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NFFN - Comité permanent

Finances nationales

 

Le Comité Sénatorial Permanent des
Finances Nationales

Fasicule no 42 - Témoignages du 25 octobre 2017 (séance de l'après-midi)


OTTAWA, le mercredi 25 octobre 2017

Le Comité sénatorial permanent des finances nationales se réunit aujourd’hui, à 14 h 15, pour poursuivre son étude sur les modifications proposées par le ministre des Finances à la Loi de l’impôt sur le revenu concernant l’imposition des sociétés privées et les stratégies de planification fiscale connexes.

Le sénateur Percy Mockler (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Honorables sénateurs et honorables sénatrices, soyez les bienvenus à cette réunion du Comité sénatorial permanent des finances nationales.

[Traduction]

Je m’appelle Percy Mockler; je viens du Nouveau-Brunswick et je suis président du comité.

J’aimerais souhaiter la bienvenue à tous ceux qui sont dans cette salle ainsi qu’à tous ceux qui nous regardent sur leur téléviseur ou en ligne. Je rappelle à ceux qui nous écoutent que les séances du comité sont publiques et qu’on peut les suivre en ligne sur le site web du Sénat, en se rendant à sencanada.ca.

J’aimerais maintenant demander aux sénateurs de se présenter eux-mêmes, à commencer par celui qui est assis à ma gauche.

Le sénateur Black : Doug Black, de l’Alberta.

[Français]

L’honorable André Pratte : André Pratte, du Québec.

L’honorable Éric Forest : Éric Forest, de la région du Golfe, du Québec.

L’honorable Lucie Moncion : Bonjour. Lucie Moncion, de l’Ontario.

[Traduction]

La sénatrice Andreychuk : Raynell Andreychuk, de la Saskatchewan.

Le sénateur Neufeld : Richard Neufeld, de la Colombie-Britannique.

La sénatrice Eaton : Nicky Eaton, de l’Ontario.

La sénatrice Marshall : Beth Marshall, de Terre-Neuve-et-Labrador.

Le président : J’aimerais maintenant vous présenter la greffière du comité, Gaëtane Lemay, et nos attachés de recherche, Sylvain Fleury et Alex Smith, qui aident le comité à rédiger des rapports.

Aujourd’hui, nous poursuivons notre étude des modifications que le ministre des Finances a proposées, l’été dernier, d’apporter à la Loi de l’impôt sur le revenu concernant l’imposition des sociétés privées, et les stratégies de planification fiscale connexes.

[Français]

Cet après-midi, nous recevons des gens d’affaires et propriétaires de petites et moyennes entreprises et de cabinets professionnels. Nous les avons réunis en deux groupes successifs.

Le temps nous est compté, et je demanderais à tous les témoins de limiter leurs interventions à un maximum de cinq minutes.

[Traduction]

Je remercie vivement nos témoins d’avoir accepté de comparaître devant notre comité aujourd’hui pour nous présenter leur point de vue sur toutes ces questions.

Le premier groupe de témoins est composé de M. Alan Acton, vice-président et gestionnaire des portefeuilles chez Polaris Financial Inc.; de M. Robert Kepes, président-directeur général chez Tensor Machinery Ltd.; de M. Robert A. Dyke, président, Dyke & Murphy, qui est un cabinet de comptables professionnels agréés; et de M. Valentin Erikson, avocat en fiscalité immobilière chez Erikson Law Firm Professional Corporation.

J’aimerais maintenant inviter les témoins à faire leur déclaration liminaire, en leur demandant de se limiter à cinq minutes, après quoi les sénateurs pourront leur poser des questions.

Robert G. Kepes, président-directeur général, Tensor Machinery Ltd., à titre personnel : Je vous remercie de m’avoir invité à comparaître devant votre comité. J’ai deux documents que vous avez peut-être devant vous. L’un est plus long que l’autre. Celui daté du 22 octobre est un exposé plus officiel, mais ce que je vais vous dire aujourd’hui s’inspire de l’autre document daté du 25 octobre.

Je suis PDG et propriétaire de Tensor Machinery Ltd., une entreprise de machinerie située à Lachine, au Québec. C’est mon père, George, qui l’a créée en 1984, et j’en ai hérité lorsqu’il est décédé en janvier 2016. Parallèlement, j’exerce la profession d’avocat-fiscaliste à Toronto depuis plus de 30 ans. Je suis cofondateur et associé de Morris Kepes Winters, s.r.l., un cabinet d’avocats-fiscalistes.

J’aimerais dire quelques mots sur Tensor, sur les règles concernant les placements passifs et sur l’imposition du revenu fractionné.

Tensor est un chef de file mondial dans le domaine de la conception et de la fabrication de machines servant à la production de câbles en fibre optique et de fils de cuivre extrêmement spécialisés. Nous ne fabriquons pas le câble, nous fabriquons les machines qui servent à le fabriquer. Ces machines sont conçues, fabriquées et assemblées dans notre usine de Lachine. Pour vous donner une idée, ces machines coûtent entre 600 000 et 1,4 million de dollars américains pièce.

Tensor exporte la totalité de ses produits quasi exclusivement à des clients américains. À ce titre, Tensor dépend beaucoup de l’ALENA, mais étant donné l’incertitude qui plane sur cet accord et sur la politique protectionniste de « America First » du président Trump, je ne peux m’empêcher de constater que ces propositions fiscales ne pouvaient pas tomber à un plus mauvais moment pour des exportateurs canadiens comme Tensor. Les modifications fiscales qui sont proposées et le fardeau des coûts de conformité qu’elles entraîneront vont tout simplement rendre Tensor moins concurrentielle.

Ma première réaction est de dire que le gouvernement devrait retarder l’entrée en vigueur de ces propositions au moins jusqu’à la conclusion des négociations de l’ALENA.

Puisque je suis en train de parler de Tensor, je vais dire quelques mots sur les propositions concernant les revenus passifs des sociétés privées.

La semaine dernière, le ministre Morneau a annoncé que tous les placements effectués avant et tous les revenus tirés de ces placements seront protégés. Un seuil de 50 000 $ sera fixé pour les revenus passifs accumulés au cours d’une année, ce qui représente un million de dollars si l’on se base sur un taux de rendement nominal de 5 p. 100, et le taux d’imposition des petites entreprises sera ramené à 9 p. 100 à partir de 2019.

Ce seuil annuel de 50 000 $ suscite beaucoup de questions. Est-il juste qu’une société qui compte un grand nombre d’actionnaires soit limitée au même seuil de 50 000 $ qu’une société qui n’a qu’un actionnaire? Le seuil de 50 000 $ ne devrait-il pas s’appliquer à chaque actionnaire?

L’annonce de juillet dernier propose deux méthodes pour imposer les revenus passifs au-delà de 50 000 $.

Selon la première, qu’on appelle la méthode d’attribution, il y aura trois catégories de placements que les entreprises devront surveiller, et maintenant, il y en aura probablement une quatrième puisqu’il faudra surveiller l’exemption annuelle de 50 000 $ et l’utilisation qui en a été faite.

Inutile de dire que cette méthode nécessitera beaucoup de travail administratif. Apparemment, cette proposition n’affectera que les 3 p. 100 supérieurs des sociétés privées, mais les 97 p. 100 restants, dont Tensor, doivent soumettre les mêmes déclarations d’impôt que les 3 p. 100. Nous avons tous l’obligation de déclarer nos différentes catégories de revenus.

Les changements proposés sont fondés sur l’hypothèse que tous les revenus de placement supérieurs à 50 000 $ sont passifs puisque tout solde supérieur à un million de dollars est considéré comme un « excédent ». Le problème que pose ce seuil unique est que les entreprises comme Tensor ont besoin d’un fonds de roulement, souvent de plus d’un million de dollars. Chaque dollar que Tensor tire d’un placement passif contribue à la bonne santé de son fonds de roulement et de sa trésorerie.

De plus, les placements passifs servent l’entreprise de bien des façons.

Tensor ne dépend pas d’emprunts bancaires pour payer ses factures. La banque verse des intérêts d’environ 1,5 p. 100 si le solde bancaire de Tensor est d’au moins 2 millions de dollars; elle ne verse pas d’intérêts si le solde est inférieur à ce montant. C’est la raison pour laquelle Tensor choisit d’investir dans des titres bancaires comme la Banque Royale, qui rapportent 3 p. 100.

Une bonne trésorerie nous permet d’avoir accès à une marge de crédit, laquelle témoigne, comme la banque l’a indiqué, de la confiance de celle-ci dans notre entreprise. Les placements passifs nous servent de réserve pour le fonds de roulement et la trésorerie, en cas de ralentissement économique.

Enfin, les clients effectuent souvent des vérifications de crédit auprès de notre banque, parce qu’ils ont besoin de savoir que la valeur nette de Tensor dépasse non seulement le dépôt des clients, mais parfois aussi la valeur totale du contrat. De surcroît, ils souhaitent savoir si Tensor a la capacité financière de réaliser la vente.

Ce qui me préoccupe en particulier, c’est le traitement fiscal des gains en capital en vertu du nouveau régime. Le document de consultation publié en juillet 2017 indique très clairement que le gouvernement veut supprimer le compte de dividendes en capital, ou CDC, pour les gains en capitaux tirés de placements passifs, mais il ne dit rien des gains en capitaux tirés de placements faits dans l’entreprise, comme l’immobilier.

Le terrain et l’immeuble qu’occupe Tensor ont été achetés il y a une vingtaine d’années, et l’entreprise s’en sert exclusivement pour ses activités commerciales. La valeur de la propriété a bien sûr augmenté, et il y aura un gain en capital si celle-ci est vendue un jour. En tant qu’immobilisation utilisée pour les activités commerciales, elle devrait être traitée comme un CDC et un dividende en capital, selon les règles actuelles. Que l’immeuble appartienne à des intérêts autres que Tensor ou qu’il m’appartienne personnellement ne devrait pas faire de différence.

S’agissant des règles sur le revenu passif, je recommande, premièrement, qu’elles soient abandonnées. Le système actuel d’impôt remboursable et de compte de dividendes en capital fonctionne bien.

Si le gouvernement décide d’adopter cette lourde et complexe réglementation, les exportateurs comme Tensor devraient alors en être exemptés. Si les exportateurs ne peuvent pas être exemptés, la réglementation ne devrait pas s’appliquer aux sociétés qui ont trois employés ou plus.

Si ce sont les professionnels à revenus élevés qui posent un problème au gouvernement, celui-ci devrait au moins exempter ceux qui créent trois emplois ou plus. Si ce n’est pas acceptable, alors la réglementation sur le revenu passif devrait uniquement s’appliquer aux sociétés professionnelles, puisque ce sont elles qui semblent être la cible du gouvernement.

Quoi qu’il en soit, les biens immobiliers utilisés dans le cadre des activités de l’entreprise devraient être exemptés de l’application de la réglementation sur les placements passifs.

Je vais maintenant passer à la question du fractionnement du revenu. Je vous dirai d’emblée que cela ne me concerne pas, car mon épouse joue un rôle très actif dans Tensor. Ce que je vais vous dire est le point de vue d’un avocat- fiscaliste.

Le budget fédéral de 1999 a supprimé les avantages fiscaux du fractionnement du revenu avec des enfants mineurs, et a mis en place un taux d’imposition unique du revenu fractionné gagné par des personnes de moins de 18 ans. Les conjoints et les enfants adultes n’étaient pas assujettis à cet impôt. C’était logique, car un enfant mineur est considéré comme le remplaçant du parent qui dirige l’entreprise et qui en tire un revenu. Il est raisonnable de penser que les dividendes versés à l’enfant mineur sont des revenus que le parent aurait, autrement, gagnés lui-même.

En revanche, il n’est pas raisonnable de considérer tous les conjoints comme des remplaçants du conjoint ayant le revenu le plus élevé, comme on le fait dans le document de consultation. Le gouvernement propose d’assujettir à l’impôt sur le revenu fractionné les conjoints et enfants adultes, à partir de 2018. Les personnes en question devront faire la preuve qu’elles ont contribué aux activités de l’entreprise, en vertu de quatre principes de base, quelle que soit la nature de la contribution, que ce soit une contribution à la main-d’œuvre, une contribution au capital ou une contribution au risque, ou un peu des trois à la fois. Les contributions antérieures à la main-d’œuvre, au capital ou au risque seront aussi prises en compte. Ce facteur a été ajouté dans le communiqué de presse du 16 octobre.

