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OLLO - Comité permanent

Langues officielles

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Langues officielles

Fascicule no 21 - Témoignages du 15 février 2018 (après-midi)


WINNIPEG, le jeudi 15 février 2018

Le Comité sénatorial permanent des langues officielles se réunit aujourd’hui, à 13 h 31, afin de poursuivre son examen de la perspective des Canadiens au sujet d’une modernisation de la Loi sur les langues officielles.

Le sénateur René Cormier (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Bienvenue à nos témoins et invités. Je m’appelle René Cormier. Je suis le président de ce comité et je présiderai la réunion d’aujourd’hui. Le Comité sénatorial permanent des langues officielles poursuit le deuxième volet de son étude portant sur la perspective des communautés de langue officielle en situation minoritaire au sujet d’une modernisation de la Loi sur les langues officielles.

Nous recevons aujourd’hui une organisation qui représente la Nation métisse. Nous avons le plaisir d’accueillir, de l’Union nationale métisse Saint-Joseph du Manitoba, Mme Pauline Hince, une mémère métisse de la Rivière-Rouge et de la Nation métisse. Cette union a été fondée en 1887 et est la doyenne des organisations métisses du Canada. Elle vise à assurer l’unité qui lie les Métis francophones, leur représentation en tant que peuple fondateur, la protection de leurs intérêts, ainsi que leurs traditions, leur culture et leur histoire.

Avant de vous céder la parole, madame, j’invite mes collègues à se présenter, en commençant par la vice-présidente du comité.

La sénatrice Poirier : Bienvenue. Rose-May Poirier, du Nouveau-Brunswick.

La sénatrice Mégie : Marie-Françoise Mégie, du Québec.

La sénatrice Moncion : Lucie Moncion, de l’Ontario.

Le sénateur McIntyre : Paul McIntyre, du Nouveau-Brunswick.

La sénatrice Gagné : Raymonde Gagné, du Manitoba. Bienvenue.

Le président : La parole est à vous, madame Hince.

Pauline Hince, mémère métisse de la Rivière-Rouge et de la Nation métisse, Union nationale métisse Saint-Joseph du Manitoba : J’aimerais vous présenter une de nos aînées qui nous est très chère. Elle est aussi Métisse et a appris comme adulte sa langue française. C’est une des personnes-ressources que nous avons à l’union et elle fait beaucoup pour contrecarrer ce que j’appelle le trou culturel et historique générationnel en étant raconteuse et aussi en faisant des ateliers d’arts traditionnels. Alors, je vous présente Nancy Gouliquer, une aînée à l’Union nationale métisse.

Le président : Bonjour, madame. Bienvenue à ce comité.

Mme Hince : Alors, chers membres du comité sénatorial, bienvenue chez nous sur le territoire du traité no 1 et dans la patrie de mes ancêtres. En vous remerciant du temps que vous nous accordez, j’aimerais retracer brièvement nos pas dans l’histoire. Merci, monsieur Cormier, d’avoir fait un peu mon introduction.

La Nation métisse a été présente dans l’Ouest canadien depuis le XVIIIe siècle et c’est grâce à la volonté du gouvernement provisoire de notre chef Louis Riel que la colonie de la Rivière-Rouge est devenue le Manitoba comme province et non comme territoire. Mes commentaires porteront sur notre expérience courante, sur le terrain, et ils sont alimentés par notre bénévolat qui cherche à développer notre communauté métisse, laquelle pourrait certainement bénéficier de la modernisation de la Loi sur les langues officielles.

Notre expérience, comme organisme francophone vis-à-vis de cette loi, est difficile, pénible même et, à ce jour, nous nous posons beaucoup de questions au sujet de notre place dans le paysage canadien. Notre traitement est un exemple d’aberration et d’ignorance de l’histoire et surtout, de la contribution de la Nation métisse francophone dans le tissu canadien.

Pourquoi le ministère des Affaires autochtones nous oblige-t-il comme francophones à nous placer sous la tutelle d’un organisme qui durant 50 ans d’existence ne nous a pas reconnus ni représentés? Très brièvement, suite à notre demande pour rencontrer le ministère des Affaires autochtones — dont nous relevons techniquement parlant — pour discuter de notre situation, nos besoins, pour des fonds pour des programmes de développement, on nous a renvoyés à la Manitoba Metis Federation, la MMF, un organisme crée en 1967. La MMF ne reconnaît aucunement notre mandat provincial ou la signification historique pertinente de l’Union nationale métisse dans l’Ouest canadien et pour tout le Canada. Les agents au ministère des Affaires autochtones nous répètent le même message : le seul organisme porte-parole officiel des Métis du Manitoba, le seul organisme qui peut recevoir des fonds de base pour représenter les Métis manitobains, y compris les francophones, est la MMF. Ils ne sont pas sans savoir que cet organisme n’a pas offert et ne peut offrir une offre active de programmes et services pour les Métis francophones. Ils ne sont pas sans savoir non plus que comme ministère, ils n’ont jamais insisté, exigé ou assuré que la MMF subventionnée par eux-mêmes assume son obligation envers le développement durable d’une communauté qu’elle dit représenter. Lorsque nous leur rappelons que notre mandat provincial comme représentant francophone est clair depuis 1887, ils en font fi. Nous leur rappelons que nous n’oserions prétendre représenter les Métis anglophones ou cris ou ojibway, car nous ne pourrions assurer une offre active. Ils nous disent que cela ne s’applique pas, car le ministère ne reconnaît qu’un seul représentant métis.

Le résultat de nos derniers efforts a été de voir la MMF recevoir des fonds pour des services de traduction en français et des argents pour l’achat d’un autobus afin de faire des consultations auprès des communautés manitobaines. Donc, dû à tous nos efforts et plaidoyers pour nous faire entendre, nous en sommes à lire les messages du président-directeur général de la MMF publiés dans des cahiers spéciaux dans notre journal La Liberté qui ne mentionne jamais et je dis encore jamais, l’Union nationale métisse. Nous nous posons de sérieuses questions sur les avis donnés aux ministres et au premier ministre et sur les lois qu’ils sont censés protéger.

Devant cette situation extrêmement difficile à comprendre, nous avons tenté à plusieurs reprises de communiquer avec la ministre Bennett. Elle ne nous a jamais accordé une rencontre. Ces élus et ces bureaucrates nous rappellent continuellement, à tous les Autochtones canadiens, leurs valeurs de respect et de justesse dans le cheminement vers des relations basées sur plus de transparence et plus de confiance. Donc, pourquoi est-ce que la seule réponse de la ministre et ses représentants est toujours de nous renvoyer vers la MMF, qui, nous le répétons, ne nous représente pas et qui ne répond pas à nos valeurs et nos besoins criants de pérennité culturelle?

En agissant ainsi, est-ce que la ministre Bennett réalise qu’elle marginalise une communauté francophone doublement minoritaire? Que sans ressources pour assurer son développement, l’union ne peut même pas aller au-delà de la case départ pour répondre à ses propres besoins selon ses critères culturels et identitaires? Nous voulons lui dire que tous les Métis ne se ressemblent pas et que notre spécificité remontant au XVIIIe siècle dans l’Ouest canadien est encore très pertinente, même cruciale, pour réussir la conciliation manitobaine et canadienne entre les Métis et le Canada.

Comme communauté métisse, nous croyons profondément au processus de réconciliation. Nous aussi, nous avons souffert dans les écoles résidentielles, nous aussi, nous avons eu à subir les horreurs de l’acculturation, de la rupture avec nos communautés d’origine par la haine et par le préjudice et, malheureusement, je vous dis, en toute sincérité que cela existe encore aujourd’hui.

En 2016, nous avons entamé un processus de réconciliation avec la communauté francophone du Manitoba. En demandant à Mme Bennett et au ministère des Affaires autochtones ce qui nous est dû comme Canadiens et Canadiennes, nous devons aussi avoir notre part de réconciliation avec les communautés métisses autochtones en français en accord avec nos principes et nos valeurs ancestrales.

Depuis plusieurs années, la province du Manitoba a posé de nombreux gestes à l’égard de la communauté métisse et le gouvernement provisoire de Louis Riel est reconnu à notre Assemblée législative. Nous sommes reconnus et inclus dans la Loi no 5 au Manitoba alors qu’au Canada, nous ne recevons pas de réponse de la part du ministère dont nous dépendons. Pourquoi est-ce que le gouvernement du Canada nous ignore alors que le principe de la modernisation de la Loi sur les langues officielles est bien le suivant : de reconnaître l’existence citoyenne de tous les francophones du pays.

En dépit de tout ce qui précède, nous avons des suggestions à faire aujourd’hui directement au gouvernement du Canada :

Que l’Union nationale métisse, le seul organisme porte-parole francophone des Métis francophones du Manitoba, ait une enveloppe de base et aussi ponctuelle, consacrée à ses besoins dans le cadre de la mise en œuvre de la Loi sur les langues officielles et prévue dans la future feuille de route.

Que ces fonds comprennent un volet de rattrapage pour que les jeunes générations qui seraient, ainsi, en mesure de reprendre leur héritage et leur patrimoine en français.

Que ces fonds soient accordés de façon systémique sans que l’Union nationale métisse soit constamment déstabilisée alors qu’elle tente de prouver la légitimité de son existence.

Que les fonds soient consacrés à l’épanouissement de la Nation métisse francophone de la jeune enfance à la génération des aînés afin que les inégalités observées depuis trop longtemps soient réduites à tout jamais et que les rapports sociaux, culturels, économiques entre elle et le Canada, dans son ensemble, soit harmonieux et visant à l’égalité citoyenne.

Que la politique sur le bilinguisme assure un service efficace de surveillance et de redressement ponctuel afin que les fonds accordés par le gouvernement fédéral aux organismes se disant représentatifs des communautés vivant en contexte minoritaire soient réellement investis dans des programmes et des services qui bénéficient directement les communautés linguistiques à risque pour enfin surpasser cette notion que ce dont les francophones ont besoin, ce sont des services de traduction et une personne bilingue au poste de réception.

En terminant, j’aimerais partager avec vous quelques grains de sagesse métisse pour votre réflexion. Nous ne demandons pas à un orme de devenir un bouleau ni au bouleau de devenir un cèdre et ni au cèdre de devenir un érable. Pourtant, ces arbres font tous partie de la forêt canadienne. Comment savoir s’ils sont en santé ou en train de mourir sur pied? Chacune de ces espèces a besoin d’une sève active qui peut rejoindre les branches, les feuilles, les bourgeons. C’est la loi de la nature.

C’est ce que doit faire la Loi sur les langues officielles de 2018. Elle doit assurer que l’esprit de la loi, ses valeurs intrinsèques et extrinsèques d’inclusion, sa mise en œuvre par son encadrement, ses directives et ses politiques soient comme la sève qui se rend dans toutes les branches, les feuilles et les bourgeons.

Nous maintenons que l’Union nationale métisse Saint-Joseph du Manitoba est la représentante et le porte-parole officiel des Métis canadiens-français. Elle est aussi la première championne des droits linguistiques au Manitoba.

Depuis 130 ans, nous sommes fiers de travailler sans relâche pour propager le message de Riel et dans cette ère de vérité et de réconciliation, le Canada doit reconnaître notre distinction, notre grande résilience, nos chefs de file, nos bénévoles, nos familles et nos communautés francophones.

Nous vous demandons aujourd’hui, chers sénateurs, de nous prêter main-forte pour obtenir, dans la mosaïque manitobaine et canadienne, la pleine guérison, l’épanouissement et le développement durable de la communauté métisse francophone ainsi que pour les autres communautés et regroupements métis francophones à travers du pays.

Notre chef, le fondateur du Manitoba et un des Pères de la Confédération, dort toujours ici à Saint-Boniface. Louis Riel est le seul à avoir fondé une province à l’image du Canada. Il a insisté pour que les communautés anglophones et francophones vivent côte à côte en harmonie sociale, politique, culturelle et familiale. Il a montré l’exemple d’un esprit politique résolument moderne et inclusif. Nous et l’union avons toujours été et sommes toujours fidèles à cette vision de Riel et toujours aussi inspirés d’en faire autant.

Monsieur le président et membres du comité, au nom de nos ancêtres, au nom de la communauté métisse francophone et de l’Union nationale métisse Saint-Joseph du Manitoba, je vous remercie sincèrement pour votre écoute aujourd’hui et pour votre considération future. On vous a apporté un peu d’information au sujet de l’Union nationale métisse parce qu’on s’est dit que plusieurs d’entre vous ne connaissent peut-être pas l’union. Il y a trois profils métis, de l’année 2017, 2016, 2015 qui expliquent un peu nos activités et ce qu’on fait dans notre communauté. Il y a aussi un article qui vient d’apparaître dans les journaux, ici à Winnipeg, d’une artiste qui s’appelle Maia Caron. Ses ancêtres viennent de Batoche, en Saskatchewan. Elle ne parle pas le français, mais ça explique très bien — je vous ai laissé une note personnelle — que cet article décrit bien ce que j’appelle le trou culturel et historique générationnel que les Métis francophones ont vécu dans l’Ouest canadien. Merci beaucoup.

Le président : Merci beaucoup, madame Hince, pour votre vibrant témoignage.

Nous allons entamer cette période de questions et d’échange avec vous en commençant par Mme la sénatrice Poirier.

La sénatrice Poirier : Merci pour la présentation. J’ai quelques questions, peut-être plutôt une clarification pour être sûre d’avoir bien compris certaines choses. Vous avez indiqué ceci dans votre mémoire, et je cite : « Pourquoi est-ce que le gouvernement du Canada nous ignore lorsque le principe de la modernisation de la Loi sur les langues officielles est bien le suivant : de reconnaître l’existence citoyenne de tous les francophones du pays ». Si j’ai bien compris, vous nous avez aussi informés que le groupe MMF vous a indiqué que vous ne faites pas partie des leurs, que c’est eux qui vont chercher du financement du gouvernement fédéral, et qu’ils ne vous représentent pas. Si j’ai bien compris, la relation entre vous et le gouvernement fédéral, lorsqu’il s’agit de l’apprentissage du français, de l’accès aux services et du financement, tout ça n’existe pas. Est-ce que j’ai bien compris?

Mme Hince : Oui, mais laissez-moi préciser votre première question. Oui, ce qu’on est en train de dire, c’est qu’on croit que le Canada ignore les francophones métis et les francophones autochtones au Canada. On ne parle presque jamais des Autochtones francophones. Nous faisons partie de cette grande famille autochtone. La MMF serait la première à vous dire qu’elle nous représente. C’est ce qu’elle chante depuis 50 ans. Je vous dis aujourd’hui que la communauté métisse francophone n’a reçu aucun soutien financier pour faire du développement dans ses communautés. Je suis membre de la MMF parce que pour avoir accès au conseil Elzéar-Goulet, qui est un secteur de la MMF, je dois payer ma cotisation à la MMF, et tout le service est offert en anglais. C’est un système comme celui du gouvernement fédéral qui souvent fait en sorte qu’on est dans une situation minoritaire. On n’a pas les services en français. On doit transiger en anglais pour recevoir ce qui nous est dû et on ne le reçoit pas. La MMF serait la première à vous dire qu’elle nous représente, mais nous ne sommes pas d’accord. Ce n’est pas parce qu’ils vont à Ottawa et qu’ils ont fait du bon travail pendant 50 ans pour se battre pour que les Métis soient inclus dans la famille autochtone. On ne leur enlève pas ça. Ce qu’on est en train de dire, c’est qu’ils sont subventionnés depuis 50 ans pour représenter la communauté métisse qui inclut les Métis anglophones, les Métis francophones, les Métis ojibway, les Métis cris. Ça inclut tout ça. Tous les Métis ne sont pas pareils.

Mais nous, on n’a pas accès à des fonds de base. L’union n’a même pas de téléphone à son nom. C’est le chalet Louis Riel qui a été mis sur pied, une résidence pour personnes de 55 ans et plus, avec l’aide des Chevaliers de Colomb, des Métis et de l’Union nationale métisse, pour les personnes qui ont moins d’argent et qui ont besoin d’un logement. Le chalet a été établi dans les années 1960. C’était un projet économique culturel mené de concert avec l’église Saint-Émile, qui était une paroisse pas loin d’ici à Saint-Vital, qui était foncièrement une communauté métisse. Ils nous prêtent un placard pour ranger nos drapeaux et les articles qu’on utilise pour faire des ateliers d’art traditionnel. C’est ça, notre réalité. On ne reçoit aucun financement de base. Si nous avons reçu des subventions, c’était dans les 10 dernières années, de la part de Patrimoine canadien, un des ministères ici, mais plus maintenant. Par le passé, ils nous donnaient un peu de financement pour faire certaines de nos activités au niveau de la province. Depuis ce temps-là, la porte est fermée. Il faut passer par la MMF.

