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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles

 

LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES JURIDIQUES ET CONSTITUTIONNELLES

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mercredi 31 janvier 2018

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi C-46, Loi modifiant le Code criminel (infractions relatives aux moyens de transport) et apportant des modifications corrélatives à d'autres lois, se réunit aujourd’hui, à 16 h 15, pour étudier ce projet de loi.

Le sénateur Serge Joyal (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Honorables sénateurs et membres du public qui, grâce à la magie des caméras, assistent cet après-midi aux délibérations du Comité permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, je vous souhaite la bienvenue. Le comité entame son étude du projet de loi C-46, une loi modifiant le Code criminel, en particulier en ce qui a trait aux inactions relatives aux moyens de transport, et apportant des modifications corrélatives à d'autres lois.

[Traduction]

Nous en sommes aujourd’hui à notre première journée d’audiences sur l’important projet de loi C-46, Loi modifiant le Code criminel (infractions relatives aux moyens de transport) et apportant des modifications corrélatives à d’autres lois.

J’ai le privilège aujourd’hui de souhaiter la bienvenue à l’honorable Jody Wilson-Raybould, ministre de la Justice et procureure générale du Canada, et M. Bill Blair, secrétaire parlementaire de la ministre de la Justice et procureure générale du Canada et de la ministre de la Santé. Bienvenue à vous, monsieur Blair. Je sais que c’est la première fois que vous comparaissez au Sénat, alors nous allons veiller à ce que l’expérience soit profitable pour vous.

Et nous accueillons aussi bien sûr d’autres membres de l’équipe de la ministre de la Justice.

[Français]

Je souhaite la bienvenue à M. François Daigle, qui est sous-ministre associé, et à Mme Carole Morency, qui connaît bien ce comité et qui est directrice générale de la Section de la politique en matière de droit pénal au ministère de la Justice.

[Traduction]

Nous avons également M. Greg Yost, avocat, qui travaille lui aussi à la Section de la politique en matière de droit pénal du ministère.

Bienvenue, madame la ministre. Vous connaissez bien les procédures.

[Français]

Nous vous invitons à faire votre déclaration d’ouverture. Par la suite, nous aurons un échange libre avec mes collègues autour de la table. À vous la parole, madame la ministre de la Justice.

[Traduction]

L’hon. Jody Wilson-Raybould, C.P., députée, ministre de la Justice et procureure générale du Canada : Merci, sénateur, et je remercie le comité de m’accueillir à nouveau. Je suis heureuse de revenir vous parler de notre projet de loi C-46. Comme vous l’avez mentionné, sénateur, j’ai le plaisir d’être accompagnée de mon secrétaire parlementaire, Bill Blair, et, bien sûr, de nos collaborateurs.

Le projet de loi C-46 témoigne de l’engagement du gouvernement d’assurer la sécurité des Canadiens sur nos routes. La conduite avec facultés affaiblies provoque trop de tragédies qui sont, par ailleurs, tout à fait évitables. Des personnes perdent la vie ou sont handicapées et voient leur vie transformée à tout jamais par les gestes irresponsables de conducteurs ayant les facultés affaiblies.

Le projet de loi propose d’importants changements aux dispositions législatives pour remédier au problème de la conduite avec facultés affaiblies par l’alcool et la drogue. Il s’agit d’une des réformes les plus exhaustives dans ce domaine du droit en près de 50 ans.

Je suis fière de ce projet de réformes, et j’espère vous convaincre non seulement de l’importance de ces réformes, mais aussi de l’urgence d’adopter le projet de loi.

Comme vous pourrez le constater, le projet de loi comprend deux parties principales. La partie 1, qui porte sur la conduite avec facultés affaiblies par la drogue, prévoit deux grandes réformes. Premièrement, elle donnerait aux agents de police de nouveaux outils pour mieux détecter les conducteurs sous l’influence de la drogue en les autorisant à utiliser des appareils de dépistage de drogue par voie orale qui ont été approuvés. Deuxièmement, elle créerait trois nouvelles infractions pénales pour les conducteurs ayant une concentration de drogue dans le sang égale ou supérieure à la limite permise dans les deux heures après avoir conduit un véhicule.

La première infraction serait punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire lorsque la concentration de drogue est faible, sans présence d’alcool, une mesure préventive pour accroître la sécurité publique. La deuxième serait une infraction hybride pour la consommation de drogues seulement. La troisième serait une infraction hybride pour la consommation de drogue en combinaison avec de l’alcool.

Le projet de règlement établissant les limites de concentration de drogue dans le sang a été publié récemment dans la partie I de la Gazette du Canada. Je vais vous parler des limites proposées pour le THC, mais le projet de règlement porte également sur d’autres drogues, comme le GHB, la cocaïne et la méthamphétamine.

La période de consultation publique vient de prendre fin, et je suis en train d’examiner l’approche finale.

Pour l’infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire, la concentration interdite de THC serait de 2 nanogrammes et plus par millilitre de sang. Pour la première infraction hybride, elle serait de 5 nanogrammes et plus. Enfin, pour la troisième infraction hybride, la concentration interdite de THC serait de 2,5 nanogrammes de drogue en combinaison avec 50 milligrammes d’alcool par 100 millilitres de sang.

À l’heure actuelle, les données scientifiques indiquent clairement qu’il est plus difficile d’établir des limites légales ou des limites pour la drogue que pour l’alcool. Les limites proposées reposent sur les données scientifiques les plus fiables que nous ayons et s’inspirent de l’expérience d’autres pays. Le gouvernement du Canada reçoit ses données scientifiques sur les questions liées à la conduite avec facultés affaiblies par la drogue depuis plus de 30 ans du Comité de la drogue au volant de la Société canadienne des sciences judiciaires.

Je suis donc d’avis que l’approche proposée dans le projet de loi C-46 repose sur des données scientifiques convaincantes. Le Comité permanent de la justice et des droits de la personne est d’accord avec notre évaluation. J’attire plus précisément votre attention sur le rapport du Comité de la drogue au volant sur les limites légales de drogues. Dans ce rapport, il précise les considérations scientifiques sur lesquelles s’appuient les limites légales de diverses drogues. Il ne serait pas prudent de retarder la présente initiative, à mon avis, en espérant que la science arrivera à des conclusions nouvelles ou différentes. Nous allons continuer d’investir dans la recherche scientifique et de suivre son évolution dans ce domaine, et nous réagirons à tout changement.

