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NFFN - Comité permanent

Finances nationales

 

LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES FINANCES NATIONALES

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mercredi 18 octobre 2017

Le Comité sénatorial permanent des finances nationales se réunit aujourd’hui, à 18 h 45, pour poursuivre son étude des modifications proposées par le ministre des Finances à la Loi de l’impôt sur le revenu concernant l’imposition des sociétés privées et les stratégies de planification fiscale connexes.

Le sénateur Percy Mockler (président) occupe le fauteuil.

Le président : Honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent des finances nationales.

[Traduction]

Je m’appelle Percy Mockler. Je suis sénateur du Nouveau-Brunswick et président du comité.

J’aimerais souhaiter la bienvenue à tous ceux qui sont parmi nous dans la salle et aux téléspectateurs partout au pays qui nous regardent peut-être à la télévision ou en ligne.

Je rappelle à nos auditeurs et auditrices que les audiences du comité sont publiques et accessibles en ligne à l’adresse www.sencanada.ca, le site web du Sénat du Canada.

J’aimerais maintenant demander aux sénateurs de se présenter en commençant par ceux qui se trouvent à ma gauche.

Le sénateur Oh : Victor Oh, de l’Ontario.

[Français]

Le sénateur Pratte : André Pratte, du Québec.

[Traduction]

Le sénateur Black : Doug Black, de l’Alberta.

La sénatrice Andreychuk : Raynell Andreychuk, de la Saskatchewan.

La sénatrice Eaton : Nicky Eaton, de l’Ontario.

[Français]

Le sénateur Forest : Éric Forest, du Québec, de la région du Golfe.

[Traduction]

La sénatrice Cools : Anne Cools, sénatrice de Toronto, en Ontario, au Canada. Je suis également vice-présidente du comité.

Le président : J’aimerais maintenant souligner la présence de la greffière du comité, Mme Gaëtane Lemay, ainsi que de nos deux analystes, MM. Sylvain Fleury et Alex Smith, qui appuient les travaux du comité, avec le soutien de leur équipe.

Ce soir, notre comité poursuit son étude spéciale sur les modifications à la Loi de l’impôt sur le revenu concernant l’imposition des sociétés privées et les stratégies de planification fiscale connexes. Le ministre des Finances a proposé ces modifications au cours de l’été 2017.

[Français]

Aujourd’hui, nous recevons trois organisations nationales provenant du milieu des affaires. Elles vont nous donner leurs opinions et leurs commentaires sur les impacts des modifications proposées.

[Traduction]

Premièrement, nous accueillons M. Bruce Ball, vice-président, Taxes, de CPA Canada. Puis nous avons invité le PDG du Conseil canadien des affaires, l’honorable John Manley, qui a délégué M. Brian Kingston, vice-président, Politiques internationale et budgétaire.

Enfin, nous recevons une représentante de la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante, ou FCEI, Mme Corinne Pohlmann, vice-présidente principale, Affaires nationales et partenariats.

Je vous remercie, chers témoins, d’avoir accepté de comparaître devant nous afin de faire part de vos points de vue, de vos commentaires et même de vos recommandations au Comité sénatorial des finances nationales qui a l’ordre de renvoi pour procéder à cette étude.

La greffière m’informe que M. Ball sera le premier témoin à prendre la parole, suivi de M. Kingston et de Mme Pohlmann qui mettra fin aux témoignages.

Bruce Ball, vice-président, Taxes, Comptables professionnels agréés du Canada : Merci. CPA Canada est l’une des organisations nationales de comptabilité et d’affaires les plus importantes et les plus respectées du monde entier, et elle représente ici et à l’étranger plus de 210 000 comptables professionnels agréés canadiens.

Collectivement, CPA Canada et la profession favorisent, défendent et protègent l’idéal canadien en matière de bonnes affaires, lequel valorise l’inclusion, la croissance durable et le développement social en cultivant une économie saine et florissante. Nous sommes déterminés à agir dans l’intérêt public en contribuant au développement économique et social du Canada et en aidant les entreprises et l’économie canadiennes à réussir et à prospérer à long terme.

CPA Canada est ravie d’être ici aujourd’hui afin de discuter des propositions fiscales du gouvernement fédéral concernant les sociétés privées. Nous tenons également à reconnaître le fait que des changements ont été apportés cette semaine.

CPA Canada croit que la politique fiscale est un levier essentiel pour atteindre les principaux objectifs économiques et sociaux du Canada. C’est la raison pour laquelle CPA Canada préconise fortement et depuis longtemps une réforme fiscale.

Nous continuons de réclamer un examen en profondeur du régime fiscal canadien. Par ailleurs, un grand nombre d’autres organisations nationales, de groupes de réflexion influents, d’économistes et d’universitaires joignent leur voix à la nôtre.

Le gouvernement ayant proposé d’apporter des modifications à l’imposition des sociétés privées, les appels en faveur de la conduite d’un examen fiscal exhaustif sont devenus encore plus sonores et urgents. Le régime fiscal canadien n’a pas fait l’objet d’un examen en profondeur depuis 50 ans. Nous croyons que c’est le moment idéal de procéder à un tel examen.

À de nombreux égards, les propositions vont à l’encontre des intérêts du public et des principes fondamentaux d’une politique fiscale saine, en particulier les principes comme l’équité, la simplicité, la compétitivité et l’efficacité. La dernière série de mesures liées aux sociétés privées qui ont été annoncées cette semaine représentent peut-être de premiers pas dans la bonne direction, mais, fondamentalement, ces propositions continuent de soulever bon nombre de questions et de préoccupations.

J’ai quelques exemples à vous donner dans chacun des trois domaines. En ce qui concerne la répartition du revenu, nous croyons toujours que le critère du caractère raisonnable sera difficile à appliquer. Il accroîtra les coûts d’observation, les coûts généraux liés à l’exploitation d’une entreprise et les coûts que le gouvernement devra assumer pour administrer le régime fiscal. Compte tenu de l’annonce qui a été faite plus tôt cette semaine, nous attendons impatiemment d’obtenir d’autres éclaircissements sur ces propositions.

En ce qui concerne les placements passifs, je ferai valoir trois arguments. Premièrement, nous devons nous assurer que les propositions liées aux placements passifs sont requises. Ces propositions rendront le régime fiscal plus complexe, et nous ne croyons pas que le gouvernement ait trouvé de bons arguments pour justifier ces modifications.

Deuxièmement, compte tenu de l’annonce d’aujourd’hui, il est crucial que d’autres consultations soient prévues d’ici le prochain budget. Le gouvernement doit s’assurer que les intervenants touchés, y compris le milieu de la fiscalité, ont l’occasion de participer activement à toutes les discussions qui auront lieu d’ici l’annonce du prochain budget.

Le troisième argument que nous souhaitons avancer, c’est que le gouvernement a discuté de la possibilité de prévoir une règle de minimis pour soustraire un certain nombre de petites entreprises à l’application des nouvelles règles concernant les placements passifs. C’est l’une des recommandations qui figurent dans le mémoire que nous avons présenté au ministère des Finances.

Toutefois, à supposer que les propositions aillent de l’avant, nous avons hâte de discuter plus longuement de ces enjeux avec le gouvernement et d’autres intervenants pour faire en sorte que la proposition de minimis annoncée aujourd’hui soit adoptée, parce que nous croyons toujours que des problèmes plus généralisés existent. J’aimerais également indiquer que notre organisation et le comité mixte sur la fiscalité sont disposés à apporter un soutien à cet égard et capables de le faire.

En ce qui concerne les gains en capital, les règles du jeu étaient déjà inégales si l’on compare une vente entre des personnes sans lien de dépendance et des transferts intergénérationnels. Les propositions ont ajouté à cette iniquité et témoigné d’un fort parti pris en favorisant grandement la vente d’une entreprise à des tiers plutôt qu’à des membres de la famille. Nous espérons que le ministre des Finances remédiera à cette injustice cette semaine.

Nous serions heureux de discuter davantage de nos préoccupations, qui ont été exprimées également par le milieu de la fiscalité et d’autres intervenants, ainsi que des recommandations de CPA Canada.

Toutefois, je tiens à souligner que la mesure annoncée cette semaine relativement aux sociétés privées ne change pas réellement la position globale de CPA Canada. Ce que nous avons recommandé principalement à Finances Canada en ce qui concerne les changements proposés, c’est de ne pas les mettre en œuvre isolément. Ils doivent être examinés dans le cadre d’un examen exhaustif du régime fiscal canadien. Des modifications ponctuelles progressives du régime fiscal ne constituent pas une solution à long terme. En fait, elles entraînent des complications et des inefficacités, et elles finissent par avoir des conséquences imprévues.

Les propositions du 18 juillet et les annonces de cette semaine en sont un excellent exemple. Des modifications supplémentaires ont été apportées, et des modifications supplémentaires ont été apportées à ces modifications. Au cours des dernières décennies, le Canada n’a cessé de superposer des modifications fiscales complexes sans tenir compte adéquatement de leur incidence sur l’ensemble du régime fiscal. CPA Canada croit qu’il est temps de prêter attention au régime fiscal en entier.

Comme je souhaite formuler quelques observations à propos du tableau d’ensemble, je vais mettre les propositions de côté pendant un moment. Nous croyons sincèrement que notre régime fiscal n’a pas évolué au même rythme que les réalités économiques et sociales changeantes du Canada, y compris le ralentissement de la croissance de sa main-d’œuvre, la concurrence de plus en plus importante à l’échelle mondiale pour l’embauche des meilleurs candidats et l’inégalité croissante des revenus.

J’aimerais également que nous jetions un coup d’œil à ce qui se passe autour de nous et à ce que le Canada doit faire pour demeurer concurrentiel, parce que d’autres pays prennent des mesures en ce sens. Par exemple, le Royaume-Uni a simplifié son régime fiscal, ce qui a également eu pour effet de réduire grandement les coûts d’observation. Ils ont en fait combiné plusieurs taux d’imposition des entreprises en un seul taux d’imposition des sociétés. Comme tout le monde l’a entendu dire, les États-Unis s’apprêtent à présenter un plan fiscal visant à apporter des réductions importantes à l’impôt des sociétés et des particuliers. Le plan simplifiera également le régime fiscal. Si ces réformes vont de l’avant, elles modifieront considérablement le climat concurrentiel.

Compte tenu de tous ces défis à relever, nous croyons qu’il est temps que le Canada établisse un régime fiscal de premier plan. À notre avis, tous les politiciens, quelle que soit leur allégeance politique, et tous les Canadiens devraient appuyer cette mesure parce qu’elle est dans l’intérêt public.

Les Canadiens souhaitent-ils seulement que nous continuions à aller de l’avant en mettant en œuvre des modifications fiscales progressives qui compliquent simplement un régime fiscal en difficulté, ou désirons-nous faire preuve de leadership en traçant une nouvelle voie inéluctable vers l’élaboration d’un régime fiscal plus équitable digne du XXIe siècle?

Si nous sommes vraiment résolus à mettre en œuvre un régime fiscal équitable qui appuie une croissance inclusive et qui bénéficie à tous les Canadiens, prenons le temps de le façonner correctement. Procédons à un examen fiscal exhaustif. CPA Canada est prête à participer à cet exercice.

Merci, chers sénateurs, d’avoir entrepris cette importante étude. C’est avec plaisir que je répondrai à vos questions.

Brian Kingston, vice-président, Politiques internationale et budgétaire, Conseil canadien des affaires : Je vous remercie de m’avoir invité à prendre part à votre étude sur les modifications proposées à la Loi de l’impôt sur le revenu.

Le Conseil canadien des affaires représente les chefs d’entreprise et les entrepreneurs de 150 sociétés canadiennes importantes de tous les secteurs et de toutes les régions du pays. Nos sociétés membres emploient 1,8 million de Canadiens, représentent plus de la moitié de la valeur de la Bourse de Toronto, versent la plus grande part des impôts fédéraux sur le revenu des sociétés, et sont responsables de la plupart des exportations du Canada, des activités de mécénat d’entreprise et des investissements du secteur privé dans la recherche et le développement.

Premièrement, je tiens à vous remercier d’avoir entrepris cette étude. Nous craignons vraiment que le gouvernement n’ait pas prévu suffisamment de temps pour mener les consultations relatives à ces propositions très complexes. Nous sommes très reconnaissants au comité d’avoir pris le temps d’examiner cette importante mesure législative.

Le Conseil canadien des affaires appuie fermement les efforts déployés pour améliorer l’équité et l’efficacité du régime fiscal canadien. Malheureusement, les mesures à l’étude rendront le régime fiscal encore plus compliqué qu’il ne l’est déjà. Bien que nous nous réjouissions de la volonté du gouvernement d’écouter certaines des préoccupations exprimées par les Canadiens, les modifications proposées continuent d’avoir de sérieuses conséquences non voulues qui, selon nous, décourageront les investissements et la création d’emplois au Canada.

Les mesures proposées sont beaucoup trop générales et créent une incertitude considérable pour les entrepreneurs, les grandes sociétés privées et les filiales de sociétés multinationales. Je passerai en revue trois domaines qui nous causent des préoccupations particulières, puis je vous ferai part de certaines de nos vues plus générales sur la réforme fiscale.

Le premier domaine est lié à la planification de la relève. Même si je crois comprendre que le ministre a l’intention d’aborder cette question demain, il est très important de prendre note de certaines des craintes que nous avons entendues. En cas de décès, les modifications fiscales proposées rendent irréalisable le transfert d’une grande entreprise familiale privée à la prochaine génération sans recourir à une vente externe. Comme le document de consultation l’indique, un enfant pourrait faire l’objet d’une double imposition s’il achète des actions du parent actionnaire avant son décès, s’il utilise la technique du pipeline pour recevoir de l’argent après la mort du parent ou s’il vend l’entreprise à une partie externe.

