Aller au contenu
OLLO - Comité permanent

Langues officielles

 

LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES LANGUES OFFICIELLES

TÉMOIGNAGES


CHARLOTTETOWN, le vendredi 22 septembre 2017

Le Comité sénatorial permanent des langues officielles se réunit aujourd’hui, à 8 h 17, afin de poursuivre son étude sur la perspective des Canadiens au sujet d’une modernisation de la Loi sur les langues officielles.

La sénatrice Claudette Tardif (présidente) occupe le fauteuil.

[Français]

La présidente : Bonjour. Le Comité sénatorial permanent des langues officielles se réunit aujourd’hui à Charlottetown, à l’Île-du-Prince-Édouard, dans le cadre de son étude sur la modernisation de la Loi sur les langues officielles. Avant d’inviter les témoins à faire leur présentation, j’aimerais demander aux sénateurs de se présenter en commençant à ma gauche.

Le sénateur Maltais : Sénateur Ghislain Maltais, du Québec.

La sénatrice Poirier : Sénatrice Rose-May Poirier, du Nouveau-Brunswick. Bienvenue.

Le sénateur Cormier : Sénateur Cormier, du Nouveau-Brunswick. Bienvenue.

La sénatrice Gagné : Raymonde Gagné, du Manitoba.

La sénatrice Moncion : Lucie Moncion, de l’Ontario.

La sénatrice Mégie : Marie-Françoise Mégie, du Québec.

La présidente : Je m’appelle Claudette Tardif et j’ai le privilège de présider ce comité. Avant de commencer, j’aimerais demander le consentement des sénateurs s’il est convenu d’autoriser le personnel des communications du Sénat à prendre des photos pendant la séance, à filmer des extraits de la séance et à les diffuser. D’accord? Merci.

Nous accueillons ce matin M. Xavier Lord-Giroux, président par intérim, et Mme Véronique Mallet, directrice générale de la Société Nationale de l’Acadie, une fédération à but non lucratif qui regroupe également quatre associations de jeunes de l’Atlantique. La SNA regroupe également quatre associations jeunesse de l’Atlantique. Depuis 2005, la SNA agit comme organisme consultatif auprès de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF). Elle est également responsable de la tenue du Congrès mondial acadien dont la prochaine édition aura lieu en 2019. Merci d’être avec nous ce matin. La parole est à vous. Je vous demanderais d’être aussi bref que possible dans votre présentation afin de permettre aux sénateurs de poser des questions. Je demanderais également aux sénateurs d’être concis et précis dans leurs questions. Alors, à vous la parole.

Xavier Lord-Giroux, président par intérim, Société Nationale de l’Acadie : Mesdames, messieurs, membres du Comité sénatorial permanent des langues officielles, à titre de président par intérim de la Société Nationale de l’Acadie, organisme porte-parole du peuple acadien, figurant dans ses rangs des représentants du Comité acadien des francophones des provinces atlantiques, je tiens d’abord à vous remercier de l’invitation à comparaître devant votre comité afin de mûrir les réflexions pancanadiennes sur la modernisation de la Loi sur les langues officielles. Avant de m’aventurer plus loin, j’aimerais vous présenter Mme Véronique Mallet, qui est la directrice générale de notre organisme.

Véronique Mallet, directrice générale, Société Nationale de l’Acadie : Bonjour. Merci de l’invitation. Je suis heureuse d’être ici aujourd’hui. Je laisserai mon président faire une présentation initiale et j’interviendrai avec plaisir lors de la période des questions.

M. Lord-Giroux : Merci, Véronique. En cette première ronde de consultation portant sur la perspective de la jeunesse canadienne, la SNA apporte le point de vue d’un organisme et d’un peuple au sein desquels la jeunesse brille par son leadership, son engagement et sa créativité. La contribution des jeunes à notre rayonnement collectif, tant associatif que politique, social, économique, culturel, artistique et identitaire, dépasse largement le statut d’auxiliaire. Les jeunes dans tous les domaines représentent la force vive de l’Acadie contemporaine. On ne considère plus seulement la jeunesse comme garante de l’Acadie de demain, mais aussi et surtout comme un noyau de notre vitalité actuelle.

La jeunesse a à cœur la promotion des langues officielles, du bilinguisme et de la dualité linguistique canadienne puisque ce sont les fondements législatifs qui nous permettent d’œuvrer vers l’égalité et l’épanouissement des communautés de langues officielles. Plus encore, toutefois, du point de vue minoritaire, la jeunesse favorise l’attachement à sa langue maternelle ainsi que le respect et l’appréciation de la diversité linguistique. L’Acadie est riche en accents, d’une province à l’autre, d’une ville à l’autre ainsi que d’une région à l’autre. À l’opposé, des discours prescriptifs qui tendent à nourrir la hiérarchisation des accents et l’insécurité linguistique, la jeunesse actuelle «  right » favorise le rapport décomplexé à la langue et à l’identité, l’affirmation des différences et le partage des richesses culturelles et linguistiques. Si le gouvernement canadien veut contribuer à l’égalité réelle, à la construction identitaire et à l’élimination des facteurs d’insécurité linguistique en milieu minoritaire, il doit tout d’abord veiller au respect des principes de sa Loi sur les langues officielles et à une application rigoureuse de celle-ci.

Les jeunes Canadiens, dont les Acadiens, entretiennent tôt dans leur vie des contacts avec les institutions fédérales, que ce soit à titre de citoyens, de professionnels ou autre. Dans la fonction publique fédérale en particulier, mais aussi dans toute communication fédérale faite par l’État canadien, le français et l’anglais doivent être mis sur un pied d’égalité. Les droits de travailler dans la langue officielle de son choix et d’être servi dans la langue officielle de son choix lorsqu’on fait affaire avec le gouvernement et ses représentants doivent être pleinement assurés.

Les francophones vivant en situation minoritaire ne doivent pas se sentir comme un fardeau en exigeant le respect de droits aussi fondamentaux. Pire, les employés de la fonction publique ne doivent pas craindre pour leur sécurité d’emploi s’ils demandent une formation ou de la documentation dans leur langue française maternelle. Il faut ainsi améliorer non seulement les compétences bilingues des employés de la fonction publique, mais aussi la culture de travail et les représentations des fonctionnaires. En premier lieu, des cadres et des directeurs doivent montrer l’exemple à l’égard des droits linguistiques. Pour que l’égalité formelle se traduise en égalité réelle, le gouvernement doit prendre des mesures en amont. Voici quelques recommandations : tout d’abord, la loi doit être remise au goût du jour. Il importe désormais d’enchâsser les nouveaux moyens de communication qu’utilisent aujourd’hui le gouvernement et ses représentants dans la LLO. Par exemple, les médias sociaux sont de plus en plus utilisés par les Canadiens et, faut-il le rappeler, par les jeunes. Ils sont maintenant d’incontournables plateformes que le gouvernement utilise pour communiquer avec le public. Nous croyons donc qu’un changement est de mise.

Par ailleurs, nous avons constaté que l’octroi de services bilingues est obligatoire dans toutes les institutions provinciales au Nouveau-Brunswick tandis qu’il ne l’est pas à l’échelle fédérale. Ainsi, vous pouvez être dans un bureau de Postes Canada ou dans un poste au sein des services frontaliers de cette province officiellement bilingue et ne pas recevoir un service dans la langue officielle de votre choix puisque la région dans laquelle vous vous trouvez n’a pas une communauté de langue officielle minoritaire assez importante pour le justifier. Nous croyons donc nécessaire que la LLO canadienne respecte entièrement le caractère bilingue de la province du Nouveau-Brunswick et nous encourageons le gouvernement canadien à respecter l’asymétrie des membres de sa fédération. Nous encourageons également le gouvernement à reconnaître que sa population est de plus en plus mobile et que l’octroi de services bilingues dans ses institutions devrait être normalisé, et ce, à la grandeur du pays.

Ensuite, nous croyons que la connaissance des deux langues officielles est une compétence nécessaire pour occuper un poste dans la haute fonction publique, pour être nommé ambassadeur ou haut-commissaire et pour être juge à la Cour suprême du Canada. Nous reconnaissons qu’il existe actuellement de belles initiatives pour favoriser des candidatures bilingues à certains postes, mais c’est trop peu. La maîtrise des deux langues officielles pour un candidat doit être bien plus qu’un atout. Elle doit être nécessaire.

Enfin, pour que la LLO n’amasse pas trop de poussière, nous encourageons le gouvernement canadien à inscrire dans la loi qu’un exercice de révision doit être mené toutes les décennies. C’est une pratique que le gouvernement du Nouveau-Brunswick a adoptée et enchâssée dans sa loi, et qui lui permet de mieux s’adapter aux nouvelles réalités linguistiques qui émergent au fil des années. En complément de ces recommandations, il nous faut une application plus rigoureuse des obligations linguistiques du pays.

La Loi sur les langues officielles se distingue dans la mesure où elle semble être la seule qu’on puisse se permettre de ne pas respecter sans en subir de conséquences. Quand une loi n’est pas respectée, à grande échelle, cela alimente le ressentiment envers ladite loi, ses fondements et ses objectifs. Par extension, nous craignons que le non-respect généralisé de la Loi sur les langues officielles nourrisse des tensions, des représentations et des rapports malsains entre les individus et les communautés linguistiques au sein de l’État et de la société canadienne. À cet effet, la SNA recommande la mise sur pied d’un mécanisme de supervision et de sanctions plus rigoureux dans la fonction publique. Entre autres, le Commissariat aux langues officielles doit jouir d’un pouvoir réel et non seulement moral ou symbolique pour qu’il puisse affirmer concrètement la légitimité des obligations en matière de langue.

Hormis le renforcement des parties IV et V de la Loi sur les langues officielles, soit la langue de travail et la langue des communications et des prestations de service, aux yeux de la SNA, c’est la partie VII qui interpelle plus directement les jeunes. Il s’agit de la promotion du français et de l’anglais dont les articles 41 à 45 engagent le gouvernement fédéral non pas par des mesures négatives, mais positives à soutenir et à encourager l’épanouissement des communautés de langues officielles, particulièrement en milieu minoritaire. C’est dans la partie VII que les jeunes retrouvent l’appui d’Ottawa envers des mesures permettant de vivre pleinement, réellement sa culture et sa langue. Or, la partie VII de la Loi sur les langues officielles devrait être modifiée pour inciter l’engagement du gouvernement fédéral vis-à-vis certains secteurs clés de l’épanouissement des communautés linguistiques. La culture et la jeunesse, entre autres, devraient y être mentionnées explicitement. L’attachement à la langue et l’épanouissement des groupes linguistiques sont indissociables des notions d’identité, d’art et de culture. De fait, Patrimoine canadien est désigné comme responsable de la mise en œuvre de cette partie de la loi. Celle-ci devrait donc inciter clairement l’engagement du gouvernement envers la vitalité culturelle des communautés linguistiques, particulièrement en milieu minoritaire.

La langue est non seulement un outil de communication, mais aussi un véhicule de culture, d’art et d’identité. La langue se parle, mais surtout elle doit se vivre. C’est justement dans la perspective d’une langue vivante socialement et culturellement que la jeunesse trouve un terrain fertile à la construction identitaire, ce qui favorise l’épanouissement des communautés linguistiques, surtout en milieu minoritaire. La partie VII de la loi devrait donc inclure la promotion de la culture, mais du même coup, devrait promouvoir un engagement particulier envers les initiatives et les projets qui concernent la jeunesse.

En conclusion, la LLO doit s’adapter aux nouvelles réalités canadiennes et grandir sur les bases qui existent déjà afin de permettre à la jeunesse de s’épanouir pleinement en français au sein de nos communautés acadiennes en Atlantique ainsi qu’ailleurs au pays. La jeunesse canadienne est de plus en plus branchée, mobile et aventureuse, et convaincue de l’importance du bilinguisme comme valeur fondamentale pour découvrir le Canada. Ainsi, la modernisation de la Loi sur les langues officielles tiendrait compte d’éléments essentiels à l’épanouissement du peuple acadien et à la vitalité des minorités linguistiques canadiennes. Merci.

La présidente : Alors, nous allons passer aux questions des sénateurs. J’aimerais commencer avec la vice-présidente du comité, la sénatrice Poirier.

La sénatrice Poirier : Merci de votre présentation. J’espère que vous avez fait bonne route ce matin. J’ai juste quelques questions parce que je sais que bon nombre de mes collègues en ont probablement aussi. Premièrement, félicitations pour tout le beau travail que vous faites! C’est grandement apprécié. Les Acadiens sont certainement reconnaissants de tout ce que vous faites pour eux en matière de promotion pour s’assurer de l’accès aux services dans la langue de leur choix partout au Canada.

Hier, au cours des audiences, on a visité des écoles anglophones et francophones. On s’est entretenu avec des Acadiens et avec d’autres personnes qui étudiaient dans un programme d’immersion française. Je suis consciente que vous êtes une société acadienne, mais avez-vous des relations avec d’autres groupes francophones du Canada qui ne seraient pas nécessairement des Acadiens, mais peut-être des francophiles ou des anglophones qui étudient en immersion française? Y a-t-il un lien avec les autres organismes pour satisfaire avec plus de force notre besoin d’être respecté dans notre langue et d’être servi dans notre langue?

M. Lord-Giroux : Je peux d’abord vous répondre, puis Véronique poursuivra. Notre organisme est très dépendant du financement qu’il reçoit de Patrimoine canadien. Donc, on s’oriente selon la feuille de route des langues officielles. À l’heure actuelle, je ne crois pas qu’il y a beaucoup de financement accordé en faveur d’un rapprochement entre les organismes acadiens et francophones en milieu minoritaire et des organismes francophiles. C’est certainement une chose sur laquelle on pourrait travailler. Bon nombre de nos activités peuvent être bénéfiques à tous ceux qui parlent français dans la région de l’Atlantique indépendamment de leur attachement à l’Acadie.

Mme Mallet : La Société Nationale de l’Acadie est la porte-parole du peuple acadien. Selon notre vision de ce que représente le peuple acadien, c’est lui qui s’identifie au projet collectif acadien. On n’est pas là pour juger du « background » d’une personne, si elle s’exprime en français ou en anglais, si elle est née au Canada ou ailleurs. On est d’avis que ce n’est pas à nous de juger. On cherche à rassembler les forces vives de ceux qui ont envie de participer au projet collectif acadien.

D’une manière plus technique, la Société Nationale de l’Acadie démontre une certaine ouverture auprès de la majorité anglophone, particulièrement par le biais du Congrès mondial acadien, qui est une initiative portée par la Société Nationale de l’Acadie. On croit aussi qu’un grand rassemblement populaire se prête très bien à ce genre d’occasion. On voit les effets que cela a pu avoir en 1994 avec le premier Congrès mondial acadien où de nombreux Acadiens — des gens portant un nom acadien avaient perdu l’attachement à cette langue ou à cette culture au fil des années — se sont réveillés et se sont retrouvés dans un milieu acadien. L’initiative du Congrès mondial acadien est une occasion très importante de créer des liens avec la communauté.

La sénatrice Poirier : Merci. Je suis bien au courant. En 1994, je siégeais au conseil municipal de Saint-Louis. On était l’une des municipalités les plus impliquées dans le Congrès mondial acadien. Ma deuxième question — je sais que tu m’as dit quel était votre rôle – est la suivante : faites-vous des démarches pour encourager les gens à continuer de vivre leur culture, à ne pas la perdre? Parce qu’une bonne partie de notre population, qu’on le veuille ou non, surtout que notre province est petite, choisit d’aller étudier à l’extérieur et de vivre dans une région qui peut être plus anglophone que francophone. Faites-vous beaucoup de promotion pour encourager les gens à garder leur culture acadienne, mais aussi leur langue française?

M. Lord-Giroux : Je pense que c’est au centre de nos objectifs et, personnellement, c’est la raison pour laquelle je m’implique à la SNA. Je veux m’assurer que la population de l’Atlantique puisse garder le français, puisse vivre en français d’une manière tout à fait acceptable. Vous avez demandé si on fait des efforts pour garder l’identité acadienne ailleurs au pays. Oui, mais c’est sûr que nos moyens financiers et nos ressources humaines sont limités. Nos efforts se font principalement en Atlantique. C’est notre terrain de jeux principal, mais on a parfois la chance d’aller ailleurs au pays. On essaie de garder contact avec ceux et celles qui font partie de notre diaspora acadienne dans ces endroits-là.

La sénatrice Poirier : Peux-tu nous donner quelques exemples d’activités que vous faites en ce sens?

M. Lord-Giroux : Oui. Véronique, tu peux y aller.

Mme Mallet : Une grande partie de notre programmation est axée sur la jeunesse. Comme l’a mentionné la sénatrice Tardif, la moitié de nos membres sont des organismes jeunesse. Donc, nos activités sont surtout axées sur la jeunesse et sur l’importance de contribuer à la construction identitaire des jeunes. La Société Nationale de l’Acadie accueille annuellement le Festival jeunesse de l’Acadie. Ce festival rassemble des jeunes de l’Atlantique qui voyagent d’une province à l’autre. Nous avons aussi le Parlement jeunesse de l’Acadie, qui est une activité bisannuelle où les participants voyagent d’une province à l’autre. On organise aussi un événement jeunesse en marge de chacune des éditions du Congrès mondial acadien. Bon nombre de nos activités sont réalisées en lien avec la préservation de la langue et de la culture. On se concentre beaucoup sur le volet jeunesse dans une optique de construction identitaire auprès des jeunes.

La sénatrice Poirier : Parfait. Merci de vos recommandations.

La sénatrice Moncion : Bonjour. Merci de votre témoignage. Vous avez parlé de la communication et de la mise à jour par rapport aux médias sociaux. Vous avez parlé du poids des minorités et de l’accès aux services. Vous nous avez parlé aussi de la maîtrise des langues officielles par les juges et les hauts-fonctionnaires. Vous avez parlé aussi de la révision aux 10 ans et des sanctions qui devraient faire partie de cette loi. Vous avez parlé en outre des articles spécifiques qui devraient faire l’objet d’une révision. La partie qui m’intéresse particulièrement concerne les sanctions parce que la question nous a déjà été posée dans d’autres rencontres, à savoir quelles sont les sanctions à l’intérieur de la Loi sur les langues officielles, alors qu’il n’y en a pas. Jusqu’à maintenant, je crois qu’on a toujours utilisé la Loi sur les langues officielles pour faire de la persuasion morale où les gens, les organismes utilisaient la loi pour offrir une partie des services. J’ai une question à propos des sanctions, du type de sanctions que la loi devrait contenir. Ma deuxième question concerne les conséquences. Si on mettait en place une série de sanctions à l’intérieur de la loi, quelles en seraient les conséquences par rapport aux langues officielles?

M. Lord-Giroux : Merci. J’aime bien la formule que vous utilisez de persuasion morale pour qualifier la loi actuelle. Comme on l’a mentionné dans notre exposé, c’est comme si on peut se permettre de ne pas respecter constamment la Loi sur les langues officielles et, justement, un incident s’est produit récemment pour illustrer mes propos. Véronique, je pense que tu sais de quoi je parle?

Mme Mallet : On a reçu un courriel récemment alors qu’on cherchait à rouvrir le processus de recrutement d’un nouveau ou d’une nouvelle commissaire aux langues officielles. Le courriel de la firme d’une tierce partie était seulement en anglais. On s’est dit que si la firme qui devait mener cette initiative de recrutement pour le poste de Commissaire aux langues officielles n’était pas consciente du contenu et de l’application de la Loi sur les langues officielles comme tierce partie, qu’en est-il de cette loi? Le manque de pouvoir et de sanctions dans la loi fait que, collectivement, les institutions qui choisissent de ne pas la respecter lui font un pied de nez collectif et on le voit régulièrement.

La sénatrice Moncion : Quelles sont les sanctions qu’on devrait retrouver dans la Loi sur les langues officielles? Comme je vous le disais, on a toujours parlé de persuasion morale. On se retrouve constamment devant des situations comme celles-là, que ce soit dans les avions ou dans les bureaux, et cetera. Quelles devraient être ces sanctions?

Mme Mallet : Je pense qu’il est temps d’imposer des sanctions sévères. On pourrait mettre en place un système d’amendes auprès des agences et des ministères qui pénaliserait les organismes qui enfreignent la loi au niveau du financement, ce qui les inciterait à respecter la loi. C’est quand même le gouvernement qui applique la loi. Il faut des mécanismes internes pour créer un système de sanctions. À l’heure actuelle, le seul dispositif de sanctions qui existe, c’est le nom d’une agence ou d’un ministère qui figure dans un rapport. C’est une honte parce que la loi n’est pas respectée et il n’y a pas de sanctions. Cet exercice de rapport annuel est complètement mis sous le tapis. On pourrait donc mettre en place un système de sanctions sous forme d’amendes.

La sénatrice Gagné : Merci beaucoup. J’ai beaucoup aimé votre témoignage. Votre mémoire nous a fourni de belles pistes de solutions et de réflexion. Vous représentez quand même à 50 p. 100 quatre conseils jeunesse : la Nouvelle-Écosse, le Nouveau-Brunswick, l’Île-du-Prince-Édouard et Terre-Neuve-et-Labrador. Vous avez des membres associés qui se retrouvent un peu partout au Canada et à l’échelle internationale. Il est intéressant de voir les Acadiens se retrouver un peu partout au Canada et aussi ailleurs dans le monde. Les jeunes quittent leur région et leur province pour aller s’établir ailleurs. À un moment ou l’autre, c’est une question de poids démographique. Je crois que lorsqu’on compare les différentes provinces, on se rend compte de la spécificité de chaque région et elle est très différente d’une région à l’autre. Alors, comment fait-on pour contrebalancer cet exode et la perte d’une francophonie active et engagée dans d’autres régions du Canada où ailleurs dans le monde? Comment fait-on pour redynamiser avec d’autres personnes des communautés qui sont en perte?

M. Lord-Giroux : Dans le cadre de la Loi sur les langues officielles, j’ai l’impression qu’il serait difficile de mettre en place des mesures qui permettraient de contrer l’exode des régions vers les grands centres urbains du pays, mais si je pousse la réflexion plus loin, peut-être que le fait d’encourager l’apprentissage du français comme langue seconde par les anglophones permettrait, malgré cet exode, d’augmenter les chiffres, d’augmenter la proportion de gens qui peuvent s’exprimer en français, avec l’exogamie. Il faut encourager les familles exogames et les nouveaux arrivants allophones à inscrire leurs enfants dans des écoles françaises. Je pense que ce sont des mesures qui peuvent être prises pour redynamiser un peu la vitalité linguistique des diverses provinces et rallier leurs communautés de langue officielle minoritaire.

La sénatrice Gagné : Le secteur de l’immigration devrait-il faire partie des mesures à privilégier?

Mme Mallet : Je voulais justement aborder la question de l’immigration, qui, dans le cadre de la loi, tombe sous la partie VII en ce qui concerne la promotion. Qu’il s’agisse de la promotion de nos communautés à l’extérieur — je pense que le gouvernement canadien a une responsabilité pour ce qui est de la partie VII —, il faut aussi encourager l’établissement des nouveaux arrivants dans nos communautés. Faudrait-il créer des mécanismes dans la loi pour qu’un certain nombre d’immigrants viennent s’installer dans notre communauté? Je ne suis pas prête à m’avancer sur cette question. Je pense qu’on n’a pas assez poussé la réflexion en ce sens. Je suis pleinement consciente que le gouvernement a une responsabilité en lien avec la partie VII en ce qui a trait à la promotion et à nos communautés. Les gens qui ont un intérêt pour notre région doivent savoir qu’on existe et qu’on les encourage fortement à venir s’installer chez nous. Il serait intéressant de voir si on peut instaurer des mesures incitatives positives pour eux.

