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NFFN - Comité permanent

Finances nationales

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Finances nationales

Fascicule n° 45 - Témoignages du 6 novembre 2017 (séance de l'après-midi)


VANCOUVER, le lundi 6 novembre 2017

Le Comité sénatorial permanent des finances nationales se réunit aujourd’hui, à 13 h 2, afin d’étudier les modifications proposées par le ministre des Finances à la Loi de l’impôt sur le revenu concernant l’imposition des sociétés privées et les stratégies de planification fiscale connexes.

[Traduction]

Le sénateur Mockler : Honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue à cette séance du Comité sénatorial permanent des finances nationales. Je vois que nous avons le quorum. La séance est ouverte.

Je suis Percy Mockler, sénateur du Nouveau-Brunswick. Je demanderais aux sénateurs de bien vouloir se présenter, en commençant par ma gauche, s’il vous plaît.

Le sénateur Pratte : André Pratte, Québec.

La sénatrice Andreychuk : Raynell Andreychuk, Saskatchewan.

Le sénateur Oh : Sénateur Oh, Ontario.

La sénatrice Marshall : Elizabeth Marshall, Terre-Neuve-et-Labrador.

Le sénateur Mockler : D’autres sénateurs devraient arriver sous peu. Nous accueillons aujourd’hui nos deux témoins de Vancouver.

Notre comité poursuit son étude spéciale sur les modifications proposées à la Loi de l’impôt sur le revenu. Le Sénat du Canada nous a confié le mandat suivant : que le Comité sénatorial permanent des finances nationales soit autorisé à étudier, en vue d’en faire rapport, les modifications proposées par le ministre des Finances à la Loi de l’impôt sur le revenu concernant l’imposition des sociétés privées et les stratégies de planification fiscale connexes, et, plus particulièrement : la répartition du revenu; la détention de placements passifs dans une société privée; la conversion du revenu régulier en gain de capital; que le comité porte une attention particulière aux répercussions des changements proposés sur : les petites entreprises et les professionnels constitués en société; la croissance économique et les finances publiques; l’équité de l’imposition des différents types de revenu; et d’autres questions connexes; et que le comité présente son rapport final vers le 15 décembre au plus tard.

Je vais attendre avant de présenter officiellement les témoins, parce que je vois que trois autres sénateurs viennent d’arriver. Mesdames, monsieur, pourriez-vous s’il vous plaît vous présenter?

La sénatrice Jaffer : Mobina Jaffer, de la Colombie-Britannique.

Le sénateur Neufeld : Sénateur Neufeld, Colombie-Britannique.

La sénatrice Cools : Sénatrice Anne Cools, de Toronto, Ontario.

Le sénateur Mockler : Honorables sénateurs, nous accueillons M. Charles Lammam, directeur, Études fiscales, de l’Institut Fraser. Nous accueillons également M. Kevin Milligan, professeur d’économie à l’Université de la Colombie-Britannique.

Notre greffière m’a avisé que M. Lammam allait présenter son exposé en premier. M. Milligan présentera le sien ensuite. Vous avez chacun environ cinq minutes, puis nous passerons à la période de questions.

Charles Lammam, directeur, Études fiscales, Institut Fraser : Je vous remercie de l’occasion de témoigner à propos des modifications proposées par le gouvernement fédéral à l’imposition des sociétés privées. J’espère que ce que j’ai à dire vous sera utile et éclairera vos discussions sur ces importantes questions d’ordre public.

Comme cela a déjà été mentionné, je suis le directeur des études fiscales à l’Institut Fraser, un groupe de réflexion autonome et impartial axé sur les politiques économiques. La mission de l’institut est de mesurer l’impact des politiques gouvernementales et de communiquer en termes simples aux Canadiens les façons dont ces politiques influencent leur vie et la vie des générations futures.

Mon témoignage aujourd’hui reflète mes propres opinions et mon expérience. Ce que je vais dire ne correspond pas nécessairement aux positions des autres membres du personnel, des chercheurs affiliés ou du conseil d’administration.

Je tiens pour acquis que le comité a déjà pris conscience des aspects techniques des modifications proposées par le gouvernement. Mes commentaires seront donc surtout axés sur les points auxquels, selon moi, on n’a pas accordé suffisamment d’intérêt. Avant de commencer, je veux féliciter le gouvernement d’avoir entrepris d’examiner le code des impôts annoncé dans le budget de 2016.

Le régime d’imposition du revenu des particuliers au Canada est devenu, au fil des ans, de plus en plus complexe et de moins en moins concurrentiel. C’est donc une bonne chose qu’on ait décidé de le réformer. L’un des facteurs qui sous-tendent cette complexité croissante est la prolifération de crédits d’impôt ultraciblés, des crédits d’impôt accordés à certains groupes et certaines personnes, qui ne sont aucunement efficaces sur le plan économique. Mes collègues de l’Institut Fraser et moi avons publié une étude dans laquelle nous avons élaboré un plan détaillé que le gouvernement du Canada pourrait adopter pour simplifier considérablement le régime fiscal et stimuler la croissance économique.

Je suis en faveur d’une réforme fiscale, mais le gouvernement a choisi d’adopter une approche fragmentaire qui est bien loin de la réforme fiscale exhaustive dont le Canada a présentement besoin. Les modifications proposées relativement à l’imposition des sociétés privées ne règlent pas les problèmes sous-jacents qui poussent les gens à utiliser de tels moyens pour leur planification fiscale en premier lieu.

La planification fiscale exige d’importantes ressources financières. Les entrepreneurs, y compris les professionnels, doivent dépenser d’importantes sommes d’argent en services comptables et frais d’avocat s’ils choisissent ces options.

Malgré tout, ces dépenses sont justifiées, puisque les coûts connexes sont inférieurs aux avantages que l’on peut tirer d’une diminution du taux d’imposition effectif. Le plus important, toutefois, c’est que les économies d’impôt réalisées varient en fonction des écarts massifs entre les taux d’imposition des différents types et fourchettes de revenu.

Par exemple, un professionnel peut transférer son revenu à son conjoint ou sa conjointe dont le revenu est plus faible ou peut-être même à un enfant sans revenu. Dans ce genre de cas, un taux d’imposition faible peut s’avérer très avantageux.

Disons qu’un médecin est imposé au taux d’imposition fédéral maximal de 33 p. 100. S’il transfère son revenu à son conjoint ou à sa conjointe qui travaille seulement à temps partiel et dont le taux d’imposition fédéral est le moins élevé, soit, 15 p. 100, le taux d’imposition marginal sera nettement plus faible grâce à ce transfert. Dans la même situation, le transfert serait encore plus avantageux s’il était fait à un enfant majeur sans revenu.

Ces différences sur le plan fiscal expliquent pourquoi certaines personnes décident d’utiliser ce genre de stratégies. Les gens y seraient moins portés si le gouvernement réduisait les écarts entre les taux d’imposition, puisque, d’emblée, c’est exactement les avantages que l’on recherche avec la planification fiscale. Malheureusement, le gouvernement a procédé de la manière inverse et a agrandi l’écart en portant le taux d’imposition fédéral maximal de 29 à 33 p. 100.

En augmentant l’écart fiscal, le gouvernement fédéral, ainsi que plusieurs gouvernements provinciaux encouragent, par inadvertance, davantage les professionnels et les entrepreneurs admissibles à recourir à ces stratégies.

L’adoption de nouvelles règles pour décourager le recours à ce genre de stratégies comme le propose le gouvernement fédéral ne suffiront probablement pas, à elles seules, à régler les causes profondes du problème. Les comptables et les avocats seront simplement forcés de trouver de nouvelles façons de contourner les nouvelles règles pour leurs clients. Le risque intrinsèque à la proposition du gouvernement est que des modifications pourraient compliquer davantage le système sans changer quoi que ce soit au problème fondamental.

Une solution plus efficace serait d’éliminer de façon simultanée — ou, du moins, de réduire considérablement — les écarts entre les taux d’imposition présents dans le régime actuel. Cette solution permettrait de réduire les avantages de la planification fiscale.

Cependant, le gouvernement a aggravé le problème, en particulier en ce qui a trait à l’imposition des placements passifs, avec la réduction prévue de 10,5 à 9 p. 100 du taux d’imposition pour les petites entreprises. La réduction du taux d’imposition des petites entreprises risque d’exacerber un problème actuel : cela dissuade les petites entreprises de prendre de l’expansion.

La réduction du taux d’imposition des petites entreprises veut dire que les petites entreprises ont une nouvelle raison de ne pas chercher à s’agrandir. Selon des études, l’énorme écart fiscal entre le taux d’imposition des petites entreprises et celui des entreprises d’autres tailles tend à décourager la croissance. Une fois que la modification du taux d’imposition des petites entreprises sera entrée en vigueur partout, les petites entreprises qui passent à une autre catégorie devront affronter une augmentation de plus de 60 p. 100 de leur taux d’imposition. En outre, les mesures fiscales provinciales qui vont dans le même sens viennent empirer le problème.

De façon générale, les modifications proposées à l’imposition des sociétés privées ne sont qu’un exemple récent du message négatif que le gouvernement envoie, avec son approche en matière de politique fiscale, aux travailleurs qualifiés, aux entrepreneurs et aux investisseurs du Canada.

Au cours des deux dernières années, plusieurs idées ont été soulevées dans le cadre du débat public sur la modification du régime fiscal canadien. Certaines idées ont été mises en œuvre, d’autres ont été modifiées, tandis que d’autres ont été abandonnées ou remises à plus tard. Un thème commun à ces changements revient à cibler les mieux nantis à cause de l’idée erronée selon laquelle les personnes à revenu élevé ne paient pas leur juste part en impôt. Nous pourrons approfondir le sujet pendant la période de questions.

Cette approche, conjuguée à la rhétorique du gouvernement dans ses communications publiques, envoie malencontreusement le message aux Canadiens et au reste du monde que le Canada est un endroit où il n’est pas aisé de travailler ou de faire des affaires. Cela mine les efforts de notre pays pour attirer des travailleurs qualifiés, des entrepreneurs et des investisseurs. La situation est particulièrement délicate, étant donné les réformes fiscales visant à promouvoir la croissance économique adoptées par nos voisins du Sud. Merci.

Le sénateur Mockler : Merci.

Monsieur Milligan, allez-y.

Kevin Milligan, professeur, Département d’économie, Université de la Colombie-Britannique, à titre personnel : Je vous remercie de l’invitation à témoigner. Les propositions fiscales relatives aux sociétés privées publiées en juillet ont bien entendu soulevé une certaine controverse, mais je crois que les modifications proposées en octobre représentent, jusqu’à un certain point, une amélioration globale.

Au sujet de la répartition du revenu, je ne vois aucune bonne raison pour laquelle nous devrions permettre aux propriétaires de sociétés privées de répartir leur revenu avec des membres de leur famille, tandis que cela est interdit au reste des Canadiens. Je suis en faveur de la proposition d’appliquer les règles relatives à l’impôt sur le revenu fractionné aux autres membres de la famille.

Au sujet des placements passifs, en 1960, la Commission royale d’enquête sur la fiscalité, la commission Carter, avait indiqué dans ses recommandations que le régime fiscal ne devrait ni encourager ni dissuader la conservation de l’épargne au sein d’une société. Je suis d’avis que les modifications proposées contribueront à cet objectif en équilibrant l’imposition sur l’épargne conservée à l’intérieur de l’entreprise ou placée à l’extérieur.

Il est important de souligner que le gouvernement, en s’attaquant à ces deux mécanismes d’évasion fiscale, propose un ensemble de mesures qui serviront à rétablir les visées initiales de notre régime fiscal des entreprises, conformément à ce qui avait été énoncé dans l’exposé budgétaire de 1971 par le ministre des Finances, M. Edgar Benson. À l’époque, M. Benson soutenait, quand il avait présenté la mesure fiscale, que notre objectif devait être de veiller à ce que le régime fiscal des petites entreprises encourage les entrepreneurs à investir activement dans leur entreprise, et non d’y laisser dormir leurs épargnes. Le contexte devait être propice à l’investissement dans l’économie et dans les entreprises.

Sur ce point, j’aimerais discuter d’une section des propositions révisées, soit la partie où il est question de réduire le taux d’imposition des petites entreprises de 10,5 à 9 p. 100. Il est crucial de comprendre exactement les conséquences que cela entraînerait.

Dans un contexte où le fractionnement du revenu est restreint et où les placements passifs sont imposés autant à l’intérieur qu’à l’extérieur d’une entreprise, tout ce qu’il convient de faire avec les bénéfices non répartis est de les réinvestir dans l’entreprise, parce que cela présente maintenant un incitatif fiscal. On réinvestit dans les activités commerciales concrètes de l’entreprise.

De mon point de vue, c’est une bonne chose. Cela correspond à l’objectif énoncé initialement par le ministre des Finances en 1971. La réforme, en éliminant les autres possibilités de placements extérieurs, encourage les entrepreneurs à investir là où nous voulons qu’ils investissent, soit dans les activités pertinentes de leur entreprise.

Nous venons justement d’entendre, relativement à ce que je viens de dire, qu’il existerait un obstacle fiscal à cause de l’écart entre le taux d’imposition des petites et des grandes entreprises. J’ai deux choses à dire en réponse à cela. D’abord, les données montrent qu’il y a très peu d’entreprises dont le chiffre d’affaires approche de la limite de 500 000 $ où une petite entreprise devient une grande entreprise. En réalité, peu d’entreprises doivent s’en préoccuper.

Ensuite, il y a l’écart entre le taux d’imposition des petites et des grandes entreprises : en 1980, l’écart était de plus de 20 points de pourcentage; dans les années 1990, il était de 16 points de pourcentage; et en 2019, il sera probablement de 6 points de pourcentage. Aujourd’hui, il s’établit à 4,5 points de pourcentage, et il s’élèverait, par rapport à 6 points de pourcentage. Comparativement à avec l’écart qui existait par le passé, c’est un bien piètre obstacle.

Pour conclure, je serais en faveur d’un examen exhaustif du régime fiscal, notamment celui des entreprises. Ce serait une bonne chose. Je ne vois aucune raison pour laquelle cela ne devrait pas être fait. Je crois aussi que nous devrions faire tout en notre pouvoir pour tirer parti au maximum du régime en vigueur, en ce qui concerne les déductions accordées aux petites entreprises. Je crois que cette proposition permettrait de prendre les déductions accordées aux petites entreprises actuellement afin de réorienter le régime vers ses objectifs initiaux, soit créer un contexte propice pour que les Canadiens puissent investir dans l’exploitation active de leur entreprise. Merci.

Le sénateur Mockler : Merci beaucoup.

La sénatrice Jaffer : Merci à vous deux de vos exposés.

Il y a une question que j’aimerais poser. Le gouvernement n’a pas mené d’évaluation des retombées économiques des modifications proposées à la Loi de l’impôt sur le revenu, y compris de la réduction du taux d’imposition des petites entreprises.

Selon vous, quels seraient les impacts économiques des changements proposés sur la Colombie-Britannique?

M. Lammam : C’est vrai, cela n’a pas été fait. Nous avons tout récemment été informés des impacts potentiels sur les revenus. La mise à jour relative à la situation financière a été publiée il y a quelques semaines.

Selon moi, un sujet qui est loin d’être suffisamment abordé dans le cadre de la discussion tient aux effets de ses modifications fiscales sur les incitatifs. Les études économiques ont démontré que les hausses fiscales ont un effet sur le comportement des gens. Avec ces modifications, il est peu avantageux de travailler davantage ou de prendre des risques. Les gens seront donc moins susceptibles d’agir en ce sens.

Un point qui n’a pas été soulevé du tout dans le cadre de la discussion publique est le fait que les changements comportementaux découlant de ces modifications économiques vont ralentir l’activité économique.

On tient pour acquis qu’un médecin ne va pas changer son horaire de travail en réaction à la modification du taux d’imposition, mais ce n’est pas ce que les études montrent. L’idée que les professionnels vont travailler le même nombre d’heures sans ajuster leurs tarifs et refiler l’augmentation du taux d’imposition à leurs clients ne se reflète pas dans les données à notre disposition.

Ce n’est pas seulement ce que font les mieux nantis relativement aux placements passifs qui sera touché, il y aura aussi des changements dans les comportements. Les investissements ou les montants disponibles vont diminuer, et cela se fera ressentir dans l’économie.

Je suis d’accord avec vous quant au fait qu’il y a des lacunes importantes, mais il faut savoir prendre la situation dans son ensemble et non se restreindre uniquement aux effets potentiels entraînés par la réduction du taux d’imposition des petites entreprises. Clairement, ma position est différente de celle de M. Milligan. La première fois que j’ai été informé de ces données, c’était au comité fiscal Mintz, en 1997; les données montraient que les petites entreprises ont moins tendance à prendre de l’expansion. D’une année à l’autre, elles ne dépassaient pas le seuil de revenu pour les petites entreprises.

Je prédis que nous allons voir de moins en moins de croissance chez les petites entreprises et que moins d’entre elles vont devenir des leaders sur la scène mondiale. Il y aura aussi de plus en plus de planification fiscale cherchant à tirer parti du taux d’imposition des petites entreprises et d’autres avantages de notre régime fiscal pour les petites entreprises.

Dans l’ensemble, tous les changements proposés récemment, conjugués aux modifications précédentes adoptées par le gouvernement — comme l’augmentation du taux d’imposition marginal —, auront un effet négatif net sur les perspectives de croissance du Canada.

M. Milligan : Je vous remercie de la question. Je vais y répondre en deux parties. Premièrement, il faut réfléchir à ce qui se passe au sein d’une entreprise lorsqu’elle fait du profit. Présentement, il y a un incitatif à garder l’argent, sans l’utiliser, dans l’entreprise, où le taux d’imposition est moins élevé que si l’argent était placé à l’extérieur de l’entreprise. Cela est attribuable à la façon dont l’épargne passive est imposée au sein d’une entreprise.

Il y a aussi un incitatif actuellement de refiler l’argent à vos enfants ou à votre partenaire conjugal, qui ne travaillent peut-être pas, à cause de la façon dont le régime fiscal fonctionne pour le fractionnement du revenu entre les enfants majeurs et les conjoints.

Dans les faits, une fois que la réforme aura restreint ces deux possibilités, les entrepreneurs vont se demander : « D’accord, l’entreprise a réalisé un profit. Qu’est-ce que nous faisons avec l’argent maintenant? » L’incitatif le plus fort maintenant est de réinvestir l’argent dans l’entreprise. Je crois, par rapport à l’analyse économique des principes, que les petits entrepreneurs vont investir davantage dans l’exploitation active de leur entreprise. C’est une bonne chose, selon moi.

Ensuite, il faut que le climat soit propice, de façon générale, au retour de l’entrepreneuriat et des investissements. Nous en avons besoin de plus au Canada, c’est pourquoi il est important d’examiner également la réduction du taux d’imposition des petites entreprises sous cet angle. Le fardeau fiscal global des petites entreprises va s’alourdir dans certains domaines, et diminuer dans d’autres. C’est un peu un mouvement de balancier. Avec un peu de chance, tout devrait s’équilibrer.

Je vais me faire l’écho du premier point soulevé par M. Lammam et dire que ce serait bien que le gouvernement entreprenne une analyse microéconomique et macroéconomique de la situation afin d’avoir aisément accès à des données.

La sénatrice Jaffer : De nombreux témoins nous ont dit que nous aurions besoin qu’une commission d’enquête parlementaire examine de façon exhaustive notre structure fiscale, vu sa complexité. Le régime fiscal est loin d’être simple aujourd’hui, et on nous a aussi parlé d’avocats et de comptables. Il n’y a pas eu d’autre commission depuis la commission Carter, et j’aimerais savoir ce que vous pensez tous les deux d’une réforme en profondeur de la fiscalité.

M. Lammam : J’appuierais cette initiative à 100 p. 100, complètement et fortement. Si j’ai un problème avec les modifications proposées, ce n’est pas parce que, prises de façon isolée, elles sont mauvaises. C’est plutôt qu’on ne s’attaque pas au problème de façon holistique. Si vous voulez freiner la planification fiscale dans un domaine, mais que vous maintenez les incitatifs du régime fiscal qui encouragent les gens à faire de la planification fiscale, alors il est très peu probable que les modifications proposées réussiront à atténuer ce phénomène, parce que les raisons pour lesquelles les gens font cela existeront toujours. L’énorme écart entre les taux d’imposition qui encourage les gens à faire cela en premier lieu sera toujours là.

