Aller au contenu
OLLO - Comité permanent

Langues officielles

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Langues officielles

Fascicule no 25 - Témoignages du 4 juin 2018


OTTAWA, le lundi 4 juin 2018

Le Comité sénatorial permanent des langues officielles se réunit aujourd’hui, à 16 h 30, en séance publique, afin de poursuivre son examen de la perspective des Canadiens au sujet d’une modernisation de la Loi sur les langues officielles, et à huis clos, afin d’étudier un projet d’ordre du jour (travaux futurs).

Le sénateur René Cormier (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Honorables sénateurs et sénatrices, bonjour.

Je m’appelle René Cormier, sénateur du Nouveau-Brunswick, et j’ai le plaisir de présider la réunion d’aujourd’hui.

[Traduction]

Le Comité sénatorial permanent des langues officielles conclut aujourd’hui la deuxième partie de son étude sur la perspective des communautés minoritaires de langues officielles au sujet de la modernisation de la Loi sur les langues officielles.

Nous sommes heureux d’accueillir aujourd’hui deux organismes régionaux représentant des communautés anglophones du Québec : Rachel Hunting, directrice exécutive de l’Association des Townshippers, et Linton Garner, directeur général de la Regional Association of West Quebecers.

J’aimerais informer chacun que Voice of English-speaking Québec et le Committee for Anglophone Social Action, qui avaient également été invités, n’ont malheureusement pas été en mesure de se présenter.

Avant de donner la parole à nos témoins, j’invite les sénateurs à se présenter.

Le sénateur Smith : Larry Smith, du Québec.

[Français]

La sénatrice Poirier : Rose-May Poirier, du Nouveau-Brunswick. Bienvenue.

Le sénateur Maltais : Ghislain Maltais, du Québec. Bienvenue.

La sénatrice Mégie : Marie-Françoise Mégie, du Québec.

Le sénateur McIntyre : Paul McIntyre, du Nouveau-Brunswick.

La sénatrice Moncion : Lucie Moncion, de l’Ontario.

La sénatrice Gagné : Raymonde Gagné, du Manitoba. Bienvenue.

[Traduction]

Le président : Madame Hunting, vous avez la parole.

Rachel Hunting, directrice exécutive, Association des Townshippers : Bonjour, sénateur Cormier, sénatrice Poirier et honorables membres du comité. Je suis ici aujourd’hui en tant que directrice exécutive de l’Association des Townshippers, organisme régional ayant son siège dans les Cantons de l’Est et œuvrant depuis bientôt près de 40 ans pour le développement, la défense des intérêts et le soutien de la minorité anglophone.

Nous vous remercions de donner à notre organisme l’occasion de contribuer au dialogue sur la modernisation de la Loi sur les langues officielles. Étant donné que, en matière de droits linguistiques, c’est la seule mesure législative garantissant les intérêts des communautés anglophones du Québec, nous ne saurions trop insister sur son importance ni sur son influence pour l’épanouissement de ces collectivités.

La loi encadre et garantit le financement de nos institutions et de nos réseaux de développement communautaire, les droits des anglophones à l’accès à des services fédéraux en anglais, leur représentation dans la fonction publique fédérale et leur droit de travailler en anglais dans ces postes.

Les Cantons de l’Est comptent quelque 40 000 personnes identifiant leur première langue officielle comme étant l’anglais. Le manque de rétention des jeunes continue de rendre problématiques le renouvellement et l’épanouissement de nos collectivités. La proportion d’anglophones de 45 ans et plus dépasse celle de 0 à 45 ans.

L’exode a rendu vulnérables les collectivités rurales, avec de forts niveaux de chômage et de faibles niveaux de revenu, même pour ceux ayant fait des études poussées. En 2016, un peu plus de la moitié — 53,2 p. 100 — des anglophones des Cantons de l’Est avaient un diplôme de fin d’études secondaires ou moins. Ils étaient plus susceptibles d’avoir de faibles revenus que les francophones de la région. Le chômage était également plus élevé chez les anglophones des Cantons de l’Est, par rapport à leurs homologues francophones.

Dans la province, en 2016, 38,5 p. 100 des anglophones étaient dans une fourchette de faible revenu, par opposition à 31,8 p. 100 de la communauté de langue majoritaire. Les faibles revenus sont plus fréquents chez les anglophones des Cantons de l’Est, ainsi que le pourcentage de personnes gagnant moins de 50 000 $ par an.

Lorsqu’on réfléchit à l’importance de la Loi sur les langues officielles pour la communauté minoritaire de langue officielle vivant dans les Cantons de l’Est, l’un des problèmes les plus pressants qui viennent à l’esprit est celui du chômage, du sous-emploi, du chômage chez les jeunes ou de l’employabilité, selon l’étiquette que l’on veut donner au problème.

Comment une mesure législative comme la Loi sur les langues officielles influe-t-elle sur la question de l’emploi dans notre région? Comment des changements à la loi seraient-ils susceptibles d’améliorer les perspectives d’embauche des anglophones du Québec rural?

Les membres de notre collectivité affrontent plusieurs obstacles à l’obtention d’emplois rémunérateurs dans le secteur privé vu la façon dont la loi 101 est interprétée ou appliquée, et vu aussi la discrimination liée à la tolérance des accents.

Hormis les occasions d’emplois dans la fonction publique fédérale, comment une Loi sur les langues officielles moderne aplanirait-elle les obstacles à l’emploi pour les anglophones du Québec rural?

Pour l’épanouissement d’une collectivité, une loi sur les langues officielles modernisée devrait offrir des mesures incitatives aux employeurs du Québec qui reconnaissent les avantages d’avoir une main-d’œuvre multilingue — le français venant en premier, bien sûr — et qui crée des occasions incluant les anglophones du Québec et leur accordant de la valeur.

Toujours en matière d’emploi, les institutions fédérales pourraient prêcher par l’exemple et employer un nombre adéquat de Canadiens de langue minoritaire. Ces derniers sont largement absents de la main-d’œuvre fédérale dans les régions. Les anglophones sont systématiquement sous-représentés dans les postes fédéraux hors de la région de la capitale nationale. Élargir les droits linguistiques en vertu de la loi aux travailleurs occupant des emplois sous réglementation fédérale partout au Canada, comme l’ont suggéré nos collègues du QCGN, assurerait le droit de travailler et le droit d’être servi dans la langue minoritaire dans les entreprises et institutions sous réglementation fédérale partout au pays, ce qui bénéficierait aux deux communautés de langue officielle en situation minoritaire.

Si nous souhaitons véritablement moderniser la Loi sur les langues officielles, elle doit s’attaquer à la question d’Internet et des populations de langue minoritaire. Il est fort possible que la technologie se substitue à la géographie, de bien des façons, mais on constate qu’elle tend aussi à marginaliser ceux qui sont déjà marginalisés.

