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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule no 42 - Témoignages du 3 mai 2018


OTTAWA, le jeudi 3 mai 2018

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi C-46, Loi modifiant le Code criminel (infractions relatives aux moyens de transport) et apportant des modifications corrélatives à d’autres lois, se réunit aujourd’hui, à 10 h 34, pour poursuivre son étude de ce projet de loi.

Le sénateur Serge Joyal (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Honorables sénateurs, bonjour. Je suis heureux de vous souhaiter la bienvenue ce matin, alors que nous reprenons notre étude du projet de loi C-46, Loi modifiant le Code criminel en ce qui a trait aux infractions relatives aux moyens de transport.

Aujourd’hui, nous avons le privilège de recevoir, de la Gendarmerie royale du Canada, M. Wade Oldford, qui est surintendant principal et directeur général des Services nationaux de laboratoire judiciaire. M. Oldford est accompagné de Mme Gillian Sayer, qui est agente scientifique en toxicologie.

Je crois, monsieur Oldford, que vous savez comment les choses se passent autour de cette table. Nous allons d’abord vous donner l’occasion de présenter les enjeux associés au projet de loi C-46, puis mes collègues pourront en discuter avec vous.

[Français]

Merci d’avoir accepté notre invitation. La parole est à vous, monsieur Oldford.

[Traduction]

Wade Oldford, surintendant principal et directeur général, Services nationaux de laboratoire judiciaire, Gendarmerie royale du Canada : Honorables sénateurs, merci. Je suis ravi d’avoir été invité à vous parler.

Les Services nationaux de laboratoire judiciaire de la GRC ont pour mandat de fournir des services de grande qualité et en temps opportun aux responsables des enquêtes des organisations d’application de la loi dans l’ensemble du Canada, sauf en Ontario et au Québec, qui ont chacun leur propre laboratoire judiciaire public. Les Services nationaux de laboratoire judiciaire comprennent l’examen de documents et de contrefaçons, des services de biologie, des services liés aux explosifs, aux armes à feu, à la toxicologie ainsi que l’analyse et l’interprétation judiciaires de traces.

Dans le contexte de votre étude du projet de loi C-46, j’aimerais parler brièvement des services offerts par les Services nationaux de laboratoire judiciaire quant à la conduite avec facultés affaiblies, de l’incidence du projet de loi sur les Services nationaux de laboratoire judiciaire, de même que de la voie à suivre proposée par la GRC pour faire face à l’augmentation prévue des demandes qui seront adressées aux services de toxicologie.

Les services de toxicologie des Services nationaux de laboratoire judiciaire appuient l’application des lois relatives à la conduite avec facultés affaiblies. Ces services comprennent l’analyse judiciaire d’échantillons biologiques pour déceler la présence de drogues ou d’alcool, l’interprétation des résultats de l’analyse au regard des limites établies par la loi, la rédaction de lettres d’opinion et le soutien des témoins experts aux tribunaux.

Les demandes proviennent de toutes les provinces et de tous les territoires qui ont un contrat avec la GRC, tant des divisions de la GRC que des services de police municipaux. Des demandes de soutien scientifique et technique peuvent aussi être soumises par les procureurs de la Couronne pour des cas liés aux enquêtes criminelles.

Dans une enquête typique portant sur la conduite avec facultés affaiblies, un conducteur qui est arrêté parce qu’on le soupçonne d’avoir des facultés affaiblies fait l’objet d’une enquête initiale afin de déterminer la présence potentielle d’alcool ou de drogues. Un test pour établir si le conducteur a bel et bien les facultés affaiblies est d’abord effectué au moyen de l’appareil de détection approuvé, lequel peut permettre d’établir, le cas échéant, que l’alcool n’est pas en jeu. L’agent peut alors se tourner vers d’autres tests pour déterminer s’il y a présence de drogue, comme les tests de sobriété normalisés administrés sur place.

Les pièces à conviction sont ensuite envoyées au laboratoire de la GRC aux fins d’examen par des toxicologues judiciaires. On procède alors à l’extraction d’échantillons en laboratoire. Les données et résultats de ces analyses sont examinés et interprétés, et un rapport est rédigé.

Les rapports d’analyse des toxicologues judiciaires — qui comprennent des données sur la détection de drogues, l’analyse quantitative, l’incertitude, l’interprétation et les conclusions — sont ensuite transmis au service de police. Ces rapports comprennent aussi une conclusion qui indique généralement l’incidence potentielle de la drogue sur le cas en question. En d’autres termes, la mesure dans laquelle la nature et la concentration de la drogue présentes ont pu affaiblir les facultés de la personne qui conduisait le véhicule.

Il est important de mentionner que les Services judiciaires des Services nationaux de laboratoire judiciaire, y compris la toxicologie judiciaire, fonctionnent actuellement à plein régime. Bien que le nombre de nouvelles demandes découlant des dispositions législatives variera en fonction des efforts déployés pour mettre ces dispositions en application, on s’attend à ce qu’il y ait une augmentation importante de la charge de travail quant aux demandes liées aux facultés affaiblies par la drogue une fois les contrôles routiers mis en œuvre.

On s’attend également à ce que le nombre de demandes de soutien scientifique et technique formulées par les procureurs auprès des toxicologues judiciaires avant les procès soit considérablement plus élevé. Un soutien scientifique pour les dispositifs de contrôle routier pourrait aussi être nécessaire, ce qui signifie que les toxicologues judiciaires pourraient être appelés plus souvent à comparaître en cour pour fournir une interprétation et répondre aux questions lorsque des preuves sont contestées.

Afin de déterminer s’il existe suffisamment de laboratoires de toxicologie judiciaire dans le secteur privé pour pallier l’augmentation prévue des volumes, une étude approfondie a été effectuée par la GRC et une demande de renseignements officielle a été lancée par l’intermédiaire de Services publics et Approvisionnement Canada. Les informations recueillies et les réponses reçues ont permis de déterminer qu’actuellement, il n’y a pas de capacité avérée au Canada dans ce domaine hautement technique et spécialisé.

Afin de trouver une solution pour accroître rapidement sa capacité de laboratoire, la GRC a établi qu’elle allait devoir élargir les activités actuelles du service de toxicologie des Services nationaux de laboratoire judiciaire, et ce, dès juillet 2019, et qu’elle devra, pour ce faire, convertir une partie de l’espace de laboratoire où se déroulent actuellement des tests sur l’alcool en un espace réservé aux tests sur les drogues, et revoir l’ordre de priorité de la criminalistique. De plus, d’ici le début de 2021, la GRC devra mettre en place un laboratoire judiciaire provisoire en remettant en état une installation existante du gouvernement du Canada, ce qui devrait prolonger de 10 ans la durée d’utilisation de cette installation. Une fois les mesures supplémentaires mises en place, il est prévu que les services de toxicologie seront en mesure de s’adapter à l’augmentation estimée du nombre de demandes de services découlant des nouvelles mesures législatives.

Les services de toxicologie élaborent également d’autres mécanismes afin de répondre à l’augmentation prévue des demandes. Par exemple, nous prévoyons accélérer la cadence de traitement des cas de conduite avec facultés affaiblies par la drogue en limitant nos travaux aux drogues énumérées dans la loi. Nous comptons également utiliser des certificats aussi souvent que possible, et miser sur une formation ciblée et accélérée pour les scientifiques et les technologues.

Même si le volume prévu de demandes pourrait être réduit par l’introduction de sanctions administratives par les provinces et les territoires, l’augmentation des besoins à l’égard des services de toxicologie se poursuivra, et les Services nationaux de laboratoire judiciaire continueront de travailler avec leurs partenaires et les parties concernées afin de veiller à ce que le milieu canadien de l’application de la loi ait accès à des services prompts et fiables.

Je vous remercie encore une fois de m’avoir donné l’occasion de vous parler aujourd’hui. Je serai heureux de répondre à vos questions.

Le président : Merci beaucoup, monsieur le surintendant.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : On a demandé à la GRC de nous fournir des statistiques sur le nombre d’agents évaluateurs disponibles sept jours par semaine et le nombre de postes où un évaluateur est disponible sept jours sur sept. Or, nous n’avons toujours pas reçu l’information de la part du ministre. L’information que nous avons reçue est presque indéchiffrable. Nous aimerions recevoir une information plus précise sur le nombre de postes où des évaluateurs sont disponibles sept jours par semaine.

J’ai révisé les budgets de la GRC de 2017 à 2021. On ne voit aucune augmentation budgétaire pour les laboratoires, sinon des compressions de l’ordre de 1 million pour cette année et de 2 millions pour l’an prochain. On ramène le budget à 3 millions dans trois ans. Pour les deux années subséquentes, on ne voit aucune augmentation des budgets.

Avec l’augmentation dont vous venez de nous parler quant au nombre de cas, comment allez-vous réussir à livrer des constats qui pourront être utilisés en cour alors qu’on coupe dans vos budgets?

[Traduction]

M. Oldford : Merci, sénateur. Je m’excuse, mais pour ce qui est de la première partie de votre question, la traduction simultanée a tardé à venir. Je crois cependant que vous vouliez avoir des précisions sur le nombre d’évaluateurs affectés aux contrôles routiers. Je n’ai pas cette information précise avec moi, mais je pourrais vous l’acheminer par écrit, si c’est ce que souhaite le comité.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : On a reçu le nombre d’évaluateurs par région et non le nombre précis de postes de la GRC où il y a un évaluateur sept jours par semaine. Nous aurions besoin de renseignements plus précis.

[Traduction]

M. Oldford : Lors de mon dernier passage ici, la GRC était en train d’essayer de voir comment elle allait faire en sorte qu’il y ait un nombre approprié d’officiers évaluateurs et d’experts en reconnaissance des drogues dans les régions, mais cela comporte toujours des difficultés.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Ma question n’est pas là. Vous aurez des coupes de l’ordre de 3 millions de dollars pour cette année et l’an prochain. On ramène ce chiffre de 3 millions pour 2019-2020. Pour 2021-2022, vous n’avez aucune augmentation. Pour les quatre prochaines années, vous disposez du même budget que le budget actuel et vous nous dites que vous aurez une surcharge de travail liée aux évaluations scientifiques. Comment allez-vous réussir à livrer la marchandise malgré ces coupes budgétaires?

[Traduction]

M. Oldford : Le budget de cette année — celui qui a été annoncé en février 2018 — prévoit de l’argent pour aider les capacités d’analyse judiciaire de la GRC à faire face aux cas de conduite avec facultés affaiblies par la drogue. C’est sur cet argent que nous comptons pour édifier la capacité dont il est question ici.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : J’ai ici le document du Conseil du Trésor. On y voit 1 million de moins pour 2017-2018, 2 millions de moins pour 2018-2019. On ramène 3 millions en 2020, et pour 2021, vous n’avez aucune augmentation.

Je vois dans le document qu’aucune augmentation n’est prévue pour la gestion du dossier de la marijuana. Comment comptez-vous livrer la marchandise malgré ces coupes budgétaires?

[Traduction]

M. Oldford : Encore une fois, sénateur, dans ce contexte organisationnel, je crois comprendre que cet argent a été bloqué dans le budget de 2018 pour développer la capacité interne des Services nationaux de laboratoire judiciaire. C’est sur cet argent que nous comptons pour édifier la capacité dont il est question ici.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Bienvenue, monsieur Oldford et madame Sayer.

J’ai une question au sujet de l’avant-dernier paragraphe de votre présentation. Dans la version française, c’est le premier paragraphe de la dernière page. Vous dites que vous allez vous ajuster à l’augmentation de la demande. Vous prévoyez d’être en mesure de le faire en traitant les cas de conduite avec facultés affaiblies par la drogue plus rapidement, en mettant l’accent seulement sur les drogues énumérées dans la loi. Je m’intéresse aux deux derniers exemples que vous avez donnés. Qu’entendez-vous par « utilisation de certificats aussi souvent que possible »? Pouvez-vous me parler de la formation qui a été ciblée pour les scientifiques et les technologues, s’il vous plaît?

[Traduction]

M. Oldford : Les certificats auxquels nous faisons allusion renvoient aux drogues qui seront énumérées dans la loi et qui seront assorties de limites. Il s’agira donc pour le laboratoire de produire un certificat établissant, à partir d’un échantillon de sang, la concentration en excès des seuils prescrits pour telle ou telle drogue, certificats qui pourront ensuite être utilisés devant les tribunaux pour les besoins des poursuites.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Et pour la formation?

[Traduction]

M. Oldford : Pour ce qui est de la formation, nous allons mettre l’accent sur les drogues qui seront énumérées dans la loi. Nous disons donc que la formation sera plus ciblée, puisqu’elle se limitera à ces drogues-là.

[Français]

Le sénateur Carignan : Si je comprends bien, les services d’analyse fonctionnent presque à plein régime en ce moment. Vous n’avez pas trouvé, dans le secteur privé, de solutions de rechange qui pourraient alléger votre volume de travail et l’augmentation que vous anticipez. Ai-je bien compris?

[Traduction]

M. Oldford : Comme je l’ai dit tout à l’heure, nous commençons tout juste à développer nos capacités en prévision de cette augmentation anticipée de la demande.

[Français]

Le sénateur Carignan : Vous parlez du laboratoire. Ce n’est pas une faute de frappe? Vous avez bien dit que les activités actuelles du laboratoire seront élargies aussi tôt que juillet 2019, et non 2018?

[Traduction]

M. Oldford : Non. D’ici 2019, nous allons augmenter notre capacité interne dans une certaine mesure. Puis nous allons développer nos services en ligne au début de 2021. Il s’agit donc d’une initiative qui se fera par étape…

[Français]

Le sénateur Carignan : Donc, j’avais bien compris.