Une contribution à la main-d’œuvre est simple à comprendre. Il s’agit d’indiquer quelles fonctions le conjoint ou l’enfant d’âge adulte a exécutées dans l’entreprise. La seule mesure que le projet de loi prend en compte est le montant qu’aurait payé une partie sans lien de dépendance avec le conjoint ou avec l’enfant d’âge adulte. Autrement dit, si le montant est, disons, de 40 000 $ par an et que le conjoint, disons l’épouse, a reçu un dividende plus élevé que ce montant, disons 60 000 $, alors le surplus de 20 000 $ est automatiquement imposé au taux d’imposition maximal, sans égard au taux d’imposition de l’autre conjoint qui travaille également dans l’entreprise.

Toutefois, une personne sans lien de dépendance ne paiera pas une somme supérieure au conjoint simplement parce qu’il a donné des avoirs, a prêté de l’argent, a acheté des actions, a cosigné un emprunt ou a accepté de donner le foyer conjugal en garantie. Autrement dit, le critère de la personne sans lien de dépendance n’en est pas vraiment un. C’est plutôt ce que l’Agence du revenu du Canada acceptera, voire ce que le juge acceptera?

Lors d’un audit de l’ARC ou d’un appel en matière d’impôt, c’est toujours le contribuable qui a le fardeau de la preuve. Le conjoint devra fournir deux preuves. Premièrement, sa contribution aux activités de l’entreprise et, deuxièmement, ce qu’une personne sans lien de dépendance lui aurait payé pour la même contribution. Il est difficile d’imaginer le type de preuve qui sera nécessaire pour convaincre un inspecteur de l’ARC du montant qu’une personne sans lien de dépendance aurait accepté de payer pour la contribution du conjoint ou de l’enfant d’âge adulte.

Si l’inspecteur n’est pas convaincu, le seul recours possible est une procédure d’appel, longue et coûteuse. Ces règles vont multiplier les appels et les litiges en matière d’impôt.

Il faut bien comprendre aussi que ces propositions vont multiplier les audits fiscaux. Le ministre Morneau a dit qu’il suffira de cocher une case, dans le formulaire de déclaration d’impôts, pour dire que le bénéficiaire de dividendes a contribué à l’entreprise. On peut être sûr que l’ARC ne tardera pas à réclamer à la personne des détails sur sa contribution à l’entreprise et une preuve du montant qu’aurait payé une personne sans lien de dépendance. Il aurait été beaucoup plus simple, à mon avis, d’assujettir à l’impôt sur le revenu fractionné les personnes de moins de 25 ans et de continuer d’en exempter les conjoints.

Si les conjoints ne sont pas exemptés de l’ISRF, c’est-à-dire de l’impôt sur le revenu fractionné, le critère du montant payé par une personne sans lien de dépendance doit être éliminé. Autrement dit, les personnes concernées ne devraient avoir qu’à faire la preuve qu’elles ont apporté une contribution à l’entreprise, sans avoir à indiquer ce qu’une personne sans lien de dépendance aurait payé pour leur contribution.

En conclusion, les propositions relatives aux revenus passifs et à la répartition du revenu ont été élaborées sans tenir compte des réalités concrètes de l’exploitation d’une entreprise, si ce n’est peut-être celles d’une société professionnelle. J’ai essayé de vous montrer quels problèmes pratiques ces propositions vont susciter, et je serais ravi de comparaître à nouveau une fois que le projet de loi aura été présenté.

Le président : Merci, monsieur Kepes. Nous vous remercions de nous avoir fait parvenir votre document. Je vais maintenant demander à M. Alan Acton de faire sa déclaration liminaire. Je vous invite à nouveau à ne pas dépasser cinq minutes, s’il vous plaît.

Alan Acton, vice-président et gestionnaire des portefeuilles, Polaris Financial Inc., à titre personnel : Mon texte vous a été distribué. Il s’intitule « Les conséquences inattendues des propositions fiscales du 18 juillet 2017 pour les soins de santé au Canada ».

Je vous remercie de m’avoir invité aujourd’hui à vous parler des conséquences de la réforme proposée.

Environ 60 p. 100 des médecins canadiens utilisent en toute légalité une société privée sous contrôle canadien, ou SPCC, pour organiser leurs activités professionnelles, gérer leur trésorerie et planifier leur retraite. Ce projet de loi, s’il est adopté, risque de provoquer une diminution du nombre de médecins en activité au Canada, ce qui allongera les délais d’attente et limitera l’accès des Canadiens à un bon médecin de famille.

Les médecins canadiens ont deux grandes préoccupations. La première concerne la répartition du revenu, ou ISRF, c’est-à-dire l’impôt sur le revenu fractionné qui est versé au conjoint. La deuxième est l’augmentation de l’impôt sur les revenus de placement passifs.

Si les médecins ne peuvent plus utiliser ces méthodes parfaitement licites pour rémunérer des membres de leur famille, méthodes qui ont été validées par la Cour suprême du Canada, et pour épargner de l’argent à court et à long terme, le nombre de médecins au Canada risque de diminuer. Des médecins plus âgés pourront décider de prendre leur retraite. Des médecins expérimentés pourront décider d’aller s’installer là où ils seront moins imposés. Et des médecins résidents pourront décider, après avoir obtenu leur diplôme, d’aller eux aussi s’installer là où ils seront moins imposés.

Je vais vous en donner un exemple. Prenons un cas hypothétique, celui de la docteure Cheryl d’Ottawa, qui devient médecin de famille après avoir fait des études pendant près de 10 ans. Lorsqu’elle obtient son diplôme, elle se retrouve endettée de plus de 100 000 $, comme cela arrive souvent, et envisage de créer une entreprise. Un cabinet de médecin de famille est une entreprise. La docteure Cheryl n’a pas de régime de pensions, pas d’avantages collectifs, pas d’assurance-vie, pas d’assurance-invalidité, pas de congés de maladie, pas de congés de deuil, pas de congés annuels et pas de congé de maternité.

On entend souvent dire dans les médias que les médecins de famille gagnent 275 000 $ par an. C’est le chiffre qu’on mentionne le plus souvent. Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que c’est un montant brut. C’est le taux de facturation brute. De ce chiffre il faut retrancher les dépenses de fonctionnement, les salaires, l’assurance en cas de faute professionnelle, et les frais de bureau. Quand on fait le décompte de tout cela, le montant qui reste, après paiement des impôts et des dépenses, s’élève à peine à 8 000 $ par mois.

La docteure Cheryl réussit également à mettre de l’argent de côté dans sa SPCC, pour les périodes de vaches maigres. Quelques années plus tard, elle décide d’avoir deux enfants. Elle puise dans l’épargne de sa SPCC pendant cinq ans, en guise de congé de maternité pour élever ses enfants. Elle n’aurait jamais pu le faire sans l’épargne qu’elle a accumulée dans sa SPCC.

Quelques années plus tard, ses enfants ont grandi et elle décide de se fixer de nouveaux objectifs. Elle est alors dans la quarantaine et elle doit planifier sa retraite. Elle va voir un conseiller financier. Elle lui dit qu’elle aimerait prendre sa retraite avec un revenu de 70 000 $ et lui demande si elle peut le faire avec un REER. Le conseiller financier lui répond que ce n’est pas possible. Même si elle obtient un rendement raisonnable, elle ne peut mettre dans son REER qu’un maximum de 26 000 $ par an. Il faudrait donc qu’elle épargne 37 000 $ par an pour avoir droit à une retraite modeste.

La docteure Cheryl réfléchit à toutes ces années pendant lesquelles elle a exercé sa profession et elle se demande dans quelle situation elle serait si, au lieu d’avoir été médecin de famille, elle était devenue fonctionnaire au gouvernement fédéral, à Santé Canada. Elle aurait bénéficié de deux années de congé de maternité payé pour ses deux enfants. Elle aurait eu droit à toutes sortes d’avantages, et bénéficierait aujourd’hui d’une pension complètement indexée.

Comme vous le voyez, d’un point de vue financier, elle aurait mieux fait de travailler pour le gouvernement. Je pourrais reprendre le même exemple, sans changer grand-chose, pour les autres spécialités médicales. Les médecins utilisent fréquemment une SPCC pour fractionner leurs revenus avec un conjoint et pour mettre de l’argent de côté pour leur retraite.

Tout le monde aimerait pouvoir faire la même chose. Merci beaucoup. Je suis prêt maintenant à répondre à vos questions.

Le président : Merci, monsieur Acton.

Je vais maintenant donner la parole à M. Dyke.

Robert A. Dyke, président, Dyke & Murphy Professional Corporation, à titre personnel : Je vous remercie de m’avoir invité. Les mesures fiscales proposées par M. Morneau auront très certainement un impact sur chacun des petits entrepreneurs que je compte parmi mes clients. Cela va les inciter à créer des entreprises et à investir à l’étranger. Comme les États-Unis sont sur le point de réduire considérablement leurs taux d’imposition, le Canada ne sera plus dans la course.

Ces propositions ont été présentées d’une façon qui attise la lutte entre les classes, en présentant les entrepreneurs comme des fraudeurs qui ne paient pas leur juste part d’impôt. En qualité de comptable professionnel agréé qui prépare les déclarations d’impôt de ces petits entrepreneurs, je peux vous dire qu’ils paient plus que leur juste part d’impôt.

Les exemples qu’a donnés publiquement M. Trudeau en comparant les employés salariés et les entreprises constituées en sociétés ne riment à rien pour le comptable que je suis. Ce sont des exemples trompeurs qui s’adressent à un public ignorant, comme d’ailleurs la volonté affichée de supprimer les échappatoires.

Une échappatoire fiscale est une conséquence inattendue de la législation fiscale. Les lois actuelles sont en vigueur depuis 45 ans. Elles offrent des avantages aux entreprises qui se constituent en sociétés, afin de stimuler la croissance économique, ainsi que des incitatifs aux entrepreneurs qui font des investissements et qui créent des emplois. Rien de tout cela n’est un résultat inattendu, rien de tout cela ne constitue une échappatoire.

Le gouvernement revient maintenant sur certaines dispositions, comme par réaction impulsive. Cela crée une incertitude considérable, dont les effets se font sentir dans les décisions quotidiennes des entrepreneurs et dans les plans de relève.

Mes collègues et mes clients ne savent pas à quoi s’en tenir, actuellement. Ils ont des projets qui sont presque prêts, mais ils n’osent pas se lancer. Doivent-ils faire leurs choix avant la nouvelle année? Si oui, devons-nous faire des purifications avant le 31 décembre? Je ne me souviens pas d’avoir jamais connu autant d’incertitude en ce qui concerne la planification de la relève en entreprise.

En qualité de comptable professionnel agréé, je m’inquiète tout particulièrement du cataplasme qu’on nous propose pour l’imposition des revenus passifs d’une société. En dessous de 50 000 $, ces revenus sont imposés en vertu des anciennes règles; mais au-delà de 50 000 $, ils sont imposés à 72 p. 100. De plus, les revenus tirés de placements passifs antérieurs à 2018 seront imposés en vertu de l’ancien système, et les revenus gagnés après 2018, en vertu des nouvelles règles.

Quand j’ai examiné tout cela avec un avocat-fiscaliste et que je lui ai demandé comment les gens sont censés comptabiliser tout cela, il m’a répondu que c’était au comptable de le faire. Au bout du compte, cela coûtera plus cher aux contribuables. Et en fait, ce cataplasme a déjà créé, accidentellement, deux catégories d’entrepreneurs : ceux qui sont protégés par les anciennes règles, les anciens, et les jeunes entrepreneurs qui essaient d’organiser leurs finances.

J’aimerais vous lire la déclaration d’un jeune entrepreneur prospère sur la façon dont les modifications fiscales proposées changent sa perspective :

Nous exploitons, depuis trois générations, une entreprise de matériaux de construction dans l’Est de l’Ontario. Notre succès, nous le devons à des années de planification proactive, de gestion minutieuse et de détermination constante. Des horaires prolongés, de nouveaux produits et de nouveaux sites comptent parmi nos objectifs de croissance.

Tout cela nécessite des investissements considérables, qui se traduiront par la création de dizaines d’emplois.

La question qui se pose est de savoir pourquoi nous devrions nous lancer dans l’une ou l’autre de ces initiatives si l’incitatif est supprimé.

