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NFFN - Comité permanent

Finances nationales

 

LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES FINANCES NATIONALES

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mardi 31 octobre 2017

Le Comité sénatorial permanent des finances nationales se réunit aujourd’hui, à 14 h 15, afin de poursuivre son étude sur les modifications proposées par le ministre des Finances à la Loi de l’impôt sur le revenu concernant l’imposition des sociétés privées et les stratégies de planification fiscale connexes.

Le sénateur Percy Mockler (président) occupe le fauteuil.

Le président : Honorables sénateurs et sénatrices, bienvenue à la réunion du Comité sénatorial permanent des finances nationales.

[Traduction]

Je suis le sénateur Percy Mockler, du Nouveau-Brunswick. Je suis le président du comité.

J’aimerais souhaiter la bienvenue à tous ceux qui participent à cette séance ici même, dans la pièce, ainsi qu’à tous ceux qui nous regardent partout au pays à la télévision ou en ligne.

Je tiens à rappeler à ceux qui nous regardent que les délibérations du comité sont ouvertes au public et accessibles en ligne sur le site web du Sénat, au secanada.ca.

Je demanderais maintenant aux sénateurs de bien vouloir se présenter.

Le sénateur Black : Doug Black, de l’Alberta.

[Français]

Le sénateur Pratte : André Pratte, du Québec.

Le sénateur Forest : Éric Forest, de la région du Golfe, au Québec.

[Traduction]

La sénatrice Frum : Linda Frum, de l’Ontario.

Le sénateur Oh : Victor Oh, de l’Ontario.

La sénatrice Marshall : Elizabeth Marshall, de Terre-Neuve-et-Labrador.

[Français]

Le président : J’aimerais aussi souligner la présence de la greffière du comité, Gaëtane Lemay, ainsi que nos deux analystes, Sylvain Fleury et Alex Smith, qui appuient également les travaux de ce comité.

[Traduction]

Le comité poursuit aujourd’hui son étude spéciale sur les modifications proposées par le ministre des Finances à la Loi de l’impôt sur le revenu concernant l’imposition des sociétés privées et les stratégies de planification fiscale connexes. Le ministre des Finances a proposé ces changements au cours de l’été 2017.

En guise de préparation des voyages du comité dans l’Ouest et dans l’Est du pays, voyages qui auront lieu bientôt, il a été proposé d’inviter le directeur parlementaire du budget à venir commenter son dernier Rapport sur la viabilité financière de 2017.

[Français]

Nous remercions M. Fréchette et son équipe d’avoir accepté notre invitation. Votre présence est très appréciée. Aujourd'hui, nous recevons du Bureau du directeur parlementaire du budget, Jean-Denis Fréchette, directeur parlementaire du budget, Mostafa Askari, sous-directeur parlementaire du budget, et Chris Matier, directeur principal, Analyse économique et financière.

J’invite maintenant M. Fréchette à faire sa présentation. Par la suite, il y aura une période de questions.

Jean-Denis Fréchette, directeur parlementaire du budget : Merci, monsieur le président et honorables membres du comité.

[Traduction]

Encore une fois, merci de m’avoir invité à comparaître pour discuter de notre Rapport sur la viabilité financière de 2017, rapport qui, à mon avis, devrait fournir au comité un certain contexte en vue de ses missions d’étude dans l’Ouest et dans l’Est du Canada.

[Français]

Depuis 2010, le Bureau du directeur parlementaire du budget publie une évaluation annuelle de l’état de la viabilité financière du gouvernement fédéral. C’est la première fois qu'une telle analyse est aussi poussée afin d’évaluer la viabilité financière des provinces de façon individuelle.

[Traduction]

Le rapport fournit des renseignements sur les provinces et administrations infranationales dont la dette continue de croître, mais pas en fonction de l’économie.

Pour les sénateurs qui défendent des intérêts régionaux et se font les porte-parole des minorités et peuples sous-représentés du Canada, cette nouvelle analyse pourrait s’avérer utile pour amorcer les discussions avec certains de ces groupes dans les diverses régions du pays.

[Français]

Mes collègues et moi-même, monsieur le président, serons heureux de répondre maintenant à vos questions. Merci.

Le président : Merci.

[Traduction]

La sénatrice Marshall : Merci d’avoir accepté notre invitation. J’aimerais me concentrer sur la partie de votre rapport qui porte sur Terre-Neuve-et-Labrador, la province que je représente. Votre rapport a été publié au début du mois d’octobre. Au cours de ce même mois, nous avons également reçu des rapports du vérificateur général de la province de Terre-Neuve-et-Labrador et du Conseil canadien des employeurs.

Leurs commentaires se rapprochent beaucoup des vôtres. Le vérificateur général a formulé plusieurs commentaires. Il a souligné que les déficits de la province ne sont pas viables. Il a également précisé que Terre-Neuve génère plus de revenus par personne que toute autre province. Toutefois, elle dépense 21 p. 100 de plus par personne que la Saskatchewan, la deuxième province à ce chapitre.

Le Conseil canadien des employeurs a publié un rapport intitulé Another Way Forward. Le terme radical n’est probablement pas le bon, mais le conseil suggère que le gouvernement réduise ses impôts de 590 millions de dollars et ses dépenses de 1,1 milliard. Selon lui, cela permettrait de mettre la province sur la voie de la reprise.

Le rapport du vérificateur général a reçu le même accueil que l’on réserve habituellement aux rapports du vérificateur général, mais le gouvernement y a réagi plutôt négativement. Ma question est la suivante: avez-vous discuté de votre rapport avec le gouvernement de Terre-Neuve-et-Labrador et, si oui, quelle a été sa réaction?

M. Fréchette : Votre question est pertinente. Je dirais que deux provinces ont vivement réagi à notre rapport, soit Terre-Neuve, évidemment, et l’Alberta. Je vais demander à M. Askari de répondre à votre question au sujet des intervenants de Terre-Neuve.

Mostafa Askari, sous-directeur parlementaire du budget, Bureau du directeur parlementaire du budget : Pour répondre à votre question au sujet des consultations avec le gouvernement, avant de publier notre rapport, bien avant même, nous avons communiqué avec toutes les provinces et leur avons fourni les données et méthodologies que nous avions utilisées pour faire nos calculs. Les gouvernements provinciaux savaient très bien ce que nous faisions et comment nous procédions.

Après la publication du rapport, nous n’avons pas vraiment eu de discussion avec le gouvernement de Terre-Neuve, mais d’autres intervenants nous ont contactés voulant savoir exactement comment nous menions notre étude et quelles étaient les conséquences de ce genre d’évaluation pour la province.

L’une des choses que j’ai soulignées à plusieurs intervenants, c’est que, oui, il y a un écart entre les dépenses et les revenus de la province, mais le problème sous-jacent de Terre-Neuve, c’est la perte de population. Chaque année, Terre-Neuve perd environ 1 p. 100 de sa population. La perte de population, surtout si la majorité des gens qui quittent sont en âge de travailler, a un impact important sur l’économie de la province. Selon nos projections, la croissance économique de Terre-Neuve devrait être d’environ 0,1 p. 100 à 0,2 p. 100, ou essentiellement neutre. À elle-même, cette faible croissance constitue un choc pour l’économie et la situation financière de Terre-Neuve.

La sénatrice Marshall : Les entreprises de Terre-Neuve-et-Labrador s’inquiètent beaucoup des modifications proposées actuellement à l’étude concernant l’imposition des sociétés. La province compte le taux d’imposition de plus élevé du pays par personne et les modifications proposées feront augmenter davantage ce taux.

Entrevoyez-vous une lueur d’espoir quelconque pour la province?

M. Askari : Nous estimons que l’écart actuel à Terre-Neuve se situe à environ 2 milliards de dollars par année sur une base permanente. Cet écart s’accentuera en fonction du taux de croissance du PIB nominal. Cela est nécessaire afin de stabiliser davantage les finances de la province.

On parle d’un écart de 2 milliards de dollars. Comment combler cet écart? Tout dépend de l’approche choisie; la province peut soit réduire ses dépenses ou augmenter ses revenus ou convaincre le gouvernement fédéral d’accroître ses transferts.

Ce sont les trois options qui s’offrent à la province. L’écart est de 2 milliards de dollars. On parle de près de 6,5 p. 100 à 7 p. 100 du PIB de Terre-Neuve. C’est beaucoup.

La sénatrice Marshall : Un écart de 2 milliards de dollars, c’est énorme, car la province ne compte qu’un demi-million d’habitants.

Le sénateur Black : Messieurs, merci beaucoup d’avoir accepté notre invitation. Merci également pour le travail très utile que vous faites.

Je représente l’Alberta et je trouve intéressant que vous ayez eu des conversations continues avec la province. À la lumière de votre rapport, je suis heureux de voir que vous avez des conversations continues avec la province.

Une de vos déclarations dans ce rapport m’a empêché de dormir au cours du week-end. Vous dites: « La politique budgétaire de l’Alberta n’est pas viable à long terme. »

Pourriez-vous être plus précis?

M. Askari : C’est exact.

Le sénateur Black : C’était une question rhétorique. Ce que je voulais dire, c’est que je comprends qu’il s’agit de votre point de vue.

C’est très préoccupant, étant donné que l’Alberta est l’un des moteurs de l’économie canadienne, sinon le seul. Selon ce que vous dites, le moteur va tomber en panne.

M. Askari : L’un des problèmes de l’Alberta, selon nos observations, c’est que l’économie croît à un rythme relativement soutenu. Ce que nous constatons en ce qui a trait à la situation financière de l’Alberta, c’est qu’il y a un écart énorme entre les sources de revenus internes de la province, si l’on exclut le transfert du gouvernement fédéral. Les revenus internes de l’Alberta, calculés en fonction d’un pourcentage du PIB, sont les moins élevés au pays. Concernant les dépenses, la province dépense relativement beaucoup par rapport au PIB.

Les chiffres ne mentent pas. Si les revenus internes sont très bas, et tout le monde sait que les impôts en Alberta sont bas et qu’il n’y a pas de taxe de vente, cela se reflétera dans les chiffres. Cet écart constituera un problème s’il n’est pas comblé.

C’est ainsi que nous voyons la situation. C’est la structure actuelle. À long terme, quel sera l’impact de cette structure sur les finances de la province? À notre avis, le déficit s’alourdira, car le gouvernement devra emprunter. Cela entraînera une augmentation de la dette de l’Alberta par rapport au PIB de la province.

Malgré le fait que l’Alberta compte probablement la population la plus jeune au pays, et que, comme je l’ai dit, l’économie croît à un rythme relativement soutenu, avec le temps, ces problèmes fiscaux sous-jacents auront un certain impact sur les finances de la province.

Le sénateur Black : Merci pour ces informations. Je suis d’accord avec vous. Que doit faire l’Alberta pour corriger ce problème?

M. Askari : Nous avons pour principe de ne pas fournir de conseils stratégiques. Cela ne fait pas vraiment partie de notre mandat. Mathématiquement, l’écart se situe à environ 4,6 p. 100 du PIB de la province, soit près de 12 à 14 milliards de dollars, si je ne m’abuse.

