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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule no 8 - Témoignages du 5 mai 2016


OTTAWA, le jeudi 5 mai 2016

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd'hui, à 10 h 30, pour examiner la teneur du projet de loi C-14, Loi modifiant le Code criminel et apportant des modifications connexes à d'autres lois (aide médicale à mourir).

Le sénateur Bob Runciman (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bonjour. Je souhaite la bienvenue à mes collègues, aux invités et aux membres du grand public qui suivent les travaux du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles.

Nous poursuivons aujourd'hui nos audiences dans le cadre de notre étude préalable du projet de loi C-14, Loi modifiant le Code criminel et apportant des modifications connexes à d'autres lois (aide médicale à mourir).

Nous accueillons aujourd'hui Jocelyn Downie, professeure aux faculté de droit et faculté de médecine de l'Université Dalhousie, et Joseph Arvay, avocat au cabinet Farris, Vaughan, Wills & Murphy LLP. Nous attendons également Jean-Pierre Ménard sous peu.

Je vous remercie tous deux d'être ici.

Jocelyn Downie, professeure, faculté de droit et faculté de médecine, Université Dalhousie, à titre personnel : Bonjour, je vous remercie de m'offrir l'occasion de m'entretenir avec vous aujourd'hui. Pour lancer la discussion, je vais vous signaler brièvement quatre éléments du projet de loi qu'il faudrait changer et deux autres qui ne devraient pas l'être.

Les quatre changements à apporter sont : premièrement, supprimer le paragraphe 241.2(2), la soi-disant définition des termes « problèmes de santé graves et irrémédiables », qui équivaut, en réalité, à une restriction des critères d'accès à l'aide médicale à mourir.

Deuxièmement, supprimer l'alinéa 241.2(3)g) qui prévoit une période d'attente de 15 jours, et remplacer cette disposition médiocre par le véritable enjeu, qui est la non-ambivalence.

Troisièmement, supprimer l'alinéa 241.2(3)h) qui oblige le praticien à revérifier si la personne consent immédiatement avant de lui fournir l'aide à mourir.

Et quatrièmement, ne pas exclure les mineurs matures, les demandes anticipées et les demandes où la maladie mentale est la seule condition médicale invoquée ou, à tout le moins, ajouter dans le corps de la loi une disposition prévoyant la conduite d'études par des experts indépendants sur les points contestés et la présentation d'un rapport au Parlement dans un délai rapide de 18 mois.

Et les changements que vous devez vous abstenir de faire sont : premièrement, ajouter une disposition rendant obligatoire l'examen préalable; et deuxièmement, ajouter une disposition protégeant la liberté de conscience. Il serait préférable de vous remettre plutôt à la Charte, à la législation sur les droits de la personne et au nouveau protocole de soins pancanadien.

Pour entrer dans le vif du sujet, permettez-moi également de soulever brièvement deux autres points au cœur des changements proposés : la mort naturelle raisonnablement prévisible et les exclusions.

Premièrement, la position du gouvernement en ce qui concerne Kay Carter, la maladie mentale, le handicap physique grave et le projet de loi C-14 manque de cohérence. Le gouvernement n'a aucune preuve sur laquelle s'appuyer pour conclure que la mort de Kay Carter n'était pas trop lointaine, à part le fait qu'elle était très âgée. Conformément à cette logique, si une personne est atteinte d'une maladie mentale ou d'un handicap physique grave qui ne présente aucune menace pour sa vie, elle sera admissible à condition d'être très âgée. Or, c'est précisément ce que le gouvernement cherche à éviter par le biais de l'alinéa 241.2(2)d). De deux choses l'une : ou Kay Carter ne satisfaisait pas au critère de l'alinéa 241.2(2)d), ou le projet de loi C-14 autorise les personnes dont le seul problème de santé invoqué est une maladie mentale ou une grave incapacité physique non mortelle à avoir accès à l'aide médicale à mourir. Le gouvernement doit choisir, il ne peut avoir les deux.

Deuxièmement, l'expression « raisonnablement prévisible » constitue un critère d'accès indéfendable. Elle est inadmissiblement vague. Le débat visant à déterminer si Kay Carter elle-même aurait satisfait à ce critère le démontre on ne peut plus clairement.

La définition proposée par le gouvernement pour « raisonnablement prévisible », soit « dans un avenir pas trop éloigné » ou « dans un délai pas trop éloigné », va à l'encontre de l'acception courante où cette expression signifie la prévisibilité et non la proximité temporelle.

Contrairement à ce que prétend le gouvernement, le sens de « raisonnablement prévisible » qu'il propose dans son glossaire et ses déclarations publiques ne correspond pas à celui établi dans le droit pénal ou dans le droit de la responsabilité civile, où « raisonnement prévisible » signifie « prévisibilité » plutôt que « proximité temporelle »; autrement dit, prévoir « que » au lieu de prévoir « quand ».

Passons maintenant aux exclusions. Le gouvernement a reconnu, il importe de le signaler, que le projet de loi C-14 restreint les droits énoncés dans la Charte, notamment parce qu'il exclut les mineurs matures, les personnes dont la maladie mentale est la seule condition médicale invoquée de même que les personnes qui présentent une demande avant de devenir incapables. Le gouvernement ne fournit toutefois pas aux parlementaires une preuve raisonnable que ces restrictions sont conformes aux principes de justice fondamentale, comme le prévoit l'article 7 de la Charte, ni qu'elles sont justifiées par des faits dans une société libre et démocratique, conformément aux articles 7 et 15. Autrement dit, vous n'avez fourni aucune preuve solide sur laquelle s'appuyer pour conclure que ce projet de loi ne viole pas la Charte.

Le gouvernement a publié un document d'information sur le contexte législatif dans lequel il explique pourquoi il en est venu à la conclusion que le projet de loi C-14 était conforme à la Charte. Les motifs qu'il y présente pour justifier la restriction des droits sont tout à fait insuffisants. Ce document comporte plusieurs lacunes, dont les suivantes : présentation erronée des lois adoptées dans les pays ou États qui autorisent cette pratique, présentation trompeuse des données provenant des pays ou États qui autorisent cette pratique, utilisation de sources non fiables de preuves pour étayer ses prétentions concernant ces pays ou États, recours à une distinction éthique explicitement rejetée par le juge Smith dans l'arrêt Carter, recours à des hypothèses fondamentalement incompatibles avec les lois provinciales et territoriales en matière de directives anticipées et recours à un groupe d'experts mal équilibré.

Pour éclairer votre réflexion, vous devriez comparer ce document à deux autres rapports marquants, celui du Groupe consultatif provincial-territorial d'experts sur l'aide médicale à mourir et celui du Comité mixte spécial sur l'aide à mourir. Comme ces rapports ne comportent aucune des lacunes que l'on trouve dans le document d'information législatif, je pense qu'il serait plus raisonnable de vous appuyer sur eux. Je vous rappelle que ces deux rapports sont contre l'exclusion des mineurs matures, des personnes dont la seule condition médicale invoquée est la maladie mentale ainsi que des personnes qui présentent une demande anticipée.

Après vous avoir donné une idée de l'ampleur des questions à débattre, je vous laisse avec ceci : si le projet de loi C- 14 n'est pas amendé, un grand nombre de personnes atteintes de problèmes de santé graves et irrémédiables leur causant des souffrances persistantes et intolérables n'auront plus que trois options : mettre fin à leurs jours prématurément, souvent de manière violente et dangereuse, cesser de s'alimenter jusqu'à ce que la faim les conduise à une mort prévisible et qu'elles deviennent ainsi admissibles à l'aide à mourir, ou continuer à souffrir jusqu'à ce qu'elles meurent de causes naturelles. Il s'agit là d'un choix profondément et déraisonnablement cruel.

Joseph Arvay, avocat, Farris, Vaughan, Wills & Murphy LLP, à titre personnel : Merci, mesdames et messieurs les membres du comité, de me donner l'occasion de m'adresser à vous aujourd'hui. Je suis ici aujourd'hui en ma qualité d'avocat principal dans l'affaire Carter. À ce titre, je voudrais partager avec vous un point de vue unique sur l'arrêt Carter étant donné le rôle privilégié que j'ai joué dans cette affaire.

Dans le mémoire que je vous ai transmis et qu'il m'est impossible, pour des raisons évidentes, de passer en revue avec vous, vous constaterez que nous avons bâti notre argumentation en soupesant chaque mot. Nous avons délibérément choisi les termes « graves et irrémédiables ». Nous les avons préférés à « graves et incurables » et, surtout, au mot « terminal ». Nous avons été très attentifs à cet égard.

Lorsque les avocats du gouvernement nous ont demandé de définir ce que nous entendions par « graves et irrémédiables », nous leur avons répondu dans nos plaidoyers — sans utiliser de termes comme « terminal » ou « prévisibilité raisonnable ». Devant le juge de première instance, l'avocat du gouvernement a dit : « C'est insensé. Ces avocats demandent quelque chose que même les avocats de l'affaire Rodriguez n'ont pas demandé. Ils disent qu'il n'est pas nécessaire que la personne soit en phase terminale. » Dans sa déclaration, le juge de première instance nous a donné raison sur presque tous les points, notamment sur l'emploi des termes « graves et irrémédiables ».

Devant la Cour suprême du Canada, nous avons été très clairs dans notre plaidoirie. J'ai inclus dans mon mémoire quelques extraits indiquant que notre demande ne visait pas uniquement les malades en phase terminale. J'ai demandé au greffier de vous distribuer quelques pages de la transcription de la dernière audience devant la Cour suprême du Canada portant sur cette question, le jour où le gouvernement a sollicité une prolongation du délai prévu pour l'adoption de cette loi. J'attire simplement votre attention sur un élément qui me semble convaincant. À la deuxième page qui vous a été distribuée, soit à la page 18, ligne 19 de la transcription, madame la juge Karakatsanis, dans un échange avec Me Frater, l'avocat du gouvernement, dit : « Maître Frater, puis-je vous poser une question : est-ce que votre opinion sur la loi du Québec signifie que vous la jugez conforme à la décision Carter? Je pense en particulier au fait que la personne doit être en fin de vie, tandis que dans Carter, nous avons rejeté la notion qu'elle soit en "phase terminale''. » Si vous poursuivez votre lecture, vous constaterez que le juge Moldaver a aussi reconnu que la loi du Québec n'allait pas aussi loin que la décision Carter; il a dit qu'elle était « trop limitative ».

Il ne fait aucun doute dans mon esprit que ce projet de loi, dans la mesure où il contient une disposition sur la prévisibilité raisonnable, va à l'encontre de la décision Carter et est inconstitutionnel, et ne peut se justifier en invoquant l'article 1 de la Charte, comme j'ai entendu certains avocats le soutenir.

L'article 1 de la Charte a été longuement débattu dans l'affaire Carter, et la décision rendue dans cette affaire établit un seuil minimal en matière de droits constitutionnels. Le Parlement peut évidemment ajouter d'autres droits, mais il ne peut en retirer.

Pour élaborer ce projet de loi, le Parlement a essentiellement dissocié de la décision Carter un groupe important de notre société, soit les personnes physiquement handicapées dont la mort n'est ni imminente ni raisonnablement prévisible. C'est un énorme segment de notre société. Il ne faut pas penser que les personnes atteintes d'une incapacité physique seront très nombreuses à demander une aide médicale à mourir, ce ne sera pas le cas. En revanche, ce projet de loi prive celles dont les souffrances sont intolérables et pour qui la vie est pire que la mort des droits que leur a conférés la Cour suprême. Les personnes qui sont handicapées de naissance ou qui le sont devenues au milieu de leur vie à la suite d'un grave accident et, surtout, celles qui vers le milieu ou la fin de leur vie développent de terribles maladies neurodégénératives comme la SP, la maladie de Parkinson, la maladie de Huntington et la SLA, dont aucune n'est mortelle, sont condamnées à souffrir.

Je me pose la question suivante : comment en sommes-nous arrivés là? Pourquoi suis-je ici alors qu'il est si évident que la Cour suprême a rejeté cela? Après avoir lu les mémoires et entendu divers témoignages, j'ai l'impression que le gouvernement s'est laissé séduire ou convaincre par la rhétorique et les arguments des organismes de défense des droits des personnes handicapées, ces mêmes organisations qui étaient à l'avant-plan dans l'affaire Carter; la Cour suprême du Canada a pourtant rejeté catégoriquement et intégralement leurs arguments qui sont maintenant présentés au gouvernement, acceptés par ce dernier et intégrés à ce projet de loi.

Les organisations de défense des droits des personnes handicapées semblent penser que les personnes handicapées sont incapables de décider de manière autonome si elles souhaitent ou non demander l'aide médicale à mourir. La loi renforce leur argument voulant que les personnes handicapées soient en quelque sorte incapables de prendre des décisions et d'exercer leur autonomie. Elle confirme l'idée que les personnes physiquement handicapées ne peuvent prendre de décisions de manière autonome. Ces organisations semblent avancer que les souffrances des personnes handicapées ne sont pas si graves que cela. Après tout, de nombreuses personnes handicapées souffrent; tout le monde doit souffrir. Un autre argument avancé est que leur souffrance sera peut-être transitoire, provisoire ou circonstancielle et que nous ne devrions pas les autoriser à mourir, au cas où elles changeraient d'avis. Ce sont ces mêmes arguments qui ont été avancés devant le juge de première instance et devant la Cour suprême du Canada...

Le président : Je déteste devoir vous interrompre, mais nous voulons avoir le temps de poser des questions. Je vais donc vous demander de conclure.

M. Arvay : Merci. Bref, c'est que tous les arguments avancés par les groupes de défense des droits des personnes handicapées, et ce que vous diront Me Baker, Mme Frazee ainsi que Mme Pothier, ne sont pas nouveaux et ils ont déjà été rejetés. Je ne peux comprendre que le gouvernement s'apprête à adopter un projet de loi qui confirme des arguments déjà avancés et rejetés.

[Français]

Jean-Pierre Ménard, avocat, Ménard, Martin, Avocats, à titre personnel : Je viens de la seule province du Canada qui a une loi sur les soins de fin de vie, et il est important, pour l'analyse que je vais faire, de tenir compte de l'existence de la loi québécoise.

Étant donné qu'elle semble servir d'inspiration au projet de loi fédéral, il est important de souligner que la loi québécoise a été adoptée avant la décision de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Carter. J'ai participé de près à la préparation et à l'adoption de cette loi, mais dans le contexte où elle été adoptée, avant la décision Carter, elle aurait été, à la limite, à l'opposé de la décision Carter, étant une loi visant la santé, une loi de fin de vie qui avait des objectifs plus limités que ce que permet maintenant la décision Carter.

Donc, si nous voulons nous inspirer de la loi québécoise, il est clair que, maintenant que le paysage juridique a changé avec la décision Carter, nous n'aurons pas le choix, au Québec, de revoir notre loi qui est devenue trop restrictive par rapport à l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés. Par conséquent, le débat du Québec, c'est de voir de quelle manière nous allons pouvoir la réajuster. Une fois que nous saurons la nature exacte de la réglementation fédérale, nous devrons revoir certains aspects de notre loi.

De façon globale, cette loi est en vigueur depuis le 10 décembre 2015. Il y a plus de 50 cas dans lesquels de l'aide médicale à mourir a été prodiguée, et ce, dans des conditions estimées par tous comme étant très respectueuses envers les personnes. Au Québec, nous ne sommes plus en train de nous demander si c'est une bonne ou une mauvaise idée. Nous avons adopté une loi qui a des balises extrêmement correctes pour protéger les personnes vulnérables et qui assurent une très bonne protection.

Il est question de toutes sortes de choses et, dans ce débat, nous avons défini la vulnérabilité — laquelle, d'ailleurs, a le dos un peu large pour essayer de limiter les choses — en la mettant en relation avec l'aptitude de la personne à prendre des décisions, à consentir aux soins ou non. La vraie vulnérabilité est là et, quand la personne est apte à consentir aux soins, qu'elle soit handicapée ou non, elle n'est pas une personne vulnérable; nous avons tracé la ligne de cette façon.

Je vous ai remis un bref mémoire qui rapporte un certain nombre d'idées où les critères d'accès à l'aide médicale à mourir représentent l'élément le plus important.

Je considère que, effectivement, après avoir soigneusement étudié la décision Carter et le projet de loi, ce dernier n'est pas compatible avec la décision de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Carter, étant beaucoup trop restrictif. Au premier paragraphe 241.2(1), les critères de Carter sont repris, mais au deuxième paragraphe du même article, ces mêmes critères sont atténués et dilués. Alors, des critères sont introduits qui ne figurent pas dans la décision de la Cour suprême, et ce projet de loi ne vise pas les mêmes personnes que celles visées par la décision Carter.

N'oublions pas que la décision de la Cour suprême, avec la portée de l'article 7, propose le droit d'avoir accès à l'aide médicale à mourir comme un droit constitutionnel pour tous les Canadiens qui répondent aux conditions définies par la Cour suprême. Le projet de loi, en fonction des conditions supplémentaires qui sont ajoutées, à savoir, surtout, la question de la mort prévisible, qui n'est pas dans la décision de la Cour suprême, va restreindre indûment le droit constitutionnel des Canadiens et priver une partie des Canadiens qui auraient droit à l'aide médicale à mourir, selon l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés. Ce projet de loi les restreint indûment, en les excluant, alors que la décision de la Cour suprême ne visait pas les gens en fin de vie, mais visait les gens qui souffrent de maladies graves et irrémédiables.

Je pense que le paragraphe 241.2(2) devrait simplement être enlevé du projet de loi, puisqu'il ajoute des conditions qui sont fortement inspirées de la loi québécoise. Mais, rappelons-le, cette dernière a été adoptée avant la décision Carter. Donc, en termes d'inspiration juridique par rapport à ces critères, il faut faire attention de s'en tenir à cela, parce que le droit a évolué depuis. Encore une fois, par rapport aux critères, ces critères sont beaucoup trop restrictifs.

La notion d'aide au suicide est en partie réglementée ici, alors que la loi québécoise ne touche pas cette question, puisqu'elle est une loi de fin de vie, une loi visant les soins de santé. Il a été décidé de ne pas aborder la question de l'aide au suicide, de ne pas la réglementer, parce que cela changeait le caractère véritable de la loi.

La réglementation qui est proposée pour l'aide au suicide pose des difficultés sur le plan de la déontologie médicale, de la responsabilité et des obligations des médecins, parce que le médecin qui donne le médicament pour l'aide au suicide ne sera pas forcément sur place lorsque viendra le temps. Les mesures de sauvegarde ne sont pas nécessairement applicables à l'aide au suicide de façon rigoureuse, parce que si vous regardez l'alinéa h) des mesures de sauvegarde, il faut vérifier si la personne a changé d'avis, avant de l'administrer, ce que le médecin ne pourra pas faire, puisqu'il n'y sera pas. Ceci peut entraîner des difficultés au niveau de la surveillance, parce que le médecin pourra seulement rapporter le fait qu'il a donné le médicament, mais ne pourra pas rapporter si le patient l'a vraiment pris.

J'entre un peu plus dans les détails dans mon mémoire, alors j'en fais un survol rapide, et je pourrai répondre à vos questions à ce sujet.

J'aimerais aborder aussi d'autres éléments. Étant une province qui a déjà mis en place un système de contrôle et de surveillance, il faudrait éviter que la loi fédérale fasse double emploi. Au Québec, les médecins ont déjà deux rapports à produire lorsqu'il administre l'aide médicale à mourir, et on leur en impose un troisième. Il faut éviter d'instaurer des mesures de surveillance différentes de celles du Québec. Il importe de mettre en place des normes flexibles et claires. Dans le cadre du projet de loi, lorsqu'une province met en place des mécanismes de surveillance appropriés, les mesures prévues par les lois fédérales ne devraient pas s'appliquer à la province, lorsque le gouvernement fédéral est satisfait des mesures mises en place par la province. Toutefois, le gouvernement fédéral aurait le droit d'exiger que la province lui transmette certaines données. Il ne faut surtout pas alourdir la tâche des médecins pour ne pas les rebuter.

J'ai été bref, mais vous pouvez consulter mon mémoire. C'est avec plaisir que je répondrai à vos questions en ce qui concerne le Québec. Je vous remercie.

[Traduction]

Le président : Nous allons maintenant passer aux questions, en commençant par la vice-présidente du comité, la sénatrice Jaffer.

La sénatrice Jaffer : Merci à vous tous d'être ici aujourd'hui. Monsieur Arvay, nous sommes de la même province, et je voudrais souligner officiellement le travail que vous accomplissez au nom des personnes vulnérables de notre province, la Colombie-Britannique.

Ce projet de loi suscite un sentiment d'anxiété et nous aurions souhaité que le gouvernement consacre plus de temps à son étude. L'une de mes préoccupations — et j'en ai parlé à la ministre hier — concerne les directives anticipées sur lesquelles le projet de loi reste silencieux. J'aimerais vous lire le paragraphe 57 de la décision Carter :

La juge de première instance a conclu que la prohibition de l'aide médicale à mourir avait pour effet de forcer certaines personnes à s'enlever prématurément la vie, par crainte d'être incapables de le faire lorsque leurs souffrances deviendraient insupportables. Elle a conclu pour cette raison que le droit à la vie entrait en jeu.

À mon avis, c'est l'un des paragraphes clés de la décision Carter. Les maladies terminales n'y sont pas évoquées. L'accent est mis sur le fait que l'interdiction empiétait sur les droits garantis par l'article 7. J'aimerais entendre votre opinion à tous les trois sur ce point, très brièvement, je vous prie.

M. Arvay : Je vous remercie, madame la sénatrice. Je vous signale que la question des directives anticipées n'était pas en jeu dans l'affaire Carter. C'est un fait. Nous l'avons étudiée, mais nous avons décidé de ne pas orienter nos arguments dans cette direction. Non pas parce que nous pensons que les personnes qui seront éventuellement affectées par une maladie comme l'Alzheimer ou la démence ne devraient pas jouir du droit constitutionnel de demander l'aide médicale à mourir. Cette question ne fait simplement pas partie de l'ensemble des faits ou des arguments soutenus dans cette affaire.

Je demande instamment au Sénat et à la Chambre d'amender ce projet de loi en autorisant les directives anticipées, parce que je crois qu'il y a un droit constitutionnel rattaché à cette question. Je ne serais pas honnête si je vous disais que la décision Carter l'exige. Je pense que c'est la Constitution qui l'exige, mais je peux vous confirmer que cette question n'a pas été abordée dans la décision Carter.

Je suis d'accord avec vous pour dire que la Constitution l'exige et que le Parlement devrait donc, si les circonstances l'exigent, aller plus loin que les tribunaux et garantir ce droit.

Comme je l'indique dans mon mémoire, la décision Carter garantit un seuil minimal de droits constitutionnels, pas le maximum. Le Parlement peut toujours en rajouter, et les tribunaux également. Les directives anticipées en sont un bon exemple.

Le président : Monsieur Ménard, souhaitez-vous répondre?

[Français]

M. Ménard : Lorsqu'on a élaboré notre loi, on a longuement examiné la question des directives médicales anticipées. C'est l'un des éléments qui ont été les plus difficiles à trancher, parce qu'il faisait partie des principales recommandations. Bon nombre d'arguments avancés en faveur des directives médicales non anticipées sont valables, mais celles-ci soulèvent d'importantes questions : à quel moment les directives ont-elles été élaborées? La personne était-elle apte au moment où elles ont été mises en œuvre? Entre-temps, la personne a-t-elle changé d'idée? Sont-ce bel et bien ses dernières volontés? Les directives sont-elles assez précises? Le législateur a décidé d'y renoncer. En matière d'aide médicale à mourir, la personne doit être apte à y consentir au moment où elle en fait la demande, et elle seule peut le faire. En ce qui concerne les directives médicales anticipées, le représentant de la personne pourra en faire la demande à un moment donné aussi. Toutes ces questions soulèvent de nombreuses préoccupations du point de vue du contrôle.

L'idée évoquée est que la décision revient à la personne elle-même. Il ne faut pas oublier que les directives médicales anticipées n'ont aucune valeur tant que la personne demeure apte à consentir. Il y avait aussi le fait qu'une personne peut changer d'idée. On veut laisser les personnes en fin de vie prendre leurs propres décisions jusqu'à la fin. Ce sont les arguments qui ont prévalu, mais il y avait d'excellents points de vue pour les intégrer aussi.

Ce sont des choix qui reviennent au législateur sur le plan de la politique législative. Est-ce qu'on devrait les permettre, mais en les balisant fortement? En Belgique, par exemple, les directives ont été élaborées depuis moins de cinq ans. Cela soulève certaines questions, notamment la suivante : la décision a-t-elle été prise d'après un diagnostic? Il s'agit d'un dossier extrêmement complexe. Dans le cadre d'un projet de loi modifiant le Code criminel, il n'est pas pertinent de développer cela. Les questions liées au consentement aux soins relèvent en partie des compétences provinciales. C'est une question très délicate. On est pressé de vouloir apporter des modifications à une loi qui relève du droit criminel. Pourtant, cette question devrait faire l'objet d'un débat plus approfondi au sein de la société dans le cadre d'un autre véhicule juridique.