Le deuxième domaine préoccupant est lié aux placements passifs des grandes sociétés privées. Les grandes entreprises privées, que nous représentons en grand nombre, ont de nombreuses raisons légitimes de détenir des revenus passifs. Par exemple, elles peuvent souhaiter garder des liquidités à portée de main pour saisir de nouvelles occasions ou pour investir dans des entreprises technologiques en démarrage à des fins de diversification. Des entreprises du secteur immobilier maintiennent des investissements faciles à liquider afin de faciliter le renouvellement des hypothèques lorsque les conditions du crédit ne sont pas favorables. De plus, de nombreuses entreprises détiennent des placements passifs parce qu’ils leur permettent d’emprunter des fonds à des taux d’intérêt plus faibles.

Si le gouvernement décourage ces activités, les entreprises seront forcées de réévaluer ces stratégies de diversification. Pour certaines des plus grandes sociétés privées du Canada, cela aura des conséquences considérables. Cette mesure pourrait restreindre leurs capacités d’investir dans les entreprises en démarrage des collectivités où elles sont établies.

De plus, nous sommes préoccupés par le fardeau d’observation associé aux propositions concernant les investissements passifs. Une enquête récente menée auprès de 87 de nos membres a révélé qu’ils dépensaient en moyenne 3,73 millions de dollars pour observer les lois fiscales canadiennes et qu’ils employaient 18 fiscalistes à temps plein. Nous croyons que, compte tenu de ces propositions, le fardeau d’observation n’ira qu’en augmentant. L’équité fiscale ne sera réalisée qu’en réduisant la complexité du régime fiscal, non pas en l’accroissant.

Le troisième domaine préoccupant est lié aux placements passifs et aux filiales de multinationales. Si le gouvernement applique ses propositions aux sociétés privées qui ne sont pas sous contrôle canadien, cela pourrait avoir de graves conséquences pour les filiales canadiennes d’investisseurs étrangers. En haussant le fardeau fiscal des filiales de multinationales, le gouvernement amoindrira la position déjà faible du Canada en matière de compétitivité fiscale. Cela incitera les multinationales à déplacer leurs activités et leurs investisseurs hors du Canada, ce qui privera notre pays d’emplois et freinera sa croissance sans rien accomplir pour favoriser l’équité fiscale.

L’intention du gouvernement de récrire les règles fiscales qui régissent les sociétés privées ne contribuera pas à rendre le Canada compétitif sur le plan fiscal. Nous craignons que ces règles poussent les investisseurs et les entrepreneurs à quitter le pays. Contrairement à ce que soutient le document de consultation, le Canada n’a pas un milieu des affaires hautement concurrentiel. En fait, la compétitivité fiscale de notre pays recule. Le taux d’imposition combiné des sociétés au Canada dépasse la moyenne de l’OCDE, et le Canada occupe le 13e rang, parmi les 34 pays de l’OCDE, pour ce qui est de la lourdeur du fardeau fiscal pesant sur les investissements.

Selon une enquête récente menée auprès de nos membres, deux tiers ou 64 p. 100 d’entre eux ont indiqué que les conditions d’investissement au Canada s’étaient détériorées au cours des cinq dernières années. Seulement 20 p. 100 d’entre eux ont déclaré qu’elles s’étaient améliorées. Bien entendu, nous leur avons demandé pourquoi ils pensaient que les conditions d’investissement s’étaient détériorées, et les raisons citées le plus fréquemment étaient les suivantes: un régime fiscal non compétitif, un processus réglementaire lourd et incertain, et des coûts d’exploitation croissants.

Pour renverser cette tendance très inquiétante, nous avons demandé à maintes reprises au gouvernement d’adopter un programme de compétitivité englobant la simplification du régime fiscal. Au lieu d’apporter des modifications progressives à un régime déjà compliqué, nous croyons qu’il est temps de procéder à un examen exhaustif du régime visant à renforcer son équité et son efficacité. Ces deux objectifs pourraient être atteints en élargissant l’assiette fiscale et en abaissant les taux d’imposition.

La nécessité de veiller à ce que le régime fiscal ne favorise pas certains types d’entreprises par rapport à d’autres est tout aussi importante. En réduisant de nouveau les taux d’imposition des petites entreprises, comme cela a été annoncé lundi, le gouvernement va à l’encontre de cet objectif sans stimuler la compétitivité canadienne. Notre régime fiscal doit récompenser le développement et la croissance au lieu d’encourager les entreprises à demeurer petites.

Sur ce, je conclus mon exposé, et je me réjouis à la perspective de répondre à vos questions.

Corinne Pohlmann, vice-présidente principale, Affaires nationales et partenariats, Fédération canadienne de l’entreprise indépendante : Je vous remercie de l’occasion qui m’est donnée de vous entretenir de cet enjeu important. Vous devriez avoir devant vous une copie des diapositives que j’espère passer en revue au cours des prochaines minutes.

Premièrement, la FCEI est une organisation non partisane sans but lucratif qui représente 109 000 petites et moyennes entreprises des quatre coins du pays. Nos membres exercent leurs activités dans tous les secteurs de l’économie et sont établis dans toutes les régions du Canada.

Lorsque les modifications fiscales ont été annoncées le 18 juillet, nous avons pris le temps de comprendre la signification de ces mesures fiscales compliquées. Toutefois, nous savions que les propriétaires de petites entreprises étaient déjà fort préoccupés par le fardeau fiscal total, comme vous pouvez le constater dans le tableau qui figure sur la 3e diapositive. Nous étions conscients que nous devions faire nos devoirs et en apprendre davantage sur la répartition du revenu, l’utilisation de placements passifs dans le cadre des affaires et la conversion des revenus des petites entreprises en gains en capital.

Du début du mois d’août jusqu’à la fin des consultations, nous avons reçu des centaines d’appels et de courriels, et avons entendu des dizaines d’autres organisations. Nous avons aussi communiqué avec de nombreux fiscalistes afin de mieux comprendre leur point de vue.

De plus, nous avons réalisé un sondage en septembre et avons recueilli les commentaires qui constituent le fondement de notre présentation. Je vais vous faire part de certains de ces résultats aujourd’hui.

Plus de 8 500 petites entreprises du Canada ont répondu au sondage et nous ont transmis plus de 700 pages de commentaires. Nous avons aussi réalisé un sondage similaire auprès des fiscalistes et avons obtenu plus de 400 réponses.

Que disent nos membres? Comme vous pouvez le voir à la diapositive 4, la plupart d’entre eux étaient d’avis que les changements auraient une certaine incidence ou une grande incidence sur leur entreprise. Pourquoi? Tout d’abord, en ce qui a trait au fractionnement du revenu, nous avons constaté que 68 p. 100 des propriétaires de petites entreprises rémunéraient les membres de leur famille, surtout leur conjoint, comme vous pouvez le voir à la diapositive 5. La mise en œuvre de restrictions relatives au critère du caractère raisonnable pour déterminer si les membres de la famille devraient être payés par l’entreprise semble inutilement compliquée. Nous sommes d’avis qu’une telle mesure entraînerait un fardeau administratif supplémentaire pour les propriétaires de petites entreprises.

Nous craignons aussi que ces nouvelles règles ne reconnaissent pas nécessairement toutes les manières officielles et officieuses dont les membres de la famille participent aux activités de l’entreprise. Par exemple, ils remplacent les employés malades ou aident à remplir les enveloppes des campagnes publicitaires le soir.

De plus, le risque financier ne repose habituellement pas uniquement sur le propriétaire de l’entreprise: les actifs de la famille sont mis en danger lorsqu’on réhypothèque la maison, par exemple. Ce sont toutes des conditions propres aux propriétaires de petites entreprises et à leur famille.

Toutefois, plus tôt cette semaine, on a proposé des modifications aux dispositions sur le fractionnement du revenu. Nous sommes heureux de voir que le gouvernement a abandonné les règles proposées pour restreindre l’accès à l’exemption à vie pour gains en capital. Toutefois, selon ce que nous comprenons, le propriétaire devrait tout de même prouver que le membre de sa famille contribue de manière significative à l’entreprise. Nous nous préoccupons de la manière dont on appliquera cette mesure, des documents qu’il faudra remplir et de la façon dont l’ARC interprétera les règles, malgré l’affirmation du gouvernement selon laquelle les choses resteront simples et ne laisseront pas place à l’interprétation.

Cette dernière annonce améliore certains éléments des propositions d’origine, mais nous nous préoccupons tout de même de la façon dont on appliquera les règles dans la pratique. Nous avons très hâte d’obtenir d’autres détails sur ces changements.

J’aimerais maintenant parler de la façon dont les propriétaires tendent à financer la croissance de leur entreprise. Comme vous pouvez le voir à la diapositive 6, ils utilisent surtout les fonds de capitaux et les actifs de l’entreprise, ce qui est sensé, puisqu’il est difficile pour une petite entreprise d’obtenir un financement externe, qui peut aussi coûter cher. Voilà pourquoi le recours aux investissements passifs est important pour ces entreprises.

Comme vous pouvez le voir à la diapositive 7, près de 70 p. 100 des membres ont répondu oui lorsqu’on leur a demandé s’ils avaient fait des investissements passifs. Nombre d’entre eux ont investi dans des propriétés, des terres et des actions. Nous savons aussi que les propriétaires d’entreprises utilisent leurs investissements pour diverses raisons, notamment pour l’achat d’équipement ou l’accroissement de l’entreprise, pour la retraite, à titre de compte-épargne pour passer à travers les périodes plus difficiles, pour les congés parentaux et d’autres types de congés, et cetera. L’ajout de restrictions ou l’augmentation du taux d’imposition pourrait entraîner des conséquences graves sur ces entreprises.

Comme je l’ai dit plus tôt, le gouvernement a fait valoir qu’il établirait le seuil annuel des investissements passifs à 50 000 $. C’est peut-être un pas dans la bonne direction, puisque le gouvernement commence à reconnaître l’importance du revenu passif pour la réussite d’une entreprise et de ses propriétaires. S’il est bien géré, ce changement aidera de nombreuses petites entreprises à utiliser leur revenu passif pour passer à travers les périodes difficiles, pour économiser dans le but d’investir ou pour mettre de l’argent de côté pour un congé ou la retraite.

Toutefois, bien que le seuil annuel de 50 000 $ aidera les petites entreprises à rester petites, on ne sait pas s’il permettra aux petites entreprises de croître et de créer de nouvelles possibilités. Il y a une pénurie d’entreprises de taille moyenne au Canada. Le seuil sera peut-être trop bas pour aider les entreprises qui tentent d’atteindre un niveau supérieur. Il faudrait plus de détails sur la façon dont on appliquera ce changement. Il faudra notamment savoir si le seuil sera indexé à l’inflation, par exemple. Nous espérons pouvoir obtenir certaines réponses d’ici à la présentation du budget de 2018, alors que le gouvernement présentera son projet de loi.

Ces propositions fiscales représentent l’un des plus importants changements apportés au régime fiscal en plus de 40 ans. À notre avis, les propositions d’origine rendraient le régime fiscal encore plus complexe plutôt que de permettre d’atteindre un objectif d’équité. Ainsi, les propriétaires de petites entreprises qui appartiennent à la classe moyenne seraient en moins bonne position que les autres contribuables et seraient confrontés à de nouvelles incertitudes. Il n’est pas surprenant de voir que 94 p. 100 des propriétaires de petites entreprises et 95 p. 100 des fiscalistes n’appuient pas les modifications au régime fiscal proposées par le gouvernement, comme le montre la diapositive 8.

Pour être juste, le gouvernement a dit qu’il pourrait modifier ces propositions. Nous lui avons demandé de retirer les propositions et de lancer des consultations significatives avec les gens d’affaires, de combler les lacunes de la politique fiscale, de songer à un examen exhaustif du régime fiscal canadien à des fins d’équité et de simplification pour tous les contribuables, et de veiller à ce que toute modification apportée au traitement fiscal des entreprises n’entraîne pas de conséquences sur les propriétaires de petites entreprises qui gagnent un revenu moyen, à ce qu’en aucun cas les entreprises doivent payer plus d’impôt que les autres contribuables et à ce qu’il n’y ait aucune forme de rétroactivité.

Plus tôt cette semaine, le gouvernement a commencé à annoncer certains changements aux modifications fiscales proposées. J’ai déjà commenté quelques-uns de ces changements en ce qui a trait au fractionnement du revenu et aux investissements passifs. D’autres changements seront annoncés demain au sujet de la conversion du revenu en gains en capital.

Je dirais aussi que nous avons été heureux d’apprendre qu’on rétablirait le taux d’imposition des petites entreprises à 9 p. 100 d’ici 2019. C’est une annonce importante, puisque la plupart des petites entreprises considèrent qu’il s’agit d’une des mesures les plus efficaces pour améliorer leur rendement, comme vous pouvez le voir à la diapositive 10.

Ce sera d’autant plus important lorsque les entreprises devront assumer de nouveaux coûts, notamment l’augmentation des cotisations d’assurance-emploi à partir de 2018, l’augmentation des cotisations au Régime de pensions du Canada à partir de 2019 et l’augmentation importante du salaire minimum en Ontario et dans d’autres provinces. Nous espérons que la réduction du taux d’imposition des petites entreprises aidera à réduire certains de ces coûts supplémentaires.

En résumé, nous nous réjouissons de la réduction du taux d’imposition des petites entreprises et sommes heureux de voir que le gouvernement n’imposera plus de mesures qui restreignent l’accès à l’exemption à vie pour gains en capital, mais nous craignons que les modifications relatives au fractionnement du revenu ne reflètent pas les nombreuses façons officielles et officieuses dont les membres de la famille participent aux activités de l’entreprise.