Concernant la question du volume, vous avez dit que, actuellement, les gens sont testés pour l’alcool en premier lieu, et c’est seulement lorsqu’ils reçoivent un résultat positif qu’on fait l’analyse approfondie en matière de drogue. Je comprends également que, si la personne a déjà un résultat positif pour l’alcool, les policiers ne vont pas passer au test pour la drogue et vont se concentrer seulement sur la poursuite pour conduite avec facultés affaiblies par l’alcool. Donc, s’ils ne vont pas plus loin dans la recherche de présence de drogue, cela allège le fardeau du laboratoire d’analyse, n’est-ce pas?

[Traduction]

M. Oldford : Encore une fois, je peux répondre à la portion de votre question qui concerne le laboratoire, mais, compte tenu de la loi actuelle et des procédés scientifiques dont nous disposons pour l’instant, il serait évidemment plus logique que l’agent enquêteur se focalise sur l’alcool en premier. Puis, durant l’enquête subséquente, les agents devront décider si l’alcool était la seule substance responsable de la conduite avec facultés affaiblies ou s’il y avait, possiblement, d’autres facteurs en cause. Je crois que le procédé sera à peu près le même pour chacune de ces enquêtes, mais qu’il y aura aussi des variations. Si l’on conclut que l’alcool n’est pas la seule chose en cause, mais qu’il s’agit plutôt d’un mélange d’alcool et, possiblement, d’autres drogues, un échantillon sera prélevé et envoyé au laboratoire pour qu’on procède à des analyses plus poussées.

La sénatrice Jaffer : Merci beaucoup d’être là aujourd’hui, et merci pour vos notes écrites. Ces documents nous sont toujours très utiles. Je vais continuer sur la lancée du sénateur Carignan. Vous faites ces choses tous les jours, mais pas moi, alors corrigez-moi si je me trompe. Voici comment j’ai toujours compris la procédure : disons que quelqu’un est arrêté par la police et que l’agent soupçonne cette personne d’avoir les facultés affaiblies. L’arrestation se fait bien sûr sur le bord de la route. Dans certains cas, le contrevenant peut être amené au poste de police pour y subir un test — à condition que cela se fasse dans les deux heures suivant l’arrestation. Là où j’aimerais avoir des précisions par rapport à ce que vous avez dit au sénateur Carignan, c’est ici : si vous constatez que les facultés sont affaiblies autrement que par l’alcool, allez-vous vous fier seulement à votre jugement, comme vous l’avez fait jusqu’ici? Comment allez-vous savoir si l’affaiblissement des facultés est attribuable à la fois à l’alcool et aux drogues? Sur quoi allez-vous vous baser?

M. Oldford : Merci de cette question. C’est un aspect qui ne concerne pas vraiment les analyses du laboratoire judiciaire, mais je peux tout de même vous répondre en termes généraux, en me fiant à mon expérience passée à servir dans la patrouille. Je crois que le procédé est sensiblement le même pour toutes ces interventions, mais qu’il y aura aussi certaines différences. Ce n’est pas une réponse précise, j’en conviens, mais je crois que cela dépendrait du cas, de l’ensemble des faits présentés à l’agent enquêteur. Il pourrait s’agir de la quantité d’éléments de preuve recueillis à l’égard de la conduite constatée avant l’arrestation, éléments de preuve qui n’existeraient pas si la personne est arrêtée à l’occasion d’un barrage routier. Bref, cela dépendrait de la façon dont nous prendrions cette décision.

La sénatrice Jaffer : Pour le moment, ni vous ni moi ne savons de quoi il retourne, et ce n’est pas un problème. J’ai tellement de questions à vous poser, mais je vais passer à une autre. Je suis de la Colombie-Britannique, où l’équipement utilisé pour déceler l’alcool est constamment remis en question, à un point tel que notre gouvernement a décidé de changer de méthode pour faire face à ce problème. Sauf que l’on se pose des questions sur la constitutionnalité de ces appareils. Je pourrais continuer à parler de cela, mais le président ne manquera pas de me ramener à l’ordre. Je vais donc vous demander ceci : est-il possible d’utiliser la technologie existante, comme les antidémarreurs, en parallèle avec des campagnes de tolérance zéro pour réduire les préjudices associés à la conduite avec facultés affaiblies par la drogue?

M. Oldford : Si j’ai bien compris, la tolérance zéro serait pour l’alcool, pour l’antidémarreur. Je n’ai jamais entendu parler d’un dispositif capable de vérifier si le conducteur a pris de la drogue avant de prendre le volant, comme cela se fait pour l’alcool.

La sénatrice Jaffer : Plus je m’intéresse à cette question, plus elle me préoccupe — et vous allez peut-être m’aider à me sentir mieux en n’étant pas aussi préoccupée —, parce que la science a, à cet égard, des limites particulières. L’état second chez une personne est peut-être différent de ce qu’il est chez une autre. Par exemple, le projet de loi C-46 peut bien parler d’une personne qui a du cannabis dans son système, mais cela ne veut pas nécessairement dire que les facultés de cette personne seront affaiblies. Pour les personnes qui consomment ces drogues depuis longtemps, l’effet est différent de celui ressenti par ceux qui en sont à leur première fois ou qui en consomment à l’occasion. Comment allez-vous prouver que cette personne a les facultés affaiblies?

M. Oldford : Je crois que la réponse à cette question comporte au moins deux volets. Tout d’abord, permettez-moi de revenir à votre première affirmation. La science dans ce domaine est jeune et il lui faudra du temps pour évoluer et mûrir. Cela ressemble beaucoup avec ce qui s’est produit avec l’alcool. Ensuite, en ce qui concerne la question des facultés affaiblies et ce que vous avez dit sur le fait que différentes quantités de drogues peuvent avoir des effets différents chez différentes personnes et à différents moments, il s’agit d’aspects qui renvoient eux aussi aux éléments de preuve qui seront présentés à l’agent enquêteur. Encore une fois, tout dépendra du contexte dans lequel le conducteur se fera arrêter. L’agent enquêteur aura-t-il eu le temps de constater une conduite erratique? Tous ces aspects seront pris en considération pour les besoins de l’enquête.

La sénatrice Jaffer : Monsieur Oldford, ma plus grande préoccupation à cet égard porte sur les tests, sur ces appareils de vérification. Nous ne maîtrisons pas encore tout à fait les appareils pour vérifier la présence d’alcool. Il y a toujours de nouveaux problèmes. Je ne vous apprends rien; ce sont des choses que vous savez. Les avocats ont toutes sortes de moyens pour contester ces détecteurs d’alcool, et il y en aura encore plus avec le cannabis. Bien sûr, je ne peux parler que pour la Colombie-Britannique où les tribunaux sont complètement engorgés par des affaires de conduite en état d’ébriété, mais je me demande comment vous allez composer avec toutes les contestations qui viendront pour des affaires de conduite avec facultés affaiblies par la drogue. Je sais que le système judiciaire ne relève pas de vous, je comprends cela, mais qu’allez-vous faire de votre côté?

M. Oldford : De mon point de vue, c’est une question qui nécessitera une surveillance ou une gestion très serrée, puisque certains des toxicologues qui devront comparaître devant les tribunaux seront ceux dont je dépendrai pour effectuer nos analyses. C’est pour cette raison que nous allons recourir aux certificats toutes les fois que nous le pourrons, de manière à réduire au minimum le temps que nos experts devront passer devant les tribunaux dans le cadre de ces contestations de nature constitutionnelle au sujet des facultés affaiblies.

La sénatrice Pate : Merci beaucoup à vous deux d’être venus témoigner. Vous avez expliqué succinctement en quoi consiste le processus que les toxicologues utilisent dans les laboratoires. J’aimerais savoir combien de temps dure ce processus en général, à partir du moment où vous appréhendez quelqu’un jusqu’à celui où toutes les analyses sont terminées.

Deuxièmement, étant donné ce que vous avez dit en répondant à la question du sénateur Boisvenu au sujet des coûts, d’où obtiendrez-vous les ressources additionnelles qu’il vous faudra pour vous acquitter du surplus de travail que vous prévoyez avoir en raison du projet de loi C-46?

M. Oldford : Merci. Pour la première partie de votre première question — en ce qui concerne la durée du processus — je dirai que cela dépend d’une foule de facteurs. Cela dépend du temps que l’agent qui a procédé à l’arrestation ou l’agent enquêteur mettra à faire son enquête, du moment où il contactera le laboratoire judiciaire pour obtenir l’autorisation d’y envoyer des éléments de preuve et du temps qu’il faudra pour faire cela. Une fois l’autorisation donnée, les éléments de preuve sont envoyés au laboratoire. Par conséquent, il y a parfois un chevauchement entre les deux étapes, et la durée de cela varie.

Ensuite, lorsque le laboratoire reçoit les éléments de preuve, nous commençons à traiter ces échantillons et à les analyser sur-le-champ. La durée varie, et il serait difficile de vous donner un délai précis parce que toutes ces choses sont variables.

La sénatrice Pate : Est-il possible de donner un minimum et maximum?

M. Oldford : À l’heure actuelle, pour les cas prioritaires, nous pourrions probablement obtenir des réponses très rapidement, et je dirais que pour les cas nécessitant un traitement prioritaire… Gillian?

Gillian Sayer, agente scientifique en toxicologie, Gendarmerie royale du Canada : Encore une fois, il est très difficile de fournir un chiffre exact pour un cas prioritaire. J’imagine que ce serait de l’ordre de deux ou trois semaines.

M. Oldford : Lorsque je parle de cas prioritaires, je fais allusion aux cas plus graves où une réponse immédiate est requise pour diverses raisons. Je le répète, pour les cas plus ordinaires, il faudrait plus de temps, car nous les placerions intentionnellement plus loin dans la file d’attente, de sorte que les résultats soient prêts à temps lorsque les tribunaux en auraient besoin.

Encore une fois, si nous sommes au courant d’une date de comparution devant le tribunal — et la plupart du temps, au terme de l’enquête, lorsque nous attendons de recevoir l’analyse des pièces à conviction, nous connaissons la date prévue de l’audience —, alors nous gérerons également les cas en attente de traitement pour veiller à ce que l’enquêteur obtienne les résultats dont il a besoin.

Pour répondre à la deuxième question, nous allons devoir, peut-être à l’instar d’autres laboratoires publics, nous fier au bassin de ressources qui sont disponibles au pays pour l’embauche de nouveaux travailleurs. Nous avons eu des discussions sur la façon d’établir des liens avec des représentants du milieu de la recherche, d’autres universités et de l’industrie privée, des gens qui ont des connaissances ou une certaine expérience en la matière, afin de les inviter à assurer le reste de la formation.

La sénatrice Pate : Merci. Voilà pour les ressources humaines, mais qu’en est-il des ressources financières s’il n’y a aucune augmentation du budget? Comment y arriveriez-vous?

M. Oldford : À ma connaissance, dans le budget de février 2018, des fonds ont été prévus pour les laboratoires judiciaires au sein de la GRC. Nous compterions donc sur ce financement.

La sénatrice Batters : Merci beaucoup d’être là aujourd’hui. Depuis juillet 2008, les policiers sont autorisés à exiger d’un conducteur soupçonné de conduite avec facultés affaiblies qu’il se soumette à un test normalisé de sobriété administré sur place — pour la gouverne de nos téléspectateurs, il s’agit là d’une évaluation effectuée par un expert en reconnaissance des drogues pour déterminer s’il y a eu consommation de drogues —- et qu’il fournisse un échantillon de sang, d’urine ou de salive pour la détection de substances psychoactives.

Pourriez-vous nous fournir quelques chiffres précis aujourd’hui — ou nous les faire parvenir — sur le nombre de tests sanguins ou de tests d’urine demandés par les agents de la GRC en 2017 et jusqu’ici en 2018 relativement à la marijuana?

Je me demande également quel est le coût moyen d’un test sanguin par rapport à celui d’un test d’urine pour la marijuana et d’autres drogues.

M. Oldford : En ce qui concerne ces chiffres, je vais devoir faire un peu plus de recherches et examiner nos données afin de pouvoir vous envoyer les réponses plus tard.

La sénatrice Batters : Parfait. Pourriez-vous également nous transmettre des renseignements sur le coût?

M. Oldford : Oui.

La sénatrice Batters : Merci beaucoup.

M. Oldford : Là encore, pour trouver les réponses à ces deux questions, j’aurais à me fier à la façon dont les données ont été compilées, et c’est ce qui déterminera combien de temps il me faudrait pour repérer l’information.

La sénatrice Batters : Oui, bien entendu. Ce serait très utile. Merci.

Je vous suis également reconnaissante de nous avoir informés aujourd’hui — et je trouve cela alarmant — que le gouvernement savait pendant deux ans et demi qu’il allait présenter ce projet de loi, mais nous apprenons une fois de plus qu’un autre élément n’est pas prêt. Nous avons vu que votre laboratoire fonctionne déjà à plein régime, et il faudra accroître sensiblement sa capacité, comme vous l’avez expliqué aujourd’hui. Merci beaucoup de nous avoir fourni cette information importante.

Le sénateur McIntyre : Merci, monsieur Oldford, de votre exposé. Vous avez parlé des services de toxicologie, y compris de l’interprétation des résultats de l’analyse au regard des limites établies par la loi. À ce sujet, il y a deux facteurs importants à prendre en considération : la détection et les outils d’application de la loi.

En ce qui a trait à la détection, manifestement, il faut relier les niveaux de THC avec l’affaiblissement des facultés pour appuyer l’établissement d’une limite légale fondée sur des données scientifiques. De plus, il faut des outils précis et fiables pour le contrôle routier. Ces propos sont-ils exacts?

M. Oldford : Si je vous comprends bien, vous parlez des outils actuellement disponibles pour identifier les conducteurs aux facultés affaiblies, n’est-ce pas?