[Traduction]

Le sénateur White : Merci à vous tous d'être ici. J'ai une question pour M. Arvay. Nous n'avons aucune disposition dans ce projet de loi sur les directives anticipées, mais le projet de loi protège néanmoins les personnes qui agissent au nom d'un médecin praticien ou qui l'assistent. Il n'y est toutefois pas question de la protection offerte aux personnes qui soutiennent la personne qui souhaite mourir. Celle-ci reçoit le médicament létal qu'elle pourra s'administrer ultérieurement, tout en sachant fort bien qu'elle n'aura peut-être pas la capacité physique de le faire. Le projet de loi ne protège pas la personne à qui le patient demandera de lui administrer le médicament. Il protège seulement les personnes qui aident le médecin praticien et non celles qui aident le patient. Est-ce que cela vous semble un problème, et pensez- vous que le projet de loi doit être plus clair en ce qui concerne les personnes qui aident le patient à mettre fin à ses jours?

M. Arvay : Monsieur le sénateur, je suis désolé, je ne crois pas avoir la compétence requise pour répondre à votre question. C'est une question sur laquelle je ne me suis pas penché. Je suis désolé. Mme Downie pourrait peut-être vous répondre.

Mme Downie : Selon mon interprétation du paragraphe 241(3), il offre cette protection lorsqu'il dit : « Ne participe pas à l'infraction... la personne qui fait quelque chose en vue d'aider un médecin ou un infirmier praticien... »

Je pense que l'intention est de protéger les personnes qui travaillent en équipe — et il est extrêmement important de reconnaître que les soins de santé sont aujourd'hui prodigués par des équipes —, mais cela va au-delà de l'équipe.

Le sénateur White : Je ne suis pas en désaccord, lorsqu'un médecin praticien demande à une personne de l'aider. Ce qui me préoccupe, c'est le fait que le patient peut décider d'attendre encore un mois ou deux, en fonction de l'évolution de sa situation et de l'imminence de sa mort. Il se peut que le patient n'ait pas pris d'engagement auprès du médecin praticien de l'équipe soignante pour obtenir de l'aide. L'aide à mourir lui sera peut-être fournie par quelqu'un d'autre, par un membre de sa famille, par exemple. Ces personnes sont-elles protégées?

Mme Downie : Je pense qu'il faut interpréter ce paragraphe au sens élargi de « quiconque aide un médecin praticien ». C'est le médecin qui fournit l'ordonnance. L'acte peut avoir lieu deux mois plus tard, mais vous diriez : « D'accord, c'est considéré comme une aide médicale à mourir, même si la personne est chez elle. » Vous pourriez être plus clairs.

Le sénateur White : Du point de vue de la clarté, oui, c'est ce que je voudrais. Est-ce que cela serait clair pour la poursuite? Est-ce que ce serait clair pour les services policiers si jamais une plainte était déposée?

Mme Downie : Il y a aussi quelque chose au paragraphe (5) : « ... fait quelque chose, à la demande expresse d'une autre personne, en vue d'aider celle-ci à s'administrer la substance... » On parle ici de la personne la plus capable.

Le sénateur Baker : Je remercie les témoins pour leurs exposés très instructifs. J'aimerais poser une question à M. Arvay. Vous avez dit que vous n'aviez pas réfléchi à la question qui vous a été posée par ma collègue, je vais donc vous poser une question à laquelle vous avez réfléchi maintes fois au cours de ce long litige. C'est la question qui est au centre de notre étude. Quels devraient être les paramètres de cette réponse législative? Devrait-on s'inspirer de ceux établis par la Cour suprême dans sa décision?

Je vous pose cette question parce qu'au paragraphe 127, comme vous le savez, la Cour suprême du Canada précise que sa déclaration s'applique uniquement aux « situations de fait que présente l'espèce », et l'affaire à laquelle elle faisait référence était le cas de Mme Taylor.

Deuxièmement, au paragraphe 111 de sa décision, la Cour suprême du Canada affirme que les paramètres de sa décision ne s'appliquent pas aux personnes affectées de troubles psychiatriques, aux mineurs matures, ni aux directives anticipées. Autrement dit, dans deux parties de sa décision, la Cour suprême du Canada signale s'être appuyée sur les faits relatifs au cas Taylor et la deuxième, elle précise que les paramètres ne s'appliquent pas à trois éléments, dont deux sont mentionnées dans votre exposé.

Que répondez-vous à cette critique?

M. Arvay : Merci, je peux répondre très simplement. Sur le dernier point, j'ai déjà fait savoir que la décision Carter ne portait pas sur les mineurs matures et les directives anticipées pour la simple raison que nous les avons délibérément exclus de notre argumentation. Comme l'a dit la sénatrice Jaffer précédemment, cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas de droits constitutionnels, mais simplement que la décision Carter ne portait pas sur ces questions.

En ce qui concerne votre premier point, c'est un argument que j'ai souvent entendu, les faits de l'affaire n'étaient pas seulement ceux qui se rapportaient à Gloria Taylor ou à Kay Carter. Cet argument démontre une méconnaissance des faits de l'affaire. Nous avons délibérément bâti notre argumentation de façon à ce qu'elle ne s'applique pas à une personne en particulier. Contrairement à l'affaire Sue Rodriguez, qui portait sur cette seule personne, nous avons voulu nous assurer que la cour entendrait parler d'une diversité de maladies, de handicaps et de souffrances qui affligent des gens de partout au Canada et d'ailleurs; nous soutenions en effet que la loi était inconstitutionnelle parce qu'elle s'appliquait non pas à une ou deux personnes, mais à des milliers de Canadiens potentiels susceptibles d'endurer un jour des souffrances intolérables.

L'une des raisons pour laquelle notre principal plaignant était l'Association des libertés civiles de la Colombie- Britannique, qui a obtenu le statut de défendeur de l'intérêt public face au gouvernement fédéral et qui s'est opposé à cela, c'est précisément parce que les faits de l'affaire n'allaient pas s'appliquer seulement à Gloria Taylor et à Kay Carter, qui étaient certes des personnes importantes dans cette affaire, mais à tous les témoins qui sont venus témoigner. Bon nombre d'entre eux ont décrit des maladies, des affections et des handicaps non mortels ou d'autres situations où la mort n'était pas raisonnablement prévisible.

L'un des témoignages sur lesquels nous nous sommes appuyés pour démontrer pourquoi il est si cruel — pour ne pas dire une torture — d'exiger que la personne soit en phase terminale est celui de Tony Nicklinson, un homme que j'évoque dans mon mémoire et dont vous avez peut-être déjà entendu parler. Lorsqu'il était dans la cinquantaine, Tony a été victime d'un terrible accident vasculaire cérébral, en plus d'être affligé d'une maladie appelée le syndrome de verrouillage, qui le rend incapable de bouger le moindre muscle de son corps, à part les paupières et parfois l'œil. C'est tout. Au moyen de clignement de paupières, M. Nicklinson a réussi à rédiger une déclaration sous serment à notre intention dans laquelle il explique au tribunal l'horreur dans laquelle il vit à cause de sa maladie et qu'il en avait encore pour 20 ans à vivre ainsi. Il a dit : « Je ne peux même plus fumer ou boire de l'alcool dans l'espoir de développer un cancer terminal. »

À la fin, Tony Nicklinson a défendu sa cause devant un tribunal en Angleterre, sans succès. Tout ce qu'il lui restait à faire était de cesser de s'alimenter jusqu'à ce que mort s'ensuive. Il semble pourtant que ce projet de loi va tolérer les personnes qui décident de se laisser mourir de faim. Il est facile de s'imaginer que se laisser mourir de faim est une forme de torture. Ce projet de loi autorise pourtant une personne comme Tony Nicklinson à cesser de s'alimenter jusqu'à ce que sa mort devienne raisonnablement prévisible. Le message envoyé par le projet de loi, c'est : « D'accord, maintenant tu réponds aux critères. »

C'est cruel.

Le sénateur Plett : Le projet de loi prévoit une mesure de sauvegarde obligeant le médecin à vérifier si la personne consent toujours, ce qui, je suppose, l'oblige également à évaluer sa capacité à donner son consentement immédiatement avant d'administrer le médicament. Lorsque le médicament est fourni sous forme d'ordonnance, aucune mesure de sauvegarde n'est prévue après que l'ordonnance a été donnée. Le patient pourrait s'administrer le médicament des années plus tard, alors qu'il est atteint d'une maladie mentale, et il n'y aura personne pour s'assurer qu'il a toute sa capacité, qu'il n'est pas contraint de le faire et ainsi de suite. Lorsque c'est le médecin qui administre le médicament, le projet de loi exige la présence d'un témoin qui n'est pas un bénéficiaire du patient. Cependant, n'importe qui, ou presque, peut administrer le médicament au patient, une fois qu'il aura obtenu son ordonnance, et il n'existe aucune disposition dans le projet de loi interdisant à un bénéficiaire direct du patient le faire.

Cette lacune pose un problème. Il est clair que l'intention du projet de loi est que la mort du patient ne doit profiter à personne. Or, aucune mesure de sauvegarde n'est prévue pour empêcher un bénéficiaire d'administrer le médicament, une fois qu'un pharmacien aura livré le médicament au patient.

Mme Downie : Première des choses, le bénéficiaire n'administrerait aucune substance, puisque vous parlez d'un contexte dans lequel la personne malade s'administrerait elle-même une substance. En fait, la seule personne pouvant administrer une substance serait un professionnel de la santé, mais dans ce cas, nous tombons dans l'autre scénario.

Dans le contexte de la reconfirmation de la demande d'aide à mourir, j'aimerais parler du scénario selon lequel une personne satisfait à tous les critères d'admissibilité et où toutes les mesures de sauvegarde sont en place. Cette personne reçoit des médicaments contre la douleur en raison de ses souffrances atroces. Ce que cette disposition exige, cependant, c'est que la personne sorte de son état de sédation et que sa douleur refasse surface pendant que vous attendez que l'effet de la médication se dissipe pour pouvoir obtenir sa reconfirmation. Pouvez-vous imaginer l'effet de ce retour à l'état de souffrance aiguë? C'est pourtant ce que cette disposition exige.

C'est ce qui me pose problème.

Le sénateur Plett : Vous êtes d'accord avec le fait que le bénéficiaire reçoive de l'aide ou puisse en prodiguer. Il n'y a pas d'exemption pour une personne qui aide un patient — « Ne commet pas l'infraction prévue à l'alinéa (1)b) quiconque fait quelque chose, à la demande expresse d'une autre personne, en vue d'aider celle-ci à s'administrer la substance... », aider la personne à s'administrer la substance... donc, le bénéficiaire aide la personne.

Mme Downie : On avait posé cette question à Linda Ganzini, dans tout ce processus-là, il y a longtemps. Linda Ganzini est une chercheuse spécialiste de l'Oregon. C'était pendant le procès. Au cours de la conversation que nous avons eue elle et moi après le procès, elle a mentionné, entre autres, qu'il s'agissait d'une description erronée de l'attitude des familles à ce stade. Les familles supplient leurs proches de ne pas les quitter, de ne pas demander l'aide à mourir, parce qu'elles veulent les garder encore parmi elles. Alors, de bâtir un argumentaire sur l'hypothèse selon laquelle les proches qui désirent y accéder...

Le sénateur Plett : Mais il y en a.

Mme Downie : Où est la preuve? Si on regarde l'Oregon, les Pays-Bas et la Belgique, on ne trouve pas de preuve de cela. Nous devons être prudents avec l'élaboration de politiques fondée sur des données probantes.

Le sénateur Plett : Il y a des gens qui tuent leurs parents. J'ai eu un cas dans les Maritimes; le type a été déclaré coupable d'avoir battu son père à mort. Il existe effectivement des gens qui veulent se débarrasser de leurs proches.

Mme Downie : Dans ce cas, l'infraction serait de ne pas avoir satisfait aux critères. Cela demeure un crime, parce qu'il ne s'agit pas d'un acte posé volontairement par la personne.

Le sénateur Plett : Non. Dans ce cas précis, ce ne l'était pas. Vous laissez entendre qu'il n'existe aucune preuve d'une personne qui, parce qu'elle était bénéficiaire, a voulu se débarrasser d'un proche ou souhaité le décès d'un membre de la famille. Nous avons des centaines de cas semblables.

Mme Downie : Non, non. Dans le contexte où des personnes ont demandé l'aide médicale à mourir, nous n'avons pas de preuve de cela.

Le sénateur Plett : Je vous remercie.

Le président : Je dois poursuivre.

Le sénateur Cowan : Bienvenue et merci de votre présence. J'ai deux questions. J'aimerais demander à MM. Arvay et Ménard — je suis conscient, monsieur Ménard, que vous n'avez pas assisté à l'exposé de Mme Downie — s'ils sont eux aussi d'accord avec les recommandations de Mme Downie à propos de ce que nous devrions faire et ne pas faire concernant les modifications à ce projet de loi. C'est ma première question.

M. Arvay : Je suis tout à fait d'accord.

Le sénateur Cowan : Si M. Ménard n'a pas eu la chance d'entendre l'exposé, il pourrait nous donner son avis à une date ultérieure.

Mon autre question porte sur le sentiment d'urgence exprimé hier par les ministres sur la date limite du 6 juin, laissant entendre que nous devions tout faire pour que cette législation entre en vigueur le 6 juin, sinon, toutes sortes de choses horribles allaient se produire. J'aimerais que vous nous disiez ce qui pourrait arriver si ce projet de loi ou tout autre projet de loi n'était pas adopté d'ici le 6 juin, et ce que vous pensez des insinuations que, bon, d'accord, ce n'est peut-être pas exactement le bon projet de loi, mais c'est mieux que rien. Ces mots viennent de moi; je ne fais pas dire aux ministres des choses qu'ils n'ont pas dites. Le mot court que nous ferions mieux d'adopter ce projet de loi, aussi imparfait soit-il, que de n'avoir pas de loi du tout.

M. Arvay : J'ai un commentaire à faire à ce sujet. Ce projet de loi est bien pire que rien du tout. À mon avis, si aucune loi n'est adoptée, la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Carter contient tout ce qu'il faut pour protéger les plus vulnérables. Elle définit clairement les paramètres du droit du médecin ou de l'aide médicale à mourir. S'il n'y a pas de loi, alors la question sera reléguée à la profession médicale et traitée en tant que problème de santé, comme cela a été le cas avec l'avortement. Après l'arrêt Morgentaler, si j'ai bien compris, on a proposé un projet de loi au Parlement, mais le Sénat l'a balayé du revers de la main. Il n'y a jamais eu de législation sur l'avortement parce que l'avortement est considéré comme une affaire de soins de santé entre un médecin et sa patiente. En suivant les directives de la Cour suprême, il ne peut y avoir de décès imputables à une faute, pas de préjudice. Respectueusement, j'estime que ce projet de loi est franchement désastreux.

Je ne trouve pas de meilleur terme pour le qualifier. Il est franchement désastreux. Il vide l'arrêt Carter de toute sa substance. Il prive un segment entier de la population des droits qui leur sont garantis par la Charte et que la Cour suprême leur a conférés en vertu de l'arrêt Carter. Je préférerais voir ce projet de loi avorter, qu'il n'y ait pas de législation. S'il doit y avoir législation, alors ce projet de loi doit être amendé.

[Français]

M. Ménard : J'appuie tout à fait les propos de M. Arvay. Je pense aussi que ce projet de loi enlève à une partie des citoyens canadiens un droit constitutionnel que la Cour suprême leur a donné par le truchement de son interprétation de l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés.

Je pense également que, aussitôt ce projet de loi adopté, cela ouvrira la porte à ce que d'autres personnes qui sont maintenant privées de leur droit recommencent la même bataille devant les tribunaux. Je trouve cruel et inhumain qu'on impose à des gens qui ont une condition de maladie grave et irrémédiable de devoir s'adresser aux tribunaux. Voyez le nombre d'années qui se sont écoulées avant que nous puissions obtenir un jugement final. Le droit m'apparaît relativement clair aussi, alors on ne devrait pas imposer ce fardeau aux Canadiens. Vous qui êtes législateurs, je vous invite à ne pas leur imposer ce fardeau.

J'ai proposé dans mon mémoire qu'on élimine la première recommandation, soit la définition de maladie grave et irrémédiable, parce qu'on restreint des droits dont les Canadiens bénéficient déjà. Il s'agit d'un droit constitutionnel, et on ne peut pas le faire simplement en définissant de façon restrictive certaines choses.

En ce qui a trait aux autres recommandations, je les appuie également. En ce qui concerne le délai de 15 jours, on s'était penché, au Québec, sur l'intérêt d'imposer un délai fixe. En définitive, il a été décidé que ce n'était pas une bonne idée, parce qu'effectivement, cela dépend de l'état du patient et de sa relation avec son médecin. Imposer un délai dans la loi nous apparaissait un peu futile, parce que cela risquait, dans certains cas, de prolonger inutilement les souffrances de personnes qui voudraient faire cela autrement. Je pense qu'on devrait laisser le jugement du délai au patient, avec l'aide de son médecin, pourvu qu'on réitère la demande.

Quant à la reconfirmation immédiate, c'est délicat; cela ne se trouve pas dans la loi québécoise. Il n'y a pas cette idée, justement, de ce qui doit être revérifié. Je suis tout à fait d'accord avec ma collègue qui dit que c'est cruel pour la personne. Je suis impliqué dans plusieurs cas au Québec et, dans un des cas, on n'a pas pu donner l'aide médicale à mourir.

[Traduction]

Le sénateur Cowan : Puis-je demander à la professeure Downie ce qu'elle en pense?

Le président : À la deuxième série de questions.

[Français]

Le sénateur McIntyre : Merci à tous pour vos présentations.

Maître Ménard, vous avez soulevé plusieurs points importants, comme les mesures de sauvegarde et les critères liés à la mort raisonnablement prévisible. En ce qui a trait aux mesures de sauvegarde, je comprends qu'elles sont pour vous beaucoup trop rigides. Quant au critère lié à la mort raisonnablement prévisible, encore une fois, c'est un critère qui est trop incertain. Si je comprends bien, vous recommandez l'élimination de l'alinéa 241.2d); je pense que c'est assez clair.

M. Ménard : C'est tout l'article que je recommande d'éliminer, mais surtout cet alinéa en particulier, si on ne veut pas éliminer tout l'article.

Le sénateur McIntyre : Cela étant dit, j'aimerais soulever une tout autre question, à savoir celle des clauses de conscience. On dit souvent que les clauses de conscience ne relèvent pas du droit criminel. Dans la pratique médicale, le domaine dans lequel vous exercez, les clauses de conscience relèvent d'abord de la déontologie médicale et des lois provinciales. Je comprends également que l'on ne doit pas évaluer les clauses de conscience sous l'angle du droit criminel.

Selon vous, quels seraient les inconvénients d'évaluer les clauses de conscience sous l'angle du droit criminel?

M. Ménard : J'ai effectivement recommandé dans mon mémoire que l'on n'inclue pas de clauses de conscience, parce que cela relève davantage de la déontologie médicale et des lois provinciales. Je vais préciser cela dans un contexte de droit criminel.

D'abord, ce type de clause relève de la manière dont on conçoit l'exercice de la médecine, et je crois, d'une part, que cela évolue dans le temps. Les organismes les mieux placés pour évaluer la portée de ces choses sont encore les collèges des médecins. Ils sont à jour en ce qui concerne les normes de pratique médicale, sont bien connectés avec la société, et seront en mesure de faire évoluer cet aspect des choses.

Dans un contexte de droit criminel, je perçois difficilement l'utilité sociale, professionnelle et juridique d'effectuer ce genre de choses, lorsqu'elles sont, par ailleurs, bien réglementées. Effectivement, il pourrait arriver que la norme du droit criminel ne soit pas tout à fait conforme à celle des collèges des médecins ou aux lois provinciales, et là, on ouvrirait le débat afin de savoir quelles normes les médecins devraient suivre.

Au Québec, c'est déjà bien réglementé; le code déontologie, la Loi concernant les soins de fin de vie et une clause de conscience permettent d'encadrer cela. Je pense que ce serait de faire triple emploi, et je ne suis pas sûr que ce soit utile.

Les clauses de conscience ne relèvent pas du droit criminel, surtout que, au Québec, le ministre de la Justice a émis une directive afin que le médecin qui pratique l'aide médicale à mourir, de façon conforme à la loi québécoise, ne soit pas poursuivi. L'idée qu'il faille protéger les médecins au moyen d'un article dans le Code criminel m'apparaît donc excessive et inutile. Quant à moi, ce serait un peu comme dénaturer le sens de ces clauses de conscience.

[Traduction]

Le sénateur Joyal : La tâche de ce comité, à l'étape de l'étude préalable, est de nous assurer que le projet de loi respecte la Charte et la Constitution, de manière générale. Vous concluez de votre lecture et de votre interprétation de la décision Carter que le projet de loi ne respecte pas ce seuil. Hier, en réponse à une question portant précisément sur cette conclusion, la ministre a soutenu qu'en règle générale, à cette étape-ci, le niveau d'acceptation des Canadiens à l'égard de la mort médicalement assistée n'était pas prêt à aller au-delà des personnes visées par ce projet de loi, soit les personnes en phase terminale. Elle a ajouté que selon elle, l'article 1 de la Constitution pallie ce qui pourrait être jugé inconstitutionnel en vertu de l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés.

Selon vous, un argument comme celui-là, formulé dans une société raisonnable et démocratique, n'est-il pas une allégation du fait que ce projet de loi est bâclé?

M. Arvay : Tout simplement parce que l'article 1 auquel la ministre renvoie maintenant a été débattu de long en large par le gouvernement dans l'affaire Carter. Dans l'affaire Carter, le gouvernement a cherché à défendre non seulement la législation proposée sous son libellé actuel, mais dans toutes ses applications. Le gouvernement a présenté au tribunal l'argument fondé sur l'article 1, et il a été rejeté. À mon humble avis, le fait d'insinuer que ce projet de loi est constitutionnel pour la seule raison que la ministre estime que certains citoyens croient que le projet ne devrait pas aller aussi loin ne constitue pas un raisonnement juridique et n'a pas de mérite.

Il existe en droit un concept que l'on appelle res judicata, qui signifie qu'une fois qu'une question a été tranchée, la décision est finale. L'arrêt Carter constitue le mot de la fin sur les droits minimaux qui sont conférés aux Canadiens; et ces droits minimaux ne sont pas limités aux seules maladies terminales. Je suis désolé, mais elle se trompe.

[Français]

M. Ménard : Je suis d'accord avec les propos de mon collègue. L'argument a déjà été amené. Est-ce qu'il faut le refaire encore une fois? Est-ce que nous pouvons raisonnablement penser que la cour puisse renverser son interprétation? Dans l'affaire Carter, nous avions fait un long débat sur la règle du stare decisis, respecter le précédent. J'imagine mal comment un tribunal pourrait reconsidérer sa décision à partir d'une base factuelle ou juridique différente. Je trouve dommage qu'on s'acharne à vouloir reproduire ou recommencer, alors que la décision Carter est merveilleusement claire sur beaucoup de points, même si elle n'est pas volumineuse. Je crois que la cour a voulu faire œuvre de société, indiquant ce qui est acceptable et ce qui ne passe pas. Nous avons un apprentissage à faire des principes de cette décision qui est d'une grande sagesse, qui a voulu être claire et qui s'adresse non pas à des personnes en fin de vie, mais à des personnes atteintes de maladies graves et irrémédiables.

C'est cette question que la cour a réglée. Alors, si nous voulons appliquer un critère plus étroit, nous allons passer à côté et nous allons enlever une partie de leurs droits aux citoyens. Même si nous prétendons que cela passerait le test de l'article 1, moi, je ne le crois pas. Alors, pourquoi imposer ceci aux personnes?

Le sénateur Dagenais : J'aurai deux questions pour M. Ménard. Ma première question pour vous, à titre d'avocat spécialisé dans ce genre de dossier, est la suivante : croyez-vous qu'il y a des dispositions dans cette loi qui risqueraient éventuellement de faire l'objet de contestations devant les tribunaux? Vous savez comme moi que le ministre de la Santé, le Dr Barrette, affirme qu'il y a encore des zones floues, entre autres pour les personnes atteintes de sclérose en plaques.

M. Ménard : Je crois que l'élément le plus vulnérable est l'article 241.2, paragraphe (2), en raison des critères, y compris le critère de mort raisonnablement prévisible. Au Québec, nous le vivons avec les critères de fin de vie qui sont, quant à moi, beaucoup trop operator dependent, parce qu'il y a des médecins qui interprètent de façon très restrictive et qui déterminent que c'est le mourant ou la maladie ou la phase terminale, et d'autres l'ont de façon plus large. Cependant, le critère de la mort raisonnablement prévisible est un critère incertain et qui enfreint le droit constitutionnel du citoyen canadien, dépendamment de son interprétation. C'est un critère qui n'est pas opérationnel et qui ne correspond pas à la loi. On n'a pas trouvé de critère qui correspond bien. Ce n'est pas un débat moral que nous faisons ici, c'est un débat pour répondre au jugement de la Cour suprême dans l'affaire Carter. C'est un débat pour mettre le Code criminel en concordance avec l'article 7 de la Charte canadienne. Actuellement, ce projet de loi, tel qu'il est rédigé, m'apparaît très vulnérable à une attaque constitutionnelle.

