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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule no 8 - Témoignages du 6 mai 2016 (Séance de l'après-midi)


HALIFAX, le vendredi 6 mai 2016

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd'hui, à 13 h 1, pour étudier les questions relatives aux délais dans le système de justice pénale au Canada.

Le sénateur Bob Runciman (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bonjour et bienvenue, chers collègues et témoins.

Honorables sénateurs, un peu plus tôt cette année, le Sénat a autorisé le comité à examiner, en vue d'en faire rapport, les questions relatives aux délais dans le système de justice pénale au Canada et à examiner les responsabilités du gouvernement du Canada et du Parlement dans la réduction de ces délais. Nous tenons aujourd'hui notre 17e séance sur la question.

Pendant la première heure, nous aurons le grand plaisir d'accueillir l'honorable Pamela Williams, juge en chef de la Cour provinciale et du tribunal de la famille de la Nouvelle-Écosse. Elle est également juge attitrée du tribunal de la santé mentale de la Nouvelle-Écosse. Comme je l'ai déjà mentionné, il est assez inhabituel qu'un juge en titre témoigne devant le comité, si bien que j'ai accepté de dire quelques mots en guise d'introduction.

C'est un rappel, mais il est particulièrement pertinent aujourd'hui : la juge en chef Williams comparaît aujourd'hui selon des paramètres précis. Elle est ici pour nous parler de l'approche de la justice réparatrice utilisée par le tribunal de la santé mentale et la Nouvelle-Écosse. En tant que membre de la magistrature, il serait inapproprié que la juge en chef Williams s'exprime sur les pour et les contre du système accusatoire ou toute réforme potentielle du droit. Elle nous demande en tout respect de reconnaître son rôle d'interprète de la loi et non de législatrice. Je demande donc à mes collègues de respecter ces paramètres lorsqu'ils lui poseront des questions. Nous vous interromprons si nous croyons que vous contrevenez à cette règle. Quoi qu'il en soit, je vous remercie de la respecter.

Par ailleurs, Jennifer Llewellyn fait également partie de ce groupe de témoins. Elle est professeure à l'École de droit Schulich de l'Université Dalhousie. Encore une fois, je vous remercie toutes les deux d'être ici.

Comme nous en avons convenu au préalable, Mme Llewellyn commencera.

Jennifer Llewellyn, professeure, Schulich School of Law, Université Dalhousie, à titre personnel : Merci infiniment, monsieur le président, et mesdames et messieurs les membres du comité, de m'avoir invitée à participer à votre étude sur les délais dans le système de justice pénale. Cette étude représente pour nous une occasion très importante de faire connaître l'histoire de l'approche réparatrice et de sa mise en œuvre, de même que les effets que nous lui attribuons sur la justice, tant dans le système de justice pénale de la Nouvelle-Écosse qu'à l'extérieur.

Bien sûr, vous avez entendu parler des nombreux aspects de l'approche réparatrice en Nouvelle-Écosse, ce matin, et vous avez pu les observer de visu. Je pense que pour saisir le plein potentiel et tous les effets de ces programmes et pratiques, il importe de voir au-delà des modèles de pratique qui vous ont été exposés pour dégager l'approche commune qui les sous-tend, et dont vous avez un peu entendu parler ce matin dans le cercle d'échange.

À l'occasion de mon témoignage, cet après-midi, j'ai pensé présenter très brièvement au comité cette approche sous- jacente, afin que vous puissiez évaluer son potentiel pour régler le problème de délais dans le système de justice pénale.

J'aimerais vous présenter cinq aspects de l'approche réparatrice et de son potentiel pour régler le problème de délais.

Premièrement, je crois qu'il faut souligner que la justice réparatrice offre tout un éventail de démarches, de politiques et de pratiques afin de pondérer les effets dommageables du crime sur les relations et les personnes et d'y réagir, mais la justice réparatrice ne se résume pas simplement à des mécanismes différents pour rendre justice, loin de là. Je pense que c'est le cœur même du concept de la justice, puisqu'elle offre tout un éclairage différent pour comprendre ce qu'il faut faire pour rendre justice. Il y a là un réel potentiel.

Ainsi, on commence par reconnaître l'importance fondamentale des relations et leur incidence sur notre bien-être et notre sécurité. Cela ne signifie pas que toutes les relations ont la même valeur, ni qu'elles doivent être protégées et considérées comme positives, ni que nous devons toujours essayer de susciter des dénouements heureux, où tout le monde se prend dans les bras. Non, il faut plutôt reconnaître que les relations et les liens sont un aspect fondamental de la vie. Nous sommes tous liés, pour le meilleur et pour le pire. Nous sommes liés par différentes relations interpersonnelles et systémiques.

Une grande question se dégage de ce point de départ : quelles qualités les relations doivent-elles posséder pour protéger le bien-être et la sécurité individuels? C'est le but de la justice réparatrice. Elle vise à créer, à protéger et à préserver des relations sociales justes. Ce devrait être l'orientation et l'objectif de notre système de justice pénale.

Que faut-il exactement pour assurer et préserver des relations justes dans diverses circonstances particulières? Cela dépend du contexte et des besoins des parties en cause. La réponse à cette question est le cœur même des mécanismes et des pratiques de justice réparatrice.

L'approche réparatrice s'articule autour du contexte et des causes des préjudices criminels. Elle vise à mobiliser les multiples intervenants, les personnes touchées par la situation, mais aussi celles susceptibles de contribuer à un dénouement positif, et elles travaillent toutes ensemble afin de trouver une solution juste.

Ainsi, l'établissement et l'utilisation d'une approche réparatrice ici, en Nouvelle-Écosse, se veut bien plus qu'une simple série d'outils. Je peux vous garantir que pour la Nouvelle-Écosse, elle signifie bien plus que de s'asseoir en cercle encore et encore. Il y a beaucoup de modèles prometteurs, des démarches et des pratiques qui méritent votre attention, dans le cadre de cette étude, des modèles découlant de l'approche réparatrice, mais vous devez fonder votre évaluation de ces modèles sur des principes pour déterminer s'ils appartiennent vraiment à l'approche réparatrice.

Tous les cercles n'auront pas nécessairement d'effets réparateurs. Il n'y a pas de modèle universel de démarche réparatrice qui convienne à tous. Il est primordial de trouver une formule adaptée au contexte et suffisamment souple pour être modifiée au besoin si l'on veut intégrer une approche réparatrice au système de justice pénale ou en établir une en parallèle.

La Nouvelle-Écosse a réussi à créer un cadre suffisamment souple avec son programme de justice réparatrice, qui propose des protocoles permettant la conception et l'utilisation de démarches qui diffèrent selon les groupes et les circonstances. L'animation du programme relève d'organismes communautaires, qui sont les mieux placés pour connaître le contexte et les besoins des diverses parties dans chaque cas.

Ce n'est pas un fourre-tout pour autant. Il y a plusieurs principes qui guident l'approche réparatrice. Je les expose en détail dans mon mémoire écrit. La justice réparatrice met l'accent sur les relations. Elle ne met pas seulement l'accent sur la personne. Elle favorise une démarche holistique, en ce sens qu'on tient compte à la fois du problème et de la solution. Ce sont des démarches contextuelles et flexibles, qui se fondent sur les principes de l'inclusion et d'une véritable participation à la prise de décisions, pour que celle-ci soit le plus près possible des citoyens et des membres touchés de la communauté. C'est un processus démocratique. Il se fonde souvent sur le dialogue et la conversation, un peu comme ce que l'un des sénateurs nous a demandé de faire ce matin. Ce modèle met l'accent sur l'avenir, sur les solutions et la résolution de problèmes. Il tient compte de la responsabilité à l'égard du passé, mais également de l'importance de créer des conditions favorables à la responsabilité des personnes les unes envers les autres à l'avenir.

Deuxièmement, je crois que l'approche réparatrice présente beaucoup de potentiel pour alléger le fardeau qui pèse sur le système de justice pénale, puisqu'elle s'attaque aux causes du problème, comme vous l'avez entendu ce matin. Ce n'est pas par coïncidence que l'usage de l'approche réparatrice en Nouvelle-Écosse s'est répandu à la suite de son expérience du programme de justice réparatrice dans le système de justice pénale. Le programme de justice réparatrice montre que pour répondre aux besoins des victimes, des communautés et des contrevenants et pour assurer la responsabilité et la sécurité publique, il faut une collaboration entre les différents systèmes. Il montre aussi qu'il faut porter proactivement attention aux causes du crime et aux éléments déclencheurs.

Troisièmement, la justice réparatrice change profondément le fonctionnement du système de justice pénale, ce qui pourrait transparaître sur l'arriéré et les délais. Il faut cependant admettre que si cette approche semble très prometteuse, de par la déjudiciarisation et l'allégement du système, elle a pour effet concret d'amener les intervenants à réfléchir à la façon dont les différents acteurs peuvent travailler ensemble. Comme vous l'avez constaté au tribunal de la santé mentale, ce matin, et vous en entendrez encore sûrement parler, cette approche offre des mécanismes qui favorisent une collaboration beaucoup plus en profondeur entre les partenaires des différentes institutions et systèmes cloisonnés pour régler des problèmes complexes.

Enfin, l'approche réparatrice nécessite et favorise des programmes stratégiques plus contextuels et flexibles, qui ne peuvent pas s'appliquer à tous de la même façon, et incite à l'innovation dans les façons de faire. Je dirai une dernière chose à ce sujet. Je pense que c'est là où le gouvernement fédéral entre en jeu, puisqu'il a un rôle important à jouer en matière d'innovation et de développement.

Ainsi, il faut financer et appuyer l'innovation locale grâce à un investissement dans l'établissement d'une collaboration à long terme plutôt que dans une pléthore de projets pilotes de niche à court terme. Cela signifie aussi que le financement ne peut pas seulement favoriser la reproduction de modèles d'autres contextes. Il faudra déterminer attentivement comment les succès seront mesurés et évalués pour favoriser l'innovation et la mise en place d'une approche différente plutôt que de simplement reproduire les différents modèles de pratique qui existent dans les structures et le système.

Merci infiniment. Je cède la parole à la juge Williams.

L'honorable Pamela Williams, juge en chef, Cour provinciale et Tribunal de la famille de la Nouvelle-Écosse : Monsieur le président, mesdames et messieurs et les membres du comité, je tiens à vous remercier encore une fois de votre visite au tribunal de la santé mentale et d'avoir pris le temps de rencontrer les membres de notre équipe ce matin. Ce fut un grand plaisir pour nous.

Nous sommes ici aujourd'hui pour parler des délais dans le système de justice pénale. Je préfère me demander comment nous pouvons améliorer l'accès à la justice. Les délais sont un morceau du casse-tête, parce que comme on dit, justice différée est justice refusée. Je pense qu'il faut examiner le système de justice pénale sous l'angle de l'ensemble des problèmes auxquels nous sommes confrontés au tribunal provincial : les problèmes de santé mentale, de dépendance, de pauvreté et d'itinérance.

Le système judiciaire ne peut tout simplement pas répondre aux divers besoins que nous observons au tribunal provincial, nous devons donc réfléchir à de nouvelles façons de faire novatrices et simplifiées. La collaboration entre les participants au système est essentielle. Il peut sembler étrange de réclamer la collaboration d'un système accusatoire, mais je pense qu'il y aurait certainement place à la collaboration entre les différents intervenants du système de justice pénale pour mieux servir le public et réduire les délais comme le temps passé en salles d'audience.

Prenons l'image des bretelles de sortie. Il y a des bretelles de sortie sur l'autoroute du système accusatoire. Déjudiciarisons ce qu'on peut avant même que les tribunaux ne soient saisis de litiges, réglons ce qu'on peut avant la mise en accusation. Il faut trouver d'autres moyens de régler les litiges les moins graves.

Il y a d'autres affaires qui doivent passer par le système, mais trouvons un moyen de les traiter hors des tribunaux et du système judiciaire en tant que tel, selon une approche plus réparatrice. Les règlements rapides sont une autre bretelle de sortie. Favorisons-les. Recueillons les plaidoyers, entendons-nous sur des peines, puis il ne restera plus que les affaires plus ou moins complexes qui doivent être jugées dans le système accusatoire. On pourrait au moins déjudiciariser les affaires les moins complexes, les traiter, établir une date de procès dans les 30 à 60 jours, puis consacrer la majorité des ressources aux affaires les plus complexes (les conférences préparatoires agressives, les conférences de règlement des litiges, les audiences de préparation et les requêtes préliminaires) pour que la majorité des ressources servent à traiter les cas les plus compliqués ou ceux des personnes les plus vulnérables, comme les enfants, les personnes âgées, les cas d'agression sexuelle ou les actes de violence graves.

On pourrait aussi, bien sûr, retirer une autre partie du travail du système accusatoire. Je pense aux tribunaux sur la santé mentale, à la déjudiciarisation de la santé mentale, du bien-être et des dépendances, afin de traiter tous ces cas dans une perspective de résolution de problème et de manière thérapeutique. Le tribunal a toujours un rôle à jouer, bien sûr, parce qu'il contribue à la surveillance, mais l'objectif est de tenir la personne responsable, d'établir des relations, de comprendre les causes profondes de l'infraction, d'élaborer des plans de rétablissement ou de soutien, comme vous l'avez entendu ce matin, pour aider ces personnes, pour rétablir le lien avec elle, pour améliorer leur état de santé afin de réduire la probabilité qu'elles se retrouvent de nouveau dans le système de justice pénale. Cela prend du temps. Il faut du temps pour atteindre les objectifs souhaités.

Pour tous ces litiges et pour tous ceux qui sont bloqués dans le système de justice pénale, y a-t-il eu des mandats d'arrêt décernés sur le siège? D'après ce que je comprends, Statistique Canada en tient toujours compte dans ses calculs. Ainsi, il y a des délais qui seraient liés à des mandats d'arrêt décerné sur le siège ou attribuables aux affaires devant les tribunaux spécialisés et aux processus de déjudiciarisation. Pour avoir une véritable idée de l'ampleur des délais, il faudrait au moins extraire tous ces cas des données pour brosser un portrait exact.

Comme je l'ai indiqué, la question relationnelle est énorme. Les gens avec qui nous travaillons au tribunal de la santé mentale sont souvent des personnes très meurtries, et il faut du temps pour gagner leur confiance. Nous sommes là pour suivre leurs progrès et les appuyer. Nous mettons l'accent sur la personne plus que sur l'infraction elle-même. Nous mettons l'accent sur le présent et l'avenir. Nous n'oublions pas le passé pour autant, ni tout ce qui s'est passé, mais nous essayons surtout d'améliorer la situation et de rétablir les relations.

Nous aimerions beaucoup créer un espace pour les victimes, donner une voix aux victimes, pour pouvoir entrer en contact avec toutes les victimes dans une affaire. Bien que nous ne l'ayons pas mentionné ce matin, il nous arrive souvent d'utiliser l'approche réparatrice. Il y a l'histoire d'un fils, qui a rétabli le lien avec sa mère. Il avait commis une infraction contre sa mère, il lui avait proféré des menaces et s'était livré à des voies de fait simples. Au bout de quelques mois, nous avons réussi à réunir les deux parties, à avoir une conversation pour reconnaître sa responsabilité à lui et mettre en place des limites pour qu'ils puissent communiquer l'un avec l'autre. Aujourd'hui, elle comprend mieux la maladie mentale de son fils et ne permet plus ce comportement.

Nous avons également utilisé le concept de justice réparatrice lorsque nous avons traité un cas de fraude entre un employeur et son employée. L'employeur et l'employée se sont assis ensemble. Bien sûr, l'employée était notre cliente. Lorsque l'employeur a compris les problèmes de santé mentale de l'employée, sa perception du crime a changé totalement. Nous avons réussi à nous entendre sur un remboursement de dédommagement. Il a pu lui dire à quel point son comportement avait nui à son entreprise. Elle lui a dit à son tour à quel point elle se sentait mal et lui a demandé ce qu'elle pouvait faire pour réparer ses torts.

Ce sont là quelques exemples très concrets des bienfaits de la justice réparatrice dans ce contexte. Comme vous pouvez le constater, c'est une forme de collaboration entre les différents systèmes de santé et de justice. Nous essayons d'inclure également les services communautaires. Nous essayons d'inclure le volet éducation, parce que tous les organismes gouvernementaux font partie de l'équation pour aider une personne à s'en sortir. Le but, c'est d'obtenir un règlement positif qui réduit et parfois même élimine le risque que la personne aboutisse de nouveau dans le système de justice pénale. Chose certaine, le risque s'en trouve réduit. Je vais m'arrêter là.

Le président : Nous demanderons à la vice-présidente, la sénatrice Jaffer, d'ouvrir le bal des questions.

La sénatrice Jaffer : Je vous remercie, madame la juge Williams, tout comme Jennifer Llewellyn, de vos témoignages ici aujourd'hui.

Vous nous avez fait vivre une expérience incroyable ce matin, au tribunal de la santé mentale, en réunissant toutes les parties différentes. Je pourrais utiliser tout mon temps de parole pour vous louanger, mais je dirai seulement que ce fut une expérience fantastique. C'est la même chose pour le cercle d'échange auquel nous avons assisté ce matin. Je pense que nous en retirerons des pistes de solution très positives; nous essayerons sûrement de faire connaître votre approche à l'échelle du pays. Merci beaucoup.

Pendant que je vous écoutais ce matin, vous et toutes les personnes que vous avez rassemblées, j'avais constamment le sentiment agaçant que vous gonfliez les attentes en mettant autant de gens à contribution. Nous savons que les ressources sont toujours limitées : réussissez-vous à obtenir plus de sources? Par exemple, à mes yeux, l'infirmière psychiatrique fait un travail gigantesque et incroyable. Y a-t-il place à l'expansion? Obtiendrez-vous les ressources nécessaires pour aller encore plus loin?

Mme Williams : Le climat économique, dans la province, n'est pas mûr en ce moment, mais nous pourrions solliciter davantage la collaboration des intervenants en santé et peut-être envisager d'autres ressources, le partage d'autres ressources. Par exemple, nous envisageons un partenariat avec l'École d'ergothérapie. Nous envisageons de peut-être embaucher des étudiants en ergothérapie et en réadaptation pour aider notre équipe. Il y a aussi d'autres projets en cours dont je ne peux pas vous parler pour l'instant. Il y aura un autre partenariat avec le tribunal de la santé mentale.