Prenons une vue d’ensemble au lieu de nous attarder uniquement aux modifications proposées qui toucheront les petites entreprises et regardons la façon dont le gouvernement a éliminé certains crédits d’impôt ultraciblés dans le régime fiscal. Le gouvernement avait l’occasion de supprimer les allégements fiscaux inefficaces. Ces dépenses fiscales ou crédits d’impôt ultraciblés sont la raison pour laquelle notre régime fiscal est si compliqué. C’est parce qu’ils ont proliféré au cours des 20 dernières années.

Au lieu de les éliminer et de saisir l’occasion d’adopter une approche concurrentielle en réduisant d’un montant égal les taux d’imposition marginaux et d’améliorer notre régime fiscal, le gouvernement s’est contenté, dans l’ensemble, de réduire un taux et d’en augmenter un autre. Il n’a pas entrepris le même genre de réforme globale qu’en 1987, où la situation était similaire. Beaucoup de ces dispositions spéciales ont été retirées du régime d’imposition des particuliers, mais, en réaction, le gouvernement a utilisé les recettes pour réduire considérablement les taux d’imposition marginaux.

Je vois dans tout cet exercice — où beaucoup d’avantages politiques sont en jeu — une occasion manquée, si je peux dire. Le gouvernement doit déployer beaucoup d’efforts afin de modifier certaines caractéristiques du régime fiscal auxquelles les gens se sont habitués, mais il a peut-être aussi raté l’occasion de vraiment changer les choses pour le mieux. Voilà ce que je reproche le plus aux modifications fiscales à l’étude aujourd’hui et, dans l’ensemble, à ce que le gouvernement a fait au cours des deux dernières années.

M. Milligan : Il ne fait aucun doute dans mon esprit qu’il serait utile de réaliser un examen exhaustif du régime fiscal. Je crois que la Commission royale d’enquête sur la fiscalité a pris cinq ans pour réaliser ses travaux dans les années 1960. Récemment, en 2010-2011, le Royaume-Uni a entrepris un tel examen. Il lui a fallu quelques années pour l’accomplir aussi, mais c’était du très bon travail. Ce n’est pas la première fois que ce genre de chose est fait, et nous pourrions recommencer.

Il faudrait voir à moyen terme, parce que cela va prendre un certain nombre d’années. Ce serait toutefois possible de faire les deux. Certaines parties du régime fiscal ont besoin d’être examinées immédiatement, et ce dont il est question ici est l’une de ces parties. Je serai heureux de vous expliquer pourquoi. Je crois que nous pourrions nous pencher là-dessus, et, parallèlement, entreprendre un examen exhaustif afin de réformer en profondeur le régime fiscal.

J’ai une dernière chose à dire, à propos de ce qu’on obtiendrait après le grand examen de la commission royale d’enquête. Avec un peu de chance, on obtiendrait un régime fiscal simplifié. Je crois que nous pouvons tous nous entendre pour dire que ce serait une bonne chose, mais je ne suis pas sûr que le nouveau système comprendrait des écarts moins importants entre les taux d’imposition des particuliers et des entreprises. Cela est attribuable au fait que les écarts entre les taux d’imposition des particuliers et des entreprises se sont creusés au cours des 20 dernières années dans tous les pays du monde, mis à part aux États-Unis. C’est parce qu’ils veulent maintenir un régime d’impôt sur le revenu des particuliers progressif.

La façon dont on pourrait réduire l’écart serait d’abandonner le régime d’impôt sur le revenu des particuliers progressif. Je ne crois pas que ce soit ce qu’il faut faire, et je ne sais pas ce qu’il adviendrait si on entreprenait de réformer de façon exhaustive le régime fiscal.

Le sénateur Mockler : Monsieur Lammam, avez-vous d’autres renseignements à nous donner ou des commentaires à faire?

M. Lammam : Oui, j’ai deux ou trois choses à dire. Premièrement, le régime fiscal au Canada est déjà très progressif. L’idée que ce n’est pas le cas vient de la perception erronée du gouvernement selon laquelle les mieux nantis sont capables de payer peu d’impôt. Dans les faits, c’est faux, c’est même à 100 p. 100 faux. Actuellement, les contribuables dans le premier percentile du revenu paient 21 p. 100 de tout l’impôt fédéral et provincial sur le revenu, et leur revenu est égal à 10 p. 100 du revenu du pays. Leur fardeau fiscal équivaut au double de leur pourcentage du revenu.

Le gouvernement a beaucoup parlé de l’équité fiscale, mais il a omis de définir quelles mesures il utilisait pour juger de l’équité. Quand vous avez un groupe en particulier dont l’imposition sur le revenu équivaut au double de son pourcentage de revenu, il faut se poser la question : « Est-ce trop progressif? » Le Canada est l’un des pays les plus progressistes au monde sur le plan fiscal, en donnant à un petit groupe de contribuables le fardeau de payer une grande partie de l’impôt sur le revenu des particuliers.

Juste pour clarifier, c’est important que nous discutions de ce qui se passe concrètement dans notre régime d’impôt sur le revenu des particuliers, parce qu’on donne au public beaucoup d’information erronée à propos du fait que les contribuables aux plus hauts revenus ne paient pas assez.

Il y a un point que j’aimerais mettre en relief, et j’aimerais aussi expliquer pourquoi nous avons besoin de réformer l’ensemble du régime fiscal. Au Canada, l’unité d’imposition est le particulier, mais nous avons des programmes de transfert où l’unité est la famille. Il y a donc un écart, qui se creuse de plus en plus, en particulier maintenant que les transferts gouvernementaux se font entre différentes unités, qui peuvent, à nouveau, varier énormément d’un pays à l’autre.

L’une des raisons pour lesquelles les gens vont fractionner leur revenu, pour reprendre l’un des termes à la mode, c’est qu’ils souhaitent répartir leur revenu. Ils réagissent à l’iniquité horizontale où certains ménages ont des revenus similaires, mais imposés différemment parce que, dans un ménage, un des contribuables a un revenu plus élevé, alors que dans l’autre famille, deux contribuables ont le même revenu combiné, mais un revenu inférieur distinctement, ce qui fait qu’ils paient moins d’impôt. Voilà une des raisons qui expliquent pourquoi nous sommes maintenant confrontés à ce genre de problème.

Le temps est opportun maintenant d’entamer ce genre de discussion difficile sur ce que devrait être la bonne unité d’imposition au Canada. Chaque solution présente des avantages et des inconvénients, bien sûr, mais il convient d’examiner la situation dans son ensemble maintenant que toutes ces questions sont soulevées.

La sénatrice Marshall : Ma question s’adresse à M. Milligan. Je dois admettre que j’ai été très intéressée de vous voir comparaître devant le comité, parce que je savais que vous aviez été conseiller pour le Conseil consultatif sur l’économie du Parti libéral et que vous étiez au ministère des Finances l’automne dernier. Je me disais que vous pourriez nous fournir quelques renseignements que nous n’avons pas pu obtenir de la part des représentants du ministère des Finances.

J’ai été quelque peu surprise, après avoir étudié les propositions initiales, de vous entendre dire dans votre déclaration liminaire que les révisions représentaient une amélioration globale. Qu’entendiez-vous par cela?

M. Milligan : Merci de poser la question. À titre de précision, j’ai fait partie, en 2016, d’un comité d’examen qui a étudié les dépenses fiscales dans le régime d’impôt sur le revenu des particuliers et le régime d’imposition des sociétés.

La sénatrice Marshall : Oh, vous n’avez pas travaillé sur cette proposition.

M. Milligan : Ce n’est pas mon œuvre ici. Dans le cadre du travail de ce comité, nous avons fourni des conseils sur toutes sortes de choses touchant le régime fiscal, mais c’est le ministère des Finances qui l’a fait.

La sénatrice Marshall : Je me suis dit que vous pourriez peut-être nous fournir quelques tuyaux à ce sujet, mais poursuivez.

M. Milligan : J’ai été aussi surpris que tout le monde, en juillet, lorsque cette proposition est sortie.

Pour répondre à votre question, quelques raisons expliquent pourquoi je voyais cela comme une amélioration. Avec les mesures touchant le revenu passif, on propose maintenant une exemption de 50 000 $. J’ai deux choses à dire à ce propos. D’abord, même avec cette exemption, 88 p. 100 du revenu passif continueraient d’être visés. Autrement dit, même avec cette exemption de 50 000 $, 88 p. 100 du revenu passif continueraient d’être imposés en vertu du nouveau système. Cela vous montre que cela touche particulièrement la tranche des revenus les plus élevés que vous voyez ici.

Ensuite, l’exemption de 50 000 $ concerne beaucoup de gens et beaucoup des préoccupations soulevées en juillet, en août et en septembre. Des médecins qui économisaient en vue de leur congé de maternité ou d’autres propriétaires d’entreprise qui économisaient à l’intérieur de leur société afin de réaliser d’autres investissements devraient économiser énormément pour que le revenu par rapport à ces économies dépasse les 50 000 $. C’est pourquoi je me suis dit que c’était une bonne initiative. Je me suis dit que c’était une bonne chose d’instaurer ce genre d’exemption.

La sénatrice Marshall : Pensez-vous que ce seuil est trop bas?

M. Milligan : Je pense en réalité qu’on a frappé dans le mille. Si vous le faites passer à l’échelon supérieur, vous allez finir par exempter une partie de plus en plus grande du revenu passif. On en vient à un point où cela ne vaudrait plus la peine de le faire du tout. Si le seuil est trop bas, vous commencez à toucher plus de petites entreprises qui utilisent peut-être des bénéfices non répartis pour composer avec les fluctuations de leur entreprise.

J’ai considéré les 50 000 $ de revenu par année comme un rendement de l’investissement de 5 p. 100, ce qui correspondrait à environ un million de dollars d’économies. Je me suis dit que c’était à peu près le bon montant pour trouver le juste équilibre entre ces deux préoccupations.

La sénatrice Marshall : Qu’en est-il de la réduction du taux d’imposition pour les petites entreprises? Appuyez-vous cette mesure ou pensez-vous que l’écart entre le taux d’imposition sur le revenu des petites entreprises et celui qui s’applique au revenu des particuliers est maintenant trop grand?

M. Milligan : Grâce aux mesures relatives au revenu passif et au fractionnement du revenu qui sont en place, cela resserre en quelque sorte le système, de telle façon que les préoccupations liées à l’utilisation qu’en font les petites entreprises comme abri fiscal plutôt que comme outil légitime ont diminué, parce qu’il y a maintenant moins de possibilités de planification fiscale.

Je pense que les inquiétudes au sujet du taux d’imposition pour les petites entreprises ont diminué par rapport à ce qu’elles auraient été sans cette réforme. Que le fait d’abaisser le taux d’imposition des petites entreprises soit ou non une bonne initiative, je dirais que bon nombre des préoccupations sont exagérées. Je pense qu’on pourrait adopter d’autres mesures pour remplacer le système entier de déductions accordées aux petites entreprises par d’autres mesures qui pourraient se révéler meilleures pour la croissance et les investissements.

Dans le contexte du système de déductions accordées aux petites entreprises que nous avons, je n’ai pas l’impression que la différence est grande entre un taux de 9 p. 100 ou de 10,5 p. 100.

La sénatrice Marshall : Monsieur Lammam, lorsque le ministre a comparu devant le comité la semaine dernière, je lui ai posé une question au sujet de son utilisation du terme « argent improductif laissé à dormir » lorsqu’il a donné une entrevue au Globe and Mail l’automne dernier. Il a fait mention de tout cet argent improductif laissé à dormir dans des sociétés privées.

Pouvez-vous commenter son allusion à l’argent improductif laissé à dormir qui concernait, je suppose, les bénéfices non répartis?

M. Lammam : Je n’ai pas de commentaire particulier sur la perception qu’a le ministre de ce qui se passe avec les petites entreprises, mais j’aimerais parler de la question de la réduction du taux d’imposition des petites entreprises ainsi que de l’exemption.

Toutes proportions gardées, si le taux d’imposition des petites entreprises chute, vous aurez créé par inadvertance un incitatif pour les gens qui sont admissibles à un montant inférieur à l’exemption, les gens qui ont un million de dollars ou moins, pour qu’ils utilisent les véhicules concernant la planification fiscale.

Soyons clairs : cela ne règle pas le problème sous-jacent, ça l’empire. J’ai des opinions bien arrêtées à ce sujet, parce que je crois que nous devrions avoir un taux unique. Je ne pense pas que nous devrions avoir un régime fiscal qui dicte si c’est avantageux d’être une petite ou une grande société.

À cet égard, je pense que c’était une mauvaise initiative. C’était une mauvaise politique lorsqu’elle a été proposée par le gouvernement précédent, et je pense que c’est maintenant une mauvaise politique qui va de l’avant. Nous devons nous rappeler qu’il y a des taux préférentiels provinciaux pour les petites entreprises. Par exemple, celui du Manitoba est de zéro.

La sénatrice Marshall : C’est exact.

M. Lammam : Lorsque vous les additionnez, nous parlons d’une mesure dissuasive importante, associée à d’autres caractéristiques du système fiscal, pour que les petites entreprises puissent croître. Parfois, vous ne le voyez pas vraiment, parce que les entreprises sont divisées en unités de plus en plus petites, et vous ne voyez donc en réalité pas immédiatement le comportement dans les données.

La sénatrice Marshall : J’ai une dernière question pour M. Milligan. Mon bureau a échangé des courriels avec vous concernant les revenus additionnels que le gouvernement va percevoir comme résultat de cette initiative. En ce qui concerne l’impôt sur le revenu fractionné, l’estimation était de 250 millions de dollars. Je sais que, dans une entrevue, le ministre a dit qu’en ce qui concerne le revenu passif, il serait question de multiples de 250 millions de dollars. Maintenant, compte tenu des révisions qu’il a récemment fait paraître, le montant sera inférieur à cela.

Pourriez-vous nous donner une petite idée ou nous fournir quelques commentaires en ce qui concerne les revenus additionnels qui doivent être perçus par le gouvernement?

M. Milligan : Bien sûr. La première réponse, et elle est fondamentale, c’est que le gouvernement n’a pas encore été clair à ce propos. Je ne suis pas sûr si c’était durant la mise à jour ou dans une entrevue ultérieure, mais j’ai entendu le ministre dire, au cours de la semaine de la mise à jour financière de l’automne, qu’il y aurait plus de renseignements à ce sujet dans le cycle budgétaire habituel, en février ou en mars, lorsqu’il se produira.

La sénatrice Marshall : En 2018.

M. Milligan : Je ne crois pas que nous ayons tous les renseignements en ce moment, mais je peux dire que, dans le document de juillet, on avait exprimé l’intention selon laquelle les économies existantes bénéficieraient d’une clause de droits acquis, ce qui veut dire qu’aucun changement ne serait apporté au traitement des économies se trouvant déjà dans une société. Cette disposition ne s’appliquera qu’à l’avenir.

Les possibilités d’interprétation de la façon exacte dont cette mesure sera mise en œuvre sont nombreuses. Cela n’a pas encore été exprimé clairement. J’espère, comme bon nombre d’entre vous l’espérez peut-être, obtenir ces précisions lorsque le budget sera annoncé, en février ou en mars. Jusqu’à ce moment, on ne peut que spéculer.

Cependant, pour cette raison, ce que je peux dire, c’est que peu importe la façon dont on s’occupe de la prospective ou de la clause de droits acquis, le changement du revenu entrera graduellement en vigueur au fil du temps. Ce ne sont que les nouvelles économies accumulées qui seront touchées par les nouvelles règles. Les revenus supplémentaires apparaîtraient donc, parce que le paquet d’économies existant ne serait pas assujetti aux nouvelles règles.

La sénatrice Marshall : Pour ce qui est du revenu passif, ce n’est probablement pas si élevé au début, mais cela devrait augmenter.

M. Milligan : Peu importe où cela commence, cela va certainement augmenter en raison de l’aspect de la clause de droits acquis qui y est rattachée. De nouveau, ces détails devront être clarifiés à mesure que nous allons de l’avant.

La sénatrice Marshall : Monsieur Lammam, avez-vous des choses à dire à ce sujet?

M. Lammam : Au risque de paraître comme un disque rayé, je me questionne au sujet de l’exemption, de l’aspect final de la législation en ce qui concerne les restrictions liées au fractionnement du revenu. Lorsque vous additionnez tout cela, le degré de complexité intégré dans le régime d’impôt sur le revenu des particuliers en plus de ce que nous avons aujourd’hui, outre les frais administratifs que devra assumer l’Agence du revenu du Canada pour mettre en application la nouvelle législation, me semble assez préoccupant. Je pense que nous sommes tous d’accord ici pour dire, ou peut-être que nous ne le sommes pas, qu’il y a un vaste consensus entre les Canadiens selon lequel notre régime d’impôt sur le revenu des particuliers est trop complexe. Ces changements compliqueront davantage notre système.

Puis, la question que vous devez vous poser c’est, pour quelle raison? Nous attaquons-nous au problème sous-jacent? Je ne pense pas que nous le fassions.

Le problème sous-jacent, c’est que nous avons des taux d’imposition différentiels qui encouragent les gens à effectuer une planification fiscale. Dans certains cas, lorsque vous êtes dans la province de l’Ontario, vous faites face à un taux d’imposition marginal le plus élevé de 53,5 p. 100. Les gens utilisent ces mécanismes pour réduire leur fardeau fiscal parce qu’ils ont des taux d’imposition marginaux très élevés.

De fait, nous avons le taux d’imposition marginal le plus élevé du monde anglophone en ce moment. Jusqu’à récemment, il se classait au sixième rang de 35 pays industrialisés.

Occupons-nous de la raison pour laquelle nous assistons à de la planification fiscale avant de complexifier le système davantage. C’est ma préoccupation fondamentale par rapport à ces propositions.

La sénatrice Marshall : Merci.

Le sénateur Pratte : J’ai quelques questions. La première, monsieur Milligan, concerne le fractionnement du revenu. J’imagine qu’il serait assez simple de dire très simplement que les enfants adultes et les conjoints n’ont pas du tout le droit de recevoir des dividendes. Dès qu’on arrive à la question de la contribution et à ce qui constitue une contribution raisonnable, les choses se compliquent. Nous arrivons ensuite à l’aspect de la complexité que M. Lammam a mentionné.

Lorsque les gens de l’ARC sont venus témoigner la semaine dernière, ils ont eux-mêmes dit que c’était une situation difficile, ce que je ne trouve pas très rassurant. Êtes-vous inquiet par rapport à cet aspect des choses, par rapport à la complexité que suppose l’application du critère du caractère raisonnable à la contribution par les conjoints et les enfants adultes?

M. Milligan : Merci de poser la question. Pour commencer, en tant qu’économiste, je pense que le principe qui consiste à permettre un traitement égal des personnes, avec et sans les sociétés, est important. C’est pourquoi j’appuie le mouvement vers l’élargissement de l’impôt concernant les règles relatives au revenu fractionné pour les membres de la famille.

Maintenant, si on réfléchit à l’application de cette méthode, j’ai des préoccupations par rapport à la mise en œuvre. En octobre, nous avons entendu le ministre dire qu’il prévoit simplifier cette méthode. Nous n’avons pas vu ces détails. Ce sont de bonnes questions à poser.

En même temps, je pense que nous avons la technologie. Nous pouvons trouver une façon de l’appliquer. Je ne l’élimine pas comme quelque chose qui est au-delà de notre capacité, mais je pense qu’il est important de demander comment on le fera, et nous n’avons pas encore vu des détails suffisants pour l’instant.

Le sénateur Pratte : Quel genre de contributions seraient raisonnables à votre avis? Par exemple, la question du conjoint d’un propriétaire de petite entreprise qui ne travaille pas en tant que tel pour l’entreprise, mais qui élève les enfants nous a été présentée. Le conjoint élève les enfants, mais partage d’une certaine façon les risques associés à l’entreprise, sans travailler directement pour la société. Le conjoint élève les enfants, et, sans ce travail, l’entreprise ne pourrait pas exister. S’agirait-il d’une contribution raisonnable?

M. Milligan : Je n’ai pas beaucoup de sympathie pour cet exemple particulier, parce que n’importe qui d’autre qui a un emploi pourrait aussi avoir une personne de soutien à la maison qui facilite son travail et son emploi. Au Canada, nous avons décidé que l’unité d’imposition serait le particulier. Cela signifie que nous devons reconnaître les propres efforts des personnes et ne pas considérer l’unité familiale comme l’unité d’imposition.

En général, si on pense à la façon dont nous mesurerions les contributions, à savoir si ce serait la génération d’idées, la contribution de capital ou la fourniture d’un travail, on va s’adapter exactement aux limites que le gouvernement prévoit fixer à cet égard.