Le sénateur McIntyre : Oui.

M. Oldford : Je crois que les enquêteurs auraient toute une gamme d’outils à leur disposition, comme par le passé.

Le sénateur McIntyre : Oui, mais il est important d’avoir des limites légales établies de manière scientifique.

M. Oldford : Oui. Si c’est une question de limite légale, je vous invite à vous reporter au rapport préparé sur le sujet par le Comité des drogues au volant, parce que cet aspect ne relève pas vraiment de notre mandat.

Le sénateur McIntyre : Si vous avez les outils, alors évidemment, vous pourrez faire le travail?

M. Oldford : Si nous avons les outils, oui. S’il y a une limite légale, nous pourrons, grâce aux instruments et aux robots dont nous disposons, déterminer la concentration d’une drogue particulière dans le sang.

Le sénateur McIntyre : Dans quelle mesure la concentration de drogue dans le sang est-elle un indicateur fiable de l’affaiblissement des facultés?

M. Oldford : Je vais peut-être demander à ma collègue de répondre à cette question.

Mme Sayer : Votre question porte sur la fiabilité d’une concentration de drogue pour prédire l’affaiblissement des facultés. Cela dépendra d’un certain nombre de facteurs. Le rôle d’un toxicologue judiciaire est d’examiner les publications scientifiques sur la drogue en question et de donner une opinion pour établir si la concentration détectée est susceptible ou non d’affaiblir les facultés.

Nous ne pouvons pas fournir des informations sur un individu en particulier ni prévoir dans quelle mesure cette personne aura les facultés affaiblies. Les limites légales des drogues sont généralement établies à des fins d’élaboration de politiques et de santé publique. Il est impossible de garantir qu’au-delà d’une limite légale précise, tout le monde aura les facultés affaiblies et qu’en deçà de la limite, tout le monde gardera ses facultés intactes. Par conséquent, à ce stade-ci, la science ne permet pas de préciser la concentration de drogue dans le sang qui affaiblira les facultés de tous, comme c’est le cas pour l’alcool.

Le sénateur McIntyre : De toute évidence, il y aura une variation, selon le type de drogues.

Mme Sayer : Oui, absolument.

Le sénateur Gold : Étant donné l’augmentation probable du nombre d’échantillons que vous recevrez, pouvez-vous nous parler de vos préoccupations quant à l’entreposage de ces échantillons, surtout si certains cas sont traités en priorité, comme il se doit? Dispose-on actuellement de l’infrastructure nécessaire pour entreposer les échantillons en attente de traitement et ceux qui ont déjà été traités?

M. Oldford : Du point de vue du laboratoire, l’entreposage ne serait pas particulièrement problématique. Nous avons une capacité d’entreposage. Si jamais nous avions besoin d’une capacité accrue, c’est le genre d’infrastructure que nous pourrions obtenir assez rapidement en ce qui concerne la réfrigération ou d’autres types de machines pouvant s’avérer nécessaires, ainsi que l’espace requis à cette fin.

Le sénateur Gold : Merci. J’ai une brève question complémentaire à vous poser. C’est, en fait, un prologue à la question. En ce qui a trait au prélèvement d’échantillons dans les régions rurales, j’imagine que cela ne pose pas grand problème. Par contre, il n’en est pas ainsi dans les régions éloignées. Pourriez-vous nous dire quelques mots sur votre expérience à ce jour ou sur les défis que vous prévoyez sur le plan du prélèvement d’échantillons dans les régions éloignées et de leur transmission aux laboratoires?

M. Oldford : Je pourrais peut-être faire quelques observations d’après mon expérience pour souligner que le prélèvement d’échantillons sera plus difficile dans certaines régions du pays que dans d’autres, en fonction de l’infrastructure qui est actuellement disponible ou qui pourrait être mise en place. Dans l’ensemble, ces responsabilités et ces pressions ne relèveraient pas du mandat du laboratoire.

Pour ce qui est de l’acheminement des pièces à conviction vers le laboratoire, nous ne nous en inquiétons pas outre mesure, car nous en avons déjà reçu un certain nombre de façon prioritaire. Cela se résume donc, selon moi, à la prise d’échantillons au début du processus.

[Français]

Le sénateur Maltais : Monsieur Oldford, vous avez effectué des tests sur la route, vous avez arrêté des automobilistes et vous avez sans doute prélevé des échantillons de salive. Des tribunaux se sont prononcés sur vos tests et certains les ont reconnus. Toutefois, ont-ils déjà été contestés?

[Traduction]

M. Oldford : Tout d’abord, si vous parlez des appareils de détection à échantillonnage de liquide buccal en bordure de route, je dirais que les tests qui ont été effectués ne font pas partie, eux non plus, du mandat du laboratoire judiciaire. Voilà pourquoi nous n’avons pas participé à ces études. Je ne crois pas que les tribunaux se soient prononcés là-dessus à ce stade-ci. Il reste encore un processus de validation. Si je ne m’abuse, le travail accompli jusqu’à présent relativement à ces dispositifs faisait partie d’un projet pilote destiné à démontrer leur fonctionnalité.

[Français]

Le sénateur Maltais : Les individus qui ont été arrêtés pour une infraction reliée à la drogue et qui ont subi un test n’ont pas contesté ni comparu devant les tribunaux, si je comprends bien?

[Traduction]

M. Oldford : Je ne dispose pas de cette information. Ce serait à l’extérieur du mandat du laboratoire judiciaire. Je ne saurais vous répondre par oui ou non, mais je sais qu’un projet pilote a été réalisé sur les appareils de détection à échantillonnage de liquide buccal en bordure de route. Je ne peux toutefois pas parler de tous les détails concernant les résultats et la structure du projet pilote en tant que tel.

[Français]

Le sénateur Maltais : Il serait tout de même important de savoir si les analyses que vous faites sont acceptées ou contestées par les tribunaux, non?

[Traduction]

M. Oldford : Le laboratoire judiciaire ne s’occuperait pas des appareils de dépistage utilisés lors de contrôles routiers. Nous ne ferions que l’analyse des échantillons de sang prélevés dans le cadre de l’enquête, au moyen de ces appareils. Notre travail est donc différent.

Le bon ou le mauvais fonctionnement de ces dispositifs serait démontré par le nombre éventuel de pièces à conviction envoyées au laboratoire, mais cela n’aurait aucune incidence directe sur la façon dont nous faisons notre travail.

[Français]

Le sénateur Maltais : Pour terminer, je dois comprendre que personne n’a contesté ni n’a accepté les résultats.

[Traduction]

M. Oldford : À ma connaissance, jusqu’ici, aucun de ces appareils n’est réputé avoir été accepté par les tribunaux ou aux termes du Code criminel.

Le président : Je vous remercie tous les deux de vos observations ce matin. Je suis sûr que votre contribution sera utile dans le cadre de nos délibérations sur le projet de loi.

[Français]

Il m’est très agréable de vous présenter maintenant Mme Kathleen Fox, présidente du Bureau de la sécurité des transports du Canada. Elle est accompagnée de M. Jean Laporte, administrateur en chef des opérations.

[Traduction]

Je crois comprendre que vous avez préparé un mémoire, et nous l’avons distribué à tout le monde autour de la table. La parole est à vous, madame Fox.

Kathleen Fox, présidente, Bureau de la sécurité des transports du Canada : Je tiens à vous remercier d’avoir invité le Bureau de la sécurité des transports du Canada à témoigner aujourd’hui. Comme il s’agit de notre première comparution devant le comité, j’aimerais d’abord vous donner un aperçu du BST et de son mandat.

Le BST a été créé en 1990 en vertu de la Loi sur le Bureau canadien d’enquête sur les accidents de transport et de la sécurité des transports. Notre mandat et notre unique vocation consistent à promouvoir la sécurité du transport aérien, maritime et ferroviaire, ainsi que du transport par pipeline. Nous le faisons en menant des enquêtes indépendantes, en cernant les lacunes de sécurité, en déterminant les causes ainsi que les facteurs contributifs, en faisant des recommandations et en publiant des rapports sur nos enquêtes et leurs constatations. Il est important de noter que nous ne sommes pas habilités à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales.

[Français]

Autrement dit, lorsque survient un incident, nous menons une enquête afin de savoir ce qui s’est passé et de déterminer les raisons pour lesquelles il s’est produit. Ensuite, nous rendons publiques nos conclusions afin que les organismes de réglementation et les intervenants de l’industrie les mieux placés pour prendre les mesures nécessaires puissent le faire.

[Traduction]

Compte tenu de notre mandat, et du fait que nous n’attribuons ni blâme ni responsabilité, nous étions très étonnés de recevoir une invitation à comparaître devant le comité dans le cadre de son examen des modifications proposées au Code criminel du Canada, telles que décrites dans le projet de loi C-46. Nous étions toutefois heureux de constater que des membres du comité avaient examiné notre rapport d’enquête sur la désintégration en vol d’un petit avion de transport de marchandises survenu en avril 2015 à North Vancouver, en Colombie-Britannique, à la suite de laquelle nous avons déterminé que l’affaiblissement des facultés par l’alcool avait presque certainement joué un rôle dans cet accident.

Comme vous le savez, cette enquête a donné lieu à une recommandation de sécurité demandant que le ministère des Transports, en collaboration avec le secteur de l’aviation et les représentants d’employés canadiens, élabore et mette en place des exigences relativement à un programme complet de lutte contre l’abus de substances, qui comprend le dépistage de la consommation de drogues et d’alcool, dans le but de réduire le risque que des personnes qui occupent des fonctions critiques pour la sécurité accomplissent leurs tâches avec des facultés affaiblies. Ces exigences doivent tenir compte du besoin d’incorporer les principes des droits de la personne en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne et de trouver l’équilibre entre ces principes et la responsabilité de protection de la sécurité publique.

Pourquoi avons-nous formulé cette recommandation? Le BST a déterminé que l’abus d’alcool et de drogues avait non seulement joué un rôle dans cet accident, mais également dans bon nombre d’événements antérieurs ayant fait l’objet d’une enquête. Également, plusieurs incidents mettant en cause des pilotes qui se sont présentés au travail avec des facultés affaiblies ont fait les manchettes. Dans plusieurs cas, c’est un employé de l’aéroport ou un collègue d’un pilote aux facultés affaiblies qui a servi de dernière ligne de défense pour empêcher le ou les pilotes enivrés de conduire un aéronef. Bien qu’elle ait été efficace dans ces cas, cette mesure est bien mince dans l’ensemble.

Les lois, règlements, normes et directives en vigueur peuvent contribuer à atténuer certains des risques associés à l’usage de substances chez les pilotes et autres employés qui remplissent des fonctions liées à la sécurité, mais ils s’appuient beaucoup sur la discipline interne. Or, il continue de se produire des événements où les personnes aux facultés affaiblies passent inaperçues ou ne sont pas empêchées de piloter un aéronef. Par conséquent, le BST estimait qu’il fallait en faire plus pour atténuer ce risque, d’où la publication de cette recommandation.

[Français]

Nous serons heureux de répondre à vos questions sur notre mandat, notre processus d’enquête ou notre recommandation sur la nécessité de mettre en œuvre un programme complet de lutte contre l’abus d’alcool et de drogue dans le secteur de l’aviation.

[Traduction]

Toutefois, nous ne ferons aucun commentaire sur des questions qui ne relèvent pas de notre mandat, telles que les propositions de modifications législatives énoncées dans le projet de loi C-46 ou tout autre aspect de la responsabilité criminelle associée à la conduite d’un véhicule avec les capacités affaiblies.

[Français]

Le président : Merci, madame Fox.

La parole est au vice-président, le sénateur Boisvenu.

Le sénateur Boisvenu : Bienvenue à nos invités, et merci de votre présentation. En 2017, on a vu l’arrestation d’un pilote de la SunWing qui était en état d’ébriété, et qui a été arrêté dans la cabine de pilotage. Cela aurait pu être un événement beaucoup plus dramatique s’il avait pris les commandes de l’avion. Avez-vous été consultés lors de l’élaboration du projet de loi C-46? Est-ce que le gouvernement vous a consultés sur les éléments de contrôle ou autres?

Mme Fox : Non, nous n’avons pas été consultés par le gouvernement.

Le sénateur Boisvenu : Hier, nous recevions des témoins qui représentaient l’industrie du transport, qu’il soit maritime, aérien, ferroviaire ou par camionnage. Ils trouvent que l’une des faiblesses du projet de loi, c’est que les contrôles aléatoires vont s’appliquer seulement à l’alcool et non pas aux drogues. Ils seraient d’accord pour que, au sein de ces industries, on reconnaisse le droit de mettre en œuvre des tests aléatoires pour les employés qui occupent des postes à haut risque, et qui conduisent entre autres des trains, des avions, et cetera. Est-ce que votre commission a déjà fait une recommandation semblable par le passé, ou est-ce que, dans le cadre du projet de loi C-46, c’est le type de recommandation que vous feriez, à savoir qu’on permette ce type de contrôle préalable, ces tests aléatoires pour les employés qui ont des responsabilités très importantes à l’égard du public, comme celle de transporter des personnes?

Mme Fox : L’une des recommandations que nous avons faites, dans le cas de l’accident qui s’est produit en Colombie-Britannique, était de prévoir un programme exhaustif qui évaluerait la présence d’alcool ou de drogue. On n’a pas précisé la forme d’évaluation, qu’elle soit aléatoire ou autre. Nous savons que, pour être efficace et éviter que les compétences soient affectées par la drogue ou l’alcool, il faut un programme exhaustif qui comprend l’éducation, la supervision sous forme de test ou autre, et des programmes de soutien dans le cas où les personnes souffrent d’une condition particulière.

Le sénateur Boisvenu : Cet ensemble de moyens pourrait inclure les tests aléatoires.