Qu’est-ce qu’on vous dit? C’est qu’à travers le Canada, il y a des divisions scolaires francophones, il y a des divisions scolaires anglophones et, ici même, au Manitoba, où on croyait avoir fait beaucoup de progrès, on voit comment fragile. On vient de nommer un sous-ministre chargé du Bureau d’éducation française. Alors, vous pouvez vous imaginer comment ça se passe pour des Métis francophones quand on cherche des services en français au sein des ministères autochtones qui sont presque à 95 p. 100 sinon à 99 p. 100 anglais.

On ne reçoit aucun financement de base pour faire du développement. Il s’agit de projets ponctuels pour lesquels on doit demander des fonds et il n’y a pas de pérennité, il n’y a pas de suivi. Il faut le demander tout le temps. Ce que vous avez ici, c’est une Métisse francophone, une autre Métisse francophone et au moins 10 000 Métis francophones qui ont fait du bénévolat. Aujourd’hui, tout le monde ici autour de la table, vos salaires sont payés et vos dépenses ici sont payées. Nous, nous payons notre stationnement et nous prenons une journée de congé pour être ici aujourd’hui. C’est la réalité.

La sénatrice Poirier : Merci.

La sénatrice Gagné : Merci beaucoup. J’ai des frissons, mais de bons frissons.

Merci beaucoup de vos témoignages. Je voudrais aussi vous remercier, remercier l’Union nationale métisse Saint-Joseph qui a toujours été fidèle à sa mission d’unir et de représenter les Métis francophones, qu’on appelait des Canadiens français. Votre mot de sagesse à la fin de votre discours m’est resté, et je voulais vous dire que votre sève coule toujours depuis 130 ans et probablement depuis plus longtemps encore, alors merci beaucoup.

Le Manitoba compte une langue unique au Canada, le mitchif.

Mme Hince : Oui.

La sénatrice Gagné : C’est une langue qui n’est pas nécessairement reconnue dans les statistiques. On en entend très peu parler. Je sais qu’en 2011 on n’avait pas recensé la langue dans le recensement. Je ne sais pas si ça s’est fait dans le dernier recensement. Est-ce que vous seriez en mesure soit de le confirmer ou de le réfuter? Je n’ai pas l’impression que cette langue fait partie de la liste.

Mme Hince : Je ne pourrais pas vous le dire.

La sénatrice Gagné : Alors, déjà, on n’est pas capable de dénombrer les gens qui parlent le mitchif, une langue où on retrouve du français, de l’anglais et d’autres langues autochtones. C’est une belle langue qui chante.

Mme Hince : Oui.

La sénatrice Gagné : Comment se définit un Métis francophone?

Mme Hince : Wow! C’est toute une question.

La sénatrice Gagné : Pendant que tu y réfléchis, j’essaie de voir, dans le contexte de la révision — espérons éventuelle — de la Loi sur les langues officielles, comment ça peut s’insérer dans cette révision. C’est pour ça que je pose la question.

Mme Hince : Je pense que c’est une question vraiment fondamentale à la survie des Métis francophones à travers le Canada. Je dois vous dire que quand j’étais petite, ma famille a déménagé de Saint-Boniface à une communauté qui s’appelle Saint-Claude qui était dans une région qu’on appelle Lamontagne. Cette région a été peuplée avec beaucoup de personnes immigrantes de la France et de la Bretagne. Je me souviens, à l’âge de 9 ans, à ma première journée d’école, on était en rangs d’oignons. La fille qui était derrière moi avait dit : « Vous êtes combien de gamins? » Je ne comprenais pas du tout ce qu’elle m’avait dit. Alors, je lui ai demandé : « Qu’est-ce que ça veut dire, gamin? » Elle avait répondu : « Mais des enfants, quoi! » À ce moment-là, elle a dit : « Mais vous êtes? » Alors, j’ai répondu : « Bien, on est une dizaine. » Elle a dit : « Woah », et ensuite elle m’a dit : « Mais, comment ça se fait que vous êtes ici quand même? », et je ne comprenais pas son accent. Je vais vous dire que le mois suivant, on est retourné souvent à la maison avec des yeux au beurre noir. Ma mère, qui était Métisse, a brisé un miroir en 10-15 morceaux et en a donné un à tous les enfants. Elle nous faisait pratiquer pour qu’on change notre français, pour qu’on arrête d’arriver à la maison avec des yeux au beurre noir. Elle nous a dit de ne jamais dire qu’on était Métis.

Quand tu m’as demandé : « Qu’est-ce que c’est aujourd’hui d’être Métis? » Je demanderais qu’on pose la question à Nancy après. Ça fait partie d’une culture qui a été écrasée. Nos jeunes nous posent la question. Si je ne fais pas la chasse, si je ne fais pas la pêche, est-ce que je suis encore Métis? On leur répond que oui. Parce que derrière toi, sur tes épaules, il y a tous tes ancêtres qui ont défendu leur terre. Ils l’ont perdue. Ils ont perdu la terre qui leur appartenait. Les communautés ont été dispersées à travers l’Ouest canadien. Qu’est-ce qui fait que tu es Métis? C’est ce qui coule dans ton ADN. C’est simple. On pourrait demander la même chose. Qu’est-ce qui fait en sorte que tu es un Ukrainien, ici au Manitoba? Ça fait partie de l’histoire. Ça fait partie de nos ancêtres. Ça fait partie des traditions. Ça fait partie des enseignements. Je ne pourrais pas vous en dire assez au sujet du trou culturel. Les jeunes sont en train de nous dire qu’ils n’ont jamais appris. Si vous lisez ce merveilleux article sur Maia Caron, c’est ce qu’elle dit. Elle dit que ses parents avaient honte d’être Métis. Alors, ils ne lui ont jamais raconté l’histoire de ses grands-parents, à Batoche, et ils ont dit « damn Metis rebels », mais ces « damn Metis rebels », ils ne faisaient pas la rébellion. Ils étaient en train de défendre ce qui leur appartenait, ce qui était leur terre, leur culture, leur langue et leur tradition.

Encore aujourd’hui, je me présente et on se présente devant vous avec ces milliers d’autres Métis à l’arrière de nous et on vous dit « c’est encore la même chose. » Je suis encore Métisse. Ma famille est encore métisse. Plusieurs membres de ma famille n’osent pas dire qu’ils sont Métis à cause des préjugés. Imaginez, si on avait eu pendant toutes ces années, pendant 50 ans, une portion des fonds pour faire du développement dans nos communautés, nos jeunes aujourd’hui seraient fiers. Ils se disent fiers, mais ils ne savent pas ce que ça veut dire à cause de ce trou culturel générationnel. C’est pour ça qu’on a besoin de fonds pour faire cette réparation, pour qu’on comprenne aujourd’hui ce que ça veut dire être Métis. Mon arrière-grand-mère m’a dit que la première qualité d’être Métis, c’était qu’on accueillait les gens et que tout le monde était humain et que notre devoir sur notre territoire, c’était d’accueillir les autres et de ne pas les traiter comme nous avions été traités pendant des générations. Il fallait être ouverts aux langues, aux cultures et à la différence des autres, parce que c’était ça notre richesse au Canada. Si vous me demandez aujourd’hui le plus cadeau que j’ai reçu, c’est celui-là, et je l’ai vécu toute ma vie.

Nancy Gouliquer, aînée, Union nationale métisse Saint-Joseph du Manitoba : Merci, Pauline. C’est très gentil. Juste un petit mot. J’ai grandi dans une famille où mon père avait une mère métisse francophone qui lui avait enseigné le français. Son père venait du Québec et parlait un français différent. C’était le temps de cacher leurs racines, de ne pas montrer leur fierté d’avoir des racines autochtones et, pour lui, c’était un temps où son français était marginalisé par les autres francophones. Ce n’était pas le bon français, et c’est à cause de ça qu’il n’a pas partagé son français avec ses enfants. Parce qu’il n’a pas eu la fierté de sa langue. Il ne réalisait pas qu’il n’y avait rien d’impropre avec son français. C’était son propre français métis. Mais il ne le réalisait pas, parce que sa mère avait caché ses racines autochtones, ses racines métisses du Manitoba et, toute sa vie, il a dit : « Je n’ai pas un bon français. Ce n’est pas un français propre. It’s not worth teaching my kids. » Pour cette raison, je dois regagner mon français, parce que j’ai été élevée dans une famille francophone avec une mère unilingue anglophone. Elle est Métisse par chacun de ses parents. Son père parle français et sa mère parle anglais, et sa grand-mère avait parlé l’ojibway. Après le mariage, ils ont juste parlé anglais, et c’est à cause de ça que je n’ai pas reçu le français de ma mère.

Pour moi, être une francophone métisse, c’est être dans un groupe. Souvent, les francophones doivent demander leur propre place à la table des Canadiens. Pour nous, au Manitoba, les Métis francophones, il semblerait qu’il faille demander à la MMF, à un corps anglophone, pour avoir notre propre place à la table canadienne francophone. Pour moi, ce n’est pas une apparence, juste des problèmes. Merci de m’écouter aujourd’hui.

La sénatrice Moncion : Pourquoi ce refus de reconnaissance?

Mme Hince : J’aimerais avoir une réponse très claire là-dessus. Vous savez, quand je l’ai rencontré tantôt, le sénateur McIntyre m’a dit : «Pauline, je crois qu’un des grands — et ce n’est peut-être pas le mot que vous avez utilisé, c’est peut-être le mien — fléaux canadiens, ça été la pendaison de Louis Riel. » Et je crois que quand on retourne à cette source-là, où il y avait énormément de controverse et de préjugés, basés principalement sur une histoire économique entre la Compagnie de la Baie d’Hudson — et là, ça m’échappe, la traite des fourrures – et la Compagnie du Nord-Ouest, et ensuite avec John A. Macdonald, il fallait absolument défaire ce qui était la base économique des Métis dans l’Ouest canadien, parce qu’on voulait faire passer le train. Il ne fallait pas que les bisons les en empêchent. C’est énorme quand on regarde les photos et l’histoire. Ils ont détruit des bisons par millions. On a fait passer le train et on devait le faire, on devait moderniser, mais on a enlevé l’économie.

Je dois dire aussi que les Métis avaient perdu la bataille pour conserver leurs terres, et les familles ont été dispersées à travers l’Ouest canadien et en Ontario, où ils se sont réfugiés. La Nation métisse n’était plus, et quand on regarde ça, on se demande pourquoi. Bien, c’est en raison de l’économie, de la politique, et de la chicane des Anglais et des Français au plus profond de notre histoire canadienne.

Il y a encore des cicatrices et des plaies ouvertes, et nous, on est en train de vous dire qu’il y a des cicatrices, oui, mais que les plaies ouvertes sont encore là. Vous l’avez devant vous aujourd’hui. Il faut se battre continuellement et on n’est pas entendu. Alors, la question du français et de l’anglais, je pense que c’est fondamental, et ce que je vous dis, c’est qu’ils seraient les premiers à vous le dire, les gens de la MMF, qu’ils représentent tous les Métis, mais ce n’est qu’en apparence et le gouvernement ne nous écoute pas. On n’a même pas réussi à avoir une rencontre avec la ministre pour lui parler et on avait un très bon projet de réconciliation, excusez ma passion. On avait un « maudit » bon projet de réconciliation canadien, pas juste manitobain, et à base économique, mais personne ne nous écoute. Personne ne veut même nous rencontrer. Il faut imaginer notre joie d’être invités ici à la table aujourd’hui.

Le président : Merci.

Nous sommes presque à la fin de notre rencontre avec vous, malheureusement. Le temps nous presse.

Le sénateur McIntyre : Je vais essayer d’être bref. Merci beaucoup, mémère Hince. De prime abord, vous avez raison et, comme je vous l’ai mentionné tout à l’heure, l’exécution de Louis Riel en novembre 1885 est l’une des plus grandes tragédies qui ont marqué l’histoire de ce pays. Selon moi, l’exécution a apporté une grande méfiance de la part de la communauté métisse à l’endroit du gouvernement fédéral, et j’ajouterai que le gouvernement fédéral de nos jours a une belle occasion pour mettre fin à cette méfiance. Malheureusement, jusqu’à présent, il a manqué le bateau et nous espérons qu’il pourra rectifier le tir et apporter cette nouvelle confiance entre le gouvernement fédéral et la communauté métisse.

Ma question est la suivante. Vous avez mentionné que l’Union nationale métisse est reconnue et est incluse dans la loi au Manitoba. Quels sont les avantages que reçoit votre union grâce à cette reconnaissance de la part du gouvernement provincial? Oublions le gouvernement fédéral pour l’instant.

Mme Hince : Bien, j’ai été candide jusqu’à maintenant et je vais continuer à l’être. Ça va être à voir. Dans la dernière année, dans les deux dernières années, nous avons travaillé très fort à avoir une réconciliation avec la communauté francophone du Manitoba et on a travaillé très fort avec les groupes communautaires et aussi principalement avec la Société de la francophonie manitobaine. C’était justement pour dire que dans l’enveloppe qu’ils reçoivent de Patrimoine canadien pour les langues officielles, l’Union nationale métisse n’était pas à la table des organismes qui recevaient des fonds de base. Selon notre approche, le ministère des Affaires autochtones devait nous reconnaître et il y avait énormément de réconciliation à faire avec la communauté francophone. Nos aînés nous racontent les histoires, de même que les francophones, des préjugés qu’il y avait. Alors, c’était une double marginalisation de la communauté francophone, comme Nancy le disait, car on ne parlait pas assez bien le français. On était des Métis, et c’était simplement basé sur d’énormes préjugés. Quand on pense que plusieurs de nos Métis francophones sont ceux qui ont su lutter et qui ont apporté de grands changements, comme George Foret, un Métis francophone. C’est incroyable. Alors, il reste à voir ce que la province va nous donner, si elle va nous faire de la place parmi ces différents francophones qui vivent au Manitoba. On espère que cela pourra nous aider à ouvrir les portes d’autres ministères avec lesquels nous devons transiger pour assurer le développement durable de la communauté métisse francophone.

La sénatrice Mégie : Êtes-vous au courant de la façon dont sont reconnues les communautés métisses francophones dans les autres provinces canadiennes? Est-ce qu’elles ont une meilleure reconnaissance que vous?

Mme Hince : Non. C’est une grande, grande lutte, et c’est pourquoi aujourd’hui, on parle en notre nom, mais on espère sincèrement que dans votre écoute et dans vos considérations, vous allez regarder de près ce qui se passe dans les autres provinces. En Saskatchewan, il n’y a presque plus de Métis qui peuvent parler français. En Alberta, il en reste encore un peu, un tout petit peu. En Ontario, beaucoup plus. Quant au Québec, on ne reconnaît même pas les Métis francophones et, au Nouveau-Brunswick, on nous dit que c’est un peu la même chose. Alors, ce qu’on demande aujourd’hui aussi, c’est votre considération auprès des peuples autochtones, pour ceux qui vivent comme peuple de la première nation des Inuits et des Métis francophones et qui ne sont pas reconnus à l’intérieur de la grande famille autochtone. Il faut y voir. Il faut faire de la place à la table, autrement la réconciliation ne se fera pas.

Le président : Merci, mesdames. Vous me permettrez de conclure votre émouvant témoignage qui, franchement, je crois, nous interpelle beaucoup tous et toutes. Vous avez parlé au début du trou culturel qui est créé entre les générations, alors permettez-moi de conclure ce témoignage en vous lisant ceci.

[…] Au lendemain de la pendaison de son ami Louis Riel en 1885, le chasseur de bisons Gabriel Dumont prend la fuite et se réfugie aux États-Unis. Il y est recruté par Buffalo Bill, figure mythique du Far West connue pour ses spectacles itinérants de grande ampleur. Marqué à vie, Dumont rêve de reprendre le procédé pour raconter cette fois la lutte des Métis canadiens pour la reconnaissance de leurs droits.