Cet écart doit être comblé de façon permanente. Le gouvernement de l’Alberta devra soit accroître ses revenus, réduire ses dépenses ou une combinaison des deux. Dans le cadre de nos conversations avec plusieurs intervenants de l’Alberta, l’une des questions qu’ils nous ont posées était la suivante: « Qu’en est-il des recettes de l’exploitation des ressources en Alberta? »

Le problème, à ce chapitre, c’est que les prix du pétrole ont baissé comparativement à ce qu’ils étaient il y a quelques années. Pour faire nos calculs, nous formulons des hypothèses quant aux revenus à moyen terme, soit en 2021. Qu’en est-il des revenus générés en Alberta par rapport au PIB et qui permettront de maintenir un ratio constant sur plusieurs années?

Si les recettes de l’exploitation des ressources atteignent à nouveau un niveau plus sain, cela signifie que d’autres sources de revenus en paieront le prix. Toutefois, de façon générale, les perspectives sont minces, à tout le moins, pour le moment, de voir les prix du pétrole remonter à 150 ou 200 $ le baril. En ce sens, nous croyons que nos calculs et nos prévisions sont raisonnables.

La province ne peut pas vraiment se fier à ses recettes de l’exploitation des ressources pour se sortir de ce problème fiscal. Elle devra faire autre chose sur le plan stratégique pour s’en sortir.

Le sénateur Black : Supposons qu’il s’agit plutôt de votre ménage plutôt que du gouvernement provincial. Que feriez-vous?

M. Askari : Je ne comparerais jamais un ménage à un gouvernement. Ce ne serait pas raisonnable, car les ménages et les gouvernements ont des objectifs et des outils différents. C’est une comparaison très difficile à faire.

Le sénateur Black : Vous avez bien géré la question. Merci beaucoup.

[Français]

Le sénateur Forest : D’entrée de jeu, il faut quand même administrer les finances comme un bon père de famille. Sans comparer un gouvernement à un ménage, il faut être soucieux de l’intérêt de la collectivité, si petite soit-elle.

Dans votre rapport, vous indiquez que la politique budgétaire actuelle au Canada à long terme est assez rigoureuse pour réduire les impôts et les taxes de 1,2 p. 100 du PIB. Vous parlez même de perspectives à long terme selon lesquelles on pourrait éliminer la dette en 40 ans, ce qui est assez ambitieux comme objectif, mais souhaitable.

Ce qui me préoccupe beaucoup ce sont les administrations infranationales. Le milieu municipal est un monde que je connais très bien, que ce soit à l’échelon territorial ou provincial. Vos prévisions en matière d’infrastructures infranationales sont beaucoup moins optimistes. Actuellement, uniquement pour stabiliser le budget, il faudrait augmenter les impôts ou réduire nos dépenses de 0,9 p. 100 du PIB. Est-ce une situation conjoncturelle? Je pense particulièrement à l’investissement de plus de 120 milliards de dollars dans les infrastructures. Cette politique du gouvernement fédéral accélère l’investissement, particulièrement en ce qui concerne les municipalités. Donc, on devance des investissements pour être en mesure de profiter de différents programmes de subventions. On augmente notre endettement et on a une assiette fiscale très limitée. Avez-vous évalué l’impact des grands programmes canadiens sur les entités municipales, territoriales ou provinciales? Le gouvernement actuel est dans une situation, somme toute, passablement favorable, selon votre analyse. Cependant, les gouvernements territorial, provincial et municipal peinent à suivre la cadence. Des programmes leur sont offerts et ils croient ne pas avoir le choix d'y participer s’ils veulent se doter d’infrastructures en vue d'assurer la relève dans leurs organisations. Donc, ils se voient dans l’obligation d’investir, ce qui augmente la croissance des déficits de chacune de ces entités. Y a-t-il un lien de cause à effet? S'agit-il d'une situation conjoncturelle qui, d’une part, serait très inquiétante pour les niveaux de gouvernance infranationale et, d’autre part, rassurante pour le gouvernement canadien?

M. Fréchette : Je vous remercie de la question. Au départ, j’aimerais être rassurant. Vous avez parlé des gouvernements infranationaux, comme le Québec. Dans notre rapport, lorsqu’on parle du Québec, on fait référence à tous les gouvernements, c’est-à-dire municipaux, les peuples autochtones, et cetera. Il faut comprendre que l’on dresse un portrait actuel projeté dans le temps dans 75 ans, 90 ans. Je vais reprendre l’exemple du Québec. Vous avez tout à fait raison pour l’ensemble des gouvernements infranationaux du Canada : il y a un écart de 0,9 p. 100, 18,7 milliards de dollars. Pour le Québec, il n’y a pas d’écart. Le Québec est viable avec l’ensemble de ses gouvernements. Ce n’est pas une question de conjoncture. La situation économique actuelle est viable. Il est possible pour les autres gouvernements infranationaux de rétablir l’équilibre. En Ontario, l’écart est très mince. C’est presque une erreur de calcul. On pourrait rétablir l’équilibre. J’essaie d’être rassurant pour répondre à votre question. Il ne faut pas s’inquiéter outre mesure du fait que des gouvernements infranationaux doivent injecter de l’argent.

Le sénateur Forest : Vous savez, il y a beaucoup de pratiques comptables créatives. Par exemple, quand on regarde le retour de la taxe d’accise sur l’essence au Québec, qui allait auparavant directement aux municipalités et qui aujourd’hui est capté par le Québec, cela oblige les municipalités à emprunter. Elles remboursent le capital et les intérêts sur la longueur du terme du prêt. Ce n’est pas l’idéal en matière de saine gestion. Auparavant, les municipalités percevaient directement les sommes allouées au prorata et étaient en mesure d’investir à la hauteur de ces sommes. On vient de rajouter une plus-value dans les infrastructures. Nous sommes obligés d’assumer ces coûts parce que ce transfert est capté. Chaque province et territoire a ses propres façons de faire. Selon mon expérience, même si ce n’est pas la priorité d’investir aujourd’hui et de renommer telle rue, puisque le programme existe, je vais aller de l’avant parce que j’irai chercher 60 ou 70 p. 100de subventions. J’augmente de façon importante mon taux d’endettement. À long terme, c’est clair que cela aura des conséquences.

Le président : Avez-vous des commentaires à ajouter, monsieur Fréchette?

M. Fréchette : C’est possible qu’on ne l’a pas vu pour toutes les provinces. Je ne dis pas que cela n’arrivera pas, mais on ne le voit pas pour toutes les provinces. La situation actuelle est telle qu’elle est énoncée dans le rapport. Il faut comprendre que tout autre changement apporté à la politique fiscale, quel qu'il soit, entraînera un déséquilibre de notre modèle de projections à long terme.

Pour revenir au commentaire précédent du sénateur de l’Alberta, il faut comprendre que le Québec, par rapport à l’Alberta, a un taux d’imposition beaucoup plus élevé. C’est l’une des raisons pour lesquelles le Québec est financièrement viable. Les revenus autonomes de la province sont plus élevés qu’en Alberta, car une grande partie de l’espace fiscal du Québec est occupée par le gouvernement provincial.

[Traduction]

Le sénateur Oh : Merci aux témoins d’avoir accepté notre invitation.

Chaque année, le ministère des Finances du Canada publie ses projections fiscales à long terme. Comment vos projections diffèrent-elles de celles du ministère des Finances du Canada et pourquoi?

M. Fréchette : Il s’agit de la question préférée de M. Matier, j’en suis convaincu.

M. Matier, directeur principal, Analyste économique et financière, Bureau du directeur parlementaire du budget : C’est peut-être l’une de mes questions préférées. Les projections du ministère des Finances du Canada diffèrent légèrement des nôtres en raison de la méthode comptable utilisée. Si je ne m’abuse, le ministère s’appuie sur les comptes publics, soit le même cadre utilisé pour les budgets et les énoncés économiques d’automne. Nos projections s’appuient sur des comptes nationaux ou sur les statistiques de finances publiques. Il s’agit d’un concept légèrement différent. La plus grande différence, c’est probablement que nous tenons compte de l’ensemble du secteur public canadien: les gouvernements provinciaux et locaux, les gouvernements autochtones ainsi que les régimes de retraite publics. Nous souhaitons avoir une vue d’ensemble. Si je ne m’abuse, c’est en 2012 que le vérificateur général de l’époque a recommandé au ministère des Finances du Canada de préparer des projections à long terme similaires pour les gouvernements provinciaux, mais il n’a pas à donner suite à cette recommandation.

Concernant les résultats généraux que vous voyez dans le rapport, comparativement au dernier rapport du ministère des Finances du Canada publié en décembre 2016, si je ne m’abuse, ceux-ci se rapprochent beaucoup des perspectives fédérales. Il y a peut-être quelques différences quant à la vitesse à laquelle le ratio de la dette au PIB fédéral baisse, mais sur le plan qualitatif, les deux projections tendent à indiquer que la structure ou la politique fiscale fédérale est viable à long terme.

Le sénateur Oh : Quelqu’un d’autre aimerait intervenir?

M. Matier : J’ajouterais que nous nous attendons à ce que le ministère des Finances du Canada publie son prochain rapport à long terme en décembre. À ce moment, nous pourrons faire une comparaison plus détaillée avec nos hypothèses et résultats. Nous pouvons produire un rapport sur ces comparaisons.

[Français]

Le sénateur Pratte : Évidemment, c’est un exercice extrêmement utile que vous faites. Maintenant, il y a un petit quelque chose qui me chatouille, parce que ce sont des scénarios à très long terme. Tout est très lisse, tout se passe très bien, car il n’y a pas de choc économique. Ce qui me fait peur un peu c’est lorsque l’on voit des conclusions indiquant que les finances du gouvernement du Canada sont viables, c'est-à-dire qu’il pourrait se permettre d’augmenter ses dépenses ou réduire ses impôts de 24 milliards de dollars, soit 1,2 p. 100 du PIB, et que ça ne nuirait pas à sa viabilité. Je sursaute un peu. Je comprends ce que vous voulez dire, mais la raison pour laquelle on ne souhaite pas que le gouvernement du Canada augmente ses dépenses de 24 milliards de dollars ou diminue ses impôts du même montant, c’est que s’il y avait un choc économique ou une hausse soudaine des taux d’intérêt, cela risquerait de le mettre dans une situation très troublante. Par ailleurs, vous le dites vous-même, par rapport à l’an dernier, ce 1,2 p. 100 était de 0,9 p. 100, mais que la révision des projections de taux d’intérêt a eu comme effet de créer un changement substantiel. Il faut être extrêmement prudent avec l’interprétation de ces données.