Je veux faire un autre lien avec votre question en ce qui a trait au déplacement des jeunes. Il ne faut pas oublier que nous avons trois grands pôles d’attraction pour nos Acadiens qui se déplacent à l’intérieur du Canada. La région de Montréal attire énormément notre communauté artistique et culturelle. Les régions d’Ottawa et de Gatineau attirent beaucoup de nos jeunes penseurs, de nos jeunes intellectuels dans la fonction publique. Malgré le ralentissement en Alberta, entre autres à Fort McMurray, bon nombre de nos travailleurs se sont installés dans cette province et y demeurent toujours.

Dans le cadre de la loi, la capacité de travailler en français dans la région de la capitale nationale demeure très importante pour nous parce que c’est un pôle d’attraction important pour nos jeunes qui se déplacent et qui font carrière dans cette région. La possibilité de travailler dans leur langue maternelle est très importante. Cela a un effet direct sur la préservation de leur langue maternelle et de leur culture qu’ils choisiront par la suite de transmettre à leurs enfants. Selon nous, il y a un lien direct à faire avec cette question-là et dans la loi comme telle.

La sénatrice Gagné : En plus de l’immigration dont on a discuté, je constate l’exode des jeunes, et ce qui les attire, c’est de se trouver un emploi ailleurs. S’agit-il d’un manque du point de vue des occasions de travail pour les jeunes dans la région de l’Atlantique? Faudrait-il mettre en place des mesures en matière de développement économique?

M. Lord-Giroux : Oui, mais je vous avoue que ça dépasse mes compétences. Oui, il faudrait que le gouvernement fédéral et les provinces prennent des mesures pour assurer un maintien de notre jeunesse chez nous.

Mme Mallet : J’aimerais ajouter, en lien avec la partie VII, que le gouvernement fédéral a une responsabilité en matière de promotion des communautés. Le gouvernement fédéral a une responsabilité morale d’assurer la survie et le bien-être de nos communautés, et cela passe aussi par le développement économique. Nous centrons nos efforts sur la jeunesse et la culture qui selon nous devraient être explicites, mais, selon moi, la question de l’économie devrait aussi être en lien avec la partie VII. Cela dépasse notre champ d’expertise, mais je pense que le lien se fait très bien.

La sénatrice Mégie : Merci de votre présentation. Je voulais donner suite à l’intervention de la sénatrice Moncion. Vous lui avez donné l’exemple d’une firme privée qui vous a envoyé une proposition en anglais. Qu’en est-il des sites gouvernementaux à différents paliers? J’entends parfois des gens qui se plaignent de la qualité ou de l’absence du français sur les sites gouvernementaux. Avez-vous déjà vécu une expérience comme celle-là?

Mme Mallet : Je pourrais vous donner des exemples presque tous les jours de ce genre d’erreurs. Je vous donne un exemple très concret. L’été dernier, j’ai déposé une demande de financement dans le cadre du programme Jeunesse Canada au travail, qui est administré par le ministère du Patrimoine canadien. Ce ministère est aussi responsable de l’application de la loi. Le lien est quand même très direct. Le nouveau système a été mis en place assez rapidement, et j’en étais consciente, parce que le ministère voulait vraiment que la mise en œuvre concorde avec la nouvelle période de demande de financements. L’interface était en français, mais dès qu’on cliquait sur un lien qui nous menait vers une autre page dans le site, le contenu n’était pas traduit. Donc, tout était en anglais. Dans nos rangs, on le dit souvent : on voit et on sent que le gouvernement fédéral fonctionne en anglais. On ne sent pas que le gouvernement fédéral fonctionne en français. On sait que des documents sont traduits par le biais de son service de traduction, mais on ne sent pas que la pensée derrière a été faite en français. Je peux vous donner des exemples comme celui-là tous les jours.

M. Lord-Giroux : Si je peux donner un coup de pouce à ce sujet, nous, on a un travail important à faire, alors on n’a pas le temps de s’attarder à des problèmes comme ceux-là qui apparaissent assez régulièrement. On a d’autres choses à faire, on a des choses plus importantes à accomplir que ça.

Mme Mallet : J’aimerais ajouter un autre commentaire en lien direct avec la question des sanctions. Il revient toujours au citoyen de faire des plaintes pour montrer que la loi n’est pas respectée. Dans une communauté comme la nôtre où deux tiers des francophones au Nouveau-Brunswick ne détiennent pas les niveaux d’alphabétisation requis pour fonctionner dans la société d’aujourd’hui, il revient à cette population de déposer des plaintes lorsque la loi n’est pas respectée. Il est aberrant que ce poids-là retombe sur le citoyen, particulièrement lorsqu’on est conscient que nos communautés font face à d’énormes problèmes économiques et d’alphabétisation. Donc, selon moi, il est insensé que ce poids-là retombe sur nos communautés.

La sénatrice Mégie : Il faudra réfléchir à cette question parce qu’on ne peut pas être juge et partie puisqu’on doit sanctionner. On devra poursuivre la réflexion là-dessus.

Le sénateur Maltais : Merci de votre témoignage. Avant de poser ma question, je vous demande de ne plus jamais parler devant moi du français langue seconde. J’ai commencé la guerre en Colombie-Britannique et je vais la finir je ne sais où. Il n’y a pas de langue seconde au Canada. N’employez plus ce terme-là. C’est une langue officielle, l’une ou l’autre. Cela dit, les Acadiens, le peuple acadien. J’aime employer le mot « peuple ».

Mme Mallet : Avec raison.

Le sénateur Maltais : Avec raison. On parle du peuple autochtone, qui était là avant nous, mais vous étiez là avant la majorité de la population du Canada. On devrait donc vous reconnaître comme tels.

M. Lord-Giroux : Dites-le à la CBC.

Le sénateur Maltais : Pardon?

M. Lord-Giroux : Vous pourrez le dire à la CBC.

Le sénateur Maltais : Je l’ai déjà dit. J’ai dit à la CBC qu’elle n’avait pas lu l’histoire du Canada des niveaux de la maternelle et de la 1re année. J’attends toujours le rapport du coût des acteurs et de l’historien qui a fait ça. À partir du moment où vous êtes un peuple, et ce n’est pas facile de se faire reconnaître comme un peuple. Cela a pris 400 ans pour les Québécois, à peine quelques années, mais ne lâchez pas.

Je viens de la Côte-Nord du Québec. J’ai siégé comme député provincial et je m’occupais de divers villages acadiens. J’en parlais avec René. J’ai même connu ses oncles et sa parenté parce que ce sont des Acadiens qui ont peuplé… Quand ils ont quitté l’Acadie après la déportation, ils se sont répartis un peu partout. Je me posais la question : avez-vous fait un inventaire de tous les Acadiens, soit dans les provinces maritimes, au Québec, en Ontario ou dans l’Ouest? On parle des Cajuns aux États-Unis qui sont effectivement des Acadiens. Y a-t-il un inventaire de ces Acadiens?

M. Lord-Giroux : Il y a des cartes qui existent où on a identifié les régions où les Acadiens se sont installés après le Grand Dérangement. À ma connaissance, cela n’a pas été fait récemment. Il est possible que des choses aient changé depuis. Bon nombre d’Acadiens aujourd’hui sont de plus en plus mobiles de par le monde. Certains diront que l’Acadie n’a pas de frontières parce qu’on vient d’un peu partout. Oui, quelques cartes existent avec des régions historiques acadiennes en dehors de l’Atlantique.

Mme Mallet : J’aimerais ajouter un commentaire. Au sein même de la Société Nationale de l’Acadie, on a un « membership » associé qui rassemble des membres de partout dans cette diaspora acadienne. On a des membres qui viennent de la COAQ, la Coalition des organisations acadiennes du Québec, qui sont quand même importants pour nous. On a un membre dans la région de la capitale nationale et dans la région de Fort McMurray, ainsi qu’un membre associé dans les Îles-de-la-Madeleine. On a des membres associés de la Louisiane. Malgré le fait que les provinces de l’Atlantique représentent notre « membership » direct, on a un « membership » associé. Ces gens-là ont une grande influence sur la Société Nationale de l’Acadie.

Le sénateur Maltais : Il y a une chose que je ne comprends pas. Le Nouveau-Brunswick est une province officiellement bilingue. Dans certains secteurs, il est possible d’être servi en français, ne serait-ce que pour l’envoi d’une lettre ou l’achat d’un timbre. Comment le gouvernement provincial peut-il apporter un soutien à cela? Parce que c’est lui qui a créé la loi sur le bilinguisme dans sa province. En fait, tu es bilingue ou tu ne l’es pas. Tu es bilingue partout, pas juste en avant-midi. Si tu es bilingue en avant-midi et unilingue en après-midi, ça ne marche pas. Il y a un « contraste » qui va à l’encontre de la loi, de la Charte des droits et libertés et de Patrimoine canadien. Il y a une jonction qui ne se fait pas quelque part lorsqu’il s’agit des droits autorisant les citoyens à s’exprimer dans la langue de leur choix.

M. Lord-Giroux : Oui. Lorsque vous parlez de contraste, vous voulez dire entre la loi provinciale du Nouveau-Brunswick et celle du gouvernement fédéral?

Le sénateur Maltais : C’est exact.

M. Lord-Giroux : La loi fédérale fait de bonnes choses et la loi provinciale du Nouveau-Brunswick aurait intérêt aussi à le faire. Je demeure à Fredericton et on a, je crois, cinq bureaux de poste dont un seul est désigné bilingue. Lorsque je veux aller chercher mon courrier, c’est à un bureau de poste qui n’est pas désigné bilingue. Je ne peux pas être servi dans la langue mon choix.

Le sénateur Maltais : Tu ne peux pas avoir ton courrier.

M. Lord-Giroux : Je peux avoir mon courrier si je parle en anglais. Par contre, dans certaines institutions provinciales comme Alcool NB, les hôpitaux, les centres de santé, et cetera, on peut être servi, en principe, dans les deux langues. Donc, on constate cette différence-là. Le Commissariat aux langues officielles m’a déjà répondu qu’on est dans une fédération et que la loi ne peut pas s’appliquer de la même façon partout. Pourtant, au Nouveau-Brunswick, le gouvernement fédéral en fait moins pour ce qui est de l’octroi des services en français. C’est ce qu’on a constaté.

La présidente : Je m’excuse. Le temps avance.

M. Lord-Giroux : Oui, allez-y.

La présidente : J’aimerais donner la chance aussi au sénateur Cormier de poser une question. Il nous reste environ sept minutes.

Le sénateur Cormier : Merci beaucoup. Vous comprendrez que je me suis abstenu de poser les premières questions. Les gens sont au courant. J’ai un lien avec la Société Nationale de l’Acadie. Je vous remercie beaucoup de votre témoignage. Je trouve que vous avez su faire les liens directs avec la Loi sur les langues officielles et situer à l’intérieur même de la loi comment on devrait transformer cette loi. Vous avez parlé d’asymétrie, puis c’est là-dessus que j’aimerais vous entendre davantage, sachant que l’Acadie dans son organisation territoriale est très, très asymétrique d’une province à l’autre. Vous avez beaucoup parlé du Nouveau-Brunswick. Quelle serait, à votre avis, dans le contexte de la loi et de la révision de la Loi sur les langues officielles, la manière dont on devrait tenir compte de cette asymétrie-là? Comment cela pourrait-il être pris en compte étant donné que les réalités sont fort différentes en Nouvelle-Écosse, à l’Île-du-Prince-Édouard et à Terre-Neuve-et-Labrador, par exemple? Il faut aussi prendre conscience que la responsabilité de la mise en œuvre de la Loi des langues officielles, ce n’est pas uniquement la responsabilité de Patrimoine canadien, mais de l’ensemble des ministères. Sur cette question d’asymétrie, si vous avez des idées plus spécifiques à nous transmettre, on l’apprécierait beaucoup.

M. Lord-Giroux : Absolument. On a beaucoup parlé du Nouveau-Brunswick parce que c’est une province qui a quand même de bonnes lois, mais toujours dans l’esprit de vouloir les répandre un peu plus à l’échelle du pays. Pour ce qui est de l’asymétrie dans les autres provinces, ce qu’on constate en Acadie, c’est qu’ici, il existe des régions qui sont homogènes francophones, où les francophones sont majoritaires. Donc, on peut parler, ici à l’Île-du-Prince-Édouard, par exemple, de la région Évangéline qui, à une certaine époque, avait la seule école de langue française dans toute la province. Si le gouvernement cherche à développer une approche asymétrique, ce serait de reconnaître qu’en Atlantique, il existe des régions majoritairement francophones, et qu’il y a une espèce de « double standard » où, pour l’octroi de services en français, par exemple, on doit atteindre un seuil de 5 p. 100 de la population. D’un autre côté, quand on est majoritaire, le français se retrouve en deuxième plan sur l’affichage. Le français n’est probablement pas la langue de travail non plus dans ces régions, dans ces institutions fédérales qui sont implantées dans les régions homogènes francophones. Donc, c’est un « double standard » qui mérite d’être corrigé avec une approche asymétrique.

Mme Mallet : Là-dessus, j’ajouterais encore l’importance de la partie VII où on parle de promotion, mais il y a aussi tout l’aspect de la consultation qui est derrière la partie VII. Selon moi, l’esprit derrière la partie VII est que le gouvernement a un devoir de bien comprendre et de bien écouter nos communautés. Pour être capable d’appliquer la loi de façon asymétrique selon les besoins des communautés, il faut bien les comprendre. Il faut bien les saisir. Donc, selon moi, la question de l’asymétrie repose sur la partie VII de la loi et dans l’importance de bien connaître les communautés. L’idée de l’asymétrie consiste à répondre aux besoins qui sont différents sur le terrain. On ne peut pas répondre aux besoins si on n’écoute pas ce que les communautés ont à nous dire. À mon avis, la partie VII est très importante.

M. Lord-Giroux : Si je peux me permettre d’ajouter un commentaire, il était question dans notre présentation de la révision de la Loi sur les langues officielles tous les 10 ans. Cela permettrait justement de peaufiner cette approche asymétrique.

Le sénateur Cormier : Merci.

La présidente : Sénatrice Gagné, veuillez être brève.

La sénatrice Gagné : Cela revient un peu à tout ce qu’on a dit sur la question de la demande importante et la façon dont on la détermine. Il reste quand même qu’on a une Loi sur les langues officielles, puis après ça on a un règlement qui vient limiter la portée de la loi. Alors, dans les règlements, quand on fait nos calculs au niveau de la demande importante, c’est 5 p. 100. Or, 5 p. 100 dans la région Évangéline, ce n’est pas un problème, mais 5 p. 100 à Charlottetown, où on aurait autant de francophones, mais où la proportion serait de moins de 5 p. 100, ça pourrait faire perdre la désignation des bureaux bilingues. Devrait-on modifier la loi afin de changer le règlement pour nous permettre de respecter la Loi sur les langues officielles du point de vue de l’offre? Avez-vous mentionné aussi, monsieur Lord-Giroux, que la loi devrait être renforcée pour assurer la qualité égale des services offerts au public? Comment pourrait-on ajuster tout cela?

M. Lord-Giroux : Comme je l’ai mentionné dans mon exposé, les Canadiens sont de plus en plus mobiles et la loi en tient peu compte. Donc, on souhaiterait une application globale de la Loi sur les langues officielles indépendamment des 5 p. 100, des proportions, des pourcentages, et reconnaître que, fondamentalement, le Canada est un pays bilingue et qu’il y a des francophones et des anglophones partout à travers le pays qui ont le droit de recevoir des services en français. J’ai aussi l’impression que depuis l’époque où la loi a été rédigée, il y a quand même de plus en plus de gens qui sont capables d’œuvrer dans les deux langues officielles et de travailler.

La sénatrice Gagné : Y aurait-il d’autres critères qui pourraient être pris en compte pour déterminer la demande importante? Vous avez mentionné le fait d’élargir la définition d’un francophone.

M. Lord-Giroux : Oui.

La sénatrice Gagné : Y aurait-il autre chose?

M. Lord-Giroux : Oui. L’identification d’un francophone comporte son lot de défauts. On aimerait voir une identification plus généreuse à l’égard d’un francophone. J’ai parlé d’exogamie tout à l’heure. C’est de plus en plus difficile pour la jeunesse issue de l’exogamie de s’identifier à l’un ou l’autre. Souvent, dans un contexte minoritaire, c’est fort possible qu’on s’identifie à la majorité. Donc, on souhaiterait, par exemple, que Statistique Canada en tienne compte. J’ai de la difficulté à m’exprimer. Peux-tu leur montrer?

Mme Mallet : Comme Xavier l’a mentionné, la question de la mobilité n’est pas prise en compte dans la loi parce qu’elle n’a pas fait l’objet d’une révision en profondeur depuis sa création. Aujourd’hui, beaucoup de gens qui travaillent à Charlottetown habitent dans la région Évangéline. Donc, si ces bureaux-là étaient dans la région Évangéline, ils auraient une certaine désignation. Parce que les bureaux sont à Charlottetown, ces bureaux-là ont une désignation différente. Selon moi, il est important de revoir la loi afin d’éviter qu’on se retrouve 40 ans ou 50 ans plus tard avec des règlements qui ne tiennent pas compte de la nouvelle réalité.

M. Lord-Giroux : Oui.

Mme Mallet : À mon avis, c’est un excellent exemple. Sachant que nos communautés acadiennes s’urbanisent de plus en plus, il reste qu’il y a des gens en région rurale qui doivent se déplacer pour aller travailler. En se déplaçant, c’est comme s’ils traversent une espèce de frontière invisible. En quittant leur région rurale et majoritairement francophone pour aller travailler, ces gens tombent tout d’un coup dans le vide, dans le gouffre d’une communauté qui est majoritairement anglophone. Je trouve que la loi actuelle ne tient pas compte de cela.

M. Lord-Giroux : Oui. En fait, l’identification francophone représente un fardeau que l’on porte et qu’on aimerait bien alléger, afin d’être plus généreux, et d’identifier quelle est la proportion des gens qui parlent le français dans une région. Je vous donne l’exemple de l’OIF qui ne tient pas compte nécessairement des interlocuteurs de langue maternelle française pour déterminer la proportion de gens qui parlent français, mais qui vote plutôt selon ceux qui peuvent parler français, indépendamment de fait que ce soit la langue maternelle, secondaire — je m’excuse de vous décevoir — ou tertiaire ou peu importe. Donc, il s’agirait d’adopter une approche plus généreuse pour cerner les besoins des francophones dans les différentes régions.

La sénatrice Gagné : Est-ce que je peux ajouter un commentaire? Pardon.

M. Lord-Giroux : Oui, oui. Allez-y.

La sénatrice Gagné : Je retiens une chose. J’ai trouvé cela quand même frappant, mais j’y crois. L’identité est un fardeau qu’on porte, et c’est triste.

M. Lord-Giroux : Oui, d’avoir toujours l’inquiétude, même lorsque cela est acquis, même quand c’est un droit, de ne pas pouvoir être servi dans sa langue et d’avoir à porter ce fardeau. C’est tellement plus facile de se tourner vers la langue de la majorité. C’est la raison pour laquelle on met l’accent sur les mesures prises en amont et dynamiques. Merci.

La présidente : Merci, monsieur. Je m’excuse. Notre temps est limité. Nous avons une journée très chargée aujourd’hui avec de nombreux témoins. Je vous remercie de votre présentation. Vous avez suscité beaucoup de questions, beaucoup de réflexions de la part de notre comité. Vous êtes d’excellents porte-parole pour le peuple acadien. Nous vous remercions pour tout votre travail, et votre présentation nous permet de bien réfléchir à toutes ces questions. C’est un très bon départ pour la journée que nous passerons avec d’autres témoins. Alors, merci beaucoup.

Mme Mallet : On a très hâte de vous accueillir ce soir à la réception conjointe. Si vous voulez poursuivre la discussion, on sera ravi de le faire.

La présidente : Bien sûr.

Pour notre deuxième groupe de témoins, nous recevons Mme Marianne Cormier, doyenne de la faculté des sciences de l’éducation de l’Université de Moncton, M. Eric Forgues, directeur général de l’Institut canadien de recherche sur les minorités linguistiques, Mme Isabelle Violette, professeure au Département d’études françaises de l’Université de Moncton, M. Mathieu Wade, stagiaire postdoctoral à l’Institut d’études acadiennes de l’Université de Moncton, et Mme Madeleine Léger, qui est une étudiante d’origine acadienne. Bienvenue à vous tous. Je dois dire que le temps est limité. Nous avons bien hâte d’entendre ce que vous allez nous présenter, et les sénateurs vous poseront des questions par la suite. Il faut être succinct, bref et concis.

Alors, nous commençons avec Mme Violette. S’il vous plaît, allez-y, la parole est à vous.

Isabelle Violette, professeure adjointe, Département d’études françaises, Université de Moncton, à titre personnel Honorables sénatrices, honorables sénateurs, je tiens tout d’abord à remercier le comité de son invitation. Je témoigne aujourd’hui à titre de professeure de sociolinguistique à l’Université de Moncton, travail qui me permet d’aborder les rapports aux langues et au bilinguisme avec des jeunes francophones du Nouveau-Brunswick principalement, mais également auprès de jeunes du Québec, de l’Ontario, d’Haïti, du Mali, du Maroc et j’en passe, qui convergent vers Moncton et qui sont désormais constitutifs de cette francophonie acadienne.

La perspective que j’offre aujourd’hui est nécessairement ancrée dans cette réalité d’autant plus que je suis moi-même acadienne, originaire de cette région. Je commencerai tout d’abord par dire que les jeunes sont plus que jamais habités par un goût de mobilité et que leur bilinguisme français-anglais leur assure une participation à des espaces mondialisés. Bien qu’ils soient conscients des rapports de force à l’origine de leur bilinguisme individuel, les jeunes francophones sentent aussi qu’ils tirent profit de ces conditions de minorisation pour se tailler une place de choix dans le monde d’aujourd’hui. Ce positionnement avantageux se confronte toutefois à des tensions et à des inégalités que je vais brièvement développer, en premier lieu, autour de la place du français dans les rapports intergroupes et, en second lieu, autour de l’aménagement du français en milieu minoritaire.

Tout d’abord, en ce qui concerne les rapports intergroupes, je remarque que les jeunes interprètent fréquemment et de façon étroite le bilinguisme officiel comme étant la possibilité de recevoir un service dans la langue officielle de leur choix, tout en confondant très souvent les obligations qui relèvent de l’État, du service public et de l’espace commercial, donc il y a une méconnaissance de la loi. J’ai toutefois pu constater que la pratique active du français dans les interactions intergroupes au sein des espaces publics ou numériques est source de malaise, ce qui remet en question cette philosophie égalitaire du choix. Plusieurs jeunes ont intériorisé l’idée que parler en français avec un anglophone n’est légitime que s’ils ont de la difficulté à s’exprimer en anglais, ce qui est rarement le cas, mais ce qui explique par ailleurs que les immigrants francophones, reconnus comme étant de l’étranger, tendent à être traités avec plus d’indulgence à cet égard. C’est donc dire que le français ne s’impose pas comme langue intergroupe légitime, à savoir une langue pouvant assurer la communication entre différents groupes linguistiques. Les lieux et les occasions où les anglophones peuvent ou doivent s’exprimer et écrire dans leur langue seconde demeurent trop faibles et trop peu valorisés.

Dans des contextes intergroupes, le français occupe souvent une position subalterne qui le réduit à une langue de traduction ou à une valeur ajoutée pour l’accès au marché du travail. Or, la recrudescence de groupes antibilinguisme au Nouveau-Brunswick depuis les dernières années contribue à propager l’idée selon laquelle les francophones seraient les bénéficiaires malhonnêtes de la Loi sur les langues officielles. À mon avis, il s’agit là d’une dérive dangereuse que l’État doit aborder par un leadership politique fort. Toute politique linguistique se doit d’aborder non seulement les rapports entre l’État, les communautés de langue officielle et le citoyen — ce que la loi fait déjà entre autres par l’entremise de programmes d’appui à l’endroit d’espaces homogènes en français —, mais se doit également d’aborder les rapports entre les deux groupes linguistiques en vue de l’aménagement d’un vivre-ensemble. La loi a tout à gagner en prenant en compte la dimension symbolique des rapports linguistiques, donc les attitudes et les perceptions qui agissent également sur les comportements et qui peuvent reproduire des inégalités quant à l’usage du français comme langue officielle.