Mme Fox : Les tests aléatoires pourraient en faire partie, mais on ne s’est pas arrêté là.

La sénatrice Dupuis : Bonjour, madame Fox, monsieur Laporte. Merci d’être parmi nous. J’aimerais m’assurer de comprendre le sens de votre présentation ce matin. Vous dites que votre responsabilité porte sur la sécurité du transport aérien, maritime, ferroviaire et par oléoduc.

Mme Fox : C’est exact.

La sénatrice Dupuis : En matière de sécurité, votre recommandation propose que le ministre des Transports, en collaboration avec le secteur de l’aviation et les représentants d’employés canadiens, mette en place des mesures, que vous nous avez expliquées. Cette recommandation porte-t-elle uniquement sur le secteur de l’aviation?

Mme Fox : Lorsque le bureau émet une recommandation, elle doit être soutenue par des preuves. Le cas qui nous intéresse faisait suite à un accident d’avion et à l’enquête qu’on a menée. La recommandation visait donc l’aviation. Par contre, lorsqu’on émet une recommandation, le ministère a 90 jours pour y répondre. Dans sa réponse, il a reconnu que cet enjeu peut exister pour d’autres modes de transport. Il prévoit donc de se pencher sur l’ensemble du transport ferroviaire, maritime et de l’aviation. Il a l’intention de revoir sa politique afin de déterminer comment traiter cet enjeu pour les autres modes de transport.

La sénatrice Dupuis : Si je comprends bien, le gouvernement se prépare à examiner la question pour l’ensemble du secteur que vous couvrez?

Mme Fox : Oui.

La sénatrice Dupuis : Est-ce la raison pour laquelle vous dites à la fin de votre présentation que vous n’êtes pas ici pour faire des commentaires sur le projet de loi C-46, parce que ce n’est pas ce projet de loi qui est pertinent pour traiter la question que vous avez soulevée?

Mme Fox : C’est en partie pour cette raison. D’autre part, notre mandat n’est pas d’attribuer le blâme ni la responsabilité civile ou pénale. Il serait donc hors de notre mandat de faire des commentaires sur le Code criminel.

[Traduction]

Le sénateur McIntyre : Merci, madame Fox, de votre excellent exposé. Comme vous l’avez dit, il faut un programme complet de lutte contre l’abus de substances, qui comprendrait un dépistage obligatoire, d’où ma question : ce programme englobera-t-il des initiatives complémentaires comme l’éducation, le soutien par les pairs, l’aide aux employés et les services de désintoxication?

Mme Fox : Ce que nous recommandons à Transports Canada, c’est de collaborer avec l’industrie et les représentants d’employés pour élaborer des exigences en vue d’un programme complet qui engloberait tous les éléments que vous venez de mentionner. Parmi les circonstances que nous avons observées dans le cadre de nos enquêtes, nous avons surtout eu affaire à des problèmes d’abus de substances à long terme plutôt qu’à des cas de consommation occasionnelle de boissons ou d’autres substances. Nous avons jugé qu’il fallait ratisser large parce qu’il existe des normes et des protocoles médicaux exhaustifs qui interdisent la consommation de drogues ou d’alcool au moment de conduire un avion ou un navire, et il incombe à Transports Canada, en tant qu’organisme de réglementation, de mettre au point le programme. Nous évaluerons ensuite le tout pour déterminer si cela permet de corriger la lacune sous-jacente en matière de sécurité.

Le sénateur McIntyre : Le programme tiendra-t-il également compte du besoin d’établir un équilibre entre les principes des droits de la personne et la sécurité publique?

Mme Fox : Là encore, cela fait partie de notre recommandation, mais ce n’est pas nous qui en assurons la mise en œuvre. Nous formulons une recommandation au gouvernement, en l’occurrence à Transports Canada, plus précisément au ministre des Transports. En réponse, ce dernier décide de ce qui s’impose pour régler cette situation. Ainsi, le ministère a fait savoir qu’il examinait la question du point de vue stratégique pour déterminer quelles mesures peuvent être prises en vue d’instaurer un programme complet qui engloberait le dépistage et d’autres initiatives comme l’éducation et la sensibilisation. Le ministère a déjà indiqué son intention de lancer une campagne de sensibilisation en 2018 — je crois, à l’automne —, mais c’est à lui de déterminer comment collaborer avec l’industrie et les représentants d’employés. Nous voulions nous assurer que notre recommandation faisait également mention de la nécessité de trouver l’équilibre entre les questions de respect de la vie privée et le besoin de protéger la sécurité publique.

Le sénateur McIntyre : Tout cela fait partie de votre recommandation, mais il incombe au gouvernement fédéral de mettre cela en œuvre.

Mme Fox : C’est exact.

La sénatrice Pate : Je vous remercie tous deux de vos témoignages. En plus de la recommandation que vous avez mentionnée au cours de votre déclaration préliminaire et qui a suivi la désintégration en vol survenue en avril 2015, y a-t-il d’autres commentaires ou recommandations que vous pourriez faire en ce qui concerne la manière de réduire les incidents mettant en cause une personne en état d’ébriété, d’une façon préventive plutôt que réactive? Je suis curieux de savoir si vous disposez de statistiques sur le nombre d’incidents mettant en cause des personnes aux facultés affaiblies par des drogues ou de l’alcool, et si ce problème survient fréquemment dans les transports maritimes, ferroviaires et aériens.

Mme Fox : Depuis notre création en 1990 — je vais aborder d’abord la question des statistiques, sénateur —, nous avons enquêté sur 24 cas qui pourraient être des accidents ou des incidents où l’alcool ou des drogues ont été mentionnés dans les constatations. Soyons clairs. Cela ne veut pas nécessairement dire qu’ils ont causé l’accident ou l’incident, mais plutôt qu’ils ont joué un rôle quelconque, peut-être en tant que risque.

De plus, ces occurrences ne sont pas simplement liées à l’alcool et à des drogues comme le cannabis ou des opioïdes. Ils peuvent aussi être liés à des facultés affaiblies par des médicaments d’ordonnance ou en vente libre. Dans l’ensemble, il est plutôt rare que nous détections de l’alcool ou des drogues dans le cadre de nos enquêtes. Cela dit, cela se produit, et c’est la raison pour laquelle, après les trois enquêtes menées entre 2009 et 2015, y compris l’occurrence de North Vancouver, nous avons eu l’impression qu’il était temps que le bureau émette une recommandation en ce qui concerne l’établissement d’un programme complet de lutte contre l’abus de substances dans le secteur de l’aviation, qui comprend le dépistage. Toutefois, notre recommandation n’est pas normative quant au type de dépistage, qu’il s’agisse de mesures de dépistage prises avant de délivrer un certificat médical ou d’embaucher quelqu’un, ou de tests de dépistage aléatoire. Nous savons que certaines entreprises procèdent déjà à des tests de dépistage pour raisons valables ou à la suite d’un incident.

La sénatrice Pate : Avez-vous d’autres observations à formuler quant à la façon de s’attaquer à ce problème d’une manière préventive? Je pense que vous avez effleuré cet aspect, mais avez-vous d’autres commentaires à cet égard?

Mme Fox : Pas vraiment. Nous avions précédemment fait état d’une préoccupation à la suite du naufrage du navire Queen of the North, en Colombie-Britannique, parce que nous avions détecté une consommation de cannabis à bord du navire en question. Donc, à l’époque, le bureau a exprimé une préoccupation relative à la consommation de cannabis à bord du Queen of the North. Depuis, la seule recommandation que nous avons formulée est celle ayant trait à un programme complet de lutte contre l’abus de substances dans le secteur de l’aviation, qui s’applique non seulement aux pilotes, mais aussi à toute personne dont les fonctions sont considérées comme critiques pour la sécurité.

[Français]

Le sénateur Pratte : J’aimerais une précision. Quand vous parlez de 24 enquêtes où l’alcool ou la drogue ont été cernés comme facteurs possibles, c’est pour tous les moyens de transport?

Mme Fox : Oui. En fait, c’était 15 pour l’aviation, 6 pour la marine et 3 pour le transport ferroviaire.

Le sénateur Pratte : Un certain nombre de sociétés aériennes ont déjà des politiques en place, notamment pour faire des tests à la suite d’un incident ou au moment de l’embauche. Avez-vous une idée de la situation quant aux mesures déjà en place au sein de l’industrie de l’aviation?

Mme Fox : Non, on n’a pas de portrait global de la situation. Si on croit que la drogue ou l’alcool a été un facteur lors d’un incident, on examinera ce qu’il y avait en place chez le transporteur pour prévenir ce risque.

Le sénateur Pratte : Avez-vous des indications selon lesquelles les entreprises impliquées dans les accidents sur lesquels vous avez mené des enquêtes avaient des programmes de tests insuffisants ou inexistants?

Mme Fox : Je peux répondre de deux façons. D’abord, plusieurs compagnies aériennes et ferroviaires doivent avoir un système de gestion de la sécurité pour gérer les risques au sein de leurs opérations. L’utilisation de drogue ou d’alcool représente certainement un risque. Par conséquent, elles doivent prévoir des programmes. Selon la taille de l’exploitation, certains programmes sont très développés, alors que d’autres le sont moins. Dans le cas de l’accident dont je vous ai parlé plus tôt, le capitaine avait un taux d’alcoolémie de 0,24 p. 100 à la suite de l’accident. On mentionne dans le rapport que cet employé avait été soupçonné d’avoir un problème de consommation. La compagnie a évalué ce pilote en cours de vol et a conclu que ce dernier respectait les normes de rendement. Elle a affirmé qu’elle allait surveiller la situation de près. L’accident s’est produit par la suite. On avait constaté qu’il n’y avait pas de moyen de rapporter cet incident aux cadres supérieurs de la compagnie. Dans ce cas-là, la communication de l’information au sein de la compagnie n’a pas bien fonctionné.

Le sénateur Pratte : Aux États-Unis, il existe des tests aléatoires. A-t-on fait l’essai de ces programmes? Si oui, est-ce qu’ils fonctionnent mieux que ceux qui existent au Canada?

Mme Fox : Dans le cadre de cet accident, on a examiné les programmes des États-Unis, du Royaume-Uni et de l’Australie. Les États-Unis et l’Australie ont des programmes de tests aléatoires. Par contre, il est difficile d’évaluer leur efficacité. Ils n’ont pas de statistiques qui révèlent combien de fois ils ont attrapé quelqu’un avant qu’il prenne les commandes d’un avion ou qu’il travaille dans un rôle critique à la sécurité. On n’est pas en mesure de dire si c’est efficace, mais ils ont très peu d’accidents. Ils ont fait des comparaisons avant et après l’entrée en vigueur de ces programmes. Ils ont constaté une diminution des accidents où la drogue ou l’alcool était des facteurs.

Le sénateur Pratte : Je vous remercie beaucoup.

[Traduction]

Le sénateur Gold : Je suis heureux de vous revoir, même si vous portez un autre chapeau aujourd’hui. Je vous remercie de l’excellent travail que vous accomplissez.

Je vous sais gré du respect dont vous faites preuve à l’égard de votre mandat et des limites de votre témoignage. Nous devons également respecter certaines limites. Nous avons entendu des témoignages portant à la fois sur la sécurité au travail en général et sur les transports.

Notre tâche consiste à étudier le projet de loi et à le modifier au besoin, mais je crois comprendre que vous ne proposez pas d’apporter des amendements au projet de loi qui nous occupe. Notre comité sénatorial peut aussi annexer des observations à son rapport. Recommanderiez-vous que nous annexions une observation en ce qui concerne la nécessité d’établir un programme complet de planification des drogues dans le secteur des transports?

Mme Fox : Certes, n’importe quel appui serait accueilli favorablement dans le contexte d’une gestion préventive des risques pour la sécurité associée aux opérations, mais, comme je l’ai indiqué, nous évitons d’examiner les considérations pénales. Notre travail consiste à déterminer ce qui s’est produit et pourquoi, ainsi que ce qui doit être fait pour éviter que cela se reproduise.

Le bureau désire réduire les risques que posent des personnes qui exercent des fonctions considérées critiques pour la sécurité avec des facultés affaiblies. Notre recommandation était propre au secteur aérien, mais elle s’applique en général à l’ensemble des modes de transport sur lesquels nous sommes chargés d’enquêter.

Le sénateur Gold : Merci.

[Français]

Le sénateur Maltais : Bienvenue à vous deux. Au Canada, il y a de multiples petites compagnies d’aviation, à 4, 6, 10 ou 12 places. Dans quelques jours à peine, la saison de la pêche sera ouverte. C’est une très grosse clientèle pour ces petits transporteurs. On les retrouve à la saison de la pêche et de la chasse. Existe-t-il des contrôles pour ces entreprises? Quand je prends l’avion avec ma famille, quelqu’un peut-il me garantir que le pilote n’est pas sous l’effet du cannabis, de l’alcool ou de toute autre drogue? Quand je fais mon chèque de 2 500 $, est-ce que je peux avoir la garantie que je suis en sécurité?

Mme Fox : Il est difficile d’obtenir cette garantie. Je suis pilote depuis de nombreuses années. Le pilote, de prime à bord, est responsable de ne pas consommer d’alcool selon les règlements de l’aviation civile au Canada huit heures avant de prendre les commandes d’un avion. Transports Canada prévoit peut-être même d’augmenter cette limite à 12 heures. La loi au Canada interdit à un pilote de prendre les commandes d’un avion sous l’effet de toute substance qui peut influer sur ses compétences.

