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POFO - Comité permanent

Pêches et océans

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Pêches et des océans

Fascicule nº 38 - Témoignages du 28 février 2019


OTTAWA, le jeudi 28 février 2019

Le Comité sénatorial permanent des pêches et des océans, auquel a été renvoyé le projet de loi C-55, Loi modifiant la Loi sur les océans et la Loi fédérale sur les hydrocarbures, se réunit aujourd’hui, à 8 h 36, pour étudier ce projet de loi.

Le sénateur Fabian Manning (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bonjour. Je m’appelle Fabian Manning. Je suis un sénateur de Terre-Neuve-et-Labrador et j’ai le plaisir de présider la séance de ce matin.

Avant de céder la parole à nos témoins, j’aimerais demander aux membres du comité de se présenter.

Le sénateur Francis : Brian Francis, de l’Île-du-Prince-Édouard.

La sénatrice Busson : Bev Busson, de la Colombie-Britannique.

Le sénateur McInnis : Thomas McInnis, de la Nouvelle-Écosse.

Le sénateur Campbell : Larry Campbell, de la Colombie-Britannique.

[Français]

La sénatrice Petitclerc : Chantal Petitclerc, du Québec.

[Traduction]

La sénatrice Bovey : Patricia Bovey, du Manitoba.

Le sénateur Christmas : Dan Christmas, de la Nouvelle-Écosse.

Le sénateur Gold : Marc Gold, du Québec.

Le président : Le comité poursuit son étude du projet de loi C-55, Loi modifiant la Loi sur les océans et la Loi fédérale sur les hydrocarbures.

Ce matin, nous avons le plaisir d’accueillir Brett Favaro, chercheur scientifique du Fisheries and Marine Institute de la Memorial University of Newfoundland and Labrador, et Bruce Hatcher, professeur et président de la recherche sur les écosystèmes marins à l’Université Cape Breton.

Bienvenue et merci d’avoir pris le temps de vous joindre à nous. Nous sommes désolés du malentendu qui s’est produit récemment. Nous voulions organiser une séance, mais parfois, il existe des facteurs indépendants de notre volonté. Parfois, nous ne sommes que des pions sur l’échiquier.

Au nom de tous les membres du comité, je vous remercie d’être présents. Je crois comprendre que vous avez tous les deux des déclarations préliminaires. Je vais commencer par M. Favaro de Terre-Neuve, si vous le voulez bien, étant donné que je suis le président. Puis nous passerons à M. Hatcher.

Allez-y, monsieur Favaro.

Brett Favaro, chercheur scientifique, Fisheries and Marine Institute, Memorial University of Newfoundland : Merci, monsieur le président et membres du comité de m’avoir invité à m’exprimer devant vous aujourd’hui. Je m’appelle Brett Favaro. Je suis chercheur scientifique au Fisheries and Marine Institute de la Memorial University.

Avant la séance initialement prévue, j’ai passé la plus grande partie de lundi dernier à examiner les témoignages d’autres témoins. Je vais faire quelques remarques afin d’appuyer certaines choses qui ont déjà été dites et j’espère ensuite pouvoir apporter quelques nouvelles idées à la discussion.

Tout d’abord, en tant que scientifique en conservation, je soutiens le projet de loi C-55. Son principal avantage est de permettre au ministre de désigner rapidement des zones de protection marine, ou ZPM, là où une protection est justifiée, et sans attendre d’obtenir la certitude scientifique du bien-fondé de la protection. J’ai entendu certaines personnes exprimer des inquiétudes au sujet de cette approche préventive.

J’aimerais préciser que la prévention n’est pas un concept nouveau dans le projet de loi C-55. Ce dernier ne contient pas le mot « prévention », et le terme « principe de la prévention » figure dans la Loi sur les océans en vigueur, où il est défini comme le fait de pécher par excès de prudence.

Dans le projet de loi C-55, le libellé est rédigé de façon plus explicite et dispose que l’absence de certitude scientifique ne peut servir d’excuse pour reporter la prise de mesures. Il s’agit d’une politique judicieuse. La science progresse lentement. Il faut beaucoup de temps et beaucoup de travail avant que les scientifiques affirment que quelque chose est certain, mais la certitude ne constitue pas une exigence minimale adéquate pour la prise de décisions.

Par exemple, si l’on découvre un récif sur le fond marin, il est presque certain qu’il sert d’habitat à des poissons, si bien qu’il vaut la peine d’être protégé. Nous ne savons pas exactement quel rôle il joue dans l’écosystème avant de l’étudier en profondeur.

Si nous détruisons ce récif avant de l’avoir étudié, il sera perdu à jamais. Agir de façon préventive, c’est vraiment faire preuve de prudence. En introduisant ces précisions, on aligne la Loi sur les océans avec le libellé existant du Cadre pour la pêche durable du MPO.

Deuxièmement, bien que la protection de zones particulières comporte de nombreux avantages, elle peut aussi engendrer des frais à court terme pour les personnes qui auraient autrement pêché ou foré dans ces zones. C’est pourquoi je m’inquiète que le projet de loi C-55 semble fournir un mécanisme visant à n’indemniser que les secteurs pétrolier et gazier lorsqu’ils sont exclus de zones nouvellement protégées. Plusieurs témoins ont souligné la nécessité de l’adhésion et du soutien au niveau local, et le fait qu’offrir une indemnisation à une industrie, mais pas à une autre, causera immanquablement des conflits.

Troisièmement, j’aimerais me rallier à West Coast Environmental Law, Oceans North, WWF-Canada et d’autres scientifiques qui se sont adressés à ce comité et ont affirmé la nécessité d’établir des normes minimales pour une ZPM. Idéalement, ces normes auraient dû être intégrées à la loi, mais nous devrons en tenir compte au moment de sa mise en œuvre.

J’aimerais aborder le développement durable, qui est défini dans la deuxième partie de la version originale de la Loi sur les océans. Je suis le représentant de Terre-Neuve-et-Labrador au sein du conseil consultatif fédéral sur le développement durable. Je passe beaucoup de temps à imaginer des moyens de faire évoluer notre province et notre pays d’une façon qui génère une prospérité durable. Je pense que nous devons dépasser le projet de loi C-55 et penser à la façon dont la Loi sur les océans pourrait servir à orienter le développement. Au lieu de nous concentrer sur ce que nous ne pouvons pas faire, pensons à ce que nous pouvons faire. D’après le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat des Nations Unies, le GIEC, l’humanité doit réduire de 37 p. 100 la quantité d’énergie produite au moyen de pétrole et de gaz d’ici 2030 pour que l’on ne dépasse pas le seuil de réchauffement de la planète jugé sécuritaire, soit 1,5 degré Celsius. D’ici 2050, les combustibles fossiles devront être exclus de notre bouquet énergétique. Plus nous dépasserons le 1,5 degré Celsius, plus notre pays en souffrira. Cela signifie que les politiques du XXIe siècle seront guidées par le concept de la décarbonisation, qui exige que les activités économiques cessent peu à peu de générer des gaz à effet de serre.

L’océan est un élément clé de toute stratégie de décarbonisation. Il peut nous fournir des aliments à faible émission de carbone grâce à la pêche et à l’aquaculture. Il peut nous offrir de l’énergie à émission nulle grâce à l’énergie marémotrice et éolienne en mer. Nous pourrions même en extraire des métaux et d’autres matériaux grâce à l’exploitation minière sous-marine, ce qui pourrait être nécessaire pour développer une technologie à émission nulle pour remédier au changement climatique. Nous ne pourrons et ne devrons pas réaliser ces activités partout. Un échec pourrait nous coûter cher.

Je pense que le renouvellement de notre engagement envers la planification intégrée, tel qu’il est décrit dans la Loi sur les océans, pourrait nous indiquer une marche à suivre. Au lieu de ne considérer le projet de loi C-55 comme une façon de préserver des écosystèmes particuliers, saisissons cette occasion pour recommander l’établissement d’un exercice de planification intégré bien financé à la grandeur du pays. Le Canada disposera ainsi d’un plan indiquant les endroits dans lesquels nous pouvons réaliser certaines activités, y compris des zones prioritaires, en vue de développer des industries telles que l’énergie éolienne en mer, et les placer dans des lieux où elles ne nuiront pas aux populations d’oiseaux et pourront même être bénéfiques aux populations de poissons.

Je suis conscient que le projet de loi C-55 concerne principalement les ZPM. Je sais également que ce comité a pour mandat d’examiner les questions relatives aux pêches et aux océans dans notre pays de façon plus générale. Je conclurai en disant que l’urgence de la crise liée au réchauffement climatique exige de chacun d’entre nous qu’il en fasse davantage. Nous devons agir de façon résolue et de toute urgence pour que le Canada fasse fonction de leader dans cette transition au lieu d’essayer de rattraper le reste du monde. Nous bénéficierons ainsi d’énormes possibilités économiques. La Loi sur les océans nous donne les outils pour le faire, à condition que nous choisissions de les utiliser. Je vous remercie.