Nous sommes aussi heureux de voir que le gouvernement reconnaît le rôle important du revenu passif dans une entreprise, mais nous ne savons pas quelles seront les conséquences des changements sur les entreprises qui économisent dans le but d’atteindre un niveau supérieur. Nous attendons avec impatience les détails sur le traitement des gains en capital associés à la succession d’une entreprise.

Enfin, je tiens à souligner que ces modifications fiscales sont extrêmement complexes et pourraient entraîner des conséquences imprévues. Lorsque toutes les propositions révisées seront présentées la semaine prochaine, nous allons les examiner avec des fiscalistes et nous espérons pouvoir vous fournir une évaluation globale de leur incidence nette sur les propriétaires de petites entreprises.

Ce n’est qu’un début.

Le président : Merci beaucoup.

Le sénateur Pratte : Je vous remercie tous d’être ici ce soir. Vous avez tous trois dit que vous souhaitiez qu’on réalise un examen exhaustif de notre régime fiscal. Vous avez tous dit que vous aimeriez y participer. La simplification du régime fiscal est un élément important pour vous.

Pourriez-vous nous parler de ce qui devrait être simplifié, de la façon de le faire et nous dire si c’est faisable? Je sais qu’on dit toujours que la Loi de l’impôt sur le revenu compte 3 000 pages, mais le monde est complexe. Est-il possible de simplifier notre régime fiscal?

M. Ball : Je vais peut-être parler du processus pour commencer, pour ensuite vous faire part de mes commentaires sur les éléments plus précis de votre question.

Nous aimerions qu’un groupe d’experts indépendant prenne part au processus. Le principal objectif serait d’examiner le régime fiscal actuel, de désigner les éléments qui sont trop complexes ou qui entraînent des problèmes en matière de conformité, par exemple, et d’étudier les options.

Pour répondre à votre question plus précise, je crois qu’il est possible de simplifier le régime fiscal. Il faut aussi garder l’esprit ouvert. Il faudrait tout mettre sur la table et voir comment chaque élément fonctionne.

Ce que je constate dans les modifications proposées, c’est qu’il y a quatre types de revenus d’une société qui peuvent être imposés selon divers taux: un taux général pour les entreprises, le revenu des petites entreprises, le revenu émanant des investissements passifs assujetti aux anciennes règles et le revenu émanant des investissements passifs assujetti aux nouvelles règles. L’exercice viserait notamment à tenter de réduire la complexité du régime et à trouver des façons de le simplifier.

M. Kingston : Je crois fermement qu’il est possible de simplifier le régime. Vous soulevez toutefois un excellent point: nous vivons dans une économie mondiale très complexe. Par exemple, il serait très difficile d’imposer un taux fixe dans cet environnement, mais cela ne devrait pas nous empêcher d’essayer de nettoyer le système.

Le Royaume-Uni est un excellent exemple à cet égard. Il a lancé un examen de son régime en 2010. Une organisation indépendante a lancé ce qu’on a appelé la Mirrlees Review. On a publié une série de documents sur la réforme fiscale qui ont mené à un exercice exhaustif du gouvernement en vue d’établir un taux unifié. Par exemple, le gouvernement a créé un bureau de simplification de l’impôt, dans le but d’examiner la loi existante afin de cibler les chevauchements et de trouver une façon de la simplifier. Nous pouvons faire de même et nous devrions à tout le moins essayer de simplifier le régime plutôt que de faire ce que nous faisons maintenant, c’est-à-dire alourdir davantage le système.

Mme Pohlmann : Je ne crois pas avoir grand-chose à ajouter, à part que la complexité du régime rend la conformité beaucoup plus difficile. Si nous pouvons trouver des façons de réduire le fardeau associé à la conformité, nous pourrons simplifier le régime. C’est par là qu’il faut commencer. Il faut commencer par les mesures qui sont les plus difficiles à respecter.

Je ne crois pas qu’il s’agisse d’un exercice facile. Les divers intervenants voudront conserver les mesures fiscales qui les avantagent, mais cet exercice en vaut la peine, pour faire un pas dans la bonne direction. À l’heure actuelle, on rend le régime encore plus complexe au lieu de le simplifier. Il faut penser à alléger le régime avant d’y ajouter de nouvelles mesures.

La sénatrice Eaton : Plus tôt aujourd’hui, le ministre Morneau a annoncé des changements qui permettraient un investissement passif de 50 000 $ par année. Je ne sais pas si c’est un montant cumulatif ou si c’est un montant annuel. Pouvez-vous l’accumuler?

Mme Pohlmann : Non.

La sénatrice Eaton : Non. C’est donc un montant cumulatif. Pourriez-vous nous dire si cette mesure répond à vos préoccupations? Je ne vois pas comment elle le pourrait. En tant que comptables fiscalistes, vous envisagez peut-être un meilleur avenir que moi, avec seulement 50 000 $ pour les grandes entreprises et pour les petites entreprises qui doivent renouveler leur machinerie ou établir un fonds de réserve. À qui s’adresse le ministre lorsqu’il fait une telle annonce, surtout si le montant de 50 000 $ est cumulatif?

M. Kingston : Je vais peut-être commencer par vous parler du point de vue des grandes entreprises. Cette mesure ne fait absolument rien pour aider les grandes entreprises privées. Pour certains de nos membres, ces 50 000 $ ne représentent qu’une goutte dans un verre d’eau, pour être honnête. Ces entreprises font d’importants investissements passifs pour tirer profit des nouvelles occasions d’affaires et faire face aux ralentissements économiques. Ce sont de grandes entreprises diversifiées qui investissent dans toute leur région et — dans la plupart des cas — dans l’économie canadienne en général.

Honnêtement, ces 50 000 $ ne font rien pour répondre aux préoccupations dont nous avons fait part au ministre.

M. Ball : Ce seuil de 50 000 $ nous préoccupe, cela ne fait aucun doute. Ce qui nous préoccupe aussi, c’est qu’on parle encore de changer complètement le régime fiscal. L’exemption n’aidera que les plus petites entreprises. Je suis d’avis que cette mesure ne permettra pas d’aborder toutes les situations qui pourraient survenir.

Ce qui nous préoccupe aussi, c’est que de façon générale, les règles fiscales demeurent très compliquées avec tous ces détails. Les entreprises seront visées de manière inégale par les règles. Parfois, elles devront en tenir compte et d’autres fois non.

Nous aimerions que le gouvernement prenne du recul et se pose deux questions: a-t-on besoin de cela? S’il y a un problème, y a-t-il une meilleure façon de le régler? Je ne crois pas que les 50 000 $ permettent de régler le problème.

Mme Pohlmann : Nous sommes du même avis. Ce n’est pas la meilleure méthode à adopter. La plupart de nos membres ont un revenu largement inférieur à 500 000 $ par année, par exemple, alors pour bon nombre d’entre eux, ce montant suffit à couvrir les intérêts.

La sénatrice Eaton : Vous avez dit que ce montant était cumulatif, si les entreprises ont deux bonnes années de suite, par exemple.

Mme Pohlmann : Non, ce n’est pas cumulatif. C’est seulement 50 000 $ par année.

La sénatrice Eaton : Que se passe-t-il si je fais deux bonnes années? J’investis 50 000 $ et l’année suivante je peux investir 50 000 $ à nouveau.

Mme Pohlmann : Non, non. Les 50 000 $ représentent le revenu de placement associé à votre investissement passif. Vous pourriez faire un investissement passif de 1 million de dollars et récupérer 5 p. 100 de ce montant, soit 50 000 $. Vous pouvez avoir un maximum de 1 million de dollars d’investissements passifs.

La sénatrice Eaton : C’est ce que je n’avais pas compris.

Mme Pohlmann : Pour bon nombre des petites entreprises, c’est probablement suffisant, mais c’est exactement cela le problème: beaucoup de gens comprennent mal comment cette mesure fonctionnerait. Je crois qu’on n’y a pas assez réfléchi et que cette mesure entraînerait de nombreuses conséquences imprévues, même pour les entreprises qui seraient en deçà de ce seuil, parce qu’elles ne comprendront pas comment cela fonctionne, où se situe le seuil et ainsi de suite.

La sénatrice Eaton : Pour faire suite à la question du sénateur Pratte au sujet de la refonte ou de la réorganisation de notre régime fiscal, je pense au nombre de fois où le président Trump a parlé de rapatrier les capitaux américains qui se sont perdus et aussi à la concurrence de pays comme l’Inde et le Brésil. Croyez-vous que la perte de capitaux soit préoccupante si l’on n’apporte aucun changement ou si l’on n’élimine pas certaines propositions?

M. Kingston : Oui, tout à fait. J’ai mentionné certains des résultats du sondage au sujet du contexte des investissements en capital au Canada, et les PDG estiment que la situation a empiré. Lorsqu’on conjugue pareils changements à la situation actuelle dans le domaine du commerce mondial, à savoir la renégociation et peut-être l’annulation de l’ALENA, cela crée un environnement très volatil pour les propriétaires d’entreprise qui songent à prendre des décisions d’investissement à long terme. Quand on combine tous ces facteurs, je crains que cela décourage les investissements au Canada à ce stade-ci.

La sénatrice Eaton : Avez-vous quelque chose à ajouter, monsieur Ball?

M. Ball : Non. Je suis d’accord là-dessus. Je dirais que, de nos jours, les gens sont également plus mobiles. En ce qui concerne les investissements passifs dont il est question dans le document d’information publié aujourd’hui par le ministère des Finances, cet aspect risque également d’être compromis dans le cas d’une personne qui songe à s’établir au Canada. Selon moi, il y a là de quoi s’inquiéter.

Un autre point qui nous dérange, c’est que nous ne savons toujours pas dans quelle mesure la détention de capitaux dans une société pose problème dans le cadre des règles. Le ministère semble pouvoir les mesurer, mais il n’existe pas de mesure tout à fait efficace pour établir comment ces capitaux ont été accumulés. Il serait donc important d’examiner cet aspect et de déterminer à quelles autres fins cela pourrait également servir.

Le ministère semble adopter une approche négative en mettant l’accent sur les choses qu’on ne peut pas faire, au lieu de souligner les mesures positives que les sociétés pourraient prendre.

[Français]

Le sénateur Forest : Je pense qu’un régime fiscal doit poursuivre deux grands objectifs. Le premier objectif est d'avoir un effort fiscal équitable pour l’ensemble des personnes physiques et morales au pays. Le deuxième objectif est d’avoir un régime fiscal compétitif. Je partage votre préoccupation concernant une révision plus globale de l’ensemble de la fiscalité canadienne parce qu’on a une économie de plus en plus ouverte et mondiale. Elle ouvre son marché à la concurrence sur l’ensemble de la planète.

Si je reviens à la réforme actuelle où, depuis lundi, il y a une forme de strip-tease ou d’adoucissement de ce qui avait été annoncé. Donc, on les sort tranquillement. On vient d’annoncer un montant de 50 000 $ qui pourrait bénéficier d'une exonération. On vient d’annoncer une réduction de 9 p. 100. Dans la réforme qu’on vient d’annoncer, qu’est-ce qui pénaliserait le plus vos entreprises?

[Traduction]

M. Ball : Il est difficile de faire un choix parce qu’il y a plusieurs changements qui nous posent problème. Celui que je trouve le plus grave, c’est le transfert intergénérationnel en raison des sommes plutôt considérables qui peuvent être mises en cause. La question a déjà été discutée. Nous y avons fait allusion.

Essentiellement, si vous vendez une société à l’extérieur de la famille et que vous obtenez un taux de gain en capital qui est assez inférieur au taux de retenue sur les dividendes, il y a deux difficultés qui se présentent. Tout d’abord, c’est très complexe, et les propriétaires d’entreprise doivent se débrouiller. Ensuite, il s’agit d’un taux plus élevé. Un troisième problème, c’est probablement la double imposition.

S’occuper d’une société qui est transférée d’une génération à une autre est un exercice très compliqué, car il faut s’assurer d’obtenir un résultat équitable. À mon sens, c’est probablement le plus gros problème pour bon nombre des entreprises parce que cela pourrait mettre en cause des montants importants au moment de la vente.

M. Kingston : De mon point de vue, la proposition la plus inquiétante concerne les investissements passifs, surtout en ce qui a trait aux préoccupations que j’ai soulignées brièvement concernant les filiales privées de sociétés multinationales. Il s’agit d’une véritable conséquence imprévue que le ministère des Finances n’a pas soigneusement examinée.

Nous comptons parmi nos membres des sociétés qui possèdent plusieurs filiales chargées de s’occuper de certains aspects de leurs activités. Aux termes de la proposition du gouvernement, d’après ce que nous avons compris et interprété, ces filiales privées et le revenu qu’elles génèrent pour la société multinationale qui les chapeaute pourraient être considérés comme des investissements passifs. Si une société privée au Canada doit désormais payer un taux d’impôt de plus de 70 p. 100, il n’y a plus de compétitivité. L’avantage concurrentiel disparaît complètement. Nous craignons que les multinationales ne considèrent plus le Canada comme une destination intéressante pour les investissements. C’est très inquiétant.

Mme Pohlmann : Je suis du même avis au sujet des transferts intergénérationnels. Nous ne connaissons pas encore les détails. Ils seront dévoilés demain. Nous soulevons cette question depuis des années. Il en coûte plus cher de vendre une entreprise à vos enfants que de la vendre à un tiers; cela n’a pas de bon sens.