Le sénateur Dagenais : Le gouvernement a choisi de ne pas permettre l'aide médicale à mourir aux moins de 18 ans. Il y a des enfants en fin de vie dans les hôpitaux. Croyez-vous, comme avocat, que cette option est acceptable? Si quelqu'un vous demandait de contester cette exclusion, est-ce que vous accepteriez de le faire et, le cas échéant, à l'aide de quels arguments?

M. Ménard : Dans un cas semblable à celui de l'affaire Carter, je n'aurais pas de réticence à le faire. Nous allons devoir faire le débat à un moment donné, étant dans une société où nous décidons de faire un pas à la fois. Au Québec, nous avions beaucoup débattu de l'idée d'inclure les mineurs, et il a été décidé finalement de ne pas les inclure, et d'opter plutôt pour un débat de société, puisqu'il s'agit d'une question qui doit être débattue et pour laquelle il doit y avoir un consensus. Je crois que, au chapitre légal et constitutionnel, un mineur qui répondrait aux conditions énumérées dans la décision Carter pourrait avoir accès à l'aide médicale à mourir, dans certaines conditions. Est-ce qu'il s'agirait de tous les mineurs et de toutes les conditions? La réponse est non. Cependant, dépendant de la trame factuelle, je conçois que, à terme, le problème se posera pour les mineurs. Je pense que, effectivement, d'un point de vue juridique, nous allons devoir examiner cette question et peut-être ouvrir la porte éventuellement, tout en établissant des balises. Il y a tout un processus de compassion et d'humanisme dans tout ça.

Le sénateur Boisvenu : Félicitations pour le travail que vous faites pour défendre les patients au Québec. Vous faites un travail formidable. Vous avez mentionné tantôt qu'une cinquantaine de personnes ont bénéficié de la loi provinciale sur l'aide médicale à mourir. Avez une idée du profil de ces 50 personnes, à savoir s'il s'agit de personnes qui étaient en phase terminale, de personnes handicapées ou de gens qui souffraient de problèmes de santé physique?

M. Ménard : Ce qui ressort des cas dont j'ai eu connaissance, c'est qu'ils s'arriment bien avec la loi québécoise, c'est- à-dire qu'il s'agissait de gens atteints d'une maladie incurable, mais qui n'étaient pas en phase terminale. Dans certains cas, il leur restait quelques mois à vivre. Donc, en ce qui concerne les conditions médicales, les gens y répondaient bien. Nous n'avons pas dérapé. Médicalement, les médecins qui ont participé à l'exercice ont exprimé après, pas de la satisfaction, mais l'impression qu'ils avaient vraiment fait quelque chose de bien, parce que cela avait été fait dans le respect des personnes qui étaient accompagnées de leur famille.

Le sénateur Boisvenu : Ma prochaine question, qui est très engageante, est la suivante : si le Québec avait eu à gérer ces 50 cas — veuillez excuser le terme « gérer » — dans le cadre du projet de loi actuel, combien de citoyens au Québec n'auraient pas pu se prévaloir de ce droit?

M. Ménard : La loi québécoise est plus restrictive, autrement dit, tous ceux qui peuvent se prévaloir de ce droit en vertu de la loi québécoise le peuvent certainement en vertu du projet de loi actuel, tel qu'il est rédigé. Par contre, il y a une demande, et je travaille avec des groupes de personnes handicapées au Québec qui trouvent que la loi québécoise est trop étroite.

[Traduction]

Le président : Je suis désolé, mais nous manquons de temps. Je voudrais donner à la sénatrice Batters la possibilité de poser une question, rapidement.

La sénatrice Batters : Monsieur Ménard, un peu plus tôt vous avez dit ne pas approuver l'idée de délai ni certains autres critères. Vous n'êtes pas d'accord avec le critère de la « mort raisonnablement prévisible » utilisé dans ce projet de loi. À mon avis, une différence importante entre ce projet de loi et la législation du Québec à laquelle vous avez considérablement participé est que l'exigence québécoise liée aux critères de fin de vie est universellement perçue comme plus restrictive que le critère de mort raisonnablement prévisible. Est-ce exact?

[Français]

M. Ménard : Oui. J'ai dit que les critères fédéraux sont un peu plus larges que les critères québécois. Cependant, le problème, c'est que la notion de mort raisonnablement prévisible, en plus de ne pas figurer à la décision de la Cour suprême, est difficile à définir. On adopte une loi, mais sur le terrain, qu'est-ce que cela veut dire? Dans le scénario du médecin et du patient qui veulent l'adopter, est-ce que le médecin va l'interpréter de façon restrictive ou très largement? Le droit constitutionnel du citoyen devient extensible ou réductible, selon le gré du médecin. Ce critère, même s'il est un peu plus large que ce qui est prévu dans la loi québécoise, est flou et, surtout, il n'est pas compatible avec la décision de la Cour suprême et avec le nouvel article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés.

[Traduction]

La sénatrice Batters : Le Québec a étudié sa loi pendant six ans avant de l'adopter — une période autrement plus longue que les quelques mois que ce gouvernement s'est donné pour le faire — et il a édicté des mesures de sauvegarde beaucoup plus rigoureuses que celles que le comité parlementaire et que Mme Downie et M. Arvay ici présents ont endossées.

Au cours de ses six années d'étude, le Québec s'est pennché sur un aspect très important, celui de déterminer quel praticien peut aider une personne à mourir. J'aimerais que vous expliquiez votre point de vue. Si j'ai bien compris le témoignage que vous avez livré devant le comité mixte, vous pensez que ce sont les médecins et non les infirmières praticiennes qui doivent participer à ce processus. Pourriez-vous nous dire pourquoi?

[Français]

M. Ménard : Je n'ai pas de réticence à ce qu'une infirmière praticienne spécialisée puisse le faire éventuellement, car c'est un choix politique et un choix de la société. Au Québec, les infirmières praticiennes spécialisées ont un champ plus limité qui ne couvre pas le même espace que dans certaines régions éloignées du Canada. Le contexte canadien se prête bien à ce qu'on permette aux infirmières praticiennes spécialisées de le faire. Au Québec, nous ne l'avons pas permis, mais, pour ma part, à terme, je ne verrais pas de difficulté à ce que l'infirmière puisse participer à ce processus aussi.

[Traduction]

La sénatrice Batters : À l'époque du comité mixte, vous aviez dit que les infirmières praticiennes et les pharmaciens n'avaient pas forcément le niveau de connaissances nécessaire pour le faire.

[Français]

M. Ménard : Présentement, ce que je vous dis, c'est de ne pas tout simplement les exclure du processus à long terme. Pour le moment, au Québec, c'est une pratique purement médicale. À la longue, je pense que cela pourra évoluer.

[Traduction]

Le président : Merci à vous tous. Nous aurions pu vous garder pendant une autre heure, j'en suis sûr. Nous sommes très reconnaissants de votre comparution. Votre témoignage a beaucoup aidé le comité dans son travail.

Nous accueillons maintenant notre deuxième groupe de témoins. Honorables sénateurs, j'ai le plaisir de vous présenter Margaret Somerville, professeure à la faculté de droit et à la faculté de médecine de l'Université McGill, Dianne Pothier, professeure honoraire à la Schulich School of Law de l'Université Dalhousie, Trudo Lemmens, Chaire de recherche Scholl en droit et politique de la santé à la faculté de droit de l'Université de Toronto et David Baker, avocat à Bakerlaw. Bienvenue à tous.

David Baker, avocat, Bakerlaw, à titre personnel : Monsieur le président, je me demandais si nous pouvions comparaître selon l'ordre préalablement établi entre nous. Ce serait plus facile.

Le président : D'accord.

Dianne Pothier, professeure honoraire, Schulich School of Law, Université Dalhousie, à titre personnel : Je vous remercie de me donner l'occasion de comparaître devant vous. Durant les cinq minutes qui me sont allouées, j'aimerais mettre l'accent sur la validité constitutionnelle de la définition proposée de maladie « grave et irrémédiable ». Je suis en complet désaccord avec le groupe de témoins précédent.

Dans l'affaire Carter, la Cour suprême du Canada est tout aussi éloquente pour ce qu'elle dit que pour ce qu'elle ne dit pas. Au paragraphe 95 de la décision, la Cour stipule qu'aux termes de l'article 1, le Parlement peut se prévaloir de la retenue judiciaire, en particulier lorsque les droits constitutionnels de personnes vulnérables sont visés. Cependant, la Cour ne s'étend pas davantage sur la question. Joseph Arvay dit que tout est décidé. La seule chose qui a été décidée dans l'arrêt Carter, c'est que la validité constitutionnelle d'une interdiction absolue ne fonctionnait pas. La Cour n'a pas précisé quoi d'autre pourrait fonctionner.

La question est la protection des personnes vulnérables. La difficulté, ici, est qu'il s'agit de concilier des droits concurrents, dans un contexte hors de l'ordinaire. D'un côté, nous avons des personnes qui réclament vouloir exercer leur droit à l'autonomie au titre de l'article 7 de la Charte. De l'autre, il y a toute la question de la protection des personnes vulnérables, mais ces personnes ne s'identifient pas elles-mêmes comme telles. Par définition, elles ne sont pas en mesure de promouvoir leurs droits. Le problème est le suivant : ces personnes qui disent vouloir mourir expriment-elles ce souhait dans un moment de faiblesse? En ce moment, elles disent qu'elles souhaitent mourir, mais si on leur accorde ce souhait, c'est fini, elles ne seront plus là pour changer d'idée.

Le groupe de témoins précédent ne s'est pas beaucoup attardé sur cet aspect, mais la question fondamentale est d'établir s'il ne s'agit pas de mort prématurée, si ces personnes avaient eu la possibilité de se rendre compte... Enfin, je n'ai pas le temps d'énumérer dans la foule de choses auxquelles elles pourraient songer pour voir leurs besoins satisfaits et se dire, oui, la vie vaut vraiment la peine d'être vécue. Tout est affaire de protection, comment protéger les personnes qui, dans un moment de faiblesse, ne peuvent pas envisager la vie devant cet angle?

La question est de savoir si les dispositions du paragraphe 241.2(2) proposé, en particulier les alinéas b) sur le déclin des capacités et d) sur la mort « raisonnablement prévisible » sont valides. En ce qui a trait au déclin des capacités, Joseph Arvay a affirmé avoir la déclaration qu'il souhaitait. Pas tout à fait. Au procès, c'est la juge Smith qui a ajouté cette déclaration. Le libellé du projet de loi C-14 est légèrement différent de ce qu'a dit la juge Smith, mais c'est elle qui a parlé de déclin des capacités. La Cour suprême du Canada ne l'a ni approuvée ni désapprouvée, elle n'a tout simplement pas tenu compte des paroles de la juge. Le fait de ne formuler aucun commentaire est une bien étrange manière, pour la Cour, de dire qu'elle a déterminé quelque chose en se taisant complètement à son sujet.

Parallèlement à cette question se pose celle de la prévisibilité raisonnable de la mort. Sur le plan de l'expérience internationale, l'Amérique du Nord englobe toujours, d'une manière ou d'une autre, le principe de fin de vie; ce n'est pas le cas de l'expérience européenne. Le tribunal ne pèse pas le pour et le contre de ce critère. La juge Smith ne l'a pas fait. La Cour suprême non plus. Ni l'une ni l'autre ne l'a inclus dans la déclaration, mais elles ne l'ont pas désavoué non plus. Elles n'ont pas précisé s'il s'agissait d'une idée bonne, mauvaise ou indifférente.

Lorsque Joe Arvay affirme que dans la transcription de la prolongation du processus d'audience, un des juges a dit : « Nous avons déjà décidé cela », cela ne peut éclipser ce que la Cour a réellement déclaré dans sa décision écrite sur la prolongation de la décision, à savoir : « Nous ne formulons aucun commentaire sur la législation québécoise. » Donc, oui, comme le Québec avait légiféré antérieurement, il est clair qu'il n'a pas eu à tenir compte de la décision Carter, mais la Cour suprême du Canada elle-même dit : « Nous ne nous sommes jamais prononcés là-dessus. » Dans ce cas, comment pouvez-vous dire que cette question était déjà réglée alors que la Cour elle-même affirme « nous n'avons pas réglé cette question »?

Quant à la question « qu'y a-t-il à régler », il convient de se demander si elle va à l'encontre des principes de justice fondamentale ou, sinon, est-elle récupérée par l'article 1?

Le président : Soyez brève, s'il vous plaît.

Mme Pothier : En résumé, essentiellement...Au procès, le Canada a précisé qu'une seule mort délictuelle était une mort de trop et que cela justifiait l'interdiction absolue. C'est ce qu'a dit le tribunal. Mais le problème est que si le risque d'erreur ou d'abus est faible, c'est aller trop loin que de prescrire l'interdiction absolue. Par contre, si les risques d'erreur ou d'abus sont élevés...

Le président : Je suis désolé, madame Pothier. Ce n'est pas un résumé. À vous, maître Baker.

M. Baker : Merci. Je me limiterai à discuter des mesures de sauvegarde qui protégeraient les personnes vulnérables qui souffrent de maladies graves et irrémédiables en améliorant, plutôt qu'en restreignant leurs droits et leur autonomie.

Le suicide est une préoccupation majeure dans l'ensemble du Canada, et pendant que nous sommes ici à débattre de l'aide médicale à mourir, des collectivités de partout au Canada s'emploient à endiguer une vague de décès prématurés et évitables au sein des personnes qui ne sont atteintes d'aucune maladie. Aider ces personnes à se suicider sera toujours un crime.

Il existe, dans les hôpitaux et dans la communauté en général, des protocoles de prévention du suicide visant à empêcher des personnes de s'enlever la vie. La société de bienveillance et de compassion que nous sommes intervient pour venir en aide aux personnes en situation précaire.

Les personnes souffrant d'incapacité physique ne sont pas immunisées contre l'interdiction de s'enlever la vie pour des raisons comparables à celles qui motivent des personnes non malades à le faire. Un divorce, une perte d'emploi, un sentiment de solitude et d'isolement existent tout autant chez les personnes en incapacité physique, y compris celles souffrant de maladies graves et irrémédiables. L'aide médicale à mourir ne doit jamais être considérée comme un remède à toutes les souffrances qu'endurent les personnes atteintes de déficiences.

L'aide médicale à mourir diffère du fait d'accorder ou de refuser le consentement au traitement. Avant de respecter le choix d'une personne à mourir, une foule d'autres critères doivent être satisfaits. Comme l'a souligné la professeure Pothier dans son avis constitutionnel, il serait discriminatoire et en violation de la Charte de traiter des personnes atteintes de déficiences différemment de celles qui, dans des circonstances comparables, n'en sont pas atteintes. Il est évident que dans l'affaire Carter, beaucoup d'importance est accordée à la motivation d'une personne et au fait qu'il n'existe aucune intention de légaliser l'aide médicale à mourir lorsque cette motivation n'est pas fondée sur la souffrance provoquée par une maladie grave et irrémédiable.

Le Parlement a la responsabilité de mettre au point des mesures de sauvegarde pour assurer que les personnes sont traitées sur un pied d'égalité. Cela exige des évaluateurs qu'ils aillent au-delà de ce qui leur est demandé, à savoir obtenir la confirmation du consentement volontaire et éclairé de la personne qui souhaite recevoir de l'aide médicale à mourir, et enquêtent pour connaître la véritable source de souffrance du patient. En exigeant qu'une évaluation des soins palliatifs fasse partie des mesures de sauvegarde proposées par le projet de loi, on s'assurerait que les personnes atteintes de déficiences ne reçoivent pas d'aide à mourir lorsque leur souffrance est, pour l'essentiel, similaire à celle que vivent des personnes non déficientes.

Dans mon mémoire, j'ai dressé une liste des facteurs motivationnels liés à la maladie tels qu'ils ont été définis par des personnes ayant été subséquemment jugées admissibles à l'aide médicale à mourir, en Oregon. Vous remarquerez que ces facteurs sont tous liés à des questions de qualité de vie qu'à des questions de traitement. La personne qui donne un consentement éclairé à l'aide médicale à mourir doit être informée des choix existants par rapport à ces facteurs.

Nous sommes tous conscients que dans ce pays, beaucoup de personnes qui souhaitent et nécessitent des soins palliatifs sont incapables de les obtenir. De la même façon, beaucoup de personnes veulent mourir tranquilles à la maison, entourées de leurs proches. Dans certains cas, ce choix devient un énorme fardeau pour la famille et les amis et il ne peut être envisageable sans la prestation de soins à domicile. Les travailleurs sociaux s'occupent des questions financières et des infirmières ou des gestionnaires de cas prodiguent les soins personnels.

Le Parlement n'ira peut-être pas aussi loin que le Québec afin de garantir un droit concomitant aux soins palliatifs, mais il peut certainement tout faire pour s'assurer que les personnes sont informées des choix qui s'offrent à elles afin d'être en mesure de fournir un consentement vraiment éclairé. Cela peut se faire par l'ajout, ou la substitution, d'une évaluation en soins palliatifs à la deuxième opinion médicale proposée à l'alinéa 241.2(3)e).

Dans la pratique, une évaluation en soins palliatifs consisterait en une évaluation multidisciplinaire dont l'objectif serait d'éclairer les personnes sur les choix qui s'offrent à elles pour pallier à leurs préoccupations les plus intenses. Les évaluations en soins palliatifs visent également à déterminer les pressions à l'origine de la souffrance, y compris les pressions causées par les proches, qu'elles soient intentionnelles ou pas, et qui sont susceptibles d'exercer une influence indue sur la personne malade. Ces évaluations aident les personnes à avoir prise sur une situation de pronostic difficile qui, en raison de l'anxiété, de la dépression ou du désespoir qu'il suscite initialement, peut inciter la personne à prendre la décision erronée de demander l'aide médicale à mourir. Une demande qu'elles auraient peut-être regrettée plus tard si elles en avaient eu la possibilité.

Le Canada n'a peut-être ni le désir ni la capacité de conférer un droit aux soins palliatifs, mais une évaluation des soins palliatifs devrait être un élément obligatoire des mesures de sauvegarde contenues dans ce projet de loi. Avant de pouvoir affirmer qu'un consentement à l'aide médicale à mourir est volontaire, éclairé et qu'il satisfait aux critères prévus par la loi, toute personne devrait faire l'objet d'une évaluation en matière de soins palliatifs.

Le libellé que je propose vous est présenté dans mon mémoire. La balle est dans votre camp. Au cas où le comité aimerait consulter un mécanisme d'examen antérieur, une version de projet de loi préliminaire est disponible à partir de la citation rédigée dans le mémoire. L'évaluation en matière de soins palliatifs et/ou les mécanismes d'examen antérieurs sont des sources de données sur lesquelles il est possible de fonder une évaluation constructive et fonctionnelle de la présente procédure visant à orienter les gouvernements dans les différentes façons d'accroître les droits des personnes atteintes de maladies graves et irrémédiables et d'alléger leur souffrance.

Je vous remercie.

Le président : Je vous remercie. Monsieur Lemmens, la parole est à vous.

Trudo Lemmens, Chaire de recherche Scholl en droit et politique de la santé, faculté du Droit, Université de Toronto, à titre personnel : Ma présentation porte surtout sur les motifs de mon appui, jusqu'à un certain point certainement, en faveur de la définition donnée à ce qu'on qualifie de « problème de santé grave et irrémédiable » dans le projet de loi. Ensuite, je dirai quelques mots sur les prescriptions et les mesures de sauvegarde inscrites dans le projet de loi, et notamment la mention de l'importance d'un examen additionnel. S'il me reste du temps, je parlerai brièvement de l'exclusion des demandes anticipées, ce qui, à mon avis, est approprié.

Mes commentaires sont fondés sur mes recherches en droit portant sur l'euthanasie, et plus particulièrement sur les pratiques en la matière en Belgique, mon pays de naissance, et les langues officielles que je parle.

En ce qui concerne les critères, je suis d'accord avec Mme Pothier, entre autres, qui estime que le projet de loi est valable d'un point de vue constitutionnel; je veux ici toucher un mot sur les raisons pour lesquelles je pense qu'ils sont nécessaires. L'étude des régimes d'euthanasie qui combinent critères non limitatifs et évaluation par un médecin et vérification ultérieure limitée révèle d'abord que cette situation entraîne une forte hausse de la pratique : en Belgique, le nombre de cas est passé de 100 à 200 dans les premières années de la législation à plus de 2 000 par année.

Plus important encore, nous constatons également un accroissement des sources de problèmes. Avec l'absence d'information sur ce qui se passe exactement, nous sommes témoins de l'application de l'euthanasie à des personnes handicapées, à des couples qui veulent mourir en même temps, à des personnes en lutte avec leur identité sexuelle, à des personnes qui ne veulent plus vivre et, de plus en plus, à des personnes qui souffrent de solitude. Dans le domaine de la santé mentale, nous constatons qu'y participent également les personnes souffrant de dépression chronique et dont le traitement ne donne aucun effet, ce qui, en soi, j'invite instamment le Parlement à examiner la question, est une idée discutable qui ne veut pas dire qu'un autre traitement ne fonctionnerait pas. Ça veut simplement dire que deux plans de traitement à l'aide d'antidépressifs n'ont rien donné. Ça ne veut pas dire que les gens dont le traitement ne donne aucun effet ne peuvent pas être aidés.

En plus des dépressifs chroniques, en Belgique, on inclut les personnes souffrant de désordres liés au stress post- traumatique, d'anxiété et de désordres alimentaires, de schizophrénie, de dépendance, d'autisme, et même de lourds chagrins. Les membres du comité devraient dénoncer la prétention voulant que l'évaluation par la juge de première instance dans l'arrêt Carter et d'autres comités confirment que les régimes ouverts ne posent aucun problème. C'est inexact.

La juge de première instance a convenu qu'il pouvait y avoir des problèmes avec le système belge, comme l'a fait la Cour suprême, qui a exclu un nouvel élément de preuve de la Belgique en indiquant que la preuve présentée concernait des cas auxquels ne s'appliqueraient pas les paramètres proposés dans les motifs et que le Parlement canadien pourrait concevoir un régime plus rigoureux que celui de la Belgique. Surtout, beaucoup de développements sont en fait devenus plus apparents au cours des cinq dernières années. Je fournis les éléments détaillés de la preuve établie à cet effet dans mes communications écrites et dans d'autres écrits.

Je veux dire un mot au sujet des procédures d'attestation de capacité et de consentement. Évidemment, les médecins évaluent déjà la capacité et le consentement éclairé en fin de vie. Premièrement, la légalisation de l'aide médicale à mourir entraînera une utilisation beaucoup plus fréquente de ces procédures afin d'établir la différence entre la vie et la mort. Deuxièmement, si on étendait l'application des critères à des situations où les gens ne sont pas en fin de vie, les erreurs possibles liées à la capacité et au consentement éclairé deviendraient d'autant plus graves — des années volées à des gens qui, avec un soutien approprié, n'auraient pas mis fin à leurs jours.

Les problèmes d'évaluation de la capacité et du consentement éclairé, ou du moins les ordonnances à cet effet par les médecins, sont largement connus par les professionnels de la santé. Les psychiatres sont généralement reconnus — effectivement ces personnes sont supposées être les mieux formées pour évaluer la capacité — mais leur formation à cet égard est insuffisante. La science de l'évaluation de la capacité personnelle en est à ses balbutiements. Nous allons publier un ouvrage dans lequel nous traiterons de la question en plus amples détails.

Je propose, comme l'a fait remarquer mon confrère David Baker, que le projet de loi indique explicitement la nécessité d'une évaluation subtile des éléments contextuels et personnels qui peuvent influer sur le désir de mourir et le caractère volontaire de la demande. La souffrance, la détresse émotive, la maladie mentale, les problèmes financiers et familiaux, la disponibilité de soins palliatifs, et cetera, devraient être évalués avec soin avant que l'accès au service d'aide à mourir ne soit offert. Je suggère des changements dans mon mémoire.

La prescription d'évaluations de la capacité et du consentement éclairé, à mon avis, fait de l'examen préalable un élément très important. Ces évaluations préviennent les ravages causés par le petit nombre de médecins qui, sans s'en rendre compte, manquent de rigueur, font preuve de négligence ou montrent trop d'empressement dans leur travail. Encore une fois, les données probantes de la Belgique et des Pays-Bas montrent qu'il y a des problèmes lorsqu'une poignée de médecins font comprendre, ou changent effectivement pour amener à un virage significatif de la pratique de l'euthanasie.

En ce qui concerne les demandes anticipées, elles sont problématiques ou, du moins, très délicates. Elles constituent une exception à la règle voulant que les personnes donnent un consentement éclairé. Demander à quelqu'un de donner par écrit une instruction anticipée après un diagnostic de démence soulève des questions quant à la capacité de cette personne. Il est difficile pour cette personne d'imaginer qu'elle pourra profiter de la vie et trouver une nouvelle raison de vivre et avoir du plaisir une fois que la démence s'installera, mais c'est souvent le cas. La personne se transforme malgré les changements dans son cerveau.

