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Sous-comité sur les ressources humaines

 

Délibérations du Sous-comité sur les
Ressources humaines

Fascicule no 1 - Témoignages du 5 juin 2018


OTTAWA, le mardi 5 juin 2018

Le Sous-comité sur les ressources humaines se réunit aujourd’hui, à 17 h 47, à huis clos et en séance publique, conformément à l’article 12-7(1) du Règlement, pour étudier des questions financières et administratives (sujet : Examen de la politique de harcèlement du Sénat).

La sénatrice Raymonde Saint-Germain (présidente) occupe le fauteuil.

(La séance se poursuit à huis clos.)

(La séance publique reprend.)

La présidente : Honorables sénateurs, nous reprenons notre séance du Sous-comité sur les ressources humaines du Comité permanent de la régie interne, des budgets et de l’administration du Sénat.

Je souhaite la bienvenue au grand public. Le Sous-comité sur les ressources humaines a été créé le 7 décembre 2017 par le Comité permanent de la régie interne, des budgets et de l’administration afin d’examiner la politique du Sénat sur la prévention et le règlement du harcèlement en milieu de travail, dans la perspective de la réviser et de la moderniser.

Avant de vous présenter notre témoin, je demanderais aux membres du comité de se présenter, en commençant par ma droite.

[Traduction]

Le sénateur Tkachuk : Sénateur Tkachuk, de la Saskatchewan.

Le sénateur Tannas : Scott Tannas, de l’Alberta.

La sénatrice Moncion : Sénatrice Moncion, de l’Ontario.

[Français]

La présidente : Je suis Raymonde Saint-Germain, du Québec, présidente du comité. Le sénateur Tannas en est le vice-président.

J’ai le plaisir de vous présenter Angela Dionisi, professeure adjointe à la Sprott School of Business de l’Université Carleton.

J’inviterais maintenant Mme Dionisi à nous faire sa présentation.

[Traduction]

Madame Dionisi, soyez la bienvenue. Vous avez toute notre attention.

Angela Dionisi, professeure adjointe, Sprott School of Business, Université Carleton : Merci beaucoup et bonsoir. Comme on vient de la dire, je m’appelle Angela Dionisi et j’enseigne la gestion à la Sprott School of Business de l’Université Carleton.

D’entrée de jeu, je tiens à vous remercier de m’avoir invitée ici, ce soir, pour vous faire part de certains points de vue issus de la recherche relativement au sujet à l’ordre du jour. J’ai préparé quelques observations à votre intention, lesquelles sont susceptibles d’alimenter nos échanges de ce soir. Une fois mon exposé terminé, je serai, tout à fait, disposée à répondre à vos questions, à recevoir vos commentaires et à poursuivre la discussion à ce sujet.

Le harcèlement sexuel au travail est un problème qui existe depuis longtemps. La façon dont nous nous représentons ce phénomène et la compréhension que nous en avons se sont transformées au fil des ans et elles se sont étoffées pour tenir compte des réalités de ceux qui sont ciblés par cette forme de maltraitance. Il fut un temps où le harcèlement sexuel était perçu comme un problème de nature sexuelle : on le considérait comme étant un comportement découlant d’envies naturelles ou d’envies sexuelles inévitables. Or, nous savons maintenant que ce comportement se comprend de façon plus juste comme étant une conduite discriminatoire qui n’a finalement pas grand-chose à voir avec le désir sexuel. En fait, le harcèlement sexuel est plutôt une question d’hostilité.

Lorsqu’il s’agit de définir le harcèlement sexuel, nous savons maintenant que c’est une maltraitance qui peut prendre différentes formes. Tout d’abord, comme cela a été établi par les chercheurs féministes dans les années 1970, le harcèlement sexuel peut prendre la forme d’une coercition sur le plan sexuel, ce que l’on décrit souvent comme une forme de chantage visant l’obtention de services sexuels en échange de faveurs. C’est ce qui se produit par exemple lorsqu’une femme se voit menacée de congédiement ou de perdre quelque avantage associé à son emploi si elle refuse de « coopérer » sur le plan sexuel — parfois, le congédiement ou la perte d’avantages ne passe même pas par l’étape de la menace. Cette forme de harcèlement n’est pas aussi répandue que certaines autres formes dont je vais parler dans un instant, mais c’est celle que les gens ont tendance à se représenter lorsqu’ils pensent à ce problème. En général, les gens croient que c’est de ce type de comportement dont nous parlons.

Les comportements sexuels qui ne s’accompagnent pas de répercussions tangibles ou économiques en matière d’emploi, mais qui, néanmoins, sont des comportements hostiles qui créent de l’inconfort peuvent aussi être du harcèlement sexuel. Par exemple, le fait de s’adresser à des collègues en des termes qui en font des objets à connotation sexuelle, le fait pour un employé d’être exposé à des avances sexuelles non désirées, à des attouchements non désirés, à des baisers et à des comportements de cette nature. Le terme « attention sexuelle non désirée » est utilisé pour désigner ce type de comportements.

Cependant, la forme la plus répandue de harcèlement sexuel est un comportement insultant accompagné de paroles sexuelles ou non qui témoignent d’attitudes hostiles ou dégradantes, habituellement à l’égard des femmes, mais sans pour autant être axé sur la sexualité. Cela comprend le fait de remettre en question ou de mépriser la compétence des femmes au travail; le fait de s’adresser aux femmes en utilisant des termes réducteurs comme « la petite » ou « fille »; le fait d’afficher ou de faire circuler des images impudiques ou carrément pornographiques, ou de propager des blagues sexistes. Ces comportements sont regroupés sous le terme « harcèlement sexiste ». Le harcèlement sexiste englobe les commentaires, blagues et comportements sexuels et/ou sexistes qui cherchent à dénigrer et à rabaisser la victime en fonction de son sexe, plutôt que d’obtenir des faveurs sexuelles.

Bien que nous sachions désormais que le harcèlement sexuel continue parfois de prendre la forme d’une attention sexuelle non désirée ou d’une coercition de nature sexuelle — des manifestations beaucoup plus explicites ou beaucoup plus chargées sur le plan sexuel —, il se manifeste le plus souvent sous la forme d’un comportement qui, d’une certaine manière, traduit ou charrie une animosité plutôt qu’une attirance. La raison en est que c’est le pouvoir qui est à la source de ce comportement.