M. Lammam : Permettez-moi de faire une supposition ici, à cette table, et nous la réexaminerons une fois que cela sera adopté.

Peu importe le critère, vous verrez probablement des conjoints et des enfants adultes qui le respecteront. S’il s’agit de déclarer davantage d’heures au travail, vous verrez probablement un nombre accru de gens s’employer à respecter les règles.

De nouveau, le problème, c’est qu’il existe des taux d’imposition différentiels. Ils encouragent les gens à profiter des stratégies de planification fiscale. La façon dont vous pouvez régler cela, c’est en réduisant ces taux d’imposition différentiels, non pas en les augmentant, soit, en passant, ce que nous avons fait au cours des deux dernières années à l’échelle fédérale et au cours des sept dernières années si on inclut les provinces.

Le sénateur Pratte : J’ai une dernière brève question sur les données que nous utilisons pour mesurer le nombre de SPCC qui sont touchées par ces changements et ce que le gouvernement nous a dit.

Monsieur Milligan, je pense que vous avez utilisé vous-même des données aujourd’hui, par exemple, par rapport au fractionnement du revenu qui est utilisé par les SPCC, qui seraient par conséquent touchées. Moins de 3 p. 100 des SPCC dépassent le seuil de 50 000 $ et seraient donc touchées.

Nous avons demandé à de nombreux témoins représentant les chambres de commerce et d’autres entités s’ils croyaient que ces données sont exactes. Ils ont systématiquement répondu que non. Ils pensent qu’un nombre bien plus grand de leurs membres que ce que ces données montrent maintenant sont touchés.

Avez-vous quelque chose à dire à ce sujet?

M. Lammam : Ce que je veux dire par rapport à cela, c’est que nous avons essentiellement créé un système à deux niveaux. C’est correct d’avoir des investissements passifs avec des actifs pouvant aller jusqu’à 1 million de dollars, mais ce n’est pas correct par la suite. À mon avis, cela en dit long sur la stratégie plus vaste qu’on envisage, c’est-à-dire signaler aux Canadiens et aux gens situés à l’extérieur du Canada qu’on n’accepte tout simplement pas ici ceux qui réussissent le mieux. Il y aura des taux d’imposition de plus en plus élevés.

Permettez-moi de faire une petite digression. Avec les contraventions pour excès de vitesse, nous voulons que l’amende augmente à mesure que vous dépassez la limite. Ce n’est pas le genre de comportement que nous souhaitons. Nous ne voulons pas que les gens fassent des excès de vitesse partout sur les routes. Le fait de gagner un revenu est un genre d’entreprise productive où des gens prennent des risques, ont l’esprit d’entreprise et prospèrent; vous ne voulez pas avoir la même stratégie où vous pénalisez des gens à des taux d’imposition marginaux de 53,5 p. 100. Cela va essentiellement envoyer aux personnes qui ne sont pas encore là le signal selon lequel, une fois qu’elles seront prospères, elles seront essentiellement pénalisées par l’intermédiaire du système fiscal.

De même, avec l’exemption touchant les investissements passifs, je m’inquiète du fait qu’en créant un autre palier avec le taux général d’imposition du revenu des sociétés et l’exacerbation de l’écart existant entre les deux, nous envoyions les mauvais signaux à un moment où il y a des perturbations économiques importantes. Au Canada, les investissements des entreprises après l’inflation ont baissé de près de 20 p. 100 depuis 2014. Les investissements des entreprises sont radicalement faibles. Nous avons vu une perte de confiance des dirigeants de petites et grandes entreprises au pays.

Des renégociations de l’ALENA sont possibles. Il y a beaucoup de vents contraires au Canada et une possible réforme fiscale favorable à la croissance au sud de la frontière.

Plutôt que d’aller dans une direction qui rend notre pays plus accueillant pour les investissements et les travailleurs qualifiés, nous allons dans l’autre sens. C’est ma préoccupation avec ces niveaux additionnels et le genre de langage qui est utilisé. Le ministre des Finances a dit dans une entrevue, et je cite : « Nous allons poursuivre et viser les riches. » Ce type de langage et de rhétorique est inutile à un moment où nous faisons face à des perturbations importantes.

M. Milligan : Pour répondre à la question, j’ai beaucoup confiance dans les données. Permettez-moi de vous dire pourquoi. C’est parce que j’ai vu des réponses semblables de chercheurs différents à l’intérieur et à l’extérieur du gouvernement, qui utilisent des sources de données différentes et des approches différentes pour arriver à peu près au même point.

Par exemple, en ce qui concerne le fractionnement du revenu ou le versement sélectif de dividendes, je me reporte à un article rédigé par David Macdonald, du Centre canadien de politiques alternatives. Nous pouvons comparer cela aux estimations du professeur Michael Wolfson, d’Ottawa, et à celles de l’intérieur du gouvernement lui-même. Ce sont trois différentes sources de réponses qui se ressemblent. C’est de là que provient ma confiance. J’aime toujours voir des chercheurs différents avec des approches différentes qui arrivent à la même réponse. Cela augmente vraiment mon niveau de confiance. Je n’ai pas les mêmes préoccupations que d’autres au sujet des données.

La sénatrice Andreychuk : Je veux revenir sur la croissance de l’économie au Canada. Je siège au Comité sénatorial permanent des affaires étrangères. Nous passons beaucoup de temps à répondre à un gouvernement qui a dit que nous devons faire croître notre économie et que la croissance devrait se faire dans les petites et moyennes entreprises, l’épine dorsale du Canada. Notre ministre du Commerce est maintenant en Asie à la recherche de débouchés pour les petites et moyennes entreprises.

Par rapport à ce contexte, vous dites que c’est correct. Nous savons que les difficultés surgissent des menus détails, mais nous nous inquiétons par rapport aux 3 p. 100 qui seront piégés. Je me demande ce qu’il adviendra du risque. La conclusion globale de toutes les bonnes personnes comme vous qui viennent témoigner devant les autres comités a été celle-ci : « Nous sommes vraiment un pays qui tient le risque en aversion. Ce que nous devons faire, c’est créer, utiliser les meilleurs esprits que nous avons et leur donner une chance. »

Vous commencez dans votre sous-sol, ou peu importe où vous êtes, avec toutes les nouvelles technologies. Comment leur donnons-nous plus d’incitatifs pour être créatifs et concurrentiels à l’échelle internationale? La préoccupation, c’est que la croissance ne se fera pas seulement au Canada. Nous ne survivrons pas si nous ne pouvons pas le faire à l’étranger.

Comment pouvons-nous leur signaler qu’ils sont vraiment la plaque tournante et l’élément important? Nous ne voulons pas qu’ils restent petits. C’est une chose lorsque vous parlez d’une exploitation familiale. Les propriétaires veulent juste que leurs enfants terminent leurs études, et c’est tout. La créativité des industries de service, des industries des technologies et des industries du domaine cybernétique jaillit souvent lorsqu’un esprit créatif prend un risque. N’enverrions-nous pas des signaux comme quoi il faut viser à devenir plus grand et plus intelligent? Comment pouvons-nous faire cela dans ce contexte?

Vous dites que les difficultés surgissent des menus détails. Quels détails mettriez-vous là-dedans pour le créer? Je vais commencer par M. Lammam, puis M. Milligan.

M. Lammam : Je pense que c’est une excellente question. Vous pouvez imaginer ma position. Il y a un ensemble élargi d’initiatives stratégiques qui se concrétisent, mais, en ce qui concerne l’imposition, les taux marginaux vont dans la mauvaise direction. La hausse des impôts pour les travailleurs les plus qualifiés et éduqués n’est pas le genre de politique qui va attirer et retenir les travailleurs les plus qualifiés.

Lorsque nous parlons des changements concernant les petites entreprises, le fait de décourager la croissance n’est pas le genre de changement qui va favoriser la croissance des entreprises. Cela ne va pas encourager les chefs de file mondiaux. Nous voulons le prochain Google au Canada. Nous voulons le prochain Microsoft au Canada.

Vous devez créer les conditions économiques au moyen des politiques. Les gouvernements ne peuvent pas contrôler l’industrie qui va prendre de l’expansion, mais ce qu’ils peuvent faire, c’est établir les bonnes politiques-cadres pour encourager cela.

Je n’arrive pas à me rappeler maintenant si c’était plus tôt au cours de l’année ou l’année avant cela qu’on a proposé d’augmenter le taux d’inclusion pour l’impôt sur les gains en capital. Ce type de politique fiscale est hautement dommageable pour l’innovation et l’entrepreneuriat. Nous n’avons pas besoin de parler de toutes les conséquences économiques négatives de la simple idée de mettre cette idée sur la table puis de la retirer. Le ministre des Finances n’a toujours pas clairement dit si la proposition concernant l’augmentation du taux d’inclusion pour les gains en capital est sur la table.

Les sociétés novatrices s’appuient sur les changements de la façon dont les options d’achat d’actions sont imposées parce qu’elles n’ont pas de revenu, au tout début de leur aventure, lorsqu’elles utilisent des méthodes non éprouvées, des technologies et des produits non éprouvés. Elles s’appuient sur ce type de compensation, et le gouvernement parlait en mal de l’augmentation des impôts sur les options d’achat d’actions. Il n’a toujours pas dit si cette proposition était toujours sur la table. Il y a toute une gamme de politiques fiscales qui vont à l’encontre de ce que vous voulez, je crois, de ce que je veux et de ce que tous les Canadiens veulent, soit une économie robuste avec des sociétés qui croissent, qui prouvent leur productivité et qui créent les emplois que les Canadiens veulent et les revenus que les Canadiens veulent.

Vous n’obtenez pas cela si vous avez des politiques qui vont à l’encontre de ces fins. Malheureusement, c’est ce que nous avons eu au cours des dernières années au pays.

M. Milligan : Je comprends vos objectifs. Je pense que ce sont les bons. Nous voulons des gens créatifs pour démarrer des entreprises au Canada. Nous voulons fournir des mesures incitatives pour leur permettre de croître. Nous voulons fournir le vaste environnement social et économique qui va les pousser à vouloir être ici et croître.

Permettez-moi de soulever quelques points à ce sujet. Imaginez que vous devez concevoir un régime fiscal pour encourager ces choses. Je pense que la dernière chose que vous voudriez faire, ce serait de permettre à des gens de fractionner le revenu entre les membres de la famille.

Pourquoi donc? Parce que cela retire 250 millions de dollars et les remet essentiellement à des familles choisies au hasard. Peu importe si vous avez de bonnes idées. Peu importe si vous investissez dans votre entreprise. Ce qui compte, c’est que vous avez des enfants d’un certain âge, que vous êtes marié et avez un conjoint à la maison, contrairement à d’autres qui ne sont pas mariés.

Ce ne sont pas des choses pour lesquelles nous voulons fournir des incitatifs. Nous voulons lancer des mesures incitatives pour les gens qui ont de bonnes idées et qui font des investissements.

De plus, nous ne souhaitons pas un système selon lequel nous voulons que vous placiez vos revenus, sans les utiliser, dans la société. Nous voulons vous fournir des mesures incitatives pour que vous investissiez dans votre société. Si on élimine le fractionnement du revenu et les investissements passifs, vous avez des mesures incitatives pour investir dans la société et la faire croître.

Pour terminer, je pense à la façon dont nous pouvons faire venir le prochain Google ou le prochain Microsoft au Canada. Je n’étais pas à Seattle dans les années 1980 avec Bill Gates; mais si j’y avais été, et si ses amis et lui étaient dans un genre de garage à réfléchir à leur entreprise, je ne pense pas qu’ils se demandaient ce qui se passerait si le taux d’imposition des gains en capital était de 45 p. 100 plutôt que de 50 p. 100. Non, ils voulaient changer le monde. Ils voulaient trouver des employés qui leur permettraient de contribuer à changer le monde.

Le fait d’aider à construire une société où les gens veulent arriver, veulent sentir qu’ils en font partie intégrante et qu’ils peuvent faire croître leur entreprise et attirer de nouveaux employés de partout dans le monde : voilà les choses qui aident à construire cet environnement.

Les impôts sont importants. Je suis économiste. Je ne vais pas vous dire qu’ils ne le sont pas, mais nous devons y réfléchir dans le portrait plus général. Je vois ici dans la structure globale que, dans le cadre de cette réforme, le régime fiscal va mettre l’accent sur des mesures incitatives à l’investissement. Il va aussi sensibiliser davantage des entrepreneurs éventuels au fait que le Canada est un endroit équitable qui a une bonne société où ils peuvent amener leur famille et faire croître leur entreprise.

M. Lammam : Oui, en tant qu’économiste, j’ai été heureux d’entendre M. Milligan concéder que les impôts sont importants. Certes, c’est confirmé dans les données probantes, mais tout tient aux taux marginaux. Si vous avez un taux d’imposition plus élevé... Cela ne fait pas en sorte que les gens s’en vont. Cela tient aux effets du taux marginal. C’est la façon dont les économistes étudient ces choses. À ce chapitre, vous voulez aller dans une direction qui aide votre cas, plutôt que lui nuire. C’est le but.

Les impôts jouent assurément un rôle important dans la prise de décisions des gens. Ce n’est pas la seule chose qui compte, mais il s’agit d’établir un cadre de politiques et, ensuite, de savoir ce que la prochaine politique fait afin d’aider à créer les conditions pour que la bonne entreprise puisse ou non prospérer. Malheureusement, de nouveau, je ne crois pas que nous fassions les bonnes choses.

La sénatrice Andreychuk : Je poursuis sur ce point; beaucoup des petites entreprises qui deviennent moyennes, particulièrement dans le domaine agricole, ont dit qu’il y avait d’autres enjeux que les impôts. Je ne vais pas aborder celui des entreprises intergénérationnelles, mais elles ne pouvaient obtenir du capital nulle part. Elles ont dû se constituer en société pour être en mesure d’obtenir certains types de crédit. Elles ont dû se constituer en société pour obtenir certains types d’assurance.

Je comprends que ce sont des revenus passifs, mais ce qu’elles disaient, c’est qu’elles travaillaient et cherchaient les outils pour aller de l’avant. Elles ne considèrent pas cela comme des placements passifs. Elles considèrent cela comme leur propre capacité d’établir un fonds de trésorerie, si vous voulez l’appeler ainsi, pour prendre de l’expansion ou faire face à des temps difficiles ou quoi que ce soit d’autre.

En ce moment, des incendies ont dévasté certaines cultures. Il faudra de trois à sept ans pour récupérer. Les entreprises disent qu’elles ne peuvent rien obtenir ailleurs. À moins que nous ne construisions d’autres structures pour elles, elles mettent les revenus de côté pour les temps difficiles. Ce n’est pas passif. C’est vraiment un mode de gestion de crise, bien plus encore parce qu’elles ne peuvent obtenir les leviers que les grandes entreprises peuvent se procurer.

Diriez-vous que leur commentaire est juste ou qu’elles ne voient pas le portrait d’ensemble?

M. Milligan : Je pense que c’est un commentaire juste et que c’est pourquoi je soutiens l’exemption d’un montant pouvant aller jusqu’à 50 000 $ du revenu, ce qui équivaut à environ un million de dollars d’actifs. Je vais être clair. Dans la tranche supérieure des sociétés qui dépassent le seuil de 50 000 $ qui seront touchées, le montant moyen du revenu passif, et non pas des actifs, est de 500 000 $ par année. On parle de gens qui ont énormément d’actifs. Les types d’agriculteurs et d’entreprises agricoles dont vous parlez seront exemptés en vertu de cette mesure d’exemption.

Ce que nous voyons, c’est que les sociétés restantes qui seront visées par la mesure sont celles qui, dès le départ, ont des revenus extraordinairement élevés. Les mesures qui ont été révisées en octobre devraient permettre d’atténuer ces préoccupations.

La sénatrice Andreychuk : Sauf que, si vous regardez l’agriculture d’aujourd’hui... Essayez d’acheter une moissonneuse-batteuse. On se retrouve vraiment à devoir dépenser des millions de dollars si on veut faire fonctionner une exploitation agricole plutôt modeste ces jours-ci. C’est pourquoi nous perdons des agriculteurs. Le seuil est-il là?

Le sénateur Mockler : Monsieur Lammam, vous vouliez faire un commentaire, puis nous passerons au sénateur Neufeld.

M. Lammam : Oui. Je veux parler un peu de l’exemption. Il n’y a vraiment aucune justification économique concernant l’exemption de 50 000 $. Je pense que M. Milligan serait d’accord avec ce point. Il n’y a rien qui est exprimé, mis à part un chiffre arbitraire de un million de dollars d’actifs, en présumant un rendement annuel de 5 p. 100.

À mon avis, vous soulevez un point important. Cette exemption unique est-elle appropriée, étant donné des circonstances différentes? Vous ne trouverez jamais un niveau d’exemption qui est acceptable pour tous parce que tout le monde aura un point de vue différent. C’est le problème lorsque vous commencez à créer des exclusions particulières dans le régime fiscal qui s’adressent à un particulier ou qui sont fondées sur la perception d’une personne. Ce sont les types de choses que nous devons éviter.

De nouveau, nous devons faire un pas en arrière pour examiner pourquoi les agriculteurs utilisent ces véhicules. C’est parce qu’il y a pour eux un avantage fiscal d’épargner dans ces véhicules. C’est pourquoi ils le font. Ils le font parce que c’est avantageux par rapport à la solution de rechange qui consiste à verser cet argent dans un compte personnel et à puiser dans celui-ci, à l’extérieur d’un compte d’épargne libre d’impôt. Il y a des raisons pour lesquelles les gens font cela, et nous devons comprendre pourquoi ils le font.

En ce qui concerne l’exemption, je pense que vous ouvrez une boîte de Pandore en parlant du fait de savoir si c’est acceptable pour un groupe ou un autre. Vous n’aurez jamais de consensus.

Le sénateur Neufeld : Merci beaucoup, messieurs, d’être ici. Vous êtes très intéressants. Monsieur Milligan, si je vous ai bien compris, je pense que vous avez dit que vous êtes d’accord pour qu’un examen de l’ensemble du régime fiscal soit fait de fond en comble. Nous l’avons entendu dire, de façon assez systématique, par presque tout le monde. Vous n’êtes pas différent de la plupart des personnes à qui nous avons parlé, mais vous avez dit qu’on devait s’occuper dès maintenant de certaines choses.

Je vais utiliser certaines des choses qui ont été changées. Le fait d’enlever aux agriculteurs l’exonération cumulative des gains en capital était-elle nécessaire pour qu’ils puissent poursuivre leur vie? Je ne le crois pas. Je reconnais qu’on a apporté ce changement, mais quelqu’un l’a fait en commençant par dire qu’il allait le faire. Eh bien, je ne pense pas qu’on a beaucoup réfléchi à ce genre de choses.

Une autre partie qui m’inquiète, c’est le fractionnement de 250 millions de dollars qui sera maintenant inférieur. Qu’est-ce qui était si important dans le budget de 300 milliards de dollars pour que vous l’examiniez, d’abord, puis le changiez avant de vous attacher à l’examen de l’ensemble du régime fiscal? Peut-être que vous pourriez m’aider un peu ici.

M. Milligan : Bien sûr. Ce que j’ai vu comme la plus grande motivation pour cet ensemble de réformes, c’était un tableau présenté dans l’exposé de juillet et dans le communiqué d’octobre du ministère des Finances. Il montrait la proportion de notre économie que représente le revenu immobilisé dans des sociétés privées sous contrôle canadien. Comme part de l’économie, le revenu qui cheminait dans cette structure organisationnelle particulière est passé, je pense, de 3 p. 100, en 2002, à 7 p. 100, en 2015. Au cours des 15 dernières années, il a plus que doublé.

Je n’ai pas l’impression que c’était là le résultat d’une augmentation de l’esprit entrepreneurial au Canada. J’aurais aimé que ce soit le cas. J’ai l’impression que cela découle de décisions prises en raison de la structure existante du régime fiscal des petites entreprises; un particulier réorganise ses affaires et se constitue en société aux fins d’abaisser sa propre facture d’impôt.

C’est ce que les gens vont faire. Cependant, lorsque vous regardez qui le fait, vous voyez que cela se concentrait surtout parmi les personnes gagnant les plus hauts revenus au Canada. Je vois cela comme une part croissante de notre économie qui a plus que doublé en 15 ans et qui fait son chemin dans un régime fiscal parallèle qui n’était au début accessible qu’à ceux qui ont beaucoup d’argent. À mon avis, il s’agit d’une injustice fondamentale dans le régime fiscal à laquelle nous devons nous attaquer.