La partie 1 du projet de loi entrerait en vigueur au moment de la sanction royale, soit le plus rapidement possible, puisqu’il est nécessaire de sévir contre la conduite avec facultés affaiblies par la drogue sur nos routes à l’heure actuelle. En effet, selon les données les plus récentes publiées dans Juristat par Statistique Canada, les taux de conduite avec facultés affaiblies par la drogue sont en hausse, et selon les services policiers, les accidents qui y sont liés ont presque doublé entre 2009 et 2015.

Au sujet maintenant des réformes prévues pour la conduite avec facultés affaiblies par l’alcool, je suis convaincue que celles prévues dans la partie 2 seront plus dissuasives, qu’elles faciliteront les enquêtes et les poursuites et qu’elles réduiront les délais devant les tribunaux.

Comme le comité l’a souligné dans son rapport Justice différée, justice refusée, la conduite avec facultés affaiblies fait partie des domaines du droit criminel qui donnent lieu au plus grand nombre de contestations devant les tribunaux. De plus, les dispositions du Code criminel sur le sujet sont difficiles à interpréter et à mettre en application.

Un des objectifs importants du projet de loi est de nous doter d’un cadre législatif plus complet et moderne. Ainsi, le projet de loi C-46 propose de supprimer tout le régime relatif aux moyens de transport prévu au Code criminel et de le remplacer par une nouvelle partie plus claire et mieux structurée.

Il propose également des changements importants à la politique, principalement d’autoriser le dépistage obligatoire d’alcool. Un agent de police pourrait ainsi exiger d’un conducteur qu’il fournisse un échantillon préliminaire d’haleine sans avoir besoin d’abord d’avoir un doute raisonnable qu’il a de l’alcool dans son organisme. L’agent serait autorisé à exiger l’échantillon seulement lors d’un contrôle routier légal et lorsqu’il a un appareil de détection approuvé avec lui. À mon avis, le dépistage obligatoire d’alcool est sans doute ce qui aura le plus d’effet pour dissuader la conduite avec facultés affaiblies.

C’est ce qui s’est produit dans les pays où ce pouvoir a été accordé aux agents de police. En Irlande, par exemple, selon la Road Safety Authority, l’instauration du dépistage obligatoire d’alcool en 2006 a permis de réduire les décès sur les routes de 40 p. 100 au cours des quatre premières années de sa mise en œuvre, et de près de 25 p. 100 au cours de la première année seulement. Le succès est sensiblement le même dans les autres pays.

C’est pourquoi je crois que le Canada doit adopter ce même modèle. Nous devons tout mettre en œuvre pour prévenir et détecter la conduite avec facultés affaiblies.

Je suis au courant des préoccupations soulevées au sujet du profilage racial. Je tiens à préciser que le dépistage obligatoire d’alcool ne modifie pas la responsabilité qu’ont les agents de police d’appliquer la loi de façon juste et équitable. De plus, le Comité permanent de la justice et des droits de la personne a apporté un amendement dans le préambule pour préciser clairement que les pouvoirs d’enquête doivent être exercés d’une manière compatible avec la Charte canadienne des droits et libertés.

Les autres propositions importantes concernent les questions entourant la preuve du taux d’alcoolémie d’un conducteur et les changements apportés au plus de 80 infractions et à la communication de renseignements par la Couronne. En plus de faciliter les enquêtes et les poursuites dans les dossiers de conduite avec facultés affaiblies, les propositions se traduiront par des gains d’efficacité lors des procès et réduiront les délais devant les tribunaux, ce qui, encore une fois, rejoint les recommandations du comité au sujet des délais.

Premièrement, le projet de loi C-46 propose de simplifier la preuve de l’alcoolémie d’un conducteur en précisant que la preuve sera faite si la Couronne peut prouver hors de tout doute raisonnable que certaines conditions sont remplies qui indiquent que l’alcootest approuvé fonctionnait correctement. Cela témoigne du fait que l’alcootest approuvé est scientifiquement éprouvé. Nous pouvons avoir confiance que lorsqu’il est manipulé par un technicien qualifié selon les règles établies par le Comité des analyses d’alcool, l’alcootest fournit des résultats fiables et valides de l’alcoolémie du conducteur. Cela se traduira en gains d’efficacité lors des procès, car un accusé ne pourra plus faire retarder le procès en contestant les résultats d’un alcootest approuvé et scientifiquement éprouvé depuis des décennies.

Deuxièmement, le projet de loi propose de rendre les obligations de communication des renseignements de la Couronne plus efficaces. Le projet de loi préciserait que seul le matériel scientifiquement pertinent doit être communiqué. Cela éliminerait ainsi les débats inutiles sur la non-pertinence de la preuve et le besoin de produire des renseignements non pertinents.

Enfin, le projet de loi C-46 propose d’éliminer la défense du « dernier verre » et limiterait la défense du « verre d’après ». La défense du dernier verre renvoie à des situations où le conducteur affirme avoir consommé un peu avant ou pendant la conduite et qu’il n’avait pas dépassé la limite légale au moment de conduire. Ce n’est que plus tard, lorsque tout l’alcool avait été absorbé qu’il avait dépassé la limite. La défense du verre d’après renvoie à des situations où le conducteur a consommé de l’alcool après avoir conduit et avant de fournir l’échantillon d’haleine au poste.

De toute évidence, ces deux types de défense encouragent les comportements dangereux et minent l’intégrité du système de justice, puisque le conducteur entrave intentionnellement le processus de détermination de l’alcoolémie. En les supprimant, on accroîtrait l’efficacité des procès.

Dans le temps qui m’est imparti, je ne suis pas en mesure de vous parler de tous les éléments du projet de loi, mais vous pourrez consulter le résumé législatif et l’énoncé concernant la Charte qui vous donneront, à mon avis, des renseignements très utiles pour votre étude.

En terminant, comme l’a dit le président-directeur général de MADD Canada, Andrew Murie, dans une lettre qu’il a fait parvenir aux sénateurs le 28 novembre 2017, le projet de loi C-46 constitue un puissant pas en avant dans la lutte contre la conduite avec facultés affaiblies, il aurait pour effet de réduire grandement la conduite avec facultés affaiblies, et il rendrait les routes plus sécuritaires pour les Canadiens. Je suis entièrement d’accord avec lui. Je pense que ce projet de loi protégera beaucoup mieux les Canadiens des tragédies qui découlent de la conduite avec facultés affaiblies.

Merci, mesdames et messieurs les sénateurs, de m’avoir donné l’occasion de présenter ces observations, et je répondrai avec plaisir à vos questions.