Le président : Merci.

Bruce G. Hatcher, professeur, président de la recherche sur les écosystèmes marins, Université Cape Breton : Honorables membres du comité sénatorial, je vous remercie de me donner l’occasion de m’adresser à vous. J’aimerais déclarer quelque chose. Je ne prétends pas que j’aurais dû parler avant Brett, mais mon arrière-grand-oncle, Bert Hatcher, a été président de la Memorial University pendant un certain temps, et la Hatcher House porte son nom. Mon grand-père et mon père sont tous les deux des Terre-Neuviens. Je n’ai pas eu la chance de naître là-bas, mais je considère que cet endroit fait partie de mon identité.

Le président : Merci beaucoup. Mon oncle a vécu en Nouvelle-Écosse et il m’a dit que la plupart des habitants de la Nouvelle-Écosse étaient des Terre-Neuviens qui s’étaient perdus alors qu’ils se rendaient à Toronto.

M. Hatcher : North Sydney en est un exemple frappant surtout dans le cas des traversiers qui ont navigué pendant quatre jours. Merci de me donner l’occasion de m’adresser à vous.

J’aimerais d’abord dire que j’apprécie vraiment les commentaires de Brett. Certains universitaires ne verront peut-être pas les choses du même œil, mais les observations ne contiennent aucun point avec lequel je sois en désaccord, tant en ce qui concerne les détails se rapportant au projet de loi qu’au contexte plus vaste de l’intention de la Loi sur les océans et l’orientation qu’on aimerait qu’elle prenne. À mon sens, le projet de loi C-55 est une étape graduelle de la démarche pour atteindre le potentiel de la Loi sur les océans, qui est, en gros, une bonne politique qui a été — restons généreux — mise en œuvre de façon inadéquate.

J’ai fourni des renseignements relativement détaillés au comité, quoique je l’aie fait plutôt à la dernière minute, mais notre retard lui a peut-être donné la chance de l’examiner. Je vais présumer que vous l’avez fait, comme un bon professeur présume que ses étudiants ont lu le matériel. Je ne vais pas lire mes remarques, mais je vais en souligner les principaux points et m’y reporter pour donner des détails et répondre aux questions ou aux commentaires.

Quand on passe en revue le document — que vous avez devant vous, j’espère —, je pense que vous pouvez voir que j’ai une expérience au Canada et ailleurs de la conception et de la création de zones de protection marine ainsi que de la recherche à ce sujet. On possède énormément de bons éléments probants concernant tous les aspects des zones de protection marine dans tous les océans au monde. Nous ne faisons rien ici qui n’ait pas été fait à l’étranger. C’est la principale leçon que j’ai tirée de mon expérience internationale.

J’énonce pour vous les hypothèses de base qu’il faut, selon moi, tirer concernant l’intention de la Loi sur les océans. En termes simples, quel que soit notre niveau d’ignorance, il est sage de réserver des zones naturelles, des espaces dans les océans, qui sont plus ou moins protégés de l’activité humaine susceptible de compromettre les fonctions et structures de ces écosystèmes de façons que nous ne comprenons pas et ne comprendrons probablement jamais entièrement. On pourrait donc dire des zones de protection marine qu’elles sont l’expression ou l’application la plus concrète et répandue du principe de la prévention à la gouvernance des océans. Il est clair que ce n’est pas la seule. Les ZPM ne sont aucunement complètes ou suffisantes pour protéger les choses que nous savons qu’il faut préserver dans les écosystèmes océaniques. Comme j’ai tenté de le résumer dans les notes que je vous ai présentées, la preuve de l’utilité des zones de protection marine comme pratique de gestion et les avantages qui découlent de la désignation de pareilles zones montrent qu’il s’agit d’une politique judicieuse que nous devrions continuer d’appliquer.

Le problème réside dans le compromis que l’on doit faire entre les coûts de la conception, de la désignation, de la gestion et de la surveillance des zones de protection marine et les avantages. Autrement dit, il est beaucoup plus facile de documenter les dépenses engagées que de documenter et de quantifier les avantages obtenus.

Pour faire une grossière généralisation, la confiance que nous avons dans la capacité de le faire de façon convaincante — ce qui signifie généralement la conversion en dollars — diminue au fur et à mesure qu’on s’éloigne de l’équateur pour s’approcher des pôles. C’est plus difficile à faire dans les eaux tempérées et particulièrement dans les eaux froides des océans, que nous allions au nord ou au sud de l’équateur.

Cela a posé problème dans nos discussions — essentiellement sur les compromis coûts-avantages — pour déterminer si les ZPM sont de judicieuses politiques et si des ZPM particulières dans des endroits donnés représentent une bonne solution de gestion.

Mon document contient un résultat financier qui reflète vraiment l’observation selon laquelle il y a fort à gagner et peu à perdre à continuer de cerner et de désigner des zones de protection marine pendant la période de changements climatiques.

Je termine par mes critiques à l’égard du projet de loi dans sa forme actuelle. J’avoue que je n’ai pas lu le document en tant que tel, seulement le résumé. Je ne suis pas vraiment un expert des politiques ou des lois issues du droit législatif. Je n’ai vraiment que deux préoccupations. La première est que le projet de loi ne va pas suffisamment loin, mais je ne pense pas que ce soit quelque chose que le comité puisse changer. Nous devrions être conscients du fait qu’il s’agit d’une étape graduelle vers nombre de choses que Brett a résumées et qu’il voudrait qu’on mette en place à mesure qu’on se sert de la Loi sur les océans pour aider le Canada a maintenir les biens et services qu’offre l’océan non seulement aux gens du Canada, mais à ceux du monde entier.

C’est un petit document qui dit, en gros, que le ministre peut désigner une ZPM potentielle, planifiée, visée ou provisoire, qui deviendra permanente ou sera présumément rejetée après une période d’essai de cinq ans. Ma critique est la suivante : si on en juge par les efforts passés du Canada pour surveiller et mesurer l’efficacité des ZPM à atteindre leurs buts énoncés, il est peu probable que nous ayons les renseignements dont nous avons besoin après cinq ans. Ce ne sera donc pas ce que cela pourrait être, soit un exercice de gestion adaptative fondée sur les écosystèmes, objectif noble et atteignable, mais pas si on omet de recueillir les renseignements nécessaires pour décider si son expérience, sa ZPM provisoire, fonctionne.

Merci de votre patience. Je me réjouis à la perspective de répondre à vos questions.

Le président : Merci. Comme d’habitude, c’est notre vice-président qui entamera la période des questions.

Le sénateur Gold : Pour rester dans le thème de ce matin, bien qu’elle soit québécoise, mon épouse, Nancy, peut attraper une morue comme une pro. Je me sens vraiment dans mon élément. Merci de vos témoignages. J’ai une question pour chacun de nos témoins. J’ai beaucoup de questions, mais je vais les garder pour la deuxième série.

Monsieur Favaro, merci beaucoup d’avoir élargi la portée de vos remarques pour nous aiguiller afin que nous envisagions de militer en faveur d’une étude sur une approche plus intégrée de la planification de la gestion et de l’entretien de nos océans. Le comité est bien connu pour aborder des questions importantes et à long terme comme nous l’avons récemment fait avec notre étude sur les opérations de recherche et de sauvetage. Merci pour cette suggestion et soyez assuré que nous allons la prendre en considération.

En ce qui concerne le projet de loi et la mise en place de normes légales pour les ZPM, plus tôt cette semaine, nous avons entendu le témoignage d’un représentant de l’industrie du transport maritime qui a dit que les bâtiments pourraient être confrontés à des enjeux de sécurité si les ZPM interdisent les activités relatives au transport maritime le long d’une route maritime, par exemple. Le témoin, M. Lewis-Manning, président de la Chamber of Shipping of British Columbia, a suggéré qu’une ZPM soit assortie d’une clause d’urgence qui donnerait une exemption, par exemple, si un bâtiment devait déverser ou prendre plus d’eau pour changer son lest en raison de conditions météorologiques imprévues.

Pouvez-vous nous dire en général si les ZPM devraient être assorties d’exemptions en cas d’urgence pour des raisons de sécurité de la navigation?

M. Favaro : Je sais que le projet de loi contient des références au transport maritime. Je ne me souviens pas exactement des termes. Pour ce qui est de la question de savoir si nous ne devrions pas mettre en péril la vie et la sécurité des personnes, absolument. Le mécanisme juridique nécessaire pour protéger la vie des gens est primordial. J’ai l’impression que le ministre ne placerait pas de ZPM provisoire au milieu d’une route maritime. J’estime que ce ne serait pas une décision avisée, à moins qu’on ait découvert quelque chose de très important à cet endroit.