Indépendamment de la forme que ces comportements peuvent prendre, les travaux théoriques et empiriques qui ont été réalisés semblent indiquer que le harcèlement sexuel est une manifestation du désir d’exercer son pouvoir et sa domination. Il s’agit en fait d’un mécanisme que le harceleur utilise pour protéger ou améliorer son statut social sexospécifique. C’est un comportement qui, essentiellement, est utilisé comme un outil pour punir ceux qui menacent l’identité sociale ou sexuelle du harceleur et les avantages qui s’y rattachent.

Lorsque l’on tente de comprendre ce qu’est le harcèlement sexuel et comment il se manifeste en milieu de travail, il existe un mythe que je tiens ici à déboulonner : le harcèlement sexuel n’a pas nécessairement de connotation sexuelle. En fait, la plupart du temps, il n’en a pas. Beaucoup de gens ont de fausses idées au sujet de ce qui motive le harcèlement sexuel et, par conséquent, ils peinent à embrasser le spectre complet des comportements qui, dans les faits, sont du harcèlement sexuel.

L’une des conséquences de cette compréhension déficiente, c’est que les gens n’arrivent pas à se représenter, précisément ceux qui sont touchés par ces comportements et la portée que ces comportements peuvent avoir, ce qui a une incidence sur les politiques en la matière et sur la mise en œuvre de ces politiques. Par exemple, pendant très longtemps, le harcèlement sexuel a été perçu comme étant un problème de femme, comme s’il s’agissait de quelque chose dont les hommes se servaient contre les femmes. Nous savons que, dans la vaste majorité des cas — ou dans un grand nombre de cas —, c’est effectivement ce qui se passe. Cependant, les recherches en science sociale ont aussi permis de constater que ce problème avait une incidence sur la vie de beaucoup d’hommes. Bien que les chiffres concrets puissent varier selon les échantillons et les études, 30 à 40 p. 100 des hommes affirment avoir été la cible de harcèlement sexuel à un moment de leur carrière, ce qui, encore une fois, est une réalité qu’y échappe à beaucoup de gens.

Nous avons également appris que le harcèlement sexuel vécu par les hommes a un caractère particulier. La recherche indique que les personnes qui harcèlent les hommes sont dans la très vaste majorité des cas des personnes du même sexe, et que la forme la plus commune de ce harcèlement pourrait être décrite comme étant du harcèlement pour manque présumé de virilité. Par exemple, c’est ce qui se produit lorsqu’un homme se fait taquiner pour son rôle à la maison ou ses responsabilités ménagères, ou qu’il est pris à partie pour s’être abstenu de participer à l’objectivation des femmes ou pour ne pas avoir ri de blagues sexistes. Dans chacun de ces cas, le contenu du harcèlement sexuel est axé sur la confirmation des rôles présumés des sexes. Autrement dit, le comportement vise à assurer que les hommes agissent comme de « vrais hommes » en cherchant à intimider ceux qui n’affichent pas leur masculinité de manière adéquate.

En ce qui concerne les mesures législatives ou les politiques qui sont en place ou que l’on entend modifier, il est important de reconnaître et de souligner que le harcèlement transcende la frontière entre les sexes. Cette reconnaissance est essentielle pour veiller à ce que tous ceux qui sont touchés par ce problème soient pris en compte.

Enfin, en ce qui concerne la portée du harcèlement sexuel, disons qu’au cours des dernières années, la littérature sur la maltraitance en milieu de travail s’est grandement intéressée à la façon dont le harcèlement sexuel peut contribuer à l’instauration de climats toxiques au travail, climat qui peut avoir une incidence négative non seulement sur ceux que ces comportements visent directement, mais aussi sur ceux qui sont témoins de ces choses.

Les études indiquent que les employés sont conscients de la maltraitance dont leurs collègues font l’objet, et qu’ils souffrent eux aussi de cela. C’est ce que l’on pourrait décrire comme du harcèlement sexuel par procuration. Par exemple, des études ont montré que le fait d’être exposé au harcèlement sexuel d’une collègue peut avoir toutes sortes de résultats négatifs sur le travail, comme de l’absentéisme ou une diminution de l’engagement et de la satisfaction à l’égard du travail proprement dit. Le fait de voir un ou une collègue se faire harceler peut aussi donner lieu à de l’anxiété, à de la dépression et à d’autres formes de pathologies physiques et psychologiques.

Lorsqu’il est question de harcèlement sexuel, ce sont des choses qu’il est important de garder à l’esprit. Les conséquences d’un seul incident sont innombrables, comme le nombre de personnes qui pourraient à juste titre porter plainte contre ce type de comportement. Comme je l’ai dit tout à l’heure, lorsqu’il s’agit d’examiner les mesures législatives et les politiques qui sont en place ou qui sont sur le point d’être modifiées, il est essentiel de reconnaître et d’insister sur le fait que le harcèlement sexuel peut être ressenti par ceux qui n’en sont pas directement la cible.

Lorsque nous examinons la quantité de données, qui ont été amassées sur les répercussions négatives du harcèlement sur le travail, sur ses conséquences psychologiques, sur ses conséquences physiologiques, et cetera, nous constatons toute la place qu’occupent ces comportements sur les lieux de travail, et nous reconnaissons par ricochet la nécessité d’intervenir à cet égard. C’est, bien entendu, la raison de notre présence ici, ce soir. Je crois comprendre que nous allons discuter des enjeux relatifs à ce phénomène néfaste.

Le président : Merci beaucoup, madame Dionisi. Nous avons beaucoup de questions à vous poser.

Le sénateur Tannas : Merci d’être là. Votre présence est très appréciée. J’ai écouté attentivement votre exposé.

Je me demandais simplement si vous avez vu notre politique sur le harcèlement.

Mme Dionisi : Oui, je l’ai vue.

