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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule no 55 - Témoignages du 21 février 2019


OTTAWA, le jeudi 21 février 2019.

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi C-58, Loi modifiant la Loi sur l’accès à l’information, la Loi sur la protection des renseignements personnels et d’autres lois en conséquence, se réunit aujourd’hui à 10 h 30 pour étudier le projet de loi.

Le sénateur Serge Joyal (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue. Nous reprenons notre étude du projet de loi C-58, Loi modifiant la Loi sur l’accès à l’information, la Loi sur la protection des renseignements personnels et d’autres lois en conséquence. Nous avons le privilège d’accueillir aujourd’hui M. Michel Bédard.

M. Bédard est ici pour nous donner de l’information sur l’article 71.12 qui est proposé dans le projet de loi et qui traite du privilège parlementaire ainsi que de la sécurité des personnes, des infrastructures et des biens.

La loi comporte une procédure, et M. Bédard pourra en expliquer les incidences, en particulier parce que le Président du Sénat a une compréhension différente de celle du Président de la Chambre des communes. Les honorables sénateurs veulent veiller à ce que ces dispositions tiennent compte de la position particulière du Président du Sénat.

Vous avez la parole, Monsieur Bédard.

Michel Bédard, légiste adjoint et conseiller parlementaire (intérim), Bureau du Légiste et conseiller parlementaire, Sénat du Canada : Honorables sénateurs, je suis ravi de participer aux travaux du comité et de vous parler d’un enjeu qui a été soulevé lors d’une précédente réunion du comité concernant une disposition du projet de loi C-58. La question m’a été transmise par la greffière du comité, et j’ai répondu par un mémoire qui, d’après ce que j’ai compris, a été distribué aux membres du comité. Je vais maintenant traiter des questions soulevées dans le mémoire, puis je répondrai aux questions selon la volonté des membres du comité.

La question posée est celle de savoir si les articles 71.12 et 71.14 de la Loi sur l’accès à l’information, dans le projet de loi C-58, correspondent au rôle que joue le Président du Sénat en application des règles, des coutumes et des pratiques du Sénat.

[Français]

Le projet de loi C-58 vise notamment à ajouter une nouvelle partie 2 à la Loi sur l’accès à l’information. Cette nouvelle partie obligerait les entités parlementaires à publier en amont des renseignements concernant des dépenses de déplacement, de frais d’accueil et de contrat. Ces nouvelles exigences de publication s’appliqueraient aux sénateurs ainsi qu’à l’Administration du Sénat.

L’article 71.12 de la Loi sur l’accès à l’information ferait toutefois en sorte que les renseignements dont la divulgation porterait atteinte aux privilèges parlementaires, selon le Président du Sénat ou celui de la Chambre des communes, n’aient pas à être publiés. Toute décision de l’un ou l’autre des Présidents à cet égard serait définitive aux termes de l’article 71.14 de la loi.

[Traduction]

Il a été suggéré que cette dérogation serait mal adaptée au Sénat, car les décisions rendues par le Président du Sénat sont définitives, alors que les décisions rendues par le Président du Sénat pendant les délibérations du Sénat, y compris celles qui concernent le bien-fondé à première vue des questions de privilèges, peuvent faire l’objet d’un appel au Sénat conformément au Règlement du Sénat. D’après moi, le régime que propose le projet de loi C-58 n’est pas incompatible avec les règles, coutumes et pratiques du Sénat. Je m’explique.

On qualifie souvent les présidents des assemblées législatives de gardiens des privilèges parlementaires de leurs assemblées respectives. Ils sont appelés à jouer différents rôles à ce titre. Par exemple, à ce titre, ils contrôlent l’accès aux enceintes parlementaires et interviennent dans des procédures judiciaires afin d’alléguer les privilèges de leurs assemblées respectives. C’est également à ce titre que les présidents d’autres assemblées sont appelés à jouer un rôle semblable à celui envisagé dans le projet de loi C-58, et je donne comme exemple l’Île-du-Prince-Édouard et Terre-Neuve-et-Labrador.

[Français]

Bien qu’il existe des différences entre le Président du Sénat et les Présidents d’autres assemblées législatives du Canada, notamment en ce que le Président du Sénat est nommé par la Couronne, le rôle du Président du Sénat ressemble à celui de ses homologues d’autres juridictions. Il se prononce notamment sur les questions de Règlement soulevées en Chambre et sur le caractère prima facie des questions de privilège.

Les lois canadiennes reconnaissent d’ailleurs explicitement et implicitement le rôle du Président du Sénat à titre de gardien des privilèges parlementaires, notamment l’article 79.52 de la Loi sur le Parlement, article qui constitue le Service de protection parlementaire, confère aux Présidents des deux Chambres la responsabilité du Service de protection parlementaire, et je cite :

[...] en [leur] qualité de gardiens des [...] privilèges [...] de leurs chambres respectives [...]

[Traduction]

Il est vrai que les décisions rendues par le Président du Sénat sur le bien-fondé à première vue des questions de privilèges peuvent faire l’objet d’un appel auprès du Sénat, comme c’est le cas pour les décisions du Président sur les rappels au Règlement par exemple. Cependant, cela ne modifie pas le rôle du Président à titre de gardien des privilèges du Sénat. À cet égard, je signale qu’avant 1965, les décisions du Président de la Chambre des communes pouvaient aussi faire l’objet d’un appel et être annulées par la Chambre des communes, ce qui n’avait pas d’incidence sur le rôle du Président à titre de gardien du privilège parlementaire de la Chambre.

Il est important de garder à l’esprit qu’une décision du Président du Sénat voulant qu’il y ait, à première vue, matière à question de privilège ne signifie pas nécessairement qu’il y a eu atteinte au privilège. Une telle décision porte sur l’application des critères à remplir pour donner priorité à une question de privilège en application du Règlement du Sénat. C’est le Sénat qui détermine au bout du compte s’il y a effectivement eu atteint au privilège et qui décide des mesures à prendre.

Il faut distinguer le processus proposé dans la Loi sur l’accès à l’information de celui qui est utilisé par le Sénat pour traiter des questions de privilège. Les articles 71.12 et 71.14 ont pour objet d’exempter de la divulgation les renseignements qui seraient autrement publiés au titre de la partie 2 proposée. La décision prise par le Président est préventive. Elle vise à éviter une atteinte au privilège. Elle ne détermine pas s’il y a eu effectivement atteint au privilège.

[Français]

À mon avis, le caractère final de la décision prise par le Président ne mine pas le privilège parlementaire, mais plutôt l’appuie, en permettant que cette décision ne fasse pas l’objet d’un examen par les tribunaux ou d’autres organes externes au Sénat.

La question de savoir si les fonctions envisagées pour le Président du Sénat dans le projet de loi C-58 devraient plutôt être attribuées à une autre personne ou entité, par exemple, au greffier du Sénat, à un comité parlementaire ou même au Sénat, en est une dont les sénateurs pourront discuter durant le processus législatif.

Cela dit, il existe selon moi des facteurs importants qui rendraient la prise de décision par le Sénat ou par un comité parlementaire difficile et peu pratique. D’abord, la publication proactive au titre de la partie 2 doit avoir lieu chaque trimestre. Or, le Parlement pourrait être ajourné, prorogé ou même dissous au moment où la décision doit être prise, ce qui rendrait cela difficile, voire impossible.

Aussi, demander au Sénat de prendre une telle décision poserait des défis. Quel serait le processus? Qui en prendrait l’initiative? Que faire si la décision n’est pas prise en temps opportun? L’information privilégiée devrait-elle être diffusée à tous les 105 sénateurs avant qu’ils prennent une décision?

[Traduction]

En conclusion, le rôle envisagé pour le Président du Sénat dans le projet de loi C-58 est d’après nous en harmonie avec son rôle de gardien des privilèges du Sénat. Par conséquent, nous estimons que le projet de loi C-58 n’est pas incompatible avec les règles, les coutumes et les pratiques du Sénat. Il y a également des considérations pratiques qui font en sorte qu’il est favorable que le Président rende cette décision. Je vous remercie.

[Français]

Le président : Merci, maître Bédard. Je vais d’abord inviter le vice-président du comité à entamer la ronde de questions.

Le sénateur Boisvenu : Maître Bédard, je vous remercie de votre présence.

Ma première question est un peu embêtante, et la deuxième est un peu plus technique. À votre avis, si on avait posé la même question à un autre avocat, l’avis aurait-il été le même ou aurait-il été différent?

M. Bédard : Si on avait tous les mêmes avis, je crois que tous les avocats seraient sans emploi. Donc, évidemment, vous pouvez recevoir différents avis.