M. Fréchette : Il faut être prudent comme on l'a indiqué dans notre rapport. Ce ne sont pas des prévisions, mais des projections à long terme d’une situation actuelle. On prend une photo maintenant. Tout ce que vous avez dit est tout à fait vrai. Voici les politiques en vigueur et si l'on fait des projections, ça ne change rien. Pas de choc externe, pas de choc interne. La tentation d’aller piger dans la caisse n’est pas là. Le gouvernement est viable pendant toute cette période. Ce qui est intéressant — et vous l’avez mentionné —, c’est que comparativement à notre rapport de l’an passé où on était à 0,9 p. 100, maintenant, on est rendu à 1,2 p. 100 du PIB. Je reprends deux exemples intéressants en Alberta et au Québec. Si en Alberta, on avait nos analyses avant le choc pétrolier, tout aurait été différent. Le Québec est un autre bel exemple. J’ai été mal cité comme cela arrive parfois à bon nombre de politiciens. On a indiqué que j'avais dit qu’au Québec, l’austérité avait mené à la viabilité. Ce n’est pas ce que j’ai dit. J’ai dit que la rigueur financière du Québec a fait que lorsqu’on a pris la photo actuelle du Québec, le Québec était redevenu viable. Vous avez tout à fait raison, vous comprenez exactement la situation. Ce ne sont pas des prévisions et des projections. Il s'agit de stimuler les discussions parlementaires en vue de déterminer si la politique budgétaire doit être maintenue ou non. Est-ce tentant ou non? C’est le rôle des parlementaires d’utiliser l'outil qu’on a présenté pour discuter avec les différents paliers gouvernementaux partout au Canada afin de connaître leurs intentions en matière de dépenses.

Le sénateur Pratte : Cette comparaison de la viabilité financière du gouvernement du Canada par rapport à celle des gouvernements provinciaux et territoriaux , aboutit-elle à la conclusion qu'il y aura un déséquilibre entre les deux paliers de gouvernement qu’on appelait, il y a quelques années, le déséquilibre fiscal?

M. Fréchette : Cela semble être le cas. On disait que l’argent appartenait au gouvernement fédéral et les dépenses au gouvernement provincial. C’est effectivement le cas. M. Askari l’a mentionné. Les provinces où les populations sont vieillissantes doivent assurer des soins de santé alors que les revenus sont au niveau du gouvernement fédéral. Il y a effectivement un genre de déséquilibre entre la capacité de générer des revenus et le devoir de fournir certains services, notamment en ce qui concerne la santé, l’éducation, et cetera. Ce scénario est basé sur un changement démographique au fil du temps. On sait très bien qu’il y a des provinces dont la population vieillit plus que d’autres. Quant aux provinces plus jeunes dont les espaces fiscaux sont un peu moins grands, cela relance tout le débat sur ce déséquilibre et — soyons très honnêtes — sur la péréquation. C’est le cas du Manitoba. La péréquation aurait pu faire changer son niveau de viabilité, mais comme il a une croissance économique relativement forte, suffisamment forte, mais pas assez forte, elle ne reçoit pas de péréquation. Donc, cela peut être problématique à long terme.

Le sénateur Pratte : Merci.

[Traduction]

La sénatrice Andreychuk : J’aimerais revenir à votre rapport.

Est-ce que d’autres pays font des projections à long terme comme nous? Pourrions-nous comparer nos projections à celles d’autres pays et d’autres régions?

M. Matier : Effectivement, nous ne sommes pas les seuls à produire des rapports à long terme semblables, mais il y a certaines différences quant à l’horizon temporel et au secteur du gouvernement concernés. Idéalement, il serait préférable de comparer les ratios de la dette au PIB et les politiques fiscales actuelles si nous avions un cadre uniforme.

La sénatrice Andreychuk : Pour revenir à ce que disait le sénateur Pratte, ce n’est peut-être pas nous qui ressentirions un choc, mais bien la communauté internationale. C’est une chose que vous avez vécue. Il serait intéressant d’examiner les projections d’autres pays afin de voir si elles s’harmonisent aux nôtres.

M. Matier : Si je ne m’abuse, le FMI effectue parfois des comparaisons internationales. J’ignore s’il utilise un horizon temporel très long, mais ses comparaisons portent sur l’ensemble du gouvernement, ce qui facilite les choses.

La sénatrice Andreychuk : J’aimerais vous poser quelques questions au sujet de la Saskatchewan, bien entendu. Nous avons déjà parlé de l’Alberta. Vous dites que le taux de croissance de la population en Saskatchewan sera faible et que cette situation n’est pas viable, pour le moment.

Avez-vous tenu compte de la population autochtone, de son taux de croissance dans la province et de certaines des histoires de réussite relativement aux nouveaux modèles utilisés dans la communauté autochtone afin d’assurer la viabilité de la Saskatchewan? Je n’ai rien lu, dans votre rapport, concernant les Autochtones.

M. Matier : Non, nous n’avons pas tenu compte explicitement de la population autochtone dans nos projections. Nous nous appuyons sur les projections démographiques de Statistique Canada. Donc, si Statistique Canada a incorporé ces différences dans les taux de fertilité et les espérances de vie, nos projections devraient en témoigner.

Mais, vous avez raison. Nous n’avons pas fait une place distincte aux peuples autochtones dans nos projections.

La sénatrice Andreychuk : Si j’ai bien lu, vous vous êtes appuyés beaucoup sur la baisse de la population attribuable à l’émigration. Il y a aussi le vieillissement de la population. Les gens s’éloignent des régions rurales, ce qui cause de sérieux problèmes en matière de service. Lorsque les populations baissent, à quel genre de service peut-on s’attendre? Comment peut-on supplanter ces pertes ailleurs, comme la perte des hôpitaux?

La question est de définir comment maintenir un niveau de service. Cela, c’est du côté des programmes. De l’autre côté, il faut savoir d’où proviendra l’argent. C’est une question de plus en plus importante pour moi. Le gouvernement fédéral crée de très bons programmes, sauf que, lorsqu’on fouille un peu, on s’aperçoit que la prestation de ces programmes, que ce soit dans le domaine de la justice ou de la santé, par exemple, est assurée par les provinces.

Je ne crois pas que vous ayez tenu compte de cette tendance dans votre rapport. Je considère de plus en plus qu’il s’agit d’une tendance. Nous reprenons le même cycle: nous demandons aux provinces d’en faire davantage, et cette pression est transférée aux municipalités.

M. Matier : Nous ne nous sommes pas penchés sur les conséquences de l’émigration, de la démographie et du vieillissement de la population dans les régions très rurales des provinces. Ces conséquences ne sont abordées que s’il y a un grand écart dans une province entre l’émigration et l’immigration.

Dans ce rapport-ci ainsi que dans nos rapports précédents, nous signalons la contribution du gouvernement fédéral dans les programmes nationaux, comme les programmes de soins de santé et certains programmes d’aide sociale, où les projections montrent définitivement une baisse à long terme. Par exemple, en ce qui a trait à la santé, plusieurs de nos tableaux soulignent que la contribution fédérale par l’entremise du Transfert canadien en matière de programmes sociaux, contribution qui s’élevait auparavant à entre 20 et 25 p. 100, a définitivement baissé au fil des ans en raison de la transition de la population vieillissante par le système de soins de santé.

Pour l’heure, le programme actuel a été conçu pour ne croître qu’en fonction de l’économie. Encore une fois, si le gouvernement fédéral choisissait de maintenir sa contribution aux provinces en matière de santé par l’entremise du TCS, une croissance additionnelle serait nécessaire. C’est la même chose en ce qui a trait au Transfert canadien en matière de programmes sociaux. Cette croissance annuelle se limite globalement à 3 p. 100. Encore une fois, les dépenses annuelles des provinces excèdent probablement 3 p. 100. La contribution du gouvernement fédéral à ces programmes par l’entremise du Transfert canadien en matière de programmes sociaux baisserait également au fil des ans.

La sénatrice Andreychuk : J’aurais une dernière question à vous poser. Vous dites que le fédéral, dans son ensemble, est viable à long terme, en fonction d’autres facteurs.

Concernant le partage du fardeau, où peut-on voir quelle partie de la dette sera assumée par les prochaines générations? Cette question devrait être une source d’inquiétude pour ceux qui ont des enfants, des petits-enfants et des arrière-petits-enfants.

Lorsque j’étais jeune, nous utilisions les ressources à notre disposition sans ajouter indûment au fardeau des prochaines générations. Je croyais qu’il s’agissait de l’un des fondements du système fédéral canadien. Avez-vous tenu compte de ce genre de choses ou vous êtes-vous uniquement appuyés sur les chiffres que vous avez obtenus pour établir la viabilité du fédéral?

Je crains qu’en lisant votre rapport, les gens s’imaginent que c’est acceptable de dépenser.

M. Matier : Nous ne pouvons pas vous dire quel devrait être le niveau d’endettement correct ou optimal pour le secteur public, mais nos projections s’harmonisent à l’idée de l’équité transgénérationnelle. En fait, nous tentons essentiellement de faire des prévisions afin de ne pas ajouter au niveau d’endettement relativement à la taille de l’économie des prochaines générations. C’est ce que nous entendons par un ratio de la dette au PIB stable.

Toutefois, comme vous l’avez souligné, le principal problème, ce sont les déséquilibres entre le gouvernement fédéral et les administrations infranationales. D’ailleurs, dans le cadre de notre vérification, nous avons conclu que l’ensemble du secteur public du Canada est viable, mais seulement parce que la marge de manœuvre fédérale compense le manque de viabilité des provinces.

De façon très globale, en vertu de la politique actuelle, aucun endettement supplémentaire ne serait transféré aux prochaines générations, mais, selon la province où vous habitez et l’administration infranationale qui régit votre région, cela pourrait être très différent.

La sénatrice Frum : J’aimerais que vous nous parliez de l’importance de la croissance de la productivité dans vos projections et de l’impact que pourrait avoir une hausse ou une baisse de cette croissance. Le comité examine des modifications proposées à la politique fiscale. Tous les spécialistes s’entendent pour dire que ces modifications décourageraient l’investissement et le développement des entreprises privées. Pourriez-vous nous parler de l’impact que cela pourrait avoir?

M. Matier : Dans le cadre de nos projections à long terme, nous tenons pour acquis que la croissance de la productivité reviendra à la moyenne des 35 dernières années, soit une croissance annuelle d’environ 1,1 p. 100.

L’impact de cette croissance sur la viabilité financière dépend de la structure actuelle et de la façon dont les programmes sont liés à ce genre de dépense. Nous supposons que, peu importe les changements au niveau de la productivité, comme une croissance plus rapide de l’économie, le gouvernement ajusterait ses dépenses par rapport à la taille de l’économie. Il n’y a aucun gain fiscal. Une croissance plus rapide de l’économie et une baisse des dépenses par rapport à la taille de l’économie créerait une certaine marge de manœuvre. Essentiellement, le même ratio serait maintenu.

Je vais vous donner un exemple. Dans notre rapport au gouvernement fédéral, si la croissance de la productivité augmentait de 25 ou de 50 points de base, si je ne m’abuse, la marge de manœuvre fiscale passerait de 1,2 p. 100 du PIB à 1,9 p. 100 du PIB. Il s’agit d’une augmentation considérable.

