuellement proposé crée un biais institutionnel inhérent. Le juge, soit le gouvernement, ne devrait en aucun cas être celui qui nomme le procureur de la poursuite, soit ici la commission d’examen.

Nous suggérons que le président de l’agence, une fois nommé de manière indépendante, devrait sélectionner les membres des listes et les nommer sur les différentes commissions, une charge au Québec qui incombe au président du BAPE et non aux ministres.

Notre troisième suggestion est que la nature et les pouvoirs des commissions d’examen dans le projet de loi C-69 soient ceux des commissions d’enquête publique, comme c’est le cas pour les commissions du BAPE au Québec. L’existence d’importants pouvoirs de contrainte est nécessaire et amène de manière générale les organismes gouvernementaux et tierces parties à s’y conformer volontairement.

La formulation actuelle de l’article 53 de la Loi sur l’évaluation d’impact est complètement inadéquate et nous avons des amendements détaillés à cet égard.

Finalement, le projet de loi C-69 n’est pas parfait, mais de nombreuses organisations d’intérêt public ayant participé au processus depuis le début, incluant le CQDE, pensent qu’il s’agit d’un excellent compromis. Ce projet de loi doit être adopté avant la fin de la session parlementaire. Il s’agit d’une première étape essentielle à franchir pour permettre au pays de répondre aux défis auxquels il fait déjà face et que nous puissions enfin aller de l’avant ensemble. Merci.

La présidente : Merci beaucoup.

Nous allons procéder à la période des questions.

Le sénateur Carignan : Bienvenue à notre séance. Je veux souligner que le Centre québécois du droit de l’environnement, qui est un organisme à but non lucratif, nous a fourni son mémoire dans les deux langues officielles. Je veux souligner que c’est une sensibilité qui est vraiment appréciée.

J’ai deux questions, la première à Me Péloffy. La notion d’intérêt public à l’article 63 traite de différents enjeux, dont l’atteinte — je l’ai, l’article 63e) :

e) la mesure dans laquelle les effets du projet portent atteinte ou contribuent à la capacité du gouvernement du Canada de respecter ses obligations en matière environnementale et ses engagements à l’égard des changements climatiques.

Donc, il semble que l’accent est mis sur l’atteinte des objectifs au Canada, mais pas nécessairement sur l’atteinte d’une réduction mondiale des gaz à effet de serre. On sait qu’il y a certains projets au Canada qui pourraient, par exemple, faire augmenter les gaz à effet de serre, mais ils pourraient également faire diminuer les gaz à effet de serre à l’échelle mondiale.

Je vais prendre l’exemple du gaz liquéfié, qui pourrait remplacer le charbon en Asie. Cela entraînerait une augmentation des gaz à effet de serre au Canada, mais une diminution des gaz à effet de serre en Chine. Donc, cela représenterait un gain net en matière de réduction des gaz à effet de serre à l’échelle mondiale.

Croyez-vous que l’article 63 devrait être plus spécifique quant à l’atteinte de son objectif de réduction des gaz à effet de serre d’un point de vue mondial également, qu’il devrait en tenir compte?

C’est ma première question.

Mme Péloffy : Merci beaucoup. Juste pour faire une nuance, les groupes environnementaux auraient souhaité que cette disposition-là force le respect de nos engagements climatiques, alors que sa formulation actuelle, si on considère quel va être l’impact... Un projet pourrait nous emmener à ne pas respecter nos engagements et être approuvé de toute façon.

Donc, c’est une version plus édulcorée du facteur qu’on aurait voulu, mais quand même, nous, les groupes environnementaux, on interprète la disposition actuelle comme incluant les engagements internationaux du Canada. Une précision pourrait être bonne à cet égard-là. En toute candeur, nous, on ne suggère plus d’amendements à cette disposition-là, sachant que de puissantes industries voudraient juste enlever le facteur complètement, donc l’ouvrir nous semblait risqué.

Effectivement, dans tout ce qui est du ressort de la considération des impacts climatiques d’un projet, avoir une vision globale mondiale me semblerait plus en accord avec l’Accord de Paris qu’on a signé, qui est vraiment un engagement de collaboration avec tous les pays et qui permet le transfert de réduction des gaz à effet de serre partout au pays par le biais d’ententes conclues avec les gouvernements.

D’un côté, je suis d’accord que ça serait un meilleur cadre, d’avoir un cadre global. Cela permettrait à certaines industries qui prétendent déplacer des formes d’énergie plus polluantes ailleurs de faire ces argumentaires-là, idéalement de manière extrêmement rigoureuse, que ça ne soit pas seulement : « J’affirme que je vais déplacer du mazout ». Il faut que ce soit un contrat qui démontre exactement cette chose-là.

D’un autre côté, cela nous forcerait à prendre en compte le fait que, si on prend justement nos exploitations pétrolières, si on calcule les émissions de gaz à effet de serre en aval, donc ceux qui ont lieu à l’extérieur du pays une fois exportés, les études actuelles démontrent que ça double le bilan carbone du Canada au complet.

Nous sommes donc déjà des cancres. Si on considère l’effet de tous les produits énergétiques que nous exportons, nous sommes doublement cancres.

Le sénateur Carignan : Ma deuxième question est pour M. Côté. Je comprends le cadre d’analyse que vous avez expliqué, mais vous semblez dire que la notion économique est incluse dans l’article 63. D’autres participants nous ont dit qu’ils ne la voyaient pas ce facteur-là ou cet élément-là dans l’aspect économique.

Je comprends que, si je regarde la définition de « durabilité », je vais avoir un aspect économique, mais noyé dans le social et l’ensemble. Donc c’est plutôt timide, l’aspect économique là-dedans.

Certains nous ont proposé de mettre spécifiquement un « f » — un sous-paragraphe f) — pour tenir compte de l’intérêt économique du projet ou de son impact économique. Selon vous, ce n’est pas nécessaire d’ajouter ça. Je comprends que vous voyez, vous, dans l’article 63 un aspect économique dont le gouvernement doit tenir compte dans le cadre de sa décision?

M. Côté : Vous l’avez bien dit. Il faut faire, je pense, la distinction entre l’intérêt économique du projet et l’intérêt économique. Malheureusement, souvent dans les rapports d’étude d’impact, ce dont on parle, on ne s’en tient qu’aux effets économiques, c’est-à-dire la création d’emplois, les retombées économiques à l’échelle locale, mais rarement on fait l’analyse des conséquences de ces retombées-là, mais dans une perspective économique plus large.

Par exemple, est-ce qu’un projet change la situation de l’emploi sur un territoire donné? Est-ce qu’un projet change ou améliore la compétitivité des entreprises locales qui participent au projet? Est-ce que ça change la compétence des travailleurs?

Je me souviens avoir participé à des suivis environnementaux. Je rencontrais des entreprises qui avaient participé à un projet d’envergure et qui avaient obtenu des montants substantiels en contrats, mais qui se retrouvaient dans une situation de compétitivité moins bonne qu’avant.

Notamment je me souviens d’un type, puis c’était un peu impressionnant parce que c’est un grand gars de six pieds qui pleurait, parce qu’il avait eu un million de dollars de contrats, mais ce million de dollars là n’avait pas permis d’améliorer vraiment la compétitivité de son entreprise. Au contraire, les entreprises autres qui avaient participé au projet avaient maraudé ses employés clés si bien que finalement, non seulement il n’a pas pu investir dans ces installations, améliorer la compétence de ses employés, de ses procédés, et cetera, mais c’était le contraire.

Souvent dans les analyses qu’on fait, dans les études d’impact, on ne va pas jusqu’à considérer vraiment la question économique, mais on l’examine dans son sens large au-delà des simples retombées directes en termes de création d’emplois.

Alors je pense qu’il est important de prendre en compte l’intérêt économique du projet, parce qu’un projet qui n’est pas viable et qui ne se réalise pas ne mène nulle part. Je crois qu’il faut aussi porter une attention à l’intérêt économique que le projet représente pour le territoire dans lequel il s’implante en tenant compte de l’ensemble des aspects qu’on doit prendre compte à cet égard-là.

Le sénateur Carignan : Merci.

La sénatrice Simons : Comme j’ai déjà dit, je ne suis vraiment pas bilingue, mais je voudrais essayer encore de poser une autre question en français, à M. Côté.

Vous avez présenté un tableau, une formule, une occasion, si vous voulez, pour faire une évaluation, mais les gens, ce ne sont pas des numéros dans une équation. Nous ne sommes pas des chiffres. Dans notre document, il est indiqué ceci, et je dois le lire en anglais :

[Traduction]

... il n’y a pas de rupture entre la rationalité et l’irrationalité, entre le savoir et l’ignorance; on retrouve plutôt des interprétations différentes et même divergentes de ce que constitue un comportement rationnel dans des situations incertaines. Il y a non pas un seul clivage qui met les décideurs et les experts d’un côté et le public de l’autre, mais bien plusieurs clivages qui fragmentent également les décideurs et les groupes d’experts...

[Français]

C’est la troisième page. Même si cette décision est prise tout le temps avec beaucoup d’émotion et pas seulement avec la logique, c’est vraiment si simple de faire ça comme une rubrique, comme vous avez présenté?

M. Côté : Dans le domaine de la recherche opérationnelle appliquant l’évaluation environnementale, on parle plutôt de plusieurs rationalités ou de plusieurs façons d’aborder un problème. Même au sein des experts, il peut y avoir des divergences d’opinions, des différentes façons d’envisager un problème scientifique.

Ce qui importe, ce n’est pas de trancher et de dire qu’une approche est rationnelle et l’autre ne l’est pas, mais plutôt de gérer ces divergences-là. Les méthodes d’aide à la décision, si on les appliquait de façon plus généralisée à l’évaluation environnementale, permettent d’intégrer ces divergences-là. À commencer par une proposition qui est faite depuis des décennies, de structurer la démarche d’évaluation environnementale par enjeux. Puis quand j’utilise le terme « enjeux », je me réfère à la définition française du terme, c’est-à-dire ce que l’on peut gagner ou perdre dans une entreprise.

C’est exactement ça, le questionnement auquel on est soumis quand on fait une évaluation environnementale. On essaie de déterminer les gains et les pertes.

Maintenant, dans la détermination des gains et des pertes, il peut y avoir une multitude de points de vue sur — d’ailleurs vous verrez bien, souvent les gens dans leurs interventions publiques commencent leurs interventions en disant : « L’enjeu du projet, c’est... ».

La démarche d’évaluation environnementale propose une démarche rigoureuse plutôt qu’une démarche strictement basée sur le jeu de rapport de force entre les acteurs sociaux, et qui donne la faveur à ceux qui sont capables de porter plus facilement leurs voix ou leurs intérêts.

Une fois qu’on a identifié les enjeux d’un projet et qu’on a tout mis sur la table, là c’est de traiter ces enjeux-là, de les analyser et d’intégrer les divergences d’avis qui peuvent intervenir dans la communauté scientifique, mais également entre le public et les scientifiques.

La sénatrice Simons : Les connaissances traditionnelles autochtones sont comme ça?

M. Côté : Exactement. D’ailleurs, j’ai participé à une évaluation environnementale stratégique en 2005 qui visait à intégrer les valeurs autochtones dans le cadre de l’élaboration d’un plan d’aménagement du territoire, en appliquant des méthodes d’aide à la décision. On a d’abord fait une consultation. À partir de la consultation, on a identifié des enjeux. Par la suite, on a élaboré des scénarios d’aménagement et on a construit une grille d’analyse multicritères, ce qui a donné lieu à des résultats et suscité la participation des communautés.

Ces communautés-là n’avaient aucune compétence préalable. Évidemment, nous, on faisait notre job d’experts, c’est-à-dire qu’on ne leur donnait pas tous les détails de la démarche qu’on avait appliquée pour faire l’analyse de tel ou tel problème, mais ils ont procédé, ils ont participé à chacune des étapes.

Cela a marché. Cela a tellement bien marché que, finalement, ils n’ont choisi aucun des quatre scénarios du départ; ils en ont construit un cinquième, mais sur la base de la connaissance acquise par le processus. À la fin, ils étaient convaincus que c’était ça qu’il fallait faire.

Le sénateur Pratte : Bonjour à tous les deux.

Ma question s’adresse à Me Péloffy. On a entendu tantôt, j’imagine que vous étiez là, le ministre québécois de l’Environnement dire que le projet de loi, s’il était adopté sans amendement, entraînerait — je ne le cite pas exactement, mais c’est ce que ça voulait dire — une intervention encore plus grande du gouvernement du Canada dans les compétences des provinces en matière d’évaluation environnementale, et dire que le mécanisme de substitution qui existe déjà puis qui est réinstauré par le projet de loi n’était pas vraiment valable, parce que ça serait une substitution supervisée par le gouvernement du Canada, donc ce n’était pas vraiment acceptable.

Est-ce que c’est un aspect du projet de loi que vous, comme juriste et spécialiste en environnement, vous avez regardé? Est-ce que le projet de loi effectivement permettrait d’atteindre le plus possible l’idée, le principe d’« un projet, une évaluation »? Ou si vous êtes plutôt de l’avis du ministre du Québec et aussi d’autres ministres provinciaux?

Mme Péloffy : La perspective juridique qu’on présente, elle est informée de la volonté de servir la protection de l’environnement. Donc, en écoutant le ministre, je pensais à des causes juridiques qu’on a entendues récemment.

D’un côté, quand il y a eu le projet Énergie Est, étant donné le démantèlement un peu du droit fédéral, on a dû se reporter au droit provincial pour protéger les bélugas du Saint-Laurent.

À l’inverse, quand on parle de la rainette faux-grillon, le projet a été complètement évalué et approuvé par le gouvernement provincial, alors qu’il allait vraiment nuire au rétablissement d’une espèce en péril, puis c’est en faisant appel aux compétences fédérales qu’on a pu sauver la rainette.

L’environnement bénéficie du fait qu’il y a deux paliers de gouvernements avec des compétences puis, dépendamment du gouvernement du moment, l’utilisation de ces deux outils-là permet de mieux protéger l’environnement.

Encore une fois, dans cette perspective-là, nous, on prend les évaluations collaboratives. En fait, le projet de loi propose plusieurs outils pour collaborer. À la Chambre des communes, un amendement a été fait à ce chapitre. Avant l’article 39.2, on empêchait la collaboration lorsqu’on parlait de projets qui relèvent du secteur nucléaire ou du secteur pétrolier.

Maintenant, ça a été retiré. Donc, il peut y avoir collaboration sur tous les projets. Nous, on pense que c’est ça qui est au centre de la loi, soit de permettre la collaboration. Si je me souviens bien, c’est un des aspects les plus favorables qu’a soulignés l’Association minière du Canada, cette meilleure collaboration-là.

Il reste qu’il y a un problème auquel le CQDE est extrêmement sensible au Québec. Au cours des dernières années, les entreprises qui se disent relever du droit fédéral, surtout les ports, aéroports et pipelines, refusent de s’assujettir à la loi provinciale. Dans la mesure où on envisageait dans le passé de proposer un amendement — et on s’est retiré de cette entreprise-là, notamment parce que le CQDE intervient à la Cour d’appel avec le gouvernement du Québec pour faire appliquer les lois du Québec au Port de Québec —, on pense que les tribunaux seront amplement aptes à dénouer cette situation-là.

Peut-être que ce serait une bonne idée d’ajouter au projet de loi quelque chose qui dit que des promoteurs qui se disent fédéraux ne peuvent être exemptés de la loi provinciale, mais de là à aller dire que si un projet a plus de compétences provinciales, on ne veut rien savoir du gouvernement fédéral. C’est bien beau que le Québec se comporte déjà comme un État qui exerce toutes ses compétences, mais on n’est pas un pays, donc on est pris dans la Constitution.

Le sénateur Pratte : En ce qui concerne le point que vous avez soulevé, y aurait-il lieu d’indiquer clairement dans le projet de loi qu’il n’empêche pas ou n’a pas pour effet d’empêcher l’application des compétences provinciales? Ce qui fait qu’un promoteur, le Port de Québec, par exemple, ne pourrait pas dire : « Bien, j’ai l’approbation du gouvernement fédéral, puis que le diable l’emporte avec les lois de la province de Québec ».

