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NFFN - Comité permanent

Finances nationales

 

LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES FINANCES NATIONALES

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mercredi 10 mai 2017

Le Comité sénatorial permanent des finances nationales se réunit aujourd’hui, à 13 h 45, pour étudier la teneur du projet de loi C-44, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 22 mars 2017 et mettant en oeuvre d'autres mesures.

Le sénateur Percy Mockler (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Honorables sénateurs et sénatrices, je vous souhaite la bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent des finances nationales du Sénat.

[Traduction]

Je m’appelle Percy Mockler. Je suis le président du comité et sénateur du Nouveau-Brunswick.

Je souhaite la bienvenue à toutes les personnes ici présentes, de même qu’à tous les gens au pays qui nous regardent à la télévision ou en ligne.

Je rappelle aux gens qui nous regardent que les audiences du comité sont ouvertes au public et qu’elles sont également diffusées sur le site web du Sénat, à l’adresse sencanada.ca.

[Français]

Vous y trouverez des renseignements sur le comité, y compris ses rapports précédents, les projets de loi à l’étude et la liste des témoins présents et à venir.

[Traduction]

J’invite maintenant les sénateurs à se présenter. Commençons par ma collègue de droite, la vice-présidente du comité.

La sénatrice Cools : Je m’appelle Anne Cools. Je suis une sénatrice de Toronto, en Ontario, et je suis une fidèle membre du comité.

La sénatrice Marshall : Elizabeth Marshall, Terre-Neuve-et-Labrador.

Le sénateur Oh : Victor Oh, Ontario.

Le sénateur Woo : Yuen Pau Woo, Colombie-Britannique.

La sénatrice Moncion : Lucie Moncion, Ontario.

[Français]

Le sénateur Pratte : André Pratte, du Québec.

Le sénateur Forest : Éric Forest, de la région du Golfe, au Québec.

[Traduction]

Le président : J’en profite pour souhaiter la bienvenue, au nom du comité, au sénateur Oh, qui est maintenant un nouveau membre du Comité sénatorial permanent des Finances nationales.

[Français]

J’aimerais maintenant vous présenter notre greffière, Mme Gaëtane Lemay, et nos analystes, MM. Sylvain Fleury et Olivier Leblanc-Laurendeau, qui nous apportent leur soutien dans le cadre des travaux de ce comité.

[Traduction]

Honorables sénateurs, mesdames et messieurs, nous continuons aujourd’hui notre examen sur la teneur complète du projet de loi C-44, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 22 mars 2017 et mettant en œuvre d’autres mesures.

Comme nous l’avons constaté hier, lors de la comparution des représentants du ministère des Finances et du BCP, le projet de loi inclut des dispositions qui ont des répercussions sur le Bureau du directeur parlementaire du budget. Nous avons pensé qu’il avait peut-être des observations à faire sur ces modifications, qui correspondent à la section 7 de la partie 4 dans notre cartable d’information.

[Français]

Monsieur Fréchette, nous avons le plaisir de vous accueillir, ainsi que votre équipe, pour entendre vos commentaires et vos recommandations. Du Bureau du directeur parlementaire du budget et qui accompagnent M. Fréchette, nous recevons également Mostafa Askari, directeur parlementaire adjoint du budget, et Mark Mahabir, avocat général et directeur des politiques.

[Traduction]

La semaine dernière, votre bureau a publié un document de discussion dans lequel il fait part de son point de vue sur les changements proposés que nous devons examiner. Je veux que vous sachiez, monsieur Fréchette, que les membres du comité ont reçu le document, dans les deux langues officielles, hier.

La greffière m’indique que vous pouvez maintenant présenter un exposé. Par la suite, les sénateurs vous poseront des questions. Allez-y, s’il vous plaît, monsieur Fréchette.

[Français]

Jean-Denis Fréchette, directeur parlementaire du budget, Bureau du directeur parlementaire du budget : Merci de nous avoir invités à venir discuter avec vous des modifications proposées au mandat et aux opérations du DPB dans le projet de loi C-44. Vous avez entre vos mains le document de discussion qui passe en revue les principales répercussions que pourraient avoir ces changements sur les capacités et l’efficacité du Bureau du DPB à offrir des services aux sénateurs et sénatrices, et aux députés.

[Traduction]

Il y a un paradoxe dans la rédaction de ce projet de loi. En introduction, le nouveau mandat est bien formulé et respecte l’esprit de la fonction du DPB, comme en fait foi le nouveau paragraphe 79.01. Je le cite:

Les articles 79.1 à 79.5 établissent le poste de directeur parlementaire du budget dont le titulaire doit être indépendant et non-partisan et appuyer le Parlement en fournissant des analyses — notamment des analyses portant sur la macroéconomique et la politique fiscale — dans le but d’améliorer la qualité des débats parlementaires et de promouvoir une plus grande transparence et responsabilité en matière budgétaire.

Le paradoxe vient par la suite alors que le projet de loi impose des restrictions à cette indépendance, en plus de miner la capacité du DPB à répondre adéquatement aux demandes du Parlement. Parmi les restrictions les plus limitatives, on retrouve les suivantes:

Premièrement, le degré d’autorité que le Président du Sénat et le Président de la Chambre des communes exerceront en matière d’approbation des activités du DPB;

Deuxièmement, les limites à la capacité du DPB de produire des rapports et au droit des sénateurs et des députés de demander une évaluation du coût de certaines mesures proposées;

Troisièmement, les risques découlant de la participation du DPB à la préparation de l’évaluation du coût des mesures proposées en période électorale;

Quatrièmement, les restrictions à l’accès aux renseignements et à la communication des renseignements par le DPB, et l’absence de recours efficace si on lui refuse l’accès aux renseignements.

Je ne vois aucun problème à ce qu’un plan de travail soit soumis aux Présidents, mais le DPB deviendrait le seul agent du Parlement à devoir obtenir l’approbation des deux Présidents pour son plan de travail annuel.

Il m’apparaît évident que cette caractéristique va mettre une pression importante sur les deux Présidents, notamment quant à leur neutralité, et davantage lors d’une année électorale, surtout en l’absence d’un comité mixte, qui n’a pas encore été créé.

En outre, si l’on ajoute à cette obligation que le bureau du DPB est placé sous l’autorité des Présidents, on peut voir aisément dans quelle mesure cela pourrait devenir fastidieux pour leurs administrations. C’est pourquoi j’ai bon espoir que cet élément du projet de loi sera revu et corrigé par le gouvernement.

[Français]

Le libellé actuel de l’alinéa 79.2(1)f), qui porte sur la liberté de tout sénateur ou député de demander une évaluation du coût financier de toute mesure laisse place à plus d’une interprétation et mériterait d’être clarifié. Finalement, concernant l’accès à l’information, l’absence de toute mention d’un quelconque recours en cas de refus me laisse penser qu’il reviendra aux deux Présidents d’intervenir à chaque fois qu’un ministère ou une agence refusera de fournir l’information demandée par le DPB, ou encore, refusera que ce dernier rende publique l’information, ce qui, à nouveau, serait susceptible d’exercer une pression additionnelle sur les deux Présidents. Cela représenterait un défi pour leur entourage qui aurait à gérer ces situations de privilège parlementaire.

[Traduction]

J’aimerais ajouter quelque chose. C’est la seule tribune où je pourrai le faire, car cela concerne les sénateurs et leur rôle distinct au Sénat.

Le projet de loi contient une disposition concernant la situation où le Parlement est dissous. Je vais vous la lire. « Dans les cas visés aux paragraphes (3) et (4), si le Parlement est dissous avant que le rapport du directeur parlementaire du budget ne soit fourni, celui-ci cesse tout travail à l’égard de la demande ».

Cela me pose problème. Je comprends l’objectif de ce paragraphe. De toute évidence, on ne veut pas que le DPB publie de rapports au cours de cette période, et je peux comprendre.

Le fait est que l’on place le rôle des sénateurs au même niveau que celui des députés de la Chambre des communes. Il n’y a plus de députés lorsque les brefs sont présentés. Lorsque les brefs sont présentés, la Chambre des communes est dissoute, et les députés ne peuvent pas recevoir le même type de services.

Les sénateurs ont encore accès à tous les services. Je vous donne un exemple. La Bibliothèque du Parlement fournit des analyses et des services de référence à tous les sénateurs durant cette période. Elle ne fait pas la même chose pour les députés.

À mon avis, dans ce paragraphe, on met vraiment les sénateurs et les députés dans le même panier, si je puis dire. C’est injuste pour le Sénat, à mon avis. On dit ici « cesse tout travail » et personnellement, je ne comprends pas pourquoi le DPB devrait cesser tout travail. Pour ce qui est de la publication d’un rapport lorsque le Parlement est dissous, je peux comprendre. Or, pour ce qui est de cesser tout travail qui a été demandé par un sénateur avant la dissolution du Parlement, je ne comprends pas. Je crois que c’est une atteinte à l’indépendance et au rôle distinct des sénateurs.

[Français]

Mes collègues et moi serons heureux de répondre à vos questions.

Le sénateur Pratte : J’aimerais aborder deux questions distinctes sur l’accès à l’information. D’abord, en ce qui concerne les restrictions relatives à l’article 79.4(2), si je comprends bien, vous déplorez celles qui seraient mises en place, mais qui existent déjà. La loi est formulée différemment, mais vous déplorez les restrictions qui sont maintenues.

M. Fréchette : La seule différence entre le libellé de la loi actuelle et le présent projet de loi, c’est que le terme « données » a été remplacé par une référence à des  informations économiques, ce qui est correct. On y a également ajouté les sociétés d'État. Deux termes sont différents : « information » plutôt que « données », et l’ajout de « sociétés d'État ».

Cela dit, le seul recours que nous avons à l’heure actuelle est une décision qui remonte à 2015, où les Présidents du Sénat et de la Chambre des communes avaient présenté une demande au Comité mixte permanent de la Bibliothèque du Parlement. Le comité mixte nous avait transmis une lettre indiquant que si nous avions des problèmes d’accès à l’information auprès des ministères, nous pourrions nous adresser en tout temps aux trois comités mentionnés dans la loi — trois, en ce moment, et quatre à venir —, afin de faire appel à leur pouvoir pour demander des documents et inviter des personnes à témoigner. Il s'agissait ainsi de les utiliser comme levier auprès des ministères et des agences. Alors, cette approche existe en ce moment. Existera-t-elle plus tard? Je n’en sais rien. Par contre, si le DPB relève des deux Présidents, je ferai appel à eux pour avoir accès à l’information.

Le sénateur Pratte : Vous m’amenez à ma question suivante. Hier, des fonctionnaires du Conseil privé ont comparu devant notre comité dans le cadre de l'étude de ce chapitre particulier du projet de loi C-44. On leur a posé des questions et ils nous ont répondu que ce projet de loi ne changerait rien au recours possible du directeur parlementaire du budget. C’est donc un recours qui reste possible. Quant au recours potentiel à la Cour fédérale, on nous a dit que le changement à venir mettrait le directeur parlementaire du budget sur le même pied d’égalité que les autres agences parlementaires. Si le directeur parlementaire du budget jugeait que le ministère faisait quelque chose d’illégal, il pourrait s’adresser aux tribunaux.

M. Fréchette : Je suis partiellement d’accord avec la deuxième partie. Devenant un agent indépendant du Parlement, le DPB ne pourrait pas envoyer une référence à la Cour fédérale, c’est-à-dire une question technique comme en 2012. Il pourra toujours avoir recours à la Cour fédérale pour l’accès à l’information. C’est un moyen extrêmement coûteux, et c’est un moyen utilisé par la fonction publique pour indiquer qu'elle va toujours refuser. Le DPB sera toujours obligé d’aller en cour, ce qui coûtera une fortune et, à mon avis, ce n’est pas un recours très viable. Je préfère utiliser le recours du comité parlementaire. Encore mieux, dorénavant, les Présidents du Sénat et de la Chambre des communes seront chargés de superviser le Bureau du directeur parlementaire du budget. Ultimement, lorsqu’un ministère refusera une demande d’information, il y aura un bris du privilège parlementaire de la part des deux Présidents d’avoir accès à l’information.

Le sénateur Pratte : Pouvez-vous m’éclairer? Je ne suis pas sûr d’avoir bien compris.

M. Fréchette : Les deux Présidents deviennent de facto, selon le nouveau projet de loi, les gestionnaires du Bureau du DPB. Au moment même où le directeur parlementaire du budget fait une demande d’accès à l’information à un ministère, par exemple, le ministère des Finances, et que celui-ci refuse, il dit non au DPB comme administrateur et il dit non aux deux Présidents.

Le sénateur Pratte : Donc, le recours aux Présidents des deux Chambres, c’est-à-dire au pouvoir des comités parlementaires, ne devient-il pas plus probable et plus efficace, d’une certaine façon?

M. Fréchette : Je me rends compte que, d’un point de vue administratif, c’est un processus qui peut être lourd s’il y a systématiquement des refus.

Le sénateur Pratte : Quel dispositif souhaiteriez-vous voir inscrit dans une loi qui vous permettrait d’être plus efficace dans le processus de recours ou en cas de refus de la part d’un ministère ou d’une société d'État?