[Français]

Le président : Merci beaucoup, madame la ministre. Ce sera le sénateur Boisvenu, vice-président du comité, qui posera la première question.

Le sénateur Boisvenu : Bienvenue, madame la ministre. Étant donné que nous n’avons pas beaucoup de temps, je vous serais reconnaissant de nous donner des réponses courtes.

Est-il vrai que le projet de loi dont nous sommes saisis vous permettra, par règlement, d’établir des sentences pour ceux qui auront excédé la limite permise de 2 à 5 nanogrammes? Est-ce que, actuellement, le projet de loi vous accorde le pouvoir d’établir des sentences par règlement?

[Traduction]

Mme Wilson-Raybould : Ce n’est pas le cas, sénateur.

Le sénateur Boisvenu : Ce n’est pas le cas.

[Français]

Donc, le Parlement devra toujours modifier le Code criminel pour établir des sentences qui sont liées à ce projet de loi.

[Traduction]

Mme Wilson-Raybould : Parlez-vous des peines dans le projet de loi ou des limites? Vous parlez des peines.

Le sénateur Boisvenu : Oui.

Mme Wilson-Raybould : Les peines sont énoncées dans le projet de loi, puis dans le Code criminel.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : L’autre question concerne les sentences minimales. Depuis une décennie, les groupes de victimes demandent, dans les cas où il y a mort d’homme liée à la conduite avec facultés affaiblies, que nous prévoyions au minimum des sentences d’emprisonnement.

Le projet de loi établirait comme punition minimale une amende de 1 000 $. Mettons-nous à la place de la famille d'une victime ou à la place de M. Blair, un ancien chef de police qui a côtoyé toute sa vie des proches de victimes. Ne croyez-vous pas qu’une amende minimale de 1 000 $ constitue un recul quant à ce que prévoit déjà le Code criminel pour une personne ayant causé la mort après avoir conduit avec les facultés affaiblies?

[Traduction]

Mme Wilson-Raybould : Je vous remercie de poser la question, sénateur. C’est certainement une question très importante, sans l’ombre d’un doute. J’ai eu l’occasion, tout comme mon secrétaire parlementaire, de rencontrer de très nombreuses victimes qui ont perdu des proches à la suite d’un accident lié à la conduite avec facultés affaiblies. Nous avons beaucoup discuté avec eux.

Un des principaux objectifs du projet de loi C-46 est la dissuasion. J’ai eu de nombreuses discussions avec MADD Canada et je comprends que les peines sont imposées par les juges au pays, qui sont conscients de la gravité du problème de la conduite avec facultés affaiblies causant des lésions corporelles ou la mort. Dernièrement, nous avons vu des juges imposer des peines qui tournent autour de 10 ans pour une conduite avec facultés affaiblies ayant causé la mort. Je fais confiance à nos juges partout au pays pour bien mesurer la gravité des conséquences de la conduite avec facultés affaiblies sur nos routes, notamment lorsqu’elle cause des blessures ou la mort, et imposer des peines conséquentes.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Madame la ministre, lorsqu’il y a perte de vie liée à la conduite avec capacités affaiblies, croyez-vous vraiment qu’une amende de 1 000 $ est suffisante pour dissuader les gens à ne pas prendre le volant lorsqu’ils sont en état d’ébriété?

[Traduction]

Mme Wilson-Raybould : Je pense que les peines qui ont été imposées par les juges aux conducteurs qui ont causé la mort en conduisant avec les facultés affaiblies sont considérablement lourdes. C’est un fait que les juges vont continuer d’imposer des peines en s’appuyant sur les faits qu’ils ont devant eux.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Ma dernière question sera celle-ci. Pourquoi ne pas prendre la moyenne des sentences rendues au Canada depuis 5 ou 10 ans et imposer au minimum une sentence d’emprisonnement?

[Traduction]

Mme Wilson-Raybould : Je dois dire que nous ne modifions pas nécessairement les choses maintenant. L’amende de 1 000 $ prévue actuellement dans le Code criminel, pour être très honnête avec vous, a été oubliée au moment de la rédaction du projet de loi. Il y a eu un amendement à l’autre endroit pour la rétablir, mais je ne pense pas que quiconque dans cette salle pourrait imaginer qu’on imposerait une amende de 1 000 $ à quelqu’un qui a causé la mort en conduisant avec les facultés affaiblies par l’alcool ou la drogue. C’est la peine minimale. La peine maximale, c’est l’emprisonnement à perpétuité. Les juges tiennent compte de la gravité du crime au moment de déterminer la peine, et dernièrement, dans l’affaire Muzzo, le conducteur s’est vu infliger une peine de 10 ans pour avoir causé la mort d’une personne.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Madame la ministre, merci d'avoir accepté de comparaître devant le comité.

Ma première question concerne l’article 320.12, dans lequel on reconnaît que la conduite est un privilège et non pas un droit. C’est un élément intéressant qu’on introduit dans le Code criminel. On ne le voit pas nécessairement ailleurs dans d'autres lois. J’essaie de comprendre comment s’articule cette reconnaissance, parce qu’on ajoute dans cet article une espèce de section introductive interprétative. L’alinéa 320.12d) stipule que l’évaluation effectuée par un agent évaluateur constitue un moyen fiable de déterminer si la capacité d’une personne est affaiblie par l’effet d’une drogue. Un peu plus loin dans le projet de loi, au paragraphe 320.31(6), on crée une nouvelle présomption concernant la drogue. Pourquoi avoir utilisé la section de reconnaissance et de déclaration alors qu’on crée une présomption ayant tout de même pour effet de renverser le fardeau de la preuve?

[Traduction]

Mme Wilson-Raybould : Parlez-vous de la déclaration voulant que la conduite soit un privilège et non un droit?

[Français]

La sénatrice Dupuis : Il s'agit de celui-là, ainsi que du quatrième paragraphe. Autrement dit, en introduisant ce nouvel article dans la loi — ce qui est tout de même exotique par rapport à d’autres façons de légiférer —, on crée une présomption qui renverse le fardeau de preuve. L’article suit une espèce d’article déclaratoire, et j’essaie de saisir l’intention ou le but d’introduire cela dans le projet de loi. J’ai pensé que si je me posais la question, je n’étais sans doute pas la seule.

Greg Yost, avocat, Section de la politique en matière de droit pénal, Secteur des politiques, ministère de la Justice : Premièrement, la déclaration démontre la confiance qu’a le Parlement envers la procédure d’évaluation. Évidemment, dans un cas particulier, l’évaluateur est sujet au contre-interrogatoire quant à savoir s’il a bien procédé aux 12 étapes du processus.

