Aller au contenu
POFO - Comité permanent

Pêches et océans

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Pêches et des océans

Fascicule nº 45 - Témoignages du 7 mai 2019


OTTAWA, le mardi 7 mai 2019

Le Comité sénatorial permanent des pêches et des océans, auquel a été renvoyé le projet de loi C-68, Loi modifiant la Loi sur les pêches et d’autres lois en conséquence, se réunit aujourd’hui à 17 h 8 pour examiner le projet de loi.

Le sénateur Fabian Manning (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bonsoir, je m’appelle Fabian Manning. Je suis un sénateur de Terre-Neuve-et-Labrador. J’ai le plaisir de présider la séance de ce soir. Avant de donner la parole à nos témoins, je voudrais inviter les membres du comité à se présenter.

Le sénateur Wells : David Wells, Terre-Neuve-et-Labrador.

[Français]

La sénatrice Poirier : Bonsoir. Rose-May Poirier, de Saint-Louis-de-Kent, au Nouveau-Brunswick.

[Traduction]

Le sénateur Christmas : Dan Christmas, Nouvelle-Écosse.

Le sénateur Francis : Brian Francis, Île-du-Prince-Édouard.

La sénatrice Busson : Bev Busson, Colombie-Britannique.

La sénatrice Boniface : Gwen Boniface, Ontario.

Le sénateur Campbell : Larry Campbell, Colombie-Britannique.

[Français]

Le sénateur Gold : Marc Gold, du Québec.

[Traduction]

Le président : Je tiens à informer les sénateurs que nous pouvons être rappelés au Sénat pour un vote à tout moment. Nous suspendrons nos travaux pour cette période et nous reprendrons après le vote.

Je demanderais à nos invités de se présenter et de dire qui ils représentent.

Gary Swanson, spécialiste principal de l’environnement, Manitoba Hydro : Gary Swanson, de Manitoba Hydro.

Serge A. Buy, président-directeur général, Association canadienne des traversiers : Serge Buy, de l’Association canadienne des traversiers.

Domenico Iannidinardo, président, Association canadienne des propriétaires forestiers : Domenico Iannidinardo, de l’Association canadienne des propriétaires forestiers.

Le président : Merci de prendre le temps de vous joindre à nous. Le comité continue d’étudier le projet de loi C-68, Loi modifiant la Loi sur les pêches et d’autres lois en conséquence.

Au nom des membres du comité, je crois comprendre que vous avez une déclaration liminaire. Par la suite, nous aurons des questions de nos sénateurs.

M. Swanson : Bonjour aux membres du Comité sénatorial permanent des pêches et des océans. Manitoba Hydro est reconnaissante de l’occasion qui lui est offerte de présenter un mémoire sur les modifications proposées au projet de loi C-68, Loi sur les pêches.

J’ai amorcé ma carrière de biologiste des pêches en 1985, soit il y a 34 ans, en travaillant pour la Direction de la pêche du Manitoba où j’étais chargé d’effectuer des évaluations d’impact pour des projets hydroélectriques dans le Nord du Manitoba, et ensuite à titre de responsable provincial de la gestion des programmes de la pêche du Manitoba.

Depuis 2007, je dirige la section des approbations et des écosystèmes aquatiques de Manitoba Hydro. En prenant la parole sur cette question au nom de Manitoba Hydro, je suis ici pour promouvoir des mesures raisonnables qui permettront de clarifier les rôles, d’atteindre les objectifs en matière de durabilité des pêches et de protéger les intérêts de nos clients.

À titre de société d’État provinciale et de seul fournisseur d’électricité aux clients particuliers de la province, Manitoba Hydro a le mandat de répondre aux besoins des Manitobains en matière d’énergie, de manière économique et efficace. Nous nous acquittons de ce mandat en misant sur un modèle de recouvrement des coûts. Les frais engagés par la société sont payés par nos clients au moyen des tarifs qu’ils acquittent.

En ce qui a trait au projet de loi C-68, le premier point que nous aimerions soulever est que Manitoba Hydro comprend que la question de la pêche dans les eaux intérieures relève à la fois de la compétence du Canada et des provinces, et que les questions touchant la durabilité des pêches sont de compétence fédérale, tandis que les questions n’ayant aucune incidence sur la conservation des pêches relèvent de la compétence des provinces.

À cette fin, Manitoba Hydro suggère qu’on modifie l’énoncé de l’objet pour qu’il soit cohérent et qu’il mentionne clairement que la protection du poisson et de son habitat relève de la responsabilité du Canada pour veiller à la durabilité des pêches.

Vu le libellé actuel des deux articles distincts, nous pouvons raisonnablement prévoir qu’ils créeront des conflits et de possibles contestations inutiles en justice, sans compter qu’ils vont à l’encontre des indications données par le MPO selon lesquelles les dispositions relatives à l’habitat seront appliquées à la population de poissons ou au type de pêche. Notre recommandation concernant l’énoncé de l’objet révisé est la suivante :

La présente loi vise à encadrer la gestion et la surveillance judicieuse des pêches en tenant dûment compte de la conservation et de la protection du poisson et de son habitat, notamment par la prévention de la pollution.

Sans les précisions apportées par cette révision, nous craignons le retour aux interdictions relatives à la détérioration, la destruction ou la perturbation de l’habitat du poisson, autrement appelé DDP de l’habitat, et à la mort du poisson, où les examens étaient détaillés, assortis de critères de décision arbitraires et de mesures compensatoires qui ne tiennent pas compte de leurs effets sur la viabilité des pêches. En revanche, le calcul de la superficie de l’habitat qui avait été modifié a été arbitrairement appliqué, multiplié par un facteur de quatre.

Le coût de ces processus a été en définitive payé par nos clients par l’entremise du recouvrement des coûts. Il est important de prendre note que, dans son rapport de 2009, le Bureau du vérificateur général indiquait que l’approche adoptée avant 2012 n’avait pas apporté d’avantages mesurables pour les pêches.

Comme deuxième point, Manitoba Hydro estime que la définition d’habitat du poisson ne doit pas désigner la quantité, l’échelonnement dans le temps et la qualité du débit d’eau comme étant un habitat du poisson. Ces éléments sont déjà gérés par divers mécanismes provinciaux et interprovinciaux, et Manitoba Hydro croit que la version originale du paragraphe 2(2) du projet de loi C-68 doit être rétablie sans aucune référence aux débits écologiques.

Une application et une interprétation rigoureuses du paragraphe 2(2) auraient pour effet d’accroître la production de ressources émettrices de gaz à effet de serre en raison des contraintes imposées à la production d’hydroélectricité.

Au Manitoba, l’hydroélectricité excédentaire par rapport aux besoins des résidents de la province est vendue dans le cadre d’accords d’exportation à des administrations voisines, ce qui leur permet de réduire leurs émissions de gaz à effet de serre tout en étant une source de revenus qui contribue à maintenir les tarifs d’électricité des Manitobains plus bas qu’ils ne le seraient autrement.

Une analyse de haut niveau révèle, par exemple, qu’une exigence visant à passer à 80 p. 100 de débit hebdomadaire moyen réduirait la souplesse opérationnelle et entraînerait des coûts supérieurs à 3 milliards de dollars pour les clients de Manitoba Hydro en raison de la perte de production et de la nécessité de construire de nouvelles infrastructures.

Enfin, Manitoba Hydro estime que des protections n’ont pas été perdues dans la modification de la Loi sur les pêches en 2012. La modification a imposé des changements qui demeurent dans la loi en amenant l’industrie à se charger davantage de la protection des pêches. Ces modifications ont élargi la portée des dispositions visant à ne pas détériorer, détruire ou perturber l’habitat du poisson en incluant les activités ainsi que les ouvrages et les entreprises, en plus de renforcer l’obligation d’aviser, d’intervenir et de rendre compte, d’augmenter les pénalités et de prolonger le délai de prescription.

Manitoba Hydro ne s’oppose pas au rétablissement des dispositions visant à ne pas détériorer, détruire ou perturber l’habitat du poisson à condition que le projet de loi C-68 vise explicitement la protection de la pêche ou des populations de poissons et que le Programme de gestion de l’habitat du poisson ne revienne pas à la protection du poisson et de chaque mètre carré d’habitat du poisson comme substitut à la conservation et à la gestion des pêches.

Pour conclure, Manitoba Hydro estime que la clé de la protection des pêches réside dans la précision de l’objet réel de la Loi sur les pêches à titre de loi sur la durabilité des pêches. Pour Manitoba Hydro, le changement le plus important consisterait à modifier l’énoncé de l’objet afin que les dispositions de la Loi sur les pêches puissent être plus clairement interprétées sous l’angle de la conservation. Merci.

M. Buy : Merci d’avoir invité l’Association canadienne des traversiers à présenter le point de vue de notre secteur sur le projet de loi C-68.

L’Association canadienne des traversiers représente les propriétaires et exploitants de traversiers et les fournisseurs de l’industrie. Chaque année, nos membres transportent plus de 55 millions de personnes, 21 millions de véhicules et des milliards de dollars de marchandises.

En écoutant les propos de divers sénateurs autour de la table, je constate que je n’ai pas besoin de passer beaucoup de temps à vous convaincre de l’importance des traversiers pour le Canada. Permettez-moi de vous dire que les traversiers aident les gens à se rendre à leur destination, notamment à l’école, au travail, aux rendez-vous médicaux et plus encore. Ils constituent souvent le seul lien permettant aux marchandises d’atteindre les régions éloignées. Ils sont en effet, à l’occasion, les seuls liens pour les collectivités isolées.

Nos membres comprennent huit gouvernements provinciaux, deux sociétés d’État, des administrations municipales de toute taille, notamment les villes de Toronto, de Halifax et de Vancouver, des organisations autochtones et des sociétés privées. Cependant, les traversiers sont souvent oubliés dans les politiques et les lois.

Si le regretté John Candy était toujours de ce monde, nous lui enverrions une lettre de plainte. Le film Voyages tous risques a oublié d’inclure les traversiers. Certains ont facilement oublié la réalité canadienne : les traversiers constituent un élément crucial de notre infrastructure de transport.

Cela m’amène à vous faire part de nos préoccupations à l’égard du projet de loi C-68. Tout d’abord, permettez-moi de confirmer que nous sommes d’accord avec les objectifs généraux du projet de loi C-68, à savoir la protection du poisson et de son habitat.

Que ce soit directement ou en collaboration avec d’autres groupes, nos membres ont investi et continuent d’investir des ressources considérables dans la protection des poissons et de leur habitat. De même, nos membres participent activement aux consultations avec diverses organisations, y compris des groupes autochtones, concernant les activités.

Les projets désignés, un enjeu clé, sont au cœur de nos préoccupations. Le projet de loi C-68 permet la création d’une liste de projets désignés comprenant de grands projets et des activités associées qui exigeraient un permis.

La liste serait créée par règlement après les mesures législatives. On ne sait pas si les terminaux de traversiers seraient inclus dans la liste.

Nous ne contestons pas que certains projets doivent obtenir des évaluations environnementales. Pêches et Océans Canada indique qu’un futur règlement apportera une plus grande certitude, mais notre secteur préférerait obtenir cette certitude avant que la loi ne soit adoptée. Avec des centaines de millions de dollars à dépenser pour la reconstruction de terminaux de traversiers d’un bout à l’autre du pays, nos membres s’inquiètent naturellement du manque de clarté. Est-ce que leurs projets seront touchés? Y aura-t-il des exigences supplémentaires? Le processus d’approbation sera-t-il modifié de façon importante? Y aura-t-il des retards? Nous avons demandé au MPO de fournir des réponses, mais aucune réponse n’est venue.