Le tribunal de la santé mentale est encore tellement local que nous essayons toujours de faire connaître le concept dans la province. Nous avons des programmes de déjudiciarisation à Kentville et à Amherst; il y a un tribunal du bien- être à Port Hawkesbury; il y a aussi un programme de désintoxication sous la surveillance du tribunal à Kentville, qui est en partie financé par le gouvernement fédéral, et il y a un partage de ressources pour tout le reste.

Je suppose que la Nouvelle-Écosse est à la fois assez petite et assez grande pour mobiliser tous les acteurs et avoir cette conversation. Je suis heureuse de dire que tant les professionnels de la justice que les professionnels de la santé embarquent. Ils croient tous à la vertu de la mise en commun des ressources et de la collaboration pour travailler avec ces clients, parce que nous avons tous la même clientèle et que nous pourrions lui offrir un meilleur service. Il y a des discussions en vue d'un projet qui serait déployé au Cap-Breton et d'un autre qui serait déployé dans l'Ouest de la Nouvelle-Écosse. J'ai beaucoup d'espoir. Avec de la volonté, il y a moyen d'y arriver.

La sénatrice Jaffer : Madame Llewellyn, j'ai une question à vous poser. Ce matin, pendant le cercle d'échange, il était très inspirant d'entendre toutes les voix des différentes personnes de différents horizons se rassembler. Nous vous sommes très reconnaissants de nous avoir fait vivre cette expérience, mais je serais curieuse de savoir ce que vous faites pour que ce modèle gagne en popularité au pays.

Mme Llewellyn : Nous avons déjà franchi l'étape importante d'investir dans les différents secteurs de la Nouvelle- Écosse, afin de créer des occasions de se rassembler, d'apprendre les uns des autres, d'établir une approche commune et de s'entraider, tant au niveau personnel, pour ceux qui appliquent cette approche, qu'à l'échelle des systèmes.

Nous avons en quelque sorte créé certaines de ces mesures. En 2005, nous avons entre autres obtenu du Conseil de recherche en sciences humaines une subvention pour les Alliances de recherche universités-communautés, que nous appelons CURA. Elle nous a permis de regrouper tous les intervenants du programme de justice réparatrice et d'autres intervenants pour établir une compréhension mutuelle et pour élaborer un plan des sujets de recherche et d'apprentissage. Nous avons essayé de créer ce que nous appelons des communautés d'apprentissage locales pour que les intervenants ne s'investissent pas uniquement dans l'échange de modèles et de pratiques entre eux, mais aussi dans un réel apprentissage et dans le soutien mutuel, ce qui se fait plus difficilement dans les systèmes dominants. Parfois, nous pouvons accueillir des systèmes dominants à l'échelle du gouvernement et des communautés et les amener à collaborer. L'université est un lieu utile pour cela, car elle nous permet d'exercer notre rôle d'acquisition et de mobilisation des connaissances, ainsi que notre rôle d'enseignement.

Comme vous l'avez vu ce matin, forts de cette expérience, nous comprenons très bien aujourd'hui les relations entre ces systèmes. Nous collaborons avec six autres administrations à l'échelle internationale qui ont comme nous une vision intersectorielle des collectivités réparatrices suivant une approche réparatrice en matière de gouvernance et d'institutions sociales et politiques. Nous collaborons avec d'autres administrations dans le cadre de visites d'échanges mutuelles pour apprendre les unes des autres.

Il y a certainement des occasions à l'échelle nationale pour cela. À titre d'exemple : Canberra, en Australie, la Nouvelle-Zélande, Hull et Leeds, au Royaume-Uni et le Vermont. Il existe quelques autres communautés d'apprentissage, notamment en Colombie-Britannique, où l'Université Simon Fraser, Brenda Morrison et autres exercent le leadership. Nous rassemblerons toutes ces personnes les 27 et 28 juin. Nous avons la ferme intention de modeler notre capacité de recueillir des données à l'échelle internationale pour voir comment la mise en œuvre est efficace dans de nombreux sites et dans de nombreux contextes, parce que cela permet de surmonter les difficultés liées aux données dans l'évaluation de la réussite des projets pilotes ou des solutions à court terme. Nous essayons de voir, dans les cas où nous n'avons pas de données longitudinales, s'il est possible d'obtenir des données provenant de différents contextes pour faire cela, et de voir si nous pouvons être des partenaires d'apprentissage utiles.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Évidemment, depuis qu'on étudie les retards dans les cours de justice, cela m'a permis de comprendre trois points que je vais vous énumérer.

Premièrement, il y a la complexité des dossiers qui peut influer sur les délais. Prenons, à titre d'exemple, les mégaprocès qui ont eu lieu au Québec et qui ont créé des retards. De plus, il y a le comportement des requérants à la cour qui peut influencer les délais.

Bien entendu, il y aura toujours la question de l'attitude des autorités quant à la mise en place des moyens nécessaires pour améliorer les délais. Entre autres, au Québec, il y a eu le témoignage du juge de la Cour supérieure, François Rolland, qui nous a dit que, à l'heure actuelle, au Québec, le système de justice fait face à un mur, parce que les prochaines dates offertes en cour sont en 2019. Cependant, un délai raisonnable, c'est de deux ou trois ans; lorsque c'est plus de trois ans, cela devient déraisonnable.

J'aimerais entendre votre opinion aujourd'hui, parce que notre comité devra présenter un rapport sur la question. Qu'est-ce que vous pourriez suggérer à notre comité que nous pourrions inclure dans notre rapport afin de faire des recommandations au gouvernement qui pourraient vous aider dans votre travail?

[Traduction]

Le président : Je ne suis pas sûr si le sénateur Dagenais et d'autres sénateurs étaient ici avant le début, mais la juge est avec nous pour parler du tribunal de la santé mentale et de l'approche, et il ne convient pas qu'elle commente les avantages ou les inconvénients du système accusatoire ni qu'elle propose une réforme possible. Peut-être que sa collègue peut commenter la question.

Mme Llewellyn : Je n'ai pas de contraintes semblables, alors je peux également vous parler de mon expérience avec madame la juge Williams et de ce qu'elle fait, et peut-être vous dire où nous pourrions créer plus de soutien. J'ai mentionné ce matin que l'une des façons de laisser place au changement dans le système de justice et les processus judiciaires consiste à s'assurer que la magistrature dispose du leadership nécessaire pour saisir ces occasions en partie.

Dans le même sens, la juge Williams et d'autres qui l'ont suivie dans la Chambre de la jeunesse commencent à encourager la collaboration entre les avocats, les autres équipes de soutien et les ressources qui travaillent dans les tribunaux. Les juges sont en mesure de demander s'il y a eu des consultations.

Y a-t-il eu des discussions? Y a-t-il moyen de vérifier si d'autres processus sont envisagés, si vous avez des conversations à propos de ces questions et cherchez à obtenir cette information auprès des avocats? Ce que je vois, particulièrement d'après la manière dont on appuie l'espace nécessaire à une approche réparatrice, c'est que cela donne vraiment du temps et de l'espace aux juges pour qu'ils puissent en discuter dans leurs salles d'audience. Si ce n'est de cela, les avocats et les représentants surmenés qui travaillent à des dossiers très chargés n'ont pas le temps d'avoir ces conversations, de se consulter les uns les autres et de penser à d'autres possibilités qui sont très souvent dans l'intérêt de leurs clients, du public et des victimes. Dans le système actuel, il existe des moyens d'accroître la capacité des juges à créer de l'espace et du temps au cœur du processus judiciaire pour ce type de consultation et de collaboration parmi les intervenants et l'administration de la justice. Ce modèle est très fort pour nous et il est maintenant employé pour établir des relations entre les équipes qui travaillent dans les tribunaux. Ces équipes travaillent différemment lorsqu'elles sont à l'extérieur et lorsqu'elles se préparent pour les tribunaux.

Pour ce qui est du comportement des avocats, nous voyons également qu'il crée vraiment des occasions importantes, comme vous l'avez entendu un peu ce matin, en ce qui a trait à la réglementation juridique et à la culture de la profession juridique. Plus il y a d'occasions de travailler de cette manière devant nos tribunaux, au sein de la Commission des droits de la personne et dans beaucoup de processus où des avocats servent l'intérêt du public et les intérêts de leurs clients, plus cela est vu comme un moyen de servir ces intérêts et d'être un bon conseiller juridique et un bon avocat, en suivant une approche légèrement différente. Cela change le climat et la culture de la profession d'avocat et fait en sorte que l'identité et la valeur de l'exercice du droit ne sont pas prises dans le système accusatoire. Je pense que cela est très important.

Le sénateur Baker : Merci aux témoins.

La différence entre le Tribunal de la santé mentale et la Cour provinciale, c'est que si une personne qui a cessé de prendre ses médicaments pendant une courte période de temps est visée par six ou sept accusations parce qu'elle a, par exemple, menacé quelqu'un de le tuer, ou de brûler ou d'endommager sa maison, et ainsi de suite, six ou sept chefs d'accusation seront alors déposés contre elle en plus de trois autres chefs d'accusation pour bris de conditions relatives à sa mise en liberté et pour non-respect d'un ordre de protection des victimes. Certains de ces chefs d'accusation sont nouveaux. Elle est tenue de respecter les conditions de mise en liberté provinciales et celles du Code criminel associées à une accusation antérieure.

Ensuite, il y a le temps requis pour suivre le processus judiciaire normal, qui consiste à entendre les témoins et à approuver chaque élément constitutif de l'infraction, lorsqu'il y a huit ou neuf chefs d'accusation. Pouvez-vous établir une comparaison du temps que cela prend devant le Tribunal de la santé mentale et devant la Cour provinciale, et nous donner une idée du temps économisé si l'affaire est portée devant le Tribunal de la santé mentale? Pouvez-vous nous dire les avantages d'avoir recours au Tribunal de la santé mentale plutôt que de suivre les procédures normales du Code criminel auxquelles le délinquant et peut-être la victime n'auront pas accès, parce que notre principal objectif est d'essayer de passer moins de temps devant les tribunaux et de libérer les juges de la Cour provinciale? En vous écoutant aujourd'hui, madame la juge, je constate à quel point l'idée d'un tribunal de la santé mentale est fantastique. Ai-je raison? Est-ce que le fait d'avoir un tribunal de la santé mentale dynamique permettrait aux contribuables et à notre système judiciaire de réaliser des économies importantes?

Mme Williams : Je vais essayer de répondre aux nombreuses questions que j'ai entendues dans ce commentaire. J'aimerais commencer en disant que c'est tout à fait opportun. Poursuivre quelqu'un en justice est un processus très long. Malheureusement, dans notre province, seulement 8 p. 100 peut-être des accusations déposées mènent à un procès. On réserve du temps pour un procès. Pour que tout le dossier se retrouve devant les tribunaux, il faut compter 8 à 12 mois. Lorsque ce jour arrive, rien ne se passe et tout s'écroule. C'est un gaspillage de ressources et de temps.

Ce n'est pas tout le monde qui est admissible ou qui suivra un programme de santé mentale, de déjudiciarisation ou de mieux-être, mais pour les personnes qui le font, il n'est plus nécessaire de consacrer du temps à préparer un procès et à préparer un témoin. Cela élimine toute l'angoisse que ressent la victime qui se demande : Qu'est-ce qui va se passer? Est-ce que je devrai témoigner? Cela fait gagner du temps. La salle d'audience peut maintenant servir à d'autres affaires importantes parce qu'une grande partie du travail réalisé auprès des participants au programme du Tribunal de la santé mentale est effectué à l'extérieur de la salle d'audience.

Pour ce qui est des économies, beaucoup de personnes qui se présentent devant les tribunaux le font à répétition. Parfois, cela commence par une infraction substantielle comme une accusation de menaces. Mais comme cela peut prendre 8 à 10 mois, ou même 10 à 12 mois avant que le procès débute, il arrive souvent que ces personnes ne respectent pas les conditions de libération qui leur sont imposées et qui sont parfois très coûteuses.

Au tribunal de la santé mentale, nous les voyons toutes les semaines ou toutes les deux semaines. Beaucoup voient leur ordonnance de mise en liberté modifiée quatre, cinq ou six fois pendant leur prise en charge par le tribunal. Parfois, ils se portent mieux et la détention à domicile est remplacée par un couvre-feu, ou le couvre-feu n'est plus nécessaire et il est levé. Dans d'autres cas, des conditions strictes s'imposent, mais on fait une exception pour leur permettre d'aller travailler ou de fréquenter un gymnase et faire des activités qui leur sont thérapeutiques.

Mais les économies ne s'arrêtent pas là. Les personnes prises en charge par le tribunal sont moins susceptibles de visiter les salles d'urgence, d'être hospitalisées, d'avoir affaire à la police ou d'aller en prison — quatre choses qui coûtent très cher. J'espère avoir répondu à vos questions.

Le sénateur White : Merci à vous deux d'être ici.

Votre Honneur, ma question s'inscrit dans la suite de celle du sénateur Baker, mais je pose la mienne dans une optique de cause à effet. Vous vous attaquez aux causes des comportements criminels alors que la justice ordinaire s'attaque à leurs effets. C'est exact?

Mme Williams : Tout à fait.

Le sénateur White : Parfait, merci.

Je vais maintenant m'adresser à vous, Jennifer. Ce matin, nous parlions de justice réparatrice et des endroits où elle est offerte en Nouvelle-Écosse. Tout le monde sait que la Nouvelle-Écosse est à des années-lumière de la plupart, sinon la totalité, des autres provinces à ce chapitre. Je sais que des études ont été faites relativement au programme, mais pourriez-vous nous dire où elles se trouvent et comment on peut en connaître les résultats?

Mme Llewellyn : Oui, au moins deux études ont été faites. L'une d'entre elles était échelonnée sur plusieurs années. Elle a débuté quand le programme a été étendu à toute la province en 1999 et M. Don Clairmont y a travaillé pendant cinq ans. C'est assez long. Je peux vous en obtenir des copies si vous voulez. Nous les ferons parvenir à la greffière. Il existe aussi un sommaire de l'étude. Une autre étude a été menée par la suite, que nous pouvons également vous fournir.

Il y aussi une étude plus récente. Je ne sais pas si elle est publique, mais je vais m'informer et vous mettre en communication avec les fonctionnaires qui pourraient vous la transmettre. Elle portait sur les programmes pilotes en matière de justice réparatrice pour les adultes offerts à Truro et au Cap-Breton, et les conclusions étaient très favorables.

Dans cette étude, il était question du nombre incroyable de participants, quatre ou cinq fois plus élevé que le nombre prévu, ainsi que des résultats et du degré de satisfaction déclarés par les responsables, les contrevenants et les autres intervenants. Il y était recommandé que le programme soit adopté et mis en œuvre. Si nous pouvons mettre la main sur cette étude, nous allons également vous la transmettre.

Le sénateur White : Merci, c'est exactement ce qu'il me faut. L'étude s'intéresse aux taux de récidivisme et à la satisfaction des clients, est-ce bien ce que vous dites?

Mme Llewellyn : Oui.

Le sénateur White : Et quand on dit « clients », ce ne sont pas seulement les contrevenants et les victimes, mais également les collectivités participantes.

Mme Llewellyn : Oui, Don Clairmont a eu la diligence de mener des entrevues auprès des ex-participants.

Je vous préviens toutefois que l'étude a été effectuée dans les premiers stades du programme. Des changements sont survenus par la suite en réponse directe au rapport de l'étude afin d'accroître la participation des jeunes des minorités raciales. On s'est rendu compte que le racisme et la discrimination au sein du système faisaient en sorte que ces personnes n'étaient pas aussi souvent acheminées vers le programme. Des mesures ont alors été prises pour remédier à cette situation. Dans ses entrevues, Don Clairmont s'intéressait au niveau de satisfaction de toutes les parties. Il a beaucoup discuté directement avec des répondants clés dans le système et à tous les points d'entrée — policiers, procureurs de la Couronne, juges et personnel d'organismes. Il s'est aussi intéressé au récidivisme dans la mesure où il a pu le faire.

D'après les données recueillies à l'étranger, les résultats au chapitre du récidivisme sont meilleurs dans la plupart des études et dans tous les cas au moins aussi bons. Quant au respect des ordonnances, les résultats sont certes supérieurs. Tous ne s'entendent pas sur la question de savoir si chaque nouveau contact avec la justice compte pour une récidive ou si l'on doit tenir compte d'une diminution dans la gravité des comportements. Lorsqu'on se penche sur les problèmes systémiques qui sous-tendent les causes profondes, on constate que les contrevenants peuvent avoir à nouveau affaire à la justice pénale, mais à un degré nettement moindre.

Le sénateur White : Ils commettent des infractions administratives au lieu de retourner à leurs vieilles habitudes.

Mme Llewellyn : Oui, ou des incidents de moindre gravité.

Le sénateur White : Merci à vous deux.

La sénatrice Batters : Merci, et encore une fois merci à vous deux d'être ici ce matin.

Madame la juge, vous pourriez peut-être nous dire quelque chose. N'hésitez pas à me corriger si j'entre dans un sujet dont vous ne pouvez pas parler, mais j'aimerais que vous nous disiez quelles sont les plus grandes difficultés à surmonter au tribunal de la santé mentale. S'il y a des difficultés que vous avez déjà surmontées, vous pourriez peut- être nous dire comment vous y êtes parvenus.

Je me demande aussi où sont situés les autres tribunaux de la santé mentale au Canada, dans quelles provinces? Est- ce qu'il vous arrive de vous réunir avec vos homologues des autres tribunaux de la santé mentale pour discuter des pratiques exemplaires? J'aurai encore d'autres questions ensuite.

Mme Williams : La plus grande difficulté à l'heure actuelle, c'est d'offrir nos services à tous ceux qui les demandent.

C'est un beau problème. Nous avons diffusé un communiqué à l'occasion de notre cinquième anniversaire, puis un autre qui s'accompagnait d'une évaluation. Nous commençons à attirer un peu plus d'attention, si je puis dire. Les gens sont de plus en plus nombreux à connaître notre existence, alors le défi, maintenant, c'est d'arriver à servir tous ceux qui veulent faire appel au tribunal.

Par ailleurs, la recherche de solutions aux obstacles et aux difficultés constitue un défi constant. Encore une fois, c'est un beau défi à relever, car nous collaborons à cette fin avec des gens issus de diverses disciplines. Je vais vous donner un exemple. Les personnes qui sortent de prison et qui ne disposent d'aucune ressource doivent aller au bureau de l'aide au revenu pour faire une demande. Il y a une période durant laquelle ils n'ont rien. Doit-on s'étonner lorsqu'ils récidivent?