La présomption se base sur le fait qu’au bout d’une heure, à la suite des 12 étapes, on a décelé une drogue qui, selon l’évaluateur, a causé l’affaiblissement des capacités. La seule présomption qui soit réfutable, c’est que la drogue qui a été identifiée comme causant l’affaiblissement des capacités se trouvait dans l’organisme de la personne au moment de son arrestation, alors que l’agent de police a constaté des faits qui l’ont amené à croire que cette personne avait les capacités affaiblies par la drogue. C’est une sorte de présomption de temps plus qu’autre chose. La drogue était dans son système au poste de police et l’affaiblissait à ce moment-là et, donc, on présume que c’était la même chose au bord de la route. Évidemment, la personne peut présenter une preuve qu’il y avait autre chose qui ait pu causer les symptômes, mais elle est la seule à avoir cette connaissance.

La sénatrice Dupuis : Justement, à partir de votre réponse, on peut réfuter la présomption.

M. Yost : Certes, oui.

La sénatrice Dupuis : Ma question est la suivante : si l'on compare avec les tests pour l’alcool qui semblent être mieux définis, on a des tests très clairs. On peut reconnaître des éléments comme des témoignages d’experts, et on n’a pas à faire la preuve. Est-ce que cette présomption ne vient pas introduire un fardeau supplémentaire pour la personne qui serait accusée d’avoir conduit un véhicule avec des facultés affaiblies par la drogue, y compris un fardeau financier pour cette personne qui devra peut-être payer un expert pour obtenir une preuve démontrant que ce n’était pas le cas?

M. Yost : Dans la situation actuelle, la personne comparaîtrait devant le tribunal aujourd’hui sur la base de l’évaluation faite par l’évaluateur. L’évaluateur aura besoin de passer par toutes les étapes, y compris par l’analyse qui décèle la présence de drogue. Cela a été suffisant dans plusieurs cas, peut-être dans des centaines ou des milliers de cas, pour produire une déclaration de culpabilité. Néanmoins, il y a eu quelques juges qui ont affirmé avoir trouvé très intéressant qu’une personne ait ces substances dans son système. Qu’est-ce qui s’est passé sur le bord de la route? On crée cette présomption. La personne n’a pas à démontrer quelque chose à 51 p. 100, mais seulement à soulever un doute raisonnable.

Le président : Je vous rappelle, honorables sénateurs, que la majorité d'entre vous ont demandé d'intervenir.

[Traduction]

Je vais vous demander maintenant d’aller droit au but. La ministre est avec nous et nous devons terminer la réunion au plus tard à 17 h 15 pour un vote dans la salle du Sénat. Je vous invite, sénateurs, à prendre cela en considération.

[Français]

Le sénateur Carignan : Madame la ministre, bienvenue. Je vais aller directement au point. Le projet de loi C-46 a été présenté la même journée que le projet de loi C-45. Il a été présenté comme étant un projet de loi qui vise notamment à répondre aux préoccupations liées à la légalisation de la marijuana en fonction de la conduite avec facultés affaiblies. Curieusement, quand on étudie le projet de loi, on se rend compte qu’il prévoit des contrôles aléatoires pour l’alcool, mais pas pour les drogues. Ça m’a surpris. Est-ce que vous pouvez nous expliquer pourquoi un projet de loi liée à la légalisation de la marijuana ne contient pas de mesures de contrôle aléatoire pour les drogues?

[Traduction]

Mme Wilson-Raybould : Je vous remercie de poser la question. Je sais, sénateur, que vous connaissez très bien ce dossier et que vous y portez un intérêt particulier depuis un bon moment.

Je dirai, au sujet de la conduite avec facultés affaiblies par l’alcool, qu’on a ajouté le dépistage obligatoire. S’il n’y a pas de dépistage obligatoire pour la drogue, c’est que les données scientifiques sur la conduite avec les facultés affaiblies par la drogue et les concentrations qui mènent à un affaiblissement des facultés ne sont pas aussi bien établies ou exactes que dans le cas de l’alcool.

Cela étant dit, nous suivons de près l’évolution de la science dans le dossier de la conduite avec facultés affaiblies par la drogue. Nous adoptons, comme position de base dans le projet de loi, une approche préventive en prévoyant que toute concentration de drogue dans l’organisme réduit les facultés. Nous allons continuer de travailler avec le Comité de la drogue au volant pour suivre l’évolution de la science. Nous avons pris des dispositions pour suivre l’évolution de la science et faire tout changement nécessaire.

[Français]

Le sénateur Carignan : Avec tout le respect que je vous dois, votre réponse m'inquiète, parce que des tribunaux liront ce qu’on dit aujourd’hui et, dans le même projet de loi, vous introduisez une limite « per se », une infraction de consommation avec une limite de 5, ou de 2 à 5, dépendamment s’il y a de l’alcool. Si la science n’est pas assez avancée pour créer des tests aléatoires permettant de détecter la drogue, comment pouvez-vous au même moment créer ce type d'infraction?

[Traduction]

Mme Wilson-Raybould : Nous avons beaucoup profité des recherches scientifiques entreprises par le Comité de la drogue au volant sur les tests. Nous collaborons avec lui pour mettre au point des appareils qui nous permettront de faire du dépistage à partir d’échantillons de liquide buccal sur le bord de la route. Nous avons prévu dans la partie 1 du projet de loi diverses façons pour les agents de police de détecter si un conducteur a les facultés affaiblies, allant de l’utilisation d’un appareil de détection à partir de liquide buccal, à une évaluation par un technicien de la présence de drogue dans l’organisme, jusqu’à la prise d’un échantillon de sang qui permettra de déterminer la concentration ou les concentrations proprement dites de drogue présentent dans l’organisme de la personne.

Ces moyens sont semblables à ce qui se fait ailleurs. Par exemple, au Royaume-Uni, il y a une limite de deux nanogrammes. En Oregon, aux États-Unis, il y a le niveau 5. Les données scientifiques sont là pour démontrer que, de 2 à 5, le degré d’intoxication est tel que la personne ne devrait pas prendre le volant. Cependant, je le répète: nous sommes d’avis qu’une personne qui a pris de la drogue ne devrait jamais conduire, quel que soit son degré d’intoxication.

[Français]

Le sénateur Carignan : Rapidement.

Le président : Je vous rappelle en deuxième ronde, sénateur Carignan.

[Traduction]

Le représentant du ministère aura bien entendu l’occasion de parler à nouveau.