En ce qui concerne la mesure particulière que le sénateur a mentionnée — les gains en capital des agriculteurs —, il s’agissait clairement d’une exagération de la part du ministère des Finances. J’ai été heureux de voir qu’il a fait marche arrière à ce chapitre. Comme priorité expliquant pourquoi c’est quelque chose qui a été mis de l’avant, la proportion de l’économie que l’on faisait passer à travers cette structure organisationnelle particulière était, à mon avis, une grande motivation.

Le sénateur Neufeld : J’ai étudié certaines des autres propositions qui ont été présentées. Nous n’avons rien entendu dans les témoignages, mais nous entendons toujours parler de ce type de choses après les réunions. Ces idées circulent depuis un certain temps, comme vous le savez, vu votre expérience professionnelle préalable en tant que conseiller pour le ministère des Finances. Elles ont été abordées par des ministres des finances différents. Je ne parle pas particulièrement d’un parti ou d’un autre. Les deux partis se sont fait conseiller par les employés d’aller de l’avant avec ces types de changements.

Êtes-vous d’accord avec moi pour dire que ces idées ont en quelque sorte circulé au sein du ministère des Finances pendant très longtemps? J’imagine qu’on pourrait dire qu’ils ont enfin mis la main sur une personne qui a effectivement dit : « Oui, nous allons l’essayer », et les réactions ont été incroyables? Pourriez-vous m’aider un peu ici ou seriez-vous en mesure de me dire cela?

M. Milligan : Je n’ai pas beaucoup de renseignements au sujet de ce qui a été présenté exactement à ce ministre des Finances ou à d’autres par le personnel. Je peux dire que, s’il s’avérait, le récit que vous racontez ne me surprendrait pas.

Le sénateur Neufeld : Je vais revenir à ma propre expérience. J’ai été entrepreneur lorsque j’avais 20 ans, et j’ai fait toutes sortes de choses. À un certain moment, je me suis lancé dans une entreprise que j’ai conservée pendant environ 15 ans. Vous pourriez dire que j’étais une sorte de franchisé pour une grande société dont le siège était situé à Calgary. J’étais dans la petite collectivité de Fort Nelson, en Colombie-Britannique, qui est très loin de Calgary. La plupart des gens du bureau de Calgary ne comprenaient pas ce que je faisais là-bas.

Étant entrepreneur, je suis sorti et j’ai prospecté des clients, et j’ai conclu des affaires. Savez-vous ce qui s’est passé? On est venu me voir et on m’a dit qu’on allait réduire les revenus que j’allais obtenir. On allait me payer tant de cents le litre pour chaque litre d’essence, de diesel ou de quoi que ce soit d’autre que je vendais.

Je voyais cela comme un peu le même genre de choses. Qu’y a-t-il de mal avec le fait d’être prospère dans le monde d’aujourd’hui? Qu’y a-t-il de mal à cela? Ne voulons-nous pas ici de gens prospères? Je ne catégorise pas certaines personnes comme étant des gens qui ont un revenu élevé en me disant, bon sang, allons-y, imposons-les. Il doit y avoir une raison pour laquelle ils ont des revenus élevés. C’est parce qu’ils voulaient se rendre là où ils sont. Pour moi, c’est ce qui crée les affaires. C’est ce qui crée les investissements.

Lorsque je faisais plus d’argent dans mon entreprise, je l’investissais selon ce qui me semblait bon, et non pas lorsque le gouvernement venait et me disait : « Nous n’aimons pas que vous mettez de côté de l’argent dans ce compte pour les temps difficiles. Nous allons vous imposer si lourdement, si vous n’écoutez pas ce que nous disons, que vous allez être forcé de l’investir. »

Est-ce ainsi que les choses doivent vraiment fonctionner? Je ne le crois pas. Je pense un peu le contraire. Dites-moi ce que vous pensez. Je pense que les gens devraient être récompensés s’ils travaillent fort et vont de l’avant. Tout le monde a cette possibilité dans ce grand pays qui est le nôtre. Nous ne devrions pas mettre un frein à cela, mais j’ai l’impression que certaines de ces choses commencent à le faire. Qu’en pensez-vous?

M. Milligan : Certes, je pourrais approuver presque tout ce que vous avez dit… Je n’ai aucune objection par rapport à cela. La façon dont je vois les choses, c’est que je pense à ce qui revient à une personne qui se lève le matin, qui travaille fort et qui fait toutes ces choses que nous voulons qu’un entrepreneur fasse. Je ne pense pas que ce qui lui revient devrait dépendre de sa situation matrimoniale. C’est pourquoi je pense que le fractionnement du revenu est la mauvaise façon de canaliser nos incitatifs pour les entreprises. Nous devrions prendre cet argent et le faire circuler dans quelque chose qui profite à tous les entrepreneurs qui ont de bonnes idées, à tous les entrepreneurs qui travaillent fort.

C’est à cela que je voulais en venir. Je ne veux pas que l’on punisse les entrepreneurs. Je ne veux pas que l’on punisse les gens qui réussissent. Mais je dis que nous devons nous assurer de structurer le régime fiscal des entreprises de façon que tous ceux qui réussissent paient le même impôt et que tous ceux qui travaillent dur puissent profiter des mêmes mesures incitatives.

M. Lammam : Je suis d’accord, moi aussi. Je crois que c’est le genre de régime que tout le monde désire, au Canada, parce qu’il est une des raisons pour lesquelles nous affichons un si haut niveau de mobilité sociale. Le problème, cependant, ne tient pas au fait que nous avions des règles fiscales qui se trouvaient être les règles pertinentes. Le problème, c’est que nous devons nous demander pourquoi les gens respectaient ces règles. Je le répète, si vous ne vous occupez pas des raisons pour lesquelles les gens respectent les règles et que vous changez les règles, vous ne réglerez aucun problème. C’est ce que je pense.

J’aimerais parler de ce fameux graphique. Je ne suis pas un expert de ce type de données en particulier, mais je crois que l’une des raisons pour lesquelles on a observé une croissance ou une prolifération des petites entreprises constituées en société au moment même où le gouvernement ontarien concluait une entente avec les médecins, c’est que ce dernier les encourageait à utiliser ce véhicule parce qu’il ne pouvait pas augmenter leurs salaires ou leurs honoraires. Il convient de le souligner. Cela ne veut pas dire que ce n’était pas la bonne chose à faire, mais il est certain que c’est l’une des raisons qui expliquent cette croissance de l’économie pendant la période allant de 2005 à 2015.

Le sénateur Neufeld : J’ai regardé la télé, hier soir, et j’ai vu le premier ministre se lever à de nombreuses reprises en disant : « Il faut taxer les riches. Ils ne paient pas leur juste part. » Pourtant, j’ai aussi regardé un programme sur les Paradise Papers et je pensais à tous les entrepreneurs, ceux dont le gouvernement dit qu’il les taxera lourdement s’ils mettent plus de 1 million de dollars de côté, parce qu’il veut qu’ils investissent cette somme. Ils regardent ce qui se passe et voient ce que nous avons vu. Je ne peux m’empêcher de penser qu’il y en aura encore plus.

Qui sont les riches, selon le gouvernement? Est-ce que ce sont seulement les gens qui réussissent à mettre de côté 1 million de dollars, pour le cas où leur entreprise aurait des difficultés, ou est-ce que ce sont ceux qui réussissent à placer cet argent dans les Caraïbes? Nous ne parlons pas de 1 million de dollars. Nous parlons de bien, bien plus. Quoi qu’il en soit, étant donné que tous ces gens appartiennent au même groupe, ne pensez-vous pas que nous devrions taxer ce groupe de riches?

M. Milligan : Merci de votre commentaire. J’ai suivi moi aussi le dossier des Paradise Papers dans les médias, ces derniers jours, et j’aurais deux ou trois choses à dire à ce propos. Quand on parle des déplacements des portefeuilles à l’échelle internationale et des techniques d’évitement fiscal, deux choses sont importantes.

La première, c’est de s’assurer que l’ARC dispose des outils dont elle a besoin pour contrer les plus agressives de ces techniques. Le budget de 2016 prévoyait un investissement de 400 millions de dollars spécifiquement pour ce motif, aider financièrement l’ARC à maintenir ses efforts de lutte contre l’évitement fiscal international.

La seconde chose, étant donné que cela concerne le transfert d’argent d’un pays à un autre, c’est qu’il est vraiment nécessaire d’observer les choses dans une optique internationale. L’OCDE a facilité les choses. Elle a mis sur pied un processus ciblant l’érosion de la base d’imposition et le transfert des bénéfices en cherchant à amener les pays à coordonner les différentes mesures qu’ils prennent pour faire face aux mouvements internationaux des portefeuilles et au transfert des profits des entreprises d’un pays à un autre. Il est important que notre gouvernement soutienne ces efforts internationaux.

Je comprends vos préoccupations à ce sujet, et je les partage. Je m’efforcerais donc de faire en sorte que l’ARC dispose des outils dont elle a besoin et que le Canada participe activement aux forums internationaux où ces dossiers sont débattus et réglés.

M. Lammam : Malheureusement, les cas où les Canadiens évitent de payer de l’impôt sont lamentables, mais, heureusement, ces cas sont assez rares et isolés, ce qui se confirme à mesure qu’on grimpe dans l’échelle des revenus. Il appert que la plus grande partie des Canadiens qui ne paient pas d’impôt sur le revenu des particuliers se concentre dans les groupes à plus faible revenu, ce qui n’est pas surprenant. L’exemption d’impôt fédéral de 12 000 $ et toute une série d’autres crédits d’impôt permettent aux particuliers du bas de l’échelle des revenus de ne payer aucun impôt sur le revenu.

Je n’ai pas les chiffres exacts en tête, mais on parle ici de 30 à 40 p. 100 des Canadiens, selon le niveau de revenu. Plus vous progressez dans l’échelle des revenus, plus le pourcentage des Canadiens qui ne paient pas d’impôt sur le revenu personnel pour un revenu de 100 000 $ ou plus diminue.

On entend toutes sortes d’histoires sur quelques Canadiens qui s’adonnent à la planification fiscale afin de réduire leur fardeau fiscal, et ces anecdotes créent faussement l’impression que les personnes qui gagnent le plus, au pays, s’en tirent en ne payant que peu ou pas d’impôt, ce qui est absolument faux. La tranche de 20 p. 100 de ceux qui gagnent le plus paient une part importante du fardeau fiscal, comme il se doit dans un régime d’impôt progressif.

Je vous ai donné des chiffres s’appliquant au 1 p. 100 de gens riches. Ce 1 p. 100 gagne 10 p. 100 du revenu national et paie 20 p. 100 de l’impôt personnel sur le revenu.

Les situations isolées me préoccupent, bien sûr, mais je crois qu’il faut les replacer dans le contexte plus large des contribuables qui se situent dans les tranches de revenu supérieur. Il est certain que ces derniers paient leur juste part, à mon avis. C’est mon avis, mais je ne suis pas le seul à être de cet avis. Si vous définissez la juste part en tant que proportion, si les gens qui gagnent un certain pourcentage du revenu national paient le même pourcentage en impôt, on peut objectivement considérer qu’il s’agit d’un système juste.

Le gouvernement de même que nombre de ceux qui voudraient que les gens qui gagnent le plus paient plus d’impôt ne définissent pas, dans ces propositions, ce qu’est une « juste part ». Bien sûr, certains contribuables ici et là vont faire leur devoir de Canadiens. Encore une fois, cela ne s’applique tout simplement pas au groupe. Nous devons le comprendre, étant donné que le malentendu alimente non seulement les changements dont il est question ici, mais toute une série de changements. L’augmentation du taux d’imposition marginal et du taux d’imposition sur les gains en capital, entre autres, est en partie motivée par une notion mal définie et fausse, sur le plan factuel, selon laquelle ceux qui gagnent le plus ne paient pas leur juste part.

Le sénateur Neufeld : Je ne voudrais pas que vous interprétiez mal ce que je disais. Je ne suis pas en désaccord avec ce que vous dites.

M. Lammam : Oui.

Le sénateur Neufeld : C’est à cause de ces cas isolés que tous ceux qui se retrouvent à des niveaux de revenu inférieurs ont de la difficulté à s’entendre dire qu’ils ne payent pas leur juste part. S’il ne s’agit que de cas isolés, l’ARC ne devrait pas avoir trop de difficulté à les épingler, à mon avis.

Le sénateur Oh : Monsieur Milligan, j’aimerais vous poser une question. Je crois qu’il est important de préciser, aux fins du compte rendu, que vous êtes depuis longtemps un partisan du Parti libéral du Canada. Vous avez travaillé avec le gouvernement en place sur des dossiers concernant la fiscalité, comme l’a dit la sénatrice Marshall et comme vous l’avez précisé plus tôt.

Voici ma première question : les chercheurs qui se penchent sur des suggestions politiques à faire au gouvernement consultent-ils les gens sur le terrain, ceux qui seront touchés par ces politiques?

M. Milligan : Je réponds toujours avec plaisir à toute question concernant mes antécédents. J’aimerais que ce soit clair, j’ai toujours eu pour principe de répondre aux appels téléphoniques des députés ou des sénateurs de tous les partis. J’ai déjà parlé avec de nombreux députés conservateurs, néodémocrates et libéraux. En tant qu’employé d’une université publique, c’est pour moi un principe. Si vous le voulez, monsieur le sénateur, je vous donnerai le nom de toutes ces personnes. Ce que vous avez dit est vrai. J’ai donné des conseils au Parti libéral avant les élections, et au gouvernement, après celles-ci. Merci de le souligner.

À titre de chercheur en matière de politiques et en tant qu’économiste, ma principale force réside dans l’examen des données et des théories, et à travailler à partir de là. J’ai aussi appris par expérience qu’il est important que mes observations soient étayées par la vérité de ce qui se passe dans le vrai monde. Je mets un point d’honneur à participer aux conférences qui réunissent des praticiens du domaine fiscal et à parler aux gens de mon quartier. Pour équilibrer tout cela, j’ajoute ce que je trouve dans les données, en classe et dans les manuels.

Le sénateur Oh : Voici ma deuxième question : sauriez-vous par hasard à qui on doit l’analyse des effets sexospécifiques? Cette personne était-elle indépendante du gouvernement ou travaillait-elle à contrat, comme vous?

M. Milligan : Quelle analyse des effets?

Le sénateur Oh : Oui, l’analyse des effets sexospécifiques.

M. Milligan : Quand j’aidais le ministère des Finances, en 2016, à mener l’examen des dépenses fiscales, nous avons examiné aux alentours de 150 mesures fiscales, et il y avait pour chacune d’elles un énorme cartable de données ainsi qu’une analyse. Il y avait aussi dans chaque analyse une page consacrée à l’analyse sexospécifique de la mesure fiscale en question. Quant aux mesures fiscales que nous avions à examiner, je sais que c’est la procédure normale que suit le ministère des Finances.

Pour cette mesure fiscale en particulier, je ne crois pas avoir vu dans le document de juillet une analyse sexospécifique distincte, mais je crois que, quand les révisions ont été publiées, en octobre, il y avait davantage d’analyses sexospécifiques.

En fait, quand j’ai aidé le ministère des Finances, en 2016, j’ai trouvé que ces analyses étaient très utiles. J’ai appris des choses qui n’étaient peut-être pas aussi évidentes, dans les analyses sexospécifiques. Je suis tout à fait d’accord pour qu’elles soient intégrées aux autres analyses, et j’espère que les analyses sexospécifiques seront intégrées à l’analyse de la présente réforme fiscale.

La sénatrice Jaffer : Ma première question s’adresse à M. Mulligan. Je suis moi aussi une partisane du Parti libéral. Mes questions sont probablement celles d’une libérale qui a été évincée du caucus. J’ai aussi travaillé de nombreuses années pour le Parti libéral, et c’est pourquoi j’ose vous poser une question qui pourrait nous causer quelques problèmes.

Nous avons beaucoup entendu parler de la répartition du revenu et de la raison pour laquelle cette mesure a été prise. Nous avons également beaucoup entendu parler des failles de la mesure et de la façon dont les gens ont réagi. Vous êtes au courant du débat, je ne vais pas l’exposer de nouveau. Nous avons entendu dire que les propriétaires de petites entreprises prenaient des risques et qu’ils n’empochaient aucun bénéfice. Ils paient les cotisations d’assurance-emploi de leurs employés. Ils travaillent de longues heures. Ils n’ont pas droit à un régime de pension. La famille n’a aucun autre actif que l’entreprise. Nous avons reçu aujourd’hui un témoin qui disait ne pas être même propriétaire de sa maison, parce qu’il investissait tout dans son entreprise.

Nous pourrions comparer ce témoignage avec celui que nous avons entendu, d’un employé salarié d’une petite entreprise, mais ce serait comme comparer des pommes et des oranges. La situation n’est pas la même. Notre système fiscal a été conçu dans le but de trouver le moyen de compenser. Compenser est peut-être un mot un peu fort, mais il s’agissait de trouver le moyen d’encourager les petits entrepreneurs à ouvrir de nouvelles entreprises.

Je ne le dis peut-être pas exactement comme il faut, mais vous avez commencé votre déclaration préliminaire en disant qu’à votre avis, ce n’était pas juste. À votre avis, il s’agit de pommes, alors que, selon ce que nous avons entendu, il s’agit de pommes et d’oranges.

J’aimerais avoir votre commentaire à ce sujet.

M. Milligan : Merci de poser la question. J’aimerais préciser que je ne suis membre d’aucun parti politique.

La sénatrice Jaffer : Moi, je le suis.

M. Milligan : Je vous félicite. Nous parlons de pommes et d’oranges et de toutes sortes de fruits. Je pense à un genre de comparaison que je crois important. Si vous voulez proposer des mesures incitatives aux entrepreneurs, même à ceux qui se sont constitués en société, elles ne devraient pas être liées au fait que les entrepreneurs sont mariés ou pas. Elle ne devrait pas être liée au fait qu’ils ont des enfants adultes ou pas. Les mesures incitatives proposées aux entrepreneurs devraient tenir compte de la solidité de leur idée, de leurs investissements, des employés qu’ils font travailler et des circonstances commerciales. C’est le problème qui se pose dans mon esprit quand on associe le fractionnement du revenu à une mesure incitative, quand nous l’utilisons pour récompenser les entreprises. Ce n’est une récompense que pour un faible pourcentage des entreprises.

La sénatrice Jaffer : Je ne parle pas de récompenses. C’est un moyen de définir sa situation fiscale.

M. Milligan : L’autre base de comparaison que j’aime utiliser, au-delà du type de famille de la structure de l’entreprise, a trait au fait que, au Canada, il y a davantage d’entreprises non constituées en société que d’entreprises constituées en société. Elles sont l’œuvre d’un propriétaire unique. Pour ces propriétaires, le lancement de leur entreprise est une première étape et, quand l’entreprise grandit, il est plus justifié pour eux, sur le plan commercial, de se constituer en société.

C’est important. Si nous n’offrons ces encouragements fiscaux qu’aux seules entreprises qui se sont constituées en société, on crée en fait un obstacle à tous ceux qui voudraient lancer une entreprise, mais qui ont l’impression qu’il leur faut d’abord payer de fortes sommes à un comptable ou à un avocat pour se constituer en société, et ce, tout simplement pour être en mesure de concurrencer toutes les entreprises qui existent déjà et qui ont déjà accès à ces mesures incitatives.

Nous voulions nous assurer qu’il y a un équilibre entre les entreprises constituées en société et les autres, parce que les entreprises qui ne sont pas constituées en société sont importantes. C’est la première étape, pour bien des gens, qui voudraient se lancer en affaires. Nous voulons nous assurer qu’elles ne sont pas handicapées dès le départ par rapport aux entreprises constituées en société. C’est pourquoi nous voulions nous assurer que les mesures incitatives s’adressant aux entreprises constituées en société sont justes, par rapport aux mesures ciblant les entreprises qui ne le sont pas.

La sénatrice Jaffer : Oui, mais c’est une tout autre question. Cela ne nous concerne même pas, pour le moment. Les entreprises qui ne sont pas constituées en société ne sont même pas dans la mire de la réforme du ministre.