J'évoque d'autres raisons dans mon mémoire dont vous pourrez prendre connaissance en le lisant plus attentivement. Je conseille vivement au comité de prendre au sérieux la déposition concernant les régimes de la Belgique et des Pays-Bas, en particulier le dernier élément de preuve, et d'écouter le récit des quelques cas qui se sont fait remarquer et des nombreux autres qui sont cachés parce que les personnes à qui on a enlevé la vie étaient souvent vulnérables et en situation difficile et ne sont plus là pour témoigner.

Margaret Somerville, professeure, faculté de droit et faculté de médecine, Université McGill, à titre personnel : Je vous remercie de votre invitation. Je veux dire, pour le compte rendu, que je m'oppose à la légalisation de l'euthanasie. Comme cela semble inévitable, je voudrais malgré tout proposer ce qui devrait se passer à mon avis.

Je conviens tout à fait de l'approche adoptée dans le projet de loi C-14 à l'effet que l'euthanasie sera une exception ou fera l'objet d'une exemption aux yeux du Code criminel par rapport à ce qui serait normalement un homicide coupable et un suicide assisté. Considérer l'euthanasie comme étant une exception permet de s'assurer, et c'est indispensable, qu'elle ne devienne pas la norme comme cause de la mort des Canadiens, qu'elle ne soit utilisée que dans des circonstances hors de l'ordinaire et rarement, comme tant la juge de première instance que la Cour suprême du Canada l'ont décidé dans l'arrêt Carter, et qu'elle ne soit qu'une mesure de dernier ressort pour les personnes qui y sont clairement admissibles.

Si on appliquait au Canada la norme établie aux Pays-Bas et en Belgique, les chiffres auxquels on devrait s'attendre donneraient un total d'environ 9 000 décès par année au Canada. Admettre l'euthanasie en tant qu'exception permet également d'établir que son accès n'est pas un droit mais bien, sous certaines conditions, une protection contre une accusation de délit. On lance ainsi un message de santé publique très important qui condamne le suicide. Autrement dit, vous n'avez pas le droit de vous suicider, mais on n'engagera pas des poursuites dans certaines circonstances.

De plus, le fait de ne pas qualifier de droit l'immunité juridique aidera à protéger la liberté de conscience garantie par la Charte, chez les médecins qui ne veulent pas y prendre part pour des raisons de conscience ou de religion. Je crois aussi que cela évitera à la loi d'être jugée inconstitutionnelle. Je suis d'accord avec l'analyse constitutionnelle de mes collègues.

Permettre l'euthanasie porte atteinte inévitablement à la valeur accordée au respect de la vie et met en danger les personnes vulnérables. Dans son préambule, le projet de loi établit que nous devons respecter la vie humaine sur les plans individuel et social et protéger les personnes vulnérables. Comment y arriver? Je vous propose un objectif additionnel. Pour des raisons pratiques et pour la forme, je suggère d'ajouter une condition essentielle qui n'existe pas dans le projet de loi C-14, soit celle qu'un juge de la Cour supérieure étudie et approuve toutes les demandes d'euthanasie approuvées. Les dossiers en région éloignée peuvent être traités à l'aide de Skype.

La participation judiciaire souligne la gravité de la décision de faire appel à l'aide médicale à mourir. Elle permettra de bafouer le moins possible la valeur fondamentale de respect de la vie, assurera une meilleure protection contre l'usage abusif de l'euthanasie et la protection des personnes vulnérables et aidera à limiter le recours à l'euthanasie aux situations où toutes les conditions essentielles sont réunies.

Cette garantie a des antécédents de reconnaissance judiciaire. La juge en chef McLachlin en a tenu compte lorsqu'elle a fait valoir sa dissidence dans l'arrêt Rodriguez; la Cour supérieure de la Colombie-Britannique l'a imposée dans son jugement en première instance, tout comme les cinq juges qui ont accordé une prorogation au Parlement, afin que ce dernier débatte de ce projet de loi, l'ont imposée pour la période intermédiaire.

Il existe également un précédent bien établi de mise en place, par voie législative, d'un examen quasi judiciaire ou judiciaire des décisions prises par les médecins dans un autre contexte de prestation de soins de santé. Les lois provinciales en matière de santé mentale exigent souvent une telle participation lors de l'internement involontaire d'une personne dans un hôpital psychiatrique. Donner la mort est sûrement une décision pour le moins d'une aussi grande importance, et le risque d'abus de pouvoir pour donner la mort, en particulier envers les personnes vulnérables, préoccupe tout autant que la perte de liberté due à l'internement involontaire.

Je termine en affirmant que le préambule fait remarquer que nous devons établir l'équilibre entre l'autonomie des personnes et les intérêts des personnes vulnérables et porter atteinte le moins possible à la valeur de la vie humaine. Je considère que cela exige que l'euthanasie ne soit offerte qu'aux malades en phase terminale. Je veux également rappeler aux membres du comité que je crois aussi que cette décision sera sans doute la plus importante de leur vie en qualité de sénateur, par rapport à ce qui arrive à cet égard. Je crois que ce sera en fait la décision qui marquera l'histoire du XXIe siècle.

Le président : Je vous remercie, mesdames et messieurs. Nous allons passer aux questions. La vice-présidente, la sénatrice Jaffer, prend les devants.

La sénatrice Jaffer : Je vous remercie tous pour vos exposés. Étant donné que nous avons très peu de temps, je vais être brève avec mes questions. Il y a beaucoup de questions que je voudrais poser.

Ma question s'adresse à vous, monsieur Lemmens. Vous avez laissé entendre que vous êtes au courant de la situation en Belgique. Une des choses que nous avons examinées, ce sont les demandes anticipées. Si je comprends bien... Vous ne m'entendez pas?

M. Baker : Il entend mal, je vais donc répéter la question pour vous.

M. Lemmens : Pourriez-vous répéter la question?

La sénatrice Jaffer : Ma question est à votre endroit, monsieur Lemmens. Ma question est...

M. Baker : Pourriez-vous me laisser une seconde? Sa question concerne l'expérience des demandes anticipées en Belgique.

La sénatrice Jaffer : Je crois comprendre qu'il y a un examen tous les cinq ans. Pourriez-vous élaborer là-dessus, s'il vous plaît?

M. Lemmens : En ce qui concerne les demandes anticipées, comme je l'ai expliqué dans mon document soumis au Sénat, même dans les régimes libéraux, plus ouverts, en Belgique et aux Pays-Bas, que je critique pour d'autres raisons, les instructions anticipées ne sont autorisées en Belgique que dans des circonstances très limitées. Les seules conditions qui permettent d'euthanasier, de mettre fin aux jours d'une personne, si cette dernière en a donné instruction à l'avance, c'est que la demande anticipée a été faite à l'intérieur d'une période donnée, avant le moment où la personne est supposée mettre fin à ses jours, et, deuxièmement, que la personne est dans un état inconscient irréversible. Même les parlementaires belges qui étaient favorables à un régime plus ouvert ont eu le sentiment qu'il devait y avoir une protection très claire contre l'euthanasie visant les personnes qui pourraient avoir une qualité de vie et dont la personnalité peut avoir changé, qui peuvent être démentes à ce moment-là, mais toujours fonctionner très différemment de ce qu'elles faisaient auparavant.

Aux Pays-Bas, les demandes anticipées, encore une fois, sont possibles, mais elles sont rarement utilisées. Mes lectures m'ont appris que les médecins et les membres de la famille sont très peu à l'aise face à cette perspective. On pourrait donc en conclure que les médecins ne l'appliquent pas, mais elle indique qu'il y a un dilemme pour les médecins quand ils sont confrontés à une instruction anticipée donnée par quelqu'un qui n'est plus en mesure de changer d'avis puisqu'elle est frappée de démence ou d'incapacité. C'est une pratique qui pose beaucoup de problèmes et qui prendrait de l'expansion si nous permettions aux personnes de mettre fin à leurs jours en raison d'un souhait exprimé antérieurement qu'ils ne sont plus en mesure de modifier.

Dans les cas aux Pays-Bas où on a appliqué ces instructions, elles ont entraîné ce que je qualifierais de tollé général de la part des reporters, des universitaires, des éthiciens, qui ont, par exemple, regardé récemment le documentaire dans lequel une clinique d'aide au suicide est filmée et où on voit une femme dont on met fin à ses jours, alors qu'elle souffre d'une affection de la parole et est incapable de communiquer. Elle ne cesse de répéter les mots suivants : « Je ne serai plus là. » Le médecin et le mari, qui semble souhaiter qu'on mette fin aux jours de sa femme, en ont conclu que c'était là une confirmation suffisante de sa volonté de mourir antérieurement exprimée. La scène a suscité un tollé aux Pays-Bas. Je dirais qu'il faut se demander pourquoi prendre cette orientation alors que ces instructions sont rarement respectées et si, dans les cas où elles ont été appliquées, cela a entraîné une controverse très importante en Belgique et aux Pays-Bas? Vous devez faire preuve d'une grande prudence en adoptant un régime qui permet de mettre fin aux jours d'une personne qui n'est plus en mesure de retirer son consentement.

Le sénateur McIntyre : Je vous remercie tous pour vos exposés. Lorsqu'on écoute vos exposés, deux mots font surface à plusieurs reprises. Ces mots sont « droit pénal » et « soins de santé ». Comme tout le monde le sait, la Constitution renvoie le droit pénal au Parlement et les soins de santé aux assemblées législatives des provinces. Le projet de loi C-14 réclame l'euthanasie légale. Cela étant dit, je crois que notre plus gros problème avec le projet de loi C-14, c'est de trouver le meilleur moyen de le gérer avec succès.

Ma question est la suivante : est-il possible d'avoir un système où l'euthanasie est pratiquée et réglementée en dehors du système de soins de santé, et réglementée uniquement par le gouvernement fédéral? À mon avis, procéder autrement pourrait saper la nature fiduciaire de la relation médecin-patient. Madame Somerville, vous voulez bien répondre la première?

Mme Somerville : Oui. C'est une question réellement importante. J'ai proposé au comité de ne pas confier cela aux médecins, que nous devrions créer une nouvelle profession que nous pourrions appeler l'euthanologie ou ce que vous voulez, sanitologie, je suppose. Mais cette suggestion est très impopulaire. Je crois que la raison pour cela, c'est que sous le voile de la médecine, nous croyons que c'est acceptable sur le plan éthique, et nous pensons que les médecins sont éthiques. Je crois que nous devons retirer le sarrau blanc à l'euthanasie. En effet, un de mes collègues et moi-même avons publié un article dans le journal de l'Oxford University Press, intitulé « Euthanasia is not medical treatment ».

La raison pour laquelle le Québec en a fait un traitement médical, c'est qu'il n'avait pas compétence de légiférer en la matière à moins que ce ne soit un traitement médical. Je crois cependant que son inclusion reste une question ouverte à débat. Il y a eu beaucoup de remous au Québec lorsque la version initiale de la loi a défini les soins palliatifs et désigné l'euthanasie comme faisant partie des soins palliatifs. L'Assemblée a modifié la définition, mais elle reste insatisfaisante.

C'est une question très importante. Ce que nous faisons ici — ne mâchons pas nos mots — c'est laisser les médecins tuer les gens, et c'est là certainement quelque chose qui est au centre du droit pénal. Il n'y a pas de disposition aussi rigoureuse dans notre Code criminel; la pire chose que nous pouvons faire, c'est de commettre un meurtre. Donc, ce que nous faisons, c'est de soustraire cela au meurtre et de déclarer qu'à certaines conditions très strictes, nous allons vous laisser faire. Mais ces conditions doivent être très strictes et très claires, et elles doivent être contraignantes. L'objet de mon exposé était que cela ne devait pas devenir la façon normale de mourir. On ne s'en servira probablement pas beaucoup immédiatement, mais je pense qu'il faut se demander ce qu'il arrivera à nos arrière-arrière- petits-enfants si nous nous habituons à cela? C'est exactement ce dont M. Lemmens parlait. Nous pouvons le constater en Belgique et aux Pays-Bas. La mort par euthanasie est passée de quelques cas à 3,5 p. 100 de tous les décès en Belgique et aux Pays-Bas, et cette estimation est basse.

Le sénateur Baker : Je remercie les témoins. Je ne poserai qu'une question pour m'assurer qu'on ne m'interrompe pas. J'aimerais tous vous remercier pour vos exposés. Ils ont été très intéressants. J'aimerais faire part de ma reconnaissance à M. David Baker, qui a une vaste expérience de plaideur dans ce domaine en particulier dont nous parlons depuis des années.

Je veux adresser ma question à Mme Pothier, qui elle aussi est un plaideur d'une grande expérience à l'échelle nationale.

La raison pour laquelle j'adresse cette question à elle, c'est parce que je me rappelle, il y a 20 ans, d'un mémoire, intitulé The Sounds of Silence. Elle hoche la tête. Il y a 20 ans, ce texte a fait autorité sur ce qui se produit lorsque le corps législatif ne répond pas à un jugement mettant en cause la Charte.

Ma question est la suivante : est-ce que cela veut dire que si nous ne répondons pas d'ici au 6 juin — il est possible que nous ne soyons pas en mesure de répondre d'ici là, voire peu de temps après — ce sera aux médecins de décider de la question, conformément à la décision de la Cour suprême du Canada? À l'article 127, certains médecins aideront et d'autres refuseront d'aider. Hésiteront-ils à aider? Est-ce que cela signifie que, selon les recommandations de notre comité mixte, vous n'avez pas besoin d'une seconde opinion? Il n'y aura aucune période d'attente ou de réflexion et rien n'aura été mis par écrit par la personne concernée? Serait-il irresponsable de la part du Parlement de ne pas répondre en la matière? Si votre réponse se limite à un simple oui ou non, alors que pensez-vous de la loi?

Mme Pothier : Ma réponse est oui, ce serait irresponsable. C'est ce que j'écris à la fin de ma communication écrite remise au Sénat. En ce qui concerne les choses dont vous avez parlé — que vous n'avez besoin que d'un seul médecin, qu'il n'y a pas de demande écrite ni période de réflexion — nous pourrions rivaliser avec la Suisse dans le domaine du tourisme du point de vue de l'aide médicale à mourir. J'ai entendu dire qu'on convenait que nous ne devrions pas devenir une destination touristique pour des motifs médicaux, mais si vous n'avez que l'arrêt Carter pour vous guider, il n'y a rien pour empêcher cela.

Il y a des problèmes avec la définition de ce qui est grave et irrémédiable, et je vais y revenir dans une seconde, mais il y a tout un paquet de mesures de sauvegarde sur lesquelles tout le monde s'entend mais qui ne seraient pas en vigueur, si, après le 6 juin, la déclaration d'invalidité prenait effet. Je crois que ce serait irresponsable.

Quant à ce que je pense du projet de loi C-14, je pourrais formuler certaines critiques, mais en gros, je pense qu'il va dans la bonne direction, en particulier avec le concept de grave et irrémédiable. Les alinéas 241.2(2)b) et 241.2(2)d) sont la façon de dire que nous limitons cela à des conditions de fin de vie, même si on n'emploie pas le même langage qu'au Québec. En fait, le qualificatif de « raisonnablement prévisible » a été dénoncé comme étant trop flou, mais je pense qu'il est flexible.

En fait, on pourrait considérer que c'est plus clair si vous parlez de six mois, comme en Oregon, aux États-Unis. Si nous pouvions prédire avec exactitude le délai dans lequel la mort surviendra, cela aurait du sens, mais comme c'est impossible, le caractère prévisible de la mort, je pense, est une meilleure façon de dire que nous essayons de rejoindre les personnes qui sont mourantes.

En ce qui concerne les commentaires de Mme Downie, la prévisibilité raisonnable renvoie à la réalisation et non au moment; c'est la prévisibilité raisonnable du décès. Vous devez utiliser les mots dans tout leur contexte. La mort suggère un contexte où le moment choisi est important, même si dans d'autres contextes, la prévisibilité raisonnable n'a aucun lien avec le moment en question.

La raison pour laquelle c'est important — et Trudo Lemmens l'a abordé un peu — c'est qu'en l'absence d'une telle condition contraignante, les risques de faire une erreur augmentent considérablement. Si le risque d'erreur et d'abus est faible, l'arrêt Carter affirme que l'autonomie prévaut. Si le risque d'erreur et d'abus est élevé, la protection de la personne vulnérable devrait s'imposer. Si les gens ne meurent pas de quelque manière que ce soit, alors la possibilité que l'idée passagère de déclarer vouloir mourir l'emporte, ce qui vous empêchera, pendant des décennies, de trouver une raison de vivre.

Ce serait un grave problème si les gens considéraient être condamnés à mourir parce qu'ils ne sont pas en mesure de voir au-delà de leur situation actuelle et cessent de tenter de trouver un moyen qui leur permette de vivre. C'est une chose que de déclarer que quelqu'un va mourir bientôt; l'évaluation de vos options en est affectée. Si une longue vie est devant vous, comment mettre en balance la mort et d'autres façons de relever les défis et de satisfaire ses besoins, et ainsi de suite; les risques de faire erreur augmentent beaucoup si nous n'imposons pas certaines contraintes.

Le président : Je dois m'emparer du micro.

La sénatrice Eaton : Madame Somerville, je suis tout à fait d'accord avec vous.

J'ai deux courtes questions. Maître Baker, serait-il possible d'ajouter une modification? Je trouve que la consultation en vue d'obtenir des soins palliatifs serait très utile comme mesure de sauvegarde, parce que je ne crois pas que tout le monde ait accès aux soins palliatifs. La plupart des gens ne sont même pas au courant ou ne savent pas jusqu'à quel point ils sont bons. Est-ce que cela pourrait constituer une modification?

À vous, madame Somerville : M. Lemmens a parlé du caractère inégal du personnel médical qui évalue les personnes en fin de vie. Est-ce que cela soulignerait vraiment l'importance ou l'intérêt de faire évaluer chaque cas par un juge de la Cour supérieure? Est-ce que cela mettrait tout le monde sur le même pied, de sorte que personne ne pourrait faire la tournée des médecins? Est-ce que cela pourrait être une modification?

Mme Somerville : Je le recommanderais vivement. Dans le mémoire que j'ai présenté, j'explique que c'est à la fois pour des raisons pratiques et symboliques. D'un point de vue pratique, la raison est celle que vous venez de donner : assurer une plus grande sécurité, une plus grande certitude. Quant aux raisons symboliques, l'autorisation de mettre fin à la vie de quelqu'un est une décision des plus graves qui soient et l'obligation d'une évaluation faite par un juge dans chaque cas viendrait souligner ce fait.

M. Baker : Je vous remercie de votre question. Cette proposition pourrait être introduite, tel qu'il a été indiqué, à la fin de l'alinéa ou elle pourrait se substituer à l'obligation d'un deuxième avis médical, l'intention étant que l'évaluation vise les problèmes qui ont été laissés au législateur pour ce qui est de protéger les personnes vulnérables. Quels sont les problèmes entourant la vulnérabilité?

Comme je l'ai mentionné, les problèmes sur lesquels porterait une évaluation de la situation palliative sont justement ceux qui préoccupent les personnes qui en sont au point où elles font cette demande. Du point de vue des personnes handicapées, il s'agit de pouvoir exercer leurs droits, d'être informées et d'avoir des choix, et non d'être mises dans une position où elles n'ont pas la possibilité de prendre une décision éclairée, ce qui constitue, bien entendu, une exigence incontournable.

La sénatrice Eaton : Il ne s'agit pas seulement des personnes handicapées. Je crois que les soins palliatifs sont une spécialisation. Beaucoup de médecins me l'ont dit, et la plupart des gens ne savent pas ce qu'ils peuvent faire ou ne s'en rendent pas compte.

M. Baker : L'autre point que je voudrais souligner cependant, c'est que la forme de l'évaluation de la situation palliative doit cibler les problèmes de la personne souffrante. Il ne serait pas nécessaire que l'évaluation soit faite par un spécialiste en soins palliatifs, mais il faudrait qu'elle porte sur les problèmes indiqués ici.

À notre sens, s'il n'est pas possible d'assurer des soins palliatifs aux gens, il faut, à tout le moins, s'attaquer à la source et à la cause de leurs souffrances et leur indiquer ce qui peut être offert.

Le sénateur Joyal : Bienvenue. Ma question s'adresse à Mme Somerville.

Je suis intrigué par votre assertion que l'aide médicale à mourir n'est pas un droit en vertu de l'article 7. D'après ma lecture de l'arrêt Carter, la cour a clairement statué que l'interdiction de l'aide médicale à mourir qui figure dans le Code criminel était une violation manifeste de l'article 7 de la Charte. Comme vous le savez, l'article 7 de la Charte déclare que chacun « a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne » et que ce droit est garanti par les principes de justice fondamentale. Comment pouvez-vous alors conclure que l'aide médicale à mourir n'est pas un droit découlant de l'article 7 de la Charte?

Mme Somerville : Parce que s'il y a un droit, il y a nécessairement un devoir correspondant, qui serait le devoir de ne pas empêcher une personne de se suicider. Comme la professeure Pothier l'a dit, l'interdiction absolue de l'aide à mourir est contraire à l'article 7 de la Charte. Par conséquent, pour qu'elle soit conforme à l'article 7 de la Charte, il faut y avoir une exception limitée, mais la Cour suprême n'a jamais affirmé l'existence d'un droit au suicide. L'existence d'un tel droit signifierait que chaque fois qu'un suicidant serait amené à la salle d'urgence, nous aurions le devoir, en tant que professionnels de la santé, de ne pas traiter cette personne parce qu'elle ne fait qu'exercer son droit au suicide.

Il y a un seul cas où cela a été proposé comme droit dans ce sens, par le juge en chef Lamer dans l'affaire Rodriguez. Il l'avait proposé.

Le sénateur Joyal : Oui, mais la cour a statué clairement que, dans certaines conditions où les problèmes de santé précis sont graves et irrémédiables, une personne aux prises avec des souffrances intolérables avait un droit à l'aide médicale à mourir. C'est ainsi que la cour a statué. Il existe des conditions. Je suis d'accord avec vous pour dire que ce n'est pas une reconnaissance absolue d'un droit au suicide en vertu de l'article 7.

Mme Somerville : Ce qui a été dit, je pense, c'est qu'il est inconstitutionnel d'imposer une interdiction absolue de recourir à l'aide à mourir à une personne dans une telle situation. C'est un droit à contenu négatif; on ne peut pas l'interdire complètement, mais on n'a aucune obligation de la fournir, ce qui serait un droit à contenu positif. C'est différent.

J'interprète différemment cette décision. La cour a conclu, certes, que l'interdiction de l'aide à mourir portait atteinte au droit de chacun à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne. En réalité, ce qu'elle a fait, c'est de convertir le droit à la vie, si on veut l'appeler ainsi, en un droit de se faire infliger la mort, ce qui est une interprétation très inhabituelle. C'est néanmoins celle qui a été retenue.

Le sénateur Joyal : À l'heure actuelle, tout Canadien peut se présenter devant un juge et lui dire : « Voici mon diagnostic. Je suis atteint d'une maladie grave et incurable et mes souffrances sont intolérables. Je demande une aide médicale à mourir. » Le juge acquiescera.

Mme Somerville : Le juge donnera l'autorisation afin d'empêcher qu'une personne qui apporterait l'aide demandée soit poursuivie en justice en vertu des dispositions du Code criminel qui s'appliqueraient ordinairement, mais elle n'impose à personne l'obligation d'apporter cette aide. Il faudra trouver quelqu'un qui soit disposé à le faire, et il y a des médecins qui le seront.

Le sénateur Joyal : Bien entendu, et la cour l'a reconnu, parce que nous sommes en présence de droits concurrents : le droit à la liberté de religion et le droit de demander de l'aide à mourir. Et puis il y a l'équilibre à établir par le gouvernement en décidant quand les droits de l'un priment les droits de l'autre, ou dans quels cas il y aurait peut-être moyen d'équilibrer les deux. C'est essentiellement ce que les tribunaux ont l'habitude de faire.

Mme Somerville : Cet équilibre est important. La cour fait mention de l'équilibre entre les droits des médecins et leur liberté de conscience et ceux des patients. L'équilibre le plus important est entre, d'une part, l'autonomie et, d'autre part, la protection des personnes vulnérables et aussi le maintien de la valeur du respect de la vie dans l'ensemble de la société. De fait, le préambule du projet de loi C-14 mentionne expressément cet équilibre.

Le sénateur Joyal : Oui, mais il fera l'objet de contestations judiciaires, comme vous le savez, du fait des limites prévues par le projet de loi qui ne sont pas expressément mentionnées dans l'arrêt Carter, d'où les débats dans le monde juridique quant à la constitutionnalité de ce projet de loi.

À mes yeux, l'autonomie signifie la capacité qu'a une personne de prendre une décision rationnelle, c'est-à-dire être en pleine possession de ses facultés de décision. C'est essentiellement là que l'autonomie d'une personne est en jeu. La personne a-t-elle la capacité mentale de prendre une décision éclairée quant aux conséquences de la décision à prendre? C'est essentiellement à cet égard que l'autonomie de la personne est visée dans ce projet de loi.

Mme Somerville : À vrai dire, sénateur, si vous maintenez l'autonomie à tout prix, ce n'est pas le caractère rationnel de la décision qui importe, mais plutôt la capacité de la personne qui la prend. Si elle a la capacité, c'est donc qu'elle peut prendre une décision, même irrationnelle.