Le sénateur Tannas : Les définitions décrivent-elles ce sur quoi nous devrions nous concentrer, ou avez-vous des conseils précis à nous donner à propos de ce que nous devrions étoffer ou raccourcir?

Mme Dionisi : Absolument, oui. Merci de cette question.

J’ai eu l’occasion d’examiner la politique dans l’optique de ce que nous dit la recherche à propos du contenu du projet de loi C-65. J’ai effectivement certaines observations à formuler, et je peux commencer par ce sujet-là, si vous voulez.

Conformément à ce que je disais dans mon exposé et en me fondant sur les dernières recherches en matière de harcèlement sexuel, je crois que certaines modifications devraient être apportées à la définition et à la description de la portée de ce problème. La politique actuelle décrit le harcèlement comme suit : « Tout comportement inopportun et injurieux, d’une personne envers une ou envers d’autres personnes […] ».

Comme je viens de le dire, il a été montré que le harcèlement sexuel par procuration est un problème de taille au sein des organisations, alors je conseillerais au comité d’envisager la possibilité de modifier légèrement cette définition afin d’y inclure cette forme de harcèlement. Par exemple, vous pourriez ajouter « tout comportement inopportun et injurieux qui toucherait directement ou indirectement une ou des personnes », ou quelque chose de semblable. En faisant cela, vous tiendriez compte de ceux qui ne sont peut-être pas la cible du harcèlement, mais qui en ressentent néanmoins les effets négatifs. En fait, le projet de loi C-65 permet désormais de reconnaître les allégations en matière d’affections psychologiques. La recherche reconnaît que ces pathologies sont une conséquence plausible de l’exposition au harcèlement par personne interposée. C’est un exemple de ce que vous pourriez changer.

De plus, je crois que la définition de « harcèlement sexuel » devrait être modifiée pour mieux rendre compte de la forme de harcèlement la plus répandue, le harcèlement sexiste. Présentement, la définition parle de « comportement, propos, geste ou contact d’ordre sexuel […] ». Je crois qu’il y aurait lieu d’ajouter la notion de « comportement, propos, geste ou contact d’ordre sexuel ou de nature sexiste ». En faisant cela, vous pourriez attirer l’attention sur le fait que le harcèlement sexuel n’est pas que sexuel, mais qu’il englobe aussi les comportements sexistes. C’est important, puisque cela aiderait à dissiper certaines idées fausses qui circulent à propos des types de comportements qui sont considérés comme du harcèlement. Voilà pour ma deuxième recommandation.

Dans le même ordre d’idées, j’ai remarqué qu’à l’annexe B vous avez des questions, et cetera, qui sont énoncées dans le but d’aider les gens à évaluer une situation dans le but d’établir s’il s’agit de harcèlement. Je crois qu’il y aurait lieu d’y inclure plusieurs exemples des différentes formes de harcèlement : le harcèlement sexiste, le harcèlement par procuration et, comme je le disais dans mon exposé, le harcèlement sexuel pour manque présumé de virilité. Je crois que cette troisième forme de harcèlement aurait beaucoup de mérite à être mentionnée, car les hommes sont très réticents à signaler ces comportements. La reconnaissance sociale à cet égard n’est pas aussi grande que pour les autres formes de harcèlement. Beaucoup d’hommes ne savent peut-être même pas avec certitude que ce qu’ils vivent comme quelque chose d’inconfortable et de déplaisant pourrait, à juste titre, être désigné ou défini comme du harcèlement sexuel. Par conséquent, il serait assurément utile d’inclure toutes ces conjugaisons dans l’annexe B et de fournir des exemples idoines.

Le sénateur Tannas : Merci.

Il faut que je laisse reposer un moment cette question du harcèlement sexiste, mais en ce qui concerne le harcèlement par procuration, je crois que tout le monde ici sur la Colline est conscient de cela. Il y a présentement une affaire hautement médiatisée au sujet d’une personne que l’on accuse d’être à la fois un harceleur, un rapporteur par procuration, et cetera. Diriez-vous que la question du harcèlement par procuration ne pourra entrer en jeu que si le harcèlement initial n’est pas résolu et qu’il continue? Ne serions-nous pas mieux avisés d’aller dans cette direction, afin d’éviter de nous retrouver avec des gens — des zélés — qui courraient dans tous les sens pour rapporter un incident après l’autre, comme s’ils étaient en croisade. Au lieu de cela, nous devons composer avec ce problème de l’inconfort associé, au fait d’être témoin de quelque chose qui ne se règle jamais, qui n’est jamais réglé ou qui se répète. N’est-ce pas ce que nous tentons de faire ici, c’est-à-dire de nous assurer que nous n’allons pas nous retrouver avec un fouineur — à défaut d’un meilleur terme — qui se donnerait pour mission de prouver quelque chose aux dépens de quelqu’un d’autre?

Mme Dionisi : Le danger avec cela, c’est que, s’il faut d’abord attendre qu’une allégation soit faite par une cible directe pour qu’une situation de harcèlement par procuration soit…

Le sénateur Tannas : Non, ce n’est pas ce que je dis. Je dis que quelqu’un ne serait pas en mesure de dire : « J’étais à une réception, hier, et quelqu’un a dit des choses atroces à une autre personne. Maintenant, je veux en faire toute une affaire. »

Mme Dionisi : Je vois.

Le sénateur Tannas : Mais si quelqu’un disait quelque chose et que cette personne était lésée et que cela continuait, ou que cette personne ne voulait pas le rapporter et que les choses n’étaient en quelque sorte pas résolues. Voyez-vous ce que je veux dire? Il y a une différence. Comment pouvons-nous tracer la ligne?

Mme Dionisi : Je vois. Vos observations renvoient à une autre question, à cette notion de spectateur, du témoin. Quelle responsabilité les témoins devraient-ils avoir lorsqu’il s’agit d’intervenir, d’informer le harceleur ou la cible qu’ils sont au courant de ce qui se passe et, potentiellement, de signaler la chose à un supérieur.

Le sénateur Tannas : C’est peut-être ce qui m’échappe. Un spectateur pourrait devenir un fouineur. Vous dites que je dis : « J’ai été blessé parce que j’ai vu cela. »

Mme Dionisi : Oui, exactement.