Je pense que ce projet de loi permet une désignation plus rapide des ZPM dans les cas où certaines choses doivent être protégées sans tarder. Je pense que c’est le principe sous-jacent. J’ai entendu d’autres témoignages. On se dit inquiet de la perspective que le ministre décide de mettre en place une ZPM dans un endroit où les gens aiment vraiment travailler. Nous chargeons le ministre de faire des choix avisés quant aux endroits où ces zones seraient créées. J’imagine qu’on ne les mettrait pas en place de façon frivole. C’est juste que nous n’avons pas toutes les preuves scientifiques voulues pour expliquer l’ensemble des avantages et des coûts de cette ZPM.

Le sénateur Gold : Merci de votre réponse. Monsieur Hatcher, dans le mémoire écrit que vous nous avez fourni, vous parlez de la définition qui se trouve au paragraphe 35(1.1) du projet de loi selon laquelle intégrité écologique s’entend de l’état d’un espace maritime dont la structure, la composition et la fonction des écosystèmes ne sont pas perturbées par l’activité humaine. Vous avez expliqué que pareil critère est impossible à l’heure actuelle et dans un avenir prévisible. Pouvez-vous clarifier ce que vous suggérez à cet égard?

Recommandez-vous que cette partie de la définition soit retranchée? Y a-t-il des termes qui pourraient mieux saisir ce qui est réalisable, souhaitable et possible?

M. Hatcher : Je trouve tout simplement qu’il est dangereux de mentionner d’entrée de jeu dans un projet de loi un objectif qui est inatteignable en soi et qui pourrait nuire à ce que je considère être un bon et un important projet de loi.

Nous avons dépassé depuis longtemps le stade où cette définition pourrait s’appliquer où que ce soit dans l’océan. Il s’agit simplement du choix des mots. Cela ne veut pas dire que nous ne devrions pas tenter de maintenir au plus bas niveau possible les répercussions négatives de l’activité humaine dans certaines zones de l’océan. Je ne le dis pas d’une façon très élégante, mais je suis certain que les juristes ou même vous pouvez trouver une façon de dire les choses sans en retirer l’essence, mais sans faire en sorte que le résultat de l’application de la loi soit irréaliste et impossible à concrétiser.

Le président : Oui, monsieur Hatcher.

M. Hatcher : Pourrais-je faire un commentaire au sujet de la première question qui a été posée sur le transport?

Le président : Allez-y.

M. Hatcher : La Convention des Nations Unies sur le droit de la mer est ce qu’elle est, mais le meilleur élément, le plus rigoureux et le plus universellement accepté de cette convention internationale est qu’aucun pays n’empêchera le transport légal et sécuritaire des navires sur les océans. Ce ne sont sans doute pas les mots exacts, mais les zones économiques exclusives et les eaux territoriales ne peuvent entraver l’accès aux eaux navigables.

Si je dis cela, c’est parce que je ne pense pas qu’il soit nécessaire d’avoir une disposition d’urgence, en quelque sorte, prévoyant que si un navire passant dans une zone de protection marine se trouve dans une situation mettant en danger la vie d’êtres humains, ou mène des activités causant de la pollution ou contrevient aux règles de la zone — et, bien sûr, vous devrez vérifier cela auprès de quelqu’un qui connaît bien la loi —, mais je pense qu’il est déjà acquis que les précautions de cette nature l’emporteront sur la relativement récente Loi sur les océans sur ce point. C’est mon opinion.

Le président : Merci, monsieur Hatcher.

La sénatrice Petitclerc : Je vous remercie tous les deux de vos observations.

Monsieur Hatcher, vous avez mentionné quelque chose qui a retenu mon attention et soulevé une question. Vous avez dit que ce projet de loi ne contient rien qui ait déjà été fait ailleurs. J’aimerais savoir ce que vous pensez de la place que nous occupons dans le monde pour ce qui est de la protection des océans, en particulier pour ce qui est de ce projet de loi. Sommes-nous un chef de file en matière de pratiques exemplaires? Ce projet de loi est-il audacieux? Rattrapons-nous le retard que nous avons par rapport au reste de la planète? J’aimerais avoir une perspective mondiale en quelque sorte.

M. Hatcher : Monsieur le président, qui devrait prendre la parole en premier?

Le président : Je vais vous laisser commencer.

M. Hatcher : Voici une courte réponse à une question importante : le Canada n’est pas un chef de file. Le Canada se trouve en bas de la médiane sur la liste, si j’ose dire, des pays de l’OCDE quand il s’agit de l’étendue de l’espace océanique protégé et de la qualité des mesures d’application de la loi. Le Canada tire beaucoup de l’arrière tout particulièrement dans le cas du zonage multi-usages de l’espace océanique.

Dans l’exemple australien, qu’on cite souvent comme le meilleur exemple dans le monde, ce qu’ils appellent le parc marin de la Grande Barrière de corail, qui couvre quelque 35 000 kilomètres carrés dans l’océan, n’est pas une zone protégée en totalité. C’est une zone comprenant des centaines de zones clairement délimitées dont certaines sont totalement protégées de toute intrusion humaine, à l’exception de l’entrée non invasive et autorisée des scientifiques qui procèdent à des études ne causant aucun dommage et ne détruisant rien, et de la pêche au chalut. Le zonage multi-usages est l’idée mise de l’avant par les humains pour compartimenter notre utilisation des ressources terrestres.

Brett en a parlé dans ses commentaires et je vais lui demander d’étoffer. J’ai l’impression que le Canada est sous la moyenne. Nous pouvons être fiers de certains éléments, mais nous ne sommes pas un chef de file.

M. Favaro : J’allais citer aussi l’exemple de l’Australie comme chef de file. Le terme utilisé est « planification de l’espace marin ». Dans la loi, on parle de « planification de la gestion intégrée ». La planification de l’espace marin renvoie essentiellement à l’idée de séparer les zones d’une ville en parcelles, c’est-à-dire en zones industrielles, commerciales et résidentielles, qu’on applique à l’océan. Dans certains cas, il s’agit de parcs où rien n’est permis.

Nous avons quelques exemples intéressants au Canada, comme l’initiative MaPP B.C. dans le Nord de la Colombie-Britannique dans le cadre de laquelle les gouvernements autochtones et le gouvernement provincial, parfois avec et parfois sans Pêches et Océans, ont mis en commun toutes les données et tout le savoir traditionnel afin de créer leur propre plan de zonage et déterminer ce qui peut être fait et où.

Cela peut servir à stimuler l’investissement. Il ne s’agit pas uniquement de protection. Prenons l’exemple du Rhode Island aux États-Unis et de son initiative Ocean SAMP. L’État a essentiellement examiné sa zone océanique pour déterminer où on pouvait, par exemple, placer des éoliennes en mer, où on pouvait pêcher, où on pouvait faire ceci ou cela. Ce faisant, on ouvre la porte aux investissements dans des projets considérés comme bons à réaliser dans un certain type d’espace.

C’est ce à quoi j’ai fait allusion quand j’ai parlé de planification de la gestion intégrée. Nous ne sommes pas un chef de file dans ce domaine, mais nous pourrions l’être. Le libellé de la loi le permettrait. Il faudra procéder à la mise en œuvre et fournir le financement pour que les projets puissent éclore.

La sénatrice Petitclerc : Très brièvement, croyez-vous que ce projet de loi nous aidera à nous rapprocher de là où nous devrions être?

M. Favaro : Oui. Si nous découvrons, disons, un récif d’éponges siliceuses quelque part, une chose irremplaçable, un organisme important qui compose l’habitat des fonds marins, alors le projet de loi permettrait au ministre de dire : « Nous n’avons pas de temps à perdre. Si le filet d’un chalutier passe ici, si quelqu’un y jette ses engins de pêche, tout disparaîtra. » Le projet de loi permettrait de tracer un cercle autour de la zone, de la réserver et de réfléchir aux activités qui peuvent s’y mener en toute sécurité. Je pense que c’est important et un premier pas dans la bonne direction.

Le président : J’aimerais simplement vous transmettre un message de la part de nos techniciens. Lorsqu’un témoin parle, nous ne pouvons pas parler. Lorsque nous parlons, les témoins doivent attendre quelques secondes avant de parler, car la technologie ne permet pas d’entendre deux personnes en même temps. Pensez-y, s’il vous plaît.