M. Milligan : Justement. Nous voulons nous assurer qu’il n’y aura pas toute une série de mesures incitatives supplémentaires pour les entreprises constituées en société auxquelles n’auront pas droit les autres entreprises. C’est que nous nous retrouvons avec toute une série de mesures d’encouragement fiscal : la capacité de fractionner le revenu, la capacité d’utiliser l’entreprise comme véhicule d’épargne. Vous pouvez vous prévaloir de ces mesures si vous êtes une entreprise constituée en société, mais pas si vous ne l’êtes pas. Uniformiser les règles du jeu, quel que soit le type d’entreprise, c’est, à mon avis, l’une des motivations de la réforme.

La sénatrice Jaffer : Je ne veux pas me disputer avec vous, mais ce n’est pas ça que le ministre a dit. Il a parlé des échappatoires. J’aimerais savoir ce que M. Lammam en pense. J’aurai ensuite une autre question à vous poser.

Le sénateur Mockler : Monsieur Lammam, j’aimerais rappeler, avant de vous laisser répondre, que vous nous aviez dit que vous alliez devoir partir.

M. Lammam : Oui.

Le sénateur Mockler : J’espère que vous pourrez répondre à la question de Mme Jaffer, après vous être exprimé.

M. Lammam : Bien sûr, oui. Pour commencer, j’aimerais remercier le comité de m’avoir reçu. Nous en avons parlé plus tôt, étant donné le changement d’heure, j’avais un engagement précédent. Je vais partir après avoir rapidement répondu à votre question. Je m’en excuse.

Si je comprends bien ce que vous dites, les gens ont planifié leur vie économique en fonction des règles en vigueur aujourd’hui. Si nous changeons ces règles, nous perturbons leur vie économique. Je crois que cette déclaration se tient, mais cela ne veut pas nécessairement dire que les règles étaient correctes, au départ.

C’est sur ce point que nous nous rejoignons, M. Milligan et moi. Je ne suis pas d’accord avec les règles que nous avons mises en œuvre, mais les gens qui respectent ces règles ont une raison de le faire. S’il y a une seule chose que vous devez retenir de tout ce que j’ai dit aujourd’hui, c’est que les gens qui utilisent ces véhicules le font pour une raison. C’est souvent parce qu’ils en tirent des avantages fiscaux. Nous pourrions régler une bonne partie de ces problèmes en aplanissant les différences au chapitre du traitement fiscal des différents types et des différents niveaux de revenu. C’est ce qu’il faudrait faire si l’on voulait vraiment réformer de fond en comble le régime fiscal et régler le problème.

Ce qui m’inquiète, à l’heure actuelle, c’est que, avec toute cette complexité supplémentaire, nous ne connaissons pas encore tous les détails. Nous les découvrirons au cours des prochains mois, en ce qui concerne en particulier la répartition du revenu. Ce qui m’inquiète, c’est que le système sera plus complexe et qu’il ne nous permettra pas de savoir pourquoi les gens organisent leurs affaires de cette manière.

Ce n’est pas la première fois que vous entendez cette réponse, mais je crois sincèrement que, tant que nous ne nous attaquerons pas aux causes profondes de la planification fiscale, nous ne ferons pas de véritable progrès dans la recherche d’une solution qui pourra dans la réalité résister à l’épreuve du temps, une solution qui ne se résume pas à une complexité accrue et qui ne fait pas en sorte que les comptables et les avocats vont conseiller à leurs clients de réorganiser leurs affaires pour s’adapter aux nouvelles règles qui sont proposées.

Merci beaucoup.

Le sénateur Mockler : Merci, monsieur Lammam, de l’information que vous nous avez donnée.

Le sénateur Pratte : Monsieur Milligan, je suis d’accord avec vous : il faudrait régler le problème concernant le revenu passif. Je vois bien ce que le gouvernement essaie de faire. Je me demande toutefois si la solution retenue ne prive pas les gens d’affaires de toute marge de manœuvre.

Le revenu passif devrait immédiatement être investi dans l’entreprise. Si l’entrepreneur met de l’argent de côté en vue de sa retraite, il devrait le retirer de l’entreprise et l’investir dans un REER, par exemple. Dans le cas contraire, la somme sera imposée à un très haut niveau.

Selon ce que m’ont dit les propriétaires de petites et moyennes entreprises, ils voudraient entre autres qu’on leur laisse une certaine marge de manœuvre. Ils veulent pouvoir mettre de l’argent de côté, parce qu’ils ne savent jamais à quoi ils doivent s’attendre. Ils devront peut-être l’investir plus tard. Ils en auront peut-être un jour besoin, pendant leur retraite, mais ils n’en sont pas certains. Ils peuvent aussi en avoir besoin si une bonne occasion d’acheter se présente un jour.

Les propositions donnent l’impression que l’on sait ce qui est bon pour l’entreprise et qu’on prive ces personnes de toute marge de manœuvre. Je me demande si cela n’est pas un problème. N’y aurait-il pas moyen de le régler, tout en donnant aux propriétaires de petites entreprises la marge de manœuvre dont ils ont besoin pour diriger leurs affaires?

M. Milligan : La première chose qu’il est important de souligner, ici, c’est qu’aucune loi ni aucun règlement n’empêche une entreprise de dépasser la limite de un million de dollars d’épargne. Selon le nouveau régime fiscal, si l’on suit le parcours d’un dollar, des bénéfices de l’entreprise avant impôt, puis au compte d’épargne et enfin dans les poches du propriétaire, que ce soit à l’intérieur ou à l’extérieur d’une société, les choses seraient en gros équilibrées. Cela veut tout simplement dire qu’il n’y a pas d’incitatif ou d’avantage supplémentaire à épargner en tant que société ou autrement. C’est ça, le but, et je crois que la proposition, de la manière dont elle est formulée, permettra de l’atteindre.

Pour quelles raisons quelqu’un voudrait-il épargner à l’intérieur de l’entreprise? Oui, il existe de bonnes raisons commerciales de le faire : comme vous l’avez dit, en vue des jours difficiles, pour acheter une moissonneuse-batteuse, peu importe. Aucun règlement ne l’interdit. La question est de savoir si vous devez privilégier l’épargne à l’intérieur de la société plutôt qu’à l’extérieur.

L’exemption, telle qu’elle est prévue, s’applique à un million de dollars d’épargne environ. Est-ce que ce montant vous permettra d’acheter la moissonneuse-batteuse ou l’autre chose dont vous avez besoin? Je l’ignore. Nous devrions nous demander ce qu’il se produirait si cette limite était plus ou moins élevée. Ce sont de bonnes questions à se poser.

Encore une fois, si vous regardez les écarts, dans les tableaux fournis par le ministère des Finances, vous verrez que nombre des entreprises concernées par cette mesure dépassera la limite de 50 000 $. Le revenu passif moyen représente des centaines de milliers de dollars. Il ne s’agit pas d’une entreprise familiale. Il s’agit d’une personne qui a mis de côté des dizaines de millions de dollars, à l’intérieur de la société. Je ne crois pas qu’il s’agisse d’une entreprise familiale qui met de l’argent de côté en vue des jours difficiles.

Le sénateur Pratte : Cela dépasse peut-être mes capacités mentales, mais, si j’ai bien compris le problème, une personne qui met de l’argent de côté dans son entreprise n’a pas encore décidé comment elle allait s’en servir. C’est peut-être pour faire face aux jours difficiles. C’est peut-être pour investir. C’est peut-être, en partie, en vue de la retraite.

Si vous utilisez une partie de cette épargne pour votre retraite, vous devrez payer un impôt élevé. C’est ça, le problème. Si vous voulez en prendre une partie, vous devrez payer beaucoup d’impôt. Cette proposition vous prive de toute marge de manœuvre.

M. Milligan : Je le répète, vous pouvez économiser à l’intérieur ou à l’extérieur de l’entreprise. La proposition a pour but de s’assurer que les deux modes d’épargne donnent les mêmes résultats et n’avantagent ni les uns ni les autres. Il y aura certainement une plus grande marge de manœuvre, comme vous le dites, jusqu’à cette limite de 50 000 $ de revenu.

En outre, je crois que vous avez raison de dire que la marge de manœuvre sera moins grande pour une personne qui épargne à l’extérieur de l’entreprise et qui voudrait réinvestir à l’intérieur de l’entreprise. Il s’agit de savoir où il faut fixer la limite et si cette marge de manœuvre convient aux différents types d’imprévus auxquels vous pensez.

La sénatrice Andreychuk : Je crois qu’une partie de ma question a déjà été réglée par celle du sénateur Pratte.

Le gouvernement a insisté sur sa volonté d’établir un régime fiscal juste, mais, bien sûr, la justice est une question de point de vue. D’une manière ou d’une autre, le fait d’être un salarié est un facteur, tout comme le fait de gérer une entreprise qui n’est pas constituée en société ou une société qui est constituée en société. Cela se passe de l’une de ces trois manières. Comment voyez-vous la justice, alors qu’il me semble que nous confondons justice et équité.

Je repense au vieux débat sur les droits de la personne et la Charte, quand nous avions conclu qu’il nous fallait des jugements selon lesquels l’égalité ne signifiait pas la similitude. Je pense à ces questions fiscales et je me dis que la justice n’est pas la même pour les employés, et ainsi de suite.

Les employés courent des risques. Nous l’avons bien vu avec Sears. Ne devrions-nous pas nous attaquer aux risques et tenter de les atténuer, puisqu’ils sont des coûts sociaux pour nous? L’entreprise qui ne s’est pas constituée en société fait face à certains risques et à certaines responsabilités. Il y a ensuite les entreprises constituées en société. On dirait qu’ils se sont arrêtés sur un cas et qu’ils essaient de dire que c’est à partir de là qu’ils égaliseront les choses.

Vous pensez peut-être que je radote, mais je reprends ma rengaine : il y a bien des gens qui se constituent en société pour des raisons qui n’ont rien à voir avec les allégements fiscaux. Si vous voulez une franchise, vous devez être constitué en société. La sénatrice Jaffer a souligné de manière convaincante que, pour conclure un contrat avec l’ARC, il faut être constitué en société. Si une personne se constitue en société, ce n’est pas pour des raisons qui lui sont propres. C’est pour des raisons liées au type d’entreprise qu’elle gère. Ça me trouble de vous entendre dire qu’il s’agit d’abord et avant tout d’équité fiscale, alors qu’en fait, le choix n’existe pas.

Je reviens à la tranche de 3 p. 100 des gens qui détiennent tant d’argent; vous en avez parlé. Ne pourrions-nous pas les comparer aux entreprises publiques, avec les avantages dont elles profitent, en ce qui concerne le déplacement de l’argent, la capacité de le détenir et la réduction au minimum des impôts? Ne serions-nous pas mieux de prendre ces 3 p. 100 et d’examiner ce qui se passe dans le secteur public?

M. Milligan : Vous avez dit entre autres que les gens se constituaient en société pour de nombreuses raisons, pas seulement pour des raisons fiscales. C’est exactement ça. Nous voulons un système dans lequel les gens décideront de se constituer en société parce que cela en vaut la peine et que, devant un marché donné, votre avocat vous dit que c’est la chose qu’il convient de faire étant donné les risques liés à la situation. Nous ne voulons pas que les gens se constituent ou non en société pour des motifs fiscaux.

Ce serait comme si le régime fiscal vous disait quelle direction prendre. C’est comme si le gouvernement vous disait si vous devez ou non vous constituer en société. Nous voulons au contraire que vous preniez la décision de vous constituer en société ou non parce que cela en vaut la peine sur le plan commercial. Il y a toutes sortes de bonnes raisons de le faire. Nous devrions laisser ces raisons motiver votre décision plutôt que d’accumuler des dispositions fiscales qui favorisent une option plutôt qu’une autre. C’est ainsi que je vois les choses.

En ce qui concerne l’équité, j’envisage la situation en tenant compte de la façon dont différentes personnes envisageraient le régime fiscal. Nous ne voulons pas que tout le monde gagne le même revenu, ni même nécessairement que chacun paie le même niveau d’impôt en fonction de son métier, ou d’autres choses. La question, tout simplement, c’est que selon moi tous les Canadiens s’attendent à ce que les mêmes règles s’appliquent à tout le monde. Ce qui m’inquiète, c’est que certaines personnes qui ne peuvent pas se constituer en société parleront à leurs voisins et découvriront que ce voisin, puisqu’il se trouve qu’il peut, dans sa profession, se constituer en société, peut partager son revenu avec ses enfants, son conjoint, peu importe. Pour bien des gens, c’est comme si certaines personnes pouvaient se prévaloir d’un régime fiscal distinct et avantageux auquel une personne ordinaire n’a pas accès.

Voilà où je veux en venir quand je parle d’équité, dans tout ce dossier. L’idée, c’est que nous devrions tous être assujettis aux mêmes règles fiscales et qu’il est impossible à quiconque de se prévaloir d’un régime fiscal distinct qui lui donne quelques avantages particuliers que les autres personnes n’ont pas.

Comme l’a mentionné madame la sénatrice, les gens ne voient pas tous l’équité de la même façon. Je respecte l’opinion de tous ceux qui voient différemment ce que c’est que l’équité, mais c’est tout simplement ainsi que je vois les choses. Selon moi, nous devrions tous être assujettis aux mêmes règles fiscales.

Aviez-vous une troisième question à poser?

La sénatrice Andreychuk : Vous dites que, de l’avis de bien des gens, il n’est pas juste que certains puissent répartir leur revenu, et cetera. Est-ce que nous avons des données à ce sujet, y a-t-il eu des sondages d’opinion ou un autre exercice quelconque? Il est certain que les gens de l’autre côté disent en avoir besoin, et tout cela. La répartition du revenu peut se faire d’autres façons.

Vous avez formulé une hypothèse. J’imagine que, en tant qu’enseignant, vous disposiez de certaines informations pour le faire. Nous aimerions peut-être avoir l’information au sujet de cette statistique ou des gens qui disent que la constitution en société crée une injustice. Franchement, je ne crois pas avoir jamais entendu dire cela avant que le gouvernement n’annonce ces mesures.

M. Milligan : Je n’ai pas accès à des données d’enquête sur ce sujet spécifique, alors je laisserais les personnes qui en ont vous répondre.

Je me préoccupe du fait que certaines personnes estiment qu’il n’est pas juste qu’il existe un système distinct. C’est mon opinion personnelle du rôle que joue l’équité dans ce dossier. Comme je l’ai dit, les gens perçoivent différemment l’équité, et je tiens à respecter l’opinion de tous les Canadiens à ce sujet.

La sénatrice Cools : Je tiens à vous remercier de vos témoignages et j’apprécie que vous ayez pris le temps de nous rencontrer.

Je dois faire une confession. Je suis ensorcelée, embarrassée et désorientée, pour reprendre les mots d’une chanson qui date un peu. J’aimerais que vous me disiez, monsieur Milligan, s’il est vraiment possible que cet énorme projet de réforme fiscale dans lequel le gouvernement s’est lancé puisse être mené à terme étant donné l’atmosphère actuelle, où le public est déçu et inquiet des initiatives du gouvernement et qu’il doute?

M. Milligan : Pour ce qui est de savoir s’il pourra mener son projet à terme, j’aimerais mieux ne pas m’avancer. Je dirais quand même qu’il a bien du travail à faire encore, s’il veut fournir une partie de l’information dont nous avons parlé, promulguer les dispositions sur le revenu passif et mettre en place une réglementation qui lui permet de déterminer qui a contribué à une entreprise aux fins de la répartition du revenu. Il a bien du travail à faire, pour rédiger le texte de loi et pour réunir des appuis grâce à ses efforts de communication.

J’ai bien hâte, comme tout le monde, de voir comment il y arrivera, ces quelques prochains mois.

La sénatrice Cools : Moi aussi j’ai hâte de voir comment il s’en tirera. Ce serait bien. Je crois que ce serait fantastique pour les Canadiens, puisque je n’avais jamais vu de si massives réformes être ainsi discréditées dans l’esprit des gens. Je n’ai jamais vu, dans toutes mes années en politique, une telle méfiance à l’égard du gouvernement. Merci.

Le sénateur Mockler : Avant de terminer, j’aimerais poser une question, si vous me le permettez, monsieur Milligan.

Nous avons parlé de trousses d’outils, et les Canadiens sont nombreux à ne pas se séparer de leur trousse de la journée. Vous avez rapidement abordé la question quand vous avez répondu aux questions de la sénatrice Marshall et du sénateur Neufeld.

Quelle recommandation devrions-nous présenter à l’ARC? Vous avez dit que vous n’étiez pas membre en bonne et due forme d’un parti politique. Quels outils pourrions-nous offrir, selon votre expérience? Nous devons présenter une recommandation au gouvernement en place à propos des outils d’examen des sociétés étrangères. Que recommanderiez-vous?

M. Milligan : Je n’ai pas de recommandation particulière à vous soumettre. Je connais peu les enjeux de la fiscalité internationale à propos desquels je pourrais formuler des commentaires d’expert. Premièrement, j’aimerais savoir comment les sommes supplémentaires annoncées dans le budget de 2016, les quelque 400 millions de dollars, ont été réparties.

Deuxièmement, je demanderais au gouvernement s’il participe activement aux forums internationaux où ces enjeux sont débattus, j’ai déjà parlé de l’OCDE et d’autres tribunes internationales où les différents pays coordonnent leurs efforts pour tenter de mettre un terme à ces différents stratagèmes internationaux d’évitement fiscal.

Le sénateur Mockler : Ma dernière question se rapporte à votre expérience. Si vous étiez le ministre des Finances et que vous étiez responsable de la modernisation ou de la refonte du régime fiscal du Canada, auriez-vous fait les choses autrement?

La sénatrice Cools : C’est une question difficile.

M. Milligan : Comme nous venons de le dire, de nombreux facteurs entrent en jeu. Ils concernent l’économie, les lois et les communications. Je ne suis pas un expert des communications ni un expert des lois. Je peux toutefois parler de l’économie.

Je crois qu’il y a là, comme je l’ai dit, un programme de réforme général et que, d’ici à ce qu’il soit terminé, on fera à gauche et à droite quelques réparations ou raccommodages. À mon avis, il s’agit d’un raccommodage du système existant.

Si j’avais un quelconque pouvoir de décision, j’aimerais que l’on mette l’accent sur une réforme plus importante du régime fiscal qui porterait sur la complexité et tiendrait compte des buts que nous avons fixés pour ce régime fiscal.

Je suis désolé que M. Lammam ne soit plus ici pour m’entendre le critiquer un peu. Au-delà du but légitime, soit favoriser une économie en croissance pour notre régime fiscal, il est important de ne pas oublier de s’assurer que tous contribuent à la société à hauteur de leurs besoins.

Il est important de réfléchir au rôle d’un système fiscal progressif dans le contexte de notre économie moderne, et nous ne devons pas perdre cela de vue. Je continuerais à réfléchir à ces deux choses indissociables : le maintien de la progressivité et l’encouragement à la croissance de l’économie, d’une part, et la définition d’une vision à plus long terme des moyens que nous devons prendre pour y arriver, avec notre régime fiscal, d’autre part.

Le sénateur Mockler : Monsieur Milligan, merci beaucoup. J’ai déjà remercié M. Lammam. Vous avez été très informatif. Si vous voulez ajouter des informations supplémentaires, n’hésitez pas à les communiquer à la greffière.

Honorables sénateurs, nous allons suspendre la séance quelques instants pour accueillir les prochains témoins.

Les travaux reprennent. Je remercie beaucoup les témoins d’avoir accepté notre invitation. Il ne fait aucun doute que nous avons hâte d’entendre vos commentaires et vos recommandations et de connaître vos opinions.

Nous accueillons M. David Christian, associé chez Thorsteinssons, LLP, et Hugh C. Woolley, consultant en matière d'impôt, qui comparaît à titre personnel.

La greffière m’a annoncé que M. Christian et M. Woolley allaient prononcer une déclaration préliminaire d’environ cinq minutes chacun, après quoi nous pourrons passer aux questions.

David Christian, associé, Thorsteinssons LLP : Je remercie les membres du comité de m’avoir invité à discuter avec eux. Je suis avocat et je travaille à Vancouver pour Thorsteinssons. Je travaille exclusivement dans le domaine du droit fiscal depuis maintenant 25 ans, et je suis le premier surpris d’être arrivé jusque-là. Je fais partie des avocats et des comptables dont les témoins précédents disaient qu’ils recommandaient aux gens de planifier leurs activités afin de se constituer en société.

Je suis prêt à discuter de tous les points qui figurent dans le document de consultation et les propositions présentés par le gouvernement le 18 juillet dernier. Le mémoire que j’ai présenté au comité parlait plus particulièrement des propositions relatives au fractionnement du revenu. J’emploie l’ancienne expression, le fractionnement du revenu, plutôt que la répartition du revenu, parce que c’est la formulation traditionnelle.