Le sénateur Pratte : L’objet de mes préoccupations, ce sont les faiblesses possibles du projet de loi, un aspect qui n’est pas étranger aux questions du sénateur Carignan. La mention de « conduite avec facultés affaiblies » revient quatre ou cinq fois dans le préambule. L’objectif du projet de loi est d’empêcher la conduite avec facultés affaiblies. J’essaie de penser à ce qui se produira lorsqu’un conducteur se fera arrêter et qu’on établira qu’il a, disons, un peu plus de deux nanogrammes de THC dans l’organisme et qu’il affirmera ne pas se sentir intoxiqué.

Il ira en cour et il plaidera ceci : « j’étais peut-être un peu au-dessus de deux nanogrammes, mais vous n’avez aucune preuve que mes facultés étaient affaiblies ». Je sais qu’aux termes de la loi, lorsque la concentration dépasse deux nanogrammes, vous n’avez pas à prouver que la personne a les facultés affaiblies. C’est une infraction. Néanmoins, cette personne pourrait aller en cour et plaider qAux termes du projet de loi, il y a des situations où un policier pourrait demander une analyse de sang ainsi qu’une évaluation de reconnaissance des drogues. Si l’agent demande les deux, on pourrait se retrouver dans la situation où l’analyse de sang indique une concentration inférieure à deux nanogrammes, alors que l’évaluation de reconnaissance de drogues conclut à l’intoxication, ou l’inverse. Qu’arrivera-t-il à ce moment-là? En cour, le conducteur pourra faire valoir la présence de résultats contraires. Qu’arrivera-t-il? Je me demande si le projet de loi contient des faiblesses que les conducteurs interpellés pourraient exploiter. Cela me préoccupe un peu.

ue la loi est censée s’attaquer à la conduite avec facultés affaiblies, et qu’elle n’était pas dans cet état au moment de son arrestation, et qu’il n’y a aucune façon de prouver qu’une concentration de plus de deux nanogrammes affaiblit les facultés.

Mme Wilson-Raybould : Je comprends la question et je vois comment elle rejoint celle du sénateur Carignan. Je vous dirai — et cela tient compte aussi de la question précédente — que la conduite avec facultés affaiblies est un problème qui existe déjà et auquel nous devons remédier. En préparant les parties 1 et 2 de ce projet de loi, nous avons fait de notre mieux pour empêcher autant que possible la conduite avec facultés affaiblies et pour mettre en place des mesures dissuasives.

En ce qui concerne l’application de la loi, nous avons cherché à doter les organes responsables d’outils additionnels afin de leur permettre d’établir l’état des facultés des personnes interpellées. Dans la partie 1 du texte de loi, on reconnaît que les agents de la paix disposent d’un certain nombre de moyens pour établir si une personne est intoxiquée, y compris, en dernier lieu, une analyse de sang au poste de police.

Les scénarios que vous évoquez devront être traités à la pièce, mais nous nous appuyons sur les meilleures preuves scientifiques qui existent pour fixer les limites légales au-delà desquelles les facultés d’une personne qui a pris de la drogue sont considérées comme étant affaiblies.

Nous avons investi des sommes considérables pour renforcer l’évaluation de reconnaissance des drogues que les agents de la paix pourront utiliser en plus de l’analyse de sang. Nous avons cherché en cela à renforcer les outils offerts aux agents de la paix et à leur fournir la formation nécessaire pour faire leur travail. En fin de compte, si une affaire se retrouve en cour, ce sera au juge d’examiner la preuve, et ce sera à la Couronne de plaider sa cause.

Le sénateur McIntyre : Ma question se greffe à celles que le sénateur Carignan et le sénateur Pratte ont déjà posées. Elle porte sur la fiabilité de l’équipement utilisé pour mesurer l’alcoolémie, comparativement à celle des appareils utilisés pour déceler la présence de drogues.

Si je pose cette question, c’est qu’avec les années, la principale raison qui a fait en sorte que les milieux scientifique et juridique ont tous deux reconnu la fiabilité de l’équipement utilisé pour mesurer l’alcoolémie, c’est à cause du travail du Comité des analyses d’alcool de la Société canadienne des sciences judiciaires. C’est cet organisme qui est chargé de veiller à ce que l’équipement utilisé au Canada pour mesurer l’alcoolémie soit conforme à des spécifications rigoureuses.

Est-ce que les connaissances scientifiques sur lesquelles reposent les appareils envisagés pour la détection des drogues sont suffisamment solides pour nous permettre, à ce stade-ci, d’aller de l’avant avec les changements proposés dans le projet de loi C-46? Veuillez expliquer.

Mme Wilson-Raybould : Comme je l’ai dit, nos actions se fondent sur les meilleures preuves scientifiques dont nous disposons. Les appareils utilisés par les agents de la paix ne seront autorisés que si l’on estime qu’ils sont en mesure de faire ce que l’on attend d’eux. Ils ne seront pas remis entre les mains des agents de la paix si cette preuve n’a pas été faite.

Grâce au travail que nous avons fait et que nous continuons de faire, nous sommes convaincus que d’ici la légalisation du cannabis et l’adoption de cette loi, nous aurons la technologie nécessaire pour permettre aux agents de la paix de faire leur travail conformément aux dispositions de la loi et aux outils qui y sont décrits.

La sénatrice Batters : Aux termes du projet de loi C-46 — dont on a un peu parlé aujourd’hui —, votre gouvernement permettra aux autorités de procéder à des contrôles aléatoires d’alcoolémie, sans toutefois prévoir de procédure semblable pour le dépistage aléatoire des drogues.

Lorsqu’on vous a posé cette question devant le Comité de la justice de la Chambre des communes, vous avez répondu à deux reprises qu’en ce qui concerne le dépistage des drogues, la science continue d’évoluer. Aujourd’hui, en répondant à l’un de mes collègues, vous avez dit que la science n’était pas aussi avancée ou aussi exacte que pour le contrôle de la conduite avec facultés affaiblies par l’alcool.

Madame la ministre, étant donné que le dépistage des drogues n’est pas suffisamment avancé pour l’instant — c’est ce que vous dites —, pourquoi votre gouvernement cherche-t-il à légaliser la drogue illicite la plus utilisée de toutes plutôt qu’à la décriminaliser?

Mme Wilson-Raybould : La conduite avec facultés affaiblies, y compris sous l’effet de la drogue, est un problème actuel. Nous travaillons extrêmement fort au sein du gouvernement ainsi qu’avec nos partenaires des provinces et des territoires afin d’être en mesure de repérer les personnes qui prennent le volant après avoir pris de la drogue et pour assurer que ce travail soit fondé sur des preuves scientifiques, nommément sur les données scientifiques que le Comité de la drogue au volant nous fournit depuis des décennies.