M. Fréchette : C’est une excellente question. Dans notre document, nous citons l’exemple du vérificateur général, qui a un protocole d’entente avec tous les ministères, lequel a été conclu avec le Conseil privé. Un protocole d’entente est établi entre le Conseil privé et le vérificateur général, qui lui donne accès à l’information de tous les ministères pour alléger la tâche du Président de la Chambre des communes ou du Comité des comptes publics, duquel relève le vérificateur général.

Le sénateur Pratte : Ce protocole est-il défini dans la loi?

M. Fréchette : Non. C’est un protocole d’entente établi depuis très longtemps entre le Conseil privé et le vérificateur général.

[Traduction]

La sénatrice Marshall : Votre bureau a-t-il participé à la préparation du projet de loi?

M. Fréchette : En janvier 2016, le CPM a communiqué avec notre bureau et nous a demandé de préparer une ébauche de mesures législatives en quelque sorte, de présenter notre idée de ce qui constituerait une amélioration des dispositions législatives pour le DPB, ce que nous avons fait.

Nous ignorons qui est responsable de la fuite durant l’été. Nous avons publié le document sur notre site web. C’est la seule communication que nous avons eue avec qui que ce soit au CPM, au BCP, ou peu importe. C’est la seule. Il n’y en a pas eu d’autres depuis.

La sénatrice Marshall : Y a-t-il des similitudes entre le contenu du document que vous avez produit et celui du projet de loi?

M. Fréchette : Un mot.

La sénatrice Marshall : Un mot. Merci.

M. Fréchette : « Renseignements » à la place de « données ».

La sénatrice Marshall : Je sais que l’Institut des finances publiques et de la démocratie a proposé des modifications. En avez-vous pris connaissance?

M. Fréchette : Oui.

La sénatrice Marshall : Je veux parler de l’administration et du rôle des deux Présidents. Tout d’abord, à la page 80 du projet de loi, au paragraphe intitulé « Administration », on peut lire ce qui suit:

Le bureau du directeur parlementaire du budget ainsi que son personnel sont placés sous l’autorité des Présidents du Sénat et de la Chambre des communes […]

On indique ensuite que le plan de travail annuel doit être approuvé par les deux Présidents et préparé après consultation avec les deux Présidents. Selon moi, ces dispositions portent atteinte à l’indépendance du directeur parlementaire du budget.

Avez-vous des observations à faire à ce sujet? Il semble que c’est lié. Les deux Présidents doivent approuver le plan de travail du DPB, mais ils doivent également examiner le budget du bureau. Je ne sais pas ce que signifie « examiner », s’il signifie « approuver ». Il semble presque y avoir incompatibilité.

Avez-vous quelque chose à dire à ce sujet?

M. Fréchette : Lorsqu’il s’agit d’approuver le budget, dans le cas d’un agent du Parlement, et je vais prendre l’exemple de la commissaire à l’éthique, cette personne doit déposer son budget auprès du Président pour le faire approuver. C’est un processus normal parce qu’elle relève du Parlement et non de la fonction publique, et par conséquent, elle passe par les Présidents, et le budget annuel sera approuvé par le Conseil du Trésor.

Comme je l’ai déjà dit, ce ne sont pas les prévisions budgétaires qui me posent problème. Je ne crois pas que le DPB devrait s’opposer au fait de devoir collaborer avec les Présidents pour prévoir les besoins ou les ressources pour une année.

Le problème concerne le plan de travail. Le plan de travail sera lié aux prévisions budgétaires en fonction de ce qui est fait. Je vous donne un exemple. Pendant une période électorale, bien entendu, il faut augmenter les ressources parce qu’on sait que le DPB devra établir les coûts des plateformes électorales. Il nous faudra peut-être demander des ressources supplémentaires cette année-là parce que l’établissement des coûts des plateformes électorales peut exiger beaucoup de temps du côté des ressources humaines et coûter très cher. Voilà le lien avec le plan de travail.

Le problème concernant le plan de travail et l’approbation, c’est le rôle des Présidents et le problème que cela pose pour leur neutralité. Je vais encore utiliser l’exemple de la plateforme. Les deux Présidents devront déterminer si nous consacrons suffisamment de ressources à l’établissement des coûts des plateformes au cours d’une année électorale. Nous estimerons probablement qu’il nous faut donner un montant X pour un parti, par rapport à un autre parti, parce que le nombre de membres est plus élevé, et cetera. Vous pouvez voir le problème que cela peut poser.

De plus, pour un plan de travail normal pendant l’année, les Présidents du Sénat et de la Chambre des communes pourraient débattre des ressources affectées aux comités sénatoriaux permanents comparativement à celles affectées aux comités de la Chambre des communes. Il y aura un va-et-vient et le processus sera long et pénible.

La sénatrice Marshall : Je dois dire que la partie liée à l’examen me préoccupe parce que ce n’est pas défini. Je parle du fait que les deux Présidents examineront le budget du bureau du DPB. Ce n’est pas défini de manière précise, et j’aimerais savoir exactement quel serait leur rôle quant au budget.

Nous avons parlé un peu plus tôt du paragraphe, à la page 83 du projet de loi, qui porte sur la dissolution du Parlement et qui indique que le DPB doit cesser tout travail à l’égard d’une demande. La question a été soulevée hier lorsque nous discutions du projet de loi avec les fonctionnaires. J’ai fait une comparaison en disant que le vérificateur général mène des audits tout au long de l’année. Lorsque des élections sont déclenchées, il ne cesse pas de les mener. Il ne cesse pas de travailler. Il poursuit simplement son travail. Il ne publie pas de rapports, ce qui, je présume, est la même condition qui s’appliquerait pour le DPB. Or, si on l’oblige à interrompre son travail, je trouve que cela constitue une atteinte.

J’aimerais obtenir votre point de vue sur deux ou trois autres dispositions. Il y a celle qui porte sur le consentement d’un ministre, aux pages 83 et 84. On y utilise le mot « personnellement ». Il s’agit du ministre. On indique que le ministre peut consentir personnellement à fournir l’assistance de son ministère au directeur parlementaire du budget. Cela me semble très inhabituel.

Pourriez-vous me donner une idée de l’interprétation que vous en faites?

M. Fréchette : Je vais demander à M. Askari de répondre à la question. C’est sa partie préférée.

Mostafa Askari, directeur parlementaire adjoint du budget, Bureau du directeur parlementaire du budget: : Les ministres sont responsables de leur ministère et doivent accorder la permission à leur personnel, à leurs sous-ministres et à d’autres personnes lorsqu’il s’agit de fournir de l’information et de l’aide au directeur parlementaire du budget.

Ce n’est pas nécessairement cela qui pose problème. Le problème, c’est la deuxième étape, car une fois que le ministre charge les sous-ministres de fournir de l’information et de l’aide au DPB, selon les dispositions, la manière d’aider le DPB demeure à la discrétion des sous-ministres. Cela fait en sorte que les sous-ministres pourraient décider de ne pas le faire ou de fournir très peu d’aide au DPB. Cela nous sera vraiment peu utile.

Si le projet de loi est adopté sous sa forme actuelle, lorsque nous ferons notre planification pour l’établissement des coûts des plateformes, nous devrons le faire en tenant pour acquis que le ministère ne nous aidera pas beaucoup. Nous devrons affecter suffisamment de ressources pour nous assurer que nous respectons nos obligations en vertu de la loi. Les sous-ministres ne sont pas obligés de nous fournir de l’aide. Ils peuvent le faire s’ils le souhaitent, mais ils n’y sont pas obligés.

La sénatrice Marshall : Pourriez-vous également parler des rapports et de leur publication? Ils doivent être présentés au Président. Je crois que la plupart des agents du Parlement présentent leurs rapports au Président, mais dans les mesures législatives, il est question du moment où ils sont rendus publics.

Pourriez-vous parler de cette question et nous dire si des choses devraient nous préoccuper?

M. Askari : Il s’agit d’une petite restriction. Cela n’empêchera pas vraiment le DPB de publier les rapports, car si l’on se fie au libellé, nous devons remettre les rapports aux Présidents, au comité, au sénateur ou au député qui en ont fait la demande un jour ouvrable avant de les rendre publics. Alors, nous pouvons rendre un rapport public un jour ouvrable après l’avoir remis au demandeur. Il n’y a pas de disposition concernant l’approbation des Présidents, du comité, du député ou du sénateur pour la publication du document. Nous pouvons le rendre public, à titre d’annexe, après un jour ouvrable.

La sénatrice Marshall : Les autres agents du Parlement doivent-ils respecter cette même condition?

M. Askari : Je n’en suis pas sûr.

M. Fréchette : Par exemple, le BVG le publie. Une séance d’information privée a lieu avec le Comité des comptes publics. C’est différent dans le cas de la commissaire à l’information parce que la commissaire et le DPB n’ont pas le même nombre de rapports. La commissaire à l’information présentera son rapport au comité concerné mentionné dans la loi.

Le BVG, comme vous le savez très bien, dépose un rapport deux fois par année, au printemps et à l’automne. C’est très bien connu. Le calendrier est connu. Il n’y a pas de surprise.

Si vous le permettez, nous avons mené à l’automne un sondage de Nanos sur les intérêts ou les coûts et sur la perception des intervenants. Les sénateurs, les députés de la Chambre des communes et les membres du personnel ont été interrogés. On a constaté que seulement les fonctionnaires ont dit qu’ils n’aimaient pas la façon dont nous déposons nos rapports. Tous les autres n’ont pas vraiment fait de remarques à ce sujet.

Les intervenants de la fonction publique se sont plaints qu’on ne donnait pas de préavis. En fait, ils ont utilisé le terme « embuscade ». Je pense qu’ils veulent changer leur choix de mot, car le terme « embuscade » ne reflète pas la réalité, soit dit en passant. Tout le monde le sait, car vous recevez des courriels, et nous envoyons à tous les parlementaires, aux médias et aux ministères concernés un préavis de 24 heures pour les informer que nous publierons un rapport.

Grâce à Nanos, depuis janvier, nous avons publié nos rapports trois mois à l’avance sur notre site web. Nous avons écouté les observations des gens et avons fait des ajustements. Je ne vois aucun problème avec le fait de présenter un rapport en l’espace de 24 heures, sans risque de ne pas pouvoir le rendre public le lendemain.

La sénatrice Marshall : Je dois dire que la mesure législative m’a beaucoup déçue. Je pensais qu’elle nous permettrait de progresser, mais elle nous a plutôt fait régresser malheureusement.

[Français]

Le sénateur Forest : Je vous remercie de votre présence à notre comité. Vous entendez nos préoccupations. Pour assumer pleinement le rôle de directeur parlementaire du budget, l’une des conditions sine qua non est l’indépendance. Le plan d’action du directeur doit être soumis aux Présidents des deux Chambres. Ce plan n’est donc plus le plan d’action du directeur parlementaire du budget, mais celui des Présidents des deux Chambres. L’indépendance est un concept qui est très sensible. La perception est souvent plus importante que la réalité.

Je trouve assez paradoxal que, dans le cadre de ce projet de loi, on demande au directeur parlementaire du budget de cesser tous ces travaux.En même temps, en période électorale, on lui confie le mandat d’évaluer les coûts des engagements électoraux. Ne croyez-vous pas que cela risque de créer un environnement qui pourrait fragiliser l’indépendance et la crédibilité du directeur parlementaire du budget? On sait à quel rythme les promesses électorales peuvent être faites, surtout quand il s’agit d’une course serrée et qu’on se rapproche de l’échéancier électoral. Le directeur parlementaire du budget ne risque-t-il pas d’être l’objet de nombreuses critiques, compte tenu des évaluations qui peuvent être contestées? L’évolution des promesses électorales n'est pas toujours une science exacte.

M. Fréchette : Vous avez tout à fait raison. Il y a un risque énorme. Il y a également un risque énorme que la fonction de DPB devienne un instrument politique qui puisse être utilisé pour influencer le parcours de certaines propositions. Contrairement à ce qui avait été proposé initialement par le Parti libéral lors de la campagne électorale, soit l’évaluation des plateformes électorales, le projet de loi, tel qu’il est écrit, fait état de « propositions ». C’est vraiment un développement de politiques. Ce n’est plus une plateforme de A à Z. Ce sont des propositions à la pièce qui deviennent peut-être des tentatives de la part des partis politiques de tester la validité ou l’importance d’une proposition en faisant appel au DPB. Le DPB n’est pas tenu de leur donner des renseignements tant et aussi longtemps que les résultats ne sont pas rendus publics. Le bureau deviendra un agent de développement de politiques des partis politiques.

Le sénateur Forest : C’est déjà un défi énorme d’évaluer des engagements à l’intérieur d’un programme électoral. En plus d’y aller à la pièce, on connaît une augmentation des engagements ponctuels lorsqu’on approche la fin d’une course. C’est tout autre chose.

Un autre élément me préoccupe. En général, une législation permet l’application des dispositions budgétaires. Je suis bien d’accord dans le cadre d’une loi, mais pas à l’intérieur d’un projet de loi omnibus comme celui-ci. Nous devons essayer de voir comment nous pourrions mieux outiller le directeur parlementaire et rendre son rôle plus efficace. Je ne comprends pas pourquoi on traite d’une question aussi importante à l’intérieur d’un projet de loi omnibus qui, en fait, vise l’application des dispositions budgétaires.