Le sénateur Tannas : Je vois. D’accord, merci.

La sénatrice Jaffer : Merci de votre présence parmi nous.

Mme Dionisi : Merci de me recevoir.

La sénatrice Jaffer : Je veux continuer avec cette notion de témoin. Les Forces armées canadiennes ont un programme pour les témoins, qui visent à inciter les gens à dénoncer. Normalement, une personne comme cela serait considérée comme un trouble-fête, mais dans les Forces armées canadiennes, c’est quelque chose que l’on soutient comme moyen pour aider les victimes de harcèlement. Pouvez-vous nous dire ce que nous devrions mettre en œuvre pour encourager les gens à être des témoins, à se faire entendre ou à être là pour la victime, comme cela se fait dans les FAC, du moins, de ce que j’en comprends? Ce programme est apparemment très efficace.

Mme Dionisi : Absolument. Des études nous montrent que les victimes de harcèlement sexuel sont peu nombreuses à rapporter la maltraitance dont elles font l’objet. Il y a un certain nombre de raisons à cela. Les victimes ne croient pas qu’on les prendra au sérieux. Elles craignent aussi la victimisation secondaire et les risques de représailles. Il se peut qu’elles soient hésitantes à formuler leur plainte par écrit en sachant que cela va se retrouver dans leur dossier d’emploi officiel.

Ces dernières années, un nombre substantiel de recherches ont été faites pour démontrer que les spectateurs ont un rôle important à jouer pour remédier au problème de la maltraitance au travail en général, et au problème de harcèlement sexuel en particulier. Il y a un certain nombre de choses qui pourraient empêcher un témoin d’intervenir. D’innombrables recherches ont montré les effets de la diffusion de la responsabilité, et cetera. Ce n’est pas parce que les gens sont témoins de harcèlement sexuel au travail qu’ils vont nécessairement le signaler. La recherche s’est focalisée sur le fait que cela pourrait très bien être un filon important pour nous aider à combattre le harcèlement sexuel, alors que pouvons-nous faire pour encourager cela? Je crois que c’est la question que vous vous posiez, non?

On constate tout d’abord que le fait de parler de la responsabilité des témoins dans les politiques peut donner d’excellents résultats. C’est là l’une des recommandations que je voulais faire au sujet de la politique du Sénat, que ce soit dans la section des généralités, ou la section du contexte. Il serait bon d’avoir un énoncé à ce sujet, à savoir que la lutte contre le harcèlement en milieu de travail est la responsabilité de tous et chacun. Si quelqu’un est témoin d’une situation de harcèlement sexuel, il a la responsabilité d’agir.

Je préciserais la nature de cette responsabilité en fournissant quelques avenues que peut emprunter un témoin, soit rapporter les faits à un superviseur ou confronter le harceleur en lui disant être contre ce comportement, qu’il agit mal, que l’on n’accepte pas cela ici et qu’il doit prendre conscience de ses gestes. Ou encore aller voir la victime après coup pour lui dire qu’il a vu ce qui s’était passé, et qu’il est là pour l’appuyer, qu’il peut l’aider à faire un rapport, ou encore l’aider à trouver du soutien. En d’autres mots, se faire le défenseur d’une personne qui est la cible de harcèlement. On pourrait inclure ce genre d’exemples dans la politique pour orienter les témoins. Il est important de penser à la possibilité d’inclure ce genre de libellé dans une politique.

Les recherches indiquent également qu’une des meilleures façons d’encourager les témoins à agir est d’inclure dans la formation un volet sur les façons pour eux d’intervenir. Les organisations doivent maintenant offrir à leurs employés une formation sur le harcèlement sexuel en milieu de travail. On suggère donc qu’un volet de cette formation porte sur les façons de s’y prendre pour être un bon témoin, les avenues possibles, les façons d’aborder une victime ou un agresseur, afin de sensibiliser les employés et d’ancrer cela dans la culture organisationnelle.

La sénatrice Jaffer : Notre milieu de travail est très petit. Il faut aussi que les témoins bénéficient d’un endroit sûr. C’est une culture différente. Je sais que les forces armées ont maintenant une culture officielle au sujet des témoins, mais il a fallu la mettre au point. Nous pourrions peut-être travailler avec vous pour que vous nous indiquiez comment faire adopter la politique, car il faut que le témoin soit vu comme un bon samaritain, un bon ami, ou plus encore. C’est presque un élément distinct. Vous pourriez peut-être nous donner des idées au sujet des témoins.

Je veux maintenant vous amener ailleurs. Nous avons passé quelques réunions à écouter des gens avec qui nous travaillons, et cela nous a vraiment ouvert les yeux. Encore une fois, nous sommes 105 silos. Nous travaillons dans notre propre silo et nous ne savons pas vraiment ce qui se passe autour de nous, ou très peu, même si nous nous voyons souvent. Il est devenu très évident que la confiance est un grave problème pour les gens avec qui nous travaillons. Ils n’ont pas confiance. Ils ont dit souhaiter avoir quelqu’un de l’extérieur. Je respecte cela, car je peux voir que la confiance est un grave problème. Comment devons-nous procéder pour créer un endroit sûr?

Mme Dionisi : C’est une question complexe, qui comporte divers éléments. Le but ultime est de créer une culture, comme vous l’avez mentionné, où la confiance règne partout. Pour y arriver, il faut des politiques, de la formation et du temps.

Je pense que les dirigeants ont un rôle très important à jouer. Les recherches montrent, en fait, qu’au sein des organisations — et il y a eu des études qui ont porté précisément sur les femmes —, les femmes disent que lorsque leurs dirigeants se soucient du problème et qu’ils donnent suite à leurs promesses, qu’ils mettent en place des politiques, et cetera, elles sont plus enclines à rapporter les cas de harcèlement sexuel dont elles sont victimes, et aussi que le harcèlement est alors perçu comme étant inacceptable et que la culture prend une tournure positive. Les taux de harcèlement sexuel chutent. Le comportement des dirigeants est donc important. Ils doivent donner suite à leurs promesses de mettre en place des politiques, et cetera. Ils doivent prêcher par l’exemple. Ils doivent surveiller de près ce qui se passe dans leur milieu de travail. Lorsque les gens en situation d’autorité ont des comportements dignes de confiance, ces comportements peuvent alors percoler vers le bas.

