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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule no 40 - Témoignages du 18 avril 2018


OTTAWA, le mercredi 18 avril 2018

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyée la teneur des éléments des parties 1, 2, 8, 9 et 14 du projet de loi C-45, se réunit aujourd’hui, à 17 h 13, pour étudier le projet de loi.

Le sénateur Serge Joyal (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bienvenue à notre réunion sur le projet de loi C-45, Loi concernant le cannabis et modifiant la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, le Code criminel et d’autres lois.

Tout d’abord, nous nous excusons auprès de nos témoins, qui ont dû faire preuve de patience pendant que nous étions à la Chambre pour voter.

Afin de gérer la disponibilité des témoins du deuxième groupe, dont fait partie l’Association des médecins psychiatres du Québec, et étant donné que la Dre Karine Igartua ne peut pas comparaître plus tard cet après-midi, je demanderais la collaboration des témoins qui devaient comparaître à 16 h 15, afin d’entendre d’abord la Dre Igartua. Vous pourrez ensuite livrer votre exposé.

[Français]

J’inviterais la Dre Karine J. Igartua, présidente de l’Association des médecins psychiatres du Québec, à nous présenter son point de vue sur le projet de loi C-45.

[Traduction]

Dre Karine J. Igartua, présidente, Association des médecins psychiatres du Québec : Je vous remercie de m’avoir invitée à comparaître et d’avoir accepté d’entendre l’avis des psychiatres du Québec.

Nous sommes très préoccupés par le projet de loi depuis sa présentation. En fait, tout cela a commencé lorsque nous avons mené un sondage auprès de nos membres pour connaître leur avis. La grande majorité des psychiatres de la province étaient très préoccupés au sujet des répercussions de la légalisation du cannabis sur la santé mentale.

Étant donné que je dispose de seulement cinq minutes, je soulèverai plusieurs enjeux sous forme de liste de points. Si vous souhaitez obtenir des précisions au sujet de ces points, je serai heureuse de vous les fournir pendant la période de questions.

La consommation de cannabis est répandue chez les jeunes. Le projet de légalisation alimente déjà le mythe selon lequel l’utilisation du cannabis est sécuritaire. Pourtant, sur les marchés illégaux, la teneur en THC est passée d’environ 4 p. 100 en 1995 à 12 p. 100 en 2012. Dans d’autres pays où le cannabis a été légalisé, la teneur en THC du cannabis cultivé légalement a augmenté encore plus rapidement que sur les marchés illégaux, pour atteindre jusqu’à 30 p. 100. Étant donné que le Colorado et les Pays-Bas ont observé une augmentation de la teneur en THC dans les souches de cannabis vendues sur leur territoire, ces gouvernements ont tenté de modifier leurs lois afin de limiter la teneur maximale en THC. Ils n’ont pas réussi en raison de l’importance croissante du lobby du cannabis.

La consommation de cannabis prédispose les jeunes vulnérables aux troubles psychotiques. Plus tôt les jeunes consomment, et plus la teneur en THC et la fréquence sont élevées, plus les risques de psychose sont élevés. L’utilisation prolongée accroît le risque de souffrir d’un trouble psychotique.

Le président : Je suis désolé, docteure Igartua, mais nous vous avons perdue.

Continuez de parler normalement, et nous vérifierons le volume et le son.

Dre Igartua : Puis-je déplacer le microphone?

Le président : Ne touchez à rien. Il semble fonctionner pour l’instant. Je vous demanderais de répéter votre dernière phrase, car nous ne l’avons pas entendue.

Dre Igartua : Je disais que 50 p. 100 des personnes qui font une psychose toxique, donc une psychose provoquée par le cannabis, développeront un trouble lié à la schizophrénie dans les 10 années suivantes.

Étant donné qu’une utilisation précoce du cannabis est liée à un risque accru de dépendance et de résultats scolaires moins élevés, l’Association des médecins psychiatres du Québec est très préoccupée par la légalisation du cannabis au Canada et ses membres espèrent qu’un certain nombre de mesures de protection seront mises en œuvre dans le contexte de ce projet de loi.

Tout d’abord, on devrait déployer tous les efforts nécessaires pour réduire la consommation de cannabis chez les adolescents et les jeunes adultes. Nous savons que le cerveau n’atteint pas la maturité avant l’âge de 25 ans. Le système endocannabinoïde, qui aide le cerveau à atteindre la maturité, est très actif chez les adolescents et les jeunes adultes. Il est également très sensible au THC, au cannabis et à d’autres cannabinoïdes.

L’AMPQ a recommandé que l’âge minimum pour acheter légalement du cannabis soit établi à 21 ans, et non à 18 ans. Même si les données scientifiques suggèrent d’établir cet âge minimum à 25 ans, l’âge de 21 ans est un compromis entre l’âge de la majorité du pays arbitrairement établi à 18 ans et l’âge de la maturité du cerveau, qui se situe plutôt autour de l’âge de 25 ans.

Si, pour des raisons autres que la santé mentale, les gouvernements décident de maintenir l’âge minimum à 18 ans, nous recommandons que la teneur maximale en THC soit déterminée au départ, plutôt que d’attendre de commettre les mêmes erreurs que d’autres pays.

Nous avons proposé au gouvernement québécois un maximum de 15 ou 16 p. 100 pour les personnes au cerveau mature et nous avons proposé de réduire de moitié la teneur en THC pour les personnes de moins de 21 ans, afin de la limiter à une forme plus légère de THC d’environ 8 p. 100.

Nous croyons que la méthode de distribution devrait demeurer publique, qu’elle ne devrait pas être privatisée et qu’elle ne devrait pas permettre de faire des profits, qu’elle devrait être exempte de publicité et que tout l’argent devrait être réinvesti dans les mesures de prévention et de traitement des maladies mentales.

La teneur en THC devrait être clairement indiquée sur l’emballage. L’emballage devrait être neutre et sans marque.

On devrait élaborer des documents pédagogiques pour enseigner aux adolescents les effets du cannabis, les risques potentiels et les façons de réduire ces risques lors de la consommation du produit. Nous savons qu’environ 30 p. 100 des adolescents en consomment. Nous devons leur enseigner comment réduire les risques liés à la consommation.

En fait, les membres de l’AMPQ étaient tellement préoccupés à cet égard qu’ils ont déjà élaboré des documents pédagogiques. Vous les avez peut-être vus sur notre site web. Nous avons produit une affiche à distribuer dans les écoles qui explique les effets du cannabis sur le cerveau et les risques potentiels. Nous avons également élaboré une présentation PowerPoint pour un grand nombre de nos psychiatres qui font du bénévolat dans les écoles secondaires, afin qu’ils enseignent ces choses aux jeunes, car, comme je l’ai dit, nous sommes très inquiets.

Idéalement, le programme pédagogique sur la drogue ne se contenterait pas d’enseigner les risques liés au cannabis, mais il contiendrait aussi une section sur les raisons de consommer, les stratégies de rechange pour traiter des choses comme l’anxiété, la tristesse et l’ennui que vivent les adolescents, et les stratégies pour résister à la pression exercée par les pairs. Il y aurait donc un volet axé sur la gestion des émotions.

Enfin, étant donné que les cas d’empoisonnement accidentel par le cannabis se produisent plus souvent chez les jeunes enfants avec le cannabis cultivé à domicile, et étant donné que les plants ne peuvent pas être cachés, comme l’alcool, dans un cabinet, car ils ont besoin d’être exposés au soleil pour croître, on peut concevoir que les gens qui cultivent du cannabis à domicile laisseront ces plants un peu partout à la portée des jeunes enfants.

Ainsi, nous pensons qu’il serait plus prudent que le gouvernement, au moins dans le cadre du premier projet de loi, interdise la culture du cannabis à domicile. Cela permettrait également de veiller à la qualité et à la sécurité des plants et de limiter la quantité de contaminants.

Je serais heureuse de vous parler davantage du développement du cerveau, des psychoses, de la toxicomanie et des échecs scolaires pendant la période de questions. Je m’efforce grandement de ne pas prendre une trop grande partie de votre temps, et c’est pourquoi je m’arrête ici.

Le président : Les sénateurs auront certainement l’occasion de vous poser des questions pour vous permettre de compléter votre exposé. Merci.

J’invite maintenant le témoin de l’Association du Barreau canadien, Mme Gaylene Schellenberg, qui est accompagnée de M. Paul Calarco, à prendre la parole. Bienvenue.

Gaylene Schellenberg, avocate-conseil, Association du Barreau canadien : Je vous remercie de nous avoir invités à vous communiquer l’avis de la Section du droit pénal de l’Association du Barreau canadien sur le projet de loi C-45.

L’Association du Barreau canadien est une association nationale qui regroupe 36 000 avocats, étudiants en droit, notaires et universitaires. La Section du droit pénal représente, à parts égales, des avocats de la Couronne et des avocats de la défense de partout au pays.

Un aspect important du mandat de l’ABC consiste à favoriser l’amélioration du droit et de l’administration de la justice. C’est dans le cadre de ce volet de notre mandat que nous vous parlerons aujourd’hui.

Je suis accompagnée de Paul Calarco, un membre de cette section et un avocat de la défense qui exerce ses activités à Toronto. Il présentera les grandes lignes de notre mémoire et il répondra à vos questions. Merci.

Paul J. Calarco, membre, Section du droit pénal, Association du Barreau canadien : Depuis 1978, l’Association du Barreau canadien encourage l’adoption d’une approche différente de celle traditionnellement utilisée à l’égard de la possession et de l’utilisation de la marijuana.

L’expérience a démontré que l’interdiction absolue ne fonctionne pas. Elle a plutôt mené à la distribution de cette drogue sur le marché clandestin et favorisé l’augmentation des éléments criminels et de nombreuses personnes se sont retrouvées avec un casier judiciaire préjudiciable. Entre-temps, les personnes qui avaient besoin de cette drogue pour des raisons médicales légitimes n’y avaient pas accès jusqu’à récemment, ce qui les obligeait à l’acheter sur le marché clandestin. Nous avons besoin d’un meilleur système.

En 2013, l’ABC a exhorté le gouvernement à adopter un modèle de réduction des méfaits pour la consommation de la drogue, en abordant la question sous un angle social et médical plutôt que sous un angle purement criminel. J’insiste sur le fait que cela ne signifie pas que les membres de l’ABC ne sont pas conscients des méfaits causés par l’utilisation de la drogue. En termes simples, la criminalisation généralisée n’a pas fonctionné.

Le projet de loi C-45 adopte une approche axée sur la réglementation de l’industrie pour un volet de l’utilisation et de la distribution de la drogue au Canada. C’est une initiative législative importante, mais comme dans le cas de tout changement important, il vaut mieux qu’il soit effectué correctement plutôt que rapidement.

Les membres de l’ABC considèrent que le projet de loi représente une étape positive, mais ils ont de graves préoccupations liées à cette loi. J’aimerais vous parler de quelques-unes de ces préoccupations.

Tout d’abord, le projet de loi ferait trop souvent en sorte qu’une activité légale devienne une activité criminelle grave qui entraîne des peines sévères lorsqu’en réalité, il n’y a presque aucune différence entre les deux situations. Nous vous exhortons à examiner très attentivement les exemples courants que la Section du droit pénal de l’Association du Barreau canadien et d’autres organismes ont présentés au sujet des répercussions de ces propositions sur les Canadiens ordinaires.

Deuxièmement, les peines prévues dans le projet de loi C-45 devraient être révisées. En effet, les peines proposées vont bien au-delà des peines déjà imposées dans les tribunaux de notre pays. Même lorsque de vastes exploitations de culture de marijuana ont été mises à jour, on n’a pas imposé des peines de 14 ans.

En vertu de ce projet de loi, on peut imposer une peine maximale de 14 ans et des amendes très élevées dans le cas d’une infraction criminelle, ou une peine de cinq ans moins un jour pour la simple possession. Même si les infractions font l’objet d’une procédure sommaire, les peines d’emprisonnement et les amendes sont élevées.

On n’a pas prévu d’ordonnances de sursis si la Couronne procède par voie de mise en accusation. Aucune mise en liberté n’est prévue, puisque la peine maximale est de 14 ans.

Nous suggérons que l’éventail des peines d’emprisonnement déterminées par la loi reflète les peines imposées en réalité et que des dispositions de rechange, y compris les ordonnances de sursis et les mises en liberté, soient prévues.

De plus, l’ABC recommande vivement que jusqu’à ce que la loi actuelle soit remplacée, les poursuites soient menées de manière à respecter l’esprit de la nouvelle loi, c’est-à-dire qu’il faudrait envisager de prendre des mesures autres que l’emprisonnement lorsque c’est raisonnablement possible. Nous sommes depuis longtemps contre les peines minimales obligatoires et nous suggérons d’éviter de les imposer entre-temps.

Troisièmement, le régime de contraventions prévu dans les articles 51 à 60 est très limité, car on fait référence à un maximum de 50 grammes de cannabis ou à cinq ou six plants et, en ce qui concerne la culture, à un ou deux plants au-dessus de la limite légale. Il faudrait envisager de prévoir un plus large éventail de contraventions.

Nous recommandons également d’exercer une surveillance étroite sur les pouvoirs discrétionnaires accordés à certaines autorités. En effet, les pouvoirs discrétionnaires pourraient représenter un moyen de marginaliser davantage des groupes vulnérables ou racialisés. Le projet de loi devrait être modifié pour exiger, plutôt que permettre, l’utilisation du régime de contraventions, à moins que ce soit inapproprié dans les circonstances.