Cela nous amène à notre première proposition selon laquelle l’Association canadienne des traversiers appuierait des modifications qui définiraient plus en détail les projets désignés. Cette définition indiquerait clairement aux exploitants et aux propriétaires de traversier les projets qui exigeraient une surveillance supplémentaire.

Bien que l’Agence canadienne d’évaluation environnementale ait récemment publié de l’information sur des projets désignés, nous savons que ce n’est qu’une ligne directrice, et nous préférerions la certitude que seule la législation procure.

Mesdames et messieurs, nous avons entendu à maintes reprises, lors de discussions avec divers représentants du gouvernement, que nous ne devrions pas nous inquiéter puisque le règlement clarifiera les choses et que nous ne devrions pas avoir de crainte, tout se passera bien. Cependant, l’attitude « ne vous en faites pas, soyez heureux » n’atténue aucunement l’inquiétude des exploitants qui planifient des projets en vue de fournir des services aux populations de l’ensemble du pays.

À titre d’exemple, permettez-moi de vous dire comment s’applique le projet de loi C-69. Cette législation désigne les projets comme faisant l’objet d’arrêtés sur des ouvrages majeurs ou d’arrêtés sur des ouvrages mineurs. Les traversiers à câble peuvent être considérés comme des ouvrages majeurs, mais on n’a jamais dit qu’il peut exister une solution intermédiaire entre des ouvrages mineurs et majeurs. Comment saurons-nous si nos membres ont des projets qui sont désignés comme des ouvrages majeurs? Nous devons demander au gouvernement de se prononcer au cas par cas. Cette information a été publiée hier, après que nous l’avons demandée pendant un mois. En outre, vraiment, cela n’apporte aucunement une plus grande certitude à nos membres.

Il en va de même pour le projet de loi C-68. Nous croyons que le gouvernement aurait dû prendre le temps de réfléchir aux mesures législatives et de les préparer, de mieux consulter et de donner la certitude à tous les secteurs avant le dépôt du projet de loi à la Chambre des communes.

Mesdames et messieurs, Audrey Buy, ma fille qui aura bientôt quatre ans, aime regarder une émission à la télévision intitulée « Daniel Tiger’s Neighbourhood ». Elle cite souvent une expression qui en est tirée : « Parfois, il est bon d’y aller lentement. » Je suis d’accord. Le gouvernement aurait dû prendre le temps d’évaluer l’impact de cette loi et son fonctionnement avant de la présenter. Il ne l’a pas fait; pas suffisamment.

Nous avons également examiné les témoignages précédents et les amendements proposés par d’autres intervenants. Notre conseil d’administration s’est réuni en avril et a accepté d’appuyer les amendements préconisés par la Fédération canadienne de la faune, en ce qui a trait à la constitution de réserves d’habitat par des tiers. Au moins, cela nous donne une option. L’Association canadienne des traversiers estime que cela constituerait un moyen raisonnable pour les promoteurs de projet de se conformer aux dispositions législatives. Cet amendement apporte de la clarté et de la certitude aux promoteurs de projet, comme les exploitants de traversiers, et garantit que, si une compensation est requise, des personnes ayant une connaissance directe de la situation, comme des groupes voués à la conservation et des groupes autochtones, et cetera, se chargeront de la conservation et de la restauration.

Pour ces raisons, notre deuxième proposition consiste à faire accepter, par le Sénat, la recommandation présentée par la Fédération canadienne de la faune au comité en ce qui a trait à la constitution de réserves d’habitat par des tiers. Merci.

M. Iannidinardo : Merci de m’accueillir à titre de président de l’Association canadienne des propriétaires forestiers, l’ACPF.

L’Association canadienne des propriétaires forestiers représente des entreprises et des particuliers qui possèdent environ 3 millions d’hectares de terres forestières au Canada et qui gèrent également 15 millions d’hectares de terres de la Couronne. Nous travaillons officiellement et en étroite collaboration avec les 450 000 propriétaires de lots boisés et d’agriculteurs qui gèrent de petites zones forestières dans notre grand pays. Les forêts privées abritent également de très nombreux habitats de grande qualité pour les animaux terrestres et aquatiques. Des habitats sains, pour la faune et le poisson, indiquent que les écosystèmes forestiers sont eux-mêmes en bonne santé et productifs et, donc, en mesure d’offrir, de leur côté, de solides possibilités d’activités commerciales prospères pour les propriétaires.

Les membres de l’ACPF maintiennent, à leurs propres frais, l’habitat du poisson sur leurs terres privées en renonçant à certaines utilisations économiques dans les zones riveraines adjacentes avec des zones tampons et des zones de gestion limitée.

Dans le cadre de l’examen de la Loi sur les pêches, l’ACPF soumet sept priorités à l’attention du comité.

Les propriétaires forestiers comprennent un éventail de propriétaires de lots boisés petits et grands ainsi que des agriculteurs qui ont des capacités différentes de répondre aux exigences en matière de réglementation et de mise en œuvre. Dans cette optique, la loi devrait inclure les moyens les plus efficaces de collaborer avec les propriétaires forestiers pour nous assurer qu’ils comprennent et que nous avons leur appui.

La Loi sur les pêches doit être fondée sur des résultats, non pas des processus. La nouvelle loi fonctionnera si elle tient compte des variations dans les types de forêt, l’habitat et les écosystèmes et comprend des approches souples et axées sur les résultats qui font appel à la collaboration avec les propriétaires forestiers. Les pratiques exemplaires de gestion, combinées avec les dispositions législatives et réglementaires existantes en matière de gestion forestière, ainsi que l’utilisation de systèmes de certification des forêts, notamment des audits réguliers conduits par des tiers indépendants, contribueront à réduire sensiblement le risque pour les pêches et l’habitat.

L’évaluation des risques devrait être utilisée pour simplifier le processus de demande et la mise en œuvre globale de la loi. Des exigences relatives aux demandes et à la production de rapports devraient refléter le niveau de risque d’un projet et y correspondre.

Il est important de coordonner les modifications et la mise en œuvre avec les provinces pour éviter le chevauchement et simplifier les demandes, les rapports, la vérification et d’autres exigences. Une approche de type guichet unique pour accéder au système renforcera très certainement la volonté des propriétaires forestiers de collaborer et améliorera grandement la probabilité d’obtenir les résultats souhaités.

Les structures artificielles présentent un intérêt particulier pour les propriétaires forestiers en raison des exigences relatives à la construction de routes pour l’exploitation et la gestion des forêts. Les fossés de drainage, les réservoirs et les canaux d’irrigation ont été précédemment soumis aux mêmes dispositions législatives que les plans d’eau naturels. Cette situation a donné lieu à des processus de demande d’autorisation et de permis longs et coûteux, où l’on privilégie la conformité et le contrôle de l’application de la loi plutôt que l’intendance. La définition de l’« habitat du poisson » devrait être limitée aux cours d’eau où il y a du poisson.

Il sera essentiel de créer une loi claire, cohérente, transparente et facilement compréhensible. Des séances d’information, des présentations et des documents explicatifs rédigés dans un langage clair permettront de mieux comprendre les modifications de la loi, les rendant de ce fait plus acceptables, ce qui en favorisera la mise en œuvre. Dans les situations où les modifications réglementaires exigeront des ressources ministérielles supplémentaires, les effectifs et les infrastructures concernés devront être accrus en proportion afin de permettre un traitement rapide.

En ce qui concerne spécifiquement les espèces en péril en vertu de la Loi sur les pêches, il existe des défis qui devraient être abordés dans le cadre des modifications de la loi. Il s’agit notamment des définitions de l’habitat, comme les structures artificielles, le déficit de consultation des propriétaires fonciers durant la phase de planification du rétablissement, les méthodes contestables d’identification des espèces en péril par le COSEPAC, le Comité sur la situation des espèces en péril au Canada, l’absence de distinction entre terres publiques et privées ainsi que l’accent mis sur l’exploitation forestière lorsque ce sont d’autres activités qui sont à l’origine des problèmes.

Enfin, la Loi sur les pêches permettra d’obtenir les résultats souhaités si l’on investit dans des programmes d’intendance, combinés avec des vérifications et des rapports réguliers. Il sera important que la Loi prévoie des accords de conservation similaires à ceux que l’on trouve dans la Loi sur les espèces en péril, ainsi que des programmes incitant à la fourniture de biens et de services écologiques.

Merci de m’avoir écouté aujourd’hui.

Le président : Comme d’habitude, la première question est posée par notre vice-président, le sénateur Gold.

Le sénateur Gold : Merci aux témoins de leur témoignage et de leurs commentaires très utiles.

J’aurai pour vous trois une question générale que je poserai dans un instant. Je pourrais peut-être commencer par une question plus précise à votre intention, monsieur Iannidinardo. J’ai une observation, puis une question.

Dans un certain nombre de vos suggestions de priorités que le comité devrait examiner, ce n’était pas tout à fait clair pour moi — vous pourrez peut-être préciser — s’il appartient au comité ou au ministère des Pêches de les examiner ou si vous pensez qu’il pourrait nous être utile de les transmettre dans notre rapport sous forme d’observations.

Vous avez parlé de la définition de l’habitat du poisson et vous avez au moins, dans le passé, suggéré de la modifier pour exclure les structures et les plans d’eau artificiels. Pourriez-vous préciser quels plans d’eau artificiels pourraient être visés en ce qui concerne l’exploitation forestière et pourquoi ils ne devraient pas avoir la même incidence pour les populations de poissons ou la définition d’habitat du poisson, de façon plus générale? Ensuite, je poserai ma question générale.

M. Iannidinardo : Je peux répondre à votre première question d’ordre général. Il s’agit d’un résumé de ce que nous avons soumis au comité de la Chambre à propos du projet de loi. Je l’ai résumé ici. Certaines des choses sont déjà en branle en ce qui concerne les changements proposés, et nous les appuyons ici; certaines ne le sont pas, alors je les ai rappelées à votre attention, comme celle sur les structures d’habitat artificiel. La plupart des forêts sont gérées au moyen d’activités sur le sol; l’exploitation forestière et l’entretien des peuplements s’effectue au moyen de routes d’accès. Ces routes supposent des ponts, des ponceaux et des fossés. Dans certains cas, ces fossés ou certaines infrastructures autour des ponceaux ou des ponts finissent par ressembler à un habitat du poisson ou à un endroit où le poisson pourrait vivre. Cependant, il ne le ferait pas normalement et, dans la plupart des cas, il ne le fait jamais.

Ce que nous avons constaté précédemment — et nos membres souhaitaient que ce soit très clair pour les législateurs, et en particulier pour la Loi sur les pêches —, c’est qu’une quantité excessive de paperasserie et de processus étaient nécessaires pour obtenir des autorisations comme s’il y avait du poisson et un habitat pouvant être détruit ou perturbé par des opérations forestières régulières et, bien sûr, il n’y en avait pas. Je souligne, au nom de nos membres que, dans ce cas, nous voulons nous assurer que cela est clair.

Le sénateur Gold : Toutes vos suggestions, y compris les propositions d’amendements, sont utiles. Nous avons entendu des préoccupations similaires de la part d’autres groupes. Nous croyons comprendre que le gouvernement semble ouvert aux amendements concernant les débits, l’habitat, et cetera.