Quand on est entrepreneur, on doit être prêt à prendre des risques, mais les modifications fiscales proposées étouffent le désir d’entreprendre et rendent très difficile le transfert d’une entreprise familiale à la génération suivante. Tout cela a gravement miné la confiance que nous avions dans notre gouvernement.

Luke McLenaghan, président

Perth Planing Mill Supply

Il est exact que, sur le plan fiscal, il vaut beaucoup mieux vendre votre entreprise à un étranger ou à une grande entreprise qu’à vos enfants.

Je me sens obligé de dire quelques mots sur nos médecins que, depuis quelque temps, nos gouvernements considèrent comme des vaches à lait tout en les présentant comme de riches Canadiens qui fraudent le fisc.

Dans ma ville natale de Perth, en Ontario, nous avons beaucoup de médecins extraordinaires, mais nous savons aussi combien il est difficile d’en faire venir de nouveaux. Les médecins de l’Ontario ont négocié de bonne foi pour obtenir le fractionnement du revenu en échange d’une augmentation des honoraires.

Selon les règles établies, ces mêmes médecins ont élaboré leur plan financier à long terme, notamment en ce qui concerne la retraite, le congé de maternité, le congé de maladie, l’expansion de leurs activités et le financement de l’éducation de leurs enfants. Un grand nombre de médecins se démènent encore pour s’adapter aux nouvelles règles, 10 ans après.

Pensez aussi à l’attrait que les États-Unis exercent sur les jeunes médecins, et même sur les jeunes hommes et les jeunes femmes les plus brillants qui décideront de ne pas embrasser cette profession.

La limite arbitraire de 50 000 $ pour les revenus passifs gagnés au sein d’une société ne peut pas justifier l’exemption des fonds de revenus et des fonds de retraite. La valeur de rachat d’un grand nombre de fonds de retraite de la fonction publique, y compris celui des députés, se situe autour de 2 millions de dollars. Mais attention, ces fonds de retraite n’ont jamais été imposés. Ils ne le sont qu’au moment du retrait, et ils peuvent faire l’objet d’un fractionnement du revenu de pension avec le conjoint.

Si une petite entreprise ou un professionnel constitué en société épargne 2 millions de dollars, c’est-à-dire 2 millions de dollars après impôts, les revenus de son placement seront imposés selon le système à deux paliers que j’ai décrit tout à l’heure. Lorsque l’actionnaire encaisse des dividendes une fois à la retraite, il ou elle est assujettie à un impôt de 45 p. 100 maximum, et ces dividendes ne peuvent pas faire l’objet d’un fractionnement. C’est vraiment la lutte des classes.

Permettez-moi de vous dire, en conclusion, que nous avons constaté, ces derniers temps, qu’il régnait un certain chaos à l’Agence du revenu. Pour les demandes qui obtenaient généralement une réponse dans les deux semaines, il faut maintenant compter deux ans. Les modifications fiscales sont tellement mal rédigées que cela va avoir un impact à tous les niveaux. J’ai entendu dire que le critère de la contribution raisonnable, tel que déterminé par l’Agence du revenu, pourrait prendre jusqu’à 10 ans pour parvenir à la Cour suprême.

Valentin Erikson, avocat en fiscalité immobilière, Erikson Law Firm Professional Corporation, à titre personnel : C’est un honneur pour moi de comparaître devant votre comité. Je suis avocat en droit fiscal et en fiscalité immobilière, à Ottawa. Je me suis constitué en société, dont le nom officiel est Erikson Law Firm Professional Corporation. Comme je suis à mon compte et que je suis dans la trentaine, il est sage de commencer à planifier ma retraite. Certains vous diront peut-être que c’est trop tôt de planifier sa retraite quand on a 30 ans, mais je suppose que pour la plupart d’entre vous, c’est une bonne chose à faire.

Combien dois-je épargner pour avoir une retraite confortable? Il existe un grand nombre d’analyses sur le sujet. Tous les spécialistes s’entendent pour dire qu’il faut disposer d’environ 70 p. 100 de son revenu préretraite pour avoir une retraite confortable.

Supposons, pour les besoins de la discussion, que je gagne 100 000 $ par an. Je dois donc m’organiser pour épargner environ 70 000 $. Si je prends ma retraite à l’âge de 65 ans et que je vis 20 années de plus, il me faudra avoir 1,5 million de dollars dans mon compte d’épargne.

Contrairement aux fonctionnaires et autres salariés, je ne suis pas payé pour mes heures supplémentaires et je n’ai pas droit au salaire minimum, aux congés payés, à l’assurance-emploi, aux prestations parentales, aux prestations d’assurance-maladie et à des chèques de paie réguliers, et en plus, je risque de perdre tous mes biens personnels. Je dois donc gérer prudemment mon argent et accumuler de l’épargne.

Dans l’esprit d’un grand nombre de gens, si vous êtes à votre compte ou que vous avez votre propre entreprise, ça veut dire que vous êtes plein aux as et que, par conséquent, vous méritez d’être puni. Taxer les entreprises est un slogan qui rapporte des voix; taxer les rabais consentis aux employés n’en rapporte pas.

En 2016, le gouvernement fédéral a supprimé des façons d’optimiser la déduction accordée aux petites entreprises. Il s’en est pris aussi aux possibilités de report d’impôt qui était offertes à certains professionnels, notamment les avocats, en proposant d’éliminer la comptabilisation des sommes facturées.

Aujourd’hui, il propose des mesures visant à empêcher les sociétés privées de profiter d’avantages fiscaux. Ces mesures, que le gouvernement veut faire entrer en vigueur en 2018, seront lourdes de conséquences pour les avocats comme moi et pour ceux de mes clients qui se sont constitués en sociétés privées.

Parmi les changements proposés, le gouvernement veut restreindre la capacité des propriétaires d’entreprises de répartir les revenus entre plusieurs membres de la famille. Je dois dire que les avocats ne sont pas autorisés à le faire, et que seuls les membres d’un barreau provincial sont autorisés à répartir leurs revenus. Le gouvernement propose également de limiter la capacité d’un entrepreneur de considérer des revenus d’entreprise comme des gains en capital. Une autre proposition consiste à supprimer une échappatoire qui permet aux particuliers de payer moins d’impôt sur des revenus de placements passifs détenus dans une entreprise.

À mon avis, ces modifications auront un impact particulièrement négatif sur les avocats des petits cabinets. Je sais que certains avocats ont lancé une pétition dans laquelle ils se disent favorables aux modifications proposées, mais ils reconnaissent également que les propositions visent surtout les associés et les professionnels à leur compte, pas les employés.

Si, comme l’a dit le ministre des Finances, les propositions ciblent les plus fortunés, il n’en demeure pas moins que la grande majorité des avocats gagnent moins de 220 000 $ par an, montant que le gouvernement donne comme exemple de revenu élevé, dans son document de consultation sur le sujet.

À mon avis, les modifications proposées nuiront à la capacité des entrepreneurs et des professionnels indépendants, y compris les avocats, de surmonter les périodes difficiles, parce qu’ils n’auront pas pu mettre de l’argent de côté. Elles auront également un effet négatif sur la croissance, l’innovation et la création d’emplois.

Elles amèneront les avocats à être des entrepreneurs moins dynamiques. Quand j’ai créé mon entreprise, j’ai pris un risque, mais mon objectif était toujours d’en encourager le développement. À telle enseigne que la taille de mon cabinet d’avocats a doublé. J’en suis fort content, mais si j’ai réussi à le faire, c’est uniquement parce que j’ai pu mettre de l’argent de côté afin d’éviter d’être à découvert. Je n’ai guère eu besoin d’une marge de crédit ou d’un prêt. Mais si les modifications proposées avaient été en vigueur, je n’aurais peut-être pas pris les mêmes risques.

Soyons clairs. Je ne suis pas contre le fait de payer des impôts. En tant que citoyen, je reconnais que le régime fiscal doit permettre de recueillir suffisamment d’argent pour financer les programmes du gouvernement, mais cela ne doit pas être sa seule raison d’être. Un bon régime fiscal doit être neutre, efficient, juste et équitable, tout en étant simple et prévisible sur le plan administratif.

Je voudrais maintenant dire quelques mots sur la notion d’équité, avant de conclure par la question suivante : à votre avis, les propositions du ministre sont-elles justes et équitables?

L’équité fiscale, c’est l’optimalité de la répartition. Une politique fiscale équitable est une politique qui traite de la même façon tous les contribuables se trouvant dans une situation similaire, et qui encourage la répartition équitable des revenus. La plupart des gens s’entendent pour dire que ceux qui gagnent beaucoup d’argent doivent payer plus d’impôt que ceux qui en gagnent moins.

J’estime qu’avec ses nouvelles propositions, le gouvernement bafoue les principes de l’équité. Pourquoi? Parce que les contribuables qui se trouvent dans une situation similaire ne sont pas tous traités de la même façon.

Par exemple, la plupart des gens s’entendent pour dire qu’un employé qui reçoit un salaire de 100 000 $ doit être imposé au même taux qu’un autre employé qui gagne 100 000 $. Supposons que Jennifer, fonctionnaire, reçoive un salaire de 150 000 $; et que Michael, employé du secteur privé, reçoive un salaire de 100 000 $ et un logement gratuit estimé à 50 000 $. Si l’on applique le principe de l’équité, on doit imposer Jennifer et Michael au même taux. Il est vrai que l’équité exige aussi de prendre en considération la capacité de payer du contribuable, laquelle peut être bien différente de son revenu.

Le gouvernement devrait tenir compte du fait que les propriétaires d’entreprises n’ont pas droit à la rémunération des heures supplémentaires, au salaire minimum, aux congés payés et à l’assurance-emploi. Par souci d’équité, le gouvernement devrait renoncer à cette proposition.

Le président : Merci, monsieur Erikson.

La sénatrice Eaton : Je remercie tous les témoins de leur exposé, et je vais m’adresser à M. Kepes. La chose qui m’a le plus frappée, c’est ce qu’on a dit à propos de la compétitivité. Ces nouveaux impôts ne semblent pas la stimuler.

Vous avez dit tout à l’heure que vous exportez tous les produits que vous fabriquez. Pensez-vous que ces propositions vont avoir un impact sur votre compétitivité aux États-Unis? Voilà pour la première partie de ma question. Il est bien évident que, si le gouvernement américain décide de baisser les impôts, ce qu’il menace de faire, cela aura encore plus d’impact.

Avez-vous songé à quitter le Canada, à sortir des capitaux du pays, ou encore à fabriquer vos produits ailleurs, si jamais le gouvernement réussit à faire adopter la suppression de ces prétendues échappatoires?

M. Kepes : Vous avez soulevé la question de la compétitivité. Commençons par le chiffre de 500 millions de dollars. Selon la mise à jour économique qui a été publiée hier, les propositions fiscales sont censées rapporter au gouvernement, pas immédiatement mais dès qu’elles seront pleinement en vigueur, 500 millions de dollars de recettes fiscales supplémentaires.

De mon point de vue, je pense qu’il est préférable d’avoir ces 500 millions de dollars entre les mains des entrepreneurs, des professionnels et de l’économie en général, plutôt que de les leur soutirer, surtout à une époque où l’avenir de l’ALENA suscite beaucoup d’incertitude. C’est la raison pour laquelle j’ai dit que ce n’était vraiment pas le moment de faire ce genre de propositions et de retirer autant d’argent de l’activité économique.

Pour ce qui est de quitter le Canada, je ne suis pas tout à fait dans la même situation qu’un spécialiste des TI, par exemple, qu’un ingénieur, qu’un comptable ou qu’un médecin, qui ont tout leur savoir dans la tête et qui peuvent donc, relativement facilement, aller exercer leur profession dans un autre pays. Les avocats, eux, sont plus limités géographiquement, et il est donc peu probable que je lève le camp pour aller exercer mon métier à New York.

S’agissant de l’entreprise, c’est différent. L’idée m’est passée par la tête, d’abord parce qu’il y a des ateliers d’usinage aux États-Unis qui font une partie de ce que nous faisons. Ils pourraient devenir mes sous-traitants et assurer la fabrication et l’assemblage de certaines pièces. Ça pourrait devenir nécessaire, tout comme l’a fait récemment Bombardier en vendant la C Series à Airbus qui fabriquera ces avions aux États-Unis. Nous pourrions faire la même chose, surtout si l’ALENA n’aboutit pas et que, par exemple, les États-Unis imposent des tarifs douaniers.