Louis Riel a dit ceci : « Les miens dormiront pendant cent ans, et quand ils se réveilleront, ce seront les artistes qui leur rendront leur esprit. » Alors, au Théâtre Cercle Molière, de samedi à lundi, sera présentée la pièce Le Wild West Show de Gabriel Dumont par une équipe d’artistes qui viennent d’un peu partout au Canada. Ça ne réglera pas le problème des Métis, mais je crois que ça peut rendre au moins témoignage de la richesse de la contribution des Métis au Canada. Alors, merci beaucoup de votre contribution et de votre témoignage.

Mme Hince : Merci, meegwetch.

Le président : Sénateurs et sénatrices, le comité reçoit, dans le cadre de ce nouveau groupe de témoins, des organisations représentant les secteurs du développement économique et des municipalités. Nous avons donc le plaisir d’accueillir, du World Trade Centre Winnipeg, Mme Mariette Mulaire, présidente et directrice générale. Le World Trade Centre appuie les entreprises du Manitoba qui souhaitent exporter à l’extérieur des frontières provinciales et facilite les échanges avec les entreprises internationales qui souhaitent faire affaire au Manitoba.

Nous recevons aussi, de l’Association des municipalités bilingues du Manitoba, M. Louis Tétrault, directeur général. Cette association agit comme porte-parole des municipalités manitobaines qui ont adopté la politique de l’offre active de services bilingues à leur population. Enfin, M. Louis Allain est directeur général du Conseil de développement économique des municipalités bilingues. Le conseil agit comme le moteur de développement économique dans 17 municipalités bilingues de la province.

Madame Mulaire, la parole est à vous.

Mariette Mulaire, présidente et directrice générale, World Trade Centre Winnipeg : Je vais commencer par vous parler du World Trade Centre pour qu’on comprenne le contexte. Auparavant, j’étais PDG du CDEM. On a vu une occasion d’aller à l’extérieur des frontières des municipalités bilingues et de promouvoir le bilinguisme pour percer des marchés comme la France, le Québec, l’Afrique du Nord, l’Afrique de l’Ouest, et cetera. Nos entreprises ont dit : « Nous sommes prêts. Utilisons notre bilinguisme. » On a donc créé ce qu’on appelle l’ANIM, l’Agence nationale et internationale du Manitoba, qui avait comme mission d’utiliser le bilinguisme à l’extérieur.

Au cours de la première année, on a tenu pour la première fois au Manitoba un forum économique international appelé Centrallia. Cette initiative a vu le jour grâce aux francophones. Cela nous a donné beaucoup de crédibilité auprès de la population anglophone puisque ce forum s’est tenu en français, en anglais et en espagnol.

Ensuite, on a organisé un forum seulement en français et en anglais, ce qui nous a donné beaucoup de visibilité. Puis, on a acheté une licence pour un World Trade Centre. Pourquoi? Parce que le nom ANIM ne disait rien aux gens de l’extérieur. Donc, on a acheté la licence par le biais de la Winnipeg Chambre of Commerce.

Normalement, seule la Chambre de Commerce aurait acheté cette licence, comme c’est le cas dans les autres provinces. Puisqu’on avait déjà un groupe qui travaillait à l’échelon national et international et qui avait démontré ses capacités par le biais du forum Centrallia, on nous a demandé si on voulait acheter la licence avec eux. On a répondu oui, mais on avait quatre conditions.

Tout d’abord, on a demandé que le World Trade Centre de Winnipeg soit complètement bilingue et que tout document soit publié dans les deux langues sur notre site web ou ailleurs. Deuxièmement, on a demandé que la langue de travail soit le français, ici à Winnipeg, au Manitoba. Troisièmement, que la moitié des personnes nommées au CA soient nommées par l’ANIM, donc des francophones, et l’autre moitié, des anglophones. Cela a permis de normaliser le bilinguisme, la francophonie au Manitoba. Que ce soit des francophones ou des anglophones, on crée une valeur économique et on travaille avec des entreprises. La grande majorité des entreprises sont anglophones. Quand je regarde la Loi sur les langues officielles et ce qu’on fait avec l’économie, il y a certains manquements dans la loi. On a attiré des investissements provenant des marchés francophones. Je vous donne un bref exemple.

Tout près d’ici, il y a l’Alt Hôtel. C’est la famille Germain, du Québec, qui est propriétaire de cet hôtel. Nous les avions approchés pour qu’ils viennent à Saint-Boniface. Aujourd’hui, cet hôtel est au centre-ville et elle embauche du personnel bilingue. Quand on prend l’ascenseur n’importe où dans les hôtels, c’est indiqué « 2nd Floor, 3rd Floor ». À l’Alt Hôtel, on est au 2e étage/2nd Floor, au 3e étage, et cetera. C’est le critère de normalisation qui manque dans la loi. Il manque un élément de proactivité réelle. Il faut trouver les vrais outils qui feront en sorte qu’on sera véritablement dans un pays bilingue. Le gouvernement doit mener des actions intéressantes pour protéger et faire la promotion de notre langue. Il y a aussi des initiatives qui peuvent être menées avec le secteur privé peut-être. Il faudrait trouver des moyens d’attirer des investissements francophones dans nos municipalités ou dans nos communautés de langues officielles en situation minoritaire. Il y a quelque chose à aller chercher de ce côté-là. Il faut penser aux investissements, à un programme fédéral ou à une façon de voir comment on peut parler d’investissements francophones dans les communautés de langue officielle minoritaire francophone et vice versa.

Deuxièmement, il faut trouver une façon où on peut faire davantage la promotion des langues officielles, du bilinguisme. Il faut offrir les outils nécessaires, et cela pourrait se faire à l’extérieur de la loi. I, mais qu’il y ait une entité où tout ce qu’on fait, c’est de donner les outils nécessaires pour les Canadiens et Canadiennes.

Troisièmement, je ne peux pas passer à côté des médias francophones. On entend beaucoup parler à quel point ils sont fragiles. On n’a pas assez de visibilité dans nos médias francophones. Ce n’est pas le Winnipeg Free Press qui traite de ce qui se passe dans la francophonie. C’est le journal La Liberté dans notre cas. Ce journal a tout fait pour essayer d’avoir une présence sur le Web, de se moderniser et de trouver les bons outils.

Enfin il y a certainement un manque en ce qui concerne le peuple métis. Donc, bon nombre d’entre nous en font partie ici au Manitoba et ce serait important de le reconnaître.

Le président : Merci beaucoup, madame Mulaire.

Louis Tétrault, directeur général, Association des municipalités bilingues du Manitoba : Bonjour. Merci de l’invitation à comparaître devant le comité. Je suis le directeur général de l’Association des municipalités bilingues (AMBM). J’aimerais d’abord vous parler brièvement de notre association en faisant un bref historique. Ensuite, je vous ferai part de nos réflexions vis-à-vis de la révision du projet de loi.

L’Association des municipalités bilingues a pour vision des municipalités bilingues vigoureuses, valorisées pour leur dynamisme et leur leadership en matière de développement économique et d’innovation. Nous jouons le rôle de catalyseur du développement, de la prospérité et de la pérennité des collectivités bilingues du Manitoba. L’AMBM agit en tant que chef de file politique et stratégique pour regrouper, appuyer et représenter une gouvernance municipale forte et solidaire. On s’appuie sur des valeurs d’engagement et de conviction, d’identité bilingue et de leadership. Je tiens à souligner que nous souhaitons célébrer la langue française en tant que valeur ajoutée dans la force du bilinguisme. C’est une compétence recherchée et un atout indéniable à la vie sociale, culturelle et économique dans nos collectivités.

Notre clientèle à l’AMBM, c’est toute entité municipale dans la province du Manitoba, municipalité, cité, ville, village ou district urbain local ayant adopté une politique de services en français à sa population répondant aux critères de l’AMBM. 

J’aimerais maintenant vous donner un bref historique de notre association. En 1986, plusieurs élus francophones de nos municipalités étaient inquiets de la disparition des services en français dans leur communauté alors ils se sont regroupés. En 1995, neuf municipalités se sont incorporées avec le mandat d’appuyer les membres dans la protection, la promotion et la création de livraison des services en français. C’était en 1995 avec neuf municipalités dont la majorité des conseillers, je n’ai pas les données, mais je crois qu’au-delà de 90 p. 100 des conseillers étaient francophones, 100 p. 100 des administrateurs de ces municipalités étaient francophones. Le poids démographique de ces municipalités variait de 35 p. 100 à 85 p. 100, première langue francophone. C’était toutes des petites municipalités rurales en forte décroissance de population. Pour citer mon prédécesseur, M. Raymond Poirier : « le dernier qui part du village, il devrait fermer la switch si ça continue comme ça. »

L’une des premières initiatives que l’AMBM a lancées sous la tutelle de M. Poirier était de mener une recherche sur le portrait économique des municipalités membres. Cette recherche a fait ressortir que nos municipalités étaient dans la macro-économie. On était complètement à côté des autres municipalités du Manitoba avec 60 p. 100 de francophones comparativement à 73 p. 100 pour les autres municipalités du Manitoba. C’était probablement parce qu’il n’y avait aucun service bilingue fédéral dans nos municipalités. Alors, pour essayer de rectifier la décroissance et de rééquilibrer l’économie, l’association a accordé la priorité au développement économique au sein de ses adhérents et a mis sur pied le Conseil de développement économique des municipalités bilingues (CDEM), qui sera abordé par Louis Allain. Je cite encore une fois M. Poirier :

On avait créé le CDEM de toutes pièces pour normaliser la vie française au Manitoba en ayant un certain contrôle sur nos villages francophones qui perdaient tous leurs services les uns après les autres. Les communautés franco-manitobaines avaient alors besoin de se structurer économiquement et de s’organiser pour aller chercher des appuis gouvernementaux.

Alors, ce modèle-là a été répété à travers le Canada et les territoires. À ce moment-là, on avait négocié ou réussi à créer le Comité de développement économique paritaire communauté-gouvernement au niveau national. Cet organisme rassemblait chaque ministère ayant un rôle à jouer pour l’épanouissement économique des communautés francophones et acadiennes. Il était coprésidé par un représentant de la communauté et un représentant du gouvernement, soit le premier coprésident. Il a affirmé ceci : « la formation de ce comité fut une idée révolutionnaire et brillante qui garantissait l’engagement de tous les ministères impliqués. » Ce comité-là — je vais y revenir tantôt dans nos conclusions — n’existe plus aujourd’hui.

Six ans après la création, on a fait une petite recherche pour voir si on avait eu un impact et si on avait réussi à renverser la situation. On avait constaté que dans nos municipalités, la population sur l’ensemble de notre territoire avait augmenté de 8,5 p. 100 et si on se comparait au reste du Canada rural dans leur même démographie, cela avait été un déclin de 5 p. 100. On s’est rendu compte que nos initiatives avaient connu beaucoup de succès. L’autre exemple, c’est l’ANIM, l’Agence nationale et internationale du Manitoba, qui est maintenant le World Trade Centre et un des bébés du CDEM et de l’AMBM. Aujourd’hui, nous avons mis sur pied un organisme Eco-West.

Nous sommes désormais 15 municipalités membres comparativement à 17 auparavant. Le gouvernement provincial a forcé des fusions en 2015. On a perdu un de nos membres, la municipalité de Saint-Claude, dont la population francophone est de 50 p. 100. Elle a fusionné avec une plus grande municipalité qui s’appelle Grey. Cette municipalité-là, majoritairement anglophone, a choisi de ne pas maintenir son lien avec l’Association des municipalités bilingues du Manitoba. Donc, parmi nos membres aujourd’hui, de 45 à 55 p. 100 de nos conseillers municipaux sont francophones, moins de 20 p. 100 de nos directeurs généraux sont bilingues et notre poids démographique va en diminuant de 15 p. 100 à 35 p. 100. Vous comprenez par le succès de notre croissance de population et le succès de nos initiatives, notre poids démographique dans une province où il y a 4 p. 100 de francophones ne pouvait faire autrement que diminuer. Aujourd’hui, nous constatons beaucoup plus de volonté de la part des conseils municipaux pour offrir des services, mais moins de capacité. Nous constatons une demande croissante d’autres municipalités avec un poids démographique francophone beaucoup moins important qui veulent se joindre à notre association.

La question qui a été posée dans le document que vous nous avez donné en préparation, c’est ceci : la définition sur laquelle repose l’offre des services au public selon le critère de la demande importante devrait-elle être modifiée? J’aimerais vous donner un exemple de la démographie de l’une de nos municipalités qui est en forte croissance. Je demeure à La Broquerie, et c’est une municipalité qui est en forte croissance. En 1996, 34 p. 100 de la population, selon le critère des langues officielles, était francophone première langue, donc 820 personnes. En 2016, 20 ans plus tard, la population de La Broquerie se situe à environ 6 000 personnes. Selon les données sur les langues officielles, 14 p. 100 de la population est de langue première francophone, et 1 220 citoyens sont capables de communiquer dans les deux langues.

Alors, le poids démographique a baissé à 14 p. 100, mais il y a 50 p. 100 plus de francophones dans la municipalité. C’est la réalité dans nos municipalités. Je pense que le calcul et les critères pour le maintien des services sont trop quantitatifs et qu’on aurait besoin des indices qualitatifs. Plusieurs recommandations se trouvent dans le projet de loi de l’ancienne sénatrice Chaput.

J’aimerais vous raconter une autre petite anecdote qui touche ma famille, ma vie personnelle. Quand j’ai rempli le questionnaire lors du recensement en 1996, ma femme et moi, et toute notre famille étions de langue maternelle française, soit la première langue apprise et la langue la plus parlée à la maison, donc 100 p. 100 de notre foyer. En 1981, quand j’ai rempli le questionnaire, j’avais trois fils. Sur les cinq membres de la famille, 100 p. 100 étaient de langue maternelle, soit la langue apprise et parlée à la maison. En 2001, mes trois fils étaient mariés à des anglophones, qui comprennent toutes le français. Lorsqu’on a rempli le questionnaire, nous étions maintenant 63 p. 100 de langue maternelle, 25 p. 100 qui parlaient le français à la maison. En 2016, quand notre famille a rempli de nouveau le questionnaire, j’avais neuf petits-enfants, ce qui fait en tout 17 personnes. Nous sommes 29 p. 100 dont la langue maternelle est le français, 29 p. 100 qui est la première langue apprise et seulement 12 p. 100 dont la langue la plus souvent parlée à la maison est le français, malgré le fait que 100 p. 100 de notre famille est capable de communiquer dans les deux langues.

Alors, c’est de plus en plus un défi pour les membres de maintenir l’offre. C’est aussi un défi immense pour l’association de remplir son mandat, en plus d’avoir passé de 5 à 17 membres grâce à notre réussite, et d’avoir à le faire avec le même budget depuis plus de 15 ans.

J’ai parlé du comité fédéral qui est disparu, ce qui a eu un impact sur le bilinguisme dans les centres municipaux, provinciaux et fédéraux. Depuis quelques années, le bilinguisme a diminué ou pratiquement disparu dans ces centres, ce qui a eu un impact considérable au niveau des services en français dans les régions rurales comme Saint-Pierre-Jolys, Notre-Dame-de-Lourdes et Sainte-Anne, entre autres.

Maintenant, avec le projet de loi no 5 sur les services en français, les ministères provinciaux ont la responsabilité d’offrir des services en français. Je me suis inspiré du projet de loi S-220 de l’ancienne sénatrice Chaput selon lequel le gouvernement fédéral ne peut pas en faire moins que les autres paliers de gouvernement. Il doit offrir des services bilingues là où la municipalité ou la province le fait. Il faudrait penser à insérer une disposition pour que le gouvernement fédéral, tout comme les autres paliers de gouvernement, fournisse un service bilingue, ce qui fait référence à la partie IV. Il serait intéressant de tenir compte du rôle des municipalités bilingues dans l’épanouissement des communautés de langue officielle en situation minoritaire dans la partie VII. Il y aurait lieu d’élargir le libellé pour mentionner spécifiquement le rôle des municipalités bilingues dans l’épanouissement des communautés officielles en situation minoritaire. Il serait intéressant de tenir compte d’un scénario inspiré du Comité de développement économique paritaire communautaire-gouvernement pour voir à l’élaboration d’un plan d’action conformément à la partie VII. Nous croyons que dans ce genre de scénario, les municipalités bilingues pourraient bénéficier de l’investissement fédéral. Elles auraient, grâce à leur infrastructure municipale bilingue, leur structure organisationnelle et sociale, ainsi qu’un rôle vital à jouer dans l’agrandissement de l’espace linguistique de la minorité. Merci beaucoup.