Le sénateur Boisvenu : À l’avenir, s’il arrivait une opinion différente ou une situation qui ferait en sorte qu’un autre avocat ou un autre légiste du Sénat avait à prendre position, est-ce qu’il pourrait y avoir une différenciation de la prise de position?

M. Bédard : Si vous regardez la loi actuelle, je fais référence notamment à la Loi sur le Parlement qui reconnaît le Président du Sénat comme étant le gardien des privilèges, et il y a aussi d’autres lois qui sont mentionnées dans la note distribuée au comité qui donnent certaines attributions au Sénat, justement en tant que gardien des privilèges du Sénat. Il est tout à fait logique que le Président soit appelé à rendre cette décision. Toutefois, comme je le disais dans ma présentation, si les sénateurs désirent que ce soit une autre entité, libre à eux dans le cadre du processus législatif de modifier le projet de loi.

Quant à savoir si c’est incohérent ou contraire aux us et coutumes du Sénat, ou peu pratique, je dirais que non, et cela s’appuie justement sur des précédents législatifs.

Le sénateur Boisvenu : Pouvez-vous nous parler davantage des coutumes parlementaires et des éléments sur lesquels vous avez basé votre avis?

M. Bédard : Si on parle de la législation, il y a justement la Loi sur le Parlement du Canada qui reconnaît ce rôle expressément. Il y a d’autres lois, notamment le projet de loi C-65, qui a été adopté récemment par le Parlement, qui donne certains pouvoirs ou qui prévoit que le Président sera informé avant que le pouvoir exécutif entre dans l’enceinte du Sénat. Toutes ces dispositions sont toujours liées — ce n’est pas toujours explicite — au Président en tant que gardien des privilèges du Parlement.

J’ai relu les transcriptions des réunions du comité, et les inquiétudes soulevées étaient surtout liées au processus mis en place par le Règlement du Sénat pour traiter de questions de privilège. Comme j’ai essayé de l’expliquer dans ma note et dans ma présentation, il faut faire une distinction entre le processus qui se tient en Chambre en vertu d’un processus visant à déterminer si une question de privilège doit être accordée en priorité pour être débattue et ensuite renvoyée au Comité du Règlement, et un autre pouvoir exercé par le Président.

Vous avez parlé des us et coutumes. Il y a différents cas où le Président du Sénat est intervenu devant les tribunaux, entre autres une cause qui s’est rendue jusqu’en Cour suprême en 1993, New Brunswick Broadcasting Co. c. Nouvelle-Écosse. Le Président du Sénat était intervenu; c’était une question de privilège parlementaire.

Est-ce que cela répond à votre question, sénateur?

Le sénateur Boisvenu : Oui, exactement. Merci beaucoup.

Le sénateur McIntyre : Je vous remercie, monsieur Bédard, de votre présentation. J’ai deux questions à vous poser.

Ma question concerne l’article 71.14 proposé au projet de loi C-58. Vous avez souligné dans votre mémoire que la version française diffère de la version anglaise. Vous suggérez que, tout en gardant à l’esprit l’intention du Parlement, l’on tienne compte soit de la version anglaise, soit de la version française. Selon votre expertise, pouvez-vous nous indiquer quelle version vous privilégiez? Et sinon, pourquoi?

M. Bédard : À vrai dire, je crois qu’à ce moment-ci on n’a pas à faire le choix entre une version ou une autre, puisqu’on est toujours dans le cadre du processus législatif et que c’est le travail des comités parlementaires de proposer des modifications au projet de loi. Il y a clairement une incohérence entre les deux versions. On serait mal en point si le texte était adopté tel quel, mais puisqu’on est toujours dans un processus législatif, la meilleure des solutions serait de modifier le projet de loi pour que la référence au délégué soit retirée de la version anglaise ou ajoutée à la version française. Si le texte est adopté tel quel, un avocat prendrait sans doute l’approche la plus prudente pour s’assurer que ce sera toujours le Président qui prendra cette décision.

Le sénateur McIntyre : Ma deuxième question demande un éclaircissement.

Vous avez mentionné dans votre mémoire qu’il existe certains facteurs qui rendraient la prise de position par le Sénat ou le Comité du Règlement difficile. J’avoue comprendre les facteurs concernant une prise de position par le Sénat, mais pourriez-vous nous expliquer ceux qui sont liés spécifiquement au Comité du Règlement? En quoi une décision par le Comité du Règlement pourrait-elle être difficile ou même impossible?

M. Bédard : Que la décision soit prise par le Comité du Règlement pose certainement moins de problèmes que si c’était le Sénat. Le Comité du Règlement peut siéger à huis clos, ce qui pose beaucoup moins de problèmes.

Toutefois, le Comité du Règlement pourrait être ajourné ou on pourrait être en période de prorogation ou de dissolution. Comme tous les comités prennent fin à la dissolution ou lors d’une prorogation, il pourrait y avoir des situations où le Comité du Règlement n’existe pas. C’est notamment ce genre de problèmes qui pourraient surgir.

Le sénateur McIntyre : Merci.

[Traduction]

La sénatrice Lankin : Merci beaucoup, monsieur Bédard, de votre opinion ainsi que de votre présence aujourd’hui.

Dans votre exposé ainsi que dans votre mémoire, vous faites la distinction entre le rôle du Président du Sénat qui rend une décision sur une question de privilège et la capacité d’en appeler des questions qui surviennent lors d’une séance du Sénat.

Je ne comprends pas très bien cette restriction. Vous pourriez me l’expliquer. Par exemple, l’autre jour, un sénateur a soulevé une question lors d’une séance en comité. Il a indiqué qu’il s’agissait d’une question de privilège, mais je pense que c’était plutôt un rappel au Règlement. Quoi qu’il en soit, la question a été résolue et il n’a pas été nécessaire qu’une décision soit rendue. Donc, les choses qui se produisent à l’extérieur du Sénat, mais qui font partie des enjeux qui touchent les sénateurs et le fonctionnement du Sénat peuvent apparemment être soulevées dans l’enceinte. Les sénateurs peuvent entendre la réponse du Président du Sénat et contester la décision ou en appeler. Est-ce que vous dites que cela ne serait pas possible?

Je sais que le Président du Sénat a comme objectif de prévenir une atteinte au privilège. Cependant, si un certain nombre de sénateurs ou un sénateur en particulier estiment que la décision est restrictive et qu’il faut que la question soit rendue publique à des fins de transparence, parce qu’il ne s’agit pas d’après eux d’une atteinte au privilège parlementaire, est-ce que cela peut être soulevé au Sénat? Est-ce que la décision du Président du Sénat peut, dans ce cas, faire l’objet d’un appel et être annulée? Êtes-vous plutôt en train de dire que ce n’est pas possible ?

M. Bédard : Nous devons établir une distinction entre le rôle que le Président du Sénat joue dans l’enceinte et cela couvrirait les questions de privilège qui découlent des délibérations de la séance, mais aussi celles qui sont soulevées hors de l’enceinte. Si vous regardez les questions de privilège qui ont été soulevées, un sénateur pourrait faire l’objet d’obstruction à l’extérieur de l’enceinte, ce qui l’empêcherait d’assister à la séance. Il s’agirait d’une atteinte au privilège de ce sénateur et cela pourrait constituer un outrage.

Les règles prévoient un processus permettant qu’une atteinte présumée au privilège soit soulevée au Sénat. Le but de la décision du Président du Sénat est de reconnaître la gravité de la question soulevée. Quand une telle décision est rendue, la question est habituellement renvoyée au Comité des règles afin que celui-ci obtienne de plus amples renseignements sur la question puis en face rapport au Sénat. Si le Comité des règles manifeste son accord dans ses recommandations voulant qu’il y ait eu atteinte, l’atteinte est alors considérée comme étant fondée. C’est ainsi que se déroule le processus.

Le rôle du Président du Sénat est de déterminer que les critères sont respectés et que la question soulevée est assez grave pour qu’on lui accorde la priorité par rapport à d’autres débats au Sénat.

En ce qui concerne le processus proposé dans les modifications à la Loi sur l’accès à l’information, nous pouvons imaginer que l’administration porte à l’attention du Président du Sénat de l’information dont la diffusion porterait atteinte à des privilèges. Nous pourrions essayer de formuler des hypothèses sur le type d’information qui pourrait porter atteinte à des privilèges, et ce serait la divulgation d’information transmise à huis clos.

Le Président du Sénat, à cette étape, pourrait déterminer que cette information ne doit pas être diffusée, car si elle l’est, ce sera une atteinte au privilège. La décision de ne pas divulguer l’information serait définitive.

La sénatrice Lankin : Je vais poser la question de l’autre angle, alors. Si le Président du Sénat, dans ce cas, détermine qu’il s’agirait d’une atteinte au privilège et que c’est pour la protection de notre privilège parlementaire, il arrivera que des sénateurs ne soient pas du même avis ou exigent de la transparence. Êtes-vous en train de nous dire que les sénateurs ne pourront absolument pas contester cette décision prise dans l’enceinte du Sénat?