Quatrièmement, les propositions ne reflètent pas les conditions sociales de nombreuses régions du pays, où des gens n’ont peut-être pas accès à des sources légales de cannabis et n’ont pas le droit d’avoir des réserves à plus long terme.

Par exemple, des dispositions criminelles établissent une limite de 30 grammes pour les adultes, de 5 grammes pour les jeunes et de 4 plants par domicile, peu importe le nombre de personnes qui y vivent. Les dispositions liées au transport sont restrictives, tout comme les interdictions liées aux plants non bourgeonnants ou aux plants à fleurs. Cela signifie que des gens qui habitent dans des milieux de vie communautaires ou dans des régions plus éloignées ou qui souhaitent simplement transporter un certain nombre de plants pour approvisionner quelques adultes consentants pourraient être visés par des peines sévères.

Les jeunes n’ont aucun moyen d’avoir accès à une source légale de cannabis. Même s’il ne fait aucun doute qu’il est souhaitable d’éduquer les jeunes et de les décourager de consommer des drogues, les expériences précédentes ont clairement démontré que certains jeunes consommeront des drogues d’une façon ou d’une autre.

Cette proposition créerait un marché clandestin au lieu de l’éliminer. Même si un jeune peut distribuer jusqu’à cinq grammes de cannabis sans sanction pénale, et en reconnaissant que les jeunes partageront cette substance entre eux, la loi ne leur donne pas accès à une source légale de marijuana.

Enfin, les règlements, qui sont une partie essentielle du nouveau régime de contrôle de la substance, n’ont pas encore été publiés. Dans le cadre de l’adoption d’un modèle de réglementation de l’industrie, l’industrie doit savoir ce qui est permis et ce qui ne l’est pas.

La transgression des règlements peut entraîner une peine d’emprisonnement de trois ans et des amendes élevées, à savoir jusqu’à 5 millions de dollars, mais le milieu ne peut pas se préparer pour les règlements à venir et le milieu doit pouvoir s’arranger pour respecter la loi.

Je serai heureux de répondre aux questions des honorables sénateurs au moment approprié.

[Français]

Le président : Je voudrais maintenant inviter, au nom du Barreau du Québec, Me Nicolas Le Grand Alary, avocat, Secrétariat de l’ordre et Affaires juridiques, Me Pascal Lévesque, président du Comité en droit criminel et Me Luc Thibaudeau, président du Comité sur la protection du consommateur.

Nicolas Le Grand Alary, avocat, Secrétariat de l’ordre et Affaires juridiques, Barreau du Québec : Monsieur le président, messieurs les membres du comité, je suis Me Nicholas Le Grand Alary, avocat au Secrétariat de l’ordre et Affaires juridiques du Barreau du Québec. Je suis accompagné de Me Pascal Lévesque, président du Comité en droit criminel, Barreau du Québec, et de Me Luc Hervé Thibaudeau, président du Comité sur la protection du consommateur, Barreau du Québec.

C’est avec beaucoup d’intérêt que le Barreau du Québec témoigne devant vous relativement au projet de loi C-45, intitulé Loi sur le cannabis. En tant qu’ordre professionnel, le Barreau du Québec (le Barreau) a pour mission la protection du public. La légalisation et l’encadrement du cannabis comprennent différents enjeux de société à la fois d’ordre juridique, de santé et de sécurité publique qui interpellent le Barreau dans l’exercice de cette mission. Ce faisant, nous vous remercions d’avoir convié le Barreau à partager avec vous sa position sur la question de la légalisation et de l’encadrement du cannabis au Canada.

De façon générale, le Barreau, et sans toutefois vouloir prendre position sur l’opportunité de légaliser le cannabis, accueille favorablement le projet de loi C-45 qui propose un régime complet et des mesures claires quant à la production, à la distribution et à la vente de cette substance. Nous tenons par contre à revenir sur quelques enjeux majeurs qui méritent d’être soulignés dans une perspective de protection du public. Pour vous parler des enjeux découlant du régime applicable aux mineurs, je cède la parole à Me Pascal Lévesque.

Pascal Lévesque, président du Comité en droit criminel, Barreau du Québec : Merci, monsieur le président. La Loi sur le cannabis criminaliserait la possession de cannabis de manière plus stricte pour les mineurs qu’elle ne le fait pour les majeurs en imposant une limite de 5 grammes et moins par un mineur par opposition aux 30 grammes et moins de cannabis permis pour les personnes de 18 ans et plus. À ce sujet, le Barreau rappelle l’importance de ne pas criminaliser les personnes mineures pour des comportements qui sont permis chez les adultes. Il faut se rappeler qu’il s’agit d’une population particulièrement vulnérable qui doit être protégée adéquatement.

À cet égard, rappelons que le système de justice pénale pour les adolescents est distinct de celui pour les adultes. Il est fondé sur le principe de culpabilité morale moins élevée et doit mettre l’accent notamment sur la réinsertion sociale et la réadaptation des jeunes. Ainsi, il faut éviter de les soumettre à des conséquences sérieuses qui peuvent suivre une condamnation criminelle.

Compte tenu de l’importance de ne pas criminaliser les jeunes pour la possession simple de cannabis en deçà de la limite permise, nous vous recommandons de décriminaliser la possession de moins de 30 grammes de cannabis chez les jeunes et de prévoir au besoin une infraction pénale provinciale pour toute possession. Donc, la limite de 5 grammes serait portée à 30 grammes. En dessous de cela, les provinces pourraient créer une infraction pénale de type non criminelle.

Mentionnons également que le régime de contravention prévu dans la Loi sur le cannabis ne s’applique pas aux personnes mineures. Ce régime prévoit que les personnes de 18 ans ou plus commettant certaines infractions peuvent être poursuivies par la remise d’une sommation.

On impose donc le processus criminel à une population qui est particulièrement vulnérable. Ainsi, nous considérons que la sensibilisation, l’éducation et la prévention sont les meilleurs moyens pour éradiquer la consommation de cannabis chez les jeunes. En effet, il ne faut pas avoir recours au système de justice criminelle pour compenser un système de prévention et d’éducation inadéquat.

Je cède maintenant la parole à Me Thibaudeau qui va vous entretenir sur les questions relatives aux normes d’étiquetage prévues dans la Loi sur le cannabis et de la vente de cannabis par les provinces.

[Traduction]

Luc Thibaudeau, président du Comité sur la protection du consommateur, Barreau du Québec : Monsieur le président et honorables sénateurs, je tenterai de présenter un point de vue différent de ceux que vous avez entendus. Je suis spécialiste en droit de la consommation et en droit de la vente au détail. Il ne s’agit pas des droits de la consommation. Comme il a été dit à l’Assemblée nationale du Québec, il s’agit d’une loi sur la protection des consommateurs.

Vous me direz que les assemblées provinciales ont compétence sur les contrats privés, et cetera, mais je vous répondrai qu’à mon avis, dans le cadre de ce projet de loi, le gouvernement fédéral a oublié des éléments importants liés à la légalisation du cannabis, c’est-à-dire la distribution du produit, la vente au détail du produit, la publicité visant le produit et l’élément le plus important, les avertissements liés au produit.

Je suis d’accord avec les scientifiques, les médecins et les avocats en droit pénal qui ont comparu devant vous et qui ont laissé entendre au gouvernement qu’il est important d’informer la société sur les dangers que le cannabis peut causer pour la santé.

Vous me direz qu’il est possible de diffuser de tels avertissements par l’entremise de règlements. Les membres du Barreau du Québec croient que le gouvernement doit être plus sévère que cela. Il doit prévoir des normes dans la loi qui informent les membres de la société sur les dangers liés à l’utilisation de la marijuana pour simplement éviter, par exemple, de se retrouver, dans 10 ans, face à un recours collectif qui affirme que le gouvernement aurait dû avertir les gens et qu’il est maintenant responsable, et qu’il fait l’objet de poursuites judiciaires qui lui réclament des centaines de millions de dollars.

Enfin, la loi sur le cannabis reconnaît le pouvoir des provinces et des territoires d’autoriser et de superviser la distribution et la vente de cannabis lorsque les conditions minimales fédérales énumérées dans une liste sont respectées.

Encore une fois, cette liste n’est pas exhaustive. Nous croyons que le gouvernement devrait profiter de cette occasion qui lui est offerte en vertu de son pouvoir prévu à l’article 91.2 de la Loi constitutionnelle pour réglementer le commerce et pour établir des normes minimales strictes et sévères relatives à la vente et à la distribution de la marijuana qui s’appliqueront dans toutes les provinces. Merci beaucoup.

Michael Bryant, directeur exécutif et avocat général, Association canadienne des libertés civiles : Les membres de l’Association canadienne des libertés civiles sont d’avis que ce projet de loi légalise effectivement l’industrie, mais qu’il recriminalise l’utilisation du cannabis chez les consommateurs.

En effet, le projet de loi est un champ de mines d’infractions criminelles pour les Canadiens ordinaires. Trente grammes, peu importe la situation, dans un endroit public représentent un crime. Cinq grammes, peu importe la situation, pour les jeunes représentent un crime. Le jeune de 18 ans qui passe un joint à un autre jeune de 17 ans commet une infraction criminelle passible d’une peine d’emprisonnement de 14 ans. Cinq plants représentent une infraction criminelle. Un plant de 101 centimètres est une infraction criminelle.

Ce qui nous préoccupe, c’est que les gens pensent qu’on légalise cette substance alors qu’en réalité, il en est tout autrement. Les pouvoirs de perquisition et de saisie de ce projet de loi sont très troublants, pour un produit légal. La police a le pouvoir d’entrer dans des lieux en cas de situation d’urgence. Aucune situation d’urgence ne justifie de défoncer une porte au beau milieu de la nuit pour possession d’orchidées et encore moins de Smirnoff, alors il doit bien y avoir quelque chose de criminel par rapport à ce produit. En fin de compte, c’est le grand problème tautologique de cette loi.

Les pouvoirs de confiscation sont les mêmes que ceux qui sont prévus dans les mesures législatives visant la lutte contre le blanchiment d’argent et le terrorisme. Si vous croyez que c’est un produit légal, détrompez-vous, car on peut se demander si les exploitations ayant un plant de trop risquent la saisie de leur propriété entière par la Couronne, ainsi que de l’équipement agricole connexe.

Quand le Centre de toxicomanie et de santé mentale s’est prononcé en faveur de la légalisation, il a contribué à hausser nettement la crédibilité de cette politique qui sera la signature du gouvernement actuel. Dans son rapport, il a indiqué très clairement que ce qu’il fallait, c’était une réglementation axée sur la santé. Ce que nous avons est obsédé par le crime, plutôt que d’être axé sur la santé.

Je comprends que c’est le résultat que vous obtenez quand vous demandez au ministère de la Justice de prendre un projet de loi en main. Je suis fier de dire que j’ai été le 35e procureur général de l’Ontario, et je connais très bien les grandes forces des ministères de la Justice. La gestion de grands projets et la réglementation axée sur la santé n’en font pas partie. Les possibilités économiques que bien des gens applaudissent existent peut-être pour certaines personnes, mais pas pour le demi-million de Canadiens qui ont aujourd’hui un dossier criminel à cause d’une accusation pour possession simple de cannabis.

Nous savons, grâce à la Société John Howard et à son rapport de cette année intitulé The Invisible Burden, qu’un dossier criminel est un empêchement permanent d’avoir un emploi ailleurs que dans l’économie fondée sur des emplois à faibles salaires. Même là, bon nombre de mes anciens clients, à l’époque où j’étais avocat de la défense, ne peuvent décrocher d’emploi à cause de leur dossier criminel.

Je serai ravi de répondre aux questions, mais je précise que les dispositions particulièrement problématiques, du point de vue de l’ACLC, sont celles qui portent sur la perquisition et la saisie, ainsi que la confiscation. Je trouve particulièrement préoccupant que les agents de police qui perçoivent l’odeur du cannabis sur quelqu’un aient alors des motifs raisonnables et probables de procéder à une arrestation et à une fouille.

De tels pouvoirs arbitraires donnent lieu à des pratiques comme le fichage en fonction de la race. Les communautés raciales, les collectivités pauvres, les toxicomanes et les personnes qui vivent dans la rue ou près de la rue finissent par être traités différemment de tous les autres. Ce que vous obtenez, c’est la criminalisation d’une culture.

C’était censé être la légalisation d’une culture. En fin de compte, c’est la légalisation d’une industrie. Ce sont de bonnes nouvelles pour les actionnaires, mais pas tant pour les consommateurs. Ce que nous conseillons aux gens, c’est d’attendre que les règlements soient promulgués, que les provinces aient adopté toutes leurs lois et que les règlements aient été pris, car vous ne voudrez pas vous retrouver à commettre un crime sans le vouloir.

Le président : Merci beaucoup, monsieur Bryant.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Ma première question s’adresse à la Dre Igartua. Selon les informations que nous avons entendues de comités et de groupes de médecins qui ont témoigné ici où ailleurs, il y a des médecins qui soutiennent la consommation de cannabis, y compris par des enfants, parce que ce produit, semble-t-il, à leur avis, apporte un soulagement à des douleurs qui sont par ailleurs difficiles à contrôler avec d’autres produits. Ma question est la suivante : à votre connaissance, à l’intérieur de votre association, est-ce qu’il y a des médecins psychiatres qui fournissent un document médical, comme l’indique la loi — on comprend qu’ils n’ont pas le droit de prescrire le cannabis, car ce n’est pas un médicament —, à des patients pour soulager des problèmes de santé mentale ou autre?