Le président : Merci beaucoup, monsieur Tétrault.

Louis Allain, directeur général, Conseil de développement économique des municipalités bilingues : Merci de nous donner ce privilège d’être présents à cette audience. J’aimerais d’entrée de jeu faire référence à ce que j’ai entendu précédemment. Venant d’une communauté métisse francophone, je pense que dans votre gabarit, il y avait toute la partie I de la loi qui réfère justement au préambule, et je crois qu’en relisant le préambule, la chose qui m’a sauté aux yeux, c’est peut-être ce que John Ralston Saul a bien identifié comme étant un problème au niveau de la psychique canadienne, qui fait l’objet probablement d’une inspiration qui est typiquement colonisatrice, c’est-à-dire française et britannique. Comme on le dit chez nous, dans la devise de la municipalité de St. Laurent, « soyons prudents ». Je pense que Saul, quand il dit que les principes du bon gouvernement, qui sont fondés sur la paix et la justice, ne nous inspirent pas à aller vers l’ordre, mais davantage vers le bien-être, je crois que c’est ce qui va baliser ce que je vais vous raconter aujourd’hui, avec ce que j’ai essayé de tricoter pour vous aider dans votre quête pour moderniser la Loi sur les langues officielles.

Mes propos sont présentés au nom du CDEM qui a été créé en 1996 et qui a un rôle de développement économique, mais aussi communautaire. Ce que je peux dire du CDEM, c’est qu’on a eu du succès avec notre plan Vision, entre autres avec la campagne « C’est si bon » — ça va rappeler des souvenirs à ma collègue, Mariette, et à Louis —, mais aussi avec le rôle qu’on a joué dans le développement durable avec la création des CLOSM. Ce sont toutes des initiatives qui nous ont permis de sécuriser, de baliser. Comme vous avez pu le voir dans le plaidoyer précédent, il y a toute la question de la sécurité linguistique et la question de l’anomie qui a fait l’objet de l’acculturation qui dure depuis de nombreuses années, d’où cette importance de faire de l’économie, mais aussi du communautaire, ce qu’on a fait au CDEM.

Au niveau des organismes, je me dois de parler de Changement 2008. La sénatrice Gagné connaît bien les enjeux qu’il y avait derrière tout ça. Le fait de pouvoir travailler ensemble avec les organismes et aussi dans le cadre du plan stratégique communautaire dont s’est dotée la Société francophone du Manitoba avec l’ensemble de ses organismes, d’ailleurs avec un encadrement très rigoureux sur le plan des résultats et de la reddition de comptes, pourrait peut-être vous inspirer lors de vos travaux.

Alors, je souhaiterais la croissance des langues officielles, parce que ça représente un atout pour l’économie canadienne. RDEE Canada — c’est un peu ce qui chapeaute tous les petits organismes comme le CEDM dans les provinces et territoires et qui est le réseau d’employabilité et d’entrepreneuriat pour les francophones — a fait une étude avec le CEDEC, qui est notre équivalent québécois en milieu minoritaire. Il est toujours important d’avoir le yin et le yang du côté québécois. Cette étude a été menée de concert avec le Conference Board, avec une approche basée sur le quotient, c’est-à-dire pour identifier où étaient les francophones et les personnes bilingues. À l’aide de cette étude, on a pu démontrer que le bilinguisme, ça paie. Mariette a fait référence à l’importance du commerce bilatéral. On voyait une différence importante de 3,5 milliards. La question que je me pose dans l’esprit des langues officielles — et je reviendrai à la partie V, parce que je me suis amusé à un peu fouiller, et quand tu fouilles, tu trouves des choses —, c’est qu’il y a toute la facette du bilinguisme. L’unilinguisme au Canada, qu’est-ce que ça nous coûte vraiment en pertes d’opportunités? Alors, ça, il n’y a personne qui s’est encore arrêté à cette question-là, parce qu’en fouillant un peu en Suisse et en Belgique et en Europe, c’est que le bilinguisme dans le cadre de la mondialisation, ça paie et c’est bénéfique.

Malgré tout ça, je vais sauter tout de suite à la question de la modernisation des langues officielles, parce que c’est ce qui vous intéresse. Là encore, j’ai fouillé et j’ai trouvé des choses intéressantes, et j’espère qu’elles seront pertinentes. Tout d’abord, je me dois de souligner tout le beau travail qui a été fait précédemment par Mme Maria Chaput, une de nos championnes qui a été remplacée par une autre championne. On en est fier, parce que, justement, je faisais le bilan de tous les sénateurs francophones qu’on a eus au Manitoba. On a toujours envoyé des champions, et je vois que c’est un peu le cas pour les autres provinces aussi. Vous êtes nos francs-tireurs de la francophonie, et je parle de Mme Chaput, parce que j’ai relu tous les procès-verbaux.

On vient ici, on vous raconte des histoires, et ce qui m’a vraiment inspiré, c’était de voir que la francophonie, et les CFA, nous sommes là, et nous sommes tous positifs. Cependant, un peu avec désarroi, j’ai constaté l’arrogance des sociétés d’État, à part le CRTC, je l’ai précisé dans mon document, en lisant les témoignages, en particulier dans le cadre du projet de loi de Mme Chaput qui ajoutait trois aéroports, dont un à Regina, et en lisant le témoignage de M. Graham qui disait qu’ils utilisaient Google Translate pour l’affichage. Imaginez-vous un aéroport national où on utilise Google Translate pour faire de l’affichage? Il y avait aussi l’arrogance de Postes Canada, parce que Mme Chaput avait perdu son bureau de poste pour des raisons un peu semblables à celles qu’a évoquées M. Tétrault dans le cadre de l’analyse du poids démographique.

En lisant tout ça, je me suis dit que je voulais aller plus loin et fouiller, parce que ça m’intéresse, toute cette question de la partie IV, mais pas simplement la partie IV et la partie VII, mais de la partie IV à la partie VII. Je pense qu’il faut les voir dans leur ensemble et je ne veux pas accuser Patrimoine canadien. Ils font ce qu’ils peuvent avec les moyens qu’ils ont. La partie IV est la partie qui a été réglementée, mais tout ce qu’on met aux oubliettes, c’est-à-dire dans la dévolution des pouvoirs qui tombent, au niveau des pouvoirs subsidiaires entre les mains des sociétés d’État, ça tombe dans le domaine des vœux. On a vu aussi les interventions du commissaire aux langues officielles à cet égard. Il est important de revoir, dans le cadre de la modernisation, qui gère cette loi, et il faut se permettre de rêver, comme le fait si bien Gino LeBlanc en disant : « Pourquoi ne pas aller jusqu’en haut et l’envoyer au Conseil privé? » Mais ça nous prend une maison, un ministère, quelque chose de robuste pour avoir un encadrement semblable à celui qu’on vient d’offrir aux peuples autochtones pas plus tard qu’hier.

Alors, je saute comme ça parce que je n’ai que 10 minutes, mais je pense aussi qu’il est très important de regarder nos fonctionnaires et de sortir du croissant du bilinguisme, ce qui touche encore la partie V, parce qu’à l’extérieur de ce croissant-là, il n’y a pas grand-chose qui se passe en français au niveau des forces bilingues, au sein du plus gros employeur du pays, c’est-à-dire le gouvernement fédéral, parce qu’ils sont à l’extérieur de ce croissant du bilinguisme qui se termine à Gatineau, dans notre cas. C’est une chose qui nous fait mal parce qu’il y a deux problèmes qui y sont liés, et ça touche à d’autres parties de la loi. C’est que nos forces bilingues… Souvent parce que la famille des EX-01, EX-03 et EX-04 et compagnie, une fois qu’ils se qualifient pour avoir leur niveau C, ensuite, ils sont bons pour la carrière. Mais en milieu minoritaire, s’il n’y a pas d’engagement, et s’il n’y a pas de maintien, ça ne va nulle part.

Je veux aussi parler de la Loi sur la passation des marchés. C’est important. Le Conseil du Trésor, dans mon analyse, j’ai vu qu’il s’enlisait assez facilement lorsque venait le temps d’avoir un bon jugement. Le Conseil du Trésor — et c’est dans les procès-verbaux que j’ai lus, les audiences qu’écoutait Mme Chaput à l’époque — doit mettre de 10 à 12 ans avant de prendre des statistiques et de faire une application. Vous pouvez imaginer la lourdeur. Ce qui m’inquiétait par rapport à la passation des marchés, c’est nos institutions. Qu’une école de l’Estrie puisse faire compétition parce qu’elle est bénéficiaire à l’institution comme l’Université de Saint-Boniface pour offrir des cours aux fonctionnaires, ça nous fait mal, parce qu’un contrat qui est accordé dans l’Est, ça veut dire que notre vitalité est tout de suite affligée par un manque à gagner. Plus tu fouilles là-dedans, plus tu trouves des choses intéressantes.

J’ai aussi fait référence aux gains qu’on a faits grâce à la partie VII. Il y a eu des gains, et dans l’esprit du cas Doucet, l’affaire Amherst, Mme Chaput nous disait tout le temps « mais il y a la transcanadienne aussi ». Notre espace francophone, c’est les gouvernements de proximité tels que les municipalités bilingues, mais c’est aussi tout ça. C’est tout ce qu’on a développé grâce au travail de Mariette avec le World Trade, avec le milieu des affaires, le milieu anglophone. Notre espace francophone nous a servis par le passé. Je viens d’une communauté métisse. C’est très fermé. C’est ça qui nous a permis de ne pas nous faire assimiler, mais ce qui est important aujourd’hui, c’est de faire partie de la plus grande diaspora et, au niveau économique, il ne faut pas attendre sur le bord de la route.

Je vais terminer — il y a bien d’autres petites perles là-dedans — avec la question du conseil fédéral, parce que ça, c’est fondamental. J’en parlais souvent avec Louis. Nos bureaux sont attenants. Nous autres, on fait partie de la famille. C’est la même mafia.

M. Tétrault : Je voulais prendre de bonnes décisions.

M. Allain : C’est la même mafia. Alors, à ce sujet, et je termine avec ça, il y avait à l’époque des champions et il y avait un conseil fédéral régional avec des fonctionnaires qui avaient un pouvoir de délégation. Aujourd’hui, même pour le café et les beignes, il faut que ça se décide à Ottawa. Il n’y a plus de pouvoir de délégation, il n’y a plus de conseil fédéral. Il y a des championnes des langues officielles à Edmonton. Imaginez-vous, déjà il y a une rivalité depuis des siècles à cause du hockey, et aujourd’hui on se retrouve dans de telles situations. Mais, je pense que c’est très pertinent. Je me souviens de Michel Lagacé et de ce qu’il faisait ici au niveau régional, en rassemblant à la table le fédéral, la province et le municipal, comme l’a mentionné Louis. Ça, c’est le gouvernement de chez nous. À ce chapitre, ce qu’il y a de très important, c’est qu’à défaut d’avoir un dialogue constructif sur le terrain, les langues officielles, pour le petit fonctionnaire qui n’a plus les pouvoirs qu’il avait à l’époque, sont bien loin dans ses préoccupations quand il se lève le matin, ici au Manitoba.

J’aurais pu vous parler de finances, parce que je viens du monde de l’éducation. Tous les ans, on arrose la tomate de 1 à 2 p. 100. Notre gouvernement va la réduire, mais au niveau de l’assiette fiscale, ça fait deux feuilles de route et chaque fois, je fais remarquer à Louis qu’il n’y a jamais de bonification. Donc, on fonctionne au coût de la vie d’il y a 20 ans, mais on se maintient. C’est beau.

Le président : Merci beaucoup, monsieur Allain, monsieur Tétrault et madame Mulaire. De toute façon, la période des questions va vous permettre de donner d’autres renseignements si vous voulez en donner. Nous commencerons donc la période des questions avec la sénatrice Poirier.

La sénatrice Poirier : Merci à tous les trois pour vos présentations. Ma première question concerne l’Association des municipalités bilingues du Manitoba. Vous avez dit dans votre présentation que, pour qu’une municipalité fasse partie de votre association, il y a certains critères qui doivent être suivis. Vous en avez parlé un peu. Il y a certains critères que j’ai pu comprendre. Donc, pour devenir une municipalité bilingue, est-ce qu’il faut qu’un certain pourcentage de la population soit de langue française? Est-ce que c’est l’un des critères?

M. Tétrault : Ça n’a jamais été un critère très précis. On préconisait qu’un minimum de 25 p. 100 de la population soit de première langue française, parce qu’en deçà de cela, quand l’association a été créée, il semblait que la capacité d’une municipalité et la volonté politique de la municipalité n’étaient pas au rendez-vous. Vingt-cinq ans plus tard, on a fait beaucoup de chemin en ce qui a trait à l’acceptation du bilinguisme, à l’offre active et à la reconnaissance de la valeur ajoutée. Ça a été la fondation de nos initiatives. Alors, il n’y a pas de critère minimum, mais on constate que, lorsque le taux de francophones est assez bas, accueillir des ressources humaines pour offrir des services en français au niveau municipal, au niveau de toutes sortes de raisons, il semble être un peu difficile de maintenir et d’offrir des services au niveau municipal s’il n’y a pas un bassin assez important de francophones.

La sénatrice Poirier : Pour être une municipalité bilingue, pour faire partie de votre association, est-ce que ça veut dire que toutes les lois et les règlements administratifs de la municipalité doivent être offerts aux gens de la municipalité dans les deux langues?

M. Tétrault : Voilà.

La sénatrice Poirier : Est-ce que les procès-verbaux des réunions doivent être bilingues? Est-ce qu’il faut que tous les employés de la municipalité ou un certain pourcentage soient bilingues? Que tout service que la municipalité offre soit offert dans les deux langues officielles?

M. Tétrault : Dans les premiers arrêtés que nos membres ont adoptés parce que la concentration de francophones était assez élevée, on désignait des postes bilingues. On désignait tous les postes qui étaient voués aux services aux citoyens et citoyennes. Il semblerait qu’aujourd’hui, en 2018, il est difficile de désigner tous les postes. On semble se résigner à au moins valoriser le bilinguisme au niveau d’une capacité dans les ressources humaines et on désigne au moins un poste qui est voué au service à la clientèle. Les arrêtés que les municipalités doivent adopter ont une annexe où il est stipulé le niveau des services que la municipalité doit offrir. À titre d’exemple, il y a l’affichage, les sites web bilingues, les procès-verbaux disponibles dans les deux langues, et cetera. Notre association appuie nos municipalités au niveau de la traduction et afin d’essayer de rendre la tâche aussi normale et aussi facile que possible à nos municipalités, à nos élus et aux administrations municipales lorsqu’il s’agit de rendre ces services aux citoyens et citoyennes.

La sénatrice Poirier : Parce que vous êtes une association municipale, j’imagine que vous n’êtes pas liés au gouvernement. Vous êtes indépendants, si j’ai bien compris. Donc, j’imagine que ça veut dire que les municipalités choisissent elles-mêmes si elles veulent faire demande pour devenir membres de votre association. Je sais qu’au Nouveau-Brunswick, à un moment donné, il y a eu une loi qui avait été mise en place selon laquelle toute municipalité dans la province qui avait un certain pourcentage de citoyens francophones était assujettie à l’obligation d’offrir toutes ses lois et tous ses services dans les deux langues. Est-ce qu’au Manitoba, le gouvernement du Manitoba l’exige des municipalités qui ont un certain pourcentage de francophones?

M. Tétrault : Le Nouveau-Brunswick est unique en ayant une loi qui régit la responsabilité municipale quant aux services offerts en français. Tout récemment, le Manitoba a adopté le projet de loi no 5 qui mandate les divers départements provinciaux à avoir des plans d’action sur les services en français, mais je vais vous dire très franchement que le gouvernement provincial ne veut pas imposer cette exigence aux municipalités. Nous avons rencontré les ministres associés à ces ministères qui ne veulent pas mandater et forcer nos municipalités à offrir les services en français. Donc, pour être membre, c’est un choix démocratique et une volonté politique. Vous comprendrez que, quand il y a six conseillers francophones sur sept, il est un peu plus facile d’adopter un arrêté sur la prestation de services en français que quand il y en a deux sur sept. Comme je vous le disais dans ma présentation, le fait qu’on ait eu une certaine réussite au niveau de l’accroissement de nos populations, ça a dilué le poids politique des élus francophones.