La sénatrice Bovey : Merci beaucoup. J’aimerais vous remercier tous les deux de vos exposés. C’était très intéressant. Plusieurs mots ont retenu mon attention. Monsieur Hatcher, j’aimerais vous dire tout d’abord que vos cartes sont fascinantes. Je fais partie de ceux qui croient aux cartes et aux informations visuelles. Je tiens à vous remercier de la documentation que vous nous avez fournie.

Ce qui ressort de vos exposés est, selon moi, que vous appuyez tous les deux le projet de loi. J’espère ne pas me tromper. J’ai quelques questions. Premièrement, pensez-vous qu’il existe une situation où une zone de protection marine peut ne pas atteindre les objectifs importants que vous avez mentionnés?

M. Hatcher : Oui, et un bon exemple est le cas où l’océan sert à des fins ayant une importance sociale, culturelle et économique démontrée, par exemple à l’industrie extractive ou autre, et qu’il faut alors faire, ou que le risque est élevé de devoir faire, un compromis important entre biodiversité et productivité. Cela crée deux problèmes. Disons de prime abord qu’une protection partielle, minimale, entre en contradiction avec le P de protection et ne respecte pas vraiment l’esprit de la Loi sur les océans et des zones de protection marine.

Cela se produit très souvent. La nouvelle zone de protection marine au Canada, et la plus vaste, est celle du banc de Sainte-Anne, au large du Cap-Breton, à mi-chemin en direction de Terre-Neuve. On y trouve un grand nombre d’endroits où la pêche au filet maillant de fond, et même aux engins mobiles de fond, est permise. Je pense qu’on érode le sens de zone de protection marine quand on commence à délimiter une zone multi-usages — une zone à utilisation de l’espace marin planifiée — et à appeler cela une zone de protection marine. C’est un peu de la triche, vraiment.

Je dois dire aux membres du comité que cela traduit, à tout le moins selon l’interprétation politiquement simpliste que j’en fais, un effort de mousser le nombre de kilomètres carrés ou d’hectares dans le dessein d’atteindre l’objectif magique de 10 p. 100 d’ici 2020 qui permettrait au pays de se placer au sommet de la gouvernance mondiale, de même que notre détermination à prendre tous les moyens nécessaires pour y arriver, même si cela veut dire que certaines zones ne sont pas des zones de protection marine, mais bien des zones multi-usages.

À mon avis, nous avons déjà beaucoup d’exemples où une zone de protection marine n’est pas la bonne approche de gestion.

M. Favaro : Si je ne m’abuse, la question s’adressait à nous deux. J’aimerais donc ajouter quelque chose. Il se pourrait aussi que les zones de protection marine ne soient pas le bon outil pour atteindre l’objectif souhaité lorsque l’espèce que nous voulons protéger a un habitat très vaste et que nous ne protégeons qu’une petite partie de cet habitat. Le poisson sort alors constamment de la zone de protection marine.

Il se pourrait que la zone de protection marine soit trop petite et n’englobe pas toute la zone que nous voulons protéger.

Pour ajouter au point précédent qui a été soulevé, si quelqu’un veut démontrer que les zones de protection marine ne fonctionnent pas — pas vous précisément, madame la sénatrice, mais n’importe qui —, si un théoricien veut prouver que ces zones ne fonctionnent pas, il peut choisir des zones qui n’offrent pas de protection contre les dangers connus. Il examine alors ces zones et se rend compte qu’elles n’atteignent pas les objectifs. Il utilise alors ces exemples pour miner le concept des zones de protection marine dans son ensemble.

L’idée de protéger des habitats est absolument et fondamentalement bonne. Si on permet à un élément de continuer à nuire à l’habitat, cela ne fonctionne pas. On donne alors l’impression que c’est tout le concept qui ne fonctionne pas.

C’est pourquoi il est important d’être clair, et c’est pourquoi de nombreux groupes demandent à ce que les zones de protection marine soient assorties de normes minimales. On sait alors que l’appellation a un sens.

La sénatrice Bovey : Dans une des diapos, on comparaît les aires protégées terrestres à celles en haute mer. Vous avez fourni un graphique sur la gestion des zones de protection marine. Vous avez parlé de gestion adaptée. Quand je regarde les mots que vous avez utilisés, vous avez parlé tous les deux de mise en œuvre, de surveillance et de sonnette d’alarme — je suis sans doute trop alarmiste en utilisant ce mot —, soit qu’on n’en fait pas assez pour surveiller et gérer les zones de protection marine que nous avons et celles que nous mettrons en place dans l’avenir.

Pourriez-vous nous parler un peu tous les deux de la mise en œuvre, de la surveillance et des fonds supplémentaires nécessaires, et de la façon de quantifier cela? Quel type de mise en œuvre pourrait-on faire qui ne se fait pas actuellement?

M. Favaro : Je vais vous donner un exemple précis. Au Labrador, il y a la zone de protection marine de la baie Gilbert. J’ai participé à une rencontre de scientifiques qui évaluaient si cette zone « fonctionnait », à partir de différents paramètres. Quand on examine une zone de protection marine, un des problèmes est qu’on ne peut pas examiner uniquement ce qui se passe à l’intérieur de la zone. Disons que la population de poissons est en hausse. Est-ce dû à la zone ou est-ce parce que les pêcheries ont été bien gérées d’une autre façon? Ou est-ce simplement dû à une augmentation de l’abondance dans l’océan? Ou est-ce parce que les conditions environnementales y étaient propices?

Les scientifiques n’avaient pas un site adjacent pour faire des comparaisons. On ne pouvait pas déterminer si la zone de protection marine était responsable de cet état de choses.

Dans un bon concept de zone de protection marine, on doit s’assurer notamment qu’au moment de financer les études de suivi pour déterminer si la création de la zone a donné lieu, par exemple, à une augmentation de la population de poissons, on doit avoir un site de comparaison extérieur — et nous pouvons discuter de ce que cela veut dire — pour l’examiner également. De cette façon, on examine ce qui s’est passé dans les deux en même temps pour déterminer si la zone a donné les résultats attendus, ou si ces résultats sont causés par autre chose.

M. Hatcher : C’est un bon point. C’est vraiment essentiel à mes yeux, et je pense aussi qu’il faut faire un suivi à ce sujet. On revient cependant à un bien fondamental au sujet des zones de protection marine : c’est une de ces choses qui peuvent être mesurées principalement en termes d’extrants, et non de résultats. L’objectif est d’avoir certains niveaux de zones de protection. On mesure le succès au nombre d’hectares de zones de protection que l’on a.

On ne mesure pas le succès par le nombre d’espèces dans l’océan. On ne le mesure pas par les changements dans la productivité de l’océan. On ne le mesure pas par les avantages qu’en retirent les collectivités adjacentes. Ce ne sont pas les paramètres indiqués.

On parle seulement du nombre d’hectares qui sont protégés, et le mot « protection » est assorti d’une définition plutôt boiteuse.

En résumé, si nous n’avons pas les moyens de procéder à la mise en œuvre — y compris à l’étape essentielle, très coûteuse et chronophage, de la mesure de l’efficacité — si nous n’avons pas les moyens de le faire, devrait-on se donner la peine de créer des zones de protection marines? Je pense que la planète s’est déjà prononcée sur la question. De nombreux pays possédant beaucoup moins de ressources que nous, tant financières qu’humaines, ont mis de l’avant des plans ambitieux.

Je vais vous parler d’un pays dans lequel j’ai habité pendant quatre ans, Saint-Vincent-et-les-Grenadines. Pour être honnête, lorsque j’y étais, je pense qu’il y avait huit personnes dans tout le pays qui possédaient un diplôme en sciences marines. Ils avaient été audacieux dans la façon de concevoir leurs zones de protection marine en faisant des actes de foi face à la méconnaissance du mode de fonctionnement des océans et à une connaissance incomplète des effets de l’activité humaine. Il est sensé de dire « Peu importe ce qu’on ne sait pas et ce qu’on ne peut pas savoir, nous allons cesser la pêche, l’exploitation des ressources et les déversements dans ces zones ».

Le nombre d’hectares ou de kilomètres de zones de protection devient alors la mesure finale.

J’espère que le Canada, un des pays les plus riches du monde, où je ne peux aller prendre un verre dans un bar de Halifax sans rencontrer cinq scientifiques titulaires d’un doctorat, j’espère qu’il peut faire mieux, mais ce n’est pas le cas.

La sénatrice Bovey : Lorsque vous évaluez, surveillez et mettez en place des zones de protection marine dans les endroits où la consultation des Autochtones est absolument essentielle, incluez-vous le savoir autochtone?

M. Favaro : En fait, je pense que la côte nord de la Colombie-Britannique est un exemple qui montre que le rôle prépondérant des Autochtones peut aider à déterminer l’emplacement des zones de prime abord.