M. Fréchette : Est-ce une question?

Le sénateur Forest : C’est un commentaire.

[Traduction]

La sénatrice Eaton : Monsieur Fréchette, le directeur parlementaire du budget a suscité beaucoup de controverse, si je pense à l’époque où le premier ministre Harper était au pouvoir et à la situation actuelle avec le premier ministre Trudeau. Je me demande, si vous deviez élaborer le mandat parfait pour le directeur parlementaire du budget, quel serait-il et à qui feriez-vous rapport?

M. Fréchette : Ce ne serait probablement pas un mandat que la fonction publique aimerait. Ce serait ma première réponse.

Nous en avons élaboré un. Nous avons proposé notre vision, comme je l’ai dit dans une réponse précédente, l’an dernier, lorsque nous avons présenté un avant-projet de loi. Le rôle ou le mandat est bien décrit ici. Il repose sur la transparence, la crédibilité, et ainsi de suite. Notre façon de faire est terrible à l’heure actuelle. C’est quand même opérationnel.

En examinant cette question, si l’on retire le processus d’approbation, le contrôle et la direction des deux Présidents, vous faites quand même rapport aux deux Présidents. Je n’ai aucun problème avec l’idée de faire rapport aux Présidents. Je n’ai aucun problème avec le fait de leur présenter un plan de travail. Nous élaborons notre plan de travail à l’interne, en tenant compte de ce que le directeur parlementaire du budget fera au cours de l’année pour le Sénat et la Chambre des communes. Il n’y a pas de problème là. Nous discutons avec les deux Présidents du Budget des dépenses et des impératifs budgétaires pour les opérations du directeur parlementaire du budget.

Je n’ai toujours aucun problème avec cette façon de procéder, mais il est essentiel que le processus nous offre cette indépendance afin que nous puissions choisir les analyses et les rapports appropriés que nous préparerons au cours de l’année.

La sénatrice Eaton : Votre prédécesseur, Kevin Page, a fait la déclaration suivante durant une entrevue:

Lorsque j’étais le directeur parlementaire, nous discutions souvent des questions d’actualité difficiles, à savoir les guerres coûteuses, les projets de loi contre la criminalité coûteux, les avions de chasse. Lorsque je regarde le projet de loi, je me pose la question suivante: serions-nous encore capables de le faire? Ce qui me préoccupe, c’est que nous ne serions pas…

M. Fréchette : Je suis d’accord.

La sénatrice Eaton : Aimeriez-vous disposer des mêmes pouvoirs que le gouverneur général?

M. Fréchette : Non. Permettez-moi d’expliquer pourquoi. Le vérificateur général travaille dans un environnement a posteriori. Tous les rapports du vérificateur général sont élaborés en fonction de ce qui s’est produit dans le passé. Nous effectuons des prévisions, par exemple, et faisons une analyse d’un projet de loi qui n’a pas encore été mis en place, notamment. C’est très différent.

Le vérificateur général doit communiquer avec les ministères sur des situations passées.

La sénatrice Eaton : Ils lui donnent tous les renseignements dont il a besoin, n’est-ce pas?

M. Fréchette : C’est exact.

La sénatrice Eaton : N’aimeriez-vous pas avoir ces renseignements?

M. Fréchette : J’aimerais évidemment avoir un accès total à tous les renseignements.

Écoutez, nous comprenons qu’il n’est pas toujours possible d’avoir toute l’information. Le comité connaît très bien notre situation avec l’ARC, qui ne veut pas nous fournir tous les renseignements dont nous avons besoin pour faire une analyse de l’écart fiscal. Je peux comprendre que ce soit difficile à un moment donné.

Le secret du Cabinet est un autre problème. Nous ne demandons pas tous les détails. Nous ne demandons que les documents confidentiels du Cabinet qui sont en circulation et qui devraient être du domaine public.

Comme je l’ai mentionné au comité sénatorial l’automne passé dans le cadre d’une discussion sur une analyse comparative entre les sexes, les ministères ont beaucoup de données sur les analyses comparatives entre les sexes à propos du budget. Ces documents ne sont pas disponibles, et je ne comprends pas pourquoi ils ne le sont pas. Ils sont considérés comme étant des documents confidentiels du Cabinet, mais ce ne devrait pas être le cas.

La sénatrice Eaton : Vous seriez satisfait de la mesure législative actuelle dans la mesure où les Présidents ne fixent pas vos priorités?

M. Fréchette : Laissez-moi y réfléchir.

La sénatrice Eaton : J’essaie de savoir ce que vous voulez vraiment.

M. Askari : Nous avons publié un modèle de projet de loi en juillet dernier. En ce moment, compte tenu que vous êtes saisis d’un autre projet de loi, nous ne voulons pas forcément revenir à l’autre. Le cadre que nous avons mis en place dans cette mesure législative est le cadre qui, à notre avis, serait compatible avec le fait d’avoir un directeur du budget indépendant. Il cadre avec les principes de l’OCDE pour les directeurs de budget. Il offre l’indépendance et l’accès à l’information dont le directeur parlementaire du budget a besoin pour faire son travail efficacement.

La mesure législative actuelle a imposé de nombreuses restrictions aux activités du directeur parlementaire du budget. Nous n’avons jamais compris le véritable problème que le gouvernement et la fonction publique voulaient régler en imposant ces restrictions au directeur parlementaire du budget. Ils n’ont jamais défini le problème.

Nous avons posé la question aux représentants du Bureau du Conseil privé après qu’ils ont déposé le projet de loi, et ils ont répondu qu’il y avait un manque d’orientation dans les services offerts au Parlement. C’était une nouvelle pour nous, car tout ce que nous avions reçu comme commentaire de la part des parlementaires était qu’ils étaient reconnaissants du travail que nous faisions. Le seul manque d’orientation était pour satisfaire la fonction publique et le gouvernement, et pas forcément le Parlement.

Cela semble être le problème et la raison pour laquelle on a imposé les restrictions pour maîtriser en quelque sorte ce que nous faisons et atténuer l’incidence sur le gouvernement en poste et la fonction publique plutôt que de fournir des services au Parlement.

La sénatrice Eaton : Pourriez-vous envoyer à la greffière une ébauche de votre protocole d’entente de juillet dernier? On ne siégeait pas à ce moment-là.

M. Askari : D’accord, nous pouvons certainement vous faire parvenir ce document. Ce n’est pas un problème.

La sénatrice Eaton : Ce serait merveilleux. Merci.

Le sénateur Woo : Bonjour et merci de vos exposés, messieurs Fréchette et Askari.

Je veux revenir à l’alinéa 79.2(1)f), qui porte sur la capacité des députés et des sénateurs de présenter des demandes au directeur parlementaire du budget pour que des études soient réalisées. Je vais lire l’alinéa:

[…] à la demande de tout sénateur ou député, évalue le coût financier de toute mesure que celui-ci envisage de proposer devant le Sénat ou la Chambre des communes, selon le cas, ou devant un comité parlementaire.

Vous en avez longuement discuté dans votre rapport. Je vous en remercie d’ailleurs; c’est très utile. Monsieur Fréchette, vous avez abordé ce sujet dans votre exposé. En fait, vous avez précisément demandé que l’évaluation du coût financier de toute mesure soit clarifiée.

Quand je lis cette disposition, je la trouve vaste. Lorsque vous dites que vous devriez envisager toute proposition qu’un député ou un sénateur compte présenter devant le Sénat ou la Chambre, ou devant un comité parlementaire, pour moi, c’est très vaste.

Ne reconnaissez-vous pas également que l’explication vous donne le plus de flexibilité possible pour accepter n’importe quelle demande?

M. Fréchette : C’est mon interprétation.

Le sénateur Woo : Nous allons entendre vos réponses à tous les deux.

M. Fréchette : Nous avons également deux conseillers juridiques qui ont des opinions différentes à ce sujet.

Je suis d’accord avec vous. Mon interprétation est la même. Le problème, c’est que ce n’est pas en lien à des questions qui relèvent du Parlement. Il n’y a donc aucune limite, comme vous l’avez dit. C’est très ouvert. Si vous demandez au directeur parlementaire du budget d’établir les coûts d’un train à grande vitesse entre Vancouver et Seattle, ce qui ne relève pas vraiment du Parlement, et disons que ce n’est pas le cas, vous ne serez pas en mesure de fournir ces données.

La fonction publique a une interprétation différente des termes « proposer » et « envisager ». Une proposition est quelque chose que vous pourriez restreindre. Vous pourriez envisager de présenter une proposition, mais sous quelle forme? L’intégrez-vous dans une motion présentée à un comité, un projet de loi d’initiative parlementaire ou un amendement? Cela ne se rapporte pas précisément à une proposition du gouvernement.

M. Askari : Vous avez posé la même question aux fonctionnaires hier, et la réponse qu’ils ont fournie était, à mon avis, très claire. Leur intention était de limiter ce que les députés et les sénateurs peuvent nous demander de faire, surtout en ce qui concerne l’établissement des coûts des programmes du gouvernement. Pour la majorité des évaluations des coûts que nous avons faites au cours des neuf dernières années, la demande a été présentée par des simples membres.

Cette disposition empêche les simples membres de nous demander d’établir les coûts d’un projet de programme du gouvernement. Par exemple, si le gouvernement propose un nouveau programme d’assurance-emploi, les membres ne peuvent pas nous demander, en vertu de cette disposition, d’établir les coûts de ce programme. Un comité peut nous demander de le faire, mais pas les parlementaires, ou nous pouvons le faire dans le cadre de notre plan de travail de manière proactive, mais nous devons alors prévoir ce que le gouvernement proposera, ce qui ne sera pas très facile.

C’est limitatif en ce sens, d’après moi, et l’interprétation des fonctionnaires qui ont comparu hier le confirme dans les réponses qu’ils ont fournies. Ils ont dit que c’est seulement pour les propositions présentées par les parlementaires, et pas nécessairement le gouvernement.

Le sénateur Woo : Pour faire suite à ce que vous dites, pensez-vous qu’il serait possible que votre plan de travail prévoit des solutions aux situations, qui surviennent au cours de l’année, ainsi que des fonds pour régler les points que vous n’avez pas envisagés précédemment?

M. Askari : Il faut que ce soit approuvé, alors nous ne le savons pas. C’est sous réserve de l’approbation des Présidents, et s’ils décident de ne pas approuver cette partie du plan de travail, alors nous ne pouvons pas le faire. C’est encore une fois en raison du processus d’approbation.

Le sénateur Woo : C’est une question d’approbation.

M. Askari : Cette approbation est très restrictive, car il ne revient pas au directeur de déterminer le type d’analyse qui serait utile pour le Parlement. C’est aux Présidents de décider, et c’est très restrictif.

Le sénateur Woo : Vous soulignez à juste titre le paradoxe qui existe dans ce projet de loi, mais je me demande s’il y a un autre paradoxe dont vous pourriez nous parler. Je perçois une certaine tension dans les instances que vous avez présentées. D’une part, vous êtes préoccupé par les restrictions quant à votre capacité de mener des études et d’accepter des demandes, quelles qu’elles soient. D’autre part, vous vous préoccupez également de l’ouverture et de la possibilité d’être submergé de demandes.

Par exemple, si nous examinons l’interprétation de M. Fréchette de cette disposition, qui est aussi la mienne, à savoir que c’est très vaste, alors vous pourriez crouler sous les demandes de nous tous ici. Je parle en mon nom personnel. Par exemple, un train à grande vitesse entre Seattle et Vancouver est une excellente idée.

Vous pourriez rationner. Ce serait la même chose avec la disposition qui vous permet d’établir les coûts des programmes électoraux, et non pas les plateformes. Je peux juste imaginer le flot d’idées qui vous seraient présentées, pas seulement des principaux partis, mais des partis secondaires également.

J’essaie de comprendre ce paradoxe qui consiste à veiller à ce que vous n’ayez pas les mains liées pour faire le travail que vous devez faire, mais qui consiste aussi à respecter les contraintes d’argent et de ressources qui sont bien réelles.

D’après vous, y a-t-il une section du projet de loi, même si le libellé est erroné, qui essaie de nous aider en tant que Parlement, pour lequel vous travaillez, à établir des paramètres pour encadrer votre plan de travail, afin que vous puissiez faire des choix dans l’intérêt de tous les intervenants concernés?

M. Fréchette : Permettez-moi de commencer par dire ceci. Dans la section que vous venez de mentionner, le terme « shall » est devant toutes ces demandes dans la version anglaise. Comme vous le savez, on insiste sur ce terme, ce qui signifie que c’est un nouveau terme dans la loi. C’est exactement le même libellé ou c’est un libellé semblable au précédent, mais on utilise désormais le terme « shall » dans la version anglaise. Vous avez raison.

Voici ce que j’en pense : celui qui a rédigé le libellé percevait les deux Présidents comme étant des ministres. Un ministre fait exactement ce que vous avez mentionné: il filtre ou réduit peut-être la charge de travail et réorganise la charge de travail du ministère. Les Présidents ne sont pas des ministres. Ils n’ont aucun rôle comme celui-ci à jouer, et c’est le problème.