Mme Péloffy : Ça me semblerait une bonne idée. Peut-être pas de là à en faire une énorme bataille qui pourrait mettre en péril le projet de loi.

Le sénateur Pratte : D’accord, merci.

[Traduction]

Le sénateur MacDonald : Madame Péloffy, la dernière fois que vous avez comparu devant ce comité, vous avez dit que le pétrole produit au Venezuela et en Arabie saoudite dégageait moins de gaz à effet de serre que celui de l’Alberta. Le pétrole qui arrive par pétrolier au Québec, et qui passe par les eaux de la Nouvelle-Écosse, arrive de pays comme l’Algérie, le Kazakhstan et le Nigeria; il y a très peu de pétrole de l’Arabie saoudite ou du Venezuela qui arrive ici.

Êtes-vous alors d’avis que le Canada devrait acheter du pétrole de pays étrangers au lieu de produire son propre pétrole, surtout lorsque près de la moitié du pétrole qui arrive au Québec en provenance de l’Ouest du Canada est habituellement vendu à prix réduit, ce qui favorise les consommateurs du Québec et permet de garder les prix bas? La plupart des produits qui sont raffinés au Québec y sont consommés.

Êtes-vous d’avis que nous devrions acheter davantage de pétrole étranger que de pétrole canadien?

Mme Péloffy : Peut-être que vous avez lu le compte rendu il y a moins longtemps que moi, mais je doute avoir dit que le pétrole brut du Venezuela dégageait moins de gaz à effet de serre. Il me semble que j’ai dit que le pétrole brut canadien est parmi ceux qui en dégagent le plus au monde; ce n’est peut-être pas vrai de façon absolue sur tous les fronts, mais il se trouve définitivement parmi ceux qui en dégagent le plus.

Je suis d’avis que, dans un monde qui combat activement les changements climatiques, du moins, je l’espère, nous devons délaisser le pétrole le plus rapidement possible, tout en étant justes envers les travailleurs de cette industrie. Les scientifiques du monde entier disent clairement que les premières ressources que nous devrions abandonner et laisser dans le sol sont celles qui sont les plus polluantes par baril de pétrole, et il semblerait que ce sont nos ressources canadiennes.

J’espère que nous allons nous sevrer du pétrole le plus rapidement possible, et le Québec a élaboré des politiques pour tenter de le faire. En attendant, j’estime qu’il serait préférable d’utiliser les types de pétrole qui dégagent le moins de gaz à effet de serre possible.

Le sénateur MacDonald : Cela concerne bien plus que les gaz à effet de serre. Il s’agit d’un seul aspect. Vous dites que nous voulons délaisser le pétrole. Bien sûr, nous voulons abandonner tôt ou tard, il me semble, toutes sortes de produits que nous utilisons actuellement. Cependant, ce n’est pas le cas pour les 20 ou 30 prochaines années. Toutes les prévisions énoncent non pas que nous n’allons pas délaisser le pétrole, mais que la consommation de pétrole partout dans le monde augmentera jusqu’en 2040 au moins. En d’autres mots, la consommation augmentera jusqu’en 2040, au minimum.

Encore une fois, estimez-vous réellement que des endroits comme le Nigeria, l’Algérie et le Kazakhstan ont globalement de meilleures normes environnementales que le Canada?

Mme Péloffy : Tout d’abord, les prévisions auxquelles vous faites référence sont souvent faites par des organisations liées aux formes d’énergie actuelles, et leurs rapports sont influencés par le fait qu’elles veulent que la dépendance au pétrole se poursuive.

Le sénateur MacDonald : Ces prévisions sont faites par des organismes internationaux.

Mme Péloffy : Oui, par l’AIE. À ma connaissance, seulement deux modèles élaborés par cette agence sont conformes à l’Accord de Paris. Toutes les autres prévisions ne le sont pas.

Il y a deux sortes de visions par rapport à l’avenir. D’un côté, il y a ceux qui croient que nous allons continuer à consommer du pétrole pour les 30 à 40 prochaines années. Si cela se produit, il faudra dire adieu à la planète Terre et à la civilisation humaine. De l’autre côté, vous avez le GIEC, qui est la plus importante collaboration scientifique de l’histoire de l’humanité, qui dit que d’ici 2050, il ne doit plus y avoir d’émissions de carbone.

Il s’agit donc de savoir si nous souhaitons faire de l’argent à court terme ou survivre à long terme.

En ce qui a trait aux normes environnementales, pour être franche, je ne suis pas certaine. Je sais que bon nombre de personnes ont dit que nous avons des normes et des mesures de calibre mondial visant à protéger l’environnement. Cependant, à la lumière de mes dernières vérifications portant sur la protection de la biodiversité, le Canada se situe derrière l’Éthiopie, pays où la famine fait rage. Je crois que nous n’avons donc pas à nous vanter.

Le sénateur MacDonald : Au cours des dernières années, après avoir inversé la canalisation 9, le Québec a fait venir la moitié du pétrole qu’il a raffiné de l’Ouest canadien, ce qui est très bien selon moi. Cependant, vous dites que nous ne devrions pas importer de pétrole de l’Ouest canadien et que nous devrions plutôt en importer de pays étrangers?

Vous avez besoin de ce pétrole pour vos raffineries. Elles produisent tout le produit raffiné du Québec. Pensez-vous que le gouvernement du Québec, et les personnes au Québec qui s’assurent depuis les 10 dernières années que du pétrole en provenance de l’Ouest canadien est acheminé vers les raffineries du Québec, serait d’accord avec vous pour mettre un terme à cela et importer du pétrole du Kazakhstan, du Nigeria, de l’Algérie, du Venezuela et d’autres pays?

Mme Péloffy : Pour être honnête, je ne pense vraiment pas qu’il s’agit du sujet à l’étude aujourd’hui. Ce projet a été approuvé; il va de l’avant et, à ma connaissance, il n’y a jamais eu de proposition visant à l’annuler à ce jour. Il s’agit de quelque chose d’hypothétique qui ne se produira probablement jamais.

Pour ce qui est de mon opinion personnelle, oui, je préférerais que l’on importe du pétrole de l’Algérie, et je pense que c’est de là que nous l’importons sinon.

Le sénateur MacDonald : C’est bon à savoir. Merci.

[Français]

Le sénateur Massicotte : Merci à vous tous d’être venus à notre comité.

Vous avez fait une recommandation très précise pour ce qui est des amendements qui devraient être apportés. Dans votre mémoire, vous indiquez que vous étiez très impliquée dans toutes les études, toutes les révisions du gouvernement fédéral dans le cadre de ce projet de loi. Ce n’est pas la première fois que vous nous faites ces recommandations-là. Comment le gouvernement fédéral ou le comité d’étude a-t-il réagi à vos recommandations?

Mme Péloffy : En fait, quand je dis que l’enjeu a volé sous le radar, c’est aussi en partie de notre faute. Moi, j’ai commencé à travailler là-dessus à temps plein assez tard dans le processus de la Chambre des communes. On a dit que ça devrait être indépendant, mais on n’avait pas de suggestions très précises ancrées dans le projet de loi actuel. On a pu le faire plus récemment.

À ce jour, je n’ai rien entendu à propos du fait qu’il ne faut absolument pas faire ça. En fait, plusieurs bureaucrates nous disent déjà que l’agence est indépendante. C’est génial, mais pourquoi ne pas l’écrire pour que ce soit vraiment garanti?

Dans le rapport d’expert, les gens ont surtout retenu le point principal, soit l’organisme décisionnel quasi judiciaire. Toutefois, en lisant attentivement le texte, on constate que l’enjeu principal des experts était d’abord un organisme qui a vraiment tous les pouvoirs nécessaires pour encourager différents types de participation et l’indépendance nécessaire pour le faire.

Le gouvernement a décidé de ne pas aller avec le mode quasi judiciaire. C’est à sa discrétion et c’est correct. Au Québec, ce n’est pas ça qu’on a comme modèle non plus. En rejetant le modèle quasi judiciaire, c’est comme si l’enjeu de l’indépendance est parti avec ça, alors qu’il demeure tout aussi pertinent.

Il s’agit simplement d’un enjeu qui n’a pas été discuté, mais qui demeure extrêmement important.

Le sénateur Massicotte : Lorsqu’on compare les échéanciers du Canada avec d’autres pays dans le monde entier, on constate qu’on a des délais extrêmement longs comparativement à tous les autres concurrents, y compris les pays comme la Norvège, qui est tout de même un bel exemple pour l’environnement.

Vous proposez des amendements afin de retirer des références à des délais de 300 jours, et cetera. La crainte c’est que si on ne fixe pas de limites quant aux délais, on n’aboutira pas à une solution. Ça va prendre beaucoup de temps et il n’y a pas d’incitatifs.

Qu’en pensez-vous?

Mme Péloffy : Au fond, je pense que vous faites référence aux recommandations d’amendements qui étaient collectives. Dans l’intérêt d’y aller collectivement, moi, j’accepterais de signer ces amendements-là aussi, ce qui serait bien. Dans une perspective québécoise, cela ne nous donnerait pas grand-chose parce que, comme le ministre l’a déjà expliqué, nos délais sont déjà plus serrés.

Il n’y a pas vraiment d’enjeu à cet égard au Québec. Personnellement, ce n’est pas l’amendement sur lequel je consacrerais beaucoup d’énergie.

Le sénateur Massicotte : Merci.

La présidente : Voulez -vous ajouter quelque chose?

M. Côté : Oui, j’aimerais faire un commentaire. J’aimerais attirer votre attention sur quelque chose qui est facilement observable dans les controverses suscitées par la réalisation de projets spécifiques. Quand on regarde les mémoires déposés par les différents intervenants aux consultations, on se rend compte que, souvent, les enjeux qui sont soulevés ne concernent absolument pas le projet, mais concernent les politiques publiques relatives à la gestion des ressources naturelles.

Le problème que vous soulevez, sénateur, est un problème qui relève de la planification stratégique dans le domaine de l’énergie. Malheureusement, les débats entourant ces questions-là se déroulent souvent à l’occasion de la réalisation de projets spécifiques. Au-delà des délais imposés par les procédures, les délais sont souvent de nature politique à cause des blocages.

Je pense notamment à l’implantation de la filière des gaz de schiste au Québec. La filière éolienne aussi. J’ai participé à une étude sur l’acceptabilité sociale et on avait comme cas de figure l’implantation de la filière éolienne. C’était fascinant de constater que la majorité des commentaires, lors des audiences publiques, ne portaient pas sur les projets spécifiques. Ils portaient sur la stratégie québécoise du développement de la filière.

Alors, à ce moment-là, pourquoi on tarde tant à implanter une pratique d’évaluation environnementale stratégique? De ce point de vue là, le projet fédéral est très timide. Ce sont les initiateurs de projets qui sont les otages de ça, parce qu’ils se trouvent au milieu d’un débat public qui n’a pas été achevé ou qui n’a pas eu lieu. Les discussions à l’échelle d’un projet, ce n’est pas le lieu pour débattre de ces choses-là.

C’est une demande qui est faite depuis des décennies. Cela dit, si on appliquait des évaluations stratégiques à l’élaboration des politiques, des plans et des programmes gouvernementaux, notamment en énergie, cela implique aussi des contraintes.

Pour revenir à vos préoccupations, je me demande quel contrôle on a, par exemple, sur le marché du pétrole.

[Traduction]

C’est un marché libre.

[Français]

Souvent, les produits traversent les quatre coins de la planète suivant des logiques économiques qui échappent complètement au contrôle des États.

Alors je tiens à rappeler ces points-là, parce qu’effectivement, beaucoup de décisions qui sont prises et qui se traduisent par des projets spécifiques découlent d’une logique qui échappe au contrôle des États, et de plus en plus de l’ouverture des marchés.

Le sénateur Forest : Merci de vos propos fort éclairants.

On parle beaucoup d’enjeux. On parle d’acceptabilité sociale. Je pense, avec raison, qu’il y a une multitude d’exemples, entre autres, Énergie Est au Québec, les gaz de schiste, et cetera, où le fait de me pas vraiment mettre les enjeux sur table, on en arrive à desservir autant la cause environnementale que la cause du développement.

Selon vous, quel est l’enjeu? Parce que les délais sont très serrés. On est tous très conscients de la fin de session qui approche à grands pas. Si on n’arrivait pas à trouver un compromis malgré toute l’imperfection du projet de loi, de la législation qu’on a sur la table, quel est l’enjeu de ne pas entériner cette législation-là?

M. Côté : Je ne me suis pas préparé à apporter un jugement à cet égard.

Le sénateur Forest : On n’est pas toujours préparé dans la vie.

M. Côté : Non, ça, je comprends bien, mais normalement quand je me prononce sur quelque chose, j’aime bien y avoir réfléchi. Bien que j’ai parcouru le projet de loi plus d’une fois, je ne me risquerais pas à apporter un jugement comme ça.

Toutefois, pour l’avoir examiné et pour avoir consulté plusieurs personnes qui ont participé à cette réflexion — si vous me demandez de faire un jugement global — je crois que c’est une avancée par rapport à ce qui existe actuellement, malgré les imperfections qu’on a identifiées. Parce que la loi de 2012, bien qu’elle apportait des modifications intéressantes visant à régler certaines problématiques, comportait des lacunes importantes. Compte tenu de tout le travail de réflexion qui a été fait autour du projet de loi C-69, à mon avis, il faut faire de notre mieux avec tout ce qui a été dit et toute la réflexion qui a été faite.

Le sénateur Forest : Donc, il y a une certaine tendance qui se dégage des propos.

M. Côté : Exactement.

La présidente : Madame Péloffy, voulez-vous ajouter quelque chose?

Mme Péloffy : Nous, on croit qu’on ne peut pas continuer avec le système actuel. C’est un des rares points où on s’entend avec l’ancienne première ministre de l’Alberta, qui disait que le système actuel est brisé et ne fonctionne pas. Ça ne fonctionne ni pour les opposants de projets ni pour les promoteurs de projets. Personne n’y gagne.

Je crois vraiment que ce projet de loi a énormément de potentiel. On aimerait des garanties en ce sens. Le meilleur scénario — et je pense que des collègues écologistes ont proposé la même chose — serait d’avoir un mécanisme de révision du projet de loi aux cinq ans. Ainsi, s’il y a des ratés, des erreurs, on peut réajuster le tir au fur et à mesure.

Ainsi, on devrait peut-être adopter le projet de loi et se revoir dans cinq ans pour voir ce qui a fonctionné et ce qui a moins bien fonctionné, et déterminer ce qui doit être amélioré. Parce que c’est très difficile d’avoir la perfection du premier coup. La vie, c’est souvent un processus itératif.

Le sénateur Forest : Merci.

La présidente : Sur ce, nous terminons cette partie de la réunion.

[Traduction]

Pour notre troisième groupe de témoins, nous accueillons M. Al Monaco, président et chef de la direction d’Enbridge Inc. Il est accompagné de Ramona Salamucha, avocate-conseil principale. Merci beaucoup de vous joindre à nous.

[Français]

Du Centre interdisciplinaire de recherche en opérationnalisation du développement durable, nous accueillons Pierre-Olivier Roy, analyste sénior et analyste au Centre international de référence sur le cycle de vie des produits, procédés et services.

Merci beaucoup de votre présence ce matin. Je vais donner la parole au représentant d’Enbridge.

[Traduction]

Al Monaco, président et chef de la direction, Enbridge Inc. : Madame la présidente et membres du comité, je vous remercie de me permettre de parler d’un enjeu d’importance cruciale à l’échelle nationale, le projet de loi C-69.

Je m’adresse à vous aujourd’hui non seulement au nom d’une industrie, mais également en tant que Canadien profondément dévoué et fier, qui est préoccupé par ce que ce projet de loi signifie pour l’avenir de nos collectivités, de nos régions et du Canada.

Nous estimons que le projet de loi C-69, dans son libellé actuel, n’atteindra pas son objectif d’améliorer les processus environnementaux et réglementaires, et réduira encore davantage la confiance et les investissements au Canada.