Les économies découleraient du fait que, par rapport aux taux d’intérêt à payer sur la dette, la croissance de l’économie serait plus rapide et l’écart entre les dépenses et les revenus se rétrécirait. C’est généralement ainsi que les économies sont réalisées.

La sénatrice Frum : Vous avez dit également que ces projections tiennent pour acquis qu’il n’y aura aucun choc important au système. S’il survenait un événement terrible, comme la fin de l’ALENA, je présume que les projections ne seraient plus valables. Que se passerait-il?

M. Matier : Les prévisions sont à très long terme. Il est probable qu’après un tel choc, il y aurait une période de transition, une baisse temporaire et possiblement un impact permanent sur le taux ou le niveau de croissance.

Comme l’a souligné M. Fréchette, nous ne tentons pas de faire des prévisions. Ces données servent à vous donner le scénario le plus raisonnable, et non le meilleur scénario, aux fins de planification. Si les résultats obtenus avec la politique actuelle vous inquiètent, cela devrait vous en dire long. Tout choc qui entraîne une baisse empirerait la situation.

La sénatrice Marshall : Mes questions visent le gouvernement fédéral, parce que nous étudions les modifications proposées aux lois fiscales. Dans votre rapport, vous dites que la politique fiscale actuelle sera durable à long terme. J’ai été quelque peu surprise de lire cela parce qu’on sait qu’avec le budget de 2017, la dette frôle les 1 billion de dollars. De plus, on sait d’après le rapport de décembre dernier que le ministère des Finances prévoit des déficits jusqu’en 2055.

On fait face à des pressions pour régler le déficit, mais cela ne semble pas vous préoccuper, puisque vous dites que les mesures seront durables à long terme. Ensuite, vous dites qu’on a beaucoup de jeu, que le gouvernement pourrait augmenter ses dépenses ou baisser l’impôt. Cela va à l’encontre de la situation actuelle. Même si vous dites qu’on a du jeu pour baisser les impôts, nous savons tous que le gouvernement fédéral s’est donné pour mission de les augmenter.

Pouvez-vous rapprocher votre rapport avec la situation actuelle au sein du ministère des Finances?

M. Askari : Comme l’a fait valoir M. Matier, il s’agit d’un scénario à long terme et non d’une prévision. C’est la première chose. Sans égard à la hausse ou à la baisse d’impôt à court terme ou à moyen terme d’ici 2022, nous croyons que le fardeau fiscal fédéral demeurera stable au cours des 75 prochaines années. Cela signifie que les revenus augmenteront au même rythme que le PIB nominal et donc que le fardeau fiscal sera constant.

Il se peut qu’il y ait certains changements. On pourrait hausser ou baisser les impôts ou subir un choc positif ou négatif. Encore une fois, il s’agit d’un scénario. En moyenne, on prévoit que le taux de croissance de l’économie demeurera à 1,7 p. 100 en termes réels et à 3,7 p. 100 en termes nominaux, et que l’impôt augmentera selon le même taux que le PIB nominal. Toutes les possibilités à court terme dont vous avez parlé n’affecteraient pas vraiment ce type de calcul.

Vous avez aussi demandé si le déficit sera soutenable pendant encore 30 ans. La réponse, c’est oui, pourvu que l’augmentation du déficit soit assez faible et que l’augmentation de la dette qui en résulte ne présente pas le même taux que celui de la croissance du PIB. Le ratio de la dette au PIB diminuera ou demeurera stable. On pourrait connaître un petit déficit sur une longue période et tout de même avoir une structure fiscale durable parce que le ratio de la dette au PIB n’augmente pas. C’est le point d’ancrage qu’on utilise et qui est utilisé dans toutes les études internationales.

La sénatrice Marshall : Dans les travaux que vous avez réalisés pour les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux, vous faites référence aux régimes de pensions. Je sais que certaines provinces ont des obligations non capitalisées des régimes de retraite. Selon ce que vous dites dans votre rapport, il n’y a pas lieu de s’inquiéter malgré cela.

M. Askari : Tout cela est pris en compte dans notre calcul des dépenses et des revenus. Ce sont des éléments sous-jacents. Les hypothèses tiennent compte de toutes ces dépenses ou revenus potentiels, quels qu’ils soient.

En fait, dans notre cas, nous examinons le RPC et le RRQ, qui sont d’autres programmes. Nous évaluons leur viabilité et les conclusions selon lesquelles ces deux régimes sont durables. Nos hypothèses tiennent déjà compte de toutes les autres dépenses du gouvernement provincial.

La sénatrice Marshall : Vous dites que la situation actuelle du gouvernement fédéral est viable et que si le gouvernement augmente les impôts, il pourra aussi augmenter les dépenses, pourvu qu’il maintienne le ratio de la dette au PIB au même niveau. Est-ce bien ce que vous dites?

M. Askari : C’est le point d’ancrage que nous utilisons. Tant que le ratio de la dette au PIB demeure stable sur une longue période, nous considérons que la structure fiscale est viable.

La sénatrice Marshall : Aussi, le rapport compte de nombreuses hypothèses, n’est-ce pas? C’est sur ces hypothèses que se fondent vos projections.

M. Askari : Oui, c’est vrai, mais il faut émettre des hypothèses dans ce genre d’études pour élaborer un scénario. Ces hypothèses ne sont pas vraiment déraisonnables. Elles ne diffèrent pas beaucoup de l’expérience historique ou de ce que nous avons vu dans ces administrations par le passé.

Nous ne prévoyons pas une augmentation importante des revenus ni une diminution importante au fil du temps; rien de cela. De notre point de vue, ces hypothèses sont raisonnables. Oui, on peut se tromper dans certains cas, mais ce sont les résultats qu’on prévoit obtenir sur une longue période si l’on maintient ces niveaux.

Je tiens à souligner une chose que nous mentionnons dans notre rapport. Les résultats sur 75 ans ne se produiront pas réellement parce qu’il est impossible qu’une province accuse une dette de 300 p. 100 ou que le gouvernement fédéral élimine sa dette au cours des 30 prochaines années. Cela n’arrivera pas, parce que le gouvernement réagira en modifiant le processus.

Ce que nous tentons de démontrer ici, surtout pour les administrations qui affichent un déficit budgétaire, c’est qu’il faut aborder la question immédiatement ou au cours des prochaines années. Sinon, l’avenir ne sera pas très favorable.

La sénatrice Marshall : Nous allons subir des chocs. On ne sait pas lesquels, mais la sénatrice Frum a parlé de l’ALENA. Tout ne se passera pas bien.

Le sénateur Black : Étant donné les questions qu’ont posées mes collègues la sénatrice Frum et la sénatrice Marshall en cette journée d’Halloween, je trouve tout cela un peu effrayant.

J’ai regardé le rapport que vous avez produit ce matin. Vous prévoyez que la croissance du PIB passera à 1,9 p. 100 en 2018, par rapport aux 3,1 p. 100 de cette année. À mon avis, c’est une énorme baisse en un an. Ensuite, vous dites que le PIB nominal connaît une baisse moyenne de 2 milliards de dollars par année pour la période de 2017 à 2022; c’est un portrait de la situation actuelle.

Si vous tenez compte de la possibilité de l’échec de l’ALENA, comme l’a fait valoir la sénatrice Frum, ou de la réforme fiscale des États-Unis, et si vous tenez compte du fait que le Canada semble incapable de construire des pipelines sur les côtes atlantique ou pacifique, alors quelles sont les perspectives du Canada?

M. Matier : C’est une bonne question, à laquelle il est difficile de bien répondre.

Notre aperçu économique actuel ne tient pas compte du retrait complet de l’ALENA ou d’une rupture des pourparlers à cet égard. De plus, nous n’avons pas prévu une réforme fiscale aux États-Unis ni des dépenses en infrastructures. C’est un peu intuitif, mais nous avons présumé que les aspects négatifs et positifs s’annuleraient mutuellement.

Nous n’avons pas de projections explicites quant à ce qui arriverait si l’on ne construisait pas les pipelines, mais nos investissements dans l’exploitation minière, l’ingénierie et tout cela feraient partie des changements dans le prix du pétrole également. Nous ne pouvons pas prévoir ces conséquences, mais nous pouvons dire que selon nos estimations, le prix du pétrole demeurera très bas et que nous investirons dans ce domaine.

Encore une fois, il y a eu une remontée, mais nous ne verrons plus les niveaux d’investissement que nous avons connus par le passé dans ce secteur.

Le président : Monsieur Fréchette, nous vous remercions, vous et vos collègues, d’avoir accepté notre invitation et de nous avoir fait part de vos commentaires et opinions.

Pour la deuxième partie de notre réunion, nous recevons les représentants de l’Agence du revenu du Canada. Nous vous remercions d’avoir accepté notre invitation et de nous transmettre ces renseignements. Ils nous orienteront et nous donneront une idée des prochaines étapes.

Le comité aimerait en savoir plus sur la mise en œuvre de ce que nous appelons le critère du caractère raisonnable appliqué au fractionnement du revenu. Nous nous intéressons aussi à l’actuelle Loi de l’impôt sur le revenu et aimerions avoir des exemples pratiques du transfert intergénérationnel, de l’imposition du revenu passif, de l’imposition des dividendes et du fractionnement du revenu. Honorables sénateurs, les témoins de l’Agence sont ici pour discuter de ces enjeux et pour répondre à vos questions.

Nous recevons aujourd’hui Geoff Trueman, qui est sous-commissaire de la Direction générale de la politique législative et des affaires réglementaires, et Stéphane Prud’homme, qui est directeur de la Division des réorganisations au sein de la Direction des décisions en impôt, tous deux à l’Agence du revenu du Canada.

Monsieur Trueman, on m’a dit que vous feriez une brève déclaration préliminaire. Nous passerons ensuite aux questions.

Geoff Trueman, sous-commissaire, Direction générale de la politique législative et des affaires réglementaires, Agence du revenu du Canada : Je suis heureux d’être ici cet après-midi avec mon collègue Stéphane Prud’homme. Ma déclaration préliminaire sera brève. Je sais que vous avez entendu de nombreux témoignages sur la question au cours des dernières semaines. Nous serons heureux de répondre à vos questions et de parler de vos préoccupations.

Nous sommes ici pour discuter de la façon dont l’Agence interprète actuellement les dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu qui s’appliquent aux sociétés et qui sont liées aux modifications annoncées par le ministre des Finances, et, en particulier, de la répartition du revenu entre les membres de la famille des propriétaires de ces sociétés. Nous croyons savoir que vous aimeriez également discuter de la façon dont l’Agence entend administrer les modifications proposées à la loi annoncées par le ministère des Finances visant d’autres préoccupations liées à cette répartition, si les modifications étaient adoptées.