En outre, l’usage du français dans des contextes de communication formels et publics est également lié à la capacité de manier des formes standardisées de la langue, et j’en arrive à mon second élément de discussion, soit l’aménagement du français en milieu minoritaire.

La Loi sur les langues officielles a contribué à faire la promotion de la valeur sociale, politique et économique du français, ce qu’on désigne comme l’aménagement du statut. Cependant, cette intervention sur le statut a des effets limités sans un investissement dans les aspects qualitatifs usuels de la langue, ce qu’on appelle l’aménagement du corpus ou du code. Il existe d’énormes disparités dans les formes d’usage du français, et tous les jeunes ne sont pas égaux quant à leur appropriation de la langue française légitime. Trop de francophones à l’heure actuelle en milieu minoritaire vivent avec le sentiment que leur français n’est pas une forme d’expression correcte ou convenable en dehors de leur cercle familial et social. Ce sentiment qu’on désigne d’insécurité linguistique réduit souvent le jeune au silence, à une prise de parole inconfortable, voire douloureuse ou humiliante, qui l’amène la plupart du temps à adopter l’anglais dans les espaces où le français standard est jugé nécessaire. Si l’insécurité linguistique est de plus en plus reconnue par les jeunes — et je constate que cet enjeu est discuté dans les milieux scolaires et associatifs —, je suis d’avis que les moyens par lesquels on se propose de l’enrayer sont insuffisants, voire même problématiques. À l’heure actuelle, on y répond principalement par un discours sur la fierté de parler et de vivre en français, discours qui valorise les différences et les variétés linguistiques et qui met de l’avant la relativité des accents. Vous avez eu des témoignages déjà en ce sens. Or, ce serait une erreur de se contenter d’un tel discours qui est par ailleurs nécessaire et bénéfique — je tiens à le souligner —, mais il n’est pas vrai que socialement parlant, tous les français se valent et en affirmant une telle chose, on tend à reproduire les inégalités entre francophones. Donc, ceux dont le bilinguisme est composé de formes standardisées de langues seront plus mobiles et auront accès à des espaces plus prestigieux. Il est de ma conviction que pour que la francophonie canadienne soit le vrai moteur d’une dualité linguistique au Canada, tous les jeunes, peu importe leur milieu socioéconomique, doivent être en mesure d’acquérir les compétences et les ressources linguistiques légitimes du français sans pour autant que ce soit à l’exclusion de leur vernaculaire dans leur répertoire.

Donc, ça passe par des mesures qui développent la langue elle-même, des outils de normalisation et de standardisation qui reflètent les usages du français au sein des communautés et qui répondent à des aspects négligés de l’actuelle loi. Ça exige un investissement technique et terminologique en français, des mesures pour appuyer la petite enfance, l’alphabétisation et l’alphabétisme, de façon à donner aux jeunes les pleins moyens linguistiques de participer à un espace politique, économique et numérique en français. Je vous remercie de votre attention.

La présidente : Monsieur Wade, vous avez la parole.

Mathieu Wade, stagiaire postdoctoral, Institut d’études acadiennes, Université de Moncton, à titre personnel : Messieurs les sénateurs, mesdames les sénatrices, merci beaucoup de l’invitation. La révision de la Loi sur les langues officielles fédérale est potentiellement une bonne occasion de repenser le rôle de l’État fédéral dans la protection de la promotion des langues officielles. Je dis potentiellement parce que la Loi sur les langues officielles fédérale doit naviguer un peu entre la Charte et les compétences provinciales et municipales qui sont plus près du citoyen. Donc, si la Loi sur les langues officielles fédérale est nécessaire pour la survie du français au pays, elle est quand même limitée dans son ampleur. C’est donc difficile de naviguer un peu là-dedans.

Est-ce que la révision qui est prévue pour 2019 sera structurante ou est-ce qu’elle sera au contraire technique et limitée? Tout dépendra de la conception que se fait l’État des communautés et des pouvoirs qu’il concède à leur accorder pour qu’elles puissent se développer et prendre en main leur développement.

La loi se base sur deux grandes composantes, y compris une composante individuelle qui donne le droit à chaque citoyen d’interagir avec le citoyen dans la langue de son choix. Cette partie-là de la loi est très bien codifiée. On sait exactement à quoi s’en tenir dans la plupart des cas. Ensuite, il y a une conception plus collective des droits linguistiques qui s’appuie sur des organismes communautaires francophones, notamment sur l’école, et sur un engagement de l’État à prendre des mesures positives pour favoriser leur développement et leur épanouissement. Cette partie-là de la loi qui est plus récente demeure encore floue et je pense que c’est à ce niveau-là que la loi devrait être bonifiée, mais je pense qu’il y a quelqu’un qui va en parler plus tard, donc je ne veux pas trop m’y attarder.

On nous a invités aujourd’hui à parler de la jeunesse et je pense que c’est l’enjeu central. J’entends ici « jeunesse » dans un double sens. J’entends les jeunes comme une catégorie d’âge et donc, il faut susciter l’intérêt chez les jeunes à parler le français, donc à assurer une sorte de continuité linguistique, mais par « jeunesse », j’entends aussi la régénération démographique de nos communautés. Cela passe par la natalité et l’immigration. Je pense qu’il faut penser à ces deux enjeux-là : les jeunes et susciter leur intérêt, et penser à l’immigration et à la natalité de façon complémentaire.

Donc, j’ai trois grandes recommandations, suggestions ou pistes de réflexion à proposer. La première, c’est que pour jouer un rôle au niveau de la jeunesse, il faudrait que la Loi sur les langues officielles assure une forme de promotion de la dualité dans le domaine de la petite enfance. En milieu minoritaire, les jeunes comprennent assez vite quelle langue est dominante, quelle langue structure l’espace social, l’espace économique, l’espace politique. Il s’agit de créer dès un jeune âge dans les années de formation de la petite enfance un espace où le français est une langue normale. Je pense que cela a un impact sur le reste du parcours des jeunes. C’est de compétence provinciale, mais le gouvernement fédéral a un pouvoir de dépenser qui pourrait aller en ce sens-là, à condition qu’on estime que ça fait partie du rôle de l’État dans la promotion du développement et de l’épanouissement des communautés. Si on allait dans ce sens-là, soit créer une forme de dualité au niveau de la petite enfance, ensuite, il faudrait savoir qui aurait le droit de fréquenter ces espaces-là, et donc, par extension, j’imagine, les écoles. C’est une question complexe. Marianne en parlera et je vais me concentrer surtout sur la question des immigrants.

L’immigration a été perçue depuis une quinzaine d’années comme la solution pour faire face à nos défis démographiques, et je pense que c’est légitime et que c’est juste, sauf qu’il faut constater qu’on n’a pas du tout atteint les objectifs qu’on s’était fixés, et ces objectifs-là étaient limités. Ils ne visaient pas la croissance de nos communautés, mais bien le maintien des effectifs. Donc, on n’a pas réussi en ce sens-là. Je pense que c’est en partie à cause de la conception qu’on s’est faite de qui était un immigrant francophone potentiel et, pour nous, c’est un immigrant qui parle déjà le français. Donc, on va chercher une certaine catégorie d’immigrants. Je pense que si on installait une forme de dualité en petite enfance, il faudrait qu’on ouvre ces espaces-là, ces garderies, à d’autres immigrants, à d’autres populations que celles qui sont déjà francophones.

On dispose de très peu d’institutions pour accueillir et intégrer les immigrants. On sait que ce n’est pas par le marché du travail qu’on va réussir à intégrer les immigrants dans la plupart de nos communautés. Le marché du travail est essentiellement en anglais, sauf pour des secteurs privilégiés comme la fonction publique, ainsi de suite. On dispose de très peu d’institutions pour le faire, mais les garderies pourraient en être une, et les écoles sont parmi nos institutions les plus fortes pour atteindre un objectif comme celui-là.

Je pense que si on veut assurer l’intérêt des jeunes pour la langue française, assurer une régénération de nos communautés, on ne peut pas se limiter à des jeunes qui sont déjà francophones. Il faut qu’on fasse de nos espaces francophones des lieux de francisation d’une population plus large. Mais ça, ça ne viendra pas sans une levée de boucliers parce que ça entraîne nécessairement une forme d’anglicisation d’espaces qui sont consacrés aux francophones. Donc, cela doit venir avec des campagnes de sensibilisation, avec des moyens qui permettent à ces espaces-là — et je pense à la garderie — de jouer un rôle de francisation. Il faut qu’on développe une expertise, il faut qu’on ait les fonds nécessaires, mais je pense que sans l’ouverture de la petite enfance à une population plus large, on ne réussira pas à aller chercher de nouveaux jeunes et on ne réussira pas à régénérer nos communautés. Bref, si on veut se développer, je pense qu’il faut élargir le profil de qui est un francophone, de qui peut devenir un francophone et à partir de quelles institutions on peut devenir francophone. Merci.

La présidente : Merci beaucoup, monsieur Wade.

Madame Cormier, vous avez la parole.

Marianne Cormier, doyenne de la faculté des sciences de l’éducation, Université de Moncton, à titre personnel : Bonjour. À mon tour, je veux vous remercier de l’invitation et de l’occasion de vous présenter nos réflexions. Personnellement, je vais présenter deux actions clés qui visent l’épanouissement des communautés minoritaires francophones. La première porte sur l’importance de maximiser la participation à l’école de langue française, et la deuxième, sur le besoin critique de nourrir des sentiments d’appartenance et de compétence chez les jeunes. L’une ne se fera pas sans l’autre.

La partie VII de la loi, comme mes collègues l’ont dit, incite aux mesures positives pour favoriser l’épanouissement des communautés minoritaires. La modernisation de la loi doit voir à l’ajout d’éléments plus explicites afin d’assurer la revitalisation des communautés en ciblant la jeunesse. En effet, la viabilité d’une langue et de sa culture passe par le fait que les jeunes la parlent et participent à sa culture. Pour les jeunes, c’est à l’école que ça commence. L’école, c’est le cœur de la communauté et la clé de la revitalisation langagière et culturelle. Or, à l’échelle canadienne, seulement 50 p. 100 des enfants admissibles à l’école de langue française y participent. Pensez-y. Il pourrait y avoir 160 000 enfants de plus dans nos écoles et il pourrait y en avoir plus que ça, car je pense que le temps est venu de réexaminer les critères d’admissibilité.

L’objectif de l’article 23 est de réparer les torts passés, tel que nous dit la jurisprudence, c’est-à-dire de renverser les effets de l’idéologie assimilatrice qui a longtemps sévi au Canada. Il est donc important de rapatrier les familles d’héritage francophone qui ont perdu leur admissibilité. Le potentiel de l’école pour jouer son rôle de revitalisation augmenterait considérablement, y compris l’école inclusive aux immigrants de toutes les nationalités ou de toutes les langues. Donc, maximiser les inscriptions à l’école chez ceux qui sont admissibles et rapatrier ceux qui ont perdu l’admissibilité.

Mais comment? Je propose quatre pistes. Des actions dans le milieu de la petite enfance donnent des résultats, de même que des services de grande qualité en français, des initiatives accueillantes et nourrissantes qui fourniront une expérience positive et qui inciteront les parents à poursuivre l’éducation en français. Une campagne nationale de marketing visant à informer les parents de la présence de l’école française et de sa valeur permettrait d’informer les parents que les écoles offrent des programmes de francisation qui mobilisent positivement le développement langagier et le développement de la lecture.

Finalement, les écoles doivent être de grande qualité et où les jeunes peuvent développer un sentiment d’appartenance et de compétence. En raison de leur contexte, qui est beaucoup plus diversifié qu’il ne l’était en 1969, la première langue des jeunes à l’école peut être le français, l’anglais, les deux ou encore une autre langue. Les pratiques langagières des jeunes se jouent dans une dynamique complexe qui abrite des va-et-vient entre ces langues. On rajoute les relations de pouvoir entre les langues, les rapports à l’identité et leur conscience des éléments culturels des langues en contact. Les usages langagiers dans leur entourage tendent à se manifester plus fréquemment dans la langue majoritaire. Leur espace socioculturel et leur contact avec les médias et les technologies sont surtout en anglais. Ces jeunes ont l’impression que leur français n’est pas et ne sera jamais à la hauteur. De plus, est-ce qu’ils voient la pertinence de parler français et est-ce qu’ils veulent faire partie de la communauté? Ces jeunes doivent vivre des expériences langagières positives qui les amènent à parler, à lire et à écrire en français pour dire ce qu’ils ont à dire et pour participer à la conversation. Il faut inonder et envahir les classes de livres de littérature de grande qualité et leur faire vivre des expériences d’apprentissage qui mobilisent leur engagement en tant que citoyens et qui développent chez eux des habiletés langagières riches. La qualité d’une telle école sera rapidement connue et sera attrayante pour les parents. Je voudrais que mes enfants aillent à cette école.

C’est alors qu’il est important d’inclure dans la loi un libellé qui lie « la culture à la langue et la langue à toutes les matières scolaires », soit une affirmation forte qui donnera l’occasion aux jeunes de découvrir les richesses de cette culture par la littérature, le théâtre, la musique, le numérique,< et les médias sociaux et qui donnera aux jeunes ce sentiment d’appartenance et de compétence. Voilà, à mon avis, comment réparer les torts passés. D’abord, amener les jeunes à l’école de langue française, et ensuite leur faire vivre une expérience qui nourrira leur sentiment d’appartenance et de compétence. Si c’est le cas, plus tard, ils deviendront les parents qui inscriront leurs enfants à l’école de langue française. Merci beaucoup.

La présidente : Merci beaucoup.

Alors, monsieur Forgues, à vous la parole.

Éric Forgues, directeur général, Institut canadien de recherche sur les minorités linguistiques, Université de Moncton, à titre personnelMerci de nous inviter à participer à votre réflexion. Donc, le temps est compté. Je vais aller droit au but. Je vais d’abord parler de la Loi sur les langues officielles, la partie VII surtout, et puis aborder l’espace culturel chez les jeunes en général, mais surtout aussi chez les plus jeunes. Donc, dans le contexte de la révision de la Loi sur les langues officielles, il me semble qu’il faut préciser la partie VII, comme ça a été mentionné, notamment l’article 41. Sans être un expert juriste, il me semble que cette partie de la loi peut être interprétée et mise en œuvre de plusieurs façons.

Je vous rappelle que la loi — vous la connaissez sans doute — parle de favoriser l’épanouissement des minorités francophones et anglophones du Canada et d’appuyer leur développement. Donc, comment est-ce qu’on définit le développement? Comment est-ce qu’on définit l’épanouissement des communautés? Je cite Michel Doucet, le juriste, qui a dit ceci : « La cour fédérale admet donc l’existence d’obligations dans l’ancienne partie VII de la loi » — il parlait de la révision de la loi en 1988 – « même si elle prend soin de préciser que ses obligations sont des plus générales et vagues. » Ce qu’on dit aussi par la suite c’est qu’il incombe aux institutions fédérales de veiller à ce que soient prises des mesures positives pour mettre en œuvre cet engagement. Donc, cette obligation de prendre des mesures positives signifie que les institutions gouvernementales doivent prendre les devants pour assurer le respect de la loi. Elles doivent s’engager pour favoriser le développement, et les gouvernements doivent jouer un rôle en amont. Est-ce aux institutions gouvernementales de définir ce développement et ces mesures positives ou est-ce aux communautés? On a une ligne directrice quand même pour définir le sens que doit prendre le développement qui doit tendre vers l’égalité réelle des communautés. Je cite toujours Michel Doucet, le juriste :

La partie VII de la loi est de notre avis à caractère réparateur. Elle ne vise pas à consacrer le statu quo, mais bien à remédier à l’érosion historique et progressive des minorités de langue officielle en imposant au gouvernement fédéral l’obligation de tenir compte de leurs intérêts et de promouvoir leur développement afin d’encourager l’égalité réelle entre les communautés de langue officielle. 

Par ailleurs, je crois essentiel de bien entendre le message des acteurs qui demandent qu’on respecte le principe du « par et pour ». C’est vraiment intégré dans le discours, donc un développement pour les communautés et défini par elle. Ce principe découle de la volonté historique des communautés de prendre en charge leur développement. Il est également repris par la Fédération de la jeunesse canadienne-française et ses membres, et je crois que ce principe devrait être inscrit dans la nouvelle Loi sur les langues officielles.

La révision de la loi est pour moi l’occasion de revoir le contrat entre le gouvernement canadien et les communautés. Si le gouvernement a l’obligation d’appuyer le développement des communautés, il ne peut pas le faire sans leur pleine participation aux communautés. Il ne peut plus le faire dans une perspective de gouvernance verticale, donc du haut vers le bas. Les communautés aspirent à plus d’autonomie. Pour moi, c’est aussi ça, l’égalité réelle, que défend et promeut la Loi sur les langues officielles. Le partenariat entre le gouvernement et les communautés doit reposer sur le respect de l’autonomie des communautés.

Donc, pour répondre à la question que je posais au départ, les communautés sont les mieux placées pour définir ce développement.

Le deuxième point sur les pratiques culturelles et sur l’espace francophone que j’aimerais aborder est l’espace francophone sur Internet et les médias sociaux, notamment. Rappelons-nous que la loi a été élaborée avant Internet et avant les médias sociaux. Ça a déjà été rappelé. Aujourd’hui, ces nouveaux médias offrent un espace de socialisation interactif qui est devenu très important chez les jeunes. C’est aussi un espace de consommation de produits culturels, un espace de production culturelle, et ce, pas seulement par les artistes attitrés, mais aussi par monsieur et madame tout le monde qui peuvent créer du contenu, comme les nouveaux blogueurs, et il y a tout un marché qui est en train de se développer sur les espaces numériques. Est-ce que ces espaces sont francophones? Connaissons-nous bien les dynamiques de ces espaces dans le contexte minoritaire? Moi je pense qu’il y a très peu de connaissances à ce sujet. Je pense qu’il est important de développer ces espaces culturels francophones pour la jeunesse en tenant compte des enjeux du numérique en contexte minoritaire.

Patrimoine canadien a mené une consultation nationale sur le numérique. Dans son rapport, on parle des communautés en situation minoritaire. On ne les a pas oubliées, mais moi, je pense, qu’il faudrait aller plus loin et qu’il faudrait faire ce genre d’études pour les communautés en contexte minoritaire qui connaissent des défis particuliers. Il est important de bien prendre en compte les jeunes francophones dans le développement d’un environnement de socialisation, de production et de consommation de produits culturels et d’interaction en français dans l’espace numérique. Si on veut que les jeunes francophones consomment des produits culturels en français, il doit y avoir une offre culturelle en français. Il importe de développer la capacité de produire des contenus à l’image des réalités francophones du pays, alors qu’ici aussi le « par et pour » doit être appliqué. Mais, il faut plus que produire les contenus culturels. Il faut les promouvoir dans les écoles, dans les espaces communautaires et dans les médias sociaux. Il ne s’agit pas de créer du contenu pour qu’il soit automatiquement utilisé. Il y a une culture de la lecture et de la consommation de produits culturels francophones à développer et à promouvoir.

J’ouvre une porte — elle a déjà été mentionnée —, mais je ne vais pas aller plus loin. Dans certaines régions où l’alphabétisation est faible, certains produits culturels ne sont pas accessibles faute de compétence. Les médias numériques offrent également des espaces d’engagement chez les jeunes. Les organismes doivent également s’adapter à la réalité de la jeunesse et intégrer davantage les outils Internet dans leur vie en société pour promouvoir justement l’engagement du côté des jeunes.

J’ai parlé d’Internet et du numérique, mais il importe également de créer des espaces et des événements de rencontre en personne aussi — il ne faut pas l’oublier — pour la jeunesse. Les Jeux de l’Acadie, les Jeux de la francophonie, jouent un rôle essentiel quant à la langue et à l’identité. Ce n’est pas seulement des événements sportifs ou de loisir. Les voyages aussi sont une façon de faire connaître le pays et ses dimensions linguistiques et culturelles. Je pense par exemple à Katimavik, ce genre d’expérience qui peut aussi jouer un rôle très positif pour la jeunesse. Donc, je m’arrête ici. Ce sont quelques idées.

La présidente : Merci beaucoup, monsieur Forgues.

Alors, notre dernière invitée, madame Léger, s’il vous plaît.

Madeleine Léger, étudiante, Université Mount Allison, à titre personnel : Mesdames et messieurs membres du comité, bonjour, et merci de l’invitation. Je m’appelle Madeleine Léger et je suis étudiante en philosophie à l’Université Mount Allison, un établissement qui se trouve à environ 30 minutes de l’Université de Moncton.

En tant qu’étudiante francophone dans une université anglophone, ma situation est peut-être particulière, mais elle n’est pas du tout unique au Nouveau-Brunswick. Ce matin, je m’adresse à vous non en tant qu’experte en matière de langues officielles comme les autres invités, mais plutôt en tant qu’élève néo-brunswickoise qui s’intéresse à l’avenir de sa province et de son pays.

Mon père est un Acadien qui m’a transmis l’héritage d’un peuple fier, perspicace et déterminé. C’est grâce à lui que je suis fièrement enracinée ici en Acadie. Toutefois, mon amour de ma langue a tout autant été nourri par ma mère, qui est une Albertaine née d’un père allemand et d’une mère anglophone. Ma mère a choisi de faire de l’Acadie sa maison et sa patrie, et c’est grâce à son choix que je parle français aujourd’hui. Son choix de m’élever en français donne véritablement un sens à l’expression « langue maternelle » pour moi. Ainsi, mon amour pour ma langue et ma culture m’a été légué autant par ma mère anglophone que par mon père francophone.

[Traduction]

Je crois que la question des langues officielles au Canada a peu à voir avec nos gènes et beaucoup avec nos contextes culturels. Bien sûr, le patrimoine a son importance, mais je ne crois pas une seconde que notre histoire familiale devrait dicter nos choix en ce qui concerne les langues que nous parlons et que nous aimons.

[Français]

Je ne prétends pas avoir trouvé la réponse ou la panacée à tous les défis linguistiques dans notre pays, mais mon but sera plutôt de vous partager ma réalité, mes observations personnelles, des observations qui sont fraîches et qui proviennent de mon parcours, ici en Acadie.

Dans ma perspective étudiante, la réponse est claire : l’éducation doit prendre les devants. Quand on considère notre région, notre pays, nous devons pouvoir offrir une formation primaire, secondaire et postsecondaire de qualité à tous ceux qui désirent apprendre le français. Nous devons continuer à investir dans l’Université de Moncton. Ce n’est pas une question. C’est véritablement le centre de la francophonie dans les Maritimes. Nous devons aussi considérer l’Université Sainte-Anne ou le Collège communautaire du Nouveau-Brunswick et tous les autres établissements qui visent à offrir une éducation francophone dans la région. Nous devons agir pour que tous les étudiants, dont les jeunes qui ont adopté le français comme langue seconde, puissent choisir d’étudier dans le domaine de leur choix en français. Dans les secteurs anglophones, nous devons absolument dès aujourd’hui commencer à valoriser les programmes d’immersion en français et à leur accorder la priorité. Je crois de tout cœur que la clé du bilinguisme harmonieux se trouve dans cet échange culturel qui commence à un jeune âge.