Nous acceptons ordinairement les décisions rationnelles, et là où maintenir l'autonomie a des conséquences importantes, c'est lorsque nous sommes en désaccord avec la décision et que la personne dit : « Je me fonde sur mon droit à l'autonomie pour dire que mes désirs doivent primer. »

Nous devons être très prudents. Il existe une jurisprudence et une littérature abondantes à ce sujet dans les domaines du droit de la santé, de la médecine et de l'éthique.

Permettez-moi d'ajouter un point au sujet du consentement éclairé, que je pense très important et qui étaye les propos de M. Baker. Il faut exiger un consentement éclairé à l'aide médicale à mourir. Le consentement éclairé implique que la personne concernée se fasse présenter toutes les options raisonnables entre lesquelles elle pourra choisir. De fait, si des soins palliatifs ne sont pas offerts, le consentement éclairé à l'euthanasie devient alors impossible, ce qui renforce la proposition d'exiger que des soins palliatifs soient offerts.

Selon les dernières statistiques, la proportion des Canadiens ayant besoin de soins palliatifs qui y ont effectivement accès est seulement de l'ordre de 15 à 30 p. 100.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Madame Pothier, j'ai constaté que vous aviez beaucoup écrit au sujet du jugement Carter. Je vous félicite pour votre travail. J'aimerais connaître votre opinion sur deux points. Le premier concerne le droit au suicide dans le cadre du projet C-14, et le deuxième a trait à votre définition et à celle des tribunaux de l'expression « personne vulnérable ». Cette définition est-elle reflétée dans le projet de loi C-14?

[Traduction]

Mme Pothier : Les gens vulnérables sont présentés comme des personnes qui veulent mourir, mais la question est de savoir s'ils l'ont décidé dans un moment de faiblesse. Protéger les personnes vulnérables, c'est donc dire que si nous reconnaissons ce qui, à première vue, procède de leur autonomie, elles se condamneront à une conséquence qu'elles pourraient ne plus vouloir, si elles avaient la possibilité de changer d'idée.

La question consiste donc à savoir comment nous pouvons protéger des personnes contre l'impossibilité de changer d'avis, du fait qu'elles sont mortes et qu'il est trop tard pour se raviser. Le fait de définir de façon restrictive les problèmes de santé graves et irrémédiables, c'est dire que l'éventualité que des gens qui voudraient changer d'idée n'en aient pas la possibilité existe bel et bien. Voilà l'erreur qui nous inquiète. La possibilité de cette erreur est beaucoup plus grande dans les cas où la mort n'est pas raisonnablement prévisible ou lorsqu'il n'y a pas une détérioration avancée de l'état de santé. Je ne suis pas sûre si cela répond à votre question.

La sénatrice Batters : Je vous remercie tous du travail admirable que vous accomplissez dans l'intérêt des personnes vulnérables au Canada.

Monsieur Lemmens, merci de nous avoir fait connaître la situation en Belgique. Vous avez mentionné qu'il y avait auparavant en Belgique entre 100 et 200 personnes par année qui recouraient à l'aide au suicide, mais qu'il y a maintenant plus de 2 000 cas par année. Quelle est approximativement la population de la Belgique?

M. Lemmens : Dix millions. Au sujet de la situation belge, il n'est pas sans intérêt de mentionner aussi que, pour des raisons qui demeurent inconnues, ce qui est révélateur des limites du système de rapports post facto, aucun des rapports officiels de la Belgique n'a expliqué pourquoi le taux de cas rapportés d'euthanasie était tellement plus élevé dans la partie nord du pays, la Flandre, d'où je viens, que dans la partie sud. En Flandre, en 2013, la proportion des cas d'euthanasie par rapport au total des décès était officiellement de 6,3 p. 100.

Il est également intéressant de savoir que les enquêtes menées pour connaître les cas non déclarés d'euthanasie montrent que ceux-ci demeurent passablement élevés. L'argument souvent mis de l'avant, à savoir qu'un système de rapports post facto permettra d'obtenir plus d'information sur ce qui se passe dans le pays, est démenti dans les faits. Les faits montrent que les pratiques sont peut-être en train de changer. La proportion des cas d'euthanasie non déclarés demeure importante, ce qui est vraiment problématique. Même avec un système légalisé où les problèmes sont mis en lumière, il y a quand même beaucoup de cas non déclarés où nous ne savons pas réellement ce qui se passe.

La sénatrice Batters : Au cours des deux derniers mois, la Belgique a publié un rapport dans lequel elle indiquait son intention de revoir son régime d'aide au suicide, notamment le critère des souffrances psychologiques comme unique fondement de la décision, parce qu'elle constatait que cela posait de sérieux problèmes. Auriez-vous des commentaires à formuler à ce sujet?

Il y a une autre question à laquelle je vous demanderais de répondre brièvement. Je pense que vous avez dit que la « résistance au traitement » dans le cas de souffrances psychologiques était confirmée après l'échec de seulement deux séries de traitements antidépressifs. Si c'est exact, je trouve cette définition tout à fait inacceptable. Il y a des millions de Canadiens qui souffrent de maladie mentale et un grand nombre d'entre eux tomberaient aujourd'hui sous le coup de cette définition.

M. Lemmens : Je pense qu'il s'agit de deux questions très importantes. Je répondrai d'abord à votre dernière question.

La définition d'« irrémédiable » soulève en effet un problème considérable dans le contexte de la maladie mentale. Si vous incluez dans le texte de loi l'option d'obtenir l'aide à mourir sur la base de troubles psychiatriques, vous visez une population où la résistance au traitement est un concept flexible, où les gens, du fait de leur maladie, ont souvent tendance à refuser un traitement ou à nier qu'ils sont malades, où il faut souvent un temps considérable, des mois sinon des années, pour trouver l'axe de la relation thérapeutique médecin-patient et le traitement approprié. C'est un système d'approximations successives.

Je me méfierais du jugement de tout psychiatre qui affirmerait avec confiance que tel ou tel de ses patients est irrémédiablement malade. Certes, il peut y avoir des cas exceptionnels où les gens disent qu'il n'y a plus d'espoir, mais dans bien des cas — même des études publiées dans la littérature médicale en Belgique et aux Pays-Bas le montrent —, certains patients ayant refusé pour une raison ou une autre l'option de l'euthanasie qui leur était offerte étaient toujours en vie deux années plus tard et se portaient bien, malgré le jugement posé par leur médecin quant à leur résistance au traitement et à la nature irrémédiable de leur problème psychiatrique.

Cela montre le danger de permettre aux médecins individuels d'aller rapidement de l'avant pour donner accès à l'aide à mourir en raison d'une maladie mentale.

Un large débat est en cours. En Belgique, certains cas controversés ont suscité un vif débat, et beaucoup de professionnels de la santé, des psychiatres certainement, sont très inquiets de certaines des pratiques qui s'implantent.

La sénatrice Batters : Parce qu'on constate que des personnes dépressives sont touchées.

M. Lemmens : Oui. Il y a eu le cas d'une femme de 38 ans, diagnostiquée autiste, qui n'avait aucun important antécédent médical. Elle avait fait une dépression pendant son adolescence, mais se portait bien depuis 15 ans. Se trouvant en situation de détresse mentale, elle reçoit un diagnostic d'autisme et est euthanasiée deux mois plus tard.

Beaucoup de professionnels de la santé s'insurgent contre de telles situations. Ces cas soulèvent de graves questions. En Belgique, il y a, en fait, une poignée de médecins qui soutiennent la pratique de l'euthanasie psychiatrique et cela amène des patients vulnérables à demander l'euthanasie.

Il y a donc un débat à ce sujet. Ce n'est pas que tout le monde souhaite retirer le critère des problèmes psychiatriques du projet de loi, mais il y a néanmoins débat. Une pression pèse sur le système.

Le même phénomène se produit aux Pays-Bas, où même les psychiatres qui étaient à l'origine favorables à cette pratique disent qu'il faut resserrer les critères ou s'attendre, comme en Belgique, à ce que des psychiatres, étant d'avis que la pratique échappe en réalité à tout contrôle, demandent la mise en place de systèmes d'examen préalable.

Le président : Nous devons conclure ici. Je remercie nos témoins de leur présence ici. Nous apprécions hautement votre contribution à nos discussions.

Nous accueillons maintenant notre troisième groupe de témoins. De l'Association des infirmières et infirmiers du Canada, nous avons Carolyn Pullen, directrice, Politiques, représentation et planification stratégique, et Josette Roussel, infirmière-conseillère principale. Représentant l'Association médicale canadienne, nous accueillons la Dre Cindy Forbes, présidente et chef de la direction, et le Dr Jeff Blackmer, vice-président, Professionnalisme médical. Nous entendrons, au nom de l'Association des pharmaciens du Canada, Phil Emberley, directeur, Affaires professionnelles, et Joelle Walker, directrice, Relations gouvernementales. Affaires publiques et professionnelles. Merci à tous de vous être déplacés aujourd'hui.

Carolyn Pullen, directrice, Politiques, représentation et planification stratégique, Association des infirmières et infirmiers du Canada : Je vous remercie de l'occasion qui nous est donnée de proposer des modifications au libellé du projet de loi C-14 au nom de l'Association des infirmières et infirmiers du Canada, laquelle représente 139 000 infirmières et infirmiers agréés et praticiens au Canada.

L'AIIC a participé activement aux consultations qui ont mené au projet de loi C-14 et a formulé des recommandations portant sur les mesures de sauvegarde, l'universalité de l'accès, le soutien de l'autonomie des patients, la protection en vertu du Code criminel et l'harmonisation des processus relatifs à l'aide médicale à mourir d'un bout à l'autre du Canada en matière d'accès, de pratique et de contrôle afin d'empêcher l'apparition d'un système hétéroclite.

Nous ne cessons de souligner que, bien que 3 p. 100 des Canadiens puissent demander une aide médicale à mourir, la majorité d'entre eux optera pour les soins palliatifs. Cet écart doit être comblé.

Nous avons aussi mis en lumière les difficultés particulières auxquelles sont confrontés les sept millions de Canadiens qui vivent en milieu rural ou dans des collectivités éloignées où les soins primaires sont souvent fournis par des infirmières et infirmiers ayant un champ de pratique élargi.

L'AIIC applaudit au travail fait par le gouvernement fédéral pour venir à bout des difficultés que présentait le dépôt de ce texte législatif. Nous sommes satisfaits de l'approche modérée qui a été adoptée dans ce dossier complexe et nous espérons l'adoption rapide du projet de loi C-14 avant le 6 juin.

Nous nous félicitons de l'intention de formuler une approche pancanadienne pour les soins en fin de vie puisqu'elle offre la possibilité de concilier les enjeux ayant trait à l'accès et à la liberté de conscience.

L'AIIC préconise vivement la mise en œuvre harmonisée de l'aide médicale à mourir à l'échelle du Canada. À cette fin, nous avons convoqué les parties prenantes du milieu infirmier, notamment les organes de réglementation, afin de mettre en place un cadre national des soins infirmiers susceptible de guider les infirmières et infirmiers quant aux enjeux éthiques et au perfectionnement professionnel se rapportant à l'aide médicale à mourir. Nous nous attendons à achever ce travail avant l'automne.

Aujourd'hui, nous formulons trois recommandations précises de modification du projet de loi. Elles se fondent sur notre conviction que le texte de loi servira mieux les patients et les fournisseurs des soins de santé s'il est clairement compris, s'il est possible aux professionnels de le mettre en pratique et s'il est pratique de l'appliquer dans les meilleurs intérêts des patients.

Tout d'abord, dans les paragraphes 241.2(1) et (2), nous recommandons de supprimer le critère qui fait appel à la notion d'« incurable » et de « mort raisonnablement prévisible ». Dans notre mémoire écrit, nous proposons, pour le paragraphe 241.2(1), une définition plus large de ce qui constitue un problème de santé grave et irrémédiable et qui nous paraît être davantage conforme à l'arrêt Carter, lequel mettait l'accent sur les souffrances intolérables plutôt que sur l'espérance de vie.

Si la modification que nous proposons était retenue, le paragraphe 241.2(2) pourrait être supprimé et le sous-alinéa 3b)(ii) pourrait être révisé.

Les alinéas 241.2(6)a) et c), qui portent sur l'indépendance des praticiens, laissent subsister des questions au sujet des relations entre praticiens et des facteurs susceptibles d'influer sur leur objectivité. Les questions que ces dispositions soulèvent peuvent se résumer comme suit. Si les praticiens n'ont fait qu'aiguiller des patients l'un vers l'autre, est-ce que cela implique une relation d'affaire? Dans les petites collectivités, le simple fait de se connaître l'un l'autre implique-t-il une relation susceptible d'influer sur l'indépendance de la pratique?

L'incertitude quant à la portée de ces dispositions pourrait entraîner des retards dans l'accès à l'aide médicale à mourir, particulièrement en milieu rural où le nombre de fournisseurs de soins de santé risque d'être limité. Bien qu'elle reconnaisse sans réserve le besoin de ces mesures de sauvegarde, l'AIIC propose que ces dispositions soient révisées de façon à être plus clairement comprises, démontrées dans la pratique et pratiques à appliquer dans les meilleurs intérêts du patient.

Je terminerai par de brèves remarques sur les infirmières et infirmiers praticiens, puisque le projet de loi C-14 leur confère un rôle clé dans l'aide médicale à mourir au sein de l'équipe multidisciplinaire.

Au Canada, les infirmières et infirmiers ont un champ de pratique élargi depuis plus de 100 ans, en particulier dans les régions éloignées. La reconnaissance et l'autorisation légales du champ de pratique des infirmières et infirmiers praticiens existent depuis plus de 20 ans.

Les organes de réglementation de la profession infirmière établissent les normes, les conditions d'octroi du permis d'exercer et les exigences d'études. Un minimum de deux années d'expérience clinique spécialisée et un diplôme d'études supérieures en sciences infirmières sont essentiels pour être admis à la formation d'infirmier praticien.

De nos jours, les infirmières et infirmiers praticiens fournissent une vaste gamme de soins à des patients de tous les âges dans de nombreux milieux et sont habilités à évaluer et admettre des patients, à prescrire des médicaments, à commander et à interpréter des tests, à aiguiller des patients et à les mettre en congé.

Il y a plus de 4 500 infirmières et infirmiers praticiens au Canada et leur nombre augmente d'année en année. Ils sont les fournisseurs de soins primaires à plus de trois millions de Canadiens. Il convient de faire remarquer que la Direction générale de la santé des Premières Nations et des Inuits de Santé Canada assure des services de santé dans les réserves, les communautés inuites et les collectivités isolées partout au Canada en employant à titre de fournisseurs de soins primaires plus 800 infirmières et infirmiers praticiens ou agréés et moins de 30 médecins. Ce ratio dépasse 25 pour 1.

Cet aperçu de la situation montre pourquoi le gouvernement fédéral a choisi d'inclure les infirmières et infirmiers praticiens parmi les fournisseurs aptes à assurer l'accès à l'aide médicale à mourir. Ma collègue pourra développer ces points au cours de la période de questions.

Je vous remercie de nous avoir donné l'occasion de vous communiquer ces observations et de contribuer à cet important processus.

Le président : Merci.

Dre Cindy Forbes, présidente et chef de la direction, Association médicale canadienne : Merci, monsieur le président. Je suis la Dre Cindy Forbes, présidente de l'Association médicale canadienne. Je suis aussi médecin de famille de la Nouvelle-Écosse. Le Dr Jeff Blackmer, vice-président au Professionnalisme médical, m'accompagne aujourd'hui. Le Dr Blackmer a dirigé le travail effectué par l'AMC sur l'aide médicale à mourir.

En tant qu'organisation nationale représentant plus de 83 000 médecins canadiens, l'AMC a joué un rôle fondamental dans le dialogue public sur l'élaboration d'un cadre devant régir l'aide à mourir. Permettez-moi de vous rappeler notre rôle dans ce dossier.

La position de l'AMC était la suivante : la décision de légaliser l'aide médicale à mourir doit être un choix sociétal. Nous n'avons pas pris position sur cette question pendant le débat. Dans le sillage de la décision historique rendue par la Cour suprême l'an dernier, l'AMC a déployé des efforts considérables de consultation auprès de médecins et du public pour déterminer ce que devrait être ce cadre.

L'AMC a consulté directement des dizaines de milliers de membres lors de ses travaux. Notre position et notre exposé d'aujourd'hui reposent donc sur les constatations tirées de ces vastes consultations.

Nous venons ici aujourd'hui faire passer un grand message au nom des médecins du Canada : l'AMC recommande que les parlementaires appuient l'adoption du projet de loi C-14 tel qu'il est proposé et sans amendement.

Comme nous sommes l'association professionnelle nationale qui représente les médecins du Canada, l'AMC a joué un rôle important en pilotant le dialogue public sur les soins de fin de vie. Cette consultation en profondeur a joué un rôle dans l'élaboration du document de l'AMC intitulé Une approche fondée sur des principes pour encadrer l'aide à mourir au Canada.

Les recommandations fondamentales de l'AMC portent sur quatre aspects : l'admissibilité des patients, les mesures de sauvegarde procédurales, les rôles et responsabilités des médecins et la garantie d'un accès réel aux patients.

Les recommandations de l'AMC sur ces enjeux constituent notre prise de position sur le cadre global devant régir l'aide médicale à mourir au Canada. En termes simples, l'AMC appuie fermement la réponse globale du gouvernement à l'arrêt Carter, ce qui inclut les mesures législatives et non législatives.

Nous attachons une importance particulière aux engagements pris de créer un système national de coordination des soins de fin de vie et d'appuyer l'éventail complet des possibilités relatives aux soins de fin de vie, y compris l'expansion des soins palliatifs.

Enfin, l'AMC reconnaît qu'une importante discussion publique a porté sur la façon d'aborder les enjeux « Carter Plus », y compris l'admissibilité des mineurs matures, les demandes anticipées et les demandes où la maladie mentale est la seule condition médicale invoquée.

L'AMC appuie l'approche proposée par le gouvernement fédéral qui consiste à ne pas inclure ces questions dans le projet de loi C-14 et à les étudier plus en détail avant de proposer des solutions législatives. Cette approche correspond à celle qu'ont suivie d'autres gouvernements, celui de la Belgique, par exemple.

Je cède maintenant la parole à mon collègue, le Dr Blackmer.

Dr Jeff Blackmer, vice-président, Professionnalisme médical, Association médicale canadienne : Merci, docteure Forbes. Comme on l'a dit, je parlerai de la réponse de l'AMC aux éléments fondamentaux de cette mesure législative. Nous serons heureux de répondre aux questions du comité aujourd'hui et n'importe quand au cours de votre étude.

D'abord, l'AMC est d'avis que les mesures de sauvegarde proposées dans le projet de loi C-14 sont solides et harmonisées avec les recommandations de l'association. Ces recommandations portent notamment sur les critères d'admissibilité des patients, les exigences du processus à suivre pour demander l'aide médicale à mourir, ainsi que celles qui ont trait à la surveillance et aux rapports.

Deuxièmement, l'AMC appuie l'objectif législatif qui consiste à reconnaître qu'il est souhaitable d'instaurer un cadre cohérent d'aide médicale à mourir au Canada.

Outre de solides mesures de sauvegarde, il est essentiel d'adopter des définitions des expressions « aide médicale à mourir » et « problème médical grave et irrémédiable » dans la loi fédérale pour réussir à établir un cadre national cohérent.

L'approche fondée sur les principes proposée par l'AMC présente des réflexions sur la nature subjective des « souffrances persistantes et intolérables » et d'un « problème médical grave et irrémédiable », ainsi que le rôle du médecin lorsqu'il s'agit de déterminer l'admissibilité.

Troisièmement, l'AMC appuie l'objectif qui consiste à favoriser la prestation d'un éventail complet de possibilités de soins de fin de vie et à respecter les convictions personnelles des fournisseurs de soins de santé. À cette fin, l'AMC encourage le gouvernement fédéral à tenir rapidement sa promesse de créer un système national de coordination des soins de fin de vie. Et à le faire pour le 6 juin.

L'AMC sait qu'un gouvernement au Canada a créé un système visant à appuyer l'établissement de contacts entre patients et fournisseurs consentants. En attendant l'implantation d'un système national, la disparité persistera entre les provinces au niveau de l'appui accordé aux patients et aux professionnels.

Enfin, l'AMC est d'avis que le projet de loi C-14 doit, dans la mesure où la constitution le permet, respecter les convictions personnelles des fournisseurs de soins de santé en protégeant les droits de ceux qui ne veulent pas participer à l'aide à mourir ou orienter directement un patient.

Nous serons heureux de nous exprimer davantage sur cette question cruciale, qui est aussi essentielle à l'établissement d'un cadre national cohérent, ainsi que sur toute autre question. Je vous remercie de votre attention.

Le président : Merci beaucoup. Monsieur Emberley, la parole est à vous.

Phil Emberley, directeur, Affaires professionnelles, Association des pharmaciens du Canada : Je vous remercie beaucoup, monsieur le président, ainsi que les membres du comité, pour m'avoir invité à vous adresser la parole aujourd'hui. Je m'appelle Phil Emberley et suis directeur des Affaires professionnelles à l'Association des pharmaciens du Canada. Je suis aussi un pharmacien communautaire en activité ici à Ottawa. Je suis accompagné aujourd'hui par ma collègue Joelle Walker, directrice, Relations gouvernementales, Affaires publiques et professionnelles.

L'aide à mourir est une question qui a dominé dans la plupart des discussions au sein de la profession au cours de la dernière année, et il est clair que les pharmaciens seront appelés à jouer un important rôle dans l'aide à mourir en tant que fournisseurs de la dose létale. Nous entendons déjà dire que des pharmaciens communautaires se font questionner par des clients au sujet de l'aide à mourir.

Au cours de la dernière année, l'APhC a travaillé auprès de ses membres afin de mieux comprendre l'incidence des décisions judiciaires sur la profession et de connaître leurs vues sur la question. Nous avons, à cette fin, mené une enquête exhaustive auprès des pharmaciens et formulé des principes directeurs qui ont été publiés en février.

Notre profession a été très encouragée de voir la discussion autour de l'aide à mourir s'élargir pour passer à ce qui était uniquement vu comme l'aide apportée par le médecin pour mourir à ce qui s'appelle désormais l'aide médicale à mourir. Ce changement de terminologie est une reconnaissance du fait que, à l'instar de tout autre service ou procédure de soins de santé, l'aide à mourir repose sur une équipe de professionnels de la santé beaucoup plus large.

Nous voulons aussi insister sur le fait qu'à nos yeux le projet de loi C-14 n'est qu'un des éléments de la réponse législative des pouvoirs publics au Canada à l'arrêt de la Cour suprême. Beaucoup d'importants aspects pratiques seront laissés aux provinces et aux territoires et exigeront de suppléer aux lignes directrices et aux règlements encadrant la pratique.

Cependant, nous préconisons l'adoption rapide de ce texte législatif pour faire en sorte que le cadre soit en place d'ici la date butoir du 6 juin et que les provinces et territoires aient la possibilité d'élaborer les règlements et lignes directrices de pratique qui sont nécessaires.

De façon générale, nous croyons que le projet de loi C-14, tel qu'il est actuellement libellé, reconnaît comme il se doit le rôle des pharmaciens et met à l'abri de toute poursuite criminelle ceux qui choisiraient de participer en fournissant la dose létale de médicament.

Aux termes de l'article 241.1, l'aide médicale à mourir peut prendre deux formes. Un médecin ou un infirmier praticien peut administrer directement la substance létale ou le patient peut se l'administrer lui-même. Cela a des conséquences considérables sur le rôle que les pharmaciens pourraient avoir à jouer dans l'aide à mourir. Nous voyons, en particulier dans les cas où c'est le patient qui s'administre la substance, un rôle beaucoup plus grand pour les pharmaciens qui pourraient à avoir à fournir les substances directement à des patients et qui deviendraient ainsi — c'est tout à fait concevable — le dernier professionnel de la santé en interaction avec le patient avant sa mort.

Nous sommes, par conséquent, heureux de voir que le paragraphe 241(4) du projet de loi C-14 exempte expressément de toute responsabilité criminelle les pharmaciens qui fourniraient une substance létale à une personne autre qu'un médecin ou un infirmier praticien.

Nous sommes également très favorables au paragraphe 241.2(8), qui exige que le médecin ou l'infirmier praticien qui prescrit la substance létale informe le pharmacien de l'utilisation qui en sera faite. Il s'agit d'une disposition que nous avions expressément demandée, et nous sommes heureux de la voir figurer dans le texte législatif.

Outre les dispositions particulières que nous avons signalées, nous voulons attirer votre attention sur deux éléments clés qui ne figurent pas dans le texte législatif, mais qui nous semblent être tout aussi importants. La premier est la question de la liberté de conscience; nous croyons que les pharmaciens et les autres professionnels de la santé ne devraient pas être contraints à participer à l'aide à mourir si celle-ci va à l'encontre de leurs convictions personnelles, ni à devoir aiguiller directement un demandeur vers un pharmacien participant. Le projet de loi ne précise pas comment, ni si les professionnels de la santé pourront refuser une demande, laissant les provinces et les organes de réglementation professionnelle trancher cette question.