On a procédé à une étude intéressante en prenant les données scientifiques occidentales, si on veut, et le savoir autochtone, et on a demandé aux deux groupes de déterminer où placer les zones de protection marine. Les deux se recoupaient bien.

Il faut que le savoir autochtone en fasse partie, tout à fait. Le savoir autochtone a prouvé à maintes reprises son importance cruciale et sa grande efficacité pour déterminer l’emplacement des zones et la façon de les gérer. Je dirais que les Autochtones doivent participer, absolument.

M. Hatcher : Je conviens que la côte nord-ouest de la Colombie-Britannique, pour diverses raisons, et le lien des peuples autochtones avec la mer dans la région n’étant pas la moindre, est un exemple dont on pourrait discuter — même si je ne pense pas qu’il s’agisse d’un âpre débat — et le meilleur exemple d’une approche véritablement intégrée et d’une planification de l’espace marin qui englobent les zones de protection marine, mais également la réglementation des pêches et des transports, et qui englobent non seulement les idées et le savoir, mais aussi les techniques des Autochtones dont l’utilisation a été éprouvée par le passé.

Il s’agit également d’une histoire récurrente dans les pays en développement ou moins développés de l’Océanie, des États archipels dans le monde où on a la preuve solide et de longue date de l’existence d’espaces protégés et d’un accès aux ressources limité dans le temps et l’espace prédatant la colonisation, le droit de la mer, les Nations Unies et tout cela, bien avant les empires. Il n’y a donc pas de doute à ce sujet.

Vous vouliez savoir, toutefois, si j’ai eu connaissance d’une intégration officielle du savoir environnemental traditionnel autochtone et des méthodes de gouvernance autochtones dans la gestion des activités humaines dans les zones de protection marine au pays. Non, pas sur la côte Est, en tout cas.

Le président : Merci, monsieur Hatcher. J’aimerais faire quelques remarques : bon nombre des questions que nous avons posées s’adressaient aux deux professeurs. Les responsables de la technologie ici m’informent que je dois identifier la personne qui prendra la parole en premier. Ils ont pour tâche de faire le suivi. Tout cela est nouveau pour nous. C’est donc ce que je ferai à partir de maintenant si une question s’adresse aux deux témoins.

Je ne veux pas interrompre l’excellente conversation que nous avons ici ce matin. Il nous reste environ une demi-heure, et trois autres sénateurs souhaitent poser des questions. Je demande donc aux intervenants et aux témoins de garder cela à l’esprit.

La sénatrice Busson : Ma question s’adresse à M. Favaro. J’ai vraiment été frappée par vos deux exposés et je tiens à vous remercier d’avoir résumé une foule de connaissances scientifiques pour nous expliquer — à nous, simples profanes — la méthode scientifique. À l’instar de la sénatrice Bovey, je vous suis vraiment reconnaissante d’avoir inclus des cartes et des graphiques dans vos deux présentations.

M. Favaro m’a déjà donné quelques pistes de réponse. Vous avez parlé des possibilités. Vers la fin de votre exposé, vous avez dit quelques mots sur les changements climatiques et la décarbonisation. J’aimerais beaucoup savoir si les zones de protection marine seraient un supplément, un complément ou une solution de rechange dans le monde que vous avez décrit, c’est-à-dire en ce qui concerne l’utilisation de technologies sans émissions dans l’océan; vous avez laissé entendre qu’il y a peut-être quelque chose qui nous échappe ou qu’il existe une autre solution ou un autre aspect. Je me demande si les zones de protection font partie de ces mesures, ou s’agit-il là d’une autre paire de manches?

M. Favaro : Voici un des points importants à comprendre au sujet des changements climatiques : même si j’estime, en général, qu’il est possible de construire, par exemple, un parc éolien en mer qui produirait de l’électricité sans émissions, on aurait tout de même intérêt à l’installer dans un endroit où il ne nuirait pas à la biodiversité, c’est-à-dire hors de la trajectoire migratoire des oiseaux. Voilà un des aspects.

De nombreuses recherches ont montré que l’amélioration de l’intégrité de la biodiversité peut, en soi, aider à lutter contre les changements climatiques. Par exemple, il faut préserver l’habitat des fonds marins. Supposons qu’il existe quelque part un récif rocheux qui joue un rôle important pour l’approvisionnement des populations de poissons; à mesure que les changements climatiques s’intensifieront, nous aurons de plus en plus de difficulté à trouver ce genre d’endroits propices à la pêche et à l’aquaculture.

Ce type de planification intégrée est d’une grande importance pour déterminer comment renforcer la résilience à l’avenir.

Par ailleurs, et c’est un point qui a été soulevé par d’autres témoins, les changements climatiques surviendront, que nous réussissions ou non à assurer la décarbonisation. Il y aura toujours un certain degré de changements climatiques. Cela signifie que la gestion adaptative est importante, comme M. Hatcher l’a mentionné. Une zone de protection pourrait sembler idéale aujourd’hui, mais cela risque de changer radicalement dans certains cas.

Nous devons prendre la situation en main. Si ce que nous essayons de protéger se trouve à un seul endroit, mais se met ensuite à se déplacer ailleurs, nous devons trouver des moyens pour nous assurer de ne pas perdre cet avantage en y instaurant d’emblée une zone de protection marine.

Le vice-président : Monsieur Hatcher, avez-vous quelque chose à ajouter, ou devrions-nous passer au prochain intervenant?

M. Hatcher : Non. Je pense que c’était une bonne question et une bonne réponse.

Le sénateur Christmas : Merci, messieurs Favaro et Hatcher, de prendre le temps de vous joindre à nous. Nous vous sommes reconnaissants de votre témoignage et de vos observations sur le projet de loi C-55.

Ma question s’adresse à vous deux. Je vais commencer par M. Favaro.

Vous vous êtes prononcé en faveur de l’établissement de normes minimales pour les zones de protection marine. Ces normes minimales devraient-elles être inscrites dans la Loi sur les océans? Le cas échéant, à votre avis, quelles normes minimales devraient être prévues dans la loi?

M. Favaro : Je m’en remettrais aux lignes directrices de l’Union internationale pour la conservation de la nature, l’UICN.

Relativement à la première partie de la question, qui consiste à savoir si ces normes devraient figurer dans la loi, je vous laisserai le soin d’en décider puisqu’il s’agit d’une question de procédure. Je suis conscient que nous intervenons tard dans le processus, et il est peu probable que la loi subisse d’importantes modifications.

Est-ce qu’il serait bien de voir des normes minimales dans la loi? Oui, tout à fait, mais je ne sais pas si c’est faisable. En tant que scientifique, je dirai que oui, nous devrions avoir des normes minimales. Quant à savoir si c’est possible, ce n’est pas de mon ressort.

À quoi cela pourrait-il ressembler? Tout d’abord, je me reporterais aux renseignements fournis par Océans Nord. Je sais qu’une alliance d’ONG a soumis des documents à ce sujet; West Coast Environmental Law a également exprimé son point de vue là-dessus.

Par ailleurs, l’UICN a défini de manière précise différents niveaux. Je pense qu’il y en a sept ou huit. J’ai un trou de mémoire, et M. Hatcher pourra peut-être me venir en aide, mais ces niveaux varient, allant des zones où l’exploitation est entièrement interdite jusqu’aux différents types de zones où il est permis de mener des activités ayant moins d’incidence. Ainsi, l’écotourisme y serait permis, mais pas la pêche.

Bref, l’UICN a déjà fait tout le travail. Ma suggestion est donc la suivante : au lieu de réinventer la roue, remettons-nous-en aux normes élaborées par cette organisation internationale, normes auxquelles de nombreux Canadiens ont contribué, et utilisons-les comme guide.

Peu importe que cela se fasse aux termes de la loi ou dans le cadre de la mise en œuvre, il s’agit d’un point de départ que je préconiserais.

Le sénateur Christmas : Merci, monsieur Favaro.

Monsieur Hatcher, j’ai lu vos notes. Au bas de la page 7, vous faites une déclaration, et j’aimerais obtenir plus de précisions à ce sujet. Vous dites que le projet de loi C-55 ne prévoit aucune exigence explicite en matière de surveillance scientifique et socioéconomique durant la période de transition ni aucun financement réservé à cette fin, et vous ajoutez que ces omissions constituent les principales lacunes de la mesure législative proposée.

Pouvez-vous nous expliquer pourquoi, d’après vous, ces lacunes doivent être corrigées?

M. Hatcher : Oui, merci. Elles doivent être corrigées parce que si nous continuons à désigner des zones de protection marine comme nous l’avons fait dans le passé, selon une approche qui consiste à examiner le cycle complet, c’est-à-dire un processus de 7 à 10 ans, lequel aboutit à quelque chose de monolithique et essentiellement d’immuable, ou à une situation que l’on peut très difficilement changer, personne n’ouvrira cette boîte de Pandore.