La partie V de la loi pourrait donner aux fonctionnaires le droit d’utiliser l’une ou l’autre des langues officielles dans leur lieu de travail, qu’il s’agisse d’un bureau ou d’un lieu éloigné, ainsi que le droit d’apprendre une langue seconde. Plus cela va, plus la norme pour les opérations devient numérique et plus les interactions des citoyens avec la fonction publique fédérale se fait par l’intermédiaire de sites web. Mais nous ne devons pas faire fi des collectivités rurales où les technologies requises pour faire affaire en ligne sont inadéquates. Il ne faut pas non plus oublier les populations vieillissantes dont le premier réflexe n’est pas de se tourner vers le numérique.

La partie III stipule déjà plusieurs obligations pour les cours et tribunaux fédéraux. Les obligations actuelles quant à l’administration de la justice devraient rester en place et être améliorées par une disposition selon laquelle les juges de la Cour suprême du Canada devraient parler couramment les deux langues afin de ne pas avoir besoin de l’expertise d’un interprète quand ils entendent des particuliers s’exprimant dans leur langue officielle.

En ce qui concerne l’accès à la justice pour les anglophones d’une région comme les Cantons de l’Est, on pourrait appuyer la partie III de la loi par une disposition dans la partie VII encourageant et exhortant des gouvernements provinciaux à garantir l’accès à la justice dans la langue officielle de son choix, avec autre chose que juste des juges bilingues. Il est essentiel, en effet, que ces juges bilingues aient un personnel de soutien disposant des compétences linguistiques adéquates.

Il faut clarifier la partie VII de la loi, ses définitions, son application, et le pouvoir du ministre du Patrimoine quant à la mise en œuvre des engagements. Une loi moderne doit définir clairement ce qui est entendu par « mesures positives », « favoriser l’épanouissement » et « appuyer le développement », en ce qui concerne les communautés de langue officielle en situation minoritaire.

Les communautés de langue officielle en situation minoritaire ont l’expertise voulue pour savoir quel investissement de fonds fédéraux répondrait le mieux à leurs besoins précis. Une loi modernisée devrait permettre aux communautés de langue officielle en situation minoritaire d’identifier et de développer les priorités d’investissement fédéral. Elle devrait également appuyer un modèle de contribution directe qui améliore la capacité des communautés de langue officielle en situation minoritaire et leurs réseaux.

Il faut assurer la transparence pour les récipiendaires des investissements fédéraux au niveau des gouvernements provinciaux et territoriaux. Il faut aussi un rôle plus ciblé pour le commissaire aux langues officielles, ainsi qu’un mécanisme établi permettant de sanctionner les contraventions à la loi.

Enfin, nous espérons sincèrement que l’égalité du français et de l’anglais retentisse clairement dans une loi sur les langues officielles modernisée. La loi doit être rédigée de telle façon qu’elle ne différencie pas l’approche pour une langue ou l’autre. On ne peut pas avoir de statut distinct pour les anglophones et francophones en situation minoritaire.

La loi doit équiper correctement la communauté anglophone du Québec pour qu’elle puisse participer aux discussions aux niveaux national, régional et municipal. Il faut pour cela des ressources adéquates en matière de consultation, un mécanisme officiel pour des consultations au niveau national et une inclusion proportionnelle au nombre d’anglophones au Québec.

Je vous remercie encore de m’avoir donné l’occasion de témoigner aujourd’hui. Je serai heureuse de répondre à vos questions.

[Français]

C’est avec plaisir que je répondrai à vos questions en français, s’il y a lieu.

Le président : Merci beaucoup, madame Hunting.

[Traduction]

Linton Garner, directeur général, Regional Association of West Quebecers : Merci, honorables sénateurs, de nous avoir invités aujourd’hui. Je représente la Regional Association of West Quebecers.

Nous sommes un organisme communautaire qui dessert les communautés anglophones de l’Outaouais depuis 1994. Notre organisme offre une gamme de services à la communauté, entre autres : information et référence, programme pour nouveau résidant, programme d’employabilité, formation en français langue seconde, activités culturelles et services de communication, de même que représentation sur des questions touchant les autorités municipales, provinciales et fédérales.

Notre communauté a cru considérablement depuis l’arrivée des premiers colons qui accompagnaient Philemon Wright en 1800. Notre communauté compte 70 880 membres et représente environ 18,7 p. 100 de la population de la région de l’Outaouais. Nos proportions varient, passant de 35 p. 100 dans la ville d’Aylmer à 60 p. 100 dans le Pontiac, une région rurale, qui demeure l’une des seules divisions de recensement où la population de langue officielle minoritaire représente une majorité locale. La communauté anglophone a crû de 32 p. 100 entre 1996 et 2016, ce qui est un taux supérieur à celui des francophones dans la région, qui se situe autour de 22 p. 100, et des anglophones dans l’ensemble du Québec, soit environ 19 p. 100. L’Outaouais est la région où se trouve la quatrième communauté anglophone en importance au Québec après Montréal, Laval et la Montérégie. Les immigrants représentent environ 26 p. 100 de la communauté anglophone dans la région, dont 53 p. 100 sont des minorités visibles.

La communauté estime que la Loi sur les langues officielles fonctionne sur papier, mais ne touche pas de façon considérable son quotidien. Les gens ordinaires de notre communauté estiment que la loi a été créée pour donner accès aux francophones à la fonction publique. La plupart des gens dans la communauté ne savent même pas qu’elle existe, ni ce qu’elle est censée accomplir. En fait, lorsqu’il est question de langue, les communautés anglophones du Québec se sentent laissées pour compte par le gouvernement fédéral à plusieurs égards.

Le membre moyen de notre communauté ne se sent pas protégé par la loi; il n’estime pas non plus que la loi protège nos institutions, notre culture, notre langue ou la vitalité de notre communauté. La communauté constate une baisse continue des inscriptions dans les écoles de langue anglaise, de plus en plus de difficultés à avoir accès à des services sociaux et de santé dans sa langue, de même qu’un manque d’intérêt total de la part des autorités municipales pour ce qui est d’offrir des services à la population anglophone dans sa langue. À ce titre, les gens de notre communauté se demandent si le gouvernement canadien prend au sérieux les préoccupations des minorités linguistiques anglophones au Québec.

La communauté est d’avis que l’égalité entre l’anglais et le français n’est un fait que sur papier, et non pas dans la réalité. Nos membres pensent que les nombreuses années de consultation avec la commission ont entraîné très peu de changements réels ou d’avancées pour notre communauté en matière de langue. Notre organisme communautaire estime que le processus de consultation n’est utilisé par le gouvernement que pour donner la fausse impression que le nombre de groupes rencontrés est proportionnel à son engagement à l’égard de la communauté linguistique minoritaire anglophone au Québec. En fait, l’incident malheureux survenu à Sherbrooke, lorsque le premier ministre a refusé de répondre en anglais à une question qui lui avait été posée en anglais et les fois où nos députés locaux refusent de s’adresser à leurs électeurs en anglais dans des tribunes publiques ne font qu’illustrer la perte de confiance de la communauté à l’égard de la loi et remet en question la signification des mots énoncés dans ces principes.