Comme vous le savez, les mesures proposées sur la répartition du revenu ont été mises de l’avant dans le cadre de la consultation sur la planification fiscale au moyen de sociétés privées, que le ministre des Finances a annoncée le 18 juillet 2017. La date limite pour présenter des commentaires dans le cadre de cette consultation était le 2 octobre. Le ministre a annoncé le 16 octobre que le gouvernement allait simplifier ces mesures afin de garantir qu’elles n’auront pas de répercussions sur les membres de familles qui contribuent de façon significative à une entreprise familiale.

D’après les témoignages que vous avez entendus, vous savez qu’il y a répartition du revenu lorsqu’un particulier à revenu élevé transfère une partie de son revenu à un particulier, le plus souvent un membre de sa famille, dont le revenu est assujetti un taux d’imposition moins élevé. Cela fait en sorte que la portion de revenu transférée soit imposée à un taux moindre.

La Loi de l’impôt sur le revenu prévoit déjà certaines règles pour limiter la répartition du revenu. Par exemple, les dépenses que paie une entreprise, comme les salaires, doivent être raisonnables pour qu’elles puissent être déduites. De plus, le revenu fractionné est assujetti à un impôt spécial dans les situations où le revenu est transféré à un mineur. Le taux marginal d’imposition le plus élevé s’applique, entre autres, au revenu de dividendes d’une société privée ou encore au revenu d’une société de personnes ou d’une fiducie qui découle d’une entreprise familiale.

Il est proposé que, aux fins de l’impôt, les dividendes payés à un membre de la famille adulte soient raisonnables, de sorte qu’ils reflètent sa contribution à l’entreprise, que ce soit sous forme d’apport en capitaux ou en main-d’œuvre.

Selon nos pratiques de vérification en vigueur, nous appliquerions les règles proposées d’une façon juste, uniforme et raisonnable, en tenant compte des faits et des circonstances s’appliquant à chaque cas. L’examen du salaire versé à un membre de la famille fait déjà partie des pratiques de vérification qu’adopte l’Agence lorsqu’elle traite avec des sociétés privées; cet examen se fait en tenant compte d’un critère de caractère raisonnable. On retrouve plusieurs de ces critères de caractère raisonnable dans la Loi de l’impôt sur le revenu, et l’Agence applique ces règles depuis longtemps de façon équitable et uniforme.

Pour que les entreprises canadiennes sachent à quoi s’attendre, l’Agence et le ministère des Finances préparent un document d’orientation afin que les propriétaires d’entreprise et leurs conseillers comprennent la façon dont l’Agence appliquera le critère de caractère raisonnable proposé et dans quelles circonstances elle le fera. Ce document comprendra des exemples détaillés des circonstances dans lesquelles l’Agence remettra et ne remettra pas en question le caractère raisonnable des montants payés par un contribuable.

J’aimerais ajouter que l’Agence continuera de travailler avec le ministère des Finances afin d’être prête à mettre en œuvre les mesures proposées sur la répartition du revenu, y compris le critère de caractère raisonnable, dans le respect des objectifs du ministère. Notre relation de longue date avec le ministère des Finances repose sur la collaboration et la communication ouverte, et c’est ce qui nous permettra d’atteindre notre objectif.

Mon collègue et moi serons heureux de répondre aux questions des honorables sénateurs

Le président : Merci.

La sénatrice Marshall : Monsieur Trueman, dans votre déclaration préliminaire, vous avez parlé des pratiques de vérification actuelles et d’une application juste, uniforme et raisonnable des règles proposées. Ensuite, vous parlez d’un document d’orientation et dites qu’il comprendra des exemples détaillés.

Quelles sont les directives transmises aux vérificateurs de l’Agence? Quel est le processus à suivre? Qui juge du caractère raisonnable d’un cas en particulier? Pouvez-vous nous donner une idée du processus?

M. Trueman : Oui, avec plaisir. On parle de quelques étapes ici. Lorsque le ministère des Finances a présenté ses mesures en juillet, le fractionnement du revenu était associé à un avant-projet de loi. À la suite de l’annonce d’octobre, le ministère des Finances a fait part de son intention de simplifier quelques-unes de ses propositions.

En ce qui a trait à la collaboration avec nos collègues du ministère des Finances, la première étape consisterait à préparer un document d’orientation que nous publierions le plus tôt possible après l’adoption des mesures législatives. Il faudrait offrir un document d’orientation à la communauté fiscale et aux entrepreneurs pour leur fournir des exemples et leur présenter les facteurs qui déterminent le caractère raisonnable d’une situation.

Ce critère est déjà utilisé dans d’autres parties de la loi. Ensuite, nous aimerions fournir un document d’orientation interne aux vérificateurs, qui se fonderait sur les meilleures pratiques, et qui leur expliquerait les facteurs à prendre en compte, tout en insistant sur l’importance d’appliquer le critère en fonction des faits et circonstances d’une situation donnée. Il n’y a pas une seule bonne réponse dans toutes les situations, mais nous tentons de veiller à ce que tous les facteurs et circonstances soient pris en compte.

La sénatrice Marshall : Nous savons que la norme relative au caractère raisonnable sera utilisée pour le fractionnement du revenu, mais quels sont les autres exemples? D’après ce que vous dites, vous avez une grande expérience en la matière. Donnez-nous un exemple de l’application de la norme du caractère raisonnable dans d’autres situations.

Stéphane Prud’homme, directeur, Division des réorganisations, Direction des décisions en impôt, Agence du revenu du Canada : La première disposition qui me vient à l’esprit, c’est l’alinéa 20(1)c). Cette disposition permet aux contribuables de déduire l’intérêt sur l’argent emprunté, mais ce n’est qu’un montant raisonnable d’intérêt qui est déductible.

Il y a un autre exemple à l’article 67 de la Loi de l’impôt sur le revenu. L’article 67 fait état d’une restriction relative aux dépenses qui s’applique dans l’ensemble de la loi. Un contribuable peut demander une déduction pour une dépense, mais seulement dans la mesure où cette dépense est raisonnable dans les circonstances. C’est pourquoi M. Trueman disait que l’application d’un tel critère de raisonnabilité n’est pas nouvelle pour nous.

La sénatrice Marshall : Combien de personnes seraient affectées à l’application de ce critère de raisonnabilité? Est-ce que ce serait le cas de tous les vérificateurs?

M. Prud’homme : Eh bien, ces deux dispositions s’appliquent à la majorité des cas. Il y est question de la déduction des intérêts payés sur des emprunts utilisés pour tirer des revenus de placements ou d’entreprises, et cela renvoie à toute déduction réclamée par un contribuable aux termes de l’article 67, ce qui couvrirait la majorité des contribuables du Canada.

La sénatrice Marshall : Est-ce que la majorité de vos vérificateurs appliquent ce critère de raisonnabilité?

M. Prud’homme : Cela ferait partie du travail de vérification habituel.

La sénatrice Marshall : Comment gérez-vous cela? S’il y a 100 vérificateurs qui appliquent le critère de raisonnabilité, comment vérifiez-vous la constance? À quoi ressemblent le suivi ou les exigences redditionnelles à cet égard?

Disons que je suis une vérificatrice et qu’il y a beaucoup de litiges. Comment allez-vous les gérer et en faire le suivi?

M. Prud’homme : Je crois que vous vous souciez de l’uniformité. L’uniformité de l’application des dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu est très importante. Le fait que l’Agence du revenu du Canada fournisse une orientation tôt dans le processus contribuera assurément à faire en sorte que ces nouvelles règles soient appliquées de manière uniforme. Bien entendu, les vérifications proprement dites seront suivies pour veiller à ce que la constance soit au rendez-vous.

La sénatrice Marshall : Comment exercez-vous ce suivi pour assurer l’équité et la constance?

M. Trueman : Nos collègues de la direction de la conformité seraient mieux placés que nous pour répondre de façon spécifique à cette question. Je suis désolé qu’ils ne soient pas là aujourd’hui. Nous ne représentons que l’aspect technique de la fiscalité.

Dans notre subdivision de l’agence, nous sommes chargés d’administrer les forums nationaux sur le renforcement des capacités techniques. Nous donnons des instructions et des conseils clairs aux vérificateurs de l’ensemble de l’agence sur la façon d’interpréter certaines dispositions de la loi — les dispositions les plus complexes, la plupart du temps. Nous veillons en cela à ce que les vérificateurs travaillent à partir d’une base de connaissances cohérente apte à favoriser une compréhension uniforme.

Les vérificateurs doivent aussi être au fait de la jurisprudence dans le domaine qui les concerne. Ils peuvent en outre tabler sur l’expérience de travail qu’ils acquerront au fil des ans relativement à la fonction de la vérification.

La sénatrice Marshall : Certains témoins se sont dits préoccupés par l’équité du critère de raisonnabilité. J’aimerais savoir exactement ce que vous faites pour préserver cette équité à laquelle les gens s’attendent lorsque vous appliquez de nouvelles règles.

M. Trueman : Nous pouvons vous donner des détails sur le travail que nous faisons en matière de prestation de conseils et d’instructions. Si vous souhaitez obtenir plus d’informations sur le travail d’assurance qualité que nous effectuons au sein de l’agence, nous pouvons également vous fournir cette information.

La sénatrice Marshall : Existe-t-il déjà des politiques en la matière? Êtes-vous en train de dire qu’il y a des politiques pour les contribuables et des politiques pour les vérificateurs?

M. Trueman : Lorsque le ministère des Finances élabore des mesures législatives, nous travaillons avec lui pour fournir les conseils initiaux qui seront mis à la disposition des contribuables ou du milieu de la fiscalité. Ces conseils accompagneront la version provisoire des mesures afin que chacun puisse comprendre comment les nouvelles règles sont censées s’appliquer.

La sénatrice Marshall : Sauf que vous n’êtes pas encore rendu là.

M. Trueman : Non, pas présentement, car les propositions elles-mêmes sont toujours en voie d’élaboration au ministère des Finances.

Le sénateur Pratte : Presque tous les experts en fiscalité, les comptables agréés et autres techniciens fiscalistes qui ont témoigné ici nous ont dit que ce critère de raisonnabilité sera selon eux très difficile à gérer et à interpréter. Ils croient que cela donnera lieu à des années de litiges, et que l’Agence du revenu du Canada aura de la difficulté à travailler avec cette disposition qu’ils estiment tous très complexe.

Je ne suis pas calé en fiscalité. Je ne cherche pas à savoir pourquoi ils semblent penser cela, mais ayant travaillé avec le texte de loi provisoire tel qu’il était le 18 juillet, c’est ce qu’ils semblent croire.

Avez-vous quelque chose à nous dire à ce sujet? Y a-t-il des raisons de croire que ceci est plus compliqué que le critère de raisonnabilité avec lequel vous avez déjà travaillé?

M. Trueman : Nous apprécions les observations formulées par le milieu de la fiscalité et les petites entreprises. Ce que nous avons constaté du côté du ministère des Finances, c’est une volonté de prendre un peu de recul, d’examiner ces dispositions afin de voir comment elles pourraient être simplifiées et de veiller à ce que les personnes qui font des contributions significatives aux entreprises ne soient pas lésées par l’application de ces règles.