Celui qui a rédigé ce libellé pensait que les Présidents sont des ministres et qu’ils joueront le rôle que nous voyons pour eux dans la fonction publique, et chaque ministère réorganise et filtre toutes ces demandes.

C’est l’erreur et le paradoxe. Ils fondent leur vision des Présidents et de l’organe législatif, dont vous faites partie, comme si c’était un ministère, alors que ce n’est pas le cas.

M. Askari : Votre interprétation est très généreuse à bien des égards. Comme je l’ai mentionné plus tôt, lorsque nous avons posé la même question pour connaître le but de toutes ces restrictions, les fonctionnaires ne nous ont jamais dit qu’ils essaient de nous aider à gérer notre charge de travail.

Ils ont dit qu’il y avait un manque d’orientation dans nos services au Parlement, alors ils voulaient réorienter et recentrer les efforts du directeur parlementaire du budget, ce que je ne comprends pas, car c’est complètement faux. Nous avons toujours été déterminés à aider le Parlement.

La sénatrice Cools : Je regarde votre mémoire, dans lequel vous dites:

Je ne vois aucun problème à soumettre un plan de travail aux présidents, mais le DPB deviendrait le seul agent du Parlement à devoir obtenir l’approbation des deux Présidents pour son plan de travail annuel.

Qui vous a nommé agent du Parlement? Comment avez-vous déterminé que vous étiez un agent du Parlement?

M. Fréchette : La mesure législative fera du directeur parlementaire du budget un agent du Parlement, pas comme le Bureau du vérificateur général ou le commissaire à l’information, qui ont tous les deux leur propre loi. Ce sera comme le commissaire à l’éthique. Le directeur parlementaire du budget deviendra un agent du Parlement en vertu de la Loi sur le Parlement du Canada.

La sénatrice Cools : Il y a beaucoup de confusion. Nous ne savons toujours pas ce que fait un agent du Parlement ou quoi que ce soit à propos de ces questions, mais nous savons qu’un groupe de personnes se décrivent comme étant des agents du Parlement. Nous n’avons aucune source nulle part ou aucun article ou document qui fait référence aux agents du Parlement.

J’ai découvert, cependant, que ce terme trouve ses origines au Conseil privé. Il semble que le Conseil privé se séparait de ces postes — le vérificateur général, le directeur général des élections, tout ce groupe — pour les réunir sous un seul groupe. Il s’est mis à les appeler les agents du Parlement.

On pourrait les qualifier d’agents des affaires parlementaires dans la mesure où leur poste n’a pas été créé par une commission et ils n’ont pas été nommés par Sa Majesté. La plupart des agents sont créés par une commission, mais ces postes ont été créés à la suite d’une décision conjointe des deux chambres et de Sa Majesté au Parlement.

On pourrait dire, dans une certaine mesure, que ce sont des agents des affaires parlementaires, mais, sur le plan constitutionnel, l’agent du Parlement n’existe pas. D’ailleurs, le Parlement n’existe qu’en de rares occasions, comme lors des discours du Trône et lors de sanctions royales.

Les hauts fonctionnaires du Sénat, les hauts gestionnaires de la Chambre des communes et les hauts fonctionnaires de Sa Majesté forment trois groupes distincts. Il n’y a pas d’agents. Je me demande pourquoi ce terme lui tient tellement à cœur, pourquoi il l’affectionne tant, alors qu’il n’existe pas sur le plan constitutionnel.

Le président : Le DPB voudrait-il commenter ou répondre à la question? Vous pouvez aussi envoyer votre réponse par écrit à la greffière.

M. Fréchette : C’est toujours un plaisir de répondre aux questions de la vice-présidente.

Vous avez tout à fait raison. Les termes agent du Parlement et haut fonctionnaire du Parlement sont très élastiques. Par exemple, le greffier du Sénat est parfois perçu comme un agent du Parlement.

Mark Mahabir, avocat général et directeur des politiques au sein du DPB, Bureau du directeur parlementaire du budget: : Vous avez raison. Il n’existe aucune définition de l’agent du Parlement.

La sénatrice Cools : Au paragraphe 79.1(1), on peut lire ceci:

Est créé le poste de directeur parlementaire du budget, dont le titulaire est membre du personnel de la Bibliothèque du Parlement.

J’attire l’attention des sénateurs à cette précision.

M. Fréchette : Au titre de la loi dans sa forme actuelle, et non de la législation proposée.

La sénatrice Cools : Oui, mais, n’oublions pas que cela a été créé en 2006 avec l’adoption de la Loi fédérale sur la responsabilité.

[Français]

Le sénateur Pratte : J’aimerais revenir sur la question des recours lorsqu’un ministère refuse de répondre aux demandes. Nous avons comme objectif d’améliorer le projet de loi, s’il y a lieu. Lorsque je vous ai demandé quel était votre recours idéal en cas refus, vous m’avez donné le modèle du vérificateur général qui fonctionne selon un protocole conclu avec chacun des ministères avec la bénédiction du Conseil privé. Or, cela ne figure pas dans la loi sur le vérificateur général. N’y a-t-il pas lieu d’apporter certaines modifications, ou est-ce quelque chose qui devrait être fait à l'extérieur de la loi par volonté politique afin d’aller de l’avant?

M. Fréchette : En ce moment, il n’y a rien dans le projet de loi qui indique un recours parlementaire. Comme je l’ai mentionné dans mes remarques, il faudrait en avoir un. Par exemple, comme nous en avons discuté auparavant, les deux Présidents agiraient à titre de mécanisme de recours. La loi proposée l’été dernier comporte une approche selon laquelle les ministères doivent consentir à la mise en oeuvre d'un protocole qui serait intégré à la législation.

Cela dit, la semaine dernière, des fonctionnaires d’Infrastructure Canada ont comparu devant votre comité. Ils vous ont dit qu’ils n’étaient pas en mesure de vous donner de l’information, mais que le DPB, lui, disposait de l’information. Lorsque vous nous avez posé la question, nous vous avons répondu que nous avions l’information, mais que le ministère ne nous autorisait pas à vous la transmettre. Je crois que c’est la sénatrice Eaton qui a posé la question. On peut avoir accès à l’information, mais il y a des restrictions. C’est la problématique que nous avons essayé de corriger dans notre loi. Nous devons être en mesure de communiquer l’information. Y avoir accès, c’est une chose, mais la communiquer, c’est tout autre chose. Nous sommes parfois confrontés à ce genre ce problème.

Le sénateur Pratte : Il y a une deuxième problématique : la confidentialité de l’information. Vous préférez la formulation actuelle de la loi à celle qui est proposée dans le projet de loi C-44 en matière de confidentialité de l’information. Au lieu de s'en remettre aux critères énoncés par la Loi sur l’accès à l’information — comme dans la loi actuelle —, on donne la responsabilité ou le pouvoir au sous-ministre de décider si vous pouvez divulguer ou non l’information.

M. Fréchette : Dans la loi actuelle, il n’y a pas de recommandation spécifique. Le recours parlementaire a été fait à l’extérieur de la loi.

Le sénateur Forest : Lorsqu’on examine l’ensemble des mesures proposées dans ce projet de loi, croyez-vous que l’on devrait vous redonner votre autonomie en soustrayant l'obligation pour le directeur parlementaire du budget de soumettre son plan d’action annuel aux Présidents des deux Chambres?

M. Fréchette : Le soumettre?

Le sénateur Forest : Le faire approuver.

M. Fréchette : Vous êtes un francophone, mais cela concerne tout le monde. Faites toujours preuve de vigilance lorsque le texte anglais d’un projet de loi est beaucoup plus long que le texte français. Mes 30 ans de carrière sur la Colline parlementaire m’ont enseigné qu'il s'agit d'un extrait qui a été ajouté par la suite. Le reste du texte est écrit par des rédacteurs législatifs chevronnés. Puis, soudainement, un long paragraphe en anglais apparaît, alors qu’il est très court en français, parce que les traducteurs ont travaillé très fort pour essayer de simplifier le texte. Voilà ce que cela donne comme résultat.

Pour répondre à votre question, si on supprimait ce paragraphe, je serais déjà plus heureux à 75 p. 100. Comme M. Askari l’a mentionné, en ce qui concerne tout ce qui se rapporte à l’évaluation des plateformes électorales, on verra ce que les législateurs ou les partis politiques en penseront ou ce que les partis politiques en auront pensé. Si on supprimait le paragraphe lié à l’approbation, si on enlevait également la question de la gestion et du contrôle du bureau en raffinant le texte, on sera à 80 p. 100. Entre outre, en prévoyant un recours parlementaire par l’entremise des deux Présidents, on permettrait un meilleur accès à l’information.

Le sénateur Forest : Je suis un tout nouveau sénateur. Je ne ferais certainement pas ce commentaire si j’avais plus d’expérience :vouloir baliser l’autonomie et l’indépendance du directeur parlementaire du budget est une volonté plus administrative que politique.

M. Fréchette : Plus « fonction publique » que législative.

Le sénateur Forest : Je viens de recevoir la confirmation que j'attendais.

Le président : Si vous me le permettez, avant de poursuivre la séance pour entendre les autres témoins, nous aimerions vous remercier, monsieur Fréchette, ainsi que l'équipe du Bureau du directeur parlementaire du budget. Merci de votre présentation et d'avoir répondu à nos questions.

[Traduction]

Honorables sénateurs, nous allons suspendre la séance pour cinq minutes afin que nous puissions prendre les présences, conformément aux Règlements du Sénat.

[Français]

Honorables sénateurs, pour la deuxième partie de notre réunion, nous avons invité deux experts pour nous éclairer sur les changements proposés par le projet de loi C-44 au mandat du directeur parlementaire du budget. Il s’agit de Sahir Khan, vice-président exécutif de l'Institut des finances publiques et de la démocratie de l'Université d'Ottawa. J'aimerais préciser que M. Khan est l’ancien directeur parlementaire adjoint du budget; merci d’avoir accepté notre invitation, monsieur Khan. Nous accueillons aussi Mme Geneviève Tellier, professeure titulaire à l'École d’études politiques de l’Université d’Ottawa. Merci, madame, d’avoir accepté notre invitation.

[Traduction]

La professeur Tellier s’intéresse à la gestion des finances publiques en général, mais aussi au directeur parlementaire du budget. Elle a publié sur le sujet et étudié ce que les changements proposés par C-44 auraient comme conséquences pour le DPB du Canada.

Monsieur Khan, professeur Tellier, vous pouvez nous présenter vos exposés. Nous passerons ensuite aux questions des sénateurs.

[Français]

Je demanderai maintenant à la professeure Tellier de faire sa présentation; nous inviterons ensuite M. Khan à faire la sienne. Professeure Tellier, s’il vous plaît, la parole est à vous.

Geneviève Tellier, professeure titulaire, École d’études politiques, Université d’Ottawa : Merci, monsieur le président. J’aimerais commencer par remercier le comité de m’avoir invitée à témoigner dans le cadre de l’étude des dispositions concernant la modification du mandat du directeur parlementaire du budget.

Mes recherches portent sur les politiques et la procédure budgétaire des gouvernements canadiens. En effet, je me suis intéressée à la création du poste de directeur parlementaire du budget. J’aimerais brièvement aborder trois principaux points concernant le projet de loi : le plan de travail, les rapports et analyses, et les estimations en campagne électorale. Je répondrai avec plaisir à vos questions par la suite.

Pour commencer, j’aborderai la question de l’approbation du plan de travail. Actuellement, il n’existe aucun mécanisme de reddition de comptes pour le DPB au Parlement. Le plan d’approbation introduit un tel mécanisme. Cependant, on peut se demander s’il le fait bien. Par exemple, ne serait-il pas préférable de demander une reddition de comptes à la fin de l’année plutôt qu’au début, comme c’est le cas pour les autres agents du Parlement? J’utilise le terme « agent du Parlement » dans un sens très large. De plus, ne devrait-on pas nommer un comité particulier responsable de superviser le travail du directeur parlementaire du budget? Je pense, par exemple, au Comité des opérations gouvernementales et des prévisions budgétaires de la Chambre des communes, dont le mandat ressemble beaucoup à celui du directeur parlementaire du budget, ou encore au Comité des finances de la Chambre des communes, qui est un interlocuteur fréquent du directeur parlementaire du budget.

Deuxièmement, j’aimerais aborder quelques points au sujet des rapports et des analyses du directeur parlementaire du budget. On demande au directeur de fournir des rapports à la demande des comités. Le projet de loi inclut maintenant un nouveau comité, soit le Comité des opérations gouvernementales et des prévisions budgétaires. Cela me semble tout à fait cohérent avec le mandat du directeur parlementaire du budget. On demande aussi des rapports à la demande des parlementaires. Ici, on réduit la marge de manœuvre des parlementaires. La Constitution ne donne pas aux députés sans portefeuille le pouvoir de présenter des projets de loi financiers. Par contre, elle octroie aux parlementaires le pouvoir de demander des comptes au gouvernement. Les modifications ne leur permettront plus d’employer les ressources du DPB pour exercer ce travail de reddition de comptes, sauf si les demandes proviennent des comités ou si le directeur a anticipé ces demandes dans le plan annuel qu’il doit soumettre.