M. Bédard : Vous avez parlé d’une décision.

La sénatrice Lankin : Une décision, ce qui veut dire qu’on détermine que c’est une atteinte. C’est ce qu’il ferait. Est-ce qu’il y aurait un processus permettant aux sénateurs de contester cela?

M. Bédard : Il est difficile de répondre à cela de façon abstraite, alors je vais essayer d’appuyer ma réponse sur un exemple.

Disons que le Président du Sénat décide qu’il y a, au sujet des travaux du comité, de l’information qu’il ne faut pas divulguer parce qu’elle est liée à des travaux à huis clos, et que le comité doit veiller à ce qu’elle ne soit pas divulguée. Le comité est maître de sa propre procédure, et la raison pour laquelle les travaux se sont déroulés à huis clos, c’est que le comité en a décidé ainsi. Rien n’empêche le comité de décider de divulguer le document ou l’information.

Par exemple, le mémoire a été distribué aux membres du comité, et j’imagine qu’il pourrait avoir été placé sur le site web du comité. Le comité est maître de sa propre procédure et peut donc le faire.

La sénatrice Lankin : Je comprends cet exemple. C’est très réel et c’est quelque chose qui pourrait très bien se produire. C’est tout à fait noir et blanc : une séance à huis clos est une séance à huis clos à moins qu’on décide de la rendre publique.

Il y a probablement des zones grises, et je sais que c’est difficile, mais je comprends mal votre interprétation. C’est ce qui est à la source de la préoccupation que la sénatrice Batters a portée à notre attention pour commencer. Je crains que cela empêche un sénateur de sonder et d’insister, et que cela empêche le Sénat dans son ensemble, comme maître de sa propre procédure, de déterminer en fait que, non, nous ne croyons pas qu’il s’agisse d’une atteinte et nous voulons que cette information soit divulguée à des fins de transparence.

M. Bédard : Quand le Président du Sénat est appelé à rendre une telle décision, il n’agit pas en vase clos. Les comités sont maîtres de leur procédure. Ils décident de se réunir à huis clos. Il y a le Règlement du Sénat, et il y a les pratiques des comités. La raison pour laquelle il y a une atteinte au privilège, c’est que le comité, parce qu’il en a le pouvoir, a décidé de se réunir à huis clos.

Je ne vois pas qu’il est nécessairement incompatible avec le projet de loi d’envisager un processus selon lequel le Président du Sénat pourrait avertir l’autorité à laquelle l’information appartient de sorte que cette question soit résolue.

La sénatrice Lankin : J’aimerais que nous regardions un autre exemple, celui du secret professionnel de l’avocat. Nous avons discuté de cela au comité hier soir. Le paragraphe 36(2) qui est proposé prévoit un processus par lequel le Commissaire à l’information et le Commissaire à la protection de la vie privée peuvent rendre une décision sur l’information fournie par un tiers, et c’est quelque chose que les gens pourraient assimiler au secret professionnel de l’avocat. Ils peuvent déterminer que l’information sera divulguée, et même la communication de l’information entre les deux commissaires représente un transfert d’information à considérer.

Le Président du Sénat peut déterminer qu’il s’agit d’un privilège, en ce qui concerne un sénateur en particulier ou une question soulevée dans l’enceinte du Sénat, alors que les sénateurs peuvent estimer qu’en fait, l’information devrait être rendue publique, à raison ou à tort, parce que c’est quelque chose de compliqué. Je crains que le libellé restreigne ce qui est compris en ce moment — et peut-être que nous nous trompons tous — comme faisant partie de nos privilèges et des droits liés au fonctionnement du Sénat, notamment que le Sénat dans son ensemble a le dernier mot sur ces questions.

M. Bédard : Encore une fois, nous devons regarder le but de la décision rendue par le Président du Sénat, et cela ne détermine pas s’il y a eu ou non une atteinte au privilège.

Revenons un peu en arrière. Nous pouvons regarder l’information qui doit être divulguée en vertu du projet de loi C-58, et c’est dans la partie qui porte sur la publication proactive de renseignements. C’est la divulgation des contrats, des dépenses afférentes aux déplacements et des frais d’accueil des sénateurs. Nous ne traitons pas de demandes d’accès à l’information qui mèneront à la diffusion d’ébauches de motions ou d’avant-projets de loi.

Nous pourrions trouver des exemples, mais il nous était difficile de dire que certains aspects seront problématiques parce que l’information qui est divulguée est générale, et que ce n’est pas de l’information confidentielle qui sera divulguée.

Nous pouvons penser à des renseignements qui donneraient des indices sur des travaux réalisés à huis clos ou qui en révéleraient indirectement la teneur — c’est l’exemple qui a été donné —, mais l’administration, selon le régime proposé dans le projet de loi C-58, pourrait porter de tels cas à l’attention du Président du Sénat alors qu’il rend une décision. Ce faisant, l’administration n’agira pas en vase clos. Disons que l’information appartient au comité. Il pourrait y avoir une consultation. Si l’information appartient à un sénateur, ce sénateur pourrait être consulté.

Je ne sais pas si cela répond à votre question.

La sénatrice Lankin : Ce que je comprends de ce que vous me dites, c’est que si le Président du Sénat rend une décision, quelle qu’en soit l’issue, un sénateur en particulier, un groupe de sénateurs ou le Sénat dans son ensemble n’a aucunement le droit de contester cette décision, ce qui diffère de notre compréhension actuelle des choses. C’est ce que donnera le projet de loi d’après ce que vous dites. Est-ce que j’ai raison?

M. Bédard : Disons que le Président du Sénat rend une décision et que vous, à titre de sénatrice, n’êtes pas d’accord. Vous pourriez soulever cela au Sénat. Le Président du Sénat rend sa décision aux termes du projet de loi C-58.

La sénatrice Lankin : Donc, nous pouvons toujours demander au Président du Sénat de justifier sa décision et nous pouvons contester cette décision au Sénat. Je sais que vous dites qu’il n’y a pas de mal à procéder ainsi, mais vous dîtes que cela n’empiète manifestement pas sur les droits auxquels les sénateurs s’attendent et qu’ils exercent actuellement dans l’enceinte.

M. Bédard : D’après moi, un sénateur peut soulever une telle question au Sénat. Cela étant dit, il n’y aurait pas d’appel comme on l’envisage dans le cadre du rôle du Sénat, car il ne s’agit pas d’une décision relevant du Règlement du Sénat.

La sénatrice Lankin : Il faudrait donc peut-être que nous changions le Règlement de sorte que le Sénat puisse contester une décision. Est-ce que ce serait plus clair?

M. Bédard : On pourrait envisager un ajustement dans le Règlement. Pas nécessairement ceci en particulier, mais ce serait certainement possible dans le Règlement, compte tenu du nouveau rôle du Président du Sénat.

Le sénateur Gold : Je vais poursuivre dans la même veine que la sénatrice Lankin. J’espère que ce sera utile. Je vais vous dire ma compréhension des choses puis vous poser une question à la fin.

J’aimerais faire la distinction entre les décisions aux termes du projet de loi C-58 et les décisions qui sont rendues par le Président du Sénat, auxquelles nous sommes habitués, à savoir s’il y a eu une atteinte ou pas.

Ce que j’ai compris de votre témoignage, c’est qu’un problème est soulevé concernant la divulgation de renseignements — dépenses afférentes aux déplacements, frais d’accueil —, en ce sens que les renseignements sont sur le point d’être divulgués en application des dispositions relatives à la publication proactive de renseignements. Le Président du Sénat dit qu’il pense que cela constitue une atteinte au privilège parlementaire. Il se peut qu’il ait mené des consultations ou pas, mais c’est ce qu’il conclut, et par conséquent, les renseignements ne sont pas divulgués. Jusqu’ici, tout va bien.

Un sénateur ou un groupe de sénateurs apprend cela est dit : « Je ne pense pas que c’était une atteinte au privilège, et je pense qu’à des fins de transparence, il faut… » Si j’ai bien compris votre réponse, comme en ce moment, nous pouvons demander qu’une décision soit rendue au Sénat. Nous pouvons soulever la question au Sénat. Le Président du Sénat serait tenu de rendre une décision à savoir s’il y a eu atteinte au privilège ou non en pareilles circonstances.

La sénatrice Lankin : Ou si les conditions ont été respectées.