Nous avons établi un partenariat avec Burnside, la prison locale. Nous avons invité des gens des services sociaux et leur avons dit qu'il fallait remédier à ce problème. L'idée était de permettre à ces personnes de faire une demande d'aide à l'emploi ou une demande d'aide au revenu avant même de sortir de prison. La demande est alors faxée au bureau de l'aide au revenu et, une fois le détenu libéré, il n'a plus qu'à s'y rendre pour commencer à toucher des prestations.

Il y a aussi d'autres difficultés qui relèvent davantage de la justice sociale, mais nous pouvons par notre action aider non seulement les gens que nous prenons en charge, mais aussi ceux qui sont dans le système ordinaire.

Dans les provinces, il y a un organisme appelé Conseil canadien des juges en chef, dont je fais partie. Nous avons un comité sur la justice thérapeutique. J'en suis la présidente. Récemment, nous avons fait plusieurs études. À ma connaissance, il y a au pays 62 tribunaux que je qualifierais de thérapeutiques. Ce ne sont pas tous des tribunaux de la santé mentale. Certains sont consacrés en matière de drogues, d'autres sont considérés comme des tribunaux du mieux- être. Environ le tiers sont entièrement ou partiellement subventionnés et les autres sont le fruit de partenariats entre les milieux de la justice et de la santé.

Nous envisageons la possibilité de mettre en commun les pratiques exemplaires. Cela fait partie du mandat du comité et nous pourrions même normaliser notre procédure d'évaluation.

La sénatrice Batters : Vous avez mentionné l'important problème qui se pose lorsque le tribunal prévoit du temps d'audience pour un procès qui tombe à l'eau à la dernière minute parce que l'accusé décide de plaider coupable ou que la Couronne sursoit aux accusations.

J'ai été chef de cabinet du ministre de la Justice de la Saskatchewan pendant cinq ans. Vers le début de cette période, en 2008 ou en 2009, la Saskatchewan a constitué ce qu'on appelle une cour de justice parallèle. Je ne sais pas si vous en avez déjà entendu parler, mais cette cour parallèle donne du temps d'audience. Les dates sont presque réservées en double, un peu comme des sièges d'avion. Cette formule fonctionne très bien et c'est une excellente innovation. Lorsque nous avons commencé notre étude, je pensais que des cours parallèles semblables devaient déjà exister partout au Canada, mais en Ontario, par exemple, on ne savait même pas ce qu'elles étaient.

Si vous n'avez pas de cour parallèle ici, ce pourrait être une solution à envisager. Le ministère de la Justice de la Saskatchewan serait très bien placé pour vous renseigner davantage à ce sujet et vous aider à régler le problème.

Le sénateur White : Votre Honneur, le sénateur Baker a parlé des économies que le programme permettait de réaliser. Du point de vue du récidivisme, existe-t-il des études, les vôtres ou celles de quelqu'un d'autre? Étant donné vos liens avec Dalhousie, vous avez dû comparer les taux de récidive des contrevenants qui passent par le tribunal de la santé mentale et les taux de récidive des contrevenants hors programme?

Mme Williams : Oui, mais il y a un bémol. La province a effectivement commandé une évaluation indépendante sur le tribunal de la santé mentale. Cependant, la période observée était de douze mois seulement. On a comparé un petit groupe pris en charge par le tribunal de la santé mentale et un petit groupe qui n'a pas été admis dans le programme. L'étude nous a permis de recueillir certaines données intéressantes, mais les résultats n'ont peut-être pas été aussi concluants que nous l'aurions voulu étant donné la petite taille des groupes et la courte durée de l'étude. Les taux de récidive n'étaient pas tellement différents.

Le rapport disait que les gens pris en charge par le tribunal de la santé mentale avaient des problèmes plus graves que ceux de l'autre groupe. Dès lors, c'est un peu comme si l'on avait des pommes et des oranges au départ. Ce que l'étude a permis de constater, c'est que même si notre groupe a récidivé, il ne l'a pas fait aussi rapidement ni aussi souvent que l'autre groupe, ni avec la même gravité. Nous devons certes suivre l'exemple des États-Unis. Là-bas, les tribunaux de la santé mentale existent depuis de nombreuses années. Beaucoup d'études américaines ont conclu que les tribunaux de ce type axés sur la résolution de problème faisaient diminuer les taux de récidive.

Le sénateur White : À votre connaissance, y a-t-il eu des études dans d'autres provinces également?

Mme Williams : Non, pas d'autant que je sache.

Le sénateur Baker : Madame Llewellyn, j'ai une dernière question à vous poser. J'ai lu la description du programme de justice réparatrice de la Nouvelle-Écosse. Si je me souviens bien, en 1997, le programme a vu le jour dans les provinces et a été divisé en huit volets. Le programme s'adressait aux 12 à 17 ans. Les participants pouvaient être recommandés par la police avant d'être mis en accusation ou par le juge même après le procès. La recommandation était dans la collectivité, mais pas uniquement pour elle. La personne mise en accusation, l'accusé ou le contrevenant, si ma mémoire est bonne, devait réparer les torts d'une certaine façon. Pourriez-vous nous dire ce que cela signifie?

Mme Llewellyn : Votre description du programme est exacte. Je préciserais toutefois qu'il a été mis à l'essai dans plusieurs collectivités en 1997 d'abord, au cas où vous liriez là-dessus, et qu'il a été instauré à l'échelle de la province en 1999. Il était pleinement fonctionnel et comportait quatre phases : une phase pilote et une phase définitive pour chacun des volets jeunesse et adulte. Nous avons mis beaucoup de temps et de soin à concevoir ce programme.

L'une des forces du programme néo-écossais, et c'est peut-être l'une des raisons qui expliquent que nous ayons eu la chance de croître et d'avoir une approche aussi exhaustive, c'est que nous avons tenu compte de tous les points d'entrée, sans exception. Au fil du temps, nous avons constaté que presque tous les participants nous étaient recommandés par la police avant la mise en accusation et la judiciarisation de leur cas.

Le sénateur Baker : Avant la mise en accusation?

Mme Llewellyn : Ils étaient recommandés par la police avant d'être mis en accusation dans une optique de déjudiciarisation, mais maintenant, ils sont de plus en plus nombreux à être recommandés par le procureur de la Couronne et à présenter des cas plus graves et plus complexes, ou à être recommandés par les juges, ou conjointement par les juges et la Couronne. Cette évolution témoigne de la confiance que les intervenants du système vouent désormais au programme. L'un des autres éléments essentiels au succès, à la stabilité et à la croissance du programme, c'est qu'il n'est pas simplement un programme dirigé par le gouvernement dont l'exécution est confiée à la collectivité. Depuis les premières étapes de sa création, le programme est le fruit d'une véritable collaboration. Le gouvernement a pour tâche non seulement de le mettre en œuvre et de le superviser, mais également de travailler en collaboration avec les organismes de justice communautaires. Ces organismes ont leur propre conseil. Ils sont enracinés dans la collectivité, mais ils sont aussi les partenaires du gouvernement. C'est ce qui explique la stabilité et la neutralité politique du programme malgré les nombreux changements de gouvernement.

Ce qu'on entend par la réparation des torts dans le programme, c'est l'orientation, la recherche de solutions pour répondre réellement aux besoins des victimes et remédier aux torts qui leur sont causés ainsi qu'à la collectivité.

Le sénateur Baker : Non, ce que j'ai lu parle du contrevenant.

Mme Llewellyn : Oui, la réparation des torts qu'il a causés.

Le sénateur Baker : Le contrevenant, oui.

Mme Llewellyn : On emploie fréquemment les termes « jeune » ou « jeune en conflit avec la loi ». Il y a certainement des endroits où le terme utilisé est « contrevenant », si le jeune a plaidé coupable ou a été recommandé par le procureur de la Couronne et qu'on est dans le contexte d'un plaidoyer.

Le sénateur Baker : Mais que veut-on dire par « réparer les torts »?

Mme Llewellyn : On veut dire par là que le processus est axé sur la recherche, par les participants, de moyens par lesquels ils peuvent contribuer à réparer leurs torts.

Le sénateur Baker : Comme quoi?

Mme Llewellyn : Par exemple, le fait d'être là et de parler honnêtement et clairement de leurs intentions ou de leurs actes. Vous pouvez imaginer ce que cela signifie pour beaucoup de groupes, de collectivité et de victimes d'arriver à comprendre le motif du crime ou de savoir si on les ciblait. Notre processus accusatoire n'est pas propice à l'échange d'information. Être présent, être honnête et participer pleinement, cela peut aider à réparer les torts.

Les jeunes travaillent également avec leur réseau de soutien, des représentants de la collectivité, les victimes et leurs propres réseaux de soutien afin de déterminer, avec précision et compte tenu des circonstances, ce qu'ils doivent faire et, éventuellement, avec le soutien de la collectivité, comment répondre aux besoins des victimes et assumer la responsabilité de réparer leurs torts de sorte qu'ils puissent réintégrer la collectivité et savoir qu'ils ne seront pas une menace.

Le sénateur Baker : Même après une condamnation?

Mme Llewellyn : Parfois.

Le sénateur Baker : Cela ne serait-il pas considéré comme une double punition?

Mme Llewellyn : C'est possible. C'est l'une des difficultés. Si le cas est renvoyé à l'étape de la détermination de la peine, nous avons constaté que lorsqu'on peut réunir les gens qui sont touchés pour collaborer avec un délinquant qui a été reconnu coupable afin de déterminer les mesures que nous devrions prendre, cela mène à de très bons résultats.

Le risque, c'est que plutôt que d'accepter ces recommandations découlant du processus de réparation, parfois les juges croient qu'ils devraient les accepter et ajouter quelque chose.

Le sénateur Baker : Ce qui constitue vraiment un obstacle?

Mme Llewellyn : Oui. Parfois, c'est parce qu'ils croient que le système ou la légitimité l'exigent. C'est en partie un changement dans les attentes. Parfois, les choses fonctionnent bien, dans les cas où ils ont dit au groupe qu'ils sont préoccupés pour la sécurité publique. On ne leur dit pas pourquoi on est tous satisfaits de cela. Pourriez-vous venir expliquer cela devant le tribunal? Ensuite, il y a en quelque sorte une négociation laissée à la discrétion des juges sur ce qui est approprié pour la sécurité publique et l'intérêt public.

On craint que parfois qu'on dise « je vais ajouter quelque chose ». Nous avons un bon exemple de cela ici dans la province concernant un déraillement de train. Dans l'ensemble, des juges, à l'étape de la détermination de la peine, ont pu s'en remettre à ce type de processus, voire en amener dans leur salle d'audience où ils peuvent être aidés par quelqu'un d'autre, mais le juge participe.

Le président : Je vais devoir vous interrompre. D'autres témoins attendent. Je remercie nos témoins de leur très grande générosité, du temps qu'ils nous ont accordé, et je vous remercie en particulier, Votre Honneur, de vous être aventurée. Nous vous en sommes tous très reconnaissants. Merci encore.

Madame Bain, je crois comprendre que vous allez commencer par présenter une déclaration préliminaire. La parole est à vous.

Tanya Bain, directrice, Tri-County Restorative Justice Program : Merci. Je vous remercie beaucoup de m'avoir invitée à comparaître devant vous aujourd'hui.

Tri-County Restorative Justice est un organisme communautaire sans but lucratif financé par le ministère de la Justice de la Nouvelle-Écosse. Nous sommes situés à Yarmouth, à l'extrémité sud de la province. Aujourd'hui, je vais présenter le point de vue de ma communauté et souligner le succès que nous obtenons en utilisant une approche réparatrice.

Depuis 16 ans, nous mettons en place des processus officiels de justice réparatrice, de concert avec les huit agences de justice réparatrice de la Nouvelle-Écosse, dans le but de responsabiliser les jeunes, de donner une voix aux victimes et de répondre aux besoins de la collectivité. Nos exemples de cas et notre expérience pratique se sont avérés une aide précieuse partout dans la province. Nous avons appuyé d'autres organisations, qui ont utilisé notre modèle de concertation réparatrice et qui ont adapté et appliqué notre approche et nos processus en matière de justice réparatrice.

Les organismes de justice réparatrice de la Nouvelle-Écosse ont pour mission de travailler en collaboration avec les partenaires du système de justice pénale. Notre organisme reçoit des requêtes concernant des jeunes de 12 à 17 ans qui ont des démêlés avec la justice. Au minimum, les jeunes doivent être prêts à assumer la responsabilité de leurs actes. Dans le cadre de nos processus, nous les aidons à se rendre compte de leurs responsabilités et des conséquences de leurs actes. Nous les aidons également à commencer à réfléchir aux personnes touchées et aux répercussions que peuvent avoir leurs gestes sur autrui.

Le processus de justice réparatrice comporte trois volets : une rencontre préparatoire, la rencontre réparatrice et une rencontre de suivi pour veiller à ce que les engagements soient respectés. Dans la semaine suivant la réception de la requête, nous communiquons avec les personnes touchées par l'incident pour organiser une rencontre préparatoire.

La rencontre préparatoire constitue un élément essentiel de notre travail. Le but est de rencontrer individuellement les personnes qui ont causé un préjudice, puis les victimes. Ces entretiens sont l'occasion pour les intervenants d'expliquer le processus, d'entendre les points de vue de chacun, d'aider à cerner les causes profondes de l'incident et de commencer à comprendre les réseaux de relations de chacun. Les rencontres préparatoires sont également une occasion de commencer à déterminer les ressources locales qui pourront aider les parties concernées à aller de l'avant, leur décrire la situation et établir des liens avec elles.

Tout au long du processus, nous sommes très conscients du soutien dont les victimes peuvent avoir besoin et des inquiétudes qu'elles peuvent avoir en ce qui concerne leur sécurité. Ce sont les victimes qui décident de leur contribution au processus si elles choisissent d'y participer. Certaines peuvent décider de participer aux rencontres en personne pour expliquer les conséquences de l'acte criminel et avoir voix au chapitre lorsqu'il s'agit de déterminer ce qui doit arriver. D'autres peuvent décider de demander à un ami ou à un membre de leur famille de les représenter dans le cadre du processus.

De même, certaines victimes peuvent décider de ne pas participer en personne, mais veulent être tenues au courant de ce qui s'est passé durant la rencontre réparatrice. Les victimes décident donc de ce qui leur convient, et leur décision est respectée. Les rencontres préparatoires sont donc importantes pour comprendre les besoins de toutes les personnes touchées par le crime.

La rencontre de justice réparatrice est organisée une fois que tout le travail entourant la rencontre préparatoire est terminé. C'est l'occasion de réunir les parties et de les faire participer, sur une base volontaire, à un processus facilité afin de discuter de ce qui est arrivé et des moyens à prendre pour améliorer les choses pour toutes les personnes touchées. Tous les participants à la rencontre aident à rédiger une entente sur la façon d'aller de l'avant.

Comme l'a mentionné Jennifer Llewellyn, en 2005, nos organismes se sont joints à la Nova Scotia Restorative Justice Community University Research Alliance, la NSRJ-CURA. Selon moi, ce partenariat entre des organismes communautaires, le gouvernement, des partenaires universitaires et des chercheurs ont amené les organismes de justice réparatrice de la province à réfléchir sérieusement à des moyens de consolider leurs efforts.

Mme Llewellyn a guidé de nouvelles discussions et nous a fait prendre conscience de l'application possible d'une approche de justice réparatrice dans d'autres contextes que le système de justice pénale. En étudiant la théorie relationnelle, nous avons pu nous concentrer sur l'importance des relations en tant que points de départ, ce qui nous a permis d'élargir notre champ d'activité et d'appuyer de nouveaux processus de réparation. Nous nous sommes rendu compte qu'une approche de réparation ne se limite pas aux pratiques en matière de justice réparatrice et à la tenue de rencontres réparatrices axées sur la résolution de problèmes. C'est une façon d'aborder notre travail dans le contexte de la justice, c'est une question d'établir et d'entretenir intentionnellement de bonnes relations.

Notre philosophie a commencé à bel et bien changer. Nous nous sommes aperçus que nous pouvions faire beaucoup plus qu'intervenir lorsque les choses tournent mal. Nous voulions créer un réseau de soutien plus efficace au sein de la collectivité pour faire en sorte que tout aille bien. Nous nous sommes rendu compte que notre travail consistait à bâtir de manière proactive des relations et des liens pour assurer la sécurité publique et la prévention des crimes. Notre travail auprès des jeunes dans le contexte du programme de justice réparatrice présentait clairement des occasions d'agir et nous a obligés à voir de manière plus holistique la façon de rendre justice aux délinquants, aux victimes et à la communauté.

Au fil des ans, dans le cadre de nos rencontres préparatoires, nous avons remarqué qu'un grand nombre de jeunes entretenaient de mauvaises relations dans les écoles. Bon nombre de jeunes n'allaient pas à l'école ou étaient souvent absents, s'intéressaient peu à leurs études et avaient des relations négatives en milieu scolaire. Souvent, les problèmes de comportement menaient à des suspensions, et les suspensions, à des conflits avec la loi.

Tri-County Restorative Justice est devenu membre d'une équipe chargée de présenter dans la province des approches de justice réparatrice dans les écoles. Par suite de cette initiative, ces approches ont été adoptées dans plus d'une centaine d'écoles de la province, et le gouvernement s'est engagé à appuyer davantage ce mouvement populaire en faveur du renforcement des collectivités. Quant à nous, nous voulons vraiment aider à appuyer les jeunes dans la collectivité en resserrant les liens dans les écoles pour empêcher les jeunes d'avoir des démêlés avec le système de justice pénale et de se trouver à nouveau dans les bureaux de nos organismes de justice réparatrice.

Du point de vue de la justice pénale, lorsque nous examinons les résultats positifs obtenus en vue du règlement des incidents en milieu scolaire, il est très réjouissant de constater que la mise en place d'une approche réparatrice dans les écoles a mené à une réduction du nombre de renvois dans nos bureaux.

Nous avons tendance à vouloir nous concentrer sur la façon d'intervenir lorsque les choses tournent mal. Nous reconnaissons toutefois que nous devons mettre l'accent sur les interactions quotidiennes et trouver des moyens de créer des relations plus étroites et offrant un soutien accru parmi les différents secteurs de nos collectivités. Pour contribuer au bien-être de nos collectivités, nous avons aidé différents groupes communautaires, des particuliers et des organismes à adopter une approche réparatrice. Notre position au sein des services de prévention du crime nous a permis de voir de manière plus globale ce que nous pouvons faire pour répondre aux besoins de la collectivité et de devenir des partenaires proactifs. Nous voulons être utiles et faire le pont entre les organisations, les ministères et les particuliers pour qu'ils puissent échanger de l'information sur leurs stratégies. Dans le cadre d'une approche interorganisationnelle, nous continuons à connaître beaucoup de succès lorsqu'il s'agit d'établir des liens solides et utiles et d'examiner des problèmes communs en vue de mettre en place des solutions.