Maintenant, comme je l’ai mentionné plus tôt, cela dépend de l’intégrité du pilote à respecter ces règlements. Quand on parle des pourvoyeurs, ce sont des exploitants qui doivent respecter les règlements canadiens qui relèvent de Transports Canada. Le ministère n’est pas toujours là pour surveiller. Ce sont les exploitants qui doivent veiller à ce que les pilotes respectent la loi. Transports Canada, comme l’organisme de réglementation, fait des inspections et des vérifications, mais il n’est pas là à tout moment de la journée. Il doit se fier aux compagnies aériennes pour que celles-ci s’assurent que les règlements sont respectés.

Le sénateur Maltais : Y a-t-il eu des cas dans de petites compagnies aériennes où des avions sont tombés et des gens sont décédés parce que le pilote était sous l’effet du cannabis?

Mme Fox : Oui, on a déjà mené des enquêtes pour ce genre d’accidents, y compris une dans le Nord. Il s’agit d’une compagnie aérienne de Yellowknife où le pilote a pris les commandes de l’avion alors qu’il était sous l’effet du cannabis. Le pilote est mort et il y a eu un autre décès.

Le sénateur Maltais : Merci beaucoup.

[Traduction]

Le président : Madame Fox, monsieur Laporte, je vous remercie tous deux des contributions que vous avez apportées ce matin. Elles nous ont été utiles, car vous nous avez aidés à comprendre les réalités de votre industrie et, bien entendu, les rôles que vous jouez pour assurer la responsabilité du gouvernement canadien relativement au maintien de la sécurité.

Nous allons accueillir à notre table le prochain groupe d’experts. Je suis heureux de vous présenter M. Gary G. Kay, président, professeur agrégé de neurologie, Université Georgetown, qui témoigne au nom de Cognitive Research Corporation. Bonjour, monsieur Kay. Nous recevons également M. Graham Wood, agent en chef de la recherche et du développement, à Altasciences Clinical Research.

Soyez les bienvenus, messieurs. La parole est à vous. Vous connaissez la procédure. Chacun de vous est invité à faire un exposé, après quoi des questions seront posées par les sénateurs assis à la table.

Gary G. Kay, président, professeur agrégé de neurologie, École de médecine de l’Université Georgetown, Cognitive Research Corporation : Merci, monsieur le président, merci, chers membres du comité, de l’occasion qui m’est donnée de vous faire un exposé.

Je me considère comme un psychologue des transports. Je travaille dans le domaine des modes de transport, notamment l’aviation dont vous venez de discuter, depuis les 30 dernières années, dans le cadre de ma participation à un programme visant à permettre aux pilotes de reprendre leurs fonctions de vol après avoir suivi un traitement pour alcoolisme ou toxicomanie. Aux États-Unis, nous offrons un programme exhaustif à cette fin.

En ce qui concerne mes antécédents, je suis président de Cognitive Research Corporation, une organisation de recherche contractuelle (ORC). Ces organisations soutiennent en fait la conduite et la planification d’essais liés à des médicaments, des nutraceutiques et des dispositifs, ainsi que la transmission de données connexes, pour le compte d’organismes de réglementation responsables de l’approbation et de l’étiquetage de substances. Je suis également professeur agrégé de neurologie à l’Université Georgetown, où j’ai fondé la division de neuropsychologie.

Je travaille depuis plus de 20 ans dans le domaine de la conduite avec des facultés affaiblies, et j’ai grandement contribué à l’évaluation originale d’un médicament, un antihistaminique sans effet sédatif, et à la découverte du fait que des médicaments courants en vente libre, qui ne donnent pas aux gens l’impression que leurs facultés sont affaiblies, peuvent en fait affaiblir considérablement leurs facultés comme si leur taux d’alcoolémie correspondait à 0,07 — c’est un médicament qu’à l’heure actuelle, on peut acheter couramment à la pharmacie ou à l’épicerie et qui réduit substantiellement la capacité de conduire.

Je travaille à titre d’expert-conseil à la National Highway Traffic Safety, à la Federal Aviation Administration, ainsi qu’à la Federal Motor Carrier Safety Administration. J’ai aussi été consulté par le département de la Justice et la Food and Drug Administration des États-Unis.

En ce qui concerne les observations que j’ai préparées à l’avance, je ne dispose malheureusement pas d’un bouton sur lequel je peux appuyer facilement pour vous raconter une brève histoire d’une façon efficace. De plus, les nouvelles que j’ai à vous communiquer ne sont peut-être pas très bonnes, et je vous empêche d’aller dîner, ce qui représente, dans l’ensemble, des circonstances pas tellement positives. Ce que je fais valoir, c’est que l’état actuel des connaissances, en particulier en ce qui concerne l’impact du cannabis, qui est l’une des drogues sur lesquelles porte le projet de loi C-46, est en réalité insuffisant pour établir un seuil de concentration autorisé. Je sais que votre rôle ne consiste pas exactement à établir un seuil de concentration. En fait, ce qui m’importe vraiment, c’est d’informer le public, l’utilisateur potentiel de ce qui sera maintenant une substance récréative et les forces de l’ordre de la relation entre le degré d’exposition, l’ampleur de l’affaiblissement des facultés et sa durée, afin que quelqu’un puisse modifier son comportement et prendre ces facteurs en considération.

J’ai énuméré quelques faits établis concernant le cannabis, dont certains sont encore controversés, et dont d’autres suscitent des points de vue différents. Nous savons essentiellement que le cannabis accroît effectivement le risque d’accident de la route. Nous savons que, lorsqu’on combine le cannabis et l’alcool, l’ampleur de l’affaiblissement des facultés augmente. Nous savons que la tolérance au cannabis n’est pas la même pour tous les utilisateurs et, malheureusement, nous savons que le taux détecté de l’ingrédient actif, Delta-9 THC, est un très faible indicateur des facultés affaiblies. Si la situation était semblable à celle de l’alcool, cela aurait été génial, mais ce n’est pas le cas.

À l’heure actuelle, il n’existe aucun test simple et précis pour évaluer les signes comportementaux indiquant des facultés affaiblies. Si nous prévoyons de prélever un échantillon, nous devons trouver des moyens de déterminer ce qui constitue une exposition aiguë, par opposition à la simple présence de la drogue, et nous devons peut-être développer d’autres moyens de mesurer l’affaiblissement des facultés, au lieu de la présence de drogues.

Donc, comme première solution, si le projet de loi C-46 pouvait s’engager dans la voie de l’information publique, en aidant les gens à comprendre l’incidence que le cannabis peut avoir sur leur conduite, ce serait crucial. De plus, si le projet de loi C-46 pouvait harmoniser la façon dont les échantillons sont prélevés et évalués, ainsi que le moment où les prélèvements sont effectués, cela revêtirait une grande importance.

Toutefois, la raison pour laquelle je souhaitais vous parler est liée, selon moi, à l’élément-clé que constitue l’utilisation d’une méthode d’étude de conduite normalisée et validée à élaborer. Nous disposons en fait de méthodes pour évaluer l’incidence des drogues sur la conduite. J’ai apporté et mis à votre disposition deux documents, dont l’un est un protocole normalisé élaboré par la National Highway Traffic Safety Administration qui analyse la conduite avec facultés affaiblies en fonction des substances consommées, y compris les médicaments et les drogues illicites. C’est un protocole normalisé qui a été accepté par la Food and Drug Administration des États-Unis et intégré dans ses directives — qui viennent d’être publiées en 2018 — afin d’évaluer l’incidence des drogues sur la conduite. Si cela vous intéresse, je peux vous décrire d’autres aspects du protocole et la façon dont nous abordons l’étude de toute drogue, y compris le cannabis.

Nous menons actuellement une étude sur le cannabis conformément à ce protocole afin de démontrer sa validité non seulement dans le cadre de l’évaluation du cannabis, mais aussi de l’évaluation d’un médicament courant contre l’anxiété, appelé alprazolam. Nous pouvons vous fournir des renseignements supplémentaires à ce sujet.

En ce qui concerne la conclusion de ma déclaration préliminaire, je recommande que le comité appuie la recherche qui maintient une grande rigueur scientifique et qui applique le genre de méthodologie que partagent les études obligatoires présentées à des organismes de réglementation comme Santé Canada en vue d’évaluer l’innocuité et l’efficacité des médicaments. Nous devons étudier la conduite sous l’influence du cannabis en utilisant la même méthodologie et la même rigueur qu’on applique à l’étude des médicaments.

La National Highway Traffic Safety Administration des États-Unis a élaboré un protocole pour étudier les médicaments et les drogues illicites. Comme je l’ai indiqué, ce protocole a été intégré dans les directives de la FDA des États-Unis.

Enfin, à mon avis, nous parlons de drogues. Une réglementation a été élaborée afin d’évaluer l’innocuité des drogues. Que se passerait-il si cette réglementation était appliquée au cannabis non pharmaceutique quand ce produit sera offert? Il est clair que les renseignements actuellement disponibles sur ce produit sont insuffisants pour que l’organisme de réglementation l’approuve. Vous ne pourriez pas le faire approuver ou étiqueter. L’étiquette indiquerait « interdiction de conduire » pour la période précisée. Après avoir consommé une quantité donnée de cannabis, quand pourrez-vous reprendre le volant en toute sécurité? Quand n’enfreindrez-vous plus la loi?

Sans cette information, j’ai l’impression que le public, les forces de l’ordre et vous, les législateurs, êtes mal informés, et je soutiens que les produits du cannabis doivent être testés et étiquetés de la même façon que les médicaments.

Graham Wood, agent en chef de la recherche et du développement, Altasciences Clinical Research : Je vous remercie infiniment de m’avoir invité à vous parler aujourd’hui et de prendre le temps d’examiner vraiment soigneusement l’enjeu important que constitue la façon de gérer la conduite avec facultés affaiblies, car il va de soi que cet enjeu importe, que la marijuana soit légalisée ou non. Nous avons le sentiment que cet enjeu revêt une grande importance et qu’il doit être absolument cerné. La question importante sur laquelle nous souhaitons nous pencher aujourd’hui est liée à l’accès à des données qui permettent de prendre des décisions éclairées quant au seuil autorisé et au meilleur moyen de détecter si quelqu’un conduit un véhicule ou pilote un avion ou un bateau avec des facultés affaiblies.

Je vais vous fournir des renseignements généraux sur les activités d’Altasciences Clinical Research, puis je vous donnerai un aperçu de notre proposition. Selon moi, vous devriez avoir reçu également la proposition complète. Ensuite, je décrirai brièvement ce qu’accompliront les données que nous nous proposons de recueillir. Évidemment, mes propos seront limités; ils ne répondront pas à toutes les questions. Comme M. Kay l’a indiqué, il n’y a assurément pas de bouton sur lequel il est facile d’appuyer pour cerner cet enjeu.

Je vais vous fournir quelques renseignements généraux sur Altasciences Clinical Research. C’est une organisation de recherche contractuelle axée sur la pharmacologie clinique. Les sociétés pharmaceutiques nous consultent lorsqu’elles souhaitent mettre en marché un produit, et nous menons habituellement des essais chez les humains. La première fois qu’un médicament est administré à un humain, nous amorçons le processus, et nous assurons un suivi auprès des sociétés pharmaceutiques, pour lesquelles nous menons ces essais.

Une grande partie de ce travail vise à comprendre comment les concentrations de produits pharmaceutiques dans le sang influent sur les effets thérapeutiques et secondaires du traitement. Évidemment, dans le cas du cannabis et d’autres médicaments, les effets secondaires dont nous parlons aujourd’hui concernent leur incidence sur les facultés cognitives et la capacité de conduire.

Nous sommes actuellement les chefs de file mondiaux des études de simulation de conduite. Nous utilisons des simulateurs inventés par M. Kay, et nous nous servons d’une plate-forme d’essais cognitifs qui repose sur la même plate-forme utilisée pour évaluer les facultés cognitives des pilotes d’Amérique du Nord. Nous utilisons ces simulateurs pour évaluer les participants sur lesquels nous menons les essais, et nous obtenons un tableau assez précis de la façon dont ils conduisent sur le simulateur, auquel s’ajoutent les résultats des essais cognitifs réalisés sur des appareils portatifs.

Depuis plus de 10 ans maintenant, nous menons des recherches sur les cannabinoïdes et le cannabis. À l’échelle de notre organisation, nous avons mené 30 études différentes sur les cannabinoïdes et le cannabis. En fait, notre clinique de Montréal a mené 16 de ces études et a administré des doses de cannabis à plus de 1 000 participants. Nous disposons effectivement des installations requises pour mener ces essais. Nous avons accès à des fumoirs spécialement conçus pour permettre aux gens de fumer du cannabis. Ces fumoirs évacuent la fumée très rapidement afin que nos employés ne soient pas incommodés.

Nous avons recours à une méthode bioanalytique. Plus tôt, des discussions ont eu lieu à propos de la détection en bordure de route et de l’envoi des échantillons à des laboratoires de toxicologie. Nous utilisons des méthodes qui nous permettent non seulement d’examiner le THC, qui est évidemment très important, mais aussi quatre autres cannabinoïdes ainsi que les terpènes. Par conséquent, nous pouvons analyser un excellent profil de tous les différents ingrédients psychoactifs du cannabis. À mon avis, il est un peu problématique de se concentrer seulement sur le THC, étant donné que ce n’est pas le seul ingrédient du cannabis qui importe.

Je vais maintenant vous parler brièvement de notre plan. Notre programme clinique visant à mesurer les effets d’affaiblissement des capacités du cannabis a été conçu pour l’industrie pharmaceutique, comme l’a fait valoir M. Kay. Il s’agit d’une technique utilisée pour bon nombre de drogues, notamment les médicaments pour l’insomnie. Si vous prenez ce médicament à 20 heures et que vous partez travailler en voiture le lendemain matin, aurez-vous toujours les facultés affaiblies? Ce sont les outils que nous proposons d’utiliser pour le cannabis.