La partie 1 du projet de loi prévoit des mesures additionnelles, dont l’obligation pour les conducteurs de fournir un échantillon de fluide oral aux agents de la paix. Le Comité de la drogue au volant nous a assuré qu’il arrivera à faire en sorte que les agents de la paix soient en mesure de détecter les limites légales prévues aux termes de la loi, et qu’il pourra fournir un outil additionnel aux agents de la paix pour permettre à ces derniers d’établir si une personne est sous l’influence d’une drogue.

La sénatrice Batters : Madame la ministre, notre comité a récemment terminé une excellente étude de 18 mois sur les retards observés dans les tribunaux de juridiction criminelle. Malgré cette étude et les conséquences délétères qui découlent de ces retards qu’accusent les tribunaux criminels au Canada, votre gouvernement tarde encore de remédier à ce grave problème, y compris aux 63 postes vacants à la magistrature qui continuent de plomber notre système judiciaire.

Notre étude nous a permis de constater qu’à l’heure actuelle, le très grand nombre d’accusations de conduite avec facultés affaiblies, comme vous les désignez, étrangle littéralement notre système de justice criminelle. En mai dernier, lorsque nous étions à Halifax, le chef de la police municipale m’a dit qu’il était très préoccupé par les graves répercussions que votre plan de légaliser la marijuana allait avoir sur le système judiciaire, pourtant déjà très éprouvé.

Étant donné la situation de crise qu’occasionnent présentement les retards judiciaires au Canada — une situation où des gens accusés de meurtre au premier degré ont vu leur cause rejetée —, pourquoi quelqu’un comme vous qui êtes ministre de la Justice cherche-t-il à exacerber ce grave problème?

Mme Wilson-Raybould : Merci, madame la sénatrice. Il y a un certain nombre de questions et d’affirmations dans ce que vous dites. Sans vouloir entrer dans les détails au sujet de la nomination des juges, sachez que je suis très fière du processus de nomination que nous avons mis en place. Uniquement pour l’année dernière, nous avons nommé plus de juges qu’au cours des deux dernières décennies.

Pour ce qui est des retards, permettez-moi de répéter ce que j’ai déjà dit aux membres de ce comité: j’apprécie énormément le travail que vous avez fait et les rapports que vous avez produits au sujet des retards dans le système de justice pénale. De toute évidence, c’est une préoccupation énorme pour vous comme pour moi.

En ce qui concerne ce qui a été dit dans votre rapport et ce que j’ai dit dans mes observations préliminaires concernant la conduite avec facultés affaiblies, ce domaine est l’un de ceux qui mobilisent le plus nos tribunaux. Le projet de loi C-46 contient un certain nombre de mesures qui remédieront ou tenteront de remédier à ces retards en reformulant les dispositions du Code criminel sur la conduite avec facultés affaiblies, notamment en ce qui concerne la divulgation ainsi que la concentration d’alcool dans le sang et les façons d’attester de cela. Il est aussi question de forcer sur la dissuasion en mettant en place le dépistage obligatoire de l’alcoolémie.

Les mesures que nous avons mises en place — et je ne les ai pas toutes nommées — contribueront à réduire de beaucoup les contestations procédurales, les demandes de divulgation et celles visant à obtenir des preuves quant aux compétences de l’expert responsable de l’évaluation de reconnaissance des drogues. Les nombreuses mesures que nous avons mises en place aideront à réduire les retards, notamment celles qui ont trait au dépistage obligatoire de l’alcoolémie. D’après ce que l’on nous a dit, les mesures dissuasives qui font déjà partie du projet de loi C-64, surtout dans la partie 2, permettront aussi de réduire ces retards. Sachez que je prends cette question des retards très au sérieux.

La sénatrice Eaton : Merci, madame la ministre. Je suis heureuse de vous revoir ici. D’après ce que j’ai pu comprendre grâce aux questions du sénateur Carignan et du sénateur Pratte, la science n’est pas encore rendue aussi loin pour la mesure de l’intoxication aux drogues que pour la mesure de l’alcoolémie. En fait, les seules personnes à qui l’on peut se fier sont les agents experts en reconnaissance des drogues.

Je suis Torontois. Je me pose des questions sur les villes comme Toronto et Vancouver, sur les grandes villes d’un peu partout au Canada. Je me souviens également des représentants de l’organisme Employeurs des transports et communications de régie fédérale qui étaient passés devant le Comité des finances lorsque nous étions en train d’étudier le budget, et qui nous avaient dit qu’ils étaient très inquiets au sujet des gens comme les pilotes et les conducteurs de camion sur longue distance. Si vous n’êtes pas tout à fait au courant de ce que je dis, M. Blair pourra peut-être nous aider. Combien d’experts espérez-vous former et en quoi consiste cette formation? Vous attendez-vous, madame la ministre, à ce que des tests aléatoires soient faits dans les aéroports, dans les terminaux pour camions ou dans les écoles?

Mme Wilson-Raybould : Merci de cette question. Mon collègue, le ministre Goodale, le ministre de la Sécurité publique, sera ici demain pour vous parler plus en détail de l’évaluation de reconnaissance des drogues et des sommes considérables — 161 millions de dollars — que le gouvernement a investies pour veiller à ce que les agents de la paix soient dûment formés à cet égard. C’est un bon processus et une procédure en 12 étapes. Je n’ai qu’à regarder à ma gauche pour savoir que j’ai un secrétaire parlementaire qui s’y connaît très bien en la matière.

Je vais lui demander de nous parler de l’importance de l’évaluation de reconnaissance des drogues, de son fonctionnement et des ressources qu’on lui consacre.

Bill Blair, député, Secrétaire parlementaire de la ministre de la Justice et procureur général du Canada et de la ministre de la Santé : Très brièvement, je dirai que les dirigeants d’organismes d’application de la loi ont pressé le gouvernement d’appuyer la formation d’experts en reconnaissance de drogues, ici, au Canada. Avec la formation offerte actuellement, les agents doivent se rendre aux États-Unis pour obtenir leur certification. Nous avons prêté l’oreille à ces demandes et nous avons mené d’étroites consultations auprès de l’Association canadienne des chefs de police afin de mettre sur pied un programme canadien de formation en reconnaissance des drogues qui sera offert dans les deux langues officielles. L’argent pour ce faire a été débloqué.