D’ailleurs, nous soutenons entièrement l’examen de la Loi sur les langues officielles effectué par le Quebec Community Groups Network, qui demande les changements suivants à la loi : comme dans la loi actuelle, le principe central doit être l’égalité de statut du français et de l’anglais. Il ne peut pas y avoir un statut séparé ou une approche séparée pour chaque langue. De plus, la loi doit absolument garantir l’égalité de statut au sein de toutes les institutions assujetties à la loi partout au Canada.

Il y a deux autres facteurs. D’abord, l’inégalité substantielle. Dans sa mise en œuvre, la loi doit permettre l’adaptation à des contextes et à des besoins précis pour les diverses communautés linguistiques de langues officielles en situation minoritaire.

Deuxièmement, la capacité, la consultation et la représentation. La loi doit prévoir des consultations robustes, obligatoires et dotées de ressources suffisantes à tous les niveaux, y compris un mécanisme officiel de consultation à l’échelle nationale.

Notre communauté en Outaouais est unique au Québec et au Canadadu fait que la communauté francophone est l’une des communautés de langue officielle majoritaire les plus bilingues au pays, ce qui pourrait avoir des répercussions importantes sur la vitalité de la communauté anglophone de notre région. Toutefois, un document préparé pour nous par un chercheur principal à la direction générale des langues officielles de Patrimoine Canada indiquait :

D’autres analyses pourraient démontrer des différences importantes entre les populations anglophones urbaines et rurales, ce qui indiquerait que des stratégies de développement différentes sont nécessaires pour soutenir la vitalité des communautés dans les régions. Dans une étude d’envergure du ministère du Patrimoine canadien, qui s’est penché sur plus de 150 mesures statistiques et institutionnelles des communautés de langue officielle en situation minoritaire au pays, les anglophones de la région de l’Outaouais faisaient preuve d’une grande ou très grande vitalité, se situant dans le plus grand quintile pour la plupart des indicateurs composites.

La dimension qui s’écarte considérablement de ces observations généralement positives est la sphère socioéconomique, où les anglophones de la région de l’Outaouais faisaient preuve d’un taux très bas de vitalité socioéconomique comparativement aux autres communautés de langue officielle en situation minoritaire au pays, se situant dans le dernier quintile.

Nous soutenons aussi la recommandation du QCGN d’inclure ce qui suit dans la loi pour améliorer la vitalité des communautés en situation minoritaire : inclure des définitions claires et des mesures positives pour améliorer la vitalité et contribuer au développement des communautés de langue officielle en situation minoritaire; prévoir une reddition de comptes plus claire relativement aux obligations énoncées à la partie IV; exiger des règlements visant la mise en œuvre de la partie VII; la mise en place de mécanismes de transparence stricts relativement aux investissements liés aux langues officielles; créer des obligations liées aux langues officielles relativement à toutes les activités financées par les ressources fédérales et exiger que les ententes fédérales-provinciales-territoriales soient publiées dans les deux langues officielles et aient la même force de loi.

Les données du recensement de 2016 ont démontré que la collectivité anglophone s’en tire moins bien que la collectivité francophone à l’extérieur du Québec, et que le revenu médian est inférieur à la majorité francophone, ce qui est unique au Canada sauf au Nouveau-Brunswick. Une étude récente menée par l’Association d’études canadiennes indique que les anglophones font face à un plus grand nombre d’obstacles à l’emploi, puisque les francophones étaient 60 p. 100 plus susceptibles d’être convoqués en entrevue que ceux dont le nom avait une consonance anglophone. Les allophones et les minorités visibles, qui sont nombreux à avoir appris l’anglais comme première langue officielle, obtenaient des résultats encore pires puisque leur taux de chômage se situe aux environs de 13 p. 100, comparativement à 5 p. 100 pour les francophones et à 7,5 p. 100 pour la collectivité anglophone.

Manifestement, il faut adopter dans la loi des mesures différentes, adaptées et positives pour combler ces inégalités, plus particulièrement lorsqu’il s’agit d’emplois dans la fonction publique fédérale. Notre collectivité a fait de nombreux progrès quant à l’acquisition de compétences linguistiques au cours des 40 dernières années, soit depuis la loi 101. À l’heure actuelle, 72 p. 100 des membres de notre collectivité sont fonctionnellement bilingues et plus de 85 p. 100 de ceux âgés de plus de 54 ans peuvent discuter assez bien en français. En dépit de cela, le taux d’emploi dans notre collectivité en ce qui touche les organismes fédéraux et les entreprises gérées par le gouvernement fédéral demeure plus faible que ce qu’il devrait être étant donné la capacité des membres de notre collectivité à servir la majorité dans sa propre langue. En outre, les anglophones bilingues réussissent moins bien que leurs homologues bilingues dans les autres territoires du pays.

En terminant, j’aimerais signaler que je suis au courant que vous avez entendu le témoignage du RCSSS. Nous aimons ce modèle dans lequel les ressources sont gérées par la collectivité, qui contribue à l’élaboration des services offerts par les institutions à notre communauté. Nous estimons que les parties IV à VII ne peuvent pas être examinées ni mises en œuvre isolément. Elles font inextricablement partie de la protection de nos droits en tant que minorité linguistique et sont essentielles au dynamisme continu de notre culture et de nos collectivités.

Nous croyons fermement que la loi nécessite un mécanisme de surveillance, sous la forme d’un comité consultatif national, associé à un tribunal, qui pourrait être lié au Conseil privé et qui aurait le pouvoir d’imposer des sanctions. Nous croyons également que des consultations auprès des minorités linguistiques devraient être un processus obligatoire, clairement défini et associé aux ressources financières appropriées pour accroître les diverses capacités respectives permettant d’interagir et de collaborer avec le gouvernement fédéral relativement à toutes les composantes de la Loi sur les langues officielles.

[Français]

Je peux répondre à vos questions en français.

Le président : Merci beaucoup, monsieur Garner et madame Hunting. Nous allons poursuivre avec la période des questions.

[Traduction]

La sénatrice Poirier : Je remercie nos deux témoins pour leurs exposés. Madame Hunting, pour revenir à ce que vous avez dit, j’aimerais quelques précisions.

Vous avez parlé d’un certain nombre d’anglophones au Québec, de la population et de différents groupes d’âge. Ensuite, vous avez dit que le taux de chômage était plus élevé chez les anglophones en plus de dire que le nombre de personnes gagnant 50 000 $ par année dans la collectivité anglophone était de loin inférieur à ce qu’il est dans la collectivité francophone.

Vous avez ensuite signalé que le gouvernement fédéral a un rôle à jouer, si j’ai bien compris, au-delà de ces institutions qui portent sur le bilinguisme. Selon vous, dans le cadre de la Loi sur les langues officielles, le gouvernement fédéral devrait jouer un rôle plus important en ce qui touche l’emploi dans le secteur privé. Est-ce bien dans cette direction que vous vous dirigiez?

Mme Hunting : Les institutions et les entreprises réglementées par le gouvernement fédéral.

La sénatrice Poirier : Toutefois, je me demande ce que vous avez vu dans la loi qui nous permettrait d’intervenir dans le secteur privé s’il ne s’agit pas d’une institution fédérale. C’est pourquoi je vous posais la question. Mais, maintenant j’ai compris vos propos.