N’oubliez pas les observations de M. Favaro sur la façon dont la variation de la température des océans justifie la nécessité de prévoir une certaine souplesse dans la délimitation des zones de protection marine.

Nous en sommes à examiner cette modification graduelle qui permet une désignation ministérielle rapide, suivie, si vous le souhaitez, d’une période d’essai de cinq ans, mais si nous ne faisons pas en sorte que les renseignements nécessaires pour prendre une bonne décision à la fin de la période d’essai de cinq ans soient recueillis, colligés et mis à la disposition des décideurs, alors nous serons aux prises avec la cacophonie actuelle avant chaque désignation, c’est-à-dire des interventions de dernière minute de la part de personnes qui veulent pouvoir continuer de pêcher dans la zone ou qui ne veulent pas qu’une mesure vienne entraver leur droit de forer des puits de pétrole, ou peu importe.

Ceux qui prennent la décision n’auront aucun fondement pour dire : « Non, nous sommes désolés, mais les avantages sont tels que nous allons interdire l’extraction de telle ou telle ressource. »

Nous continuerons d’utiliser cette approche plutôt simpliste, selon laquelle la zone de protection marine est un article de foi, et il suffit de dire qu’environ 10 p. 100 de notre superficie océanique totale fait l’objet d’un certain niveau de protection. Nous ne savons pas si cela fonctionne, mais bon, nous avons atteint notre objectif de 10 p. 100. Nous devrions faire mieux que cela, et nous en avons maintenant l’occasion grâce à cette mesure législative.

Si vous me le permettez, j’aimerais ouvrir une petite parenthèse. Je suis un professeur de longue date, et bon nombre de mes étudiants travaillent maintenant dans la Division de la gestion côtière et des océans, ici, sur la côte Est, à l’Institut océanographique de Bedford. Je ne citerai pas leurs mots exacts. Je me contenterai de vous dire qu’ils se sentent paralysés. Ils savent ce qu’il faut faire, mais ils ne peuvent pas le faire.

Ce n’est pourtant pas par manque de volonté ou de compétence. Ce n’est même pas parce que les dirigeants ne comprennent pas clairement les divers types d’information. C’est tout bonnement parce qu’il n’y a pas d’argent pour effectuer le travail. Selon moi, c’est ce qui pose problème. À mon avis, et je me trompe peut-être, il est possible, dans une telle loi, d’apporter des précisions à cet égard ou d’ordonner au ministère de consacrer des ressources à un objectif particulier. C’est ce que je propose ici.

Le sénateur Christmas : Merci beaucoup.

Le sénateur McInnis : Je suis heureux de vous entendre tous les deux. Manifestement, vous connaissez ce domaine à fond.

J’ai quelques brèves questions à vous poser. Monsieur Hatcher, je crois que vous avez dit qu’il y a 160 000 zones de protection marine dans le monde. En fait, c’est ce que je crois avoir lu. Vous avez dit que l’objectif est de protéger, d’ici 2020, 10 p. 100 de notre littoral océanique, ce qui n’est pas fameux. Et nous sommes loin d’y arriver. J’aimerais savoir ce que vous avez à dire sur le pourcentage qu’il faudrait réellement viser.

Je voudrais également poser une autre question. Normalement, les zones de protection marine sont là pour maintenir l’intégrité de nos écosystèmes, et le recours à une approche préventive signifie qu’il n’est pas nécessaire d’effectuer des travaux scientifiques. Ce n’est pas une condition préalable pour aller de l’avant. Selon toute vraisemblance, la science établit les objectifs qui doivent être surveillés. Si aucun travail scientifique n’est mené sur une période de cinq ans, est-ce que le processus est terminé?

Quelles sortes d’activités scientifiques ou d’enquêtes sont effectuées avant que le ministère des Pêches et des Océans désigne une zone de protection marine et donne le feu vert pour mener des consultations et tout le reste?

Je suis désolé, cela fait trois questions, mais pourriez-vous nous dire quelques mots là-dessus?

M. Hatcher : Je vais essayer de donner des réponses concises.

Un taux de 10 p. 100 est un bon objectif parce que ce n’est pas encore chose faite. C’est le strict minimum. De nombreux pays ont d’ailleurs décidé de dépasser cet objectif. Ce ne sont pas des arguments principalement de nature scientifique. Il s’agit plutôt d’arguments axés sur la gestion et la répartition des risques. Nous n’avons vraiment pas les données scientifiques nécessaires.

Le Canada jouit d’un vaste espace océanique. Il s’agit surtout de déterminer comment choisir 10 p. 100 du total. Pour ma part, je préférerais nettement avoir 7 p. 100 de zones sélectionnées avec expertise, plutôt que 20 p. 100 de tous les endroits où personne ne veut aller parce qu’on n’y trouve rien.

En ce qui a trait au deuxième aspect, je ne voudrais pas que vous ayez l’impression que l’approche préventive signifie que nous n’avons pas besoin de travaux scientifiques. Je ne pense pas que ce soit le cas. J’ai laissé entendre que, compte tenu de la façon dont les zones de protection marine sont utilisées pour mettre en œuvre l’approche prévention, il y a lieu de procéder en l’absence de travaux scientifiques, mais cela ne signifie pas que nous n’avons pas besoin d’études scientifiques, surtout si nous allons faire les choses comme le prévoit le projet de loi C-55. Selon l’application nuancée du principe de la prévention, en l’absence de données scientifiques complètes — et j’estime que les données scientifiques ne sont jamais complètes —, nous ne devrions pas éviter de prendre des décisions qui privilégient la prudence.

Pouvez-vous répéter la troisième question? J’en suis désolé.

Le sénateur McInnis : Comment surveillez-vous la situation si vous n’avez pas effectué au préalable les études scientifiques nécessaires? Telle est la question, je suppose. La science est censée établir une série d’objectifs, n’est-ce pas? Comment assurez-vous une surveillance si les études scientifiques n’ont pas été réalisées sur une période de cinq ans? Quand sont-elles effectuées? Sinon, que surveillons-nous? Qu’examinons-nous? Que protégeons-nous?

M. Hatcher : Brett, pourquoi ne répondriez-vous pas à cette question? Vous participez au processus plus directement que moi.

M. Favaro : Comment surveille-t-on la situation? Voilà la quatrième question, je crois. Si je ne me trompe pas, la première était de savoir quelle zone devrait être sélectionnée; la deuxième portait sur l’absence d’études scientifiques; la troisième était de savoir quels travaux d’enquête sont menés pour établir les zones prioritaires au départ.

Je vais commencer par votre dernière question.

D’habitude, la surveillance est effectuée en fonction des objectifs énoncés pour une zone de protection marine.

Ainsi, l’objectif pourrait être d’assurer l’intégrité de l’habitat. Nous voulons nous assurer que les nombreuses éponges qui couvrent un récif rocheux au fond de l’océan seront toujours là après une période prolongée. Il s’agirait donc de les surveiller, en faisant de la plongée sous-marine ou en utilisant un submersible. On fait le suivi au fil du temps et on s’assure que le tout est stable ou à la hausse.

Il peut aussi s’agir d’une population locale de poissons ou d’un invertébré. Vous pouvez choisir n’importe quelle variable — la chose que vous essayez de mesurer —, pourvu que ce soit logique sur le plan écologique. Vous verrez que les objectifs varient d’un écosystème à l’autre parce que vous essayez de protéger différentes choses. C’est à cela que je voulais en venir tout à l’heure lorsque j’ai dit qu’il faut financer la surveillance à l’extérieur de la zone de protection marine pour pouvoir en déterminer l’incidence. Ainsi, une amélioration pourrait être attribuable tout simplement à l’existence de bons règlements sur la pêche.

Quels travaux d’enquête effectue-t-on? Pour l’heure, on détermine les sites d’intérêt qui contiennent un habitat d’importance écologique. À la lumière de certains éléments de preuve préliminaires, le ministère des Pêches et des Océans recense une foule d’éponges de mer dans le fond marin. Ce sont des invertébrés qui jouent un rôle important pour l’habitat, et les poissons grandissent là-bas; on peut ensuite les pêcher parce qu’ils évoluent dans cet habitat. Le ministère dirait donc que c’est un site d’intérêt qui mérite d’être étudié plus en détail. Cela déclencherait le reste du processus lié aux zones de protection marine.