Dre Igartua : Il y a deux choses à distinguer : la douleur physique et la douleur psychique. Pour ce qui est de la douleur physique, il y a des données selon lesquelles le cannabis à haute teneur en CBD peut être utile pour réduire la douleur physique. En ce qui a trait à la douleur psychique, il n’y a pas vraiment de bonnes études qui permettent de déterminer que le cannabis est utile en psychiatrie ou pour traiter les troubles mentaux. À ma connaissance, aucun de mes collègues ne prescrit cela spécifiquement pour les troubles mentaux. Dans les cliniques de la douleur, il y a des gens qui vont cautionner du cannabis à haute teneur en CBD.

C’est pour cela que, lorsqu’on parle d’imposer une teneur maximale, on parle de THC pour l’instant, parce que le THC est l’élément qui va provoquer les psychoses, qui va faire en sorte que la schizophrénie va se déclencher 2,7 années plus tôt chez les gens qui consomment. C’est le THC qui va faire en sorte que le pronostic va être pire. Il y a certaines études qui commencent à montrer que le CBD serait antipsychotique, donc qu’il pourrait être potentiellement utile, mais on est loin d’avoir des types de cannabis à zéro en THC et élevés en CBD. Cela pourrait être le cas à l’avenir. Pour l’instant, du point de vue de la santé mentale, on s’inquiète vraiment de la concentration en THC, particulièrement chez les jeunes dont le cerveau est encore en développement.

La sénatrice Dupuis : Merci. J’aurais une question à poser à Me Thibaudeau. Est-ce que je comprends bien la position du Barreau selon laquelle vous estimez que les normes concernant la distribution, la publicité, l’emballage, et cetera, devraient être précisées dans la législation fédérale et non pas être laissées dans la réglementation éventuelle, ou même dans de futures réglementations provinciales?

M. Thibaudeau : C’est exact.

Le sénateur Boisvenu : Ma question s’adresse à Dre Igartua. Je vous remercie et vous félicite pour le travail que l’Association des médecins psychiatres a fait au Québec dans l’analyse de ces deux projets de loi. Cela a été un travail de recherche très sérieux.

Ma question est liée à l’âge de la consommation du cannabis. Je sais que votre association avait demandé que l’âge soit fixé plutôt autour de 21 ans ou de 25 ans, à la limite, alors que le projet de loi prévoit 18 ans. Il y a aussi un autre élément du projet de loi qui m’inquiète personnellement comme parent et grand-père, et c’est la possibilité que des enfants de 12 ans puissent posséder une certaine quantité de marijuana. Si on adopte une loi où la consommation sera fixée à 18 ans et qu’on permet à des enfants de posséder une certaine quantité de marijuana, quelles sont, selon vous, les conséquences à long terme si l’on maintient ces deux éléments dans le projet de loi?

Dre Igartua : Ce qu’il faut limiter, c’est la consommation par les jeunes. Si l’on maintient ces choses-là dans le projet de loi, ce qu’on est en train de donner comme message à la population, c’est que c’est acceptable pour les adolescents. Cela peut être acceptable pour certains adolescents, mais le problème, c’est que c’est jouer à la roulette russe, parce qu’on ne sait pas chez quels adolescents même un seul joint pourrait déclencher une psychose. D’autres vont pouvoir fumer tous les jours pendant deux ou trois ans avant d’avoir des symptômes de paranoïa, d’hallucinations, et cetera. Chez certaines personnes, ce sera un joint qui déclenchera tout cela.

Malheureusement, la science n’est pas à un point où nous pouvons affirmer que pour telle personne, c’est dangereux, et que pour une autre, ce ne l’est pas. Quand on donne le message que c’est acceptable pour un enfant de 12 ans d’avoir du cannabis, on est en train de dire aux jeunes que ce n’est pas dangereux. Nous l’entendons déjà dire en clinique : le gouvernement va légaliser le cannabis, mais il ne le légaliserait pas si c’était dangereux. On entend déjà ce message, et la légalisation n’est pas encore adoptée. D’ailleurs, en clinique, quand je demande à un patient s’il consomme de l’alcool ou des drogues, je suis obligée de lui demander aussi s’il fume du pot, parce que je considère plutôt le cannabis comme étant une drogue.

Je pense qu’il faut faire attention et véhiculer le message suivant : « Cela peut être dangereux, cela va affecter votre motivation, vos capacités cognitives à l’école, et la façon dont la structure de votre cerveau va se développer pendant l’adolescence et comme jeune adulte. » Si on ne passe pas ces messages, il risque d’y avoir une augmentation de l’utilisation du cannabis et de tous les troubles mentaux qui y sont associés.

Pour ce qui est de la question de la criminalisation, je pense qu’il faut mettre l’accent sur la criminalisation de la vente beaucoup plus que sur la possession, parce que, même si je ne suis pas avocate, je vois un peu cela comme la question de la prostitution. On criminalise celui qui incite à la consommation du produit. Dans ce cas-ci, c’est l’inverse, on criminalise la vente et non la possession. C’est ma façon de le voir.

Le sénateur Boisvenu : Merci beaucoup.

La sénatrice Eaton : Je m’adresse ici aux avocats.

[Traduction]

La partie 2 du projet de loi décrit le système des contraventions. On y dit que la condamnation sera inscrite au dossier judiciaire de l’accusé. On y dit aussi que le dossier sera classé à part des autres dossiers judiciaires et qu’il ne devra pas être utilisé d’une manière qui permettrait de révéler que l’accusé visé par le dossier a fait l’objet de mesures prises sous le régime de la présente loi.

Je ne connais pas les incidences pour les personnes qui se font poser des questions au moment de franchir la frontière. Je ne sais pas qui aura accès à ce dossier qualifié de judiciaire.

Vous êtes les juristes. Qu’est-ce que les gens doivent faire quand ils veulent franchir la frontière et que les agents des douanes leur posent des questions? Quels genres de mesures de protection aurons-nous?

[Français]

M. Lévesque : On pense évidemment qu’il faut atténuer le plus possible les conséquences pour ces personnes. C’est l’une des préoccupations du Barreau. Qu’arrive-t-il avec ce dossier-là? Qu’est-ce qu’on en fait? Qui s’en charge? Qui le transfère? Que ce soit dans la loi ou dans la réglementation, il faut prévoir un système de sécurité afin d’éviter que des gens obtiennent des informations qui ne les concernent pas, pour ne pas porter préjudice aux personnes en question. L’esprit de cette disposition vise les infractions qui sont criminelles, mais qui sont moins graves, objectivement. Il faut avoir un système non judiciarisé. On était préoccupé d’avoir un dossier à part. Je suis d’accord avec vous. Cela peut bloquer quelqu’un qui veut traverser la frontière.

La sénatrice Eaton : Si je traverse la frontière et qu’on me demande si je fume de la marijuana, et que je leur réponds que j’en fume chez moi, à Toronto, mais que je n’en ai pas sur moi, je crois qu’ils peuvent m’arrêter. Si je leur réponds que je ne fume pas, je mens.

M. Lévesque : Le principe, c’est qu’à un douanier, vous devez dire la vérité. C’est à la discrétion du douanier. Ce n’est pas recommandé. Je vais dire à tout le monde de ne pas mentir à un douanier. Cela dit, que faire pour éviter cette situation inconfortable, où un douanier américain vous dit que si vous consommez de la marijuana, vous n’avez pas le droit d’entrer? Il faudrait dire au consommateur, ne serait-ce que dans la réglementation, les politiques et les directives, ce qu’il a le droit de dire ou de ne pas dire lorsqu’il arrive à la frontière américaine. Il faudrait aussi prévoir une entente entre le Canada et les États-Unis sur les questions qui peuvent être posées.

La sénatrice Eaton : Merci.

Le sénateur Gold : Je vais surtout poser mes questions aux avocats. Plusieurs ont souligné l’importance de ne pas criminaliser les actes des jeunes. En même temps, il faut décider à partir de quel âge cela constitue un acte criminel. Si j’ai bien compris, les représentants du Barreau du Québec ont recommandé que la possession de 30 grammes ne soit pas considérée comme un acte criminel pour les jeunes. Je vous invite à nous faire part de vos commentaires, y compris M. Bryant.

[Traduction]

Comment pourriez-vous réduire les effets sur les jeunes de l’exposition au système de justice pénale sans nécessairement encourager, valider ou légitimer leur consommation de cette substance?

M. Bryant : La réponse courte serait d’adopter la même approche stratégique que pour la dénormalisation du tabac. Les gouvernements fédéral et provinciaux se sont montrés d’une très grande efficacité dans la dénormalisation du tabac et la réduction de sa consommation chez les jeunes, et ce, sans criminalisation. Aucune intervention du système de justice pénale n’a été prévue. On a plutôt misé sur la publicité, les affaires des consommateurs et la distribution. Le droit pénal n’a jamais été invoqué.

Le droit pénal est manifestement l’outil le plus strict que nous ayons au Canada, pour l’atteinte des objectifs de la politique publique. La perspective des sciences sociales est claire sur la question de la dissuasion. Cela ne fonctionne pas. Ce n’est pas la dissuasion ou la criminalisation qui va fonctionner, d’après moi. Ce qui fonctionnerait, c’est une approche correspondant à celle de la dénormalisation.

M. Calarco : Il est absolument essentiel d’éduquer les jeunes sur les dangers liés à la consommation de drogues et en même temps leur montrer que ce n’est pas si socialement acceptable, de la même façon que nous l’avons fait avec le tabac, comme le dit M. Bryant, et avec la conduite en état d’ébriété. Nous avons vu d’énormes changements d’attitude par rapport à cela. Il faut que cela soit démontré très clairement aux jeunes et à la société en général, si nous voulons avoir du succès sur ce plan.

En ce qui concerne les quantités différentes de drogue pour les jeunes et pour les adultes, l’Association du Barreau canadien n’a pas adopté de position officielle à ce sujet. Cependant, d’après moi, elle est vraisemblablement très ouverte à l’idée que le Parlement adopte des niveaux différents, étant donné les différences entre le système de justice pour les jeunes et le système de justice pour les adultes. Les objectifs sont différents, pour les jeunes et pour les adultes. C’est une chose dont nous devons tenir compte aussi.

Le sénateur Gold : Vous ne souscririez pas nécessairement à la recommandation du Barreau du Québec.

M. Calarco : Nous n’avons pas pris position à ce sujet, mais je dis simplement que le Barreau serait vraisemblablement ouvert à cela si le Parlement maintenait cette différence, en guise de mesure légale et constitutionnelle. Le traitement des jeunes est très différent. Le système de justice pour les jeunes prévoit une variété de sanctions ou d’avantages que les adultes n’ont pas.

La sénatrice Jaffer : J’ai une question, mais je veux dire avant cela que l’énorme volet d’éducation a été l’un des facteurs, concernant la conduite en état d’ébriété. L’une de nos préoccupations, d’après ce que je comprends, c’est que la sensibilisation ne commencera qu’un an après l’adoption du projet de loi. Le succès relatif à la conduite en état d’ébriété est attribuable au très important volet éducatif, mais ma question ne porte pas là-dessus.

Dans le mémoire de l’Association du Barreau canadien, vous parlez du régime de contraventions et de la façon dont cela atténue la stigmatisation des personnes pour la possession de faibles quantités de cannabis, parce que les personnes ne peuvent pas être identifiées. Est-ce que cela devrait s’appliquer aussi aux jeunes?

Je vais vous poser une autre question, monsieur Lévesque, parce que vous avez parlé de cela. Quelque chose me dérange, dans ce projet de loi. Je sais qu’en vertu de la Loi sur les jeunes contrevenants, il y a d’autres façons de traiter les jeunes. Je trouve injuste que des personnes très habiles puissent aller contester sur le fondement de la Charte le traitement différent dont les jeunes sont l’objet. Il n’y a pas de stigmatisation en cas de doute, et pas de contraventions pour un jeune.

Je pourrais donner d’autres exemples, mais j’aimerais entendre les commentaires de tous à ce sujet. Je commencerais peut-être par vous, monsieur Lévesque.

M. Lévesque : Je suis content que vous posiez cette question, sénatrice Jaffer. L’article 5 du projet de loi dit que la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents s’applique à l’égard des contraventions aux dispositions de la présente loi, mais ce que cela comporte n’est pas parfaitement clair.

Est-ce que cela signifie que les contraventions s’appliqueraient ou non? Est-ce que cela signifie que les mesures extrajudiciaires s’appliqueraient à la possession de plus de 5 grammes, mais de moins de 30 grammes? Nous croyons que la meilleure approche serait de parler d’un maximum de 30 grammes. Cela reste mauvais. C’est mauvais pour votre santé. Ce n’est pas illégal, mais en cas d’infraction à la loi, nous ne voulons pas stigmatiser les jeunes contrevenants.

Cela étant dit, je comprends que notre étude du projet de loi est très avancée. La limite qui se situe entre 5 grammes et 30 grammes est peut-être déjà gravée dans la pierre, si je puis m’exprimer ainsi. La solution de rechange que le barreau pourrait trouver acceptable serait qu’on envisage, pendant l’étude article par article, si l’article ne peut être retiré, d’ajouter un article 5.1 qui dirait, selon le texte que j’ai ici : « Il est entendu que la présente loi n’a pas pour effet de limiter l’application de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, notamment le recours à des avertissements, des mises en garde, des renvois ou des mesures extrajudiciaires. »

Cela dit à tous les intervenants, premièrement, que l’agent de police communautaire aurait cela à l’esprit et qu’avant d’opter pour la criminalisation et la stigmatisation, il appliquerait les principes, la portée et l’objectif de la LSJPA.