En ce qui concerne le dépôt des rapports, on clarifie les règles de publication. Ces règles se conforment aux pratiques actuelles du Parlement canadien. Aurait-on pu faire autrement? Ici, je fais référence aux pratiques qui avaient été introduites par l’ancien directeur parlementaire du budget. Cela dit, peu importe la méthode choisie, il y aura toujours des débats partisans et des enjeux liés au moment jugé opportun pour la diffusion des rapports.

Mon troisième point traite des estimations durant une campagne électorale. Il s’agit d’un mécanisme qui commence à se répandre au Canada. Le Québec, l’Ontario et le Nouveau-Brunswick ont légiféré à ce sujet, mais les mesures ne sont pas les mêmes partout. Contrairement au Nouveau-Brunswick, le recours au DPB ne sera pas obligatoire, ce qui devrait simplifier la procédure. Cependant, les ministères ne seraient pas tenus de fournir de l'information qui pourrait être pertinente. Cela pourrait avoir pour effet de produire des estimations partielles uniquement. Une telle mesure est-elle utile? Elle pourrait répondre à un besoin d’encadrer davantage les promesses électorales. Ici, je fais référence aux estimations durant la campagne électorale. Actuellement, les partis politiques ne sont soumis à aucune règle en ce qui concerne leurs promesses. Imaginez si des entreprises privées pouvaient faire la même chose. Une telle mesure peut-elle relever de la responsabilité du DPB? Oui, certainement.

Enfin, l’article 79.01, qui est le premier article de la loi sur l’objet, mentionne explicitement les analyses macroéconomiques, alors que la plupart des études passées ont été des analyses microéconomiques, c’est-à-dire qu’elles se concentraient sur un secteur d’activité précis. Je m'interroge sur la pertinence de cette précision-là. Je vous remercie de votre attention.

Le président : Merci beaucoup, madame. Je donne maintenant la parole à M. Khan.

[Traduction]

Sahir Khan, vice-président exécutif, Institut des finances publiques et de la démocratie, Université d’Ottawa, à titre personnel: : Merci, monsieur le président, madame la vice-présidente et sénateurs de nous avoir invité. C’est un privilège d’être ici.

J’aimerais d’abord faire une brève allocution au sujet de la Loi d’exécution du budget, notamment en ce qui a trait au directeur parlementaire du budget. Mes commentaires concernant le DPB reposent sur mon expérience personnelle à l’époque où je soutenais le premier ministre et le greffier du Conseil privé dans l’élaboration et l’exécution des budgets, et sur mon expérience à titre d’ancien directeur parlementaire adjoint du budget sous Kevin Page, alors que nous avons créé le DPB dans sa forme actuelle et soutenu les parlementaires au cours des cinq premières années de l’histoire du Bureau.

Mes opinions s’appuient sur le travail détaillé effectué au cours des dernières années par l’équipe de l’Institut des finances publiques et de la démocratie de l’Université d’Ottawa en appui aux efforts de l’OCDE, du FMI et de la Banque mondiale pour créer, maintenir et évaluer des institutions financières indépendantes afin de renforcer la démocratie parlementaire.

[Français]

Il faut considérer plusieurs perspectives par rapport à la législation proposée. Parmi les principes de base, il faut se demander si les parlementaires peuvent mener à bien l’examen budgétaire ainsi que débattre, délibérer et voter pour donner un consentement libre et éclairé.

[Traduction]

Grâce à mon travail de soutien auprès du premier ministre et du Cabinet, je suis bien placé pour savoir qu’il y a une quantité énorme de renseignements asymétriques entre le gouvernement et la législature. Les ministres ont accès aux analyses et conseils de milliers de fonctionnaires dans les organismes centraux, sans compter les dizaines de milliers de fonctionnaires au sein des ministères responsables.

Comme les honorables sénateurs le savent très bien, la situation est très différente au Parlement. Le système actuel de production de rapports du gouvernement est loin de satisfaire aux besoins des parlementaires.

[Français]

Cependant, les parlementaires ne peuvent ni voter ni se prononcer sur une mesure législative sans l'aide d'analyses indépendantes et non partisanes qui soutiennent leur rôle.

[Traduction]

Étant donné l’incertitude des prévisions budgétaires et prévisions des coûts, les parlementaires ont besoin de points de données supplémentaires appuyés fondés sur des données probantes. Pour étudier de nouvelles mesures, ils doivent disposer de contrôles de vraisemblance pertinents et opportuns pour savoir s’ils doivent intervenir, où intervenir et quand intervenir.

On peut féliciter le gouvernement d’avoir proposé une législation visant à renforcer le poste du DPB. Il est effectivement rare qu’un gouvernement au pouvoir accorde plus de pouvoirs à la législature et, par conséquent, à l’opposition. Toutefois, il est tout à l’avantage des Canadiens de pouvoir compter sur un Parlement efficace capable de forcer le gouvernement à rendre des comptes.

Je tiens à préciser qu'en raison de leur nature, les institutions financières indépendantes, les IFI, sont dérangeantes. Au sein de la communauté des IFI, les DPB ont tendance à être plus dérangeants que d’autres modèles en raison de leur rôle visant à renforcer le Parlement. Selon la recherche comparative internationale effectuée par l’IFSD, les IFI ont un impact direct sur les relations entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif, et cet impact ne se limite pas à la politique.

Les IFI ont aussi tendance à être dérangeantes pour l’ensemble de la fonction publique. Elles créent un marché plus compétitif en matière de renseignements, non seulement pour les parlementaires, mais aussi pour les médias, les marchés financiers, les citoyens et les contribuables. Elles demandent aux gouvernements de leur fournir des renseignements tout en ajoutant elles aussi de nouveaux renseignements. Ainsi, elles peuvent exposer des faiblesses quant à la forme et à la teneur des renseignements financiers et non financiers que fournit le gouvernement à la législature.

Une analyse des 40 ans d’histoire du U.S. Congressional Budget Office, le CBO, nous permet d’être optimistes. Tout comme au Canada, les premières années du CBO ont été agitées. Mais, grâce à de bonnes législations, à un leadership solide et compétent et à un environnement de plus en plus accueillant au sein du Congrès, le CBO a commencé à prendre racine. Au fil des ans, les relations institutionnelles ont été modifiées menant à des processus plus efficaces, à une meilleure circulation des renseignements et à des débats plus concluants. Les fondations solides du CBO et l’évolution des divers intervenants au sein de l’écosystème fiscal ont permis aux législateurs d’avoir plus de pouvoirs et de renforcer la législature.

[Français]

Mais revenons au projet de loi C-44. Dans sa plateforme électorale de 2015, l’actuel gouvernement libéral a promis que le directeur parlementaire du budget serait véritablement indépendant.

[Traduction]

Notre analyse de la LEB, dont nous avons fourni une copie aux membres du comité, s’appuie sur deux points de référence: la Loi sur le Parlement du Canada dans sa forme actuelle et les principes relativement aux IFI formulés par l’OCDE, organisation dont le DPB est membre et dont le Canada est signataire.

Le gouvernement a apporté quatre améliorations que l’on pourrait considérer comme importantes aux fonctions du DPB. Le DPB sera maintenant considéré comme un agent du Parlement; le Parlement aura un rôle à jouer dans le choix de l’agent; il sera plus difficile de congédier le DPB, car cela ne sera possible que pour des motifs valables; et le mandat du DPB a été élargi afin que le DPB puisse aider les partis politiques à prévoir les coûts de leurs plateformes électorales.

Toutefois, l’engagement du programme libéral a été réduit d’au moins cinq façons. Le mandat du DPB a été modifié à la baisse obligeant le DPB à réagir aux rapports du gouvernement plutôt que d’amorcer des analyses proactives.

La LEB retire aux parlementaires la capacité de demander des prévisions de coûts. Elle leur retirerait le droit de demander, par exemple, des prévisions de coûts en ce qui a trait à l’achat des F-35 ou à la Loi sur l’adéquation de la peine et du crime.

La LEB rend ambigu le travail qu’entreprend lui-même le DPB concernant les prévisions du gouvernement. Il s’agit d’un élément important en ce qui a trait à certains dossiers clés, comme le rendement des investissements en infrastructure.

La LEB limite l’indépendance du DPB en l’obligeant à faire approuver son plan de travail par les présidents des deux chambres et des limites sont imposées quant au moment choisi pour publier l’analyse du DPB en ce sens que l’analyse doit être présentée pendant que le Parlement siège.

[Français]

De plus, les lacunes suivantes dans la législation sont des occasions manquées pour son amélioration.

[Traduction]

La LEB ne fait aucune mention des qualifications nécessaires pour exercer les fonctions de DPB, par exemple, l’expertise et l’expérience des candidats en matière de budgets fédéraux. Il s’agit d’un des principes de l’OCDE et d’un facteur clé de réussite qui sous-tend la crédibilité de l’IFI et sa capacité à recruter et à maintenir en poste un personnel compétent.

Ceux qui se font refuser une demande d’information n’ont aucun recours utile à leur disposition. Actuellement, le DPB peut exercer un recours devant la Cour fédérale du Canada. Le projet de loi élimine ce recours.

Le DPB n’est assujetti à aucune évaluation externe indépendante. Le DPB devrait être indépendant, mais il devrait aussi rendre des comptes sur l’utilisation de ses ressources et les résultats qu’il apporte aux intervenants. L’Office of Budget Responsibility du Royaume-Uni a enchâssé dans sa législation l’exigence d’assujettir le DPB à une évaluation externe indépendante.

[Français]

La législation proposée ne respecte pas entièrement les propres engagements du gouvernement à rendre le DPB véritablement indépendant et, à de nombreux égards, peut être considérée comme un recul par rapport à la législation existante.

[Traduction]

J’espère que les honorables sénateurs profiteront de l’occasion pour proposer des amendements à la LEB, mais l’amélioration des dispositions relatives au DPB ne suffira pas à renforcer le Parlement. Notre système de prévisions fait gravement défaut. Les dépenses législatives votées font l’objet de très peu d’examens rigoureux. Les systèmes budgétaires et de contrôles doivent être mieux harmonisés. Il nous faut de meilleurs contrôles parlementaires pour la reddition de comptes en matière de dépenses et de rendement. Bref, il reste du travail à faire.

Je vous remercie de votre attention. Je serai heureux de répondre à vos questions.

Le président : Je tiens à remercier les témoins. Nous allons maintenant passer aux questions des membres.

La sénatrice Marshall : J’aimerais connaître votre point de vue sur plusieurs articles du projet de loi.

D’abord, concernant les prévisions, au paragraphe 79.1(1), sous la section intitulée « Adjonction au budget et dépôt », à la page 80 du projet de loi, on peut lire que l’état estimatif doit être examiné par le président du Sénat. Je crois que cela nuit à l’indépendance du DPB.

Quelle est votre interprétation du mot « examiné »? Ce n’est pas défini dans le projet de loi.

M. Khan : Merci pour cette question, sénatrice. Mon interprétation est la même que la vôtre. Les autres agents du Parlement ne sont pas assujettis à cette exigence.

La sénatrice Marshall : Madame Tellier, auriez-vous quelque chose à ajouter?

Mme Tellier : Je suis d’accord avec vous. Je me demande pourquoi l’on impose autant de restrictions au DPB.

La sénatrice Marshall : Un autre article précise que si le Parlement ne siège pas, le Bureau doit cesser ses activités. C’est à la page 83 du projet de loi.

Auriez-vous un commentaire à formuler à ce sujet?

Mme Tellier : C’est une question très intéressante. Qui décide quoi publier? Cela a été un problème important au cours du premier mandat de l’ancien DPB. On a tenté de créer quelque chose de nouveau afin que les renseignements soient publiés le plus rapidement possible. Un des avantages était que le public participait au travail du DPB. J’ai trouvé cela intéressant et novateur de la part du Parlement.

Cela va à l’encontre de notre pratique globale. Si l’on examine les pratiques d’autres agents du Parlement, je pense, notamment, au vérificateur général, les rapports ne sont publiés que lorsque le Parlement siège. S’il ne siège pas, on attend. On pourrait décider d’aller dans un sens comme dans l’autre. Je ne crois pas qu’il y ait une méthode parfaite. Il suffit de comprendre les conséquences de chacune.

Il y aura toujours des gens pour dire qu’il y a eu manipulation. Le gouvernement a-t-il mis fin aux activités du Parlement pour ne pas avoir à composer avec le rapport? Je doute que le gouvernement agisse de la sorte simplement pour éviter le rapport du DPB, mais le fait de mettre fin aux activités du Parlement empêche la publication du rapport, comme nous l’avons constaté dans le cas du rapport du vérificateur général.

Si l’on choisit d’aller dans l’autre direction et de laisser le DPB décider quand publier son rapport, en cas d’élection, cela pose problème. Aucune solution ne fera consensus, mais il faut comprendre les conséquences.

Ce que j’aimais de l’ancien système, c’est qu’il s’agissait de quelque chose de nouveau. Le Parlement utilisait une nouvelle méthode. Comme je l’ai dit, un des avantages, c’est que le public participait au processus, puisque tous les renseignements étaient rendus publics. C’était une bonne façon de rétablir les liens entre les parlementaires et l’ensemble de la population.