La sénatrice Jaffer : Permettez-moi de vous arrêter ici.

La présidente : Sénatrice, soyez brève, s’il vous plaît. Avez-vous une question?

La sénatrice Jaffer : Je ne voulais pas faire un discours, mais j’avais bien une question.

La présidente : Allez-y, et si vous avez d’autres questions, vous pourrez les poser quand votre tour reviendra.

La sénatrice Jaffer : Je vais attendre que mon tour revienne.

La présidente : Merci.

Le sénateur Tkachuk : Nous avons parlé un peu plus tôt de la situation particulière dans laquelle se trouvent le Sénat et les sénateurs. Toute la question du harcèlement est, en quelque sorte, une expérience d’apprentissage pour la société. C’est un phénomène du XXe siècle. Auparavant, les femmes n’étaient pas sur le marché du travail. Elles en font partie maintenant, et les dirigeants doivent apprendre à se comporter différemment.

Les députés et les sénateurs n’y ont pas échappé. Il n’y a pas si longtemps, 30 ans, les députés et les sénateurs étaient presque tous des hommes, et ils avaient presque tous des adjointes administratives et non pas des adjoints administratifs. Aujourd’hui, nous avons beaucoup plus de femmes qui sont sénatrices ou députées. Je pense que tout cela va changer, car ce sont toujours des femmes, en grande majorité, qui occupent ces postes. Même si près de 40 p. 100 des sénateurs sont des hommes, je dirais que la plupart ont des adjointes administratives et non pas des adjoints administratifs.

J’ai discuté un peu plus tôt avec quelques-unes des personnes qui étaient ici. J’ai parlé d’avoir quelqu’un de l’extérieur. Nous n’avons vraiment pas une structure pyramidale ici. Nous avons une structure très horizontale de sénateurs et d’adjoints administratifs. L’administration est là pour servir les bureaux des sénateurs, alors les gens qui y travaillent ne font pas vraiment partie du groupe, si ce n’est un peu de loin. J’avais mentionné à certains que l’endroit où il pourrait aller serait à l’extérieur. C’est ma première question.

Mon autre question est la suivante : vous consacrez le plus clair de votre temps à parler de harcèlement sexuel, mais est-ce la principale forme de harcèlement, ou est-ce l’autre? J’en ai beaucoup entendu parler à mon époque. Il y avait des gens qui criaient, qui hurlaient et qui étaient méchants. Je ne sais pas si cela représente un plus grand pourcentage que, disons, le harcèlement sexuel, mais je dirais qu’il y en a beaucoup.

Mme Dionisi : Oui, tout à fait. Il y a bel et bien d’autres formes de harcèlement, comme l’intimidation…

Le sénateur Tkachuk : Les commentaires racistes, homophobes, par exemple; ce sont aussi des formes de harcèlement si le patron cherche toujours à intimider son personnel pour une raison qui n’a aucun sens.

Mme Dionisi : Ou un collègue.

Le sénateur Tkachuk : Ou un collègue.

Mme Dionisi : Tout à fait. Mon domaine d’expertise est le harcèlement sexuel. Je ne peux pas vous dire quels seraient les taux de prévalence des autres formes de harcèlement, et cetera. Je ne peux pas vous donner de chiffres, mais il est indéniable que toutes ces formes de mauvais traitements ont cours et peuvent avoir souvent les mêmes effets néfastes que le harcèlement sexuel.

Le sénateur Tkachuk : Évidemment.

Mme Dionisi : Au sujet du harcèlement sexuel et du commentaire que vous avez fait concernant la personne de l’extérieur, est-ce que vous voulez dire pour obtenir du soutien?

Le sénateur Tkachuk : Je pense qu’ils ont un problème. Auprès de qui peuvent-ils porter plainte? Nous n’avons pas vraiment une équipe de ressources humaines — je veux dire, ils font partie de l’administration qui est là pour servir les sénateurs. Ils sont une extension d’un bureau du Sénat. La plupart des bureaux ne comptent que quelques personnes, alors il y aurait un bureau avec une ou deux personnes. Il y a très peu de bureaux, voire aucun, qui comptent plus de deux personnes. Les équipes sont très petites, et c’est une relation patron-employé dans chaque petit bureau. C’est complexe.

Mme Dionisi : C’est exact, et c’est un ensemble important de circonstances dont il faut être conscient. Ce n’est pas facile pour quelqu’un qui est la cible de harcèlement sexuel d’aller voir son superviseur immédiat ou un superviseur quelconque pour rapporter un mauvais traitement. Il y a quelques raisons à cela, et l’une d’elles est que c’est parfois cette personne qui est la source du harcèlement ou qui fait partie du problème. Bien souvent, il s’agit d’un homme et il y a une dynamique de pouvoir qui rend les choses difficiles.

Les recherches révèlent qu’il est très important pour les cibles de harcèlement d’avoir diverses options, ce qui revient à ce que vous disiez, je pense, pour dénoncer la situation et à qui le faire. Selon les études, il est important d’avoir une politique contre le harcèlement en milieu de travail qui offre diverses options aux employés, soit déposer une plainte anonyme, ou déposer une plainte auprès de l’employeur, à une personne des ressources humaines, ou à un interlocuteur externe, comme vous l’avez dit. La personne a le choix entre une plainte non officielle ou officielle. Je pense que c’est un élément important à prendre en considération. À qui voulons-nous que les cibles de harcèlement dénoncent la situation? Que vont faire les gens de l’information? Quelle marge d’autonomie donnons-nous, essentiellement, aux cibles de ces mauvais traitements?

Le sénateur Tkachuk : Est-ce différent pour les hommes et les femmes? En d’autres mots, est-ce que les recherches révèlent que les femmes en position d’autorité sont moins portées à maltraiter leurs employés et à faire du harcèlement sexuel que les hommes, ou est-ce à peu près comparable?