Actuellement, les programmes d’immersion ne sont pas disponibles dans toutes les écoles et ceux qui ont la chance d’y participer ont parfois de la difficulté à maintenir leur deuxième langue une fois leur diplôme en main. Ces programmes devraient souligner l’importance de la musique, de la culture et de l’histoire francophones, car vous le savez sans doute tous, on ne tombe pas amoureux des règles de grammaire. On apprend plutôt à aimer une langue en la parlant, en la vivant dans son contexte culturel. D’ailleurs, on ne peut discuter du français en Acadie sans aborder le sujet de nos dialectes distincts. On l’a déjà fait aujourd’hui. Notre langue a évolué à son propre gré. Elle a survécu à de maints périples et elle reflète à présent notre caractère particulier, notre vivacité et, surtout, notre persévérance. Je crois fermement que la préservation du français en Acadie doit inclure la préservation du français acadien.

Finalement, je tiens à souligner que la discussion des langues dans notre pays ne peut pas s’arrêter aux langues officielles.

[Traduction]

Je ne prétends pas être en mesure de parler pour mon groupe d’âge tout entier ou pour tous les Néo-Brunswickois ou pour tous les Canadiens, mais je tiens à dire que les gens de ma génération commencent à en avoir assez des échanges sur les « deux solitudes » qui ont cours dans notre pays. Oui, nous sommes un pays qui a deux langues officielles, mais nous ne sommes pas un pays où l’on parle deux langues officielles. Le savoir et la parole autochtone sont là depuis des milliers d’années, et ces langues auraient grand besoin d’attention à l’heure actuelle. Nous devons respecter l’engagement que nous avons pris de réparer les erreurs qui ont été commises à cet égard. Notre pays a aussi accueilli des immigrants des quatre coins de la planète. Oui, certains sont venus d’Angleterre et de France, mais il y a aussi tous les autres qui sont venus d’ailleurs. Nous devons reconnaître le fait que notre pays est une toile incroyablement complexe d’identités culturelles et de langues.

[Français]

La célébration de l’une des communautés linguistiques peut se faire sans en rabaisser une autre. Le Canada est un pays exceptionnel et nous sommes encore un projet inachevé, mais je suis convaincue que nous avons la capacité et la responsabilité de préserver nos patrimoines distincts et pluriels. Je n’ai aucun doute que nous saurons être à la hauteur de ce projet. Merci de votre écoute.

La présidente : Merci beaucoup, madame Léger.

La sénatrice Mégie : Merci à vous tous pour les beaux témoignages qu’on a eus et les pistes de solutions proposées pour l’avenir. Je m’arrête à la présentation de M. Wade qui disait que l’immigration pourrait aider en commençant par la petite enfance, et à l’intervention de Mme Cormier qui parlait de tout cela. Y a-t-il déjà des mesures qui sont prises à ce chapitre? Qu’on soit allophone, anglophone ou autre, si on commence dès la petite enfance, période où le cerveau est très malléable, l’enfant va comprendre vraiment le français même si, chez lui, il parle différemment. Donc, ce serait vraiment une bonne solution. A-t-elle déjà été essayée dans le milieu?

M. Wade : Bien, à l’heure actuelle, il n’y a pas vraiment de politique au pays pour une dualité. Donc, on a un genre de régime triple. Il y a des garderies qui sont anglophones, certaines qui sont francophones, d’autres qui sont bilingues, et dans ce contexte-là, c’est difficile d’avoir les ressources et de concentrer des ressources adéquates pour faire un travail de francisation. Il y a, je pense, une certaine méconnaissance de la part des immigrants qui vont arriver. Bon, il y a des immigrants francophones qu’on va chercher puis qu’on réussit, par l’entremise de tout notre réseau associatif, à intégrer à la communauté. Là, on crée deux catégories d’immigrants. Il y a nos immigrants et les autres immigrants qui s’intègrent au secteur anglophone.

Ces immigrants-là, les autres, je pense que, naturellement, ils n’iront pas vers le secteur francophone parce qu’ils voient bien que ce n’est pas la langue dominante. Il faut donc essayer de mettre en valeur, dans la petite enfance notamment, le fait que par l’apprentissage du français on acquiert des compétences bilingues et que c’est la voie qui permet ensuite d’avoir cette compétence des deux langues officielles qui donne un avantage comparatif. Je pense qu’il serait souhaitable d’avoir une stratégie officielle dans ce sens-là.

La sénatrice Mégie : Donc, ça va prendre de la promotion.

M. Wade : Oui, et une concentration des efforts, parce que là, on a trois différents types de garderies pour la petite enfance, et je pense que c’est difficile de s’y retrouver. C’est difficile de créer de bonnes pratiques et des expertises.

La sénatrice Mégie : Merci.

Mme Cormier : Je suis tout à fait d’accord avec Mathieu, mais je voudrais rajouter par contre qu’il y a des initiatives ponctuelles et provinciales ou locales qui donnent des résultats, et la recherche le démontre, comme j’y ai fait allusion dans mon allocution. Par exemple, en Nouvelle-Écosse, on a instauré une prématernelle gratuite à temps plein pour favoriser le développement de l’enfant en français à partir de quatre ans dans plusieurs régions de la Nouvelle-Écosse. Cela incite les parents à y inscrire leurs enfants, et ils vont poursuivre par la suite avec les écoles françaises. Donc, la Nouvelle-Écosse a réussi à augmenter son taux de participation de cette manière-là à l’école française et a réalisé une excellente initiative, à mon avis, pour les enfants de moins de quatre ans.

Il faut encore penser aux autres enfants plus jeunes. À l’Île-du-Prince-Édouard, il y a des initiatives aussi où on rencontre les parents pour les informer. Donc, il y a des initiatives, mais je crois qu’elles dépendent de la volonté politique, de la volonté des gens et de l’énergie peut-être des gens qui sont prêts à investir de leur temps et des efforts dans ces programmes-là. Il faudrait qu’il y ait des concertations et que ce soit mieux articulé avec une stratégie nationale axée sur la dualité, comme le disait Mathieu.

Le sénateur Cormier : Merci de vos présentations. En fait, la richesse de vos présentations mériterait qu’on puisse passer une heure avec chacun d’entre vous. Je crois qu’on pourrait avoir des discussions approfondies. Je vais essayer de synthétiser en fait les nombreuses questions que j’ai à poser. On a entendu beaucoup de commentaires sur la question de l’asymétrie de nos communautés, des communautés qui sont parfois très, très homogènes francophones, d’autres qui le sont moins. Donc, sur les questions dont vous avez traité, comment la Loi sur les langues officielles dans son articulation et dans la réglementation qui y est associée peut-elle tenir compte de cette asymétrie? Par exemple, sur la question du lien langue et culture, on a entendu des témoignages qui, pour moi, étaient parfois troublants. Dans certains cas, le lien entre la langue et la culture faisaient en sorte que c’était un outil de renforcement de l’adhésion à la langue française et, dans d’autres cas, ça pouvait être un facteur d’exclusion parce qu’évidemment, si les locuteurs français ne s’identifient pas à la culture acadienne, par exemple, ils ne s’associent pas à cette langue-là spécifiquement. Alors, dans ce contexte complexe de la question de l’asymétrie au niveau de l’adhésion à la langue française, au niveau des stratégies pour la petite enfance, au niveau des écoles francophones d’immersion, avez-vous des réflexions sur la façon dont le gouvernement fédéral pourrait, dans le cadre de la révision de la loi, tenir compte de cette asymétrie? Voilà ma question.

M. Forgues : C’est une bonne question et je pense que toute la question de l’asymétrie mérite une bonne réflexion. En fait, ce qu’on veut faire en parlant de l’asymétrie, c’est de répondre à des réalités qui sont différentes d’une région à l’autre. Moi, je pense que si on a une approche — justement, j’en parlais dans ma présentation très rapidement — du haut vers le bas, c’est une approche peut-être un peu plus rigide. On est moins ouvert à des différences de réalité. Si on favorise une prise en charge par les communautés en définissant leurs besoins et les moyens d’y répondre, on les accompagne avec des approches qui ont la souplesse de répondre à des besoins différents. C’est pourquoi l’asymétrie va se définir avec une approche qui est souple, qui est flexible, qui est capable de s’adapter à partir des besoins qui sont différents. Donc, je pense qu’il faut revoir l’approche d’intervention dans les communautés pour permettre à des communautés qui ont différents besoins de s’exprimer et leur donner les outils qui sont nécessaires à chacune d’entre elles. Ce serait l’approche qu’il faudrait revoir.

Le sénateur Cormier : J’aimerais poser une question complémentaire. On est axé ici sur la jeunesse. Sa vision et sa relation avec la francophonie, avec la langue française et avec la culture sont évidemment différentes de celles des générations précédentes. Je vous donne un exemple très concret. L’association de la jeunesse, ici à l’Île-du-Prince-Édouard, a changé de nom récemment. Elle s’appelait essentiellement la Fédération acadienne. Ce n’est peut-être pas « fédération », mais le mot « acadien » était essentiellement accroché au nom de l’association. Elle a voulu ouvrir sa définition et est devenue « acadienne » et « francophone ». Donc, qu’est-ce que ça nous révèle sur la définition de ce qu’est un francophone, sur la définition ou la relation entre la langue et la culture, sur le besoin d’ouverture? Je ne sais pas si vous avez une réflexion à nous transmettre par rapport à ça?

Mme Violette : Je pourrais peut-être apporter ma contribution. C’est vrai que dans nos façons d’imaginer les communautés francophones depuis les années 1960, c’est vraiment avec ce lien très fort de la langue, de l’identité, de la culture et du territoire. Or, aujourd’hui, on fait de plus en plus la promotion de la francophonie en répandant l’idée que le français est une compétence, une ressource, et cela fragilise ce lien qui pouvait être envisagé entre langue et culture. À mon avis, c’est un peu une erreur de renommer des associations comme celle-là à titre d’associations acadiennes et francophones — c’est vraiment mon opinion personnelle —, parce que je trouve qu’au lieu de veiller à redéfinir ce que ça veut dire, ce que ça signifie être Acadien au XXIe siècle, on a tendance à créer deux catégories : les Acadiens qui auraient un lien historique avec le français, un certain lien d’affiliation, et les francophones qui seraient une catégorie à part et qui auraient un lien plus utilitaire à la longue. Alors, je ne sais pas trop comment répondre à ce défi-là, mais le français n’est pas une langue identitaire pour tous les francophones, et ça, il faut le reconnaître. Il faut le reconnaître comme réalité. Si on investit juste dans la francophonie, dans cette idée que c’est la préservation du passé, on met de côté aussi toute une population qui peut par ailleurs contribuer à cette francophonie-là.

M. Wade : Je seconde tout à fait cette idée selon laquelle on crée deux catégories. Je crois que cela ethnicise ensuite toute l’identité acadienne, en l’occurrence, comme si c’était justement une question d’affiliation. Pour répondre à l’asymétrie, on mise beaucoup sur la culture — ce n’est pas pour rien que c’est Patrimoine canadien qui s’occupe de la question des langues officielles —, et si on veut aller au-delà, il faut que ce soit une langue qui serve à quelque chose, qui permette d’agir dans le monde, et cela peut passer, je ne le sais pas, par plein de causes, par exemple, le mouvement LGBTQ, les mouvements environnementaux, et cetera, ou par d’autres manières d’intervenir dans le monde, de le faire en français. Là, on arrivera à contourner un peu le problème du partage des cultures. On fait partie de la communauté parce qu’on lutte pour un enjeu dans la langue de la communauté. Je pense c’est un moyen d’y arriver.

Mme Violette : J’aimerais citer Mme Léger qui a dit : « On ne tombe pas amoureuse des règles de grammaire », mais on peut tomber amoureux d’une chanson ou d’une œuvre littéraire. C’est le sens que je veux donner quand je parle de lier la langue à la culture. J’ai mené une étude il y a quelques années où j’ai interrogé des étudiants de 10e année à Dieppe, au Nouveau-Brunswick, au sujet du genre de musique qu’ils aimaient. Ils m’ont répondu systématiquement qu’ils aimaient la musique anglaise. Je tiens à vous souligner que la musique anglaise n’est pas un genre de musique; c’est une langue. Quand je leur ai demandé de me parler de la musique française, ils n’étaient pas capables de le faire. Ils ne connaissaient pas du tout la musique en français et ils n’avaient vraiment pris le temps de l’écouter. Pendant trois semaines, ils ont écouté de la musique en français et, comme projet final, ils ont dû produire une vidéo de la chanson qu’ils avaient préférée. Cela a été une expérience enrichissante pour eux. C’était comme la musique en anglais, sauf que c’était en français. Il y a de tous les genres en français, mais ils ne saisissaient pas ce concept. Les seuls qui auraient pu me parler de la musique en français au début, c’étaient des violons et des « zigzags ».

Je pense que les interventions pédagogiques doivent être orientées vers la connaissance de la culture francophone. J’aimerais avoir plus de temps pour vous parler de mon projet de recherche actuel où l’on intègre des livres de littérature jeunesse dans les cours de science des élèves de 8e année. On extrait des concepts scientifiques, on fait des liens et on obtient des résultats extraordinaires parce que les jeunes commencent à aimer lire, même les garçons qui étaient non lecteurs. Merci.

La sénatrice Poirier : Merci pour vos présentations. Madame Cormier, je voulais juste une petite précision ou plus d’information sur un sujet dont vous avez parlé, soit le nombre d’étudiants qui peut étudier en français et qui ne choisit pas, pour une raison ou une autre, d’étudier en français. Parliez-vous des étudiants de la maternelle à la 12e année ou des étudiants au niveau postsecondaire, du collège ou de l’université?

Mme Cormier : C’est à l’école. Le pourcentage que j’ai cité provient d’une étude de Rodrigue Landry basée sur les données du recensement pour déterminer quels enfants sont admissibles, selon les critères de l’article 23, à l’école de langue française en contexte minoritaire. Il est arrivé à la conclusion qu’environ 50 p. 100 des enfants qui sont admissibles vont à l’école française. Selon les chiffres de la Fédération nationale des conseils scolaires de langue française, ce sont environ 160 000 élèves dans nos écoles en contexte minoritaire. Donc, on pourrait en avoir 160 000 de plus.

La sénatrice Poirier : Est-ce que la recherche explique la raison? Est-ce que c’est parce qu’il y a un manque d’écoles francophones dans la région où ils vivent? Est-ce que c’est parce que certaines familles ont choisi d’inscrire leurs enfants à l’école anglophone au lieu de l’école francophone?

Mme Cormier : Les deux parfois. Parfois, l’école est trop loin. S’il y a une école anglophone de l’autre côté de la rue, les parents enverront leur enfant à cet endroit parce que c’est plus facile plutôt que de faire voyager leur enfant en autobus pendant 45 minutes. Parfois, c’est un choix, c’est une question d’insécurité ou d’un sentiment de compétence. Parfois, certains pensent que l’école francophone est moins bonne que l’école anglophone, qu’il y a moins de choix. Des études existent pour expliquer les motivations et les raisons qui poussent les parents à faire ces choix-là. Si on peut intervenir en petite enfance, cela va souvent influencer le choix d’inscrire un enfant à une école de langue française.

La sénatrice Poirier : Existe-t-il des règles selon lesquelles un élève peut être admis dans une école anglophone ou francophone pourvu que l’un des parents parle la langue de l’école? Par exemple, un élève ne peut pas aller à une école anglophone si ses deux parents sont francophones et vice-versa. Si les deux parents sont anglophones, l’enfant ne peut pas être admis dans une école francophone. Je pensais qu’au Nouveau-Brunswick, peut-être pas ailleurs, il y avait cette règle-là, non?

Mme Cormier : C’est vrai pour l’école française. Pour aller à l’école française, l’enfant ou le parent doit satisfaire à l’un des trois critères de l’article 23, soit que la première langue apprise ou comprise du parent est le français, que le parent a déjà fréquenté une école de langue française ou que le parent a un autre enfant qui va à une école de langue française. Donc, il faut au moins un parent. C’est vrai pour l’école française, mais ce n’est pas le cas pour l’école anglaise. L’école anglaise est l’école de la majorité. C’est l’école pour tous. N’importe qui peut inscrire son enfant dans cette école même si l’enfant ne parle pas la langue de l’école. Par contre, il y a de petites nuances au Nouveau-Brunswick. Selon la loi, l’enfant qui parle français devrait aller à l’école française. S’il parle l’anglais, il peut quand même aller à l’école française. Voilà la petite nuance.

La sénatrice Poirier : Vous voulez ajouter un commentaire?

M. Wade : Oui, je voulais juste faire une remarque parce qu’on parlait tout à l’heure du clivage entre Acadiens, qui seraient les gens qui ont une relation filiale à la langue, et les francophones, mais l’article 23 vient un peu confirmer aussi ce lien. Il y a des gens qui ont accès en raison de leur généalogie à l’école de langue française, et les autres qui n’y ont pas accès. C’est quelque chose que la Loi sur les langues officielles ne peut pas toucher, parce que c’est la Charte, mais l’État canadien reproduit un peu cette logique au niveau de l’école et cela pose un problème pour les immigrants. Par exemple, les immigrants aussi, pour avoir accès à l’école en français, doivent souvent faire une demande auprès du conseil scolaire. La demande sera acceptée si on constate qu’ils répondent à certains critères, mais il y a vraiment un accès assez limité. Je pense que je comprends les raisons pour lesquelles cela a été fait, mais cela pose aussi des défis en ce qui concerne la croissance potentielle de nos communautés.

M. Forgues : J’ai une petite information supplémentaire. Donc, on perd environ la moitié des enfants d’ayants droit dans le système scolaire. Ce qu’il faut savoir, c’est qu’au niveau secondaire, on en perd encore plus. Il y a une proportion — je n’ai pas le chiffre exact en tête, peut-être que Marianne l’a —, mais il y a une proportion importante aussi d’élèves qui, rendus au secondaire, décident d’aller du côté des écoles anglophones. Donc, cela s’ajoute à la perte initiale.

La sénatrice Poirier : J’ai une dernière question, si vous me le permettez, madame la présidente. La majorité des étudiants qui font leurs études en français, que ce soit à l’université ou à l’un de nos collèges communautaires, ont comme langue maternelle le français. Cependant, quel est le pourcentage d’étudiants dont la langue maternelle n’est pas le français, mais qui ont suivi un programme d’immersion française dès la 1re ou la 3e année, et qui décident de poursuivre leurs études dans un établissement francophone après la 12e année? Avez-vous une idée du pourcentage?

Mme Violette : Je ne connais pas les chiffres, mais ça doit être vraiment minime parce qu’on a reçu les chiffres récemment. À l’Université de Moncton, 20 p. 100 des étudiants proviennent de l’international. Donc, une bonne partie d’entre eux n’avait pas le français comme langue maternelle. Cela ne répond pas à votre question parce qu’il s’agit de l’international. Je crois qu’une proportion de 60 ou 70 p. 100 provient des écoles francophones du Nouveau-Brunswick, et le reste inclut des étudiants d’autres provinces ou du programme d’immersion du Nouveau-Brunswick. Donc, on parle d’une petite proportion.

On en voit davantage. J’en vois de plus en plus dans mes cours. Je pense qu’on a mené des campagnes en ce sens-là pour les attirer parce que cela fait près de 10 ans maintenant que j’enseigne et, au début, il n’y en avait pas du tout. Maintenant, j’en ai deux ou trois chaque année. Donc, il y a quelque chose qui se passe. Il y a une source potentielle d’étudiants, mais ça demeure très limité.

La sénatrice Poirier : Merci.

La présidente : Madame Léger, vous voulez ajouter un commentaire?

Mme Léger : Oui. Merci.

Je ne peux pas vous donner le nombre exact d’élèves à l’Université de Moncton, mais je pourrais vous dire comment augmenter ces chiffres-là. L’Université de Moncton a fait énormément de progrès au cours des dernières années pour augmenter le choix et la qualité des programmes qui sont offerts. On voit déjà une augmentation du nombre d’élèves qui choisissent l’Université de Moncton par rapport à d’autres universités. Il faut continuer à offrir des bourses aux élèves qui choisissent d’étudier en français, surtout les élèves dont le français est la deuxième langue. Cela se fait déjà et je peux vous l’affirmer en tant qu’étudiante qui doit payer ses frais de scolarité. Cela fait une grande différence.

Enfin, je pense que des programmes d’échange entre universités anglophones et francophones pourraient aider à augmenter le nombre d’élèves. Par exemple, l’Université de Mount Allison est située à 30 minutes de l’Université de Moncton, et nous partageons quand même plusieurs programmes. Ce ne serait pas énormément difficile de rapprocher ces communautés en offrant des cours ici pendant un semestre et d’autres cours le semestre suivant à l’autre université. Cela favoriserait les échanges culturels.

La présidente : Merci.

Pour faire un suivi à la question de la sénatrice Poirier, madame Léger, est-ce pour des raisons financières que vous avez choisi d’aller à une université anglophone plutôt que francophone?

Mme Léger : En ce qui me concerne, la réponse est un peu complexe. Tout d’abord, je m’identifie en tant que francophone, mais je suis aussi bilingue. Je crois fermement qu’il est important de vivre ces échanges culturels. Il y avait aussi une question de financement et le fait que j’étudie en philosophie.

Comme tout établissement dont les fonds sont limités, l’Université de Moncton a besoin de choisir les programmes dans lesquels elle doit investir, et ce n’est pas en philosophie. C’est pourquoi je suis allée à l’Université Mount Allison. On peut aussi vivre sa francophonie dans un établissement anglophone avec des programmes de soutien et des communautés fortes. Donc, on doit dresser le grand portrait. Moi, je vis ma francophonie avec plusieurs autres francophones à Mount Allison.

La sénatrice Gagné : Tantôt, on a entendu des témoins nous dire qu’au gouvernement fédéral, le français n’est pas une langue très, très vivante et que la langue française, c’est plutôt une langue traduite. Je me suis posé la question à savoir si, selon vous, le gouvernement fédéral a un rôle à jouer dans la vitalité de nos communautés, et, si oui, comment cela doit se traduire.

M. Forgues : Je vais commencer, et mes collègues pourront enchaîner éventuellement. Oui, le gouvernement a un rôle à jouer au niveau de la vitalité des communautés, et c’est une obligation — justement, c’est inscrit dans la loi —, donc, il doit offrir cet appui. En anglais, on a le terme « vitality ». En français, on parle d’épanouissement, mais dans la version anglaise de la loi, on parle vraiment de la vitalité. Donc, oui, il y a un rôle. Vraiment, la question, c’est de savoir comment on peut justement favoriser l’épanouissement des communautés. Il y a toute une approche en ce moment — ça a été mentionné – selon laquelle on finance tout un ensemble d’activités au niveau des communautés dans différents secteurs. Je crois que ce qu’il faudrait — et j’ai l’impression d’avoir compris que c’est l’une des directions qu’on veut prendre —, c’est d’en voir l’impact sur les communautés. On parlait beaucoup avant de gestion axée sur les résultats. Donc, on finance tel organisme qui doit nous démontrer qu’il a atteint ses résultants sans nécessairement qu’on mesure l’impact que ça peut avoir sur les communautés.

Maintenant, on veut prendre ce virage-là et je crois que c’est une bonne chose. Donc, on finance un certain nombre d’organismes ou d’activités et on s’interroge ensuite sur l’impact qu’ils peuvent avoir sur la communauté. Je crois qu’il faut revoir l’approche au niveau de l’intervention dans les communautés, parce que les chiffres le montrent. Si on continue comme ça — et je veux dire, on le constate dans les données du recensement —, il n’y a pas vraiment de renversement des grandes tendances qui s’opèrent en ce moment dans les communautés, en fait.