Afin d'accorder une protection égale aux droits des pharmaciens à l'objection de conscience et aux droits d'accès des patients, l'APhC recommande la mise sur pied d'un organisme d'information indépendant habilité à faire des aiguillages vers les pharmaciens participants et nous exhortons le gouvernement fédéral à travailler avec les provinces et territoires en vue de créer et mettre en œuvre un tel système.

La deuxième question qui concerne particulièrement les pharmaciens dans l'exercice courant de leurs activités est celle de l'accès aux médicaments. Il n'existe pas qu'un seul médicament pour mettre fin à la vie. Il pourrait s'agir plutôt d'un cocktail de substances qui pourrait être administré par une tierce personne ou par le patient lui-même. Selon le mode d'administration, des substances différentes pourraient être utilisées.

L'une des grandes préoccupations des pharmaciens, qui ne connaissent que trop bien les problèmes de disponibilité et d'accessibilité des médicaments, c'est que les substances en question pourraient, dans certains cas, ne pas être facilement disponibles au Canada. À titre d'exemple, en Oregon, où l'auto-administration est obligatoire, l'un de deux barbituriques est utilisé, dont aucun n'est actuellement disponible au Canada.

Il est crucial que Santé Canada, en tant qu'autorité de réglementation des médicaments, s'assure que les substances recommandées sont disponibles et accessibles aux patients et à leurs équipes de soins de santé. Nous serions heureux d'offrir notre collaboration pour résoudre ce problème.

Merci encore de m'avoir donné l'occasion de témoigner ici. J'attends vos questions avec intérêt.

Le président : Merci à tous. Nous commencerons nos questions par la vice-présidente, la sénatrice Jaffer.

La sénatrice Jaffer : Merci beaucoup à vous tous. Vos exposés donnent vie au projet de loi et je l'apprécie.

Tout d'abord, si vous le permettez, je voudrais poser une question à l'association des pharmaciens pour avoir des précisions.

À partir du moment où une ordonnance est émise, l'une des questions qui se posent avec l'aide à mourir, c'est de savoir jusqu'à quand cette ordonnance est valide. Quelqu'un pourrait-il la garder dans son placard pendant deux ou trois ans avant de s'adresser à vous?

Je suppose que vous pourriez appeler le médecin pour vous assurer qu'elle est valide, et ensuite vous assurer que la personne est toujours consentante à aller de l'avant avec ses souhaits. Je suis sûre que vous aurez des protocoles en place, mais comment pensez-vous que cela va fonctionner?

L'idée que quelqu'un puisse tout simplement entrer dans sa pharmacie, prendre les médicaments et passer tout seul par ce terrible processus m'inquiète énormément. J'aimerais avoir vos commentaires à tous les deux.

M. Emberley : Je pense que c'est une préoccupation valable et nous y avons songé nous-mêmes. Comme vous pouvez l'imaginer, beaucoup de détails sont encore à élucider, mais a priori, on pourrait espérer que l'ordonnance comporte en fait une date d'expiration, de sorte qu'elle ne peut être remplie qu'à un moment précis. Voilà le genre de détails que nos organismes de réglementation devront tirer au clair en réfléchissant aux conséquences qui pourraient en découler.

La sénatrice Jaffer : J'ai une question au sujet des infirmières. Je peux me tromper sur ce point, mais dans ma province de la Colombie-Britannique, on se demande si les infirmières praticiennes peuvent aider quelqu'un à mourir. J'aimerais savoir ce qui se passera d'après vous. Est-ce que les organismes provinciaux devront changer leurs protocoles ou leur façon de gérer les choses? Comment mettra-t-on les choses en place, ou est-ce déjà fait?

Josette Roussel, infirmière-conseil principale, Association des infirmières et infirmiers du Canada : Je répondrai à la question, et je vous en remercie.

Ce qui se passe actuellement, à ce que nous sachions, c'est que les organismes de réglementation des soins infirmiers de chaque province et territoire sont en train d'en discuter avec leurs gouvernements respectifs et, à l'heure qu'il est, ils sont en fait en train d'élaborer des normes et des moyens d'implanter ce changement. Comme vous le savez, c'est un grand changement pour nous tous en tant que professionnels et il nécessitera des discussions réfléchies et la mise en place de normes, politiques et lignes directrices.

En tant qu'organisme national, l'Association des infirmières et infirmiers du Canada travaille actuellement avec ses intervenants en soins infirmiers à élaborer un cadre de travail en suivant une démarche analogue à celle de nos collègues médecins et pharmaciens.

La sénatrice Jaffer : Pour l'association des médecins, la grande question portait hier sur la façon d'interpréter l'expression « raisonnablement prévisible ». Nous avons interrogé la ministre à ce sujet et elle a dit — je ne sais si je la cite correctement — que nous faisions exprès de garder les choses flexibles. Elle a certainement utilisé le mot « flexible ». Ce qui m'inquiète de tout cela c'est qu'on pourrait aboutir à un manque d'uniformité dans l'application de la norme partout au pays.

Comptez-vous peaufiner la définition de raisonnablement prévisible?

Dr Blackmer : Merci pour la question. C'est certainement une question qui a suscité énormément de débats. J'aurais deux ou trois choses à dire là-dessus. J'estime que si « raisonnablement prévisible » n'est pas l'expression la plus spécifique possible dans ces circonstances, je la trouve infiniment mieux que « grave et irrémédiable ».

Selon notre optique, il est inconcevable que des fournisseurs de soins de santé puissent trouver l'expression « grave et irrémédiable » préférable à celle qui se trouve dans le libellé du projet de loi C-14. On ne saurait proposer un terme plus vague et quelconque que « grave et irrémédiable ». Cette expression n'a aucune forme de bon sens pour les fournisseurs de soins.

Dans l'échelle de la gravité, « raisonnablement prévisible » nous apprend au moins qu'il s'agit de l'extrémité plus grave, et je crois que nous convenons tous que c'est ce que recherchent les Canadiens dans ce type de loi. Je vais vous donner un exemple très rapidement.

Disons que nous avons deux patients atteints de sclérose en plaques, ce qui est une maladie grave et irrémédiable, vous en conviendrez. L'un boite légèrement et se déplace à l'aide d'une canne. La plupart d'entre nous ne voudraient pas qu'il soit admissible à l'aide médicale à mourir. L'autre peut être cloué au lit, être alimenté à l'aide d'un tube et avoir des escarres. Sa mort serait raisonnablement prévisible et il serait admissible à l'aide médicale à mourir.

Même si l'expression n'est pour ainsi dire pas parfaite, proportionnellement parlant, il vaut mieux l'avoir que d'y renoncer et devoir nous contenter de « grave et irrémédiable ».

En réponse à votre question, je soupçonne qu'il y aura encore des travaux de définition, mais c'est utile pour la communication, le dialogue entre le médecin et son patient, contrairement à une définition aussi vague et imprécise.

Le sénateur McIntyre : Merci pour tous vos exposés.

Ma question porte sur les lignes directrices et les dispositions du projet de loi C-14. Si j'ai bien compris, les collèges des médecins et chirurgiens, les ordres d'infirmières et d'infirmiers et les associations de pharmaciens parmi d'autres organismes de réglementation des professions liées à la santé ont élaboré des lignes directrices pour leurs membres en matière d'aide médicale à mourir. Savez-vous si l'une ou plusieurs de ces lignes directrices viennent contredire les dispositions du projet de loi C-14?

Dr Blackmer : Merci beaucoup. Il n'y a pas nécessairement une contradiction directe, mais c'est certainement une source de préoccupation en ce qui concerne des questions telles que l'objection de conscience. Par exemple, les autorités de réglementation médicale ont toutes adopté une approche légèrement différente à l'égard de cette question, certaines beaucoup plus que d'autres. D'aucuns ont demandé à avoir plus de clarté, ce qui est raisonnable. Suivant la manière d'interpréter les expressions dans le préambule, on pourrait estimer qu'elles s'écartent quelque peu des lignes directrices des organes de réglementation.

Mme Pullen : Du point de vue des soins infirmiers, nous n'avons pour le moment aucune contradiction entre le contenu du projet de loi C-14 et les recommandations des organes de réglementation, car ceux-ci se trouvent en mode attente face au 6 juin afin de comprendre en quoi consistera la version définitive de la loi. Voilà pourquoi l'association des infirmières et infirmiers est en train de convoquer notre groupe d'intervenants, précisément pour tenter d'éviter des scénarios où il y aurait un manque d'uniformité d'une administration à la suivante, entraînant ainsi toute une gamme de scénarios qui pourraient faire obstacle à l'accès ou s'avérer problématiques sur le plan de la conscience individuelle des praticiens, et cetera. Nous sommes donc en train de surveiller les choses tout en nous efforçant d'être proactifs pour éviter les difficultés dans ce contexte.

M. Emberley : Je me range à l'avis de mes collègues. Nous demeurons en communication avec nos organes de réglementation professionnelle. Le résultat dépend énormément du regard final que nous jetterons sur le pays après le 6 juin, où l'aide médicale à mourir aura lieu dans les faits. Il s'agit encore de savoir où, à la maison ou dans un établissement, mais les discussions à ce sujet sont toujours en cours.

Le sénateur McIntyre : Monsieur Emberley, dans votre exposé, vous avez soulevé la question de la conscience. Vous avez dit clairement que les pharmaciens et autres professionnels de la santé ne devraient pas être obligés de participer à l'aide médicale à mourir. Ils ne devraient pas non plus être obligés d'acheminer le patient vers un autre pharmacien susceptible de combler ses souhaits.

Êtes-vous en train de préconiser la création d'un organe d'information indépendant pour surveiller la situation?

M. Emberley : Oui, tout à fait. Nous le voyons comme un remède à la situation. C'est bien cela.

Le sénateur McIntyre : Quelle serait la fonction de cet organe? Par exemple, disons qu'il y a un problème dans une région isolée où il existe une seule pharmacie pour toute la collectivité rurale. Est-ce le genre de situation où un organe d'information indépendant interviendrait?

M. Emberley : Si un pharmacien n'est pas en mesure d'offrir le service, il devra l'expliquer au patient et lui donner les coordonnées d'un organe d'information qui le mettra en contact avec un pharmacien qui participe. Il faudrait mettre en place l'infrastructure nécessaire pour que ce service soit disponible pour les Canadiens partout au pays.

Joelle Walker, directrice, Relations gouvernementales, Affaires publiques et professionnelles, Association des pharmaciens du Canada : Nous avons mené un sondage auprès de nos membres il y a quelques mois. La grande majorité des pharmaciens nous ont dit qu'ils seraient à l'aise avec l'idée d'acheminer le patient directement à un autre pharmacien, mais nous estimons que l'organe dont nous parlons serait utile pour une petite minorité de pharmaciens qui ne voudraient pas le faire ou qui estiment que cela équivaudrait à participer à la pratique proprement dite.

Le sénateur Cowan : Merci et bienvenue chez nous aujourd'hui. Vous avez tous fait valoir votre soutien pour le projet de loi C-14 dans son libellé actuel tout en nous parlant un peu du travail que vos associations sont en train de faire à l'échelle nationale et de celui que les organes de réglementation de vos professions respectives vont faire à l'échelle provinciale. Nous n'avons pas parlé de la fonction des provinces dans tout cela.

En présumant qu'une ou plusieurs provinces ne fassent rien sur le plan législatif ou réglementaire, cela causerait-il selon vous des problèmes à l'égard de la disponibilité de ce service médical et d'un accès uniforme pour les Canadiens?

Dre Forbes : En ce qui nous concerne, nous avons été en contact avec les ministres de la Santé de la plupart des provinces et territoires au cours de nos discussions sur la fonction que les provinces pourraient remplir. À l'instar de nos organes de réglementation, ils étaient nombreux à rester en mode attente, se préparant juste au cas où il n'y aurait pas de réaction fédérale. Néanmoins, d'après ce que nous avons compris, ils étaient nombreux à attendre pour voir en quoi consisterait la réaction fédérale. Ainsi, si nous adoptons le projet de loi C-14 et nos organes de réglementation ont leurs règlements en place, le 6 juin ne devra pas poser de problème.

Le sénateur Cowan : Assisterons-nous à des écarts si jamais il n'y a pas d'intervention législative ou réglementaire provinciale dans une ou plusieurs provinces? Est-ce que cela créerait un problème, en supposant le passage du projet de loi C-14 et compte tenu du travail accompli par les organismes de réglementation?

Dr Blackmer : C'est un peu difficile de le prédire avec certitude. Si le projet de loi C-14 est adopté tel quel et selon ce que j'ai constaté chez toutes les autorités de réglementation provinciales, en gros, nous serions prêts à nous lancer le 6 juin. Il peut y avoir des détails à régler à mesure que nous prendrons de l'expérience dans les mois et les années à venir, mais je crois que les grandes questions seraient réglées.

Le sénateur Cowan : Donc, d'après vous, il n'y a nullement besoin de lois ou de règlements provinciaux?

Dr Blackmer : Cela dépend énormément des détails du projet de loi C-14.

Le sénateur Cowan : Présumons aux fins du débat que le projet de loi C-14 est adopté.

Dr Blackmer : Nous avons déjà des règlements provinciaux, alors la plupart des organes ont rédigé...

Le sénateur Cowan : Je parle des gouvernements provinciaux, des assemblées législatives.

Dr Blackmer : Oui. Il est difficile pour moi de dire exactement à quoi ressembleront les choses d'une province à l'autre, car certains organismes de réglementation pourraient ne pas être aussi précis sur certains détails, et ces provinces peuvent ressentir le besoin de combler ces lacunes. Tout cela dépendra en grande mesure des circonstances locales.

Le sénateur Plett : Ma première question porte sur les bénéficiaires de la mort d'un être cher dans le cas des pharmacies qui fourniraient un médicament que la personne ne pourra pas utiliser pendant quelques années, et ensuite un médecin ne serait pas nécessairement présent pour administrer ou aider à administrer le médicament.

Le paragraphe 241(5) dit clairement : « Ne commet pas l'infraction prévue à l'alinéa (1)b) quiconque fait quelque chose, à la demande expresse d'une autre personne, en vue d'aider celle-ci à s'administrer la substance qui a été prescrite pour elle dans le cadre de la prestation de l'aide médicale à mourir... »

Voyez-vous un problème éthique ici avec des personnes bénéficiant d'une aide offerte à quelqu'un? Si la personne a pris une décision et a perdu certaines facultés mentales et un bénéficiaire contribue à aider cette personne?

Ma deuxième question porte sur l'objection de conscience. Je suis particulièrement intéressé par les commentaires de Mme Pullen. Prenons le cas d'une communauté rurale, où il n'y a personne d'autre. Il y a une infirmière ou un infirmier qui s'oppose à la pratique pour des motifs de conscience; faut-il les obliger à administrer le médicament, à aider le patient ou à l'acheminer vers quelqu'un d'autre?

Dre Forbes : Vous faites allusion à la nature volontaire de l'aide à mourir de la part du patient. Une partie de la responsabilité du médecin dans l'évaluation de sa capacité et de sa capacité à consentir librement consiste à déterminer si le patient est sous une influence indue ou s'il est poussé à prendre une telle décision, et à s'inquiéter personnellement de la possibilité d'accéder à d'autres soins, comme les soins palliatifs. Le patient ne se sent pas poussé par quelqu'un qui bénéficierait en quelque sorte de sa mort, comme l'exemple que vous avez donné. Une partie de la responsabilité du médecin consiste à interroger le patient, comprendre ses motifs et faire preuve du meilleur jugement dont il est capable professionnellement pour déterminer si le patient est en mesure de donner son consentement et si ce consentement est volontaire.

Prévoir un certain temps comme mesure de sauvegarde donne aussi au patient la possibilité de réfléchir et de changer d'avis, ce qui est extrêmement important à mon sens.

Vous avez également soulevé la question des médicaments qui sont conservés pendant un certain temps.

Le président : Nous devons passer aux infirmières maintenant. Notre temps est limité.

Mme Pullen : Je répondrai à votre deuxième question et Josette vous répondra ensuite à la première.

Je pense que l'objection de conscience chez les infirmières peut être illustrée par un excellent précédent, celui de l'avortement, qui est bien traité de nos jours dans le système de santé au Canada.

Dans le cas des infirmières, il y a toujours eu une disposition à l'objection de conscience dans tous les cas. Il n'y a pas de cas où une infirmière soit tenue de participer à un acte auquel elle s'oppose personnellement et l'aide médicale à mourir ne saurait être une exception.

De la façon dont cela est structuré dans le système de santé — et parce que les infirmières et infirmiers sont généralement employés par des organisations —, les organismes de réglementation et les employeurs ont des règlements, des directives, des politiques et des processus très clairs en place qui permettent de remplacer le fournisseur de soins principal si cette personne s'oppose à faire le travail pour des motifs de conscience.

Dans le cas de l'avortement tout comme dans celui de l'aide médicale à mourir, ce ne sont pas des situations d'urgence. Même dans une région éloignée ou rurale, on dispose d'un certain temps, et si un fournisseur refuse de participer au processus, il y aurait des politiques et des pratiques en place pour le remplacer.

Nous sommes à l'aise avec l'idée que les infirmières ne seront pas obligées d'agir contre la dictée de leur conscience, d'une part, et d'autre part que l'accès ne posera pas de problème, puisque les systèmes de santé ont déjà une expérience dans ce genre de remplacement des fournisseurs.

C'est une excellente question.

Le sénateur Baker : Merci aux témoins pour leurs excellents exposés. J'ai juste une question. Peut-être que le Dr Blackmer peut y répondre. La question se rapporte aux directives anticipées.

Il me semble que c'est la première fois dans l'histoire législative que l'on suggère que le gouvernement fédéral s'implique dans les directives anticipées dans la mesure où elles se rapportent à l'objet de ce projet de loi. Comme vous le savez, c'est un domaine de compétence provinciale. Toutes les provinces, à deux exceptions près, ont des lois bien établies qui régissent les directives anticipées.

Quand l'association parle d'un cadre pancanadien cohérent, voulez-vous dire que le gouvernement fédéral devrait intervenir par voie législative dans les directives anticipées, ou proposez-vous que les provinces s'entendent pour veiller à ce qu'il y ait une politique pancanadienne cohérente en la matière?

Dr Blackmer : Merci, sénateur Baker. De notre point de vue, l'essentiel c'est que la chose soit claire, que ce soit au niveau fédéral ou à travers les frontières provinciales. Dans la pratique, ce serait plus facile à mettre en œuvre au niveau fédéral, car je ne crois pas que nous verrons de la cohérence entre les provinces.

Je tiens à souligner que nous parlons des directives anticipées pour cette situation particulière. Je sais qu'il y a eu d'excellents débats ouverts sur cette question tellement complexe.

Il importe de reconnaître que dans d'autres pays qui acceptent l'aide médicale à mourir, ce genre de considérations ne sont pas intégrées à la loi initiale. J'ai assisté à une réunion la semaine dernière en Argentine. J'ai déjeuné avec le président de l'association médicale royale néerlandaise et il m'interrogeait au sujet de la loi canadienne. On nous observe très attentivement. Il a dit qu'ils étaient très heureux que cet aspect n'ait pas fait partie de leur législation initiale, car ils ont beaucoup de difficulté à l'implanter à présent et les choses se jouent sur le terrain.

Je pense qu'il est vraiment important pour le Canada d'apprendre de leurs expériences et difficultés, ainsi que des aspects qui fonctionnent bien selon eux avant d'essayer d'implanter cela dès l'introduction de ce type de projet de loi.

Nous devons considérer cela comme une circonstance exceptionnelle très spécifique. On ne veut pas nécessairement dire que le gouvernement fédéral doive légiférer sur les directives anticipées pour tous les types de situations, mais quand il s'agit de l'aide médicale à mourir et des complexités inhérentes à cette situation particulière, nous pensons que cela a beaucoup de sens.

La sénatrice Batters : Merci beaucoup à vous tous d'être ici et de tout ce que vous faites pour les personnes qui souffrent de tant de choses au Canada chaque jour.

Tout d'abord, docteur Blackmer, je vous remercie beaucoup de votre plaidoyer sur cette question. Votre travail à ce chapitre a contribué à ce que le gouvernement renonce aux éléments les plus controversés de ce projet de loi.

En parlant de vos remarques sur l'approche pancanadienne que vous aimeriez voir, je me demande si vous pensez qu'il est problématique que la ministre et ses fonctionnaires aient reconnu hier que la capacité des infirmières praticiennes d'avoir les mêmes pouvoirs que les médecins dans l'aide médicale à mourir peut varier d'une province à l'autre.

Dr Blackmer : Je vous remercie. Je m'en remets à mes collègues en soins infirmiers pour les détails.

Je pense que les légères variations entre les provinces en ce qui concerne le degré de délégation requis et le champ de responsabilité des infirmières praticiennes sont simplement un reflet de la réalité actuelle. Bien que, comme mes collègues l'ont dit, cela soit quelque chose qui se passe depuis très longtemps, la réglementation réelle de ce type de pratique est relativement nouvelle au Canada. Mais pour répondre à votre question, je pense que ce serait très important, dans la mesure du possible constitutionnellement et légalement parlant, d'avoir une cohérence, car nous ne voulons certainement pas que la confusion règne d'une province à l'autre quant à savoir si les infirmières praticiennes et infirmiers praticiens peuvent oui ou non participer à ces activités et, le cas échéant, dans quelle mesure.

La sénatrice Batters : Madame Pullen, je me demande si vous pourriez nous parler des écarts entre les administrations provinciales au Canada quant à ce que les infirmières praticiennes sont autorisées à faire à l'heure actuelle.

Mme Pullen : Je demanderais à ma collègue d'y répondre de façon succincte.

Mme Roussel : Merci pour votre question. La compétence des infirmières praticiennes est assez complète et cohérente dans la plupart des provinces canadiennes. Il y a quelques écarts dans certaines activités, mais les points communs l'emportent en nombre en ce moment.

La sénatrice Batters : Pourriez-vous nous préciser en quoi consistent ces écarts?

Mme Roussel : L'un d'eux concerne le pouvoir de prescrire des ordonnances pour des médicaments et substances contrôlées. Il existe deux provinces qui n'y autorisent pas les infirmières praticiennes. L'une d'elles est en train de parachever le processus en ce moment même.

La sénatrice Batters : Laquelle?

Mme Roussel : La Colombie-Britannique. Je crois qu'un processus est en place en ce moment même. En Ontario, ce n'est pas encore autorisé.

La sénatrice Batters : Deux de nos plus grandes provinces ne permettent pas que les infirmières rédigent des ordonnances et pourtant cet aspect serait une des principales caractéristiques de la mesure.

Mme Roussel : Mais les autres provinces et les territoires autorisent les infirmières praticiennes à prescrire des médicaments et des substances contrôlées, à une exception près.

La sénatrice Batters : Je dois poser une brève question à la Dre Forbes. Vous avez parlé de la période d'attente. Je me demande si vous êtes au courant du fait que quand les fonctionnaires étaient ici hier, ils nous ont confirmé que la période d'attente dans ce projet de loi pourrait à toutes fins pratiques retomber à zéro si un médecin ou une infirmière praticienne en décidait ainsi. Est-ce que cela vous préoccupe?

Dre Forbes : Selon mon interprétation, il s'agit de permettre une certaine souplesse dans des circonstances extrêmes, où 15 jours d'attente ne seraient pas dans le meilleur intérêt du patient et révéleraient un manque de compassion à son égard. Je l'interprète comme laissant une certaine marge de manœuvre pour les cas où 15 jours pourraient être excessivement longs.

Je crois que c'est une bonne chose. Nous l'avions en fait demandé dans notre mémoire, reconnaissant que 15 jours est un laps de temps arbitraire. Ce temps pourrait être plus long, mais il y a la souplesse nécessaire pour déterminer les choses au cas par cas.

La sénatrice Batters : N'êtes-vous pas inquiète du fait qu'un médecin ou une infirmière praticienne puisse avoir la même capacité de discerner si cette période d'attente est suffisante?

Dre Forbes : Dans la mesure où les deux praticiens sont mentionnés dans la loi et qu'ils ont supposément la compétence voulue pour fournir ce jugement et cette décision, je pense que c'est raisonnable.

Le sénateur Joyal : Bienvenue. Je voudrais adresser ma première question à Mme Pullen.

Dans votre exposé, vous avez recommandé des amendements au projet de loi, en particulier le paragraphe proposé 241.2(2) et la question du « raisonnablement prévisible » que le Dr Blackmer semble favoriser et qui n'a pas été relevée dans l'arrêt Carter. Pourriez-vous expliquer comment vous arrivez à la conclusion que le projet de loi devrait être modifié spécifiquement pour vous assurer que l'aide médicale à mourir reste au Canada?

Mme Pullen : Je voudrais commencer par dire que les associations de médecine et de soins infirmiers ont naturellement eu des discussions autour des aspects controversés. La question n'a rien de surprenant.