M. Khan : Sénatrice Marshall, l’OCDE recommande que les rapports soient publiés instantanément et simultanément de façon à éviter que les gens pensent qu’il y a eu manipulation du travail et favoritisme à l’égard d’un groupe en particulier, mais aussi pour s’assurer que tous les parlementaires reçoivent l’information au même moment et que le gouvernement ne reçoit pas l’information avant les autres, lui procurant ainsi un avantage. C’est la raison pour laquelle il s’agit d’un des principes de l’OCDE.

Je ne crois pas que quiconque ici propose de publier un rapport pendant une période électorale. Il est plutôt question des périodes où le Parlement ne siège pas, comme pendant la pause estivale. Toutefois, même pendant les pauses, le monde continue de tourner. L’économie ralentie et des problèmes fiscaux font leur apparition.

La question qu’il faut se poser, c’est si les parlementaires doivent avoir l’information. J’ai passé cinq ans sur la Colline et je sais que les parlementaires ne sont pas en congé pendant ces pauses. Ils travaillent dans d’autres régions.

La sénatrice Marshall : Cette section concerne surtout la procédure si le Parlement est dissous. Les rapports ne peuvent pas alors être publiés. Mais, le projet de loi précise aussi que les activités du Bureau doivent cesser. À mon avis, cela nuit au rôle du directeur parlementaire du budget.

M. Khan : Prenons l’exemple du rapport que nous avons publié sur le F-35. C’est moi qui l’ai rédigé. Il m’a fallu des mois. Que le Parlement siège ou non, le travail se poursuit. Le rapport n’est pas publié et nous n’en parlons pas, mais il est très difficile d’arrêter puis de redémarrer le processus. Il est déjà suffisamment difficile pour un bureau passablement petit de traiter les gros dossiers que lui confient les parlementaires.

La sénatrice Marshall : Un autre paragraphe a été porté à l’attention du groupe de témoins précédent et les témoins en question ne s’entendaient pas sur son interprétation. Le paragraphe porte sur le mandat lorsque le Parlement est non dissous. Il s’agit du paragraphe 79.2(1), alinéas (a) à (f). Le paragraphe explique si le DPB peut entreprendre les travaux associés aux demandes présentées par un sénateur ou un député. Il est précisé que les travaux doivent se limiter à toute mesure que le sénateur ou député envisage de proposer devant le Sénat ou la Chambre des communes.

Pour l’un des témoins précédents, cela ne posait aucun problème, mais pour l’autre témoin, il s’agissait d’une autre limite imposée au DPB. Monsieur Khan, vous nous avez déjà fait part de votre point de vue sur la question dans le cadre de votre exposé, mais j’aimerais vous entendre à nouveau sur la question, et vous aussi, madame Tellier.

M. Khan : Bien sûr. La loi actuelle est claire: les parlementaires, les sénateurs et les députés peuvent demander une estimation des coûts pour tout ce qui relève de la compétence du Parlement. Comme le Parlement affecte tous les fonds, les parlementaires ont plus de latitude pour présenter une demande.

Il ne s’agit pas toujours de projets de loi présentés par les députés. Il peut s’agir d’un approvisionnement prospectif ou de fonds déjà affectés à un ministère.

Cela a notamment été le cas pour les chasseurs F-35, qui ont fait l’objet d’une demande par deux parlementaires. L’IFPD est d’avis qu’il s’agirait d’une mesure restrictive qui priverait les parlementaires de leur droit de poser des questions et d’obtenir une réponse lorsqu’un enjeu les laisse perplexes.

La sénatrice Marshall : Allez-y, madame Tellier.

Mme Tellier : Oui, je suis d’accord avec cela. Ce qui m’inquiète avec le projet de loi, c’est qu’on enlève quelque chose de très important aux parlementaires. On parle souvent de leur manque de participation dans les affaires parlementaires, surtout en ce qui a trait à la reddition de comptes. C’était une façon de les inciter à demander des comptes au gouvernement. Aujourd’hui, on restreint leur marge de manœuvre au dépôt à la Chambre. Leur capacité s’en voit réduite.

La sénatrice Marshall : Leur mandat.

Mme Tellier : Oui.

La sénatrice Marshall : Puis-je poser une dernière question, monsieur le président?

Le président : Bien sûr.

La sénatrice Marshall : J’aimerais connaître votre opinion. Le nouveau mandat du directeur parlementaire du budget sera désigné par des modifications à la Loi sur le Parlement du Canada.

Les autres postes qui relèvent du Parlement ont leur propre loi, dans la plupart des cas. Le vérificateur général est visé par la Loi sur le vérificateur général; le directeur général des élections est visé par la Loi électorale du Canada; le commissaire aux langues officielles est visé par la Loi sur les langues officielles; le commissaire à la protection de la vie privée est visé par la Loi sur la protection des renseignements personnels; le commissaire à l’information est visé par la Loi sur l’accès à l’information; le commissaire au lobbying est visé par la Loi sur le lobbying; le commissaire à l’intégrité du secteur public est visé par la Loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d’actes répréhensibles et le commissaire aux conflits d’intérêts et à l’éthique est visé par la Loi sur les conflits d’intérêts, mais aussi par la Loi sur le Parlement du Canada.

J’ai été surprise de voir cela dans le projet de loi sur l’exécution du budget et à titre de modification à la Loi sur le Parlement du Canada. Avez-vous un commentaire à faire à ce sujet? Étiez-vous surpris comme moi?

Mme Tellier : Oui, j’ai été surprise de voir que cela faisait partie d’un projet de loi omnibus, qu’on ne devrait plus voir. C’est ma principale préoccupation. Je suis très heureuse de voir que le comité se penche sur la question.

Le directeur parlementaire du budget est visé par la Loi sur le Parlement du Canada. Avant, son mandat relevait de la Bibliothèque du Parlement, ce qui était logique, mais pour bien faire les choses, on aurait dû créer une nouvelle loi.

L’Ontario a aussi créé un précédent, en établissant sa propre loi. C’est la seule province du Canada où l’on trouve un équivalent, doté d’un pouvoir accru. On aurait pu faire de même.

M. Khan : Je suis d’accord. Je crois que les esprits méfiants pourraient croire qu’on l’a voulu ainsi, parce que la Loi sur le Parlement du Canada permet à certains joueurs d’exercer un contrôle sur le DPB.

La sénatrice Marshall : Merci beaucoup.

[Français]

Le sénateur Forest : Merci beaucoup de votre présence parmi nous. Le directeur parlementaire du budget a comparu tout juste avant vous. Il nous expliquait qu’il croit que l’environnement idéal pour assumer pleinement sa fonction comprend la mise en place d’un protocole d’entente avec l’ensemble des ministères, tout comme c’est le cas pour le vérificateur général, et qu’il soit supervisé par le Conseil privé. Croyez-vous qu’il s’agit là d’un environnement idéal pour que le directeur parlementaire du budget assume librement et pleinement son mandat?

M. Khan : Je vous remercie de votre question. Lorsque M. Page, M. Askari et moi avons commencé à développer le Bureau du directeur parlementaire du budget, nous avons créé plusieurs protocoles avec nos anciens collègues du Conseil privé. Il n’y a pas de problème en ce qui a trait à l’établissement des protocoles. Le problème survient quand un gouvernement ne veut pas divulguer certains détails ou certaines données. C’est là où les difficultés se posent. La question est de savoir si le DPB dispose de suffisamment de recours dans le cas où le gouvernement décide de ne pas partager l’information. Les protocoles eux-mêmes sont relativement faciles à établir; le problème se pose lorsque l’une des deux parties demande des renseignements, mais qu'elle doit se servir de recours afin d’avoir accès à cette information lorsque l’autre partie ne veut pas la divulguer. Un protocole n’est pas suffisant selon moi; il faudrait établir un recours pour le DPB.

Le sénateur Forest : En cas de non-divulgation de la part du ministère interpellé.

M. Khan : Comme une Cour fédérale, par exemple, à titre d’arbitre.

Le sénateur Forest : Un élément assez paradoxal m’apparaît au-delà de tout ce qu’on peut soulever comme question ou appréhension en ce qui a trait à ce projet de loi. D’un côté, on dit que le directeur parlementaire du budget va cesser ses travaux lors de la dissolution du Parlement et, en même temps, on lui confie le mandat de procéder à l’évaluation des coûts liés aux engagements électoraux des partis politiques.

Je peux vous mentionner un exemple d'une situation dans le cadre de laquelle je suis convaincu que le directeur parlementaire du budget s’est fait beaucoup d’amis. Dans le cadre d’un projet de loi concernant le transfert des entreprises familiales agricoles et de pêche, le ministère des Finances avait évalué les coûts liés au projet de loi à plus de 800 millions de dollars. Par la suite, le directeur parlementaire du budget a procédé à une réévaluation des coûts, qui se montaient à 279 millions de dollars.

Si le directeur parlementaire du budget se voit confier le mandat d’évaluer les coûts liés aux promesses électorales, ne pensez-vous pas que cela le mettra dans une situation extrêmement délicate pour la suite des choses, selon les résultats des élections et selon la justesse avec laquelle il pourra être en mesure d’apprécier les coûts des promesses électorales?

M. Khan : Je suis d’accord avec vous. Estimer le coût d’un projet de loi ou d’un achat du gouvernement ou faire l’estimation d’un plan électoral global, c’est difficile. Ce travail, souvent, n’est pas fait avec beaucoup de précision; il s’agit d’une estimation. Il vaut la peine que ce comité poursuive son examen et fasse peut-être plus de recherches sur d’autres plans, comme celui établi par l’Australie, par exemple. Comment l'Australie a-t-elle réussi, pendant les élections, à minimiser les risques liés à une estimation des coûts qui ne serait pas bien faite?

On ne dispose pas de beaucoup de temps pendant une période électorale. J’ai mentionné plus tôt que dans le dossier des F-35, il a fallu plusieurs mois pour développer l’évaluation des coûts et, même après cela, il y a eu beaucoup de controverse.

Imaginez la situation pendant une campagne électorale, où le travail est fait assez rapidement, ce qui peut avoir un impact électoral. Je crois qu’il vaut la peine pour ce comité de faire plus de recherches sur les modalités qui pourraient favoriser une certaine confiance à l'égard du système.

Le sénateur Forest : Cela peut être un facteur externe qui pourrait avoir un impact majeur sur les résultats du vote.

M. Khan : Oui. Il y a toutefois des modèles qui existent; l’Australie a élaboré certains protocoles pour gérer ces risques. Mais il n’est pas évident, dans le cadre de ce projet de loi, de déterminer que tout a bien été planifié.

[Traduction]

Le sénateur Woo : Madame et messieurs les témoins, bonjour. Je vous remercie de votre présence ici aujourd’hui.

Je peux peut-être revenir sur les commentaires du sénateur Forest au sujet de l’évaluation des coûts des politiques électorales et demander à M. Khan de clarifier sa réponse. Vous avez répondu clairement à de nombreuses autres questions, mais je ne suis pas certain de comprendre votre point de vue à ce sujet ou au sujet de l’évaluation des coûts de la plateforme électorale dans le cadre du mandat du directeur parlementaire du budget.

Je sais que vous nous avez demandé d’étudier les modèles australien et néerlandais. Nous pouvons le faire, mais nos ressources sont limitées. Pourriez-vous nous en dire un peu plus?

Mme. Tellier voudra peut-être aussi faire un commentaire.

M. Khan : Il est difficile d’être précis. Ce que j’ai voulu faire valoir au sénateur Forest, c’est qu’on introduit des éléments de risque dans le cadre d’une élection. L’estimation des coûts est parfois très difficile à faire si l’on n’a pas l’information nécessaire. Il ne faut pas faire d’erreur. Dans les faits, lorsqu’on fait un travail en cours d’exercice comme le fait le DPB, il y a toujours un risque, mais on ne veut surtout pas influer sur les élections.

En Australie, le directeur parlementaire du budget fait beaucoup de travail confidentiel pour les partis politiques au cours de l’année. En passant, les lignes directrices de l’OCDE n’appuient pas de telles pratiques. Lorsqu’arrivent les élections, il en a assez vu. Il a suffisamment d’information pour estimer les coûts du programme électoral, à partir des diverses données qu’il a recueillies.

Dans le contexte canadien, si ce travail n’est pas fait, on dispose de très peu de temps pour le faire.

Certaines modalités pourraient fonctionner. On a proposé que l’Office for Budget Responsibility du Royaume-Uni atteste l’estimation des coûts faite par les fonctionnaires. C’est ce qu’on fait déjà pour le budget. Nous avons recommandé au Trésor britannique et à l’OBR de ne pas le faire afin d’éviter de politiser le bureau.

Mon point de vue et celui de notre institut est qu’il s’agit d’une mesure positive en vue d’équilibrer les règles du jeu pour les partis qui n’ont pas accès à la même quantité de renseignements que le gouvernement sortant, par exemple. Les modalités sont importantes parce que les parlementaires risquent d’obtenir des résultats peu souhaitables si l’on ne fait pas les choses comme il le faut.