La sénatrice Poirier : Monsieur Allain, merci pour votre présentation. Vous avez dit dans votre présentation qu’il est souvent question de la partie IV et de la partie VII de la loi, et ensuite, vous avez parlé des autres parties. Ma question porte sur la partie V. Faudrait-il revoir la partie V de la Loi sur les langues officielles, d’après vous, qui porte sur la langue de travail des employés fédéraux? La liste des régions désignées bilingues aux fins de la langue de travail a-t-elle besoin d’être revue, d’après vous?

M. Allain : Définitivement. Je pense que, dans l’esprit de ce que M. Bastarache avait affirmé quand il a dit qu’il fallait envisager la partie IV jusqu’à la partie VII comme un ensemble, au sein de la partie V, si le plus gros employeur au pays ne donne pas l’exemple comme le font la Suisse ou la Belgique… J’ai mentionné aussi dans mon document le recrutement et le manque à gagner qui existe. Quand Mme Chaput transigeait avec les grands chapeaux des sociétés d’État qui envoyaient des associations — Air Canada ne vient pas, ni WestJet et compagnie, car ils envoient des associations —, toute la question de la capacité bilingue est revenue sur le tapis. Mme Chaput leur avait demandé par ailleurs s’ils connaissaient les associations francophones et les universités francophones, et ils n’étaient pas au courant. Pour moi, il faut renforcer les capacités au niveau de la partie V et élargir, non pas dans la rigueur, mais dans la flexibilité, et y aller de façon aussi asymétrique que possible, parce que nous avons tous nos réalités. Cependant, agrandissons la famille francophone au sein de l’appareil fédéral, et la partie V doit être revue.

Je reviens aux valeurs de base. John Ralston Saul nous met sur la bonne piste. Dans le préambule, il faut faire appel au bien-être, ce que Mme Chaput appelait l’épanouissement et la vitalité. Ce sont des mots clés. D’ailleurs, on voit que le nouveau commissaire s’attaque beaucoup à la question de la nomenclature. Que veulent dire ces mots? Moi, je crois qu’il faut commencer à utiliser le gros bon sens et voir comment on peut élargir le fait francophone au sein de la fonction publique. Aujourd’hui, il est à peu près inexistant dès qu’on sort du croissant bilingue.

La sénatrice Poirier : Merci.

Le sénateur McIntyre : Nous sommes très heureux de vous voir comparaître devant ce comité sénatorial pour répondre à nos questions.

Monsieur Allain, à l’annexe A de votre mémoire, vous dressez une liste de 10 recommandations. Ces recommandations tombent bien, parce qu’elles s’ajoutent aux témoignages entendus jusqu’à maintenant de la part des représentants des communautés francophones en situation minoritaire. D’ailleurs, ces témoignages se sont concentrés sur les aspects suivant le préambule de la loi, les parties IV, V, VI et VII de la loi, les mécanismes de coordination et de surveillance de la loi. Alors, gardant à l’esprit vos recommandations, je vous pose une question que j’ai posée ce matin à d’autres témoins. Quels sont les mécanismes manquants pour assurer que la Loi sur les langues officielles soit pleinement appliquée? Par exemple, faudrait-il revoir les pouvoirs accordés à la ministre du Patrimoine canadien et ceux accordés au Conseil du Trésor? Faudrait-il renforcer les pouvoirs du commissaire aux langues officielles, faciliter le recours aux tribunaux en cas de non-respect des obligations linguistiques et, finalement, sanctionner, je dis bien sanctionner, les institutions qui ne se conforment pas à leurs obligations linguistiques? Pourriez-vous nous en dire plus à ce sujet?

M. Allain : Premièrement, les recommandations viennent de vos prédécesseurs. C’est le beau travail des sénateurs du comité permanent, d’où l’importance de faire une revue de la littérature rigoureuse pour voir un peu où en était le comité sénatorial à une époque où ce n’était pas facile. Dans ces 10 recommandations, je dois vous dire que certaines sont timides et qu’il y en a certaines avec lesquelles je ne suis pas tout à fait d’accord, mais je trouve que c’est un bon point de départ.

Maintenant, vous avez mis le doigt sur plusieurs attributs qui, selon moi, sont nécessaires pour amener la Loi sur les langues officielles à un autre niveau. Mais au-delà de l’ordre, il y a la question du bien-être, c’est qu’il faut aussi harmoniser le tout et l’envisager comme un processus et non pas comme un événement. La dernière chose dont on a besoin, c’est d’autres coups de bâton, car on en a eu assez par le passé, mais je pense que le tout devrait s’inscrire dans un processus qui nous permettra de bâtir, et j’ai mis l’accent sur le mot « bâtir » dans mon document. Je crois qu’il est essentiel ici. Il y a un bricolage social qui est nécessaire. On le voit avec la réalité du Manitoba et de nos municipalités. Vous allez le voir tout à l’heure avec les représentants de la province. Il y a de nouvelles réalités. Ici, nous avons maintenant le projet de loi no 5. Qu’est-ce que ça peut impliquer au niveau des ministères?

À l’époque, on transigeait avec des projets à l’IDE. Ça vient de Diversification de l’économie de l’Ouest, où les gouvernements provincial et fédéral étaient à la table. Mariette va s’en souvenir. Ils travaillaient en partenariat. Ça a disparu. Il y a eu une érosion de tout ce beau travail qui se faisait grâce à la partie VII, à la présence des conseils fédéraux. Pour moi, c’est une approche systémique qui va toucher de nombreux facteurs, mais au niveau de votre loi, il s’agit de mettre des ingrédients qui vont nous permettre d’aller au-delà de la nécessité de faire appel uniquement à la partie II, qui est juridique, et nous amener sur des pistes qui seront celles d’un dialogue véritable pour bâtir ensemble un Canada qui a des langues — et ça, c’est une réalité de la Suisse et de la Belgique —, mais des langues nationales.

Le sénateur McIntyre : Un autre point que vous avez soulevé aussi est celui de faire le lien entre la croissance des langues officielles et l’économie canadienne, et vous avez absolument raison. Le bilinguisme apporte des avantages non seulement sociaux et culturels, mais également des avantages économiques.

M. Allain : Je vais y répondre et je vais demander à Mariette de m’accompagner. Nous l’avons compris au Manitoba et nos prédécesseurs, les coureurs des bois, l’avaient compris aussi. Ils étaient polyglottes, ils parlaient plusieurs langues. Dans le cas de la mondialisation, quand on lit ce qui se passe en Europe, oui, l’anglais est important, mais en Suisse, le suisse-allemand est tout aussi important. Le français est important, de même que toutes les autres langues qu’ils parlent. Quand il s’agit de commerce ou d’émotions, la langue française joue son rôle comme toutes les autres langues nationales.

Comme c’est davantage le créneau de Mme Mulaire, je vais lui passer la parole.

Le président : Allez-y, madame Mulaire.

Mme Mulaire : J’ai vu très souvent à quel point la langue et le bilinguisme contribuent à l’économie, et je vous ai donné un exemple, mais il y a beaucoup d’autres exemples d’attraction d’investissements francophones, où le fait qu’on puisse transiger avec les gens en français au début, surtout, a facilité l’attraction de grands investissements, sachant très bien qu’une fois qu’ils seront installés ici, comme le grand projet de Roquette, ils devront transiger en anglais.

J’étais en Chine. J’arrive dans une salle. Il y avait un tableau de conférence où c’était écrit : « Je m’appelle xxx. » J’ai demandé : « What’s going on? » On m’a répondu qu’on apprenait le français et le chinois. J’ai dit que ça me surprenait. On m’a dit que l’anglais, on doit l’apprendre, mais que le français, c’est la langue prestigieuse, qui favorise une autre façon de penser et de voir les choses. Or, ça venait de quelqu’un qui n’est pas en train de défendre les langues officielles et tout ça, et c’était tout à fait innocent, mais c’était tellement fort comme message. Des choses comme celles-là, j’en fais constamment l’expérience avec la richesse économique du bilinguisme.

La sénatrice Gagné : Premièrement, je voulais vous remercier d’avoir accepté notre invitation de venir témoigner. Merci de vos propos qui vont nous permettre d’alimenter nos réflexions et nos discussions par la suite.

Je voulais tout simplement vous dire que le développement économique dans nos communautés passe par votre leadership, entre autres, et je vous en remercie. Vous avez joué, et vous jouez encore un rôle de mobilisateurs, de rassembleurs, d’acteurs, et je crois que c’est grâce à vous qu’il existe une meilleure cohésion entre les élus, les chambres de commerce et d’autres intervenants du milieu. Alors, bravo et merci!

Je veux revenir au concept du bilinguisme et du français comme une valeur ajoutée, ici au Manitoba. Quand on sait que le bilinguisme est une valeur fondamentale au Canada — je me pose encore cette question, mais ce n’est pas ma réflexion, c’est un témoin qui a partagé cette réflexion avec nous à un moment donné —, je me demande à quel moment nous pourrons penser au français comme étant une valeur ajoutée, où les langues officielles représentent une compétence essentielle aujourd’hui et pour les années à venir. C’est une question ouverte, à laquelle je te demanderais de répondre, Mariette. Si d’autres veulent ajouter quelque chose, ils sont les bienvenus.

Mme Mulaire : Dans ma vie à moi, c’est une compétence qui a beaucoup d’impact. Au World Trade Centre, la langue de travail est le français, mais ce n’est pas le français qui est nécessairement la première langue. Il y a des gens de l’Ukraine, du Mexique, du Brésil, de la Russie, et j’en passe. Lorsqu’on a décidé qu’il s’agissait d’une compétence linguistique pour travailler chez nous, ça n’a pas été facile de le faire accepter, surtout par les gens de mon CA qui sont unilingues anglophones, qui ont un neveu ou une nièce en marketing international qui serait parfait pour le World Trade Centre, mais qui ne parle pas français. Quand on est obligé de leur dire que c’est une compétence nécessaire pour travailler chez nous — parce que quand on sort du Canada, on devrait au moins parler les deux langues du pays —, ça passe le message. On transmet aussi le message que même si on exige le français, il y a aussi six autres langues qu’on célèbre dans les marchés où c’est important. En outre, ce n’est pas si difficile que ça de trouver une Chinoise qui parle français — je le sais maintenant —, mais je pense que, si on y tient et qu’on démontre que c’est vraiment une compétence nécessaire, les gens commencent à le comprendre, et c’est la raison pour laquelle nos écoles d’immersion débordent.

Je ne sais pas si je réponds correctement à votre question.

La sénatrice Gagné : Est-ce qu’il y a d’autres personnes qui voudraient ajouter quelque chose?

M. Tétrault : J’ai apprécié votre question. C’est vraiment intéressant. Moi, l’anecdote que je vous donnerais, c’est que notre association a été créée justement pour promouvoir la valeur ajoutée, et j’ai constaté un certain cheminement dans les 25 dernières années quant à la normalisation du bilinguisme au niveau municipal. Je vais brièvement vous dire que, dans les débuts, lorsqu’on regarde les procès-verbaux des élus municipaux en 1993, il y avait même une crainte de faire la promotion du français auprès des conseils municipaux. Certaines de nos municipalités ont vécu des guerres, ou presque, et aujourd’hui, quand on se présente devant un conseil municipal qui est majoritairement anglophone, je pense qu’on a fait tellement de chemin que la majorité anglophone commence à comprendre que le fait d’avoir les deux langues est réellement avantageux et représente une valeur importante. Ainsi, on s’ouvre sur le monde et on arrête de se regarder le nombril. Je pense qu’on n’est pas encore rendu, mais qu’on a fait beaucoup de chemin. La preuve, c’est que, maintenant, nous avons des municipalités comme Morris et Piney qui nous approchent pour devenir membres. Il y a 25 ans, on faisait le tour de ces municipalités-là sans se faire arrêter.

La sénatrice Gagné : Merci. Vous avez aussi partagé les avantages associés à la connaissance du français et de l’anglais en ce qui a trait au développement économique et le fait que la Loi sur les langues officielles devrait mieux faire valoir ces avantages-là. Ma question est toujours de savoir comment. Vous avez mentionné l’idée de l’intégrer à la partie VII. Monsieur Tétrault, vous l’avez mentionné. Monsieur Allain, on a touché à la question de l’application du règlement de la partie IV, et du problème lié au fait de ne pas atteindre les nombres nécessaires pour arriver au seuil de la demande importante, ce qui modifie le statut des bureaux bilingues en bureaux qui offrent seulement les services en anglais, et cetera. Est-ce qu’il y aurait lieu de mentionner les ententes qui pourraient être signées entre la province et le gouvernement fédéral dans le domaine du développement économique ou de l’employabilité, ou même dans le cadre des programmes fédéraux où des enveloppes sont transférées aux provinces? Devrait-on simplement mentionner la nécessité de considérer les langues officielles dans l’attribution des fonds? Pensez-vous à une disposition qui pourrait être insérée à la Loi sur les langues officielles et qui lui donnerait plus de mordant?

M. Allain : J’ai le goût de bâtir sur la question précédente, comme je le faisais dans le temps, mais je vais répondre directement à celle-ci. Au cœur même de cette modernisation, il y a l’idée d’un projet de société, et que ce soit M. Bastarache ou l’ancien commissaire aux langues officielles, c’est sur le bout des lèvres qu’ils ont toujours parlé d’harmoniser la partie IV jusqu’à la partie VII et de la réglementer de façon aussi solide que possible.

Dans le petit mémoire que je vous ai déposé, prenons l’exemple de RDEE Canada. À l’époque de Mariette, ils avaient un partenariat avec 11 ministères au niveau fédéral. Ce partenariat a été dilué. Quand je suis arrivé au CDEM, déjà, il commençait à être plutôt timide et, finalement, à cause des politiques du Conseil du Trésor, on l’a éliminé pour que les organismes ne deviennent que des bénéficiaires. C’est solide, ça. Le Conseil du Trésor vient de mettre la hache dans une initiative qui incarnait le partenariat avec la communauté. Alors, je crois qu’il est souhaitable, pour bâtir ce fameux projet de société, que la Loi sur les langues officielles tienne compte de cette dynamique, qui est importante, de passer de bénéficiaires à de véritables partenaires, et que cette question de reddition de comptes et d’imputabilité soit traitée — on l’a vu dans les procès-verbaux, M. Roger Paul l’a réitéré —, car on ne sait pas où va l’argent. J’ai travaillé dans le milieu de l’éducation, et j’ai vu ce qu’on faisait avec l’argent. Évidemment, donner un chèque à une province sans y mettre des conditions, c’est un peu comme le disait M. Poirier à l’époque, c’est une carotte, mais elle ne va pas loin. Il est temps d’être plus sérieux et de prendre nos affaires en main avec un projet de société réel dans le cadre de la Loi sur les langues officielles.

Mme Mulaire : Si je peux ajouter quelque chose, je reviens toujours au concept de la normalisation pour permettre aux Canadiens et Canadiennes d’avoir plus aisément accès à l’autre langue, de l’apprendre et d’avoir les outils pour le faire. Il faudrait que ce soit facile pour l’ensemble des Canadiens, et je ne sais pas comment ça pourrait s’insérer dans une loi ou si c’est quelque chose qu’on met sur pied en vertu d’une loi, si c’est une entité qui s’en occupe. Cependant, quand M. Trudeau père est arrivé avec cette loi, ce qui manquait à la loi, c’était vraiment des outils pour favoriser sa mise en œuvre. Comment faire en sorte de célébrer le fait que nous sommes un pays biculturel et bilingue? C’était un bon concept. C’était excellent, mais ça n’a pas été plus loin et ça n’a pas apporté les outils nécessaires. Donner aux gens les outils pour pouvoir comprendre ce qu’est cette autre langue et de susciter le désir de vouloir l’apprendre, et encore, de la normaliser, c’est ce qu’il faut. En outre, je ne sais pas si c’est nécessairement à l’intérieur ou à l’extérieur du cadre de la langue qu’il faut décider d’investir dans une entité de quelque sorte, qui ne s’occupera pas seulement de promotion, mais aussi d’élaborer des outils qui facilitent réellement le processus.

La sénatrice Moncion : Pour faire des progrès sur ce que vous venez de dire, ça prend des outils, mais ça prend aussi une volonté politique, et si la volonté politique n’y est pas, vous allez peut-être avoir de petits problèmes. En tout cas, on a de petits problèmes.

Mme Mulaire : Est-ce que vous parlez d’une volonté politique au niveau national ou provincial?

La sénatrice Moncion : À tous les niveaux.