Mis à part les préoccupations spécifiques que vous nous avez exposées avec obligeance, quelle est votre évaluation du projet de loi dans son ensemble? Dans quelle mesure contient-il des éléments que vous considérez comme un pas en avant et que vous appuieriez?

M. Buy : De notre côté, sénateur, nous considérons que les objectifs généraux du projet de loi sont bons. Nous pensons qu’il aurait certainement bénéficié de plus de temps pour des consultations et la préparation. Nous aurions probablement évité certaines des embûches auxquelles nous nous heurtons maintenant. Nous sommes profondément préoccupés par le fait que certaines choses vont être adoptées à la hâte, car le temps presse, ce qui nous donnera un projet de loi imparfait qui aura un impact négatif sur divers secteurs.

M. Swanson : Je dirais que nous soutenons les objectifs et la durabilité. Nous l’avons indiqué à d’autres occasions.

Je pense que la loi est imprécise et qu’il reste essentiellement des déclarations de type « faites-nous confiance », tout ira bien et nous traiterons cela dans la politique ou le règlement. L’histoire récente montre un manque de clarté et d’uniformité, et il serait utile de disposer de précisions fondamentales qui empêcheraient le projet de loi de s’égarer trop.

En ce qui concerne le temps, je ne suis pas sûr que le projet de loi ait besoin de plus de temps, à moins que cela ne débouche sur une plus grande clarté. Il comprend un certain nombre de sujets qui auront une signification différente pour différentes personnes. Je comprends que la clarification devrait entrer dans la politique. Si nous savons, de notre point de vue, que, au bout du compte, toutes nos discussions porteront sur la durabilité des pêches... et qu’on ne va pas trop insister sur le principe de précaution au point de protéger chaque poisson et chaque mètre carré d’habitat.

Je ne dis pas que c’est l’intention ou l’objectif. Par le passé, cela a été appliqué à l’échelle régionale. Je pense qu’il est possible de clarifier certains de ces énoncés au départ et d’apporter plus de clarté et de certitude.

La sénatrice Poirier : Encore une fois, merci à vous tous d’être ici.

Ma première question s’adresse à Manitoba Hydro. Monsieur Swanson, dans votre exposé, vous dites que la disposition relative au débit d’eau pourrait entraîner une augmentation des coûts — de l’ordre de 3 milliards de dollars — pour les clients de Manitoba Hydro en raison des pertes générées et des besoins en nouvelles infrastructures.

Quel est le besoin en nouvelles infrastructures dont vous parlez? Pourriez-vous élaborer un peu?

M. Swanson : Je vais d’abord préciser les choses et dire que je ne suis pas un planificateur des ressources du point de vue de la planification de l’électricité, mais c’est essentiellement une infrastructure thermale. Si vous ne pouvez pas gérer la demande dans l’immédiat, il doit y avoir autre chose pour répondre à cette demande. Comme il a été mentionné, une ressource émettrice de gaz à effet de serre serait nécessaire pour soutenir la souplesse opérationnelle perdue à la suite d’une disposition relative aux débits écologiques. C’est un exemple de disposition relative aux débits écologiques qui pourrait faire l’objet de discussions, être mise en œuvre ou imposée.

La sénatrice Poirier : Dans votre mémoire, vous avez commenté les prétendues protections perdues découlant des modifications apportées en 2012 à la Loi sur les pêches et leur surestimation. Pourriez-vous élaborer plus concrètement à ce sujet?

M. Swanson : Avant l’amendement de 2012, le mot « activité » avait été ajouté à l’interdiction, ce qui est significatif. Il ne s’agit plus d’une interdiction d’altérer et de détruire l’habitat du poisson pour des ouvrages et des entreprises; cela englobe également des activités.

Du point de vue des services publics, cela a des conséquences sur notre fonctionnement. Cela introduit dans la loi un éventail plus large d’évaluations et de considérations. Manitoba Hydro ne s’y oppose pas; nous préférerions simplement obtenir la clarté en ce qui concerne ces questions et problèmes entourant les effets sur la population de poissons et la pêche plutôt qu’une application presque arbitraire de ces éléments sur tous les débits. Je pense que c’est ce qui préoccupe l’industrie : l’interprétation extrême selon laquelle tout débit est un habitat du poisson et devrait donc être protégé, ce qui est toujours une interprétation possible avec le libellé actuel.

La sénatrice Poirier : Merci.

Ma prochaine question s’adresse à l’Association canadienne des propriétaires forestiers. Moi non plus, je n’essaierai pas de prononcer votre nom de famille, car je vais mal le dire. Mes excuses.

Dans votre mémoire au comité, vous avez proposé quelques priorités à l’attention du comité. En première place, vous indiquez dialoguer avec les propriétaires forestiers. Voulez-vous élaborer? Le gouvernement ne vous a-t-il pas consultés du tout à ce sujet?

M. Iannidinardo : Le gouvernement n’a pas encore tenu de séance officielle avec l’Association canadienne des propriétaires forestiers ou avec nos partenaires, la Fédération canadienne des propriétaires de boisés. Nous avons soumis de l’information au comité et souhaiterions poursuivre les consultations.

La sénatrice Poirier : Les deux autres témoins ont-ils été consultés? Avez-vous participé à des consultations avec le gouvernement avant que le projet de loi ne soit présenté dans sa forme actuelle?

M. Swanson : Oui, principalement par l’intermédiaire d’associations de l’industrie.

M. Buy : Je ne qualifierais pas un appel — et éventuellement un rappel après deux mois de retard — de consultation. La réponse serait non.

La sénatrice Poirier : Merci.

Le sénateur McInnis : Merci d’être venus ce soir. Ma question s’adresse à M. Iannidinardo.

Vous considérez que votre exploitation est assez importante. Vous représentez 450 000 propriétaires de terrains boisés et agriculteurs. Soit dit en passant, vous gérez 15 millions d’hectares de terres de la Couronne. Que faites-vous? Vous occupez-vous de la sylviculture pour eux et de ce genre de choses?

M. Iannidinardo : Parmi nos membres qui possèdent des terres privées, bon nombre gèrent également des terres publiques en vertu de régimes fonciers publics, des zones de gestion forestière, possèdent des permis d’exploitation forestière. Cela comprend les droits de récolte, les responsabilités en matière de reboisement et l’entretien de peuplement — tout le spectre.

Le sénateur McInnis : L’évaluation des risques devrait servir à simplifier le processus de demande. Les exigences relatives aux demandes et aux rapports devraient refléter le degré de risque associé au projet. Que proposeriez-vous? Qui s’en chargerait? Je suppose que vous auriez affaire à Ressources naturelles ainsi qu’au MPO.

Comment cela fonctionnerait-il? Est-ce qu’un agent ou un expert en foresterie et en droits des riverains et ce genre de chose viendrait affirmer que le risque n’est pas très élevé en l’occurrence, et qu’est-ce que cela signifie?

M. Iannidinardo : Le processus existe actuellement, et il relève, en général, de Pêches et Océans Canada, en collaboration avec les gouvernements provinciaux qui ont l’autorité sur les ouvrages construits à l’intérieur et autour des ruisseaux, par exemple. Il y a habituellement un lien provincial. Dans certaines provinces, les approbations fédérales et provinciales sont étroitement coordonnées. Ce dont nous faisons la promotion, c’est le fait que cette coordination ait également lieu dans le cas de cette nouvelle possibilité de mettre la loi à jour. Plus précisément, le classement des risques par catégories... par exemple, un petit ponceau n’ayant aucun poisson à proximité par rapport à un gros pont qui se trouve dans une eau remplie de poissons et qui pose des préoccupations liées à la navigation.

Les échelons d’approbation, la participation de professionnels et les responsabilités diffèrent pour le promoteur.

La structure de cet éventail de risques et d’exemples est très importante afin que les organismes de réglementation fédéraux ne soient pas submergés de demandes et que les promoteurs puissent continuer à mener leurs activités quotidiennes de base, sauf en cas de risque élevé et de participation de professionnels.

Le sénateur McInnis : Ce processus ne sera-t-il pas quelque peu complexe?

M. Iannidinardo : Pêches et Océans travaille depuis longtemps à traiter des demandes complexes et à les classer par catégorie. Nous voulons que ce travail se poursuive et soit perfectionné grâce à cette possibilité, de sorte que peut-être 10 catégories de projets soient établies et assorties de définitions claires et que les projets appartenant aux cinq premières catégories puissent être exécutés dans un délai très rapide ou à la suite d’interventions de type notification auprès du gouvernement. Et peut-être que les projets des cinq dernières catégories seront assez complexes pour requérir des examens précis sur place ou des approbations de Pêches et Océans.

Le sénateur McInnis : Vous affirmez également qu’en l’absence de poisson, il ne devrait pas s’agir d’un habitat de poisson?

M. Iannidinardo : Oui, c’est notre principe fondamental. Si le plan d’eau est artificiel et qu’il ne contient aucun poisson, il ne devrait pas être traité comme un habitat de poisson aux fins du projet de loi.

Le sénateur McInnis : Ce ne serait pas près de riverains ou de ruisseaux, ou bien...

M. Iannidinardo : Les ruisseaux sont ce qu’ils sont, et ils feront l’objet des protections habituelles. Il s’agit de structures artificielles comme des fossés et des réservoirs, dans certains cas. Dans le cas des exploitants forestiers, il s’agirait principalement de routes et de fossés construits qui pourraient ressembler à des ruisseaux.

Le sénateur McInnis : Je vis en campagne, en Nouvelle-Écosse. Quand on traverse un cours d’eau ou qu’on construit une route dans les bois, il y a beaucoup de ruisseaux souterrains et, certes, en Nouvelle-Écosse, il y a beaucoup de roches. Des poissons se trouvent dans ces ruisseaux. Il me semble que ce serait quelque peu complexe. De nombreux ruisseaux contiennent du poisson.

M. Iannidinardo : S’il y a du poisson, il ne s’agit pas de ce dont nous parlons.

Le sénateur McInnis : Je sais.

M. Iannidinardo : S’il s’agit d’une structure artificielle que des poissons peupleront après sa construction, je pense qu’il s’agit d’une autre catégorie.

Le sénateur McInnis : Bonne chance.

Le président : Chers collègues, notre vote se tiendra à 17 h 54, simplement au cas où quelqu’un ne le saurait pas. Il est actuellement 17 h 43.

Monsieur le sénateur Christmas, voulez-vous poser une question?

Le sénateur Christmas : Oui.

Le président : Vous disposez de cinq minutes.

Le sénateur Christmas : Monsieur Swanson, j’essaie simplement de bien comprendre la disposition que la sénatrice Poirier vient tout juste de mentionner. Dans vos commentaires, vous avez affirmé qu’une analyse de haut niveau révèle, par exemple, qu’une exigence visant à passer à 80 p. 100 de débit hebdomadaire moyen réduirait la souplesse opérationnelle.

Que sont ces 80 p. 100 de débit hebdomadaire moyen?

M. Swanson : Cela varie selon la période de l’année et le plan d’eau. L’idée est qu’au lieu de pouvoir retenir l’eau afin de la libérer en période de pointe et à des fins de production d’électricité, on aurait une moins grande marge de manœuvre et il faudrait déverser plus d’eau de manière à pouvoir atteindre ce taux de 80 p. 100. Cette eau déversée ne génère pas d’électricité et n’est pas stockée à des fins d’utilisation ultérieure.