Nous savons que certaines provinces comme le Québec ont pris des mesures pour changer la donne, mais le gouvernement fédéral n’a rien fait. Nous espérons avoir de bonnes nouvelles demain à cet égard, car c’est là que le bât blesse.

Je suis la seule à avoir parlé de la répartition du revenu. Selon nous, ce qui posera problème, c’est la façon dont l’ARC interprétera ces critères. Du point de vue d’une petite entreprise, il pourrait être très difficile de prouver chaque fois qu’une personne apporte une contribution importante à l’entreprise et de déterminer où se trouve la limite. Voilà un autre élément qui risque de causer beaucoup de complications à l’avenir.

M. Ball : J’aimerais, moi aussi, faire une brève observation à ce sujet. C’est justement cet aspect que je trouve inquiétant dans le contexte de la répartition du revenu. La grande majorité des chiffres cités par le gouvernement portent sur des cas où les gens tirent un avantage de la répartition du revenu.

Mme Pohlmann a tout à fait raison. Nous verrons bien ce qui arrivera à la lumière de l’annonce prévue pour lundi, mais d’après les propositions initiales, chaque entreprise qui paye des dividendes à une partie liée doit en justifier le caractère raisonnable. Cela demande beaucoup de travail, même si on n’a pas à payer une taxe supplémentaire.

[Français]

Le sénateur Forest : Dans la situation, il est préoccupant de constater qu’environ 1,6 p. 100 des entreprises canadiennes détiennent plus de 80 p. 100 à 85 p. 100 de l’ensemble des capitalisations au chapitre des capitaux passifs. À mon avis, une bonne part de ce capital sert soit en prévision du renouvellement d’un parc technologique, ou en prévision de fonds de roulement. Aussi, il y a peut-être une partie qui serait de soustraire ces sommes de l’imposition. Je m’adresse à vous en particulier, monsieur Kingston. Pour vos membres, serait-il possible qu’on puisse déterminer des balises qui identifieraient la vocation ou la motivation de cette capitalisation puisqu’elle est fortement concentrée à 1,6 p. 100 de l’ensemble des 1,8 million d’entreprises au Canada? Y aurait-il moyen d’avoir une forme de définition de balise qui pourrait soustraire la préoccupation qu’on a d’empêcher ces sommes d’être imposées?

[Traduction]

M. Kingston : Je crois que c’est la question clé dans le cadre de cette proposition et, pourtant, nous avons eu du mal à obtenir une réponse claire à ce sujet de la part du gouvernement. Il est évident que la proposition cherche à cibler les particuliers à revenu élevé qui se servent apparemment d’une société privée pour diminuer leur taux d’imposition. Or, les entreprises qui sont membres de notre organisation n’agissent pas ainsi pour des raisons fiscales d’ordre personnel. Il ne s’agit que de grandes sociétés privées. En raison de leur taille considérable, bien entendu, elles possèdent parfois un portefeuille important afin de pouvoir composer avec les ralentissements dans le cycle économique, par exemple. Il faut une définition claire qui permet de distinguer ces deux objectifs du gouvernement.

Nous sommes très inquiets de savoir notamment qu’une grande société privée ne sera plus sur le même pied d’égalité qu’une société publique qui, elle, a parfaitement le droit, à la demande de ses actionnaires, de détenir des actifs comme bon lui semble, que ce soit pour réinvestir dans l’entreprise ou pour distribuer les profits aux actionnaires. Si, du jour au lendemain, les actionnaires d’entreprises privées n’ont plus le droit de faire cela, vous créez des règles du jeu qui engendrent une inégalité entre les entreprises privées et les entreprises publiques.

Il faut réfléchir davantage à la question. Je ne prétends pas être un fiscaliste. Je laisserai aux fonctionnaires du ministère des Finances le soin de s’en occuper, mais nous comprenons mal, à en juger par les propositions, comment le ministère entend s’y prendre.

Le sénateur Neufeld : En tout cas, il a été intéressant de voir l’évolution du dossier depuis juillet, et la situation a pris une tournure encore plus intéressante ces derniers temps. Vous avez parlé de l’annonce faite par le gouvernement pour faire passer à 9 p. 100 le taux d’imposition des petites entreprises. C’est d’ailleurs ce que comptait faire le gouvernement précédent. Or, l’actuel gouvernement a changé d’idée lorsqu’il est arrivé au pouvoir. Il avait promis de ramener le taux à 9 p. 100, mais il a décidé de changer la loi en disant: « Non, vous ne l’aurez pas. »

D’après vous, si le gouvernement a annoncé l’autre jour son intention d’abaisser le taux à 9 p. 100, comme l’avait déjà prévu le gouvernement précédent dans le plan financier du Canada, est-ce parce qu’il cherche un moyen d’apaiser les petites entreprises et les grandes entreprises qui sont durement touchées par certaines de ces modifications fiscales? Êtes-vous d’accord avec moi?

Mme Pohlmann : Oui, je partage votre avis. Nous prendrons quand même ce qu’on veut bien nous donner. Durant la campagne électorale, les libéraux avaient, eux aussi, promis de réduire le taux d’imposition des petites entreprises. C’est pourquoi nous avons été surpris lorsque cela ne s’est pas produit en 2016.

Je conviens que cette décision vise, en partie, à adoucir les changements proposés par le gouvernement en ce qui concerne ce groupe, mais il s’agit d’un élément vraiment important. Ce n’est pas pour rien que les petites entreprises au Canada sont assujetties à un taux d’imposition distinct. Comme il leur est plus difficile et plus coûteux d’obtenir du financement, cette mesure les aide à préserver une plus grande part de leurs capitaux propres.

Par ailleurs, les petites entreprises consacrent beaucoup plus d’argent au respect des règlements et des formalités administratives. Les preuves le confirment: les petites entreprises dépensent cinq fois plus d’argent que les grandes entreprises pour les formalités administratives. Les moyens prévus permettent donc de compenser ces coûts, et le taux d’imposition des petites entreprises a été mis en place pour reconnaître de telles réalités.

Pour nous, c’est vraiment important. Le taux d’imposition des grandes entreprises a connu une baisse assez considérable, en passant de 28 à 15 p. 100 sur une période d’environ 10 ans. Par contre, celui des petites entreprises est passé de 12 à 11 p. 100 durant la même période.

Il était donc grand temps de diminuer également le taux applicable aux petites entreprises. Nous étions ravis que cette mesure fasse partie de l’ensemble des modifications. Il aurait été préférable que les libéraux prennent des démarches à cet égard dès le début de tout ce processus, lorsqu’ils ont commencé à apporter leurs premières modifications fiscales ou lorsqu’ils sont arrivés au pouvoir. Cela aurait peut-être changé un peu le cours des choses.

Le sénateur Neufeld : Un autre problème, c’est le revenu passif. On nous a fourni quelques chiffres. Je crois qu’ils proviennent du ministère des Finances. Environ 29 000 entreprises détiennent des revenus passifs de 200 à 300 milliards de dollars. Un de mes collègues a divisé ce montant, et cela donne une moyenne d’environ 8 millions de dollars par entreprise.

Les revenus de placement passif doivent être investis quelque part, n’est-ce pas? Ce n’est pas comme si cet argent dormait dans un compte de banque jusqu’à ce qu’une personne vienne s’en emparer au bout de 10 ans et s’enfuir avec le tout. Est-ce exact?

M. Kingston : C’est tout à fait juste, et c’est pourquoi nous avons été inquiets d’entendre certains des commentaires que le ministre a faits au sujet de l’argent mort. Cela évoque l’idée que cet argent est retiré des avoirs de l’entreprise et déposé dans un coffre-fort pour être utilisé plus tard ou pour servir à une autre fin. Ce n’est absolument pas le cas. Ces sommes pourraient être placées dans des fonds négociés en bourse ou être investies passivement dans le marché boursier, mais cela ne signifie pas que l’argent reste là à ne rien faire. Il est maintenant investi dans des sociétés publiques qui l’utilisent pour prendre de l’expansion ou pour toute autre fin qu’elles jugent appropriée. Nous sommes franchement préoccupés par certains des propos tenus sur l’argent mort et les investissements passifs et l’insinuation selon laquelle cet argent ne sert à rien.

Le sénateur Neufeld : Il me semble que les gens qui possèdent ce genre d’argent savent où l’investir. Je présume également qu’une bonne partie de cet argent serait investie dans le marché boursier. Si vous deviez retirer tous ces capitaux du marché boursier, qu’arriverait-il?

M. Kingston : Nous ne voudrions pas nous retrouver dans une telle situation.

Le sénateur Neufeld : J’en conviens.

Nous avons un gouvernement qui tient absolument à taxer les revenus passifs, et ce, à des taux pouvant s’élever jusqu’à 73 p. 100, parce qu’il veut que cet argent soit investi ailleurs. Ce processus me paraît tellement ambigu que j’ai du mal à le saisir. Quand vous avez dit qu’il faut s’en remettre aux fonctionnaires du ministère des Finances, je me suis dit: « Ma foi, je crois que c’est justement ce qui nous a amenés là où nous en sommes aujourd’hui. » Je présume que M. Morneau n’a pas élaboré tout ce projet sur un bout de papier. Je suis sûr que quelqu’un au sein du ministère des Finances a fait des recherches avant de dire que c’est ainsi que nous allons procéder. L’idée de m’en remettre à eux ne me rassure guère à cause du bourbier dans lequel cela nous a plongés.

Êtes-vous d’accord avec moi?

M. Kingston : Concernant les investissements passifs, oui, absolument. Nous sommes loin d’être ravis de la façon dont la proposition a été déposée et communiquée. Cela a suscité de très vives préoccupations chez nous, tout à fait.

M. Ball : Ce qui nous inquiète le plus à cet égard, c’est la nature assez unidimensionnelle de l’analyse. En fait, le ministère compare le rendement du portefeuille d’une personne qui investit dans un compte personnel à celui d’une personne qui investit dans une société sur une période de 10 ans. Vous trouverez ce calcul dans le document. Le taux de 73 p. 100 est conçu pour tenir compte du résultat de l’égalité stricte dans les deux scénarios, sans chercher à savoir, par exemple, ce que les sociétés font avec l’argent, comment elles l’investissent, si elles en ont besoin aux fins d’expansion ou ce genre de choses. Bref, ce qui nous a le plus inquiétés, c’est que le ministère a mis l’accent sur cette question précise, sans tenir compte d’une foule d’autres facteurs importants.

Le sénateur Neufeld : Nous avons également entendu parler des fiducies aux nouvelles. Elles ne sont pas touchées. Est-il vrai que les fiducies ne subiront aucune incidence si toutes les modifications proposées par le gouvernement sont mises en place?

M. Ball : Il y a différentes questions concernant les sociétés, mais dans l’ensemble, il s’agit surtout de la répartition du revenu. Le gouvernement avait prévu des mesures pour les fiducies, mais ce n’était pas nécessaire, alors il s’est occupé de la répartition du revenu plutôt que des fiducies. Elles demeurent, en grande partie, intactes. Il devait y avoir des modifications à l’exonération des gains en capital pour les fiducies, mais le gouvernement les a retirées, ce qui est une bonne nouvelle.

Au sujet du revenu passif, le problème tient au fait que les sociétés ne paient pas autant d’impôt sur le revenu d’entreprise, ce qui fait qu’elles ont plus d’argent à investir. C’est le problème que le ministère des Finances a observé. Là encore, cela ne touche pas les fiducies.

Je ne sais pas s’il y avait des problèmes d’ordre général concernant les fiducies dans la foulée de tous ces changements, mis à part le retrait de l’exonération des gains en capital. Je pense qu’il n’y avait aucune modification touchant les fiducies.

Le sénateur Neufeld : Je voulais m’en assurer parce que nous connaissons deux personnes qui détiennent des fiducies relativement importantes et qui ont la mainmise sur la situation; elles ne seront donc pas touchées, d’après ce que vous dites. En fait, cela me dérange beaucoup quand vous laissez entendre que tous ces gens riches entassent cet argent quelque part dans leur sous-sol et qu’ils vont se sauver avec le tout un jour ou l’autre. C’est presque l’impression que j’ai eue quand vous avez parlé d’argent mort, mais nous allons laisser les fiducies intactes. Cela avait peut-être quelque chose à voir avec leurs propres intérêts.

M. Ball : J’ai une brève observation à faire à ce sujet. Selon nous, un examen fiscal exhaustif porte justement sur ce genre de questions. Il s’agirait de passer en revue le régime fiscal pour voir si certains aspects ne fonctionnent pas bien et pour se pencher ensuite là-dessus. Ces propositions visaient trois enjeux précis, sans tenir compte des questions plus générales et des complications fiscales.

Le sénateur Black : Je vous remercie tous de votre présence ici et de votre appui dans ce dossier d’une importance cruciale. Je m’associe, moi aussi, aux commentaires de mon collègue, le sénateur Pratte. Je suis très reconnaissant que vous ayez tous dit, de votre propre initiative, que le temps est probablement venu d’effectuer un examen exhaustif de notre régime fiscal. Nous pouvons retenir ce point et en discuter.

Vous savez peut-être, pour avoir entendu mes déclarations publiques sur ce dossier, que j’ai mon point de vue, mais en guise de préambule à ma question, sachez aussi que je suis un sénateur de l’Alberta, une province qui a été durement touchée au cours des deux ou trois dernières années. Ces propositions ont des conséquences tout à fait négatives pour les entreprises albertaines, qu’elles soient grandes ou petites. Bien entendu, il faut accorder le bénéfice du doute, et je vais suivre avec intérêt ce qui se passe cette semaine à mesure que seront dévoilés les ajustements proposés, pour ne pas dire plus. C’est comme si vous vous faisiez frapper par un camion et que le conducteur venait vous offrir un simple pansement. Voilà comment je perçois ces propositions. Elles sont tout simplement insignifiantes.