Cela pourrait signifier ce qui suit pour les Canadiens : c’est la perte de revenus fiscaux, lesquels servent à financer l’éducation, le système de santé et les collectivités; la disparition d’emplois de qualité, bien rémunérés et hautement qualifiés; l’exode de nos jeunes ainsi que des talents et de l’innovation générés par notre secteur; la perte d’une occasion de réconciliation économique avec les collectivités autochtones; et l’érosion de la compétitivité du Canada.

Il ne s’agit pas d’un problème qui touche seulement l’industrie de l’énergie; c’est un enjeu critique pour le Canada, et il est donc essentiel de rendre ce projet de loi convenable.

Enbridge est la plus grande société d’infrastructure énergétique en Amérique du Nord. Nous acheminons environ un quart de la production nord-américaine de pétrole brut et 18 p. 100 du gaz naturel. Grâce à nos installations, nous offrons des services à 12 millions de Canadiens, et nous avons des participations dans des entreprises qui produisent 1 700 mégawatts d’énergie renouvelable. Au Québec, nous acheminons plus de la moitié du pétrole qui est consommé ici, nous sommes partenaires d’Énergir et de Gazifère, et nous avons des participations dans trois parcs éoliens de la province. Nous cumulons 70 ans d’expérience en matière de construction et d’exploitation d’infrastructures, avec des structures réglementaires dans 5 pays, 9 provinces et territoires canadiens, et 41 États.

Le transport d’énergie fait partie intégrante de la prospérité sociale et économique du Canada, au même titre que les autoroutes qui traversent le pays, les voies ferrées, le transport maritime et le transport aérien. Sans un transport efficace de l’énergie, nos ressources de calibre mondial seront immobilisées, alors que notre concurrent et principal partenaire commercial au sud gagne du terrain. Si nous restons les bras croisés, nous sommes voués à gaspiller l’avantage concurrentiel du Canada et à rater une occasion d’acquérir des parts du marché mondial de l’énergie.

Pourquoi est-ce que cela se produit? Après des dizaines d’années de progrès et de construction de liens dans notre immense pays, il est clair que nous sommes en train d’échouer. Puisque la capacité en matière de transport d’énergie a été limitée au cours des dernières années, les Canadiens renoncent à environ 14 milliards de dollars par année en raison de la réduction importante des prix d’exportation de notre énergie. De 2017 à 2018, les investissements prévus dans d’importants projets en matière de ressources ont chuté de 100 milliards de dollars, et bon nombre d’entreprises ont quitté le Canada. Malheureusement, les investisseurs mondiaux considèrent maintenant que le Canada possède un processus de réglementation et de protection de l’environnement risqué.

La question que nous devons nous poser est la suivante : est-ce que ce projet de loi atteindra l’objectif du gouvernement et donnera aux entreprises la confiance nécessaire pour injecter des capitaux au Canada? Nous estimons que la réponse à cette question est non. Je vais me concentrer sur trois raisons qui expliquent mon point de vue.

Premièrement, au cours de la dernière décennie, les examens de projets de pipeline, comme vous le savez, sont devenus une occasion de tenir des débats animés sur de vastes questions nationales comme les changements climatiques, la réconciliation avec les Autochtones, ainsi que le bouquet énergétique de l’avenir. Ces questions, en raison de leur importance pour le Canada, doivent être examinées, et ne devraient pas être réglées par l’entremise d’examens de projets individuels, sous la responsabilité des promoteurs de projet.

Le projet de loi C-69 exacerbe un problème déjà ingérable en intégrant des questions de politique non spécifiques à un projet dans le processus de réglementation, alors qu’un consensus à l’échelle nationale n’a pas été atteint, et qu’aucune politique ni disposition réglementaire n’a été mise en place à cet égard.

Par exemple, l’un des facteurs dont il faut obligatoirement tenir compte dans l’évaluation d’impact, c’est la mesure dans laquelle les effets du projet nuiront ou contribueront au respect des engagements en matière de changements climatiques. Cependant, le projet de loi ne précise pas comment ce sera déterminé, ce qui rend le processus d’examen susceptible de faire l’objet d’un vaste et complexe débat stratégique. Les changements climatiques devraient être pris en compte, cela ne fait pas vraiment de doute, mais ce devrait être par l’entremise de politiques fédérales et provinciales, pas dans le cadre de l’examen de chaque projet.

Les promoteurs de projet doivent connaître les règles du jeu avant le début de la partie, sans quoi ils n’auront pas la confiance nécessaire pour proposer des projets.

Deuxièmement, le projet de loi s’éloigne du processus quasi judiciaire indépendant et éprouvé appliqué depuis longtemps en étendant le pouvoir discrétionnaire et le pouvoir de prendre des décisions finales du Cabinet et des ministres fédéraux, ce qui mine l’intégrité et l’indépendance de notre processus réglementaire, risque de favoriser la politisation continue et même accrue de projets particuliers et encourage le dépôt d’encore plus de poursuites.

Le principe de l’indépendance et de l’excellence réglementaires est le fondement même auquel le Canada et le reste du monde en sont venus à se fier, tout comme le solide pilier que constitue notre secteur bancaire de renommée mondiale. Le fait d’étendre le pouvoir gouvernemental au processus réglementaire entraîne des risques insoutenables pour les promoteurs et les investisseurs.

Le projet Northern Gateway est un exemple typique. Ce projet a suivi, à la lettre, un long processus rigoureux de consultation scientifique et fait l’objet d’un examen réglementaire. La commission d’examen mixte a conclu que Northern Gateway était dans l’intérêt public du Canada, et plus précisément qu’« il comporte plus d’avantages pour les Canadiens que de désavantages ». Nous avons été la première entreprise à accueillir favorablement la participation des Autochtones et à offrir le tiers de la propriété du projet à 31 partenaires et collectivités autochtones, et nous les avons aidés à financer cette acquisition.

L’approbation était sous réserve de 209 conditions, et le gouvernement de l’époque a donné son consentement. À ce moment-là, nous avions dépensé 650 millions de dollars afin d’obtenir l’approbation réglementaire, et nous nous préparions à procéder à la mise en œuvre quand un nouveau gouvernement est arrivé au pouvoir et a effectivement annulé le projet.

Je demande au comité de se poser une question : compte tenu de notre perte de 650 millions de dollars et du projet de loi C-69 qui accorde plus de pouvoir discrétionnaire au gouvernement, et comme des problèmes cruciaux touchant les politiques nationales ne sont pas réglés, pourquoi un promoteur envisagerait-il d’investir dans un nouveau projet d’infrastructure à grande échelle? À mon avis, toute entreprise qui évalue prudemment les risques refusera d’investir des capitaux sous ce cadre.

Je tiens à préciser que nous avons toujours appuyé les normes les plus élevées en matière d’examen réglementaire et de protection environnementale; le public et nous-mêmes n’attendons rien de moins que cela. Toutefois, pour que le projet de loi C-69 permette l’atteinte des objectifs déclarés par le gouvernement, nous devons conserver la force du processus quasi judiciaire indépendant.

Nous croyons que la commission d’examen chargée de se pencher sur ces projets doit adresser au Cabinet une recommandation clairement favorable ou défavorable, y compris les conditions. Quant à la décision du Cabinet, elle doit être fondée sur la recommandation de cette commission et y être liée afin de garantir que les décisions sont appuyées par des données scientifiques et probantes recueillies dans le cadre de l’examen réglementaire.

Comme ce sera le Cabinet qui conservera le pouvoir de prendre la décision définitive à la toute fin du processus, le projet de loi C-69 doit offrir au promoteur une occasion précoce de demander un avis qui indique clairement si le projet correspond ou pas aux objectifs clés de la politique nationale, de façon très générale et sous réserve — bien entendu — d’un examen réglementaire complet.

Enfin, sur cette question, si le projet de loi C-69 est adopté et que les pouvoirs du gouvernement sont étendus aux projets que nous pourrions avoir soumis à l’examen de l’organisme de réglementation, comme entreprise et propriétaires de Trans Mountain, nous ferions face à la concurrence de notre propre gouvernement. Notre expérience souligne clairement, tout au long de notre histoire, pourquoi nous devons maintenir un processus réglementaire quasi judiciaire solide.

Troisièmement, l’ONE joue le rôle du seul organisme de réglementation du cycle de vie depuis les six dernières décennies. Le savoir institutionnel acquis grâce aux activités combinées d’évaluation de projets et de surveillance continuelle a été crucial pour le régime réglementaire du Canada et est trop important pour que l’on puisse risquer de le fragmenter. Pourtant, c’est exactement ce que ferait le projet de loi C-69 en séparant l’évaluation des projets de la surveillance réglementaire continuelle. Nous croyons que cette séparation compromet l’efficacité de la RCE et serait incompatible avec le but déclaré d’« une évaluation par projet ». Nous devons nous assurer que la RCE est responsable de surveiller le cycle de vie entier d’un projet de pipeline.

Le projet de loi C-69 comporte d’autres aspects préoccupants qui sont abordés dans notre mémoire écrit. Par exemple, il a été déclaré que, sous le régime du projet de loi, les échéanciers seront plus courts, mais ce n’est pas le cas des pipelines réglementés à l’échelon fédéral. Le délai actuellement prévu par la loi pour les projets de pipelines est de 540 jours et, au titre de la Loi sur l’évaluation d’impact proposée, il s’étendrait à des périodes de 615 à 915 jours, sans compter les possibilités pour les ministres et le Cabinet d’étendre ou de suspendre les échéanciers, ou bien d’en fixer des plus longs. Il est évident que des délais encore plus longs sont inacceptables.

En conclusion, la question à laquelle nous devons répondre est la suivante : le projet de loi C-69 augmentera-t-il la confiance à l’égard du processus réglementaire pour tous les intervenants, et ce, tout en protégeant l’environnement et en permettant à des projets durables de calibre mondial d’aller de l’avant dans l’intérêt national du Canada, s’ils ont résisté à un examen réglementaire indépendant? Nous croyons que la réponse à cette question est « non » et que, sous sa forme actuelle, le projet de loi proposé minera davantage la confiance. Nous avons consulté de nombreux intervenants au cours des derniers mois, et nous croyons qu’il y a un très fort consensus à ce sujet.

Si le gouvernement a l’intention d’adopter le projet de loi, à notre avis, plusieurs modifications sont requises, dont les plus importantes sont les suivantes : retirer les vastes enjeux stratégiques des examens de projets de pipelines — ce sont des questions importantes, mais il est plus approprié de les régler grâce à des politiques fédérales et provinciales —; conserver un processus réglementaire quasi judiciaire indépendant et solide en éliminant l’intervention du gouvernement dans l’examen indépendant; limiter les évaluations d’impact aux très grands projets seulement et, dans ces cas, permettre à la RCE de diriger le processus d’EI, compte tenu de son expérience. Dans le cas de tous les autres projets, maintenir la RCE en tant que seul organisme de réglementation du cycle de vie dans le but de garantir une évaluation par projet. Enfin, inclure des délais maximaux pour l’examen des projets et imposer des limites précises et appropriées quant au nombre de prorogations qui pourraient être accordées et à leur durée.

Nous encourageons le comité à intégrer nos amendements afin que le Canada puisse aller de l’avant et que tous les Canadiens puissent profiter de ses vastes ressources naturelles d’une manière durable.

Je vous remercie de nous avoir donné la possibilité de présenter notre point de vue sur le projet de loi C-69. Nous avons hâte aux questions.

La présidente : Merci beaucoup.

Monsieur Roy, vous avez la parole.

[Français]

Pierre-Olivier Roy, lead énergie, analyste sénior et analyste au Centre international de référence sur le cycle de vie des produits, procédés et services, Centre interdisciplinaire de recherche en opérationnalisation du développement durable, Enbridge Inc. : Chers membres du comité sénatorial, je m’appelle Pierre-Olivier Roy, responsable des projets énergie au CIRAIG, le Centre international de référence sur le cycle de vie des produits, procédés et services.

Fondé en 2001, le CIRAIG est un centre d’expertise internationalement reconnu pour ses travaux et initiatives bâties sur de solides assises scientifiques, et il est affilié à la Polytechnique Montréal.

Le CIRAIG a accompagné plus de 200 entreprises et organisations, ainsi que les gouvernements et les consommateurs, dans leur démarche vers un développement durable soutenu par la pensée « cycle de vie » pour améliorer l’écoconception, la durabilité des modèles d’affaires et les outils d’aide à la prise de décisions stratégiques.

Je représente également le CIRODD, un regroupement stratégique du FRQNT et du FRQSC, qui a pour mission de contribuer à accélérer une transformation durable et intelligente de la société québécoise par la mise en place de mécanismes d’innovation durable en mode transdisciplinaire.

Mesdames messieurs membres du comité, les objectifs de développement durable des Nations Unies, auxquels le Canada a souscrit, cible la pérennité des systèmes économiques, sociaux et environnementaux. Pour y arriver, toutefois, de profonds changements sont attendus.

Pour saisir et comprendre la complexité croissante de nos projets, nous devrons aller de l’avant en bon gestionnaire.

Issus du milieu académique, qui n’est ni pour ni contre les projets qui seront assujettis au projet de loi C-69, le CIRAIG et le CIRODD ne peuvent qu’applaudir les efforts qui ont mené aux améliorations proposées dans le cadre de ce projet de loi C-69.

Ces mesures permettront entre autres d’assurer des évaluations de projets plus rigoureuses et équitables; de fournir des mesures de protection additionnelles pour les voies navigables; de fournir une meilleure reddition de comptes; et d’assurer que les changements climatiques soient pris en considération dans toutes les évaluations de projets.

L’objectif ultime, selon nous, n’est pas de stopper la croissance économique, mais bien d’offrir un cadre d’évaluation plus transparent qui collectera plus d’informations et qui, par conséquent, permettra de faciliter la prise de décision éclairée, tout en minimisant les conflits politiques, sociaux et juridiques.

Toutefois, à notre compréhension, ce projet présente une lacune importante. En effet, il ne propose pas d’adopter une vision systémique basée sur la pensée du cycle de vie qui prend compte des impacts de la vie d’un produit ou d’un procédé, de l’extraction des matières premières jusqu’à sa fin de vie.

Sans vision systémique basée sur la pensée cycle de vie, le risque est grand de développer des projets ou d’adopter des technologies qui pourraient être de fausses bonnes idées qui causeraient plus de tort.

Le Canada et le reste du monde feront face à des défis singuliers où ils devront assurer une croissance économique tout en luttant contre les émissions de gaz à effet de serre et d’autres sources de pollution.

Ces GES ne reconnaissent pas la souveraineté du Canada ni aucune autre frontière. Pour répondre à un problème global, la réponse se doit d’être globale. Pourtant, aucune mention en ce sens n’a été retrouvée dans le projet de loi C-69. Face aux défis de demain, nous n’avons plus le temps pour les fausses bonnes idées et les mauvaises décisions.

En mal de solutions simples, les fausses bonnes idées se multiplient : le recours aux biocarburants pour réduire les GES de nos véhicules — mais lorsqu’ils sont produits à partir de cultures agricoles, ils pourraient mettre en péril notre approvisionnement alimentaire; une électrification des transports, limitant les émissions de GES de nos véhicules, mais dans des contextes géographiques où les moyens de génération d’électricité sont encore fortement carbonés; la promotion de technologies émergentes qui n’ont pas encore techniquement fait leurs preuves et aux coûts faramineux; l’implantation de panneaux solaires dans des contextes géographiques où les périodes d’ensoleillement sont faibles et où les tempêtes de neige abondent.

Toutes de fausses bonnes idées, et pourtant les outils pour appuyer les décisions stratégiques avec une perspective cycle de vie systémique existent et permettent d’éviter de tomber dans le piège des fausses bonnes idées.

Mesdames et messieurs membres du comité, le jour où les projets sont évalués en silo se doit d’être révolu. Nous ne sommes pas seuls. Une action locale a des conséquences globales, tant du point de vue économique, que social, qu’environnemental, que technique et pour la sécurité de notre approvisionnement énergétique.

Le recours à des outils d’aide à la prise de décision moderne, telle que l’analyse du cycle de vie environnementale, sociale et économique ou des modèles d’optimisation sous-contraintes nous permettraient d’analyser les conséquences de nos actions.