M. Calarco : Je crois qu’il faut qu’on reconnaisse dans une certaine mesure que si un jeune est traité conformément à la LSJPA, les objectifs sont différents. Si les dispositions relatives aux contraventions s’appliquaient aux jeunes, cela permettrait à un jeune de cacher bien des choses à sa famille. Entre autres, la LSJPA prévoit que quand un jeune est accusé, un avis est transmis au parent. Pourquoi ce jeune s’est-il mis dans le pétrin? Incluons la famille dans cela. C’est peut-être une raison très valable pour expliquer que les contraventions ne seraient pas appropriées. C’est un facteur.

Pour ce qui est de la contestation fondée sur la Charte, je ne suis pas tout à fait convaincu que le traitement différent des jeunes pourrait en faire l’objet dans les circonstances. La Cour suprême a déjà maintenu un traitement différent pour les jeunes, et des mesures et programmes de rechange différents à l’échelle du pays. Rapidement comme cela, je ne crois pas qu’une contestation fondée sur la Charte aurait du succès dans ce domaine.

La sénatrice Batters : Docteure Igartua, j’aimerais que vous nous fournissiez des copies de l’affiche et du document PowerPoint que vous avez mentionnés dans votre exposé. Cela serait utile au comité.

Dre Igartua : Absolument.

La sénatrice Batters : Vous êtes psychiatre, n’est-ce pas?

Dre Igartua : En effet.

La sénatrice Batters : Votre association est un groupe de psychiatres au Québec.

Dre Igartua : En fait, elle représente 1 150 psychiatres. Environ 97 p. 100 des psychiatres qui pratiquent au Québec font partie de notre association.

La sénatrice Batters : Je vous remercie du travail que vous faites jour après jour pour aider les personnes qui ont des problèmes de santé mentale dans votre province. Je veux vous donner le temps additionnel que vous avez demandé pendant votre brève déclaration liminaire pour que vous puissiez nous en dire plus sur les effets du cannabis sur le développement du cerveau, les psychoses et la dépendance, et si vous le pouvez, pour que vous nous expliquiez un peu mieux pourquoi vous croyez qu’il serait préférable de fixer l’âge minimum à 21 ans plutôt qu’à 18 ans.

Dre Igartua : Diverses études ont porté sur la façon dont le cannabis affecte le cerveau, sur les plans fonctionnel et structurel. Certaines de ces études n’ont pas été reproduites, ce qui fait que la science n’est pas encore très avancée concernant l’aspect structurel.

Ce que nous avons constaté dans certaines études, c’est la réduction du volume des différentes régions du cerveau et des changements dans la substance blanche. Il y a la substance blanche et la substance grise, ou matière grise. La substance blanche est la partie du cerveau qui est myélinisée. C’est la raison pour laquelle elle est blanche. Il y a des changements dans la façon dont elle est structurée.

On croit que cela se produit parce que le cerveau de l’adolescent et du jeune adulte est en voie de maturité. Pendant cette étape, il se produit ce que nous appelons l’élagage. Chez le très jeune enfant, les connexions entre neurones sont vraiment très nombreuses. Au fur et à mesure qu’il se développe et fait l’expérience de la vie, il se fait un élagage des connexions entre neurones qui ne sont pas utilisées. C’est comme nous le faisons pour un arbre qui a trop de branches.

C’est la raison pour laquelle il est très facile d’apprendre plusieurs langues quand on est jeune. En vieillissant, si vous n’utilisez jamais ces compétences linguistiques, vous les perdez. C’est la raison pour laquelle vous pouvez apprendre une deuxième langue, mais que vous aurez toujours un accent. La plasticité du cerveau est telle que vous avez perdu certaines de ces connexions.

L’élagage est aussi une façon d’améliorer l’efficacité du cerveau. Ce qui se produit, à l’adolescence, c’est que vos lobes frontaux gagnent en efficacité. Le lobe frontal est la région où se situe ce qu’on appelle les fonctions exécutives. C’est la capacité de planifier, de prévoir les conséquences de vos actes et de contrôler votre propre impulsivité. C’est aussi la raison pour laquelle ceux d’entre nous qui sont parents d’adolescents pensent que les adolescents sont fous. Leurs lobes frontaux ne sont pas encore développés. Ils prennent des décisions impulsives, sont incapables de planifier un devoir qu’ils doivent remettre dans trois semaines et auquel ils doivent travailler petit à petit, et ce, parce que cette région du cerveau n’a pas encore atteint sa pleine maturité.

La sénatrice Batters : J’aimerais que vous nous parliez de psychose et de dépendance très rapidement, parce que le président va probablement me dire que mon temps est écoulé.

Dre Igartua : Ce que je voulais dire à propos du développement du cerveau, c’est que le système andocannabinoïde intervient dans cet élagage. Quand vous l’inondez de cannabis, vous changez la façon dont il procède à l’élagage. C’est ainsi que vous changez la structure.

En ce qui concerne le fonctionnement du cerveau, nous savons que la mémoire et la concentration sont moindres. Pour ce qui est de causer la psychose, nous ne savons pas encore comment cela se produit. Nous ne savons pas chez quels sujets cela va causer une psychose. Nous savons qu’en moyenne, les personnes qui ont fumé une fois dans leur vie ont un risque accru de 40 p. 100 de développer une psychose. Les personnes qui fument régulièrement et souvent de grandes quantités ont un risque quatre fois plus élevé, soit de 390 p. 100, de développer une psychose.

Les chiffres sont là. À cause des niveaux de THC supérieurs, nous voyons de plus en plus de cas de psychose dans nos salles d’urgence à l’échelle de la province.

Pour la dépendance, à cause de la façon dont le cannabis affecte la structure et parce que les adolescents sont impulsifs et n’ont pas développé toutes les compétences de régulation des émotions que nous avons en tant qu’adultes, l’adolescent qui commence à consommer du cannabis et qui n’acquiert pas ces compétences risque plus de devenir dépendant et d’utiliser le cannabis pour la régulation de ses émotions plutôt que de développer d’autres compétences pour faire face à la tristesse, la joie, la colère, la déception, et ainsi de suite.

Le président : Je vous remercie de cette explication, docteure Igartua.

[Français]

Le sénateur McIntyre : Docteure Igartua, décidément, les membres de votre association ont de sérieuses appréhensions à l’égard de la légalisation du cannabis. Dans votre mémoire, vous faites 10 recommandations, et je dois vous avouer que je suis entièrement d’accord avec celles-ci.

Cela dit, je crois parler en connaissance de cause. Pendant 25 ans, j’ai présidé les travaux de la Commission d’examen du Nouveau-Brunswick, commission qui, comme vous le savez, fait le suivi d’individus reconnus soit inaptes à subir leur procès ou aptes, mais non criminellement responsables en raison de troubles mentaux. Je dois vous avouer que la grande majorité des cas que nous avons étudiés touchaient la consommation de drogue, et plus particulièrement la marijuana.

Dans votre mémoire, vous faites mention de l’expérience des États du Colorado et de Washington. Je comprends que, dans ces États, la légalisation semble avoir entraîné une banalisation de l’utilisation et probablement une plus grande disponibilité du cannabis, surtout chez les mineurs. Dans la même foulée, la neuvième recommandation de votre rapport invite les parties à déployer des campagnes de publicité visant à débanaliser toute cette question.

Pourriez-vous préciser votre pensée, s’il vous plaît?

Dre Igartua : En fait, de la même façon, même si l’alcool est illégal pour les moins de 18 ans, il ne faut pas se leurrer, les adolescents en consomment. Ce qui a fait que les adolescents boivent peut-être moins maintenant que par le passé n’est pas dû au fait qu’ils ne peuvent pas s’en procurer. Ils ne vont pas sur le marché noir pour se procurer de l’alcool, ils s’organisent plutôt avec une personne majeure qui l’achète à la SAQ pour eux. On peut s’imaginer qu’une situation semblable se produira avec le cannabis, qu’on établisse l’âge limite à 18, 19 ou 21 ans. Les jeunes vont probablement s’en procurer sur le marché légal et illégalement.

Nous tenons à ce que les jeunes soient conscients des risques qu’ils prennent et qu’ils sachent comment les réduire. Je préférerais, par exemple, qu’un jeune fume dans son sous-sol plutôt que dans la rue sans surveillance. On préférerait qu’il fume une fois par mois au lieu d’une fois par jour. On préférerait qu’il fume un THC moindre plutôt qu’un THC plus élevé. Ces recommandations visent à réduire le risque lié à l’utilisation.

Nous voulons aussi que les gens comprennent qu’en fumant du cannabis, ils jouent un peu à la roulette russe. Il se peut que cette consommation provoque une psychose. On ne peut pas le savoir. En ce moment, on considère qu’environ 120 gènes sont en cause. On tente de comprendre l’interaction entre ces gènes pour savoir qui est à risque de psychose et qui ne l’est pas. La science n’est pas rendue à un point où elle peut déterminer que la consommation de cannabis est dangereuse pour une personne et pas pour une autre. Chaque jeune qui fume un joint joue à la roulette russe, et il est important qu’il le sache. S’il y a des antécédents de psychose dans la famille, le risque est aussi plus élevé.

Vous parliez plus tôt de la commission d’examen. Cela illustre très bien le fait que le pronostic pour la psychose est pire chez les gens qui continuent de fumer que chez ceux qui arrêtent. C’est sans doute pourquoi vous êtes biaisés, ayant vu tant de cas où il y a une problématique de consommation. Le pronostic sera meilleur chez les personnes qui subissent une psychose et qui ne consomment pas. Habituellement, ces gens ne sont pas trouvés criminellement responsables.

Le sénateur Carignan : Tout cela est fascinant. Maître Thibaudeau, la dernière fois qu’on s’est rencontré, vous étiez avec l’un des plus grands experts en recours collectifs au Québec, je dirais même au Canada. Je vais donc traiter du sujet de la possibilité de recours collectifs. Vous semblez voir un risque de recours collectifs, un peu comme on l’a vu dans l’industrie du tabac, si l’information sur la prévention n’est pas suffisamment détaillée, compte tenu de l’obligation d’informer le public. Comme on l’a vu, certains risques demeurent inconnus et il est difficile de mesurer l’impact.

M. Thibaudeau : Vous me mettez les mots dans la bouche. Comme on a pu le constater, c’est effectivement ce qui est arrivé avec le recours collectif impliquant le tabac. Je suis heureux d’entendre mes collègues avocats et une psychiatre dire qu’il ne faut pas attendre que les gens se noient dans la mer, qu’il faut aller à la source, là où l’eau n’est ni profonde ni salée, pour informer et mettre au courant.

Je ne suis qu’un avocat. Je ne peux donc pas parler des dangers, parce que je ne les connais pas. Des études ont été faites et, une chose est sûre, c’est qu’il y a des risques. On fait des reproches aux gouvernements et aux compagnies de tabac. De façon préventive, il faut informer les gens pour éviter que des recours judiciaires soient entrepris dans deux ans, cinq ans ou dix ans, lorsqu’on découvrira les risques et les dangers. On voudra peut-être mettre le blâme sur les producteurs. Certains producteurs et distributeurs doivent mener des études sur les forces et les faiblesses. Il existera une industrie autour de la commercialisation du cannabis, comme c’est le cas pour l’alcool. Il en va de même pour le jeu. Le gouvernement a été poursuivi, parce qu’on a retrouvé des machines à sous dans les débits d’alcool.

Vous avez entièrement raison, et tout ce qu’on a entendu ici le confirme.

Le sénateur Carignan : Ma deuxième question s’adresse aux membres du Barreau. Je suis membre du Barreau du Québec. On accorde beaucoup d’attention à ce que vous nous écrivez et aux positions que vous prenez. C’est important pour nous.

Le 2 mars 2018, le Barreau a produit un mémoire sur le projet de loi C-46 qui soulève la problématique des limites « per se ». On y lit ce qui suit :

La lecture conjointe du projet C-46 et du Règlement sur la concentration de drogue dans le sang va au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs légitimes de prévention, de santé et de sécurité routière. Ceci survient alors que les scientifiques admettent que très peu de recherches concluantes ont été effectuées concernant les effets de plusieurs drogues par rapport à la conduite d’un véhicule automobile. Or, tel que proposé, le règlement criminalise des taux de drogue dans le sang pour lesquels la preuve scientifique voulant qu’ils entraînent une capacité de conduire affaiblie est à tout le moins discutable. À notre avis, il y aurait intérêt à attendre des données scientifiques plus claires et stables. À défaut de le faire, la légalisation et réglementation proposées en matière de conduite avec un taux de drogue prohibé fera certainement l’objet de nombreux débats devant les tribunaux.

Vous semblez dire que ce n’est pas une bonne idée d’établir une limite.

Le 18 avril 2018, vous avez recommandé ceci :

Il serait important d’établir une limite « per se » pour faciliter l’application de la loi et la démonstration de facultés affaiblies par des drogues.

Je comprends que c’est le Barreau qui parle et que c’est peut-être deux comités différents qui se sont penchés sur la question. Toutefois, nous entendons le témoignage du Barreau, et je vois une contradiction. Pouvez-vous éclairer les membres du comité sur ce point?

M. Le Grand Alary : Le mémoire sur le projet de loi C-46 inclut aussi des commentaires sur le projet de règlement. Il vise les cas où des limites per se sont mises en place visant un mélange d’alcool et de drogues différentes.