Notre système est important, alors les répercussions le sont également. L’analyse visait à étudier la perte de production et l’infrastructure supplémentaire, mais elle ne comprend pas ce qui arriverait si nous exploitions également ces structures afin de faciliter l’aide en cas d’inondation et la protection contre la sécheresse, des choses de ce genre. Les débits écologiques sont un aspect très vaste et coûteux à étudier.

Le sénateur Christmas : Très bien. Merci.

J’ai une question rapide de plus à poser. Je vous suis reconnaissant d’avoir présenté un mémoire au nom de l’Association canadienne des traversiers. Dans votre témoignage, monsieur, vous avez mentionné que certains renseignements vous avaient été communiqués hier. Je tente de comprendre de quels renseignements il s’agissait.

M. Buy : J’ai mentionné qu’ils concernaient le projet de loi C-69, monsieur le sénateur. Essentiellement, on nous dit que deux catégories ont été établies — les travaux majeurs et les travaux mineurs —, mais qu’on peut également se situer entre les deux. Le but, monsieur le sénateur, c’était de souligner l’incertitude et le fait que le gouvernement crée des politiques au fur et à mesure dans ce projet de loi et qu’il ne clarifie rien.

À nos yeux, il s’agit d’une préoccupation majeure. Ce travail aurait dû être fait avant la présentation du projet de loi. Des consultations auraient dû être tenues avant.

J’ai travaillé au Sénat il y a un certain nombre d’années, monsieur le sénateur. On l’appelait la chambre de second examen objectif. Nous espérons que le second examen objectif prévaudra à cet égard et que vous direz : « Mettons les freins et attendons de créer une bonne politique à ce sujet. »

Le sénateur Christmas : Laissez-moi m’assurer que je comprends bien cette explication. Hier, la liste des projets désignés a été publiée. Je pensais qu’elle aurait procuré la clarté que l’industrie voulait. Vous affirmez que ce n’est pas le cas?

M. Buy : Non, monsieur le sénateur. Encore une fois, il y a deux choses : le projet de loi C-69 et le projet de loi C-68; peut‑être que je n’aurais pas dû le confondre avec le projet de loi C-69, mais celui-là fournissait certaines précisions. L’Agence canadienne d’évaluation environnementale a fourni d’autres renseignements, mais, comme l’ont indiqué ses représentants quand nous les avons appelés, cela ne veut pas dire que nos autres projets ne seront pas considérés, sous le régime du projet de loi C-68, comme des projets désignés.

Nous n’avons obtenu aucune précision par rapport aux renseignements dont nous disposions hier ou avant-hier, et nous n’en obtiendrons probablement pas avant que le projet de loi soit adopté.

Le sénateur Christmas : Après l’adoption du règlement.

Le président : Nous allons maintenant suspendre nos travaux et les reprendre immédiatement après le vote, et le sénateur Wells aura des questions à poser. Je demanderai aux témoins de bien vouloir nous attendre quelques instants.

(La séance est suspendue.)

(La séance reprend.)

Le président : La séance est de nouveau ouverte. Désolé de l’interruption, mais c’était indépendant de notre volonté.

Le sénateur Wells : Je vous remercie, chers témoins. Monsieur Iannidinardo, concernant la définition, vous proposez de remplacer le libellé actuel, qui parle des eaux où vit le poisson, par un libellé qui parlerait des cours d’eau où il y a du poisson?

M. Iannidinardo : Oui, il s’agit en partie de ce que nous proposons. Nous voulons établir une distinction entre les cours d’eau où des poissons pourraient survivre par rapport à ceux où ils vivent réellement.

Le sénateur Wells : Comme une rivière par rapport à un fossé, si nous pouvons utiliser un exemple très clair?

M. Iannidinardo : Oui.

Le sénateur Wells : Je n’en sais pas beaucoup au sujet de l’association forestière. Qu’en est-il des régions où les forêts sont inondées, où on retrouve habituellement un cours d’eau dans lequel vivent des poissons, lorsque cette rivière déborde dans une forêt? N’est-il pas important que nous ne nous contentions pas de définir la nature d’une rivière ou d’un cours d’eau où vit le poisson, ou bien où il y a du poisson, mais que nous fassions aussi attention de ne pas englober les forêts lorsqu’elles sont inondées, ce qui arrive fréquemment dans diverses régions du pays?

M. Iannidinardo : Il existe diverses définitions écologiques assez bien comprises des types d’arbres qui peuvent pousser aux endroits qui sont très rarement inondés. Ces régions ne sont pas considérées comme faisant partie des zones riveraines; ce ne sont que des plaines rarement inondables ou des zones inondables qui ne sont pas traitées comme un habitat de poisson.

Le sénateur Wells : Si nous envisageons la définition que vous proposez — un cours d’eau où il y a du poisson —, nous devons le faire en tenant compte d’une rivière qui ne suit pas son cours normal et qui pourrait inonder une forêt?

M. Iannidinardo : Nous avons envoyé à la Chambre des communes un libellé supplémentaire qui était plus précis au sujet des cours d’eau éphémères ou des situations d’inondation très rares. Nous pourrions le mettre à la disposition du comité.

Le sénateur Wells : Ce serait utile. Je vous en remercie.

Monsieur Buy, si je comprends bien, vous souhaiteriez obtenir un statut distinct ou une exemption pour les gares maritimes?

M. Buy : Nous souhaitons obtenir des précisions. Quelles gares maritimes seront envisagées? Il ne serait pas crédible que je me présente ici et que j’affirme que toutes les gares maritimes devraient être exclues. Celles de Duke Point ou de North Sydney vont-elles être exclues, ou bien est-ce que les petites gares seront incluses? Un transbordeur à câbles, qui circule des deux côtés, fera-t-il partie du processus? Qu’est-ce qui serait inclus et exclu? Voilà la définition que nous souhaitons obtenir. Je ne demanderais pas une exemption pour toutes les gares maritimes. Ce ne serait pas la bonne chose à faire.

Le sénateur Wells : Qu’en est-il des régions où aucune gare maritime ne pourrait être construite à ce jour? Parce qu’elles sont difficiles à désigner, pour l’instant, puisque le projet de loi est pour l’avenir.

M. Buy : J’affirmerais que, là où des gares maritimes sont construites actuellement, nous croyons que le travail a déjà été fait. Nous n’avons pas besoin de le refaire. Dans le cas de la gare de Langdale, qui fera probablement l’objet de rénovations importantes, nous ne voulons pas retarder la construction pour deux ou trois ans. Voilà ce qui nous préoccupe actuellement.

Pour ce qui est d’une nouvelle gare maritime, une application régulière de la loi devrait avoir lieu. Nous espérons que le processus pourra être simplifié, mais il faudra voir.

Le sénateur Wells : Merci.

Le président : Je veux vous remercier de vos exposés et de vos discussions avec nos sénateurs. Comme je le dis à tous nous témoins, si vous croyez qu’il y a des renseignements que vous pourriez vouloir ajouter ou nous envoyer, n’hésitez pas à joindre la greffière pour les lui communiquer.

Nous souhaitons maintenant la bienvenue à notre deuxième groupe de témoins pour la soirée. Nous accueillons, par vidéoconférence, Terry Teegee, chef régional de l’APN pour la Colombie-Britannique. Nous accueillons aussi Ken Paul, directeur des pêches de l’APN.

Soyez à nouveau les bienvenus.

M. Paul a comparu ici au sujet du projet de loi C-55, si ma mémoire est bonne.

Nous accueillons Joseph Maud, directeur, Terre, eau et ressources pour les Premières Nations du Territoire du Traité no 2. Nous accueillons aussi George Ginnish, de la Première Nation d’Eel Ground.

Au nom des membres du comité, je vous remercie de votre présence aujourd’hui. Je crois savoir que nous entendrons des déclarations préliminaires, en commençant par le chef Terry Teegee, puis nous passerons aux questions des sénateurs.

Terry Teegee, chef régional de l’APN pour la Colombie-Britannique : Bonsoir, mesdames et messieurs les sénateurs. Je veux d’abord vous remercier d’avoir pris le temps de permettre à mes collègues et à moi-même de présenter un exposé aujourd’hui.

Je veux seulement reconnaître le territoire sur lequel je me trouve actuellement. Je suis dans mes bureaux de l’APNCB, sur le territoire des Lheidli T’enneh, à Prince George. Mon bureau se trouve directement sur les rives du fleuve Fraser. Dans notre langue, nous l’appelons Ltha Koh, ce qui veut dire que tout se déverse dans le fleuve.

Je m’appelle Terry Teegee. Mon nom de chef héréditaire est Maxweeum Tsimghee. Je suis également le président du Comité national des pêches. Mon collègue de l’APN, Kenneth Paul, et moi-même sommes heureux de comparaître aujourd’hui au sujet du projet de loi C-68.

Notre bref exposé abordera quatre aspects clés. Le premier est la protection de droits inhérents des Premières Nations et des droits protégés au titre de l’article 35 de la Constitution ainsi que l’engagement à mettre en œuvre la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Plus particulièrement, je veux reconnaître le projet de loi C-262, celui de Romeo Saganash.

Nous aborderons en deuxième lieu la pleine inclusion du savoir autochtone. Nous savons, en tant qu’Autochtones, que nous pouvons contribuer à la base de connaissances, laquelle englobe non seulement ce que nous appelons la science occidentale, mais aussi les systèmes de connaissances autochtones.

La troisième question que nous voulons aborder est l’expansion de la disposition déterminative relative à l’habitat afin qu’elle englobe les débits écologiques et l’importance de l’écoulement des eaux dans l’arrière-pays en ce qui a trait aux nombreux réseaux hydrographiques qui contribuent à l’habitat du poisson.

La quatrième question est l’atteinte de la réconciliation grâce au rétablissement des stocks de poisson et à la restauration et à la protection de l’habitat du poisson.

Le premier élément que je voudrais souligner à mon tour, c’est la protection des droits inhérents que nous avons en tant qu’Autochtones, conformément à l’article 35 de la Constitution, ainsi que la reconnaissance de nos droits prévus dans la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Plus particulièrement, nous avons le droit de prendre des décisions quant à l’utilisation des terres et des ressources se trouvant dans les eaux douces et les océans bordant le Canada, dans le respect de ces modèles. Nos modèles de gouvernance et systèmes judiciaires sont reconnus non seulement par les gouvernements, mais aussi par la Cour suprême du Canada.

L’Assemblée des Premières Nations — l’APN — recommande que les dispositions portant sur les droits prévus à l’article 35 soient renforcées de manière à garantir que le ministre et le gouverneur en conseil aient l’obligation de maintenir ou de protéger, au titre du projet de loi, les droits et le processus décisionnel visés à l’article 35, y compris s’ils adoptent des règlements ou des décrets sous le régime dudit projet de loi.

De plus, l’APN recommande que la définition actuelle des droits soit élargie de manière à inclure ceux qui sont intrinsèquement détenus par les Premières Nations ainsi que ceux qui sont reconnus et confirmés dans les accords internationaux.

Dans le passé, le ministère des Pêches et des Océans n’a jamais réussi à mettre en œuvre les décisions de la Cour suprême du Canada. L’arrêt Sparrow est un exemple particulier. Après que les besoins en matière de conservation auront été comblés par le MPO, les premières priorités seront, par exemple, l’alimentation des Premières Nations et les utilisations sociales et cérémoniales du poisson. Ces éléments n’ont pas encore été pleinement mis en œuvre. Cette décision a été rendue il y a une bonne trentaine d’années. En tant que Premières Nations, nous devons voir ce principe être mis en œuvre uniformément lorsque des décisions sont prises par le MPO et que les Premières Nations sont prioritaires.