Pour les prochaines générations de Canadiens, c’est ce que nous devons faire. Le projet de loi C-69? Oui, mais pas dans cet état. Oui, ce projet de loi représente un pas dans la bonne direction, un pas important vers une prise de décision plus transparente et fondée sur la science, mais il ne permet pas un processus décisionnel optimal.

Nous n’avons plus le temps de nous asseoir sur nos lauriers. Les GES ne reconnaissent pas la souveraineté du Canada et les actions locales ont des conséquences globales.

Le premier pas dans la bonne direction, c’est le projet de loi C-69. Le second, c’est de poursuivre et d’augmenter le financement à la recherche pour permettre le développement, l’intégration et la démocratisation des outils systémique et transdisciplinaire d’aide à la prise de décision pour évaluer les projets.

Membres du comité, ne vous assoyez pas sur vos lauriers, et le milieu de la recherche de pointe ne s’assoira pas sur les siens. Merci

La présidente : Merci beaucoup. Nous allons procéder à la période de questions.

[Traduction]

Le sénateur MacDonald : Merci à vous deux de vos très bons exposés.

J’adresserai mes questions à M. Monaco. Votre présence ici aujourd’hui est une bonne indication de la mesure dans laquelle notre secteur de l’énergie est intégré et interdépendant. La plupart des gens qui pensent à Enbridge l’associent à l’Ouest du Canada, mais, bien entendu, vous êtes un gros joueur au Québec, un très gros joueur dans les domaines du pétrole et du gaz naturel.

Je pourrais poser de très nombreuses questions à M. Monaco, mais je tenterai de m’en tenir à deux ou trois rapides. Au pays, notre dollar vaut 75 cents. Il devrait s’agir d’un encouragement à l’investissement canadien dans ce secteur, plus particulièrement en Amérique du Nord, mais nous voyons la production pétrolière américaine atteindre de véritables sommets et l’argent canadien s’écouler massivement hors du pays vers les États-Unis.

Qu’arrivera-t-il si le projet de loi est adopté, en ce qui a trait à la situation actuelle et à son influence sur le développement futur au Canada?

M. Monaco : Je vous remercie de poser la question, ainsi que de reconnaître notre présence, ici, dans la province, et dans celle d’à côté. Comme je l’ai dit, nous offrons nos services de distribution de gaz à 12 millions de Canadiens, et nous sommes très fiers de ce que nous faisons dans toutes les régions du pays.

Vous avez tout à fait raison de dire que, au pays, aujourd’hui, compte tenu de la valeur du dollar et de l’immense capacité que nous avons d’investir de façon durable dans les ressources, nous devrions nous attendre à plus. Cette situation ne devrait pas être sous-estimée, parce que le fait est que, si on regarde les études indépendantes, nos processus réglementaires et la capacité du secteur des ressources du pays de faire les choses adéquatement, d’une manière écologiquement responsable, sont sans égal dans le monde.

Je soupçonne que, ce qui va arriver, compte tenu de l’approche adoptée de l’autre côté de la frontière, laquelle est certes axée sur le développement économique, mais aussi sur la rapidité des ressources et l’obtention d’une part du marché des exportations énergétiques, nous placera certainement dans une position encore plus désavantageuse. L’approche des Américains consiste à tirer parti de leurs avantages concurrentiels : une énergie à faible coût, un bon régime réglementaire, des compétences exceptionnelles et d’excellents marchés de capitaux.

Au Canada, nous avons la même chose, peut-être en mieux. L’objet de ma présence aujourd’hui est de tenter de mettre ces avantages en lumière et de donner confiance aux gens quant au fait que nous pouvons bien faire les choses. Ce dont nous avons besoin, c’est un régime réglementaire qui procure de la certitude, ce qui attirera ces investissements.

Comme je l’ai affirmé dans ma déclaration, les investissements diminuent. En tant que personne ayant certainement de l’expérience dans ce domaine — notre entreprise a injecté à peu près 80 milliards de dollars dans le milieu des infrastructures au cours de la dernière décennie —, je pense que vous allez continuer à observer une perte de confiance si le projet de loi est adopté sous sa forme actuelle. Nous avons travaillé de façon constructive — je crois — afin de présenter des idées qui pourraient améliorer grandement le projet de loi et le porter au stade où nous devons l’amener.

Le sénateur MacDonald : Ma prochaine question porte sur quelque chose qui a toujours suscité ma curiosité, et vous êtes une excellente personne à qui la poser, au Québec. La plus grande part du pétrole raffiné dans la province qui n’arrive pas de l’Ouest du Canada, mais qui passe par le golfe du Saint-Laurent, est acheté au prix mondial. J’ai regardé certains chiffres, qui indiquent que le pétrole provenant de l’Ouest du Canada est souvent vendu à prix réduit et est moins coûteux, alors la gestion de cette ressource coûte moins cher aux consommateurs du Québec et aux raffineries de la province.

La canalisation 9 a été inversée, et cela s’est révélé avantageux pour le Québec et les entreprises, ainsi que pour le pays. Serons-nous en mesure d’obtenir un prix établi au Canada pour le pétrole, lequel, selon moi, devrait être inférieur au prix du pétrole de marque et plus stable? Serions-nous capables d’obtenir un tel prix pour les raffineries du Québec si elles ne traitaient qu’un pétrole entièrement canadien?

M. Monaco : Encore une fois, je vous remercie de poser cette très bonne question.

Tout d’abord, laissez-moi seulement formuler un commentaire rapide au sujet du processus que nous avons suivi relativement à la canalisation 9, lequel a été extrêmement rigoureux sous le régime du processus réglementaire actuel, et nous sommes extrêmement fiers, dans cette situation, des discussions très longues que nous avons tenues avec les collectivités, les dirigeants locaux et ainsi de suite afin de les rassurer quant au fait que ce que nous faisions allait garantir que l’environnement était protégé. Nous avons consacré énormément de temps — à bon escient — à nous assurer que les gens étaient rassurés. Nous avons tenu compte de leur avis. Nous avons amélioré le projet. Il est certain qu’il a profité à cette économie locale.

En théorie, pour une courte période, je pense qu’on pourrait probablement voir un prix établi au Canada pour l’énergie, ici, en raison des volumes transportés par la canalisation 9. En fin de compte, toutefois, le but, au moment où nous serons pleinement connectés avec nos pipelines de transport vers les États-Unis et le reste du monde... Le prix devrait en fait s’égaliser. Les différences de prix entre le Canada et les États-Unis et entre le Canada et ailleurs dans le monde devraient en réalité dépendre du coût du transport.

En ce moment, le problème, et la raison pour laquelle nous avons abandonné une si grande valeur, tient au fait que, si on ne dispose pas d’un conduit de transport efficace, soudainement, on donne ses ressources. Ces 14 milliards de dollars par année ont été perdus, non pas par les entreprises énergétiques, mais par les citoyens, par l’entremise de redevances et de recettes fiscales inférieures.

Désolé pour la longue réponse.

Le sénateur MacDonald : Non, c’est bien. Merci.

La présidente : Monsieur Monaco, vous avez affirmé que vous croyez que les changements climatiques sont un enjeu très important et qu’ils devraient être pris en compte, mais vous avez affirmé que votre entreprise va de l’avant, et vous avez mentionné qu’elle adopte des sources renouvelables.

Pouvez-vous nous donner des détails à ce sujet? Comment voyez-vous votre transition, du point de vue du temps, par exemple?

M. Monaco : Excellente question. Vous ne le savez probablement pas, mais nous avons commencé à investir dans les sources d’énergie renouvelable il y a probablement 15 ans; je pense que c’est le bon chiffre. À ce moment-là, ce n’était pas à la mode, mais nous croyions qu’à long terme, une transition aurait lieu — et nous sommes maintenant en plein dedans — vers une économie à plus faible intensité carbonique. En passant, ces projets ont aussi une portée économique pour nous.

Notre vision de la transition et la position de ce que nous adoptons tiennent au fait que le mélange d’actifs devrait refléter les facteurs fondamentaux mondiaux. Une petite part de nos gains totaux est maintenant attribuable à l’énergie renouvelable, mais elle correspond à ce que nous pensons être actuellement la proportion générale d’énergie renouvelable dans l’économie, c’est-à-dire un peu moins de 4 ou 5 p. 100. Certes, à mesure que nous effectuerons la transition, il y aura de bonnes occasions d’investir dans plus de sources d’énergie renouvelable. Nous avons des sources d’énergie renouvelable extracôtières, par exemple, au Royaume-Uni, et nous venons tout juste d’ajouter un projet au large des côtes de l’Allemagne. Nous sommes très enthousiastes à ce sujet.

Je veux faire valoir un point. Si les gens sont préoccupés au sujet des émissions de gaz à effet de serre — et nous sommes dans ce camp —, le meilleur moyen d’avoir cette incidence, du moins, à court terme, c’est d’utiliser davantage le gaz naturel. Laissez-moi vous donner une statistique rapide là-dessus. Aux États-Unis, la quantité d’émissions de GES a été réduite à un seuil inférieur aux taux de 1992, alors que l’économie de ce pays a augmenté de 80 p. 100. Comment cela a-t-il pu se produire? C’est parce qu’on utilise le gaz naturel en remplacement du charbon.

Si, en tant que pays, nous nous concentrons sur la réduction des émissions, nous devrions étudier comment nous pouvons influer sur les émissions mondiales. Nous parlons de nos nouvelles usines de GNL, par exemple, qui augmenteraient les émissions au Canada. C’est vrai, mais une nouvelle usine de GNL remplacera des usines au charbon entières qui sont utilisées sur la planète, si nous pouvons exporter notre gaz naturel. C’est une énorme occasion pour le Canada d’avoir une incidence réelle sur les émissions mondiales grâce à une plus grande utilisation du gaz naturel.

La présidente : Monsieur Roy, voulez-vous formuler un commentaire sur les propos qu’a tenus M. Monaco?

M. Roy : Je vous remercie. Je souscris au dernier argument formulé par M. Monaco, c’est-à-dire qu’il faut regarder les émissions de GES à l’échelle mondiale. C’est essentiellement le but de mon exposé. En effet, si nous nous penchons sur certains des problèmes qui pourraient faire augmenter les émissions de GES ici, mais qui les réduiraient considérablement ailleurs dans le monde, alors ce serait avantageux pour tout le monde.

Voilà pourquoi je pense que le projet de loi C-69 devrait comprendre une disposition au titre de laquelle nous évaluerions les émissions de GES produites à l’échelon local, provincial ainsi que mondial afin d’obtenir toute l’information qui est nécessaire pour que l’on puisse affirmer : « D’accord, peut-être que nous les augmentons ici, à l’échelon local, mais, dans l’ensemble, nous faisons vraiment quelque chose de formidable. »

Il s’agit d’un élément qui manque souvent aux évaluations d’impact et qui devrait être inclus.

La sénatrice Simons : Monsieur Monaco, j’ai deux questions à vous poser qui ne sont pas exactement liées, mais je vais tenter de les glisser dans la conversation.

Je partage vos préoccupations au sujet du degré de pouvoir discrétionnaire ministériel, non seulement en ce qui a trait à la décision finale, mais aussi tout au long du processus décisionnel, et je me demandais ce que vous penseriez d’un amendement possible. Au lieu de conférer au ministre la capacité d’arrêter le chronomètre tout au long des premières étapes, cette responsabilité serait confiée aux évaluateurs ou aux organismes de réglementation, de sorte qu’elle serait dépolitisée. Si les gens qui traitent la demande affirment qu’ils ont besoin d’une prorogation pour une raison particulière, cela ne passerait pas par le cabinet du ministre. Pourrait-il s’agir d’un moyen de tenter de simplifier les échéanciers?

Mon autre question qui n’est pas vraiment liée à la discussion est la suivante : nous venons tout juste d’entendre la déclaration d’un témoin — une avocate du Centre québécois du droit de l’environnement —, qui a affirmé qu’elle préférerait que le Québec importe son pétrole, le fasse venir par navire-citerne de l’Afrique du Nord, de l’Asie ou de l’Afrique subsaharienne, plutôt que d’avoir du pétrole de l’Alberta. Je me demande comment vous répondriez à une personne qui dit qu’il vaut mieux transporter du pétrole dans des réservoirs sur une grande distance que de l’acheter de l’intérieur du Canada, du point de vue des émissions de GES.

M. Monaco : Concernant la première question sur le transfert du pouvoir discrétionnaire du ministre à un organisme réglementaire, afin de simplifier le processus, je pense qu’il s’agirait certainement d’une grande amélioration, simplement parce que, dès qu’on ouvre la voie à l’application du pouvoir discrétionnaire, surtout à l’échelon politique, c’est un énorme angle d’attaque pour les litiges. Dès que l’on dira « pouvoir discrétionnaire », ce sera contesté.

Je souscrirais à votre opinion selon laquelle le fait de confier la capacité d’arrêter le chronomètre aux intervenants du processus réglementaire est une bonne idée, quoique je pense que le vaste problème qui se pose tient à la certitude, point final. Autrement dit, fixons des échéanciers raisonnables, accordons aux gens la période en entier et toutes les possibilités pour examiner les projets comme ils le font depuis de nombreuses décennies, et nous, comme promoteurs et investisseurs, serons heureux de connaître cet échéancier.

Même si c’est mieux, je dirais que l’accent devrait encore être mis sur l’établissement d’échéanciers précis sur lesquels les entreprises pourront compter afin de mettre sur pied un projet. Quand on élabore un projet — comme je l’ai mentionné plus tôt —, il faut dépenser des centaines de millions de dollars pour suivre le processus. Si nous avons un échéancier précis, cela atténue certainement le risque.

Concernant votre deuxième question, j’aurais voulu avoir écouté cet exposé précédent. Je dois admettre que je n’entends pas souvent dire qu’il serait préférable pour les pays d’importer le produit de l’Afrique du Nord. Je pourrais probablement fournir un tas de raisons, mais laissez-moi simplement vous donner celles qui me viennent spontanément à l’esprit.

Nos normes en matière d’émission et notre façon d’élaborer des projets et de mobiliser nos Autochtones sont certainement bien meilleures que celles du reste du monde. La réduction du pétrole transporté sur l’eau est une autre chose. Je suis certain que, si la préférence de tout le monde dans cette province était respectée, aucun pétrole brut ne circulerait à bord d’un navire-citerne sur le Saint-Laurent.

Ce ne sont que quelques éléments en réponse à cette question.

[Français]

Le sénateur Carignan : Ma question s’adresse à M. Monaco.

Je vous ai entendu parler de processus quasi judiciaire au niveau de l’organisme, et j’ai relu votre mémoire pour être sûr que j’avais bien compris, parce que le témoin avant vous, Me Karine Péloffy, qui représente le Centre québécois du droit de l’environnement, a également fait état de la même notion, soit qu’ils auraient préféré avoir un processus quasi judiciaire. Elle a également parlé d’une méthode de nomination plus impartiale et indépendante par rapport aux membres ou à la composition de l’agence. J’étais surpris de voir un point de convergence entre Enbridge et le Centre québécois du droit de l’environnement sur un point comme ça.

Pouvez-vous préciser — peut-être vous ou votre procureure — la portée des modifications proposées dans ce processus d’indépendance? Est-ce que cela implique aussi la composition des membres du comité, soit la nomination de membres plus à long terme et dont la nomination serait spécifique par projet?

Comment voyez-vous la création d’un organisme plus indépendant qui respectera le cadre quasi judiciaire?

[Traduction]

M. Monaco : Je vous remercie.

Tout d’abord, concernant votre commentaire au sujet de votre surprise à l’égard du fait que nous nous entendons sur l’observation précédente, je devrais fournir une précision à ce sujet. En tant qu’entreprise qui investit beaucoup dans les infrastructures, nous nous accommoderons d’un processus indépendant, quelles que soient les décisions. J’affirmerai qu’au fil des ans, le régime réglementaire actuel — et c’est peut-être un peu différent du point de vue populaire — a été très rigoureux et dur à l’égard de ses entreprises.