Les réseaux HASA, Healing Approaches to Senior Abuse, et RASS, Restorative Approaches to Senior Safety, sont formés de divers groupes de la collectivité qui travaillent ensemble et étudient des questions complexes touchant la population d'aînés. Ces groupes ont été formés pour réfléchir ensemble aux mesures réparatrices qui peuvent être prises pour régler des questions liées aux aînés et corriger des lacunes dans les services. Les problèmes sont réglés par des coordonnateurs de la sécurité des aînés, qui travaillent en collaboration directe avec les personnes âgées et leurs familles. Nous rencontrons régulièrement des intervenants qui représentent les différents secteurs et systèmes pour élargir nos connaissances, mettre en commun des ressources et trouver des stratégies pour aider les aînés et leurs familles, ainsi que renforcer les partenariats communautaires.

Chacun apporte un point de vue bien particulier. Nous constatons qu'il est avantageux d'intervenir tôt et de manière proactive auprès des aînés à risque. Nous pouvons faire un parallèle avec les résultats que nous obtenons auprès des jeunes qui nous sont renvoyés dès le début ou aux premiers stades du Programme de justice réparatrice de la Nouvelle- Écosse.

Notre organisme est devenu en grande partie ce qu'il est en échangeant des connaissances, en écoutant les partenaires dans les collectivités et en établissant des liens avec d'autres organismes à l'échelle provinciale, nationale et internationale de manière à discuter des expériences personnelles de chacun, des politiques, des pratiques exemplaires, des plans d'action, des théories et de la recherche. Ce travail de collaboration nous a permis d'aller au-delà du système de justice pénale et de voir de manière plus holistique le renforcement des collectivités. Nous avons tellement à apprendre les uns des autres, ce qui ne fait que contribuer à notre vision consistant à explorer de nouvelles façons de collaborer et à cesser de penser qu'un seul organisme peut tout faire. Lorsque nous discutons de la justice réparatrice et échangeons de l'information à ce sujet, nous nous apercevons qu'il est possible d'améliorer la collaboration et de résoudre des problèmes communautaires.

Au fil des ans, les processus de justice réparatrice ont mené à des résultats probants pour les victimes et les clients, mais ce genre de travail ne se limite pas aux dossiers de justice réparatrice. Notre approche proactive actuelle contribue à entretenir les relations que nous avons établies au fil des ans avec des particuliers, des groupes et des intervenants dans le contexte de la justice réparatrice.

Nous avons constaté un soutien accru dans la collectivité à l'égard des rencontres traditionnelles de justice réparatrice. Nos activités ont mené à des possibilités nouvelles et nombreuses de collaboration interorganisationnelle axées sur la prévention du crime.

Étant le plus petit organisme de justice réparatrice en milieu rural, nous avons réorienté nos activités. Nous ne nous attardons pas seulement aux répercussions des actes criminels sur les victimes, les délinquants et la communauté. Nous aidons des organisations et des institutions à adopter une approche axée sur la réparation. Cela ne veut pas dire que nous participons à la mise en oeuvre de toutes les activités de réparation en Nouvelle-Écosse, mais tout simplement que nous sommes plus en contact que jamais avec les intervenants de tous les secteurs. Nous pouvons mener ces activités dans le cadre d'un des objectifs du Programme de justice réparatrice de la Nouvelle-Écosse, soit le renforcement des collectivités. Merci.

Paula Marshall, gestionnaire de programme, Mi'kmaq Legal Support Network : Je suis très nerveuse, mais je vous remercie de votre présence. Bienvenue sur le territoire micmac, du peuple de l'aurore. Notre territoire inclut non seulement la Nouvelle-Écosse, mais aussi l'Île-du-Prince-Édouard, Terre-Neuve, une partie du Québec et du Maine. Je vous remercie beaucoup de m'avoir invitée également. Je peux même entendre ma voix trembler.

Je pense que c'est en partie parce que mon estimée collègue m'a dit qu'elle avait pris quelques notes. Voici ce que j'appelle quelques notes, Tanya; ce n'était pas le cas. Je veux m'assurer de pouvoir aller autant en profondeur, même si je n'ai pas d'aussi bonnes notes sur lesquelles m'appuyer.

Comme vous le savez, les peuples autochtones font face à des difficultés dans le système de justice canadien. Certaines des statistiques n'incluent pas seulement la Nouvelle-Écosse. Les accusés autochtones risquent davantage que les autres accusés de se voir refuser la mise en liberté sous caution. Je sais que je ne dispose que de 10 minutes, mais je vais vous donner un exemple.

Deux individus se sont présentés en cour. Il ne s'agissait pas de coaccusés, mais ils avaient des antécédents criminels très similaires. Ils faisaient face à des accusations semblables : nombreuses infractions, défaut de comparaître, et cetera. Lorsque le premier homme, qui fait partie du groupe majoritaire, s'est présenté devant les tribunaux, la couronne a plaidé pour qu'il soit libéré sous caution. Lorsque l'individu autochtone, qui faisait face presque exactement aux mêmes accusations, a comparu devant le juge, il s'est vu refuser la liberté sous caution. Ce genre de choses se produit également ici en Nouvelle-Écosse.

Les Autochtones passent plus de temps en détention avant le procès et cela a à voir avec le fait qu'ils ne sont pas libérés sous caution. Nous n'avons pas beaucoup de garants et de membres de la famille capables de fournir la compensation monétaire permettant à une personne de retourner dans la collectivité.

Les Autochtones risquent davantage d'être accusés d'infractions multiples. Je me souviens du cas d'une jeune femme qui était entrée par effraction dans trois maisons. En une nuit, elle est entrée dans trois maisons. Nous en avions pour six pages d'accusations contre elle; six pages pour trois introductions par effraction, ce qui est extraordinaire.

Les Autochtones risquent davantage de ne pas être représentés par un avocat pendant les procédures judiciaires. Nous nous penchons là-dessus et nous essayons d'aider à cet égard.

Les Autochtones, surtout dans les tribunaux du Nord ou même les cours satellites comme celle que nous avons à Eskasoni, ne passent pas beaucoup de temps avec leurs avocats parce que lorsque l'avocat se rend au tribunal d'Eskasoni, il y a peut-être 20 ou 30 causes dont il doit s'occuper et il n'a pas rencontré son client avant, de sorte qu'il n'a pas beaucoup de temps pour étudier la cause.

Les délinquants autochtones risquent deux fois plus d'être incarcérés que les autres. D'un point de vue démographique, dans notre province, la population micmaque est plus importante dans la région du Cap-Breton et nous avons de plus petites communautés dans la région de Yarmouth. Au centre correctionnel de Yarmouth, il y a peut-être entre 0,2 et 0,5 p. 100 d'Autochtones. Au Cap-Breton, c'est 25 p. 100. Dans notre province, même si elle est très petite, et que nous ne représentons que 3 p. 100 de la population, nous sommes tout de même surreprésentés dans le système de justice.

Il a été surtout question des pratiques réparatrices cet après-midi avec mes collègues, qui ont merveilleusement bien expliqué de quoi il s'agissait.

Le Mi'kmaq Legal Support Network est un programme de services de soutien juridique destiné aux Autochtones de la Nouvelle-Écosse qui ont des démêlés avec la justice. Nous offrons des programmes et de l'aide aux gens qui sont aux prises avec le système de justice pénale. Nous fournissons également de l'information et des ressources pour les tribunaux criminels, de sorte qu'ils sachent ce qui est offert aux Autochtones.

Nous avons plusieurs programmes que je vais mentionner brièvement. L'un d'eux est le programme de services de soutien aux victimes pour aider les victimes à cheminer dans le processus de justice pénale. Les Autochtones en Nouvelle-Écosse sont moins susceptibles de témoigner en cour parce qu'il n'incombe pas à la victime de redresser une situation dans le cadre de nos valeurs culturelles. C'est la responsabilité de la collectivité. Souvent, lorsqu'une victime appelle la police, sur le plan culturel, elle a fait ce qu'elle devait faire. Il incombe alors à la collectivité ou aux familles d'essayer de régler la situation.

De nombreuses victimes retardent le processus judiciaire car elles ne se présentent pas en cour. Ce que nous espérons faire, c'est qu'en offrant du soutien par l'entremise de notre programme de services de soutien aux victimes, nous aurons moins d'ajournements et moins d'affaires mises de côté.

Nous avons également le Programme d'assistance parajudiciaire. La majorité des renseignements que je vais vous fournir proviennent du travail sur le terrain et des expériences avec les Autochtones dans les tribunaux en Nouvelle- Écosse. Nous avons quatre conseillers parajudiciaires pour l'ensemble de la province. La province peut ne pas sembler très grande, mais comme ils ne sont que quatre, ils passent beaucoup de temps dans leur voiture.

Nous avons également un programme pour les délinquants sous responsabilité fédérale qui seront mis en liberté. La majorité des détenus autochtones dans notre province qui purgent une peine à perpétuité sont emprisonnés à vie par mensualités. Nous avons plus de délinquants qui purgent des peines de ressort provincial que des peines de ressort fédéral.

Nous avons également les rapports Gladue. Nous fournissons des rapports aux juges sur les circonstances spéciales des délinquants autochtones en Nouvelle-Écosse. Ces rapports visent généralement les délinquants qui seront en détention pendant un certain temps et qui ont besoin de plus de soutien. Un rapport Gladue est d'environ 15 à 20 pages. Il se penche sur la situation des trois dernières générations et énumère les ressources disponibles pour les juges et les communautés. Pour des condamnations de vol à l'étalage, ces ressources pourraient être de trop. Elles sont destinées aux délinquants qui purgent de lourdes peines d'emprisonnement.

L'autre programme de justice réparatrice que nous avons est le Programme de droit coutumier Mi'kmaq. Ce programme a débuté en 1995 après avoir examiné une meilleure façon de mettre en œuvre le Programme de mesures de rechange dans la Loi de 1984 sur les jeunes contrevenants. Quand nous avons commencé le projet pilote, nous avons tout de suite constaté qu'essayer d'offrir un service égal aux Autochtones n'était pas efficace car cela ne fonctionnait pas pour eux. C'est comme vouloir faire passer un chameau par le chas d'une aiguille.

Parallèlement à tout ce qui se faisait partout au Canada, et plus particulièrement en Nouvelle-Écosse, il y avait le mouvement pour la justice réparatrice. Une grande partie du travail que nous avons fait entre 1995 et 1999 a été validée par une partie du travail que le programme de justice réparatrice faisait, notamment se rendre dans d'autres pays comme la Nouvelle-Zélande et l'Australie et demander aux responsables comment leur système fonctionne puisque nous l'appliquons dans nos collectivités également. C'était une bonne chose d'avoir cette validation au moyen des recherches qui montrent que c'est un processus constructif et adapté à la culture qui pourrait être appliqué non seulement aux Autochtones, mais à n'importe quelle collectivité ou société dans de nombreuses sphères différentes, que ce soit dans le domaine des droits de la personne, de l'éducation ou de la justice. Ces travaux sont en cours.

Nous avons les cercles de justice réparatrice auxquels nous participons au sein des organismes de justice réparatrice. Nous offrons également des cercles de guérison, qui peuvent avoir une incidence ou non sur la détermination de la peine. Nous travaillons avec les tribunaux pour établir des conseils de détermination de la peine, ce qui est un autre outil pour que les juges connaissent mieux le contrevenant sur le plan personnel et la communauté dont il fait partie au moment de prononcer la peine. Nous avons également les cercles de détermination de la peine après la condamnation et les cercles de soutien aux délinquants qui réintègrent la communauté, ce qui comprend les mesures prévues à l'article 84 de la LSCMLC.

Ce sont là certains des cercles et certaines des pratiques de justice réparatrice que nous avons dans nos collectivités. Plus particulièrement, si nous regardons les retards dans le système judiciaire du point de vue de l'agence qui offre des services aux délinquants autochtones, nous tenons des discussions avec nos clients et fournissons un programme d'assistance judiciaire depuis environ 15 ans. Les Autochtones se sentent déconnectés du système judiciaire canadien. C'est un processus très sérieux, mais très différent. Il est très punitif et agressif par rapport aux processus judiciaires que nous utiliserions habituellement dans nos communautés.

Le terme en mi'kmaq pour faire amende honorable est intéressant car on demande pardon aux deux parties. Une victime ne peut pas pardonner à un délinquant à moins que le délinquant pardonne à la victime également. C'est un peu la raison pour laquelle les cercles existent aussi. En travaillant avec les Autochtones, nous avons également constaté que les gens connaissent très peu leurs droits. Ils n'ont pas eu les expériences pour comprendre les options qui s'offrent à eux dans le système de justice pénale. Ils ont fait savoir qu'ils connaissent très peu les gens qui doivent passer par le processus judiciaire, mais ils ont le plus d'influence sur le système judiciaire.

Nous avons également reconnu qu'il y a encore de la discrimination au sein du système judiciaire canadien, comme je l'ai expliqué avec le jeune homme libéré sous caution. Nous voyons également de la discrimination dans la sélection des jurés. Lorsqu'on procède à la sélection des jurés, le choix parmi les Autochtones pour le processus est très difficile. Les tribunaux criminels connaissent mal certains traumatismes qu'ont subis les Autochtones dans le passé. Ils ne comprennent pas l'incidence du colonialisme, des pensionnats, et cetera.

Les Autochtones ne bénéficient pas des services dont bénéficie la population générale. Par exemple, les services de santé mentale et de lutte contre la toxicomanie ne sont pas aussi facilement accessibles dans les collectivités des Premières Nations.

J'ai aimé ce que vous avez dit au sujet de l'engorgement des tribunaux. Nous avons un tribunal satellite à Eskasoni, la plus grande réserve mi'kmaq dans le Canada atlantique. On a essayé là-bas de surcharger les tribunaux, mais cela ne s'est pas bien passé car les gens travaillaient jusqu'à sept ou huit heures le soir. On en a fait l'essai, mais cela n'a pas fonctionné.

Il y a également des retards dans les tribunaux, ce qui entraîne de nombreux déplacements. Les gens doivent se déplacer de ville en ville. Si une situation se produit dans l'ouest de la province, les gens dans l'est de la province le savent, et ceux dans le sud de la province ont déjà commencé à en parler et à raconter leur version de l'histoire. Nous avons beaucoup de retards judiciaires et de gens qui transfèrent leurs accusations. Cela prend beaucoup de temps et entraîne plus de retards.

L'an dernier, le programme d'assistance parajudiciaire a eu 1 277 clients autochtones. Par clients, j'entends plutôt infractions. Ce n'est pas forcément 1 200 personnes différentes. C'était probablement beaucoup moins en raison des taux de récidive. C'était probablement les mêmes 400 ou 500 personnes qui ont eu des démêlés avec la justice à maintes reprises, mais 700 de ces accusations étaient systémiques. Il y a eu des défauts de comparution, des bris d'engagement et des cas de trouble de l'ordre public. L'un de nos défis est de déterminer comment traiter les accusations relatives à des infractions assez mineures mais qui prennent beaucoup de temps pour les tribunaux.

Un autre problème auquel nous nous heurtons, c'est que les clients partent pour recevoir des traitements. Cela entraîne de nombreux retards. En ce qui concerne les taux de récidive élevés dans nos collectivités, il y a des gens qui font l'objet de nouvelles accusations. Des poursuites ont été intentées contre eux à Halifax et de nouvelles accusations sont portées contre eux à Sydney, alors il leur faudra du temps pour consolider leurs accusations. Cela entraîne des retards pour les Autochtones également.

De plus, la majorité des tribunaux, à l'exception de celui d'Eskasoni, doivent se déplacer. Un grand nombre de personnes n'ont pas accès à des véhicules ou même à des téléphones de nos jours. Il leur est difficile de se présenter en cour ou de rencontrer leur avocat de l'aide juridique. L'aide juridique est un autre secteur qui cause des retards. Par exemple, au cours des deux dernières années à Eskasoni, cinq avocats de l'aide juridique différents ont été nommés. Chaque fois, ils doivent se familiariser avec l'affaire, ce qui entraîne plus d'ajournements. C'est encore plus difficile avec les avocats du secteur privé.

En tant qu'agence, nous examinons des recommandations. Nous aimerions voir et appuyer certains travaux que le juge Williams et la juge Laurie Halfpenny dans les tribunaux de la santé mentale et du mieux-être ont faits. Si nous décidons de tenir compte des facteurs systémiques et des circonstances spéciales des délinquants autochtones, nous devons envisager les façons de le faire par l'entremise du processus de justice pénale. Un tribunal de la guérison semble être la meilleure avenue.

Nous exhortons le gouvernement à travailler avec nos chefs et nos conseils de bande pour contribuer à apporter ces changements car ils ne sont peut-être pas au courant de certains de ces changements ou ne savent peut-être pas comment les appuyer.

Nous n'avons également pas assez d'outils d'éducation pour les Premières Nations concernant le système de justice. Nous aimerions également demander d'accroître ces outils pour le nombre d'Autochtones dans le système de justice.

Pour terminer, nous devrions entre autres envisager d'élaborer une formation obligatoire exhaustive pour les membres du personnel du système de justice pour les aider à comprendre l'histoire des Autochtones au Canada.

Merci infiniment. Je suis désolée d'avoir discouru un peu trop sur le sujet.

Le président : Merci. Je pense que vous avez fait le tour de la question, même si vous n'avez pas de notes. Vous avez probablement répondu aux questions de tout le monde, mais je pense que les membres en ont d'autres à poser, et nous allons commencer avec la vice-présidente du comité, la sénatrice Jaffer.

La sénatrice Jaffer : Merci à vous deux de votre présence. Vous avez tous les deux abordé de nombreux points, mais il est arrivé quelque chose de très intéressant ce matin. Lorsque nous étions au tribunal de la santé mentale, on nous a expliqué comment une personne est choisie pour comparaître devant ce tribunal. Idéalement, j'aimerais vous demander comment vous choisissez les jeunes, les personnes âgées et les Autochtones, mais je ne pense pas que j'en aurai le temps. Je vais donc vous demander d'expliquer comment vous décidez d'intégrer une personne âgée ou un Autochtone dans un programme de justice réparatrice. Nous pouvons peut-être commencer avec vous, madame Marshall.