Ma question a trait à la concurrence, ce dont vous venez de parler, à l’innovation, ce dont vous n’avez pas encore parlé, mais dont j’aimerais parler, et au risque de perdre des Canadiens qui deviendront des non-résidents en raison de ces propositions fiscales; ce sont tous des éléments que je constate dans ma province. Croyez-vous que ces changements mineurs contribuent d’une certaine manière à améliorer la situation?

M. Ball : Oui. Je présume que cela pourrait légèrement améliorer ces enjeux, mais cela passe à côté de ce que nous considérons comme la grande question, parce que ces propositions font fi des problèmes majeurs. Nous considérons le régime fiscal comme trop complexe. Nous devons le simplifier. Nous devons nous assurer qu’il fonctionne efficacement.

Nous avons décrit cela comme une superposition de couches complexes sur un régime déjà complexe. À certains égards, la superposition de ces changements mineurs vient possiblement ajouter une autre couche et accroître cette complexité, parce qu’il faut déterminer si vous serez admissible à une exemption des règles qui étaient déjà complexes.

Nous aimerions que le gouvernement prenne du recul et examine chaque aspect pour s’assurer que cela fonctionne adéquatement. Avons-nous besoin de ces trois couches qui rendent encore plus complexe le régime ou y a-t-il une manière plus simple de le faire?

M. Kingston : Merci, sénateur, de soulever en particulier la question de l’innovation. C’est un élément très important dont je n’ai pas encore parlé. Nous étions très inquiets lorsque les propositions ont été annoncées en raison des discours à cet égard et en particulier des propos visant les riches Canadiens qui profitent de ces échappatoires fiscales. Nous avions l’impression qu’une partie du langage utilisée était problématique et que le gouvernement essayait pratiquement de dresser les Canadiens les uns contre les autres. Nous n’étions pas heureux de la manière dont c’était formulé.

Le président et chef de la direction de mon organisme en a parlé publiquement, mais nous avons été informés que des entrepreneurs et des investisseurs canadiens songeaient activement à quitter le Canada en raison de ces modifications et du manque de clarté à cet égard. Ces mesures s’appliqueront-elles de manière rétroactive? Quelles conséquences cela aura-t-il sur le transfert de votre entreprise familiale intergénérationnelle et de votre richesse à vos enfants?

Au lieu de répondre directement à la question et de préciser le tout, le gouvernement a continué de rester muet au sujet de la majorité des questions et des inquiétudes soulevées. Cette attitude a eu pour effet d’inciter les gens à prendre des mesures assez controversées concernant leurs avoirs. À mon avis, c’est extrêmement préoccupant, d’autant plus que nous avons un gouvernement qui dit avoir un programme en matière d’innovation. Nous avons réellement l’occasion d’attirer des investisseurs et des entrepreneurs au Canada, et ce type de langage ne rend pas attrayants de tels investissements pour ces gens. Cela nous inquiète énormément, et j’espère honnêtement que le mal n’est pas déjà fait.

Mme Pohlmann : Je suis d’accord pour dire qu’en grande partie le langage utilisé au début de ces discussions était nuisible. C’est notamment pour cette raison que nous avons vu une telle levée de boucliers partout au Canada. Je dois dire que c’était assez renversant. Je n’ai jamais assisté à une telle levée de boucliers de la part des propriétaires de petites entreprises durant mes nombreuses années ici à Ottawa. Le gouvernement a clairement touché une corde sensible.

Comme M. Ball l’a dit, je crois que ces changements mineurs améliorent légèrement la situation par rapport à ce qui prévalait avant. C’est mieux, mais les échos que nous entendons disent encore qu’il y a de nombreux détails que nous ne connaissons pas et que nous ne comprenons pas. Nous demeurons très prudents concernant la forme que cela prendra au bout du compte. Il reste encore beaucoup de détails à avoir, et nous avons besoin de les voir pour comprendre.

Nous croyons que des conséquences imprévues peuvent en découler, mais nous ne pouvons pas savoir ce qu’elles sont avant que le tout soit mis en œuvre. Voilà ce qui nous préoccupe encore. Selon nous, il s’agit d’une légère amélioration par rapport à ce que nous avions avant, et je crois que demain sera une journée intéressante.

En ce qui concerne l’innovation, l’élément dont nous n’avons pas beaucoup parlé est les conséquences sur les investisseurs providentiels et les personnes qui investissent dans d’autres entreprises. Le gouvernement prétend qu’il traitera également de cet aspect. Nous ne savons pas la forme que cela prendra ou son fonctionnement, mais je sais également que bon nombre de personnes comptent actuellement sur ces types d’investisseurs et se sont fait dire que tout est en suspens jusqu’à ce que les investisseurs comprennent les conséquences des propositions.

Des entreprises espèrent actuellement trouver du capital, mais elles ne réussissent pas à en trouver, parce que tout le monde attend de voir ce qui se passera. C’est malheureux.

La sénatrice Andreychuk : Je vais essayer d’être brève et de ne pas traiter des mêmes points que les autres. J’étais là quand les exploitations agricoles de l’Ouest canadien étaient petites et n’étaient pas concurrentielles à l’échelle internationale. Vous deviez avoir une grande exploitation. Cependant, lorsque vous vouliez la transférer à vos enfants, vous deviez la leur donner d’une certaine manière, ce qui signifiait que vous n’en retiriez pas autant que vous l’auriez pu. Il faut nous rappeler que c’était en gros votre épargne-retraite et votre avenir et que vos enfants devaient se démener pour trouver l’argent. Eh bien, ils n’y arrivaient pas. Nous nous retrouvions donc constamment dans un cercle vicieux.

Ce transfert intergénérationnel ne tient pas compte des difficultés vécues par une partie de l’épine dorsale du Canada, soit le secteur agricole, les petites entreprises et les femmes. Nous avons consacré beaucoup de temps à essayer d’inciter les femmes à se lancer en affaires. Cela commence dans un bureau au sous-sol.

Nous menions une étude au Comité des affaires étrangères et du commerce international pour déterminer pourquoi nous ne prenons pas plus de risques. Pourquoi ne faisons-nous pas croître nos entreprises pour les faire passer au niveau supérieur? Pourquoi arrive-t-il parfois que des entreprises quittent le Canada et s’installent à l’étranger? Nous avons appris que des petites entreprises n’arrivaient pas à obtenir de financement. L’autre raison était que, pour faire croître une petite entreprise et la faire passer au niveau supérieur, il faut avoir les moyens de le faire au bon moment. Voilà la raison d’être des placements passifs pour bon nombre de femmes.

Entendez-vous certains de ces commentaires? Je n’étais peut-être pas à l’écoute en juillet. J’avoue que je lisais les journaux. J’étais en congé de maladie. Le gouvernement affirmait vouloir rendre le régime fiscal plus équitable entre les travailleurs salariés et les travailleurs autonomes, puis il a suivi cette voie.

Comment pouvons-nous juger de ce qui est équitable? J’ai entendu le gouvernement dire qu’il rendra le régime plus équitable. Vous nous dites maintenant que vous aimeriez que le gouvernement entreprenne un examen complet du régime pour qu’il soit plus équitable. J’aimerais avoir la définition de ce que nous entendons par « équitable ». Comment arrivons-nous à quelque chose d’équitable?

Comme tout le monde est au courant de ses problèmes et que les autres ne le sont pas, le gouvernement vient aggraver la situation en dressant un pan de la population contre un autre, comme vous l’avez dit. L’autre aspect que nous avons entendu était que ce n’était pas équitable entre les travailleurs salariés et les travailleurs autonomes. L’expression « classe moyenne » est utilisée à outrance. Je ne m’étendrai pas sur le sujet, parce que nous en avons déjà passablement parlé à de nombreuses autres occasions.

Voilà les deux éléments auxquels sont confrontés les gens. Nous les entendons dire que ce n’est pas équitable pour eux. Quelle est la réplique que nous entendons? Je ferais aussi bien de vider mon sac ce soir. Le gouvernement réplique en disant qu’il s’occupera de tout cela et que des bureaucrates quelque part étudieront la question. Au beau milieu de ce débat, nous recevons des interprétations à deux sous.

Je crois que c’est davantage un manque de confiance maintenant qu’un problème d’équité, et cetera. Savons-nous vraiment ce que nous faisons au Canada? Comment nous attaquons-nous à cela? Comment l’expliquons-nous aux gens? Quelle est la politique gouvernementale dans ce dossier? Quel est l’avantage net que j’en retire comme Canadienne? Voilà ce que les gens disent, même s’ils ne sont pas propriétaires de petites entreprises.

M. Ball : La question de l’équité est difficile. Pour ce qui est de la comparaison entre les travailleurs salariés et les entrepreneurs, c’est probablement en fait plus facile de déterminer ce qui n’est pas équitable. L’idée d’imposer les revenus d’un travailleur salarié et d’un entrepreneur exactement de la même manière est en fait inéquitable, parce que l’entrepreneur prend plus de risques et devrait être récompensé pour les risques qu’il prend. Je crois que cela fait partie des préoccupations des gens. C’était un peu simpliste de comparer l’un à l’autre.

En toute justice, c’est un vaste enjeu. Il faut également que ce soit équitable envers le pays. Les mesures doivent également atteindre bon nombre d’autres objectifs comme la hausse de la productivité. Nous pouvons expliquer pourquoi nous récompensons les entrepreneurs en leur offrant des mesures incitatives.

Vous avez fait valoir un excellent point en ce qui concerne la manière dont s’en occupera l’Agence du revenu du Canada et surtout le moment où ces propositions lui seront soumises. Il est important de nous rappeler que, si une loi prévoit quelque chose, l’ARC doit en fait appliquer la loi. S’il est question dans la loi d’un dividende versé à un membre de la famille qui excède un montant raisonnable, le mandat de l’ARC est de le définir et d’imposer un taux d’imposition supérieur pour le montant excédentaire.

Je ne crois pas qu’il est approprié de refiler en quelque sorte cette question à l’ARC pour la laisser s’en occuper et déterminer ce qui est équitable et ce qui ne l’est pas. Je crois que la loi doit être claire.

M. Kingston : J’aimerais faire quelques commentaires concernant la question de l’équité. Premièrement, un aspect qui n’a pas été abordé dans ces discussions est que nous avons un régime fiscal progressif. Je trouve quelque peu inquiétant que ce soit rarement mentionné dans tout ce débat. Nous avons un régime qui veille à ce que les personnes qui ont des revenus plus élevés paient plus d’impôts. Évidemment, nous ne réussirons jamais à tous nous entendre nécessairement sur le montant que devrait payer chaque groupe de contribuables. Le régime est déjà conçu pour le faire. Il aurait été bien de reconnaître au moins que c’est ainsi que fonctionne notre régime fiscal.

Deuxièmement, la réduction de la complexité du régime est la meilleure façon de nous assurer d’avoir réellement un débat bien informé et ouvert par rapport à l’équité. L’un des problèmes au sujet de toutes ces propositions est qu’elles sont tellement complexes qu’il est difficile de comprendre les diverses stratégies utilisées et la manière de nous y attaquer. En réduisant cette complexité, nous pouvons en fait avoir des discussions plus en profondeur et plus éclairées concernant l’équité et le régime fiscal dont nous avons besoin au Canada.

Mme Pohlmann : Le seul commentaire que j’aimerais ajouter est que nous avons parlé de la confiance. Les Canadiens peuvent-ils encore avoir confiance? C’est un aspect important dans tout ce dossier qui a grandement été miné. Cela revient encore une fois à la façon dont c’était présenté et à la définition du gouvernement de ce qui est équitable. Cela démontrait que le gouvernement ne comprenait pas le fonctionnement des petites entreprises et la réalité d’un propriétaire d’une petite entreprise. Le gouvernement a fait des comparaisons dans le document de consultation. Le travailleur salarié gagnait 220 000 $ par année, tout comme le travailleur autonome. Cependant, le gouvernement a omis de mentionner que le travailleur autonome n’a pas de vacances payées et n’a pas accès à l’assurance-emploi. Il ne jouit normalement pas des mêmes avantages que le travailleur salarié et doit trouver comment s’offrir à lui-même ces avantages.

Lorsque nous parlons d’équité, nous ne pouvons pas seulement regarder cet aspect de la question. Nous devons tenir compte de l’ensemble de l’influence de ces mesures sur ces contribuables. Je crois que cet aspect se perd un peu. Par conséquent, la confiance a été minée en raison principalement du langage utilisé. La question des rabais accordés aux travailleurs salariés qui a émergé au milieu de toute cette controverse n’a pas non plus contribué à améliorer la situation, parce que cela semblait donner l’impression que le gouvernement était encore une fois déconnecté de la réalité des travailleurs des secteurs de la vente au détail et de la restauration.

Il y a du travail à faire dans le milieu politique et dans le milieu des finances. Nous nous heurtons souvent à un autre défi. C’est un bon point de rappeler que le ministère des Finances détermine les règles et que l’ARC les applique ensuite. Il arrive parfois que ces deux organismes ne s’entendent pas. Ils finissent souvent par s’accuser mutuellement. C’est parfois très difficile de régler des questions, parce qu’un organisme pointera l’autre du doigt en disant que c’est lui le problème. C’est un autre domaine où nous devons réfléchir à la manière de résoudre de telles situations lorsqu’elles surviennent. C’est certainement une situation que notre organisme a vécue à certaines reprises en représentant ses membres.

[Français]

La sénatrice Moncion : Pourriez-vous indiquer la taille d’une PME? Quelles sont les balises? Jusqu’où va la limite de ce qu’on considère être une moyenne entreprise?