Alors, nous nous accommoderions d’un processus et d’une prise de décisions indépendants et, si cela entraîne le rejet de certains projets, ainsi soit-il. Je préférerais vivre avec cela qu’avec l’incertitude associée à des projets qui deviennent politisés, parce qu’il ne s’agit tout simplement pas d’un environnement dans lequel nous pouvons investir.

Je vais demander à Me Salamucha de formuler, elle aussi, un commentaire à ce sujet, si elle le souhaite.

Quant aux membres et à la façon dont nous régissons les organismes de réglementation, à mon avis, la clé est que le nouvel organisme de réglementation national — appelons-le la RCE pour l’instant — ait un rôle important à jouer à l’égard de l’indépendance. Actuellement, le projet de loi prévoit un processus d’évaluation d’impact dirigé par d’autres personnes que les responsables de la réduction certifiée des émissions, la RCE, et cela nous ramène à mon argument concernant le fait d’avoir un organisme unique de réglementation du cycle de vie, un qui possède plusieurs décennies d’expérience non seulement dans l’approbation de pipelines, mais aussi dans leur surveillance quotidienne et qui devrait assurer la sécurité et nous tenir responsables. Nous pensons que c’est l’endroit où l’indépendance peut avoir lieu naturellement.

Je militerais en faveur d’un rôle bien plus fort dans le processus d’EI, lequel serait en fait dirigé par la Régie canadienne de l’énergie, compte tenu de son expertise et de ses antécédents.

Avez-vous quelque chose à ajouter à ce sujet?

Ramona Salamucha, avocate-conseil principale, Enbridge Inc. : L’autre chose à ajouter, c’est que nous avons proposé des amendements dans le but de favoriser un processus décisionnel plus indépendant et moins politique, lequel comprend les devoirs de la commission prévus à l’article 51 de la Loi sur l’évaluation d’impact. À notre avis, ce devrait être l’organisme qui a entendu les témoignages et écouté les témoins, pas le gouvernement, qui formule une recommandation quant à la question de savoir si, en fin de compte, le projet est dans l’intérêt public ou non, de même qu’aux conditions.

La Loi sur la Régie canadienne de l’énergie proposée contient une disposition analogue qui le fait d’une manière beaucoup plus efficace, et nous affirmons que cette disposition devrait être ajoutée à la Loi sur l’évaluation d’impact également.

Concernant la question du processus décisionnel indépendant, encore une fois, je soulignerais l’expérience de Northern Gateway. Il s’agit d’un très bon exemple du pourquoi nous devons conserver un processus réglementaire quasi judiciaire axé sur une expertise indépendante. Dans ce cas-là, nous avions exactement les mêmes faits, et deux gouvernements différents ont pris deux décisions différentes.

[Français]

Le sénateur Carignan : J’ai une question complémentaire importante. Vous avez noté que le gouvernement était maintenant propriétaire d’un pipeline. Est-ce vraiment un élément fondamental, selon vous, pour ce qui est de revendiquer cette notion d’indépendance? Même si le gouvernement n’était pas propriétaire d’un pipeline, je comprends que vous auriez quand même cette revendication-là.

[Traduction]

M. Monaco : Je vous remercie de poser la question. Simplement pour clarifier : le fait que le gouvernement possède un pipeline ne nous pose aucun problème. Eh bien, il ne s’agit probablement pas de la préférence à long terme du gouvernement non plus, mais je pense que la question a été soulevée parce que, si on confère davantage de pouvoirs au ministre ou au Cabinet en matière de prise de décisions, nous pourrions nous retrouver dans une position où notre projet est évalué par les organismes, les ministres et le Cabinet, si on leur accorde un pouvoir discrétionnaire à l’égard de ce projet. Manifestement, il pourrait y avoir un conflit entre notre projet et leur propre pipeline, qu’ils possèdent actuellement, aujourd’hui.

Il s’agit de quelque chose qui ne nous préoccupe que dans le contexte du projet de loi C-69 et du pouvoir discrétionnaire qui est étendu dans ses dispositions.

Le sénateur Pratte : Monsieur Monaco, vous avez mentionné l’importance pour vous d’avoir des échéanciers précis, et les amendements que vous avez proposés prévoient un échéancier précis de 730 jours après la date à laquelle l’avis a été publié. Vous permettez une exception, c’est-à-dire à la demande du promoteur. L’échéancier pourrait être prolongé à la demande du promoteur.

Je me demande simplement si, d’une certaine manière, il n’est pas injuste que vous permettiez au promoteur de disposer de plus de temps, s’il le souhaite, mais que le gouvernement, pour quelque raison qu’il puisse juger pertinente, ne puisse pas demander une prorogation.

Voilà la première question.

La deuxième concerne ce que vous avez mentionné plus tôt. Je voudrais que vous nous donniez des détails, car, dans votre mémoire, vous mentionnez le fait que l’organisme de réglementation du cycle de vie ne serait pas majoritaire et ne pourrait pas présider une commission d’examen du fait que cela pourrait poser — je n’ai pas les termes exacts — certains risques pour la sécurité. Je pense que c’est ce que vous affirmez dans votre mémoire. Je voudrais que vous nous donniez des détails à ce sujet.

M. Monaco : Concernant la première question sur les échéanciers et le fait qu’il ne serait pas juste que le promoteur puisse demander cette prorogation, c’est uniquement lié à notre désir de nous assurer que, s’il y a plus de travail à faire que ce que nous avions estimé — par exemple, du travail environnemental supplémentaire qui requiert une enquête plus poussée —, nous obtenons un certain temps pour le faire. Ce serait dans le but de nous assurer que nous prenons une décision pleinement éclairée et de veiller à ce que le projet soit le plus sécuritaire possible.

Dans ce cas particulier, le fait de demander plus de temps pour effectuer des travaux supplémentaires dans le but d’assurer la sécurité est très logique, à mes yeux.

Quant à l’organisme de réglementation du cycle de vie et à la sécurité, voulez-vous aborder ce sujet? Peut-être que vous pourriez simplement répéter la question, s’il vous plaît.

Le sénateur Pratte : Vous avez mentionné le fait que les organismes de réglementation du cycle de vie ne seront pas majoritaires au sein de ces commissions d’examen. C’est ce que prévoit le projet de loi. Ensuite, vous mentionnez, et je cite votre mémoire : « C’est loin d’être anodin : ce changement pourrait mettre en danger la sécurité publique du fait que l’Office de l’énergie ou la Régie canadienne de l’énergie, le seul organisme administratif doté d’une expertise en pipelines [...] » et ainsi de suite. Voudriez-vous nous donner des détails à ce sujet, s’il vous plaît?

M. Monaco : Je pense que les gens se concentrent sur des projets majeurs comme Énergie Est et Gateway lorsqu’ils parlent du rôle de l’évaluation d’impact et de la RCE. Ce qui m’importe, c’est qu’on s’assure que tous les projets continuent de faire l’objet d’un examen très rigoureux, du point de vue tant de l’environnement que de la sécurité.

La RCE — antérieurement l’ONE, disons-le — possède une grande expérience pour ce qui est de mener des activités quotidiennes, de nous tenir responsables et d’évaluer nos actions au jour le jour. Personnellement, si je faisais partie du grand public, je voudrais que le processus soit dirigé par l’organisme de réglementation le plus expérimenté.

C’est notre point de vue, et c’est pourquoi nous présentons cet exposé.

La sénatrice McCallum : J’ai une question pour chacun d’entre vous.

Monsieur Monaco, pour que le réchauffement climatique ne dépasse pas le seuil de 2 p. 100, il a été estimé que les émissions de carbone dans l’atmosphère ne devaient pas dépasser un billion de tonnes métriques environ. Nous avons maintenant atteint la moitié de ce chiffre, et nous allons dépasser ce billion de tonnes métriques aux alentours de 2040.

Il est important de comprendre que, si nous brûlons toutes les ressources à base d’énergie fossile, nous allons dépasser considérablement le seuil de 2 p. 100, ce qui m’amène à dire qu’environ 80 p. 100 des réserves connues d’énergie fossile ne devraient jamais être brûlées.

Un rapport récent porte à croire que, au Canada, même avec les technologies en place de capture et de stockage de carbone, 74 p. 100 des réserves pétrolières, 99 p. 100 du nouveau pétrole, soit les sables bitumineux en Alberta, 71 p. 100 des réserves de gaz non classique extraites par fracturation hydraulique et 75 p. 100 du charbon ne doivent pas être brûlés.

Avez-vous un commentaire à formuler à cet égard?

M. Monaco : Oui. Permettez-moi avant tout de dire que, à titre d’entreprise — et je sais que l’industrie a le même point de vue —, nous prenons très à cœur les changements climatiques. Nos stratégies sont conçues de manière à nous permettre de faire ce qu’il faut pour assurer la transition. J’ai parlé de l’importance accordée au gaz naturel, lequel peut avoir une très grande incidence sur les émissions mondiales, et nos efforts d’investissement dans les énergies renouvelables sont un autre très bon exemple. Ce que je veux dire, c’est que, tout comme vous, nous reconnaissons l’importance de cet enjeu.

Toutefois, il y a un autre côté à la médaille. Il est très évident que nous aurons besoin de plus en plus d’énergie pour les 30 à 40 prochaines années. Sauf si vous n’êtes pas d’accord pour dire que la population augmentera de 2 milliards de personnes — ce qui se passera de toute évidence au cours des trois 30 prochaines années —, vous savez que le nombre de villes augmentera et cela mènera à l’accroissement des besoins en énergie. En outre, les gens voudront de meilleures conditions de vie dans les pays en développement.

Il faudra de l’énergie. Ce qui est important de savoir, c’est comment nous allons fournir cette énergie de façon aussi durable que possible. En toute franchise, en tant que Canadien, je suis très fier que nous exploitions nos ressources de la façon la plus durable qui soit à l’échelle mondiale. Selon moi, ce que nous apportons, c’est la capacité d’aider la planète à diminuer ses émissions et à en réduire l’intensité. Voilà le rôle que peut jouer le Canada.

La sénatrice McCallum : Merci.

Monsieur Roy, vous avez parlé de l’épuisement des ressources. L’Agence de la santé publique du Canada a dit qu’il était peu probable que les ressources renouvelables atteignent un sommet puis diminuent, mais qu’elles pourraient atteindre leur plus haut niveau du point de vue de la disponibilité fonctionnelle, notamment dans le cas où des intérêts concurrentiels viendraient limiter leur accès. Si on atteint ce sommet, le coût de ces ressources grimpera, et la majorité de la population mondiale ne pourra plus se les permettre. L’agence a aussi dit que d’autres ressources, particulièrement les métaux et les combustibles fossiles, sont non renouvelables à tous les points de vue en ce qui concerne les humains, et que l’approvisionnement en ressources extractibles auxquelles on a accès est limité. Elle poursuit en disant que notre société approche peut-être des limites en ce qui a trait à la production mondiale de nombreuses ressources non renouvelables et que lorsque nous aurons atteint un sommet pour le pétrole, le gaz, le charbon, le phosphore, l’uranium et les minéraux, nous aurons plafonné à tous les égards.

Allez-vous présenter un amendement concernant cet enjeu, soit le cycle de vie des produits?

M. Roy : Je ne suis pas certain de savoir à quel document vous faites allusion.

La sénatrice McCallum : C’est un document de l’Agence de la santé publique du Canada.

M. Roy : Pour ce qui est de l’épuisement des ressources, oui, les ressources s’appauvrissent. Nous devons gérer nos ressources de manière à nous assurer que nous avons essentiellement une réponse durable aux problèmes et défis qui se poseront à l’avenir.

Comme l’a dit M. Monaco, il nous faudra de plus en plus d’énergie, pas seulement ici, mais partout sur la planète. L’énergie deviendra probablement le prochain champ de bataille, car tout le monde en réclamera de plus en plus.

En fait, tout le défi que constitue la transition énergétique repose sur notre manière de fournir cette énergie. Comment pouvons-nous fournir l’énergie nécessaire de la façon la plus durable qui soit? L’hydroélectricité peut parfois être la solution, dans certaines régions du monde. Sinon, ce peut être le gaz naturel ou le soleil à d’autres endroits.

En fait, nous devons chercher à l’échelle locale et internationale des réponses sensées pour aborder la transition énergétique en soi. L’évaluation mondiale dont nous parlons devrait tenir compte de l’épuisement des ressources.

Le sénateur Massicotte : Monsieur Monaco, nous avons reçu des tonnes de courriels, et en fait, l’un d’eux m’a fait réfléchir. Il commençait ainsi : « Nous devons avoir une discussion entre adultes. » Je dis cela, car, quand je vous écoute, je crains que vos attentes ne soient pas satisfaites. Ce n’est pas nous qui prenons la décision. Nous ne faisons que proposer des modifications. Toutefois, nous comprenons très bien ce que vous et les Canadiens avez à dire, et nous essaierons de trouver le meilleur équilibre possible.

Par exemple, vous dites que l’organisme de réglementation devrait être le principal organe qui procède à l’évaluation d’impact. Nous avons entendu beaucoup de témoins — de fait, les représentants du gouvernement en ont aussi parlé dans leur exposé —, dire qu’ils doutent de l’indépendance de l’organisme de réglementation. Puisqu’ils vivent et travaillent avec les acteurs de l’industrie, on ne croit pas que ces gens ou les membres de ces commissions soient les mieux placés pour prendre des décisions en ce qui a trait à l’évaluation d’impact.

Ce n’est pas moi qui décide, mais je ne pense pas que nous aurons la chance d’y parvenir.

Mon commentaire est le même en ce qui a trait à votre désir que la commission soit un organe très technique et scientifique et que nous retirions aux politiciens le pouvoir décisionnel. C’est à cause des changements apportés par l’ancien gouvernement il y a 10 ou 15 ans.

Pour y parvenir, il faudrait procéder à une restructuration majeure du projet de loi C-69 tel qu’il est présenté actuellement. J’imagine que cela est hors de question compte tenu de ce que veulent les Canadiens. Les Canadiens sont très suspicieux et extrêmement sensibles à propos des enjeux environnementaux. Ils ont besoin qu’on leur assure que le processus se fera d’une manière qui représente nos intérêts à long terme.

La même chose s’applique au processus judiciaire. Bon nombre d’études empiriques ont montré que, lorsqu’une approche n’est pas judiciaire et qu’elle est axée davantage sur la consultation du public autant aux plans et aux manières d’y arriver... Le Québec le fait, la Colombie-Britannique le fait, et ils arrivent à prendre la bonne décision beaucoup plus rapidement que s’ils appliquaient un processus judiciaire. C’est ce que démontrent certaines des études empiriques.

Qu’avez-vous à répondre à mon commentaire? Je vous comprends, je comprends vos souhaits, mais je ne suis pas certain que vos attentes soient raisonnables par rapport à ce qui peut être atteint.

M. Monaco : Merci de poser la question; il y a donc là une question.

De manière générale, nous sommes ravis d’avoir la possibilité d’énoncer notre point de vue. Nous sommes ici pour formuler des commentaires constructifs et vous donner notre opinion en toute honnêteté, après des décennies de travail dans des contextes réglementaires, pas seulement au Canada, mais aussi ailleurs. Je pense donc que nous avons acquis une certaine expérience dans le domaine.

Il est aussi important de comprendre que le contexte réglementaire actuel a connu son lot de réussites. Je reconnais que la confiance s’est détériorée dans le cadre de ce processus, mais ce qui est positif, c’est le type de gouvernance proposé pour la RCE. On établit une distinction entre la mise sur pied d’une commission indépendante et la prise de décisions. Je pense que c’est une bonne chose.

Essentiellement, on ne peut pas passer par un processus réglementaire pendant... celui de Gateway a pris 10 ans, et le processus réglementaire proprement dit a duré quatre ans. Il s’agissait d’un processus réglementaire indépendant fondé sur des données scientifiques, assorti de la consultation la plus exhaustive jamais tenue, pour quelque projet que ce soit. L’Office national de l’énergie a conclu que nous avions fait un excellent travail pour ce qui est de la conception. Il est arrivé à la conclusion que notre projet était de calibre mondial, que nous pouvions atténuer les effets et que cela était dans l’intérêt public du Canada. C’était l’examen indépendant le plus rigoureux qui soit.

On ne peut pas dépenser 650 millions de dollars pour atteindre cet objectif, puis voir le projet être annulé.