Nous allons notamment examiner les concentrations de THC, de cannabidiol, d’autres cannabinoïdes et de leurs métabolites dans le sang, puisqu’ils sont très importants. Nous déterminerons quelles sont les concentrations sanguines qui affaiblissent les capacités.

Nous pourrons également examiner l’interaction entre le THC et d’autres composés, comme l’alcool. De bonnes recherches montrent que les effets s’additionnent et donc que l’affaiblissement des capacités est plus important. Certaines recherches montrent que les effets sont synergiques. Ainsi, de sorte qu’un plus un n’égalera pas deux, mais bien trois ou quatre. Les capacités sont donc encore plus affaiblies, ce qu’il est important de comprendre.

On a aussi parlé de tolérance aujourd’hui. Quelle est la différence entre les effets cognitifs d’une dose de cannabis sur une personne qui en consomme de manière chronique par rapport aux effets sur une personne qui n’a jamais consommé de cannabis? De bonnes recherches montrent qu’il y a une différence entre les deux. On ne sait toutefois pas dans quelle mesure cela a une incidence sur la conduite.

Il faut aussi tenir compte des composantes du cannabis. Le cannabidiol est l’une des principales composantes du cannabis. Il combat certains des effets du THC. Il faut étudier cela pour comprendre. Comme je l’ai dit plus tôt, il ne faut pas uniquement tenir compte d’une composante, mais de toutes les composantes et de la façon dont elles interagissent pour affaiblir les capacités.

Notre plan compte deux volets, qui sont associés à des études cliniques différentes, pour un total de six études cliniques. La plupart des recherches se font avec un échantillon de 12 à 18 personnes. Les études que nous réalisons pour l’industrie pharmaceutique portent habituellement sur 60 à 80 personnes, ce qui nous permet d’obtenir un meilleur ensemble de données.

En règle générale, on réalise une ou deux études sur les produits pharmaceutiques. Puisque le cannabis compte de nombreuses composantes et est très complexe, nous croyons qu’il faudra réaliser des études supplémentaires pour tenir compte des divers éléments associés à la conduite avec les facultés affaiblies par le cannabis.

Le président : Pourriez-vous conclure? Mes collègues sont impatients de vous poser des questions. J’ai une longue liste de questions.

M. Wood : Je vais m’arrêter là.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Merci à vous deux pour ces explications qu’on aurait voulues plus longues encore. Je pense que c’est ce qui va constituer le cœur de la problématique sur le plan légal, à savoir cette question de la valeur incontestable de la preuve devant la cour. Vous en arrivez tous les deux presque à la même conclusion, à savoir que le taux de THC ne peut pas être le seul élément à prendre en compte pour établir la preuve hors de tout doute, devant une cour, que la personne a commis un crime.

Dans le projet de loi C-46, on établit le niveau à 2 ou 5 nanogrammes. Selon vous, si les policiers se servent de cette donnée, ne risque-t-on pas de voir, devant les tribunaux, beaucoup de contestations de nature scientifique, pour prouver que la personne n’était pas intoxiquée, selon les valeurs qu’on aura définies dans le projet de loi C-46?

[Traduction]

M. Kay : Je dirais que oui, les défis seraient nombreux. Avec une concentration de 2 ou 5 nanogrammes, on pourrait savoir que la personne a consommé, mais on ne saurait pas dans quelle mesure ses facultés sont affaiblies. Nous pouvons vous dire avec certitude que nous ne saurions pas dans quelle mesure les facultés des gens seraient affaiblies à ces limites, ce qui pourrait créer un gros problème pour les tribunaux.

Lorsqu’on passe à 7 ou 8 nanogrammes, alors on peut dire que c’est comparable à un taux d’alcoolémie de 0,05 à 0,08, et nous savons que les risques d’accident sont plus élevés avec un tel taux. Par contre, si le taux d’alcoolémie est de 0,05 ou 0,02, alors je ne peux pas vous dire si les facultés de conduite sont affaiblies. Cela varie grandement entre les personnes, puisque le degré de tolérance varie d’une personne à l’autre, comme vous l’avez entendu.

Je crois que les défis sur le plan juridique seront considérables. Comme vous l’ont dit les ERD hier, il s’agirait d’un élément essentiel en vue d’obtenir une condamnation, je suppose.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Vos propositions reposent beaucoup sur des études ou des analyses à faire sur le moyen terme. Dans quel laps de temps pourrons-nous juger avoir suffisamment de connaissances scientifiques pour pouvoir établir un niveau de THC incontestable sur le plan juridique? Quel est l’ordre de grandeur, un an, deux ans de recherche?

[Traduction]

M. Wood : Les études que nous proposons pourraient être réalisées en 18 mois. Toutefois, nous ne savons pas s’il sera possible d’établir un taux de THC qui à lui seul ne pourra être contesté. Il faudra peut-être prendre en compte les autres composantes du cannabis, comme le cannabidiol et les métabolites, mais même à cela, puisque le degré de tolérance varie d’une personne à l’autre, nous ne pouvons pas déterminer quel taux de THC affaiblit les facultés de chacun. Il sera difficile de désigner un seul taux.

Pour revenir à votre première question, une concentration de 2 nanogrammes est très faible. Des études ont démontré que certains utilisateurs chroniques présentaient un taux supérieur à 2 nanogrammes alors qu’ils n’avaient pas consommé depuis deux ou trois semaines. Il sera donc difficile d’utiliser ce seuil pour déterminer si une personne a les facultés affaiblies. Les études que nous proposons nous donneront une meilleure idée du taux qui devrait être utilisé.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Entre-temps, la marijuana sera légalisée cet automne. On veut éviter ce genre de contestation juridique, car on ne sera pas gagnant. On veut sortir des palais de justice toutes les poursuites en cours. Si on sature les tribunaux de contestations légales, on ne sera pas plus avancé.

Quelle attitude, quelle approche devrait-on adopter? Quelles directives devrait-on donner aux policiers pour leur dire dans quel cadre gérer l’intoxication, pour faire en sorte de se présenter en cour sans risquer une contestation de la preuve, si la notion de 2 ou 5 nanogrammes risque d’être contestée? Quelle approche devrait-on avoir à ce moment-là?

[Traduction]

M. Kay : La meilleure approche à utiliser pour répondre à votre question de façon empirique serait de dire qu’il y a trois types de règles à l’heure actuelle aux États-Unis. Il y a la tolérance zéro et il y a les États qui tolèrent de 2 ou 5 nanogrammes : le Nevada présente le taux le plus bas, à 2 nanogrammes, tandis que des États comme celui de Washington tolèrent 5 nanogrammes; le Colorado a adopté une mesure particulière : il tolère une concentration de 5 nanogrammes associée à une incapacité relative.

Je ne crois pas qu’il soit très difficile de savoir quelle est l’expérience des tribunaux dans ces administrations. Je crois que ce serait probablement la meilleure source de renseignements pour savoir quelle méthode entraînerait le moins de conséquences négatives pour le système de justice cet automne. Je n’ai pas la réponse à votre question, mais je crois qu’on peut trouver la solution.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Monsieur Kay, si je comprends bien votre dernière réponse, il y a toute une gradation, depuis la tolérance zéro, en passant par 2 à 5 nanogrammes, jusqu’à 5 nanogrammes et à l’incapacité. C’est une expérience qu’un certain nombre d’États aux États-Unis ont faite depuis un certain nombre d’années, si je comprends bien.

Ma question pour vous deux est la suivante : monsieur Wood, vous nous avez parlé d’une trentaine d’études, dont 16 ont été réalisées à Laval, au Québec. Comment pouvez-vous comparer les résultats que vous avez obtenus sur des conducteurs qui avaient consommé du cannabis plutôt que de l’alcool ou d’autres drogues, comme les opioïdes? Qu’est-ce que vous pouvez nous dire des résultats des études que vous avez déjà faites? Je comprends que vous nous proposez un programme de recherche, mais vous dites que vous avez déjà réalisé 30 études, dont 16 au Québec. Que savez-vous déjà des résultats obtenus dans le cadre de vos études jusqu’ici?

[Traduction]

M. Wood : Seulement quelques études se sont penchées sur les effets cognitifs du cannabis. Bon nombre de nos recherches se centrent sur la sécurité et sur la rapidité d’absorption et d’élimination de la drogue, pour savoir comment faire les traitements.

Nous n’avons réalisé que très peu d’études sur les aspects cognitifs, alors nous n’avons pas suffisamment de données pour vous donner une réponse. C’est pourquoi nous aimerions aller plus loin et étudier les simulateurs de conduite pour recueillir les données que nous jugeons essentielles.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Si je comprends bien, vous nous dites que les données scientifiques manquent. Ce que j’essaie de comprendre, c’est comment des organismes, ailleurs, ont pu se donner des limites per se très précises, soit la tolérance zéro, soit de 2 à 5 nanogrammes, soit de 5 nanogrammes à l’incapacité. Comment pensez-vous qu’ils ont pu arriver à ce genre de conclusions?

[Traduction]

M. Kay : Je ne sais pas comment on en est arrivé à un seuil de 5 nanogrammes. Je sais que c’est le seuil utilisé par bon nombre de mes collègues dans le cadre de leurs recherches. Sur le plan pharmacologique, lorsqu’on fume du cannabis, on atteint un taux élevé assez rapidement, au cours des 10 premières minutes, comme vous l’avez sûrement entendu, puis en une heure, le taux baisse de 90 p. 100; ainsi, les gens se trouvent à l’intérieur de la zone de 1 à 10. Cela nous permettrait de préciser notre réponse également. Les gens savent que, lorsqu’il sera temps de passer le test et de recueillir les échantillons, ils se trouveront dans cette zone.

L’autre chose avec la concentration détectable fiable, c’est qu’à un certain moment, la limite était d’un. Maintenant, c’est beaucoup plus faible que cela. On se fiait en partie aux sciences de laboratoire et à ce que révélaient les échantillons au moment où ils étaient recueillis.

Le moment de l’échantillonnage est très important.

M. Wood : Je ne sais pas sur quelles données scientifiques cela se fonde. Il y a de bonnes publications associées à l’utilisation d’un simulateur de conduite à l’Université de l’Iowa; c’est probablement le simulateur le plus réaliste qui soit. Dans un article de l’université, on dit qu’une concentration de 8,5 nanogrammes par millilitre équivaut à un taux d’alcoolémie de 0,05 p. 100 et que 12 nanogrammes correspondent à 0,08 p. 100, je crois. C’est probablement l’une des meilleures publications sur le sujet, parce qu’on a utilisé un simulateur et qu’on a prélevé des échantillons de sang. Dans bon nombre d’autres études, on a donné une dose de cannabis aux gens, qu’ils ont fumé ou ingéré, et on a présumé que la concentration dans le sang serait la même pour tout le monde. Lorsqu’on fume le cannabis, les différences peuvent être énormes. Certaines personnes ne peuvent pas l’inhaler et n’y sont presque pas exposées. D’autres personnes tireront quelques bouffées et seront exposées au cannabis de façon considérable. Il est donc très difficile d’étudier et de comparer les documents à cet égard.

La meilleure étude donne à penser que c’est un peu plus élevé.

M. Kay : Selon la meilleure étude, qui visait 18 personnes — un très petit échantillon —, les gens qui avaient consommé du cannabis avaient tendance à zigzaguer, mais ne faisaient pas de sorties de voie. On a constaté que la consommation de cannabis avait un effet sur la vitesse, mais les gens n’allaient pas plus vite : ils allaient plus lentement. L’une des interprétations était que les gens qui avaient consommé du cannabis savaient qu’ils avaient les facultés affaiblies et tentaient de compenser en roulant plus lentement. Ils savaient que leur temps de réaction était plus long, alors ils allaient plus lentement.

Le sénateur McIntyre : Nous vous remercions de nous éclairer sur les seuils de concentration établis et sur les tests cognitifs utilisés pour détecter les facultés affaiblies sur la route.

J’ai une question très simple. À l’heure actuelle, quel est le moyen le plus efficace de mesurer les facultés affaiblies sur la route : les experts en reconnaissance de drogues, les tests sanguins ou les appareils de détection de drogues?

M. Kay : Je dirais que parmi ces trois, les ERD présentent probablement les meilleures données à cet égard. Certaines de leurs publications sont assez impressionnantes et démontrent leur sensibilité et leur spécificité.

Il faut utiliser ces outils conjointement. À l’heure actuelle, comme l’a fait valoir M. Wood, il nous faut de meilleures mesures pour déterminer si une personne a les facultés affaiblies en fonction des échantillons recueillis. Donc, nous ne savons pas quelle concentration entraîne des facultés affaiblies, surtout en ce qui a trait à l’intoxication aiguë, mais je crois que nous y arriverons.

À l’heure actuelle, nous pouvons savoir qu’une personne a été exposée à la drogue, mais nous ne pouvons pas dire quand et ne pouvons pas savoir dans quelle mesure. Or, cette association est importante. À l’avenir, ce que nous aimerions voir — et l’État de la Californie y travaille — c’est un test neurocognitif à l’aide d’une tablette. Le cannabis a de nombreux effets sur le cerveau et sur le raisonnement. Y a-t-il un test assez simple qu’un agent d’exécution de la loi pourrait avoir avec lui afin de détecter les facultés affaiblies aux fins de la conduite? Ce serait utile.

Le sénateur McIntyre : Monsieur Wood?

M. Wood : Je suis du même avis. Je crois que les ERD représentent la meilleure méthode. Je crois qu’il est important de connaître les concentrations sanguines également. Je crois que les tests cognitifs sur la route représentent une très bonne méthode de dépistage. On peut les faire rapidement sur le terrain et avoir une très bonne idée de l’affaiblissement des facultés. Nous espérons que cette preuve sera suffisante et ne sera pas contestée.