S’il n’y avait pas d’intervention, peut-être que ce serait pire, mais disons qu’on pourrait s’attendre à mieux au niveau de la vitalité des communautés. Je crois aussi qu’il faut réfléchir à l’approche, qu’il faut vraiment prendre le temps de se poser les bonnes questions, des questions qui peuvent parfois déranger un peu. Alors, est-ce que c’est la bonne approche qu’on utilise en ce moment? Comment est-ce qu’on peut l’améliorer? Je crois qu’il y a certaines améliorations qu’on peut apporter. Il y a un potentiel, parce qu’on vise beaucoup ceux qui parlent le français en ce moment. On veut protéger le français, mais il y a ceux qui ont perdu la langue française. Est-ce qu’il y a moyen de revitaliser certaines communautés, par exemple, qui ont perdu leur langue, leur culture et leur identité?

J’ai eu une petite révélation l’année passée quand j’ai fait une visite à Chezzetcook, qui est un petit village à côté d’Halifax. Une étude avait été faite par Ronald Labelle dans les années 1980 où il disait en gros qu’il constatait le déclin linguistique, culturel et identitaire de Chezzetcook. C’est une communauté acadienne, mais qui avait perdu l’usage de la langue. Ce qu’il n’avait pas prévu, c’est tout ce qui est arrivé après. Ils se sont mobilisés pour aller chercher une école. Il y a eu le Congrès mondial acadien. Ils ont obtenu des fonds pour construire un musée et faire connaître leur passé, leur histoire, et il y a eu toute une revitalisation qui a donné lieu à un sentiment identitaire. Il y a eu des étapes. Il y a quelque chose qui s’est passé. Peut-être qu’on pourrait tirer des leçons de cette expérience. Ce sont des gens qui échappaient un peu à la francophonie et à tout l’engagement de la francophonie parce que leur communauté s’était anglicisée avec les années. Ils ne parlaient plus français, donc on les avait mis de côté pour se concentrer sur ceux qui parlent le français aujourd’hui. Je pense qu’il faut le faire. Il faut se concentrer sur ceux qui parlent le français, mais il y a peut-être un potentiel là aussi du côté de certaines communautés qui ont été assimilées avec les années.

Mme Cormier : On a beaucoup parlé, l’équipe de l’Université de Moncton et Mme Léger aussi, de l’éducation en partant de la petite enfance, de l’école et du postsecondaire. Ce sont des compétences provinciales et non fédérales, mais le fédéral a la possibilité de faire des partenariats et des plans stratégiques avec les gouvernements provinciaux pour avoir des politiques, des règlements et des investissements qui visent à favoriser la petite enfance, l’école de langue française et les communautés francophones. Comme je l’ai dit, l’école est le cœur de la communauté et, pour donner un autre exemple, dans la salle ici, il y a une de mes étudiantes au doctorat, Rachel Gauthier, qui est née anglophone et qui ne savait pas qu’elle avait un héritage francophone. Elle est devenue éventuellement la directrice de l’école française à Rusticook, qui est une école de refrancisation où il y a un regain de français dans la communauté, une communauté qui avait vécu beaucoup d’assimilation. J’ai hâte de lire sa thèse parce qu’elle nous parle de ses élèves qui sont dans nos écoles françaises, qui sont d’héritage francophone, mais qui ne parlaient pas français en arrivant à l’école.

La sénatrice Gagné : Je voudrais revenir à la vitalité d’une communauté. Ma question est la suivante : au niveau relationnel — parce que la vitalité, ça se joue autour des relations —, ce qu’on a entendu de certains organismes francophones, c’est que les bureaux du gouvernement fédéral qui se retrouvent dans nos régions doivent aussi faire partie de la communauté. Alors, je me suis posé la question, parce qu’encore là, avec l’accès à l’information, on nous dit que la grande majorité du temps, l’anglais est publié d’abord, ensuite, le français, souvent plus tard, et que c’est une traduction. Alors, au niveau des services visant à soutenir cette vitalité communautaire, est-ce qu’on doit aller au-delà d’une langue traduite?

M. Wade : Oui, très certainement, mais je pense que la vitalité des communautés se joue dans l’accès à des services, qui est une partie essentielle. Cependant, il faut se rendre compte que les interactions du citoyen avec le gouvernement fédéral au quotidien sont assez limitées, sont assez peu significatives dans le vécu de son identité. Dans cette partie-là de la loi, il y aurait peut-être des améliorations à faire, qui seront de petits ajustements, mais je pense que la vitalité, ce n’est pas tout à fait là qu’elle se joue.

Il y a une mesure de vitalité, et la vitalité, il faut encore la définir. Je pense qu’à l’Institut d’études acadiennes, et dans les travaux de Rodrigue Landry, on cherchait à définir ce que c’était, car il y a une conception de la vitalité selon laquelle elle serait souvent intérieure à la communauté. Dans l’ensemble des études qu’on mène, on s’interroge sur les parlants français. Donc, on cherche à savoir quels sont leurs sentiments, ainsi de suite, et on ne prend pas du tout en compte l’environnement extérieur. La vitalité d’une communauté, ça dépend aussi des attitudes de l’autre groupe par rapport à notre existence, et ça, je pense qu’au Canada, dans nos sciences sociales, nos travaux de recherche, quand on fait de la recherche en francophonie, on ne parle pas des anglophones. Eux, c’est l’autre côté, ce n’est pas notre communauté, donc, on ne s’intéresse pas à eux, et je pense qu’il y a une partie de la Loi sur les langues officielles qui entraîne aussi ce genre de logique. Il y a deux communautés qui se battent un peu pour l’argent. Donc, nous, les francophones, on veut avoir notre manne d’argent.

Ainsi, je pense qu’il faut aussi arriver à trouver un lexique, un vocabulaire pour aborder les relations entre groupes linguistiques. On commence à faire des progrès énormes pour aborder plein de tensions qui peuvent exister entre groupes religieux, entre identités sexuelles, entre identités de genre, et on trouve un vocabulaire pour les aborder, pour nommer les inégalités, mais dans le cas des langues, on ne sait pas ce qui constitue une discrimination, une injustice. Est-ce que c’est une forme de discrimination que de se faire constamment dire : « Sorry, I don’t speak your language »? Je ne sais pas ce que l’État fédéral peut faire dans ce domaine-là, mais je pense que c’est la question des relations plus sociales qu’il faut aborder, parce que la vitalité d’une communauté dépend aussi de toutes ces relations-là.

La sénatrice Gagné : Merci.

Le sénateur Maltais : Hier, on a vécu une expérience. On est allé visiter trois écoles, dont une école qui s’appelle Évangéline, si je ne me trompe pas. À ma grande surprise, il y avait des élèves de 9e année qui n’avaient pas encore commencé à apprendre l’anglais. Ce que vous avez dit tout à l’heure, monsieur Forgues, ça m’a fait penser à ça. Est-ce qu’on commence trop tôt à apprendre l’anglais dans la communauté francophone? Est-ce qu’on ne pourrait pas leur donner les 8 ou 10 premières années en français et leur faire apprendre l’anglais pendant les dernières années, comme le font les Anglais? Vous savez, quand on fait face à une armée, il n’est pas simplement question de l’affronter en pleine face. Elle a des côtés. Elle a des ailes, mais, si on ne se sent pas assez fort pour aller en avant, il faut peut-être regarder par les côtés. J’ai trouvé ça extraordinaire de la part des enseignants et des enfants. On s’est permis — et je pense que tous les sénateurs et sénatrices ont posé la même question à leur petit groupe – de leur demander à quelle culture ils s’identifiaient. C’était carrément à 100 p. 100 à la culture acadienne, mais j’ai été malheureux d’apprendre que, dans un petit village de votre région, les gens ne s’identifiaient pas à la culture acadienne.

Est-ce que vous pourriez examiner cette question à un moment donné dans vos réflexions, pour déterminer si le fait de commencer trop tôt à apprendre l’anglais pour les francophones favorise la perte du français une fois qu’ils ont atteint l’âge semi-adulte? Ont-ils tendance à l’oublier et à passer complètement à la langue anglaise? C’est peut-être une méthode indirecte d’assimilation.

J’ai une dernière question, madame Léger. Vous dites dans votre mémoire que la seule façon d’améliorer les relations linguistiques au Nouveau-Brunswick, c’est de créer des liens entre les communautés qui, par moment, ont de la difficulté à communiquer. Vous avez tout à fait raison. C’est une affirmation extraordinaire. Quels seraient ces liens?

Mme Léger : Pour répondre à votre première question, on dit par chez nous que le français, ça s’apprend, et que l’anglais, ça s’attrape. Je ne pense pas nécessairement que ce serait une question d’empêcher l’enseignement de l’anglais, parce que je pense que c’est un des liens qui permettraient une meilleure communication entre les deux groupes linguistiques principaux de notre province. Je pense, comme Mme Cormier, que les ponts se font au niveau culturel.

Je vais vous donner un exemple de ma vie personnelle. À Mount Allison, je suis animatrice d’une émission de radio que j’anime en anglais, mais je joue uniquement de la musique en français, et j’explique le contexte des chansons, j’explique le contenu. C’est ma façon à moi d’amener un peu de ma culture francophone à un milieu qui est majoritairement anglophone. Pour moi, c’est ça, faire des ponts. C’est le fait de faire un effort de parler dans sa langue seconde avec une personne francophone et vice-versa. Ce sont des liens qu’on fait en prenant le temps de se comprendre, d’apprendre la langue d’autrui, et je pense que ça doit se faire à l’école, comme on l’a mentionné aujourd’hui.

Le sénateur Maltais : Je veux revenir à ma première question. Vous y avez touché. Au Québec, moi, mes enfants sont issus de la Loi 101, donc, il y a interdiction d’apprendre l’anglais de la maternelle jusqu’au secondaire 5. Une fois au cégep, bien sûr, il a fallu qu’ils apprennent l’anglais, et le cégep n’est pas fort en anglais. Or, ils ont choisi des professions dont tous les livres sont en anglais parce que les Français n’ont pas fait de livres de médecine, à ce que je sache, ni de génie électrique. De plus, ça m’a coûté très cher pour leur faire apprendre l’anglais. Aujourd’hui, j’ai des petits-enfants, et mon petit-fils, qui est en 4e année, est presque parfaitement bilingue. Il commence à apprendre l’anglais, qui est associé, dans son emploi du temps, au soccer, au patinage et au hockey. C’est devenu comme une matière secondaire, mais obligatoire, alors ils l’apprennent, bien sûr. D’autre part, il faut dire que mes enfants n’avaient pas les médias sociaux d’aujourd’hui, alors leurs enfants vont apprendre l’anglais jeunes. C’est jeune que ça s’apprend, mais ils n’ont pas à avoir peur de perdre leur français. Chez vous, par contre, il faut faire l’inverse, et leur montrer le français adéquatement lorsqu’ils sont jeunes et, plus tard, leur apprendre l’anglais, parce qu’ils ne perdront jamais la base de leur français s’ils l’apprennent pendant 10 ou 11 ans. Ça, j’en suis convaincu. Je ne suis pas un spécialiste, loin de là, mais par expérience, je suis convaincu que ça peut se faire.

Mme Léger : Je ne suis pas spécialiste non plus, mais ayant récemment passé par le système scolaire du Nouveau-Brunswick, je suis absolument d’accord. Une éducation en français doit commencer dès un jeune âge. Elle doit être intensive, mais aussi interactive avec les éléments culturels et communautaires. Je pense que la vraie solution à un bilinguisme plus durable doit aussi se faire du côté anglophone. L’immersion francophone devrait commencer plus tôt.

La sénatrice Moncion : Je vous remercie tous de vos témoignages. J’ai trouvé extrêmement intéressants les aspects que vous avez présentés qui étaient tous différents, mais qui étaient tous aussi complémentaires. Ma question est plus reliée à ce qui manque dans la Loi sur les langues officielles qui permettrait de l’améliorer par rapport à tout ce qu’on a entendu, parce qu’on parle de culture, de langue, d’éducation, d’échange et d’identité communautaire. Vous avez parlé de tout ce qui touche aux différentes solutions. Qu’est-ce qui manque dans la Loi sur les langues officielles qui pourrait donner plus de mordant aux initiatives que vous voulez mettre en place ou pour lesquelles vous devez déployer des efforts? Dans le cadre de notre travail, ça fait partie des recommandations que nous voulons présenter au gouvernement, pour lui indiquer ce qui manque, ce qui doit être fait.

Mme Cormier : Quand on lit la Loi sur les langues officielles présentement, comme disait Mathieu, il est beaucoup question de la relation du citoyen avec le gouvernement fédéral, si on peut recevoir un service en français ou pas, alors c’est très limité dans le quotidien des gens. Ce qui manque dans la loi, ce sont des libellés qui vont faire en sorte que ça va faire une différence dans le vécu quotidien des gens. Il faut agir pour que ça se passe au quotidien, dans l’habitus, dans ce qu’on fait à chaque jour et non pas seulement quand on a besoin d’aller poster une lettre ou de présenter une demande de passeport.

M. Forgues : Je réitérerais aussi ce que j’ai mentionné dans ma présentation, soit le principe du « par et pour ». D’après moi, il serait bien que ce soit intégré dans la Loi sur les langues officielles. Ce pourrait être formulé dans un langage plus juridique, mais c’est l’idée de respecter et de reconnaître l’autonomie des communautés qui devrait servir de base ou de fondement. Je pense à un nouveau contrat entre le gouvernement et les communautés, et sur la base de ce nouveau contrat social et politique, on va donner les moyens aux communautés de définir leurs besoins et de prendre en charge leur développement. Je crois que c’est la partie VII qui reste à préciser. Il y a un gros travail de précision à faire dans la partie VII, ce qu’on entend par le développement, qui peut prendre toutes sortes de directions. Il faut savoir comment on veut le définir, et ça va demander de la part des communautés une grande réflexion collective. Après, ce sera la mise en œuvre. Il faudra donc beaucoup plus de ressources, en tout cas, à l’étape de la mise en œuvre, que ce qu’on a maintenant de disponible.

M. Wade : Je pense que quand la Loi sur les langues officielles a été faite, elle n’a jamais visé à rendre la population bilingue, au contraire. Elle visait à rendre l’État canadien bilingue pour que les citoyens n’aient pas à l’être, et ça, c’est la grande limite de la Loi sur les langues officielles. Ensuite, progressivement, par la jurisprudence et par une série de luttes, l’État en est venu à reconnaître qu’il fallait appuyer les communautés et leur donner du financement et leur reconnaître un espace propre. Cependant, quant à cet espace, je pense qu’il n’y a aucune mesure qui permettrait de dire que la Loi sur les langues officielles a atteint ses objectifs, ni en termes d’immigration ni en termes de rétention de la langue. La « bilingualisation » des citoyens se fait excessivement chez les francophones, très peu chez les anglophones. Donc, ce sont les francophones qui paient, si on veut, le fardeau de la Loi sur les langues officielles et du bilinguisme. Le bilinguisme n’a pas besoin d’être un fardeau, mais il l’est s’il est réparti de façon inégale dans la société. À l’heure actuelle, il l’est, et je pense que la Loi sur les langues officielles, ce qui lui manque, c’est un projet réel de démocratiser l’acquisition des langues officielles au sein de la population.

Le sénateur Cormier : Vous avez beaucoup parlé du « par et pour ». On est orienté vers une réflexion, une consultation sur la jeunesse. On constate dans les communautés la relation que les jeunes entretiennent avec la gouvernance de la société civile, avec la manière dont on organise notre gouvernance au niveau des organismes, au niveau de la multiplication des organismes, au niveau de l’exclusion et de l’inclusion de tous les parlants français dans nos organismes. Est-ce que vous avez des idées sur la façon dont la Loi sur les langues officielles, soit dans ses mesures ou dans sa réglementation, pourrait aider les communautés à redéfinir leur gouvernance, si on juge qu’il faut la redéfinir évidemment, selon les points de vue?

M. Forgues : Oui, je ne sais pas comment on peut prévoir cela dans la loi, mais je pense qu’il faut le faire à une certaine étape, et il faut renforcer la gouvernance si on veut vraiment reconnaître l’autonomie des communautés. Ça passe par un renforcement de la gouvernance au niveau des communautés, c’est-à-dire de trouver des façons de la rendre plus légitime et de faire participer davantage. Il y a toute la question de la mobilisation et de l’engagement de la population et des jeunes aussi. Il faut vraiment qu’il y ait un engagement plus fort. Donc, il y a des étapes, d’après moi, à respecter pour renforcer cette gouvernance-là, et quand on pense à la jeunesse, on pense à une jeunesse qui évolue beaucoup dans les médias sociaux et qui s’engage aujourd’hui autrement. La structure actuelle de la gouvernance est conçue un peu selon une façon de faire des années 1960, 1970 ou 1980, mais aujourd’hui, je pense que la gouvernance doit aussi se moderniser et il y a une réflexion à faire de ce côté-là. Je ne sais pas si d’autres personnes veulent ajouter quelque chose.

M. Wade : Oui, je pense aussi qu’il faut plus de légitimité. On a des organismes qui sont les porte-parole officiels, mais on sait qu’ils peinent à avoir 100 personnes à leur AGA. Est-ce qu’ils sont réellement les porte-parole de la communauté? Ils sont les porte-parole d’une certaine classe de la communauté, des gens qui sont engagés, des gens qu’on entend et qui ont l’enjeu de la francophonie à cœur, mais il y a plein d’autres francophones qui ne sont pas nécessairement représentés et qui ne sont pas entendus dans ces organismes-là. Pour qu’ils deviennent plus légitimes, je ne sais pas quel serait le rôle du gouvernement fédéral, parce que c’est le problème d’une fédération; il y a tellement de paliers de pouvoir qui se partagent ou se partagent jalousement leurs compétences, et il faut déléguer certaines compétences pour que le pouvoir devienne un enjeu collectif légitime. S’il n’y a pas d’enjeu réel, si ces organismes n’ont pas un pouvoir d’agir, les gens ne vont pas s’y intéresser parce que ça demeure de l’ordre du discours et de la consultation. Il faut qu’ils aient un pouvoir d’agir. À ce moment-là, les gens vont se mobiliser pour orienter l’action de ces organismes et leur donner un pouvoir d’agir.

La présidente : Merci. Alors, au nom du Comité sénatorial permanent des langues officielles, je tiens à vous remercier très sincèrement pour la qualité de vos présentations. Réellement, vos mémoires témoignent avec éloquence de l’importance que vous portez à notre étude, et nous vous en remercions. Les commentaires sont très pertinents et nous allons certainement y réfléchir très sérieusement. Ils feront partie de nos recommandations. Alors, merci à vous tous. Ça a été un plaisir pour nous de vous recevoir ce matin.

Pour notre troisième groupe de témoins, nous avons l’occasion d’entendre M. Paul Cyr, qui est directeur de l’instruction de la Commission scolaire de langue française de l’Île-du-Prince-Édouard; M. René Hurtubise, qui est directeur de l’innovation des programmes et des services en français à la direction des écoles publiques de langue anglaise; Mme Anastasia DesRoches, qui est directrice générale de la Fédération des parents de l’Île-du-Prince-Édouard; Mme Gail Lecky, qui est directrice exécutive de Canadian Parents for French pour l’Île-du-Prince-Édouard.

Bienvenue à vous tous. Nous sommes heureux de vous voir parmi nous ce matin. On me dit que vous allez commencer dans l’ordre de gauche à droite ou de droite à gauche, tout dépendant, avec M. Paul Cyr. Après vos présentations, les sénateurs vous poseront des questions. Évidemment, le temps est limité, alors tentez de garder vos présentations aussi concises que possible, de même que vos réponses aux questions des sénateurs. Merci. Monsieur Cyr, la parole est à vous.

Paul Cyr, directeur de l’instruction, Commission scolaire de langue française de l’Île-du-Prince-Édouard : Merci, sénatrice Tardif. La Commission scolaire de langue française (CSLF) a été fondée en 1990. C’est à ce moment que les francophones de la province ont obtenu le droit de gestion de l’éducation dans la province. À cette époque, il y avait deux écoles francophones dans la province, et de 2000 à 2003, quatre nouvelles écoles furent établies pour desservir les six régions de la province. Cette année, on accueille 930 élèves dans nos six écoles et ce nombre est en croissance depuis quelques années.

La Commission scolaire de langue française offre ses services dans un contexte minoritaire. Ainsi donc, l’importance du bilinguisme est primordiale à plusieurs niveaux. D’abord, pour la population francophone de la province, la capacité de pouvoir interagir dans les deux langues est très importante. Les francophones ont besoin de pouvoir interagir entre eux en français et ils ont également besoin de pouvoir le faire en anglais avec des anglophones, que ce soit ici, à l’Île-du-Prince-Édouard, ou à l’extérieur de la province. De plus, les parents qui confient l’éducation de leurs enfants à la CSLF s’attendent à ce que les occasions d’études postsecondaires et/ou d’emplois soient aussi présentes en français qu’en anglais. Le bilinguisme est donc une valeur ajoutée considérable à leurs yeux, et avec raison. Finalement, même après les études scolaires et postsecondaires, le fait d’être bilingue apporte des avantages considérables dans la vie de tous les jours.

En ce qui concerne la promotion du bilinguisme, le milieu minoritaire favorise grandement l’utilisation de la langue de la majorité. Ainsi donc, il est particulièrement facile à l’Île-du-Prince-Édouard d’apprendre l’anglais. Notre défi est davantage de promouvoir l’utilisation du français afin d’assurer le développement de jeunes citoyens bilingues. Selon nous, la promotion du bilinguisme doit souvent se faire en tenant compte des avantages offerts non seulement dans la province, mais aussi dans le pays et dans le monde.

La promotion du bilinguisme est certainement plus facile chez les gens vivant en milieu minoritaire. Ainsi donc, il est plus facile de convaincre un francophone à l’Île-du-Prince-Édouard des avantages du bilinguisme que ce ne l’est de convaincre un anglophone. Cela est également vrai pour un francophone vivant en milieu majoritaire. Les besoins d’apprendre l’anglais sont un peu moins pressants dans un contexte où le français est la langue de tous les jours.

La relation que nous désirons entretenir entre nos deux langues officielles est davantage axée sur un bilinguisme additif. Ainsi, nous tentons de faire la promotion de chacune des langues dans un contexte de bilinguisme en mettant en évidence les avantages d’utiliser les deux langues. Cela étant dit, dans un contexte minoritaire, la CSLF doit faire la promotion du français afin de viser un certain équilibre dans la perception des gens envers l’apprentissage des langues. Cela doit se faire dans le plus grand respect de la langue de la majorité, étant donné que beaucoup de nos élèves sont issus de familles exogames. Dans cet environnement, l’enfant qui vit dans une famille dont l’un des parents est anglophone et l’autre est francophone ne doit pas être placé dans une position où il devra choisir l’une ou l’autre langue. Cette approche ne peut pas fonctionner, étant donné que la langue est étroitement reliée à la culture, aux émotions et aux liens qui unissent les familles. Donc, l’approche basée sur un bilinguisme additif risque d’avoir une portée plus grande envers l’apprentissage de la langue de la minorité, en l’occurrence le français, ici à l’Île-du-Prince-Édouard.

Comme je l’ai déjà mentionné, dans un contexte minoritaire, la motivation à apprendre la langue de la majorité, en l’occurrence ici l’anglais, est très forte. Ce phénomène est particulièrement vrai chez nos familles exogames ainsi que pour celles qui sont composées d’ayants droit qui ont perdu la langue. En ce qui concerne les familles francophones, la motivation à apprendre l’anglais est très présente, même que parfois, il faut être vigilant afin de ne pas négliger le français. Par contre, pour les familles francophones ou exogames qui vivent en français à la maison et qui fréquentent l’école de langue française, le développement de citoyens bilingues semble être plus facile. D’ailleurs, Rodrigue Landry en fait mention dans ses recherches.