Mme Marshall : Dans le cadre du processus officiel du Programme de justice réparatrice de la Nouvelle-Écosse, la personne doit répondre de ses actes. C'est une obligation qui s'applique à tous nos programmes. Surtout dans les cas de santé mentale et de mieux-être, les gens peuvent être réticents au début à participer à un programme où ils devront répondre de leurs actes et tenir compte de certains aspects de leur vie auxquels ils ne veulent peut-être pas renoncer.

Nos collectivités tiennent les gens responsables de leurs actes de façon à ce qu'avec peu de renseignements et d'éducation, ils seront plus enclins à accepter les services, par exemple, du tribunal de la santé mentale et du mieux-être.

Mme Bain : Nos collectivités sont de mieux en mieux outillées pour régler leurs propres problèmes. Parce que nous avons une culture de partage des connaissances, nos collectivités semblent être de mieux en mieux outillées pour résoudre certains de leurs problèmes. Le lien que nous avons en collaborant avec les personnes âgées est davantage un rôle de soutien où l'on entretient des relations qui sont importantes. Les relations sont si complexes que les conversations sont parfois difficiles lorsqu'on travaille avec les personnes âgées. Nous nous efforçons de régler certains des problèmes auxquels nous nous sommes heurtés dans le système de justice pénale avec les jeunes et de tenir des conversations difficiles avec les victimes également.

Le sénateur McIntyre : Merci à tous les deux de vos exposés.

Je crois savoir que le programme Tri-County Restorative Justice est un partenaire du ministère de la Justice de la Nouvelle-Écosse. Je crois aussi que vous êtes non seulement un partenaire, mais vous offrez également le programme de justice réparatrice dans toutes les collectivités des trois comtés de Shelburne, de Yarmouth et de Digby, n'est-ce pas?

Mme Bain : C'est exact.

Le sénateur McIntyre : Y a-t-il d'autres comtés?

Mme Bain : Nous couvrons toute la province de la Nouvelle-Écosse dans le cadre du Programme de justice réparatrice de la Nouvelle-Écosse. Toutefois, dans ma collectivité, nous avons les trois comtés de Yarmouth, de Shelburne et de Digby.

Le sénateur McIntyre : Madame Marshall, une chose est sûre. Si nous améliorons le statut des Autochtones dans le système judiciaire, je suis d'accord avec vous pour dire que nous devons collaborer avec les chefs et les conseils de bande.

Je vis dans une localité où il y a deux collectivités autochtones. Nous nous entendons très bien avec ces collectivités. Je connais le chef et de nombreux membres du conseil de bande. Il est vraiment très important de collaborer avec eux. On ne doit pas prendre des mesures sans les consulter. Comme on dit en français, ce n'est pas permis.

D'après ce que je comprends, le réseau d'aide juridique micmac fait office de système de soutien judiciaire en Nouvelle-Écosse. Vous avez offert des services par l'entremise du Programme d'assistance parajudiciaire et du Programme de droit coutumier Mi'kmaq. Comment ces programmes sont-ils administrés? Sont-ils administrés par l'entremise de la Confédération des Mi'kmaq du continent?

Mme Marshall : Non. À nos débuts, nous avons commencé en 1995 en tant que projet Island Community Justice, qui est maintenant l'un des organismes de justice réparatrice. Depuis sa création, on nous a transféré à différents organismes autochtones et, en 2010, nous sommes devenus notre propre organisation indépendante des différents organismes en Nouvelle-Écosse. Nous représentons toutes les organisations tribales et les Autochtones qui vivent dans les réserves et à l'extérieur des réserves.

Le sénateur McIntyre : Je crois savoir, de ce que vous avez dit dans votre exposé, que vous n'avez pas de système de justice micmac.

Mme Marshall : Non, nous n'en avons pas.

Le sénateur McIntyre : Mais vous avez de bons programmes et services qui visent à améliorer le système de justice non micmac pour les Autochtones dans la province. Ai-je raison?

Mme Marshall : Oui.

Le sénateur McIntyre : C'est votre but. C'est votre objectif.

Mme Marshall : Bien dit.

Le sénateur McIntyre : Merci.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Évidemment, on parle beaucoup de justice réparatrice depuis ce matin. Ce que j'ai cru comprendre, c'est que la justice réparatrice contribuera à favoriser la guérison des blessures, entre autres, pour les victimes, les délinquants et les communautés.

Dans le cadre des services offerts, madame Bain, vous l'avez mentionné, vous prêtez assistance, vous pouvez même offrir des services de médiation aux communautés. Maintenant, y a-t-il d'autres éléments, selon vous, où vous pourriez faire partie de la résolution?

[Traduction]

Mme Marshall : Est-ce dans le cadre du système de justice pénale?

[Français]

Le sénateur Dagenais : Oui, entre autres, pour faire de la justice réparatrice.

[Traduction]

Mme Marshall : Le programme de soutien juridique micmac, le programme de services de soutien juridique, le programme de soutien aux victimes, les rapports Gladue et les cercles de détermination de la peine fournissent tous des recommandations au juge sur les peines appropriées et sur les outils disponibles dans la collectivité. Ces services font partie de la solution.

Dans le cadre du programme de droit coutumier micmac, nos services ne sont pas limités aux jeunes autochtones de 12 à 17 ans. Nous offrons des services aux jeunes autochtones de 12 ans et plus. En Nouvelle-Écosse, nous avons beaucoup de jeunes autochtones de 6 à 18 ans ou 21 ans. Le nombre de jeunes est élevé alors nous pouvons nous concentrer sur ces jeunes tout en offrant des services aux adultes autochtones également.

Je pense que l'incidence la plus importante que nous avons eue, c'est d'offrir la possibilité d'appliquer l'article 718 dans les tribunaux par l'entremise des cercles de détermination de la peine et des rapports Gladue. Nous sommes maintenant en mesure de prendre en considération en Nouvelle-Écosse, même s'il y a encore place à l'amélioration, certains de ces facteurs systémiques historiques dans le cadre du système de justice canadien.

Mme Bain : À mesure qu'une approche de justice réparatrice prend de l'expansion en Nouvelle-Écosse, nous sommes, à titre plus petit organisme de justice réparatrice, invités à la table bien plus que nous ne l'aurions été en 2001, lorsque nous avons pris notre envol. Les organismes de justice réparatrice peuvent permettre aux organismes communautaires de tenir compte du point de vue relationnel et de réfléchir de manière plus intentionnelle à l'importance des relations et aux réseaux de relations reliant un éventail d'organisations, de particuliers et d'établissements.

Nous sommes ravis d'être une ressource qui, au sein de nos communautés, permet de réfléchir à la nature de la justice et à la manière dont nous pouvons mieux travailler ensemble dans tous les secteurs et dans toutes les organisations pour combler les besoins des communautés et penser de façon plus stratégique et plus intentionnelle à ce que nous pouvons accomplir ensemble. Toute une culture de partage des connaissances est devenue partie intégrante du travail que nous faisons. Nous apprenons des autres et nous nous informons au sujet des autres organismes communautaires de notre région et de leurs activités, et ces derniers apprennent qui nous sommes, ce que nous pouvons faire et comment nous pouvons mieux travailler ensemble pour améliorer l'accès à la justice.

Le sénateur Baker : Je remercie les témoins de leurs exposés instructifs.

J'aimerais éclaircir un point avec Mme Marshall. Au cours de son exposé, j'ai eu l'impression qu'un certain nombre de ceux qu'elle tente d'aider grâce au réseau d'aide juridique sont traitées injustement en ce qui concerne l'incarcération. C'est l'impression générale que j'ai eue.

Vous avez ensuite affirmé, il y a quelques instants, que vous considérez que l'alinéa 718e) du Code criminel et les principes de l'arrêt Gladue sont, de fait, appliqués. Lequel de ces énoncés est exact?

Mme Marshall : Les deux le sont, car tout dépend de la région de la province où l'on se trouve.

Le sénateur Baker : D'accord.

Mme Marshall : Nous servons la province entière, notamment la région de Port Hawkesbury, où siège la juge Laurie Halfpenny. La majorité des gens qui comparaissent devant son tribunal du mieux-être sont des Autochtones et non des citoyens ordinaires. Certains juges ne condamneront pas d'Autochtones sans un rapport Gladue.

Dans certaines régions de la province, les représentants de la Couronne ne veulent pas participer à un cercle de détermination de la peine. Dans certaines régions, nous n'avons jamais reçu de renvoi pour un tel cercle.

C'est très différent de l'époque à laquelle nous avons commencé nos activités, en 1995, alors qu'il n'y avait aucune demande en ce sens. Les tribunaux peuvent maintenant appliquer un mécanisme à cette fin, mais il y a encore beaucoup de travail à faire dans certaines régions de la province. Tout dépend des champions et des défenseurs qui s'y trouvent.

Le sénateur Baker : La loi stipule que l'incarcération constitue la solution de dernier recours pour les Autochtones.

Mme Marshall : En effet.

Le sénateur Baker : C'est exactement ce que la loi stipule au chapitre de la détermination de la peine. Considérez- vous que cette disposition soit respectée en Nouvelle-Écosse?

Mme Marshall : Par exemple, le centre de détention pour jeunes de Nouvelle-Écosse comptait 100 lits, alors qu'il n'en compte probablement plus qu'une cinquantaine. Quand nous y fournissions des services et des programmes, de 25 à 30 p. 100 des jeunes se désignaient eux-mêmes comme autochtones. Alors non, on n'envisage pas encore d'autres possibilités que l'incarcération.

Le sénateur White : Merci beaucoup.

Je vous remercie toutes les deux de témoigner. Si vous le voulez bien, madame Marshall, je vais vous demander si vous avez utilisé ou utilisez des CSR pour aider les délinquants dans la province.

Mme Marshall : Je ne suis pas certaine de savoir ce que sont les CSR.

Le sénateur White : Il s'agit des cercles de soutien pour les délinquants sexuels remis en liberté. Je pense qu'on les utilise dans la province, mais je me demande si on y recourt pour les contrevenants autochtones.

Mme Marshall : Nous utilisons des cercles de soutien. Ce ne sont pas des CSR, mais nous offrons des cercles pour aider les délinquants autochtones libérés des établissements fédéraux. Il s'agit parfois de délinquants sexuels, mais les cercles ne s'adressent pas exclusivement à ces derniers.

Le sénateur White : Nous avons entendu un exposé sur les CSR il y a un mois et demi à propos des délinquants sexuels. Ces centres cherchent à obtenir un financement continu du gouvernement fédéral. Voilà pourquoi je m'interrogeais à ce sujet.

Entreprenez-vous des démarches de réconciliation entre les victimes et les délinquants libérés afin de les faire participer à un processus de justice réparatrice? Est-ce que c'est ce que vous avez indiqué?

Mme Marshall : L'un des problèmes en Nouvelle-Écosse et dans le reste du Canada, c'est que bien des victimes autochtones ne s'inscrivent pas. C'est malheureusement une statistique relevée dans l'ensemble du pays. Cette situation est en grande partie attribuable aux valeurs culturelles voulant que cette démarche ne soit pas la responsabilité de la victime, mais de la communauté.

Notre programme de services aux victimes autochtones vise entre autres à aider les victimes à comprendre l'importance d'être inscrite à titre de victime et même de remplir les déclarations de la victime qui n'ont pas été utilisées. Nous tentons d'accroître leur capacité également en les faisant participer de façon significative. Nous ne pouvons changer le système, mais, comme vous l'avez fait remarquer, nous essayons d'apporter des changements pour améliorer l'expérience des victimes autochtones.

Le sénateur White : Merci de cette précision. J'aimerais faire brièvement le suivi sur un point. Les statistiques de la Nouvelle-Écosse sont probablement très similaires à celles des autres provinces du pays. Observez-vous une différence dans les communautés micmaques où le développement économique n'est pas optimal? Je sais que la Première Nation de Membertou connaît davantage de succès que d'autres. Observez-vous une amélioration des statistiques ou des taux de criminalité moins élevés dans les communautés qui semblent au moins jouir d'une meilleure situation économique?

Mme Marshall : Il m'est très difficile de répondre, puisque mes propos sont consignés au compte rendu. La prospérité a un coût. Nous avons souvent constaté, dans les Premières Nations de Millbrook et de Membertou, par exemple, que les communautés qui connaissent la prospérité en raison des programmes qui y sont offerts, des retombées économiques et des emplois mieux rémunérés ne sont pas préparées à leur meilleure situation économique. Certains gagnent maintenant un revenu plus élevé, mais ne possèdent toujours pas les compétences pour gérer adéquatement leur argent, et les taux de toxicomanie sont encore élevés.

Le sénateur White : Les problèmes fondamentaux demeurent les mêmes.

Mme Marshall : Oui. Il y a plus de violence et une violence plus grave dans ces communautés que dans celles qui ne sont pas aussi prospères, où les voies de fait simples sont plus nombreuses. Dans les communautés plus prospères, les accusations sont plus graves.

La sénatrice Jaffer : J'ai déjà posé cette question, mais peut-être la poserais-je de nouveau de manière différente. Qui choisissez-vous pour participer au processus de justice réparatrice? Est-ce que ce sont des personnes qui ont commis des crimes contre les biens, des actes de violence ou n'importe quel crime? Comment choisissez-vous les délinquants qui seront confiés au système de justice pénale normal et ceux qui bénéficieront du processus de justice réparatrice, en ce qui concerne particulièrement les jeunes?

Mme Bain : Je pense que c'est là une excellente question. Cette décision se prend surtout lors de la rencontre préparatoire, dont j'ai déjà parlé. C'est l'élément le plus important.

La majorité des délinquants nous sont renvoyés par la police avant le dépôt des accusations ou par la Couronne après leur dépôt. Quand nous recevons ces jeunes, nous commençons par nous asseoir avec eux pour parler non seulement de ce qui s'est passé, mais aussi des causes fondamentales. Quelle est leur situation familiale? Quelle relation ont-ils avec l'école? Avec qui se tiennent-ils dans leur temps libre? Quels sont leurs activités et leurs intérêts?

Nous en venons à poser des questions sur le rôle que leurs relations ont joué dans leur participation à l'infraction. Nous leur proposons ensuite d'assumer leurs responsabilités de manière plus significative et de rencontrer les victimes et ceux à qui ils ont porté préjudice afin de trouver des solutions plus constructives dans l'avenir. À cette étape, les jeunes dressent la liste des gens dont ils jugent qu'ils pourraient jouer un rôle important dans le processus. En outre, quand la victime participe à la rencontre préparatoire, elle a son mot à dire à cet égard. Tous ceux qui ont été touchés par l'incident donnent leur opinion quant au processus. Nous accomplissons donc beaucoup de travail à cette étape avant de réunir les personnes concernées. Le travail le plus difficile s'effectue lors de la rencontre préparatoire, quand on détermine qui sont les bonnes personnes. Ce n'est pas nous qui facilitons le processus, mais ceux qui ont été le plus touchés par le crime qui le décident.

Mme Marshall : Puis-je ajouter quelque chose?

La sénatrice Jaffer : Bien sûr.

Mme Marshall : Le processus de la Nouvelle-Écosse est très particulier. Dans le cadre des protocoles qui y ont cours, les jeunes traduits en justice ou s'exposant à des accusations doivent être considérés pour le programme de justice réparatrice de la province. La décision est prise en fonction de facteurs prescrits, notamment le fait que le jeune accepte sa responsabilité, les aspects relatifs à la sécurité publique, la volonté du jeune à participer et des facteurs discrétionnaires. C'est ainsi qu'on choisit les jeunes qui participeront au programme de justice réparatrice.

Dans le cadre des programmes que nous offrons aux termes du programme de droit coutumier, c'est la communauté qui prend les décisions quant au conseiller parajudiciaire et aux cercles de détermination de la peine, de guérison et de soutien. Nous présentons tous les jeunes qui nous sont renvoyés à nos groupes communautaires de justice et à nos chefs en conseil, à qui nous demandons s'ils acceptent la responsabilité de réintégrer le jeune dans la communauté et de l'aider à devenir un meilleur citoyen.

Le programme de justice réparatrice de la Nouvelle-Écosse comprend divers niveaux d'infraction; les affaires peuvent donc être entendues à divers points du système de justice. Dans nos cercles de détermination de la peine, nous recevons des renvois pour des accusations d'homicide involontaire, de violence grave et de fraude complexe. Ici encore, il faut que la communauté accepte la responsabilité. Si elle n'est pas disposée à l'accepter et à aider la personne concernée, cette dernière retournera à la communauté et au système de justice normal, même si elle a accepté sa responsabilité.

Le sénateur Baker : Madame Marshall, je vous ramènerai un instant à la partie de votre exposé portant sur les délais dans le cadre des procès. Si je me souviens bien, vous avez énuméré quatre ou cinq raisons pour lesquelles les procès durent si longtemps en certains cas. Pourriez-vous réfléchir un instant aux causes qui n'auraient aucun lien avec le délinquant présumé? Même dans les cas où les gens déménagent, comme vous l'avez souligné, existerait-il des solutions qui contribueraient à raccourcir la durée des procès? Vous viendrait-il des solutions que nous pourrions suggérer pour raccourcir le délai entre le dépôt de l'accusation et la détermination de la peine? Pourriez-vous penser à d'autres causes que les efforts que déploie la défense pour obtenir justice?

Mme Marshall : Je considère sérieusement que l'autonomie complète du système de justice pénale fonctionnerait. C'est l'objectif que nous visons. Aux États-Unis, certains tribunaux relèvent totalement des communautés autochtones. Nous aimerions avoir l'occasion d'appliquer quelque chose de similaire en Nouvelle-Écosse.

Je ne pense pas que nous soyons prêts. Nos communautés ne sont pas encore prêtes à exercer cette responsabilité. Mais je crois que grâce à l'éducation, aux outils adéquats et à la formation, elles pourraient assumer davantage de responsabilités dans le système de justice.

À l'heure actuelle, il conviendrait peut-être d'inciter le système judiciaire ou les tribunaux à renvoyer plus de gens aux cercles de détermination de la peine, car le traitement y est un peu plus rapide que devant les tribunaux.

Le sénateur Baker : Sans processus judiciaire, sans qu'il y ait de mise en accusation, de plaidoyer et de procès?

Mme Marshall : Cela dépend. Dans certains dossiers que nous avons traités, les procédures ont été suspendues pendant que la personne faisait l'objet d'un processus de justice communautaire. Quand le processus était terminé ou que la personne n'avait plus de responsabilités dans ce processus, elle retournait devant les tribunaux, qui pouvaient ajouter une peine ou accepter le travail accompli, comme Jennifer l'a expliqué.