[Traduction]

M. Ball : Selon la définition dans le régime fiscal, la déduction accordée aux petites entreprises s’applique sur le revenu tiré d’une entreprise exploitée activement jusqu’à concurrence de 500 000 $. Ce montant a augmenté au fil des ans, et je crois que c’est, du moins, le montant qu’utilise le régime fiscal.

D’un point de vue pratique, il y a une vaste gamme de niveaux de revenu. Cela dépend de l’endroit où se trouve l’entreprise et d’autres facteurs. J’aurais de la difficulté à vous le chiffrer exactement. Toutefois, selon le régime fiscal, une petite entreprise se définit comme une entreprise ayant un revenu de moins de 500 000 $.

La sénatrice Moncion : Est-ce pour les petites entreprises ou les petites et moyennes entreprises?

M. Ball : Cela correspond probablement aux petites et moyennes entreprises.

La sénatrice Moncion : Dans le cas d’un revenu tiré d’une entreprise exploitée activement d’un demi-million de dollars, considérons-nous que c’est une petite ou une moyenne entreprise?

M. Ball : C’est certainement une petite entreprise.

La sénatrice Moncion : Oui. Qu’en est-il pour les moyennes entreprises?

M. Ball : Dans le cas des moyennes entreprises, c’est un peu plus difficile à définir exactement.

La sénatrice Moncion : La majorité de ces PME sont probablement vos clients. Quelle note donneriez-vous à leurs connaissances du régime fiscal?

M. Ball : Je peux dire avec certitude que les entrepreneurs s’appuient énormément sur les conseils de professionnels pour les aider à s’y retrouver. En fait, Mme Pohlmann serait peut-être mieux placée que moi pour vous répondre du point de vue de ses membres, mais je ne crois pas qu’il y en a beaucoup qui sont en mesure de tout faire par eux-mêmes.

Mme Pohlmann : Absolument pas. Je suis d’accord. Je crois que leurs connaissances du régime fiscal sont très superficielles. Nos membres sont conscients qu’ils doivent payer des impôts; ils chargent leur comptable de déterminer le montant dû et le paient.

Ils doivent au moins avoir des connaissances rudimentaires du régime fiscal, parce qu’ils doivent payer de l’impôt. Ils doivent aussi s’occuper de la TPS et des charges sociales. Ils doivent faire beaucoup de choses et doivent les faire au bon moment, mais leurs connaissances ne sont évidemment pas approfondies dans le domaine.

La sénatrice Moncion : Compte tenu de cette réalité, vous avez parlé de la levée de boucliers des propriétaires de petites entreprises. Compte tenu de ce que vous venez de dire concernant leurs connaissances, je ne suis pas certaine que la levée de boucliers vient nécessairement d’eux. Je crois qu’elle provient davantage des comptables professionnels agréés, des avocats et des fiscalistes qui travaillent dans ce domaine.

J’essaye seulement de nuancer certains propos que nous avons entendus, soit que les propriétaires de petites entreprises connaissent bien les règles fiscales. Êtes-vous d’accord ou en désaccord avec moi?

M. Ball : Les discussions ayant trait aux conséquences de ces règles sont en fait très semblables aux discussions que nous avons de manière générale relativement au respect de la législation fiscale. Lorsque ces changements ont été annoncés, bon nombre de membres de Mme Pohlmann ont commencé à parler avec mes membres et ont demandé ensemble les effets que ces mesures auront sur eux. Ces deux groupes ont commencé à discuter ensemble.

Je crois en fait qu’il y a certainement eu une levée de boucliers de la part des entrepreneurs. Lorsqu’ils ont été informés des conséquences pour eux de ces changements, ils sont devenus inquiets.

Mme Pohlmann : J’aimerais ajouter quelque chose à cela. Nous avons souvent demandé à nos membres de nous dire à qui ils faisaient confiance pour obtenir des conseils concernant leur entreprise, et leur comptable se retrouve en général premier ou deuxième en haut de liste. Leur comptable vient les voir et leur dit qu’ils doivent se préparer aux modifications fiscales qui s’en viennent, et il leur explique comment ces changements vont les toucher. Les chefs d’entreprises font confiance aux conseils de leurs comptables. Vous avez raison de dire que les comptables professionnels agréés ou les simples comptables sont ceux qui ont informé leurs clients — cela fait d’ailleurs partie de leur travail — et qui leur ont expliqué ce qu’il en était. C’est à partir de là que les propriétaires de petites entreprises ont commencé à s’inquiéter de ce qui s’en venait.

La sénatrice Moncion : Ma prochaine question porte sur le transfert intergénérationnel de ces petites entreprises.

À quel moment la juste valeur marchande est-elle entrée en vigueur dans l’impôt des petites et moyennes entreprises?

M. Ball : Je ne suis pas certain de bien comprendre votre question.

La sénatrice Moncion : Lorsque vous faites un transfert, vous devez le faire à la juste valeur marchande du jour. À quel moment cette mesure fiscale a-t-elle commencé à s’appliquer pour les transferts intergénérationnels? Cela fait déjà un certain temps.

M. Ball : Je comprends maintenant. Le secteur agricole est différent parce qu’il y a des règles qui permettent un transfert à la juste valeur marchande. En ce qui concerne les apparentés et les membres de la famille, le système fiscal a pratiquement toujours fonctionné de cette façon.

Il y a eu des transferts intergénérationnels dans les années 1980, peut-être pour les petites sociétés et jusqu’à une certaine limite, mais cela commence à faire longtemps. Les règles actuelles sont en vigueur depuis un bon bout de temps.

La sénatrice Moncion : En ce qui concerne ces transferts à la juste valeur marchande, il y aurait une imposition qui serait beaucoup plus élevée, et c’est quelque chose d’attendu étant donné la façon dont la comptabilité se fait à l’heure actuelle.

M. Ball : En ce qui concerne les transferts intergénérationnels, il y a deux questions. Premièrement, il y a celle de l’exemption pour gains en capital, qui est beaucoup plus restrictive. En ce qui concerne les taux d’imposition, en général, la chose que l’on surveille c’est que le fait de vendre à une tierce partie fait entrer en jeu le taux sur les gains en capital, lequel est considérablement plus bas que le taux de retenue sur les dividendes. En revanche, je pourrais vendre mon entreprise à mon fils. Lorsque la transaction se fait entre les membres de la famille, il y a une disposition étrange du système qui fait en sorte qu’un transfert vous coûtera cher, même si vous avez un capital versé peu élevé dans l’entreprise.

Si l’entreprise est dissoute, il se pourrait que l’on vous impose deux fois. À moins d’être absolument certain que la prochaine personne de la famille à qui l’entreprise échoira vende cette dernière à une tierce partie, vous devez prendre des dispositions pour veiller à ce que l’on ne vous impose pas deux fois. Malheureusement, cela signifie qu’on vous imposera en fonction du dividende plutôt que du gain en capital. Cette situation préoccupe beaucoup compte tenu du fait qu’un grand nombre de familles optent pour le transfert commercial de l’entreprise.

Dans mon exemple, mon fils doit bel et bien me payer pour l’entreprise. Je ne lui en fais pas cadeau ou quelque chose du genre. Il va l’acheter à sa juste valeur marchande et en prendre la direction, exactement comme si je l’avais vendue à une tierce partie. Pourtant, sur le plan fiscal, les résultats avec ce type de transfert sont bien pires que si je choisissais de vendre l’entreprise à une tierce partie. C’est ce qui préoccupe.

La sénatrice Moncion : Pourriez-vous donner un exemple de cela? J’ai un exemple qui montre que c’est exactement la même chose, que vous optiez pour la vente à une tierce partie ou le transfert intergénérationnel. Pourriez-vous nous donner un exemple chiffré que nous pourrions utiliser?

C’est quelque chose que vous pourriez me fournir par écrit. Je pourrai alors comparer mes chiffres avec ce que vous dites au sujet de la double imposition.

M. Ball : Absolument. Je crois que ce sera utile. Nous vous donnerons un exemple pour montrer clairement où le bât blesse. Malheureusement, c’est très difficile à expliquer. Cela fait d’ailleurs partie du problème. Le système fiscal est très difficile à comprendre en ce qui concerne ces transferts, mais aussi lorsqu’il est question de la mort d’un actionnaire d’une entreprise privée. C’est extrêmement complexe.

La sénatrice Moncion : Je suis d’accord avec vous. La plupart des gens considèrent que les questions fiscales sont très complexes, ce qui est le cas. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle on vous engage, pour faire ce travail pour vos clients. La complexité est confiée aux professionnels qui travaillent avec la complexité de la fiscalité.

Au fil des ans, j’ai travaillé avec beaucoup de petites et moyennes entreprises, notamment dans le domaine des prêts et des banques. Une bonne partie des choses que j’entends ou que je vois ici sont exactes, mais certaines nuances doivent être apportées. Ces choses n’ont pas été nécessairement abordées par nos témoins, du moins, pas jusqu’ici.

M. Ball : Nous serons heureux de vous fournir un exemple.

Le président : Pouvez-vous, s’il vous plaît, transmettre cette information à la greffière du comité?

M. Ball : Bien sûr.

Le président : Monsieur Kingston ou madame Pohlmann, avez-vous quelque chose à ajouter en ce qui concerne la question de la sénatrice Moncion?

Mme Pohlmann : Non.

Le sénateur Oh : Aujourd’hui, le ministre Morneau a annoncé des modifications à l’impôt proposé pour les placements passifs. Bien qu’il s’agisse d’une bonne nouvelle, certains ont fait remarquer que les règles concernant le traitement des gains futurs sur les placements détenus actuellement ne sont pas claires.

Selon vous, quel impact cela aurait-il de ne pas majorer l’imposition des placements détenus actuellement, mais d’appliquer un taux d’imposition plus élevé aux revenus futurs générés par ces placements? Que pensez-vous de cela?

M. Ball : Oui. Je crois que c’est quelque chose qui est difficile à chiffrer. Je crois que le gouvernement devra aller chercher plus d’information à cet égard.

Toutefois, l’une des choses sur lesquelles nous avons insisté dans notre mémoire, c’est qu’il est important que l’application des modifications qui seront apportées à la politique fiscale se fasse de manière équitable. Même si les règles encadrant les placements passifs risquent d’être très compliquées, il est capital que les personnes qui ont accumulé de l’argent dans des sociétés ne soient pas touchées négativement par ces modifications. C’est en partie pour cette raison que nous souhaitons que le gouvernement rebrousse chemin et qu’il fasse un examen minutieux de la situation. Nous considérons qu’il est primordial que les placements existants soient protégés.

Nous savons par ailleurs que ces dispositions feront partie des grandes complications entourant les nouvelles règles. C’est l’une des principales raisons pour lesquelles nous aimerions que le gouvernement rebrousse chemin et qu’il réexamine ces modifications en tenant des enjeux qui le préoccupent, qu’il essaie de voir s’il y a une alternative.

M. Kingston : Je suis tout à fait d’accord avec ce que M. Ball a dit. Nous sommes heureux de voir que les propositions concernent le futur et qu’elles n’auront par conséquent pas d’incidence sur les placements passifs. L’une des réactions immédiates que nous avons entendues de nos membres les plus importants concernait la complexité.

Nous aurons désormais des regroupements de placements passifs qui seront régis par les anciennes règles et des regroupements de placements passifs qui obéiront à de nouvelles règles. Il faudra faire le suivi de ces regroupements, et cela sera extrêmement compliqué. C’est un élément qui nous préoccupe beaucoup.

Mme Pohlmann : Je ne crois pas avoir quoi que ce soit à ajouter. Pour moi, le problème c’est la complexité que cela ajoutera, tant pour l’application en général que pour la gestion de ces différents regroupements, le cas échéant.

Je suis d’accord. Cela fait partie de la question qui n’a pas encore été réglée.

Le sénateur Black : La présente est un complément à l’excellente question qu’a posée la sénatrice Moncion. Elle a souligné le problème concernant l’impôt qui s’appliquerait aux familles propriétaires qui transfèrent leurs actifs à des membres de leur famille plutôt qu’à des entités externes. J’ai eu vent de certains cas où le taux d’imposition allait jusqu’à 91, voire 93 p. 100. Ce sont peut-être des cas extrêmes, mais j’en ai entendu parler, et à plus d’une reprise.

La sénatrice Moncion a souligné quelque chose dont je n’avais jamais entendu parler. C’est pour cette raison que j’ai bien hâte de voir ce que vous avez à nous présenter à ce sujet. Qui plus est, je serais bien heureux que vous nous disiez un mot là-dessus avant de nous quitter. Y a-t-il une façon ou des possibilités de structurer ses affaires de manière à pouvoir transférer son entreprise à sa famille avec un taux d’imposition normal, et d’éviter ainsi la double ou triple imposition?

M. Ball : C’est possible, et je reviens à cet exemple où je vendrais mon entreprise à mon fils. Le taux de 90 p. 100 dont vous parlez rend compte du concept de la double imposition. Mon fils pourrait en effet se retrouver à payer deux fois ce que j’aurai payé. Je réalise un gain en capital. Puis, pour quelque raison que ce soit, disons que mon fils n’arrive pas à vendre l’entreprise à quelqu’un et qu’il est forcé de la liquider. Or, selon les règles qui ont été conçues, c’est que l’argent tiré de cette liquidation sera imposé en tant que dividende. Cela fera partie de l’exemple que nous allons préparer à votre intention.