Je comprends ce que vous dites. Peut-être que les attentes sont trop élevées. Je ne sais pas; c’est à vous de décider. Nous sommes ici pour vous donner notre point de vue quant aux risques qu’il pourrait y avoir si le public ou les politiciens interviennent dans un processus alors qu’il a été prouvé pendant des décennies qu’un processus indépendant quasi judiciaire fonctionne très bien.

Le sénateur Massicotte : Je comprends cela et je suis d’accord. Si on regarde ces études réalisées au cours des 20 à 25 dernières années, on constate que le système est déficient. Il n’avantage personne, et je pense qu’il faut intervenir.

Permettez-moi de vous donner un exemple. Tout le monde dit vouloir de la certitude, et ce, dans un délai efficient. Dans le cadre du processus actuel, le promoteur dit : « Voilà ce que j’ai l’intention de faire. » Le public intervient. La commission s’en mêle et dit : « Voici ce que vous devez faire pour y parvenir. Vous devez me fournir telle ou telle preuve pour m’assurer que ces conséquences négatives ne l’emporteront pas sur les conséquences positives. »

Je comprends cela, mais les gens diront ensuite : « Nous devons être certains. Si je fournis précisément les preuves nécessaires, le gouvernement ou la commission devraient être également tenus de m’octroyer le permis si je satisfais à ces critères. »

Toutefois, les choses changent, des événements se produisent, et la technologie évolue. Je ne suis pas certain que le processus puisse être suffisamment hermétique pour être légalement contraignant, avec une liste exhaustive. Je suppose que, si un événement majeur survient, qu’on découvre une invention ou que quelque chose se produit, les Canadiens s’attendraient à ce qu’il y ait une certaine issue.

Je vous comprends, mais le processus ne sera pas irrévocable. Qu’avez-vous à répondre à cela?

M. Monaco : C’est un bon point. Le problème, c’est que lorsqu’on prend ces décisions pour des projets d’une durée de 30, 40 ou 50 ans, le processus doit être indépendant, car vous devez être en mesure de surmonter les changements au gouvernement. Si les choses changent aux trois ou quatre ans, il devient impossible d’investir dans une infrastructure à long terme.

Je reconnais le problème. Les choses changent, et nous le savons. Toutefois, les changements doivent se faire au moyen d’un débat sur la politique nationale et de mesures législatives qui définissent les paramètres de la stratégie énergétique. Adoptons une stratégie énergétique nationale qui dit : « Voici notre objectif climatique, social et économique, et voici comment nous travaillerons avec les peuples autochtones dans le cadre de cette stratégie. »

Une fois que nous avons brossé un portrait très général, que nous avons cette vision de haut niveau, nous connaissons ensuite la marche à suivre. L’évaluation indépendante peut simplement être menée en fonction de cette politique. À l’heure actuelle, nous essayons de résoudre tous les vastes problèmes stratégiques de portée nationale dans le cadre du projet, alors que je ne peux tout simplement pas tous les résoudre.

Le sénateur Patterson : Je vous remercie de votre exposé, monsieur Monaco. Je tiens à dire que je souscris à tout ce que vous avez dit. Je conviens avec vous que ce projet de loi est rempli d’éléments qui posent des risques de contestation judiciaire, en raison de nouveaux critères qui ne sont pas définis.

Ce projet a contribué au manque de confiance qui a entraîné la fuite des investissements en immobilisations dans le secteur de l’énergie que vous avez décrite. Il a miné l’approche « un projet, une évaluation » en scindant, en fragmentant et en échelonnant les processus d’octroi de licences et de réglementation du cycle de vie dans le contexte des évaluations d’impact. On a politisé le processus, tout comme dans le cas de la perte considérable qu’a subie votre société; merci de nous avoir fait part de ces difficultés.

Peut-être que le gouvernement aurait dû apporter des modifications mineures à la LCEE 2012 en réponse aux préoccupations qui y étaient liées, plutôt que de déposer un document complexe de 358 pages à la fin de son mandat dans le but d’apporter des modifications, et d’essayer de le faire adopter en vitesse par le Parlement. Nous avons des délais très serrés pour effectuer ces travaux, comme vous le savez.

Cela dit, j’ai une question très brève à vous poser. Nous avons une liste d’amendements plutôt exhaustive qui a été présentée par l’Association canadienne des producteurs pétroliers, en collaboration avec l’Association minière du Canada et d’autres intervenants concernés. À titre de membre de l’Association canadienne des producteurs pétroliers, appuyez-vous, en plus des recommandations que vous avez formulées aujourd’hui, la série de recommandations élaborées par l’Association canadienne des producteurs pétroliers qui ont été présentées à notre comité?

M. Monaco : En fait, notre société est membre de l’Association canadienne de pipelines d’énergie.

Le sénateur Patterson : Je suis désolé.

M. Monaco : Il n’y a pas de souci. Ces organismes sont très cohérents. Habituellement, les associations sont sur la même longueur d’onde, et cela renvoie à mon commentaire précédent. Nous avons mené beaucoup de consultations et tenu beaucoup de discussions non seulement avec ces groupes, mais avec de nombreux groupes, y compris des investisseurs, et, de façon générale, ils ont le même message.

À moins que vous ayez un point de vue différent, nous serions à l’aise avec l’adoption de ces amendements.

Mme Salamucha : Sénateur, je crois que la liste d’amendements que vous avez sous la main contient les amendements élaborés conjointement par l’Association canadienne des producteurs pétroliers et l’Association canadienne de pipelines d’énergie et leurs sociétés membres. Donc, elles sont identiques.

Le sénateur Patterson : Merci.

[Français]

Le sénateur Forest : J’ai une question pour M. Monaco.

On est dans une situation où les besoins en énergie augmentent. Par contre, on est dans un univers, un monde où les gens sont de plus en plus sensibilisés aux enjeux d’émission de gaz à effet de serre. La notion d’acceptabilité sociale est incontournable dans le cadre de la réalisation de projets, et on l’a vu à maintes occasions au Québec. Je pense au gaz de schiste, entre autres. Je pense à différents projets où des gens se sont vraiment mobilisés.

Je posais la question plus tôt. Le processus en place actuellement a pratiquement perdu toute crédibilité. C’est un processus qui mobilise les opposants, mais qui ne crée pas un environnement favorable à une atteinte mutuelle d’objectifs dans la réalisation de projets, mais sans hypothéquer les générations qui suivent.

Selon vous — quand on regarde le projet de loi C-69 et les modifications proposées —, ce nouvel environnement législatif est-il plus favorable pour l’industrie que d’adopter le projet de loi C-69 avec ses imperfections — en essayant d’y apporter les modifications les plus pertinentes —, mais en ne menaçant pas de tuer ce projet de loi là?

[Traduction]

M. Monaco : Je vous remercie de votre question. Je vais simplement formuler ce commentaire pour commencer. De façon générale, nous appuyons l’intention du gouvernement d’améliorer le processus visant à renforcer la confiance, pour dire les choses ainsi. Je crois que votre observation est juste en ce qui concerne les préoccupations des gens et leur confiance à l’égard du processus.

Nous avons examiné ce point de vue, mais nous sommes arrivés à la conclusion que, quand on prend le projet de loi dans son ensemble et qu’on tient compte de son but énoncé, qui, nous le reconnaissons, tient à l’amélioration du processus, il n’atteint pas l’objectif.

Nous en sommes au point où nous avons communiqué certains amendements qui, à notre avis, rendraient le projet de loi au moins applicable, si je puis dire les choses ainsi. Toutefois, il faut garder une chose à l’esprit. On doit reconnaître les problèmes liés à la confiance et au processus réglementaire. Si on examine les deux projets visés, soit celui de Northern Gateway et, plus récemment, celui de Trans Mountain, le processus réglementaire et l’examen environnemental étaient extrêmement rigoureux. Ce n’est pas ce qui a mené à leur suspension ou qui fait qu’ils sont suspendus en ce moment. Cette situation tient à la consultation du gouvernement fédéral quant à des questions liées aux Autochtones. C’est l’angle juridique qui a permis à certains d’obtenir du succès dans ces deux cas, ce qui est un fait intéressant.

À titre d’investisseurs et de constructeurs d’infrastructure, nous sommes à l’aise avec les processus actuellement en vigueur. Toutefois, nous reconnaissons que l’on pourrait apporter certaines améliorations. Il faut centrer notre attention sur la question de savoir quelles seraient les meilleures améliorations à apporter. Il ne faut pas reculer et créer davantage de possibilités de contestation judiciaire et de politisation.

Je conviens, tout comme vous, que l’on pourrait apporter des améliorations, mais il y a actuellement des problèmes importants concernant le contenu du projet de loi et l’objectif fixé par le gouvernement.

Le sénateur Forest : Merci.

La présidente : Je remercie sincèrement nos témoins.

[Français]

Nous accueillons maintenant, pour notre quatrième groupe, de l’Institut économique de Montréal, M. Daniel Dufort, directeur des relations externes. Il est accompagné de M. Germain Belzile, chercheur associé sénior. Nous recevons aussi l’organisme Équiterre, représenté par M. Sidney Ribaux, cofondateur et directeur général, et Mme Caroline Brouillette, chercheure en politiques publiques.

Monsieur Dufort, si vous voulez commencer.

Daniel Dufort, directeur des relations externes, Institut économique de Montréal : Merci beaucoup de nous recevoir aujourd’hui. Merci au comité et à ses membres.

L’IEDM s’intéresse depuis plusieurs années aux secteurs pétrolier et gazier. On a eu la chance d’effectuer plusieurs études sur ce sujet et d’intervenir fréquemment dans les médias à cet égard. Par souci de transparence totale, je soulignerais qu’environ 5,5 p. 100 du financement de l’institut provient de ce secteur économique.

En 2017, l’industrie pétrolière et gazière représentait environ 240 000 emplois directs au Canada, 10 p. 100 du PIB et le tiers des dépenses en immobilisation au pays. Or, la complexité et l’imprévisibilité du cadre réglementaire canadien, ainsi que des amendements qui sont proposés ont contribué à la fuite de certains investissements des projets qui ont avorté, certains qui ont été approuvés par le régulateur et ensuite refusés par des politiciens, et tout ça entraînent une situation économique plus difficile dans l’ouest du pays.

Les délais d’approbation que l’on voit au Canada sont supérieurs à ceux dans des pays qui sont compétiteurs du Canada, comme les États-Unis, outre la Californie, qui représente une exception à la règle, mais c’est un handicap assez important pour notre industrie face à ces compétiteurs les plus directs.

Or, il y a des solutions pragmatiques et pratiques qui peuvent être mises en place, mises de l’avant afin de pallier ces problèmes. Mon collègue, M. Belzile, pourra vous en parler davantage.

Germain Belzile, chercheur associé sénior, Institut économique de Montréal : Merci, Daniel. Alors merci beaucoup au comité.

Alors il convient, je pense, maintenant de parler du véritable désavantage canadien quand on parle du cadre réglementaire en vigueur. Dans le cas d’un projet comme Trans Mountain, il se serait écoulé plus de huit ans entre le dépôt du projet et la décision du gouvernement sur sa recevabilité. D’autres projets comme Northern Gateway peuvent recevoir l’approbation du régulateur et ensuite obtenir une fin de non-recevoir de la part du gouvernement. En fait, 79 mois après le dépôt du projet, il y a eu une annulation de la part du gouvernement fédéral.

Ces situations, ces délais hors norme, ces situations sont nuisibles à l’économie canadienne, à l’industrie et à nos travailleurs. Nous avons d’ailleurs sondé les Québécois, par l’entremise de Léger, et je pense que plusieurs personnes sont au courant déjà des résultats de ces sondages. La grande majorité des Québécois préfèrent consommer du pétrole de l’Ouest canadien par rapport à du pétrole importé, et une claire majorité de Québécois préfèrent que ce pétrole soit transporté par pipeline plutôt que par d’autres façons. Il y a vraiment un clair avantage aux pipelines, selon les Québécois.

Nous proposons donc certaines mesures concrètes afin de guider votre réflexion. Premièrement, lorsque les délais prévus dans la loi sont dépassés par l’organisme réglementaire, celui-ci devrait faire face à des sanctions budgétaires. Alors ça existe déjà dans d’autres pays. Aux États-Unis, particulièrement, des sanctions sont déjà prévues par la loi lorsque des délais maximums donnés aux organismes réglementaires sont dépassés. Des sanctions sont imposées aux organismes réglementaires.

Deuxièmement, le pouvoir discrétionnaire des politiciens de bloquer un projet une fois que celui-ci a reçu toutes les approbations nécessaires devrait être éliminé. Il est, à notre avis, inconcevable qu’on puisse passer par tout le processus d’approbation et qu’à la toute fin ça soit annulé, un peu comme, en fait, on a procédé pour Northern Gateway. Cela crée une incertitude extrêmement importante qui est très, très nuisible à l’investissement. D’ailleurs, on a vu, au cours des dernières années, l’investissement canadien, l’investissement étranger au Canada, qui a fortement diminué.

Aux États-Unis, le processus devient moins politisé, alors qu’on a enlevé le rôle du secrétariat d’État, par exemple, dans des décisions pour ce qui est de plusieurs processus. Ici, il devient potentiellement plus politisé avec ce projet de loi.

Troisièmement, les règles du jeu ne devraient pas changer en cours de route, comme cela a été le cas dans le dossier d’Énergie Est. Alors ça, c’est vraiment un « deal breaker »pour nous. Si une entreprise de bonne foi peut dépenser des centaines de millions de dollars, voire des milliards de dollars, dans un processus, et se faire dire en cours de route que les règles ont changé — par exemple, parce qu’on incorpore les émissions de gaz à effet de serre non pas seulement dans le transport du pétrole, mais au cours de tout le cycle de vie —, on modifie sensiblement les règles de jeu ici, et ça ne devrait pas être dans une loi.

Quatrièmement, les entreprises devraient être indemnisées pour les dommages causés par les dépassements de délais, et ce, de façon proportionnelle au dépassement. La logique derrière cette proposition est assez simple. De la même façon qu’un citoyen fait face à des conséquences lorsqu’il ne respecte pas les délais fixés par le gouvernement, pour ce qui est de sa déclaration d’impôt, par exemple, la même obligation devrait être imposée au gouvernement lorsqu’il ne respecte pas lui-même ses propres délais. Une compensation devrait être versée aux gens qui sont lésés par ça.

Alors je pense que cela fait pas mal le tour. J’aimerais conclure en disant que, bref, tout ce qui crée de façon importante et inutile de l’incertitude devrait être mis de côté dans le projet. Je pense qu’il faut revoir de nombreux éléments du projet de loi.

La présidente : Merci beaucoup.

Sidney Ribaux, cofondateur et directeur général, Équiterre : Bonjour. Je vous souligne que je suis accompagné de Caroline Brouillette, qui est chercheure principale chez nous à Équiterre et qui suit le dossier énergétique.

Chers sénateurs, j’hésite à vous remercier de l’invitation pour témoigner aujourd’hui. Le point de vue que je vais vous exprimer est essentiellement un point de vue que le débat sur l’évaluation environnementale et le projet de loi C-69 ont fait. Votre responsabilité comme sénateurs est de l’adopter à ce point-ci, dans l’avancement du débat. Je vais m’expliquer un peu dans les notes qui suivent.

Rappelons-nous que le projet de loi C-38 — qui avait été adopté comme un projet de loi omnibus dans le budget de 2012 du gouvernement Harper — avait considérablement affaibli l’évaluation environnementale au Canada, pour ne pas dire qu’il avait charcuté les lois d’évaluation environnementale au pays. Ces changements majeurs à la loi ont été adoptés en trois mois, sans possibilité d’amendement et sans aucune consultation publique.

Nous avons subi les conséquences négatives de ces changements au cours des huit années suivantes, et on est toujours régis au Canada en fonction de ces lois.