Il est certain que nous, à la commission scolaire, utilisons beaucoup l’argument relié aux perspectives d’emploi et d’avenir lorsque vient le temps de faire la promotion de l’école française à l’Île-du-Prince-Édouard. Il est très fréquent pour nous de constater que plusieurs de nos anciens élèves obtiennent des emplois intéressants et que, souvent, le fait d’être bilingue leur donne un certain avantage. Encore une fois, nous partons du principe que le fait de maîtriser deux langues apporte des avantages dans un contexte où le Canada reconnaît ses deux langues officielles. Il est donc très important pour les minorités francophones au Canada que notre pays demeure officiellement bilingue et que les deux langues officielles soient mises en valeur. La CSLF souhaite vivement que les parents continuent de voir les avantages au bilinguisme et qu’ils inscrivent leurs enfants dans une école de langue française. Merci.

La présidente : Merci pour votre présentation, monsieur Cyr.

Nous allons maintenant passer la parole à Mme Lecky, de Canadian Parents for French.

[Traduction]

Gail Lecky, directrice générale, Canadian Parents for French : Bonjour.

Canadian Parents for French — ou CPF — fait partie d’un organisme pancanadien national qui favorise les occasions d’apprendre et d’utiliser le français comme langue seconde ou comme langue supplémentaire pour toutes les personnes qui habitent au Canada. Je tiens à vous indiquer que je vais utiliser abondamment l’acronyme FLS afin de désigner l’enseignement du français langue seconde, ce qui comprend à la fois les cours d’immersion et les cours de français de base.

CPF de l’Île-du-Prince-Édouard est un organisme bénévole dirigé par un conseil d’administration élu. Il emploie une personne à temps plein et son bureau est situé ici, à Charlottetown. Nous sommes heureux d’avoir cette occasion de faire part de nos points de vue au comité.

Nous nous sommes rendu compte que la très petite superficie de notre province nous permet d’avoir une grande portée. Nos programmes tiennent donc compte de cela. Chaque année, nous donnons une trousse de bienvenue aux nouveaux élèves inscrits au programme FLS. Les places du programme Rencontres du Canada sont accordées à nos cinq élèves lauréats du Prix d’excellence pour les étudiants qui œuvrent en français. Nous avons un « Éducateur FLS de l’année » ainsi qu’un programme, « École ambassadrice du français », dont la fonction est d’honorer les écoles qui visent l’excellence dans leur programmation de FLS.

Nous envoyons des étudiants dans des camps de jour en français. Nous épaulons les enseignants de FLS en leur offrant des coffres au trésor, des images pour leur salle de classe, des prestations musicales et plus encore. Nous organisons aussi un Concours d’art oratoire à la suite duquel des dizaines de milliers de dollars en bourses d’études sont remis, et nous rencontrons les parents afin de leur fournir de l’information et des conseils sur l’enseignement du FLS à l’Île-du-Prince-Édouard. Nous sommes en mesure de faire tout cela grâce aux gens qui nous appuient et à nos partenaires, dont la Société Saint-Thomas-d’Aquin, l’Université de l’Île-du-Prince-Édouard, le Collège de l’Île, le ministère de l’Éducation, Early Learning and Culture, l’Université Sainte-Anne, l’Université de Moncton et, bien entendu, le ministère du Patrimoine canadien. Certains de nos programmes sont aussi ouverts à la jeunesse francophone.

Même si l’Île-du-Prince-Édouard enregistre le troisième plus important taux d’inscription dans des programmes d’immersion en français par habitant au Canada, et ce, depuis de nombreuses années, seulement 50 p. 100 des écoles offrent l’immersion en français, et seulement 5 p. 100, l’immersion tardive en français. Le premier élément dont il faut tenir compte est donc l’accès. Si les élèves n’ont pas accès à l’apprentissage d’une deuxième langue officielle dans le système scolaire public, il y a très peu de chance qu’ils parviennent un jour à s’exprimer raisonnablement bien dans les deux langues officielles du pays.

Du point de vue de l’avancement des deux langues officielles, nous sommes d’avis que l’apprentissage du français devrait être le droit de tous les anglophones et allophones au Canada. Par conséquent, nous recommandons que des occasions d’immersion en français précoce et tardive soient offertes à toutes les personnes intéressées, peu importe où elles habitent.

Nous croyons en effet que toutes les personnes qui apprennent le français — et pas seulement celles qui suivent un cours d’immersion — devraient être en mesure d’apprendre les notions de communication essentielles dans la langue seconde, avec un accent particulier sur la compréhension et l’expression orale.

Par conséquent, nous recommandons que les cours de français de base soient obligatoires de la maternelle à la 12e année, et que l’accent soit mis sur la parole et la communication. À l’heure actuelle, à l’Île-du-Prince-Édouard, ces cours ne sont obligatoires que pour les élèves de la 4e à la 9e année.

À l’Île-du-Prince-Édouard, la refonte du programme de français de base favorise le développement de la pensée critique, de la créativité, de la communication et des aptitudes à collaborer. Il s’agit d’un programme d’alphabétisation flexible axé sur l’apprenant, qui met l’accent sur des compétences et des stratégies qui permettront à l’élève de gérer son propre apprentissage tout au long de sa vie. L’objectif des cours de langue est de permettre aux apprenants d’appliquer les compétences et les connaissances acquises en salle de classe dans le monde réel afin de réaliser avec succès des activités similaires à l’aide de la langue cible. On apprend la langue pour s’en servir. Si les élèves sont en mesure d’utiliser ce qu’ils ont appris en salle de classe pour réaliser des tâches dans la collectivité et en dehors de la salle de classe, l’apprentissage de la langue devient un outil puissant.

La prochaine recommandation porte sur la façon dont les jeunes s’identifient à l’apprentissage des langues et des cultures connexes. Nous recommandons que les élèves aient plus souvent l’occasion de participer à des activités bien réelles dans la langue cible, tant en salle de classe qu’à l’extérieur. Apprendre une langue sans connaître le cadre culturel dans lequel elle existe, c’est comme cuisiner un mets exotique sans utiliser les épices de la région. Voilà une excellente occasion pour les communautés de langue officielle de se rapprocher et de collaborer afin de promouvoir une communauté de français langue première et langue seconde dynamique.

Qu’est-ce qui motive une personne à apprendre une deuxième langue? Nous croyons que cela dépend du moment où l’élève commence son apprentissage et de ce qu’il ressent lorsqu’il apprend. Les parents qui ont suivi un programme d’immersion en français précoce ont tendance à tenir compte de l’ensemble des avantages d’apprendre le français, tandis que les parents et les élèves qui ont suivi un programme d’immersion tardive se penchent davantage sur l’employabilité. Nous travaillons d’arrache-pied afin de faire comprendre aux parents et aux élèves que l’apprentissage d’une deuxième langue ne se traduit pas uniquement par une augmentation des débouchés sur le marché du travail, mais également par l’acquisition d’une aptitude de vie. En effet, l’apprentissage d’une deuxième langue permet d’accroître les compétences en communication, les capacités cognitives, les capacités à mener plusieurs tâches en même temps, et il améliore le fonctionnement du cerveau.

En fin de compte, cela permet d’améliorer l’employabilité de l’apprenant, certes, mais aussi d’enrichir sa vie de bien des façons. Quel parent ne souhaiterait pas cela pour son enfant?

Pour faciliter les choses à cet égard, des niveaux de compétences linguistiques reconnus doivent être mis en place afin que les apprenants, les parents, les enseignants, les établissements postsecondaires et les employeurs potentiels s’entendent sur les habiletés des apprenants en la matière.

Les gouvernements doivent être tenus de rendre compte des réussites des élèves. En outre, les parents et les intervenants communautaires doivent participer activement à la prise de décisions avec les commissions scolaires.

En résumé et en ce qui concerne les mesures qui pourraient être prises pour renforcer le soutien du gouvernement fédéral à l’égard de la dualité linguistique, nous recommandons le maintien d’un appui financier et moral solide à l’égard de l’apprentissage des deux langues officielles du Canada.

Nous savons que ces recommandations pourraient demander d’importants changements. En outre, l’amélioration de l’accès demandera une augmentation du nombre de professeurs de français, ce qui nécessitera des investissements accrus. Il est difficile de savoir combien d’argent un pays devrait dépenser pour maintenir et améliorer la capacité de ses habitants à communiquer entre eux, et pour appuyer et nourrir son identité nationale.

Quel devrait être le prix du bilinguisme officiel? En fait, la question devrait peut-être se poser de cette façon : « Quel montant mon pays devrait-il investir dans le bilinguisme compte tenu de son profil national et international actuel? » Dans cette optique, le montant que le pays devrait investir dépend également de ses aspirations.

Cet après-midi, vous entendrez les témoignages de jeunes qui étudient le FLS. L’un des témoins que vous entendrez est Thomas Haslam, un élève de 11e année inscrit en immersion en français tardive à l’école secondaire Kensington Intermediate High. Cette école est la seule à offrir un programme d’immersion en français aux habitants de Kensington, une ville située dans un secteur rural. Thomas est enchanté de sa capacité de communiquer dans les deux langues officielles, et il la met constamment en pratique. Il s’est inscrit à notre concours d’art oratoire, il a passé une semaine au sein du programme Rencontres du Canada et il a siégé au Conseil jeunesse du premier ministre. C’est lui qui s’adressera à vous tout à l’heure. Tout cela est possible parce qu’il est bilingue, parce que son école a été en mesure de lui offrir un programme d’immersion et parce que le Programme des langues officielles dans l’enseignement appuie l’enseignement du FLS.

Malheureusement, le programme de cette école est en danger en raison des critères d’inscription pour les programmes d’immersion en français à l’Île-du-Prince-Édouard. Où seront les Thomas Haslams de demain si ces programmes ne sont pas appuyés et protégés?

Pour moi, le Canada est à l’image du tissu constitué par toutes les personnes qui y habitent. C’est un pays audacieux, grandiose, magnifique, multiculturel et multilingue. Nos deux langues officielles annoncent au monde entier que nous sommes un pays qui accueille la diversité. Nous devons continuer à tenir compte de tout ce que représente le Canada.

Merci.

Le président : Merci beaucoup.

Monsieur Hurtubise, nous vous écoutons.

[Français]

René Hurtubise, directeur de l’innovation, des programmes et des services en français, ministère de l’Éducation, du Développement préscolaire et de la Culture de l’Île-du-Prince-Édouard : Bonjour. Merci beaucoup de nous accueillir. J’aurais une précision à faire avant de commencer. Je ne suis pas à l’emploi de la Public Schools Branch. On a une situation un peu curieuse à l’Île-du-Prince-Édouard, c’est que notre commission scolaire de langue anglaise n’existe pas, donc la Public Schools Branch n’a pas de services pédagogiques. Les services pédagogiques se situent au ministère de l’Éducation. Donc, mon employeur officiel est le ministère de l’Éducation de l’Île-du-Prince-Édouard.

La présidente : Merci.

M. Hurtubise : À ce titre, je m’occupe de tous les programmes de français offerts dans la province, en collaboration souvent avec M. Cyr, ce qui est bien, mais ici, c’est plutôt de la perspective du français langue seconde dont j’aimerais discuter avec vous aujourd’hui. J’ai bien regardé votre invitation et j’ai essayé de m’en tenir aux cinq points que vous proposiez, parce que l’éducation et les deux langues officielles forment un domaine très vaste. Donc, je vais parler de la perspective de la promotion des deux langues officielles, de la perspective du français langue seconde, de la relation identitaire entre les deux langues, des motivations à apprendre l’autre langue officielle, des perspectives d’emploi et aussi des mesures qu’on devrait considérer.

Je commence par les perspectives au sujet de la promotion des deux langues officielles. La promotion à l’Île-du-Prince-Édouard en tout cas ne se fait pas à coup de campagnes publicitaires, mais plutôt dans notre visage. Récemment, on avait des touristes du Québec qui ont remarqué que tous nos panneaux routiers à l’Île-du-Prince-Édouard sont bilingues. Le français a une place ici. Donc, on n’a pas attiré les gens en leur disant de venir à l’Île-du-Prince-Édouard parce que c’est bilingue. Non, je pense qu’il faut le voir, et ça, c’est une des leçons qu’il faut souvent retenir. Je regarde la coopérative qui est à Morell, en route vers les Îles-de-la-Madeleine. Il y a une grosse affiche à la coopérative, et Morell est un village vraiment anglophone, mais la coopérative a opté pour l’affichage bilingue. Or, tout le monde remarque cette affiche-là, sur la route pour aller à notre école francophone, dans le coin de Fortune, tout près de Souris.

Encourager les gens à s’afficher sur Internet en français et en anglais, c’est quelque chose qui est vraiment parlant aussi. Il s’agit d’avoir des gens sur la place publique, comme nos joueurs de hockey qui peuvent s’exprimer autant en français qu’en anglais, nos politiciens qui peuvent de plus en plus s’exprimer dans les deux langues officielles, et nos nouvelles nationales. Comme personne bilingue, je suis toujours un peu déçu quand j’ai une traduction simultanée. J’aime la traduction, mais quand il y a une traduction simultanée lorsque quelqu’un s’exprime en français au bulletin d’information en anglais ou le contraire — parce que beaucoup de nos élèves sont capables de comprendre les deux langues —, je pense qu’on devrait faire plutôt des sous-titres.

À l’Île-du-Prince-Édouard, on regarde aussi beaucoup les postes officiellement bilingues. Ils sont dangereux les postes officiellement bilingues, parce que parfois ils sont difficiles à combler, mais on fait un effort pour en créer de plus en plus au sein du gouvernement de l’Île-du-Prince-Édouard. La même chose se produit à la Public Schools Branch. Des services en adaptation scolaire officiellement bilingues, ce serait bien. Encore une fois, il faut trouver les gens. Donc, si je veux conclure ce segment-là, en ce qui a trait à la perspective de la promotion des langues officielles, à mon avis, le gouvernement fédéral devrait envisager des façons de faire vivre le français ou l’anglais davantage dans toutes les communautés, dans nos 10 provinces et 3 territoires, afin que cet aspect fasse partie de la vraie vie et non pas qu’il soit une chose pour laquelle on fait de la promotion à côté.

La deuxième partie porte sur la relation identitaire entre les deux langues et leurs cultures respectives. Au départ, et on a beaucoup de discussions à l’Île-du-Prince-Édouard sur la question de l’identité, et c’est de plus en plus complexe. Pour les familles exogames et les nouveaux arrivants, se définir comme francophone ou comme anglophone devient de plus en plus difficile. Les données de recensement par exemple ne nous aident pas à ce niveau-là. Notre population de parlants français à l’Île-du-Prince-Édouard dépasse les 3 à 4 p. 100. Il faut vraiment voir comment on peut tenir compte de cette statistique-là au niveau national.

J’ai des amis qui ont des enfants qui se déclarent biculturels parce que, quand on demande à l’enfant quelle est sa langue maternelle, il répond que son père est anglais, que sa mère est française et qu’il a appris les deux langues en même temps. Donc, est-il francophone ou anglophone? Pour moi, ce n’est pas important à 18 ans de se définir ainsi, et c’est une réalité qui existe de plus en plus à l’Île-du-Prince-Édouard.

L’autre enjeu, c’est que la culture de la minorité est très peu présente dans notre environnement et que le gouvernement fédéral doit continuer à fortement encourager cette présence au niveau législatif, en se dotant de lois sur les services essentiels dans les deux langues, mais aussi sur les services culturels. Il y a beaucoup d’investissements qui sont faits en faveur de la culture. On parle beaucoup dans nos programmes de français langue seconde du fait que le français doit être authentique, mais pour nos élèves, c’est difficile de vivre le français de façon authentique à l’Île-du-Prince-Édouard. Il faut aller aux Îles-de-la-Madeleine pour profiter de l’argent du CPF pour pouvoir le faire ou il faut aller à l’extérieur. On a de belles occasions maintenant avec Internet qui est de plus en plus présent, et moi je dis toujours qu’Internet est un beau cadeau, parce que quand on a une plateforme Internet, on peut avoir le sentiment qu’on n’habite pas en milieu minoritaire, dépendamment des sites qu’on choisit. Donc, Internet peut nous aider à ce niveau-là.

Notre nombre est petit à l’Île-du-Prince-Édouard, donc il est certain que la culture française sur la place publique présente un défi. On a six centres francophones à l’Île-du-Prince-Édouard qui aident énormément à mettre la culture française « dans la face des gens », et je pense que c’est important. La majorité fait un effort pour valoriser la langue et la culture minoritaire, mais plus nous avons une majorité qui a développé des compétences dans sa langue minoritaire, plus les accommodements, la valorisation et les efforts pour faire grandir et fleurir la minorité seront présents. Ce que je veux dire, c’est qu’une minorité doit absolument s’appuyer sur la majorité si elle veut fleurir, et la majorité qui parle français par le biais d’un programme de français langue seconde est là pour soutenir la minorité. Trouver la façon de faire le lien entre ces deux aspects est toujours pour moi la partie de mon travail qui m’allume le plus.

Le défi, et Paul l’a mentionné, c’est que c’est trop facile pour la minorité de se fondre dans la majorité. S’afficher dans sa langue minoritaire ou demander et utiliser des services demande des efforts supplémentaires. Quand je suis à l’épicerie, je me demande toujours si je vais parler à la caissière en français ou en anglais. Quand je suis fatigué, je vais parler en anglais, car ça prend un effort de s’afficher en français. II faut vraiment travailler avec nos jeunes ici pour qu’ils puissent être sensibilisés à l’importance d’utiliser leur langue sur la place publique et d’obtenir plus de services, que ce soit en santé, en tourisme ou en éducation.

La troisième partie porte sur les motivations à apprendre l’autre langue officielle. On n’a pas de problème de motivation à l’Île-du-Prince-Édouard à apprendre l’autre langue officielle. Vingt-cinq pour cent de nos élèves sont inscrits dans des programmes d’immersion, ce qui est très élevé au Canada. Je pense qu’il y a juste le Nouveau-Brunswick et le Québec qui ont des proportions plus grandes que celle-là. Il y a une valorisation accrue du programme de français de base. Si, un jour, nos 20 000 diplômés pouvaient avoir une compétence dans la langue française, ce serait vraiment un beau but à atteindre. En ce moment, on diplôme chaque année environ 350 élèves qui ont des compétences en immersion. On leur offre le diplôme DELF qui est reconnu au niveau international. Je crois que cet aspect a engagé beaucoup de parents envers la langue française, en leur montrant que la langue n’est pas seulement quelque chose d’institutionnel, mais quelque chose qui est aussi un passeport pour l’international. Les parents demandent davantage de points d’accès, et Gail fait un très bon travail à ce chapitre. La difficulté quant aux points d’accès, c’est la masse critique qu’il nous faut pour avoir des enseignants. On a beau dépenser de l’argent en ressources pédagogiques, ce qui coûte cher en éducation, ce n’est pas les ressources pédagogiques, ce n’est même pas les voyages, c’est les ressources humaines, parce que pour payer des professionnels dans le cas de petites populations, ça coûte très cher.

On a des modules de programme aussi qui sont intéressants. On a créé le Collège de l’Île, qui est notre institution postsecondaire à l’Île-du-Prince-Édouard. Il est placé en plein centre du collège anglophone, et Holland College a développé un beau partenariat où, justement, le Collège de l’Île peut faire valoir ses services pour le collège anglophone et le collège anglophone peut aussi utiliser le Collège de l’Île. Il y a une belle chimie en ce moment entre les deux organisations, et le postsecondaire devient de plus en plus important, parce que nos élèves sont diplômés à la fin de la 12e année avec certaines compétences en français. Mais ensuite, qu’est-ce qui se passe? Nos institutions postsecondaires doivent aussi jouer un rôle à ce chapitre et le financement de ces institutions postsecondaires doit être assuré.

En ce qui concerne les perspectives d’emploi et l’avenir de nos jeunes bilingues, les perspectives d’emploi des francophones ou des jeunes bilingues à l’Île-du-Prince-Édouard sont excellentes. Il y a de grandes pénuries d’emploi en enseignement, en petite enfance, en soins de santé et en tourisme, où le bilinguisme est très valorisé. Nos jeunes bilingues ont beaucoup d’opportunités. Est-ce qu’il y a des besoins? C’est très difficile en ce moment de trouver des enseignants et des services spécialisés en enseignement. Si je pense à la Public Schools Branch, depuis 2001 et maintenant, il y a à peu près le double des ressources humaines qui travaillent en français langue seconde dans nos écoles. Donc, on parle d’environ 300 enseignants, alors qu’il y en avait 150 il y a 10 ans. Je pense que ce serait la même chose pour la Commission scolaire de langue française.

Le monde de l’éducation a changé aussi. Ce n’est plus seulement d’enseignants dont on a besoin. On a besoin de personnes en adaptation scolaire, de spécialistes en alphabétisme, de services jeunesse, d’aides-enseignants, donc c’est de plus en plus complexe, le monde de l’éducation. Il ne s’agit pas simplement d’avoir un enseignant dans la classe, mais d’avoir aussi une gamme de services qu’il faut leur donner.

On a aussi de grands défis à l’Île-du-Prince-Édouard, et j’en parlais plus tôt, où on peut désigner des postes qu’on ne peut combler en raison de la pénurie de compétences. On a aussi des personnes qui se cherchent des emplois, mais on n’a pas d’emploi à leur offrir.

Finalement, mon dernier point porte sur les mesures à prendre pour renforcer l’appui du gouvernement fédéral à la dualité linguistique. Il est certain que le financement du gouvernement fédéral est important à considérer. Il n’y a pas eu de hausse de financement depuis 10 ans par rapport à l’entente officielle en éducation. Quant à l’augmentation de points d’accès pour les programmes d’immersion, je suis d’accord avec Canadian Parents for French. En fin de compte, si on veut apprendre par le biais de l’immersion, on devrait pouvoir offrir le programme. En ce moment, ce n’est pas possible parce que les milieux ruraux encore une fois n’ont pas la quantité suffisante d’élèves.

En outre, parlons du perfectionnement des enseignants par niveau linguistique et pédagogique. Nos enseignants avant étaient francophones. Maintenant, de plus en plus, ce sont des apprenants de français langue seconde. Ils ont beaucoup de besoins à ce niveau-là. J’aimerais aussi que le gouvernement fédéral exerce un leadership pancanadien afin de créer un cadre de compétences en matière de langue, surtout pour la langue française. On pourrait faire ça, encourager la collaboration entre le français langue maternelle et le français langue seconde, et bâtir des ponts entre les deux programmes et non pas des murs. Pour moi, c’est important de le faire. Investir dans l’éducation postsecondaire et, finalement, la dernière chose, c’est « walk the talk », ou comme on dit en Acadie, les « bottines doivent suivre les babines. » Donc, il serait important que si on y croit, il faut l’afficher constamment comme gouvernement et comme institution, que ce soit au Sénat ou au Parlement. Merci beaucoup.

La présidente : Merci, monsieur Hurtubise.

Madame DesRoches, s’il vous plaît.

Anastasia DesRoches, directrice générale, Fédération des parents de l’Île-du-Prince-Édouard : Bonjour. Merci à tous d’être venus nous voir à l’Île-du-Prince-Édouard. C’est vraiment important pour nous. On se sent souvent isolé ici dans notre petite île, et surtout en contexte minoritaire, donc, merci beaucoup d’être venus nous voir ici. C’est très important.

Je suis la directrice générale de la Fédération des parents de l’Île-du-Prince-Édouard. Je représente un conseil d’administration de 12 membres de chacune des six régions acadiennes et francophones de l’Île-du-Prince-Édouard. Ils m’ont donné le mandat de venir ici vous parler aujourd’hui au sujet de la petite enfance francophone à l’Île-du-Prince-Édouard. J’ai tendance à beaucoup parler, donc je me suis préparé des notes et je vais suivre mes notes.

Nous avons six écoles françaises à l’Île-du-Prince-Édouard. Chaque école se situe dans un centre scolaire communautaire qui englobe un centre de la petite enfance (CPE). Dans ces centres de la petite enfance, nos listes d’attente contiennent le double du nombre d’enfants que nous accueillons présentement. Nous avons une grande pénurie d’éducateurs et d’éducatrices dans nos centres, ce qui contribue largement à l’enjeu des listes d’attente.