Enfin, l’APN recommande que la Loi sur les Pêches soit modifiée à l’aide des normes minimales décrites dans la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, de façon à établir un cadre de réconciliation aux fins du projet de loi et de permettre la mise en œuvre future de plusieurs garanties procédurales, comme le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause, prévues dans la loi.

La deuxième question concerne les systèmes de connaissance autochtones. Le savoir autochtone est transmis de générations en génération, depuis des centaines, voire des milliers d’années, et contient des observations détaillées sur les systèmes écologiques se trouvant dans nos territoires traditionnels ainsi que les connaissances cumulatives de nos histoires orales détenues par de nombreuses Premières Nations. Ce savoir devrait être considéré comme étant sur un pied d’égalité avec la science occidentale.

Les Premières Nations ont été et demeurent aujourd’hui des observateurs très attentifs du poisson et de son écosystème. Nos vies dépendent des nombreuses espèces de poisson qui entrent dans les cours d’eau de la Colombie-Britannique et d’autres régions du Canada. Nous possédons les connaissances nécessaires pour surveiller et jauger les effets sur les populations de poisson non seulement des changements climatiques, mais peut-être aussi du développement.

Lorsqu’une collectivité surveille de près une espèce de poisson particulière dans un ruisseau particulier pendant des milliers d’années, elle acquiert un degré de connaissance qui est sans précédent. Cette connaissance devrait être prise en considération.

La mauvaise gestion a lieu dans bien des cas parce que le MPO fait trop confiance à ce que dit la science occidentale au sujet des populations de poisson. Vous savez, d’après votre expérience, que les grandes populations ne reviennent habituellement pas, surtout ici, dans le Fraser, où, de nombreuses fois, nous nous attendions à ce qu’une grande population revienne, dans le cas des nombreuses espèces de saumon, pour atteindre les zones d’alevinage et de frai. Ce n’est pas le cas. Il n’est pas rare que le MPO rejette la connaissance directe, fondée sur l’expérience, qu’ont les Premières Nations à l’égard des pêches — savoir fondé sur des données scientifiques du MPO — pour ensuite se rendre compte que les préoccupations des pêcheurs autochtones se concrétisent et que les connaissances locales de ces zones étaient exactes.

Voilà pourquoi l’APN soutient fermement l’inclusion de la prise en compte du savoir autochtone dans le projet de loi C-68.

En troisième lieu, l’APN soutient fermement l’inclusion de la quantité, de l’échelonnement dans le temps et de la qualité du débit d’eau au titre de l’article 2.2 du projet de loi C-68, soit la disposition concernant l’assimilation à l’habitat.

Les débits écologiques sont essentiels au fonctionnement approprié des écosystèmes d’eau douce, et le maintien du débit est essentiel à la santé des populations de poisson. Tant le savoir autochtone que la science occidentale nous montrent que c’est le cas. Les écosystèmes de coulée et les pêches qu’ils soutiennent sont de plus en plus exposés à des risques en raison de la modification des régimes de débit naturels. De nombreuses collectivités des Premières Nations du bassin hydrographique du fleuve Fraser de la Colombie-Britannique n’ont pas été en mesure de récolter une espèce de saumon particulière en raison de préoccupations relatives à la conservation au cours des dernières années.

La petite quantité d’eau due aux changements climatiques et au développement peut faire augmenter la température des eaux d’une rivière, ce qui a des effets néfastes sur la capacité du saumon de revenir vers ses frayères. De plus, le moment du retour du saumon est un élément distinctif de la vie de cette espèce qui contribue à la biodiversité générale du saumon du Pacifique. L’échelonnement dans le temps des débits écologiques est donc essentiel à la protection du poisson et de son habitat.

La quatrième question concerne les progrès vers la réconciliation et l’atteinte de cette réconciliation grâce à la reconstitution des stocks de poisson et à la restauration et à la protection de l’habitat du poisson. Depuis l’arrivée des premiers colons au Canada et, plus particulièrement, ici, dans l’Ouest, la surpêche a décimé les stocks d’espèces de saumon. Le régime de la Loi sur les pêches a joué un rôle clé pour ce qui est d’encourager des pratiques de pêche qui ne sont pas durables. De surcroît, les Premières Nations se voient refuser depuis longtemps l’accès à leurs propres lieux de pêche à des fins d’alimentation et d’utilisations sociales et cérémoniales.

À la lumière de l’engagement du gouvernement à mettre en œuvre la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones et à prendre des mesures qui visent l’atteinte de la réconciliation, l’APN recommande que, si le ministre prend une décision qui est liée à toute mesure conçue pour rétablir ou protéger l’habitat ou les stocks de poisson, il soit tenu d’accorder la priorité aux stocks de poisson et à l’habitat dont dépendent de nombreux peuples autochtones.

En conclusion, nous souscrivons aux observations présentées par le chef régional Norman Yakeleya...

Le président : Chef Teegee, je ne sais pas si vous pouvez nous entendre.

M. Teegee : J’arrêterais là mon exposé. Je remercie le comité et vous exhorte à tenir compte des observations que nous avons présentées aujourd’hui. Nous avons hâte de répondre à toute question.

Merci.

Le président : Monsieur Paul, je pense que vous voudriez faire un suivi?

Ken Paul, directeur des pêches de l’APN, Assemblée des Premières Nations : Il reconnaissait le chef régional Norman Yakeleya de la nation dénée, et nous appuyons ses observations.

Le président : Désolé, nous avons eu une difficulté technique, un autre événement qui est indépendant de notre volonté.

Monsieur Paul, voulez-vous donner suite à quelque chose?

M. Paul : [Le témoin s’exprime dans une langue autochtone.] Je voulais simplement vous remercier de cette possibilité de prendre la parole sur les territoires traditionnels des Anishinaabes algonquins.

Le président : Merci, monsieur Paul.

Joseph Maud, directeur, Territoire du Traité no 2 : Tout d’abord, je veux reconnaître le territoire traditionnel de la nation algonquine.

Je suis Joseph Maud, le secrétaire chargé de soigner et de protéger le monde naturel chez les Premières Nations au sein du gouvernement du Territoire du Traité no 2, lequel chevauche les provinces du Manitoba et de la Saskatchewan.

Je suis là aujourd’hui pour transmettre les messages de notre peuple qui représentent l’esprit et l’intention du Traité no 2, conclu le 21 août 1871, lequel était fondé sur un engagement mutuel à l’égard de la vie commune et du maintien de la paix et de l’amitié.

Le Territoire du Traité no 2 est défini par ses lacs et rivières. Le traité décrit les frontières qui comprennent l’embouchure de la rivière Winnipeg, le lac Winnipeg, la rivière Berens, le lac Saint-Martin, le lac Manitoba, le lac Winnipegosis, le lac Waterhen, la rivière Shell et les rapides de la rivière Assiniboine, et le territoire englobe les lacs Dauphin et Clair.

Nous sommes heureux de constater que le Canada prévoit enfin la protection du bassin du lac Winnipeg, étant donné qu’il est en train de mourir à cause de la pollution et de la perturbation de son processus naturel. Une grande partie du bassin sud se trouve dans le Territoire du Traité no 2, et, il a été dans le passé un aspect majeur de notre économie naturelle et de nos vies. Nous nous attendons à ce que le ministère des Pêches et des Océans favorise une relation de nation à nation avec nous fondée sur une collaboration et un partenariat respectueux et sur la reconnaissance de nos droits inhérents.

Nous avons toujours su qu’une gestion et un contrôle appropriés de nos pêches sont requis pour le maintien de la qualité de l’eau, non seulement pour les humains, mais aussi pour toutes les autres espèces qui en dépendent. La conservation et la protection du poisson et de son habitat sur le Territoire du Traité no 2, notamment par la prévention de la pollution, sont cruciales.

Nous nous attendons non seulement à ce que la loi sur les pêches proposée — le projet de loi C-68 — assure la protection pour aujourd’hui, mais aussi à ce qu’elle dure pour de nombreuses générations à venir. Nous recommandons que le comité sénatorial modifie le projet de loi de manière à s’assurer que le processus d’autorisation des projets réalisés à l’intérieur et à proximité de plans d’eau et pouvant entraîner la mort de poissons ou la détérioration, la perturbation ou la destruction de l’habitat du poisson soit élargi de manière à inclure la fraie et la migration du poisson; il doit également comprendre la participation significative des Premières Nations qui sont parties au Traité no 2.

Il est facilement concevable qu’un projet qui ne tue pas de poissons ni ne modifie leur habitat puisse tout de même causer une perturbation importante des besoins relatifs à la fraie et des habitudes migratoires du poisson, de sorte qu’une pêche entière puisse être gravement réduite.

Nous sommes préoccupés au sujet de la définition du terme « corps dirigeant autochtone » et de la façon dont elle sera appliquée. Qui détermine qui est et qui n’est pas un corps dirigeant autochtone? Qui décide? Une solide organisation de pêcheurs est-elle moins qualifiée pour conseiller le ministre que le chef d’une organisation? L’ébauche du projet de loi doit être révisée de manière à clarifier ces questions importantes.

Par conséquent, nous recommandons fermement que le projet de loi soit modifié par l’ajout de la déclaration suivante : «Si la province en question applique des lois qui sont réputées équivalentes aux présentes dispositions ou à la réglementation, à condition que cette déclaration n’ait pas force exécutoire relativement aux droits et aux intérêts protégés par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, et sous réserve du paragraphe 91(24) de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, nous présumons que l’article 6 du projet de loi C-68, qui fait en sorte que cette déclaration de dispositions équivalentes aux lois des corps dirigeants autochtones qui sont effectivement situés sur les territoires régis par ces corps s’applique, n’est pas destiné à s’appliquer au Territoire du Traité no 2 ni au Territoire visé par ce traité. »

Nous sommes favorables à l’abrogation des définitions du terme anglais « aboriginal » dans le projet de loi. Ce terme est le produit de la doctrine de la découverte. Même s’il est malheureusement employé dans la Constitution de 1982, il ne devrait autrement pas être prononcé en ce qui a trait aux peuples du Territoire du Traité no 2.

Nous souhaitons nous assurer que le terme « habitat » défini au paragraphe 1(5) est interprété comme désignant l’habitat du poisson tel qu’il était au moment de la ratification du traité, y compris les régions qui, depuis, ont été occupées par des colons, dont la présence a eu une incidence sur la qualité de l’habitat dans les cours d’eau; dans ce cas, l’habitat naturel du poisson peut avoir été dramatiquement touché par la civilisation et doit faire l’objet d’une restauration draconienne pour assurer sa survie continue et la nôtre.

Quand l’eau est empoisonnée par des produits chimiques, par les égouts et par des déchets, les poissons meurent, ils contractent des maladies et ils deviennent déformés. Ils sont incapables d’être ce que le Créateur voulait qu’ils soient, de la nourriture pour nous et pour d’autres formes de vie.

Je voudrais souligner que le détournement de cours d’eau est un problème continuel, comme le ruissellement des champs le long de la rivière Missouri, à des centaines de kilomètres, aux États-Unis. La rivière est ensuite détournée vers la rivière Assiniboine, puis encore détournée jusqu’à s’écouler dans les lacs Manitoba et Winnipeg. N’oubliez pas que l’eau s’écoule vers le nord dans la baie d’Hudson et dans les océans Arctique et Atlantique. Ce détournement des cours d’eau et les effets néfastes ne sont pas que nationaux; ils ont aussi des conséquences à l’échelle mondiale.