La sénatrice Eaton : Des endroits comme le Colorado et l’État de Washington ont-ils réussi à mettre au point de bonnes techniques de détection des drogues?

M. Blair : Oui, ils ont mis au point certaines techniques. Ils utilisent des trousses pour prélever des échantillons de fluides oraux, et dans l’ensemble des États-Unis, ils ont recours à des experts en reconnaissance des drogues agréés par l’Association internationale des chefs de police, un organisme basé aux États-Unis.

Nous voulons nous assurer que ces cours seront abordables et accessibles à tous les services de police canadiens, et qu’ils seront offerts dans les deux langues officielles. C’est pour cette raison que nous investissons conjointement avec la GRC afin d’élaborer un programme canado-canadien pour former des experts en reconnaissance des drogues. Le pays compte à l’heure actuelle environ 600 agents formés pour agir à titre d’experts en reconnaissance des drogues.

Les chefs de police nous ont dit qu’il leur en fallait jusqu’à 3 000, alors nous débloquons les ressources nécessaires pour que cette formation de fasse.

Le sénateur Gold : J’aimerais que l’on parle un peu de la question de l’alcool. Dans le discours que vous avez prononcé à la Chambre des communes le 27 octobre, vous avez à juste titre souligné que le dépistage obligatoire de l’alcoolémie est le plus efficace lorsque tous les conducteurs savent qu’ils vont être testés. Je crois que c’est ce que montraient les données recueillies dans d’autres États, car la mise en œuvre de ces contrôles aléatoires ou obligatoires y a été publicisée.

Pouvez-vous nous dire un mot sur la façon dont vous comptez mettre en œuvre cette campagne d’information? Est-elle commencée? Plus précisément, pouvez-vous nous dire comment vous entendez déployer ces contrôles avec vos partenaires des provinces qui sont dans des collectivités rurales, c’est-à-dire dans ces endroits où les forces de l’ordre ont moins de ressources qu’ailleurs, mais où le risque existe aussi; dans ces endroits où, je présume, le chef de la police connaît tout le monde? Croyez-vous qu’il pourrait y avoir un risque de profilage? Par exemple, nous savons qu’une Chevrolet noire appartient à telle ou telle personne, vous voyez ce que je veux dire. Est-ce que Machin se verra donner une chance parce qu’il reste tout près et qu’il n’a pas beaucoup de chemin à faire? Nous savons qu’il est très bon, même s’il a pris un verre ou deux.

Comment veillerez-vous à ce que les Canadiens sachent que ces mesures seront appliquées de façon juste et efficace?

Mme Wilson-Raybould : Tout d’abord, en ce qui concerne la partie 2 — le segment du projet de loi qui porte sur l’alcool —, nous avons prévu une période d’entrée en vigueur étendue sur 180 jours ou 6 mois, reconnaissant en cela que le projet de loi apporte des modifications substantielles au Code criminel. Nous allons fournir, mettre en œuvre et investir les ressources que nous nous sommes engagés à affecter à la formation, aux appareils et au soutien à l’intention de nos collègues des provinces, des territoires et des municipalités. Nous les aiderons à accéder à ces ressources et à prendre des décisions sur la façon de procéder pour la suite des choses. Nous appuierons ce travail.

Pour ce qui est du dépistage obligatoire de l’alcoolémie et du profilage racial, précisons que la partie 2 du projet de loi C-46 ne donne pas de nouveaux pouvoirs aux agents de la paix. Un dépistage obligatoire de l’alcoolémie peut être pratiqué lors d’un contrôle routier conforme à la loi. En tant qu’ancien agent de la paix et ancien chef de police, mon secrétaire parlementaire peut peut-être nous donner de plus amples informations à ce sujet. Je suis convaincue que nos agents de la paix obéiront à la loi et qu’ils recevront la formation nécessaire pour veiller à observer la loi telle qu’elle est écrite.

Je le répète, le dépistage obligatoire de l’alcoolémie tel qu’il est pratiqué dans près de 40 différents États à travers le monde s’est avéré être une façon concrète de réduire le nombre de morts et de blessés de la route. Je suis certaine que le ministre Goodale aura quelque chose à dire, demain, à propos du travail qu’il est en train de faire avec les organismes responsables de l’application de la loi d’un peu partout au pays, ainsi qu’avec ses collègues provinciaux et territoriaux.

La sénatrice Boniface : Mes intérêts diffèrent considérablement de ceux du sénateur Gold. Je me suis penchée sur la campagne de sensibilisation en matière de conduite automobile. Il semble que celle que le Colorado a faite à cet égard a manqué de souffle, et c’est ce qui explique les résultats qu’on a vus. J’aimerais savoir de quoi cette campagne aura l’air et combien d’argent on prévoit y consacrer. Je sais que certaines choses ont déjà été faites dans cette optique. J’aimerais savoir comment vous comptez adapter ces efforts de sensibilisation aux modifications législatives à venir.

Mme Wilson-Raybould : Comme vous l’avez dit, sénateur, le travail de communication et de sensibilisation a déjà commencé, notamment dans les médias sociaux et ailleurs, ainsi que par l’intermédiaire d’autres tribunes permettant de joindre différents auditoires. Notre gouvernement a commencé par un investissement de 9,6 millions de dollars, une somme à laquelle il a ajouté plus de 36 millions de dollars. Ces investissements permettront de continuer la campagne de sensibilisation publique que dirige mon collègue, la ministre de la Santé, et qui vise à donner l’heure juste sur les répercussions des drogues en prévision de la légalisation et de la réglementation du cannabis.

Dans le cadre du travail que nous faisons en collaboration avec la société civile et nos partenaires des provinces et des territoires, le ministre Goodale et moi continuons de considérer que cette campagne de communication et de sensibilisation publiques est une nécessité pour préparer la légalisation et faire en sorte que le plus grand nombre de gens soit au courant des dispositions contenues dans le projet de loi C-46. Nous allons poursuivre cette campagne.

La sénatrice Pate : Merci à vous tous pour votre présence, ainsi que pour tout le travail que vous faites à cet égard. Je remercie également la sénatrice Boniface de parrainer le projet de loi.

Tout le monde ici présent souhaite un recul si ce n’est pas l’élimination des cas de conduite avec facultés affaiblies de quelque type que ce soit. Néanmoins, nous savons que les lois ne font que fixer une norme de comportement que nous souhaitons voir adopter par la population en général. Dans cette optique, ce projet de loi est un pas dans la bonne direction. Il fixe la norme: nous ne voulons pas que les gens conduisent avec des facultés affaiblies.