La sénatrice Eaton : Parlons maintenant des revenus passifs, dont il a beaucoup été question dans les témoignages jusqu’à présent. Vous avez bien montré, comme d’autres témoins avant vous, que 50 000 $ peut paraître une somme énorme, mais que, lorsqu’on travaille dans un secteur de pointe, il faut avoir beaucoup plus que ça en trésorerie pour pouvoir se développer. Je suis sûre que vos machines coûtent extrêmement cher.

Si cette échappatoire fiscale est supprimée, que vous ne pouvez plus avoir de revenus passifs, et que vous ne pouvez pas accumuler plus de 50 000 $, cela aura-t-il un impact sur votre compétitivité ou sur vos prix, par exemple?

M. Kepes : En un mot, oui. La raison en est simple : plus nous faisons des profits, plus nous devons être en mesure de réinvestir dans notre entreprise. Mais si les impôts augmentent, les profits diminuent, ce qui signifie que nous sommes moins en mesure d’investir dans l’entreprise.

La sénatrice Eaton : Mais cela n’aura pas d’impact sur vos prix aux États-Unis. Si vous avez moins de revenus passifs, cela n’aura pas d’impact sur le prix de vente de vos machines.

M. Kepes : En effet. Cela n’aura d’impact que sur la trésorerie et la bonne santé financière de l’entreprise.

La sénatrice Eaton : Merci.

Le sénateur Moncion : Toujours sur le même sujet, je dirai que tout dépend de l’utilisation qu’on fait du revenu passif. Si on s’en sert pour développer l’entreprise, c’est une bonne chose selon le ministre des Finances. Mais si on s’en sert simplement pour accumuler de l’épargne pour la retraite, c’est là peut-être qu’il y a un problème d’équité.

J’ai particulièrement apprécié votre exposé, parce que vous nous avez donné de bons exemples de la façon dont nous pouvons modifier ce qui nous a été proposé. J’ai beaucoup aimé ce que vous avez dit au sujet des gains en capital qui sont utilisés dans l’immobilier et des gains en capital qui sont utilisés dans l’entreprise, et qui ne sont pas pris en considération ici.

Vous proposez d’exempter les entreprises de la taille de Tensor. Vous avez aussi parlé de trois entreprises ayant trois employés ou plus. C’est à ce sujet que je voudrais vous poser une question, mais j’aimerais auparavant revenir sur ce que vous avez dit et qui m’a paru très intéressant.

S’agissant d’une entreprise professionnelle, ce que nous ignorons toujours, c’est ce que l’Agence du revenu exigera, par opposition aux règles qui seront mises en place : je veux parler de l’écart qu’il y aura entre l’interprétation qui en sera donnée par les contribuables et celle qui en sera donnée par l’Agence du revenu, étant bien entendu que ce sont toujours les contribuables qui auront le fardeau de la preuve.

J’en viens maintenant à la question que je veux vous poser. Pensez-vous qu’il soit suffisant de prévoir un seuil de trois employés? D’après ce que je peux constater, je ne le pense pas. Je préférerais que ce genre de proposition s’applique à des entreprises de plus de trois employés, pourquoi alors avoir choisi trois?

M. Kepes : La Loi de l’impôt sur le revenu prévoit des règles pour les entreprises de cinq employés et plus. C’est là qu’elle fait la distinction. Si une entreprise a des revenus de placement passifs, par exemple dans l’immobilier, et qu’elle compte cinq employés ou plus, elle a le droit de réclamer la déduction accordée aux petites entreprises.

J’ai choisi le nombre de trois surtout parce qu’au Québec, la Loi sur l’impôt, au départ, n’autorisait les professionnels à réclamer la déduction accordée aux petites entreprises que s’ils avaient au moins trois employés. Ils se sont rendu compte que ce n’était pas un bon critère car l’entrepreneur pouvait avoir quatre ou cinq employés à temps partiel. Ils ont donc remplacé le nombre d’employés par un nombre d’heures annuel. Si les employés de l’entreprise font 5 300 heures dans l’année, l’entreprise a le droit de réclamer la déduction accordée aux petites entreprises. Si j’ai choisi le critère des trois employés, c’est pour avoir la même chose que ce que prévoit la loi au Québec.

Le sénateur Moncion : C’est très intéressant. Merci.

La sénatrice Marshall : Ma première question s’adresse à M.Kepes. J’ai des questions pour tous les témoins, mais je suis sûre, monsieur le président, que vous m’interromprez avant la fin.

J’aimerais revenir sur la réponse que vous avez faite à la sénatrice Eaton. Vous êtes avocat-fiscaliste. Vous profitez d’un avantage pour le moment parce que vous êtes avocat-fiscaliste et que vous dirigez une entreprise. On peut examiner ces propositions sous deux angles différents.

Compte tenu de ce que vous savez aujourd’hui et des changements qui se profilent à l’horizon pour les SPCC, entre autres, conseilleriez-vous aux gens de se constituer en société? Feriez-vous les choses différemment maintenant? Seriez-vous toujours prêt à créer votre entreprise?

On pourrait peut-être commencer par là. Dans les circonstances, cela vaut-il la peine de créer son entreprise et, si oui, est-ce qu’il faut la constituer en société?

M. Kepes : C’est une excellente question. Dans mon rôle d’avocat, je recommanderais la constitution en société essentiellement pour des raisons non fiscales. Ce n’est pas la même chose qu’un médecin qui est à son compte le vendredi, qui a une entreprise professionnelle le lundi, et qui réclame la déduction accordée aux petites entreprises. Les gens se constituent en sociétés pour des milliers de raisons.

La sénatrice Marshall : Vous avez raison.

M. Kepes : Chaque franchise Tim Hortons est une entreprise constituée en société. Ça rend le financement plus facile. Les banques savent comment fonctionne une société. La loi définit clairement les responsabilités des administrateurs et des cadres.

C’est beaucoup plus difficile de faire des affaires avec un partenariat ou une fiducie. La loi définit clairement ce qu’est une société, notamment en ce qui concerne la responsabilité limitée. Personne ne peut posséder une usine chimique en son nom personnel. Il faut toujours que l’entreprise soit constituée en société.

La sénatrice Marshall : Nonobstant le régime fiscal, vous estimez donc que la constitution en société est la bonne solution.

Il semblerait que le ministère des Finances cible 29 000 SPCC qui ont accumulé beaucoup d’argent en revenus passifs. J’ai eu l’impression, en écoutant votre déclaration liminaire, que vous n’en faisiez pas partie. Cela m’a étonnée.

Nous avons déjà entendu pas mal de témoins différents, et je leur pose toujours cette question. J’essaie de comprendre qui sont ces sociétés qui ont accumulé tout cet argent en revenus passifs, et personne ne veut l’avouer. Avez-vous une idée du type d’entreprises qui auraient accumulé tout cet argent en revenus passifs? S’agit-il de certains types d’entreprises?

M. Kepes : Je n’en suis pas certain, mais je suppose que beaucoup de sociétés privées sont des promoteurs immobiliers qui ont accumulé des fortunes dans l’immobilier au fil des ans. Je pense donc aux promoteurs immobiliers, résidentiels et commerciaux. Ce ne sont pas des sociétés publiques, mais des sociétés privées. C’est une supposition.

Ça peut aussi être le cas d’une entreprise comme la nôtre, qui était au début une société privée et qui, en se développant, est devenue une entreprise publique. La famille des fondateurs a fort probablement placé ses actions dans une société de portefeuille. Il est fort possible qu’une personne dont le nom nous est aujourd’hui familier ait toute sa fortune dans une société de portefeuille.

Il est aussi possible que, en étant propriétaire de cette entreprise publique, cette personne ait reçu des dividendes qui ont été versés dans sa société de portefeuille, et que l’argent s’y soit accumulé.

La sénatrice Marshall : Ce serait des montants bruts.

J’aimerais vous poser une dernière question. Je vous écoutais parler tout à l’heure, et la première chose qui m’est venue à l’esprit, c’était que vous étiez un innovateur, et le gouvernement a tout un programme pour l’innovation.

Pensez-vous que les modifications fiscales proposées vont compromettre l’aide consentie en matière d’innovation?

M. Kepes : Notre entreprise reçoit de l’aide en matière d’innovation par l’entremise du crédit d’impôt pour la recherche scientifique et le développement expérimental. Il y a aussi des programmes provinciaux qui nous accordent du financement, et il y a bien sûr la Société pour l’expansion des exportations qui nous offre des services de soutien.

En matière d’innovation, Tensor a accès à toute l’aide dont il a besoin. Mais ce que je voulais surtout dire au sujet de ces règles sur les investissements passifs, c’est que cela va représenter un fardeau administratif épouvantable pour les entreprises. Un autre témoin a dit que c’est le comptable qui va être chargé de surveiller toutes ces catégories de placements.

Quand je pense à tout ce qui nuit à la compétitivité, je dirai qu’il y a, sur le plan macro-économique, l’incertitude de l’ALENA, et, sur le plan microéconomique, toutes les dépenses supplémentaires qu’il va falloir engager pour la tenue de livres, la comptabilité et la conformité. J’estime que c’est un handicap dont les entreprises comme la nôtre n’ont vraiment pas besoin.

Le sénateur Pratte : J’aimerais poser une question précise à M. Kepes, et ensuite, une question plus générale.

Monsieur Kepes, il y a quelque chose qui m’échappe, et je vous prie de m’en excuser. J’ai toujours pensé qu’en ce qui concerne les placements passifs, si l’entreprise réinvestit cet argent dans l’entreprise, alors il n’y a pas de taux d’imposition à 72 ou à 73 p. 100, et le problème ne se pose pas.

Si une entreprise avait des placements passifs de 3 millions de dollars et qu’elle réinvestissait ces revenus dans des dividendes, il n’y avait pas de problème. C’est bien ça?

M. Kepes : C’est bien ça, mais pas pour la raison que vous croyez, enfin d’après ce que je comprends de votre question.

Le sénateur Pratte : Je vous écoute.

M. Kepes : Si l’entreprise a 1 milliard de dollars en banque et qu’elle accumule 3 millions de dollars en revenus d’intérêts, alors vous avez raison si elle réinvestit cet argent. Autrement dit, elle ne sera pas imposée sur les 3 millions de dollars si elle les réinvestit dans ses employés et dans son parc informatique.

Vous avez raison de dire que, si l’argent est réinvesti dans l’entreprise, les 3 millions de revenus de placement ne seront pas imposés. Ce n’est pas à cause du régime fiscal, c’est parce que l’entreprise décide de réinvestir l’argent dans ses propres activités.

Le sénateur Pratte : Je ne parlais pas des revenus de placement. Je parlais du placement en soi.

M. Kepes : Vous avez raison. Si vous avez un capital de 3 millions de dollars et que, de ce montant, vous investissez 500 000 $ dans l’achat de nouveaux équipements, il vous reste 2,5 millions de dollars. Selon les règles, vous serez imposé sur les revenus de placement tirés de cette somme de 2,5 millions de dollars.

Le sénateur Pratte : Dans ce cas, ce qui compte, c’est ce que l’entreprise décide de faire avec ce placement passif? C’est ça qui compte. Si l’entreprise met cet argent de côté pour parer à d’éventuelles difficultés et que ces difficultés se présentent, il n’y a pas de problème.

M. Kepes : La seule réserve concerne le moment choisi pour le faire. Vous avez raison. Si l’entreprise réinvestit une partie de cet argent dans ses propres opérations, il restera moins de revenus de placement qui seront imposables, selon ces règles.

Ce qui pose problème, c’est le seuil de 50 000 $ à partir duquel les revenus de placement seront imposés, sur une base annuelle. Autrement dit, quelqu’un pourrait accumuler de l’épargne en 2017 en espérant la réinvestir en 2018, mais l’impôt s’appliquera en 2017. Par conséquent, même si vous mettez l’argent de côté pour parer à d’éventuelles difficultés l’année suivante ou les deux ou trois qui suivent, pour utiliser un cycle commercial typique, l’impôt va malheureusement s’appliquer sur une base annuelle. Il ne tient pas compte du cycle commercial ou des flux du fonds de roulement d’une entreprise sur une période de deux ou trois ans.