Nous soulignons deux problèmes préoccupants. Le ministère des Pêches soutient que la nouvelle Loi sur les pêches reflète ce que nous avons entendu au cours de centaines de rencontres avec les partenaires, les intervenants et les groupes autochtones. Toutefois, certaines nations du Territoire du Traité no 2 dépendent de la pêche et des habitats. Nous ne connaissons pas les amendements ni n’avons été invités à des consultations significatives à ce sujet; nous n’avons pas non plus été avisés de l’étape avancée des révisions, et ce, même si le projet de loi a une incidence sur nos droits inhérents.

Le ministère déclare dans ses communiqués de presse que la loi proposée renforcera le rôle des Autochtones dans les examens de projet, dans la surveillance et dans l’élaboration des politiques. Même si le projet de loi comporte certains éléments très positifs, nous en trouvons très peu dans son contenu qui renforceraient le rôle de notre peuple en ce qui a trait à nos pêches, à nos droits et à notre participation à l’examen des projets, à la surveillance et à l’élaboration de politiques. Nous demandons au ministère d’indiquer en quoi cette évaluation est erronée.

En même temps, nous avons l’impression que le projet de loi est généralement positif, qu’il constitue une amélioration, et nous ne souhaitons pas retarder son adoption. Toutefois, nos droits inhérents doivent être respectés.

Après avoir formulé tous ces propos et toutes ces recommandations, je dirais que ce qui est triste, c’est le fait qu’une très petite part de votre bon travail s’appliquera à notre Territoire du Traité 2. Nous n’avons aucun moyen de le savoir, mais nous avons l’impression que le comité n’a pas été informé de la situation à laquelle nous faisons face et qu’on vous demande à chacun d’entre vous, les sénateurs, de contribuer à la perpétration continue de graves injustices.

La protection, la propriété, la distribution, l’utilisation et la gestion du poisson et de son habitat au Manitoba sont régies par la Constitution canadienne, par des traités et par les lois fédérales et manitobaines. Le Traité no 2 prévoyait qu’une partie des terres se trouvant sur le territoire serait occupée par des immigrants et des colons, pourvu qu’un dédommagement soit versé par le Canada. La Constitution prévoit que toute loi du Canada qui contredit cet accord n’a pas force exécutoire.

Les pêches doivent être gérées conjointement. Les Premières Nations du Territoire du Traité 2 demandent à entamer immédiatement des discussions avec le Canada et sont prêtes à le faire. L’obligation de tenir des consultations doit être respectée en ce qui concerne ces modifications. On pourrait raisonnablement faire valoir que l’indemnisation serait versée par le Canada pour l’utilisation des eaux par les colons et pour les poissons qu’ils ont pris. Au fil des ans, les conséquences ont été négatives au point que les pêches très productives qui, autrefois, subvenaient à nos besoins vitaux ont pratiquement disparu.

L’actuelle loi sur les biens de pêche est une ressource provisoire. Le Traité no 2 a été ratifié en 1871 sans aucune mention des ressources naturelles. Toutefois, la Loi de 1930 sur les ressources naturelles prétendait donner force de loi au transfert de compétences à chacune des provinces des Prairies. Les Premières Nations parties au Traité no 2 n’ont jamais consenti à cela.

Concernant la compétence fédérale et provinciale mixte : le Parlement canadien a exercé sa compétence constitutionnelle exclusive d’adopter des lois pour la conservation du poisson, notamment en établissant des saisons et des quotas de pêche, des limites de grosseur et des restrictions touchant l’équipement. Ce n’est pas lui qui le fait; c’est le Manitoba.

En ce qui concerne la gestion et l’administration des pêches : même si, dans ses pratiques, le Canada suppose que la loi lui confère le pouvoir et la responsabilité ultimes à l’égard des affaires touchant le poisson et la conservation de son habitat, la plupart des activités quotidiennes de gestion et d’administration de la réglementation fédérale du poisson ont effectivement été déléguées aux responsables du Manitoba, au ministre de la Gestion des ressources hydriques, au directeur des pêches et aux agents des pêches employés par le Manitoba. Ce sont eux qui nous arrêtent lorsque nous exerçons nos droits inhérents. Nous vous rappelons encore une fois que nous n’avons jamais cédé notre souveraineté ni renoncé à notre droit à l’autodétermination et à l’autoréglementation en ce qui a trait à la gestion et au contrôle de nos ressources naturelles.

Des mesures de réconciliation sont requises; voilà mon dernier commentaire.

Nous recommandons la prise des mesures suivantes : le Canada doit mettre en œuvre la consultation immédiate des Premières Nations parties au Traité no 2 afin de créer une initiative de gestion conjointe visant à assainir les cours d’eau préoccupants et leur habitat, c’est-à-dire les exigences relatives à la réglementation de la restauration, la surveillance, et cetera.

Nous remercions le comité d’avoir écouté. Nous avons hâte que vous dissipiez nos préoccupations relativement au projet de loi C-68 en ce qui a trait au Territoire du Traité 2. Nous vous informons également que nos préoccupations concernant nos droits inhérents, que nous avons mentionnés dans l’exposé d’aujourd’hui, seront transmises aux ministres. Nous nous attendons à ce que ces consultations soient mises en œuvre.

Le président : Je vous remercie, monsieur Maud.

George Ginnish, chef, Première Nation d’Eel Ground : Bonsoir, mesdames et messieurs les sénateurs. Je veux reconnaître que nous sommes sur le territoire algonquin des Anishinaabes. Je vous remercie de l’invitation et de la possibilité de vous présenter le point de vue des Micmacs du Canada atlantique.

Je suis le chef George Ginnish, chef de Natoaganeg, Première Nation d’Eel Ground, et nous aurons un test à ce sujet plus tard. J’ai également présidé Mi’gmawe’l Tplu’taqnn Inc., au sujet de laquelle il y aura aussi des questions. Nous représentons huit des neuf Premières Nations micmaques du Nouveau-Brunswick.

Les Micmacs sont les habitants officiels de Mi’kma’ki, un territoire qui comprend de grandes parties des provinces de l’Atlantique, du Québec et du Nord-Est des États-Unis. Nous occupons ces terres et ces eaux depuis la nuit des temps. Nous sommes signataires des traités de paix et d’amitié conclus par nos ancêtres et la Couronne britannique entre 1725 et 1779. Aujourd’hui, nous travaillons à la mise en œuvre de nos droits prévus par traités au moyen d’accords de mise en œuvre des droits conclus avec le Canada.

Nous avons prouvé nos droits ancestraux et conférés par les traités en matière de chasse, de pêche, de récolte et de cueillette sur notre territoire, pour répondre à nos besoins alimentaires, sociaux et cérémonials, ainsi que pour effectuer des échanges commerciaux et gagner notre vie. Pourtant, 20 ans après l’arrêt Marshall, notre droit conféré par les traités de tirer une subsistance convenable des ressources n’a pas encore été mis en œuvre.

Aujourd’hui, la pêche et nos eaux demeurent au cœur de notre mode de vie. Notre population suit les traditions les plus importantes de nos ancêtres, y compris la pêche à l’anguille, au saumon et à d’autres espèces de poisson et la chasse à la sauvagine. Nous sommes les intendants et les gardiens de ces eaux depuis des millénaires.

Beaucoup de nos gens consomment régulièrement le produit de la pêche locale, ce qui signifie que la protection de l’habitat dans les zones de pêche est essentielle. La protection de l’habitat est très importante et pas seulement pour la pêche, mais aussi pour le gibier qui nous nourrit et qui se nourrit des nutriments dans l’habitat.

Nos eaux et nos lieux de pêche subissent des pressions croissantes à cause de la surpêche et des activités que nous menons sur nos terres et dans nos eaux, lesquelles sont néfastes pour le poisson, pour les espèces aquatiques et pour leur habitat. L’anguille américaine, l’esturgeon et le saumon sont autant d’espèces autrefois abondantes dont dépendent les Micmacs et qui sont maintenant en péril.

En même temps, nous devons nous battre contre le MPO pour obtenir un accès limité à des espèces abondantes comme le bar d’Amérique et le crabe des neiges, qui peuvent favoriser le rétablissement de nos économies communautaires.

Les pratiques de chasse, de pêche et d’exploitation des ressources des Micmacs étaient et demeurent conformes à nos valeurs culturelles et à nos lois. Ces valeurs ont été adoptées dans le but de préserver l’intégrité écologique de l’environnement. Notre droit de pêcher et de le faire d’une manière durable est essentiel à la survie culturelle, spirituelle et physique de notre peuple. En participant à ces processus, nous cherchons à garantir un environnement sain pour nos futures générations.

À ce jour, notre organisation a tenté de participer tout au long de l’examen de la Loi sur les pêches, et ce, à toutes les occasions qui nous ont été offertes.

Nos observations sont fondées sur les principes suivants : une relation de nation à nation entre les Micmacs et le Canada; l’esprit de partenariat et de coopération qu’incarnent nos traités, y compris les décisions partagées dans certains domaines, et la compétence exclusive des Micmacs dans d’autres; et l’intendance partagée de nos territoires et de nos eaux, y compris un rôle de premier plan pour les Micmacs dans la surveillance et dans l’application de la loi.

Je souligne le besoin d’une mobilisation précoce, un défi en ce qui a trait aux consultations sur de nombreux enjeux; d’un financement adéquat pour une participation véritable, sous forme de financement continu des capacités et de la participation à des projets particuliers; d’une inclusion significative des connaissances et des droits autochtones des Micmacs dans le cadre de tout processus; d’une approche holistique et complète à l’égard des processus de réglementation, laquelle tiendra compte des impacts cumulatifs et régionaux; et d’un consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause par les Micmacs, conformément à la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.

En janvier 2017, notre organisation a adressé des observations écrites au ministre des Pêches dans le cadre de son examen de la Loi sur les pêches. En septembre 2017, nous avons fourni d’autres observations écrites dans le cadre de l’examen de cette loi. Toutefois, on ne nous pas donné la possibilité de comparaître devant le comité permanent de la Chambre des communes dans le cadre de l’examen initial de la Loi sur les pêches ou des audiences sur le projet de loi C-68. Nous n’avons pas non plus eu l’occasion d’intervenir directement, en personne, auprès des responsables du MPO.

Nous vous sommes reconnaissants de nous donner la possibilité de prendre la parole aujourd’hui et de vous faire part de nos préoccupations.

Nous voyons des changements positifs dans le projet de loi C-68, notamment le rétablissement des dispositions de la loi relatives à la détérioration, à la destruction ou à la perturbation, l’obligation de tenir compte, dans toute décision prise au titre de la loi, des effets préjudiciables sur nos droits ancestraux et conférés par les traités; et les pouvoirs étendus du ministre, qui pourra conclure des accords avec les corps dirigeants autochtones, élément qui sera essentiel à la conclusion d’ententes appropriées avec la Couronne concernant nos droits et notre intendance à l’égard de nos eaux.

Malgré ces éléments positifs, nous continuons d’être préoccupés par d’autres aspects du projet de loi, notamment la définition du terme anglais « Indigenous fishery ». Le projet de loi C-68 supprimera la définition du terme anglais « Aboriginal fishery » pour la remplacer par une définition du terme « Indigenous fishery », laquelle est limitative et problématique. Elle n’englobe que la pêche pratiquée à des fins de consommation personnelle, à des fins sociales ou cérémoniales ou à des fins prévues dans un accord sur les revendications territoriales. La nouvelle définition ne reconnaît pas les pêches micmaques qui sont protégées en vertu de nos traités de paix et d’amitié. La Loi sur les pêches ne devrait pas consacrer la discrimination à l’endroit de groupes autochtones qui ont signé des traités historiques avec la Couronne. La définition du terme « Indigenous fisheries » devrait englober toutes les pêches protégées au titre du traité, qu’il s’agisse d’un traité historique ou découlant d’une revendication territoriale moderne.