Si le projet de loi C-55 était adopté et qu’on découvrait un récif d’éponges d’une très grande importance, le ministre pourrait peut-être délimiter la zone et dire : « Nous devons réserver cet endroit pour l’instant jusqu’à ce que nous sachions ce qu’il contient, après quoi nous devons déterminer quel type de pêche il est possible de pratiquer là-bas en toute sécurité, sans compromettre l’habitat. »

Le Congrès mondial sur les parcs de l’Union internationale pour la conservation de la nature est un forum mondial de concertation qui porte sur la question de la protection axée sur les zones. Ses participants ont recommandé que 30 p. 100 des océans du monde soient assujettis à une forme de désignation de zone de protection marine. Leur objectif était donc beaucoup plus élevé que la cible énoncée de 10 p. 100. Voilà un exemple d’organisme qui a préconisé un pourcentage plus élevé.

Enfin, en ce qui concerne le fait que des études scientifiques n’ont pas été effectuées, cette question est liée à la notion de certitude. L’approche de précaution est liée à la certitude. En ma qualité de scientifique, si je publie un document, quel est le critère que j’utiliserai pour évaluer le degré de certitude associé à son contenu? D’un point de vue philosophique, le degré de certitude devrait s’élever à 95 p. 100. Si vous vous penchez sur l’analyse statistique, vous comprendrez que nous essayons essentiellement de montrer que la probabilité que l’effet observé soit réel s’élève à 95 p. 100. S’il s’agissait d’une ZPM, nous voudrions nous assurer à 95 p. 100 que la ZPM a un effet bénéfique. Cette barre est haute — plus haute que celle que la société utilise pour prendre la plupart de ses décisions.

L’approche de précaution vise en réalité à abaisser cette barre à un niveau sensé du point de vue du décisionnaire. Si vous savez qu’un récif existe, vous ne pouvez pas être certain à 95 p. 100 que ce récif revêt une grande importance pour une population de poissons donnée. Mais, en vous basant sur vos capacités de déduction et sur ce que nous savons du rôle des récifs dans la croissance des populations de poissons, vous pouvez être pas mal sûr que le récif importe beaucoup. Voilà la distinction que je ferais.

Je ne crois pas que qui que ce soit soutienne qu’il faut abandonner complètement la science. Cette approche permet d’abaisser la barre de prise de décisions, afin que vous puissiez intervenir avant d’atteindre un degré de certitude de 95 p. 100, ce qui pourrait ne pas être réalisable si le récif est détruit par des activités industrielles.

Le sénateur Gold : J’ai une observation supplémentaire à formuler, d’avocat à avocat. Je suis un ancien diplômé en sciences sociales. Le principe de précaution et sa relation avec le degré de certitude apporté par les études scientifiques, c’est vraiment comme le fardeau de la preuve, je suppose. Il y a la preuve hors de tout doute raisonnable, il y a la preuve selon la prépondérance des probabilités et, parfois, il y a des soupçons raisonnables, ce qui représente une norme encore moins exigeante, mais il arrive que ce soit le degré approprié de certitude pour prendre quelques précautions, que ce soit en arrêtant quelqu’un dont l’haleine sent l’alcool ou en prenant d’autres mesures. Voilà comment j’envisage la chose.

Je vous suis également très reconnaissant de la façon convaincante dont vous avez souligné l’importance d’affecter les ressources humaines et financières qui s’imposent pour nous assurer que nous obtenons les résultats escomptés pendant le déroulement du processus. Ainsi, nous saurons que nous avons vraiment accompli quelque chose, et non coché simplement une case sur un graphique. Merci.

Le sénateur McInnis : C’est très bien dit. Les ZPM ou la désignation d’une zone d’intérêt sans préavis causent un certain degré de consternation chez les pêcheurs et chez un certain nombre d’autres intervenants qui gagnent leur vie sur l’eau. Je traverse une situation de ce genre en ce moment; aucun préavis, aucun travail d’enquête. Il me semble qu’il s’agit d’un comité de mise en œuvre, et non d’un comité de consultation. Cela pose des difficultés. Je ne crois pas que des travaux préparatoires aient été réalisés. Je ne le crois vraiment pas. Voilà ce que je reproche à cette approche. J’ignore ce qui cloche dans le système qui est en place en ce moment, et je l’ai déjà indiqué au comité. Oui, le processus durait huit ans, peut-être même dix ans, mais les responsables faisaient bien les choses. Ils ne se tenaient pas devant nous en désignant des zones. Bon nombre de pêcheurs de l’industrie sont très inquiets au sujet de ce processus de désignation, car ils le perçoivent comme un fait accompli.

M. Hatcher : Je vous remercie de vos observations. En gros, les Canadiens n’aiment pas les ZPM. Ce qui nuit le plus à l’atteinte des objectifs de la Loi sur les océans, c’est la relation hostile qui s’est établie entre le ministère et la grande majorité des utilisateurs des océans. Et par « utilisateurs des océans », je n’entends pas seulement les pêcheurs et les intérêts de l’industrie de la pêche, même si ce sont eux qui sont touchés immédiatement par les effets de l’interdiction d’extraire des ressources de certaines zones au Canada et dans le monde entier.

Honorable sénateur, je conviens avec vous que la façon dont ce travail est accompli comprend un grand nombre de travaux de préparation effectués par des scientifiques de Pêches et Océans Canada, mais aussi des gestionnaires. En plus de dresser la carte des récifs et des différentes sortes d’habitats marins, ils dressent aussi le plan de toutes les activités humaines. Mais, dans la plupart des cas, ces travaux sont réalisés en laboratoire ou en examinant des ensembles de données stockées sur des ordinateurs. Ils ne sont pas accomplis en parlant à des utilisateurs. Les discussions ont lieu une fois que les zones d’importance écologique et biologique (ZIEB) ont été cartographiées et qu’un premier emplacement présumé a été choisi pour la zone de protection marine. Ce choix fait par la suite l’objet de négociations et de discussions qui, dans la plupart des cas, sont très conflictuelles et acrimonieuses, ce qui est malheureux.

Il faut restructurer complètement le processus qui sous-tend l’approche adoptée pour déterminer la zone marine à protéger.

Non seulement cette loi ne précise aucunement le processus à suivre pour déterminer les zones, mais elle permet que le processus actuellement en vigueur, c’est-à-dire la désignation de ZIEB — une étude à distance qui aboutit à la proposition d’une zone qui est présentée par la suite à la collectivité —, soit court-circuité par un décret ministériel pendant une période de cinq ans.

À moins que les choses changent considérablement entre le ministère et les groupes d’utilisateurs pendant cette période, la situation peut se retourner contre le ministère et se solder par un nombre de désignations réussies inférieur, plutôt que supérieur. Merci.

Le sénateur Gold : Merci. Je vous suis vraiment reconnaissant de vos dernières observations parce qu’en fait, elles interpellent effectivement les membres de notre comité. Elles font écho aux témoignages que nous avons entendus de la part des collectivités autochtones, de la communauté des pêcheurs et d’autres intervenants, et elles résument ces témoignages. Si je vous ai bien compris, vous dîtes que le processus, qui se déroule derrière des portes closes ou dans des laboratoires de recherche scientifique en vue de déterminer la zone qu’il conviendrait d’envisager, devrait être mis au grand jour et qu’une consultation précoce des membres concernés des collectivités et des gouvernements améliorerait le climat dans lequel ces processus ont lieu. Appuieriez-vous une recommandation dans notre rapport qui préconiserait des consultations plus précoces et vastes — il y a de nombreuses façons dont nous pourrions formuler cela — avec les collectivités concernées et les intervenants dans le cadre du processus qui mène à la détermination d’une zone d’intérêt et assurément dans le cadre du processus qui peut aboutir à la prise d’une décision visant à protéger provisoirement une zone?

M. Hatcher : Je l’appuierai certainement. J’irai même plus loin en affirmant que la désignation et la mise en œuvre réussies d’une zone de protection marine ne s’inscrivent pas principalement dans le cadre d’un processus scientifique naturel, mais plutôt dans le cadre d’un processus économique et sociopolitique, un processus que le ministère est mal équipé pour gérer. C’est la raison pour laquelle les rares succès que nous avons connus ici sont survenus dans des situations comme celles que Brett a décrites où d’autres organismes ont contourné le MPO pour s’atteler à la tâche. J’ai vu que vous aviez la main levée, Brett. Je vous cède la parole.

M. Favaro : Je vis à St. John’s, à Terre-Neuve-et-Labrador. L’utilisation des océans ne fait jamais l’objet de controverse ici. Par conséquent, je ne comprends pas ce dont vous parlez.

Le président : Il doit vivre dans une différente partie de la province.