Du point de vue des soins infirmiers, nous estimons que le mieux que l'on puisse faire, c'est de veiller à ce qu'il y ait autant de clarté que possible dans le libellé du projet de loi. Comme nous pouvons le constater dans toutes les consultations en cours, nous avons là un excellent exemple d'eaux devenues vaseuses, et il y a un débat nouveau et important. Nous pensons que nous pourrions être en mesure de contribuer au dialogue et simplifier les choses en revenant au libellé suggéré précédemment, que nous avons repris dans le détail dans notre mémoire. Il ne définit pas l'expression « raisonnablement prévisible », mais ajoute certains des critères énoncés au paragraphe(2). Nous estimons que la suppression de ce type de formulation rendra le projet de loi actuel un peu moins ambigu.

Ainsi, ce que nous préconisons, c'est un maximum de clarté. Notre opinion sur ce principe ne diffère pas tellement de celle des médecins, car ils luttent pour la même chose, mais juste par des moyens différents.

Le sénateur Joyal : Ma question s'adresse au Dr Blackmer. Je voudrais revenir à un exemple que vous avez donné de deux patients souffrant de sclérose en plaques, qui est une maladie grave et irrémédiable. La cour a ajouté que la souffrance doit être intolérable à la personne. Tous deux sont atteints de la même maladie, mais l'un serait encore capable de marcher alors que l'autre serait alité. Dans le cas de la personne encore capable de marcher, la seule option possible, comme nous l'avons vu au Québec — je ne sais pas si vous êtes au courant des deux cas signalés dans les médias au Québec —, serait de se laisser mourir de faim jusqu'à ce que le médecin puisse confirmer que la mort est imminente et prescrire l'aide médicale à mourir.

Ne pensez-vous pas qu'il est cruel et inacceptable de pousser quelqu'un qui souffre de façon intolérable de sclérose en plaques avant qu'un médecin ne dise « maintenant je vais vous prescrire un médicament? » Ne pensez-vous pas que le projet de loi le permettrait? Le nom de la personne apparaissait dans un article paru au Québec il y a deux semaines. Voilà pourquoi j'ai du mal à concilier l'exemple que vous nous donnez aujourd'hui avec le texte de ce projet de loi.

Dr Blackmer : Je suis au courant de ces cas malheureux. Je ne suis pas avocat, mais mes collègues avocats me disent que les causes difficiles engendrent de mauvaises lois. Ce sont des situations exceptionnelles et malheureuses.

Nous croyons fermement que l'on doit avoir un certain degré de compréhension de la sévérité de l'état d'un patient avant que les médecins soient invités à lui donner la mort. C'est l'état le plus grave auquel le médecin doit faire face. Nous sommes tous d'accord pour dire que l'aide médicale à mourir ne devrait pas être disponible dans les cas que la majorité des Canadiens et la majorité des fournisseurs de soins de santé ne jugent pas admissibles. On doit pouvoir tracer la limite entre ce qui est raisonnable et ce qui ne l'est pas. On ne peut pas tracer cette limite avec « grave et irrémédiable ». N'importe quel malade qui dit : « Je souffre », et la souffrance est entièrement subjective car c'est une question de perception, pourrait théoriquement se qualifier pour l'aide médicale à mourir s'il trouve un praticien.

Nous avons besoin d'un certain degré de compréhension de la gravité de la maladie. Ce ne sera pas parfait. Il n'existe pas de solution parfaite que l'on peut trouver dans une loi fédérale pour dire « cette personne est admissible, celle-ci ne l'est pas ». Nous savons tous, et tous les Canadiens savent, qu'il y aura des désaccords, mais nous devrons en arriver à un système où nous comprendrons la gravité de l'état dont nous parlons.

Le fournisseur de soins de santé et le patient doivent pouvoir dialoguer. Or ce dialogue ne sera pas possible si l'on garde une norme complètement subjective de souffrances graves et subjectives. Elle ne permet à un patient de dire : « Je suis malade. J'ai droit à l'aide médicale à mourir. » Le droit de quelqu'un mène à l'obligation de quelqu'un d'autre, dans ce cas, celle des fournisseurs de soins de santé.

Nous voulons une orientation et plus de clarté. Comme le dit mon collègue, la clarté est très importante. Cependant, « grave et irrémédiable » est la formule la moins claire que l'on puisse imaginer dans cette situation.

La sénatrice Eaton : Les infirmiers et infirmières seraient-ils mieux protégés si un juge de la Cour supérieure, comme l'a proposé Mme Somerville ce matin, décidait en dernier ressort du droit de quelqu'un à recourir à l'aide médicale à mourir s'il devait juger le cas?

Mme Pullen : Nous estimons que le libellé actuel du projet de loi nous protège en vertu du Code criminel. Nous avons eu également des discussions avec nos membres pour comprendre dans quelle mesure les infirmiers et infirmières acceptent de participer directement à l'aide médicale à mourir. Ceux qui sont prêts à le faire n'ont pas de problèmes avec le projet de loi tel qu'il est rédigé.

La sénatrice Eaton : La ministre de la Justice nous a dit hier que son projet de loi protège les travailleurs de la santé, mais que les provinces, par leur réglementation, peuvent supprimer cette protection.

Mme Pullen : Dans les cas où les règlements ne sont pas harmonisés entre les provinces, ce que nous essayons fortement d'éviter, les infirmiers praticiens ne pratiqueraient l'aide médicale à mourir que s'ils étaient autorisés et réglementés pour le faire au niveau provincial.

La sénatrice Eaton : J'aimerais aller un peu plus loin. Serait-il possible d'avoir quelque chose comme les cliniques d'avortement où les gens qui y travaillent croient évidemment dans l'avortement et le soutiennent? Serait-il pratique de le faire avec les médecins, les infirmiers praticiens, en leur accordant notamment une licence pour protéger ceux qui ne croient pas à l'aide médicale à mourir?

Dre Forbes : Vous voulez dire les cliniques indépendantes qui ne font que cela?

La sénatrice Eaton : Oui, mais ce ne serait pas pratique si une personne était alitée ou ne pouvait pas se déplacer ou souffrait trop. Il faudrait alors quelqu'un qui vienne dans sa chambre d'hôpital ou chez elle.

Dre Forbes : Certainement. Nous verrons finalement qu'il y aura de nombreux modèles de prestation des soins pour les patients en fin de vie et pour l'aide médicale à mourir. Dans une région éloignée, un médecin visiteur ou quelqu'un d'autre pourrait se rendre dans une localité, ou au sein de la localité, un médecin pourrait se rendre à domicile, comme beaucoup d'entre nous le font déjà. Je pense que c'est ce qui se passera.

Les médecins veulent donner au patient les meilleurs soins possibles. Les médecins fourniront ce service par compassion. La prestation de ce soin évoluera en gardant cela à l'esprit.

Le sénateur White : Merci à vous tous de votre présence. On a posé beaucoup de questions sur les infirmiers praticiens. Il reste une grande ambiguïté du fait que chaque province semble gérer les infirmiers praticiens différemment. Serait-il bon que le texte de loi prescrive que l'une des deux personnes doive être un médecin? Cela supprime le problème de l'ordonnance à prescrire, mais assure également une meilleure protection pour les infirmiers et infirmières?

Mme Roussel : Nous savons que le champ d'activité des infirmiers praticiens s'élargit. Vous soulevez une question qui peut être résolue par ce que nous étudions actuellement, dans les provinces et territoires, les règlements provinciaux et territoriaux pour nous adapter au projet de loi qui sera adopté le 6 juin. Les infirmières et infirmiers se préparent et les infirmiers praticiens sont compétents et prêts à participer.

Le sénateur White : Je ne conteste pas la compétence. J'ai travaillé 19 ans dans l'Arctique et chaque centre de santé était administré uniquement par des infirmiers praticiens. Ce qui m'inquiète c'est le fait que les provinces n'ont pas les mêmes lignes directrices et que certaines provinces ne permettent pas aux infirmiers praticiens de prescrire les médicaments qui seront nécessaires pour enlever la vie à quelqu'un. Cette mesure supplémentaire protégerait les infirmiers praticiens.

Même dans les communautés de l'Arctique, chaque fois qu'une décision difficile était prise, les infirmiers praticiens téléphonaient aux médecins à Iqaluit, Rankin Inlet, Yellowknife, Inuvik et ailleurs. Je parle ici du point de vue de la protection des infirmiers praticiens, pas du point de vue de la compétence.

Mme Roussel : Je vois ce que vous voulez dire. Actuellement, l'infirmier praticien peut s'adresser à quelqu'un s'il estime qu'il n'a pas la compétence pour faire ce qu'on lui demande de faire. Dans ce cas, s'il n'a pas le pouvoir ou la compétence, il s'en remettra à son médecin.

Le sénateur White : Docteure Forbes, avez-vous quelque chose à ajouter?

Dre Forbes : Nous parlons de compétence ou plus précisément de la question des infirmiers praticiens?

Le sénateur White : De leur protection et même de la légalité d'agir.

Dre Forbes : En réalité, comme cela a été évoqué par mes collègues, les infirmiers praticiens travaillent souvent en équipe avec les médecins et ce modèle est probablement le plus répandu, dans le cadre d'une équipe. Comme médecin, je n'hésiterais pas un instant si je pensais devoir envoyer un patient pour une évaluation. Je suis sûre que mes collègues infirmiers praticiens auraient la même compréhension, non seulement de la portée de la profession, mais de sa propre compétence au moment de pratiquer une procédure particulière.

Mme Pullen : J'aimerais ajouter un dernier commentaire. C'est la politique qui conduit à la réglementation et non l'inverse. La pratique des soins de santé n'est pas statique, comme n'importe quelle autre profession. Les infirmiers et infirmières de l'Ontario pourront bientôt prescrire des médicaments, ce qui va supprimer cet obstacle que l'on a actuellement, mais qui ne sera pas toujours là. Adopter une approche plus restrictive pourrait conduire à limiter l'accès à l'avenir. Nous estimons que la loi doit rester ouverte.

La sénatrice Unger : Merci de votre exposé. Docteure Forbes et docteur Blackmer, pourriez-vous nous parler des problèmes de protection de la conscience de vos membres? Vous avez dit que vous les avez largement consultés. Avaient-ils des préoccupations à ce sujet?

Dr Blackmer : Oui, il y a des préoccupations très importantes. Je dirais qu'il y en a deux en particulier. Nous les avons abordées brièvement, mais dans le contexte des professionnels de la santé en particulier, il y a quelques légères nuances.

Nous sommes tous d'accord pour dire que personne ne va forcer les praticiens à participer contre leur volonté. La question est de savoir ce qui se passe après. Nous avons défini clairement les obligations positives des fournisseurs de soins de santé. Vous ne pouvez pas tourner le dos à un patient simplement parce que vous décidez de ne pas participer. Vous devez le renseigner et lui apporter un soutien. Vous devez éventuellement le renvoyer à quelqu'un d'autre.

La question du renvoi est cependant très complexe. Elle est particulièrement importante pour les médecins car c'est un acte imposé par voie législative. Quand un médecin renvoie un patient c'est qu'il pense que l'autre médecin peut offrir un service spécialisé que lui-même ne peut pas offrir et qu'il approuve ce service pour le patient. Vous pouvez voir comment, dans le contexte de l'aide médicale à mourir, ce serait extrêmement problématique sur le plan moral, parce qu'en fait je suis obligé de renvoyer un patient pour une aide médicale à mourir, ce qui, pour un grand nombre de nos membres, serait moralement équivalent.

Nous voulons des éclaircissements non seulement sur la question de la non-participation, mais également sur celle du renvoi à quelqu'un d'autre. Actuellement, il n'y a qu'une province au Canada qui a cette exigence au niveau de la réglementation, c'est l'Ontario. L'Ontario est la seule province dans le monde entier.

Le sénateur Joyal : Et le Québec?

Dr Blackmer : Ce n'est pas directement à un fournisseur au Québec. Le modèle est différent.

Le sénateur Joyal : Au directeur de l'hôpital?

Dr Blackmer : Au directeur de l'hôpital, c'est exact. C'est une source de préoccupation pour nos membres.

La sénatrice Unger : Pouvez-vous me dire comment vous et vos membres qui appuyez le projet de loi C-14 conciliez vos vues avec votre serment d'Hippocrate : « D'abord, ne pas nuire »?

Dr Blackmer : Cette question d'essayer de concilier notre rôle traditionnel de guérisseur avec ces nouvelles exigences qui sont imposées à notre profession a gardé beaucoup d'entre nous éveillés la nuit ces dernières années.

Comme la Dre Forbes l'a indiqué, nos collègues qui ont dit qu'ils fourniraient ce service le feront par compassion pour leurs patients. Cela n'est pas quelque chose que nous demandons ou pour laquelle nous nous portons volontaires, mais on nous le demande et nous le ferons. La société nous a demandé de remplir ce rôle.

« Ne pas nuire » peut vouloir dire beaucoup de choses. Pour certains de mes collègues le pire serait de laisser un patient souffrir alors qu'il y aurait une autre solution. Pour d'autres collègues dans la profession médicale, ce serait l'aide médicale à mourir. Notre organisation essaie de soutenir nos membres sur tous les aspects de la question et de soutenir ceux qui choisissent de participer et de protéger les droits de ceux qui choisissent de ne pas participer. C'est une question très complexe et très émotionnelle pour les médecins canadiens.

Le président : Merci de votre présence et de vos témoignages très utiles. Nous l'apprécions énormément.

Pour notre dernier groupe, nous avons des membres du Comité externe sur les options de réponse législative à Carter c. Canada. Benoît Pelletier se joint à nous dans la salle. Catherine Frazee, de Denver au Colorado, se joint à nous par vidéoconférence et le Dr Harvey Chochinov, se joint à nous de Vancouver. Merci à vous tous.

Monsieur Pelletier, puisque vous êtes ici, nous allons vous laisser commencer et faire votre exposé.

Benoît Pelletier, membre du comité, Comité externe sur les options de réponse législative à Carter c. Canada : Je salue Catherine et Harvey qui ont fait partie du comité externe, tout comme moi, comme vous le savez, pendant quelques mois.

Quand je vois le projet de loi C-14 et toutes les déclarations qui ont été faites par le gouvernement fédéral — je parle ici des déclarations du premier ministre lui-même, des ministres, des déclarations provenant du ministère de la Justice, différents documents, y compris l'avis juridique de Justice Canada qui a été rendu public il y a quelques jours — je vois une énorme quantité d'informations qui pourraient être divisées en quatre catégories.

La première est qu'à certains égards, le projet de loi fédéral, celui-ci, va au-delà de la décision Carter. C'est la première catégorie. La deuxième catégorie est qu'à d'autres égards, le projet de loi propose une interprétation stricte de la décision Carter. Le troisième est que le projet de loi laisse de côté un certain nombre de sujets et la quatrième est qu'il existe certaines questions sur lesquelles le gouvernement fédéral aimerait que l'on continue à réfléchir ou dont il aimerait discuter avec les provinces.

Je vais insister sur les deux premiers points en raison du peu de temps qui m'est imparti pour mon exposé.

Je vais maintenant parler des aspects du projet de loi qui vont au-delà de la décision Carter. Le premier concerne les infirmiers praticiens. La décision Carter ne parle pas des infirmiers praticiens. Il parle très souvent des médecins.

Dans le projet de loi actuel, les infirmiers praticiens sont traités de la même façon que les médecins praticiens. Cela veut dire qu'ils pourraient veiller à ce que le patient réponde à tous les critères énoncés dans le projet de loi, mais également pratiquer l'aide médicale à mourir. L'aide médicale à mourir serait donc possible en l'absence d'un médecin. Les critères seraient évalués par des infirmiers praticiens qui seraient également ceux qui fourniraient l'assistance médicale.

Cela dit, il est clair que le nouveau concept qui s'imposera sur cette question est celui qui est le titre même du projet de loi : l'aide médicale à mourir. On parlait auparavant de « mort médicalement assistée » ou « aide médicale à la mort », mais maintenant, à cause des infirmiers praticiens, les choses vont changer.

Le deuxième aspect — qui me dit que le projet de loi va au-delà de la décision Carter — est très subtil. Il concerne les souffrances persistantes. Le projet de loi dit que les souffrances persistantes et intolérables doivent être causées par la maladie, l'affection ou le handicap et à cet égard, il est conforme à la décision Carter. Mais le projet de loi dit aussi que les souffrances persistantes et intolérables pourraient être causées par l'état de déclin de la personne au lieu de la maladie, l'affection ou le handicap eux-mêmes.

Cela veut dire qu'il doit y avoir des souffrances intolérables —souffrances persistantes — mais que ces souffrances n'ont pas à être causées par la maladie, l'affection ou le handicap et être causées par le déclin des capacités du patient. À cet égard, il va au-delà de la décision Carter qui demandait un lien entre les souffrances et les problèmes de santé. Dans le cas du projet de loi C-14, ce lien existe, mais il va plus loin. Il y a également un lien entre les souffrances qui, je le répète, doivent être intolérables et persistantes, et il doit y avoir un déclin des capacités.

Sur quels aspects le projet de loi impose-t-il une stricte interprétation de la décision Carter? Le premier concerne la mort naturelle qui devrait être raisonnablement prévisible et l'état avancé du déclin irréversible des capacités. Je traite ces deux concepts comme n'en faisant qu'un pour dire que le projet de loi s'applique aux situations de fin de vie.

Pour être franc, je ne vois pas ce critère explicitement exprimé dans la décision Carter. La décision Carter parlait de problèmes de santé graves et irrémédiables. Il ne parlait pas des situations de fin de vie. Dans ce cas, je pense que le projet de loi C-14 propose une interprétation relativement stricte de la décision Carter.

Il convient de rappeler que la décision Carter se fonde sur des valeurs différentes : l'autonomie individuelle, la qualité de vie individuelle, la dignité humaine et le bien-être personnel ou l'intégrité personnelle. Ces concepts s'appliquent aux patients qui ne sont pas nécessairement à la fin de leur vie. Ils pourraient s'appliquer à des patients qui ont des problèmes de santé graves et irrémédiables et des souffrances intolérables et persistantes, mais qui ne sont pas à la fin de leur vie.

Le deuxième aspect du projet de loi C-14 qui, à mon avis, propose une interprétation étroite de la décision Carter est la maladie mentale. Je dois dire qu'il n'est pas tout à fait clair si la décision Carter s'applique aux maladies mentales comme étant la seule condition médicale invoquée. Mais à mon avis, l'interprétation la plus raisonnable de la décision Carter est qu'elle s'applique à ces situations.

Je vais bientôt conclure. Pourquoi peut-on dire qu'elle s'applique aux maladies mentales comme condition médicale? Tout d'abord, c'est à cause des valeurs dont je parlais il y a quelques minutes. Ces valeurs de dignité humaine et d'autonomie personnelle s'appliqueraient également aux personnes qui ont une maladie mentale autant qu'elles s'appliquent aux personnes ayant une maladie physique, une affection ou un handicap.

En second lieu et enfin, la deuxième partie de la décision Carter donne une large interprétation des « problèmes de santé ». La Cour suprême elle-même parle de « problèmes de santé (y compris une affection, une maladie ou un handicap). Cela indique, à mon avis, que la Cour suprême a voulu que nous donnions à ce terme une large interprétation plutôt qu'une interprétation étroite.

Dr Harvey Max Chochinov, membre du comité, Comité externe sur les options de réponse législative à Carter c. Canada : Merci, mesdames et messieurs, je suis professeur distingué en psychiatrie à l'Université du Manitoba. Je dirige l'Unité de recherche sur les soins palliatifs du Manitoba et je suis titulaire de la seule chaire de recherche sur les soins palliatifs au Canada. Je suis aussi l'ancien président du Comité externe sur les options de réponse législative à Carter c. Canada et je suis honoré de venir m'exprimer sur le projet de loi C-14.

Vous avez sous les yeux les détails de mon exposé, y compris les raisons pour lesquelles je pense que les limitations actuelles telles que décrites dans le projet de loi, notamment le fait de réserver cela aux patients pour lesquels la mort est « raisonnablement prévisible » et de ne pas inclure de dispositions pour les maladies mentales, les directives préalables et les mineurs, sont éminemment justifiables et prudentes.

Je voudrais soumettre à votre attention trois amendements qui pourraient être apportés à ce projet de loi.

Tout d'abord, le gouvernement devrait envisager un amendement stipulant que la mort médicalement accélérée prendra la forme d'un suicide assisté tant que les patients seront en mesure de prendre leur médication létale par eux- mêmes. L'euthanasie serait réservée pour les cas où les patients ne sont plus en mesure d'ingérer la médication létale tous seuls. L'expérience internationale révèle que l'euthanasie et le suicide assisté diffèrent énormément en ce qui concerne le nombre de recours et la létalité. Dans les juridictions offrant uniquement le suicide médicalement assisté, ce dernier ne représente que 0,3 p. 100 de l'ensemble des décès. Dans les juridictions qui proposent l'euthanasie, celle-ci représente 3 à 4 p. 100 de l'ensemble des décès.

Si nous extrapolons ces chiffres au Canada et que nous prévoyons environ 260 000 décès par an, dans un régime qui offrirait exclusivement le suicide médicalement assisté, on pourrait s'attendre à en enregistrer environ 800 à 1 000 par an. D'un autre côté, dans un régime dominé par l'euthanasie, on pourrait s'attendre à en enregistrer environ 8 000 à 10 000 par an.

Selon les experts rencontrés par le comité externe, cet écart considérable s'explique par l'ambivalence. L'ambivalence constitue une dynamique importante lorsque l'on envisage une mort anticipée et tandis que le suicide assisté offre la possibilité de changer d'avis — 30 à 40 p. 100 des patients en Oregon qui reçoivent une ordonnance ne l'utilisent jamais — l'euthanasie réduit énormément cette possibilité une fois qu'elle a été programmée et prévue pour une date et un lieu donné. Les données indiquent clairement que cela garantira que des milliers de personnes chaque année qui ont un sentiment ambivalent vis-à-vis de l'aide à mourir ne se sentiront pas pressées par les circonstances avant qu'elles ne soient prêtes à mourir.

Le deuxième amendement : les gouvernements devraient envisager un amendement requérant que tous les patients qui obtiennent une mort médicalement anticipée obtiennent au préalable une consultation de soins palliatifs. Cela s'ajouterait aux devoirs des deux médecins décrits dans le projet de loi actuel et c'est critique tant que le projet de loi limite l'accès aux patients dont la mort naturelle est raisonnablement prévisible et qui sont à un stade avancé de déclin irréversible de leurs capacités.

La consultation de soins palliatifs ne servirait pas à la prise de décision mais aurait plutôt les fonctions suivantes : a) Identifier toutes les sources physiques, psychologiques, existentielles et spirituelles de détresse sous-jacentes à une demande de mourir; b) garantir que les patients sont pleinement informés de toutes les possibilités qui pourraient être mises en œuvre pour leur compte; et c) documenter les résultats afin que cette information recueillie de façon prospective et anonyme puisse alimenter une base de données nationale fournissant un fondement détaillé et objectif pour l'examen quinquennal du projet de loi C-14 par le Parlement.

Le troisième et dernier amendement que le gouvernement devrait envisager, c'est d'exiger une surveillance et une approbation judiciaires pour tous les décès médicalement anticipés. La surveillance judiciaire garantirait une série de références homogènes, qui seraient clairement articulées et basées sur des précédents, pour établir les critères d'éligibilité. La surveillance judiciaire protégerait les établissements de soins de santé des risques réels ou perçus associés à la mort médicalement anticipée et augmenterait probablement l'accès à celle-ci étant donné l'augmentation du nombre d'établissements de soins de santé qui seraient prêts à s'engager auprès de patients requérant une mort médicalement anticipée. La surveillance serait la démonstration d'un leadership puissant indiquant que bien que le Canada ait rendu le décès médicalement anticipé légal, notre gouvernement ne sait pas encore comment cela va s'inscrire dans notre système actuel de soins de santé. Enfin, de la manière la plus significative possible, la surveillance judiciaire garantirait un engagement à la transparence et l'évaluation objective de tous les facteurs, qu'ils soient médicaux, émotionnels, psychologiques, financiers ou environnementaux, qui pourraient sous-tendre une demande de mort anticipée.

En conclusion, je crois que les limitations et les protections actuellement incluses dans le projet de loi C-14, auxquelles s'ajouteraient les amendements que je viens de proposer, marqueraient l'approche canadienne de la mort médicalement anticipée du sceau de l'intégrité, de la transparence et de la sagesse. Merci.

Le président : Merci.

Madame Frazee, vous avez la parole.

Catherine Frazee, membre du comité, Comité externe sur les options de réponse législative à Carter c. Canada : Merci de me donner cette occasion de m'exprimer. Je m'appelle Catherine Frazee. J'ai eu l'honneur de participer au comité externe en compagnie de ces deux messieurs et je parle aujourd'hui en tant que professeure distinguée et professeure émérite à l'institut pour la recherche et l'éducation sur l'invalidité de l'Université Ryerson.

Il y a trois points que je voudrais soumettre à l'attention du comité. Tout d'abord, je vous exhorte à travailler au renforcement des protections du projet de loi C-14 dans quatre domaines spécifiques. Ils sont détaillés dans mon exposé écrit que vous avez sous les yeux.

Celui sur lequel je voudrais insister maintenant, c'est que je recommande que nous maintenions en place l'autorisation judiciaire de demande qui existe actuellement et qu'en même temps nous étudions plus avant la question de savoir si une forme d'examen préalable est souhaitable sur le long terme.