Le sénateur Baker : Quelle serait la suggestion la plus importante que nous pourrions formuler dans notre rapport pour éviter les délais au cours des procès?

Mme Marshall : Il faudrait effectuer plus de renvois aux processus communautaires et avoir davantage d'occasions de travailler avec les gens pour les ternir responsables de leurs actes.

Le sénateur Baker : Nous pouvons le faire maintenant.

Mme Marshall : Effectivement.

Le sénateur McIntyre : Je parage votre avis, madame Marshall. Selon mon expérience, au bout du compte, il convient d'effectuer davantage de renvois vers les cercles de détermination de la peine et les processus communautaires. Nous devrions en venir à instaurer un système de justice autochtone. J'en parle depuis un bon bout de temps. C'est exactement la chose à faire au XXIe siècle. Merci.

Le président : Je vous remercie toutes les deux d'avoir contribué de manière très instructive et très utile à nos délibérations. Vous vous en sommes reconnaissants.

Mme Marshall : Merci.

Le président : Pour notre dernier groupe de témoins d'aujourd'hui, nous recevons Jean-Michel Blais, directeur de la Police régionale d'Halifax, qui est accompagné de l'inspecteur James Butler.

Nous devions aussi entendre Darrel Pink, directeur général de la Nova Scotia Barristers' Society, mais il ne peut témoigner pour des motifs impérieux. Je crois comprendre qu'il subit une chirurgie prévue depuis longtemps; il ne peut donc pas comparaître, mais il nous fera parvenir un document écrit expliquant son point de vue sur la question que nous étudions.

Nous recevons également Michelle Williams, directrice, IB&M Initiative, de la Schulich School of Law de l'Université Dalhousie.

Merci à tous de comparaître.

Monsieur le directeur, vous avez la parole.

Jean-Michel Blais, directeur, Police régionale d'Halifax : Merci beaucoup. Je ferai quelques observations en français, mais la plus grande partie de mon exposé s'effectuera en anglais.

Je voudrais tout d'abord vous remercier et vous souhaiter la bienvenue à Halifax, particulièrement aux sénateurs McIntyre et Baker, qui sont près de chez eux. Je suis enchanté de comparaître.

[Français]

Je suis heureux de vous adresser la parole en ma qualité de directeur de police et de policier ayant eu l'occasion de travailler dans quatre provinces canadiennes, en l'occurrence au Québec, au Manitoba, en Ontario et en Nouvelle- Écosse. Durant ma carrière active d'enquêteur, j'ai rédigé plusieurs dizaines d'autorisations judiciaires en plus de participer à la divulgation de la preuve dans un mégaprocès au Québec. J'ai également agi comme arbitre et procureur disciplinaire au sein du tribunal d'arbitrage de la GRC.

J'aimerais commencer en précisant que je ne connais pas d'autre régime procédural que celui qui est sous l'égide de la Charte canadienne des droits et libertés. En fait, en ce jour, seulement 7 policiers sur 530 au sein de la Police régionale d'Halifax œuvraient lorsque la Charte a vu le jour en 1982.

Je n'ai pas l'intention de militer en faveur de l'abrogation partielle ou totale des dispositions de la Charte qui ont une incidence importante sur le droit pénal canadien. Comme tous mes collègues policiers actuels, nous acceptons volontiers la suprématie de la Charte. Cependant, j'ai l'intention de vous brosser un tableau qui cerne trois enjeux importants concernant les délais au sein des procès criminels et des procédures criminelles dans leur ensemble qui sont assujetties à la Charte.

[Traduction]

Les trois enjeux en question sont une reconnaissance du fait que les services de maintien de l'ordre et le processus judiciaire qui les accompagne sont devenus complexes et vont continuer de le devenir de plus en plus, ce qui s'explique surtout par la mondialisation de la criminalité, la prolifération de la cybercriminalité et la perpétuation du recours aux médias sociaux pour la réalisation des activités criminelles. Cette complexité croissante fait en sorte que les services de police doivent étendre leur empreinte et mener des enquêtes sans égard aux frontières géographiques.

Comme nous le savons tous, depuis 1992, les taux de criminalité ont diminué. Avec cette diminution, nous aurions dû nous attendre à un « dividende de la réduction de la criminalité », très semblable au supposé « dividende de la paix » qui a découlé de la chute de l'Union soviétique, mais nous avons plutôt constaté que les coûts globaux des services de police ont augmenté considérablement. Parmi les principaux facteurs de cette augmentation figurent les mesures de responsabilisation et les structures de gouvernance adéquates pour nos autorités financières. Dans le cas des services de police régionaux d'Halifax, ce sont le Conseil régional et le Bureau des commissaires de la police. À cela s'ajoutent les responsabilités opérationnelles en Nouvelle-Écosse pour la Commission d'examen de la police et l'Équipe d'intervention en cas d'incident grave — l'équivalent de l'unité des enquêtes spéciales de l'Ontario en Nouvelle- Écosse —, les responsabilités déontologiques au moyen de normes d'exercice professionnel fixées par la loi, et ce qui est probablement le plus important : les responsabilités légales et constitutionnelles pour les tribunaux.

Nous savons aussi qu'en conséquence de l'évolution du droit criminel canadien et américain, on ne fait plus le procès des actes de l'accusé, mais plutôt celui de l'enquête policière; tel est le résultat direct de notre système inquisitoire.

Mon témoignage portera essentiellement sur trois principaux aspects à l'égard desquels nous estimons que les retards pourraient être atténués : les changements aux procédures, la victimisation, la déjudiciarisation.

En ce qui concerne les changements aux procédures, nous pouvons placer dans cette catégorie les défis que posent les exigences juridiques internationales, la communication de la preuve et le peu d'utilité de l'enquête préliminaire dans la structure de procès que nous connaissons aujourd'hui.

L'avènement et l'utilisation répandue des médias sociaux procurent certains avantages à la police, comme la possibilité d'obtenir des éléments particuliers relatifs à l'intention coupable et à l'acte coupable de divers crimes. Cependant, quand les renseignements sont stockés sur un serveur dans un pays étranger, nous sommes assujettis au Traité d'entraide judiciaire en matière pénale si nous voulons accéder à ces renseignements. Dans de nombreuses affaires locales très médiatisées, cela a occasionné des retards importants à la fois dans le processus d'enquête et dans le processus judiciaire.

Pendant que j'assumais mes fonctions d'agent de police, la décision la plus importante à avoir été rendue au sujet de la Charte a été celle dans l'affaire Stinchcombe. Aucune autre décision, que ce soit dans les affaires Hunter c. Southam, Askov, Collins, Feeney, ou même McNeil, ne peut se rapprocher de celle rendue dans l'affaire Stinchcombe en ce qui a trait aux difficultés supplémentaires éprouvées non seulement par la police et par la Couronne, mais aussi par tout l'appareil judiciaire, qui comprend aussi les tribunaux et la défense.

Comme je l'ai dit précédemment, je ne demande pas l'abrogation de la Charte, mais peut-être son amélioration, comme dans le cas de la divulgation proactive par la défense visant à uniformiser les règles du jeu et à éviter les retards superflus, et comme cela se fait présentement au Royaume-Uni.

Lorsque je travaillais au Québec, même dans des affaires complexes, l'enquête préliminaire était très sommaire. Elle visait à établir si les preuves étaient suffisantes pour que l'on cite un accusé à comparaître en justice. J'ai été stupéfait lorsque je suis entré en fonction au Manitoba, puis en Nouvelle-Écosse, où l'enquête préliminaire s'était transformée en procès avant la tenue du procès. Dans l'affaire R. c. Hynes, la Cour suprême du Canada décrivait cela comme étant un « mécanisme expéditif de filtrage des accusations ». La question à laquelle je vous invite à répondre aujourd'hui est la suivante : un tel mécanisme est-il encore expéditif, et est-il toujours pertinent compte tenu de l'exigence actuelle que le procureur communique toute l'information dont il dispose?

Le deuxième point est la victimisation. Le délinquant occupe la place centrale dans notre système, et pour cause, car nous souhaitons éviter les condamnations injustifiées et les acquittements erronés; dans les deux cas, ceux-ci peuvent avoir comme résultat de faire de nombreux intervenants de nouvelles victimes. Il faut néanmoins reconnaître que notre processus n'est pas vraiment tendre envers les victimes.

La victimisation secondaire est un mauvais traitement après un acte criminel ou une tragédie. Une réponse inadéquate relativement à la victimisation et le fait que les besoins des victimes ne soient pas pris en considération ajoutent à leur détresse et à celle de leur famille. Il existe deux types de victimisation secondaire : l'injustice et l'indignité.

L'injustice comprend la crainte de représailles, le manque d'information sur le processus judiciaire, le peu de cas dont la police, les tribunaux ou le système correctionnel semblent faire des victimes, les délais judiciaires, le manque de contact et de réponse de la part des intervenants voulus du système de justice pénale, la perte de revenu ou d'emploi résultant de la comparution devant un tribunal et de la préparation au procès.

L'indignité comprend l'incapacité d'assumer les dépenses funéraires pour les êtres chers décédés, un examen physique des victimes d'agression sexuelle, une enquête et un interrogatoire par la police et les allusions de blâme de la victime par la société. En outre, il y a un manque de soutien institutionnel aux victimes, qu'il s'agisse de travailleurs des services aux victimes, de mesures visant à faciliter leur témoignage, de télévisions en circuit fermé, d'écrans ou de la souplesse du calendrier judiciaire.

Le troisième et dernier point que j'aimerais soulever, c'est la question de déjudiciarisation. Nous connaissons tous les avantages de la déjudiciarisation des dossiers. On pourrait obtenir ce résultat en fournissant différentes options pour les délits mineurs et pour certaines infractions mixtes par rapport aux actes criminels. Certaines infractions mixtes se rendraient devant le tribunal, et d'autres pas. Il faudrait pour cela mettre en place un processus de contrôle rigoureux, et réserver le tribunal pénal aux infractions les plus graves et présentant les plus importantes préoccupations afférentes à la sécurité publique. En tant que policiers, nous savons que la prison a tendance à simplement renforcer les comportements criminels au lieu de réadapter les personnes. L'expérience américaine en dit long à ce sujet.

[Français]

Donc, je crois avoir brossé un tableau des points saillants que je désirais vous présenter aujourd'hui. Je serai heureux de répondre à vos questions.

[Traduction]

Michelle Williams, directrice, IB&M Initiative, Schulich School of Law, Université Dalhousie, à titre personnel : Bonjour, honorables sénateurs, et merci de m'avoir invitée à vous parler aujourd'hui. Je vais commencer par un point qui a été soulevé, me semble-t-il, par votre premier témoin, soit le juge Lesage, lorsqu'il a comparu devant vous. Il vous a recommandé d'étudier, au début de votre examen, la structure du système de justice pénale et de vous demander si elle lui permet de gérer tous les dossiers qu'il doit traiter. Il parlait là des préoccupations dont vous avez entendu parler aujourd'hui et tout au long de votre visite, à savoir des problèmes liés aux troubles de santé mentale, aux toxicomanies, aux vulnérabilités économiques, et cetera. Voilà autant de questions qui touchent les collectivités et qui seraient mieux traitées à l'extérieur du système de justice pénale. C'est d'ailleurs une opinion que la juge Williams a exprimée aujourd'hui.

À mon avis, l'élément le plus important du système de justice pénale, comme dans tout autre domaine du droit, c'est la notion de justice. En tout respect, si les gouvernements corrigent le problème des délais judiciaires en faisant fi des grandes questions de justice, alors l'injustice ne fera que gagner du terrain. Je tenais à le signaler pour que nous ne perdions pas de vue les enjeux plus vastes.

Voilà qui m'amène à l'objet de mon exposé d'aujourd'hui — un sujet qui, selon moi, crée un certain malaise lorsqu'on l'évoque dans les discussions. Il s'agit des questions liées à la race, au racisme et à la discrimination raciale dans la société en général, mais je vais aussi parler de la façon dont elles se manifestent dans le système de justice pénale et de la manière dont elles causent des retards et d'autres difficultés.

Permettez-moi de souligner brièvement que je ne parle pas ici d'intention malveillante de la part de représentants de l'État, même si cela arrive parfois. Je fais surtout allusion aux problèmes systémiques qui risquent de se présenter et qui ont été reconnus comme tels dans des rapports officiels produits au Canada, notamment par la Commission royale sur les poursuites intentées contre Donald Marshall fils en Nouvelle-Écosse, ainsi que par les tribunaux eux-mêmes, y compris la Cour suprême du Canada.

Il est important de commencer par situer les choses dans leur contexte : notre histoire en est une d'oppression, de colonialisme, d'esclavage et de ségrégation. J'aurais dû dire d'entrée de jeu que je fais également écho aux observations de Mme Marshall : en effet, nous nous trouvons sur le territoire des Mi'kmaq et nous sommes très reconnaissants de la façon dont ils ont protégé cette partie de la région.

Notre histoire, caractérisée par le colonialisme, l'esclavage et la ségrégation, sans oublier l'exploitation de pensionnats, a directement contribué aux conditions racialisées qui sévissent aujourd'hui dans nos collectivités : vulnérabilités économiques, chômage, exclusion d'une éducation valable, troubles de santé mentale et problèmes de toxicomanie. À leur tour, ces conditions peuvent entraîner une plus grande surveillance par l'État et des démêlés accrus avec le système de justice pénale en ce qui concerne les Autochtones et les Afro-Canadiens.

Plusieurs rapports révèlent que le racisme direct et systémique peut survenir à toutes les étapes du processus de justice pénale. Les divers organismes de l'ONU créés en vertu d'un traité ont reconnu les besoins et les préoccupations des peuples autochtones et, plus récemment, des Canadiens d'origine africaine dans le système de justice pénale. Ces organismes ont exhorté le Canada à remédier à la situation et ils ont demandé au gouvernement canadien, à plusieurs reprises, de lancer une enquête pour examiner la surreprésentation des Afro-Canadiens dans le système de justice pénale et en dégager les causes profondes.

Vous êtes sans doute déjà au courant des statistiques à ce sujet, mais chose certaine, au cours des 10 dernières années, nous avons observé une augmentation de 75 p. 100 du taux d'incarcération des Afro-Canadiens, parallèlement à une incarcération disproportionnée des Autochtones — et dernièrement, des femmes autochtones.

Ces tendances se manifestent surtout lorsqu'il y a une réduction globale de la criminalité. En ce qui concerne la Nouvelle-Écosse, nous avons constaté, par exemple, que le nombre de jeunes délinquants incarcérés a diminué en général, alors que le nombre de Néo-Écossais d'origine africaine incarcérés a augmenté considérablement.

Je fais remarquer que la surreprésentation peut contribuer aux retards, et ce, de diverses façons. Bien entendu, s'il y a des gens dans le système qui seraient mieux servis ailleurs, comme on en a déjà parlé, alors les efforts visant à les garder hors du système permettront de limiter les retards. Par ailleurs, si des gens se retrouvent dans le système malheureusement à la suite d'actes illégaux commis par des représentants de l'État, au nombre desquels figure le profilage racial, alors leur présence dans le système peut également causer des retards inutiles. De plus, les retards peuvent accroître ou exacerber le problème d'injustice dans le système. J'ai noté ici un exemple. Il y a plusieurs facteurs qui se recoupent dans le cas des gens qui sont incapables d'obtenir un cautionnement et tout le reste, comme Mme Marshall l'a indiqué, mais les retards pourraient exercer des pressions au point d'amener les gens à présenter des plaidoyers de culpabilité qu'ils n'auraient autrement pas acceptés. Ce faisant, ils ne pourraient pas exposer en détail certains des problèmes de justice susceptibles de survenir dans le cadre de l'affaire pour laquelle ils se trouvent devant les tribunaux.

Je vous ai remis un document universitaire détaillé sur la justice réparatrice dans le contexte des Néo-Écossais d'origine africaine. Je n'ai pas le temps de le passer en revue, mais je me contenterai de dire que, d'après les résultats de ma recherche, la justice réparatrice peut, du moins en théorie, donner lieu à un examen des causes profondes de l'injustice, notamment la discrimination raciale, et avoir des effets transformateurs sur le plan des hiérarchies raciales et des autres formes d'oppression au pays. Toutefois, la justice réparatrice peut également reproduire l'injustice raciale si elle n'est pas dotée des ressources nécessaires et si elle n'est pas appliquée selon une approche qui tient compte des questions raciales.

Il y a quelques recommandations que je serai heureuse de présenter plus tard durant la période de questions, mais je pense qu'il faut un mécanisme bien rodé qui permettra de surveiller la situation et d'éliminer tout racisme direct et systémique dans le système de justice pénale, surtout en ce qui concerne les Autochtones et les Afro-Canadiens, comme l'ont demandé les organismes de l'ONU. Pour ce faire, il faudrait notamment donner suite aux appels à l'action lancés par la Commission de vérité et réconciliation, en particulier les recommandations 25 à 42, faciliter la mise au point de systèmes de justice autochtones, comme l'ont mentionné les autres témoins, et créer des programmes de justice réparatrice adaptés à la culture qui peuvent remédier à la surreprésentation, accroître le financement de l'aide juridique et réduire le volume d'infractions administratives.

À titre d'exemple, dans les communautés africaines et mi'kmaq de la Nouvelle-Écosse, il y a certainement des gens qui se connaissent. Nos communautés sont situées dans des régions géographiques précises. Quand vous vous faites imposer une condition en apparence anodine, comme l'ordre de rester loin de telle ou telle personne, cela pourrait s'avérer très difficile à respecter si vous fréquentez la même église et si vous menez d'autres activités au sein de la communauté. Voilà donc un exemple très précis qui montre l'importance de prêter attention au caractère culturel de certaines de ces conditions.

Par ailleurs, je vous recommande d'examiner les peines minimales obligatoires et le système de libération sous caution, en plus de modifier l'article du Code qui exige un recours limité à l'incarcération afin de reconnaître expressément les Afro-Canadiens, à la lumière de leur surreprésentation et de leur histoire unique, au même titre que les Autochtones, lesquels sont mentionnés dans le même article.

Voilà ce que j'avais à dire. Merci.

Le président : Nous allons maintenant procéder aux questions en commençant par la vice-présidente du comité, la sénatrice Jaffer.

La sénatrice Jaffer : Merci à vous tous. Nous vous sommes reconnaissants de contribuer à notre étude.