Le sénateur Woo : Madame Tellier?

Mme Tellier : Oui. Je pense à l’exemple du Nouveau-Brunswick, qui a été un échec. Au cours des dernières élections, une mesure législative obligeait tous les partis politiques à faire des projections, ce qui n’a pas fonctionné. Je ne connais pas les détails de cette histoire, mais on a aboli la loi, pour en adopter une nouvelle.

Cela représente bien ce qui se passe au Canada. Il y a une volonté politique d’établir une telle réglementation pour aider les partis à présenter leur programme. Pour moi, le problème n’est pas nécessairement associé à la loi. C’est que cela joue en faveur du gouvernement et des partis politiques, parce qu’ils obtiennent ce qu’ils appellent une évaluation indépendante de leur proposition et peuvent ensuite dire: « Vous voyez, le DPB est d’accord avec nous. »

Il n’y a aucune obligation ici à Ottawa ou au Nouveau-Brunswick en matière de communication des renseignements. On pourrait demander au DPB de procéder à une évaluation puis décider de ne pas publier les renseignements. On pourrait procéder de la sorte.

Le sénateur Woo : Ce serait une mauvaise idée.

Mme Tellier : Oui, c’est une mauvaise idée. Selon ce que je comprends, la loi visait à donner l’occasion aux partis politiques de demander une évaluation indépendante, qui serait effectuée par le DPB. Je crois que le DPB a la réputation ou les compétences requises pour le faire.

Au Québec, on a confié cette responsabilité au vérificateur général, ce qui est une mauvaise idée à mon avis parce que la comptabilité et la projection économique ne sont pas la même chose. Il faudra être très prudents à cet égard.

Ce n’est pas obligatoire. Personne n’est tenu d’avoir recours aux services du DPB. Ce qui me préoccupe surtout, c’est que selon un certain article, le DPB pourrait demander à un ministère de fournir des renseignements et celui-ci pourrait accepter ou refuser de le faire, ce qui est dangereux à mon avis, puisque le DPB pourrait ne pas avoir accès à ces renseignements. On pourrait faire facilement parler de partisanerie, puisqu’on pourrait faire valoir que le gouvernement ne veut pas aider les partis de l’opposition.

Qui décide? Est-ce que cela pourrait servir au parti au pouvoir, mais pas aux autres? À mon avis, c’est là où la partisanerie pourrait être un enjeu.

Le sénateur Woo : Je vais revenir à votre exposé, monsieur Khan, et aux cinq raisons pour lesquelles, à votre avis, la mesure législative n’est pas à la hauteur de la plateforme libérale.

Est-ce qu’on peut dire que si la mesure législative répondait au point 4, c’est-à-dire la présentation de rapports aux présidents, l’obtention de leur approbation et ainsi de suite, on règlerait du même coup les points 1, 2 et 3, mais pas le point 5, parce que les questions relatives au calendrier sont abordées dans une autre partie de la loi?

En gros, le témoignage du directeur parlementaire du budget est le point de départ de ma question. Je crois qu’il a dit que si l’on pouvait régler la question des rapports, on règlerait quelque chose comme 80 p. 100 des problèmes.

Est-ce qu’en réglant le point 4, on règlerait les points 1, 2 et 3 également?

M. Khan : Avec tout le respect que je lui dois, je tiens à exprimer mon profond désaccord avec l’actuel DPB à cet égard. Il faut tenir compte de la question d’indépendance. On peut imaginer une situation où un sénateur conservateur devrait faire approuver son plan de travail par le président, qui est nommé par décret. Cela donne lieu à certains conflits.

Mon commentaire ne vise aucun président en particulier ni le bureau, mais on risque de politiser les présidents. C’est un enjeu en soi et cette mesure ajoutée ne vise aucun autre mandataire ou fonctionnaire du Parlement.

En fait, les autres enjeux sont assez importants, puisqu’en vertu de la loi actuelle, le mandat établi par le gouvernement conservateur précédent est très clair. Les problèmes de la loi n’ont rien à voir avec le mandat. C’était bien écrit, concis est on ne peut plus clair.

Les modifications proposées par le gouvernement libéral abordent quelques-unes de ces lacunes. Certains ajouts portent toutefois à confusion. Comme je l’ai fait valoir dans ma déclaration préliminaire, le langage n’est pas clair, mais de toute évidence, il retire certains droits aux parlementaires. Le DPB avait le droit d’examiner l’économie, les finances du pays et le budget de façon proactive, sans restriction. La nouvelle mesure législative placera le DPB en situation de réaction, puisqu’il attendra que le gouvernement publie quelque chose pour y réagir.

Ainsi, le DPB n’aura plus la souplesse nécessaire pour servir les parlementaires qui ont souvent besoin de renseignements au sujet de leur calendrier et non celui du gouvernement. La loi empêche les parlementaires de se prévaloir de leurs droits. On leur enlève aussi le droit d’évaluer les coûts.

En ce qui a trait à l’analyse du budget, selon ce que je comprends, le gouvernement s’inquiète de voir le DPB évaluer le rendement, alors qu’il croit que c’est le travail du vérificateur général. En fait, le budget comprend les rapports ministériels sur le rendement. Les parlementaires doivent pouvoir connaître le rendement en cours d’exercice, pas seulement par l’entremise des comptes publics et du processus de vérification.

Le sénateur Woo : Puis-je vous interrompre un instant? Je crains avoir posé la mauvaise question ou peut-être que je comprends mal votre réponse, surtout lorsque vous dites que vous êtes fortement en désaccord avec le DPB actuel. J’espère que tout le monde comprend la nature de votre désaccord.

Ma question était la suivante : si, comme vous le recommandez, on éliminait le point 4, les exigences en matière de présentation de rapports, de manière à ce que le directeur parlementaire du budget ne soit pas tenu de présenter son plan de travail aux présidents, ce qui signifierait qu’il peut mettre ce qu’il veut dans son plan de travail, y compris des mesures de contingence pour régler les questions qui émergent en cas de récession ou d’une initiative spéciale du budget, est-ce que cela permettrait de régler 80 p. 100 des problèmes associés au projet de loi C -44, comme l’a fait valoir le directeur parlementaire du budget?

Est-ce là où vous n’êtes pas d’accord avec lui?

M. Khan : Oui. Je crois que c’est la mesure dans laquelle on traite le problème. On éliminerait un mécanisme de contrôle des fonctions du DPB, mais le langage resterait le même; le mandat prévu dans le projet de loi est très réactif. Alors que la loi actuelle établit clairement que le DPB peut procéder à une analyse proactive, la loi proposée dit que le DPB doit réagir.

L’élimination du point 4 atténue l’incidence des autres points, mais est-ce qu’elle redonne aux parlementaires le droit de demander une évaluation des coûts? Le problème ne va pas se régler de lui-même.

On règlerait certains problèmes, mais je ne crois pas qu’on puisse dire que cela règlerait 80 p. 100 des problèmes. C’est un problème parmi d’autres. Il y a encore la question du langage, de la précision et de certains éléments qui ont été exclus de façon délibérée. Comme je l’ai dit, on ne règlerait pas la question des recours possibles lorsque le gouvernement décide de ne pas transmettre au DPB les renseignements dont il a besoin pour s’acquitter de ses obligations.

Mme Tellier : Je n’ai pas les points soulevés par M. Khan sous les yeux, alors je vais fonder ma réponse sur ce que j’ai entendu.

Je suis aussi d’accord avec ce qu’on a dit au sujet de l’élimination de 80 p. 100 des problèmes. À mon avis — et comme je l’ai dit précédemment —, le principal problème est la restriction imposée aux parlementaires quant aux demandes qu’ils peuvent présenter au DPB. Pour moi, c’est la caractéristique principale du projet de loi.

Je suis pour la présentation de rapports. C’est une bonne chose, qui manquait dans la loi précédente. À un certain moment, le comité des finances a tenté de faire témoigner le DPB une fois par année pour expliquer son travail. Est-ce qu’il devrait faire rapport de son travail au début ou à la fin de l’année? Il faudrait peut-être le faire au début de l’année. Toutefois, en début d’année, on fait des prévisions qui ne sont pas précises; il faut donc faire preuve de prudence dans nos demandes.

Ce serait nouveau, oui, mais comme vous l’avez peut-être remarqué, je ne suis pas contre la nouveauté au Parlement. Toutefois, comme l’a fait valoir M. Khan, le libellé actuel de la loi pose problème.

Vous m’avez fait penser à quelque chose au sujet de ce qui se trouve dans la loi, de ce qui se trouve dans le projet de loi, et de ce qui ne s’y trouve pas. Par exemple, par le passé, le DPB offrait un simulateur financier. Sur son site Web, on pouvait saisir divers scénarios budgétaires et voir les résultats. En vertu du nouveau projet de loi, le mandat du DPB ne lui permettrait plus d’offrir ce service. Il ne pourrait plus en faire autant qu’avant.

Le simulateur était pratique pour les parlementaires parce que nombre d’entre eux ont posé des questions au sujet de l’incidence financière de ces mesures, mais c’était aussi un outil intéressant pour la population en général. Les gens pouvaient consulter le site web et obtenir ces renseignements.

Je me répète, mais il ne faut pas oublier ce lien, non pas seulement avec les parlementaires, mais aussi avec la population.

Le président : J’aimerais clarifier une chose, avant de donner la parole au sénateur Pratte. Monsieur Khan, vous avez dit que les mesures s’appliqueraient à un sénateur conservateur. Je crois qu’avec les changements demandés, les mesures s’appliqueraient à tous les sénateurs, pas seulement aux sénateurs conservateurs.

Est-ce bien cela?

M. Khan : Oui. J’ai voulu donner l’exemple d’une extrême politique. Le problème, c’est qu’à l’heure actuelle, les parlementaires entretiennent une relation directe avec le DPB.

Le président : Merci, monsieur Khan.

Le sénateur Pratte : Je m’intéresse aux réparations possibles lorsqu’un ministère ou une société d’État refuse de fournir des renseignements au DPB.

Dans les amendements que vous proposez, vous prévoyez que dans de tels cas, le DPB avise le comité approprié et renvoie l’affaire devant la Cour fédérale.

Hier, nous avons reçu des témoins du Conseil privé qui nous ont clairement dit qu’ils avaient retiré la possibilité de présenter un renvoi à la Cour fédérale. J’ai peut-être mal compris, mais une des raisons invoquées, c’est qu’aucun autre agent du Parlement n’a la possibilité de renvoyer une question à la Cour fédérale. Si le DPB était d'avis qu’un ministère avait agi de manière illégale, il pouvait s’adresser à des tribunaux. Le DPB avait toujours la possibilité de demander l’intervention d’un comité.

Pourriez-vous nous dire quelques mots sur ces deux points?

M. Khan : Une des leçons que nous avons tirées au cours des cinq premières années, c’est qu’en situation de gouvernement minoritaire, nous avions un recours très facile aux comités et, à l'issue de délibérations très réfléchies entre leurs membres, les comités intervenaient eux-mêmes pour donner un coup de main au DPB et pour nous aider à obtenir les renseignements dont nous avions besoin.

À mon avis, c’est ainsi que doit fonctionner la relation entre le DPB et un comité. Il est très important, en vertu de la loi actuelle, que le DPB se reporte aux trois comités qu’il sert. On aurait probablement dû ajouter aussi le Comité permanent des opérations gouvernementales et des prévisions budgétaires puisque cela fait partie du mandat du DPB. Je ne sais pas si c’était un oubli dans la version originale.

Voilà donc un recours qui a bien fonctionné pour nous pendant un certain temps, jusqu’à ce qu’il y ait un gouvernement majoritaire. À partir de là, les comités ne réussissaient jamais vraiment à recueillir les votes nécessaires pour demander à un sous-ministre de nous fournir les données ou pour l’obliger à le faire.

Très souvent, l'argument classique des sous-ministres était de nous dire que notre mandat ne permettait pas d'obtenir les renseignements demandés ou que nous n’avions droit qu’à des données, et non pas à des renseignements. Les gens jouaient sur les mots.

En 2012, lorsque nous avons demandé un renvoi à la Cour fédérale, le juge Harrington de la même cour a semblé confirmer que, compte tenu de la façon particulière dont notre bureau relevait de la Bibliothèque du Parlement, nous avions droit à un recours, à condition d’avoir épuisé, au préalable, tous les autres moyens.

Voilà qui s’est avéré utile parce que, du coup, les ministères devaient envisager les conséquences éventuelles et la possibilité qu’un arbitre indépendant et apolitique se prononce sur la question de savoir si le mandat correspondait à l’interprétation du DPB.

La difficulté, en l’espèce, est la suivante : Sans recours, qu’est-ce qui incitera le gouvernement à collaborer? Le vérificateur général a accès à certaines parties des documents du Cabinet. Lorsqu’il y a un différend au sujet des méthodes comptables à la fin de l’année, c’est le vérificateur général qui joue le rôle d’arbitre. C’est lui qui tranche.