Le mémoire que l’on soumet aujourd’hui parle de la concentration de THC où les données sont plus fiables. Il faut se rappeler que les limites « per se » facilitent la poursuite et la condamnation de personnes qui ont commis des infractions. Cependant, il reste dans le projet de loi C-46 et dans le Code criminel une infraction de conduite avec facultés affaiblies qui se base sur l’évaluation des capacités de la personne. En attendant des données plus fiables concernant le mélange de différentes substances autres que l’alcool, on utilise cette infraction en mesurant l’affaiblissement des facultés du conducteur.

Le sénateur Pratte : Ma question s’adresse au Barreau du Québec. Elle concerne l’interaction entre les lois provinciales et les lois fédérales. J’en profiterais pour dire que, contrairement à ce qu’on a laissé entendre plus tôt, il sera illégal, en vertu des lois provinciales, pour un mineur de 12 à 17 ans de posséder toute quantité de marijuana n’importe où au Canada.

Le Barreau du Québec n’a pas abordé, ni dans son mémoire ni dans sa présentation, une question qui est particulièrement importante au Québec et au Manitoba, soit celle de la culture à domicile. On verra deux régimes différents, et pour les Québécois, ce sera un peu mélangeant. Une loi provinciale indiquera qu’il est interdit d’avoir des plants de cannabis à la maison, et la loi fédérale indiquera qu’il est permis d’avoir jusqu’à quatre plants.

C’est peut-être une question sur laquelle vous ne voulez pas vous prononcer. À votre avis, est-ce la loi provinciale qui sera valide ou la loi fédérale? Est-ce que l’une prévaudra sur l’autre?

M. Le Grand Alary : La règle de la prépondérance fédérale, pour les lois conflictuelles, est un principe qui a été reconnu par la Cour suprême et qui est prévu dans la Constitution. Certains litiges ont fait couler beaucoup d’encre devant les tribunaux et des jugements ont été rendus sur ces questions.

Nous ne croyons pas que ce soit le rôle du Barreau du Québec de fournir une opinion juridique sur des questions à ce point litigieuses. Cependant, nous pouvons dire que cet enjeu pourrait effectivement être débattu devant les tribunaux. C’est pourquoi nous souhaitons attirer l’attention du législateur, tant fédéral que provincial, sur les conflits potentiels qu’il pourrait y avoir quant à certaines dispositions, mais on ne veut pas prendre position d’un côté comme de l’autre. C’est effectivement un problème juridique légitime qui pourrait être débattu devant les tribunaux.

M. Lévesque : Le Barreau a mis en garde le gouvernement provincial quant au fait qu’il y avait un potentiel de conflits. On nous a demandé aussi, à l’Assemblée nationale, de nous prononcer. Honnêtement, je dois dire que nous ne sommes pas dans les bottines des juges. Les juges ont tendance, autant que faire se peut, à comprendre les deux législations dans le but d’éviter le conflit. En présence d’un conflit apparent comme celui-là, on ne sait pas quelle direction les juges prendront, et tout dépend des faits ou des circonstances. Cela peut même dépendre du juge.

Le sénateur Pratte : Ma deuxième question s’adresse à la Dre Igartua. Vous parlez de limite au niveau du THC. Dans les projets de réglementation que le gouvernement a présentés, il y a des limites de THC pour certains produits, mais pas pour le cannabis séché, qui a apparemment une limite naturelle d’environ 30 p. 100.

Vous arrivez à une recommandation de 15 p. 100 et, pour les consommateurs de moins de 21 ans, de la moitié de 15 p. 100, soit autour de 8 p. 100. Sur quoi vous basez-vous pour en arriver à ces recommandations? Est-ce que la recherche scientifique indique que ces taux sont moins dangereux?

Dre Igartua : C’est un peu difficile, parce qu’il n’existe pas de données spécifiques qui indiquent qu’un certain niveau de THC n’est pas dangereux. Le principe veut que moins il y a de THC, moins c’est dangereux. Nous avons analysé les chiffres du Colorado et des Pays-Bas, là ils ont voulu établir cette limite. D’une part, nous nous sommes basés sur ces chiffres. D’autre part, la très grande partie du cannabis qu’on retrouve sur le marché illégal en ce moment a un taux de THC qui se situe autour de 12 à 14 p. 100. Donc, en fixant la limite à 15 p. 100, on vient tout de même chercher le marché illégal et l’intégrer au marché légal. C’est pour cette raison que nous avons choisi cette limite. Mais existe-t-il des données selon lesquelles 15 p. 100 sont moins dangereux que 16? Non, puisque c’est une question de gradation.

Vous avez dit plus tôt que le cannabis séché avait une limite naturelle. Je pense qu’il faut faire très attention, parce que la teneur de THC du cannabis en 1994 était de 4 p. 100. En 2012, elle se situait autour de 13 p. 100. Et dans des endroits où les cultivateurs peuvent peaufiner leur art, il est possible d’élever le taux de THC à 28, 30 et même 32 p. 100. Il faut faire preuve de prudence, parce que plus on pourra travailler la plante, plus on sera en mesure d’aller chercher des taux plus élevés. On n’a qu’à penser à la résine, communément appelée le « shatter », où le taux de THC s’élève à 80 p. 100. Donc, si on ne met pas tout de suite des balises, on verra des taux de THC élevés dans les produits qui circuleront sur le marché.

[Traduction]

La sénatrice Boniface : Merci beaucoup à tous. C’est très intéressant.

J’aimerais poser ma question à l’ABC, si vous me le permettez. C’est à propos de la culture à la maison. Je remarque que dans votre mémoire, vous dites qu’il n’est pas nécessaire d’imposer une limite de quatre plants. Les particuliers devraient pouvoir produire du cannabis comme ils peuvent le faire pour l’alcool et le tabac. Je trouve ce point de vue intéressant.

Dans ce même mémoire, vous dites qu’il faut des dispositions spéciales pour les appartements, les résidences et les maisons de chambre où plusieurs personnes vivent. Est-ce que les gens ont le droit de cultiver plus de quatre plants quand plusieurs personnes habitent une même résidence?

J’aimerais avoir votre point de vue là-dessus, étant donné les préoccupations relatives à la culture du cannabis à la maison, ce que les propriétaires pourraient faire et diverses autres préoccupations d’éventuels voisins. Pouvez-vous m’expliquer comment vous pouvez conclure qu’il vaut mieux ne pas avoir de limite?

M. Calarco : Il n’est pas question de ne pas avoir de limite dans le sens qu’on puisse avoir une production illégale traditionnelle dans des installations achetées ou louées où chaque centimètre servirait à la production de cannabis.

Ce qui nous préoccupe le plus, c’est que si vous avez plusieurs personnes vivant en communauté, vous êtes quand même limité à quatre plants. Il faut reconnaître qu’il pourrait y avoir des raisons d’avoir peut-être plus de quatre plants dans de tels endroits.

Nous ne disons pas qu’il devrait y avoir des lieux de production partout, par quelque moyen que ce soit. Vous avez mentionné les préoccupations des propriétaires. Ce sont des préoccupations très légitimes lors de transactions immobilières.

Un de mes collègues, un avocat spécialisé en immobilier, m’a dit que les contrats de vente comportent maintenant des dispositions garantissant que les lieux n’ont jamais servi à la culture de marijuana.

Il faudra répondre à toutes ces questions. Les autorités fédérales et provinciales devront travailler beaucoup plus étroitement qu’en ce moment, car les rapports entre locateurs et locataires sont de compétence provinciale. Il n’y a tout simplement pas de réponse claire. J’aimerais vous dire le contraire, mais il y a énormément de ramifications.

Supposons que 15 personnes vivent sous un même toit. Auraient-elles droit à quatre plants seulement, au même titre qu’une personne seule? Il faut reconnaître que les circonstances ne seront pas toujours les mêmes.

Le sénateur Sinclair : Docteure Igartua, s’il est plus facile de se procurer des produits du cannabis, quelles répercussions cela pourrait-il avoir, selon vous, sur la santé mentale des jeunes autochtones, particulièrement dans les collectivités éloignées?

Quelle est votre position, ou celle de votre association, à l’égard du niveau de service auquel ils ont actuellement accès par rapport à celui dont ils pourraient avoir besoin si ces produits devenaient plus facilement accessibles?

Dre Igartua : Je ne peux pas me prononcer sur la situation dans l’ensemble du Canada, car je ne sais pas ce qui se passe dans les autres provinces. Je peux cependant vous dire que les Autochtones du Québec n’ont pas accès aux services dont ils ont besoin actuellement en matière de santé mentale.

Nous sommes en pourparlers avec le gouvernement provincial dans l’espoir de créer des programmes d’aide, notamment dans les réserves, où les gens peinent déjà à obtenir des services.

Comme vous le savez, beaucoup de déterminants de la santé peuvent entraîner un stress excessif au sein de la population autochtone. Elle est aux prises avec des taux disproportionnés de dépendance, de dépression et de suicide.

Déjà, les services sont inadéquats. Si la consommation de cannabis devait exploser, le niveau de service serait bien sûr nettement insuffisant.

Le président : C’est ce qui conclut le premier tour. J’ai six intervenants pour le deuxième tour.

Avant cela, docteure Igartua, je sais que nous vous avions réservée jusqu’à 18 h 15. Il est passé 18 h 30. Pouvez-vous rester encore 10 minutes?

Dre Igartua : J’ai encore 10 minutes.

[Français]

La sénatrice Dupuis : J’aimerais revenir à la présentation de Me Bryant. Quelque chose m’a frappée dans votre présentation, soit l’aspect un peu provocateur de l’introduction, selon laquelle on légalise une industrie. Vous dites qu’on légalise une industrie et qu’on criminalise à nouveau l’usage du cannabis.

Il est question de la consommation d’un produit qui, jusqu’à ce jour, est illégal, mais dont on sait qu’il a suscité le développement de productions, de consommation et de transformation depuis au moins une quarantaine d’années. Il ne faut pas oublier que nous avons légalisé l’usage du cannabis à des fins médicales. On se retrouve donc en porte-à-faux quant au discours qui veut que ce soit très dangereux. Par ailleurs, un autre discours prétend que c’est bien, parce que le cannabis peut vraiment soulager de vrais problèmes de santé.

Au-delà de la question de la légalisation du cannabis, comment pouvons-nous nous assurer de ne pas permettre à une industrie illicite de se régulariser et d’opérer ouvertement sans régler les problèmes de trafic illicite qui vont persister pour différentes raisons?

[Traduction]

M. Bryant : C’est sur le plan financier que le plus grand impact de la légalisation se fera sentir. Vous remarquerez un important contraste entre les États-Unis et le Canada.

Là-bas, vous avez de petits distributeurs artisanaux qui ont une échelle de distribution limitée, et parce que tout doit se dérouler à l’intérieur du même État, les fusions et les acquisitions sont aussi restreintes.

Le gouvernement canadien est le deuxième gouvernement fédéral à légaliser le cannabis, et puisqu’il s’agit d’une mesure nationale, le financement sera une tout autre paire de manches. Si on se fie au profil de l’industrie actuelle, toutes les activités de production illégales seront rapidement éclipsées par les activités légales. Cela ne veut toutefois pas dire que le crime organisé va abandonner l’industrie sans rouspéter.

L’industrie ou les entreprises ont accès à une foule de ressources juridiques. J’imagine que les lignes ne dérougissent pas maintenant qu’on a répondu à la question sur les recours collectifs. Les entreprises vont vouloir se protéger.

Toutefois, le Canadien moyen n’a pas d’avocat criminaliste dans ses contacts. Même si on légalise la chose pour l’industrie et les entreprises, on craint que le projet de loi criminalise de nouveau la consommation et la distribution du cannabis.

C’est pour cette raison que, selon moi, il serait préférable d’opter pour des stratégies semblables à celles sur la dénormalisation du tabac au ministère de la Santé, par exemple.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Ma question s’adresse à la Dre Igartua. Vous avez dit tantôt que la façon dont la loi sera rédigée fera en sorte que le message transmis aux jeunes pourrait les porter à banaliser la consommation du cannabis.

Je comprends que certaines provinces vont interdire la possession chez les moins de 18 ans, mais selon le projet de loi fédéral, il leur sera permis d’en posséder une certaine quantité. Si le projet de loi accordait ce droit de posséder une certaine quantité seulement à partir de l’âge de 21 ans, croyez-vous que le message perçu par les jeunes serait qu’il est dangereux de consommer de la marijuana?

[La vidéoconférence a été interrompue.]

[Traduction]

Le sénateur Gold : Le sénateur Pratte vous a déjà posé la question que j’avais en tête, mais j’aimerais revenir à vous un moment, monsieur Bryant.

Les mémoires de l’Association du Barreau canadien et du Barreau du Québec contiennent des recommandations très précises et très pertinentes. Merci d’avoir été aussi consciencieux. J’ai cependant un peu de mal à saisir ce que vous nous recommandez de faire.

Je comprends ce que vous dites à propos d’une approche non pénale, mais nous avons un projet de loi devant nous. Je ne vous demanderai pas de les formuler pour nous, mais y aurait-il des amendements précis qui permettraient d’améliorer la loi? Ce peut être vos propres recommandations ou les propositions d’autres témoins avec lesquels vous êtes d’accord.

M. Bryant : Je comprends votre point de vue. La difficulté réside dans le fait que le processus n’a peut-être pas été défini ni enclenché par le bon ministère.