Ma déclaration préliminaire s’attachera davantage aux propositions relatives au fractionnement du revenu qu’à toute autre chose, mais, en réponse à vos questions, je me ferai un plaisir de parler d’un des autres sujets abordés dans le document de consultation du gouvernement.

En commençant ma déclaration, j’aimerais souligner une chose à propos des investissements supposément passifs dont certains des témoins précédents ont parlé, à propos de l’argent qui dort. Le ministre en a parlé comme s’il s’agissait d’un problème, et il y a eu d’autres commentaires dans la même veine.

J’ai été convoqué à une réunion, vendredi après-midi dernier, par un de mes clients qui gère toute une série de fonds communs de placement dont l’objectif principal est de générer un rendement. L’objectif de la réunion était de discuter des propositions du gouvernement et de ce qu’elles pourraient signifier pour l’entreprise de mon client. Les fonds communs de placement sont vendus en grande partie à des sociétés privées qui ont accumulé des revenus au fil des ans. Comme elles produisent un revenu attrayant pour les investisseurs, ces sociétés s’attendent à devoir faire face à des retraits massifs de fonds, un jour, lorsque ces règles entreront en vigueur. Leurs fonds vont disparaître. Elles prévoient qu’il y aura des retraits en masse. Elles essaient de savoir comment elles vont devoir réagir, pour assurer leurs propres activités, comment elles pourront trouver les liquidités nécessaires pour remettre les fonds aux investisseurs. Plus précisément, elles veulent savoir ce que seront les répercussions pour leur entreprise, qui a vu le jour il y a une vingtaine d’années avec environ 10 investisseurs. Elles en comptent aujourd’hui environ 150 et elles gèrent pour 2 milliards de dollars d’actifs produisant un revenu.

L’argent qui dort, c’est cela. L’argent qui dort va retourner dans la collectivité pour financer d’autres projets et pour devenir une source de revenus pour des investisseurs et des entrepreneurs qui ont mis cet argent de côté, qui ont épargné ces fonds. Voilà ce que c’est, de l’argent qui dort.

Avant de revenir sur la question du fractionnement du revenu, que je semble vouloir éviter, une question a été posée au sujet des propositions relatives au revenu qualifié de passif. Que signifiera exactement la limite de 50 000 $? Est-ce que cela signifie que ni les entreprises ni les actionnaires ne pourront dépasser la limite de 50 000 $ de revenu? Comment pourra-t-on faire respecter cette limite lorsque la loi entrera en vigueur? Ce sont là, entre autres, les questions les plus importantes et significatives qu’il faudra se poser lorsque la loi entrera réellement en vigueur.

En ce qui concerne le fractionnement du revenu, j’ai formulé un commentaire général dans le document que j’ai communiqué au comité, et je vais le reprendre ici. Les objectifs énoncés par le gouvernement, en ce qui concerne les revenus, sont relativement modestes. À mon avis, ils sont tout à fait hors de proportion avec la somme des difficultés que le gouvernement impose à tous ceux qui doivent se conformer aux règles, c’est-à-dire à la fois les gens qui gèrent une entreprise et ceux qui leur fournissent des conseils et s’assurent de leur conformité avec les lois fiscales.

Comme cela a déjà été souligné, par le sénateur Neufeld, je crois, ce revenu fait pitié quand on pense à la taille du budget fédéral, sans vouloir dénigrer les 250 millions de dollars. J’aimerais bien les avoir. Mais, en ce qui concerne la somme des problèmes et toute la complexité que cela représente pour ceux qui doivent se conformer aux règles, c’est tout à fait hors de proportion avec la somme des revenus qui seront perçus.

Des témoins précédents qui ont beaucoup parlé de l’équité ont formulé d’autres commentaires. Il n’est pas juste qu’une personne puisse fractionner son revenu et que son voisin ne le puisse pas. C’est facile : il suffit d’abroger la partie 120.4, l’impôt sur le revenu fractionné, et de supprimer l’interdiction de fractionnement du revenu au titre d’une entreprise de services personnels. Si c’est fait, tout le monde sera sur le même pied d’égalité.

Pourquoi considère-t-on toujours que le moyen d’éliminer les écarts entre les deux consiste à enlever la possibilité à l’un plutôt que d’étendre la possibilité à d’autres? Bien entendu, la réponse à votre question est la suivante : il s’agirait d’une approche extrêmement coûteuse et perturbatrice pour les recettes gouvernementales. D’autres solutions sont possibles, et c’est le seul argument que je souhaite formuler.

De plus, en soi, la structure de l’imposition proposée des revenus fractionnés est défaillante. Ce modèle vise à imposer le taux marginal le plus élevé à l’ensemble du revenu fractionné ou à la partie fractionnée du revenu. Ce changement a été inventé avec ce qu’on appelle l’impôt sur le revenu fractionné avec des mineurs, qui a été instauré en 2000.

Auparavant, le modèle utilisé pour le traitement du fractionnement du revenu était principalement l’attribution du revenu. La loi disait : « une personne a transféré un revenu à une autre, alors nous allons le remettre là où il aurait dû être ». Il sera imposé au taux marginal applicable à la personne en question, pas le plus élevé, mais celui qui aurait pu être imposé, de sorte que les impôts qui « auraient dû être payés » sont ceux qui finissent par l’être.

Si on applique l’impôt au modèle de revenu fractionné selon ces propositions, à mon avis, on court un risque important que soient payés des impôts supplémentaires qui, autrement, ne l’auraient pas été selon un modèle d’attribution.

Je pense que le dernier argument que je formulerais est le plus important. J’ai gardé pour la fin l’absence de droits acquis appropriés dans les dispositions relatives au fractionnement du revenu.

Le ministre a déclaré à maintes reprises : « Ne vous inquiétez pas. Nous allons nous assurer que les dispositions actuellement en place, quelles qu’elles soient, ne seront pas touchées. » Avec tout le respect que je lui dois, c’est inexact. En ce qui concerne les propositions de fractionnement du revenu, le ministre semble être d’avis que, comme ces règles ne s’appliqueront qu’aux sommes réparties après 2017, cela signifie qu’ils ne s’appliquent à rien de ce qui s’est passé avant 2017, et c’est inexact.

Il y a des dizaines, voire des centaines de milliers de sociétés partout au pays qui ont appliqué ce qu’on appelle normalement un gel successoral au cours des 30 ou 40 dernières années. On attribue une valeur aux actions et aux biens appartenant aux conjoints, aux enfants ou à des membres de la parenté. Il s’agit non pas de la complexité, mais des variations. Les circonstances varient au même titre que toutes les familles d’une région du pays à l’autre. Cette valeur est verrouillée, et on compte dessus. Les personnes qui ont procédé à l’organisation de leurs affaires au cours des 40 dernières années ont compté dessus de bonne foi. Il se pourrait que la moitié de la valeur fixée soit maintenant assujettie à un taux d’imposition maximal qui n’avait pas été prévu. Je pense qu’il s’agit d’un problème extrêmement important. Il me semble que le ministre procédera à la mise en œuvre des propositions concernant le fractionnement du revenu. À mon avis, comme je l’ai exposé dans mon mémoire, une protection efficace des droits acquis est tout à fait cruciale afin de prévenir des inconvénients qui, autrement, sont inappropriés. Merci.

Hugh C. Woolley, consultant en matièred’impôt, à titre personnel : Bonjour. Merci de me donner la possibilité d’aborder un enjeu qui me passionne.

Comme l’indique mon curriculum vitæ, je suis consultant d’impôt pour des cabinets comptables et je possède une connaissance directe des conséquences que ces propositions auront sur les petites pratiques. Auparavant, je rédigeais des décisions relatives à des transactions papillon à l’administration centrale de l’Agence du revenu du Canada, à Ottawa. En outre, j’enseigne au sujet de l’impôt sur le revenu depuis 25 ans, et j’ai publié 10 grands documents pour l’Association canadienne d’études fiscales et STEP Canada.

J’ai distribué mes réflexions sur les propositions du 18 juillet dans un document de huit pages, et je consacrerai les cinq minutes qui me sont accordées à trois éléments clés, c’est-à-dire l’équité, la complexité et une véritable réforme fiscale.

Le premier élément est l’équité. S’il s’agissait de l’objectif, alors je pense que ces propositions ont raté la cible. Les régimes de pension à prestations déterminées créent une énorme acrimonie chez les propriétaires de petite entreprise à qui on dit qu’ils profitent d’un avantage fiscal injuste en cumulant des actifs excédentaires dans des sociétés privées. De nombreux propriétaires d’entreprises privées considèrent leurs sociétés comme un régime de pension non enregistré qui arrondira leurs fins de mois à la retraite. Je ne crois pas que cette prudence financière devrait être punie par des taux d’imposition dépassant les 70 p. 100, comme le prévoit le régime proposé.

Si le ministère des Finances souhaite aborder la possibilité de report, il serait sage qu’il tienne également compte des avantages que présentent les régimes de pension. Il pourrait régler cette question par de nombreux moyens simples, notamment en augmentant de façon importante les limites de cotisation aux REER ou en permettant de nouveau l’étalement du revenu pour compenser l’instabilité fréquente des revenus des propriétaires d’entreprise.

Je suis d’accord pour dire qu’il convient de se demander si les sociétés privées devraient bénéficier d’un report d’impôt qui n’est pas offert aux particuliers. Toutefois, je crois qu’il convient tout autant de se demander si les sociétés ouvertes devraient maintenant jouir d’un avantage par rapport aux particuliers et aux sociétés privées. Cette nouvelle règle fera clairement pencher la balance en faveur des entreprises ouvertes et fera en sorte qu’il sera avantageux pour elles d’engloutir les sociétés privées, surtout dans le cadre d’une stratégie de sortie efficiente sur le plan fiscal.

Le deuxième élément est la complexité. À mon avis, la grande majorité de mes clients seront incapables de composer avec ces nouvelles règles qui ne servent qu’à rendre un système fiscal excessivement complexe encore plus incompréhensible. Le ministère des Finances n’est jamais satisfait de solutions simples et pratiques. Il recherche toujours la perfection théorique.

Par exemple, une solution très simple aux règles relatives au fractionnement du revenu aurait été d’étendre la mesure actuelle d’impôt sur le revenu fractionné avec des mineurs jusqu’à l’âge de 24 ans, comme la grande majorité des cas de fractionnement de revenu dont j’ai été témoin concernent des enfants d’âge universitaire.

Je crois fermement que la seule solution pratique au problème du revenu passif, c’est un impôt anticipé sur les sociétés, comme l’a proposé la commission Carter. Je n’ai pas rencontré un seul expert fiscal qui croit que le ministère des Finances serait capable de rédiger un projet de loi pratique pour protéger les bénéfices non répartis déjà en place. D’aucuns ont laissé entendre que l’isolement des actifs excédentaires dans une nouvelle société pourrait être une solution. Toutefois, les règles fiscales empêchent les transactions papillon partielles. Même si de telles réorganisations d’entreprise étaient possibles, les honoraires professionnels seraient prohibitifs pour la plupart des sociétés privées.

En outre, je ne crois pas que l’exemption annuelle proposée de 50 000 $ aura une quelconque valeur réelle. Même si une société privée touchant 30 000 $ de revenus locatifs annuels est visée par l’exemption, si l’aliénation finale de la propriété locative génère un gain en capital imposable de 150 000 $, alors une part de 100 000 $ de ce gain imposable sera assujettie à une double imposition. Ce fait, à lui seul, découragerait le propriétaire d’acheter la propriété locative dans l’entreprise et viderait de son sens l’exemption de 50 000 $.

Il semble maintenant que le ministère des Finances a retiré ses propositions en ce qui a trait à la conversion du revenu en gains en capital. Je vous assure que ce n’est pas la fin de l’histoire. Au fil des ans, ce jeu du chat et de la souris et de dépouillement des surplus a recommencé chaque fois que des gains en capital sont imposés à un taux inférieur à celui des dividendes, comme cela a été le cas en 1969, quand la Cour suprême du Canada a tranché cette question dans l’arrêt Conn Smythe.

Je ne conteste pas le fait qu’un correctif législatif est nécessaire, surtout lorsqu’il s’agit de transactions qui s’annulent automatiquement. Toutefois, je crois que toute nouvelle règle doit permettre le transfert intergénérationnel des entreprises et une planification fiscale raisonnable après la mort, y compris la technique du « pipeline ». Je n’ai jamais rencontré de clients qui étaient décédés intentionnellement dans le but d’obtenir un avantage fiscal.

Le troisième élément est l’absence d’une réforme importante. Le ministère des Finances a annoncé des réductions du taux d’imposition des petites entreprises. À mon avis, ces réductions d’impôt ne sont rien de plus qu’un subterfuge et ne font pas partie d’une véritable réforme fiscale. Il faut se rappeler qu’il y a environ 25 ans, en Colombie-Britannique, le taux d’imposition des petites entreprises était de 26 p. 100. Il devrait frôler les 10 p. 100 dans trois ans. Je crois qu’un amalgame des taux d’imposition, qui ferait en sorte que toutes les sociétés paieraient environ 22 p. 100 de leur revenu d’entreprise, serait plus concurrentiel à l’échelon international, simplifierait grandement le système fiscal et encouragerait les entreprises à prendre de l’expansion sans craindre de perdre leur taux d’imposition favorable. Par ailleurs, cet amalgame servirait à éliminer une part importante de la possibilité de report actuellement offerte aux sociétés privées.

Je crois qu’ironiquement les allègements fiscaux récemment annoncés sont en réalité une énorme augmentation d’impôt. À mesure que les taux d’imposition des entreprises diminuent, le taux d’imposition s’appliquant aux revenus répartis des sociétés doit être haussé afin de préserver l’intégrité du système. Le taux d’imposition marginal maximal de la Colombie-Britannique applicable aux dividendes non admissibles aura tôt fait de dépasser les 45 p. 100, comparativement à un taux inférieur de 32 p. 100, en 2007. Cette augmentation de plus de 13 p. 100 signifie que la répartition du revenu des petites entreprises coûtera désormais 40 p. 100 plus cher. Compte tenu de la somme des bénéfices non répartis que détiennent les sociétés privées, cette augmentation fait plus que punir les propriétaires de petite entreprise qui ont laissé des revenus dans leur société.

La nouvelle interdiction de fractionnement du revenu entre conjoints anéantit des années de planification fiscale prudente effectuée par des milliers de propriétaires de petite entreprise. Comme ils ont renoncé à se verser un salaire afin que leur société cumule des fonds en vue d’une participation égale aux dividendes au moment de la retraite, de nombreux propriétaires de petite entreprise n’ont pas cotisé à un REER, ce qui aurait permis le fractionnement de la pension de retraite. Il est maintenant trop tard pour changer cette planification, et ces propriétaires de petite entreprise seront traités de façon bien pire tout au long de leurs années de retraite que ceux qui ont cotisé à un REER. Selon moi, ces mesures législatives sont effectivement rétroactives et scandaleuses.

Pour conclure, ce processus entier est démoralisant à observer, surtout en raison du discours polarisateur. Le commentaire selon lequel les bénéfices non répartis des sociétés privées sont des sommes improductives était malheureux et trompeur. Ces fonds ont été investis dans des actifs comme des immeubles à logements où vivent des Canadiens et des actions de sociétés ouvertes qui emploient des Canadiens.

Je recommande fortement au gouvernement de mettre sur pied une commission d’enquête parlementaire afin qu’elle étudie la possibilité d’une véritable réforme fiscale pour tous les Canadiens. Merci de cette occasion.

La sénatrice Cools : Très bien.

La sénatrice Marshall : J’ai beaucoup de questions à poser. Tout d’abord, monsieur Christian, merci beaucoup d’avoir soulevé le problème des droits acquis en ce qui concerne le gel successoral. Je n’y aurais jamais pensé, mais j’ai lu à ce sujet dans l’un de vos documents.

Dans votre déclaration préliminaire, vous avez parlé des fonds communs de placement et de l’important retrait qui a lieu ou qui aura lieu. Où va l’argent? L’une des questions que je me pose est la suivante : quelles seront les conséquences sur l’économie? Que verrons-nous quand ces changements fiscaux seront mis en œuvre? Je suppose qu’ils le sont. Les gens font quelque chose. Où va tout cet argent retiré des fonds communs de placement?

M. Christian : C’est quelque chose qui arrivera, selon mes clients. Les fonds communs de placement qu’ils exploitent fournissent de l’argent principalement à l’industrie hypothécaire. Ils offrent un financement à court terme principalement dans le domaine de la mise en valeur et de ce genre de choses. En raison de la nature de cette industrie, ils génèrent beaucoup de revenus.

Mes clients prévoient qu’une fois que ces changements entreront en vigueur, nombre de leurs investisseurs transformeront leurs investissements dans des unités de fonds communs de placement qui produisent des revenus en des investissements sous forme de capital-actions, qui ne procurent un revenu que lorsqu’un gain est réalisé. Cet argent restera là à ne rien faire. La valeur pourrait augmenter au fil du temps, mais, sans disposition ni autre événement imposable, il n’y aura aucun revenu d’investissement. D’une certaine manière, il s’agit de gagner du temps jusqu’à ce qu’il finisse par y avoir un problème, mais un problème qui survient demain n’en est pas un d’aujourd’hui.

La sénatrice Marshall : L’argent reste au Canada, n’est-ce pas? Pensez-vous qu’il restera au pays, ou bien est-ce que cela change les choses?

M. Christian : Rien n’exige qu’il reste au Canada. Rien ne garantit que ce sera le cas. L’argent ira là où se trouvent les meilleures occasions, si c’est ce que vous recherchez.

Je suis celui qui pensait que les taux d’intérêt étaient en train d’augmenter au début des années 1990 et qui a choisi une hypothèque à taux fixe de 11,5 p. 100 pour cinq ans. Vous ne voulez pas vraiment vous tourner vers moi pour obtenir des conseils en matière d’investissement, mais, si vous vouliez quelque chose qui ne produira pas de revenu, mais qui a le potentiel de procurer un gain important, vous iriez vers des actions de haute technologie et vous vous tourneriez vers les Américains, alors l’argent se déplacerait vers le sud.

La sénatrice Marshall : Je voulais obtenir des précisions sur deux ou trois autres questions que vous avez abordées afin que je puisse comprendre pleinement ce qui se passe.

Lorsqu’il est question du seuil de revenu de 50 000 $ et de la façon dont il sera appliqué, vous avez donné l’impression qu’il y avait plusieurs moyens pour vous de l’appliquer. Pouvez-vous simplement nous expliquer cela? Les 50 000 $ seront prévus dans le projet de loi budgétaire de 2018. Ce que je crains, c’est que nous ne disposions que de deux semaines pour étudier le projet de loi budgétaire. Il contiendra quelque chose. Deux semaines ne suffiront pas. J’essaie de savoir quelles sont les options afin de comprendre ce qui figurera dans le document budgétaire.

Quelles sont les options en ce qui concerne le seuil de revenu de 50 000 $?

M. Christian : Votre crainte reflète la mienne, parce que ce qui a été publié en octobre, c’était une série de communiqués de presse en quelques jours. L’unique avantage des propositions du 18 juillet tenait au fait qu’il y avait au moins un projet de loi détaillé concernant le fractionnement du revenu.

La sénatrice Marshall : Il était complexe.

M. Christian : Pour ce qui est des propositions concernant le revenu passif, il y avait au moins une analyse relativement bien exposée. Nous avions une certaine idée de ce qui se passait.

Ce qui est arrivé, au mois d’octobre, c’est un tas de communiqués de presse selon lesquels on allait faire certaines choses et je ne sais quoi d’autre au printemps prochain. Maintenant, on nous laisse deviner ce qui va se passer au printemps prochain.

En ce qui concerne la proposition relative au revenu passif et aux 50 000 $, tout ce que nous savons, c’est qu’il s’agit là de la limite prévue. Le calcul était fondé sur un million de dollars à un taux de 5 p. 100. En soi, ce calcul est un peu logique, si on le regarde très étroitement.

Que signifie la somme de 50 000 $? Est-ce par entité, si tout l’argent se trouve dans une société particulière? S’agit-il d’un groupe d’entités associées? D’après la façon dont la Loi de l’impôt sur le revenu et le système fiscal sont structurés, on aurait tendance à croire que la somme doit être partagée au sein d’un groupe d’entreprises associées. La limite s’applique-t-elle également s’il y a plusieurs actionnaires?

La sénatrice Marshall : Exact.

M. Christian : S’il y a deux actionnaires, est-ce 100 000 $? Est-ce 400 000 $? Voilà les diverses façons dont la limite pourrait être structurée.