Le sénateur Pratte : Et l’impôt s’applique aux 50 000 $, quoi que vous fassiez de cet argent, même si vous le réinvestissez dans un placement passif?

M. Kepes : Oui, les 50 000 $ sont en quelque sorte sanctuarisés pour tout le monde, et c’est à partir de ce seuil que l’argent est imposé.

Le sénateur Pratte : À partir de 50 000 $, c’est imposé.

M. Kepes : Oui. À propos, 70 p. 100, c’est le maximum, mais l’argent n’est pas automatiquement imposé à ce taux-là. Quand les comptables et les avocats-fiscalistes donnent des exemples de taux marginaux, ils utilisent généralement les taux marginaux supérieurs.

C’est de là que vient ce taux de 70 p. 100. Supposons qu’une entreprise gagne 100 $ de revenus d’intérêts. En vertu des modifications proposées, elle paiera un impôt forfaitaire de 50 p. 100 sur ces 100 $, si bien qu’il lui restera 50 $. Si elle réinvestit ces 50 $ dans des dividendes à un actionnaire, l’actionnaire paiera 40 p. 100 d’impôt sur ces dividendes. Si vous ajoutez les 50 p. 100 et les 20 p. 100 d’impôt personnel, vous obtenez les 70 p. 100 qui sont fréquemment cités. Mais les 20 p. 100 payés par l’actionnaire dépendent du taux d’imposition de l’actionnaire.

Quand nous donnons des exemples, nous utilisons toujours le taux marginal supérieur. D’où le taux de 70 p. 100. En fait, le pourcentage est aujourd’hui un peu plus élevé, puisque le gouvernement a augmenté hier la taxe sur les dividendes de 1,5 p. 100. C’est ce que j’ai vu.

La sénatrice Andreychuk : Je voudrais pouvoir continuer sur le même sujet, mais j’ai des questions à poser à M. Acton et à M. Dyke. Vous avez tous les deux parlé des échappatoires, des difficultés et des complexités que vont générer ces propositions, alors que le régime fiscal est déjà fort complexe.

Nous avons discuté avec de nombreux témoins de ce que sera le critère du « caractère raisonnable ». Je ne comprends toujours pas ce que le gouvernement cherche à faire, si ce n’est augmenter ses recettes fiscales.

J’entends souvent dire que l’Agence du revenu est déjà un interlocuteur difficile. C’est l’inversion du fardeau de la preuve. Ils vous montrent du doigt, et c’est à vous de prouver votre innocence. J’ai peut-être trop longtemps travaillé dans le système pénal, mais je trouve que l’inversion du fardeau de la preuve rend les choses difficiles dès le départ.

Est-ce parce qu’il a trop écouté l’Agence du revenu que le ministre affirme aujourd’hui que cette catégorie de contribuables ne réagissent pas de façon positive en payant ce qu’ils doivent? Qu’ils trouvent toujours des façons de dire qu’ils ont donné cet argent à leur épouse, que c’est raisonnable, et cetera? Est-ce en réaction à l’agence, qui lui disait qu’il fallait absolument faire quelque chose parce que ses inspecteurs passaient trop de temps à essayer d’y voir clair? D’après ce que vous dites, les choses risquent même d’empirer, si bien que nous n’aurons pas réglé le problème.

M. Kepes : Est-ce une question que vous me posez?

La sénatrice Andreychuk : À vous ou à un autre témoin.

M. Dyke : Je ne sais pas qui conseille le ministre des Finances, et je ne me risquerai pas à avancer des hypothèses.

Quant à l’influence de l’Agence du revenu, je suis sûr qu’elle est réelle, mais pas aussi forte, à mon avis.

M. Acton : Tout comme M. Dyke, j’ignore qui lui a donné ce conseil. Je me souviens qu’il y a deux ou trois ans, pendant la campagne électorale, le premier ministre a dit qu’à son avis, les sociétés privées étaient un moyen pour les gens fortunés d’épargner de l’impôt.

Ça vient peut-être de là. Le critère du « caractère raisonnable » est intéressant parce que le conjoint d’un associé peut fort bien rester à la maison pour élever les enfants et s’occuper de toutes les tâches ménagères. Je connais surtout la situation des médecins. Ils travaillent 60 à 70 heures par semaine, et on ne peut pas dire que le conjoint n’aide pas, car c’est souvent un véritable partenariat. Il le faut, car sinon, ça ne peut pas marcher.

Avec le critère du « caractère raisonnable » et de la contribution à l’entreprise, il se peut que, techniquement, il n’y ait pas une véritable contribution aux activités de l’entreprise, mais au niveau de la famille, la contribution est énorme, car il s’agit d’une unité compacte.

M. Kepes : Je peux vous dire d’où vient ce critère du « caractère raisonnable », si c’est ce que vous voulez savoir. Tout a commencé avec l’article 67 de la Loi de l’impôt sur le revenu, qui dispose que, pour être déductible, une dépense doit être raisonnable, dans les circonstances.

Si Tensor devait un jour payer un salaire à mon épouse, l’entreprise ne pourrait déduire cette dépense que si elle est jugée raisonnable dans les circonstances.

On a fait allusion tout à l’heure, sans la nommer, à l’affaire Neuman c. La Reine, qui est allée devant la Cour suprême. M. Neuman était avocat, et son épouse était une actionnaire inactive dans la société de gestion de son mari. La société de gestion payait un dividende à l’épouse, et l’Agence du revenu estimait que ce dividende aurait dû être imposé dans le revenu de M. Neuman étant donné que son épouse n’était pas active dans l’entreprise.

L’affaire a été renvoyée devant la Cour suprême, qui a statué, en substance, qu’il n’y avait pas de différence entre les dividendes versés par une société privée et les dividendes versés par une entreprise publique. Je n’ai pas besoin de travailler à la Banque Royale pour avoir droit à des dividendes de la Banque Royale.

C’est la même chose pour les entreprises publiques. Le fait qu’elle était inactive dans l’entreprise ne lui interdisait pas de recevoir des dividendes. C’est la raison pour laquelle, en 1999, le gouvernement a décidé d’imposer les revenus fractionnés, mais seulement pour les enfants mineurs. Aujourd’hui, il propose d’imposer les revenus fractionnés des conjoints et des enfants d’âge adulte.

Il essaie de faire une distinction au niveau des actionnaires, entre l’épouse qui est inactive dans l’entreprise et l’épouse qui est active dans l’entreprise, en nous proposant le critère du « caractère raisonnable », qui comprend la contribution à la main-d’œuvre, au capital ou au risque. Voilà ce qu’il essaie de faire, pour le limiter aux dividendes versés aux conjoints ou aux enfants d’âge adulte qui contribuent réellement à l’entreprise.

Le président : On vient de m’informer que la sonnerie commencera à retentir à 16 heures pour un vote qui aura lieu à 16 h 15. Nous avons un deuxième groupe de témoins à entendre et trois autres sénateurs qui ont demandé à poser des questions.

Le temps presse. Je vous propose de poser des questions et de demander des réponses aussi brèves que possible.

Le sénateur Black : Le 19 octobre, c’est-à-dire la semaine dernière, Jack Mintz, un économiste qui écrit régulièrement dans le Financial Post, affirmait que les correctifs apportés par Morneau sont encore pires pour les entreprises et pour notre régime fiscal. Je pense qu’il voulait parler du bidouillage qui a eu lieu la semaine dernière. J’aimerais savoir ce que vous en pensez, car ce n’est que son opinion à lui. Ce qui m’intéresse, c’est ce qu’en pensent les gens qui sont en première ligne. À propos de la limite de 50 000 $ pour les revenus passifs, M. Mintz écrit :

[…] Le gouvernement se justifie en disant que cela va permettre aux petites entreprises d’accumuler des bénéfices non répartis pour financer des projets d’expansion, mais malheureusement, cela va créer un mur fiscal qui va empêcher les entreprises de s’agrandir. Quand on ajoute à cela l’augmentation des taux marginaux d’imposition sur le revenu des particuliers et sur les gains en capital, on voit bien que le régime fiscal pénalise le succès.

Êtes-vous d’accord avec lui?

M. Kepes : Non, je ne suis pas du même avis. Je sais que certains préconisent la suppression du taux d’imposition des petites entreprises, au motif que les entreprises ne veulent pas s’agrandir pour ne pas avoir à payer plus que 15,5 p. 100 d’impôt, ou quel que soit le taux.

À mon avis, cela revient à traiter les entrepreneurs de paresseux. Je ne connais aucun entrepreneur qui n’est pas désireux de développer ses activités. L’objectif de toute entreprise est de prospérer et de réussir. C’est l’unique motif qui anime les entrepreneurs.

Je ne comprends pas ce genre de commentaires. Peut-être que d’un point de vue économique, cela freine un peu la croissance parce que vous finissez par payer plus d’impôt.

Le sénateur Black : C’est ce que j’avais compris en le lisant, mais vous n’êtes pas du même avis.

M. Kepes : Je l’interprète de cette façon, mais cela ne s’applique pas à moi. Ce n’est pas le taux d’imposition qui m’empêche de développer mon entreprise, ce sont d’autres facteurs.

M. Acton : Je suis du même avis. S’agissant de la planification d’entreprise, pourquoi voudrait-on accumuler plus d’un million de dollars dans l’entreprise quand les taux d’intérêt sont à 5 p. 100? Pour ce qui est de la planification de la retraite, les médecins qui travaillent à leur compte doivent accumuler plus d’un million de dollars.

En ce qui concerne la gestion de portefeuille, nous recevons des instructions sur la façon dont nous assurons cette gestion. Ces changements risquent d’introduire des complexités ou des distorsions dans la façon de gérer un portefeuille, dans le but de limiter les revenus. C’est un drôle de chiffre. Je ne comprends pas d’où il vient ni comment ils en sont arrivés là.

M. Dyke : Il n’y a pas de doute que ce seuil de 50 000 $ est très arbitraire. Comme l’a dit M. Acton, beaucoup de médecins doivent placer de l’argent dans une société pour leur retraite. Leurs seules options maintenant sont des régimes de retraite individuels ou des conventions de retraite, des produits que Morneau Shepell offre aussi à ses clients.

M. Erikson : Je trouve moi aussi que le seuil de 50 000 $ est arbitraire, et que tous ces correctifs pénalisent les sociétés.

Le sénateur Neufeld : Merci, messieurs, de nous avoir présenté des exposés très intéressants.

J’aimerais revenir sur le sujet abordé par le sénateur Pratte, à savoir le réinvestissement de l’argent dans sa propre entreprise. La proposition du gouvernement est la suivante : soit vous réinvestissez dans votre entreprise, soit nous vous imposons pour en prélever une bonne partie. J’ai déjà eu une petite entreprise, et je trouve que la pilule est dure à avaler. Pensez-vous comme moi que c’est là l’objectif du gouvernement?

Deuxièmement, si vous aviez deux entreprises, ou si vous aviez un excédent d’argent à la suite d’une bonne année et que vous vouliez l’investir dans une autre entreprise, cela était impossible. Vous étiez alors imposé au taux supérieur, c’est bien ça? L’argent qui restait, vous pouviez l’investir dans l’autre entreprise.

Ou encore, si vous avez deux entreprises, et qu’une année donnée, l’une affiche des bénéfices et l’autre fait de mauvaises affaires, pouvez-vous transférer de l’argent de l’une à l’autre pour que celle-ci puisse survivre, ou bien êtes-vous imposé au taux supérieur, et vous transférez l’argent restant?

M. Kepes : Le seuil de 50 000 $ était censé calmer les choses, suite au tollé suscité par les nouvelles règles. Avant la création du seuil de 50 000 $, chaque dollar de revenu était assujetti à cette règle sur les investissements passifs.

J’ai l’impression que le seuil de 50 000 $ a été fixé en partant de l’hypothèse d’un taux de rendement ordinaire de 5 p. 100 sur un placement d’un million de dollars. Le taux de rendement de 2,5 p. 100 signifie qu’ils vont permettre à l’entreprise d’accumuler 2 millions de dollars avant d’atteindre le seuil de 50 000 $. Le gouvernement pense tout simplement que c’est un montant suffisant pour celui qui veut accumuler de l’épargne dans son entreprise, et qu’au-delà, les revenus sont assujettis au nouvel impôt.