Le sénateur Gold : Nous pourrions soulever la question au Sénat, et il pourrait y avoir un débat. Si en fait la majorité du Sénat n’est pas d’accord avec le Président, le Sénat maintiendrait sa capacité d’avoir le dernier mot. Cependant, jusqu’à ce moment particulier, le résultat de la décision, c’est que l’information n’est pas encore publique. Le Président du Sénat a pris une décision avant même que ce soit discuté, peu importe la bonne terminologie — décision, débat.

Qu’est-ce qu’il adviendrait alors de l’information? Autrement dit, admettons que le Sénat dans son ensemble n’est pas d’accord avec la décision prise aux termes du projet de loi C-58 — la décision a peut-être été prise alors que nous ne siégions pas, par exemple, et nous constations au retour que l’information est absente de la publication... De retour au Sénat, nous soulevons cela d’une manière ou d’une autre, et nous devons peut-être adapter nos règles. Si le Sénat rejette la décision du Président, qu’est-ce qu’il advient de l’information aux termes du projet de loi C-58? Est-ce qu’il est alors trop tard?

M. Bédard : La publication envisagée par le projet de loi C-58 comprend l’information financière publiée sur le site web. D’après moi, ce serait très simple. Il s’agit d’appuyer sur un bouton pour l’ajouter à la colonne appropriée, là où l’information aurait dû être divulguée.

J’aimerais ajouter une chose. Quand vous avez énoncé votre compréhension des choses, vous faites un lien direct entre une décision rendue par le Président aux termes du projet de loi C-58 et…

Le sénateur Gold : J’ai essayé d’établir la distinction entre les deux.

M. Bédard : En ce moment, on ne peut en appeler d’une décision aux termes du projet de loi C-58 directement au Sénat.

Le sénateur Gold : Comment serait-ce abordé au Sénat selon nos règles actuelles? Si je comprends bien, l’essentiel des préoccupations exprimées, c’est la crainte que le projet de loi C-58 ait pour effet de donner au Président le dernier mot sur les questions de privilège alors que d’après nous, il ne l’avait pas.

Selon votre compréhension des règles, comment un sénateur pourrait-il soulever cette décision au Sénat — ce ne serait pas un appel — s’il pense que la décision aux termes du projet de loi C-58 est une erreur?

Une voix : On dit dans…

Le sénateur Gold : La décision est définitive aux termes du projet de loi C-58, mais est-elle définitive également pour ce qui est de déterminer s’il y a eu une atteinte au privilège?

Une voix : Oui.

Le sénateur Gold : Sans vouloir vous offenser, sénatrice, je pose la question à notre témoin.

La décision est définitive en ce qui concerne la publication aux termes du projet de loi C-58. Est-ce que cela signifie que la question ne peut pas être soulevée au Sénat? Parce que vous avez dit qu’elle pourrait l’être.

M. Bédard : Vous êtes un sénateur, et tous les trimestres, vous regardez l’information divulguée sous votre nom. Vous constatez que de l’information essentielle n’a pas été divulguée alors qu’elle aurait dû l’être. Vous vous renseignez et découvrez que le Président du Sénat a conclu qu’il ne faut pas divulguer l’identité de la personne que vous avez rencontrée parce qu’à son avis, cela constituerait une atteinte à votre privilège en tant que sénateur.

D’après moi, avant d’en arriver à cette décision, le Président vous aurait consulté. Si vous avez rencontré une personne dans un contexte exigeant la confidentialité, mais que vous n’êtes pas d’accord avec le Président, rien ne vous empêche de divulguer cette information, qui ne sera alors plus confidentielle. Vous ne pensiez pas qu’elle était confidentielle pour commencer.

C’est la même chose avec les délibérations des comités. Si le Président ne divulgue pas d’information parce que les travaux se sont déroulés à huis clos, le comité est maître de sa propre procédure et peut dire que non, cette information n’est pas liée au huis clos et elle peut être divulguée. Le comité peut prendre cette décision. Nous ne devons pas nécessairement nous adresser au Sénat pour divulguer cette information.

Le président : Je pense que nous devrions poursuivre la discussion sur ce point en particulier. J’aimerais que les sénateurs qui veulent que nous continuions de parler de cette question se manifestent, car j’aimerais les reconnaître et aller au fond des choses.

[Français]

Le sénateur Carignan : On s’entend sur le fait que cela modifie l’état du droit actuel en accordant une décision définitive au Président. Actuellement, à moins que je me trompe, c’est la Chambre qui décide ultimement de toute question. Il est prévu dans la Constitution, à l’article 36, que les questions soulevées au Sénat seront décidées à la majorité des voix.

Ma question comporte deux volets. Premièrement, est-ce que cela constitue un précédent par lequel le législateur donne un pouvoir supplémentaire au Président relativement à une décision définitive? Deuxièmement, ne devrions-nous pas nous interroger sur la constitutionnalité de cette disposition, compte tenu de ce que, au Sénat, les décisions sur les questions soulevées se prennent à la majorité?

M. Bédard : Au sujet de la constitutionnalité, effectivement, la Constitution prévoit que les décisions sont prises à la majorité du Sénat. Cependant, ici, on ne parle pas d’une décision du Sénat, mais d’une décision de nature administrative prise par le Président du Sénat.

Le sénateur Carignan : On parle de questions soulevées à la Chambre, et la question de privilège sera soulevée dans la Chambre. Si, comme sénateur, je ne suis pas d’accord avec la position du Président lorsqu’il s’agit de trancher la question de privilège, je vais le soulever en Chambre, et non dans son bureau.

M. Bédard : Si vous soulevez une question de privilège en Chambre, évidemment, la décision qui sera prise par le Sénat, soit sur l’appel de la décision du Président, soit, ultimement, sur le fond, sera prise à la majorité des voix du Sénat. C’est clair, et le projet de loi C-58 ne change pas l’état du droit à cet égard.

Pour répondre à votre deuxième question sur le fait de changer le droit, ce qui est proposé dans le projet de loi C-58 est du nouveau droit. Il n’y a pas de régime à l’heure actuelle qui prévoit la divulgation proactive.

Le sénateur Carignan : Mais il n’y a aucun endroit non plus où on indique dans une loi que la décision du Président du Sénat est finale et définitive. C’est nouveau pour nous, car la Chambre a toujours été souveraine. C’est la première fois que je le vois, et c’est la raison de ma question; pour moi, c’est une érosion du pouvoir de la Chambre.

M. Bédard : Si on regarde le texte du projet de loi C-58, la décision du Président porte sur le fait que la divulgation porterait atteinte au privilège. On ne parle pas de décision définitive sur l’atteinte ou non au privilège. Il y a beaucoup d’insistance sur le fait que la décision du Président est définitive, mais il faut vraiment, à mon avis, prendre la décision du Président dans le contexte dans lequel elle est prise, où on parle de divulgation proactive d’information de nature financière sur une base trimestrielle et où on veut empêcher la divulgation de certains renseignements parce que cela porterait atteinte au privilège.

Le sénateur Carignan : Si un groupe de sénateurs veulent être plus transparents et indiquent au Président qu’ils ne sont pas d’accord avec sa décision, car la question ne porte pas atteinte à leurs privilèges, et qu’ils infirment sa décision, laquelle s’applique?

M. Bédard : Si un comité détermine qu’une information n’est pas confidentielle, mais publique, le comité peut la rendre publique. Le comité est maître de ses propres délibérations. Il n’y a rien qui empêche le comité de rendre l’information publique.

Si le Président prend une décision, l’information n’est pas divulguée. Donc, il n’y aura pas d’atteinte au privilège.

Je pense que le problème où un enjeu lié au projet de loi C-58 pourrait être soulevé en Chambre, c’est dans le cas où de l’information aurait été privilégiée sans que personne ait soumis la question au Président et qu’il y ait eu détermination. À ce moment-là, on serait dans une situation où on retrouverait une information privilégiée sur le site web du Sénat. À ce moment-là, la question pourrait être soulevée en Chambre par un sénateur.

La sénatrice Ringuette : Merci, monsieur Bédard, d’être parmi nous. Selon la Loi sur le Parlement du Canada, le Président du Sénat, tout comme le Président de la Chambre des communes, est le gardien de l’institution quant à ses droits et à ses privilèges, ainsi que de ceux de ses membres. De plus, selon la Loi sur le Parlement du Canada, qui concerne directement le projet de loi C-58, s’il y a prorogation du Parlement, ceux qui maintiennent leurs positions et leurs responsabilités sont le Président de l’institution et la régie interne. Lorsqu’on se penche spécifiquement sur le projet de loi C-58, il est question de la divulgation proactive des dépenses des sénateurs, qui est sous l’égide de la régie interne.