La sénatrice Marshall : Ma dernière question qui s’adresse à vous est la suivante : est-il difficile de faire le suivi du revenu passif afin que la proposition le concernant puisse être mise en œuvre? Certains témoins ont dit : « Non, ce n’est pas difficile. » Est-ce que ce sera difficile? Vous aurez diverses sources de revenus, alors il me semble que ce pourrait être un peu difficile, mais certaines personnes disent : « Non, ce n’est pas difficile. » Pourrais-je avoir votre point de vue à ce sujet?

M. Christian : Tout ce que je peux dire, c’est que : je remercie le ciel de ne pas être comptable. Je pense que ce sera exceptionnellement difficile. En toute équité, toutefois, ce n’est pas aussi difficile que ce l’aurait été en 1972. Au début des années 1970, tout de suite après la réforme fiscale initiale, la proposition de faire le suivi de ce qui est, en réalité, le report a été abandonnée en raison de sa complexité technique. Je pense qu’une grande part de cette complexité — même si je n’étais pas là à cette époque — tenait peut-être aussi aux limites de la technologie et à la capacité de l’industrie de la comptabilité de simplement suivre les progrès à cet égard. Les ordinateurs sont maintenant très efficaces.

La sénatrice Marshall : Oui.

M. Christian : J’ai dans ma poche un objet dont la puissance informatique est supérieure à celle de l’Université Stanford dans les années 1960. Cela rendra les choses plus faciles qu’elles ne l’auraient été autrement. Le degré de complexité et de conformité est très intimidant, surtout que les clients d’un grand nombre des sociétés à peu d’actionnaires ne sont pas les meilleurs en comptabilité.

La sénatrice Marshall : Non.

M. Christian : Elles ne sont pas les meilleures en tenue de livres, ce qui impose un fardeau immense à l’industrie de la comptabilité, qui doit présenter des chiffres compréhensibles sur lesquels se fonde l’ARC.

La sénatrice Marshall : C’est exact, et l’ARC devra appuyer ces chiffres.

M. Christian : Exact.

La sénatrice Marshall : Monsieur Woolley, j’ai une question pour vous. C’en est une que j’ai posée ce matin, et la réponse que j’ai reçue ne m’a pas vraiment contentée.

À mesure que le taux imposé aux petites entreprises diminuera — et ce sera le cas —, l’impôt sur les dividendes augmentera. Voilà notre interprétation. Je pense que c’est ce que vous avez affirmé dans votre déclaration préliminaire.

M. Woolley : C’est toujours… Comme je l’ai dit, oui, et c’est toujours ce qui est arrivé.

La sénatrice Marshall : C’est une tendance historique. Le gouvernement fédéral a affirmé que le taux imposé aux petites entreprises va diminuer. Personne au gouvernement ne parle de l’impôt sur les dividendes qui va augmenter. Ce que j’entends dire, c’est que, à mesure que le taux va diminuer, les recettes que perdra le gouvernement seront compensées par une augmentation de l’impôt sur les dividendes. Pouvez-vous simplement nous expliquer cela?

M. Woolley : Je vais faire de mon mieux. Je pense que ce cas est distinct des nouvelles propositions. La situation aurait été la même si le gouvernement n’avait pas présenté ces propositions.

La sénatrice Marshall : Exact, oui.

M. Woolley : Le gouvernement a réduit le taux d’imposition des entreprises. Il s’agit du taux applicable aux petites entreprises ou du taux général. Si on regarde seulement le taux général, quand il a été réduit pour la première fois, en 2006, en Colombie-Britannique, les dividendes admissibles ont été imposés à un taux de 18 p. 100. Maintenant, ils sont imposés à un taux d’environ 33 p. 100. On peut observer l’énorme hausse des taux d’imposition des dividendes qui se produit. J’ai également fait allusion à ce qui se passe.

Oui, le gouvernement n’a pas fait cette annonce à ce moment-là. Ce qui va se passer, c’est qu’il va modifier le mécanisme de crédit d’impôt sur les dividendes afin de préserver l’intégrité.

La sénatrice Marshall : L’intégrité.

M. Woolley : Il veut que le fardeau fiscal total entre la société et le particulier équivaille essentiellement à 50 p. 100, en supposant qu’il s’agit d’un contribuable imposé au taux maximal. Si le taux d’imposition des sociétés diminue, on doit augmenter le taux imposé au particulier qui sort de l’argent de l’entreprise afin de préserver l’intégrité. C’est toujours ce qui est arrivé.

La sénatrice Marshall : Le revenu global du gouvernement devrait être exactement le même.

M. Woolley : Oui. Évidemment, une partie sera reportée si le taux d’imposition des entreprises est moins élevé. Oui, le fardeau total demeure le même, mais c’est en supposant que les particuliers ont toujours payé un taux dans la même fourchette d’imposition lorsqu’ils retiraient l’argent de l’entreprise. Parfois, les gens sont dans des fourchettes différentes au moment où ils touchent le revenu et au moment où ils retirent l’argent. Comme je l’ai mentionné, beaucoup de gens voient les sociétés comme des régimes de pension non enregistrés. Les propriétaires d’entreprise n’ont pas de régimes de pension à prestations déterminées. Ils mettent leur argent de côté dans leurs sociétés. Ils le retirent au moment de la retraite afin de pouvoir arrondir leurs fins de mois. Pour la grande majorité des propriétaires de petites entreprises, c’est ce que je vois se produire.

La sénatrice Marshall : Nous comptons sur le gouvernement pour augmenter l’impôt sur les dividendes afin de compenser sa perte de recettes fiscales liées à la diminution du taux imposé aux petites entreprises.

M. Woolley : Généralement, c’est ainsi que cela fonctionne, oui.

La sénatrice Marshall : C’est de cela que nous dépendons, mais il est possible qu’il l’augmente encore davantage.

M. Woolley : Cela devient une énorme ponction fiscale.

La sénatrice Marshall : C’est ce que je regarde.

M. Woolley : Disons que le taux d’imposition de ma société était de 26 p. 100 quand j’ai touché ce revenu, il y a 25 ans. Je présumais qu’au moment où j’allais le retirer, mon taux de dividende allait compenser cet impôt, mais il n’y a aucun suivi.

Maintenant, à mesure que les taux imposés sur les dividendes augmentent encore et encore, mon fardeau fiscal total pourrait être largement supérieur à 60 p. 100, car j’ai cumulé ce revenu. C’est l’élément que je tentais de souligner quand j’ai affirmé que cette proposition punit les gens. Comme vous conservez ce taux, tous les bassins de bénéfices non répartis de la société en question seront maintenant assujettis à des impôts de répartition de plus en plus élevés, à mesure que l’argent sort de la société. On présume que chaque dollar à l’intérieur de l’entreprise est imposé à un taux de 10 p. 100. Ce n’est tout simplement pas le cas.

Une grande part de l’argent est imposé à un taux de 14, de 20 ou de 26 p. 100, mais les propriétaires d’entreprise le retirent comme s’il avait été imposé au taux le moins élevé.

La sénatrice Marshall : Voilà l’information que je tentais d’obtenir ce matin, et je n’arrivais pas à obtenir une réponse.

M. Woolley : Il n’y a aucun suivi. Rien ne dit : « D’accord, cet argent a été gagné pendant que le taux était à tel niveau; par conséquent, au moment du retrait, c’est ce niveau qui s’applique. »

La sénatrice Marshall : Non, je vous ai compris. C’est exact. Ce n’est pas égal.

La sénatrice Jaffer : Je vous remercie tous les deux de votre présence.

Je veux commencer par le revenu passif. J’ai trois ou quatre aspects différents à aborder et je vais tenter de le faire rapidement. Tout d’abord, en ce qui concerne le revenu passif, je ne sais pas d’où vient l’idée du 50 000 $. Je n’ai pas été en mesure d’obtenir une réponse de quiconque à qui j’ai posé la question afin de savoir pourquoi la somme de 50 000 $.

Une des questions que je me pose est la suivante : d’après votre expertise, est-ce 50 000 $ par actionnaire ou bien 50 000 $ par entreprise? Si l’entreprise appartenait à un actionnaire ou une personne, peut-être que c’est très bien. Cela dépend. S’il s’agit de quatre frères, est-ce 50 000 $ entre les quatre frères, ou faudrait-il qu’ils forment des entreprises distinctes afin de pouvoir tirer profit des 50 000 $?

Ce qui me dérange vraiment au sujet des 50 000 $, c’est que les petites entreprises sont grandes et petites. On ne peut pas leur attribuer toutes le même taux. Il y a plusieurs questions à poser concernant le revenu passif, mais il vaudrait mieux que je m’arrête là afin que vous puissiez me donner une réponse.

M. Christian : La réponse est la suivante. D’où provient le chiffre de 50 000 $? Je n’en ai aucune idée. On dirait qu’il a été établi de façon arbitraire. Même si un million de dollars représente beaucoup d’argent et que 5 p. 100 est un rendement raisonnable, c’est 50 000 $, et c’est le chiffre. C’est tout ce que je peux dire.

Pour ce qui est de la façon dont il sera appliqué entre divers actionnaires ou groupes d’entreprises associées, encore une fois, nous n’avons aucune information ni aucun moyen de deviner. D’après le communiqué de presse et les déductions que je peux en tirer, je suppose que ce sera 50 000 $ par entreprise ou par groupe de sociétés associées, sans égard au nombre d’actionnaires ou à la situation de l’entreprise.

Ce n’est que ma supposition, pour l’instant. Nous devrons tous attendre le jour du budget pour le découvrir.

La sénatrice Jaffer : Monsieur Woolley, j’ai une question à vous adresser. Je l’ai posée à un professeur, plus tôt; je ne suis pas contente de la réponse, non pas parce qu’il n’a pas répondu ce que je voulais entendre, mais parce que je pense qu’un particulier, c’est très différent d’une petite entreprise ou d’une société ouverte.

Pourquoi ne viser que les petites entreprises? Pourquoi ne pas viser les sociétés ouvertes également? J’ai posé cette question au ministre. Mes collègues pourront me corriger si je me suis trompée, mais je crois savoir qu’il dit : « Eh bien, les sociétés ouvertes paient des impôts, elles aussi. » Ce n’est pas ma question. Elle concerne le fait que la mesure vise uniquement les petites entreprises.

Je vais en venir à la question des sociétés ouvertes dans une minute. Comme je l’ai dit plus tôt, comparer un particulier à une société, c’est comparer des pommes et des oranges. Ai-je raison? Ai-je tort? Pouvez-vous nous aider?

M. Woolley : Je pense qu’il y a beaucoup de vérité dans les propos que vous avez tenus. Ce n’est pas toujours complètement noir ou blanc, mais, selon moi, les propriétaires de petite entreprise prennent vraiment beaucoup de risques. Je ne pense pas qu’une certaine compensation dans le système fiscal pour l’énorme risque qui est couru soit nécessairement une mauvaise chose. Selon moi, cette compensation encourage la prise de risques, et c’est une chose que nous devrions faire. Ce n’est qu’une croyance personnelle. Nous devrions encourager l’esprit d’entreprise afin que soient créés des entreprises et des emplois, et il est bien que cette création soit récompensée par un taux d’imposition favorable. Je ne pense pas que le taux imposé aux petites entreprises devrait servir uniquement — comme certains le laissent entendre — à faire croître l’entreprise. Il devrait également servir à récompenser la prise de risque. Je pense que cet aspect n’est pas nécessairement ressorti dans certaines des comparaisons.

La sénatrice Jaffer : Voulez-vous ajouter quoi que ce soit?

M. Christian : Je voudrais formuler un commentaire de plus. Une grande partie du débat a été détournée par des remarques sur le risque et la récompense. De mon point de vue, la simplicité par rapport à la complexité est un aspect qui a été perdu dans le débat. Il y a toujours des différences dans les marges.

Je sais que, plus tôt, le ministre et le professeur affirmaient que seulement 3 p. 100 des entreprises seraient touchées par ces propositions. Allons-nous vraiment rendre notre système beaucoup plus complexe et plus difficile à administrer pour 3 p. 100? Où est le sens de la perspective et des proportions?

Le meilleur système en est un qui est simple à appliquer et facile à comprendre. J’adore la complexité et les règles complexes. Je suis avocat, et j’aime faire des casse-tête dans mon temps libre. Je trouve que c’est bien, mais, pour que les gens, le système... pour que l’ARC soit en mesure d’administrer un système, nous devrions établir un ensemble de règles qui s’applique à tout le monde sans faire de petites distinctions entre les personnes qui ont droit ou non à une règle particulière. Ce n’est pas une question de récompense. C’est simplement ce qu’il faut faire. Voilà les règles. Elles s’appliquent à tout le monde de la même manière.

La sénatrice Jaffer : Dans les propos que vous avez tenus, une chose qui me préoccupe vraiment, c’est la question du critère relatif au caractère raisonnable. C’est unilatéral. L’ARC peut dire : « C’est tout », et « C’est la loi. » Je peux affirmer que mon conjoint a beaucoup travaillé pour mon entreprise, et cetera, mais l’ARC peut dire : « Non, je ne suis pas d’accord avec vous. » Ses agents ont le dernier mot. C’est unilatéral.

J’aimerais que vous formuliez tous les deux des commentaires sur le critère relatif au caractère raisonnable.

M. Christian : Ce critère posera un problème important, parce que le ministre a affirmé qu’il existe depuis des décennies. Il a raison, et cela fait des décennies qu’il est vraiment, vraiment dur à appliquer. C’est très difficile parce que chaque juge des faits — ou toute personne en particulier qui l’examine — arrivera à une conclusion différente, car c’est d’ordre factuel. Des personnes différentes réagissent différemment à divers faits et à diverses circonstances. Il n’y a aucun moyen de faire en sorte que ce critère soit facilement applicable et tienne compte des distinctions importantes que veut faire le gouvernement.

J’ai deux préoccupations par rapport à ce qui arrivera dans le cas de ce critère. Premièrement, les ordinateurs et les capacités d’exploration de données du gouvernement sont en train de devenir très, très bons. Il a investi beaucoup d’argent dans ses ordinateurs et dans leur fonctionnement au cours des 15 ou 17 dernières années, et ils sont impressionnants. Je crains que le gouvernement ne mette sur pied un programme qui établira des correspondances entre les personnes qui touchent un revenu de dividende d’une société à peu d’actionnaires. On établira une correspondance avec le chiffre prévu de 50... et la personne qui a un lien de parenté et qui détient une participation de contrôle au sein de la société en question. Cela donnera lieu soit à une vérification, soit — encore pire — à un avis de cotisation adressé à la personne qui dit : « Voilà. Nous pensons que vous avez touché un revenu fractionné. Prouvez que nous avons tort. »

Dans les litiges en matière d’impôt sur le revenu, vous êtes coupable jusqu’à preuve du contraire. Une fois qu’un avis de cotisation est délivré, vous devez renverser les suppositions du gouvernement. Si elles sont générées par une machine, il devient très, très difficile de les renverser.

Deuxièmement, même si ce scénario de science-fiction ne se concrétise pas, du moins, pas immédiatement, les agents de l’ARC ont beaucoup de difficulté à appliquer même les dispositions actuelles, notamment le critère relatif au caractère raisonnable.

En 1986, l’adoption de la règle d’attribution visant les sociétés a été le dernier grand changement apporté au fractionnement du revenu. Cette règle est un critère relativement direct comportant des lignes de démarcation et deux ou trois petits calculs. Comme je l’ai affirmé d’entrée de jeu, je fais ce travail depuis un quart de siècle. J’ai été préoccupé par la règle d’attribution applicable aux sociétés tous les jours de cette période parce qu’elle est au beau milieu de ce que je fais constamment. J’avertis continuellement les gens à ce sujet. Durant ce quart de siècle, cette règle n’a jamais été invoquée par l’ARC.

La raison pour laquelle je pense qu’elle ne l’a pas été, c’est que c’est trop difficile pour les agents. La règle est trop dure à appliquer.

Dans le cas d’un critère relatif au caractère raisonnable, ce sera pas mal la même chose. Je crains qu’une liste de contrôle soit élaborée quelque part, à l’interne, et soit appliquée à toutes les circonstances. Comme l’a indiqué la sénatrice Jaffer, au lieu de réagir aux circonstances individuelles et multiples, qui peuvent s’appliquer à toute entreprise particulière, il y aura une série de cases assortie de listes de contrôle. Si vous obtenez 6 sur 10, vous gagnez; si vous obtenez 4 sur 10, vous perdez. Le critère sera réduit à quelque chose d’aussi arbitraire.

M. Woolley : Voici mes réflexions sur le sujet : lorsque vous abordez des questions de fait plutôt que des questions de droit, vous avez besoin d’un certain genre de processus d’arbitrage. L’un des problèmes que pose le système actuel, c’est que l’Agence du revenu du Canada est à la fois le juge, le jury et le bourreau.

La sénatrice Cools : C’est exact.

M. Woolley : La personne a des recours prévus dans la loi. Après avoir eu affaire à l’agent d’appel de l’Agence de revenu du Canada, j’ai souvent entendu dire qu’on pouvait toujours exercer son droit reconnu par la loi d’aller devant les tribunaux. Dans la grande majorité des cas simples, les frais de justice peuvent s’élever de 20 000 à 50 000 $. Ce n’est tout simplement pas une option pour la plupart des gens.

Ces personnes doivent accepter ce que dit l’Agence de revenu du Canada ou tenter de négocier depuis une position de faiblesse. Par conséquent, lorsqu’on fait intervenir des critères qui comportent autant de zones grises, ce sera toujours problématique, surtout pour les petits contribuables. Les grands contribuables disposent des ressources nécessaires pour se battre, mais ce n’est pas le cas des petits, et ils vont se faire écraser par l’ARC.

Le sénateur Pratte : Le document du 18 juillet commence par décrire ce que le gouvernement perçoit comme divers types de problèmes, puis propose des solutions. Vous n’appuyez manifestement pas les solutions, mais convenez-vous de l’existence de certains des problèmes que décrit le gouvernement? Y a-t-il des éléments qui pourraient, selon vous, être réglés, ou bien ce qu’il décrit ne pose-t-il aucun problème?

M. Woolley : Si je pouvais chercher quoi que ce soit dans ce document, personnellement, la limitation de l’exemption touchant les gains en capital des personnes majeures ne me poserait pas de problème. Je ne pense pas que 836 000 exemptions devraient être accessibles à un nourrisson. Cette exemption ne me poserait pas de problèmes majeurs. Il s’agit de l’un des éléments qui ont été annulés, fort probablement parce qu’il s’agit d’une petite somme en dollars dans le contexte général.

Ensuite, comme je l’ai mentionné dans le document, je ne verrais pas vraiment de problème à ce que soit étendu l’impôt sur le revenu fractionné avec des mineurs jusqu’à l’âge approximatif de 24 ans. À part cela, je pense que tous les aspects doivent faire l’objet d’une réflexion majeure, et j’irais jusqu’à dire qu’une commission d’enquête parlementaire devrait se pencher sur le système tout entier.

M. Christian : Selon les préoccupations dont le gouvernement a fait part dans le document du 18 juillet, je pense qu’il a mal cerné son problème. Ce qu’il a désigné comme un problème structurel lié à l’architecture de la Loi de l’impôt sur le revenu est lié en réalité au taux d’imposition. MM. Milligan et Lammam en ont tous deux parlé ce matin. L’écart entre le taux d’imposition des sociétés, et plus particulièrement celui des petites entreprises, et le taux maximum d’imposition du revenu des particuliers est simplement trop vaste. Il est trop grand, et il encourage les distorsions dans le système.

Depuis maintenant un certain nombre d’années, je me demande si la déduction pour les petites entreprises a fait son temps. Quand j’ai commencé à exercer, elle était d’environ 22 ou 23 p. 100. Le taux d’imposition général des entreprises était de 46 p. 100 et fonctionnait comme un double impôt. Tous ces problèmes ont été corrigés il y a environ 10 ou 11 ans, grâce à l’adoption du compte de revenu à taux général et à la pleine intégration des systèmes d’imposition des entreprises et des particuliers. En raison des réductions du taux d’imposition des entreprises qui ont eu lieu au cours de la dernière décennie, ou bien peut-être des 15 dernières années, ce taux correspond maintenant pas mal à celui des petites entreprises dans les années 1980 et 1990, et tout le monde pensait que c’était parfaitement acceptable, à l’époque.

Je me demande si, sur le plan de la structure, on a particulièrement besoin d’un taux d’imposition des petites entreprises. Si on retire ce taux, on élimine un grand nombre des incitatifs et des préoccupations du gouvernement.