Mme Mulaire : Je pense qu’il faut rendre ça facile pour les gens. Je parle même du secteur privé, où il y aurait un financement pour aider à donner des outils afin que les gens puissent suivre des cours, ou quoi que ce soit. Il s’agit vraiment de donner les outils nécessaires pour apprendre l’autre langue et, dans la plupart des cas, ce serait d’apprendre le français. Il faudrait trouver des moyens de récompenser cet apprentissage. C’est que ça prend un investissement à un moment donné, un vrai investissement. Ce ne sera peut-être pas populaire à tous les niveaux, mais je pense qu’aujourd’hui, dans un Canada, dans un monde global, compte tenu de tout ce qui se passe au niveau de la mondialisation — j’ai vraiment aimé tes propos, Louis, au sujet du fait qu’on est dans un contexte où il est normal d’avoir plusieurs langues dans plusieurs pays, parce qu’on voit que ça marche et que l’unilinguisme a un coût —, le projet de société, qu’on l’appelle ainsi ou non, il faut décider à un moment donné d’y investir, parce qu’on ne l’a pas fait en 1969. On n’a pas investi là-dedans, mais maintenant, les gens sont habitués à ce qu’on investisse. Les parents investissent dans les écoles d’immersion pour faire en sorte que leur enfant apprenne l’autre langue.

La sénatrice Moncion : Mais ce que je semblais comprendre des propos de M. Allain, tout à l’heure, c’est qu’il parlait d’une époque à un moment donné où il y avait un groupe composé de 11 ministères. Il y avait une volonté politique à ce moment-là. Il me semble qu’avec le temps, cette volonté politique a disparu. On a enlevé le chapeau. On a ramené tout le monde à son nombril et on se retrouve à un moment donné avec de l’argent qui est envoyé à gauche et à droite, mais qui n’est peut-être pas versé aux initiatives pour lesquelles les enveloppes avaient originalement été destinées. C’est donc dans ce sens-là que je comprends toute la question des outils. Les gens s’outillent et, comme communauté francophone, depuis des années, nous sommes des parents pauvres. On s’organise entre nous et on s’organise justement pour créer toutes ces fameuses institutions.

Ça m’amène à vous parler de Centrallia.

Mme Mulaire : Franchement, pour moi, on était sur la bonne piste quand on avait ce comité-là, car il y avait un engagement de plusieurs ministères. On l’a pris au sérieux. On est allé de l’avant. Les francophones ont fait leurs preuves. Nous avons fait nos preuves. C’est pour ça qu’au Manitoba, on voit qu’il a fallu faire nos preuves. On les a faites et c’est pour ça qu’on a été respecté, et qu’on a pu décider que le World Trade Centre, en plein Canada, serait un World Trade Centre bilingue. C’est parce qu’il fallait faire nos preuves. Mais là, c’est le temps. On les a faites, nos preuves. C’est le temps d’investir et de s’assurer qu’on ne perdra pas à nouveau comme on a perdu, parce qu’on a perdu du chemin. Ça aurait pu aller beaucoup mieux, mais il y a eu tout un changement et un ralentissement de cette promotion et du soutien à cette langue officielle, à ce projet.

La sénatrice Moncion : Je pense qu’à l’heure actuelle, il y a peut-être une incompréhension politique de ces fameux enjeux qui sont d’actualité, mais il manque de continuation au niveau de l’histoire et au niveau de tout ce qui se faisait auparavant. Parfois, je pense que c’est peut-être lié — et c’est une opinion —à la jeunesse d’un gouvernement, comme nous, jeunes sénateurs, qui parfois n’avons pas tout le bagage de connaissances qui vient avec l’histoire.

Mais j’aimerais vous parler de Centrallia, parce que je l’ai connu quand il a commencé. Maintenant, les conférences du World Trade Centre se font à quelle fréquence?

Mme Mulaire : Centrallia avait été financé par le fédéral et la province, et ç’a été coupé. Le projet a été coupé par le fédéral après le premier, alors on s’est tourné vers la province et, maintenant, la province ne s’y intéresse plus vraiment. On a perdu ce soutien. Pour moi, c’est une perte parce qu’à travers tout ce forum international on a pu amener la francophonie manitobaine partout, que ce soit avec nos artistes comme Daniel Lavoie, Gregory Charles, ou à travers nos chansons francophones. À Centrallia, il y avait toujours une présence, et sur l’estrade, ça se passait en français et en anglais. C’était normal. On passait d’une langue à l’autre. On n’a pas prévu une autre édition de Centrallia, parce qu’il y a eu des coupes budgétaires, non seulement du gouvernement fédéral, mais maintenant aussi de la province. Pour cette raison, ce n’est plus une priorité d’organiser Centrallia prochainement.

La sénatrice Moncion : C’est dommage, parce que je sais que des gens de l’Ontario sont venus au Manitoba et qu’ils ont été capables de développer des ententes commerciales avec l’Europe. Même quand vous êtes allés au niveau des entreprises, parce que je pense que vous avez fait une tentative aussi au niveau des entreprises pour aller chercher du financement, un forum a eu lieu, et je pense que c’était à Sudbury, mais il n’a pas connu le succès que vous aviez connu au Manitoba. En tout cas, je trouve intéressant de voir que vous êtes l’instigatrice de cette initiative et de vous rencontrer après plusieurs années.

L’autre aspect, c’est tout ce qui touche le RDEE. Monsieur Allain, je vous ai rencontré à plusieurs reprises dans le cadre des forums sur les coopératives. Aujourd’hui, comment se portent les partenariats qui existent avec le RDEE? Parce que ç’a toujours été une bataille pour la question du financement, et je pense que les financements ont été coupés et que ça devient de plus en plus difficile de fonctionner. Le financement provient des programmes du gouvernement fédéral et l’argent ne va pas aux bons endroits, donc quand vous parlez de feuille de route, quand vous parlez de stratégie, de projet de société, pourriez-vous nous en dire un peu plus?

M. Allain : Mon collègue Louis n’a pas bien fait son travail. Il aurait pu vous parler des anciens ministères et du milieu rural et de tout ce qui se faisait. On vous a parlé des 12 ministères. Ce qui nous a un peu sauvés, ç’a été le zèle de nos fonctionnaires qui ont osé nous dire que les francophones « grattaient ». Écoutez donc. Il n’y a pas d’argent. Vous avez minimisé vos espoirs en grattant le minimum. On le voit à DEO. On reçoit 3,5 millions pour une enveloppe qui s’appelle IDE, et cette enveloppe-là, c’est pour la partie VII. Ensuite, on met ça au centre et on dit à tout le monde de se battre pour le fromage. Sur 5 ans, 3,5 millions, essayez de faire le calcul, il ne reste plus que des miettes. Or, nous sommes parmi les plus gourmands. Mais au niveau fédéral, grâce à ces fonctionnaires, il y a maintenant le CEDEC qui est à la table. Il y a un regroupement, une sorte de table horizontale où les 11 ministères sont revenus avec de petites enveloppes, parce qu’on se dit qu’on va y aller à petits pas.

Le RDEE a d’ailleurs un groupe de travail qui s’occupe de l’espace économique francophone, et on travaille sur ce dossier-là non seulement sur le plan canadien, mais aussi avec tous les pays francophones. Comme je peux vous l’expliquer, l’écosystème qu’il y a derrière le fait francophone dans l’économie va au-delà de la francophonie. Ça touche aussi aux pays émergents. Une des grandes forces qu’on voit présentement, c’est qu’il y a une volonté de la part de certains fonctionnaires, mais ce qui nous manque, c’est de la structure dans tout ça. Dans le cas de la Loi sur les langues officielles, il faut la faire passer d’une loi qui est déclaratoire à une loi qui soit exécutoire, et dans le cadre de tout ça, pour ce qui est de l’économie, il faut nous donner les moyens de continuer à bricoler comme on l’a si bien fait avec Centrallia et les autres événements. Parce qu’on bricole très bien, non seulement avec les forces vives de la francophonie, mais quand on regarde au sein de nos municipalités bilingues toutes les entreprises qui se retrouvent sur le territoire, on irait plus loin que la définition réductrice de Duhaime quant à l’entreprise. L’entreprise francophone, elle a plusieurs visages en milieu minoritaire, et ce dont on se rend compte, c’est qu’on commence vraiment à avoir une force de frappe qu’on n’avait pas avant. Si on avait accès à ces fonds, au lieu de gratter les petits fonds de tiroir qui existent pour notre existence, pour entrer dans la vraie économie, ça ferait toute une différence.

J’ai fait référence à ce groupe de travail dans le document et aux ministères qui sont présents. Un des ministères, celui de l’Agriculture, dans le cadre de la prochaine feuille de route, a fait une très bonne séance. Ce n’était pas juste de la discussion, c’était un dialogue. Lorsque ses représentants nous ont invités à Ottawa, on voyait qu’il y avait un effort concerté de la part de tous les agents de ministère pour faire en sorte que les CLOSM aient leur bout de fromage. Mais dans l’ensemble, on est dans le superficiel. On ne va pas où sont les vraies piastres.

La sénatrice Moncion : Où dans la loi est-ce qu’on pourrait mettre le fromage, justement? Dans quelle partie de la loi pourrait-on imbriquer le financement de façon à ce qu’il soit versé aux bons endroits, aux bonnes personnes, mis à part dans le cadre de la reddition de comptes? Parce que c’est l’un des éléments qui sont absents de la loi. C’est que la loi est là. Il y a des sommes qui sont établies dans un budget, que ce soit au niveau de Patrimoine canadien ou du Conseil du Trésor, mais elles ne sont pas garanties. Où est-ce qu’on peut indiquer que tel montant sera versé aux francophones et qu’il ne sera pas octroyé nécessairement à la province, de sorte que la province puisse en faire ce qu’elle veut? C’est un peu ce qui est arrivé dans les dernières années où les sommes étaient dédiées spécifiquement à des projets. D’abord, il n’y a pas eu d’augmentation, parce que vous l’avez dit, depuis plusieurs années, il n’y a pas eu d’augmentation rattachée au coût de la vie, et ensuite, il y a certains fonds qui sont disparus et qui n’ont pas été destinés à des projets pour les communautés francophones en situation minoritaire. Donc, à quel endroit, dans la loi, pourrait-on imbriquer cela?

M. Allain : Je pense que vous avez un peu le cheap labour de la partie VII, soit les organismes, mais fondamentalement, dans les écrits, c’est toute la question de l’égalité réelle. On a vu aussi des cas en Ontario, comme le cas Desrochers, qui font en sorte qu’il faut nous donner les moyens. Il faut faire attention de dire « vous allez nous donner ça », parce qu’avec le peu de moyens qu’on avait, quand vous considérez qu’on a pu faire des miracles, quand vous regardez Centrallia, c’est miraculeux tout ce qui s’est fait ici, au Manitoba, avec les moyens du bord.

Maintenant, dans le cadre de la Loi sur les langues officielles, je crois que c’est dans la question de l’égalité réelle. C’est l’impact de la jurisprudence de la Charte des droits, et je crois que, tout comme chez les Autochtones, il faut garder un modèle qui nous permettra d’avoir une prestation qui sera à la hauteur de nos aspirations pour ce qui est de faire de ce projet de société quelque chose qui se tient. L’économie, c’est important parce qu’on le voit avec l’immigration au Manitoba. La chose la plus importante, à part s’habiller quand il fait froid, c’est la voix, et ensuite, l’entrepreneuriat. Ces deux choses-là sont des piliers importants pour bâtir des communautés. Peut-être que Louis pourrait parler de ce qu’il a vécu avec le secrétariat rural.

Le président : Rapidement, si c’est possible, parce qu’il y en a encore plusieurs.

M. Tétrault : Je n’ai rien à rajouter. On risque de se répéter. Il a déjà tout couvert.

Le président : Merci.

Nous allons donc conclure ce groupe-ci avec une question de la sénatrice Mégie.

La sénatrice Mégie : Justement, je voulais féliciter Mme Mulaire, parce que j’ai entendu dire que, dans un monde où le commerce se fait complètement en anglais, vous avez réussi à imposer vos critères que le World Trade Centre soit complètement bilingue, que la langue de travail soit le français et que la moitié des membres du CA soient francophones. Je vous lève mon chapeau! Mais êtes-vous satisfaite des objectifs que vous avez atteints en termes de nombre d’investissements majeurs francophones que vous auriez attirés avec ces critères?

Mme Mulaire : Premièrement, notre mandat est vraiment un mandat d’échanges commerciaux a priori, mais avec l’ANIM, on a gardé le mandat de l’attraction d’investissements francophones. Avec les coupes budgétaires, nous n’avons pas pu garder les deux personnes qui étaient responsables de ce dossier. Il a fallu les laisser aller, alors on a fait le minimum. On dit toujours que si nous avions le financement pour embaucher deux personnes-ressources à temps plein pour faire ce travail, ce serait génial, parce qu’on serait capable d’attirer davantage de gens.

On a de bons liens avec le Québec. On a de bons liens avec la France. On a de bons liens avec la Belgique. On a de bons liens avec les World Trade Centre en Afrique du Nord, et j’en passe. C’est juste qu’on n’a pas les ressources, les personnes. C’est un travail qui doit être fait, de garder les liens et de faire les suivis et les recherches pour faire en sorte que l’entreprise à l’autre bout se dise : « J’avais pensé au Manitoba. Je ne savais même pas où c’était, mais là, j’ai le goût de le découvrir, parce qu’on m’a tellement bien servi, et dans ma langue. » Alors, c’est une question de ressources humaines, mais on a quand même eu des investissements et on continue à avoir beaucoup de poissons qu’on veut fileter bientôt.

La sénatrice Mégie : Je vous souhaite de tenir bon, parce que je pense que ce sont de vrais bons objectifs et de bons critères.

Le président : Merci beaucoup.

Alors, sur ce, madame Mulaire, monsieur Tétrault et monsieur Allain, merci beaucoup. Je sais que les mots « innovation » et « leadership » sont beaucoup utilisés, mais, dans votre cas, je crois qu’ils sont tout à fait pertinents, car vous faites preuve de beaucoup d’innovation dans les moyens que vous trouvez pour assurer le développement économique et le développement des municipalités. Merci beaucoup de votre présence.

[Traduction]

Nous sommes heureux d’accueillir l’honorable Rochelle Squires, ministre du Développement durable, ministre responsable des Affaires francophones et ministre responsable de la Condition féminine. Mme Squires a été élue députée provinciale de Riel en 2016. Elle est titulaire d’un baccalauréat ès arts en communication de l’Université de Winnipeg, d’une maîtrise en beaux-arts de l’Université de la Colombie-Britannique et d’un diplôme en journalisme du Red River College.

Nous recevons également Mme Teresa Collins, directrice générale du Secrétariat aux affaires francophones du Manitoba. Le secrétariat conseille le gouvernement du Manitoba sur les mesures à prendre afin de favoriser l’épanouissement de la francophonie manitobaine et d’appuyer son développement. Nous recevons également M. Fred Meier, greffier du Conseil exécutif, secrétaire du Cabinet et coprésident du Conseil consultatif des affaires francophones. Bienvenue.

Avant de commencer, je tiens à vous informer que je devrai libérer le fauteuil à 16 h 45, car je dois accorder une entrevue à CBC. C’est la vice-présidente du comité, la sénatrice Poirier, qui prendra ma place. Donc, vous m’excuserez si je dois quitter avant la fin de la séance.

La parole est à vous, madame Squires.

[Français]

L’honorable Rochelle Squires, ministre responsable des Affaires francophones, gouvernement du Manitoba : Merci beaucoup. Mesdames, messieurs, bonjour. Excusez mon français. Je parle un peu le français et je suis un cours. Je m’appelle Rochelle Squires et je suis la ministre responsable des Affaires francophones pour le gouvernement du Manitoba. Je suis accompagnée de Fred Meier, greffier du Conseil exécutif et coprésident du Conseil consultatif des affaires francophones, et de Teresa Collins, directrice générale du Secrétariat aux affaires francophones du Manitoba. Je profite de l’occasion pour souligner que nous sommes sur le territoire du traité no 1 et sur la terre ancestrale des peuples anishinabe, cris, oji-cris, dakotas et dénés et de la Nation métisse. Je tiens à vous remercier d’offrir à la province l’occasion de s’exprimer sur la modernisation de la Loi sur les langues officielles.

Je laisse la parole à Teresa Collins.