Par exemple, disons que, pendant que le Sénat est prorogé, il n’y a pas de prorogation des divulgations trimestrielles et que ce processus continue. Disons que j’ai fait une activité qui a entraîné des dépenses et que je crois que c’est un privilège parlementaire. Même pendant la prorogation du Parlement, je pourrais demander au Président, par mesure de prévention, de ne pas la publier, puisque je crois que la divulgation de cette dépense serait une atteinte à mon privilège parlementaire. Le Président pourrait prendre une décision, parce qu’il doit y avoir une décision lorsque le Sénat ne siège pas en période de prorogation.

Cependant, une fois que l’institution reprend ses activités, après une période d’élection ou un discours du Trône, l’ensemble du Sénat ou un sénateur pourrait soulever cette question de privilège et demander qu’elle soit revue. C’est une question de pratique. Si le Sénat ne siège pas, qui déterminera si c’est une question de privilège ou pas? C’est écrit dans la Loi sur le Parlement du Canada que c’est le Président du Sénat qui est le gardien de nos privilèges, et encore plus pendant une prorogation.

Monsieur Bédard, mon raisonnement est-il logique?

M. Bédard : En ce qui a trait aux considérations pratiques par rapport à l’ajournement, à la prorogation et à la dissolution du Parlement ou du Sénat, j’en faisais mention dans ma lettre, parce qu’en vertu du projet de loi C-58, c’est de l’information qui n’a pas à être divulguée; cette décision doit être prise tous les trois mois. Donc, effectivement, il faut prévoir une personne ou une entité qui aura le pouvoir de prendre cette décision, même lorsque le Parlement est dissous.

Maintenant, à savoir si la non-divulgation peut être soulevée au Sénat par la suite, rien ne l’empêche. Par contre, si l’information n’a pas été divulguée, il n’y aura pas eu de bris ou d’atteinte au privilège. Ce ne sera pas une question de privilège qui sera soulevée en Chambre parce que la décision prise par le Président a empêché qu’il y ait une violation du privilège.

Je donnais plus tôt des exemples d’autres avenues possibles pour un sénateur qui n’est pas d’accord avec la décision du Président pour faire en sorte que l’information, de l’avis du sénateur ou du comité pertinent, qui devrait être divulguée le soit.

Le sénateur Pratte : J’ai quelques questions.

Est-ce que d’autres décisions administratives du Président du Sénat — parce que ce serait une décision qui protégerait le privilège, mais pas vraiment une décision reliée au privilège — peuvent être infirmées par le Sénat lui-même?

Ma deuxième question est à savoir ce que vise, à votre avis, l’article 71.14? C’est peut-être en raison de mon ignorance du droit. C’est la décision définitive. Est-ce que cela ne vise pas justement à faire en sorte que les Parlements ne puissent pas infirmer cette décision? Ou est-ce une disposition privative pour veiller à ce que les tribunaux ne s’en mêlent pas? Je doute que les tribunaux veuillent s’en mêler, puisque c’est une question de privilège parlementaire. Que vise cette disposition?

Enfin, quel serait l’effet sur toutes les choses dont on vient de discuter si on enlevait tout simplement l’article 71.14 sur la décision définitive?

M. Bédard : Premièrement, relativement à l’article 71.14, vous avez répondu à votre question. À mon avis, c’est effectivement l’effet d’une disposition privative; c’est de confirmer — et c’est indiqué dans la note — que les tribunaux ou d’autres organes externes n’ont pas à se mêler de cette décision, car c’est une décision du Président pour protéger les privilèges parlementaires. On pourrait argumenter les privilèges parlementaires de toute façon, mais l’article 71.14 rend les choses plus claires.

Maintenant, concernant d’autres décisions administratives qui seraient prises par le Président, toutes les décisions prises dans le cadre des délibérations du Sénat sont assujetties au droit d’appel. Les recours au Règlement ou les questions de privilège soulevées en Chambre peuvent être assujettis à un appel, mais le Président du Sénat a d’autres attributions.

Par exemple, le Président de la Chambre des communes est responsable du Service de protection parlementaire. À ce titre, il rend des décisions administratives. Les Présidents contrôlent aussi l’enceinte du Sénat : ils admettent des gens dans l’enceinte ou ils peuvent décider de ne pas les admettre. Évidemment, si le Président admet quelqu’un dans l’enceinte, il est trop tard pour en appeler de sa décision, puisque le mal est fait. C’est la même chose si le Président autorise l’exécution d’un mandat de perquisition sur la Colline. Si le Sénat décide qu’une personne ne peut pénétrer dans l’enceinte, rien ne l’empêche de déposer une motion en ce sens.

Maintenant, si on enlève l’article 71.14, comme je vous le disais plus tôt, cet article rend clair et non ambigu le fait que la décision du Président ne peut pas être remise en question à l’extérieur du Parlement. Si jamais c’était le cas, on invoquerait le privilège parlementaire; d’ailleurs, l’article 91 ou 92 du projet de loi prévoit que la partie 2 ne peut pas être judiciarisée devant les tribunaux ou par le commissaire à l’information. Donc, il y a très peu de remèdes contre une « violation » de la partie 2 proposée à la Loi sur l’accès à l’information. Toutefois, je note que dans l’article 71.14, c’est non seulement le Président du Sénat, mais aussi le Président de la Chambre des communes qui est visé. Donc, s’il y a un amendement à faire, il touchera les deux Chambres.

Le sénateur Pratte : Si je comprends bien, selon votre compréhension de l’article 71.14, c’est une clause privative qui ne vise pas à empêcher les parlementaires d’agir, ce qui serait ironique. Ce n’est pas l’objectif de l’article, à tout le moins.

M. Bédard : Tout à fait.

Le sénateur Pratte : Est-ce qu’il y aurait lieu de préciser le langage de l’article pour que ce soit plus clair? Je ne sais pas, je pose la question.

M. Bédard : Évidemment, c’est possible dans le cadre du processus législatif. S’il y a une ambiguïté quant aux dispositions sur lesquelles les sénateurs veulent proposer un amendement, c’est le temps de le faire.

[Traduction]

La sénatrice Batters : Je crois qu’il est important de retracer la genèse du dossier.

J’ai soulevé la question lors de la réunion tenue en octobre 2018, à laquelle ont été convoqués la ministre des Institutions démocratiques, Karina Gould, ainsi qu’un haut fonctionnaire du Bureau du Conseil privé. Je lui ai posé des questions sur ce sujet particulier parce que, bien franchement, j’étais sidérée que la ministre des Institutions démocratiques en savait si peu sur les différences considérables entre le Président du Sénat et son homologue de la Chambre des communes.

Il était évident, d’après les explications fournies ce jour-là, qu’il y avait une incompréhension fondamentale de la part de ceux qui ont rédigé cette disposition. Selon ceux qui ont témoigné ce jour-là, le Président de la Chambre des communes et le Président du Sénat jouent le même rôle et les deux ont le dernier mot quant aux décisions prises par leur chambre respective. Or, ce n’est pas le cas.

Le Président du Sénat est premier parmi ses pairs, et ses décisions ne sont pas définitives. Ses décisions peuvent toujours faire l’objet d’un appel interjeté auprès du Sénat dans son ensemble.

De plus, la méthode de nomination des Présidents est une distinction importante. Le Président de la Chambre des communes est élu par les députés parlementaires. Le Président du Sénat est nommé par le premier ministre du Canada et occupe un grand rôle diplomatique ainsi qu’un rang élevé dans l’ordre des préséances. Il faut toujours s’en souvenir.

L’article 71.14 proposé se lit comme suit :

Est définitive la décision du Président du Sénat ou de la Chambre des communes portant que la publication porterait atteinte au privilège parlementaire ou qu’elle pourrait menacer la sécurité des personnes, des infrastructures ou des biens.

Ces deux mots — « Est définitive » — sont très importants. L’interprétation des lois a comme règle d’or que les mots doivent avoir un sens. Il faut donc tenir compte du fait que cette disposition précise bien que la décision est définitive.

Si la disposition n’est pas modifiée, j’aurai comme objection principale que dans le cas d’un appel visant une décision concernant l’accès à l’information, nous pourrions avoir une décision définitive portant sur une question soumise au Sénat qui serait essentiellement tranchée par le gouvernement du Canada, car au final, c’est le rôle du Président.

Il y avait également une méprise fondamentale quant au rôle des deux Présidents, car la ministre et le haut fonctionnaire du Conseil privé m’ont tous les deux dit ce jour-là à la réunion que les deux Présidents occupent des rôles administratifs importants à l’endroit du Sénat, et que le Président du Sénat joue un rôle important quant à l’information financière du Sénat. On l’a qualifié de responsable administratif.

Ces deux témoins ne savaient pas du tout que les Présidents des deux Chambres ont des rôles très différents. Le Comité permanent de la régie interne, des budgets et de l’administration est en fait responsable de toutes les tâches administratives effectuées pour le compte du Sénat mis à part la sécurité. Voilà une distinction importante.