Je vais commencer par vous, monsieur Blais. Vous avez entendu le témoignage de Mme Williams, et ce n'est pas la première fois que j'entends parler des problèmes dont elle a discuté. Je suis venue au Canada comme réfugiée. À mon arrivée, mon premier contact a été avec la GRC, et je n'ai jamais oublié combien les agents étaient résolus à comprendre les défis de la communauté dans ma province, la Colombie-Britannique.

Je sais que vous travaillez beaucoup sur les questions systémiques, et je me demande comment vous vous y prendriez pour régler les questions soulevées par Mme Williams. Que fait la GRC en tant que corps policier? L'existence de problèmes systémiques ne fait aucun doute. Personne ne nie cela, et ce fardeau ne repose pas entièrement sur vos épaules. Tout le monde a sa part de responsabilité, mais je me demande si vous pourriez aborder certaines des questions que Mme Williams a soulevées.

M. Blais : Volontiers. C'est plutôt pertinent. Comme vous le savez peut-être, ici, à Halifax, il y a eu récemment un crime très grave et très violent qui a causé la mort de quatre garçons néo-écossais d'origine africaine — les victimes étaient, à tous égards, de jeunes hommes. Cette histoire a engendré beaucoup de frustration au sein de la communauté et elle a suscité beaucoup de réflexions. En fait, hier, j'ai assisté à une réunion organisée par les pasteurs à Halifax afin d'examiner certaines des questions qui se posent.

Par pur hasard, ces dernières semaines, j'ai commencé à lire une décision rendue par l'arbitre Philip Gerard dans l'affaire mettant en cause le boxeur Kirk Johnson, qui, vous vous en souvenez peut-être, avait déposé une plainte relative aux droits de la personne à la suite d'un incident malheureux avec un de nos policiers au début des années 2000. Cette affaire nous a vraiment forcés à examiner de manière très rigoureuse ce qui se passe avec les questions systémiques et ce qui se produit dans le système.

La sénatrice Jaffer : Permettez-moi de vous interrompre. Il s'agit d'un enjeu énorme.

M. Blais : Oui.

La sénatrice Jaffer : Je ne l'ai pas précisé, mais c'est là mon point de vue, à la lumière de ce que nous ont dit les témoins à Ottawa. Nous avons entendu dire que ce sont les pauvres qui restent en prison parce qu'ils ne peuvent pas obtenir un cautionnement. Ce sont les plus vulnérables qui demeurent incarcérés. Plus tôt, et je ne pense pas que vous l'avez entendu, Mme Marshall a parlé des gens qui se retrouvent derrière les barreaux. Je parle donc des délais judiciaires et du racisme systémique, de mon point de vue.

M. Blais : Bien entendu, l'incapacité d'accéder à une représentation convenable pose toujours des difficultés. Je suis sûr qu'on vous a déjà dit que le nombre de plaideurs qui se représentent eux-mêmes est à la hausse. Ce n'est pas parce que les gens aiment exercer la profession d'avocat. C'est parce qu'ils sont forcés de le faire. Ils ne sont pas en mesure d'obtenir une représentation. Ce problème ne touche pas seulement les personnes démunies. Il concerne aussi les gens qui disposent d'un revenu limité ou même ceux qui font partie de la classe moyenne.

Comme vous l'avez dit, c'est une question très vaste. Dans la décision à laquelle je viens de faire allusion, l'arbitre a déclaré que la meilleure façon de régler toute la question du racisme systémique, c'est d'y travailler sans cesse.

Vous avez demandé tout à l'heure ce que nous faisons. Évidemment, à la suite de cette décision et de bien d'autres décisions découlant d'enquêtes du domaine public, nous avons effectué beaucoup de travail pour la formation en sensibilisation. Nous avons également déployé beaucoup d'efforts pour des méthodes d'embauche adéquates. Je peux affirmer que, dans le cas de la police régionale de Halifax, lorsque vient le temps de représenter les minorités visibles — je n'aime pas le dire —, nous avons en quelque sorte une surreprésentation. Cela dit, devons-nous en conclure qu'il faut freiner notre élan à cet égard? Non, pas du tout. Il y a aussi toute la question des minorités invisibles, pour ainsi dire, en ce qui a trait aux membres de la communauté LGBTQ qui viennent d'autres pays et qui, normalement, ressemblent à des Blancs ordinaires. Vous savez tous ce qu'il en est ici, à Halifax et, pour avoir travaillé ailleurs dans le monde, je trouve qu'il s'agit d'une province à prédominance blanche. Notre ville est loin d'être aussi culturellement diversifiée que Toronto, Montréal ou même Winnipeg, où je travaillais auparavant. C'est un travail qui suit son cours. Il reste encore du pain sur la planche, et il faudra redoubler d'efforts à l'avenir.

La sénatrice Jaffer : Madame Williams, merci aussi de votre présentation. Quel est le lien entre la théorie raciale critique, le féminisme racial critique et le modèle de justice réparatrice?

Mme Williams : Je vais essayer de répondre à votre question de façon succincte. Comme vous l'avez vu, j'en discute plus à fond dans mes travaux. La théorie raciale critique est une approche à l'égard de l'interprétation de la loi qui examine l'incidence, en gros, de la race non seulement sur les issues possibles dans le cadre d'un système judiciaire, mais aussi sur la structure des règles en tant que telles et la façon dont notre raisonnement juridique s'est développé au fil du temps.

La seconde partie de votre question portait sur la relation avec la justice réparatrice. Mon approche à l'égard de l'étude de ce concept a été de comprendre son incidence en pratique sur la communauté africaine de Nouvelle-Écosse ainsi que la façon dont elle peut, au plan conceptuel, rehausser ou miner l'égalité raciale. En théorie, la justice réparatrice a le potentiel d'accroître l'égalité, car elle permet l'introduction d'une solide notion de justice. Elle n'est pas prise en compte par les types d'approches punitives ou utilitaires que nous avons élaborées au fil du temps, mais elle permet une créativité accrue et une conceptualisation participative de la justice. Si nous prenons les traditions autochtones à titre d'exemple, la justice réparatrice permettrait l'intégration des traditions juridiques autochtones que notre système judiciaire n'a peut-être pas envisagées alors qu'il prenait forme au fil des ans.

La sénatrice Batters : Merci beaucoup à tous d'être venus.

Monsieur Blais, je me demandais si vous pouviez nous parler un peu de l'expérience de votre ville en ce qui concerne les accusations de conduite avec facultés affaiblies. Si j'en juge par les statistiques qu'on nous a fournies au cours des deux ou trois derniers mois d'audiences dans le cadre de notre étude sur les questions relatives aux délais dans le système de justice pénale, il s'agit d'un problème important dans le système en général au Canada, car les délais sont si nombreux. Certains de ces moyens de défense techniques pourraient expliquer en partie cette situation. La période préalable au procès est très longue, si bien que lorsqu'on multiplie le nombre d'accusations de conduite avec facultés affaiblies par le temps d'attente moyen avant le procès, ces délais semblent engorger considérablement le système. Je me demande si vous pourriez nous donner le point de vue de votre région là-dessus.

M. Blais : C'est un fléau qui touche malheureusement l'ensemble du Canada. J'ouvre une petite parenthèse : manifestement, la mesure législative imminente du gouvernement nous préoccupe surtout parce que nous tenons compte de la notion de conduite avec facultés affaiblies par la drogue.

La sénatrice Batters : Vous parlez de la légalisation de la marijuana.

M. Blais : Exactement.

La sénatrice Batters : Oui.

M. Blais : C'est aussi quelque chose de très préoccupant. Dans cette province, entre 80 et 95 personnes meurent chaque année sur les routes, parfois dans des accidents causés par des conducteurs avec facultés affaiblies. Dans bien des cas, ces décès sont simplement attribuables au défaut de porter la ceinture de sécurité.

La sénatrice Batters : Oui.

M. Blais : On pourrait régler la question. Dans cette province, un nombre presque aussi élevé de décès chaque année est attribuable à une surconsommation et à un mélange de drogues illicites, donc des opiacés en tous genres.

Je suis certain que tous les agents de police derrière moi et les intervenants du présent groupe pourraient en témoigner. Pour parler des délais dans le système de justice pénale, prenons pour exemple le début des années 1990 : il fallait jusqu'à deux ou trois heures pour traiter le cas d'un 253 — un conducteur avec facultés affaiblies. J'ai parlé récemment à un policier de première ligne qui a déjà mis huit heures à traiter un cas. La probabilité qu'un conducteur soit trouvé coupable est relativement faible elle aussi.

À cet égard, je disais hier lors d'une réunion communautaire que les policiers s'intéressent vivement au processus qui nous amène à la décision finale. Nous devons faire preuve de détachement dans le cadre du processus pénal. Il ne nous revient pas de critiquer la décision de la cour.

Je ne crois pas que nous soyons si différents des autres régions du pays qui ont du mal à gérer cette situation. Je suis certain que des organisations comme Mothers Against Drunk Drivers auraient des réponses plus touchantes à votre question.

La sénatrice Batters : D'accord. Avant la relâche parlementaire en juin dernier, alors qu'il était ministre de la Justice au sein du gouvernement conservateur, Peter MacKay a présenté un projet de loi assez étoffé visant à accroître les sanctions à certains égards contre les conducteurs avec facultés affaiblies et à limiter certains moyens de défense techniques qui expliquent en partie pourquoi la durée de ces procès est passée de deux ou trois heures à deux ou trois jours.

Je me demande simplement si vous aimeriez que le gouvernement fédéral rétablisse les dispositions qui limitent ces types de moyens de défense techniques dans les cas de conduite avec facultés affaiblies.

M. Blais : Pour être honnête avec vous, dans toute ma carrière, je n'ai intenté des poursuites ou participé à des poursuites que dans un seul cas de conduite avec facultés affaiblies.

La sénatrice Batters : D'accord.

M. Blais : Je ne connais pas la mesure législative à laquelle vous faites allusion, bien que j'en aie entendu parler. De toute évidence, ces dispositions offriraient des avantages. La chose la plus importante à retenir est que la loyauté des agents de police est envers la loi. Ils n'ont de loyauté ni à l'égard de l'organisation, ni à mon égard en tant que directeur. Ils respectent la loi et doivent accepter toute décision du législateur.

La sénatrice Batters : Bien sûr.

M. Blais : Dans la même veine, et j'ai étudié en Union soviétique, je ne voudrais pas vivre dans une société dans laquelle on présumerait automatiquement que quelqu'un est coupable en se fondant là-dessus.

Oui, si on pouvait faire les choses comme il se doit pour garantir les droits des personnes qui sont là, je pourrais y voir des avantages. Surtout à la lumière de la mesure législative sur la marijuana, cela ne semble pas nécessairement être un fait accompli, mais nous devrons finir par nous pencher sérieusement sur l'incidence que la légalisation de la marijuana aura sur nous en ce qui concerne la conduite avec facultés affaiblies.

La sénatrice Batters : D'accord, car vous craignez qu'on ne procède pas aux tests appropriés en bordure de la route et à ce type de choses.

M. Blais : C'est un facteur. Nous avons des experts en reconnaissance de drogues qui font actuellement passer des tests, mais c'est loin d'être une simple machine dans laquelle vous soufflez et qui vous indique la quantité qui a été consommée.

La sénatrice Batters : Merci. Nous vous savons gré d'être venu.

Le sénateur Baker : Je ne crois pas que je pourrais réussir certains des tests que vous faites passer aux conducteurs avec facultés affaiblies au bord de la route. Je suis incapable de me tenir sur une jambe et de sautiller en ligne droite. Voyons donc.

Je souhaite la bienvenue à M. Blais. J'ai vu le formulaire. Je l'ai passé en revue à maintes reprises dans des affaires. Vous nous avez fait une présentation remarquable concernant les délais dans les procès. Vous avez fait allusion à l'affaire Stinchcombe. Vous avez été catégorique : selon vous, elle est plus importante que l'affaire McNeil.

C'est incroyable, monsieur le président, car vous connaissez la teneur de l'affaire McNeil. Elle oblige les policiers ou quiconque participe à un procès à communiquer leur dossier disciplinaire en entier au tribunal et à la défense. Je vais y revenir dans un instant, mais en ce qui concerne la communication dans l'affaire Stinchcombe, vous avez fait une déclaration remarquable. Je crois avoir bien entendu : vous avez parlé d'une divulgation positive par la Défense. Est-ce bien ce que vous avez dit?

M. Blais : C'est exact.

Le sénateur Baker : Avez-vous entendu, monsieur le sous-commissaire de la Sûreté et de la GRC? Avez-vous entendu? C'est quelque chose dont nous avons discuté, car dans le droit civil, il y a communication complète, tandis que dans le droit pénal, il n'y a aucune obligation de communication.

Suggérez-vous que la défense soit obligée de faire la même divulgation positive des renseignements dont elle dispose avant le procès que la Couronne? J'ai intérêt à tout demander dans ma première question, car le président va m'interrompre. Voilà ce que je vous demande : pourrions-nous imposer une limite de temps sur la communication par la Couronne, ce qui obligerait alors la police à communiquer les renseignements de base dans chaque affaire pendant une période donnée avant le procès?

Pourrions-nous aussi exiger que la police communique certains renseignements de base à la défense avant la négociation de plaidoyer, c'est-à-dire les notes des agents de police, les rapports de continuation et les dénonciations? Avez-vous des dénonciations assermentées?

M. Blais : Oui.

Le sénateur Baker : C'est très important. L'autre suggestion qui a été faite est que, dans le cas des dénonciations scellées qui nécessitent une procédure devant un tribunal, on présente une demande de communication. Seriez-vous opposé à ce que nous suggérions que la Couronne communique ces renseignements de toute façon? Ces dénonciations devront être communiquées. Vous devez les communiquer et les caviarder. Tout cela serait fait avant le procès.

Nous suggérons aussi que la défense soit tenue de communiquer, avant le procès, tous les éléments de preuve qu'elle entend utiliser pendant le procès et que seuls les agents de police appelés à témoigner doivent communiquer les renseignements prévus dans la décision McNeil. À l'heure actuelle, conformément à la décision McNeil, chaque agent engagé dans une affaire doit communiquer l'ensemble de son dossier disciplinaire.

Voilà trois suggestions. Qu'en pensez-vous?

M. Blais : Je vais devoir retourner à la question de la divulgation positive par la défense. Je serai très précis sur ce point. Premièrement, ce sont les témoins que les gens ont tendance à mettre de l'avant. Ensuite, c'est le fait que l'exposé conjoint des faits peut être présenté tant par la Couronne que par la défense.

Lorsque je parle de divulgation positive, je ne veux pas dire que la défense doit communiquer absolument tout, car telle est la nature de notre système fondé sur la confrontation contrairement au système inquisitoire continental, qui est guidé et dirigé par les juges.

L'idée est que vous devez permettre à quelqu'un de préparer une défense adéquate et équitable, mais il doit exister des règles entourant les échéanciers et ce à quoi vous pouvez ou non vous attendre. Nous nous attendons à ce que, dans les six semaines suivant des mises en accusation, presque tous les renseignements aient été communiqués. Cela dit, comme il a été mentionné, nous avons eu un certain nombre d'affaires très médiatisées dans lesquelles nous avons cependant dû obtenir les renseignements de fournisseurs de services Internet des États-Unis, Google, Facebook et tout cela. Étant donné que le processus en ligne est très lent, il nous faut vraiment des mois et des mois, ce qui retarde simplement tout le système. Ce n'est la faute ni du défendeur, ni de la Couronne. Ensuite, on commence à se poser la question de savoir si la décision Askov s'applique.

La question de la décision McNeil est intéressante, la communication très positive des dossiers disciplinaires des agents de police. C'est problématique. Si je me fie à mon expérience passée au sein de la GRC et à mon expérience actuelle, la police gère très bien l'affaire et est capable de la présenter ainsi. Cela pose simplement problème dans les cas d'importantes opérations dans les affaires de trafic de drogues — un très bon exemple — ou de gangstérisme, auxquelles participent des centaines de policiers. Ces policiers doivent faire l'objet d'un examen avant de savoir qu'ils travailleront à ces enquêtes. Si quelqu'un a un dossier disciplinaire devant être communiqué conformément à la décision McNeil et susceptible de compromettre sa crédibilité, il est simplement écarté. Il pourrait s'agir du meilleur enquêteur ou du meilleur rédacteur possible.

Le sénateur Baker : Êtes-vous d'accord avec notre suggestion, par contre?

La sénatrice Jaffer : Ce n'est pas la nôtre, c'est la vôtre.

Le sénateur Baker : Oh, ce n'est pas notre suggestion. Elle veut se dissocier de moi sur ce point.

La sénatrice Jaffer : Oui.

Le sénateur Baker : Mais pas le sénateur White ou le sénateur Dagenais. Ils sont d'accord.

Êtes-vous d'accord, par contre, pour dire que nous pourrions faire en sorte que seuls les agents appelés à témoigner fassent l'objet d'un examen? Autrement dit, si vous êtes la personne qui présentez la dénonciation assermentée, vous pourriez alors être appelée à être contre-interrogée, contrairement au sous-déposant dans votre dénonciation.

Seriez-vous d'accord pour limiter l'obligation de communication prévue dans la décision McNeil aux personnes qui seront appelées comme témoins à charge dans les poursuites intentées dans l'affaire? Êtes-vous d'accord pour imposer un échéancier pour communiquer les renseignements demandés? Êtes-vous d'accord pour que la défense soit tenue de communiquer ce que vous avez dit qu'elle devrait communiquer avant le procès?

M. Blais : Si je retourne en arrière, je suis d'accord pour dire que la défense devrait communiquer les renseignements.

Le sénateur Baker : Cela écourtera les procès.

M. Blais : Oui. En ce qui concerne la décision McNeil, je ne m'inquiète pas trop du temps dont on aurait besoin. Le problème survient lorsque la défense dit vouloir entendre tout le monde. On finit par appeler tous ces agents de police à témoigner.

Le sénateur Baker : Pourquoi ne pas en limiter le nombre?

M. Blais : Cela pourrait être une restriction potentielle.

Les échéanciers sont un peu plus problématiques. Il faut penser que la communication se fait par vague et qu'elle dépend de la quantité de renseignements dont on dispose. Je suis tout à fait d'accord et je pense que c'est un principe fondamental de notre système judiciaire que lorsque la police prend connaissance de tout type de renseignements inculpatoires ou disculpatoires, le principe de la primauté du droit nous oblige à les présenter. Si nous devions fixer un délai, nous nous tirerions dans le pied malgré nous, car nous créerions des problèmes à cet égard.