Teresa Collins, directrice générale, Secrétariat aux affaires francophones du Manitoba : Merci. L’état de la francophonie a beaucoup changé depuis la dernière révision significative de la loi en 1988. L’immigration, l’engouement pour les écoles d’immersion et la nouvelle importance accordée au bilinguisme dans les deux langues officielles ont permis à l’espace francophone du Canada de s’agrandir.

Au Manitoba, la communauté francophone a su s’adapter à ces changements et elle a accueilli de nouveaux membres avec enthousiasme. Pour sa part, le 30 juin 2016, le gouvernement du Manitoba a adopté la Loi sur l’appui à l’épanouissement de la francophonie manitobaine. Ce cadre législatif vise à favoriser l’essor de notre communauté francophone et d’appuyer son développement.

Nous avons établi une définition plus large de la francophonie regroupant les personnes de langue maternelle française et les personnes qui possèdent une affinité spéciale avec le français et s’en servent couramment dans la vie quotidienne même s’il ne s’agit pas de la langue maternelle. Cette définition est à la base de notre vision inclusive et plus représentative de la francophonie manitobaine et appuie nos efforts de promouvoir l’épanouissement de nos communautés de langues officielles en situation minoritaire.

Le Manitoba reconnaît que la vitalité d’une communauté ne se mesure pas simplement par la taille de sa population. Une communauté peut ne compter que quelques centaines de personnes, mais être tout à fait forte avec des assises solides. C’est pour cette raison que nous appuierons la modernisation de la partie IV de la Loi sur les langues officielles pour que les institutions fédérales prennent en considération des critères qualitatifs lorsqu’elles déterminent ce que veut dire une demande importante. D’ailleurs, il faut reconnaître que le virage technologique a grandement influencé la façon dont les gens accèdent aux services gouvernementaux. La géographie physique et l’endroit où une personne se trouve jouent un rôle beaucoup moins important.

En 2002, le Manitoba a mis sur pied son tout premier centre de services bilingues. Ces centres, qui abritent des fonctionnaires de la province, du gouvernement fédéral et des municipalités, permettent aux clients d’accéder à toute une gamme de services gouvernementaux. Le logement, l’emploi, les affaires, l’éducation, la formation professionnelle, l’environnement, la santé, l’immigration, la justice, et cetera, dans la langue officielle de leur choix et sous un même toit.

Il y a maintenant six centres à travers le Manitoba, et ce modèle, qui regroupe plusieurs services et programmes, offre un appui de taille à notre population francophone qui sait que les services en français sont toujours disponibles dans ces bureaux. D’ailleurs, le concept de point central a été adapté par d’autres entités publiques de la province, telles que la Société d’assurance publique du Manitoba qui a maintenant deux centres de services complètement bilingues.

La possibilité de rassembler plusieurs employées bilingues dans le même bureau facilite l’accès aux services en français d’un côté et encourage l’usage du français au travail de l’autre. De plus, les centres possèdent tous une capacité de vidéoconférence, ce qui facilite l’interaction virtuelle et la prestation des services à distance. L’idée d’offrir des services de façon virtuelle devient de plus en plus commune. Bon nombre de ministères provinciaux, dont la santé, les aînés et la vie active et l’agriculture ont développé des réseaux informatiques qui offrent la capacité de communiquer par vidéoconférence.

Il y a plusieurs façons de tirer profit des développements technologiques afin d’améliorer la livraison des services bilingues. Le Manitoba souhaiterait que la Loi sur les langues officielles les prenne en considération et encourage les institutions fédérales à s’en servir lors de la communication avec le public et la prestation des services.

Notre province est très fière de la diversité de sa francophonie. Le Manitoba a été l’une des premières provinces à établir une stratégie sur l’immigration francophone afin d’augmenter le nombre de nouveaux arrivants d’expression française. Comme M. Jean Johnson, président de la Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada, l’a récemment affirmé : la contribution inestimable des personnes d’origine ou d’ascendance africaine et caribéenne au sein de la francophonie canadienne façonne l’avenir de nos communautés.

Il ne faut pas oublier non plus la popularité croissante des écoles d’immersion au Manitoba. Le programme d’immersion compte maintenant 25 000 élèves et est en croissance constante depuis maintenant 15 ans. La proportion d’élèves inscrits en immersion française continue d’augmenter. Le nombre d’inscriptions au cours de français langue seconde dans nos institutions d’éducation permanente est aussi à la hausse, notamment à l’Alliance française du Manitoba. La valeur ajoutée du bilinguisme est une évidence pour tous ceux et celles qui veulent être en mesure de s’exprimer dans les deux langues officielles. Les nouveaux arrivants francophones et les anglophones bilingues démontrent que la promotion de la dualité linguistique connaît des résultats concrets.

Or, on se doit d’admettre que la promotion des langues officielles n’est pas simplement une question linguistique. De plus en plus, les nouveaux francophones de la Loi sur l’appui à l’épanouissement de la francophonie manitobaine choisissent de vivre pleinement en français, qu’il s’agisse de l’éducation, du travail, des loisirs, des sports, des activités culturelles, et même des sorties au restaurant. Tous les ordres de gouvernement ont leur rôle à jouer pour appuyer et faciliter cette décision de vivre dans la langue officielle de son choix. La partie VII de la Loi sur les langues officielles établit l’engagement du gouvernement fédéral à favoriser l’épanouissement des minorités francophones et anglophones du Canada et à appuyer leur développement ainsi qu’à promouvoir la pleine reconnaissance et l’usage du français et de l’anglais dans la société canadienne. Elle parle de l’obligation de prendre des mesures positives pour mettre en œuvre cet engagement dans plusieurs domaines : l’apprentissage des langues, l’offre de services dans les deux langues officielles, la reconnaissance du caractère bilingue du Canada, et cetera.

La partie VII établit aussi l’obligation de publier un rapport annuel sur les questions relevant de la mission de Patrimoine canadien en matière de langues officielles. Ce qui manque cependant est une définition des indicateurs de rendement qui peuvent évaluer de façon concrète l’impact des mesures positives prises par les institutions fédérales. De plus, le rapport annuel devrait prendre en considération les résultats des consultations entre Patrimoine canadien et les institutions fédérales d’un côté et les communautés en situation minoritaire de l’autre. Ces consultations devraient couvrir plus que simplement l’égalité des statuts et de l’usage du français et de l’anglais.

L’épanouissement réel des communautés à la lumière des mesures positives mises en œuvre devrait aussi être discuté. La Loi sur l’appui à l’épanouissement de la francophonie manitobaine reconnaît que le développement de la communauté francophone est bénéfique pour la province dans son ensemble. L’application de cette loi est guidée par quatre principes : la reconnaissance de la contribution importante de la communauté francophone à la province, le concept de l’offre active comme pierre angulaire qui sous-tend l’offre des services en français, la collaboration et le dialogue entre les entités publiques et la francophonie manitobaine, et le progrès continu de la prestation des services en français.

La promotion de la langue et de la culture française est au cœur de l’approche entreprise par le gouvernement du Manitoba pour améliorer les services en français et appuyer les communautés francophones. Qu’il s’agisse de l’augmentation des services offerts par des entités publiques, du développement de la capacité bilingue au sein de la fonction publique, de la consultation et de la collaboration avec des partenaires communautaires ou même du travail du Conseil consultatif des affaires francophones, notre objectif est toujours d’appuyer l’épanouissement de la francophonie manitobaine partout où elle se trouve et dans toutes ses formes. Le Manitoba espère voir l’adoption d’une vision semblable par le gouvernement fédéral dans le cadre de la modernisation de la Loi sur les langues officielles, une vision qui reconnaît la diversité de nos communautés minoritaires, qui célèbre la notion d’appartenance inclusive et qui comprend l’importance de la promotion de la culture afin d’appuyer l’égalité des langues officielles. À l’aube du 50e anniversaire de la Loi sur les langues officielles, le Canada devrait se doter d’un cadre législatif qui accorde la priorité à la vitalité de nos communautés francophones et anglophones, et qui reconnaît le rôle que les institutions fédérales peuvent jouer pour appuyer cette vitalité.

La loi aussi devrait viser plus haut que les définitions qui sont maintenant dépassées par tout ce qui a changé depuis 1969. Ainsi, la loi serait un modèle pour toutes les provinces et tous les territoires en ce qui concerne l’appui et la valorisation des communautés minoritaires. Merci de votre attention.

Le président : Je vous remercie de vos présentations. Nous allons maintenant passer à la période des questions, en commençant par Mme la sénatrice Poirier.

La sénatrice Poirier : Merci d’être ici, madame la ministre. Bienvenue. J’ai juste une question en réalité.

Comme vous savez, nous sommes présentement dans le deuxième volet de notre étude qui comptera cinq volets en tout sur la modernisation de la Loi sur les langues officielles. Comme province, quelle est la recommandation que vous aimeriez voir apparaître dans notre rapport qui serait peut-être un atout pour vous et qui vous aiderait à mieux répondre aux francophones de la province?

Mme Squires : Merci beaucoup pour la question.

[Traduction]

Si vous me le permettez, je vais répondre en anglais.

La sénatrice Poirier : Vous pouvez répondre en anglais.

Le président : Certainement.

Mme Squires : Ce qui serait peut-être très avantageux, à mon avis, serait une certaine collaboration, un reflet de ce que nous faisons ici, au Manitoba. Notre Loi sur l’appui à l’épanouissement de la francophonie manitobaine ne concerne pas uniquement l’amélioration du bilinguisme ou la possibilité pour les gens de vivre, de travailler et de jouer dans la langue officielle de leur choix, mais aussi la vitalité de notre communauté, l’amélioration de la communauté par l’entremise des arts et de la culture et l’expression de la vie dans le langage de son choix. Donc, à cet égard, il serait très avantageux d’avoir des possibilités de partenariat. Je sais que nous travaillons beaucoup ensemble. Il y a beaucoup de collaboration avec le gouvernement fédéral sur ces initiatives en particulier, mais il faudrait assurer le maintien de cette collaboration.

La sénatrice Poirier : Quel est votre défi le plus important?

Mme Squires : Bien entendu, comme le soulignait Teresa, les ressources constituent toujours un défi. Nous profitons de notre entente sur le financement de contrepartie et demandons à ce que ce financement soit augmenté.

Le Manitoba compte sur une communauté francophone très dynamique et a adopté une stratégie ambitieuse pour accroître le tourisme francophone et les attraits pour les francophones des autres provinces et territoires et du monde. Nous souhaitons adopter une sorte de stratégie du tourisme francophone. Nous avons également fixé des cibles ambitieuses en matière d’immigration francophone. En raison des ressources limitées, il est toujours très difficile de poursuivre les initiatives que nous avons lancées.

La sénatrice Poirier : Madame la ministre, nous avons accueilli plus tôt l’Association des municipalités bilingues du Manitoba. J’ai eu l’occasion de m’entretenir avec le représentant de l’association. Nous avons parlé du rôle de l’association et des critères que doivent respecter les particuliers ou municipalités pour devenir membres de l’organisation. Je me demande si la communauté francophone du Manitoba souhaite avoir accès à une copie en français des lois de la province. Les membres de cette communauté ont-ils accès à la version française des lois provinciales, même si le Manitoba n’est pas officiellement une province bilingue, comme le Nouveau-Brunswick? Ces documents sont-ils disponibles pour tous les francophones? Ce service leur est-il offert?

Mme Squires : Je vais demander à Teresa de vous fournir des détails à ce sujet, mais, de façon générale, nous faisons notre possible pour offrir nos services en français à la communauté francophone de façon à ce que les membres de cette communauté puissent avoir accès aux services ou recevoir des documents dans la langue de leur choix. Nous travaillons avec tous nos partenaires gouvernementaux pour veiller à ce que ces services soient offerts, que ce soit de vive voix ou par écrit ou, par exemple, par l’entremise de fonctionnaires dans le secteur de l’application de la loi ou des affaires municipales. Nous veillons à ce que ce service soit offert à notre communauté dans les deux langues officielles, et ce, pour toutes les couches de la société. Mais, il y a toujours des défis.

La sénatrice Poirier : Est-ce uniquement sur demande? Disons que je suis une francophone du Manitoba. Si je demande au gouvernement provincial une copie en français d’une loi en particulier, pourrais-je l’obtenir tout de suite? Les lois sont-elles toujours disponibles en français ou sont-elles uniquement traduites lorsqu’il y a une demande?

Mme Squires : C’est un peu des deux. Je vais laisser Teresa vous répondre.

La sénatrice Poirier : Je suis heureuse de vous revoir, Teresa.

[Français]

Mme Collins : Pour ce qui est des lois et des règlements, tout est disponible dans les deux langues automatiquement. Tout est fait automatiquement pour la législature. Notre approche ici au Manitoba, c’est basé sur l’offre active, alors tous les bureaux, tous les ministères, toutes les entités publiques ont une obligation. On a une politique sur les services en français, mais aussi avec notre loi et une obligation d’offrir les services en français. Ce devrait être avec l’offre active, pour un service évident, visible et facile d’accès comparable aux services en anglais. Un élément de la loi, c’est l’obligation pour les entités publiques de créer, de rédiger des plans pluriannuels sur des services en français. Alors, le secrétariat est en train justement de travailler avec les entités publiques sur la rédaction de leurs plans qui devront tous être mis en œuvre dès le 1er avril de cette année. Plusieurs ministères avaient déjà l’habitude d’offrir des services en français, alors que pour d’autres, c’est une nouveauté, mais il y cette obligation partout au sein du gouvernement provincial.

La sénatrice Poirier : Merci.

[Traduction]

Le sénateur McIntyre : Bienvenue au comité, madame la ministre, et bienvenue également à vous, madame Collins et monsieur Meier.

Monsieur Meier, votre travail consiste à conseiller la ministre sur le rayonnement de la langue française au Manitoba. Il y a également le secrétariat qui conseille le gouvernement provincial sur les enjeux concernant la langue française. Y a-t-il une bonne relation entre votre conseil et le secrétariat? Y a-t-il un certain chevauchement?

Fred Meier, greffier du Conseil exécutif, secrétaire du Cabinet et coprésident du Conseil consultatif des affaires francophones, gouvernement du Manitoba : Merci pour cette question et merci également de nous avoir invités à comparaître.

Je ne dirais pas qu’il y a un chevauchement dans la relation entre Teresa, la ministre et moi et les conseils que nous formulons. D’ailleurs, je crois qu’il s’agit davantage d’une relation complémentaire. Teresa conseille non seulement la ministre, mais elle me conseille moi aussi et, en vertu de ma position, ces conseils se reflètent dans les politiques et ont une influence sur les conseils que nous formulons au gouvernement manitobain. Donc, en réalité, le partenariat avec Teresa et les conseils et recommandations qu’elle formule sur différentes questions sont très complémentaires. C’est ainsi que je décrirais notre relation.

Le sénateur McIntyre : Merci.

[Français]

Madame Collins, en vertu de l’entente Canada-Manitoba, le secrétariat reçoit du financement et ce financement permet d’assurer l’offre de service en français par le gouvernement provincial ou les municipalités dans plusieurs secteurs tels que la justice, la santé, la jeunesse, le développement économique, les arts, la culture et les communications. Alors, est-ce qu’on parle d’une enveloppe assez substantielle de financement?

Mme Collins : Il n’y a jamais assez d’argent. Peu importe le domaine, peu importe de quoi on parle. C’est une enveloppe qui malheureusement n’a pas augmenté depuis plusieurs années. La ministre en a parlé, on s’engage maintenant avec notre loi à faire de plus en plus. Le progrès, c’est un principe de la loi alors on s’attend à voir une amélioration, un agrandissement de l’offre des services et notre province, on est prêts à investir des sommes plus importantes chaque année. Les ministères font de plus en plus. Il y a plus de traduction, il y plus de sites web et en plus, on est en train de développer notre capacité bilingue. D’un côté, c’est parce que, comme j’ai expliqué avec de nouveaux arrivants et la popularité des systèmes d’immersion, on a de plus en plus de gens bilingues dans la province, mais aussi on appuie avec des cours de formation linguistique les occasions de développement professionnel en français par exemple. Alors toutes ces choses, il y a des frais d’associés.

Le sénateur McIntyre : Est-ce que c’est un financement annuel que vous recevez?

Mme Collins : Oui. Bien, c’est en fonction des plans. L’entente est pour cinq ans. On est en train justement de négocier le nouveau plan qui sera de 2018 à 2023, et on reçoit une somme fixe à chaque année pour l’ensemble des projets que nous appuyons.