Nos deux témoins ont mentionné les mesures positives, et nous en avons discuté. D’autres témoins nous ont également dit qu’il faudrait mieux définir les « mesures positives » dans la loi. Pourriez-vous nous donner quelques exemples qui, selon vous, constitueraient des mesures positives, qui pourraient vous aider en tant qu’anglophones dans une province comme le Québec ou ailleurs au Canada?

M. Garner : Je vous remercie pour cette question. Si nous examinons ce qui s’est passé avec le RCSSS et son modèle dans le cadre duquel le gouvernement fédéral fournit du financement par l’entremise de Santé Canada pour aider les employés faisant partie du système de services sociaux et de santé à avoir accès à de la formation en anglais langue seconde. C’est une des façons dont les institutions peuvent répondre aux besoins de la collectivité qui les touchent directement, c’est-à-dire en mettant en œuvre une mesure positive comme celle-là afin de permettre aux institutions d’obtenir les ressources nécessaires pour former les gens dans les langues des collectivités qu’elles desservent. Cela permettrait d’accroître l’accès aux services à l’échelle fédérale et ailleurs au sein de la province de Québec.

La sénatrice Poirier : Estimez-vous que les francophones ont un meilleur accès à de la formation en anglais langue seconde dans votre province que les anglophones à de la formation en français langue seconde? Croyez-vous qu’ils disposent d’un plus grand nombre de ressources?

M. Garner : Tout récemment, notre association a mis sur pied une formation en français langue seconde. Les anglophones se plaignent depuis longtemps que, s’ils ne sont pas des immigrants, ils n’ont pas accès à de la formation abordable en français langue seconde. Les immigrants y ont accès, mais les anglophones doivent défrayer les cours de leur poche.

Nous avons donc organisé ces cours, et dès la première semaine, nous avions 150 demandes. Nous avons dû ouvrir d’autres séances de formation. Pour la session d’automne, nous avons plus de 500 personnes d’inscrites à ce cours.

Mme Hunting : Nous avons récemment reçu des fonds pour un programme pilote grâce au nouveau Secrétariat aux relations avec les Québécois d’expression anglaise du gouvernement provincial pour l’élaboration d’un programme d’immersion en français pour des diplômés récents d’établissements d’enseignement anglophone avec une composante liée aux soins de santé. Notre partenaire en santé publique nous a informés que ces diplômés ne restent pas et ne travaillent pas dans le système de santé dans les régions en raison de leurs lacunes linguistiques dans la deuxième langue officielle, qui est jugée comme n’étant pas comparable à celle de leurs homologues francophones.

Le programme est en train d’élaborer la terminologie, et donc de mettre sur pied du mentorat pour accorder aux anglophones le même genre de places que nous offrons aux francophones qui veulent apprendre une langue seconde.

La sénatrice Poirier : Le Nouveau-Brunswick est la seule province officiellement bilingue. J’étais présente lorsque nous avons révisé la loi. C’est tous les 10 ans que nous sommes censés revoir la Loi sur les langues officielles. J’aimerais savoir ce que vous en pensez. Est-ce quelque chose que nous devrions inclure, que la loi soit révisée au moins tous les 5 ou 10 ans plutôt que d’attendre longtemps, comme la dernière fois?

De plus, différents témoins nous ont dit préférer que la loi soit appliquée par le Conseil du Trésor. Êtes-vous d’accord avec cette proposition ou avec les deux?

Mme Hunting : Je ne peux pas me prononcer de manière aussi définitive sur la question du Conseil du Trésor. Je commencerai par la première question sur les délais prescrits.

Il est primordial d’évaluer toutes les lois, surtout les lois comme celle-ci qui peuvent avoir une si grande incidence sur un si grand nombre de collectivités au Canada. La loi a besoin d’être réexaminée. Même si on n’y apporte aucun grand changement tous les 10 ans environ, il faut au moins l’examiner. Est-elle à jour? Reflète-t-elle le monde dans lequel nous vivons, ainsi que les objectifs que s’est fixé le Canada pour l’avenir?

La sénatrice Poirier : Vous suggérez 5 ou 10 ans?

Mme Hunting : Je dirais 10 ans. Cinq ans, ce serait difficile, car cela n’est pas très long pour réaliser les consultations et réaliser les différents exercices nécessaires pour une évaluation. Je crois qu’un échéancier de 10 ans serait plus efficace.

M. Garner : Je suis d’accord, j’opterais pour 10 ans aussi. Un échéancier de 5 ans serait trop serré pour permettre au système de changer et d’évoluer. Nous savons que les choses n’évoluent pas aussi vite qu’on le souhaiterait. Il faut plus de temps dans la vraie vie que sur papier.

En ce qui concerne le Conseil du Trésor, tous ces gens-là veulent s’assurer que la loi repose sur des ressources suffisantes pour la mettre en œuvre. Étant donné que le Conseil du Trésor touche tous les aspects du gouvernement en termes d’affectation budgétaire, il aurait les moyens nécessaires de lier ces budgets à certains indicateurs de rendement au chapitre des langues officielles. Cela pourrait être très fructueux et cela permettrait au ministère de répondre de manière plus adéquate.

La sénatrice Poirier : Merci.

Le sénateur McIntyre : Merci pour vos exposés. Je remarque que vous représentez deux régions du Québec — l’Outaouais et les Cantons de l’Est. J’aurais apprécié entendre des représentants de Voice of English-speaking Québec, car cela nous en dirait plus sur la ville de Québec et sur la région Chaudière-Appalaches.

J’ai l’impression, madame Hunting, que vous avez couvert la question du commissaire aux langues officielles. Si j’ai bien compris, les pouvoirs du commissaire devraient être élargis et accrus. Est-ce que vous ou M. Garner avez eu l’occasion de rencontrer le commissaire?

Mme Hunting : Je n’ai pas encore eu l’occasion de rencontrer personnellement le nouveau commissaire. Par le passé, nous avons déjà rencontré d’anciens commissaires aux langues officielles.

Le sénateur McIntyre : À en juger par votre présentation, la loi devrait permettre les recours judiciaires pour l’ensemble de ces parties. Pourriez-vous nous en parler plus en détail?

Mme Hunting : Je crois que c’est lié à une notion soulevée par Linton, pendant sa présentation, et qui dit que pour monsieur et madame Tout-le-monde, la loi n’a pas suffisamment de mordant. Ce n’est pas une loi qui est jugée suffisante pour sauvegarder les droits linguistiques des anglophones au Québec. Souvent, à l’issue des enquêtes sur les plaintes qui ont été déposées, on donne une série de recommandations, mais il n’y a que très peu de suivi ou de véritables impacts pour les membres des communautés touchées par ces incidents précis.

À ce sujet, il serait utile que la loi ait plus de mordant pour qu’elle puisse donner suite à certaines de ces recommandations de manière un peu plus musclée.

M. Garner : Je suis d’accord. La communauté des langues officielles n’est pas très visible ou elle n’est pas très présente dans la province. Comme je l’ai appris lorsque je travaillais sur les questions de droit civil, la justice ne doit pas seulement être rendue, mais elle doit être rendue aux yeux de tous.