Le sénateur White : Merci beaucoup à vous trois.

Madame Williams, certaines des discussions ont porté sur les systèmes de gestion de rechange des affaires pénales. J'ignore si vous connaissez la façon de traiter les cas de conduite avec facultés affaiblies en Colombie-Britannique à laquelle on a fait allusion plus tôt : on y privilégie les sanctions administratives au détriment des sanctions criminelles. Si votre taux d'alcoolémie était supérieur à 1,10, vous auriez normalement été accusé d'avoir dépassé la limite de 0,08 et auriez été tenu de suivre le processus pénal. Au lieu de cela, votre permis est révoqué pendant six mois et vous vous faites imposer une amende de 500 $. À titre de conducteur, vous pouvez appeler de cette décision si vous le souhaitez, mais vous n'êtes pas déclaré coupable d'une infraction criminelle. En fait, vous avez deux options pour interjeter appel de la décision.

En conséquence de cette décision, le nombre de procès pour conduite avec facultés affaiblies a baissé de façon dramatique en Colombie-Britannique. Je pense que chaque administration au Canada accueillerait favorablement une réduction de 70 ou 80 p. 100 du nombre de procès. Vous et moi n'abordons pas la question du même angle. Je l'aborde du point de vue du maintien de l'ordre. Voyez-vous des problèmes avec ce système du point de vue de la communauté ou d'un client?

Mme Williams : Je tiens à préciser que j'essaie d'aborder la question du point de vue le plus vaste possible.

Le sénateur White : C'est parfait. J'accepte cette réponse.

Mme Williams : Il est clair que j'aimerais voir plus d'employés afro-canadiens et autochtones à tous les échelons du système de justice pénale. Pour ce qui est d'aborder le système de justice pénale de façon créative, quel est notre but lorsque nous y faisons appel, pour en revenir, en quelque sorte, aux premiers principes? Il est clair que je serais ouverte à envisager d'autres types de sanctions si nous avons suffisamment évalué les dangers en question, s'il convient de traiter la question en contexte administratif ou s'il s'agit d'un crime véritable dont nous voulons qu'il continue à ne pas être toléré socialement. Il semble que ce processus ait été mûrement réfléchi en Colombie-Britannique. Du moment qu'il n'y a pas de question de répartition des pouvoirs et autres, puisque la conduite avec facultés affaiblies est un secteur où nous avons des chevauchements légitimes au plan constitutionnel, je pense que ce serait bien.

Le sénateur White : En passant, l'Alberta procède aussi de la même façon maintenant pour la conduite avec facultés affaiblies. Au Canada, nous avons les infractions punissables par voie de déclaration sommaire de culpabilité, les infractions punissables par mise en accusation et les infractions mixtes. Contrairement à l'Australie, où il y a des infractions à l'échelon de l'État, ici, ce serait des infractions provinciales ou fédérales. En règle générale, nous n'avons pas cette capacité.

Mme Williams : C'est exact.

Le sénateur White : Croyez-vous que ce serait une bonne idée de transférer un certain nombre de crimes qui ralentissent le système canadien à la sphère provinciale, où il y a typiquement moins de comparutions? En Ontario, un cas typique de vol à l'étalage et de voies de faits simples demande en moyenne neuf comparutions. Cela n'a pas d'importance, mais la gravité de l'infraction n'a presque aucune incidence sur le nombre de comparutions. Est-ce que cela aiderait?

Mme Williams : J'ai quelques remarques à ce sujet. Le système fédéral ne permet pas qu'une infraction que nous qualifions de criminelle soit de la compétence d'un gouvernement provincial.

Le sénateur White : En fait, c'est le cas aujourd'hui de la conduite avec facultés affaiblies en Colombie-Britannique. Cette infraction est du ressort de la province.

Mme Williams : Oui, je comprends. S'il est question de quelque chose qui a été qualifié, je sais qu'il peut y avoir un chevauchement dans le système fédéral; il y a des catégories où la province peut jouer un certain rôle pour une raison ou pour une autre. Or, dans notre système fédéraliste, les affaires criminelles sont réservées au gouvernement fédéral. À moins de modifier la Constitution, je pense que, par principe, si, en tant que fédération, nous décidons de qualifier certains gestes d'actes criminels, nous ne devrions pas les retirer de la compétence fédérale.

Cette observation me ramène à mon argument de départ au sujet des raisons pour lesquelles on veut s'attaquer aux délais. Nous voulons que le système soit efficace, mais dans quel but? Il faut toujours prendre du recul, se dire qu'on peut remanier ceci ou cela pour accélérer le processus, mais il faut se demander quel est le résultat final. Si, en prenant du recul, nous déterminons que le vol à l'étalage ne constitue plus un acte criminel puisque son incidence sur notre système est limitée, parlons-en, retirons cette infraction du code et plaçons-la peut-être ailleurs.

Nous savons que ce que nous qualifions de préjudice criminel change avec le temps. Avant, l'envoi de messages textes au volant et la conduite en état d'ébriété n'étaient pas des actes criminels, mais nous avons décidé qu'ils avaient atteint le niveau de préjudice criminel que notre société abhorre; nous les avons donc inclus dans le code. Nous devons avoir des discussions de ce genre.

Le sénateur McIntyre : Merci pour vos exposés.

Madame Williams, je vous félicite du bon travail que vous accomplissez, tant à titre d'avocate que de chercheuse. En écoutant votre exposé et en lisant vos notes, j'ai remarqué que vous aviez présenté sept recommandations aux gouvernements fédéral et provinciaux.

Vous avez déjà expliqué ces sept recommandations, mais si vous aviez à en faire une que les deux échelons du gouvernement auraient à suivre dans les 30 prochains jours, laquelle choisiriez-vous? Je sais que vous diriez les sept, mais vous devez en choisir une seule.

Mme Williams : Vous m'en donnez seulement une.

Le sénateur McIntyre : Oui, juste une.

Mme Williams : Je choisirais certainement la première.

Le sénateur McIntyre : La première, celle qui porte sur la vérité et la réconciliation.

Mme Williams : Oui, mais c'est plus vaste que cela. Les gouvernements fédéral et provinciaux respectifs doivent examiner les rapports, les décisions judiciaires et les autres documents juridiques portant sur la nature de l'injustice dans le système actuel qui existent déjà et ils doivent créer un mécanisme pour y réagir.

Le sénateur McIntyre : Monsieur Blais, croyez-vous que les agents de police utilisent pleinement leur pouvoir de libération?

M. Blais : Non, nous avons de la difficulté à cerner qui détient véritablement ce pouvoir prévu par le code. Nous avons été obligés de consacrer beaucoup de temps à la politique en question pour veiller à ce que ce soit bien fait. Je me questionne et je cherche toujours une meilleure façon et la façon optimale d'améliorer cette situation; malheureusement, je ne le sais pas.

Le sénateur McIntyre : Autrement dit, il faut plus de sommations, plus de citations à comparaître, plus de promesses de comparaître et plus d'engagements, sinon les accusés restent en prison.

M. Blais : Et ils restent dans notre établissement de détention. Nous voulons en faire sortir le plus grand nombre possible. C'est intéressant de noter que les vendredis et les samedis soirs, nous détenons en tout temps environ 45 à 50 personnes. Ce nombre peut s'élever à plus de 100, selon les délits commis. Très souvent, ce sont des infractions provinciales et de l'ébriété en lieu public.

Le sénateur McIntyre : Dans trois provinces, y compris ma province d'origine, le Nouveau-Brunswick, les procureurs de la Couronne évaluent les accusations avant qu'elles ne soient portées. Dans les autres provinces, les services de police sont responsables de porter les accusations.

Croyez-vous que l'évaluation des accusations devrait être introduite en Nouvelle-Écosse? La raison pour laquelle je vous pose la question, c'est que j'ai toujours pensé qu'il devrait y avoir une bonne collaboration entre les procureurs de la Couronne et les agents de police. Les procureurs de la Couronne ont besoin des agents de police et vice versa. Ils doivent travailler en équipe, car la Couronne porte le fardeau de la preuve; elle doit fournir une preuve hors de tout doute raisonnable. Sinon, c'est comme une maison et tout s'écroule. C'est pour cette raison que je trouve que l'évaluation des accusations est importante. Pouvez-vous me dire ce que vous en pensez?

M. Blais : C'est intéressant qu'on ait mentionné tout à l'heure le fédéralisme et les articles 91 et 92 de la Loi constitutionnelle de 1867. C'est un domaine de compétence provinciale. J'ai participé à des enquêtes dans le cadre desquelles des procureurs de la Couronne ont travaillé avec nous de très près, et d'autres où nous n'avions pas vraiment besoin d'un procureur avant qu'il ne soit temps de passer à la poursuite.

Pour répondre à votre question, je ne pense pas qu'il serait particulièrement avantageux ici d'évaluer les accusations. Toutefois, je vois l'importance absolument essentielle de la collaboration entre les agents de police et les procureurs de la Couronne pour établir la meilleure façon de procéder à l'enquête; il ne faut qu'il y ait collaboration seulement une fois que tous les renseignements ont été recueillis et les éléments de preuve classés. On procède au cas par cas.

Le sénateur McIntyre : De façon générale, les procureurs de la Couronne et les agents de police de la Nouvelle- Écosse collaborent-ils bien?

M. Blais : Oui, très bien.

Le sénateur McIntyre : Vous vous entendez bien.

M. Blais : Oui.

Le sénateur McIntyre : C'est important.

M. Blais : Oui.

Le sénateur McIntyre : C'est ce qu'il faut faire pour obtenir une déclaration de culpabilité.

M. Blais : J'aimerais juste dire que je n'essaie pas d'obtenir des déclarations de culpabilité. Comme Mme Williams l'a dit, il faut se pencher sur la question. On peut appliquer à la lettre les approches de gestion allégée Six Sigma ou Kaizen au système judiciaire, mais dans quel but?

[Français]

Le sénateur Dagenais : Merci à nos invités. Évidemment, lorsqu'on est le dernier à poser une question, il est normal qu'on aborde de nouveau les mêmes sujets.

Vous savez que le policier est le premier intervenant, que c'est lui qui mène l'enquête et que, à la suite de l'enquête, il décide d'intenter la poursuite. Il transmet le dossier au procureur de la Couronne. Par ailleurs, vous savez qu'il y a eu des mégaprocès au Québec, dont les délais ont été tellement longs et déraisonnables que les procès ont avorté. En conclusion, il faudrait déterminer si on devrait encore avoir des mégaprocès ou tout simplement permettre, à un moment donné, de séparer les accusés.

Dans le cadre du processus, parmi les solutions, devrait-on prévoir plus de procureurs? Entre autres, je sais que certains enquêteurs étaient très déçus de l'attitude du directeur des poursuites criminelles et pénales, parce qu'il y avait des retards indus. Ce qui est décevant dans le cadre des enquêtes, c'est que, souvent, les enquêteurs travaillent d'arrache-pied. Ce n'est pas nécessairement la faute des procureurs, mais ceci étant dit, les procès avortent et le travail qui a été fait tombe à plat en raison des retards indus.

Bien entendu, vous êtes au courant de la Commission Charbonneau, au Québec, qui a été très médiatisée. Il y a eu la formation de l'Unité permanente anticorruption (UPAC) et, à titre d'exemple, le maire de Laval a fait l'objet d'un procès, lequel se tiendra peut-être dans quatre ans. Dieu sait si on y prête vie pour les quatre ou cinq prochaines années. Ainsi, j'aurais envie de vous demander, comme policier, ce que vous pourriez proposer comme solution à ces délais. Notamment, ce qui fait avorter les enquêtes des policiers, ce sont les délais interminables.

De plus, on sait, sans vouloir les accuser, que les avocats de la défense font un excellent travail, parfois pour retarder les procès, demander des remises pour telle ou telle raison, proposer un autre expert, et cetera. Nous l'avons vécu dans le cas d'un certain médecin au Québec. Alors, à titre de policier, que verriez-vous comme moyen d'améliorer les délais, en collaboration avec les procureurs de la Couronne?

M. Blais : Il est intéressant, justement dans le cas de l'UPAC, de constater les problèmes qu'ils sont en train de vivre actuellement avec le procureur et de voir que le nombre de procureurs diminue de plus en plus.

Évidemment, il s'agit d'avoir des gens qui sont mieux formés, et je parle du côté policier, de sorte que les policiers comprennent le processus judiciaire. Je suis chanceux, car je suis issu du programme de droit de l'Université Laval. Au moment de rédiger mes autorisations judiciaires, j'étais en mesure de comprendre tous les rouages, toutes les nuances qui étaient liés aux dossiers. En effet, il y a la question d'augmenter le nombre de procureurs. Si vous vous souvenez, au Québec, parce que j'ai travaillé au Québec de 1987 à 2000, il s'agissait d'une période fort difficile au chapitre de la justice, dans le contexte policier, et pas seulement à cause de la criminalité. Il y avait les Rock Machine, puis les Hells Angels à Québec, et aussi à Montréal. Je parle aussi de la Commission Poitras. Vous savez de quel dossier je parle, n'est-ce pas?

Le sénateur Dagenais : Oui.

M. Blais : Donc, c'était absolument critique et important. Moi aussi, j'ai travaillé sur le dossier des frères Matticks. Ce n'était pas facile, pas du tout. On parle du crime organisé, et comme on dit en bon québécois, « et pas à peu près ». Ces gens-là sont organisés. Ils sont organisés grâce à leur capacité financière. Ils sont organisés grâce à leur influence dans presque toute la société, dans la politique, comme vous venez justement de le mentionner avec le dossier du maire de Laval, M. Vaillancourt si je ne me trompe pas, mais aussi au niveau de leur capacité de ne pas respecter les règles de l'art.

Nous, les policiers, les procureurs, y compris les juges, sommes obligés de jouer selon les règles. Donc, lorsqu'un joueur ne joue pas selon les règles, forcément, ce n'est pas une partie égale. Il s'agit d'une question de formation, de normes, et il s'agit d'attribuer des personnes à ces dossiers. Cependant, c'est aussi une question de société. C'est une question de choix.

Alors, quelles sont nos priorités au niveau municipal? Nous sommes toujours aux prises avec nos budgets. Hier, on m'a demandé pourquoi il n'y avait pas plus de policiers affectés à la prévention sociopolicière, soit la police communautaire. C'est parce que j'ai d'autres demandes, d'autres exigences au niveau de la sécurité publique, qu'il s'agisse de crimes de nature sexuelle, de l'abus d'enfants, de choses comme la vitesse au volant. Cela signifie donc que nous devons faire des choix, des choix difficiles pour les années à venir. Cela nous ramène à la question suivante : est-ce que nous aurons vraiment les moyens de nous payer un système de luxe en ce qui concerne les délais? Or, quels sont les prix que nous payons actuellement? Malheureusement, je n'ai pas de réponse comme telle. La question est tellement complexe, mais les gens cherchent toujours à avoir une réponse très simple, et je crois que ce n'est pas la bonne approche.

Le sénateur Dagenais : Merci beaucoup, monsieur Blais.

M. Blais : Je vous en prie.

[Traduction]

La sénatrice Jaffer : Je crois comprendre que vous avez maintenant une loi au sujet de circuler de manière sécuritaire en présence des véhicules d'urgence et qu'il y a eu beaucoup d'affaires judiciaires. Est-ce une infraction d'ordre civil ou criminel?

M. Blais : C'est provincial.

La sénatrice Jaffer : C'est provincial.

M. Blais : Oui, très simplement.

Le sénateur Baker : Vous dites que vous ne savez pas si vous appuyez notre proposition d'imposer une limite de temps pour la divulgation, car dans certains cas, il faut des mois et des mois pour obtenir de l'information sur un dispositif d'écoute dans un pays étranger. C'est précisément pour cette raison que les requêtes présentées en vertu de l'alinéa 10b) sont acceptées : parce que le procès ne peut pas être terminé en raison de la divulgation. Selon moi, nous ne devrions certainement pas laisser les criminels s'en tirer grâce à l'alinéa 11b) aussi souvent que nous le faisons. Vous êtes sûrement d'accord avec moi qu'en tant qu'agent de police, si vous n'avez pas les éléments de preuve, vous ne portez pas d'accusations. Ne serait-il pas préférable pour vous d'attendre d'avoir l'information avant de porter les accusations et de nous permettre d'écrire quelque part dans la loi que toute divulgation doit être faite avant le procès ou un certain nombre de jours avant la date du procès, ce qui mettrait fin aux demandes présentées en vertu de l'alinéa 11b)? Je veux dire, c'est l'un ou c'est l'autre. Je comprends votre argument au sujet des procès compliqués, mais comprenez-vous le nôtre? Nous devons mettre fin aux recours à l'alinéa 11b) et à l'élargissement de tous ces criminels. Ils ne sont pas punis.

M. Blais : Je comprends les arguments que vous présentez, mais n'oubliez pas qu'un acteur très important dans tout ce processus, c'est le public. À cause des médias sociaux, on voit de plus en plus qu'il y a le procès juridique et le procès public continu. Nous l'avons constaté récemment à Toronto avec l'affaire Ghomeshi. Nous l'avons certainement constaté avec vos collègues, mais aussi dans ma province avec l'affaire Rehtaeh Parsons. Nous devions attendre de l'information. Pourtant, des gens anonymes d'autres pays nous attaquaient et ils critiquaient notre système judiciaire en disant : « Nous avons toute l'information. » C'était faux. Voilà la réalité dans laquelle nous vivons aujourd'hui.

Cela dit, cette situation n'est pas nouvelle. Je vous renvoie à M. MacFarlane, professeur à l'Université du Manitoba et auteur d'un ouvrage très important, Convicting the Innocent. Il a examiné des affaires des années 1920 et 1930, par exemple celles du bébé Lindbergh et de Sam Shephard. À l'époque, les médias traditionnels — ce n'était même pas les médias sociaux — demandaient : « Quand Sam Shephard sera-t-il arrêté? »

La même chose s'est produite ici. Le jour même, des gens se sont présentés devant le poste de police pour demander l'arrestation des quatre jeunes hommes. On a fini par découvrir que seulement deux d'entre eux étaient vraiment présents. Puis, deux heures plus tard, des gens sont venus manifester pour défendre les quatre jeunes hommes. Que doit-on faire dans ce genre de situation? Voilà pourquoi nous devons faire très attention à la façon dont nous traitons ces questions.

Le président : Merci beaucoup d'être venus et d'avoir contribué à notre étude. Nous vous en sommes très reconnaissants.

(La séance est levée.)

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