Si Jack Mintz dit que cela constitue un obstacle à l’expansion de l’entreprise, c’est peut-être parce que certains cabinets comptables estiment que cela ne sert à rien de laisser de l’argent dans sa propre entreprise. Ce n’est pas parce que le taux d’imposition va empêcher une entreprise de se développer, c’est plutôt parce que ce taux d’imposition punitif va dissuader les sociétés de garder des placements passifs dans leur entreprise, et que, partant, elles vont sortir cet argent sous forme de salaire au propriétaire, par exemple.

Je passe maintenant à la deuxième question, qui portait sur la possibilité de transférer de l’argent d’une entreprise à une autre. L’une des failles du système qu’ils proposent, à part le fait que les gains en capital ne sont pas imposés de la même façon, c’est que si Tensor investit dans une autre entreprise exploitée activement et vend ensuite les actions, les actions sont assujetties au nouveau régime. Le gouvernement a dit qu’il allait essayer de prévoir des allégements d’ici au prochain budget fédéral, pour que des entreprises comme Tensor puissent investir dans d’autres entreprises en payant moins d’impôt sur les gains en capital, à condition que ce soit des entreprises exploitées activement.

Je ne sais pas si j’ai répondu à votre question, mais on est un peu dans l’expectative en ce moment.

Le sénateur Neufeld : Si vous avez deux entreprises, et qu’une année donnée, l’une fait des bénéfices et pas l’autre, vous risquez de perdre cette dernière. Pouvez-vous transférer de l’argent à partir de l’entreprise qui fait des bénéfices, comme vous l’auriez fait avant, afin d’aider celle qui est en difficulté?

M. Kepes : Je crois que rien n’a changé sur ce plan-là, mais je ne sais pas vraiment.

Le sénateur Neufeld : Quelqu’un connaît-il la réponse?

M. Dyke : À mon avis, vous pouvez toujours transférer cet argent.

Il a aussi été question de l’argent qui dort. Le gouvernement évoque régulièrement ce sujet, en parlant d’argent qui dort ou de capital improductif. C’est la raison pour laquelle il propose d’introduire ce que je considère être une véritable razzia fiscale. Que je sache, aucune société ne garde de l’argent improductif. Cet argent est toujours investi dans un portefeuille. Même si c’est investi dans une banque, celle-ci va s’en servir pour octroyer des prêts. Ce n’est donc pas de l’argent improductif.

Le sénateur Neufeld : Je suis d’accord avec vous.

[Français]

Le sénateur Forest : Je vous remercie de votre témoignage, qui est fort utile pour nous. L’objectif de toute cette démarche est de déposer un rapport au Sénat qui proposerait un régime fiscal équitable tout en créant un environnement favorable au développement économique du Canada. Je vais aborder une autre approche, car, depuis plusieurs jours, on a entendu des témoignages qui correspondent à peu près tous à l’orientation que vous nous indiquez. Vous avez dit plus tôt que vous ne saviez pas qui conseillait le premier ministre. Si vous aviez à nous conseiller, quelle serait la principale recommandation que vous nous demanderiez d’insérer à notre rapport et qui viserait la mise en oeuvre d’une fiscalité équitable permettant un environnement favorable au développement économique?

[Traduction]

M. Acton : Si j’ai bien compris, vous voulez savoir, en substance, comment rendre le régime fiscal plus équitable.

[Français]

Le sénateur Forest : Oui.

[Traduction]

M. Acton : À mon avis, ces mesures fiscales ciblent les sociétés professionnelles. Je pense que c’est le principal objectif du gouvernement. Nous voulons tous que le régime fiscal soit plus équitable. Personnellement, je m’intéresserais à deux particularités du régime : la déductibilité fiscale des options d’achat d’actions pour les PDG et les cadres supérieurs, et la répartition des revenus par l’entremise de fiducies familiales.

Cela n’aurait aucun impact sur l’activité des entreprises, aucun impact sur l’emploi, et ne devrait pas entraver la croissance comme le font les règles proposées. Je suis convaincu qu’on peut rendre le régime fiscal plus équitable et, en fait, augmenter les recettes fiscales, en modifiant ces deux particularités du régime.

D’après CBC, la déduction fiscale consentie pour les options d’achat d’actions coûte aux Canadiens près d’un milliard de dollars par an, plus exactement 800 millions de dollars par an.

M. Dyke : La dernière fois qu’il y a eu une réforme fiscale de cette ampleur, c’était il y a 45 ans. Une commission royale indépendante, la Commission Carter, a étudié la question pendant six ans, et il a fallu deux ans de plus pour mettre en œuvre la réforme.

Le gouvernement ne peut pas faire cela en 75 jours. Il est en train de faire du replâtrage, mais la maison est en très mauvais état : les fondations ne sont plus étanches et il y a des fuites dans le toit. Ce qu’il faut, c’est tout démolir et demander à un architecte de dessiner un bâtiment adéquat, mais cela prend du temps.

Le président : Sur ce, j’aimerais remercier les sénateurs et les témoins, car nous avons un deuxième groupe de témoins qui attend. Ensuite, la sonnerie va retentir à partir de 16 heures.

Par la suite, si vous jugez nécessaire de nous faire parvenir des informations supplémentaires, en fonction de ce que d’autres témoins auront dit, nous vous invitons à vous adresser à notre greffière.

Je souhaite maintenant la bienvenue au deuxième groupe de témoins. Je vous remercie d’avoir accepté notre invitation à comparaître devant notre comité pour nous présenter votre point de vue au sujet de l’étude dont nous avons été saisis par le Sénat du Canada.

[Français]

Dans notre deuxième groupe de témoins, nous accueillons Mme Joanne Sirois, présidente, Assurances Sirois Insurance Inc., M. Laurent Proulx, chef de la direction, Groupe Le Canadien et, enfin, M. Robert Boudreau, président, Robert Excavation.

[Traduction]

Madame Sirois, je dois vous faire part de l’information que j’ai reçue, à savoir que nous allons devoir nous rendre au Sénat pour un vote. Je vous présente nos excuses au nom des sénateurs.

Si vous avez besoin de nous transmettre des informations supplémentaires, je vous prie de vous adresser à notre greffière, madame Lemay.

Si j’en juge d’après le temps qui nous reste, je pense que les sénateurs vont pouvoir poser quelques questions.

[Français]

Je vous cède maintenant la parole.

Joanne Sirois, présidente, Assurances Sirois Insurance Inc., à titre personnel : Mesdames et messieurs les sénateurs, bonjour. Je m’appelle Joanne Sirois et je suis présidente d’Assurances Sirois inc. et présidente d’une compagnie d’investissements. Je vous remercie sincèrement de prendre le temps de bien vouloir entendre et recevoir nos commentaires, nos critiques et nos appréhensions à la suite des propositions de modification des lois fiscales de M. Morneau. Je ne suis pas ici aujourd’hui seulement pour représenter mes propres intérêts, mais aussi ceux des gens d’affaires de l’Est de l’Ontario et, en particulier, des petites entreprises.

J’aimerais tout d’abord porter votre attention sur la stratégie de communication actuellement utilisée par le gouvernement Trudeau qui, à mon avis, malheureusement, est fausse et biaisée. On présente les changements proposés comme étant nécessaires pour régler des échappatoires fiscales. D’après mes fiscalistes, la définition d’une « échappatoire fiscale » est la suivante : une échappatoire fiscale se produit lorsqu’un contribuable utilise ou interprète un passage imprécis ou nébuleux de la loi qui lui permet de profiter d’avantages non prévus par cette loi. Or, mes entreprises n’ont jamais profité de zones grises dans la loi, et j’imagine qu’il en est de même pour la majorité des petites et moyennes entreprises canadiennes. Nous avons toujours opéré selon les paramètres prescrits dans la loi. Il est injuste de présenter des gens d’affaires comme étant des profiteurs. Si certaines compagnies profitent des supposées « échappatoires fiscales », on vous demande de vous attarder à ces compagnies et non pas à toutes les entreprises qui suivent les règles établies et qui ont structuré leur stratégie de transfert d’entreprise selon les règles établies à l’heure actuelle.

M. Trudeau avance également que ceux qui gagnent moins que 150 000 $ ne seront pas touchés par ces changements. Or, cette affirmation est également fausse. Bon nombre de très petites compagnies seront également touchées par ces mesures. Si le gouvernement Trudeau a besoin de plus d’argent pour remplir ses coffres, je l’encourage à être honnête et à dire clairement qu’il veut plus d’argent, au lieu de manipuler l’opinion publique au détriment des gens d’affaires qui, comme moi, ont toujours respecté la loi. Nous sommes Canadiens et nous sommes honnêtes. On ne ment pas et, surtout, on ne manipule pas l’opinion publique pour faire passer sournoisement des changements qui feront du tort à des milliers d’entrepreneurs et qui influeront sur l’économie canadienne.

Actuellement, les petites entreprises ne comprennent pas vraiment ce qui arrivera et comment cela les touchera. La mise en oeuvre de ces changements n’est pas très bien précisée et l’information communiquée change constamment. M. Morneau dit qu’il apportera des précisions dans le cadre du prochain budget, qui sera présenté en mars ou avril 2018, mais que les changements au règlement sont toujours prévus pour janvier 2018. Ce n’est pas une façon convenable de procéder que de communiquer des renseignements qui changent constamment et de dire qu’on apportera des précisions après que les règlements seront mis en oeuvre.

Nous vous demandons un délai raisonnable, d’abord, pour donner au gouvernement le temps d’étudier les 21 000 documents qu’il aura reçus à l’issue de la période de consultations. Des professionnels, parmi les meilleurs experts fiscalistes du pays, se sont donné la peine de soumettre des commentaires pertinents. Le gouvernement se doit d’étudier ces commentaires, car ses premières propositions avaient de sérieuses failles. Deuxièmement, on vous demande un délai raisonnable pour donner le temps aux gens de comprendre les changements et de prendre les mesures qui s’imposent à l’égard de leurs entreprises et de leurs structures. Si vous informez les gens en avril 2018, mais que les changements ont eu lieu en janvier 2018, ils n’ont plus la possibilité de s’adapter.

Il y avait de sérieux problèmes avec les propositions initiales qui ont été avancées, surtout en matière de transfert des fermes familiales, et le gouvernement a dû reculer sur certaines de ses propositions. Toutefois, il y a encore de sérieux problèmes avec ce que propose le gouvernement. Prenons le temps de bien faire les choses et d’étudier les documents d’étude qui auront été présentés, de bien comprendre la situation et de prendre des mesures lorsque les conséquences des propositions auront été bien comprises. Vous devez comprendre qu’on fonctionne à l’intérieur de paramètres qui sont essentiellement les mêmes depuis plus de 45 ans. Laisser un ou deux mois d’avis aux entreprises pour qu’elles s’adaptent et pour que nos professionnels fassent leur travail est bien peu de temps et quelque peu injuste.

Quels sont les problèmes associés avec la proposition de M. Morneau et comment celle-ci touchera-t-elle les gens d’affaires? Mes fiscalistes m’ont affirmé qu’on insiste constamment sur la complexité de ce qui est avancé. Les comptables et fiscalistes qualifient de cauchemar les systèmes qui devront être mis en place pour suivre le vieux capital passif non assujetti aux nouveaux règlements par rapport au nouveau capital. Avec ces règlements, il sera très difficile pour les jeunes entrepreneurs de mettre de côté du capital.

En conclusion, selon moi, le Canada est un pays d’entrepreneurs où les petites entreprises sont le moteur de l’économie. Les gens qui investissent dans ces entreprises, y compris les professionnels incorporés, sont parmi les plus innovateurs, les plus éduqués et les plus tolérants aux risques de tout le pays. Ils sont également parmi les plus mobiles et, si le système fiscal leur est injuste, ils pourraient partir. Assurons-nous de protéger les intérêts de nos petites entreprises. Le Canada est reconnu de par le monde entier pour la qualité de vie qu’il offre et qui se manifeste par des valeurs, parmi tant d’autres, d’honnêteté et de transparence. Cela commence par la gouvernance. Il vous revient à vous, mesdames et messieurs les sénateurs, de vous assurer que les changements proposés sont justes.

Je vous remercie.

Laurent Proulx, chef de la direction, Groupe Le Canadien, à titre personnel : Bonjour, mesdames et messieurs, membres du comité. Je vous remercie de me donner l’occasion de comparaître devant votre comité aujourd’hui. Je m’appelle Laurent Proulx. Je suis chef de direction du Groupe Le Canadien à Notre-Dame-du-Bon-Conseil, au Québec.