Quoi qu’il en soit, nous soutenons les recommandations formulées par l’Association du Barreau canadien et le Barreau du Québec. Je remercie d’ailleurs M. Calarco pour son aide. Les erreurs sont absolument les miennes, mais il m’a été d’un grand soutien tout au long de l’exercice concernant le projet de loi. Nous appuyons leurs recommandations.

En outre, toute la section sur le mandat de perquisition et celle sur l’ordonnance de confiscation sont superflues, puisque le Code criminel a déjà des dispositions à cet égard. Si la police soupçonne une activité criminelle, elle a les pouvoirs que lui confère le Code criminel pour intervenir.

Les pouvoirs prévus par le projet de loi sont problématiques en partie parce qu’ils permettent des perquisitions dans des circonstances qui devraient être réservées aux affaires pénales. Ce n’est que dans de tels cas que la police peut mener une perquisition sans mandat. Permettre une telle pratique expose évidemment les Canadiens à une violation de leurs libertés individuelles et matérielles.

La sénatrice Batters : Ma question s’adressait initialement à la Dre Igartua, mais elle a dû nous quitter.

Monsieur Lévesque, merci beaucoup. Vous avez soulevé un point important. Vous avez dit que la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents était applicable, mais que vous ne savez pas exactement de quelle manière.

Chaque jour, on découvre de nouvelles failles au projet de loi. Je note que vous avez préparé un amendement potentiel qui pourrait corriger ce point précis. Pourriez-vous le soumettre au comité? Nous pourrions nous y référer plus tard.

M. Lévesque : Oui.

La sénatrice Pate : J’ai une question à plusieurs volets pour l’Association du Barreau canadien, mais puisque le temps nous presse, tout le monde pourra aussi y répondre.

Votre deuxième recommandation vise à éviter l’incarcération et consiste ainsi à encourager les procureurs fédéraux à présenter une demande d’examen d’une peine non privative de liberté lorsque des peines minimales obligatoires sont applicables. Essentiellement, vous voulez qu’on les encourage à contester les peines minimales obligatoires.

Y a-t-il une raison précise derrière cette formulation? Vous auriez pu simplement parler d’abolir les peines minimales obligatoires. Arrive-t-il souvent que les procureurs fédéraux usent ainsi de leur discrétion, notamment quand il s’agit d’obtenir une ordonnance de traitement? À quel point ces ordonnances de traitement sont-elles accessibles?

M. Calarco : Avec notre deuxième recommandation, nous voulons que les pratiques reconnaissent et suivent le nouveau régime de poursuite.

L’Association du Barreau canadien s’oppose depuis longtemps aux peines minimales obligatoires. Nous avons constaté qu’elles ne sont tout simplement pas efficaces. Souvent, elles sont absolument disproportionnées.

En termes pratiques, les peines minimales obligatoires sont de plus en plus contestées, et cela nous fait perdre un temps fou en cour. Si les procureurs demandaient autre chose que les peines minimales obligatoires, les temps d’attente du système judiciaire s’en trouveraient grandement réduits. Nous préconisons une approche très pragmatique face à cela.

Il est arrivé qu’on empêche des procureurs d’exercer leur discrétion et qu’on les oblige à demander la peine minimale obligatoire. Cela peut poser problème à l’échelle du pays.

Certains procureurs sont plutôt accommodants, alors que d’autres sont plus rigides, pour ainsi dire. Ces derniers vont vouloir qu’on impose les peines minimales obligatoires dans tous les cas. Cela va entraîner beaucoup de retards et de problèmes pour les tribunaux, mais aussi pour les ressources de la Couronne et les programmes d’aide juridique, qui sont déjà à court de moyens, s’ils sont appelés à défendre un tel dossier.

Le sénateur McIntyre : Je veux revenir sur les infractions passibles de contraventions, qui renvoient à la question du casier judiciaire.

Si j’ai bien compris, la notion de casier judiciaire n’est pas définie dans le projet de loi. Nous ne savons donc pas si une personne trouvée coupable d’une infraction passible d’une contravention, ou si elle plaide coupable à une telle accusation, aura un casier judiciaire. Est-ce bien cela?

M. Calarco : Le terme « casier judiciaire » n’est pas défini dans la section des définitions. Il semble que l’intention soit de garder une bonne distance du système de justice pénale. Il n’y aura peut-être pas de casier judiciaire, mais nous ne savons pas si cette information sera consignée dans le système du Centre d’information de la police canadienne.

Ce n’est un secret pour personne, mais quand votre nom est consigné dans une base de données, il y reste pour toujours, et les différents services de police peuvent recourir à diverses tactiques.

Le président : Sénateur Carignan, vous avez 10 secondes.

[Français]

Le sénateur Carignan : Ma question s’adresse au Barreau du Québec. Vous traitez de la nécessité d’établir un équilibre entre l’usage licite du cannabis et l’obligation qu’a un employeur d’assurer un milieu de travail sécuritaire. Ce dernier élément se trouve dans le Code criminel. Pouvez-vous préciser ce que vous entendez? Nous n’avons pas entendu beaucoup de témoins à ce sujet.

M. Lévesque : Je ne suis pas un spécialiste du droit du travail, mais grosso modo, un employeur sera toujours capable de réglementer cet accès. Il sera important, comme nous l’avons dit à l’Assemblée nationale, que nous puissions donner des pouvoirs. Il y a des métiers — par exemple, les policiers, pompiers et ambulanciers — où cet aspect sera important. Nous comprenons l’intérêt du législateur de ne pas autoriser l’usage de la marijuana pour ces métiers-là, étant donné le volet consacré à la sécurité. Ce sont des choses à prévoir. En matière de travail, il est certain que le législateur fédéral ne va pas nécessairement s’immiscer dans les domaines de compétence provinciale, mais il faut s’assurer que la loi sera cohérente, d’où l’importance de coopérer avec les provinces.

Le président : Merci, maîtres Lévesque, Thibaudeau et Bryant.

[Traduction]

Merci pour votre inspiration et votre coopération, messieurs Lévesque, Thibaudeau, Bryant, Le Grand Alary, et Calarco, et madame Schellenberg.

Vous pouvez rester dans la salle, mais je vous demanderais de libérer la table, car nous accueillons maintenant le prochain groupe de témoins. Ils ont fait preuve d’une grande patience.

[Français]

Je voudrais vous présenter sans tarder nos invités, qui ont été fort patients et à qui je suis redevable de leur coopération.

De la Fédération québécoise des municipalités, nous avons le plaisir d’accueillir M. Yvon Soucy, préfet, MRC Kamouraska, et M. Patrick Émond, directeur, Recherche et politiques. Je pense que, dans l’exercice de vos responsabilités, vous connaissez très bien notre procédure. Je vous demande de faire votre présentation.

Yvon Soucy, préfet, MRC Kamouraska, Fédération québécoise des municipalités : Honorables sénateurs, à titre de vice-président de la Fédération québécoise des municipalités, j’aimerais remercier le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles de nous avoir invités à commenter le projet de loi C-45.

La Fédération québécoise des municipalités (FQM) a été fondée en 1944. Elle compte parmi ses membres près de 1 000 municipalités locales et municipalités régionales de comté, soit une force de 7 000 élus. Constamment, nous défendons l’autonomie du milieu municipal et travaillons à favoriser le développement des régions. La FQM est le porte-voix des municipalités rurales et des municipalités de moins de 15 000 habitants.

Nous tenons à préciser que les élus municipaux du Québec sont particulièrement interpellés par le projet de loi C-45. C’est d’ailleurs pourquoi la FQM a participé à la consultation du gouvernement fédéral sur les taxes d’accise sur les produits du cannabis en septembre dernier. Dans les commentaires que nous avons produits, la FQM recommande de réserver 33 p. 100 des revenus de la vente du cannabis aux municipalités. L’entente conclue entre le gouvernement fédéral et les provinces concernant le partage des revenus de la taxe et le versement de 75 p. 100 des recettes aux provinces était donc de nature à réjouir la FQM. Il s’agit d’un aspect important qui a pu être clarifié.

Toutefois, bien des aspects du projet de loi C-45 demandent à être précisés. C’est pourquoi la FQM, tout comme le Québec, souhaite que l’entrée en vigueur de la loi soit retardée de quelques mois. La législation du cannabis est un dossier complexe, et plusieurs questions nous semblent encore être restées sans réponse. Aujourd’hui, nous profiterons du temps qui nous est imparti pour vous faire part de certains de nos commentaires et appréhensions.

En ce qui concerne la partie 1 du projet de loi, la FQM souhaite formuler quelques commentaires sur les interdictions et limitations. En ce qui a trait à la culture de plants de cannabis à domicile, le projet de loi C-45 propose de limiter la culture à quatre plants. Toutefois, le projet de loi du Québec prévoit interdire complètement la culture de plants de cannabis à domicile. La FQM privilégie l’approche du Québec sur cette question. En effet, il nous apparaît difficile de contrôler le nombre de plants de cannabis qu’un citoyen possède à son domicile dans les milieux ruraux. Les municipalités que nous représentons n’ont ni les ressources ni le personnel pour voir à l’application de cette disposition de la loi. Nous préférons que la culture de cannabis se fasse dans des lieux encadrés et sécurisés.

Toutefois, la FQM se questionne quant aux propos de la ministre de la Justice et procureure générale du Canada, Mme Wilson-Raybould, qui a mentionné que le gouvernement ne voulait pas que « des gestes soient posés dans d’autres juridictions qui saperaient l’objectif de la loi ». D’ailleurs, vous n’êtes pas sans savoir que plusieurs juristes ont soulevé la possibilité d’une contestation juridique réussie de cette interdiction. Par conséquent, afin d’éviter toute ambiguïté et de dissiper les doutes, la Fédération québécoise des municipalités croit que le projet de loi C-45 devrait explicitement indiquer le droit d’une province d’interdire la culture de plants de cannabis à domicile.

En ce qui a trait aux sites de culture et de production, nous avons mentionné que nous souhaitions que cela se fasse dans des lieux encadrés et sécurisés. Actuellement, environ six sites de production ont été autorisés au Québec. Comme toute culture, la production de cannabis génère des retombées économiques non négligeables. Dans cette perspective, la FQM voit d’un œil positif le développement de l’industrie de la production supervisée. Toutefois, il demeure important que ces retombées ne soient pas uniquement réservées aux centres urbains. Jusqu’à présent, c’est surtout ce que nous avons observé dans le choix des six sites retenus au Québec. Des projets comme celui de Weedon, en Estrie, une municipalité de moins de 3 000 habitants, doivent aussi être encouragés. Le projet de production de cannabis envisagé dans cette localité serait créateur de 400 emplois. Imaginez l’impact économique pour cette municipalité et pour la région!

Toutefois, compte tenu des règles du jeu actuelles, de la complexité et de la longueur des processus pour obtenir les permis et les licences auprès du gouvernement fédéral, bien des projets comme celui de Weedon ne verront probablement pas le jour. Les promoteurs issus de milieux ruraux et qui disposent de moins de ressources sont souvent désavantagés par rapport à ceux des grands centres urbains.

Pour terminer, j’aimerais parler de l’importance de respecter l’autonomie municipale à élaborer des règlements en matière de nuisance et en ce qui a trait au bien-être général de la population. En ce qui concerne plus spécifiquement la consommation du cannabis dans les lieux publics, la FQM croit qu’il est nécessaire que le Québec adopte un cadre légal qui impose des restrictions minimales et qui permette ensuite aux municipalités d’adopter une réglementation municipale plus sévère, selon leurs besoins respectifs. Il faut éviter de réinventer la roue et il faut respecter l’autonomie municipale à réglementer la consommation du cannabis dans les lieux publics, comme il est possible de le faire actuellement avec le tabac et l’alcool.

Les élus municipaux sont pleinement conscients de l’importance du projet de loi C-45 et souhaitent travailler en partenariat avec le gouvernement fédéral et le gouvernement du Québec pour assurer une transition et une gestion harmonieuses.

Je tiens encore une fois à vous remercier d’avoir invité la Fédération québécoise des municipalités à s’exprimer sur un sujet aussi important et de nous avoir permis de vous formuler ces quelques commentaires. M. Patrick Émond, directeur, Recherche et politiques, m’accompagne aujourd’hui. Nous répondrons avec plaisir à vos questions.

La sénatrice Dupuis : Merci d’être avec nous et merci de votre patience. Pouvez-vous nous dire s’il y a eu, au sein de votre fédération, des sondages, des discussions ou des consensus entre les municipalités sur la question de la légalisation ou de la non-légalisation du cannabis?

Le maire de Smiths Falls, en Ontario, qui est une petite ville de 8 700 personnes, nous a mentionné que sa municipalité s’est prononcée en faveur de la légalisation parce que cela créait une opportunité de développement économique importante qui faisait contrepoids au départ de plusieurs industries.

La légalisation entraîne des problèmes, comme vous le dites, par exemple, celui de réglementer l’usage dans les lieux publics, mais elle peut aussi apporter certains avantages. Y a-t-il eu des discussions au sein de la FQM à ce sujet?

M. Soucy : En ce qui concerne les retombées économiques, j’ai déjà donné l’exemple de Weedon.

Pour ce qui est des discussions qu’on a eues, elles tenaient sur la façon dont on allait réussir à mettre en œuvre ce projet dans nos communautés. Il est certain que ce n’était pas nécessairement le choix des municipalités; c’était plutôt une volonté du gouvernement de légaliser le cannabis. Comme nous l’indiquons dans notre présentation, nos préoccupations portaient sur la nécessité de veiller à ce qu’il y ait une harmonie entre ce que propose le projet de loi C-45 et ce que le Québec souhaite. Les souhaits du Québec sont relativement semblables à ceux de la fédération, quant aux éléments que j’ai mentionnés plus tôt, c’est-à-dire l’interdiction de la culture à la maison, l’interdiction de la consommation pour les jeunes de 12 à 17 ans, mais sans toutefois la criminaliser, et cetera.