Pour ce qui est du projet de loi C-69 devant vous aujourd’hui, un processus de consultation exemplaire de trois ans a été mené. Un comité d’experts sur les processus d’évaluation environnementale de quatre personnes qui a visité 21 municipalités; un comité d’experts sur la modernisation de l’Office national de l’énergie; un comité multilatéral consultatif composé de représentants de l’industrie, des groupes écologiques, des peuples autochtones, qui offre des conseils à la ministre de l’Environnement; le comité de la Chambre des communes qui a reçu plus de 250 mémoires et entendu plusieurs témoins sur la Loi sur les eaux navigables; une consultation en ligne du document de travail du gouvernement intitulé Examen des processus d’évaluation environnementale et réglementaire : approche proposée. Le comité de la Chambre des communes qui a fait l’étude du projet de loi au printemps 2018 a entendu plus de 100 témoignages et a apporté plusieurs amendements.

Vous conviendrez qu’entre les deux processus, il y en a un, il me semble, où on a suffisamment consulté. Nous avons donc tous eu amplement l’occasion de nous prononcer en tant qu’organismes, citoyens, chercheurs, industries, et autres experts.

Mentionnons également que des représentants de diverses industries étant à la table depuis le début, le projet de loi devant vous est donc le résultat de longues négociations et de compromis. Il est ainsi prêt à être adopté.

Le projet de loi comble, entre autres, un déficit majeur dans le processus d’évaluation environnementale précédent, encore une fois, qui avait été modifié en 2012 et qui avait donné à l’Office national de l’énergie la responsabilité d’évaluations environnementales. Cet organisme a un manque d’impartialité et d’expertise évident en la matière. Les décisions de l’Office national de l’énergie ont d’ailleurs fait l’objet de multiples recours légaux et ont ainsi retardé plusieurs projets.

La nouvelle Régie de l’énergie proposée par le projet de loi C-69 est un mécanisme amélioré qui préviendra de tels conflits d’intérêts, et elle ne pourra plus diriger les commissions d’examen environnemental.

On est en 2019. La science sur les changements climatiques n’est plus contestée par qui que ce soit. Le Secrétaire général des Nations-Unies nous a récemment envoyé le message qu’on a 12 ans pour renverser la tendance sur les émissions de gaz à effet de serre. Le 15 mars dernier — vous allez en entendre parler cet après-midi aussi, mais je pense que c’est important de le dire —, 1,5 million d’étudiants dans 125 pays, de 2 000 villes de la planète, ont fait la grève pour protester contre l’inaction des gouvernements sur le climat. De ce 1,5 million d’étudiants, 150 000 au Québec, 150 000 étudiants du secondaire et du CÉGEP qui n’ont pas été à leurs cours pour protester contre l’inaction des gouvernements.

La contribution d’un projet aux émissions de GES est donc essentielle dans l’évaluation d’un projet et en lien avec les obligations qu’on a sur l’Accord de Paris, notamment. Donc, les éléments dans le projet de loi qui nous amènent à ce qu’on pourrait appeler un test climat, ce n’est pas la proposition d’Équiterre ou des groupes environnementaux, c’est le résultat d’un compromis de tout ce processus de consultation dont je vous ai parlé.

Je conclurai en vous disant que les Canadiennes et les Canadiens s’attendent beaucoup plus de leur gouvernement à l’égard des changements climatiques. La prochaine génération notamment ne nous pardonnera pas si on n’agit pas sur la question des changements climatiques et de l’environnement, et ce projet de loi C-69 est un des éléments que le gouvernement actuel doit adopter. Votre responsabilité comme sénateurs, c’est de l’adopter sans amendements supplémentaires. Merci.

La présidente : Merci beaucoup.

Nous allons maintenant passer à la période de questions.

[Traduction]

Le sénateur MacDonald : Merci de vos exposés. Je vais adresser mes questions aux représentants de l’Institut économique de Montréal.

L’acceptabilité sociale est une expression qui est bien souvent galvaudée; on l’associe à la construction de pipelines et à la réalisation de nombreux autres projets. Bien entendu, l’Amérique du Nord est sillonnée de pipelines, en particulier les régions de l’Est et du Centre. Le Québec compte de nombreux pipelines et beaucoup de pétrole est maintenant acheminé de l’ouest vers l’est, vers le Québec. Beaucoup plus de pétrole a été acheminé au cours des dernières années. Cela ne semble pas avoir beaucoup dérangé les résidants du Québec; ils ne semblent pas réagir très différemment à cette situation.

Beaucoup de médias et de porte-parole font tout le temps des déclarations et affirment : « C’est ce que le Québec veut. » Ensuite, je constate qu’il y a beaucoup de gens au Québec qui font preuve de sens pratique et de bon sens et qui souhaitent avoir un bon mode de vie.

Quand j’examine des chiffres qui concernent le soutien à l’égard des pipelines et de l’utilisation de pétrole canadien au Québec, ils semblent montrer un appui important. Pourriez-vous nous faire part de vos réflexions et de votre point de vue sur ce sujet?

M. Belzile : Je vous remercie de votre question, sénateur. À mon avis, il y a un gros problème concernant le concept de l’acceptabilité sociale. De fait, je n’ai jamais vu de définition claire de ce que signifie l’acceptation par une majorité de gens.

Par ailleurs, je crois qu’une minorité de gens, disons, font beaucoup entendre leur voix au Québec à ce sujet, et qu’il y a aussi une majorité de Québécois qui ne s’opposent pas entièrement à ce qu’il y ait de nouveaux pipelines au Québec. Ainsi, je crois que la question qui se pose plutôt est celle de savoir à quel endroit les construire et de quelle façon mener l’ensemble du processus. Peut-être que la création de corridors d’énergie serait une bonne solution; c’est une idée qui circule en ce moment.

En somme, je ne crois pas qu’il existe un gros problème quant à l’acceptabilité sociale au Québec, et je ne crois pas que ce devrait être un critère inclus dans la loi.

Nous avons atteint un très haut niveau de vie dans l’Ouest. Je ne parle pas de l’Ouest canadien, je parle plutôt de l’Occident, c’est-à-dire de la civilisation occidentale. Un grand nombre de personnes soutiennent que cela est dû, en grande partie, à la primauté du droit. La primauté du droit est incluse dans la constitution et dans la législation de différents pays. Le fait d’inclure l’acceptabilité sociale dans la législation enfreint ce principe, parce que cela crée beaucoup de pouvoirs discrétionnaires, et que ce concept peut s’appliquer à n’importe quoi. De fait, il peut servir à justifier n’importe quelle mesure prise par des gouvernements.

Je crois que nous devrions nous tenir très loin du concept d’acceptabilité sociale. Les élections servent à exprimer la volonté de la population. Si les gens n’aiment pas les politiques du gouvernement, eh bien, ils éliront quelqu’un d’autre.

Je ne suis pas d’avis que des processus qui doivent être équitables et clairs devraient comprendre des critères aussi flous que l’« acceptabilité sociale ».

Le sénateur MacDonald : J’ai une question à poser à M. Ribaux. Tout d’abord, il y a probablement quelques points desquels nous convenons tous les deux. Sur la côte Est du Canada, on gère environ 283 millions de tonnes métriques de pétrole, de pétrole lourd, chaque année. Environ la moitié de cette quantité passe par Terre-Neuve, c’est-à-dire que cela inclut les exportations et les importations. Environ 100 millions de tonnes métriques de pétrole remontent le golfe du Saint-Laurent, la Voie maritime du Saint-Laurent et l’estuaire, et toute cette quantité traverse les eaux de la Nouvelle-Écosse.

On ne peut acheminer du pétrole jusqu’ici sans traverser nos eaux. Nous n’en tirons aucun bénéfice. Nous nous exposons aux risques, sans pour autant en tirer de bénéfice. Vous êtes ceux qui en tirent un avantage économique, ce qui ne nous dérange pas.

Disons que nous souhaitons acheminer ce pétrole autrement que par les voies maritimes, ce que j’aimerais voir se concrétiser. Il faut du pétrole pour alimenter les raffineries au Québec. La façon la plus sécuritaire pour l’acheminer jusqu’aux raffineries serait d’utiliser un pipeline, comme ce qui se fait en ce moment. Seriez-vous favorable à l’élimination du transport par le golfe et l’estuaire du Saint-Laurent du pétrole destiné au Québec et au fait d’acheminer plutôt du pétrole par pipeline en provenance de l’Ouest canadien?

M. Ribaux : Je ne suis pas certain de comprendre le lien avec le projet de loi à l’étude, mais je peux répondre avec plaisir à votre question.

Actuellement, au Québec, la capacité d’acheminement par pipeline excède nos besoins. Les besoins du Québec se situent à environ 300 millions de barils par jour, et il y a environ trois fois cette quantité qui provient de l’Ouest et de la côte Est directement vers le Québec.

La position d’Équiterre, et de la plupart des groupes écologiques au Canada, c’est non pas de dire que nous devons cesser d’utiliser du pétrole demain matin, mais plutôt de faire valoir que nous devons cesser d’en produire davantage. Nous devons plafonner la production et finir par la réduire. Quant à la construction de pipelines, si vous ne construisez pas des pipelines en fonction de la capacité de production existante, vous les construisez en fonction de nouvelles capacités de production.

Le sénateur MacDonald : Cela ne répond pas à ma question.

M. Ribaux : Je suis désolé.

Le sénateur MacDonald : Nous partageons les risques avec les Québécois à leur avantage. Cela ne nous dérange pas de partager ces risques, mais nous préférerions acheminer le pétrole autrement que par voie maritime, c’est-à-dire sortir le pétrole du golfe.

M. Ribaux : Je suis désolée, vous avez raison. Je suis d’accord avec vous. Sortons le pétrole des pétroliers et acheminons-le dans les pipelines existants.

Le sénateur MacDonald : Donc, vous préféreriez que le pétrole soit acheminé par...

La présidente : Merci beaucoup. Nous allons passer à la prochaine question. Sénatrice McCallum, vous avez la parole.

La sénatrice McCallum : Merci. Je vais m’adresser à M. Dufort. Il s’agit de la même question que j’ai posée à M. Monaco.

Pour faire en sorte de maintenir le réchauffement planétaire sous le seuil de 2 p. 100, on a évalué qu’on ne peut ajouter plus de un billion de tonnes métriques de carbone dans l’atmosphère, et nous avons déjà dépassé ce seuil. Si nous continuons, nous dépasserons un billion de tonnes métriques dans les années 2040.

Il est important de comprendre que si nous brûlons toutes les ressources de combustibles fossiles, nous pourrions grandement dépasser le seuil de 2 degrés Celsius, ce qui mène aux propositions voulant que 80 p. 100 des réserves de combustibles fossiles connues ne devraient jamais être utilisées.

Selon un rapport récent, au Canada, même en utilisant les technologies existantes de capture et de stockage de carbone, 74 p. 100 des réserves de pétrole, 99 p. 100 du nouveau pétrole — c’est-à-dire les sables bitumineux de l’Alberta —, 71 p. 100 des réserves de gaz non classique — c’est-à-dire issues de la fracturation hydraulique — et 75 p. 100 du charbon ne pourront être brûlés.

Cette quantité de carbone ne pouvant être brûlée devient un actif inutilisable et entraîne une lourde responsabilité pour l’industrie des combustibles fossiles, et ceux qui y ont investi, notamment les fonds de retraite.

Pourriez-vous donner des commentaires à ce sujet?

[Français]

M. Dufort : Merci beaucoup de votre question, madame la sénatrice.

Je crois qu’il n’y a personne qui se questionne sur l’urgence d’agir en ce qui a trait aux changements climatiques. La question est plutôt sur les moyens qui sont les plus efficaces. Ce que l’on constate avec un projet de loi comme celui-ci, c’est que l’on tente de limiter les moyens de production, donc d’affecter l’offre énergétique plutôt que de s’attaquer au problème qui est plutôt la demande, puisque l’offre viendra d’ici ou elle viendra d’ailleurs. Elle ne changera pas et va toujours satisfaire la demande.

Alors c’est avec le progrès technologique qu’on veut s’attaquer à l’enjeu de la demande pour des sources énergétiques plus polluantes plutôt qu’en s’attaquant à la question de l’offre énergétique.

[Traduction]

La sénatrice McCallum : Merci.

Le sénateur Mercer : Je souhaite poursuivre à la suite des questions du sénateur MacDonald.

Cette situation me frustre un peu. L’ancien maire de Montréal, M. Coderre, s’est opposé publiquement au projet Énergie Est et à tout projet de pipeline qui traverserait le Québec à destination de la région de l’Atlantique. Il ne s’est pas opposé aux paiements de péréquation qui sont issus de la vente de pétrole albertain et envoyés à Québec pour être ensuite distribués dans toute la province. Il ne s’est pas opposé à cela.

Ce que je ne comprends pas, c’est pourquoi les Québécois ont comme position officielle de s’opposer au projet Énergie Est alors que, si ce projet était réalisé, nous prendrions du pétrole de l’Alberta pour l’acheminer jusqu’à l’océan. Nous pourrions vendre du pétrole albertain sur les marchés internationaux, à des prix offerts sur ces marchés, et non à des prix réduits, comme c’est le cas quand nous le vendons aux Américains. Nous pourrions acheminer le pétrole de l’Alberta vers les plus grandes raffineries du pays, situées à Saint-John, au Nouveau-Brunswick.

En passant, nous avons appris hier, en discutant avec des représentants d’Irving, qu’un de leurs importants fournisseurs de pétrole est la société Hibernia, de Terre-Neuve-et-Labrador. Donc, ils sont prêts à faire affaire avec des entreprises canadiennes; pourquoi y a-t-il un blocage? Nous pouvons acheminer le pétrole là-bas par train, mais je crois que nous devrions sonder les résidants de Lac-Mégantic à propos d’un pipeline. Je soupçonne qu’ils seraient les premiers à soutenir un tel projet de pipeline.

Ce que je ne comprends pas non plus, c’est pourquoi le maire de Montréal s’est opposé à la création d’emplois pour des Québécois qui auraient pu construire le pipeline, et pour les Autochtones du Québec, qui auraient pu aider à assurer l’entretien des oléoducs bâtis sur leur territoire. Je ne comprends pas le manque de vision et le fait de dire : « Oui, acheminez le pétrole à Montréal pour approvisionner nos raffineries, mais, pour ce qui est des autres, nous ne nous soucions guère de vous. »

Je veux poser une question très simple : si nous pouvions acheminer le pétrole albertain jusqu’à l’océan et étions en mesure de le vendre à d’autres clients, qui s’approvisionnent auprès de quelqu’un d’autre de toute façon, aux prix en vigueur sur les marchés internationaux, cela signifierait que l’Alberta ferait plus d’argent. Quand l’Alberta fait plus d’argent, devinez quoi? Il y a plus d’argent de disponible pour les paiements de péréquation. Devinez qui reçoit des paiements de péréquation? Les cinq provinces de l’Est, et cela inclut la province de Québec.

Je ne comprends pas la vision à court terme...

La présidente : Je dois vous interrompre, sénateur Mercer.

Le sénateur Mercer : Quelqu’un peut-il me l’expliquer?

La présidente : Je ne sais pas si elle contenait une question, mais quelqu’un souhaite-t-il formuler des commentaires sur cette déclaration?

M. Ribaux : Ce que je peux dire à cet égard, aux fins d’information pour le sénateur, c’est qu’Équiterre est un groupe écologiste dont la plupart des membres proviennent du Québec, mais, de toute évidence, nous ne représentons pas la ville de Montréal, l’ex-maire de Montréal, le gouvernement du Québec ni le premier ministre du Québec, ni aucun autre élu. Je ne peux parler au nom de ces personnes.

Ce que je peux dire, c’est que le projet de loi qui est à l’étude n’en est pas un qui affirme qu’on ne veut pas construire de nouvelles infrastructures, même si c’est là la position de notre organisme, et je crois que c’est la position adoptée par les scientifiques en ce moment en ce qui concerne les infrastructures relatives aux combustibles fossiles. Ce n’est pas ce qui est dit dans le libellé du projet de loi. Selon le contenu du projet de loi C-69, on énonce certains critères, des critères rigoureux, pour évaluer de futurs projets et pour mener, par exemple, une analyse — qui n’est pas très solide à mon avis — des effets liés au climat et à nos engagements sur le plan international.