M. Favaro : Pendant que nous parlons du processus scientifique qui se déroule « derrière des portes closes », j’aimerais dire qu’à mon avis, les études scientifiques sont beaucoup plus transparentes que ce qui se produit une fois que les gens ont déterminé la zone d’intérêt et qu’elle finit par être qualifiée de zone d’intérêt recommandée ou de ZPM proposée. Je vous donne l’exemple de la ZPM du chenal Laurentien. Il n’y a pas très longtemps, cette nouvelle a donné lieu à une importante couverture médiatique dans le cadre de laquelle les scientifiques présentés ont déclaré que c’était leur point de départ, qu’il y avait une zone d’intérêt assez vaste où se trouvaient des habitats très sensibles. Puis quelque chose s’est produit entre le moment où les scientifiques ont fait part de leurs points de vue et le moment où les gestionnaires ont présenté le dossier. Cet intervalle n’était pas du tout transparent, et il s’est soldé par la proposition d’une zone beaucoup plus restreinte. Je ferais valoir que, si vous faites une recommandation concernant la transparence, ce qui serait une bonne idée, elle ne devrait pas viser uniquement le processus scientifique. Elle devrait s’appliquer à tous les processus socioéconomiques et les processus de gestion.

C’est maintenant que je souhaite mentionner de nouveau le concept de planification de l’espace marin. Cela représente un peu un conflit d’intérêts puisque mon employeur, le Fisheries and Marine Institute, offre une maîtrise en planification de l’espace marin. Mon collègue, Geoff Coughlan, dirige ce programme, qui est réellement intéressant. Ce processus est participatif. Vous créez des programmes qui permettent aux gens de communiquer leurs points de vue. Ils peuvent examiner eux-mêmes les données puis, compte tenu de leur propre expérience, ils peuvent proposer des zones qu’il pourrait être logique de protéger et qui établissent un équilibre entre la conservation et les intérêts économiques immédiats. Ces processus participatifs ont beaucoup de succès à l’échelle mondiale, parce qu’ils permettent de créer des liens de confiance et de faire participer les gens, qui seront en mesure de suivre l’évolution de leur suggestion jusque dans le document final, même si elle n’est pas acceptée. Même s’ils peuvent seulement dire, « Oui, j’ai été entendu, mais, en fin de compte, il a été décidé de procéder de cette autre manière », je pense que cela est très important.

Dans le cadre de mes recherches sur les pêches, il arrive souvent que je travaille directement avec l’industrie locale et des industries à plus grande échelle, et c’est un commentaire qui est mentionné encore et encore. Les gens veulent avoir le sentiment d’avoir été entendus et respectés. C’est ce que peut faire le processus participatif de planification de l’espace marin. C’est la raison pour laquelle je l’ai mentionné au cours de mon exposé.

Le président : Merci.

Le sénateur Francis : Bonjour, messieurs. Je vous remercie de vous être joints à nous. Vous pourriez répondre tous les deux à ma question suivante. Le Comité consultatif national sur les normes concernant les zones de protection marine et d’autres groupes ont recommandé que des normes minimales de protection soient instaurées pour toutes les ZPM désignées en vertu de la Loi sur les océans. Il a été suggéré que les activités, comme les déversements et l’exploration ou l’exploitation minière, pétrolière et gazière, soient interdites. À votre avis, des activités d’exploitation minière ou d’exploration gazière exercées à proximité ou à l’intérieur des ZPM provisoires ou des ZPM en vertu de la Loi sur les océans nuiraient-elles aux poissons dans ces zones ou à leur habitat?

M. Hatcher : Quelle est la question?

Le sénateur Francis : Des activités d’exploitation minière ou d’exploration gazière exercées à proximité ou à l’intérieur des ZPM provisoires ou des ZPM en vertu de la Loi sur les océans nuiraient-elles aux poissons dans ces zones ou à leur habitat?

M. Hatcher : Merci. Ma réponse est un oui catégorique. Bon nombre des processus associés à — prenons l’exemple le plus commun — l’exploration des hydrocarbures dans les fonds marins et, si elle est fructueuse, à l’exploitation de ces ressources — mais cela pourrait s’appliquer aussi à l’extraction du sable ou de quelque chose d’autre, bien que ces activités ne soient pas très répandues dans les eaux canadiennes — nuiront à la vie marine. Cela n’est jamais remis en question. Toutefois, la question est la suivante : le fait que ces activités causeront des torts est-il suffisant pour empêcher ces activités d’être exercées dans l’océan? Voilà la question. Il y a toujours des contreparties. Par exemple, nous savons que les relevés acoustiques, les soi-disant levés sismiques, qui permettent de voir ce qui se trouve sous les fonds marins, provoquent des niveaux acoustiques qui tuent ou désorientent tous les êtres marins, du plancton microscopique aux baleines. Cela veut-il dire que nous n’aurons jamais recours aux relevés acoustiques? Ou cela veut-il dire que nous le ferons de manière à minimiser leurs effets négatifs, c’est-à-dire en choisissant le moment dans l’année où nous le faisons, en interrompant ces relevés si des baleines sont repérées ou en prenant d’autres mesures de ce genre? Je pense que nous devons reconnaître qu’il est nécessaire que nous extrayions des hydrocarbures des fonds marins et que cela fait partie de notre utilisation légitime des espaces marins de la zone économique exclusive du Canada.

En ce qui concerne le cas particulier des zones de protection marine, je tiens à mentionner également que la construction d’installations de forage apporte assurément des avantages sur le plan de la biomasse et de la diversité et productivité des espèces vivant dans la colonne d’eau, car ces installations sont essentiellement des récifs géants. Si ces installations sont exploitées de manière à ne pas polluer l’eau en déversant, entre autres, des contaminants, des produits chimiques ou des eaux usées, ce que ne font pas la plupart de ces installations, elles peuvent en fait créer ce qu’on appelle des dispositifs de concentration de poisson. Il ne fait aucun doute qu’elles enrichissent la biodiversité et la productivité. Ces installations ont donc des avantages et des inconvénients.

L’approche générale a consisté à dire que, si une ZPM existe, il ne pourra jamais y avoir d’exploration ou d’exploitation pétrolière ou gazière. C’est la décision que le Parlement australien a prise en 1975 à propos de la totalité de la Grande Barrière de corail, une décision très controversée. Il s’en est suivi que l’État du Queensland a menacé de quitter la république.

Mon point de vue personnel à ce sujet, c’est que nous ne devrions pas décréter de façon prescriptive qu’aucune plateforme pétrolière ne peut être construite dans une ZPM. J’estime que ce sont des décisions qui peuvent être prises en tenant compte de l’équilibre entre les effets et les avantages socioéconomiques.

Si vous me demandiez s’il est plus important d’exclure la production pétrolière et gazière que le chalutage de fond, je répondrais en général par la négative. Je dirais que les avantages associés à l’élimination des chalutiers de fonds sont plus importants que les risques que nous font courir les exploitations pétrolières et gazières. Voilà ce que je pense. Je n’ai pas l’impression qu’il y a une réponse évidente à la question de savoir si ces exploitations ont un effet négatif et, le cas échéant, si nous devrions interdire leurs activités. Cette question est trop simpliste.

M. Favaro : De longues discussions ont eu lieu à propos du fait que les ZPM sont un outil parmi tant d’autres qui peut être utilisé pour gérer les océans. J’aimerais attirer votre attention sur cette analogie parce que les outils sont utilisés pour accomplir différentes tâches. Un marteau sert à enfoncer des clous, et une clé à molette est utilisée pour faire tourner des boulons, et cetera. Une ZPM est un outil particulier qui sert principalement à protéger les habitats.

Ma position diverge de celle de M. Hatcher, en ce sens que j’estime qu’une installation de forage pétrolier qui a des répercussions sur les habitats pourrait porter un autre nom. On pourrait lui donner le nom de mécanisme de fermeture de la pêche dans cette zone. Je pense qu’en appelant cela une ZPM, on affaiblit la définition de ce terme. C’est comme si on disait posséder des parcs nationaux qui hébergent des plateformes pétrolières. Cela sèmerait la confusion dans l’esprit des gens quant à la signification d’un parc national. La légère nuance que j’apporte à mes propos, c’est que je comprends que des activités de forage seront exercées mais, en tant que personne préoccupée par le développement durable et le changement climatique, j’estime que ces activités ne devraient pas être encouragées dans la même mesure qu’un projet comme un parc éolien. Il peut y avoir une concentration de poissons dans cette zone, mais elle ne devrait pas être qualifiée ZPM, mais plutôt de fermeture de la pêche à des fins de forage pétrolier et gazier.

Le président : Merci. Au nom des membres du comité, je tiens à remercier nos témoins. Avant de vous dire au revoir, j’aimerais vous remercier tous les deux de la discussion intéressante et instructive que nous avons eue. Vos vastes connaissances sont une ressource dont nous bénéficierons. Nous nous réjouissons à la perspective de vous entendre de nouveau plus tard à propos d’un autre enjeu. Je vous souhaite la meilleure des chances, et je vous remercie de nouveau.

(La séance se poursuit à huis clos.)

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