Cela dit, je tiens à donner suffisamment de temps à mes collègues du ministère des Finances pour qu’ils puissent peaufiner leurs propositions.

Pouvons-nous travailler avec le critère de raisonnabilité? Je pense que oui. Les conseils que nous donnerons seront très importants pour fixer les facteurs déterminants à cet égard. Comme nous l’avons dit, il existe déjà des critères de raisonnabilité. On trouve aussi un peu de flexibilité dans l’exemple cité tout à l’heure au sujet du coût des emprunts.

Une entreprise bien établie possédant un actif et un flux de trésorerie considérables peut s’adresser à une banque et obtenir un taux d’intérêt assez près du taux préférentiel. Une petite entreprise en démarrage qui n’a pas ces avantages se retrouvera à payer un taux beaucoup plus élevé. C’est de ce genre de choses que les vérificateurs tiennent compte. Ils reconnaissent ces différentes situations. Nous allons appliquer sensiblement la même approche pour la détermination et l’application des critères de raisonnabilité.

Le sénateur Pratte : Une chose nous a été signalée qui pourrait s’avérer plus complexe que d’autres. Le gouvernement a signalé que le critère de raisonnabilité allait reconnaître des contributions passées en matière de travail, de capital ou de risque.

Bien entendu, cela soulève la question à savoir si les petites entreprises ont gardé de la documentation sur des contributions datant d’il y a 10, 15 ou 20 ans, ne sachant pas que ces dispositions allaient être ajoutées à la Loi de l’impôt sur le revenu. Elles n’avaient aucune façon de savoir que cette documentation allait un jour être nécessaire.

Avez-vous la moindre idée sur ce qui arrivera à cet égard?

M. Trueman : Bien sûr. Aux termes de ce qui a été proposé en juillet, nous avons un test qui tient compte de quatre éléments clés, si je me souviens bien, dont les fonctions exercées, la contribution aux actifs, les risques assumés et la rémunération antérieure.

Par ailleurs, en situation de vérification, dans l’évaluation d’un facteur comme la rémunération antérieure, il sera important de reconnaître qu’il pourrait ne pas y avoir autant de livres et de registres disponibles au sujet de ce qui s’est passé il y a longtemps, et vous avez raison de le mentionner. C’est quelque chose dont le vérificateur devra tenir compte. Et il devra le faire de manière constructive.

M. Prud’homme : Encore une fois, le gouvernement a annoncé le 16 octobre qu’il s’efforcerait de réduire les exigences de conformité quant à l’établissement des diverses contributions des membres de la famille. Nous nous attendons à ce que ces changements facilitent l’administration et l’observation des règles proposées tant pour l’Agence du revenu du Canada que pour les contribuables.

Le sénateur Pratte : Et pour l’Agence du revenu du Canada.

La sénatrice Frum : Ma question concerne précisément ce que vous venez de dire, monsieur Prud’homme. Je voudrais avoir des précisions sur le fractionnement du revenu.

La semaine passée, nous avons entendu un témoin qui était propriétaire d’une petite entreprise manufacturière et qui était avocat-fiscaliste depuis 30 ans. Ce témoin s’appelle Robert Kepes, et j’aimerais vous lire un passage tiré de son témoignage:

Lors d’un audit de l’ARC ou d’un appel en matière d’impôt, c’est toujours le contribuable qui a le fardeau de la preuve. Le conjoint devra fournir deux preuves. Premièrement, sa contribution aux activités de l’entreprise et, deuxièmement, ce qu’une personne sans lien de dépendance lui aurait payé pour la même contribution. Il est difficile d’imaginer le type de preuve qui sera nécessaire pour convaincre un inspecteur de l’ARC du montant qu’une personne sans lien de dépendance aurait accepté de payer pour la contribution du conjoint ou de l’enfant d’âge adulte. Si l’inspecteur n’est pas convaincu, le seul recours possible est une procédure d’appel, longue et coûteuse. Ces règles vont multiplier les appels et les litiges en matière d’impôt.

Que pensez-vous de cela?

M. Prud’homme : La seule chose que je peux dire, encore une fois, c’est que l’ARC a l’habitude des critères de raisonnabilité, puisqu’elle les applique pour d’autres dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu.

L’autre chose qu’il convient de mentionner c’est que, bien sûr, le système fiscal canadien est un système d’auto-évaluation. Normalement, quand un contribuable choisit une situation sur le plan fiscal, il doit étayer cette situation, ce qui se fait essentiellement par la tenue de livres et de registres.

Cela dit, lorsqu’il est question de raisonnabilité, je crois qu’il y a différentes nuances. Nous avons dit plus tôt dans le processus que nous allions interpréter, appliquer et administrer ces règles de manière uniforme, équitable et mesurée, ce qui est conforme à l’intention et à la raison d’être de ces dispositions.

L’intention avouée de cette disposition est de mettre un terme au fractionnement du revenu. Il s’agit d’un jeu sur les taux, si je puis m’exprimer ainsi, où les revenus de dividendes d’une personne gagnant beaucoup sont transférés à une personne qui gagne moins. Je présume que ces propositions s’appliquent surtout à ces cas de figure.

La sénatrice Frum : Pouvons-nous convenir que ces mesures entraîneront une multiplication des vérifications et des recours en appel en matière d’impôt parce qu’elles complexifieront le système? Pouvez-vous nous dire si l’ARC est prête à faire face à la charge de travail accrue qui en découlera inévitablement, et si les Canadiens peuvent oui ou non s’attendre à ce que leurs appels soient entendus en temps opportun?

M. Trueman : Je dirai tout d’abord que cela ferait partie de la fonction régulière de la vérification de la conformité. Il n’y a aucune intention d’ajouter des vérifications ou d’en créer de nouvelles à cause de cela. Cela fera partie des pratiques qu’une petite entreprise devra observer en matière de conformité et que le vérificateur sera chargé d’administrer.

La sénatrice Frum : Si vous ajoutez des règles, il y aura plus d’appels. C’est inévitable.

M. Trueman : Il est question de critères de raisonnabilité. Parfois, lorsque de nouvelles règles sont ajoutées dans le système fiscal, il y a une certaine période d’adaptation. Il y a une période de transition initiale. Puis, la compréhension s’installe, et les professionnels de la fiscalité, les petites entreprises et les milieux de la vérification arrivent peu à peu à travailler en fonction des nouvelles règles et à dégager des résultats somme toute raisonnables.

J’espère que cela fera partie de la vérification, mais nous n’en ferons pas un objectif précis en soi.

Le sénateur Black : Je voudrais poursuivre sur la lancée de mes collègues. Permettez-moi tout d’abord de vous dire que j’apprécie votre caractère raisonnable et votre volonté manifeste à continuer de servir face à ce que j’appellerais une adversité bien concrète.

En guise de préambule, je dirai que chacun a droit à son opinion. Ce matin, nous avons reçu un expert-fiscaliste. Je présume du reste que vous avez dû voir la séance de la matinée. En gros, M. Éric Brassard, du Québec, a indiqué que la tâche qui incombera à votre organisation en ce qui a trait au revenu passif créera un niveau sans précédent de complexité. Il a même dit que cela allait être carrément ingérable. En ce qui concerne le fractionnement du revenu, le chercheur Jack Mintz a affirmé que la détermination d’un critère raisonnable de respect était selon lui impossible.

Maintenant, transposons cela à ce que vous avez répondu à mes distingués collègues qui cherchaient à comprendre comment vous allez mettre au point un critère de raisonnabilité qui tient la route. Vous avez dit que l’agence a de l’expérience avec ce type de critère. Vous avez de l’expérience avec — ce sont vos mots — les coûts d’emprunt. Qu’est-ce qu’un coût d’emprunt raisonnable? Lorsqu’il s’agit d’évaluer si une dépense est raisonnable, est-ce que mes frais de représentation d’avocat du centre-ville de Calgary sont raisonnables? Vous avez fixé des critères pour déterminer cela.

Je vous dirais que la détermination de la contribution d’un conjoint à une ferme familiale dans une région rurale de l’Alberta est très différente de la caractérisation des emprunts ou de la quantification des dépenses d’essence. Comment pouvez-vous penser être en mesure d’utiliser les protocoles existants pour quelque chose qui est si fondamental pour notre économie et si personnel pour les familles?

M. Trueman : Merci de cette question.

Tout d’abord, en ce qui concerne les observations de M. Brassard à l’égard du revenu passif, vous avez raison. Lorsqu’elle a été annoncée, en juillet, cette proposition n’était assortie d’aucune ébauche de mesure législative. Ce qui a été présenté lors de la plus récente annonce du ministre des Finances, c’est une proposition générale pour un certain niveau d’exemption ainsi que quelques autres modifications.

Nous n’avons pas encore d’ébauche de mesures législatives à cet égard. Je vais attendre de voir ce qui sera vraiment proposé avant de me prononcer. Je peux comprendre qu’il sera extrêmement compliqué de suivre les différents montants au fil du temps, à plus forte raison si des comptes séparés ont été créés. Je suis tout à fait conscient de ces problèmes de complexité.

En ce qui concerne le critère de raisonnabilité, je ne nie pas le fait que ce sera tout un défi. Vous avez raison. Bien sûr, mon exemple sur les emprunts est probablement l’un des plus simples que je pouvais choisir. Les situations les plus épineuses seront celles qui ont une forte composante en matière de travail, comme pour une ferme où différents membres de la famille auraient fait différentes contributions au fil du temps.

Vous avez raison. C’est un domaine qui va nous donner beaucoup de fil à retordre. Toutefois, j’ose espérer que nous allons être en mesure d’arriver à nos fins en examinant les opérations de la ferme au fil du temps, en examinant les rôles que les conjoints ou les enfants ont joués, et en établissant des rapprochements et des contrastes avec le travail accompli sur la ferme par les engagés afin de dégager un cadre de référence. Ce sera l’une des situations les plus difficiles à évaluer, mais nous avons bon espoir d’être en mesure de jeter les balises de la raisonnabilité dans ce secteur.

M. Prud’homme : Lorsque nous faisons allusion au document d’orientation que nous mettons au point, nous précisons que, selon les mesures proposées, les dividendes seront assujettis au taux d’imposition qui s’applique au revenu fractionné si ces dividendes dépassent, comme vous l’avez mentionné, ce qu’une société verserait à un actionnaire avec lequel elle n’a aucun lien de dépendance en tenant compte de quatre critères. Ces critères sont les fonctions exercées, la contribution apportée sous forme d’actifs, les risques courus et la rémunération antérieure.

Pour chacun de ces quatre critères, le document d’orientation présentera quelques facteurs qui peuvent être pris en considération afin de déterminer ces contributions. En ce qui concerne les fonctions exercées, nous tiendrons compte de la nature des tâches accomplies, du nombre d’heures requis pour accomplir ces tâches et du salaire concurrentiel versé pour la réalisation de ces tâches par des entreprises semblables. Nous examinerons également le niveau de scolarité, la formation et l’expérience du particulier, ainsi que ses connaissances, ses compétences ou son savoir-faire particulier. Voilà seulement quelques exemples des facteurs qui seront considérés.