Qu’arrive-t-il lorsque vous liquidez une entreprise? Disons qu’il n’arrive pas à la vendre à quelqu’un d’autre et qu’il est forcé de la liquider. En présumant que la valeur ne change pas entre le moment où je lui ai vendu et le moment où il s’en est défait, mon fils va se retrouver avec un dividende important. Son dividende sera l’équivalent du gain en capital que j’aurai réalisé. Il devra essuyer cette importante perte en capital, et le système n’a actuellement aucune disposition pour compenser cela.

Voilà pourquoi il y a ces taux d’imposition excessifs de 90 p. 100. Si mon fils est pris avec l’entreprise et qu’il n’arrive pas à la vendre à quelqu’un d’autre, sa seule façon de recouvrer l’argent est un dividende parce qu’ils ont éliminé la démarche que les gens utilisaient pour accéder au prix de base de cette vente de moi à lui. C’est très compliqué, mais c’est ce qui explique ces préoccupations au sujet des taux de 90 p. 100.

Je crains que certaines personnes tombent dans le panneau sans comprendre comment ils sont arrivés là.

La sénatrice Moncion : Pourtant, s’il n’arrive pas à vendre l’entreprise, c’est la juste valeur marchande qui devrait prévaloir, non?

M. Ball : Cela dépend de la façon dont vous avez accumulé la valeur. S’il s’agit de revenus d’entreprise, l’entreprise pourrait effectivement conserver sa valeur. Même si cette valeur diminue quelque peu, il restera encore un élément de double imposition.

Ce qui est problématique, c’est la façon dont la transaction subséquente est traitée. En fin de compte, il y a un mauvais alignement des attributs fiscaux.

La sénatrice Moncion : Ne peuvent-ils pas évoquer une perte?

M. Ball : Les pertes en capital ne peuvent être réclamées qu’en fonction de gains en capital. Si vous n’avez rien pour générer des gains en capital, vous avez effectivement une perte en capital, mais vous ne pouvez vous en servir que si vous avez un gain en capital. Vous pouvez vous en servir lorsque la personne meurt, mais cela ne vous sert pas vraiment à grand-chose. Vous devrez payer cette autre « couche » d’imposition une deuxième fois et, un jour, peut-être, vous serez en mesure de réclamer une perte en capital.

La sénatrice Cools : Madame et messieurs, je veux vous dire merci pour ces exposés, ma foi, des plus intéressants. Depuis un certain nombre de jours déjà, j’essaie bien fort de comprendre comment il se fait qu’au nom d’une réforme fiscale un gouvernement puisse créer autant d’instabilité, de malaise et d’anxiété au sein de la population. J’aurais tendance à croire qu’un environnement idéologique instable ou déstabilisé n’est pas un milieu propice pour proposer une réforme fiscale et maximiser les appuis à cet égard.

C’est quelque chose qui me préoccupe depuis déjà un bon moment. Il y a deux semaines, je suis allée en Alberta — la cour du sénateur Black — et j’ai pu constater comment le malheur continue de s’acharner sur cette province. On m’a dit qu’il y a 100 000 personnes qui n’ont pas d’emploi, et d’autres choses du genre.

Avez-vous une idée de la façon dont le gouvernement actuel pourrait venir à la rescousse de ses réformes fiscales dans cette atmosphère de grand trouble et d’opinion publique en déroute? Avez-vous quelque idée là-dessus?

M. Ball : C’est une question difficile. À vrai dire, c’est une question dont nous avons discuté: comment le gouvernement doit-il se comporter pour la suite des choses?

Je peux cependant vous dire comment j’aimerais que les choses se passent la prochaine fois. Je ne sais pas très bien si le gouvernement va tenter de pousser cela à fond ou d’apporter des correctifs. Comme je l’ai dit, nous voulons qu’il réexamine les choses en profondeur. Ce que j’aimerais vraiment, c’est que le gouvernement sollicite chacun de nos organismes — comme ceux que nous représentons — afin d’examiner cette question particulière avec nous. Je crois que nous serions tous d’accord pour que certains de nos membres participent à ces travaux à titre confidentiel. Nous pourrions discuter de ce qui les préoccupe et de la façon de régler ces problèmes.

Le travail que j’ai fait avec nos comités m’a fait réaliser que des bénévoles sont tout à fait disposés à mettre le chapeau du gouvernement et à essayer de trouver des voies d’évitement. Un tel résultat n’est vraiment pas celui que vous vouliez. Le gouvernement aurait mieux fait de miser sur la coopération et de favoriser la discussion. Il y a de vrais enjeux dans les trois domaines, mais les choses n’ont pas été faites correctement. C’est ce que je crois.

M. Kingston : Nous aimerions que le gouvernement parle plus souvent de la compétitivité du Canada. Nous croyons que cet aspect est absent du discours. Lorsque nous parlons à nos membres et que nous enquêtons auprès des entreprises, nous les entendons sans arrêt dire que la compétitivité fiscale les préoccupe. Les grands projets doivent composer avec une vaste incertitude sur le plan réglementaire. Nous voyons cela surtout dans le cas des pipelines, mais ailleurs aussi. Enfin, bien entendu, il y a la hausse des coûts.

Pour le propriétaire d’entreprise qui doit évoluer dans cet environnement, c’est une période très préoccupante. Nous aimerions que le gouvernement modifie un peu le discours pour créer un environnement d’investissement positif pour le Canada et les entreprises canadiennes. Je pense que cela aiderait.

Mme Pohlmann : Je suis aussi d’avis que le gouvernement devrait modifier un peu son discours. J’ai eu l’impression qu’il se lançait là-dedans avec une certaine part de négativité. On parlait surtout des échappatoires, un peu comme si l’on avait voulu laisser entendre que les propriétaires de petites entreprises étaient des fraudeurs. Le gouvernement a dû changer son approche du tout au tout. Il a commencé à le faire lorsqu’il a pris conscience de la réaction négative que cela suscitait. En fait, les propriétaires sont des personnes travaillantes qui essaient de faire de leur mieux. Ils contribuent à leur communauté respective. Le gouvernement doit changer son discours et sa façon de parler des propriétaires d’entreprises, de ce qu’ils font pour le Canada, et cetera.

De plus, je suis d’accord avec M. Ball. Le processus de consultation a été bref. Beaucoup ont cru que la consultation n’avait pas duré assez longtemps pour qu’ils puissent y apporter une contribution significative. Une bonne façon de commencer à corriger certains des problèmes qui se posent serait sûrement de travailler plus étroitement avec les comptables, les professionnels de la fiscalité et les organisations comme la nôtre, qui comptent parmi leurs membres des gens qui ont de bonnes idées.

Même maintenant, alors que le gouvernement propose des correctifs, je présume qu’il se base sur les documents qui lui ont été soumis dans le cadre des consultations. Le gouvernement est-il arrivé à éplucher 21 000 documents en seulement deux semaines? Je ne le sais pas. Espérons que le dialogue se poursuivra et que le gouvernement sera ouvert à nos suggestions et commentaires, même après le deuxième tour. Le gouvernement aurait intérêt à continuer de prêter oreille à nos suggestions et commentaires, et à les intégrer à ce qu’il compte faire pour la suite des choses.

Le sénateur Pratte : Une des grandes inquiétudes qu’avaient les gens lorsque la réforme a été annoncée, c’était qu’elle toucherait un grand nombre de SPCC, et notamment beaucoup de petites SPCC. Selon les données du gouvernement sur la répartition du revenu, environ 50 000 entreprises seraient touchées. À la suite de l’annonce d’aujourd’hui sur les placements passifs, selon les chiffres du gouvernement, et il devrait être au courant, environ 50 000 entreprises seraient touchées. Il pourrait y avoir des chevauchements, mais si on additionne les deux chiffres, quelque 100 000 entreprises seraient touchées, soit environ 5 p. 100 du nombre total d’entreprises. Il n’y aurait donc qu’une petite minorité d’entre elles qui seraient touchées. Dans la plupart des cas, ce serait sans doute les grandes entreprises, qui ont probablement les moyens de gérer la complexité des règles relatives à la conformité, qui seraient touchées.

Cela devrait réduire considérablement les inquiétudes qu’avaient beaucoup de gens au début du processus au sujet du fardeau de la conformité pour les petites entreprises, et cetera, n’est-ce pas? Nous devrions tous pouvoir nous calmer maintenant. Mon analyse de la situation est-elle exacte?

M. Ball : Pour ce qui est des 50 000, c’est une bonne question. Je ne suis pas certain de comprendre ce qu’ils veulent dire exactement. Je pense qu’ils veulent dire que 50 000 entreprises profitent de la répartition du revenu, mais je ne sais pas comment ils sont arrivés à ce chiffre.

Ce qui m’inquiète depuis le début, c’est que ce n’est qu’une partie du problème. J’ose croire qu’il y a plus de 50 000 entreprises qui versent des dividendes à des membres de leur famille. Ils jouent peut-être tous un rôle dans l’entreprise et, en fin de compte, les règles sur la répartition du revenu n’auront pas d’incidence sur eux. Le problème, toutefois, c’est que chaque entreprise devra décider comment procéder pour gérer les règles. Selon le libellé, elles devront essentiellement être en mesure de justifier que le montant de dividendes qui est versé aux membres de la famille est raisonnable.

Selon nous, un grand nombre d’entreprises et de leurs actionnaires ne seront pas assujettis aux règles, mais ce qui nous inquiète beaucoup, ce sont les normes de documentation et les exigences liées à la tenue de dossiers. Je pense que c’était là notre principale préoccupation.

Pour ce qui est des placements passifs, rapidement, il semble que les règles s’appliqueront à un nombre beaucoup moins important d’entreprises, mais cela m’inquiète beaucoup quand même de voir que l’on introduit dans le régime fiscal une règle complexe qui ne s’appliquera probablement qu’à un petit nombre d’entreprises. Cela sera quand même extrêmement complexe. Je pense encore qu’il faut examiner la question de plus près pour s’assurer que c’est vraiment nécessaire de le faire.

Il existe d’autres situations où l’équité n’est pas au rendez-vous.

M. Kingston : Au sujet des placements passifs, les grandes entreprises auront les ressources et l’expertise pour composer avec les changements et les complications additionnelles, mais cela n’exclut pas le fait que c’est toujours un problème, quand on pense au temps qu’elles doivent consacrer aux questions entourant la fiscalité canadienne.

Le problème demeure entier, même si le nombre d’entreprises touchées est moins important. Ce sont de très grandes entreprises. Elles investissent dans leurs collectivités. Elles ont des filiales. Le nombre absolu peut être moins grand, mais les répercussions seront quand même considérables si leurs placements passifs sont frappés d’un taux d’imposition de 70 p. 100.

Mme Pohlmann : Nos chiffres sont un peu différents de ceux du gouvernement. Je suis aussi curieuse de savoir d’où proviennent ces chiffres. Nous avons consulté nos membres. Nous avons obtenu plus de 8 000 réponses, ce qui constitue un bon échantillonnage. C’est probablement assez représentatif du nombre d’entreprises au pays. Nous avons appris que près de 70 p. 100 d’entre elles versent une rémunération à des membres de leur famille. Comme l’a mentionné M. Ball, chacune d’elles devra prouver que leur contribution est significative. Cela aura donc une incidence pour ces propriétaires d’entreprise.

Pour ce qui est des placements passifs, encore une fois, près de 70 p. 100 de nos membres nous disent qu’ils ont des placements passifs sous une forme ou une autre dans leur entreprise. Il se peut qu’ils ne soient pas considérables, qu’ils soient même relativement petits, mais ils sont là quand même. Selon ce qu’ils auront à faire pour se conformer aux règles, il se pourrait bien, même s’ils n’atteignent pas le seuil, qu’ils aient à remplir des documents ou à faire autre chose pour le prouver.

Je ne sais pas dans quelle mesure on peut affirmer que cela n’aura aucune incidence. Je doute également que le nombre qui sera touché soit si petit.

La sénatrice Andreychuk : J’avais quelques questions auxquelles on a déjà répondu. Vous avez dit que ce sont les propriétaires d’entreprise qui se sont plaints du langage ou des arguments, et non pas les comptables. Les propriétaires d’entreprise se sont ensuite assis avec les comptables pour savoir qu’elle serait l’incidence sur eux. Ils n’ont pas aimé qu’on laisse entendre qu’ils profitaient d’une échappatoire dans la loi, et cetera.

Au sujet du critère du caractère raisonnable et de la répartition du revenu, lorsqu’on est propriétaire d’une petite entreprise, qu’il s’agisse d’une confiserie ou d’une petite ferme, tout le monde met la main à la pâte. Il n’y a pas de plan d’affaires comme tel. Les membres de la famille font souvent de la gestion de crise. Il faut donc tenir compte du fait qu’être membre d’une entreprise familiale comporte son lot de stress.

Quelles sont les règles à l’heure actuelle? Posent-elles des problèmes, et les nouvelles règles ne sont-elles en fait qu’un ajout? Ou s’agit-il d’une toute nouvelle façon de documenter et de prouver que le membre de la famille a joué un rôle?

Mme Pohlmann : Je vais commencer, mais M. Ball sera probablement mieux placé que moi pour répondre. Ce que je comprends, c’est qu’il y a une sorte de critère du caractère raisonnable qui s’applique à l’heure actuelle aux salaires. Par exemple, si quelqu’un reçoit un salaire disproportionné par rapport au travail qu’il fait, l’ARC a le droit de remettre cela en question.

C’est pour les dividendes, je crois, qu’il n’y a pas vraiment de critère pour le moment. C’est l’élément qui vient s’ajouter. On ajoute les dividendes et les actionnaires au processus. C’est là où la situation se corse, car le gouvernement vient dicter essentiellement qui peut être actionnaire et quel montant peut lui être versé quand il s’agit d’un membre de la famille. Je pense que c’est du jamais vu, mais c’est M. Ball qui est l’expert dans ce dossier.