Je ne recommande pas cela, mais si le législateur souhaite accorder de tels pouvoirs au DPB, alors il va de soi qu’on peut se débarrasser du recours à la Cour fédérale. En fait, je ne préconise pas l’idée que le DPB puisse avoir accès aux documents du Cabinet. C’est là le travail d’un vérificateur, et non pas d’un agent responsable des budgets. À défaut d’une certaine forme de recours, le tour est joué. Au Canada, en particulier, il est très facile pour le gouvernement de refuser tout bonnement de fournir de l’information au directeur parlementaire du budget et aux parlementaires.

Le sénateur Pratte : Quand je lis la Loi sur le vérificateur général, j’ai du mal à en comprendre le libellé. Je ne suis pas avocat, alors il y a peut-être quelque chose qui m’échappe. Qu’est-ce qui donne au vérificateur général le pouvoir d’obliger un ministère à lui fournir tous les renseignements voulus?

Il doit sûrement y avoir une disposition législative ou un autre mécanisme qui accorde au vérificateur général un pouvoir dont le DPB ne dispose pas. Dans la version actuelle de la loi et, bien entendu, dans le projet de loi, il est bien dit que le DPB a droit à ces renseignements.

M. Khan : C’est également prévu dans la loi en vigueur, mais en vain. Cela ne nous a pas aidés à obtenir les renseignements. Nous pouvions en faire la demande, mais les ministères pouvaient quand même nous dire non. L'accès dont jouit le vérificateur général est le fruit de protocoles et de décrets au fil du temps, mais quand on passe en revue la loi habilitante, c’est assez évident.

Je ne suis pas avocat, moi non plus. Je viens du secteur des finances des entreprises. On dit essentiellement: « Faites ce qu’il faut pour accomplir le travail. » C’est clairement indiqué dans la loi. L’avantage pour des établissements de vérification comme le Bureau du vérificateur général, c’est qu’ils sont en avance d’une centaine d’années. Ils ont eu l’occasion de créer des protocoles d’entente avec le gouvernement.

Comme je l’ai dit dans mon exposé, dans le cas des institutions budgétaires indépendantes, la possibilité de faire le travail de façon plus immédiate au cours d’une année donnée a tendance à provoquer des perturbations. De tels protocoles n’ont pas encore été élaborés. Une bonne mesure législative peut s’avérer utile, car si les gens comprennent clairement les renseignements auxquels le DPB peut accéder et le recours auquel il a droit en cas de refus, nous n’assisterons plus aux batailles politiques dont nous avons été témoins par le passé, lorsque le DPB s'employait à faire le travail prévu dans son mandat.

Sans la possibilité de recours, il est trop facile pour les gens de dire que ce n’est pas dans notre mandat. Très bien, mais que se passe-t-il après? Nous étions 12 personnes. Quand nous sommes allés devant la Cour fédérale, nous étions accompagnés d'étudiants de la faculté de droit de l’Université d’Ottawa. Voilà ce que nous avons dû faire, mais nous étions convaincus d’avoir le droit d’effectuer ce genre d’analyses et que cela faisait partie de notre mandat. Le juge Harrington a formulé des opinions incidentes assez favorables à cet égard.

Si on adopte un projet de loi sans mordant, les gouvernements n’auront pas nécessairement la motivation de communiquer des renseignements au DPB. Au fond, ce n’est pas vraiment le DPB qui est en cause. Ils choisissent de ne pas fournir de renseignements au Parlement dans son ensemble, alors que les parlementaires essaient simplement d’exercer leurs droits en vertu de la Grande Charte.

La sénatrice Eaton : J’aimerais revenir sur ce que le sénateur Pratte a dit au début de son intervention à propos de l’absence de recours.

Dans un point précédent, au numéro 3, vous dites que le projet de loi d'exécution du budget rend ambigu le travail qu’entreprend le DPB lui-même concernant les prévisions du gouvernement et qu’il s’agit d’un élément important en ce qui a trait à certains dossiers clés, comme le rendement des investissements en infrastructure. Je songe aussi, entre autres, à la Banque de l’infrastructure et aux achats militaires.

Pouvez-vous nous en dire un peu plus long à ce sujet?

M. Khan : Je crois que vous avez bien raison. Les prévisions constituent un sujet plutôt vaste. Elles englobent non seulement le projet de loi de crédits, mais aussi les documents conçus manifestement à l'appui des parlementaires afin qu’ils puissent mettre aux voix le projet de loi de crédits. Il y a les rapports sur les plans et les priorités, les rapports ministériels sur le rendement, et à cela s'ajoutent les rapports financiers trimestriels, même s’ils ne font pas nécessairement partie du processus budgétaire.

À l’heure actuelle, la Loi sur le Parlement du Canada permet au directeur parlementaire du budget d’entreprendre une recherche proactive concernant les prévisions, car elle donne aux parlementaires le pouvoir de dire qu’ils ont le droit de discuter, de délibérer et de surveiller le gouvernement dans la mesure où ils lui demandent des comptes.

Or, ce n’est plus le cas aux termes de ce libellé plutôt ambigu. Le projet de loi dit que le DPB peut réagir à certains rapports budgétaires. Qu’arrivera-t-il si les parlementaires veulent étudier un plan d’approvisionnement prospectif, comme les F-35? Le Parlement affecte déjà des crédits au ministère de la Défense afin de lui permettre d’examiner les options pour le remplacement des avions de combat. Vous en avez le droit. Pourtant, le projet de loi retire le droit d’examiner des questions que vous jugez importantes et en fonction desquelles le Parlement affectera les fonds nécessaires au gouvernement.

La sénatrice Eaton : Croyez-vous qu’il y a un libellé que nous pourrions proposer dans un amendement afin de rectifier le tir? Je crois que c’est extrêmement important.

M. Khan : Je continue de croire au libellé original, que je devrais connaître par cœur depuis le temps, à savoir que le directeur parlementaire du budget a pour mandat de fournir au Sénat et à la Chambre des communes, de façon indépendante, des analyses de l’économie nationale, de la situation financière du pays et des prévisions du gouvernement et qu’il peut, à la demande des parlementaires, évaluer le coût de toute mesure proposée relevant des domaines de compétence du Parlement.

La sénatrice Eaton : Et il peut aller de l’avant. Comme vous le dites, en ce qui concerne la création de la nouvelle Banque de l’infrastructure, quand on lit les messages sur Twitter, on se rend compte que cette question n’a fait l’objet que de deux heures de débat. Voilà qui pourrait être un sujet intéressant pour le directeur parlementaire du budget, une fois que le projet de loi aura été adopté, afin de déterminer si le tout s’est fait en bonne et due forme.

M. Khan : Cette banque aura un capital de 35 milliards de dollars à même les crédits affectés par le Parlement du Canada. Il est important que la population sache où commence le cycle financier. En fait, cela commence ici. Il y a des malentendus à ce sujet.

C’est pourquoi il est si crucial de maintenir le droit du directeur parlementaire du budget, celui qui consiste à appuyer les parlementaires au sein des comités dans le contexte des prévisions budgétaires.

Le sénateur Oh : Monsieur Khan, une partie de ma question a déjà été posée par la sénatrice Eaton. Dans vos observations, au dernier paragraphe, vous dites que notre système des prévisions fait gravement défaut. Un mauvais budget des dépenses ne peut pas être un bon budget.

Pouvez-vous nous donner quelques exemples? Que nous recommandez-vous de faire pour corriger le système des prévisions? Dans l'état actuel des choses, les coûts estimatifs des F-35 nous proviennent des magazines d’aviation.

M. Khan : Comme j’aurais aimé que M. Page soit ici, car ce serait probablement sa question préférée. Il était mon patron lorsque je travaillais au sein du groupe des prévisions, au Conseil du Trésor.

Pour tout dire, nous avions présenté une proposition complète concernant les investissements étrangers lorsque nous étions au bureau du directeur parlementaire du budget. En bref, au lieu d’affecter des crédits à un ministère sous forme de subventions et de contributions, de fonds de roulement et d’autres catégories descriptives, l’idée était que les parlementaires examineraient les activités de programme au sein du gouvernement. On commence par les secteurs d’activité du plus haut niveau au sein du ministère, et on peut ensuite les diviser en unités d’activité plus précises.

Ainsi, dans le cas du ministère des Pêches et des Océans, on reconnaîtrait la différence entre la recherche et le sauvetage de la Garde côtière et la protection de l’habitat du poisson. Il s’agit de catégories descriptives. Le Parlement affecterait des crédits en fonction de cela. Si les ministères voulaient transférer des fonds d’une activité à l’autre, ils devraient vous en faire part.

À l’heure actuelle, vous accordez les fonds au plus haut échelon du ministère, sous forme de fonds de roulement et de subventions et contributions. Ces fonds peuvent circuler, puis vous recevez un rapport de la situation bien après la fin de l’exercice.

Pourquoi ne pas recevoir de tels rapports plus fréquemment afin de comprendre où il y a eu des changements? Le plan qui vous est présenté dans les rapports sur les plans et les priorités est-il maintenant différent et plus fréquent, de sorte que les activités de programme servent de moyens de contrôle? L’idée, c’est que les moyens de contrôle deviennent beaucoup plus détaillés, pas au point d’amener les parlementaires à gérer le gouvernement, mais pour leur permettre de s’acquitter de leurs obligations à titre de surveillants. Cela ressemble davantage au rôle d'un conseil d’administration qu’à celui d'une équipe de direction au sein d’une société.

Pour ce faire, vous avez besoin d’un système d’établissement de rapports solide, pertinent, opportun et autoritaire, un système qui vous permet de comprendre s’il vaut la peine d’examiner une question plus en profondeur ou s’il y a eu un écart par rapport au plan. Pour l’instant, vous devez fouiller dans les documents pour trouver ce qui vous intéresse, comme l’acquisition des avions de combat. Vous ne trouverez pas ce poste dans le budget des dépenses. Les documents ne vous aideront pas.

C’était une question très fondamentale dont nous avons pris connaissance lorsque Kevin et moi avons commencé nos fonctions au sein du bureau du DPB. Les parlementaires veulent débattre de questions distinctes, mais les documents qu’on leur présente contiennent des données agrégées. Les prévisions ne vous seront pas présentées selon la comptabilité de caisse ou la comptabilité d’exercice, mais n'empêche qu'elles sont très agrégées. C’est très difficile. Nous disions en plaisantant qu’il faut un décodeur de langage secret pour essayer de comprendre si une question est enfouie dans ces documents afin de pouvoir extraire les données et de les utiliser dans le cadre d’un travail.

Le président : Le temps est écoulé, mais avant de lever la séance, je vais laisser les sénateurs Marshall et Woo poser chacun une question parce que, comme vous le voyez, ce dossier suscite de l’intérêt.

La sénatrice Marshall : Je vous renvoie à l’article 159 du projet de loi d’exécution du budget. C’est beaucoup plus loin que la section sur le DPB, mais il y est question du DPB.

Cette disposition modifie la Loi sur les Cours fédérales de sorte que le DPB soit ajouté à la liste des institutions qui ne sont plus considérées comme des offices fédéraux. En conséquence, le DPB ne sera plus en mesure de renvoyer une question de droit ou de compétence devant la Cour fédérale.

Je voulais savoir si vous étiez au courant de cet article parce qu’il se trouve beaucoup plus loin dans le projet de loi. Il impose une restriction supplémentaire au directeur parlementaire du budget.

M. Khan : Vous avez tout à fait raison. En fait, c’est quelque chose que nous n’avions pas repéré sur le coup. Nous en avons pris connaissance plus tard et, encore une fois, comme le juge Harrington l’a signalé, en vertu de la loi actuelle, la Cour fédérale demeure le tribunal compétent pour le DPB, mais cette disposition éliminerait cette possibilité.

Le sénateur Woo : Je veux comprendre le premier point sur votre liste de cinq éléments qui n’ont pas été mis en œuvre. L’incapacité d’effectuer des analyses proactives découle-t-elle du fait que les parlementaires ne sont plus en mesure de présenter des demandes, à l’exception de celles pour lesquelles ils envisagent de prendre une mesure quelconque, ou y a-t-il une autre explication? Je ne l’ai pas encore trouvée.

M. Khan : C’est une bonne question. Je crois que cela s’explique, en partie, par le manque de clarté dans le libellé du projet de loi. Quant à savoir si c’est intentionnel ou non, ce n’est pas à moi d’en juger, mais à vous.

Pensez-y : on demande, aux termes du projet de loi, que le DPB obtienne le droit de réagir à des documents précis du gouvernement, comme le budget et les prévisions budgétaires, plutôt que les finances et l’économie du pays. Voilà un libellé qui, au lieu de prévoir la pleine étendue des responsabilités qui incombent aux parlementaires et au DPB en vertu de la loi actuelle, préconise plutôt une fonction qui semble beaucoup plus réactive et, bien franchement, peut-être plus contrôlée.

Les pouvoirs du DPB sont maintenant établis en réaction à des documents précis produits par le gouvernement.

Le président : Chers témoins, si vous souhaitez ajouter d’autres commentaires au sujet du projet de loi C-44 et du DPB, n’hésitez pas à les communiquer par écrit à la greffière du comité. Je vous remercie de vos observations judicieuses et éclairées.

Cela dit, chers collègues, je vous rappelle que nous aurons une autre réunion ce soir, à 18 h 45, dans la salle 9 de l’édifice Victoria.

(La séance est levée.)

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