Voilà l’aspect important de la Loi sur les langues officielles. La communauté ne voit pas la loi accorder de remède à la communauté. Ainsi, la plupart des gens ne connaissent pas son existence. La plupart des gens sont, de toute évidence, déçus du rôle que joue le gouvernement fédéral dans les dossiers linguistiques.

Nous voulons qu’il fasse preuve d’un plus grand leadership à ces chapitres. Nous pensions que la Loi sur les langues officielles l’aurait permis, mais elle n’a pas été à la hauteur de nos attentes dans ce domaine.

Ce que nous recherchons, dans cette révision de la loi, c’est une plus grande présence, une plus grande visibilité et un plus grand rôle pour la Loi sur les langues officielles afin qu’elle puisse remédier aux problèmes linguistiques dont se plaint la communauté.

Le sénateur McIntyre : Le 28 mai, le Quebec Community Groups Network a témoigné devant notre comité et nous a présenté un mémoire. Je suis certain que vous le connaissez. Je crois également qu’un grand nombre des propositions contenues dans ce mémoire reflètent les idées des organisations francophones au sujet de la modernisation de la loi.

Êtes-vous d’accord avec ces recommandations?

Mme Hunting : Oui, nous appuyons les recommandations de ce groupe.

M. Garner : Nous aussi, et, en tant qu’association régionale, nous appuyons depuis longtemps les actions des francophones hors Québec. Nous considérons que nous sommes dans le même bateau qu’eux. Les problèmes que nous avons à servir notre population dans la langue de notre choix sont aussi les problèmes de la communauté francophone hors Québec.

Mme Hunting : J’ajouterais à cela que, souvent, au Québec, les décisions qui sont prises concernant les communautés de langue officielle en situation minoritaire hors Québec ont aussi un impact sur les communautés au Québec, car nos décideurs, nos dirigeants provinciaux attendent de voir quels seront ces résultats pour ensuite interpréter et appliquer la loi au Québec vis-à-vis des anglophones. Les décisions concernant les communautés francophones en situation minoritaire sont également très importantes pour la communauté anglophone au Québec.

Le sénateur McIntyre : Ce que je trouve intéressant au sujet du QCGN, c’est qu’il cherche une définition plus claire des concepts qu’on retrouve à la partie VII, par exemple, les mesures positives, la façon de favoriser l’épanouissement, et cetera.

M. Garner : Ces termes sont importants, car, dans bien des cas, comme avec Patrimoine canadien, notre financement est lié aux explications que nous fournissons sur ces questions précises, notamment pour ce qui est de la vitalité de la communauté. Parfois, nous avons du mal à convaincre d’autres entités gouvernementales du fait qu’il est important de pouvoir mesurer la vitalité d’une communauté pour en assurer la subsistance. Ce serait utile, avec d’autres entités intéressées par la question, de se pencher sur ces éléments et de les définir.

[Français]

La sénatrice Gagné : Bienvenue. Je suis heureuse de vous recevoir ici ce soir. Je suis Franco-Manitobaine, et j’ai eu la chance de rencontrer plusieurs représentants de communautés des quatre coins du Canada, soit par l’entremise de ce comité ou dans d’autres occasions et circonstances.

L’une des choses que nous avons entendues, et que j’ai entendues personnellement, c’est qu’il était important de veiller à ce que la Loi sur les langues officielles soit suffisamment flexible pour répondre réellement aux besoins des communautés de langue officielle en situation minoritaire de différentes régions du Canada. Reconnaître les besoins de la communauté anglophone du Québec est une chose, mais répondre aux besoins d’une communauté de la Colombie-Britannique est une autre chose, ou du Manitoba ou du Nouveau-Brunswick. Qu’est-ce que vous pensez de cela? Est-ce qu’une application de la loi qui tiendrait compte des circonstances particulières de chaque communauté ou de chaque région est envisageable?

Mme Hunting : Je pense que oui.

[Traduction]

Cela peut arriver.

[Français]

Toutefois, il s’agit des modalités et des mécanismes. Je crois qu’il n’y a personne autour de la table qui prône une approche globale. On est conscient que cela risque de ne pas fonctionner pour une communauté ou une autre. Je pense que l’essentiel, c’est d’élaborer un mécanisme dont l’expertise provient de ces communautés, et qu’il y ait des modalités qui soient mises en place pour que les chefs de file de ces communautés linguistiques minoritaires à travers le Canada aient l’occasion d’exprimer leurs besoins, mais aussi des solutions.

On nous demande souvent : « Quels sont vos besoins, qu’est-ce qui se passe chez vous? » Or, nous avons aussi beaucoup de solutions à offrir, nous sommes les experts lorsqu’il s’agit de savoir comment nous pouvons nous organiser et travailler avec les communautés majoritaires pour trouver un moyen de servir une clientèle minoritaire anglophone, dans mon cas, mais aussi francophone. Selon moi, ce qui arrive avec les Québécois d’expression anglaise, c’est l’idée que nous avons accès à l’anglais au Québec.

[Traduction]

L’anglais qu’on parle dans le monde entier est accessible aux Québécois anglophones.

[Français]

Cependant, ce n’est pas notre culture. Ce n’est pas à la culture des Anglo-Québécois à laquelle nous avons accès sur la place publique, c’est à la culture américaine, la culture ontarienne, la culture de n’importe qui sauf celle des anglophones du Québec.

C’est dans cette optique qu’il serait important de prévoir des modalités dans la loi pour offrir un appui à ces communautés et afin qu’il y ait une meilleure compréhension de ce que vivent ces gens, parce que leur expérience n’est pas comparable à celle de la communauté d’expression française de Campbell River, à l’île de Vancouver. Ces gens auront une expérience complètement différente de l’accès à leur culture et à leur langue. Je pense qu’il est important de prévoir les moyens de différencier ces expériences.

La sénatrice Gagné : Merci. Vous avez aussi mentionné l’importance d’établir un partenariat entre les institutions fédérales et les communautés. Est-ce que ce genre de mécanisme, comme vous l’avez mentionné, serait intégré dans la loi, selon vous?

Mme Hunting : Oui.

M. Garner : Oui. Par exemple, comme le mentionnait Mme Hunting, l’expertise reste dans la communauté. Si l’on peut créer des partenariats avec les institutions, on peut travailler ensemble pour livrer la marchandise. Jusqu’à maintenant, les institutions ont peut-être eu peur de perdre le contrôle si elles nous ouvraient la porte et nous permettaient de planifier avec elles les façons de répondre à nos besoins. Je pense que c’est la peur d’une grande partie des institutions, dans plusieurs domaines. Elles ne reconnaissent pas que la meilleure méthode pour les aider à livrer la marchandise — ce qu’elles souhaitent pour accomplir leur mission d’une façon plus satisfaisante —, c’est de collaborer avec nous, les destinataires des programmes, afin de favoriser leur réussite.

La sénatrice Gagné : Alors, cela revient un peu au concept du « par et pour » les communautés qui a été véhiculé par plusieurs organismes, y compris la Fédération des communautés francophones et acadienne, si je peux interpréter vos propos.