La sénatrice Dupuis : J’ai vu que la Fédération canadienne des municipalités a préparé une espèce de guide de mise en application de cette loi. Si j’ai bien compris, la FQM est aussi en train de préparer un guide de ce genre.

M. Soucy : Il y a deux associations municipales au Québec. C’est peut-être l’autre association municipale qui élabore ce guide.

D’autre part, je suis préfet d’une MRC, et dans les discussions que nous tenons, notamment au sein de nos comités sur la sécurité publique, nous nous assurons d’harmoniser notre réglementation, parce qu’une réglementation doit être applicable. Or, si elle n’est pas harmonisée sur nos territoires, elle est difficilement applicable.

C’est d’ailleurs pourquoi on demande que Québec adopte un cadre minimal, comme le dicte le gros bon sens. On demande donc que, tout comme pour le tabac, la consommation de cannabis à proximité des écoles, des terrains de jeu, des garderies, des centres de loisirs, des hôpitaux, et cetera, soit interdite. On souhaite ainsi que Québec adopte un cadre minimal et, par la suite, les municipalités pourront adopter une réglementation en fonction de leur réalité. Mais je pense que sur un territoire de MRC, cela devrait être harmonisé également.

Le sénateur Carignan : Bienvenue à vous deux. C’est toujours un plaisir d’entendre des gens qui proviennent du milieu municipal.

Je connais évidemment bien la FQM et la FCM. Je crois comprendre qu’il y a un manque d’information, que les gens sont confus quant à ce qui sera permis dehors, à l’intérieur, sur la rue, dans un parc. Je crois sentir, du milieu municipal, une volonté de demander plus de temps afin de bien faire les choses, parce que la nature a horreur du vide.

La FCM a élaboré un guide à l’intention des municipalités, que mon équipe et moi avons commencé à lire. Dans ce guide, on trouve des erreurs. Par exemple, on dit que chaque personne de plus de 18 ans qui habite la même maison pourra faire pousser quatre plants de cannabis, alors que ce n’est pas quatre plants par personne, mais bien quatre plants par habitation. C’est un bel exemple d’une information erronée.

Est-ce quelque chose que vous sentez lors de vos rencontres avec les maires et les préfets?

M. Soucy : Oui, c’est ce qu’on constate. On trouve que cela arrive vite. On ne se sent pas nécessairement prêt à accueillir tout cela. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’on demande, dans la présentation, le report de l’adoption de la loi de quelques mois. De plus, il y a une réalité, au Québec, qui est celle de la prochaine campagne électorale provinciale. On sait qu’il y a des enjeux qui émergent et que les partis prennent position. Quelle sera la position du prochain gouvernement, si jamais on change de gouvernement au Québec? Donc, voilà une raison de plus de retarder l’adoption de ce projet de loi. En effet, on trouve que tout arrive trop vite et on ne se sent pas nécessairement prêt.

Le sénateur Carignan : J’aimerais revenir à votre recommandation quant à l’interdiction de la culture à domicile. J’imagine que vous en avez parlé aussi au sein de vos comités sur la sécurité publique et que vous avez consulté vos services de police. Pour formuler ce genre de recommandation, êtes-vous allés sur le terrain pour en parler avec vos experts?

M. Soucy : Je vais laisser mon collègue répondre à cette question. Nous avons des commissions permanentes à la FQM, effectivement.

Patrick Émond, directeur, Recherche et politiques, Fédération québécoise des municipalités : Oui, effectivement, nous avons consulté nos commissions sur ce point. Nous venons tout récemment d’apprendre de quelle sorte de fonds les municipalités pourraient disposer avec le budget du Québec. Il y a donc toute la question de voir si nous avons des ressources pour veiller à l’application de la réglementation. Dans le milieu rural, comme le disait M. Soucy, au Québec, c’est 900 municipalités de moins de 5 000 habitants, donc des municipalités qui ont peu de ressources. À ce moment-là, lorsqu’il s’agit de veiller à l’application de la disposition sur le nombre de plants permis à domicile, en milieu rural, dans le fond des rangs, les gens nous ont dit qu’il serait préférable d’essayer d’éviter cela et de confiner la production à des sites de production réglementés.

Le sénateur McIntyre : Merci pour votre présentation. En lisant sur le sujet, je note qu’un des problèmes majeurs pour les municipalités rurales est que ces municipalités ne possèdent pas les règlements de zonage requis pour administrer la culture et les installations légales de cannabis. Autrement dit, la réglementation sur la culture personnelle du cannabis ne doit pas relever des autorités locales, la raison étant que les municipalités rurales ont d’autres préoccupations, comme le vandalisme, le vol, les menaces à la sécurité et la responsabilité en cas de dommages. Ce sont déjà des préoccupations importantes pour les municipalités rurales. S’occuper du cannabis, c’est une contrainte de plus sur la capacité des municipalités à appliquer la loi.

M. Soucy : Cela ajoute effectivement au lot de responsabilités que les municipalités se voient confier. Il y a des ressources qui devront permettre de veiller au respect de la loi et des règlements.

Je pense que cela confirme un peu ce que nous avons dit plus tôt, à savoir que c’est peut-être prématuré pour nous. Nous ne sommes pas nécessairement prêts à faire face à cela.

M. Émond : J’ajouterais que, à notre congrès de septembre, nous avons justement prévu un atelier spécifique sur l’encadrement légal de la question du cannabis pour les municipalités, pour répondre adéquatement aux différentes questions qui seraient soulevées.

Plus tôt, on a parlé de la publication d’un guide. Nous pensons qu’il est encore un peu tôt pour produire ce genre de guide. Il y a encore beaucoup trop de choses qui ne sont pas clarifiées. Il ne sert à rien de précipiter les choses.

Le président : De toute façon, les règlements ne sont pas disponibles.

[Traduction]

La sénatrice Batters : Merci beaucoup de vous joindre à nous aujourd’hui. Je viens de la Saskatchewan, alors nous partageons les mêmes préoccupations.

Est-ce que cela vous inquiète de savoir que le gouvernement fédéral permettra aux Canadiens, par l’entremise de ce projet de loi, d’acheter de la marijuana sur Internet? Beaucoup de vos municipalités rurales n’ont pas la densité de population voulue pour justifier la vente en magasin. Cependant, les gens pourront en acheter en ligne. Que pensez-vous de cela?

[Français]

M. Émond : Je ne crois pas que nous ayons fait mention de notre position concernant l’achat en ligne du cannabis dans nos documents. C’est une chose, de toute façon, dont nous devrons nous accommoder. Le projet de loi fédéral mentionne qu’il sera possible d’acheter en ligne, même si on l’interdisait au Québec. Le Québec a choisi un modèle de vente sous forme étatisée. Cependant, à ce chapitre, on s’accommode du projet de loi actuel. Notre organisation n’a pas exprimé de position formelle concernant la vente en ligne.

[Traduction]

La sénatrice Batters : En Saskatchewan, les municipalités rurales appartiennent à une très grande organisation, la Saskatchewan Association of Rural Municipalities, ou SARM. Je crois que vous venez tout juste d’en parler.

Chaque année, la SARM tient une énorme convention et facilite une discussion sur les politiques, afin d’avoir le son de cloche de ses membres, qui proviennent des quatre coins de la province. Cet hiver, la légalisation de la marijuana a été un thème récurrent à la convention de la SARM.

Vous avez mentionné que votre convention avait lieu en septembre. Peut-être qu’il était un peu trop tôt l’an dernier pour recueillir les commentaires de vos membres à ce sujet, mais je me demandais si vous aviez eu l’occasion de les entendre cette année, ou si c’est en septembre que vous pourrez en discuter en détail.

[Français]

M. Soucy : Oui, absolument, c’est ce qui est prévu au prochain congrès de la fédération, qui aura lieu d’ailleurs à Montréal cette année.

M. Émond : Nous aurons un atelier spécifique sur l’encadrement légal du cannabis, étant donné que nous aurons plus d’information précise grâce au projet de loi fédéral et au projet de loi du Québec. Nous allons donc pouvoir combiner les deux et voir aussi ce qui retombe dans la cour des municipalités, car il y aura aussi une réglementation municipale qui devra être élaborée. C’est ce dont nous voulons aussi traiter.

[Traduction]

La sénatrice Batters : En septembre, il est fort probable que le projet de loi soit déjà entré en vigueur, et il sera un peu tard pour en discuter.

[Français]

M. Émond : C’est pour cette raison que nous demandons le report de l’entrée en vigueur de la loi.

Le sénateur Gold : Merci, messieurs, de votre présence. Je comprends très bien les défis que pose la légalisation, et ce n’est pas la première fois qu’on en entend parler. C’est compliqué, surtout pour les municipalités, car les problèmes se retrouvent sur le terrain.

Si je comprends bien, même si la loi est adoptée avant l’été, il faudra deux ou trois mois supplémentaires avant son entrée en vigueur, parce qu’il y a toute une série de choses qui doivent être faites à l’échelle fédérale. Pensez-vous que, même si ce n’est pas prêt à 100 p. 100, vous aurez tout de même le temps de consulter vos collègues, au moins pour vous rendre compte des points que vous avez en commun quant à la réglementation? Pouvez-vous commenter le processus de consultation de votre association par rapport à la province, par exemple, pour faire en sorte que vous ayez les pouvoirs nécessaires afin de bien encadrer la légalisation?

M. Soucy : Une fois la loi promulguée, est-ce qu’il y aura des contestations juridiques? Par exemple, si la loi du Québec prévoit toujours d’interdire quatre plants à domicile, mais que cela contrevient à l’esprit de la loi fédérale, on aura peut-être des contestations juridiques.

En ce qui nous concerne, notre rôle, comme association municipale, c’est d’accompagner nos municipalités. Nous allons les accompagner du mieux que nous pourrons afin de nous assurer qu’elles pourront prendre en charge les responsabilités qui leur incomberont et qui découleront de l’adoption de la nouvelle loi. Tout cela reste à définir, et nous sommes actuellement dans le néant.

M. Émond : Il y a environ une semaine, au Québec, la question du pouvoir de réglementer la consommation de cannabis dans les lieux publics a fait l’objet de beaucoup de débats à l’Assemblée nationale. Est-ce au gouvernement du Québec de tout réglementer, ou doit-il laisser une partie de la question aux municipalités? Cette question, qui en est une parmi tant d’autres, a fait l’objet d’intenses débats. Les municipalités réclament une certaine autonomie à ce chapitre. Il y a encore beaucoup de choses à régler et à peaufiner dans la réglementation et aussi dans le partage des responsabilités.

Le sénateur Gold : Mais en ce qui concerne le tabac, il y a des choses que, aujourd’hui, les municipalités gèrent d’une façon appropriée selon leurs façons de voir leurs besoins, comme la sécurité et le bien-être des citoyens. Donc, en attendant que ce soit réglé à l’échelle fédérale, j’imagine que la majorité des municipalités commence à mettre en place des mesures, au moins pour cette période de transition.

M. Émond : Oui, bien entendu, il y en a qui prennent les devants.

M. Soucy : C’est pour cela qu’il faut veiller à une harmonisation. Par exemple, si cet usage est permis — si on peut comparer cela avec l’alcool ou le tabac —, il ne serait pas nécessairement harmonisé en fonction de la loi fédérale. C’est pour cette raison qu’il faut s’assurer que ce sera applicable et qu’il y aura une certaine harmonisation.

[Traduction]

La sénatrice Boniface : Je veux revenir sur vos commentaires concernant le zonage des sites de production. On peut sans doute tirer des leçons des sites de production de marijuana médicinale. Je viens d’une région rurale de l’Ontario, et je sais qu’il y a des dispensaires de marijuana médicinale dans des municipalités relativement rurales de l’Ontario.

Je me demande s’il n’y a pas des leçons à en tirer en vue des prochaines étapes. Ces données sont aussi disponibles en ligne. Il y a lieu de s’interroger à propos du zonage.

[Français]

M. Émond : Je pense qu’il y a des apprentissages, effectivement, qu’on peut tirer de l’Ontario à ce sujet. Comme on l’a mentionné plus tôt, il y a environ six sites qui ont été autorisés au Québec pour la production de cannabis, principalement dans des milieux urbains.

Nous sommes en apprentissage, et c’est pour cette raison que nous avons des échanges avec la Fédération canadienne des municipalités pour savoir ce qui se passe dans les autres provinces canadiennes. On essaie d’avoir des entretiens chaque mois, environ, pour surveiller et voir comment tout cela se passe.

Le sénateur Boisvenu : Je veux tout d’abord m’excuser de mon absence temporaire. Le retard a fait en sorte que c’est difficile pour ceux qui siègent à deux comités. Merci de votre patience, étant donné l’heure tardive.

La sénatrice Dupuis a parlé rapidement d’un guide canadien sur la légalisation de la marijuana. Est-ce que vous avez dit que c’était un guide dont vous vous serviez très peu?

M. Émond : On a dit qu’il était prématuré de produire un guide sur cette question.

Le sénateur Boisvenu : La Fédération canadienne des municipalités en a produit un.