Mme Dionisi : Les recherches indiquent que, dans l’ensemble, les hommes ont plus tendance que les femmes à faire du harcèlement — à être des harceleurs. Ce n’est pas toujours le cas, toutefois. Les femmes peuvent aussi être celles qui font du harcèlement sexuel. Elles peuvent harceler sexuellement les hommes. Les hommes peuvent harceler sexuellement d’autres hommes et ils peuvent harceler sexuellement des femmes. Cela ne veut pas dire que ce sont uniquement les hommes qui font du harcèlement, mais les recherches indiquent que le pourcentage d’hommes qui adoptent ce type de comportement est plus élevé.

Le sénateur Tkachuk : J’ai remarqué qu’on entend très régulièrement parler aux États-Unis d’enseignantes qui ont des relations sexuelles avec un étudiant. C’est de plus en plus fréquent. Je vois cela comme une relation de pouvoir et une relation abusive. On n’entendait jamais parler de cela il y a 25 ans. On entendait toujours le contraire, mais aujourd’hui c’est très fréquent.

La présidente : Toutes les formes de harcèlement de la part de qui que ce soit sont inacceptables.

Mme Dionisi : C’est exact.

La présidente : Si vous êtes d’accord, je vais demander à la sénatrice Moncion de poser ses questions, et vous pourrez revenir sur ce point dans vos réponses.

La sénatrice Moncion : Vous avez parlé brièvement du volet sensibilisation. J’aimerais que vous nous en disiez davantage sur ce volet dans une politique contre le harcèlement.

Mme Dionisi : Oui, bien sûr. Les études montrent que les organisations ont beaucoup à gagner à sensibiliser leurs employés à ce problème. Les organisations qui leur offrent de la formation accroissent les connaissances des employés, mais elles incitent aussi plus de témoins à agir, elles font en sorte qu’on blâme moins les victimes et elles accroissent les chances qu’une cible de harcèlement dénonce la situation. Il est maintenant prouvé qu’il est avantageux pour les organisations d’offrir de la formation aux employés.

Cela dit, les diverses composantes de la formation, la forme qu’elle prend, et cetera, tout cela peut être très important. Même si environ 80 p. 100 des entreprises offrent de la formation sur le harcèlement sexuel à leurs employés, la formation est bien souvent inefficace, il y a peu de constance entre les programmes et elle ne reflète pas vraiment la portée réelle de ces types de comportements. Il faut donc bien réfléchir à la façon dont la formation sera donnée. Il existe différents styles, différentes approches, et je veux vous en parler un peu si cela vous intéresse, mais je peux vous dire qu’il y a tant des avantages que des inconvénients à offrir de la formation sous forme de vidéos, de modules en ligne, de jeux de rôle en personne, et cetera.

Peu importe la méthode employée, les recherches indiquent qu’il est bon de prendre en considération quelques éléments. Les organisations doivent notamment prendre conscience que la formation n’est pas l’affaire d’une seule fois, ou en fait que ce ne doit pas être le cas. Le travail n’est pas terminé parce que les employés ont reçu la formation. Au contraire, les recherches indiquent qu’il est important d’avoir des séances d’appoint pour tenir les employés à jour sur la question, d’en reparler régulièrement dans le cadre de divers types de formation, afin de s’assurer que les connaissances acquises le demeurent et que les employés les ont toujours à l’esprit.

Les études suggèrent également de promouvoir diverses formes de participation chez les employés afin qu’ils ne se contentent pas de regarder la vidéo ou de cocher une case passivement. Il est important d’intégrer une composante interactive ou expérientielle dans la formation. Il est souvent bon de tester leurs connaissances par la suite pour les amener à réfléchir à ce qu’ils ont appris et faire le point, afin de s’assurer qu’ils ont bien compris et assimilé l’information.

Il faut aussi réfléchir notamment à qui la formation sera donnée. Les recherches indiquent que tous les employés devraient la recevoir, et pas seulement les dirigeants. Il faut aussi se demander qui donnera la formation, et faire appel à des experts dans le domaine, des gens qui ont une connaissance approfondie du sujet. On peut aussi inclure des spécialistes juridiques.

Il faut également réfléchir au contenu de la formation. On suggère notamment d’expliquer en quoi consiste le harcèlement sexuel, mais aussi de donner des exemples concrets auxquels les employés peuvent réfléchir et avec lesquels ils peuvent potentiellement faire des associations. La formation doit porter notamment sur la politique : ses différentes composantes, les procédures pour rapporter un cas de harcèlement, les attentes, et cetera.

Comme je l’ai mentionné plus tôt, c’est une bonne chose d’inclure dans la formation les façons pour les témoins d’intervenir. On peut notamment parler de l’obligation de rapporter les faits, expliquer comment offrir du soutien aux victimes et parler des options ou des avenues qui sont à la disposition des témoins.

De plus, il devrait y avoir un volet particulier pour les superviseurs et les dirigeants, qui porte notamment sur la façon de s’acquitter de leurs responsabilités au regard de la politique, la façon d’informer quelqu’un qu’on l’accuse de harcèlement, ou d’informer la cible des résultats de l’enquête. Ce sont des questions qui peuvent être très délicates, et il peut être utile pour eux d’avoir de la formation à ce sujet.

La sénatrice Moncion : Merci.

Mon autre question porte sur la relation de pouvoir d’un sénateur par rapport à son personnel. Comment peut-on régler le problème du harcèlement dans ce genre d’environnement?

Mme Dionisi : C’est délicat, en effet. On revient en partie à ce que je disais plus tôt, soit qu’il faut s’assurer que les cibles ont la possibilité de chercher du soutien, des conseils, et de porter plainte à quelqu’un qui n’a pas un pouvoir direct sur elles. Il est important, encore une fois, de leur offrir des options, qu’elles sachent qu’elles ne courent pas le risque de devenir des victimes encore une fois.

Un autre élément important que je veux mentionner, et qui peut faire partie de la politique ou de la formation, c’est qu’il faut être très clair au sujet des représailles. Il faut indiquer très clairement dans la politique même que les représailles ne sont pas acceptables, qu’elles seront punies, et il faut donner des exemples de représailles. Les représailles peuvent venir non seulement de l’employeur, mais aussi des collègues. Si quelqu’un a vent que vous faites des vagues, pour ainsi dire, il peut réagir par des représailles.