Avant de commencer ma présentation, j’aimerais qu’on se mette d’accord sur un point. Ma présence ici aujourd’hui devrait représenter pour vous une forme de signal d’alarme que quelque chose ne fonctionne pas. Lorsqu’un entrepreneur de 30 ans fait sept heures de route un jour de semaine pour venir témoigner pendant 10 minutes devant un comité sénatorial, c’est qu’il y a quelque chose d’anormal.

J’aimerais vous présenter brièvement mon entreprise. Il s’agit d’un restaurant dans le village où j’habite. Quatre ans plus tard, mon entreprise a connu une croissance de 250 p. 100. Elle a une division de camions-restaurants, d’événements de divertissement et, tout récemment dans le domaine du commerce de détail, de produits pétroliers.

La réforme fiscale couvre essentiellement trois grands volets : le fractionnement du revenu, la conversion du revenu en gains en capital et les placements passifs. Dans mon cas aujourd’hui, je vais surtout axer ma présentation sur les placements passifs.

À mon avis, le fait de taxer du capital accumulé dans une entreprise est fortement nuisible à la croissance économique. Dans le domaine de l’alimentation et du commerce de détail, le capital est crucial parce que les banques hésitent à prêter de l’argent, compte tenu des taux de risque importants et des petites marges à grands volumes. On a besoin de capital pour croître. Aucune banque ne nous aide à moins que nous investissions des centaines de milliers de dollars dans un projet. Il y a une forme d’injustice à taxer cela. Quand j’entends, comme l’a mentionné Mme Sirois, que ceux qui gagnent moins de 150 000 $ ne seront pas touchés par ces changements, c’est faux, également dans la mesure où les jeunes chefs d’entreprise, comme moi, réduisent volontairement leur salaire pour laisser de l’argent à la compagnie et pour nourrir des rêves de croissance. Quand on me dit que je ne serai pas touché, je n’y crois pas. Je laisse de l’argent dans l’entreprise parce que je veux faire des acquisitions. J’emploie 40 personnes à Notre-Dame-du-Bon-Conseil et j’aimerais que mon entreprise prenne de l’expansion.

J’ai souvent entendu le premier ministre dire que le gouvernement demandera aux gens qui ont les moyens d’en faire plus. En faire plus, qu’est-ce que ça veut dire? De toute évidence, si vous taxez le capital, comme tout bon citoyen corporatif, on s’acquittera de ce que l’Agence du revenu du Canada demande. Cependant, cela ne s’arrête pas là dans mon cas. J’ai 40 employés qui comptent sur moi, et des investisseurs. Si vous prélevez plus d’argent, cela a un impact sur les comptes. Ensuite, je dois m’asseoir et travailler pour compenser cela. Il faut que je trouve des solutions. Je dois être créatif pour conserver mes marges et continuer de progresser.

C’est exactement le point sur lequel je souhaitais attirer votre attention. Dans cette réforme, le gouvernement nous demande de faire quelque chose qu’il est lui-même incapable de faire. Je ne vous énumérerai pas toutes les dépenses qu’on pourrait qualifier de plus ou moins légitimes. Je voudrais simplement vous dire que, si je me tourne vers mon banquier pour avoir plus d’argent, il va examiner mes états financiers. S’il m’a coûté 6 500 $ pour envoyer un photographe à Paris ou 12 000 $ pour trois jours de repas pour trois employés, il est probable que mon banquier me dise : « Écoute, mon homme, peut-être que tu devrais retravailler tes affaires avant de venir me demander plus d’argent. » C’est cette dynamique qui crée de l’injustice pour les entrepreneurs.

Je n’ai rien contre la classe moyenne. Je suis content qu’un gouvernement en fasse plus pour la classe moyenne. Toutefois, la mise en opposition entre la classe moyenne et les entrepreneurs, est-ce vraiment la bonne voie à prendre? Je me penche sur les dépenses du gouvernement, et je serais curieux de savoir si quelqu’un, ici dans cette salle, pouvait me dire que le gouvernement a fait tout ce qui était en son pouvoir pour élaguer toutes les dépenses superflues de son budget avant de venir demander plus d’argent aux entrepreneurs.

Je collecte la TPS puisque je travaille dans le commerce de détail. Je travaille une heure par semaine uniquement pour envoyer les remises de TPS au gouvernement du Canada. Cela totalise 52 heures par année, soit une semaine de travail. La première semaine de l’année, je la consacre à calculer ce que je vais envoyer au gouvernement par rapport à ce que j’ai prélevé aux gens qui font des achats dans mes commerces. Ce n’est pas une semaine de travail qui est rémunérée pour moi; il ne me revient rien de cela. Ce sont des dépenses en coûts de main-d’œuvre, tout bonnement.

Le capital est nécessaire à la croissance, surtout dans le domaine du commerce de détail. J’entendais parler quelqu’un plus tôt des réserves pour les temps difficiles. Je vous soumettrai bien humblement que, dans le commerce de détail, les temps difficiles peuvent arriver très vite. Tout ce qui est restauration, divertissements et loisirs, en temps de difficultés économiques, c’est la première chose qui est éliminée du budget familial. Nous sommes très susceptibles d’être touchés par les fluctuations économiques. En plus de devoir préserver du capital pour la croissance, il nous en faut aussi pour préserver l’entreprise et pour l’immuniser face aux aléas du marché et de l’économie.

En conclusion, mon intervention est très simple : avant de demander plus d’efforts et d’argent aux PME, il faudrait regarder ailleurs. J’ai entendu dire qu’une somme représentant des milliards et des milliards de dollars dort dans les coffres de certaines entreprises, mais le plafond à 500 000 $ est clairement trop bas. Moi, je représente une entreprise de 40 employés et il m’est possible de penser à dépasser ce plafond dans les années qui viennent. Pourtant, je suis loin d’être une grosse entreprise; je ne suis pas encore Alimentation Couche-Tard.

Il est important de prendre le temps d’examiner cet aspect si vous voulez vraiment suivre cette piste. Je ne vous conterai pas de mensonges; on va tout de même continuer à croître, mais cela nourrit chez nous un fort sentiment d’injustice dans la mesure où on n’est pas capable de nous faire la preuve qu’on a fait tout ce qu’on pouvait du côté du gouvernement pour élaguer le superflu avant d’en demander plus, ce qui est la base dans toutes les relations d’affaires.

Le président : Merci, monsieur Proulx. Monsieur Boudreau, la parole est à vous.

[Traduction]

Robert Boudreau, président, Robert Excavating, à titre personnel : Je porte plusieurs casquettes, celle d’entrepreneur en génie lourd, de promoteur, d’agriculteur et d’exploitant d’école. Je couvre tout le terrain, en quelque sorte.

Quand on fait une réforme, il faut prendre le temps de la préparer et d’en assurer l’impact optimal. Comme lors de la dernière réforme fiscale, le gouvernement fédéral propose encore une fois des mesures fourre-tout qui vont avoir des conséquences inattendues. Ces mesures sont beaucoup plus complexes qu’une simple augmentation ou diminution des taux d’imposition. Elles modifient les fondamentaux, dont un grand nombre sont en place depuis des décennies.

Je ne prétends pas comprendre tous les changements proposés. Je fais confiance aux professionnels pour me guider, ce que j’ai toujours fait depuis que j’ai créé mon entreprise. Le gouvernement nous dit avoir reçu plus de 21 000 lettres, dont certaines avaient plus de 100 pages, au sujet de l’impact que ces mesures auront sur nous. Ils les ont lues en deux semaines, sans envoyer de réponse dans la plupart des cas. Comme je suis un homme tout à fait ordinaire, j’ai besoin d’avoir toutes les informations avant de prendre la bonne décision. Mais là, ce n’est pas ce qui s’est produit. Et cela m’inquiète beaucoup.

Le fait qu’ils aient reçu autant de lettres et qu’ils les aient lues en si peu de temps me dit qu’ils avaient déjà pris leur décision, peu importe ce qu’en pensent les Canadiens.

La complexité et l’ambiguïté des changements proposés laissent trop de liberté à l’interprétation. N’oubliez pas qu’une réforme fiscale qui permet aux entrepreneurs d’augmenter leur trésorerie disponible a un impact positif sur notre économie. J’en ai fait l’expérience. Cela fait un certain temps que je suis dans les affaires.

Je me souviens de l’époque où, à la fin de l’année, j’avais deux options : prendre l’argent, laisser mon argent dans l’entreprise, payer l’impôt sur les sociétés, et encaisser les dividendes. À l’époque, nous étions imposés à 62 ou 63 p. 100. Il fallait que j’envoie l’argent au gouvernement à la fin de l’année. Comme j’étais entrepreneur, les retenues représentaient beaucoup d’argent. C’était de l’argent qui n’était pas payé. Il fallait donc que j’emprunte de l’argent pour poursuivre mes activités.

Et puis, en 2006, tout a changé. Tout a basculé. Le secteur de la construction au Canada a connu une récession. Nous avons été durement touchés, mais grâce aux mesures fiscales prises à l’époque, nous avons réussi à nous en sortir jusqu’à présent.

Aujourd’hui, avec tous ces changements qu’on va nous imposer, nous allons faire marche arrière. S’il arrive un autre coup dur, je ne suis pas sûr qu’un jeune entrepreneur puisse s’en sortir. Je ne comprends pas ce qui se passe. Tout ce que je sais, c’est que les choses ne vont pas s’arranger.

Quand j’étais jeune entrepreneur, je travaillais 60, 70 et même 80 heures par semaine. Ma femme restait à la maison, elle répondait au téléphone chaque fois que quelqu’un appelait. C’est elle qui a élevé nos filles et tout le reste. On travaille fort. Au bout du compte, elle travaillait aussi fort que moi, et en plus, elle devait me supporter. Et pourtant, elle ne recevait aucun salaire.

Un jour, vous êtes furieux parce que quelqu’un ne vous a pas payé. Un autre jour, vous avez des problèmes avec vos employés. Bref, il y a toujours des problèmes à régler tous azimuts. C’est une vie très stressante. Ce n’est pas tous les jours l’enfer, mais ce n’est pas facile quand même.

Il est très dangereux de dire qu’une personne n’a pas droit à un dividende parce qu’elle ne travaille pas, ou bien de lui demander des preuves de son travail, sans compter qu’on ne sait pas comment cette disposition sera interprétée. Je vous le dis, ça va être très difficile pour les jeunes entrepreneurs.

Plutôt que de répéter ce que tout le monde a dit, je vais m’arrêter là en attendant de répondre aux questions que vous voudrez bien me poser.

Le président : Monsieur Boudreau, je vous remercie beaucoup. Bravo.

La sénatrice Marshall : Merci beaucoup. Vous avez tous les trois parlé de ce qui est en train de se produire, des pressions et de l’impact que cela va avoir. Pensez-vous qu’au bout du compte, les choses vont vraiment changer?

Vous allez conserver vos entreprises. Les impôts vont augmenter. Est-ce qu’il va en résulter une diminution du nombre de sociétés privées? Que va-t-il se produire, au bout du compte?

Je sais que les changements proposés ne vous plaisent pas. Vous l’avez dit tout à l’heure, mais au bout du compte, que va-t-il se passer? Vous allez payer les nouveaux impôts et poursuivre vos activités.

Mme Sirois : Je vais vous donner un exemple, si vous le voulez bien. L’une de mes filles est allée faire des études en Suisse. Ensuite, elle est partie travailler en Chine pendant un an. Elle a beaucoup voyagé. Elle est allée en Australie. J’ai deux filles. Elles travaillent toutes les deux pour des entreprises étrangères, car dans ma famille, on va se former à l’étranger, on revient, et on rapporte de l’expertise dans l’entreprise familiale.

Nous sommes sur le point de créer une nouvelle entreprise d’importation d’œuvres d’art. Mes deux filles ont pris connaissance de la réforme fiscale proposée, et elles ont tout de suite dit : « L’une des choses qu’il va falloir décider, c’est où nous voulons implanter le siège de l’entreprise, car tu sais, maman, il n’y a plus de frontières. Il faut bien que tu comprennes. Si la loi canadienne n’est pas favorable à notre type d’entreprise, nous irons ailleurs. »

C’est ça, la nouvelle génération. Ils achètent tout sur Internet, et pour eux, il n’y a pas de frontières.