Le libellé de l’article 2.3 proposé du projet de loi suscite également des préoccupations pour notre organisation. Il diffère de celui que l’on retrouve à l’article 35 de la Loi constitutionnelle et dans l’article 2.4 proposé du projet de loi. Il faudrait supprimer l’expression « à la protection des » de l’article 2.3, car elle n’est pas claire et semble limiter la protection conférée à nos droits par l’article 35.

En outre, nous sommes d’avis que les autorisations accordées au titre de la Loi sur les pêches devraient déclencher des évaluations environnementales. Nous avons été témoins d’un certain nombre de projets menés sur notre territoire, y compris le dragage d’eaux et de grands projets miniers, où l’évaluation environnementale était essentielle et où l’autorisation au titre de la Loi sur les pêches était le principal déclencheur d’une évaluation environnementale. Si elles déclenchaient une évaluation, ces autorisations garantiraient l’examen et la prise en considération de tous les facteurs relatifs à un projet, ce qui est essentiel pour protéger nos droits garantis par la Constitution.

Enfin, nous insistons sur le fait que, comme intendants et gardiens traditionnels de notre territoire de Mi’kma’ki, nos gens sont les mieux placés pour fournir les connaissances pertinentes ainsi que pour prendre des décisions, assurer la surveillance et faire respecter les mesures de protection en ce qui concerne les projets menés sur notre territoire. La Loi sur les pêches doit être modifiée de manière à tenir compte de cette réalité. Merci.

Le président : Je vous remercie, chef Ginnish.

Nous allons passer aux premières questions, avec notre vice‑président.

Le sénateur Gold : Merci beaucoup, messieurs. Je vous remercie infiniment de votre présence. Vous avez soulevé beaucoup de questions. Je me concentrerai seulement sur deux ou trois, sachant que mes collègues en aborderont de nombreuses autres.

Ma première question porte sur l’inclusion dans la loi de mentions du savoir autochtone, lequel constitue l’une des considérations qui pourraient être prises en compte, même si ce n’est pas obligatoire. Je me demande si vous pourriez simplement nous faire part de vos commentaires, de façon générale, et préciser si vous pensez qu’il s’agit d’un pas dans la bonne direction, si vous pensez qu’il y a d’autres moyens qui permettraient de mieux l’exprimer et comment vous voyez cet élément être intégré dans les mécanismes décisionnels prévus par la loi. En réalité, cette question s’adresse à tous ceux qui pourraient vouloir y répondre.

M. Ginnish : Je pourrais vous faire part de mon point de vue, car nous sommes actuellement dans une situation, au bord de la rivière Miramichi, où notre aliment culturel traditionnel — le saumon — court un grand risque. Nous connaissons des difficultés relativement à la façon dont une nouvelle espèce menace le saumon. Pour l’avenir, nous avons avisé le MPO et d’autres groupes du fait que le savoir autochtone doit éclairer le processus, qu’une étude de ce savoir devra être effectuée en ce qui concerne la rivière Miramichi dorénavant. Nous l’exigeons depuis des années et, jusqu’à présent, elle n’a pas eu lieu.

Un certain nombre de nos partenaires veulent se charger de la gestion. De notre point de vue, nous avons été tenus à l’écart de cette gestion concertée; il s’agit d’un terme qui n’a pas vraiment été appliqué. Quant à la santé de notre rivière pour l’avenir, le savoir autochtone est absolument essentiel. Ce ne peut pas être une simple possibilité; ce doit être fait, tout simplement.

M. Paul : Même si c’est déjà bien que ce soit déjà considéré, dans la version anglaise de la loi, comme un « may » nous devrions appuyer également l’ajout du verbe « shall ». Cela permettra d’assurer la collaboration avec les Autochtones sur ces questions importantes.

Le sénateur Gold : Chef Teegee, seriez-vous d’accord?

M. Teegee : Je dirais oui. L’expérience que nous avons ici, nos connaissances historiques sur les nombreuses espèces qui reviennent à l’intérieur des terres en Colombie-Britannique, nous pouvons voir les changements qui se sont produits au cours de nombreuses décennies, voire de millénaires. Je pense que le savoir accumulé permettra aux Premières Nations et peut-être aussi au gouvernement et à l’industrie de prendre de meilleures décisions pour certaines de ces questions liées à ce qui se passe ici, en Colombie-Britannique, en particulier l’utilisation des cours d’eau pour l’exploitation minière ou l’utilisation des passages dans les océans pour la circulation des pétroliers et ainsi de suite.

Je pense que le savoir traditionnel, que ce soit ici ou sur la côte Ouest, à l’intérieur des terres, sur la côte Est ou dans le Nord, est le savoir accumulé qui montre réellement qu’il y a des gens sur le territoire, en ce moment, et qu’il y a des gens sur les cours d’eau qui utilisent les terres. Il y a des observateurs sur place qui ont accumulé des connaissances historiques, mais c’est aussi devenu, maintenant, les connaissances des populations locales qui sont sur le territoire.

Quelle meilleure façon d’acquérir davantage de savoir que d’avoir des gens qui sont déjà là?

Le sénateur Gold : Merci. Ma mémoire me fait peut-être défaut, mais je me rappelle qu’un précédent témoin a expliqué la différence entre les mots anglais « may » et « shall ». Bien sûr, le savoir appartient à chacune de vos collectivités. Il a été dit que les mots « must » ou « shall » ne cadreraient pas avec le fait que le savoir appartient à votre collectivité, et vous pourrez choisir de le partager ou de fixer des conditions pour ce qui est de la divulgation et ainsi de suite. Je peux me tromper, mais je crois que nous avons entendu un témoignage à cet égard. J’aimerais en avoir la confirmation. Est-ce que cela est logique pour vous?

M. Ginnish : Selon notre perspective, en Atlantique, et au Nouveau-Brunswick surtout, bien que nous respections ce point de vue, ce n’est pas notre point de vue, au Nouveau-Brunswick. Nous pensons que cela fait trop longtemps que nous attendons que le savoir autochtone fasse partie de la gestion de nos systèmes, et bon nombre des préjudices et tout ce que nous vivons en ce moment sont dus au fait que ce savoir n’a pas été intégré dans le processus.

M. Paul : D’après ce que j’ai compris de la manière dont cela sera appliqué, si cela devait être envisagé, le ministère devra faire participer les Premières Nations. La décision leur reviendra ensuite pour ce qui est de communiquer ou non l’information. Des protocoles seront mis en place à l’échelle locale pour offrir une protection, et on devra appuyer les méthodologies mises en place à l’échelle locale pour que le gouvernement reçoive l’information appropriée. Il y aura des négociations sur la façon dont la protection sera assurée.

Le sénateur Gold : Le terme anglais « shall » n’est pas en contradiction avec la propriété exclusive.

M. Paul : Ça ne devrait pas non plus. La participation des Premières Nations sera exigée, mais elles auront toujours le choix de participer ou non au processus.

Le sénateur Gold : Merci de votre réponse.

Le sénateur Wells : Je remercie les témoins qui sont ici, et le chef Teegee qui est en Colombie-Britannique.

J’aimerais revenir sur la question du sénateur Gold. C’est une question qui m’a été posée il y a deux ou trois semaines dans le cadre de l’étude du projet de loi qui nous occupe.

Il est important que nous utilisions le savoir autochtone et que nous en tirions profit. Je comprends tout à fait cela. Qu’en est-il des cas où on tient compte des quotas, des allocations et des autres décisions fondées sur des données scientifiques, quand il n’y a pas de savoir autochtone? Par exemple, sur la côte nord-est de ma province, Terre-Neuve-et-Labrador, où il n’y a pas eu de pêche autochtone depuis 500 ans, et s’il n’y avait pas de collectivité autochtone dans la région, ou plus au large des côtes, pour établir des quotas et envisager des allocations, quand il n’y a pas de lien historique à des kilomètres au large des côtes.

Nous devons être prudents. Si nous utilisons « shall », c’est une exigence. Si nous utilisons « may », ce sera davantage une décision relevant du ministre en poste.

Envisageriez-vous de faire preuve de souplesse dans les régions où il n’y a clairement pas de savoir autochtone? Je reconnais le savoir autochtone dans le réseau hydrographique du Manitoba, à savoir le lac Winnipeg, la côte Ouest et les abondantes pêches de saumon, là bas, des endroits au Nouveau-Brunswick et en Nouvelle-Écosse et certaines régions de Terre-Neuve-et-Labrador. Envisageriez-vous d’en faire une exigence, pour essayer d’intégrer le savoir autochtone dans des endroits où il n’y en a clairement pas?

M. Paul : La compréhension du savoir autochtone est très étroitement interprétée. Ce n’est pas uniquement une question de savoir. Du point de vue des Autochtones, le savoir est une chose objective que vous pouvez recevoir, écrire dans un livre et conserver. Il y a tout un système de valeurs intégré dans le savoir autochtone.

Dans mon travail, j’essaie de faire comprendre aux gens que, quand vous faites affaire avec des Autochtones des pêches, que vous parlez de gestion des pêches par exemple, vous ne parlez pas seulement du savoir autochtone que vous intégrez à l’aspect scientifique. Vous devez examiner le plan dans son ensemble.

Par exemple, les Autochtones considèrent l’approche préventive comme étant une acceptation générale. Ils ne vont pas pratiquer la surpêche. Le ministère des Pêches et des Océans est aux prises avec les effets cumulatifs, mais les Autochtones considèrent que tout est inclus. Tout ce système de valeurs fait partie intégrante du savoir autochtone, comme le fait de se voir comme faisant partie de l’écosystème, au lieu que l’écosystème soit un élément séparé que vous pouvez gérer.

Quand les gens demandent si les Autochtones possèdent un savoir sur ce qui se passe au large des côtes, je réponds que, si les Autochtones connaissaient les paramètres de ce qui se passe au large des côtes, et qu’ils présentaient une approche sur la façon de gérer des choses comme les espèces migratrices, les concessions et ainsi de suite, ils seraient en mesure de donner une bonne information, qui fait partie de la base de connaissances qui pourraient être partagées.

La définition du savoir autochtone, dans la loi, doit permettre aux Autochtones et aux nations autochtones, à l’échelle locale, de le définir pour eux-mêmes et le partager à l’extérieur de leur collectivité.

Le sénateur Wells : Je comprends.

Chef Teegee, en Colombie-Britannique, avez-vous un commentaire à ce sujet?

M. Teegee : [Inaudible] ou toute autre espèce, y compris au large des côtes. Il y a une notion selon laquelle les Premières Nations étaient enclavées, ou très limitées au chapitre de l’utilisation de ces espèces au large des côtes de la Colombie-Britannique. Encore une fois, même la science est en train de déterminer que, peut-être, nous n’étions pas aussi enclavés que les livres d’histoire le suggéraient, surtout pour ce qui est de la question du saumon sauvage et de la façon dont les décisions sont prises dans les eaux internationales. Bon nombre des espèces qui reviennent, que ce soit le saumon kéta, le saumon coho ou le saumon rouge, prennent plus de 99 p. 100 de leur poids en devenant adultes, dans les océans, et ils reviennent dans les cours d’eau à l’intérieur de la Colombie-Britannique.