Pour vous démontrer ce que ça veut dire pour nos familles francophone à l’Île, je vous présente l’histoire de trois familles. Je pensais que c’était une bonne façon de vous démontrer ce que ça veut dire réellement sur le terrain chez nous.

Famille numéro 1 : maman Mylène est enseignante à l’école française, et papa Brent est travailleur jeunesse dans la communauté des Premières Nations à Lennox. Louis-Gabriel vient d’avoir cinq ans et il a commencé la maternelle cette année. Son petit frère, bébé Antoine, vient d’avoir un an et maman recommence le travail après avoir terminé son année de congé de maternité. Maman a mis le nom de bébé Antoine sur la liste d’attente au centre de la petite enfance avant la naissance de son enfant. La famille a attendu jusqu’à deux mois avant la rentrée au travail pour savoir s’il allait y avoir une place pour son enfant. Ils ont finalement eu la confirmation, mais maintenant, le centre perd trois éducatrices au cours du prochain mois qui partent pour occuper des emplois qui paient beaucoup plus que le domaine de la petite enfance. Les parents se demandent si ce sera Antoine qui va perdre sa place ou Louis-Gabriel qui va perdre sa place dans les programmes après-classe. Ils n’ont pas assez d’éducatrices. La seule solution pour un CPE, c’est de couper des groupes. Ils se demandent s’ils seront obligés de prendre un congé de travail ou s’ils seront obligés d’aller chercher un service de garde en anglais.

Famille numéro 2 : maman Julie travaille comme aide-enseignante dans une école de langue française. Papa Chris s’est inscrit au collège communautaire afin de poursuivre ses études. Olivia, qui a quatre ans, est au service de garde en français dans la classe de prématernelle, mais le bébé de la famille, Brody, qui a deux ans, n’a pas de place au centre de la petite enfance. Il est sur la liste d’attente depuis plusieurs mois. Chris a été obligé d’annuler son inscription au collège à la session d’automne cette année puisque la famille ne peut pas trouver un service de garde en français pour Brody. La famille a été obligée de prendre la décision que Chris n’étudiera pas et ne travaillera pas tant que la famille n’aura pas trouvé une place en français.

Famille numéro 3 : maman Christine est infirmière, papa Trevor est physiothérapeute. Ils ont trois enfants, les deux plus vieux ont commencé l’école. Maxim est en 2e année et Annabelle, en maternelle. Bébé Samuel, qui vient d’avoir un an, a finalement une place dans le centre de la petite enfance francophone dans sa région. Pour avoir cette place, sa famille a placé son nom sur la liste d’attente avant sa naissance et Samuel avait besoin d’une place ce mois-ci, en septembre 2017. Pour avoir cette place, la famille a été obligée de payer des frais de garderie depuis le mois de mars de cette année, soit des frais de plus de 4 000 $. Cette famille, qui accorde la priorité au service de garde en français et à l’éducation en français, a été pénalisée et a dû payer cette somme pendant que maman était en congé de maternité. Ce sont des frais énormes que la plupart des familles n’auraient pas pu se permettre et qui rendent le service de garde en français à l’Île-du-Prince-Édouard un service d’« élite » qui ne répond pas à aux besoins de nos familles francophones et ayants droit.

Ce sont trois histoires, entre autres, dans notre province. Comme Fédération des parents, nous entendons des histoires semblables toutes les semaines. Nous sommes encouragés des fonds qui ont récemment été annoncés par le gouvernement fédéral pour la petite enfance, mais nous sommes déçus que, dans notre province, ces fonds ne puissent pas être utilisés pour répondre à l’enjeu des salaires des éducateurs et des éducatrices qui contribue grandement à la pénurie d’employés.

En conclusion, je partage des citations du rapport de l’ancien commissaire aux langues officielles, Graham Fraser, qui s’intitule La petite enfance : vecteur de vitalité des communautés francophones en situation minoritaire, publié en octobre 2016. M. Fraser dit ceci :

En milieu minoritaire, la petite enfance revêt une importance particulière, et ce, tant sur le plan individuel que collectif. D’une part, pour les jeunes enfants, il s’agit d’un moment clé en matière d’apprentissage de la langue française, de construction identitaire et de développement d’un sentiment d’appartenance à la communauté. D’autre part, c’est une période critique pour ce qui est du développement et de la vitalité des communautés.

Dans son rapport de 2011, le Comité permanent des langues officielles de la Chambre des communes résume ainsi l’importance du développement de la petite enfance pour le recrutement des écoles francophones :

Les garderies et les centres de la petite enfance et de la famille sont de véritables pépinières qui alimentent les écoles francophones en situation minoritaire. Plusieurs experts ont également constaté des résultats positifs en matière d’apprentissage, de communication, de compréhension et de vocabulaire des jeunes enfants au moment où ils entrent à l’école lorsqu’ils ont été exposés au français entre l’âge de 0 et 5 ans.

Je suis contente de vivre dans une province où les partenaires scolaires et communautaires travaillent ensemble pour essayer de trouver des solutions permanentes à cette problématique qui nous crée, comme familles francophones, un désavantage par rapport à la transmission de la langue et de la culture à nos enfants. Nous avons besoin de formaliser l’importance au niveau des gouvernements provinciaux et fédéral afin de trouver des solutions pour nos familles. La Fédération des parents se pose la question suivante, et c’est une question que je vous pose : Comment un parent devient-il seulement un parent ayant droit quand son enfant atteint l’âge scolaire? Il est parent au moment de la naissance de son enfant. Comment pouvons-nous ignorer l’importance du développement langagier et culturel de nos enfants à l’étape de la petite enfance?

Je vous remercie d’avoir pris le temps de nous écouter aujourd’hui, et nous avons hâte de travailler avec vous pour trouver des solutions.

La présidente : Merci beaucoup, madame DesRoches, et merci aussi pour la présentation de votre récit sur les trois familles. Je pense que cela illustre très bien les réalités et les défis qui sont présents. Merci à vous tous.

Nous allons commencer la période des questions. La sénatrice Poirier, qui est vice-présidente du comité, posera la première question, suivie du sénateur Cormier.

[Traduction]

La sénatrice Poirier : Ma première question s’adresse à Mme Lecky, de Canadian Parents for French. Dans votre exposé, vous avez parlé du programme d’enseignement du français de base. Hier, lorsque nous avons visité des écoles, nous sommes allés à l’école Athena, dans la région de Summerside. Nous avons parlé à des étudiants de 9e année qui faisaient partie du programme de français de base. Nous avons remarqué qu’il y avait 15 ou 16 élèves autour de la table, et que le reste de la classe était assis en retrait.

Nous leur avons d’abord demandé s’ils croyaient que le fait de suivre le cours de français de base de la 4e à la 9e allait leur permettre, au final, de se considérer comme étant bilingues. D’après ce que j’ai compris, ils ont répondu par la négative. Ils n’avaient pas l’impression de maîtriser suffisamment le français pour être considérés comme étant bilingues.

Nous avons demandé combien d’entre eux prendraient le cours de français de base si ce cours n’était pas obligatoire, s’il était optionnel. Ils n’ont été que trois ou quatre à dire qu’ils le prendraient, mais les autres ont dit qu’ils le prendraient à condition que le programme soit modifié. Ils ont dit que dans le programme de base, ils apprenaient à dire certains mots, comme le nom des fournitures d’école, comme « un effaceur » pour « eraser ». L’apprentissage porte sur le vocabulaire, mais ils n’apprennent pas vraiment à parler la langue ni à communiquer en situation réelle, comme ce serait le cas s’il rencontrait un francophone.

Certains ont dit qu’ils seraient plus enclins à suivre le cours si cet enseignement, la communication en situation réelle, tenait une plus grande place dans le programme de base, s’ils étaient en mesure d’avancer plus vite et d’en apprendre plus.

Vous recommandez que cet enseignement soit obligatoire de la maternelle à la 12e année. Lorsque vous dites cela, pensez-vous à l’enseignement de base tel qu’il est pratiqué maintenant, ou souhaiteriez-vous un enseignement un peu plus ambitieux, un enseignement qui permettrait aux élèves d’en apprendre un peu plus?

Je ne crois pas que ce serait aussi riche qu’un cours d’immersion française. Je ne suis pas certaine. Un programme de base, ce n’est pas tout à fait la même chose.

J’aimerais savoir ce que vous en pensez.

Mme Lecky : Merci. J’aurais probablement dû donner plus de précisions à cet égard.

Il y a un nouveau programme de français de base. En fait, c’est René qui est l’expert dans ce domaine; mes connaissances en la matière sont très limitées. Le programme a été déployé en 4e, 5e et 6e année, et l’on procède actuellement à son déploiement en 7e, 8e et 9e. Les étudiants de 9e année à qui vous avez parlé n’en sont donc qu’à leurs premiers pas avec le nouveau programme de base.

D’après ce que j’ai compris, le nouveau programme de français de base est axé sur l’acquisition de compétences pratiques en français oral.

Connaissez-vous le programme de français intensif? C’est un programme qui est axé sur la littératie. Je crois que nous pouvons convenir que le français de base tel qu’il était enseigné traditionnellement ne donnait pas ou ne donne pas les résultats recherchés ou prévus par le système scolaire.

Je crois que le nouveau programme compte passer plus de temps sur l’écriture et les communications pratiques. On cherchera à faire des choses plutôt qu’à ressasser des listes de verbes, et cetera. Encore une fois, je crois que René pourrait répondre à cela.

J’ai grandi au Manitoba et, à l’époque, nous apprenions le français de base dès le début. Je me souviens d’avoir eu des cours de français de base en 1re année. Même s’il ne m’en reste pratiquement rien, je retourne toujours à cela.

Je crois que ce qui est important, c’est le temps que l’on consacre à la tâche. Si le programme est censé être juste un peu moins exigeant qu’une immersion, je crois que le temps consacré à son enseignement ou le temps pendant lequel les élèves pourront y avoir accès, c’est ce qui sera déterminant pour la qualité des résultats.

René, voulez-vous ajouter quelque chose à cela?

M. Hurtubise : Vous vous débrouillez très bien.

Très brièvement, en ce qui concerne le nouveau programme de français de base, nous en sommes à la dernière année du déploiement pour les 4e, 5e et 6e années. Nous commençons tout juste à travailler sur les 7e, 8e et 9e années. L’objectif est précisément de faire ce que vous avez dit.

Par l’intermédiaire du Conseil des ministres de l’Éducation, nous menons aussi une autre étude sur l’engagement des élèves à l’égard du FLS. Nous savons que les élèves prennent cela au sérieux. Ils ont un sentiment de compétence et de pertinence — « pourquoi suis-je en train d’apprendre cela? » — et l’aspect d’identification a aussi son importance : « Il y a d’autres élèves comme moi qui aiment cela. » Ce sont les choses sur lesquelles nous travaillons dans le cadre du nouveau programme de français de base.

Le problème, c’est que le cours n’occupe que 10 p. 100 de la journée. Comment peut-on acquérir une langue en n’y consacrant que 10 p. 100 de la journée? En matière d’éducation, l’assiette est chargée.

Je crois que le nouveau programme remédie en partie aux problèmes que vous avez cernés.

[Français]

La sénatrice Poirier : J’aurais une autre question, et n’importe qui peut y répondre. Existe-t-il un partenariat entre les écoles francophones et les écoles qui offrent les programmes d’immersion française à l’Île-du-Prince-Édouard pour faire la promotion de la langue française? Est-ce qu’il y a un partenariat entre les deux, que ce soit du côté culturel, social, éducatif, sportif, est-ce qu’il y a quelque manière ou quelque chose qui existe pour aider à augmenter le nombre de personnes qui s’identifieraient comme bilingues à l’Île-du-Prince-Édouard?

M. Cyr : Il y a eu des essais de partenariat dans le passé, et il y a encore des partenariats présentement qui ont lieu. Ce n’est pas nécessairement relié au niveau de la langue. Pour une école où il n’y avait pas assez d’élèves pour faire une équipe sportive, le partenariat se fait avec une école anglophone près de l’école dans la mesure du possible.

Mais je vais revenir à la première partie de ma réponse. Lorsqu’on a tenté de faire des expériences dans la région de Charlottetown entre l’école François-Buote et les écoles Charlottetown Rural et Colonel Gray, deux grosses écoles secondaires anglophones, l’idée était, de prime abord, que les élèves d’immersion de Charlottetown Rural ou de Colonel Gray pourraient venir à notre école pour un cours par jour et vice-versa. À l’école anglophone, étant donné qu’ils sont plus nombreux, c’était possible pour eux d’offrir des programmes que la petite école francophone ne pouvait pas offrir. On s’est rendu compte que cet échange-là était profitable jusqu’à un certain point, mais on s’est rendu compte également que l’école francophone a perdu des élèves parce que, lorsqu’on permettait aux élèves d’aller à l’école anglaise — le côté social à cet âge-là est extrêmement important —, ces élèves aimaient tellement ça qu’ils décidaient de s’y inscrire l’année suivante. Alors, nous, on perdait nos élèves.

Donc, on a mis fin à ce programme-là momentanément. On n’a pas trouvé la solution pour le faire, car, qu’on le veuille ou non, le système d’éducation est financé par le nombre d’élèves et le nombre d’élèves permet souvent d’offrir des programmes. Si on n’a pas le nombre d’élèves suffisant, on ne peut pas offrir tel ou tel programme, alors c’est un peu au détriment de la Commission scolaire de langue française.

La sénatrice Poirier : Merci.

Le sénateur Cormier : Ma question ou mon commentaire ira dans le même sens que la sénatrice Poirier. Ce qu’on a vu depuis quelques jours, c’est évidemment des écoles francophones aux prises avec les enjeux qui touchent la réalité de l’Acadie, de l’Île-du-Prince-Édouard et de la francophonie aussi au niveau de la petite enfance. Donc, on a bien saisi ces enjeux-là. On a saisi les enjeux des écoles d’immersion et des écoles où il y a de l’enseignement de français de base qui se donne, les défis liés aux ressources humaines, ainsi de suite.

Je m’intéresse surtout au pont identitaire entre les deux communautés et aux défis. Je vais vous avouer très candidement que j’étais un peu troublé par certains commentaires ou certaines informations. Par exemple, quand on s’est présenté dans les écoles d’immersion et dans les écoles où il y a l’enseignement du français chez les anglophones, leur référence à la langue française et à la culture française n’était plus du tout de l’Île-du-Prince-Édouard. En fait, pour eux, ils parlaient du Québec, ils parlaient de la France, ils parlaient de l’Afrique comme étant des référents francophones d’une part. Quand on a parlé avec les étudiants à l’école Évangéline, par exemple, dans la conversation ils nous disaient : « Quand on parle avec les anglophones qui apprennent le français, parfois, ils ne comprennent pas notre langue à cause de nos couleurs spécifiques francophones de l’Île-du-Prince-Édouard. »

Alors, pour moi, c’est à la fois le renforcement de deux solitudes, et je m’interroge sur ce que le gouvernement fédéral peut faire, dans son travail de modernisation de la Loi sur les langues officielles, pour favoriser ces pôles-là, et sur la façon dont on peut faire, dans une réalité comme celle de l’Île-du-Prince-Édouard, que la réalité culturelle francophone des Acadiens de l’Île et des francophones de l’Île soit peut-être mieux appréciée — si je peux me permettre ce terme-là — de la communauté anglophone et mieux comprise ou mieux intégrée. Comment peut-on faire ces ponts-là? Avez-vous des idées? J’ai compris les défis liés à l’assimilation et au transfert des étudiants francophones vers les écoles anglophones, mais il me semble qu’il y a là un défi majeur pour l’avenir des langues officielles au Canada que la création de ces ponts.

M. Hurtubise : J’ai peut-être juste un élément de réponse, parce que c’est une grande question. Les référents culturels, c’est intéressant, parce qu’on a beaucoup de difficultés, ici à l’Île-du-Prince-Édouard, à faire une place à la francophonie de l’Île-du-Prince-Édouard dans nos écoles. Juste au niveau de l’édition de livres, moi, je dis toujours à la Voix Acadienne, le seul journal francophone : « Vous êtes probablement le seul journal au monde qui publie de l’information en français au sujet de l’Île-du-Prince-Édouard. » Il n’y a pas personne d’autre qui parle de l’Île-du-Prince-Édouard en français au monde. Et, quand on veut publier des livres pour les enfants, promenez-vous dans une école. Combien de livres dans la bibliothèque ont-ils été écrits par des insulaires? Très peu, parce qu’on n’a pas la masse critique pour le faire.

En ce moment, on a un projet sur l’histoire des Acadiens de l’Île-du-Prince-Édouard qu’on veut présenter dans nos écoles, mais c’est quelque chose qu’on doit complètement fabriquer, parce que ce n’est pas une maison d’édition au Québec qui va s’intéresser à publier en français au sujet de l’Île-du-Prince-Édouard ou à publier des auteurs francophones de l’Île-du-Prince-Édouard. Donc, ils font une étude de marché par rapport à ça.

Je pense qu’un autre aspect qui pourrait nous ouvrir des portes — et je pense que M. Cyr l’a expliqué tout à l’heure —, c’est que maintenant on commence de plus en plus à offrir des cours où nos élèves suivent des cours avec des élèves d’autres écoles. Il y aurait peut-être des portes qui pourraient s’ouvrir au niveau de la collaboration virtuelle entre les deux programmes.

Mme DesRoches : Je veux soulever un point que je trouve très important au niveau des parents. Ce n’est pas que je suis contre cette idée-là. C’est absolument vrai, mais il ne faut pas oublier que l’école française a le double mandat de la construction identitaire en même temps que l’éducation des enfants. Les écoles anglophones n’ont pas nécessairement cette mission et le programme d’immersion n’a pas nécessairement cette mission. Chez nous, c’est ce qui différencie pour beaucoup de parents les deux programmes. Si on va identifier un programme d’immersion comme étant un programme de construction identitaire, je pense qu’il faut vraiment faire attention à l’impact que ça pourrait avoir sur les écoles françaises et les choix des parents, les parents ayants droit qui ne vont peut-être pas voir une différence si on commence à parler de construction identitaire et de contribution à la culture dans une école d’immersion. Je le dis de nouveau : je ne suis pas contre l’idée. Je suis d’accord que ça peut être un élément important, mais je pense qu’il faut quand même trouver des moyens de bien différencier les deux programmes et de bien expliquer quel programme répond à quelle famille.

[Traduction]

Mme Lecky : C’est vrai, car René l’a dit tout à l’heure, une bonne partie des enseignants du programme d’immersion française sont eux-mêmes issus de l’immersion française. Ce ne sont pas des Acadiens ni des Québécois. La majorité d’entre eux ne viennent pas d’un milieu francophone.

La culture fait partie du programme d’immersion française — comme c’est le cas pour le programme de base —, mais elle n’y prend pas une bien grande place. Le programme devrait probablement insister un peu plus là-dessus. Comme je l’ai dit, les expériences culturelles sont importantes, car elles permettent de comprendre qu’il ne s’agit pas seulement d’une langue, mais bien de toute une façon de vivre.

Vous ne pouvez pas vraiment apprendre une langue sans tenir compte de l’aspect culturel. Je crois que c’est ce que nous faisons depuis des années, tant dans le programme de base que dans le programme d’immersion. Les élèves apprennent la langue, mais cela ne les touche pas vraiment. Alors, à fin de leur 12e année, lorsqu’ils entrent sur le marché du travail, c’est vraiment à peu près la seule chose qui les intéresse. Nous devons les former pour qu’ils décident d’eux-mêmes d’aller au carrefour, d’aller voir des pièces de théâtre en français, d’écouter de la musique en français et d’adhérer à des organismes francophones à but non lucratif lorsqu’on les invite à le faire, et cetera.

La culture fait partie de ces deux programmes, mais on n’obtient pas de résultats probants pour l’instant. C’est pour cette raison que nous affirmons que ces activités culturelles sont essentielles. C’est l’une des choses sur lesquelles travaille Canadian Parents for French. À cet égard, nous collaborons avec des organismes francophones. Précisons que nous tentons aussi de mêler l’identité culturelle de l’Île du Prince-Édouard à ces activités.

[Français]

La présidente : Monsieur Cyr, vous voulez commenter?

M. Cyr : Hier, vous avez rencontré les élèves de l’école Évangéline dans la région Évangéline qui, historiquement, est la seule région qui a gardé son école en 1960 lorsque les écoles francophones — il y en avait une cinquantaine dans la province — ont toutes été assimilées du côté anglophone, à l’exception de l’école Évangéline. Donc, cette région-là demeure une région où la culture acadienne est très forte. Si vous aviez rencontré les élèves à François-Buote hier, vous auriez peut-être eu une autre perspective. Le défi que vous mentionnez d’attacher les référents de l’Île-du-Prince-Édouard aux élèves est grand à François-Buote, et il est grand dans les autres régions, étant donné que les francophones dans ces régions sont un peu plus multiculturels. Ils viennent de différentes nationalités. Beaucoup de ces élèves-là viennent de parents anglophones et ils ont perdu cette culture et cette importance de la culture francophone.

Donc, lorsqu’on dit qu’historiquement on a vu les changements où on parlait de culture acadienne, à Charlottetown, ça ne suffirait pas de parler seulement de culture acadienne. Il s’agit de culture acadienne et francophone. Donc, le référent est un peu plus difficile à trouver à l’extérieur de la région de l’école Évangéline. Malgré le fait qu’il y ait quand même des élèves qui s’identifient à la langue, ils trouvent leur référent quelque part, mais pas nécessairement dans la culture acadienne.

La sénatrice Gagné : Je vous remercie de votre présentation. J’ai trouvé vos présentations fort intéressantes.

J’apprécie énormément le fait que vous veniez nous brosser un tableau du système scolaire, tant au niveau de la Commission scolaire francophone qu’au niveau des programmes d’immersion française. J’aimerais me pencher un peu plus sur toute la question des ayants droit et des données qui sont disponibles pour recruter des ayants droit dans le système scolaire. Pour commencer, je vais demander à M. Cyr quel est le pourcentage d’élèves que vous avez qui proviennent de familles exogames dans votre système?

M. Cyr : Présentement, c’est plus de la moitié, environ 60 p. 100, je crois, et ce nombre-là s’en va en accroissant.

La sénatrice Gagné : Alors, quel serait le nombre d’ayants droit qui choisissent de s’inscrire dans une école anglophone?

M. Cyr : Très grand. Trop grand, vraiment.

La sénatrice Gagné : Est-ce que vous pouvez les identifier? Est-ce que vous avez des données fiables pour être en mesure de les identifier?

M. Cyr : Dans certaines régions. Si on peut prendre une région comme la région de Saint-Augustin, il y a une recherche qui a été faite quelques années passées. On avait quelqu’un qui passait de maison en maison pour essayer d’identifier les gens qui sont des ayants droit et les raisons pour lesquelles les élèves ne venaient pas à l’école de Saint-Augustin. Dans cette région-là, il y a un grand, grand nombre d’élèves qui vont à l’école d’immersion dans la région. Dans la région de Prince-Ouest, une région qui était majoritairement francophone dans les années 1960, on retrouve énormément de noms de famille francophones, comme les Arsenault, les Gaudet, les Richard, les Gallant. Dans cette région-là, il y avait énormément de francophones. Maintenant, on a une école qui peine à reprendre du terrain au niveau de l’assimilation, donc, encore une fois, il y a une majorité d’élèves qui sont ayants droit qui fréquentent l’école de langue anglaise ou d’immersion.