M. Garner : Oui, certainement.

Mme Hunting : C’est cela, parce que les solutions menées « par et pour  » ne sont pas imposées par une institution, par une instance à une autre. C’est cela qui fonctionne le mieux. Si l’on forme un partenariat, si l’on se sent impliqué dans l’élaboration des solutions, autant du côté institutionnel que du côté communautaire, c’est une meilleure formule pour gagner, je pense.

La sénatrice Gagné : Vous avez aussi mentionné que l’élément de la consultation devrait être renforcé dans la révision de la loi. Encore là, pour ce genre de modalité et pour les partenariats, il faut qu’il ait une consultation. Est-ce que vous croyez que la communauté anglophone du Québec a été suffisamment consultée dans toute l’élaboration du plan d’action?

M. Garner : Non, parce que, depuis un bout de temps, on se demandait ce qui allait se passer avec le renouvellement de la loi. On en a entendu très peu parler. On n’a pas vraiment été impliqué dans les discussions quant aux barèmes qui seront traités à l’intérieur de ce projet.

Je pense aussi que pour les communautés, il y avait une certaine inégalité quant aux représentants qui seraient présents autour de la table. Par exemple, dans notre organisme, je représente 50 p. 100 de la main-d’œuvre de notre association. Dans les institutions avec lesquelles on travaille, les personnes autour de la table qui font la planification représentent un minimum de leur main-d’œuvre.

Donc, il n’y a pas assez de ressources qui nous sont accordées pour établir une discussion et des mesures de planification, parce que cela prendrait du temps. On ne peut pas planifier dans une journée les orientations de la prestation des services auprès de la communauté. Il s’agirait de longues négociations. Si 50 p. 100 de notre main-d’œuvre devait être présente à chaque séance de planification, ce serait lourd et pénible pour nos organismes. Ce que nous désirons, c’est de nous assurer que les communautés sont assez bien appuyées pour participer à des consultations.

La sénatrice Gagné : Je comprends, merci.

Le sénateur Maltais : Monsieur Garner, votre mémoire était sans équivoque, et vous l’avez rendu d’une voix ferme et déterminée. Combien d’associations regroupez-vous au sein de votre organisme?

M. Garner : Nous faisons partie du Quebec Community Groups Netwok, qui regroupe 53 organismes.

Le sénateur Maltais : Donc, 53 organismes dans l’Ouest du Québec?

M. Garner : Non, dans l’ensemble du Québec. Notre association est en partenariat avec six ou sept différents organismes qui desservent la population anglaise de la région.

Le sénateur Maltais : Combien y a-t-il d’anglophones dans l’Ouest du Québec?

M. Garner : Environ 70 880.

Le sénateur Maltais : Donc, environ 71 000, pour faire un chiffre rond.

M. Garner : Oui.

Le sénateur Maltais : Vous avez dit que 28 p. 100 d’entre eux sont unilingues.

M. Garner : Non. C’est-à-dire que la population unilingue est localisée plutôt dans les régions rurales qu’urbaines, comme Gatineau, qui regroupe Aylmer, Hull et Gatineau, mais aussi dans le Pontiac, où la majorité de la population est composée d’anglophones. Ils sont habitués à se débrouiller et à s’intégrer à la population francophone. C’est la raison pour laquelle la demande pour les cours de français que nous avons organisés est aussi élevée. Les gens veulent s’intégrer davantage.

Le sénateur Maltais : En parlant de ces cours, dans le système de commissions scolaires anglophones, vous recevez le même financement que les francophones par élève. Est-ce que vos commissions scolaires sont malhabiles ou trop dépensières pour être mesure de dégager des sommes afin d’ouvrir des écoles d’immersion, comme le font certaines commissions scolaires francophones, à même leur propre enveloppe financière? Comment se fait-il que cela ne se fasse pas chez les anglophones de votre région?

M. Garner : Je ne peux pas parler de l’intention des commissions scolaires. Elles sont les mieux placées pour connaître leurs besoins. Oui, il y a des cours qui sont organisés par ces commissions, mais cela coûte cher.

Le sénateur Maltais : À la commission scolaire, pas à l’individu.

M. Garner : Non, pour l’individu, car ce sont des cours pour adultes. On ne parle pas des élèves. Les élèves sont bien intégrés en français dans leur programme d’études. Selon les statistiques, les gens entre 15 et 54 ans sont maintenant bilingues à 85 p. 100. Cela est lié au bon travail que les commissions scolaires du Québec ont fait dans ce domaine depuis les 40 dernières années.

Le sénateur Maltais : Vous prévalez-vous des programmes du ministère du Travail pour la formation de la main-d’œuvre, dans lesquels il y a un volet linguistique?

M. Garner : Justement, nous nous sommes entretenus il y a quelque mois avec M. Blais, le ministre de l’Emploi du Québec, du fait que la communauté d’expression anglaise souhaitait ardemment avoir accès à davantage de formations pour aider les gens à se trouver des emplois. Nous voulons maintenir notre population sur place. Si nous avons des outils pour le faire, nous réussirons mieux.

Le sénateur Maltais : Je ne parlais pas à l’intérieur du ministère du Travail ni du volet axé sur la formation de la main-d’œuvre. Je n’ai pas parlé du volet linguistique, parce qu’il y a un volet linguistique à l’intérieur du ministère dont vous pouvez vous prévaloir et qui ne coûte rien, car il est financé par l’ensemble de la population du Québec.

M. Garner : Oui, il y a des cours de français qui sont également offerts à ces personnes, mais ce n’était pas dans les habitudes de la communauté d’expression anglaise de s’inscrire à ce type de cours. Notre préoccupation était liée davantage à l’éducation postsecondaire. On essaie maintenant de faire mieux pour aider les jeunes à comprendre qu’il y a des occasions dans ce domaine qui leur permettront de se tailler une place.

Le sénateur Maltais : Les aménagements linguistiques à l’intérieur des ministères provinciaux existent; cela dépend de la façon dont vous voulez vous en servir.

Au début de votre intervention, vous avez dit une chose qui m’a fait dresser les cheveux sur la tête en parlant du français langue seconde. Monsieur Garner, au Canada, il n’y a pas de langue seconde, il y a deux langues officielles. Je le prône de Vancouver à St. John’s. Si vous parlez du français, vous parlez de la langue française; si vous parlez de l’anglais, vous parlez de la langue anglaise, il n’y en a pas une qui a primauté sur l’autre. Il y a donc deux langues officielles.

M. Garner : Certainement, mais la terminologie qui est utilisée dans l’apprentissage d’une deuxième langue, c’est l’expression « langue seconde », soit en anglais ou en français. Nous sommes en train de planifier des cours d’anglais langue seconde pour les francophones dans les régions qui le désireraient. Il n’y a aucune insulte derrière ces mots.

Le sénateur Maltais : Vous ne me ferez pas avaler ça. On va s’entendre là-dessus. Il y a deux langues officielles au Canada. Il y a la langue française, il y a la langue anglaise, il n’y a pas de langue seconde.