On ne dit pas dans le texte qu’on ne pourra pas construire d’infrastructure pour l’industrie du pétrole et du gaz. Personnellement, c’est ce que j’aimerais voir être énoncé, mais ce n’est pas le cas. Nous sommes tout de même d’avis qu’il s’agit d’un pas dans la bonne direction et d’une amélioration par rapport à la mesure législative précédente en ce qui concerne les évaluations environnementales fédérales.

M. Belzile : Puis-je ajouter quelque chose? Je partage le point de vue de M. Mercer. Je suis étonné, en fait, qu’il n’y a pas d’opposition importante à la production de pétrole ni à son transport dans la plupart des pays développés. En Norvège, par exemple, il n’y a aucun problème à cet égard. À ma connaissance, il n’y a pas de nombreux écologistes qui s’y opposent non plus.

L’Alberta est tout simplement une cible très facile, disons-le, parce que la province n’a pas d’accès à l’océan. Je crois que nous ne devrions pas, en principe, nous placer dans une situation difficile concernant le pétrole, parce que, comme mon collègue Daniel Dufort l’a dit, le problème ne réside pas dans la production. S’il n’est pas produit en Alberta, le pétrole sera produit ailleurs. La production augmente très rapidement aux États-Unis et à bien d’autres endroits. Le problème tient à la demande, et la solution y est liée.

L’opposition à la construction de pipelines et à d’autres infrastructures n’apportera pas de solution; ce sont les progrès technologiques qui règlent la question.

[Français]

Le sénateur Pratte : Ma question s’adresse aux deux groupes de témoins. On a entendu ce matin le témoignage du ministre de l’Environnement du Québec qui a proposé plusieurs amendements qui visent, si on comprend bien ce qu’il nous a dit, à protéger la compétence constitutionnelle du Québec, mais surtout à donner — presque dans tous les projets qui seraient étudiés — le leadership au gouvernement du Québec, au processus québécois et au BAPE sur le processus fédéral, même quand les compétences fédérales sont interpellées.

Alors, j’aimerais savoir, de la part des témoins, si de tels amendements sont nécessaires et justifiés. Je sais, monsieur Ribaux, que vous avez recommandé qu’il soit adopté sans amendement, mais on a des propositions d’amendements devant nous, alors j’aimerais savoir ce que vous en pensez.

M. Ribaux : Bon, premièrement, je dois vous dire qu’on est d’accord sur le principe « un projet, une évaluation », évidemment dans la mesure où ça prend en considération à la fois les lois et règlements des deux paliers de gouvernement. Notre analyse, c’est que le projet de loi permet cela et n’empêche pas du tout, par exemple, qu’il y ait une entente entre Québec et Ottawa qui, de façon en amont, identifie quels projets feraient l’objet d’une évaluation conjointe ou seraient mêmes délégués à Québec.

À notre avis, le présent projet de loi n’empêche pas l’objectif ultime qui est exprimé par le gouvernement du Québec, soit de s’assurer que, et pour les citoyens et les organisations comme les nôtres, et pour les entreprises, qu’on ne passe pas à travers deux, trois, quatre, cinq processus d’évaluation environnementale et de consultation pour un seul projet.

M. Dufort : Du côté de l’IEDM, on est également d’accord avec le principe d’avoir une seule évaluation. Cela dit, on n’a pas d’opposition en tant qu’institut sur la question concernant le partage des compétences. Merci beaucoup.

Le sénateur Pratte : Monsieur Ribaux, rapidement, vous dites que le projet de loi dans sa forme actuelle pourrait répondre aux souhaits du gouvernement du Québec. Il y a un mécanisme de substitution qui est prévu dans le projet de loi, mais à Québec on semble croire que ce processus-là mènerait à une sorte d’évaluation d’un projet qui soit supervisé par le gouvernement fédéral, du moins on nous dit que c’est l’expérience passée qui les instruit à cet égard-là.

Vous croyez plutôt que le processus de substitution prévu par le projet de loi C-69 permettrait aux deux gouvernements de s’entendre pour arriver à « un projet, une évaluation »?

M. Ribaux : Oui.

La sénatrice Simons : Je pense que mes questions sont presque les mêmes que le sénateur Pratte, mais je vais tout de même les poser.

Ce matin, nous avons écouté le ministre Benoit Charette nous dire que le Québec devrait avoir le pouvoir de mener la majorité des évaluations. Il a dit que cette province doit avoir la flexibilité de déterminer le régime d’évaluation le mieux adapté aux projets qui relèvent principalement des compétences provinciales.

Avez-vous la même confiance envers les régimes provinciaux ou préférez-vous le régime proposé par le projet de loi C-69?

M. Ribaux : Bien, s’il s’agit de savoir si on a confiance dans le processus d’évaluation environnementale québécois, la réponse est oui. Ce n’est pas un processus parfait — la perfection n’est pas de ce monde —, mais c’est un processus qui suscite une assez grande confiance. Au Québec, et pour notre part, pour avoir participé à plusieurs processus, c’est un processus qui est rigoureux et qui permet à la fois d’entendre des citoyens, des experts, des organisations et le point de vue de l’industrie. Donc, c’est un processus dans lequel on a confiance, tout comme on aurait confiance dans le processus qui émergerait du projet de loi qui est à l’étude.

Selon nous — que ce soit l’un ou l’autre ou une combinaison des deux, dans la mesure où tous les éléments sont bien évalués et que les lois fédérales et les lois provinciales soient toutes considérées —, il est plus simple pour l’entreprise d’avoir un seul processus.

C’est aussi plus simple pour les citoyens de participer à un seul processus bonifié. Le projet d’un gazoduc avec une usine de gaz naturel liquéfié qui est en cours, on le considère comme deux projets et potentiellement trois projets étant donné que cela implique aussi le transport maritime. Alors là, ce projet pourrait faire l’objet de six évaluations environnementales. C’est un énorme projet et extrêmement complexe pour les deux côtés qui sont impliqués dans le débat. Alors on est d’accord pour simplifier le processus.

Le sénateur Carignan : Ma question s’adresse à M. Ribaux.

Je veux juste bien comprendre. C’est sûr que, quand on témoigne, quand on fait un discours, on peut en mettre un peu plus. Je comprends ça. J’ai déjà fait des discours. Toutefois, arrive le temps d’étudier les projets de loi, d’identifier et d’adopter les amendements pour ensuite les retourner à la Chambre, et c’est notre responsabilité première en tant que sénateurs.

On a entendu des centaines de témoins. On a eu des centaines de propositions d’amendements pour bonifier le projet de loi, entre autres, de groupes environnementaux, de groupes provenant du gouvernement du Québec — tous ces groupes jouent pleinement leur rôle de protection de l’environnement —, des témoins comme M. Côté, afin de revoir la définition de la durabilité et comment on peut améliorer tout ça.

Toutefois, vous nous dites aujourd’hui, à peu près en une phrase, que votre responsabilité, c’est de ne pas l’amender, c’est de l’adopter tel qu’il est. J’ai l’impression que vous nous dites que notre responsabilité, c’est d’abdiquer notre responsabilité.

Je sens une contradiction par rapport à tout ce qu’on a entendu. Pouvez-vous simplement nous en dire plus et, s’il vous plaît, me rassurer que ce n’était pas le sens de vos propos?

M. Ribaux : Ma préoccupation est au niveau de la démocratie dans laquelle on vit. Il y a un projet de loi encore une fois en 2012 qui a été charcuté. Il y a un gouvernement qui s’est présenté devant les Canadiens et les Canadiennes en disant : « Moi, je vais rétablir ces lois environnementales ».

Il y a eu un processus extrêmement démocratique et exhaustif qui a été mené par le gouvernement et la Chambre des communes pour en arriver au projet de loi.

On est à quelques semaines de la fin de la session parlementaire, et évidemment la crainte que nous avons, c’est que le projet meurt au Feuilleton. La crainte que nous avons, c’est que cette tournée que vous faites et l’ampleur de la consultation que vous faites. Je ne dis pas que vous n’aviez pas à l’étudier, faire des amendements ou faire le travail que vous deviez faire comme sénateurs. Ce n’est pas ça que je dis.

Ce que je dis, c’est qu’une fois que les délais se sont écoulés et compte tenu du rôle du sénat par rapport au rôle des députés élus à la Chambre des communes, vous ne pouvez pas faire en sorte qu’un projet de loi comme celui-là, qui est essentiel au mandat du gouvernement, qui est fondamental aux engagements pris par ce gouvernement élu majoritairement, meurt au Feuilleton.

C’est ça, notre point de vue. C’est ça, notre grande préoccupation, d’où notre position, à savoir qu’on ne pense pas que le projet de loi est parfait. Ce qu’on vous dit, c’est qu’on a eu plusieurs occasions de faire nos commentaires. Les gens ont eu plusieurs occasions de faire des commentaires et le gouvernement et la Chambre des Communes ont mis un projet devant vous.

Alors la préoccupation concerne les délais.

Le sénateur Carignan : Vos propos me rassurent. Ce que vous dites, c’est : « Faites votre travail, mais s’il vous plaît ne faites pas de mesures dilatoires pour que le projet de loi meure au Feuilleton. S’il y a des amendements à apporter, faites-les, mais de façon diligente, afin que la Chambre des communes puisse se prononcer sur ceux-ci. » Que ce projet de loi reçoive une sanction royale dans sa forme originale ou modifiée, vous souhaitez qu’il soit adopté avant les élections.

M. Ribaux : Oui.

Le sénateur Carignan : Merci.

Le sénateur Massicotte : J’aimerais ajouter quelques commentaires, puis je vais finir avec vous, monsieur Ribaux. Monsieur Dufort, je suis en accord avec vous. On mélange la demande et l’offre, et on mélange des pipelines en pensant que le fait de construire un pipeline de plus ou de moins, ça ne change pas la consommation parce que l’offre est mondiale. Il ne manque pas de pétrole.

Monsieur Ribaux, vous avez fait un commentaire, soit que les politiciens ne sont pas assez ambitieux, pas assez agressifs pour prendre les mesures nécessaires. Moi, je suis de l’opinion que les politiciens veulent gagner les prochaines élections, mais qu’ils doivent représenter l’opinion de la population.

Cela dit, le dilemme que j’ai, et j’y pense souvent, c’est que je suis de l’opinion qu’on n’atteindra pas nos objectifs en matière de CO2 à l’échelle mondiale. On accuse déjà un retard. Le vérificateur général l’a dit. L’heure est grave. C’est peut-être le défi le plus important de notre génération. Je suis presque convaincu qu’on ne l’atteindra pas, ce qui entraînera des conséquences très graves.

J’essaie de comprendre pourquoi la population n’y croit pas. Elle ne croit pas peut-être le vérificateur général. Elle ne croit pas qui? Pourquoi on n’est pas plus ambitieux? A-t-on un problème de communication? Comment expliquez-vous le fait qu’on se dirige à 100 milles à l’heure vers un mur tout en gardant le sourire?

M. Ribaux : C’est une très grande question que vous posez. Vous avez combien de temps? Vous me donnez combien de temps, madame la présidente, pour répondre?

Le sénateur Massicotte : Une minute.

M. Ribaux : Oui, une minute.

Premièrement, le changement est difficile pour tout le monde, sur le plan individuel et gouvernemental, et au niveau d’une société. Les changements proposés et nécessaires en matière de changements climatiques sont importants et touchent beaucoup de monde.

Évidemment, ils touchent beaucoup de monde dans l’ouest, où on est très dépendant de l’énergie fossile et où plus que la science nous dit qu’il faut clairement arrêter d’en produire plus et il faut éventuellement en produire moins.

Deuxièmement, il y a de grands intérêts dans le statu quo. On fait un travail énorme à toutes sortes de niveaux, y compris dans l’opinion publique, pour faire en sorte qu’on reste dans le statu quo le plus longtemps possible. C’est d’ailleurs l’argument de plusieurs personnes qui croient qu’on devrait s’attaquer de façon sérieuse aux changements climatiques et qui disent : « Quelle différence fera le Canada »? On est aussi bien de vendre notre pétrole le plus longtemps possible, faire le plus d’argent possible, avant que ça soit complètement interdit de vendre du pétrole et du gaz.

C’est le point de vue de plusieurs personnes. Malheureusement, ce point de vue là ne tient pas la route scientifiquement. Si tout le monde se dit ça sur la planète, bien, on ne s’attaquera pas aux changements climatiques.

De toute évidence, il faut l’attaquer du côté de la consommation, mais il faut aussi l’attaquer du côté de la production. C’est ce que la science nous dit. Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat est composé de tous les pays qui ont une académie scientifique, qui se réunissent et qui parviennent à des consensus en matière environnementale. Selon eux, pour éviter les pires scénarios, il faut réduire notre consommation de gaz naturel, de pétrole et de charbon d’ici 2030. Pourtant au Canada, on est sur une trajectoire d’augmenter la production de gaz et de pétrole.

Alors on ne va pas dans la bonne direction. Évidemment, si je suis un producteur de gaz et que je suis redevable à mes actionnaires, je vais tout faire pour essayer de vendre du gaz le plus longtemps possible, mais ça ne va pas dans l’intérêt public.

Le sénateur Carignan : J’ai une question complémentaire. Est-ce que je peux?

La présidente : Non. Maintenant, je dois donner la parole à la sénatrice Miville-Dechêne pour la dernière question.

Le sénateur Carignan : Allez-vous faire un lien avec ce que le président d’Enbridge a dit tout à l’heure?

La sénatrice Miville-Dechêne : Non, j’ai une autre question.

Moi, je veux vous entendre un peu sur le Québec par rapport à l’Alberta. J’ai visité le port de Montréal hier, et c’était assez intéressant de constater que, bon, il y a beaucoup de pétrole qui transite par le port de Montréal, mais aussi nous raffinons au Québec le pétrole qui s’en va en Ontario.

Alors, non seulement on s’occupe de notre pétrole, parce qu’on en consomme pas mal — on aime ça, les quatre par quatre —, mais on raffine celui de l’Ontario. Alors je veux vous entendre là-dessus , parce que, d’abord, je n’en étais pas consciente, et ensuite, bien, on participe donc de plain-pied à non seulement cette consommation, mais on aide nos voisins à consommer sans qu’eux raffinent leur propre pétrole.

M. Ribaux : Bien, je vous dirais deux ou trois éléments là-dessus. Encore une fois, il y a très peu de groupes environnementaux qui disent qu’il faut tout de suite démanteler les infrastructures de raffinage, de transport. On n’est pas dans ce discours-là. On est dans le discours qu’il faut arrêter d’en construire de nouvelles, parce que les nouvelles infrastructures vont durer 20 ans, 30 ans, 40 ans, 50 ans, et c’est clair qu’on doit être sur une trajectoire encore une fois de diminution.

D’un point de vue du climat, que le pétrole soit raffiné à Montréal, à Toronto, à Calgary, à Halifax, ça ne change rien. Ce sont des émissions de gaz à effet de serre. Alors, d’un point de vue environnemental, il n’y a pas d’impact en ce sens. Il y a des émissions qui sortent et cela a un impact sur le climat.

Une des choses qu’on a faites, c’est qu’on s’est allié avec les syndicats et les entreprises pour essayer d’examiner quels seraient les impacts au Québec sur la main-d’œuvre d’une transition énergétique qui nous amènerait vers l’atteinte de nos cibles.

Évidemment, un des impacts au Québec, c’est l’impact sur le raffinage puis le transport des hydrocarbures. Alors il va falloir commencer à y penser. Même au Québec, où ce n’est pas une énorme partie de l’économie, mais ça fait tout de même partie de l’économie, il faut commencer à y réfléchir. Les gens dans cette industrie-là commencent à réfléchir à comment on va, par exemple, recycler la main-d’œuvre dans ces domaines-là, au fur et à mesure qu’on va vers une économie de plus en plus décarbonisée.

Évidemment, c’est plus facile d’avoir cette réflexion-là au Québec qu’en Alberta, c’est sûr. Cependant, ils doivent l’avoir aussi en Alberta, aussi difficile que ça soit comme conversation. Ils vont devoir aussi avoir cette conversation-là dans l’ouest, je pense.

La présidente : Merci beaucoup. Voilà qui clôt cette séance.

(La séance est levée.)

Haut de page