Avec ce que nous avons appris des témoins qui ont comparu devant le Comité de la justice, des décisions qui ont été rendues par la Cour suprême du Canada et des preuves abondantes qui ont été entendues par cette instance, nous avons appris que ce ne sont pas les peines minimales obligatoires qui font bouger les comportements, mais bien la sensibilisation. C’est la certitude de se faire pincer, comme vous l’avez mentionné, madame la ministre, dans l’un de vos commentaires à ce sujet.

Cela dit, pourquoi a-t-on décidé d’ajouter des peines minimales obligatoires ou de maintenir le recours à de telles peines? Du reste, comment conciliez-vous cette notion avec l’alinéa 718.2e) du Code criminel ainsi qu’avec d’autres dispositions qui cherchent à diminuer la sévérité des mesures?

J’allais vous poser des questions sur la sensibilisation, mais vous en avez déjà parlé en répondant aux questions de la sénatrice Boniface à cet égard. Voilà qui me réjouit. Je voudrais me pencher sur les options en matière de traitement, car nous savons que ceux qui ont le plus de ressources arrivent souvent à se faire exempter du traitement associé à la peine minimale obligatoire, alors que d’autres ne le peuvent pas en raison des options limitées.

Essentiellement, j’aimerais savoir comment vous justifiez le minimum obligatoire. Que mettra-t-on en place pour veiller à ce que ceux qui peuvent se prévaloir d’une exemption y aient accès d’une façon qui n’exacerbera pas les approches discriminatoires présentes dans le système?

Mme Wilson-Raybould : Merci pour vos questions, madame la sénatrice. Vous et moi avons eu un certain nombre de discussions au sujet des peines minimales obligatoires. Ni moi ni notre gouvernement ne nous en cachons: nous sommes en train d’examiner les peines minimales obligatoires, leur utilité et les modifications qui pourraient être apportées.

Dans l’optique de la conduite avec facultés affaiblies, notre réflexion a bénéficié des décisions de la Cour suprême dans les affaires Nur et Lloyd, où la question de la constitutionnalité de certaines peines minimales obligatoires a été évoquée.

Il n’y a pas de nombreuses façons de « perpétrer » la conduite avec facultés affaiblies. Contrairement à ce que nous avons vu dans d’autres affaires, il n’y a pas une grande diversité d’hypothèses raisonnables qui pourraient, comme le dit la Cour suprême, rendre inconstitutionnelle une peine minimale obligatoire. En fait, lorsqu’il s’agit de la conduite avec facultés affaiblies, les peines minimales obligatoires sont perçues comme étant un facteur dissuasif. La première infraction donne lieu à une amende; la deuxième, à une peine d’emprisonnement de courte durée.

Nous avons examiné de très près les peines minimales obligatoires données dans les cas de conduite avec facultés affaiblies. Nous avons parlé avec les parties concernées, y compris avec les gens de MADD Canada, qui insistent sur les mesures dissuasives et plaident fortement pour le dépistage obligatoire de l’alcoolémie. Soit dit en passant, cet organisme n’a rien mis en œuvre pour revendiquer la modification des peines obligatoires ou l’ajout de nouvelles peines, ce qui pourrait entraîner une augmentation considérable du nombre de litiges. Nous sommes d’avis que la collaboration entre les forces de l’ordre et le système pénal ainsi que les peines minimales obligatoires en matière d’alcool ou de conduite avec facultés affaiblies ont fait leurs preuves.

Pour ce qui est de votre autre question au sujet de la possibilité de traitement, sachez que nous avons pourvu le projet de loi d’une disposition permettant à un juge de ne pas donner une peine minimale obligatoire si la personne a suivi un traitement dans un territoire donné. Les juges pourront exercer leur pouvoir discrétionnaire si la personne a suivi avec succès un programme de traitement.

La sénatrice Pate : Cette possibilité va-t-elle être étendue? Pour l’instant, elle ne s’applique que dans les cas où il n’y a pas de blessure corporelle, où personne n’a été blessé, est-ce exact?

Mme Wilson-Raybould : C’est exact.

Le président : Permettez-moi de m’immiscer dans la conversation et de poser une question avant de passer à la deuxième série.

Comme vous l’avez constaté, il reste encore des questions autour de la table en ce qui a trait à la base scientifique sur laquelle reposeront les tests de dépistage des drogues. Vous serait-il possible de nous remettre une copie de l’étude ou de l’évaluation que le ministère a faite au sujet des appareils et des techniques? Cela permettra de mieux convaincre les membres du Comité que les moyens qui existent sont fiables et qu’ils peuvent fournir une base solide aux dispositions mises de l’avant dans ce projet de loi? Pouvez-vous déposer devant le Comité les analyses et les évaluations de la technologie que vous avez été en mesure de rassembler dans le cadre de la rédaction de ce projet de loi?

Mme Wilson-Raybould : Nous serons heureux de vous fournir des documents sur la fiabilité des appareils ainsi que sur le pilote qui a été commandé par le ministère de la Sécurité publique.

Le président : Avant d’ajourner la séance, nous allons permettre au sénateur Carignan de poser une dernière question, très rapidement.

[Français]

Le sénateur Carignan : Nous n’avons pas beaucoup de temps, mais j’aimerais faire suite à la question de la sénatrice Dupuis concernant la notion de privilège par rapport à la notion de droit. Vous instaurez le principe que c’est un privilège d’avoir un permis de conduire. Jusque-là, je suis d’accord, mais le projet de loi ne s’applique pas seulement aux gens qui conduisent des automobiles; il s'adresse aussi aux pilotes d’avion et aux chefs de train. S’ils perdent leur permis et leur droit de conduire, ils perdent leur emploi. Ce n’est pas seulement une question de privilège, mais aussi de droit à l’emploi. Votre ministère a-t-il examiné l’impact des changements au fardeau de la preuve pour une personne qui perdrait son emploi?

M. Yost : La situation actuelle interdit à toute personne reconnue coupable de conduite avec facultés affaiblies par la drogue ou l’alcool de conduire un véhicule, que ce soit un simple conducteur ou un pilote. Certaines personnes perdront leur emploi pour ces motifs, et ce sera encore le cas avec la nouvelle législation. Nous avons simplement facilité le processus de la preuve en ce qui concerne la conduite avec facultés affaiblies par la drogue.

[Traduction]

Le président : Merci beaucoup, madame la ministre. J’ai cru comprendre que vos collègues seront à notre disposition pour la suite de notre étude. Sachez que nous serons très heureux de les accueillir de nouveau à cette table.

(La séance est levée.)

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