La sénatrice Andreychuk : Un témoin nous a dit qu’une partie du problème concernant le régime fiscal vient du fait qu’il s’agit parfois d’une responsabilité ou d’un bénéfice individuel, mais que cela touche aussi parfois toute la famille. C’est pourquoi je vous pose cette question. Il n’y a rien qui permet de tenir compte de ce qui touche toute la famille dans une petite entreprise.

M. Ball : Vous avez bien résumé cela. J’ajouterais une chose au sujet des dividendes. Après l’annonce de lundi, nous devrons examiner l’incidence que cela aura sur tout cela, mais la règle s’appliquait de façon plus générale. Il était question de la contribution en matière de travail, soit les salaires payés, mais on incluait aussi le capital, et c’était cumulatif également.

L’idée était que la personne ferait un suivi de sa contribution, qu’elle déduirait les salaires reçus, et c’était cela la différence, ce qui est extrêmement compliqué. Les gens ont souvent recours aux dividendes notamment pour s’éviter tout ce que cela demande d’avoir à déterminer ce qui est raisonnable. Quand on travaille dans une ferme, par exemple, il faudrait que chaque personne remplisse une feuille de temps pour justifier le montant du dividende qu’elle reçoit.

Les gens utilisaient les dividendes, entre autres, pour contourner ce problème. Je dis contourner du point de vue pratique pour se conformer. C’était tout simplement une façon facile de payer les membres de la famille sans avoir à passer par une procédure complexe.

[Français]

Le sénateur Forest : Merci de votre témoignage fort éclairant ce soir. Pour continuer sur la question du partage des revenus, ce que je trouve inquiétant c’est que, comme vous l’avez dit, la règle est énoncée par le ministère des Finances, mais appliquée par l’Agence du revenu du Canada.

On a entendu un haut fonctionnaire nous dire que, à titre d’exemple, dans une ferme ou dans une entreprise, le conjoint ou la conjointe qui décidait de demeurer à la maison pour dégager l’autre conjoint ou conjointe de responsabilité et lui libérer du temps pour travailler, c’était un choix personnel. C’est quand même une interprétation ex cathedra assez draconienne.

Un élément qui m’interpelle beaucoup actuellement, c'est le critère de la raisonnabilité qui est plus ou moins subjectif. Autrement dit, on va se mettre à tenir des feuilles de temps. Alors, quand le fils ira porter le tracteur dans le champ, on va se demander à son retour s’il a parlé à son voisin et si on doit déduire 15 minutes de sa feuille de temps. Il y a quelque chose, au niveau de l’opération, qui est très difficilement applicable. Comment pourrait-on arriver à préciser cette règle du critère de la raisonnabilité pour qu'elle soit efficace? Cela m’apparaît d’une complexité tout à fait insurmontable pour des petites entreprises qui ont, généralement, peu de personnel et qui peuvent difficilement mettre cela en application, c’est-à-dire garder tous les reçus et vérifier chacune des périodes où l’épouse, le fils ou la fille contribueront à l’entreprise en gardant le commerce ouvert ou peu importe. Est-ce qu’il y aurait moyen de simplifier ce critère de la raisonnabilité?

[Traduction]

M. Ball : J’aimerais commenter votre premier point très rapidement au sujet des conjoints. Dans notre mémoire, nous n’avons pas de recommandation comme telle, si ce n’est de bien examiner le régime fiscal avant d’imposer le critère du caractère raisonnable aux conjoints, afin de s’assurer qu’il s’applique correctement à la façon de les imposer.

Encore une fois, c’est un problème très vaste, qui fait intervenir de nombreux éléments. Le régime fiscal manque de cohérence à l’heure actuelle. Il autorise le fractionnement du revenu de pension entre les conjoints, les REER de conjoints, et cetera. Une de nos principales recommandations consiste à examiner les règles qui régissent l’imposition des unités familiales à l’heure actuelle afin de s’assurer qu’elles sont logiques, avant d’imposer des règles différentes à des groupes particuliers.

Ensuite, cela dépend sans doute de la façon de traiter les conjoints. Le critère du caractère raisonnable n’est pas la seule solution. Cela ne faisait pas partie de nos recommandations, mais il serait sans doute bon d’examiner l’idée, par exemple, de hausser le seuil d’imposition sur le revenu fractionné. On suggérait aussi qu’en retirant les enfants qui vont à l’université de l’ensemble, cela pourrait changer la donne. S’ils travaillent dans l’entreprise, on pourrait, par exemple, leur verser un salaire.

Encore une fois, l’idée était d’examiner le tout pour voir s’il n’y aurait pas une meilleure façon de procéder.

Mme Pohlmann : Je suis d’accord. Il faut que ce soit le plus simple possible, car cela deviendra trop compliqué pour eux de gérer tout cela. Sur papier, cela représente 250 millions de dollars par année. Je pense qu’il en coûtera beaucoup plus aux propriétaires d’entreprise pour administrer cela, et au gouvernement pour faire les vérifications et s’assurer que les mesures fonctionnent adéquatement.

Je ne suis pas certaine que les coûts-avantages soient là pour les économies de 250 millions de dollars qu’on prévoit. C’est la grande question qu’on se pose au sujet de cet ajout.

Je suis d’accord. Comme je l’ai mentionné, je ne sais pas comment on en arrivera à définir ce qui est raisonnable, car il y a tellement de façons formelles et informelles pour un membre de la famille de participer à l’entreprise. Je ne vois pas comment l’ARC pourrait bien tenir compte des diverses façons informelles de participer. Il faudra des années aux cours canadiennes de l’impôt pour statuer sur la question.

Je pense que cela rendra les choses plus compliquées que c’est nécessaire pour des économies de 250 millions de dollars.

[Français]

Le sénateur Forest : J’aimerais faire un dernier commentaire. Notre Loi de l’impôt sur le revenu est fort complexe et contient plus de 3 000 pages. Dans le but de vous offrir un petit réconfort : lorsqu’on se regarde, on se désole, lorsqu'on se compare on se console, celle des États-Unis contient 74 000 pages. Notre loi est compliquée, mais cela doit être quelque chose aux États-Unis. Je tenais à vous préciser cela pour que vous puissiez mieux dormir ce soir.

[Traduction]

Le sénateur Neufeld : Pour poursuivre sur la question de la répartition du revenu, j’ai été propriétaire d’une entreprise pendant 15 ans environ il y a très longtemps. L’ARC a procédé à deux vérifications et je peux vous dire que ce n’est pas une partie de plaisir. Il faut beaucoup argumenter à la fin quand ils nous disent « vous devez tant », car ils ne veulent pas quitter sans réclamer quelque chose pour rentabiliser leurs déplacements, je présume.

C’est difficile, et je sympathise donc certainement avec les gens. J’imagine la visite à une ferme, comme ma collègue l’a mentionné. Pouvez-vous imaginer une situation où vous avez beaucoup de travail à faire et devez argumenter avec les agents de l’ARC sur telle ou telle façon d’appliquer la loi? Je peux vous dire d’expérience qu’on arrive à les faire changer d’idée. C’est intéressant. C’était il y a très longtemps.

Je ne suis assurément pas un spécialiste de l’impôt. Lorsque j’avais mon entreprise, je tenais les livres pour ce que je devais payer tous les mois, mais à la fin de l’année, j’allais voir un comptable qui s’occupait de tout. Je ne prétends pas être très versé en matière d’impôts, mais les transferts intergénérationnels ont certainement retenu mon attention. Vous avez fait la lumière sur de nombreux éléments là également.

Je ne sais pas si vous connaissez bien les fiducies. Y a-t-il un transfert intergénérationnel où le gouvernement vient prélever une somme importante lorsque quelqu’un crée une fiducie? Je n’ai pas eu la chance de vivre dans un monde où mes parents pouvaient créer une fiducie. Ils arrivaient à peine à mettre du pain sur la table, alors ils étaient loin de penser à créer une fiducie pour moi.

Lorsque c’est fait, est-ce que l’argent est versé à la personne pour toujours? Comment cela fonctionne-t-il?

M. Ball : Les fiducies ne peuvent pas durer toujours. Il y a une limitation de temps pour disposer des biens. Essentiellement, une fiducie est réputée se départir de ce qu’elle possède à sa juste valeur marchande à un moment déterminé. Certaines fiducies prennent fin à la mort du bénéficiaire, tandis que d’autres prennent fin après 21 ans. Les fiducies sont souvent, en quelque sorte, une place de stationnement pour les avoirs. Ils demeurent dans la fiducie.

Le sénateur Neufeld : Appellerait-on cela de l’argent qui dort?

M. Ball : Non. Quand il s’agit de fiducies familiales, ce sont souvent les actions de l’entreprise familiale qui s’y trouvent.

Lorsqu’une fiducie approche de son 21e anniversaire et du moment du calcul des gains accumulés, on peut transférer les avoirs. Les fiducies ne sont pas permanentes comme les entreprises. Elles doivent généralement prendre fin à un moment donné. S’il s’agit d’une fiducie de conjoint, c’est à la mort du bénéficiaire, ou s’il s’agit d’une fiducie ordinaire, c’est tous les 21 ans.

Le gouvernement a compris que sans cette règle, on pouvait reporter les gains à l’infini. Il faut qu’il y ait transfert ou que les gains soient comptabilisés.

Le sénateur Neufeld : On a 21 ans pour faire le rapprochement.

M. Ball : Oui. Si c’est une fiducie familiale, il faut soit faire un transfert, soit payer l’impôt sur les gains accumulés dans la fiducie.

Le sénateur Neufeld : Merci.

La sénatrice Eaton : J’ai écouté les problèmes au sujet de la répartition du revenu dans une ferme. J’avais l’habitude de travailler à la ferme de mon oncle, alors je sais exactement ce que c’est que d’avoir une petite entreprise familiale.

Hier, un de nos témoins de Montréal, M. Coderre, nous a expliqué que le régime fiscal canadien n’est pas harmonisé avec la politique industrielle. Je pense que cela rejoint un de vos commentaires, monsieur Kingston, à savoir ce que l’on attend de nos fermes. Nous voulons les garder en santé. Nous voulons que les petites entreprises créent des emplois. Nous voulons que les grandes entreprises investissent dans l’innovation, la recherche et la productivité.

Pouvez-vous nous dire ce que vous en pensez? Êtes-vous du même avis?

M. Kingston : Tout à fait, et c’est pourquoi nous avons parlé du besoin d’une réforme en profondeur. Par exemple, et c’est un très bon exemple récent, nous n’avons pas de taxe sur les services transfrontaliers. Nous vivons à l’ère numérique, et les consommateurs achètent des produits venant d’ailleurs qui sont envoyés électroniquement, et ces produits ne sont pas taxés. C’est un exemple clair où notre régime fiscal est à la traîne par rapport aux changements que nous observons dans l’économie.

Nous voulons aussi voir plus d’entreprises devenir des champions sur la planète. Le Conseil canadien des affaires en parle sans cesse. Nous représentons les grandes entreprises, et nous voulons en voir davantage représenter le Canada partout sur la planète. Nous ne pensons pas que notre régime fiscal est conçu pour y arriver à l’heure actuelle, il est donc temps de l’actualiser.

La sénatrice Eaton : Pour le mettre au diapason de notre politique industrielle ou de nos ambitions pour l’industrie.

M. Kingston : Tout à fait, pour le mettre au diapason des changements dans l’économie et l’arrimer à notre vision de l’économie canadienne dans 10, 15 ou 20 ans d’ici.

M. Ball : C’est un bon point, car le dernier examen remonte à il y a très longtemps et les choses ont bien changé depuis. La croissance de l’économie repose beaucoup plus maintenant sur les entreprises de services qu’au moment du dernier examen qui remonte, si je me souviens bien, au début des années 1970. Les choses ont bien changé et le numérique a pris une place très importante.

Le président : Il y a une question qui n’a pas été posée. Croyez-moi, j’ai entendu des témoins se faire poser cette question. Vous n’avez pas besoin d’y répondre maintenant. Si vous pensez pouvoir y répondre en quelques mots, c’est bien. Autrement, vous pouvez faire parvenir l’information à la greffière.

Il est très difficile de trouver une définition de la classe moyenne. Selon votre expérience, comment la définiriez-vous? Monsieur Ball, j’aimerais que vous répondiez en premier.

M. Ball : En fait, nous discutions justement de la question avant de venir, car je crois que nous avons discuté de la classe moyenne lors de ma dernière comparution. Pour être honnête, je ne pense pas pouvoir vous donner une réponse encore.

Nous pouvons nous pencher sur la question pour essayer de trouver une réponse. Nous pouvons y réfléchir avec notre économiste en chef pour savoir s’il pense que nous pourrions arriver à une réponse. Je ne peux rien promettre, mais nous allons voir ce que nous pouvons faire.

Le président : Merci. Monsieur Kingston.

M. Kingston : Il n’existe pas de définition parfaite, malheureusement. D’un point de vue statistique, nous utilisons habituellement le revenu moyen et la croissance du revenu au cours des années comme point de repère pour la classe moyenne, mais ce n’est absolument pas la mesure parfaite.

Le président : Madame Pohlmann.

Mme Pohlmann : Nous pouvons certainement vous faire parvenir les résultats de nos recherches sur la question, mais il y a aussi des variations selon les régions. À Vancouver, une famille ayant un revenu de 150 000 $ peut être considérée comme faisant partie de la classe moyenne, mais ailleurs, elle peut être considérée comme faisant partie la classe aisée. Cela dépend vraiment de la région.

Le président : Merci beaucoup à nos témoins de leur professionnalisme.

(La séance est levée.)

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