Le danger avec tout ça, avec le temps, c’est que ce droit-là, être ayant droit, se perd. Donc, maintenant, dans la politique d’admission de la Commission scolaire, on a ce qu’on appelle la clause de droit acquis où on permet à un élève qui aurait perdu le droit de fréquenter l’école de langue française de retourner voir dans sa généalogie si son grand-père ou sa grand-mère avaient eu la chance d’aller à l’école de langue française et n’a pas pu donner ce droit-là à ses enfants, parce qu’il n’y avait pas d’école de langue française dans la région à ce moment-là. Pour répondre à votre question, le nombre d’ayants droit qui fréquentent le programme d’immersion est grand.

La sénatrice Gagné : Est-ce que vous croyez que le gouvernement fédéral a la responsabilité de soutenir les provinces et les commissions scolaires dans le dénombrement des ayants droit pour que vous puissiez au moins les identifier et avoir même une possibilité de les recruter?

M. Cyr : Présentement, on fait beaucoup de campagnes de promotion pour essayer de recruter ces gens-là. On aimerait que ces gens viennent à l’école de langue française d’eux-mêmes. Le choix à l’éducation, c’est toujours un choix qui revient aux parents. La Commission de langue française — et je le dis avec tout le respect que j’ai pour mes collègues — aimerait bien voir une loi comme celle qui est en vigueur au Nouveau-Brunswick où les ayants droit n’ont pas l’option de choisir le programme d’immersion. Les ayants droit doivent aller à l’école de langue française ou l’école de langue anglaise, et le programme d’immersion est vraiment réservé aux anglophones francophiles qui veulent donner le français comme une valeur ajoutée à leur enfant. Il y a plusieurs facteurs qu’il faudrait analyser, mais l’ayant droit devrait être en mesure de recevoir un appui pour aller à l’école de langue française.

Je vais faire un petit crochet, et je ne veux pas éterniser ma réponse, mais à peu près trois ans passés, on avait fait une demande à Patrimoine canadien pour un projet majeur qui avait trois volets. Le premier volet visait la francisation des élèves de la maternelle à la 2e année. Le deuxième volet visait à soutenir les parents ayants droit qui ont perdu leur langue et qui sont incertains de pouvoir appuyer leurs enfants s’ils les inscrivent dans une école de langue française. Le troisième volet visait l’éducation préscolaire gratuite pour les enfants de quatre ans, projet un peu semblable à ce qui se passe en Nouvelle-Écosse. Depuis, on a réussi à mettre en œuvre le premier volet du projet, c’est-à-dire la francisation de la maternelle à la 2e année. Ça donne des résultats incroyables pour nos élèves, parce que la plupart de nos élèves arrivent en maternelle et ils ne comprennent pas le français, ils ne maîtrisent pas le français, mais ce programme-là les aide rapidement à atteindre le niveau. Le deuxième volet, c’est celui qui touche les parents qui sont incertains. Il est sûr qu’on ne peut pas forcer les parents anglophones ayants droit à inscrire leur enfant dans une école de langue française si on n’est pas prêt à leur donner le soutien pour qu’ils soient à l’aise d’aider leur enfant.

Le sénateur Maltais : Je voudrais vous remercier tout d’abord d’être venus témoigner. Nous avons appris beaucoup de choses avec vous, mais nous en avons appris beaucoup aussi en visitant vos écoles.

Monsieur Hurtubise, je vous félicite pour votre mémoire. Il y a une petite chose que je n’aime pas dedans et je vais vous le dire tout de suite. Ne parlez jamais devant moi de langue seconde. Il y a deux langues officielles. Un second, je vais vous dire ce que c’est. Sur votre automobile, vous avez quatre pneus et vous avez un pneu de rechange dans le coffre. C’est un second pneu. Il y a deux langues officielles. On parle de l’anglais ou du français, indépendamment à qui on s’adresse. La langue seconde, c’est une insulte pour moi. Je ne suis pas une personne de seconde classe parce que je suis francophone, et ça, je pense qu’il faut l’inculquer aux enfants. Dans un milieu minoritaire comme le vôtre, il y a l’anglais et le français, les deux langues officielles de notre pays. Cela étant dit, vous avez souligné un point qui m’a drôlement frappé, soit la difficulté de recruter du personnel compétent. Nous avons visité hier le collège.

La présidente : De l’Île.

Le sénateur Maltais : Voilà. Merci, madame la présidente. Il y en avait même qui, comme vous l’avez dit, étaient encore à Charlottetown, et nous étions au collège par vidéoconférence, donc on pouvait se parler. La difficulté de recruter du personnel, est-ce lié, par exemple… Il y a certainement des jeunes francophones qui vont faire leurs études en pédagogie à l’extérieur, soit à Moncton ou dans d’autres universités en français. Pourquoi ne reviennent-ils pas à l’Île-du-Prince-Édouard? Est-ce que c’est à cause des salaires? Ce n’est certainement pas en raison des conditions de vie, parce que vous avez une île phénoménale de toute beauté. Pour quelles raisons ne reviennent-ils pas ici?

M. Hurtubise : Merci pour votre point sur la langue seconde. On est parfaitement d’accord. On parle toujours de nos FSL Programs et il faut trouver autre chose.

Pourquoi ne reviennent-ils pas? Je ne pense pas que la profession d’enseignant est aussi valorisée qu’elle pourrait l’être auprès de notre jeunesse. Je parlais à la doyenne de la faculté d’éducation à Moncton, qui serait vraiment une pépinière pour nous, ça serait fantastique, mais elle dit que les inscriptions diminuent de moitié. Donc, en partant, les nombres sont moindres. Je n’ai pas beaucoup d’expérience avec le recrutement. Nos stratégies de recrutement, avec les budgets qu’on a, on s’y prend très tard. La doyenne nous disait que les provinces de l’Ouest sont beaucoup mieux organisées pour faire du recrutement sur le terrain. Ce qui a aidé un peu à l’Île-du-Prince-Édouard, c’est le fait que la faculté d’éducation de l’Université de l’Île-du-Prince-Édouard offre un programme de baccalauréat en éducation en français à l’Île-du-Prince-Édouard. C’est certain qu’on fait nos stages en région, en province, mais il y a l’attrait de rester à l’Île-du-Prince-Édouard. Pour nous, développer un programme à l’Île-du-Prince-Édouard est certainement un atout pour le recrutement de nos enseignants. S’ils sont formés ici, il y a de bonnes chances qu’ils restent. Je pense qu’à un moment donné, il faut regarder nos stratégies de recrutement un peu comme celle des médecins. Est-ce qu’on peut payer pour que des enseignants fassent leur formation et leur faire signer un contrat au sang pour qu’ils reviennent? Ce pourrait être une option.

Le sénateur Maltais : Ce que vous dites-là est très juste au niveau du recrutement. Le comité s’est déplacé à Vancouver, et on a vu que la grande majorité des enseignants de Vancouver et de Victoria dans les conseils scolaires francophones provenaient de la région de l’Acadie. Donc, je ne sais pas si c’est la température ou le salaire ou le ski, mais semble-t-il qu’ils adoraient aller travailler là.

Il y a un autre petit point que je veux aborder avec Mme DesRoches. Bien sûr, vous êtes parent.

Mme DesRoches : Je représente les parents, mais je ne suis pas parent.

Le sénateur Maltais : Vous les représentez. Dans la définition de la langue, c’est difficile de dire qui est francophone ou anglophone dans les écoles d’immersion. Peut-être que la déduction suivante veut dire que la définition de la langue passe par la culture. Dans vos écoles, à l’école Évangéline, on a fait l’expérience suivante. On a demandé aux élèves à quelle culture ils se rattachaient. Ils ont répondu : « Acadienne à 100 p. 100 . » Non seulement ils nous l’ont dit, mais ils nous l’ont démontré. Ils nous ont fait un petit spectacle, à ma grande satisfaction et à ma surprise, de très grande qualité, et j’ai demandé au petit groupe que j’avais comment se faisait leur vie dans leur milieu. Naturellement, ils vivaient à peu près tous en grosse partie à Mont-Carmel, et il n’y a pas beaucoup d’anglophones à Mont-Carmel. Alors, je leur ai demandé comment se faisait le contact avec les anglophones, et c’est là, à ma grande surprise, que j’ai appris qu’ils commençaient à apprendre l’anglais au deuxième semestre de la 9e année, ce qui veut dire que de la maternelle à la 9e année, ils n’apprennent pas l’anglais.

Mme DesRoches : En quatrième.

Le sénateur Maltais : On avait bien compris neuvième, nous autres.

La présidente : Je pense que le jeune homme en question voulait dire que pour cette année-là, l’enseignement de l’anglais commençait uniquement au deuxième semestre.

Le sénateur Maltais : De toute façon, il n’avait pas de problème avec ça. Il a dit : « Mon frère est en train de me le montrer. »

Dans le cadre de la révision de la Loi sur les langues officielles, si vous aviez deux recommandations à faire au sujet de dispositions qu’il faudrait absolument changer dans la loi, quelles seraient-elles? Peut-être que M. Cyr et Mme DesRoches, en tant que représentante des parents, pourraient nous donner ces exemples.

M. Cyr : Pour être honnête avec vous, vraiment, je ne sais pas ce qu’il faudrait changer dans la Loi sur les langues officielles. Mon expérience à l’Île-du-Prince-Édouard, c’est que dans la région Évangéline où je demeure, il est très facile de se débrouiller en français, mais lorsqu’on sort de la région Évangéline, on doit être bilingue. Je l’ai appris à mes dépens en arrivant ici. Je suis originaire d’un petit village au nord-ouest du Nouveau-Brunswick qui est seulement francophone. Ma famille est encore là, et elle ne parle pas anglais, car elle n’a pas vraiment besoin de parler anglais. Lorsqu’on arrive ici à l’Île-du-Prince-Édouard, on a un choc, car si tu n’es pas fonctionnel en anglais, tu vas avoir de la misère. Tu as besoin de le devenir assez rapidement.

Qu’est-ce que les langues officielles auraient pu faire dans ma situation à moi? Peut-être que lorsque je vivais au Nouveau-Brunswick, au nord-ouest, j’aurais pu être mieux sensibilisé au fait que notre pays est bilingue et que c’est un gros atout d’être capable de parler les deux langues, même si, dans certaines régions du pays, on n’a pas besoin de le faire vraiment. C’est peut-être une des choses que je dirais à ce sujet.

Le sénateur Maltais : Merci.

Madame DesRoches.

Mme DesRoches : J’ai mentionné dans mon discours qu’il faut reconnaître la petite enfance et les parents des enfants à l’étape de la petite enfance comme étant des parents ayants droit dès la naissance de leur enfant. Je pense que c’est un aspect important.

J’aimerais aussi partager avec vous ma petite histoire rapidement. Je suis née dans une famille, où il y avait mon père DesRoches, ma mère Gallant, donc deux familles francophones, mais assimilées. Ma mère, dont la langue première est le français, ne nous a jamais parlé en français. J’ai 44 ans, donc, à l’époque, il n’y avait pas d’école française dans mon coin. Je suis allée à l’école d’immersion comme mes deux sœurs. Je suis la seule dans la famille qui parle français maintenant. J’ai deux sœurs qui ne parlent pas en français. Elles ne sont pas à l’aise avec ça.

Moi, j’ai cherché un emploi en français. Je fais partie de la communauté francophone. Je vis à Mont-Carmel. La chose qui m’attache à cette communauté-là, c’est ma culture. J’ai suivi des cours de gigue, je joue du violon, je me suis attachée à la culture acadienne dès un jeune âge, et ce sont ces facteurs qui m’ont permis de m’intégrer à la communauté acadienne et francophone. Je me considère comme francophone. Je vis en français. Je me dis francophone, même si mes études étaient en immersion au début.

Je pense que, quand on parle de ce qu’on peut faire pour les communautés, la raison pour laquelle on a des francophones, c’est à cause de nos communautés acadiennes qui ont été là dès les années 1700 à l’Île-du-Prince-Édouard, avant la déportation. Si on commence à parler de bilinguisme et de langue seconde et de tous ces facteurs-là, c’est important. On va s’appuyer sur eux. On a besoin d’eux dans nos communautés pour nous appuyer. Ce sont de bons appuis, mais il ne faut pas oublier l’importance du français langue première et de nos communautés acadiennes qui sont la raison pour laquelle on a des francophones à l’Île-du-Prince-Édouard aujourd’hui.

Le sénateur Maltais : Je vous remercie infiniment.

La sénatrice Mégie : Alors, j’ai juste une question qui fait suite aux commentaires et à la question du sénateur Maltais. Je reviens un peu au cri de détresse de Mme DesRoches par rapport à la petite enfance. Nous avons rencontré des enfants de la petite enfance hier après-midi; cependant, je pense qu’à vous écouter, peut-être qu’ils ne seraient pas suffisants pour la demande. Alors, je me demandais, est-ce réaliste pour vous, compte tenu des sous et des mécanismes nécessaires, d’établir une collaboration ou un partenariat avec des ressources francophones d’autres provinces pour faire venir des ressources dans le cadre d’un contrat limité, par exemple? Peut-être que s’ils tombent en amour avec l’Île-du-Prince-Édouard, ils voudront y rester, c’est correct. Je vous ai entendu parler, monsieur Hurtubise, de la possibilité de la prime à l’emploi, comme on fait pour les médecins au Québec. Est-ce que ce sont deux solutions qui pourraient être réalistes pour vous?

Mme DesRoches : Je commence en disant très brièvement qu’à l’Île-du-Prince-Édouard, les salaires que reçoivent les gens qui travaillent en éducation de la petite enfance, soit les éducateurs et éducatrices, sont parmi les plus bas du pays. Parmi nos deux régions francophones les plus proches, le Nouveau-Brunswick paie au minimum sur le salaire de base 5 $ de l’heure de plus que nous à l’Île-du-Prince-Édouard. Quand on va au Québec, c’est 6 $ de l’heure de plus, donc, on n’a pas moyen de recruter. On essaie. On n’a pas le moyen de recruter ces gens chez nous pour travailler à ces salaires-là. On examine le recrutement international. On peut parfois accueillir des gens, mais il est souvent difficile de les garder chez nous.

La sénatrice Mégie : C’est dommage.

M. Hurtubise : Ce n’est pas un sujet facile à aborder, mais je pense qu’il y aurait des mécanismes quand même pour aider les étudiants à payer par exemple leurs frais de scolarité s’ils viennent ensuite travailler chez nous, que ce soit en éducation de la petite enfance ou dans d’autres domaines. Pour le moment, ce n’est pas quelque chose qui se fait.

L’autre aspect auquel je pensais et dont Anastasia parlait, c’est qu’il faut travailler aussi sur nos conditions de travail. On ne peut pas augmenter les conditions salariales, mais est-ce qu’on a le meilleur environnement possible pour le travail? C’est une chose sur laquelle on peut travailler. Travailler sur les conditions salariales, c’est une job à long terme.

L’Île-du-Prince-Édouard, premièrement, c’est fantastique. Nos centres de la petite enfance sont tous dans des centres communautaires. Bientôt, il va y en avoir un nouveau. J’espère que vous êtes allés faire un tour dans le coin de Souris, parce que ce sera fantastique d’avoir un nouveau centre communautaire là. Je pense qu’on a des environnements sur lesquels on peut travailler ensemble pour rendre le travail plus agréable, parce que si le salaire n’est pas bon, au moins l’environnement peut être le plus agréable et professionnel possible et être doté du soutien nécessaire.

La sénatrice Mégie : C’est bien pensé. Merci.

La sénatrice Moncion : J’aimerais faire un commentaire complémentaire à ce que vous donnez comme information au sujet des centres communautaires. Je pense que tous ces organismes fonctionnent à budget et que les budgets sont extrêmement limités, ce qui fait qu’ils ont des défis au niveau des salaires pour payer et tout ça. De plus, travailler avec la petite enfance, c’est quand même un milieu qui est extrêmement difficile, juste au niveau de la santé des personnes qui travaillent avec les enfants, les niveaux élevés et les risques qui sont associés aux maladies de toutes sortes qu’ils attrapent. Je le sais parce que mon gendre travaille dans ces milieux-là et il est coordonnateur d’un de ces centres.

C’est plutôt ce sujet qui me préoccupe, parce que les autres questions que j’avais portaient justement sur le recrutement, sur vos stratégies de recrutement, et elles ont été posées.

Ce qui me chicote le plus, c’est ce que vous avez dit tout à l’heure. Vous êtes trois filles chez vous, il semble, et, en fait, vous avez fréquenté toutes les trois des écoles d’immersion. Vous êtes maintenant bilingue, mais vos sœurs ne le sont pas. Qu’est-ce qui a fait à l’intérieur de votre famille — et c’est simplement par curiosité — qu’il y ait deux personnes qui ont choisi une voie et qu’il y en a une autre qui en a choisi une autre?

Mme DesRoches : Je pense que c’est là où on peut parler de l’importance de l’investissement dans nos communautés. Le français, comme langue, n’a pas été valorisé tellement à l’intérieur de ma famille, mais dans ma communauté, dans mon centre communautaire, dans la musique, c’est quelque chose qui a été très valorisé. Donc, je m’y suis rattachée parce que pour moi, la musique était très importante, et j’ai fait des liens avec mes grands-parents francophones. J’ai fait les liens grâce à la musique. Mes deux sœurs n’ont jamais eu ces liens avec la communauté et avec la culture. En immersion, c’est moins présent. Elles ont eu des emplois, des postes qui ne nécessitaient pas la connaissance de la langue française et elles n’ont pas vu l’importance de cette langue pour leur famille. J’ai une sœur qui a quatre enfants et une sœur qui a un enfant et, malgré mes efforts, les enfants ne vont pas à l’école de langue française.

La sénatrice Moncion : Ce défi-là, il n’appartient pas seulement aux gens de l’Île-du-Prince-Édouard. Il appartient à toutes les familles qui, à un moment donné, deviennent exogames. C’est donc un défi pour les personnes qui veulent faire la promotion d’une langue ou d’une autre ou du bilinguisme. Alors, bravo!

Mme DesRoches : C’est la raison pour laquelle je fais le travail que je fais aujourd’hui avec les parents.

La sénatrice Moncion : Excellent. Continuez. Vous faites bien ça.

La présidente : Je pense qu’on a été tellement rapide qu’on peut entendre une deuxième question de la part du sénateur Cormier.

Le sénateur Cormier : Merci beaucoup. Avant de poser ma question, je voudrais revenir sur la question de l’accès à des référents culturels et à des documentations culturelles. Hier, à l’école Évangéline, quand on parlé aux jeunes de leurs références culturelles, ce n’était pas seulement des références de l’Île. Ils me parlaient du groupe Réveil, du Nouveau-Brunswick, ainsi de suite. En ce qui concerne la culture acadienne, il y a en Atlantique énormément de littérature, de musique, et cetera, qui se prête à ça. Alors, ma question est la suivante. Je comprends bien l’enjeu lié à la perte d’étudiants dans les écoles francophones de l’Île-du-Prince-Édouard, mais comment le gouvernement fédéral pourrait-il aider le district scolaire francophone à être encore plus attractif dans sa manière d’attirer les ayants droit, si ce n’est pas, entre autres, par la question de la présence de la culture? Alors, comment est-ce qu’on pourrait renforcer le pouvoir d’attraction des écoles francophones — je crois qu’il y en a six —, et comment est-ce qu’on pourrait renforcer ce pouvoir-là pour contrer l’effet dont vous parlez, où les ayants droit ont tendance à s’en aller du côté des écoles anglophones. Qu’est-ce que le gouvernement pourrait faire?

M. Cyr : Comme parent, on décide à un moment donné à quel endroit on va envoyer nos enfants à l’école, et souvent, le parent a des attentes qui sont basées sur ce à quoi va ressembler le produit final. Quand mon enfant va finir la 12e année, quels avantages aurais-je?

Une des choses qu’on ne fait pas vraiment bien — et ça, ce n’est pas tellement le gouvernement fédéral; c’est la Commission scolaire de langue française, c’est un peu tout le monde — c’est de promouvoir notre produit final. Dans le cas des élèves qui terminent leurs études à l’école de langue française, pratiquement toutes les portes leur sont ouvertes, toutes les portes collégiales, universitaires, en anglais, en français, partout. Ils peuvent aller n’importe où, et ça, c’est quelque chose dont on ne fait pas assez la promotion. Je pense qu’on est un peu timide de le faire, peut-être parce qu’on est dans un milieu minoritaire et, parfois, il ne faut pas le dire trop fort. Je pense que le produit final qui sort de nos écoles est très, très bon et que nos élèves performent très bien partout.

Mme DesRoches : Je ne vais pas me gêner pour le dire devant le directeur de l’instruction à la Commission scolaire de langue française. Nous avons une commission scolaire qui travaille très fort pour nos élèves. On est vraiment chanceux. Les parents sont vraiment contents du travail de la Commission scolaire de langue française, mais nous n’avons pas d’infrastructure. Quand les parents vont choisir leur école, ils ne vont pas choisir l’école qui offre la meilleure expérience culturelle. Ce n’est pas ça que les parents vont chercher. Ils vont chercher l’éducation de qualité.

On a de bons enseignants. Les parents sont satisfaits, mais à l’école française, qui est située à côté de l’école anglaise qui vient d’être rénovée, il n’y a pas de laboratoire de science pour les cours au secondaire. Il n’y a même pas de salle de classe pour les élèves de 10e et de 11e année. On n’a pas les ressources pour la technologie. On n’a pas de salle pour l’art industriel. Quand un parent prend des décisions pour son enfant, il veut le meilleur pour son enfant, pour son avenir. Si on n’a pas la même infrastructure et les mêmes services que ceux qui sont offerts à l’école anglaise à côté, on n’a pas de chance.

La question de la culture et de la construction identitaire, c’est ce qui fera que, après ses études secondaires et peut-être postsecondaires, l’enfant va s’identifier comme francophone et continuera à participer à la communauté. Ce n’est peut-être pas ce qui va inciter le parent à choisir l’école française, mais c’est ce qui fait qu’on va garder les francophones dans nos communautés.

Le sénateur Cormier : Merci beaucoup, madame.

La présidente : C’est un excellent point.

M. Hurtubise : J’aurais un autre point à préciser, et on ne va pas se chicaner, parce qu’on s’aime. Je pense qu’il faut vraiment examiner le financement au niveau du gouvernement fédéral. Quand on parle des infrastructures, on vient de terminer, comme je vous le disais, un projet d’infrastructure à Rollo Bay. Le gouvernement fédéral, quand on a construit le Carrefour de l’Île-Saint-Jean, a financé à peu près 90 p. 100 de l’infrastructure. On a fait l’infrastructure à Rollo Bay, puis on a été chanceux. Quand j’ai regardé tous les projets d’infrastructure à travers le Canada, et que j’ai fait l’entente avec le gouvernement fédéral, on a eu 25 p. 100. Il fallait que ce soit seulement pour le côté communautaire ou pour des espaces partagés, comme le gymnase ou la cafétéria. Quand on parle de tout le côté scolaire, c’est complètement financé par la province, mais à un moment donné, les provinces ont des capacités financières limitées. Donc, examinons le financement qui n’a pas bougé dans le cadre de l’entente en éducation depuis 10 ans. Regardons l’appui aux infrastructures, car on a pu construire l’école à Rollo Bay, et quand elle sera finie, on fera la prochaine.

La présidente : Merci, et vous avez tout à fait raison de parler de qualité d’infrastructure. Notre comité a publié son rapport sur les obstacles et l’accès aux programmes d’immersion française pour les écoles francophones en Colombie-Britannique. Il y a de grands problèmes là aussi. La qualité des infrastructures n’est pas équivalente à celles de la majorité. C’est un problème réel.

Alors, au nom du Comité sénatorial permanent des langues officielles, je tiens à vous remercier très sincèrement de vos présentations ce matin. Vous nous avez dressé un excellent portrait de la situation scolaire ici, à l’Île-du-Prince Édouard. Merci à tous pour votre excellent travail.

(La séance est levée.)

Haut de page