Le sénateur Gold : C’est fascinant. Nous vous remercions de votre présence. Je veux simplement être certain de bien comprendre, alors j’aimerais préciser quelques points, puis j’aurai une question.

Selon ce que je comprends, dans le projet de loi C-46, les tests « per se » n’insinuent pas des facultés affaiblies. C’est une catégorie d’infraction distincte. Depuis les années 1920, la conduite avec les facultés affaiblies par la drogue est une infraction. Nous effectuons un test et nous établissons la preuve de certaines façons. C’est une catégorie d’infraction supplémentaire; je crois qu’il ne faut pas l’oublier.

De plus, malheureusement, la conduite avec les facultés affaiblies par le cannabis est un problème actuel et dévastateur au Canada et ailleurs dans le monde. Les statistiques sont difficiles à trouver pour les raisons que nous avons évoquées en comité, mais c’est un problème bien réel sur nos routes, depuis un bon moment. La situation ne s’améliorera pas. Elle risque de s’empirer avec la légalisation — nous espérons que non et nous misons sur l’éducation pour cela —, mais c’est un problème réel aujourd’hui.

J’aimerais mieux comprendre la science. Vous avez dit — et nous l’avons entendu avant — que lorsqu’on fumait le cannabis, il se retrouvait rapidement dans le sang — c’est peut-être différent si on l’ingère autrement —, mais qu’il se déplaçait aussi rapidement dans les tissus adipeux et que sa concentration diminuait grandement par la suite.

Lorsque vous avez dit que la présence de 2 ou 5 nanogrammes était trop faible pour affaiblir les capacités, c’est sur le coup. Mais qu’en est-il deux heures après les faits? D’un point de vue scientifique, si une personne présente une concentration de 5 nanogrammes deux heures après un incident de conduite, qu’est-ce que cela vous dit au sujet de la récence de la consommation? Qu’est-ce que cela vous dit sur ce qu’était la concentration deux heures auparavant?

M. Wood : Le problème, c’est que cela ne nous dit presque rien parce que les différences entre les personnes sont énormes. Cela dépend de la façon dont les personnes ont consommé le cannabis. Si vous le fumez, vous aurez jusqu’à 100 nanogrammes dans les cinq premières minutes, puis ce taux descendra à moins de 10 nanogrammes 30 ou 40 minutes plus tard.

Le sénateur Gold : Mais si vous avez une concentration de 5 nanogrammes deux heures plus tard, qu’est-ce que cela signifie?

M. Wood : Si vous avez ingéré le cannabis, vous atteindrez peut-être votre « sommet » dans les quatre ou cinq heures qui suivent. Si j’effectue un test, que vous avez ingéré du cannabis il y a deux heures et que le résultat est de 5 nanogrammes, le taux a peut-être augmenté, parce que vous absorbez toujours le cannabis par l’entremise de votre tube digestif. Si une personne a fumé du cannabis, alors le taux baissera au fil du temps. C’est très différent.

Ce qui est bien avec l’alcool, c’est que le taux d’alcoolémie est très facile à calculer. Le test est très fiable. Il n’est pas parfait, mais il est fiable. Pour le THC, il est presque impossible de déterminer de manière exacte le moment où la personne a consommé et la quantité qu’elle a consommée. C’est très difficile parce que cela varie selon la personne, la voie d’administration, et cetera.

On examine aussi les métabolites. Plus la drogue est dans votre système longtemps, plus il y aura de métabolites. Si je viens juste de fumer du cannabis, il y aura principalement du THC dans mon système. Une heure plus tard, d’autres métabolites commenceront à faire leur apparition. On croit que les métabolites pourraient nous donner une meilleure idée à cet égard. C’est une piste de recherche active, mais nous n’avons toujours pas réglé le problème.

Le sénateur Gold : Puis-je poser une question complémentaire?

Le président : Soyez très bref.

Le sénateur Gold : Passons des tests sanguins aux tests salivaires qui font l’objet de projets pilotes, mais qui sont utilisés dans l’industrie, d’après ce que je comprends. Selon les témoignages que nous avons entendus, l’atteinte de certains seuils dans la salive démontrerait que le produit a été consommé récemment, c’est-à-dire qu’il serait possible de dire avec une assez grande précision que l’atteinte d’un seuil, disons 15 nanogrammes, peu importe, démontre une consommation assez récente d’un produit. Pouvez-vous faire des commentaires à ce sujet? Est-ce précis, du point de vue scientifique?

M. Wood : Vous pouvez probablement arriver à cette conclusion si c’est assez élevé, mais pas pour un seuil aussi faible que 5 nanogrammes. C’est comme...

Le sénateur Gold : Mais à 25, par exemple?

M. Wood : Il serait très difficile d’être à 25 et de ne pas avoir consommé récemment, à moins de l’avoir ingéré. Comme je l’ai indiqué, l’absorption est très lente lorsque le produit est mangé; donc, dans ce cas, le taux pourrait être à la hausse. On vous intercepte, vous n’avez pas les facultés affaiblies, mais lorsqu’on fait passer un test une heure plus tard, vous êtes rendu à 25. À ce moment-là, vous auriez les facultés affaiblies. Le taux continuerait d’augmenter quatre heures plus tard.

Un résultat de 20 à 25 nanogrammes donne une très bonne indication que la consommation est récente. Est-ce une certitude? Non.

Le sénateur Gold : Merci.

La sénatrice Batters : Chaque fois que je siège au comité pour étudier divers projets de loi, je finis par me demander s’il y aura une journée où je ne serai pas totalement surprise des propos des témoins. Je viens juste d’entendre quelque chose de nouveau, soit qu’avec les produits comestibles, le degré d’affaiblissement des facultés augmente au fil du temps, ce qui soulève beaucoup de problèmes.

Je ne sais pas qui exactement — je crois que c’était M. Kay —, mais en réponse à une question du sénateur Boisvenu, l’un d’entre vous a indiqué qu’il serait difficile d’intenter une poursuite en cour avec une limite de 2 à 5 nanogrammes par millilitre de sang. Je me demande si vous pourriez nous en dire plus à ce sujet et nous parler des aspects scientifiques d’une telle situation.

M. Kay : Je disais cela dans la mesure où la défense pourrait contester la portée d’une présence de 2 à 5 nanogrammes, en faisant valoir que cela ne démontre pas en soi un affaiblissement des facultés. En fait, la défense pourrait dire que son client a fumé du cannabis il y a un mois. Le National Institute on Drug Abuse des États-Unis a recueilli des données lors d’une étude avec des utilisateurs chroniques. Lors des tests, après un mois sur place, ces gens présentaient des taux de THC assez élevés.

Il pourrait y avoir des contestations. Pour les contrer, selon moi, il faut des preuves solides et bien documentées. Je parle des constatations des experts en reconnaissance de drogues et des observations du policier ayant procédé à l’arrestation sur le comportement de la personne au volant. Sans cela, je pense que ce serait très difficile.

Encore une fois, selon l’expérience des tribunaux, la question précédente revêt une grande importance. J’ai à l’esprit un document que je pourrais vous fournir; on y trouve des informations sur les critères d’établissement des limites aux États-Unis, et peut-être des exemples de causes entendues par les tribunaux. C’est avec plaisir que je fournirais le document au comité.

La sénatrice Batters : Ce serait très utile.

Le président : Monsieur Kay, vous pourriez envoyer ce document au greffier du comité. Merci.

La sénatrice Batters : Je vous en serais reconnaissante. Merci beaucoup d’être venu. Votre témoignage nous est très utile.

Le sénateur Pratte : Dans la même veine que la question du sénateur Gold, je crois comprendre que les conducteurs qui feront l’objet d’un contrôle routier devront d’abord passer un test salivaire à l’aide d’un appareil de dépistage, et que le seuil établi pour cet appareil sera de 25 nanogrammes. Évidemment, les résultats ne seront aucunement utilisés en cour, mais l’échec de ce premier test de dépistage sera utilisé comme critère pour l’administration d’un test sanguin.

Monsieur Wood, vous venez d’indiquer qu’un résultat supérieur à 25 indiquerait que la consommation du cannabis est récente. Un tel résultat serait-il un bon indicateur de facultés affaiblies?

M. Wood : Oui. Dans toutes les recherches que j’ai vues, je ne crois pas qu’il y ait eu un cas où une personne avec un taux de 25 n’avait pas les facultés affaiblies.

Le sénateur Pratte : Je crois savoir que le gouvernement estime que l’échec aux deux tests — soit l’échec au premier test de dépistage, même s’il n’est pas admissible en cour, et le dépassement du seuil de deux à cinq pour le test sanguin — serait une bonne indication que le conducteur conduisait avec les facultés affaiblies.

M. Wood : Oui. Si le test des 25 nanogrammes est fiable, cela indiquerait que la consommation est probablement très récente. Ce résultat pourrait être appuyé par le test sanguin administré subséquemment.

Le problème, c’est la difficulté d’établir la corrélation entre le résultat du test des 25 nanogrammes et le test sanguin. On se retrouve toutefois avec deux éléments de preuve : un élément qui laisse supposer que la consommation était récente, et l’autre, plus concluant, permettant d’établir le taux exact dans le sang. Combiné aux observations du policier, cela donne une preuve assez solide.

Le sénateur Pratte : Il nous faudrait un petit cours de sciences. Dans votre exposé, vous avez mentionné à quelques reprises les recherches faites sur un autre ratio, soit le ratio entre le THC et les métabolites. Pourriez-vous expliquer aux profanes que nous sommes ce que sont les métabolites?

M. Wood : L’ingrédient actif auquel la plupart des gens pensent lorsqu’il est question d’ingestion de cannabis est le THC. Votre foie transforme activement le THC en 11-hydroxy, un élément lui aussi actif, avant de le transformer davantage en substances qui peuvent être éliminées par l’urine ou la bile. Il s’agit en quelque sorte du processus de dégradation du THC de la drogue, que votre corps élimine par l’intermédiaire des métabolites.

Le sénateur Pratte : En quoi ce ratio serait-il plus fiable que le taux sanguin de THC?

M. Wood : Premièrement, cela vous donnera une indication du moment de la consommation. Si la consommation est très récente, on détectera surtout du THC, car le taux de métabolites augmente au fil du temps. En outre, comme je l’ai indiqué, certains métabolites sont actifs. Donc, si vous vous concentrez uniquement sur le THC, et non sur d’autres... On obtiendra éventuellement des taux de THC plus élevés. Si on se concentre uniquement sur cet aspect, mais que les métabolites sont plus présents et sont actifs, cela donne toujours... Cela donne un ensemble de preuves plus complet.

Le sénateur Pratte : Merci beaucoup.

Le président : Sénatrice Batters, vous aviez une question complémentaire sur ce point précis. Je vous demanderais évidemment d’être brève.

La sénatrice Batters : Oui, absolument. Concernant le contrôle routier initial, nous parlons évidemment de détection à l’aide d’un échantillon de liquide buccal. Ce genre de test ne détecte que la présence d’une substance et ne permet absolument pas d’établir le niveau d’affaiblissement des facultés, n’est-ce pas?

M. Wood : D’après ce que j’ai vu pour les tests de dépistage de drogues qui font l’objet d’essais, on fixe un seuil de dépistage pour détecter la présence dans la salive. J’ai constaté que la corrélation entre le taux salivaire et le taux sanguin n’est pas mauvaise, même s’il reste évidemment du travail à faire à cet égard. Cela constitue-t-il une preuve incontestable de facultés affaiblies? Non.

La sénatrice Batters : Merci.

La sénatrice Jaffer : Je vous remercie tous les deux d’être venus au comité. Je vous avoue que j’avais vraiment hâte d’entendre vos témoignages; je n’ai pas été déçue. Cela dit, je pense que je suis plus confuse qu’avant.

J’ai été avocate criminaliste dans le passé. J’ai représenté des gens qui étaient accusés d’avoir conduit avec les facultés affaiblies. Si j’exerçais toujours la profession d’avocate, je m’amuserais follement dans ce cas-ci. Vous le savez, mais je viens tout juste d’en prendre conscience. Il n’y a aucune certitude à cet égard, n’est-ce pas?

Je pose une question, mais je me trouve en même temps à réfléchir à voix haute. L’idée sera de faire valoir qu’une personne avait les facultés affaiblies. Nous savons qu’on semble à tout le moins s’appuyer sur des données scientifiques pour les tests de dépistage d’alcool lors des contrôles routiers, mais que cela soulève tout de même des problèmes considérables, comme vous le savez. Il y a au moins un semblant de certitude, n’est-ce pas? Vous êtes au courant des enjeux liés à l’alcool. En Colombie-Britannique, on n’accorde plus autant de crédibilité aux tests de dépistage d’alcool.

Nous aurons ce projet de loi, mais la question est de savoir quelle est l’ampleur de la tâche que nous vous imposerons aux services policiers. Quelles procédures devront-ils suivre lorsqu’une personne aura les facultés affaiblies?

M. Kay : Je pense que vous comptez énormément sur les experts en reconnaissance de drogues et que vous leur imposez un fardeau considérable. Les experts que vous avez en Colombie-Britannique sont parmi les meilleurs, et j’ai eu l’occasion de travailler avec l’un d’entre eux.

Je pense que vous aurez besoin d’un effectif considérable. À mon avis, leurs témoignages... Vous avez été avocate de la défense. Vous savez donc qu’ils sont considérés comme crédibles et qu’ils s’appuient sur des données. Je pense que sans tous les autres aspects dont nous avons parlé, il faudra d’abord se fier énormément aux experts en reconnaissance de drogues.