Comme la Cour suprême elle-même l'a indiqué, exiger l'autorisation judiciaire assure « une protection efficace contre les risques potentiels encourus par les personnes vulnérables. »

Ce n'est pas moins vrai aujourd'hui que cela ne l'était il y a quatre mois. Parce que l'expression écrite d'un jugement clairement motivé est une compétence requise pour les juges, parce que la cohérence, la transparence et l'impartialité sont les principes fondamentaux de la décision judiciaire et parce qu'il n'y a, actuellement, pas de feuille de route canadienne pour un régime sûr et équitable de mort anticipée, nous devons exiger une autorisation indépendante, au moins durant les années inaugurales de cette pratique, qui seront des années critiques.

Deuxièmement, je vous exhorte à travailler au passage en toute sécurité du projet de loi C-14 à la loi elle-même. Le projet de loi C-14 n'est pas la réponse à toutes les souffrances et ne doit pas l'être. L'intervention pour éviter le suicide de personnes qui ne sont pas en train de mourir par ailleurs doit demeurer un impératif de santé publique au Canada. C'est pourquoi le projet de loi C-14 établit une limite appropriée pour les personnes dont la mort naturelle est raisonnablement prévisible et qui sont dans un état avancé de déclin irréversible.

Quant aux mineurs, aux directives préalables et aux personnes souffrant de maladies mentales, ce sont des questions difficiles et complexes sur lesquelles la Cour suprême ne nous donne aucune indication. Comment pourrions-nous refuser d'étudier ces questions plus avant?

Troisièmement et pour finir, je vous exhorte à travailler à la cicatrisation des profondes blessures culturelles qui ont été les conséquences involontaires d'un débat horriblement clivant. Tous les membres de ce comité comprennent la nécessité de garde-fous pour nous protéger du terrible dommage d'une mort non voulue, mais il existe un autre dommage qu'il faut avoir à l'esprit, celui, terrible, des vies vouées au désespoir.

Alors que nous invitons les Canadiens à écrire le dernier chapitre de leur histoire, nous devons nous rappeler qu'il y a des scénarii plus grands et plus puissants qui sont à l'œuvre — des scénarii qui sont inscrits dans notre culture, dans les histoires que nous racontons, dans les héros que nous admirons et dans les cauchemars que nous redoutons. Tandis que nous débattons du projet de loi C-14, faisons-le d'une manière qui ne promeuve pas le désespoir comme étant notre réponse première à la démence, à la paralysie, à la SLA ou à toute une série d'autres pathologies à propos desquelles, aujourd'hui et tous les jours, dans notre pays, des gens écrivent leurs propres histoires. Souvenons-nous que ces actes d'écriture sont fragiles et que les vies de leurs auteurs sont précaires. Ne nous encombrons pas de la peur, de la honte ou de l'ostracisme.

Mesdames et messieurs, par votre leadership dans ce dialogue, je vous exhorte à façonner le respect de la vie sous toutes ses formes — un respect auquel ont le droit tous les Canadiens. Merci.

Le président : Merci. Nous allons maintenant passer aux questions. La vice-présidente de notre comité, la sénatrice Jaffer, va commencer.

La sénatrice Jaffer : Merci à tous les trois pour tout le travail que vous avez fait dans le comité externe et pour vos exposés d'aujourd'hui. Vous avez déjà en partie répondu à ma question mais j'aimerais éclaircir certains points.

Dans l'arrêt Carter, il est établi que le gouvernement doit déterminer s'il existe des moyens moins néfastes d'atteindre l'objectif législatif. Croyez-vous que le gouvernement y est parvenu et pensez-vous que le gouvernement a suffisamment examiné les autres méthodes?

Commençons par vous, monsieur Pelletier.

M. Pelletier : Je pense que le projet de loi propose dans l'ensemble une interprétation raisonnable de l'arrêt Carter, bien que j'aie dit que par certains aspects c'en est une interprétation stricte. Il semble y avoir dans cet arrêt un bon équilibre entre l'accès à l'aide médicale à mourir d'un côté et la protection des personnes vulnérables de l'autre.

Ce qui me surprend cependant, c'est que je ne suis pas sûr que Kay Carter, qui comme vous le savez était au centre de l'arrêt Carter, serait éligible dans le cadre du projet de loi actuel.

La sénatrice Jaffer : Elle ne le serait pas.

M. Pelletier : Si elle n'est pas éligible, ou si elle n'était pas éligible, alors je crois que cela indique que le projet de loi ne respecte pas entièrement l'esprit de l'arrêt Carter. Mais je suis très prudent en utilisant ces termes parce qu'en même temps, je vois une certaine souplesse dans le projet de loi. Je vais vous donner deux exemples.

Si je prends le critère de la mort naturelle, prévisible et du déclin des capacités, il y a de la souplesse. Il y a de la souplesse dans le sens où aucun pronostic n'est requis dans le projet de loi. Cela donne donc, je dirais, plus d'espace pour différentes interprétations de ce que signifie la fin de vie.

L'autre point sur lequel il y a de la souplesse c'est qu'aucun lien n'est établi entre la mort naturelle et la maladie ou l'invalidité. C'est assez particulier, je dirais et en même temps surprenant parce que cela signifie que la mort pourrait être causée par un déclin des capacités mais n'est peut-être pas directement liée avec la maladie ou l'invalidité.

Donc, ces deux faits — le pronostic d'un côté et de l'autre ce que je viens de dire sur l'absence de lien entre la maladie, l'invalidité et la mort naturelle — tout cela donne une certaine souplesse aux autres critères qui ont été utilisés dans le projet de loi.

Dr Chochinov : Je pense que le projet de loi tel qu'il est écrit actuellement constitue une interprétation raisonnable et reflète clairement une partie des informations que nous, comité externe, avons entendues lors de nos diverses consultations, au Canada et à l'étranger.

Concernant la condition de mort raisonnablement prévisible, comme le disait Mme Frazee, il fallait établir une limite. Si l'on revient aux témoignages que nous avons reçus de la part de témoins clés quand nous étions en Oregon, nous avons rencontré un avocat, Eli Stutsman, l'un des rédacteurs principaux de la loi, en Oregon et dans l'État de Washington. Il nous a dit que même après 17 années d'expérience pendant lesquelles l'accessibilité a été limitée aux patients ayant un pronostic d'espérance de vie de six mois ou moins, il n'y a aucune envie d'élargir cette condition de pronostic. Nous avons même demandé pourquoi pas 12 mois? N'y a-t-il pas des gens qui se trouvent exclus des possibilités du projet de loi? Il a répondu que même les plus fervents partisans ne soutiendraient pas un accès à la Death with Dignity Act au-delà d'un pronostic de six mois.

Je crois que le projet de loi fait du bon travail en indiquant au moins qu'il faut établir une limite appropriée. Est-ce qu'il va assez loin? Cela repose entièrement sur l'opinion de deux médecins. Nous savons grâce aux diverses consultations que nous avons menées que dans bien des cas — dans la plupart des cas, en réalité — que les motivations qui conduisent quelqu'un à vouloir mourir n'ont pas grand-chose à voir avec des facteurs médicaux. La douleur, par exemple, si l'on prend certains pays du Benelux, on ne retrouve la douleur comme motivation d'une mort anticipée que dans 5 p. 100 des cas. Le plus souvent, les gens veulent une mort anticipée à cause d'une perte de dignité, d'une perte d'autonomie, du sentiment d'être une charge pour les autres, c'est pourquoi lorsque nous évoquons cette idée du besoin d'une surveillance judiciaire, il doit y avoir un mécanisme objectif qui fait intervenir non seulement l'expertise médicale mais aussi l'expertise de diverses disciplines pour pouvoir forger une opinion.

L'autre chose dont le projet de loi ne parle pas assez, c'est la nécessité de rassembler des données objectives et c'est pourquoi la recommandation d'une mort médicalement anticipée — et au fait, j'utilise la formule mort médicalement anticipée par opposition à l'aide médicale à mourir. Cela donne un acronyme particulièrement inopportun en anglais. On en parle déjà dans divers lieux au Canada sous le terme MAID service, ce qui est problématique et sujet à amalgame. L'aide médicale à mourir, c'est ce que nous faisons en soins palliatifs. Nous aidons les autres. Je crois que je vais arrêter là et passer la parole à Mme Frazee.

Le président : Je crains que Mme Frazee ne doive attendre d'avoir une autre occasion d'être interrogée par l'un des autres membres du comité. Beaucoup de sénateurs veulent encore poser des questions, donc espérons que Mme Frazee aura l'occasion de s'exprimer.

Le sénateur White : Ma question s'adresse à vous, monsieur Pelletier. Je regarde l'arrêt Carter et je le compare à cette loi. Une double exigence autour de « la mort est prévisible » et « capacité intellectuelle » suggère que les deux sont remplies au même moment. Comme nous le savons tous les deux et je crois que tout le monde le comprend, ce n'est pas toujours vrai.

Pensez-vous que ce projet de loi prenne en compte ces cas de personnes atteintes de démence, sur la longue durée, la mort n'étant pas prévisible, mais au moment où elle deviendra prévisible, la personne n'aura peut-être plus la capacité de prendre cette décision. Ou pensez-vous que le projet de loi laisse assez de marge pour que les personnes puissent en faire la demande suffisamment tôt?

Je sais que cela fait des années que les gens emploient ces mots, mais en réalité j'ai eu affaire à des cas de démence au sein de ma famille et je sais le temps que cela peut prendre. Ce n'était certainement pas prévisible.

M. Pelletier : Le projet de loi dit qu'il faut un consentement éclairé de la part du patient.

Le sénateur White : C'est juste.

M. Pelletier : Le consentement doit être donné juste avant que l'aide médicale à mourir ne soit donnée. Je crois que c'est bien. En réalité cela garantit que le projet de loi ne s'applique pas à des personnes qui ne sont plus consentantes. Elles ont peut-être été consentantes à un moment donné, mais elles ne le sont plus. En même temps, s'agissant des directives préalables, j'ai bien aimé ce qui avait été proposé par le comité mixte du Sénat et de la Chambre, mais je dois dire que je ne suis pas certain que les médecins au Canada — je dis peut-être cela de façon trop catégorique — mais je ne suis pas certain qu'ils soient assez fiables pour interpréter les directives préalables telles qu'elles devraient l'être. En tout cas il y a encore quelque chose à faire de ce point de vue.

Je crois que dans l'ensemble ce projet de loi est correct concernant le consentement du patient.

Le sénateur White : D'accord. Cependant, c'est à la lumière de Carter que je pose la question, pas selon ce que les médecins, les avocats ou même nous pouvons penser. Croyez-vous que cela répond à ce que suggérait Carter?

M. Pelletier : Sur la question du consentement, je crois que oui, absolument.

Le sénateur Baker : Merci aux témoins pour leurs excellents exposés. Je vais poser ma question en une fois, pour gagner du temps.

Tout d'abord monsieur Pelletier, je me demande si vous pourriez nous donner votre interprétation du paragraphe 66, à la lumière ce que vous avez dit sur un état de santé grave et irrémédiable. Le paragraphe 66 de l'arrêt de la Cour suprême du Canada dit :

Nous partageons l'avis de la juge de première instance. La réaction d'une personne à des problèmes de santé graves et irrémédiables est primordiale pour sa dignité et son autonomie. La loi permet aux personnes se trouvant dans cette situation de demander une sédation palliative...

La juge de première instance a donné une explication de ce qu'était la « sédation palliative » : Trois ou quatre jours avant le décès, vous pouvez recevoir un sédatif pour être inconscient.

Concernant la surveillance judiciaire, comme vous le savez, elle était acquise jusqu'à ce que des protections soient mises en place par la législature. Ce que vous suggérez maintenant c'est qu'il y ait une surveillance judiciaire sur l'application de toutes les protections et sur les critères.

Lorsque vous regardez les cinq cas qui ont été rapportés entre-temps par des Cours supérieures dans ce pays, vous pouvez constater que rien que pour les deux questions restreintes qu'elles ont dû juger, il leur a fallu cinq à six jours pour énoncer un jugement.

Cela va prendre beaucoup plus longtemps de faire un examen complet. Les cas eux-mêmes ont concerné non seulement cette question mais aussi les lois sur les coroners de chaque province; cela a concerné la vie privée afin qu'aucun nom, y compris celui du médecin, ne soit divulgué à personne. Cela a aussi concerné d'autres questions.

En demandant la surveillance judiciaire en plus des protections indiquées par la Cour suprême du Canada, et nous mettrons en place la surveillance judiciaire de ces protections jusqu'à ce que cela soit fait, ne pensez-vous pas que cela étendrait — nous avons entendu aujourd'hui qu'il y a eu 50 cas au Québec depuis l'entrée en vigueur de ceci. Je présume que vous parlez des juges des Cours supérieures. Cela les mobiliserait pendant 10 à 20 jours s'ils examinent cela en détail et qu'ils doivent rendre un arrêt écrit, contre lequel on peut en plus faire appel.

Pensez-vous que cela compliquera les choses au point où la procédure deviendrait interminable?

M. Pelletier : Oui, absolument. Je suis contre l'idée d'une surveillance judiciaire.

Le sénateur Baker : Oh, je suis désolé.

M. Pelletier : Non, non, mes deux collègues semblent y être favorables, mais nous avons tous nos propres opinions. Personne ne s'exprime au nom du comité dans son entier aujourd'hui. Cela aurait dû être dit dès le départ. Ce que je dis n'engage pas les deux autres membres du comité ni ne reflète nécessairement leurs opinions.

Je pense que lorsque la Cour suprême du Canada s'exprime, comme elle l'a fait dans l'arrêt Carter, ce n'est pas pour que la question revienne à chaque fois devant les tribunaux. C'est aux politiciens, au parlement et au gouvernement de prendre leurs responsabilités.

Non, je crois qu'il devrait n'y avoir aucune surveillance judiciaire.

Mme Frazee : Je dirais simplement que ce qui se passe derrière des portes closes n'est pas un processus transparent ni même forcément sécuritaire pour justifier la fin d'une vie. Nous ne savons rien de ces 50 cas au Québec. Ce que nous savons des cas, après qu'ils aient été documentés par les tribunaux, est considérable. Nous avons des raisons d'avoir confiance et de croire que ces décisions ont été prises à une vitesse appropriée aux circonstances particulières des individus ayant fait la demande.

Le sénateur McIntyre : Merci à tous pour vos exposés.

[Français]

Ma question s'adresse à M. Pelletier et elle porte sur le projet de loi fédéral et sur la loi québécoise.

Je suis conscient qu'il existe des différences importantes entre le projet de loi fédéral et la loi québécoise. Malgré cette différence, le projet de loi fédéral et la loi québécoise peuvent-ils coexister? Après tout, les deux lois visent les mêmes objectifs. En outre, la loi fédérale n'entrave aucunement la réalisation de l'objectif de la loi québécoise. Ainsi, ces deux lois peuvent-elles coexister?

M. Pelletier : Est-ce possible? Oui. Est-ce certain? Non. Je vais vous expliquer brièvement pourquoi. Vous avez constaté des différences entre le projet de loi fédéral et la loi québécoise. Le projet de loi fédéral porte sur les infirmières praticiennes et sur le suicide assisté, ce qui n'est pas le cas pour la loi québécoise. Il y a donc deux témoins dans le cas du projet de loi fédéral, et un témoin dans le cas de la loi québécoise, et ainsi de suite. J'ai présenté, dans un article paru dans La Presse+ samedi dernier, les différences qui existent entre les deux textes.

Il est possible que les deux textes puissent cohabiter, puisqu'ils visent les mêmes objectifs. Dans la mesure où les médecins appliquent les règles les plus exigeantes, qu'elles se trouvent dans l'éventuelle loi fédérale ou dans la loi québécoise, la cohabitation sera possible.

Par ailleurs, depuis bon nombre d'années, la Cour suprême du Canada a tendance à favoriser la coexistence des lois fédérales et provinciales dans le même espace constitutionnel. Cependant, en cas de conflit, la Cour suprême invoque deux principes. Le premier concerne le conflit irréductible. Un conflit irréductible peut-il faire en sorte que l'observance de la loi provinciale entraîne l'inobservance de la loi fédérale? Je ne peux pas vous le garantir à 100 p. 100. Le deuxième principe concerne les objectifs. La loi provinciale va-t-elle à l'encontre des objectifs de la loi fédérale? Pour ce qui est du deuxième principe, la réponse est très claire : les deux lois poursuivent les mêmes objectifs. Par rapport au premier principe, la conciliation et la coexistence sont possibles, mais, encore une fois, je ne peux pas le garantir à 100 p. 100.

[Traduction]

Le sénateur Joyal : Bienvenue à nos témoins. Je voudrais revenir sur une de vos déclarations, monsieur Pelletier, lorsque vous avez dit que vous n'étiez pas sûr, si je vous cite correctement, que Kay Carter aurait été éligible dans le cadre du projet de loi C-14 actuel. Puisque l'objectif principal de ce projet de loi est de donner effet à Carter, je dois en conclure que le projet de loi est en partie défectueux et cela voudrait dire que nous serions obligés de rouvrir le litige dans le contexte d'un cas similaire à celui de Kay Carter.

M. Pelletier : Oui. Ce qui est surprenant c'est que le gouvernement fédéral a décidé de limiter le projet de loi actuel à ce qu'il a identifié comme étant les faits qui posaient problème dans l'affaire Carter. C'est ce qui a conduit le gouvernement fédéral à demander un déclin des capacités physiques. C'est ce que le gouvernement fédéral a vu à travers les faits de l'affaire Carter. En même temps, demander à ce que la mort naturelle soit prévisible impose un nouveau critère qui n'existait pas avec Carter et cela pourrait potentiellement faire que Kay Carter ne soit pas éligible aux termes de la loi fédérale.

Y a-t-il un lien. Oui. J'ai déjà dit qu'il y avait peut-être — peut-être — une contradiction avec l'esprit de l'arrêt Carter, bien qu'il y ait une certaine souplesse dans l'interprétation qui est faite de la prévisibilité de la mort naturelle et du déclin des capacités. Cela va peut-être à l'encontre de l'esprit de Carter.

Peut-il y avoir des litiges? Oui. Ces litiges finiront-ils par gagner devant la Cour suprême du Canada? C'est possible. D'un autre côté, on peut dire que le projet de loi actuel est raisonnable et justifiable dans une société libre et démocratique grâce à l'équilibre qu'il opère parmi tous les éléments qui sont en jeu.

Je ne peux donc pas être extrêmement catégorique, mais il est clair que cela remet en cause le respect de l'esprit de l'arrêt Carter et que cette remise en cause pourrait potentiellement conduire à de nouveaux litiges.

Le sénateur Joyal : Dans l'arrêt Carter, la cour a réservé son prononcé aux faits très particuliers qu'elle avait devant elle. Dans le paragraphe 127, comme vous le savez certainement, la dernière ligne est très claire. La cour déclare : « Nous ne nous prononçons pas sur d'autres situations où l'aide médicale à mourir peut être demandée. » Autrement dit la cour déclare qu'il pourrait y avoir d'autres situations au-delà de Carter dans lesquelles la cour autoriserait la mort médicalement assistée. N'est-ce pas votre interprétation de la dernière phrase de ce paragraphe?

M. Pelletier : Vous avez raison. Peut-être que cela explique pourquoi la Cour suprême ne s'est pas réellement prononcée sur les directives préalables, par exemple, ou sur les mandataires, une personne qui prend la décision pour le patient parce qu'il ou elle n'est pas en mesure de prendre la décision lui-même ou elle-même. Ce sont peut-être ce genre de situations sur lesquelles la Cour suprême n'a pas voulu se prononcer. Cela expliquerait ce paragraphe.

Mais mettons que vous appliquiez cela de façon très stricte. Alors vous pouvez comprendre pourquoi il y a cette insistance sur le déclin progressif des capacités. Cependant, cela n'explique pas les limitations du projet de loi concernant la fin de vie, parce que cela n'était pas le cas dans l'arrêt Carter.

[Français]

Le sénateur Dagenais : J'ai quelques questions pour M. Pelletier. L'ancien gouvernement avait formé un comité spécial pour étudier l'aide médicale à mourir à la suite du jugement Carter. Je pense, d'ailleurs, que vous en faisiez partie et que vous aviez bénéficié de l'opinion de 15 000 Canadiens. Cependant, en tant que membre de ce comité ou à titre d'excellent constitutionnaliste, est-ce que le nouveau gouvernement vous a consulté avant d'entreprendre la rédaction du projet de loi C-14?

M. Pelletier : Non.

Le sénateur Dagenais : C'est une bonne réponse.

M. Pelletier : Permettez-moi néanmoins de préciser ceci. Le nouveau gouvernement dispose du rapport que notre comité a déposé le 15 décembre, qui compte de nombreuses pages, et dans lequel toutes les options sont analysées.

J'éprouve une grande fierté d'avoir été nommé sous l'ancien gouvernement et d'avoir été retenu par le présent gouvernement, c'est-à-dire que jamais je n'ai senti de la part d'aucun gouvernement un manque de confiance envers notre comité.

Le sénateur Dagenais : Vous aviez tout de même exprimé des opinions en ce qui concerne l'inclusion des moins de 18 ans dans une loi sur l'aide médicale à mourir. Vous me corrigerez si je me trompe. On sait que le projet de loi C-14 les exclut. En ce qui concerne cette question, croyez-vous qu'il pourrait y avoir une bataille judiciaire?

M. Pelletier : Oui. Devant le comité mixte, j'avais répondu à la question de savoir s'il pourrait y avoir éventuellement des poursuites judiciaires liées au fait que les mineurs ne soient pas inclus, et j'avais répondu que oui, effectivement.

Je n'ai pas dit que je souhaitais que les mineurs soient inclus; il y a une différence entre les deux. J'ai dit qu'il pourrait y avoir des poursuites judiciaires liées à leur exclusion. Pourquoi? D'abord, parce que dans l'arrêt Carter, la Cour suprême ne s'est pas prononcée sur le droit à la non-discrimination ou sur les droits à l'égalité.

À mon avis, il est clair que cette question fera l'objet des prochains recours de ceux qui souhaitent l'élargissement de l'aide médicale à mourir. Leurs recours porteront, entre autres, sur l'application de l'aide médicale à mourir aux personnes qui souffrent de maladie mentale et également aux mineurs. Je me souviens avoir affirmé que je souhaitais que ce Parlement fasse preuve de prudence, mais qu'en même temps, il était déjà prévisible que, éventuellement, il y ait des causes qui portent sur le droit à la non-discrimination.

[Traduction]

La sénatrice Batters : Merci beaucoup, monsieur Pelletier d'être parmi nous. Pour rebondir rapidement sur la question du sénateur Dagenais : Lorsque le nouveau gouvernement libéral est parvenu au pouvoir, votre comité, le Comité fédéral externe, avait travaillé sur cette question depuis des mois. À l'arrivée du nouveau gouvernement, il vous a été demandé de soumettre votre rapport en l'état mais d'interrompre votre travail avant de formuler et de soumettre vos recommandations législatives. Est-ce exact?

M. Pelletier : Pourriez-vous répéter la dernière partie de votre question?

La sénatrice Batters : Vous aviez remis votre rapport mais vous alliez poursuivre votre travail sur les recommandations législatives, d'après ce que j'ai compris; et le nouveau gouvernement a demandé à votre comité de cesser votre travail avant de formuler et de soumettre ces recommandations législatives et de simplement soumettre votre rapport avec uniquement les informations factuelles.

M. Pelletier : S'il vous plaît, permettez-moi d'apporter des nuances extrêmement importantes. J'ai été nommé, à l'instar des autres membres du comité, le 16 juillet. Nous avons dû mener toutes les consultations, mais pas les consultations des autorités médicales et des intervenants de l'affaire Carter, pendant l'élection fédérale, qui a été l'une des plus longues, sinon la plus longue de l'histoire du Canada.

La sénatrice Batters : Je m'en souviens.

M. Pelletier : Nous avons remis notre rapport le 15 décembre. Nous aurait-il été possible de proposer des choix à n'importe quel gouvernement, qu'il soit conservateur, libéral ou NPD, au 15 décembre? Je ne crois pas.

La sénatrice Batters : Très rapidement, une partie du travail que vous avez effectué a consisté à fournir des informations factuelles importantes concernant les résultats de sondages et de propositions individuelles émanant de Canadiens. Des milliers et des milliers de Canadiens ont émis des propositions puis vous avez mené un sondage sur un échantillon significatif.

Si vous pouviez simplement confirmer que les Canadiens ont le plus soutenu le suicide médicalement assisté dans les cas de maladies en phase terminale et de fin de vie; pour le reste, le soutien au suicide médicalement assisté a dégringolé, si l'on regarde les résultats, dans les cas de maladie ne compromettant pas la vie ou lorsqu'il y a des problèmes de santé mentale. Est-ce un bon résumé?

M. Pelletier : C'est vrai.

Le président : Merci à tous. J'espère que Mme Frazee et M. Chochinov ne se sont pas sentis trop négligés. C'est parfois difficile lorsque vous ne pouvez pas être dans la pièce avec les membres du comité, mais nous avons beaucoup apprécié votre volonté de participer et de nous donner votre avis sur cette loi très importante.

Mesdames et messieurs, la séance est levée.

(La séance est levée.)

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