M. Émond : Effectivement. La volonté est bonne, mais il est peut-être un peu trop tôt pour produire un tel guide.

Le sénateur Boisvenu : Les municipalités vont gérer l’aspect social de la consommation. Je pense que des gens s’inquiètent beaucoup à ce sujet, surtout les non-fumeurs. Les corps policiers que vous gérez, dans beaucoup de cas, sont aussi inquiets de la rapidité avec laquelle ce projet de loi arrive.

Verriez-vous d’un bon œil l’adoption d’un amendement au projet de loi qui prévoirait que l’adoption de la loi, par exemple, en juin, nécessite la signature d’un décret, comme c’est le cas dans plusieurs lois? On adopte un projet de loi et, à l’intérieur du projet de loi, on exige que le ministre responsable fasse signer un décret par le gouvernement pour qu’il ait force de loi. La loi pourrait être adoptée en juin, mais le décret pourrait être signé, par exemple, en janvier ou le printemps suivant quand, effectivement, les municipalités seraient prêtes à bien gérer les choses pour qu’il y ait moins de victimes. Seriez-vous favorables à cet amendement du projet de loi qui nécessiterait la signature d’un décret pour la mise en vigueur de la loi?

M. Soucy : Si je comprends bien, la loi pourrait être promulguée, mais l’entrée en vigueur se ferait par décret, à partir du moment où le ministre se serait assuré que tout le monde est prêt. On verrait cela d’un bon œil, en effet.

La sénatrice Dupuis : Je vous écoute et je trouve tout cela encourageant, parce qu’il me semble que le message que j’entends — vous me direz si je me trompe, et je poursuivrai avec ma question tout de suite après —, c’est que vous avez l’habitude de gérer la chose municipale. Vous avez des membres qui ont cette habitude. À cela s’ajoute un nouveau dossier qui vient grossir le nombre de dossiers à traiter et qui est tout aussi complexe. Vous avez l’air de dire que, dans la mesure où il y aura des cadres et des normes suffisamment clairs, vous pourrez bâtir là-dessus comme municipalité. Vous avez précisé que même les MRC vont s’assurer que les municipalités membres de ces MRC vont coordonner les textes des municipalités.

Est-ce que vous n’avez pas de l’expérience comme municipalité? Je prends l’exemple du Québec, parce que je le connais mieux que l’Ontario rural. On a lu dans les journaux, assez régulièrement depuis les 40 dernières années, qu’il y a peut-être une industrie illégale, mais bien une industrie de production. Je me demande si vous avez appris un certain nombre de choses à ce chapitre. Par exemple, avez-vous été appelés à intervenir pour faire cesser la production illégale? Autrement dit, vous me semblez être des gens qui ont l’expérience de situations plus ou moins difficiles, certaines moins que d’autres. Mais est-ce que les municipalités, y compris celles en milieu rural, ont dû s’occuper de ces questions depuis plusieurs décennies?

M. Soucy : Actuellement, c’est interdit et même illégal. Ce sont nos corps policiers qui s’assurent de faire respecter la loi et qui font les saisies nécessaires. En ce qui nous concerne, lorsqu’il y avait des cultures sur nos territoires, ou que nous en étions informés, cela nous inquiétait et nous étions plutôt heureux lorsque les corps policiers réussissaient à éradiquer ces situations.

Donc, en ce sens, je peux vous dire que la loi permettra à tout le moins d’encadrer la culture et d’éviter, espérons-le, l’économie illicite qui en découle et tout ce que cela crée comme effet néfaste pour la société. La loi aura certainement cet effet positif. C’est la réponse que je peux donner à votre question.

Le sénateur Carignan : Ce que je comprends de ce que vous dites, c’est que vous ne prenez pas de position pour ou contre, mais que vous demandez qu’on vous donne un cadre efficace et les moyens d’appliquer la réglementation. Notamment, vous soulevez la problématique de la culture à domicile qui, selon vos policiers, ne sera pas applicable.

M. Soucy : Il est clair qu’on ne pourra pas l’appliquer. Il y a 900 municipalités de moins de 5 000 habitants, et la majorité de nos municipalités membres comptent moins de 2 000 habitants. On n’a pas la capacité d’appliquer cette mesure actuellement.

Le sénateur Carignan : Est-ce qu’il y a eu aussi des préoccupations environnementales liées à la culture permise? Je pense à différents types de cultures, comme au Colorado, où il y a des problèmes d’entrée par effraction.

Vous avez parlé des fonds de rangs. Moi, je viens du fond d’un rang d’une municipalité membre de votre association, celle de Champlain, pour ne pas la nommer. J’ai des frères agriculteurs qui ont eu des difficultés, car ils avaient trouvé des plantations illégales sur leurs terrains. Lorsqu’on appelle la Sûreté du Québec ou la police, elles n’arrivent pas en 10 minutes, parce que c’est beaucoup trop loin.

Est-ce que des craintes ont été exprimées quant au risque d’entrée par effraction en raison de la culture à domicile? Parce que des personnes qui cultivent du cannabis à domicile peuvent se faire voler leurs plants. Y a-t-il aussi des aspects environnementaux où, par exemple, comme municipalité, vous devez gérer les déchets de ces produits? Est-ce que de telles craintes ont été exprimées par vos membres?

M. Émond : La question des aspects environnementaux a été soulevée par certaines municipalités quant au recyclage des matières organiques. Si du cannabis se trouve dans les résidus verts avec lesquels on fait du composte, ce sera un problème. C’est un problème « pratico-pratique », mais tout à fait réel. Qui pourra confirmer que le gazon ne contient pas de cannabis? On aura des légumes avec beaucoup de protéines.

Le sénateur Carignan : Vous soulignez un bon point. J’ai interviewé des gens qui ont fait la culture illégale du cannabis. C’est une plante qui pousse assez rapidement, selon que la plante est mâle ou femelle. Actuellement, c’est illégal. Si on voit des plants qui sont assez bien engraissés, on appelle la Sûreté du Québec. Dans le cadre de l’opération Cisaille, la SQ viendra retirer le plant et posera un petit ruban jaune pour indiquer que c’est la Sûreté du Québec qui l’a enlevé et que ce n’est pas le fermier qui l’a volé. Si on autorise les citoyens à cultiver ces plants à l’extérieur, à un moment donné, comme n’importe quelle plante, ils peuvent se propager dans les champs, la forêt. Il y a une problématique environnementale liée à une plante comme le cannabis.

M. Émond : Je ne connais pas très bien la possibilité de propagation de la plante par rapport à d’autres.

Le sénateur Carignan : Vous n’êtes pas rendu là dans vos recherches?

M. Soucy : Compte tenu de ses particularités, je serais surpris qu’il en reste beaucoup. Par contre, s’il y a un envahissement... Malheureusement, le phragmite n’a pas ce genre de particularités. C’est un autre problème et un tout autre débat.

Le président : Je vous fais remarquer que nous devons lever la séance à 19 h 30. Il reste environ sept minutes.

Le sénateur McIntyre : Décidément, les municipalités rurales ont plusieurs préoccupations. Et l’une de leurs préoccupations principales est la vente au détail. Il doit y avoir des limites en ce qui concerne l’emplacement des centres de distribution au détail, y compris la distance appropriée entre les écoles, les centres communautaires, les parcs publics, et cetera. Ma question est la suivante : y a-t-il des frictions avec les municipalités en ce qui concerne la vente au détail du cannabis, soit à l’intérieur des municipalités ou avec d’autres municipalités?

M. Soucy : Au Québec, ce qui est prévu, c’est que cela soit étatisé. En principe, c’est une société qui sera mise sur pied pour contrôler la vente du cannabis. Je ne pense pas qu’il y ait vraiment de débat actuellement en ce sens.

Le sénateur McIntyre : Est-ce que toutes les municipalités sont prêtes à se lancer dans la vente au détail? Et si certaines refusent...

M. Soucy : Si elles n’en veulent pas chez elles? Je ne peux pas dire. À ma connaissance, je n’ai pas participé à des débats à ce sujet.

[Traduction]

La sénatrice Batters : En Saskatchewan et un peu partout dans l’Ouest canadien, la criminalité en milieu rural est de plus en plus problématique. Est-ce que vos membres craignent que la légalisation de la marijuana puisse aggraver la situation dans les milieux ruraux éloignés, qui sont plus difficiles d’accès et où la police met plus de temps à intervenir?

[Français]

M. Soucy : C’est tout le débat. Dans la présentation, on n’aborde pas ces questions. Il ne faut pas se le cacher : il y a de la consommation, il y a une industrie illicite, il y a de la criminalité qui y est liée. Si ce produit est légalisé et s’il est bien encadré, est-ce qu’on réduira les impacts? On l’espère. C’est ce que je peux vous dire. Espérons que les points négatifs seront atténués.

[Traduction]

La sénatrice Batters : Ce n’est pas ce qu’on voit au Colorado, qui est devenu le plus grand marché noir des États-Unis.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Le gouvernement du Québec prévoit l’installation de 14 points de vente au cours des deux prochaines années. Ce ne sera sans doute pas dans de petites municipalités. S’il n’y a pas de point de vente légal dans vos municipalités, ne craignez-vous pas que le crime organisé demeure présent? On sait que le crime organisé qui vend du cannabis dans les petites municipalités crée un problème majeur pour les jeunes qui vivent avec des gangs.

M. Soucy : Évidemment, que se passera-t-il avec la mise en place de tout cela, quels seront les résultats? Il y a peut-être lieu d’être préoccupé si des régions sont moins bien « desservies ».

Le sénateur Boisvenu : Vous êtes principalement desservi par la Sûreté du Québec?

M. Soucy : Oui.

Le sénateur Boisvenu : La Sûreté du Québec nous a dit que, lorsqu’il y aura des saisies de plants, elle devra les garder dans des entrepôts comme preuve en cas de procès. Est-ce que les municipalités sont prêtes à avoir ces « fermes biologiques « pour conserver ces plants? Cela représentera des coûts supplémentaires pour les municipalités.

M. Émond : En fait, ce sont toutes des choses importantes à prendre en considération. De là la question de retarder de quelques mois l’entrée en vigueur de la loi, parce que c’est le genre de questions que les élus municipaux ont à l’esprit. Il faudra voir comment on pourra prendre les choses en main et obtenir les ressources nécessaires.

La sénatrice Dupuis : Je voudrais faire une mise au point au sujet de ce qu’on a reçu comme information de la part de la Sûreté du Québec. Elle nous a dit que cela ne lui convenait pas du tout d’être obligée d’entreposer les plants, mais elle ne nous a pas dit que cette responsabilité allait être refilée aux municipalités et que celles-ci allaient se retrouver avec le problème. Merci.

Le sénateur Boisvenu : Je n’ai pas dit cela non plus.

Le président : Je pense que le procès-verbal nous apportera des précisions sur les propos du sénateur Boisvenu et sur la réponse tout à fait juste de nos invités.

Le sénateur Gold : Il y a une expression en anglais selon laquelle il faut « comparer des pommes avec des pommes ». On est conscient des défis auxquels sont confrontées les petites municipalités qui manquent de ressources. Dites-moi si j’ai raison : il y a maintenant un problème important avec la culture, non seulement à domicile, mais sur les terres un peu partout au Québec. C’est une industrie dont les acteurs, comme les Hells Angels, font le tour des villages avec des sacs en plastique. Le marché illicite est un grave problème aujourd’hui et les corps policiers ne réussissent pas à mettre fin à ce marché illicite, parce qu’on trouve des plants un peu partout, et non pas quatre dans un domicile. Ai-je raison de dire que c’est un problème qui est difficile à gérer?

M. Soucy : En ce qui concerne les corps policiers sur nos territoires, c’est une vigilance de tous les instants. Par exemple, chez nous, j’ai l’impression qu’ils ne parviennent pas tout à fait à maîtriser la situation. Il y a donc une vigilance de tous les instants.

Le sénateur Gold : La raison pour laquelle je pose la question, c’est afin de déterminer si la légalisation de la marijuana changera les choses ou augmentera les problèmes. Je comprends que c’est une question de délais, de règlements de zonage, et cetera. Il faut se demander si le marché illicite qui existe depuis longtemps va continuer et, le cas échéant, pendant combien de temps. Il est sûr et certain que les municipalités et les corps policiers font face à un défi aujourd’hui qui ne changera pas et qui ne sera pas aggravé par la légalisation. Peut-on dire que la situation ne va pas changer énormément à court terme? Ai-je raison?

M. Soucy : On peut espérer que ce qui est illicite actuellement disparaîtra.

Le sénateur Gold : Donc, ça va améliorer les choses.

M. Soucy : Bien, espérons que la loi aura ce résultat-là.

Le président : Dans votre présentation — et c’est revenu au cours de nos échanges —, vous avez mentionné un délai de quelques mois. Parlez-vous de trois, quatre, six mois ou de la fin de l’année? Selon votre expérience, quel serait un délai raisonnable pour vous?

M. Soucy : J’ai mentionné l’échéancier électoral du Québec dont il faudrait tenir compte, car les élections approchent et se tiendront le 1er octobre. Comme le sénateur Boisvenu l’a dit, il serait préférable d’envisager le mois de décembre ou de janvier.

Le président : Donc, la fin de l’année.

M. Soucy : La fin de l’année.

Le président : Très bien.

[Traduction]

Merci, honorables sénateurs, pour votre participation.

[Français]

Merci de votre coopération, monsieur Soucy et monsieur Émond. Nous nous excusons du retard de votre audition.

(La séance est levée.)

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