Notre Président actuel, le sénateur Furey, ne siège même pas au Comité de la régie interne en ce moment, et il n’a donc aucun rôle véritable en matière de responsabilité administrative. Ni la ministre ni le fonctionnaire du Conseil privé ne le savait.

Je ne pense pas qu’il soit possible de faire abstraction du fait que le Président du Sénat est nommé par le premier ministre du Canada en raison d’un des facteurs que vous avez avancés dans votre mémoire, monsieur Bédard, à savoir les considérations pratiques. Nous pourrions être aux prises avec une situation de prorogation, d’ajournement ou autre.

Pour que le Sénat soit considéré comme organe indépendant, les décisions définitives du Sénat ne peuvent pas être prises par le gouvernement du Canada. Je crois qu’il est évident que le gouvernement du Canada, ou plutôt les rédacteurs, ont commis une erreur fondamentale en rédigeant cet article particulier. La ministre elle-même, ainsi qu’un haut représentant du Conseil privé, sont venus répondre à nos questions au nom du gouvernement du Canada. Et ils ont commis une erreur. Nous aurions éventuellement droit à une situation dans laquelle le Sénat, un organe indépendant, serait assujetti aux décisions du gouvernement du Canada, ce qui ne serait guère souhaitable.

De plus, nous pourrions nous retrouver dans une situation de prorogation, quoique nous n’en avons pas eue depuis trois ans, ce qui veut dire que cela ne se produira pas forcément fréquemment. J’ai entendu quelques personnes dire que le Sénat devra peut-être modifier son Règlement pour tenir compte de cette disposition du projet de loi. Pourquoi? Parce que le gouvernement du Canada a commis une erreur dans le texte? Franchement, nous avons consacré plusieurs réunions à ce projet de loi et il y a constamment des problèmes supplémentaires qui surgissent.

Je ne pense pas nous devrions modifier notre Règlement pour tenir compte de cette disposition ou de toute autre intention à l’égard du Sénat. Nous avons entendu la ministre et son haut fonctionnaire s’expliquer. Ils n’ont pas compris.

Je respecte votre opinion. Vous ne m’avez pas convaincue pour autant. Je ne crois pas que l’aspect pratique devrait être un facteur déterminant. Vous avez dit que les comités sont maîtres de leur procédure; je pense que le facteur déterminant devrait être que le Sénat restera maître chez lui et n’aura pas le gouvernement du Canada comme maître.

De plus, je suis plutôt surprise de ne pas voir le gouvernement du Canada défendre son point de vue de façon plus musclée, plutôt que de faire comparaître un juriste qui travaille actuellement au Sénat. Je suis étonnée que le gouvernement du Canada ne nous ait pas fourni d’explications plus étoffées. Je sais que nous vous en avons demandées, mais c’est « silence radio » de la part du gouvernement du Canada pour ce qui est de se justifier, et je pense que c’est parce qu’il reconnaît son erreur.

M. Bédard : Je ne tentais pas de vous convaincre que le comité ne pouvait pas prendre une autre décision. J’ai parlé de ce point en particulier dans ma déclaration. Si le comité souhaite qu’une autre personne ou entité prenne la décision, c’est bien sûr un changement que le comité pourrait proposer dans le processus législatif.

J’ai lu les témoignages auxquels vous faites référence. Il y a eu une méprise quant à l’administration du Sénat. De fait, il existe des différences entre le Président du Sénat et son homologue aux communes. Vous avez mentionné le fait qu’il est nommé par la Couronne et non pas élu par les députés. C’est certes une distinction.

Cela dit, même à la Chambre des communes, les décisions du Président ne sont pas définitives sur les questions de privilège. Le même processus s’appliquerait. Si une question de privilège est soulevée à la Chambre des communes, le Président rendra sa décision de prime abord. Il y aura un processus semblable et finalement il reviendra à la Chambre de décider s’il y a eu ou non atteinte au privilège. Le même processus est prévu au Sénat.

La question à laquelle je tentais de répondre dans le mémoire et aujourd’hui consiste à savoir si les dispositions pertinentes du projet de loi C-58 ne sont pas conformes au Règlement et à la pratique du Sénat. À mon avis, elles sont conformes. Cela dit, il pourrait y avoir d’autres recours que les sénateurs pourraient décider d’examiner.

La sénatrice Batters : J’ai une dernière question. Vous avez dit plus tôt que la publication proactive serait un problème pour le comité du Règlement. Est-ce bien cela? En fait, c’est le comité de la régie interne.

M. Bédard : Je suis d’accord que c’est en fait le comité de la régie interne. Si j’ai mentionné le comité du Règlement à ce sujet, c’était par erreur. C’est bien le comité de la régie interne.

La sénatrice Batters : Merci.

[Français]

Le sénateur Dalphond : Merci, maître Bédard, d’être avec nous encore pendant un petit moment. Je sais que vous allez nous quitter bientôt pour l’autre endroit. Personnellement, j’ai beaucoup apprécié vos opinions. Vos explications étaient toujours très claires. Vous vous exprimez très bien.

Je vais vous résumer en quatre points mon interprétation de la loi à la lueur des principes et de votre opinion, et vous me corrigerez s’il y a lieu.

[Traduction]

Tout d’abord, le projet de loi prévoit des obligations spécifiques, notamment la publication proactive. C’est une obligation légale. Elle visera tous les sénateurs ainsi que tous les députés. Il pourrait y avoir atteinte aux privilèges comme ils ont été décrits dans le passé, mais la loi stipulera désormais la façon de disposer du budget et ce qu’il faut publier. Cette obligation sera prévue dans la loi.

On ignore quelles seront les conséquences si les parlementaires ne se conforment pas à cette obligation légale. La ministre a fait référence à ce que j’ai décrit comme étant un code d’honneur et elle était d’accord, ce qui pour moi n’est pas vrai, car on devrait viser plus haut qu’un code d’honneur. Il faudrait des mesures exécutoires.

La commissaire a dit qu’elle souhaiterait éventuellement occuper un rôle dans la supervision pour s’assurer que les ministères se conforment à la loi. Je ne sais si quelqu’un pourrait s’adresser à un tribunal pour présenter une demande de mandamus à l’égard d’un ministère qui, au bout d’un an et demi, n’a pas publié un seul rapport trimestriel. C’est une violation de la loi flagrante, car les dépenses doivent être publiées dans au délai donné.

Il reste encore beaucoup de zones grises pour ce qui est des cas de non-conformité. Voilà un premier point. C’est une obligation légale, qui vient modifier les dispositions visant les parlementaires et leurs obligations. La loi dispose et les parlementaires y sont assujettis.

Deuxièmement, la décision du Parlement vise uniquement à empêcher la publication. On ne dit pas qu’il y a atteinte à un privilège ici. Les dispositions en matière de publication s’appliqueront. La soupape n’est prévue que comme façon d’échapper à la loi. C’est très limité comme exemption.

Troisièmement, puisque ce mécanisme empêche ce qui serait autrement une obligation légale de publier, a loi va plus loin et précise que la décision du Président est définitive en vertu de la loi. La décision est définitive aux termes du projet de loi C-58. Elle est définitive aux yeux d’un tribunal qui pourrait se pencher sur le projet de loi C-58.

Voilà l’état des choses. Cela s’insère dans un ensemble : l’obligation légale, une éventuelle exemption, et les décisions définitives de ceux qui sont habilités à accorder des exemptions, à savoir le Président de la Chambre des communes ou le Président du Sénat. Cela dit, les privilèges de la Chambre pour ce qui est de mener à bien ces activités, d’effectuer des examens et de décider de la façon de gérer la publication restent entièrement de la compétence du Sénat.

J’ai compris que le Sénat pourrait adopter des règles et des lignes directrices sur la publication la semaine prochaine ou encore le mois prochain une fois que nous aurons adopté le projet de loi C-58 afin de décider ce que nous devrions publier, auquel cas le privilège devrait être soulevé par le Président, et le Président sera tenu par le code d’honneur encore une fois. Si le Sénat a voté sur les lignes directrices, le Président s’y conformera.

Je présume que lorsqu’on demande au Président de décider si des renseignements devraient être publiés ou non, ce n’est pas parce qu’il est en train d’examiner les rapports publiés. C’est parce que quelqu’un est venu cogner à sa porte et a dit : « Je vous prie d’empêcher que cela soit publié. » Je présume qu’on viendra cogner à la porte pour dire : « Je ne veux pas que telle chose soit publiée parce que cela viendrait porter atteinte à mon privilège en tant que sénateur. »

Ces lignes directrices devraient indiquer qu’avant que le Président n’accorde une exemption à l’obligation légale, il devra consulter la personne concernée. Il devra peut-être consulter un comité ou d’autres personnes. Il revient au Sénat d’en décider.