Madame Hunting, vous avez parlé de la culture, et cela m’intrigue un peu. Il est vrai que les Cantons de l’Est sont près de la frontière américaine. Vous avez accès à la télévision et à la radio en anglais. CBC y est-elle présente?

Mme Hunting : CBC Quebec dessert la région des Cantons de l’Est. CBC Montreal ne se rend pas jusqu’à nous, et il n’y a pas de CBC régionale.

Le sénateur Maltais : CBC Montreal ne vous dessert pas. Pour quelle raison?

Mme Hunting : Je ne pourrais pas l’expliquer, mais notre réseau affilié, c’est Quebec.

Le sénateur Maltais : Grand Dieu vous protège! CBC Montreal, c’est comme Radio-Canada Montréal, c’est le Plateau. Continuez avec CBC Quebec.

Mme Hunting : La communauté adore CBC Quebec, elle nous parle souvent de l’accès aux radios communautaires et à CBC en anglais. Si vous pouviez faire quelque chose pour ramener The Farm Report, ça ferait le bonheur de plusieurs à travers la province. Ça n’existe plus depuis des années, mais c’était une espèce de « life line » pour les agriculteurs. Cela fait au moins six ans que ce n’est plus sur nos ondes.

Le sénateur Maltais : Qu’en est-il des journaux locaux?

Mme Hunting : Les journaux locaux ont besoin d’un appui, ils ont besoin de survivre et ont beaucoup de besoins. C’est très difficile dans la région, si nous prenons The Record à Sherbrooke, par exemple.

[Traduction]

C’est le dernier quotidien anglophone au Québec.

[Français]

Il souffre de tous les mêmes problèmes que les journaux et quotidiens francophones. Les gens ne veulent plus acheter de journaux, ils veulent y avoir accès en ligne. C’est très difficile pour eux d’attirer un financement.

Le sénateur Maltais : Au moyen d’annonces publicitaires.

Mme Hunting : Oui, c’est ça.

Dans notre région, c’est à la fois urbain avec Sherbrooke, Magog et une grande partie de l’Estrie, mais c’est très rural aussi. En région rurale, il manque l’accès à Internet haute vitesse. Parfois, il faut une clé USB satellite si on veut se brancher, comme à Bolton-Ouest. Les gens n’ont pas accès au contenu numérique. Le journal The Record est livré tous les matins. Il est en péril, parce qu’il n’est pas en mesure de répondre à tous les besoins.

Le sénateur Maltais : Les gens d’affaires ont-ils pensé à créer un regroupement des journaux locaux? Dans les régions, les journaux locaux sont encore rentables au Québec. Le Soleil et La Presse vivent de la charité publique depuis longtemps. Le Devoir, c’est le bien-être social des journaux. Dans les régions, les gens préfèrent encore le petit feuillet de huit pages, parce qu’il parle d’eux.

Mme Hunting : Exactement. C’est l’essentiel de ces journaux, parce qu’il s’agit de nouvelles locales. C’est le seul moyen d’avoir des nouvelles de chez vous, de ce qui se passe à l’école, dans les églises, dans les centres pour personnes âgées, dans les centres communautaires, et cetera. Il est très important pour ces communautés qu’il y ait des mécanismes en place pour assurer la survie de ces journaux.

Le sénateur Maltais : Je pense que la survie des journaux passe par le regroupement, tout en essayant de garder la clientèle qui lit le journal. C’est le même défi pour les francophones. La tablette, c’est bien beau, mais ce n’est pas tout le monde qui s’en sert.

Mme Hunting : Surtout dans notre région, où il y a beaucoup de personnes âgées. Celles-ci n’utilisent pas la tablette pour lire les journaux.

Le sénateur Maltais : Qu’en est-il de la radio communautaire?

Mme Hunting : Dans les Cantons de l’Est, elle est présente. Il y a deux radios communautaires qui desservent la communauté anglophone : la CIDI qui est basée à Knowlton, et la CJMQ qui est basée à Lennoxville. Elles font ce qu’elles peuvent. Elles ne sont pas en aussi mauvaise situation que les journaux, mais elles connaissent un déclin également.

Le sénateur Maltais : Y a-t-il toujours des théâtres d’été?

Mme Hunting : Oui.

Le sénateur Smith : Quel est votre besoin le plus important?

[Traduction]

Selon vous, quel est votre besoin le plus pressant? Nous avons entendu tellement de commentaires des différents groupes. Quel est votre besoin numéro 1?

Mme Hunting : L’employabilité, l’aide et les mesures à l’intention des anglophones, surtout dans les régions rurales du Québec.

Le sénateur Smith : Que doit-on faire pour résoudre le problème ou améliorer la situation?

Mme Hunting : Nous avons des pages et des pages de solutions que nous pouvons vous envoyer.

Le sénateur Smith : Si vous aviez une baguette magique, quel vœu exauceriez-vous en premier?

Mme Hunting : Cela nécessiterait des efforts concertés de la part de plusieurs ministères pour créer un espace inclusif pour tous les Québécois anglophones dans le secteur de l’emploi au Québec.

Les gens doivent comprendre que le fait d’inclure un travailleur anglophone dans votre milieu de travail ne changera pas, n’amoindrira pas ni ne perturbera le fait que le français est la langue de vos effectifs.

Il n’existe pas une seule organisation avec laquelle nous travaillons qui ferait la promotion de l’anglais au détriment du français comme langue d’affaires au Québec. Il faut prévoir un espace pour que les anglophones puissent élaborer la terminologie, développer leur confiance et pratiquer leur français dans un environnement qui les accepte et les apprécie. Voilà ce qui manque vraiment.

Le sénateur Smith : Un changement d’attitude?

Mme Hunting : Oui, un changement d’attitude, mais c’est un peu plus que cela, quand même. Il s’agit de comprendre clairement que les francophones forment la majorité dominante au Québec, que leurs institutions sont nos institutions, que nous sommes tous Québécois. Comprendre que, pour nos communautés, les possibilités de réussite et de jouer un rôle essentiel disparaissent si l’on vit en vase clos. Tout cela est rendu possible grâce à des mesures d’intégration, à de la compréhension et à la création de ces espaces.

Le sénateur Smith : Pour un anglophone à la recherche de telle possibilité, d’un point de vue linguistique, quelle serait l’exigence principale?

Mme Hunting : Je ne crois pas qu’il y ait une exigence principale. Il s’agit vraiment d’avoir la possibilité d’améliorer son français de manière abordable et de le faire en fonction du domaine précis où l’on travaille. Ce serait un bon point de départ.

Le sénateur Smith : Monsieur Garner.

M. Garner : Je suis tout à fait d’accord. Je crois que l’employabilité est un facteur important. Chaque communauté veut s’intégrer pleinement et se sentir chez soi. Elles ont toutes besoin de débouchés économiques pour y arriver. La communauté anglophone a prouvé, en restant au Québec depuis 40 ans, que c’est exactement ce qu’elle essaie de faire.