Le sénateur Black : Avec tout le respect que je vous dois, vous n’avez pas d’idée à quel point ces considérations sembleraient ridicules à une famille qui gère une exploitation agricole ou une quincaillerie à Lethbridge, en Alberta. Ce que vous venez de décrire est complètement irréaliste. Voilà ce que nous reprochons à ces mesures.

Je respecte le fait que votre rôle consiste à vous mettre au garde-à-vous, à saluer et à servir. Je le comprends, mais ce que vous suggérez ne pourra jamais être exécuté d’une façon équitable. Nous allons en rester là, mais nos opinions diffèrent. Même si je respecte ce que vous avez dit, vous devez savoir que les choses ne fonctionnent pas ainsi dans la vraie vie.

La sénatrice Andreychuk : Je partage la passion du sénateur Black. Je viens de la Saskatchewan. Le sénateur Black a décrit les fermes et les petites entreprises d’une façon très éloquente. Il est impossible de mesurer une ferme d’une situation de crise à l’autre et la façon dont elle est exploitée. La question n’est pas de savoir ce qu’ils gèrent, mais comment ils gèrent leur famille et comment ils exercent leurs activités.

Le fait est que le gouvernement souhaite que les Canadiens fassent preuve d’innovation. Il veut que nous ayons des petites entreprises en démarrage. Je lis ces histoires, et je me demande comment ils ont eu l’idée de démarrer ces entreprises. Ils ont réussi grâce à l’ingéniosité qu’ils démontrent dans la gestion des crises quotidiennes.

Le caractère raisonnable n’est pas le critère à employer. Ces gens ne ressemblent pas à des avocats ou des comptables qui exercent une profession. Chaque exploitation agricole est différente. Je suppose qu’on pourrait dire la même chose de chaque cabinet d’avocats, mais ils ne sont pas vraiment différents parce qu’ils observent certaines règles. Vous dites que vous vérifierez le caractère raisonnable en établissant des comparaisons avec la main-d’œuvre embauchée, mais ce critère ne fonctionnera pas.

Lorsqu’un enfant tombe malade sur une ferme, quelqu’un doit passer deux heures à le conduire à l’hôpital le plus proche. Il faut donc que quelqu’un d’autre prenne la relève. C’est un système libre qui tente de se maintenir à flot. Allez-vous leur demander de tenir des registres et de justifier quotidiennement les situations de crise? Le caractère raisonnable dépend du point de vue où l’on se place. Est-ce un critère subjectif ou objectif? Je ne crois pas que vous serez en mesure de trouver un critère objectif.

Ne devriez-vous pas retourner voir le ministre, vos patrons ou les personnes, quelles qu’elles soient, auxquelles vous parlez et leur dire que ces mesures aggraveront le problème? Elles mineront l’esprit novateur de tous les Canadiens et des entreprises en démarrage ou non. Ne pensez-vous pas que nous pourrions nous débarrasser du critère de caractère raisonnable et atteindre cet objectif d’une autre façon plus efficace et économique?

Ce critère cause toujours des problèmes dans le domaine du droit pénal. Nous y travaillons depuis le début. Toutefois, il devient moins compliqué au fil des ans que la gestion d’une entreprise qui fluctue en fonction des normes internationales. Les agriculteurs doivent maintenant passer des appels pour tenter de vendre leur blé et leur canola à l’échelle internationale. Et pourquoi devront-ils tenir ces registres?

M. Trueman : En ce qui concerne, en particulier, les propositions liées aux dividendes et à la répartition du revenu, nous avons observé une volonté de réexaminer ces mesures. Nous avons constaté que la formulation employée par le ministre des Finances mettait l’accent sur la contribution significative apportée aux entreprises. Avant de trop nous avancer, il sera important de déterminer à quoi ressembleront les propositions révisées.

Je crois cependant que le critère de caractère raisonnable continuera de faire partie de l’administration de la Loi de l’impôt sur le revenu, mais je comprends certainement la source de vos réflexions.

La sénatrice Andreychuk : Je ne retirerais pas le critère de caractère raisonnable des autres parties de la loi, sauf dans le cas qui nous occupe. Compte tenu de la façon dont ces propositions sont structurées, sont-elles raisonnables pour les familles? Vous ne savez pas plus que nous à quoi ressemblera la loi. Nous avons une idée de ce qu’elle comprendra, mais vous êtes censés appliquer ces dispositions dans quelques semaines. Je dirais que ces attentes à votre égard ne sont pas très raisonnables.

M. Trueman : Nous travaillerons aussi rapidement que nous le pouvons.

[Français]

Le sénateur Forest : J’ai une question en deux volets. Le premier volet est de portée générale en ce qui a trait à ce qu’on vient de dire, à savoir que nous avons entendu de nombreux témoins compte tenu des propositions sur les modifications importantes des réformes de la fiscalité du ministre des Finances, qui tournent autour des quatre mêmes points : transfert intergénérationnel, fractionnement du revenu, critère de la raisonnabilité, revenus passifs et exemptions de gain de capital.

Les modifications apportées au cours des dernières semaines semblent atténuer quelque peu les inquiétudes. La grande question est de savoir comment l’Agence du revenu interprétera les règles d’application de ces mesures.

Au cours des prochaines semaines, le Comité des finances nationales du Sénat investira plus de 300 000 $ pour aller consulter les Canadiens d'est en ouest. Vous aurez l'occasion d'entendre ce que ces gens auront à dire. On a déjà entendu de nombreux citoyens dans le centre du Canada.

Si on avait, de votre part, les règles d’application, je pense qu’on pourrait faire un bien meilleur travail de consultation. Si on était capable de dire aux citoyens comment l’Agence du revenu compte mettre tout cela en application, nous pourrions faire un travail plus efficace.

La loi n’a pas encore été mise en œuvre. On comprend votre position, mais il n’en demeure pas moins que si on pouvait utiliser les fonds publics pour mener une consultation pertinente d’est en ouest et que, par la suite, les législateurs pouvaient apporter des modifications à partir des objectifs, cela serait plus conséquent.

C’est un peu un cri du cœur que je vous lance. Même s’il s’agit d’un projet de loi, « projet » en grosses lettres, il serait utile de pouvoir transmettre plus d’informations aux gens sur la façon d’appliquer les règles à la suite de l’interprétation des quatre grands critères, je pense que l’ensemble de l’institution canadienne serait gagnante, car il s’agirait d’une consultation réelle. On serait proactif et cela rendrait l’investissement beaucoup plus rentable.

C’était ma première question de portée plus générale. Voici maintenant ma deuxième question, qui est plus spécifique, et qui concerne les transferts intergénérationnels.

J’ai travaillé dans le domaine de l’administration publique d’une petite ville, d’un petit gouvernement local. Selon mon expérience, le grand critère qui doit nous guider, c’est l’équité. Il faut respecter les lois qui nous gouvernent et prendre des décisions équitables. Ce que je fais pour la sénatrice Moncion, je dois le faire pour le sénateur Pratte. Je n’arrive absolument pas à comprendre que dans le cas où je vends à un tiers, j’ai une exemption de gain en capital excessivement importante, et si je vends à ma famille, je n’ai pas cette exemption.

Au Québec, on a une loi qui protège les terres agricoles. On ne protège pas l’activité agricole. On protège les terres agricoles. Avant les modifications pour atténuer cette iniquité, les agriculteurs du Québec ne vendaient pas leur ferme à un tiers, ils le vendaient carrément à l’ encan. La machinerie, la terre, et cetera. Souvent, il s’agissait d’importantes entreprises dans les grands centres qui venaient acheter des terres chez nous pour réduire le taux de phosphore dans l’épandage de lisier. C’était carrément anti-développement. À l'heure actuelle, il y a un renouveau d’acquisition par les tiers.

Comment pouvons-nous accepter une iniquité aussi profonde entre vendre à un tiers et vendre à la famille. On parle d’une exemption fiscale très importante. Je n'arrive pas à comprendre cette position du gouvernement à perpétuer cette iniquité entre le cadre d’une transaction avec un tiers et le cadre d’une transaction avec la famille.

M. Prud’homme : C’est une excellente question, sénateur Forest. En ce qui a trait à votre première question, vous avez mentionné le transfert intergénérationnel. À l’article 84.1, à un moment donné, on proposait de le modifier. On proposait d’ajouter une nouvelle mesure anti-évitement spécifique générale, l'article 246.1, mais cela a été retiré. Cependant, on a annoncé des consultations en ce qui a trait au transfert intergénérationnel. Le ministère des Finances a indiqué sa volonté de consulter la communauté fiscale, les familles et les entrepreneurs pour aborder cette problématique qui existe depuis une trentaine d’années. Souvenez-vous, les règles que nous avons actuellement existent depuis 1985. Alors, ces différents choix fiscaux reposent sur des décisions de politique fiscale. Il s’agit de décisions qui appartiennent à nos collègues du ministère des Finances. À l'Agence du revenu du Canada, nous administrons cette loi de façon inchangée depuis 30 ans.

Par rapport au revenu passif, il n’y a pas de législation proposée à l’heure actuelle. En ce qui concerne le fractionnement du revenu, on a annoncé des modifications importantes afin de simplifier les propositions. Donc, l’Agence du revenu a joué un rôle en amont, mais c’est très difficile, voire impossible, d’émettre des lignes directrices dans l'immédiat, puisque la législation fiscale proposée est encore en train de se faire. Nous sommes en contact quotidiennement avec le ministère des Finances. C’est la façon dont nous avons abordé les changements importants annoncés en juillet.

En ce qui concerne les transferts intergénérationnels, vous avez abordé les différents traitements fiscaux qu'on obtient s'il y a une vente à un tiers par rapport à une vente à une société de portefeuille dans laquelle participe un enfant à titre d’actionnaire. Il y a des incidences fiscales qui découleront si l’exemption de gain en capital est réclamée ou non. Les membres du comité sont au courant de cela. Ce sont des décisions en matière de politique fiscale qui ont apporté ces différents traitements. Sur le plan de la politique fiscale, on a décidé qu’on ne pouvait pas utiliser l’exemption de gain en capital afin d’extraire les surplus d’une société dans un contexte où il y a un lien de dépendance. Cette règle fait partie de la loi depuis très longtemps. Le gouvernement a clairement indiqué, le 19 octobre dernier, qu’il allait mener des consultations sur cet élément-là, malgré le fait que les modifications à l’article 84.1 aient été mises de côté.

Le sénateur Forest : Entre vous et moi, pensez-vous que cette règle qui existe depuis 30 ans est équitable?

M. Prud’homme : Je n’ai pas à donner mon opinion personnelle. Mon rôle est d’appliquer la loi. Je vais laisser mes collègues du ministère des Finances le soin de réévaluer leurs choix fiscaux si le besoin s’en fait sentir.