Je comprends également qu’il reviendra au Sénat de montrer du doigt le Président s’il se rend compte à un moment donné que quelqu’un avait été exempté de l’obligation de publier et qu’ensuite on apprend par les médias ou trois mois plus tard que telle chose s’est produite. À ce moment-là, le Sénat pourrait jeter le blâme sur le Président. D’après ce que je comprends, le comité de la régie interne ou un autre comité pourrait décider de publier ce qui n’avait pas été publié auparavant.

Pour ma part, lorsque j’ai lu votre mémoire, et si je comprends bien les quatre étapes, il n’y a aucun problème. En fait, nous venons de prévoir un mécanisme pour empêcher l’application automatique de la loi, un mécanisme qui sera renouvelé annuellement, même lorsque le Parlement est dissous ou pendant l’été quand tout le monde sera en mode électoral dans le pays, y compris mes collègues de l’autre chambre. Nous serons partis, mais le Président sera ici jusqu’à ce que le prochain premier ministre décide qui sera le prochain Président du Sénat.

Voilà la situation. Il nous faut un agent qui peut empêcher l’exemption à tout moment. La Chambre ne peut le faire, parce que la Chambre ne sera pas présente. Cela se fait sur une base trimestrielle. Selon moi, c’est un mécanisme délicat qui permet de faire la juste part des choses, c’est-à-dire l’obligation légale de publier, ainsi que des mesures pour empêcher le cas de figure d’une éventuelle violation d’un privilège réel du Sénat.

Ai-je bien compris? Ai-je mal compris votre opinion?

M. Bédard : Vous venez de résumer mon opinion de façon beaucoup plus éloquente qu’elle n’a été écrite ou présentée.

En ce qui concerne le premier point, nous le désignerons comme le pouvoir d’humilier, même si l’on ignore quel type de procédure pourrait être intentée s’il y a violation de la partie 2. La question pourrait être soulevée en comité ou en séance publique et il existe le pouvoir d’humilier.

La soupape est, à mon avis, au cœur des dispositions sur le privilège parlementaire du projet de loi C-58. Le projet de loi C-58 ne vient pas modifier la capacité du Sénat d’avoir le dernier mot sur toutes les questions de privilège. Disons que vous étiez aux prises avec un Président voyou, on s’en rendrait compte au bout de quelques jours ou, au pire de quelques semaines, car le Président, même s’il est nommé par la Couronne, ne peut pas exercer ses fonctions correctement dans la chambre s’ il ou elle n’a pas la confiance des sénateurs.

La sénatrice McCoy : Félicitations à vous, monsieur Bédard, pour vos nouvelles fonctions. J’ai entendu que vous allez retrouver certains de vos anciens collègues à la Chambre des communes. Ce sera un plaisir que de vous voir de temps en temps dans les années à venir.

J’aimerais examiner l’article 79.52 de la Loi sur le Parlement du Canada, à la page 3 de votre mémoire. J’essaie de me souvenir de l’année de son adoption. C’était il y a environ cinq ans.

M. Bédard : C’était juste avant la dissolution, si ma mémoire est bonne, en 2015.

La sénatrice McCoy : C’est donc très récent.

Lorsque je le lis, je me rends compte que nous n’avons probablement pas assez bien relu cet article en anglais, car il dit bien : « as the custodians ». En anglais, l’article défini « the » a tendance à apporter une notion d’exclusivité. On apporte une précision plutôt que d’inclure plusieurs. C’est la construction que vous retenez ici.

Aidez-moi avec la version française. La version française dit bien : « agissant en qualité de gardiens des pouvoirs »; le mot « gardiens » est au pluriel. La phrase vise à qualifier la façon dont les Présidents mènent à bien leurs activités ou encore l’objectif de ces activités, dans un sens. Je crois qu’il y a eu une erreur. Nous ne l’avons pas repérée, je voulais juste vous le dire.

En ce qui concerne la tradition, j’espérais que vous alliez remonter au tout début et retracer les traditions du Sénat à partir de 1867. Comme vous le savez probablement, le Président ne pouvait intervenir dans les délibérations dans la chambre, à moins d’être invité par les sénateurs, et ce, jusqu’à 1906.

Nous avons toujours affirmé que nous sommes responsables à la fois du Sénat et de ses privilèges. Je tenais à le dire : le Président avait très peu de pouvoir.

Je comprends que c’est une question pratique de nature administrative et je suis d’accord. Il me semble qu’il y a des façons rapides de régler le problème. Je ne crois pas que nous devrions déléguer des pouvoirs au Président en vertu d’une phrase si importante, surtout au moment où les tribunaux commencent à définir le privilège.

Je suis sûre que notre président en sait plus que moi, et je crois que d’autres sénateurs ici présents suivent probablement l’évolution des limites que les tribunaux tentent d’imposer au privilège parlementaire. Dans cette période de transition, je préfère aborder la question sous tous ses aspects. Quelle est l’expression? La diversité cognitive.

C’est tout, monsieur le président.

[Français]

La sénatrice Ringuette : J’aimerais que l’on revienne à la mention de délégué qui se trouve dans la version anglaise de l’article 71.14 et non dans la version française. La Loi sur le Parlement contient-elle des articles selon lesquels le Président de la Chambre des communes ou le Président du Sénat peut déléguer certaines autorités? Nous devons trancher la question pour déterminer si nous acceptons la version anglaise, où on inclut la possibilité de nommer un délégué de la part de l’un ou l’autre des Présidents, ou bien si nous acceptons la version française de l’article, où il n’est pas question de ce pouvoir.

La Loi sur le Parlement contient-elle des articles qui font en sorte que l’un ou l’autre des Présidents des Chambres peut déléguer les questions liées à la sécurité, à l’infrastructure ou au privilège parlementaire? Je suppose que vous avez examiné cela.

M. Bédard : Premièrement, concernant le libellé de l’article 71.14, il y est indiqué « a delegate ». Lorsque j’interprète cet article, je comprends qu’un fonctionnaire ou le légiste ou un autre sénateur, potentiellement, aurait été délégué par le Président spécialement pour exercer cette fonction. En soi, l’article 71.14 est une disposition habilitante, soit la disposition qui autorise le Président à établir cette délégation.

Maintenant, il y a d’autres dispositions dans la Loi sur le Parlement qui traitent de délégués, notamment en ce qui concerne le Sénat, comme certaines dispositions qui portent sur le Président suppléant. Lorsque le Président est absent, le Président suppléant ou le Président intérimaire peut prendre la place du Président, mais uniquement dans le cade des délibérations du Sénat.

La sénatrice Ringuette : Cela ne concerne pas les privilèges, la sécurité ou les infrastructures. Voilà pourquoi je pose cette question. La loi sur le Parlement contient-elle des dispositions qui précisent cette possibilité de délégation, comme dans la version anglaise de l’article 71.14, ou non? Fondamentalement, s’agit-il d’une erreur dans la version anglaise?

M. Bédard : Je ne sais pas si le fait qu’il n’y ait pas d’autres pouvoirs de délégation fait en sorte qu’il y ait erreur dans la version anglaise de l’article 71.14. Ce qui est une erreur, c’est que les deux versions ne sont pas cohérentes.

Je faisais référence au fait que le légiste puisse exercer cette fonction liée au privilège parlementaire pour les divulgations, ou bien quelqu’un d’autre pourrait être délégué par le Président, mais il n’y a pas d’autres dispositions dans la loi qui indiqueraient la personne qui aurait le pouvoir de détermination. Cela répond-il à votre question?

La sénatrice Ringuette : Non, ça ne répond pas à ma question, parce que vos arguments concernant les responsabilités des Présidents de chaque Chambre ont été basés sur les responsabilités établies à l’intérieur de la Loi sur le Parlement, une chose avec laquelle je suis tout à fait d’accord. Cependant, j’essaie de voir si, au sein de la Loi sur le Parlement, en ce qui concerne les privilèges parlementaires, la sécurité des personnes, les infrastructures ou les biens, on attribue le pouvoir à l’un ou l’autre des Présidents de déléguer cette activité. Voilà ma question. Retrouvons-nous le même style de libellé dans la Loi sur le Parlement que ce que l’on retrouve ici?

M. Bédard : Il n’y a certainement pas le même style de libellé dans la Loi sur le Parlement. Le Président notamment sera responsable de la Bibliothèque du Parlement avec le Président de la Chambre des communes. Ils peuvent aussi être responsables du Service de protection parlementaire. Encore là, en ce qui a trait au Service de protection parlementaire, le directeur a aussi des attributions en vertu de la Loi sur le Parlement. Donc, l’ensemble de toutes les lois ou la mécanique ou l’appareil gouvernemental diffèrent, parce que l’on met en place des entités, des organismes. Évidemment, si on parle du Service de protection parlementaire, ce n’est pas le Président qui fait tout; il y a toujours un pouvoir de délégation qui est prévu ou implicite, comme la délégation financière.