Nos taux de bilinguisme sont passés de sous la barre des 50 p. 100 à plus de 80 p. 100 dans nos collectivités. Nos écoles se sont engagées envers les classes d’immersion qui ont commencé dans les années 1960. Douze pour cent de nos élèves qui seraient admissibles aux écoles anglophones étudient dans des écoles francophones. Nous voyons dans la réponse à nos cours de français un désir même pour les personnes âgées de pouvoir s’intégrer, travailler et demeurer dans la collectivité.

Le sénateur Smith : Qui rendra cela possible?

M. Garner : Il doit s’agir d’une collaboration entre tous les ordres de gouvernement : municipal, provincial et fédéral. Au niveau municipal, les gens ont beaucoup de difficulté à comprendre ce qui se passe dans leur propre ville parce que la langue du conseil municipal est le français uniquement. On ne peut obtenir de documents d’information, par exemple sur les taxes ou ce genre de choses, en anglais. Cela doit être possible ici.

Le sénateur Smith : Que ferez-vous pour mobiliser la communauté des affaires pour qu’elle vous aide dans vos efforts?

M. Garner : Nous examinons ce qu’ils peuvent en gagner. Nous leur disons : « Si vous ouvrez votre entreprise aux travailleurs de langue anglaise, vous attirerez plus d’occasions d’affaires de la part de la communauté anglophone. Si vous participez à la collectivité dans les écoles, si vous venez parler de votre industrie, si vous offrez des bourses, et cetera, cela développera votre capacité de connaître du succès économique. »

Si cela démontre aux villes que la collectivité prend une part active dans le développement de l’économie, cela ouvrira de grandes portes.

Récemment, notre maire de Gatineau a soutenu nos efforts pour obtenir des cours de langue française, à cause du fait que nous avons démontré que nous voulons faire partie de la société et ne pas être mis à part. Nous ne demandons pas que les choses ne soient qu’en anglais et qu’on ne serve que la collectivité anglophone. Nous comprenons les réalités de la collectivité francophone et du Québec, et nous voulons nous y joindre. Nous l’avons fait pendant longtemps, et nous n’avons pas été reconnus pour ces efforts.

C’est une des choses les plus importantes que la communauté veut et dont elle a besoin, que les gens comprennent que nous avons fait notre part pour nous intégrer dans la collectivité. Nous n’avons pas résisté. Nous avons encouragé nos jeunes à apprendre le français pour qu’ils puissent rester ici dans la province. Qui veut voir ses enfants et ses petits-enfants partir ailleurs parce qu’ils ne peuvent pas trouver d’emploi ici?

La chose importante dont nous avons besoin, c’est que tous les secteurs travaillent ensemble pour affirmer que nous nous trouvons dans une situation où nos communautés ne se sentent pas incluses, il n’existe pas une approche inclusive à ce sujet, et nous avons besoin que tous les ordres de gouvernement travaillent ensemble pour réaliser ce but dans nos communautés.

[Français]

La sénatrice Moncion : Si on créait un tribunal administratif responsable d’examiner les violations à la loi fédérale qui auraient des incidences plus spécifiques en matière de langues officielles, quel usage feriez-vous d’un tel tribunal? Vous pouvez répondre en anglais.

M. Garner : D’abord, j’aimerais revenir à l’histoire.

Nous avons créé des programmes d’accessibilité à l’emploi. Nous y avons annexé des contrats qui ont été accordés par différents ordres de gouvernement. Ces contrats contiennent des exigences d’emploi qui offrent davantage de chances aux minorités et qui font en sorte, par exemple, que plus de femmes font partie de la main-d’œuvre.

On peut encore utiliser ce type de mesure sans avoir à subir une pénalité faute d’avoir respecté la loi. L’idée, c’est d’inciter les employeurs à partager pleinement les politiques du gouvernement fédéral. C’est aussi de reconnaître la contribution de chaque groupe linguistique.

La sénatrice Mégie : Je vous remercie de vos présentations. Je vous avoue avoir été surprise par certaines statistiques. Je suis arrivée au Québec depuis des lunes, et j’entends souvent dire des choses comme : « Si je parlais anglais, j’aurais pu me trouver un emploi. Ceux qui parlent anglais trouvent plus d’emplois. »

Lorsque vous parlez d’employabilité, vous dites le contraire de ce que j’entends. Est-ce le fait qu’il y a une différence dans l’employabilité entre les grandes villes et les régions rurales? Que répondriez-vous à quelqu’un qui vous dirait cela?

Mme Hunting : Je dirais que c’est une combinaison des occasions offertes dans une grande ville par rapport à une région rurale. C’est aussi la perception de la langue parlée par l’anglophone au Québec. Si je présente mon curriculum vitæ avec mon nom très anglophone, Rachel Hunting, à l’heure actuelle, il y a encore des employeurs qui le mettront de côté, malgré le fait qu’il soit rédigé dans un très bon français. Aussi, à l’étape de l’entrevue, si je parle avec l’accent québécois, il y a de bonnes chances que tout se passe bien. Par contre, si je parle en français avec un accent très différent, très anglophone...

[Traduction]

… on présume des choses par rapport à notre capacité linguistique en se basant sur notre accent lorsqu’on parle l’autre langue.

[Français]

C’est pour ces raisons que notre communauté est souvent exclue de ces occasions d’emploi et que, dans ma région, il y a des gens avec un très haut niveau d’éducation qui gagnent moins et qui finissent par partir. Le fait qu’ils parlent anglais n’est pas considéré comme un atout, alors qu’ailleurs au Canada, le fait de parler français, même avec un accent anglophone, c’est un atout n’importe où au Canada, mais pas au Québec. Donc, c’est très particulier.

La sénatrice Mégie : Je ne suis pas convaincue. On ne sera pas d’accord là-dessus.

M. Garner : Des statistiques ont démontré que les personnes bilingues des minorités linguistiques hors Québec réussissent mieux que les personnes bilingues des minorités linguistiques du Québec.

On se demande toujours si un anglophone pourra vivre dans un milieu francophone. Avant d’occuper mon emploi actuel en Outaouais, j’ai vécu à Montréal pendant 53 ans, et j’ai fait une série d’entrevues dans l’est de Montréal. Chaque fois on m’a demandé : « Comment vas-tu réussir dans un milieu francophone? Vas-tu te sentir à l’aise? » En fin de compte, même si on avait eu une bonne conversation et qu’on avait bien aimé ma personnalité et mes habiletés, je n’étais pas embauché, parce qu’on doutait que je puisse vivre en milieu francophone.

Mme Hunting : Il n’y a pas seulement le fait de suivre des cours de français ou d’anglais. Il y a aussi l’aspect de l’immersion et l’aspect culturel. Pour ce qui est de notre projet à nous, c’est une question de mentorat, la capacité d’établir ces liens et ces relations pour que les uns soient à l’aise dans la culture ou l’environnement des autres.

La sénatrice Mégie : C’est intéressant. Merci.

Le président : Sur ce, madame Hunting et monsieur Garner, merci.

[Traduction]

Merci beaucoup pour vos présentations. Vous nous avez donné des informations très intéressantes pour notre rapport.

[Français]

Chers collègues, nous allons poursuivre la séance à huis clos.

(La séance se poursuit à huis clos.)

Haut de page