Le sénateur Forest : On pourrait vous aider à réévaluer ces choix.

Le président : J’aimerais faire un lien avec les propos du sénateur Forest. Je vais prendre l’exemple que vous nous avez donné à propos de l’article 84.1. J’aimerais que vous nous donniez un exemple selon le scénario suivant : la vente est approximativement 900 000 $, moins d’un million de dollars. On vend les actions à une tierce personne, à une société, à un enfant. J’aimerais que vous transmettiez cet exemple à la greffière sans lui répondre tout de suite. Puis, dites-nous quel sera l’impact sur le prix de vente et sur le plan fiscal. Je vous laisse avec cela.

[Traduction]

Le sénateur Oh : Je vous remercie de votre présence.

Hier, à Casselman, en Ontario, j’ai assisté à une table ronde officieuse portant sur les modifications fiscales proposées, en compagnie de notre vice-présidente. L’un des participants m’a dit: « Je n’aimerais pas être l’agent de l’ARC qui dira à la femme d’un agriculteur que sa contribution n’est pas significative ». Je suis entièrement d’accord. En fait, je pense qu’en étant chargés de mettre en œuvre ces modifications boiteuses, nos agents se retrouveront dans une situation difficile.

La question que je vous adresse est la suivante : Comment vos agents diront-ils aux parents qui restent à la maison, par exemple, qu’ils n’apportent pas une contribution significative à la richesse collective de leur famille?

Personnellement, je trouve que cela envoie le mauvais message et rabaisse le sacrifice collectif et les risques associés aux entreprises familiales.

M. Trueman : Je mentionne encore une fois que nous chercherons à obtenir, en particulier auprès du ministère des Finances, une formulation qui clarifiera ce qu’on entend par contribution significative à l’entreprise familiale, laquelle prend en général la forme d’un travail dans l’entreprise.

Vous avez raison. Il n’est pas toujours facile d’appliquer le critère de caractère raisonnable, mais c’est un critère que nous devrons appliquer à l’avenir.

Le sénateur Oh : Des causes types ont-elles fait l’objet de litiges? Avez-vous un bilan des causes que vous avez gagnées?

M. Trueman : Voulez-vous dire en ce qui concerne l’application du critère de caractère raisonnable?

Le sénateur Oh : Oui.

M. Trueman : Et au chapitre de la gestion continue de son observation?

Le sénateur Oh : Oui.

M. Trueman : Comme cela a été mentionné, cela fait partie de la plupart des processus de vérification. Par exemple, la vérification du caractère raisonnable des salaires est une importante facette de ces processus. En ce moment, cela représente une partie du continuum de la vérification, et il est probable que ce sera également le cas à l’avenir dans le domaine des dividendes et de la répartition du revenu.

La sénatrice Marshall : Nous avons parlé surtout de la répartition du revenu, et nous n’avons pas vraiment abordé la question des revenus passifs, mais je souhaite encore vous poser une question à propos du fractionnement du revenu.

On nous a dit que le gouvernement s’attendait à ce que la proposition concernant la répartition du revenu lui permette de toucher des recettes de 250 millions de dollars par année. Est-ce que l’ARC a des objectifs en matière de perception de recettes? Vous subirez maintenant des pressions en ce qui concerne la perception de ces 250 millions de dollars.

M. Trueman : Cette estimation des recettes accompagnait assurément la proposition originale que le ministère des Finances nous a fait parvenir en juillet. Nous attendrons de voir la nature des propositions révisées. Je ne sais pas ce que le ministère des Finances fera de l’estimation des recettes qui accompagnait la proposition précédente. Je crois qu’elle pourrait bien faire l’objet de modifications.

La sénatrice Marshall : Je ne m’attends pas à ce que des modifications soient apportées, mais je vais passer à ma prochaine question.

Compte tenu de ces nouvelles modifications fiscales, est-ce que tous les gens feront l’objet d’une vérification après la première année? Comment mettrez-vous en œuvre ces modifications?

M. Trueman : Non, nous ne vérifierons pas les déclarations de revenus de tous les gens après la première année. Ce travail relève du programme de vérification des petites entreprises, mais son personnel ne mettra pas uniquement l’accent sur ces règles.

La sénatrice Marshall : Comment les contribuables sont-ils sélectionnés à des fins de vérification? Comment les contribuables assujettis à ces nouvelles règles seront-ils sélectionnés à des fins de vérification? Ensuite, pourriez-vous nous expliquer comment fonctionne le processus générique de sélection pour les vérifications?

M. Trueman : La Direction générale des programmes d’observation utilise plusieurs méthodes pour sélectionner les contribuables qui font l’objet d’une vérification. Elle pourrait avoir recours à un échantillonnage aléatoire des vérifications, ou elle pourrait, pour une année donnée, examiner certaines caractéristiques dans le cadre d’un programme de vérification. Toutefois, nous n’harmoniserons pas nos ressources avec ces nouvelles propositions afin de vérifier uniquement l’observation de ces nouvelles règles.

La sénatrice Marshall : Vous ne distinguerez pas chaque contribuable désormais assujetti à ces nouvelles règles, et vous ne le classerez pas dans une catégorie distincte en déclarant: « D’accord, vérifions les déclarations de revenus de 10 p. 100 des membres de cette catégorie »?

M. Trueman : Non.

La sénatrice Marshall : Vous ne ferez pas cela, d’accord.

Au début de la séance de cet après-midi, nous avons parlé du protocole et des règles au chapitre de la répartition du revenu, ainsi que de l’état d’avancement des politiques que vous élaborez. Où en est l’élaboration des politiques relatives aux revenus passifs? J’imagine que ce sera pour vous un domaine également compliqué à vérifier. Quelles mesures avez-vous prises dans ce domaine?

M. Trueman : À cet égard, nous attendrons vraiment de voir à quoi ressembleront les propositions législatives du ministère des Finances. En l’absence des modifications que le ministère propose d’apporter à la loi, nous ne pouvons pas élaborer un protocole de vérification ou une position à ce sujet.

L’ébauche du projet de loi n’a pas été publiée pour cette modification. Par conséquent, nous devrons attendre d’avoir vu ce à quoi elle ressemble.

La sénatrice Marshall : En ce qui concerne les revenus passifs et la répartition du revenu, aucun protocole n’a encore été élaboré. Vous ai-je bien compris?

M. Trueman : Nous n’avons certainement pas élaboré de protocole pour les revenus passifs puisque nous n’avons reçu aucune ébauche de projet de loi à ce sujet. En ce qui a trait aux dividendes et à la répartition du revenu, nous avons commencé à faire des plans en ce sens en étudiant les propositions dès qu’elles ont été annoncées en juillet. Toutefois, nous attendons maintenant de voir quelles modifications le ministère des Finances y a apportées après les avoir annoncées en octobre.

La sénatrice Marshall : Une fois que le ministère des Finances aura pris une décision définitive à cet égard, pourriez-vous vous engager à nous fournir une copie de ces protocoles, afin que nous puissions comprendre comment vous mettrez en œuvre ces nouveaux changements?

M. Trueman : Nous reconnaissons certainement l’importance de cet enjeu, et c’est le genre d’enjeux pour lesquels nous nous efforçons d’élaborer des documents d’orientation aussi rapidement que possible afin de donner aux gens une meilleure idée de la façon dont nous appliquerons ces mesures législatives. Nous serions certainement ravis d’avertir le comité aussitôt que ce document pourra être rendu public.

Le président : Merci, monsieur Trueman. Veuillez fournir ce document à la greffière.

[Français]

Le sénateur Forest : J’ai deux questions à poser. Je prends l’exemple du fractionnement du revenu. Vous avez la lourde tâche de définir les règles d’application qui permettent d’atteindre l’objectif. Est-ce que le critère de raisonnabilité vient du législateur lequel vous demande de vérifier ce critère? Vous devez vous assurer qu’il n’y aura pas de fractionnement du revenu, que cela doit être équitable et que cela atteint tel objectif. Êtes-vous chargé de définir des éléments d’analyse comme le critère de raisonnabilité? Je veux bien comprendre. Je suis tout nouveau ici et j’essaie de m’instruire.

M. Prud’homme : Merci, sénateur Forest, de votre question. Un des objectifs des lignes directrices sera de donner des exemples qui indiqueront aux contribuables la façon dont l’Agence du revenu entend interpréter ces nouvelles dispositions proposées. La mise au point de ces exemples se fait en collaboration avec nos collègues du ministère des Finances parce qu’on veut s’assurer de bien comprendre la politique fiscale qui sous-tend les nouvelles dispositions. Il faut comprendre aussi que les futures lignes directrices seront élaborées au fur et à mesure que l’Agence du revenu gagnera de l’expérience dans l’application des règles. On sait que sur le plan de la raisonnabilité, il y a un spectre. Il est donc probable qu’au début on fournira des exemples importants pour que les contribuables connaissent les règles fondamentales des nouvelles dispositions. Au fur et à mesure que ces règles seront appliquées et interprétées par l’agence, les collègues de la communauté fiscale et les tribunaux, il sera possible d'ajouter des exemples aux lignes directrices qui aideront l'agence à les observer et à les appliquer.

Le sénateur Forest : J’aimerais faire part d’un constat pour nourrir vos réflexions durant vos moments libres. Vous avez la lourde responsabilité d’appliquer la politique fiscale canadienne. Au fur et à mesure des témoins qu’on reçoit ici, à mon avis, il se dégage un consensus de plus en plus fort. Il serait temps de faire une analyse complète de la politique fiscale canadienne. Qu’en pensez-vous?

M. Trueman : Ce serait un bon travail pour nos collègues du ministère des Finances. En général, ils sont responsables de la politique fiscale.

Le sénateur Forest : Parce que vous devez l’appliquer. Est-ce pertinent pour vous dans le contexte de la mondialisation, de la démographie, d’une nouvelle économie où il y a de moins en moins de biens matériels — et plutôt de la propriété intellectuelle — de faire une révision en profondeur de la politique fiscale? Cela pourrait-il être un enjeu pour la société canadienne?

[Traduction]

M. Trueman : Je crois certes que l’un des enjeux les plus importants pour le Canada, c’est la compétitivité de son régime fiscal. Vous avez raison. Les gens formuleront toutes sortes d’observations et de critiques après avoir examiné la loi.

Vous pouvez constater que l’une des mesures que le gouvernement a annoncées récemment, c’est la réduction du taux d’imposition des petites entreprises, qui fait partie de l’ensemble des propositions rendues publiques en octobre. Par exemple, l’une des mesures permettra au Canada d’avoir le taux d’imposition des petites entreprises le plus faible du G7 lorsqu’elle aura été complètement mise en œuvre en 2018.

Il est probablement important de ne pas oublier certains des aspects fiscaux qui font également partie de l’ensemble des propositions.

Le président : Merci beaucoup.

Honorables sénateurs, à 15 h 30, demain nous recevrons l’honorable Bill Morneau, C.P., député et ministre des Finances, dans la même salle où nous nous trouvons en ce moment.

(La séance est levée.)

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