La sénatrice Jaffer : Ma question complémentaire porte sur l’uniformité. Hier, nous avons accueilli les représentants de la Toronto Transit Commission. Si j’ai bien compris, la TTC a adopté le seuil de 10 nanogrammes pour les tests en milieu de travail, ce qui la distingue d’autres sociétés qui ont un seuil plus bas. Ensuite, dans ce projet de loi, on parle de fixer par règlement un seuil d’environ 2 nanogrammes à 5 milligrammes par millilitre de sang.

Un autre problème est l’absence d’uniformité quant à la définition des facultés affaiblies, n’est-ce pas? Je suis certaine que les avocats soulèveront la question devant les tribunaux. Ce que j’essaie de dire, c’est que pour l’alcool, nous savons que le taux est de 0,08. C’est une base de référence. Est-ce exact?

M. Kay : Pour l’alcool, 0,08...

La sénatrice Jaffer : C’est un fait établi. Par contre, lorsque je pense à la question dont nous sommes saisis, je n’ai pas cette certitude. Je me trompe peut-être; j’ai peut-être mal lu. Vous pourriez peut-être tous les deux corriger le tir.

M. Kay : Je peux répondre pour l’aspect lié à l’alcool, car j’ai participé activement à des recherches à ce sujet. M. Richard Compton, directeur de la NHTSA, a mené d’importantes recherches pour l’établissement des taux. Aux États-Unis, les taux sont passés de 0,10, voire plus, au taux actuel de 0,08. Je pense que la NHTSA souhaiterait l’abaisser à 0,05, ce qui serait légitime, car les données démontrent que le risque de collision commence à augmenter à partir du taux de 0,05. Certains pays d’Europe ont d’ailleurs adopté le taux de 0,05 et je crois savoir que l’idée gagne en popularité au Canada. Il convient de souligner que cela s’appuie sur des données probantes sur les risques de collision.

Or, sur le plan individuel, certaines personnes n’ont aucun problème à 0,05, mais on part du principe qu’on ne peut tester tout le monde. Cela dit, on peut affirmer qu’à 0,05, les risques de collision sont accrus.

Lorsque j’étudie des médicaments pour le compte de la Food and Drug Administration, certaines études que nous menons avec Altascience sur des somnifères et des antidépresseurs sont essentiellement hors du cadre scientifique proprement dit. La FDA voulait savoir quel pourcentage des gens éprouvait plus de problèmes que les gens avec un taux d’alcoolémie de 0,05. Il est possible que 80 p. 100 aient eu moins de problèmes, mais ce qui intéressait réellement la FDA, c’était de savoir à quelle fréquence les gens se retrouvaient dans la même catégorie que les gens au-dessus de 0,05. Ces données servent à établir l’innocuité d’un médicament, de façon à informer les utilisateurs potentiels et les médecins prescripteurs des recommandations relatives à l’utilisation du médicament, notamment la période d’attente requise avant qu’un patient puisse conduire ou l’interdiction de conduire. Ce sont des renseignements très importants.

La sénatrice Jaffer : À cela s’ajoute la complexité accrue pour ceux qui ont pris des médicaments sur ordonnance. Comment détermine-t-on qu’il y a facultés affaiblies? Cela complique les choses, n’est-ce pas? Ai-je raison?

M. Kay : Vous avez tout à fait raison. Brièvement, ce que le public canadien doit savoir, par rapport à la substance, c’est la probabilité d’avoir une collision. Si je consomme, mon risque d’avoir un accident est-il vraiment plus élevé? Les gens doivent le savoir. Quelles sont les conséquences juridiques associées à cela? Les gens doivent savoir s’ils auront l’impression d’avoir les facultés affaiblies. Dans beaucoup d’études que j’ai faites sur les drogues, les gens n’ont pas l’impression d’avoir les facultés affaiblies et ils se sentent parfaitement en état de conduire. Avant que les gens ne montent à bord du simulateur, une de nos dernières questions est la suivante : « Vous sentez-vous apte à conduire en ce moment? » La plupart du temps, ils disent qu’ils se sentent parfaitement bien, puis, sept minutes plus tard, ils ont un accident. Donc, c’est un enjeu important.

Les gens doivent aussi savoir combien de temps ils doivent attendre après avoir consommé la drogue avant de pouvoir être en état de conduire. L’autre question est précisément liée à celle que vous avez soulevée, sénatrice Jaffer : qu’en est-il si j’ai pris d’autres médicaments? Quel effet cela aurait-il? Quelle serait l’incidence des autres facteurs? Ce sont des questions importantes, comme le sont l’expérience de la consommation de drogues et l’expérience de la conduite automobile. Si je suis un nouveau conducteur, cela pourrait avoir des effets différents. L’âge a-t-il une incidence? Certaines drogues ont des effets différents selon l’âge, le poids et le sexe d’une personne. La métabolisation des drogues chez les hommes et les femmes peut varier. Enfin, si j’ai d’autres problèmes de santé, cela pourrait-il avoir une incidence sur les effets que le cannabis pourrait avoir sur moi?

Voilà ce que les Canadiens doivent savoir avant de monter à bord d’une voiture et de conduire après avoir utilisé cette substance.

La sénatrice Jaffer : Pouvez-vous le leur dire?

M. Kay : Non.

La sénatrice Jaffer : Merci.

La sénatrice Pate : Je vous remercie tous les deux d’être venus. J’ai la tête pleine, pour ainsi dire. J’avais une multitude de questions, mais, en fin de compte, si vous étiez assis à notre place, quelles seraient vos recommandations au gouvernement concernant cette mesure législative?

M. Wood : Ce que nous avons entendu de multiples intervenants, c’est qu’il faut manifestement faire plus de recherches et collecter plus de données. Cela sera-t-il utile pour cette mesure législative? Je dirais que oui, éventuellement, lorsque nous aurons le temps de collecter des données. Pour le moment, je pense qu’il est très difficile de dire qu’on peut établir une limite en soi. Comme je l’ai indiqué, je pense qu’elle serait très facile à contester.

Son application sera beaucoup plus facile lorsque nous aurons plus de données, plus d’experts en reconnaissance de drogues et que nous aurons peut-être recours à des tests des fonctions cognitives en bordure de route, mais, pour le moment, ce sera difficile.

La sénatrice Pate : Cela ne changerait pas, que nous commencions aujourd’hui, dans six mois ou dans un an, n’est-ce pas?

M. Wood : Il n’y a pas eu d’études d’envergure. L’étude à laquelle nous continuons de faire référence ne portait que sur 18 participants qui étaient, il me semble, tous des consommateurs chroniques. Aucune grande étude n’a été réalisée pour vraiment examiner la question afin de bien comprendre ce qu’il en est.

Nous suivons une routine. Quand arrivent sur le marché de nouvelles substances qui peuvent avoir une incidence à cet égard, nous procédons à des tests et à des études pour comprendre en bonne partie des facteurs évoqués par M. Kay, comme le délai à respecter avant de prendre le volant. Nous procédons ainsi pour les drogues et les produits pharmaceutiques. Nous pouvons le faire pour le cannabis également, mais cela peut prendre du temps.

En arrivera-t-on à un point où ce sera très facile, aussi aisé que pour l’alcool? Il faudra probablement adopter une approche modulée dans le cadre de laquelle divers éléments s’ajouteront aux preuves, mais il est certainement possible de réunir plus de données afin d’étayer solidement cette décision.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Je reprends les propos de la sénatrice Pate. Ce sont des renseignements qui nous interpellent parce que nous sommes devant une légalisation qui risque de déraper sur le plan légal et de faire des victimes. En fin de compte, notre responsabilité est d’éviter qu’il y ait des victimes. D’après ce que vous avez dit dans votre exposé, il n’y a pas d’équivalence entre les limites de THC et d’alcool dans le sang. Nous faisons face à des facteurs qui sont trop ambivalents.

Ce projet de loi a été conçu pour les gens qui fument du cannabis et non pour les gens qui en consomment dans les aliments. N’est-ce pas?

Il faut adopter l’approche la plus sécuritaire, monsieur Kay. Quel que soit le véhicule que vous conduisez, il devrait y avoir une tolérance zéro tant et aussi longtemps qu’on n’aura pas de preuves scientifiques pour exercer un contrôle sur les gens qui fument du cannabis ou qui en consomment dans les aliments. N’est-ce pas?

[Traduction]

M. Kay : Malheureusement, je pense être d’accord avec la plus grande partie de vos propos. Nous sommes vraiment en avance sur la science.

Sachez, sénatrice Pate, qu’un grand nombre de recherches ont été réalisées. Cela ne s’est pas fait du jour au lendemain. Nous avons compris ce qu’il en est de l’alcool, mais il a fallu des années pour peaufiner le message que nous envoyons à la population. Nous n’en sommes pas là pour les autres substances. Le National Transportation Safety Board a formulé des recommandations sur les divers modes, comme l’a indiqué l’organisme équivalent qui témoigne ici aujourd’hui. Il faut informer les gens à propos des autres substances, car ils doivent savoir lesquelles sont sécuritaires et lesquelles affaiblissent les facultés. C’est essentiel.

Le projet de loi C-46 ne porte pas que sur le cannabis; il traite également de la conduite avec les facultés affaiblies. Sur le plan de la conduite avec les facultés affaiblies par les drogues, nous parlons même des médicaments en vente libre qui influent sur les capacités des gens. Il faut étiqueter adéquatement les produits.

Lorsque le NTSB a tenu des réunions, dont le compte rendu est publié depuis 2001, il a essentiellement recommandé de mieux étiqueter les produits, qu’il s’agisse de médicaments en vente libre, de médicaments sous ordonnance ou, dans le cas présent, de produits récréatifs. Quand vous pénétrerez dans un magasin de cannabis High Times à Toronto dans quelques mois pour y acheter des cigarettes de cannabis, saurez-vous quel produit vous obtiendrez? En connaîtrez-vous la concentration? Saurez-vous à partir de quand il est sécuritaire de conduire? Si vous êtes un citoyen canadien responsable, saurez-vous quand vous pouvez reprendre le volant en toute sécurité? Je dirais que nous l’ignorons.

Le sénateur Gold : Sans vouloir tomber dans la répétition — ce que je m’apprête à faire —, le fait est que les délits en soi ne se substituent pas à l’infraction de conduite avec les facultés affaiblies; ils s’y ajoutent pour envoyer un message puissant afin de faire comprendre aux Canadiens qu’ils courent un risque s’ils fument et conduisent.

Du point de vue de la politique publique, notre objectif ne consiste évidemment pas à faire plus de victimes, comme le sénateur Boisvenu l’a souligné, mais à protéger la santé et à assurer la sécurité des Canadiens, particulièrement de ceux qui conduisent ou qui sont en compagnie d’une personne qui conduit après avoir consommé du cannabis.

Depuis des décennies, des gens consomment du cannabis et prennent le volant avec l’illusion de conduire adéquatement. C’est vraiment un problème social. Quelle serait la meilleure réaction au chapitre de la politique publique? À titre de législateurs, nous avons la responsabilité de résoudre ce problème.

Vous avez parlé des recherches. Je suis on ne peut plus d’accord avec vous, car je suis une ancienne universitaire. Bravo. Il faut absolument informer la population au sujet des risques. Nous ne disposons pas encore de toutes les données, mais le Comité de la drogue au volant nous a fait savoir que le cannabis affaiblit des fonctions cognitives utilisées lors de la conduite automobile. Face à la possibilité d’un carnage sur nos routes, ne serait-il pas responsable, à titre de législateurs, d’envoyer maintenant un message fort aux Canadiens, grâce aux tests per se et à toutes ces mesures, pour leur indiquer qu’il n’est pas sécuritaire de fumer ou de consommer et de conduire? Cela n’ira pas sans peine, mais du point de vue de la politique publique, je voudrais connaître votre opinion sur ce résumé de la manière dont je vois les choses.

M. Kay : Volontiers. Les mesures per se sont essentiellement préventives. Les gens savent qu’ils ne s’exposent pas seulement au risque d’avoir un accident. Ils pensent peut-être être de bons conducteurs quand ils ont fumé du cannabis, mais ils ne veulent pas devoir assumer de responsabilité juridique s’ils se font prendre. Si vous fixez une limite basse de deux ou cinq, voire de un, vous indiquez aux gens que peu importe à quel point leurs facultés sont affaiblies, vous ne voulez pas qu’ils conduisent après avoir consommé du cannabis ou alors, ils devront attendre longtemps. C’est injuste à l’égard des consommateurs fréquents, car, comme vous l’avez entendu, leurs niveaux atteindront la limite alors qu’ils ne sont pas de gros consommateurs.

Je réfléchissais à la question plus tôt aujourd’hui et je me disais que ce serait une très bonne idée d’indiquer « Utilisez Uber » sur l’étiquette des produits du cannabis vendus en magasin. Ce serait une bonne mesure, car vous ne voulez pas que les consommateurs de cannabis conduisent.

M. Wood : Je partage son avis. Je pense qu’il est sensé d’imposer une limite ou une règle per se. Si cette limite repose sur des données scientifiques probantes, c’est excellent pour la population. Les gens peuvent se procurer leur propre alcotest. S’ils peuvent obtenir un échantillonneur de THC personnel pour voir quand leur taux est inférieur à la limite, ce serait un excellent moyen d’informer la population et ce serait utile.

M. Kay : Sénateur Boisvenu, je pense qu’il existe un fondement légitime à la limite per se de sept ou huit, car des études sur la conduite montrent que c’est pire que le taux de 0,05, à partir duquel on sait qu’il y a un risque d’accident. Si je devais défendre cette limite per se devant les tribunaux, j’affirmerais qu’elle est défendable.

M. Wood : Je partage cet avis.

Le président : Merci, messieurs. Vos explications nous ont été fort utiles. Je suis certain que vous avez donné matière à réflexion à chaque sénateur. Je vous remercie d’avoir accepté notre invitation et d’avoir participé à notre séance de ce matin.

(La séance est levée.)

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