M. Lammam a parlé du deuxième problème du gouvernement à l’égard du taux d’imposition, c’est-à-dire que le taux d’imposition du revenu des particuliers est simplement trop élevé. Je peux parler par expérience. En Colombie-Britannique, dans les années 1990, le taux maximum d’imposition du revenu des particuliers était tout juste inférieur à 55 p. 100. Il commençait à s’appliquer lorsque le revenu atteignait une valeur d’environ 60 000 $. À ce genre de taux d’imposition, les gens font n’importe quoi pour l’éviter. Ils font tout simplement absolument n’importe quoi.

À mesure que les taux d’imposition ont diminué, les gens se présentaient à mon bureau en disant : « Je suis sur le point de toucher un gros revenu. Je vais réaliser un gain. Je vais faire ceci. Que puis-je faire? » Je leur disais qu’ils pouvaient faire ceci et cela. Ensuite, ils lançaient : « J’ai l’impression que c’est beaucoup de travail. On dirait que cela coûte cher et que c’est dur. Je vais simplement payer l’impôt. » C’est ce qui se passait à l’époque. Maintenant que les taux d’imposition se mettent à remonter, je crains qu’encore une fois, des gens soient disposés à tout faire pour éviter de payer le taux d’imposition maximal.

Je suppose que le dernier argument, c’est que, même si le gouvernement a cerné un problème approprié en ce qui concerne l’écart entre le taux d’imposition des petites entreprises, le taux d’imposition du revenu des particuliers et la planification nécessaire à l’obtention du taux d’imposition… même s’il a cerné le problème avec exactitude, il l’a en quelque sorte exacerbé en réduisant maintenant le taux d’imposition des petites entreprises.

Le sénateur Pratte : Le gouvernement semblait viser un genre de SPCC, surtout des professionnels — probablement — qui utilisaient ce type de structure strictement à des fins d’imposition et d’épargne personnelle. C’est le genre d’exemple que le gouvernement a donné lors de ses apparitions dans les médias. Il ne visait pas vraiment les entrepreneurs, mais, peut-être sans le vouloir ou quoi que ce soit, il a pris des mesures qui ont touché un vaste éventail d’entreprises.

Y aurait-il un moyen, à l’aide d’une mesure fiscale, de cibler précisément le genre d’entreprise que vise le gouvernement? Tout d’abord, serait-ce une bonne chose? Ensuite, y aurait-il un moyen de cibler ces genres d’entreprises?

M. Woolley : Quand on veut, on peut. Je crois que les responsables du gouvernement du Québec ont dit, il y a quelques années, que les sociétés qui ne comptaient pas un certain nombre d’employés ne seraient pas admissibles au taux d’imposition des petites entreprises. C’est une façon.

Une deuxième méthode serait seulement de cibler les ordres professionnels. Il y a eu des propositions, un genre de revenu de profession libérale admissible ou quelque chose.

M. Christian : Un revenu non admissible.

M. Woolley : Oui, un revenu non admissible. On a ciblé ces types d’organisations, quoiqu’il est très difficile de dire qu’une entreprise comptable a en quelque sorte plus ou moins de valeur qu’une entreprise de nettoyage à sec ou d’une autre entreprise du genre. Je ne sais pas qui choisit les gagnants et les perdants. Nombre de ces entreprises comportent beaucoup d’aspects.

Un syndic de faillite est-il un comptable ou non? Ce sont des zones très grises, et cela devient très compliqué.

M. Christian : Je n’ai pas vraiment grand-chose à ajouter à part qu’il me semble qu’on s’approche beaucoup d’une liste de recommandations.

Le sénateur Oh : Merci pour la merveilleuse information.

J’ai une question simple. Lorsque je suis arrivé au pays pour la première fois, on m’a dit deux choses : d’abord, vous avez besoin d’un bon avocat et, ensuite, vous avez besoin d’un bon comptable. C’est ce que j’ai appris.

Ma question est la suivante : pourquoi le gouvernement — ou l’ARC — ne peut-il pas concevoir une bonne politique de groupe en matière de recettes fiscales qui encourage la croissance des entreprises, des emplois et des investissements? Nous payons de nombreuses taxes au Canada, une taxe sur de l’argent taxé comme la TPS. Il existe beaucoup de taxes que nous payons aujourd’hui qui ciblent en réalité de l’argent après impôt. Je crois que c’est très injuste. Vous devriez stimuler la croissance afin d’augmenter les recettes de l’ARC.

M. Christian : J’aimerais avoir une bonne réponse à la question « très simple » sur la façon de remanier l’ensemble du régime fiscal. De nombreuses idées portent sur la réforme fiscale. Certaines sont bonnes; d’autres le sont moins. Je suis toujours prêt pour une bonne période de réforme fiscale et une longue discussion sur l’impôt.

Je suis certain que vous avez également entendu de la part de nombreux autres témoins qu’il est probablement temps au Canada d’envisager une bonne réforme fiscale exhaustive.

Le sénateur Oh : Oui.

M. Christian : On a mené la dernière réforme fiscale il y a 30 ans, ce qui représente plus d’une génération. J’étais étudiant de premier cycle lorsque c’est arrivé et je ne le suis plus. Avant cela, j’étais écolier dans les années 1960 et 1970. Votre suggestion est excellente. Je crois qu’il est temps que l’on effectue un examen exhaustif du régime fiscal canadien, mais pas quelque chose de bâclé, réalisé en plein été et assorti d’une période de consultation de 75 jours.

Le sénateur Oh : Oui. Avez-vous des commentaires, monsieur Woolley?

M. Woolley : Merci de la question. Je ne suis pas certain si j’en ai dit un peu trop par rapport à ce sur quoi les propositions du 18 juillet portaient, mais j’ai beaucoup d’idées personnelles.

D’abord, je défends depuis longtemps les travailleurs pauvres. Je ne connais pas le seuil de pauvreté du Canada, mais disons qu’il est d’environ 24 000 $. Je ne crois pas que quiconque touchant un revenu inférieur à 24 000 $ devrait payer un sou d’impôt sur le revenu. L’exemption personnelle devrait être 30 000 $. C’est seulement mon opinion personnelle. Je crois que cela encouragerait et motiverait les gens à travailler. Je crois fermement qu’il faut encourager les travailleurs pauvres.

Ensuite, je crois personnellement qu’on devrait opter davantage pour des taxes à la consommation afin de taxer l’activité économique du Canada. Un des problèmes que j’ai rencontrés avec nombre de mes propriétaires d’entreprise actuellement, c’est qu’ils paient plus de 50 p. 100 d’impôt sur le revenu. Ils acceptent de payer leur juste part et de contribuer à notre grand pays, mais ils sont en concurrence, dans le marché de l’habitation de Vancouver, avec des gens qui injectent de l’argent dans le régime et qui ne paient aucun impôt sur le revenu. Ce n’est pas comme s’ils trichaient. À mon avis, on croit que beaucoup de personnes qui viennent de l’étranger trichent. Selon mon expérience, ce n’est pas le cas. Elles profitent seulement du régime en place.

Beaucoup de personnes ici sont ce que j’appelle des rentiers, c’est-à-dire que l’argent est versé de l’étranger et n’est pas imposé par notre régime. En général, la seule façon de le faire, c’est d’adopter d’autres types de taxes comme des taxes à la consommation. Lorsque vous achetez des véhicules et d’autres produits, vous payez des taxes supplémentaires.

Vous avez parlé des Paradise Papers. Si vous prenez des pays comme les Caraïbes, où il n’y a aucun impôt sur le revenu, et que vous y achetez une automobile, vous payez une taxe à la consommation de 70 000 $.

Il existe d’autres façons de prélever des impôts. Je vais arrêter de râler, mais je modifierais personnellement beaucoup de choses dans notre régime.

La sénatrice Andreychuk : Au lieu de parler de ce qui pourrait arriver, le ministre dit qu’il allait de l’avant et que l’ARC mettra en place cette réglementation. Toutes les personnes à qui nous avons parlé ont d’abord dit qu’elles n’avaient pas été consultées comme elles l’auraient voulu. Vous pouvez dire que vous avez consulté les gens, mais s’agissait-il de véritables consultations? Ça s’arrêtait là.

Le gouvernement dit qu’il est disposé à écouter les gens, mais nous parlons vraiment de deux mois qui englobent la période de Noël; il est question non pas d’un barbecue, mais de Noël, maintenant. La complexité m’inquiète parce que nous finirons par mettre en place un autre régime qui ne sera pas viable si les personnes qui l’appliquent jour et nuit ne l’examinent pas vraiment d’abord.

Comment convaincre le gouvernement s’il s’entête à aller de l’avant? Je vais me faire l’avocat du diable. Messieurs les avocats, vous savez ce que cela veut dire, n’est-ce pas? Vous allez le faire. Nous n’aurons plus d’amendement ni de modification. Maintenant, c’est la réglementation. L’incertitude a autant à voir avec ce que cela signifie pour moi, jusqu’à ce que je voie la réglementation.

Le ministre, particulièrement, et le ministère des Finances ont affirmé qu’ils s’en occuperaient. C’est faisable. Les responsables de l’ARC disent que c’est compliqué, mais qu’ils seront en mesure de le faire. Par ailleurs, le système Phénix était viable en théorie, et les problèmes ont ensuite commencé. Nous ne parlons même pas encore de théorie afin de voir si c’est faisable.

Nous avons tous les critères du « caractère raisonnable » enchâssés. Avant votre naissance, comme vous continuez de parler d’il y a 30 ou de 40 ans, j’ai commencé à pratiquer le droit. C’était, en réalité, il y a 45 ans. Le type de problème qu’il fallait régler était l’indemnisation des accidents de travail. Comment calculer la valeur de la perte d’un membre, et cetera? Nous avons fini par avoir des barèmes de la jurisprudence. Nous en sommes presque à consulter un barème pour voir la valeur de chaque partie du corps, mais le discernement est actuellement intégré dans le système.

Comment convaincre le gouvernement? Comment communiquer une partie de votre contribution à l’ARC, non pas aux responsables des finances, au ministre ou au Parlement, mais aux personnes qui devront administrer le régime au quotidien? Je ne crois pas que le but des gens de l’ARC soit vraiment de nous attraper. Ils font de leur mieux avec les ressources qu’ils ont. Ils sont contraints de faire des choix arbitraires, parce qu’ils doivent justifier leurs actions. Ce n’est pas un critère objectif ni subjectif. Je n’en sais rien.

À mon avis, le dilemme concerne la mise en œuvre. Comment pouvons-nous réduire le niveau d’anxiété et commercer à vivre avec le régime si nous n’avons pas le choix? Comment pouvons-nous faire comprendre cela aux responsables de l’ARC?

Je vais vous donner du temps pour penser à votre réponse. On a beaucoup parlé de paradis fiscaux à l’étranger. Comment récupérons-nous cet argent? Les États-Unis vont laisser tomber l’affaire et dire « revenez », ce qui fonctionnera probablement, à mon avis, dans nombre de cas. Par ailleurs, je crois qu’on a estimé à 9 milliards de dollars l’argent qui se trouve dans les paradis fiscaux à l’étranger. Par conséquent, on a ajouté à l’ARC une composante très coûteuse formée de personnes supplémentaires.

Nous devons faire, à mon sens, la même chose au sein de l’ARC afin de gérer cet aspect. C’est un autre coût et une autre complication pour tous vos clients. Comment pouvons-nous faire comprendre aux gens que ce n’est pas aussi simple que de dire « ne vous inquiétez pas; le régime sera juste »?

M. Christian : L’administration assurée par l’ARC, selon mon expérience de la façon dont ces choses seront administrées, commencera d’abord par des personnes très prudentes et très compétentes. Elles vont y réfléchir très sérieusement, mais le problème auquel elles font face dans l’administration et l’application de ces règles, c’est la façon de créer et de structurer un régime qui produit des résultats au moins quelque peu cohérents.

Pour y arriver, dans n’importe quel régime, on doit éliminer les cas uniques et réduire les situations pour obtenir une série de stéréotypes. C’est le mauvais mot, mais c’est le seul qui me vient à l’esprit. On doit dire qu’il existe certaines catégories et certaines cases. Si vous tombez dans une case particulière, vous devez connaître les résultats.

Ça commence par une réflexion très prudente et très poussée. Ensuite, on généralise pour obtenir un ensemble de règles simples qui peuvent en réalité être administrées et appliquées sur le terrain par des vérificateurs moins formés et moins avertis, encore une fois avec l’objectif de produire des résultats cohérents. Le régime n’arrivera pas à de tels résultats parce qu’aucun régime dans le monde ne peut y arriver, à moins qu’on fabrique du fromage ou quelque chose du genre. Pour ce qui est d’appliquer des situations à la réalité fort complexe des relations humaines, le régime ne sera jamais parfaitement cohérent, mais on essaiera.

Le résultat, comme M. Woolley l’a mentionné plus tôt, c’est soit qu’on ne sera pas en mesure de combattre le gouvernement parce que, sur le plan économique, cela n’en vaut pas la peine, soit qu’on abandonnera sans rien tenter. C’est la situation inverse. C’est la fin de la partie sur l’application.

On en revient à la partie du début. Ce que je voulais dire plus tôt au comité avec mon mémoire, c’était que, avec l’adoption de la règle sur l’impôt des enfants mineurs, en 2000, et les règles d’attribution antérieures, la règle de démarcation très nette était très facile à appliquer. On pouvait savoir si elle s’appliquait ou non. Avec un critère de « caractère raisonnable », on ne le saura jamais. Si on met en œuvre ce que j’appelle une règle « ne le fais pas », ce qui était le cas en ce qui concerne l’impôt des enfants mineurs, il faudra faire en sorte qu’il s’agisse vraiment de ce type de règle. Si on dit qu’il est interdit de fractionner le revenu, c’est ainsi, et c’est fait. N’essayez pas de choisir les gagnants ou les perdants et laissez des êtres humains imparfaits administrer le régime d’une manière cohérente, avec un peu de chance. Vous n’avez qu’à dire que c’est interdit et à passer à autre chose.

M. Woolley : Je vais examiner la question d’un autre point de vue. Examinons-la sous l’angle du petit praticien. Nous avons les grands cabinets comptables et les grands cabinets d’avocats dont la clientèle est les grandes sociétés. Je travaille dans un secteur où il s’agit de petits praticiens, soit le secteur des petites entreprises. Je peux vous assurer que ces règles seront incompréhensibles.

Je travaille avec ces gens-là tous les jours. Ils éprouvent des difficultés. Ils essaient d’apprendre les règles sur la comptabilité, la vérification et l’imposition et de mettre en œuvre des systèmes informatiques pour leurs clients. L’impôt les dépasse complètement. Ils n’ont pas la capacité de suivre le rythme. Ils font vraiment de leur mieux. Ils désirent faire le maximum pour leurs clients. Ils consultent des gens comme M. Christian et moi. Ce sont des processus coûteux. Parfois, ils doivent deviner quoi faire ou seulement le faire. Ce n’est pas le fondement d’un bon régime. Je ne vois tout simplement pas pourquoi on veut rendre le régime de plus en plus complexe.

L’exemption applicable au premier 50 000 $ exigera beaucoup de suivi des montants. Si on essaie d’appliquer la clause d’antériorité aux montants, on aura d’immenses comptes. Le gouvernement est en train d’engendrer une pure catastrophe ici. Comme je l’ai dit, l’adoption de la recommandation de la commission Carter, soit un impôt avancé sur le revenu des sociétés, serait une solution viable. Je ne dis pas que c’est ce que devrait faire le gouvernement, mais il s’agirait du moins d’une solution potentielle.

Le sénateur Mockler : La dernière question ira à Mme la sénatrice Jaffer, de la Colombie-Britannique, et nous conclurons ensuite nos travaux.

La sénatrice Jaffer : J’ai posé cette question au ministre et je vais la répéter. Il semble que les règles proposées sur les investissements passifs tentent de comparer, au nom de l’équité fiscale, les sociétés privées aux particuliers.

Est-il équitable pour les sociétés publiques de continuer de profiter des avantages fiscaux qui sont maintenant refusés aux sociétés privées? Craint-on que les sociétés publiques utilisent cet avantage fiscal pour engloutir des sociétés privées?

Il n’a pas répondu à la question. Il n’a pas répondu à nombre de questions, mais, plus important encore, je crois que la réponse qu’il m’a donnée était que les sociétés publiques paient des impôts. Ce n’était pas ma question.

Ma crainte est la suivante : pourquoi s’occuper seulement des sociétés privées? Je ne m’attends pas à ce que vous émettiez des conjectures sur ce que pense le ministre. C’est injuste pour vous. Êtes-vous inquiets de ce qui arriverait aux sociétés privées?

M. Christian : Je suis très inquiet. Je crois que vous avez soulevé précisément une des grandes questions : les sociétés publiques cibleront les meilleures sociétés privées et les acquerront. Si les propriétaires de ces sociétés sont plus âgés, ils peuvent envisager cette option comme une aubaine inespérée. Ils pourront utiliser l’argent et s’acheter une Maserati, par exemple. Ce ne sera pas le cas pour d’autres.

Si on regarde la situation, encore une fois du point de vue du ministre, peut-être que cela n’a aucune importance et fait seulement partie des concessions qu’on doit faire dans une économie vigoureuse. À mon avis, cela freinera les personnes que le sénateur Pratte a mentionnées. Il semble vraiment que ce soit le modèle derrière les préoccupations, les ordres professionnels : les médecins, les avocats et les comptables.

M. Woolley : Je crois qu’on s’inquiète que des sociétés publiques engloutissent des sociétés privées. Si les propriétaires de sociétés privées se voient imposer des taux d’imposition de plus de 70 p. 100 pour sortir de l’argent de la société, pourquoi ne font-ils pas que vendre leurs actions à une société publique, déposer un formulaire d’option au titre de l’article 85 afin de ne pas payer d’impôts, conserver leurs actions de la société publique comme instrument de retraite, toucher des dividendes, finir par vendre leurs actions et ensuite réaliser un gain en capital sans craindre des taux d’imposition de 70 p. 100. À mon sens, cela deviendra un énorme problème. Ce n’est pas une bonne chose, en particulier pour ce qui est des transferts intergénérationnels d’entreprises qui, autrement, se feraient dans les familles. C’est quelque chose qu’on devrait régler, et je pense que c’est une question légitime à poser, absolument.

Le sénateur Mockler : Avant que l’on termine la séance, j’ai une question pour Me Christian. Vous avez mentionné que vous vous attendez à ce que le seuil de 50 000 $ s’applique aux sociétés individuelles, peu importe le nombre d’actionnaires.

Avez-vous une recommandation à formuler? Si vous deviez en formuler une aujourd’hui au gouvernement du Canada, quelle serait-elle?

M. Christian : Je suppose que, si je pouvais faire une recommandation plus générale concernant les propositions, ce serait de toutes les abandonner afin de mener une réflexion approfondie sur la façon adéquate de réformer le régime d’une manière qui ne causera pas de difficultés aux personnes qui dépendent du régime actuel depuis 40 ans. Si c’était une recommandation concernant précisément le seuil de 50 000 $, je dois admettre que je n’y ai pas vraiment réfléchi très soigneusement.

Si vous pensez à l’objectif du gouvernement, selon lequel si vous économisez pour quelque chose, vous devriez être en mesure d’économiser un million de dollars, et cela devrait être multiplié par le nombre d’actionnaires. C’est un objectif difficile à réaliser. Les propriétaires de chaque société ayant peu d’actionnaires émettent-ils ensuite une action pour tous leurs cousins, leurs amis, leurs oncles, le camelot et quiconque se trouve dans le coin?

Le sénateur Mockler : Si vous voulez ajouter autre chose, monsieur Christian, je vous prierais d’envoyer vos commentaires à la greffière.

Avant de lever la séance, je remercie très chaleureusement les témoins. Vos témoignages ont été extrêmement instructifs et même éclairants.

Aux sénateurs et aux Britanno-Colombiens qui sont ici, je dirais que c’était la première séance de notre voyage dans l’Ouest. Je m’en voudrais de ne pas reconnaître le soutien exceptionnel et l’hospitalité britanno-colombienne de deux de vos sénateurs, la sénatrice Jaffer et le sénateur Neufeld, au moment d’accueillir le comité sénatorial.

Honorables sénateurs, nous allons nous réunir demain matin à Calgary, dès 8 heures. Nous prenons l’avion ce soir.

Merci beaucoup à la Colombie-Britannique.

(La séance est levée.)

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