J’appartiens sans doute à l’ancienne génération, comme disaient les autres témoins. J’ai investi mon capital dans mes entreprises, et il ne faut pas y toucher. Mais qu’en est-il de ceux qui arrivent? Qui va payer pour nos futurs programmes sociaux si nos jeunes entrepreneurs ne veulent plus investir ici? Très franchement, le Canada n’est plus un eldorado. Qu’est-ce qui va arriver?

Le témoin du groupe précédent a eu raison de dire que c’était une réforme radicale, la plus importante en 45 ans, mais que vous allez bâcler en 75 jours.

La sénatrice Marshall : Monsieur Proulx, quand je vous regarde, je me dis que vous appartenez à la jeune génération. Qu’est-ce que tout cela va donner à votre avis? Vous nous avez parlé de votre entreprise, vous avez même employé les mots injuste et inique, mais au bout du compte, qu’est-ce qui va changer pour vous?

M. Proulx : Au bout du compte, il y aura un impact, c’est sûr. Je pense avoir le niveau d’éducation nécessaire pour être capable de comprendre cette réforme. Mais en fait, elle est tellement compliquée que je ne suis pas capable de répondre à votre question au sujet de l’impact qu’elle aura. C’est encore trop tôt.

Mais il y aura un impact, c’est sûr. Personnellement, je n’envisage pas de quitter le Canada. Je suis bien implanté au Québec, et je veux continuer d’y faire des affaires. Je n’ai donc pas l’intention de partir. Si je suis venu ici aujourd’hui, c’est parce que vous nous demandez de faire plus sans nous avoir convaincus que vous aviez fait tout ce que vous pouviez.

Ce que je veux dire, c’est qu’avant de nous demander de faire plus, le gouvernement devrait éviter d’aller faire des dépenses à Paris qui n’ont rien à voir avec la classe moyenne.

Pour répondre à votre question, je dirai que je n’en sais rien encore, mais ce qui est sûr, c’est que lorsque le premier ministre dit qu’il va demander aux gens de faire plus, pour moi, faire plus ce n’est pas seulement payer plus. Une fois que j’ai payé, je dois retourner travailler et trouver le moyen d’augmenter mes revenus ou de réduire les coûts pour absorber ce nouvel impôt.

La sénatrice Marshall : J’aimerais simplement préciser que le Sénat n’est pas responsable de cette réforme fiscale, c’est le gouvernement.

M. Proulx : Je sais.

La sénatrice Marshall : Ce n’est pas la même institution.

M. Proulx : J’en suis parfaitement conscient, mais étant donné que je ne suis pas député, je compte sur vous pour transmettre mon message à qui de droit.

La sénatrice Marshall : Merci.

[Français]

Le sénateur Pratte : Merci de vous être déplacés pour venir nous rencontrer aujourd’hui. Ce qui m’étonne dans les commentaires que vous avez faits, c’est que j’ai l’impression que c’est comme s’il ne s’était rien passé la semaine dernière. Le gouvernement a tout de même annoncé plusieurs changements dans les réformes proposées. Entre autres, il a abandonné certains volets importants de la réforme et il a annoncé et confirmé cette semaine la réduction du taux d’imposition sur la déduction pour les petites entreprises. Il y a tout de même plusieurs changements qui ont été apportés, qui ont même été assez bien accueillis par plusieurs groupes qui étaient très critiques de la réforme au départ. Ces changements et la diminution du taux d’imposition ne sont-ils pas de nature à vous rassurer, à calmer vos inquiétudes?

Mme Sirois : Vous avez annoncé une réduction du taux...

Le sénateur Pratte : Ce n’est pas moi personnellement, c’est le gouvernement. Ce n’est pas pareil.

Mme Sirois : Le gouvernement a annoncé un taux de réduction, et quand M. Trudeau a présenté cela, il a dit que c’était pour nous redonner plus de 7 000 $ dans le but de nous permettre d’employer des gens. Premièrement, ce fameux 7 000 $ concerne uniquement les grandes entreprises. De plus, on n’emploie pas grand monde avec 7 000 $ aujourd’hui, on s’entend là-dessus.

En outre, y a-t-il quelqu’un qui a pensé aux frais honoraires professionnels supplémentaires qu’on devra payer seulement pour tenir compte de ce que vous nous demandez de gérer maintenant? La complexité du système que vous proposez va entraîner des frais honoraires supplémentaires qui, selon certains, pourraient dépasser les gains créés par la diminution du taux d’imposition qui sera appliqué, qui passera de 10,5 à 9 p. 100, je crois.

Je tiens à ajouter également que le fait que vous ayez dit que les fermes familiales ne seraient plus touchées par ces mesures m’a sérieusement fait douter de la personne qui a pensé à inclure le transfert de fermes familiales dès le début. C’est comme si cela n’avait pas été réfléchi dès le départ. On a décidé de lancer cette initiative et de voir ensuite comment les gens réagiraient. Je crois qu’ils ont été étonnés de la réaction. Je n’ai jamais été passionnée de politique de ma vie, mais je suis assise ici pour vous adresser la parole tellement je trouve que cela a été fait de façon aberrante.

Je vois le gouvernement libéral qui joue le jeu, pour plaire à la population, parce qu’il y a beaucoup plus de gens de la classe moyenne qui votent. C’est sérieux, ce n’est pas une matière pour acheter des votes. On parle d’une refonte de la loi de l’impôt, on parle de transférer des fermes familiales. Voulez-vous boire du lait qui vient des États-Unis et qui contient des agents de conservation ou voulez-vous maintenir les fermes familiales canadiennes afin que la population canadienne ait accès à des aliments frais provenant du Canada? Cela n’a pas été bien réfléchi.

M. Proulx : Sénateur, je suis heureux que vous posiez cette question, parce que j’y ai réfléchi également. La nouvelle du gouvernement d’abaisser le taux d’imposition à 9 p. 100, personnellement, je trouve que c’est une excellente chose. Je crois qu’un bas taux d’imposition pour les entreprises est garant d’une bonne croissance économique.

Cela dit, Mme Sirois a soulevé une partie de la question. Si cette réforme vise seulement à améliorer la croissance économique en abaissant le taux d’imposition, c’est parfait, mais si elle vise à compenser le fait de prélever par la suite une taxe sur du capital, je vous soumets bien humblement qu’il serait préférable de laisser le taux de taxation à 11 p. 100, parce que, par la suite, la différence entre 11 et 9 va me coûter plus cher en fiscalistes et en comptables.

Je vous soumets une proposition : le gouvernement aurait avantage à laisser le taux à 11 p. 100, il va sauver du temps. C’est compliqué, faire un changement fiscal. Cela coûte cher en main-d’oeuvre à la fonction publique, en toutes sortes de frais connexes, en frais de consultation. Cela coûte de l’argent à la classe moyenne. Si le plan est de compenser cela, laissez-le tel quel et ce que vous épargnerez en frais de consultation, redonnez-le à la classe moyenne. C’est aussi simple que ça.

Vous changez quelque chose et, par la suite, vous faites une autre modification dont les effets seront atténués par une réduction du taux d’imposition. Tant qu’à faire, ne changez rien, et ce que vous épargnerez en frais, vous pourrez le redonner à la classe moyenne, et je serai très heureux.

Le sénateur Forest : Merci beaucoup de votre témoignage. C’est vraiment intéressant de connaître votre réalité au quotidien sur le terrain.

En passant, ce n’est pas nous qui prélevons les taxes et qui faisons la gestion. Notre responsabilité, et l’objectif du comité, est de vous entendre et d’en arriver à déposer un rapport qui, on le souhaite, pourra influencer les décisions du gouvernement.

Monsieur Proulx, j’admire votre dynamisme. Vous avez parlé particulièrement des placements passifs. Selon vous, c’est la principale contrainte. Il y a quatre grands éléments dans la réforme, vous en avez soulevé un tantôt, mais cette espèce d’allégement du taux d’imposition, c’est ce qui serait le plus pénalisant dans le développement de vos entreprises, selon vous.

M. Proulx : Tout à fait. C’est directement lié à la croissance. Maintenant, sur le fractionnement du revenu et les autres volets, en toute honnêteté et mis à part toute partisanerie, je pense qu’il y a matière à débat, dépendamment du salaire des gens. C’est vrai que les entrepreneurs prennent une forme de risque et il y a toutes sortes d’éléments qui sont sujets à débat quant au fractionnement du revenu, par exemple.

Par contre, la raison pour laquelle j’ai fait sept heures de route pour discuter avec vous pendant 15 minutes — ce dont je suis très reconnaissant, par ailleurs —, c’est que, personnellement, mon objectif ultime, comme entrepreneur de 30 ans, c’est la croissance. Je réduis volontairement le salaire que je gagne pour investir dans l’entreprise afin d’être prêt à une éventuelle occasion d’affaires.

En ce moment, probablement dans toutes les provinces, mais particulièrement au Québec, tous les spécialistes s’entendent pour dire que d’ici cinq ans, il y aura de 40 000 à 50 000 entreprises à vendre au Québec. Les gens qui ont bâti de belles entreprises et qui arrivent à un certain âge voudront vendre ces entreprises, et il faut du capital pour les acheter. Ce n’est pas vrai qu’on peut simplement financer, financer et financer; il faut mettre de l’argent sur la table. De plus, les cédants veulent encaisser, et avec raison. Ils veulent retirer leur argent pour prendre leur retraite. Ils en ont assez fait.

Il faut donc de l’argent pour la croissance, et c’est pour cette raison que je suis ici, pour les placements passifs, qui sont le nerf de la guerre.

[Traduction]

Le président : Je vais demander aux deux sénateurs de poser leurs questions afin que nous puissions ensuite aller voter. Nous demanderons aux témoins de répondre par écrit.

Le sénateur Oh : J’aimerais savoir quelles sont les conséquences sexospécifiques de cette réforme fiscale.

Le gouvernement fédéral s’est engagé à faire une analyse des conséquences sexospécifiques des mesures envisagées, pour les sociétés privées.

Mais des femmes médecins qui se sont constituées en sociétés nous ont dit qu’avec la réforme proposée, il leur sera beaucoup plus difficile de payer leurs frais généraux, de mettre de l’argent de côté pour un congé de maternité et pour la retraite, et cetera.

Pensez-vous qu’avec la courte période de consultation qu’il a organisée, le gouvernement fédéral a réussi à se faire une bonne idée des conséquences sexospécifiques de la réforme qu’il propose?

[Français]

La sénatrice Moncion : Mon intervention concerne le commentaire au sujet des 21 000 soumissions qui ont été reçues il y a deux semaines, et que le gouvernement n’a pas eues. La majorité des soumissions reçues se ressemblent dans les réformes proposées et dans les commentaires reçus.

Il est intéressant d’entendre votre point de vue d’entrepreneur sur le terrain. Vous nous apportez une vision différente de ce qu’on a entendu jusqu’à présent des deux groupes de témoins. Les entrepreneurs qui ont témoigné plus tôt nous ont présenté un point de vue différent et qui était très intéressant. Vous n’avez donc pas fait la route pour rien.

Vous avez parlé de l’accès au capital qui est difficile. Vous avez parlé de la question du capital passif. Je crois qu’une compagnie comme la vôtre, qui est en croissance, sera moins touchée au début, mais au fur et à mesure que vous allez vous développer et réaliser des gains, vous subirez probablement le contrecoup de la réforme.

Depuis 2008, il y a eu la crise du papier commercial adossé à des actifs qui est venue brouiller toutes les pistes en ce qui concerne le financement des petites et moyennes entreprises, et il est devenu de plus en plus difficile, pour les entrepreneurs comme vous trois, de trouver du financement. Or, c’est depuis les six ou sept dernières années qu’il y a eu une croissance du capital passif. C’est un phénomène qui s’est développé.

Le président : Vous avez une question, sénatrice?

La sénatrice Moncion : Je n’ai pas de question, comme je vous l’ai dit plus tôt. Ce n’était qu’un commentaire que je voulais transmettre aux témoins.

Le président : Merci beaucoup, sénatrice. En ce qui concerne la question posée par le sénateur Oh à nos témoins, notre greffière vous transmettra la question exacte et vous pourrez y répondre par écrit.

Je vous remercie.

(La séance est levée.)

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