Au sujet du Sénat, je suggère de penser à bien préciser ce point dans la politique. Je sais que, dans la section 2.3.7, si je me souviens bien, on mentionne brièvement que les représailles peuvent entraîner des mesures correctives, mais je recommanderais de renforcer le libellé, en ajoutant peut-être même une disposition à la section 3.11 où il serait mentionné explicitement que les représailles sont un comportement qui ne sera pas toléré. Je pense qu’on pourrait ainsi commencer à remédier aux préoccupations qui en découlent, comme vous l’avez mentionné, dans la dynamique de pouvoir qui existe souvent entre une cible et son harceleur.

La sénatrice Moncion : Il y a aussi l’image négative qui est véhiculée dans la culture des sénateurs. Cela porte préjudice au personnel et à tout le monde. Merci. Voilà de très bons commentaires.

Le sénateur Tannas : J’avais une question concernant la formation continue. Je sais que c’est assez tôt, mais que montrent les données concernant les réductions du nombre réel d’incidents en milieu de travail où de la formation est offerte? Y a-t-il un document qui montre que la responsabilisation a augmenté et que le nombre d’agressions et d’agresseurs a diminué? Les intimidateurs arrêtent-ils de sévir si on offre plus de formation qui rehausse la responsabilisation ou s’ils le font parce qu’ils finissent enfin par changer leur façon de faire?

Mme Dionisi : C’est une excellente question. La recherche concernant l’efficacité de la formation ne fait que commencer, mais je peux vous faire part de conclusions préliminaires.

Une des choses qui est ressortie d’une partie de la documentation est que le type de formation est important dans le contexte de certains des éléments que vous venez de mentionner. À titre d’exemple, probablement que le type de formation le plus commun qui est offert est la formation par vidéo ou, dans certains cas maintenant, par Internet. Leur grande popularité est surtout attribuable à leur rentabilité, à la facilité de les offrir à des employés dispersés sur le plan géographique et au fait qu’elles permettent de représenter des cas de harcèlement sexuel réel d’une certaine façon, et il est possible d’adapter le contenu de la formation Internet aux besoins de vos employés. En conséquence, ces deux types de formation sont assez répandus.

La recherche montre que ces types de formation aident vraiment les employés à mieux comprendre ce qu’est le harcèlement. Lorsqu’ils quittent ces séances, ils disent savoir reconnaître le harcèlement, ce qui est un début. Cependant, la recherche montre aussi que ces formations ne sont pas très efficaces pour changer les attitudes des employés. Après coup, ils n’ont pas changé d’opinion sur, par exemple, le caractère éthique de ces comportements. S’ils étaient sexistes avant de suivre ces formations, leur attitude n’aura pas nécessairement changé. Ce sera vraiment essentiel à l’efficacité de tout programme de formation pour éliminer le harcèlement.

Des preuves montrent que les formations offertes à des groupes de personnes, par un formateur en personne, entre autres, les formations qui intègrent des éléments fonctionnels, des jeux de rôle et autres, sont beaucoup plus efficaces pour changer les attitudes des employés. Bien que ces types de formations puissent être plus coûteux et parfois difficiles à coordonner, les travaux de recherche préliminaires laissent entendre que leurs résultats sont, en quelque sorte, prometteurs.

Le sénateur Tkachuk : Le gestionnaire change-t-il la culture ou est-ce la culture qui façonne le gestionnaire? Autrement dit, si une personne devient gestionnaire et qu’elle est abusive, elle doit avoir été promue au sein d’une organisation où elle agissait comme cela avant d’être nommée à ce poste, j’en suis sûr. C’est donc généralisé. Ce n’est pas seulement l’homme ou la femme responsable, mais bien la culture organisationnelle en entier. C’est donc un problème très difficile à régler.

Mme Dionisi : Ils sont intimement liés. Une des questions persistantes est celle de savoir comment on change la culture d’un milieu de travail. Ce n’est pas quelque chose qui se fait du jour au lendemain. Ce n’est pas quelque chose qu’une seule personne puisse faire. Elle comporte certainement les différentes facettes dont nous discutons. Il se pourrait très bien qu’il y ait un employeur qui se comporte de cette façon particulière. Cela se répercutera sur l’ensemble de l’organisation.

Le sénateur Tkachuk : Comment cette personne s’est-elle rendue là?

Mme Dionisi : C’est une bonne question, mais, pour en revenir à ce que je disais, si nous avons des leaders qui montrent l’exemple de comportements auquels on s’attend des employés, qui envoient un message anti-harcèlement très ferme, qui prêchent par l’exemple, qu’ils honorent les promesses qu’ils ont faites, s’ils incarnent la culture organisationnelle dont ils veulent, c’est une bonne étape.

[Français]

La présidente : J’aimerais que l’on aille un peu plus loin que la prévention et la formation, qui sont, comme on l’a vu, absolument essentielles. Allons jusqu’à la plainte. Si nous recevons une plainte formelle, quel type d’enquêteur devrait être responsable du suivi de cette plainte? Est-ce qu’on enquête en matière de harcèlement sexuel de la même manière qu’on mène une enquête administrative?

S’il y en a, quelles sont les mesures à prendre, pendant l’enquête, à l’égard de l’employé qui allègue avoir été harcelé sexuellement et à l’égard de la personne qui est accusée de harcèlement?

[Traduction]

Mme Dionisi : C’est une très bonne question. Il existe des paramètres qui ont été énoncés dans le projet de loi C-65 qui peuvent nous donner une idée des mesures à prendre.

Pour ce qui concerne les plaintes, le projet de loi C-65 exige maintenant que les employés déposent d’abord plainte auprès de leur superviseur ou de la personne désignée dans la politique de leur organisation. Avant d’avoir recours à toute autre ressource dont il dispose, cet employé doit maintenant porter le harcèlement à l’attention de son employeur, qui est ensuite chargé d’essayer de remédier à la situation avant que cela aille plus loin. Je pense que cela aura des répercussions sur la politique du Sénat en ce qui concerne l’organigramme et son fonctionnement.