Le sénateur McIntyre : Donc, il est possible — même si le Manitoba n’est pas une province bilingue —, en vertu de l’entente pour les Manitobains francophones, de recevoir des services dans les domaines de la santé, de l’éducation et de la justice?

Mme Collins : Oui.

Le sénateur McIntyre : Oui? Par exemple, si, comme francophone, je désire avoir un procès en français, c’est possible de l’avoir?

Mme Collins : Absolument, oui.

Le sénateur McIntyre : Vous avez plusieurs juges francophones au Manitoba?

Mme Collins : Oui, on a des juges bilingues, francophones et bilingues. On a des avocats, on a des shérifs, on a des greffiers, pas autant qu’on aimerait, mais justement on est en train de développer cette capacité-là. Mais, même si on n’est pas une province formellement bilingue sur le plan législatif, je répète qu’on est bilingue. C’est juste qu’administrativement, on est en train de travailler pour ajouter des services administratifs du gouvernement.

Le sénateur McIntyre : Et les services en santé, c’est un peu la même chose?

Mme Collins : Oui. À Saint-Boniface, par exemple, il y a un centre d’accès qui regroupe cliniques, services de premiers soins, services spécialisés, mais le tout en français.

Le sénateur McIntyre : Merci.

[Traduction]

La sénatrice Gagné : Premièrement, madame la ministre Squires, je tiens à vous féliciter pour l’adoption du projet de loi 5, la Loi sur l’appui à l’épanouissement de la francophonie manitobaine, présenté par votre ministère en 2016. J’aime particulièrement que la définition de la communauté francophone du Manitoba soit plus inclusive. La loi prévoit la création d’un conseil consultatif et précise que l’établissement de plans de service en français est obligatoire. À mon avis, cette loi pourrait certainement être une source d’inspiration pour l’étude que nous menons au fédéral. Nos recommandations sur la modernisation de la Loi sur les langues officielles pourraient s’inspirer de cette loi. Donc, merci.

L’éducation en langue française est non seulement un droit fondamental en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés, mais il s’agit également d’un élément clé de la vitalité et du développement de la communauté francophone de notre province. J’aimerais souligner que votre gouvernement a décidé d’éliminer le poste d’adjoint responsable du Bureau de l’éducation française. Ayant moi-même travaillé au Bureau de l’éducation française, je sais que son mandat est très large. Les écoles francophones et programmes d’immersion française relèvent tous du bureau, tout comme plusieurs projets et programmes offerts à l’Université de Saint-Boniface.

Les ententes fédérales-provinciales en matière d’éducation et de services sont négociées et les fonds sont transférés. J’aimerais savoir si, dans le cadre de ces ententes, une partie des fonds transférés au gouvernement provincial est utilisée pour soutenir les activités du Bureau de l’éducation française?

Mme Squires : Merci beaucoup de ces commentaires et pour votre question.

Nous sommes certainement d’accord : notre réseau amélioré d’éducation francophone et notre curriculum sont extrêmement importants pour le gouvernement. Nous sommes conscients que sans une composante solide sur le développement des compétences en français au sein de notre réseau d’éducation, nous serions incapables de faire rayonner la capacité bilingue que nous offrons dans les services publics à l’échelle provinciale. C’est une chose dont nous sommes très fiers. L’an dernier, nous avons accru plus que jamais notre capacité bilingue. Nous avons plus d’employés bilingues dans le secteur des soins de santé, la police et le secteur judiciaire, bref, dans tous les services civils que nous offrons. Cela nous aide à atteindre nos objectifs, surtout parce que nous nous concentrons davantage sur les services offerts dans notre réseau d’éducation. Donc, nous croyons vraiment que le bureau joue un rôle intégral et continuera de jouer un rôle intégral.

Il y a eu une restructuration de la haute direction du bureau et à l’échelle du réseau de l’éducation. En décembre dernier, le ministre de l’Éducation, M. Wishart, et moi avons rencontré un groupe de gens qui avaient des préoccupations concernant le curriculum et avons convenu de travailler avec un groupe de travail pour veiller à calmer ces préoccupations. Le groupe de travail s’est réuni récemment et je crois que les gens de la communauté sont satisfaits que nous travaillions à un but commun et que nous obtiendrons les résultats souhaités par la communauté, soit mettre l’accent sur le curriculum et la vitalité des cours que nous offrons en français dans notre réseau de l’éducation et mettre sur pied une équipe dédiée à ces objectifs.

Donc, je suis sûre que nous avons une bonne relation avec la communauté et que nous continuerons à travailler afin de calmer les préoccupations soulevées.

Teresa voudrait peut-être ajouter quelque chose.

[Français]

Mme Collins : Je veux juste dire qu’on a eu justement une rencontre hier matin avec les partenaires pour l’éducation en français au Manitoba. Alors, on est en train de travailler vraiment de façon très collaborative parce que, comme vous le savez, la vision de ce gouvernement, c’est d’élargir la portée de l’éducation pour que ça comprenne la petite enfance et le postsecondaire, que ce soit universitaire ou de la formation. Le BEF devra donc changer son mandat, parce que, pour l’instant, le BEF, c’est de la 1re à la 12e année. Donc, c’est vraiment dans une optique d’optimiser les ressources disponibles et de trouver les façons de penser différemment l’éducation pour que ce soit sur tout le continuum, du berceau aux berceuses. Il s’agit de travailler avec les membres de la communauté éducative francophone à cette fin.

La sénatrice Gagné : Étant donné qu’on va élargir davantage le mandat du Bureau de l’éducation française, il y aurait peut-être lieu tout de même de considérer de rétablir le poste de sous-ministre adjoint, car le BEF hériterait de responsabilités additionnelles.

Mme Collins : Toute option est sur la table. On est en train de voir si ce sera un sous-ministre adjoint qui va combler le rôle ou si le travail peut être fait d’une autre façon. Je ne peux pas dire si oui ou non le poste va être rétabli, mais pour l’instant, le ministre Wishart et la ministre Squires, lors de la rencontre au mois de décembre, ont dit que toute option est valable, alors il faut voir les suggestions. On organise un forum au mois d’avril qui sera un forum public pour parler justement de cette question avec les membres concernés de la communauté.

La sénatrice Gagné : Alors, on va entamer des négociations évidemment avec le gouvernement fédéral bientôt pour la renégociation du protocole d’entente sur l’éducation. C’est une question. Je sais qu’on souhaite bonifier les octrois qui sont dédiés à l’éducation. Encore une fois, est-ce que la province est prête à négocier avec le gouvernement fédéral présentement pour répondre aux besoins de la communauté en situation minoritaire au chapitre des services et de l’éducation?

[Traduction]

Mme Squires : Je peux dire en toute certitude que mon collègue, le ministre Wishart, et moi sommes impatients d’amorcer ces discussions.

La sénatrice Moncion : Nous avons appris ce matin qu’une partie des fonds que vous recevez du gouvernement fédéral — je vois que vous recevez plus de 4 milliards de dollars, mais que 1,350 milliard de dollars sont dédiés à des projets artistiques, culturels et sociaux. J’aimerais savoir si une partie de ces fonds sont dédiés aux francophones par l’entremise de programmes artistiques, culturels ou sociaux dans la province.

Mme Squires : Merci pour cette question. Nous avons lancé plusieurs initiatives en appui à la communauté francophone. Notre gouvernement soutient le CCFM, un centre culturel, une sorte de lieu de rassemblement, disons.

Nous travaillons également en collaboration avec la communauté francophone et des groupes francophones à une stratégie pour le tourisme pour mettre en valeur les services que les gens souhaiteraient peut-être obtenir et les attraits qu’ils souhaiteraient explorer, qu’ils viennent du Manitoba ou d’ailleurs. Nous avons pris un sérieux engagement à l’égard du développement de la culture francophone dans notre province.

Votre question tombe à point, car pas plus tard que la semaine dernière, les cérémonies d’ouverture du Festival du Voyageur ont eu lieu, un festival que notre gouvernement appuie totalement. Il s’agit de l’un des plus anciens festivals au pays et une source de fierté pour les francophones du Manitoba. J’espère que pendant que vous êtes ici, vous participerez à quelques-unes des activités du festival.

La sénatrice Moncion : Malheureusement, je ne pourrai pas, et mes collègues doivent rentrer chez eux demain.

Avez-vous un montant précis dédié aux initiatives francophones ou est-ce que cela fait partie d’un budget?

Mme Squires : Quelques ministères soutiennent les initiatives mises de l’avant par le ministère de la Croissance, de l’Entreprise et du Commerce et le Secrétariat de tourisme. Des fonds ont été réservés pour le tourisme francophone.

Au sein de mon ancien ministère, le ministère du Sport, de la Culture et du Patrimoine, des sommes importantes étaient réservées chaque année pour les festivals, établissements culturels, diverses possibilités et services offerts au sein de la communauté francophone. Le Secrétariat aux affaires francophones, dont je suis responsable, dispose d’enveloppes dont je laisserai Teresa vous parler.

[Français]

Mme Collins : Selon l’entente que nous avons avec le gouvernement fédéral, l’entente Canada-Manitoba sur les services de langue française, on reçoit présentement 1,4 million de dollars chaque année. C’est pour ça que j’avais dit que je n’ai jamais assez d’argent. Alors, cette somme-là est consacrée à la prestation de services en français dans tous les domaines. On appuie des initiatives en santé, en culture, en développement économique, en justice, en immigration et en tourisme, et les municipalités aussi.

[Traduction]

La sénatrice Moncion : Je suis un peu déçue, notamment pour les francophones, car ça me semble très peu.

M. Meier : J’ajouterais que toutes les dépenses pour les affaires francophones ne figurent pas sur une seule ligne dans un budget. Chaque ministère dispose d’un centre de services. Par exemple, nos centres de services comptent notamment sur du personnel du secteur des relations municipales. C’est grâce au financement offert par divers ministères que bon nombre de ces employés peuvent travailler aux centres. Il est donc très difficile de trouver une seule ligne dans un budget qui définit toutes les dépenses dans ce domaine.

La sénatrice Moncion : Ce n’est pas ce que je voulais savoir. Je voulais connaître la taille de votre budget. Celui publié l’an dernier sur votre site web, si je ne m’abuse, était pour l’exercice 2015-2016 et s’élevait à 15 milliards de dollars. Donc, 1,4 million de dollars sur un budget de 15 milliards de dollars, c’est bien peu.

Mon autre question concerne le genre de reddition de comptes que vous exigez pour l’utilisation des fonds. Si vous accordez des fonds, disons, au centre francophone, quel genre de reddition de comptes exigez-vous du centre afin de vous assurer que les fonds sont utilisés correctement?

Mme Squires : J’aimerais d’abord préciser que les 1,4 million de dollars que nous avons réservés et les fonds de contrepartie associés au protocole d’entente avec le gouvernement fédéral ne sont pas nos seules sources de fonds pour les initiatives francophones. Nous recevons une contribution importante. Par exemple, les fonds que notre gouvernement a investis dans le Festival du Voyageur, la Maison Gabrielle-Roy, la Société de la francophonie manitobaine et de nombreuses autres initiatives proviennent de différentes enveloppes.

Ce que nous n’avons pas, et Fred y a fait allusion, c’est un total ou un poste dans le budget pour définir ce que nous avons investi dans la communauté francophone. Les fonds prévus pour le tourisme que nous investissons dans les initiatives touristiques francophones proviennent d’un budget différent. Nous n’avons pas un total ou un résumé des sommes investies.

C’est une chose sur laquelle nous pourrions nous pencher afin de savoir exactement quel est notre engagement et informer notre communauté de cet engagement et de la vitalité de notre communauté francophone.

Concernant la reddition de comptes, nous entretenons une relation très étroite avec toutes les organisations que nous appuyons. Teresa entretient une très bonne relation de travail avec elles. Donc, nous sommes sûrs qu’elles offrent des services conformes à ce que demande la communauté. Je vais lui laisser le soin de vous en dire davantage sur le sujet.

[Français]

Mme Collins : Le financement que nous recevons dans le cadre de l’entente, le 1,4 million, c’est l’argent de la contribution du gouvernement fédéral et, évidemment, le gouvernement provincial dépense le même montant, et beaucoup plus, en fait, comme la ministre l’a dit. Alors pour ces projets-là, ils sont obligés de fournir des rapports périodiques et un rapport final à chaque année. Ils sont obligés de nous le fournir et ensuite nous ramassons toute cette information et nous fournissons un rapport global au gouvernement fédéral à la fin.

Le président : Merci beaucoup.

Alors, je vais en profiter pour poser deux questions. Si mes informations sont justes, nous sommes dans une ère de modernisation, alors que je crois que vous êtes en ce moment en train de moderniser la politique sur les services en français. J’aimerais savoir, d’une part, pourquoi ce besoin actuellement de vouloir moderniser la politique sur les services en français, et d’autre part, quels sont les enjeux qui ont été cernés pour la continuité de la mise en œuvre de cette politique?

Mme Collins : Dans un premier temps, on a procédé à une modernisation de la politique pour l’arrimer avec la loi. Nous avons adopté la loi en 2016 et la politique, la dernière mise à jour datait vraiment de 1998, donc c’est pour arrimer nos vocabulaires et certains éléments qui étaient dans la loi et qui n’étaient pas dans la politique.

Un des éléments du travail du conseil consultatif, c’était de faire un état des lieux et des services en français. On a effectué un sondage en ligne auprès de la communauté. On est en train de regarder les résultats, ce qui pourrait nous guider dans la modernisation de la politique, mais surtout dans la modernisation ou dans le développement de ressources pour appuyer les ministères, les entités publiques dans l’offre des services. Nous savons que nous offrons des services, mais est-ce que les services répondent exactement aux besoins de la communauté, telle qu’elle est aujourd’hui? C’était vraiment l’objectif du sondage et de l’état des lieux qu’on a fait des deux côtés. On a regardé du côté du gouvernement ce qui est offert comme service et la façon dont c’est offert. Est-ce que ce sont des services en lignes ou en personne? S’agit-il de sites web, et cetera? Il fallait aussi connaître le point de vue de la communauté sur ces services-là.

Le président : D’accord. Merci.

Ma deuxième question s’adresse à Mme la ministre. Depuis le tout début de cette consultation que nous faisons un peu partout avec différents secteurs de la société, un des enjeux principaux qui nous est amené, c’est la relation dans le cadre des ententes fédérales-provinciales-territoriales, et c’est la reddition de comptes des provinces. Alors, ce que la communauté nous dit constamment, c’est que l’argent du gouvernement fédéral est versé aux provinces. Après, on ne sait pas si l’argent est utilisé de la façon dont il doit être utilisé dans l’entente entre le fédéral et la province. J’aimerais vous entendre sur cette question-là.

Est-ce que vous avez des enjeux dans l’utilisation des fonds qui proviennent du gouvernement fédéral? Est-ce que vous avez des enjeux liés à la capacité de reddition de comptes, pour savoir comment vous pouvez statuer sur les fonds et sur la façon dont les fonds ont été utilisés? C’est une question qui revient constamment et qui fait sans doute partie des défis de notre pays aussi, cette relation entre le gouvernement fédéral et les provinces. Cependant, j’aimerais vous entendre un peu sur cette question.

[Traduction]

Mme Squires : Merci pour cette question. Ce n’est certainement pas au cœur de mes préoccupations ou des préoccupations des Manitobains. J’ai beaucoup de respect pour mon homologue fédérale que j’ai rencontrée à plusieurs reprises pour discuter de sujets d’intérêts communs. Comme je l’ai souligné lors de notre échange précédent, la reddition de comptes pourrait être améliorée en ce qui a trait à notre engagement financier à l’égard de la communauté francophone et nous pourrions améliorer notre système de rapports sur ce que nous retirons de cet investissement. Quels sont les indicateurs et que faisons-nous pour atteindre nos objectifs? Ce sont toujours de bonnes questions à se poser en tant que gouvernement. Nous engageons des ressources. Ce serait donc une conversation intéressante à avoir. Je me réjouis de l’occasion de réfléchir à ce que nous pouvons faire de mieux au Manitoba, à la façon de renforcer notre partenariat avec le gouvernement fédéral, de fixer nos priorités et de répondre aux attentes, et à notre engagement financier.

[Français]

Le président : D’accord.

Alors, merci beaucoup. Je crois que nous avons fait le tour des questions.

[Traduction]

Madame la ministre, madame Collins, monsieur Meier, je vous remercie pour vos exposés et votre participation. Ceci marque peut-être le début d’une bonne conversation.

(La séance est levée.)

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