Cependant, je vous ramène dans le cadre précis des articles 71.12, 71.13 et 71.14 : cette décision serait prise par le Président ou, quand je lis la version anglaise de l’article 71.14, une personne qui aurait été déléguée de façon spécifique par le Président pour faire une telle détermination. Le fait qu’on mentionne le terme « délégué » dans l’article 71.14, c’est justement pour accorder ce poids à la décision, pour qu’on ne puisse pas la questionner ailleurs qu’au Parlement.

La sénatrice Ringuette : Parlons de la sécurité des personnes. Si le groupe ou la personne responsable de la sécurité du Sénat prend une certaine décision concernant la sécurité des sénateurs, si on poursuit notre raisonnement, cette décision pourrait-elle être argumentée devant un tribunal?

M. Bédard : À la partie 2, à l’article 71.14, on parle uniquement de la divulgation proactive. Tout le reste des activités ne pourrait pas être amené devant les tribunaux, à moins que le privilège parlementaire ne s’applique.

La sénatrice Ringuette : Je vous remercie. Je comprends très bien maintenant.

Le sénateur Pratte : Puisqu’on parle du Service de protection parlementaire qui, dans la Loi sur le Parlement du Canada, est clairement placé sous la responsabilité des Présidents des deux Chambres, une décision prise par le Président du Sénat ou par les deux Présidents pourrait-elle faire l’objet d’un appel au Parlement lui-même? À titre d’exemple, si les parlementaires décident qu’un trop grand nombre de détecteurs de carte d’identité sont installés dans un édifice — l’idée me vient comme ça —, le Parlement pourrait-il infirmer une décision des Présidents relative au Service de protection parlementaire?

M. Bédard : Vous m’amenez dans un territoire qui n’a pas encore été exploré, et ça a été le cas pendant les 90 dernières minutes.

Le projet de loi ne prévoit pas d’appel, et la responsabilité du service relève des Présidents. Le directeur du service a des responsabilités aussi par rapport au Service de protection parlementaire. Ce sont des décisions qui ne peuvent pas être appelées devant les Chambres ou le Comité de la régie interne, par exemple. Il n’y a pas de droit d’appel. Toutefois vous connaissez le pouvoir de la consultation sur la Colline. Évidemment, tout ce qui est fait sur la Colline est toujours précédé de consultations. Les Présidents vont exercer leur pouvoir pour les sénateurs aussi. Si quelque chose d’illégal était commis au service — je ne parle pas nécessairement du Président —, que ce soit un grief ou autre chose, c’est le droit commun qui s’appliquerait, comme c’est le cas pour toutes les autres entités créées par la loi.

Le sénateur Pratte : D’accord, merci.

[Traduction]

La sénatrice McCoy : Monsieur Bédard, vous avez fait référence à la sécurité des personnes et au caractère définitif des décisions, et je peinais à trouver un article qui accordait ce pouvoir au Président. Vous pourriez peut-être me l’indiquer.

Monsieur Pratte, c’est plus ou moins votre question. En d’autres termes, si, de façon hypothétique, on déterminait qu’il n’y avait pas suffisamment de serrures sur les portes dans le nouveau bâtiment, et j’en ai trouvé trois d’ailleurs qui n’avaient aucune serrure, et si le Président prenait une décision dans ce sens, nous n’aurions aucun recours pour en appeler.

M. Bédard : Les Présidents ont la responsabilité conjointe du service. Cela dit, le Comité permanent de la régie interne, des budgets et de l’administration accorde certains pouvoirs aux sénateurs. Le fait que le Président soit responsable de la SCP, à mon avis, ne veut pas dire qu’il peut décider tout ce qui se passe à l’intérieur de la cité parlementaire. Il a la responsabilité du service. Les Présidents sont responsables du service et de la sécurité sur la Colline et à l’intérieur de la cité. C’est toute autre chose que de décider du nombre de serrures sur une porte ou le nombre de fois qu’il faut passer sa carte d’identité au lecteur. Ce sont des questions d’un autre ordre.

La sénatrice McCoy : Quand on parle des services de sécurité, il est intéressant de constater que le Président est obligé, en vertu du paragraphe 71.1(3), de consulter, après avoir reçu les conseils de la SCP ou de toute autre unité administrative du Sénat ou de la Chambre des communes. Là encore, on contourne complètement les sénateurs. Ce sont de grandes décisions. N’êtes-vous pas d’accord?

M. Bédard : Il n’y a effectivement aucune référence aux sénateurs au paragraphe 71.1(3). Je constate la même chose.

La sénatrice McCoy : Les sénateurs n’ont donc aucune possibilité de s’exprimer, tout comme l’organe administratif prévu par la Loi sur le Parlement du Canada, c’est-à-dire le Comité permanent de la régie interne, des budgets et de l’administration.

Le sénateur Gold : Je ne voulais pas intervenir et interrompre votre analyse, mais j’aimerais revenir à quelque chose que la sénatrice Batters a dit tantôt. Nous vous sommes reconnaissants de soulever la question, parce qu’elle est importante, comme on en déduit à la lumière de la durée et de la teneur de cette la conversation.

Vous avez une réputation bien méritée pour ce qui est de peser vos mots et de vous exprimer clairement, mais j’aimerais vous inviter à réfléchir à certains des mots que vous avez utilisés lorsque vous décriviez le Président. À plusieurs reprises, après avoir indiqué correctement que le Président est nommé par le premier ministre, vous avez décrit les décisions du Président comme étant des décisions émanant du gouvernement du Canada. Sauf votre respect, je vous dis que vous n’avez peut-être pas voulu traiter le Président de gouvernement, parce que c’est incorrect et cela induit en erreur. Bien franchement, je crois que cela manque de respect à l’égard du Président actuel et des Présidents futurs. Je ne présume pas cependant que c’est ce que vous avez voulu dire. Je vous donne l’occasion de tirer les choses au clair.

La sénatrice Batters : Merci. Comme je l’ai indiqué à la réunion tenue en octobre, je n’ai jamais dit que les décisions du Président du Sénat sont des décisions du gouvernement du Canada. Toutefois, on ne peut nier que le Président du Sénat est nommé par le premier ministre du Canada et qu’il occupe un rôle diplomatique très important du fait qu’il représente le gouvernement du Canada. Cela ne réduit aucunement son rôle. Il demeure cependant que le Président de la Chambre des communes est élu par ses pairs et d’autres députés à la Chambre des communes alors que le Président du Sénat est nommé par le gouvernement. Cela ne vient aucunement porter atteinte à leurs décisions de quelque façon que ce soit, c’est juste un fait.

Je n’ai pas dit ce que vous venez d’affirmer. J’ai dit plutôt que ce serait essentiellement une situation dans laquelle une décision particulière sur une question importante concernant le Sénat serait prise par le gouvernement du Canada, c’est-à-dire par une personne nommée par le gouvernement du Canada. C’est ce que je voulais dire. Je n’ai aucunement voulu manquer de respect. Je ne fais que souligner des faits. Peu importe le Président ou le gouvernement qui l’a nommé, le fait de renoncer à toute indépendance au Sénat afin que le gouvernement du Canada puisse avoir le dernier mot est dangereux, quel que soit le Président ou le gouvernement. C’est une question importante.

La Constitution précise que le Président doit être nommé par le gouvernement du Canada. Nous voulons être sûrs que les lois que nous adoptons tiennent correctement compte des distinctions qui sont respectées depuis 150 ans au pays.

Le sénateur Gold : Merci d’avoir tiré les choses au clair, car je ne voulais pas présumer que vous vouliez manquer de respect. Je maintiens cependant que les décisions prises par le Président ne sont pas des décisions prises par le gouvernement du Canada. Ce sont des décisions qui reviennent au Président, un sénateur indépendant comme nous aimons tous bien dire. C’est une distinction importante aux yeux des Canadiens qui nous regardent.

[Français]

Le président : Merci, monsieur Bédard, de votre présence. C’est peut-être la dernière fois que vous comparaissez devant notre comité à titre de légiste de la Chambre. J’aimerais me faire le porte-parole de tous mes collègues autour de la table pour vous remercier de votre disponibilité, de votre coopération et de votre amabilité, et surtout pour la qualité de vos services professionnels. Au nom de tous mes collègues, je vous remercie de votre comparution ce matin et vous offre tous nos vœux de succès pour affronter l’autre endroit dans un contexte qui n’est certainement pas aussi amical que celui dont vous avez pu faire l’expérience ce matin.

(La séance est levée.)

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