La recherche suggère que la capacité d’agir de la victime est vraiment importante dans le contexte du processus de règlement des plaintes pour harcèlement sexuel. Les études montrent que, non seulement les victimes mêmes disent vouloir de l’autonomie et en avoir besoin dans le cadre de ce processus de signalement, mais aussi que le fait de leur donner des choix pendant ce processus peut être très utile pour encourager les gens à dénoncer dès le départ.

Alors, bien que le projet de loi C-65 exige qu’on dépose d’abord plainte auprès de l’employeur, pour autant que je sache, il ne précise pas, par exemple, si cette plainte doit être formelle ou informelle. Lorsque j’ai jeté un coup d’œil à la politique du Sénat, si je l’ai bien interprétée, elle stipule actuellement qu’on devrait d’abord tenter de suivre des processus de règlement informels avant de faire autre chose, sauf dans le cas où le gestionnaire des ressources humaines juge qu’il ne conviendrait pas de le faire.

Je suggérerais notamment qu’on laisse la cible décider elle-même si elle souhaite lancer un processus formel ou informel. Chaque option a ses points forts et ses points faibles, si bien qu’il est important de laisser une cible décider elle-même du type de processus qu’elle souhaite suivre.

Le projet de loi C-65 contient aussi des éléments concernant l’impartialité. Il fait maintenant en sorte que l’employeur soit responsable d’établir un processus d’impartialité pour répondre aux plaintes, et il interdit plus précisément à tout représentant du comité de la politique, du comité en milieu de travail ou du comité de la santé et de la sécurité de participer à une enquête, si bien que cela pourrait nécessairement influer sur la façon dont la politique aborde la question de savoir qui mène une enquête.

Séparément, la recherche suggère que les victimes de harcèlement préfèrent avoir leur mot à dire quant à la personne qui mène une enquête. À titre d’exemple, la plupart des gens disent qu’ils préfèrent qu’une équipe mène une enquête plutôt qu’une seule personne. La plupart préfèrent que le comité chargé de l’enquête soit formé à la fois d’hommes et de femmes. En outre, ils aiment avoir le choix de décider s’il s’agit d’employés de l’organisation ou de personnes de l’extérieur qui mènent ces enquêtes.

Cette notion d’impartialité est vraiment importante. Ces comités doivent être formés de personnes impartiales qui n’ont pas d’enjeu dans la situation, pour ainsi dire, et qui sont capables d’examiner les faits de l’affaire avec exactitude et impartialité.

[Français]

La présidente : À votre avis, le harceleur allégué, pour des raisons d’équité, devrait-il aussi être associé au choix du mode de l’enquête, au choix des membres de l’équipe de l’enquête ou au choix de l’enquêteur?

[Traduction]

Mme Dionisi : Oui, c’est un bon argument. Je n’ai vu aucune recherche sur cet élément de l’équation concernant ce qui importe aux personnes accusées de ce type de comportement, mais j’imagine qu’elles aimeraient également avoir leur mot à dire quant aux personnes qui participent au processus et celles qui n’y participent pas. Je pense que c’est sans aucun doute un point à prendre en compte.

Une autre chose qui vient à l’esprit, comme vous l’avez mentionné, concernant ce qui se produit pendant le processus d’enquête, c’est que le projet de loi C-65 insiste maintenant, en termes plus marqués, sur l’importance de la confidentialité. C’est quelque chose qu’on ne peut pas ignorer. Vous auriez peut-être intérêt à songer à renforcer un peu les termes utilisés à cet égard dans la politique pour tenir compte de ces exigences.

En outre, il pourrait y avoir lieu de penser à cette notion des mesures intermédiaires. Qu’arrive-t-il si quelqu’un vient vers vous et vous dit : « Cette personne me harcèle »? Que faites-vous en attendant qu’on ait déterminé que c’était le cas? La recherche suggère qu’il pourrait être nécessaire de mettre en place des mesures intermédiaires, comme modifier les horaires, transférer le harceleur présumé ou le suspendre. Elles peuvent être controversées, et il n’y a pas de réponse définitive, mais il faut penser aux options dont on dispose. Une des choses sur laquelle la recherche insiste est qu’il ne faut pas indûment placer le fardeau de la preuve sur la cible. Par exemple, nous ne souhaitons pas transférer la cible vers un autre département. C’est délicat, mais il pourrait valoir la peine de tenir une conversation pour déterminer ce qui sera fait dans l’intérim. Permettons-nous à ces gens de continuer à travailler ensemble? Cela pourrait-il mettre une personne en péril? Il est important d’y penser.

[Français]

La présidente : Selon vous, le profil d’enquêteur est-il un profil très spécialisé? Avons-nous accès, à brève échéance, à un bassin d’enquêteurs spécialisés de l’extérieur qui peuvent agir de manière diligente et très compétente?

[Traduction]

Mme Dionisi : Il y a des spécialistes du sujet qui connaissent intimement ce domaine et qui sont en mesure d’intervenir et de juger de façon impartiale ce qui se passe. Je pense qu’il est important de faire participer des personnes de l’extérieur pour privilégier une approche impartiale à l’égard d’une enquête. Je peux certainement me pencher sur les détails précis et formuler des suggestions précises. Il ne m’en vient pas à l’idée en ce moment, mais je serais ravie de me renseigner pour le comité si c’est quelque chose qui vous intéresse. Certaines personnes se spécialisent dans ce domaine et seraient qualifiées pour ce faire.

La présidente : Merci. Je ne vois aucun autre sénateur qui a des questions. Pour en revenir à votre mot de la fin, nous sommes intéressés à recevoir de l’information et de la documentation supplémentaire de votre part. Je tiens à vous remercier au nom de tous les membres, madame Dionisi, pour votre contribution précieuse à nos travaux. Nous espérons pouvoir rester en contact avec vous.

Mesdames et messieurs les sénateurs, merci, et merci aux analystes, au greffier, aux interprètes et aux sténographes.

(La séance est levée.)

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