Toutes ces décisions sont importantes dans le processus décisionnel des Premières Nations, et pour les grandes questions, du gouvernement et de l’industrie, en particulier l’industrie de la pêche.

Le savoir autochtone, comme mon collègue Ken Paul l’a dit, c’est beaucoup plus que la base scientifique et l’idéologie occidentale touchant le sens du mot savoir. C’est la façon dont nous sommes liés aux espèces de saumon. C’est la façon dont nous utilisons ce saumon et ce qu’il signifie pour nous, pour notre survie.

À bien des égards, le lien le plus étroit que je pourrais faire avec le monde occidental, c’est le lien spirituel et religieux qu’on a avec une chose. C’est ce lien que nous avons avec le saumon, que nous vénérons. Pour bon nombre de collectivités autochtones du pays, ce sont les liens que nous entretenons avec l’environnement et surtout avec les choses qui nous sont chères et qui nous permettent de vivre, comme le saumon et de nombreuses espèces, dans tout le pays. Cela contribue réellement au savoir autochtone, et c’est assez important. Cela doit être reconnu.

La façon dont cela est lié au processus décisionnel est assez importante également, car, simplement, il doit d’une façon ou d’une autre être reconnu.

La façon dont cela est protégé tient à l’autonomie et à chaque nation souveraine, peut-être, ou à la façon dont cela contribue à tout le mécanisme et à la façon dont les décisions sont prises.

Merci d’avoir posé la question.

Le sénateur Wells : Je vous remercie de cette réponse. Actuellement, il y a une approche préventive, que le MPO envisage. Il y a ensuite l’approche écosystémique qu’il envisage également. Serait-ce donc davantage une approche axée sur l’écosystème culturel, chef Teegee?

M. Teegee : Je pense que oui. Je viens d’un endroit qui se trouve à environ 1 000 kilomètres de l’embouchure du fleuve Fraser, à Vancouver. Deux des espèces, les saumons Stuart à remonte précoce et ceux à remonte tardive, ont toujours été un aliment de base dans notre vie. Ces 30 dernières années, nous n’avons pas pu pêcher comme nous le faisions avant. Nous n’avons simplement pas pêché cette espèce au cours des 20 dernières années, à cause de la surpêche dans les océans et tout le long du fleuve Fraser, des températures qui montent et des nombreux obstacles que les saumons doivent surmonter pour retourner dans les zones de frai.

Étant donné ce que ces deux espèces signifient pour nous, quand nous prenons des décisions, nous suivons l’approche préventive pour ce qui est de la conservation. Nous ne pêcherons plus ces espèces jusqu’à ce que leur nombre augmente suffisamment pour que nous puissions les pêcher.

L’année dernière était supposée être une grande année pour la remonte de ces deux espèces. Je crois que les saumons qui sont revenus représentaient 25 p. 100 des chiffres estimés par le MPO.

La plupart du temps, comme je l’ai dit, les chiffres présentés par le MPO sont bien plus élevés que la réalité. Je me souviens d’une seule année, il n’y a pas très longtemps, où les saumons de remonte étaient un peu plus nombreux que ce qui avait été estimé.

C’était la montaison du saumon rouge, dans la rivière Adams. Au-delà de ça, les montaisons sont toujours de plus en plus faibles. Certaines de ces espèces comme le saumon bomber et le saumon rouge se sont fonctionnellement éteintes.

C’est très important. Nous avons besoin d’une loi comme celle-ci, car, dans le dernier rapport des Nations Unies sur la biodiversité, il est indiqué que près d’un million d’espèces sont en voie de disparition ou considérées comme ayant disparu. Bon nombre des espèces vivant dans les océans et dans les cours d’eau figurent sur cette liste.

Le sénateur Wells : Merci de votre réponse. N’oublions pas que, il y a trois ans, avant la Commission d’enquête Cohen, que vous connaissez peut-être, dans le cadre de l’étude sur les montaisons historiquement faibles du saumon de Colombie-Britannique... Je le dis pour mes collègues, la Commission d’enquête Cohen a coûté environ 25 millions de dollars. L’année qui a suivi la publication du rapport Cohen, il y a eu une montaison de 28 millions de saumons, ce qui n’avait manifestement aucun lien avec les bonnes données scientifiques du MPO ou avec la conduite de l’enquête. C’est un type de savoir qui, je pense, serait utile quand on parle de quotas, d’allocations et tout le biome des pêcheries de saumon sur la côte Ouest.

M. Ginnish : J’aimerais ajouter brièvement que le savoir autochtone va de pair avec l’obligation de consulter. J’ai sous les yeux un courriel sur le forage exploratoire dans le bassin Orphan, à Terre-Neuve. Il faut examiner le territoire traditionnel dans un contexte plus large. Les discussions ont lieu. Il y a une possibilité que nous soyons consultés et cela nous convient. Nous voulons avoir cette possibilité, et c’est très important pour tout projet de développement. Même si notre rôle n’est pas aussi grand, nous avons la possibilité, et pour ce projet, nous pouvons dire que, oui, nous avons consulté et nous avons eu...

Le sénateur Wells : Si l’important savoir autochtone contribue à la science — et il s’agit de la protection des espèces selon une approche écosystémique ou selon le principe de prévention —, devrait-on garder cela confidentiel s’il n’y a pas de propriété exclusive? Si le ministre utilise ce savoir en contrepartie de l’instauration d’un quota, il n’appartient à personne, il n’est donc pas confidentiel sur le plan commercial ou autre. Cela devrait-il faire partie de l’initiative en matière de transparence lancée par le ministre? Quelle est votre opinion? Dans la loi, actuellement, il est indiqué que le savoir devrait seulement être communiqué s’il est accessible au public ou qu’il est nécessaire à des fins d’équité procédurale. Je me demandais si vous aviez un commentaire sur la transparence associée au savoir autochtone.

M. Paul : Cela ne devrait-il pas faire partie des négociations sur les accords de divulgation et les protocoles établis avec les Premières Nations visant à savoir si ce savoir pourrait être accessible au public? C’est ainsi que je comprends la façon dont il serait appliqué.

M. Ginnish : Je sais que nous avons fait appel au savoir autochtone pour un certain nombre de projets au Nouveau-Brunswick. Les informations générales peuvent être communiquées. Il y a des renseignements personnels que les gens peuvent communiquer à condition qu’ils restent confidentiels. Comme Ken l’a dit, il faudrait que ce soit inscrit dans un accord. Les gens qui doivent voir verront, et cela ferait partie de ce processus. Il est difficile de trouver un processus qui convient à tout le monde, dans cette situation.

M. Paul : Tant que le projet de loi est rédigé de façon à autoriser ces accords locaux. En général, les Autochtones veulent communiquer cette information, car ils se préoccupent de la santé de la planète et des stocks de poissons.

M. Ginnish : Si cela aura des répercussions, cela ne peut pas rester secret. Cela doit faire partie de la discussion.

Le sénateur Wells : Merci beaucoup. Je vous remercie de vos réponses et de votre savoir.

Le sénateur McInnis : Je n’avais pas de question. J’ai pris quelques notes, et je pensais les passer en revue rapidement avec vous. Cela fait des années que je prête l’oreille aux questions autochtones. Permettez-moi de citer quelques-unes de vos interventions de ce soir. Selon moi, vous devriez repenser votre stratégie.

Je cite :

Vingt ans après l’arrêt Marshall, notre droit conféré par les traités de tirer une subsistance convenable des ressources n’a pas été mis en œuvre.

Et après cela, comme vous l’avez mentionné ce soir, l’affaire Sparrow, était similaire à l’affaire Marshall. La gérance partagée. Vous voulez que les Micmacs aient le rôle principal dans la surveillance et l’exécution, ce qui semble raisonnable. Vous avez été exclus des droits issus de traités. Vous avez été exclus de toute forme de consultation relativement à l’examen de la Loi sur les pêches. Les fonctionnaires du MPO vous ont refusé une rencontre en personne. Ensuite, vous dites que le MPO est trop confiant quant au volume de poissons, et je suppose qu’il s’agit du saumon du Pacifique. Le MPO rejette le savoir autochtone local.

Pour Miramichi, vous ne l’avez pas mentionné, mais je présume que vous faites allusion à l’achigan à grande bouche quand vous parlez des prédateurs du saumon de l’Atlantique. Vous cherchez la cogestion. Et vous voulez qu’on tienne compte du savoir autochtone, que ce soit obligatoire.

Vous avez fait référence à la Constitution, aux traités et aux autres accords, ainsi qu’à l’obligation de consulter.

Il me semble que j’ai déjà entendu cela à maintes reprises. Nous pouvons accomplir un certain nombre de choses en modifiant cette loi, en tenant compte du savoir autochtone et de ce type de choses. Selon moi, il faut revoir la stratégie, par exemple, pour expliquer pourquoi les agents des pêches porteraient des accusations contre quelqu’un qui pêche des anguilles, comme l’a fait Donald Marshall Jr qui a pourtant porté l’affaire devant la Cour suprême du Canada. C’est la common law que nous avons aujourd’hui. Il a gagné le procès, aussi traumatisant que cela l’ait été pour lui. Pourtant, des accusations sont toujours portées contre vous. Ce n’est qu’un exemple.

Il y a de multiples questions. Le fait que vous n’ayez pas été consultés et qu’on vous a refusé la tenue d’une consultation en ce qui concerne le réexamen de la Loi sur les pêches me semble accablant. Je ne vais pas en rajouter, car nous ferons ici tout ce que nous pouvons raisonnablement faire, mais il me semble qu’on vous a souvent claqué la porte au nez. Et je n’apprécie pas cela. Et je suis sûr qu’aucun fonctionnaire ne l’apprécierait non plus. Je les tiens en haute estime. Quelque chose ne va pas ici.

Vous êtes les gens les plus patients que j’ai jamais connus. Vous continuez à revenir. Je ne suis pas certain que vous obtenez ce que vous voulez. Certaines de ces demandes, comme par exemple, l’achigan à grande bouche. Nous avons une série de problèmes avec le saumon de l’Atlantique, avec les phoques, mais il y a un marché pour l’achigan à grande bouche. Il serait excellent pour les Autochtones de les pêcher dans cette région. Cela pourrait aider à faire revenir le saumon de l’Atlantique, mais cela aussi a été refusé. Je n’avais pas l’intention d’en dire autant, mais vous pouvez faire quelques commentaires si vous voulez.

M. Ginnish : Je dois vous dire, sénateur, qu’on observe en fait un déplacement du bar d’Amérique dans la rivière Miramichi. Notre collectivité, à Natoaganeg, a obtenu un permis pour pêcher 50 000 poissons cette année, en réponse. Depuis de nombreuses années, nous frappons à la même porte. Comme dans tout, vous devez être persistants. Si vous abandonnez, vous n’accomplirez rien.

Cela a certainement été le cas dans notre relation avec le ministère des Pêches et des Océans.

Beaucoup de nos collectivités ont signé des accords provisoires, dans le cadre de l’arrêt Marshall, pour améliorer la vie de leurs membres. L’intention a toujours été d’avoir d’autres discussions pour en arriver à un traité sur les pêches et à une subsistance convenable.

Prenez notre collectivité, par exemple; le revenu familial après impôt est de 25 000 $. Un peu plus loin, à deux minutes de chez nous, il est de 52 000 $. Il y a un écart énorme pour ce qui est de la capacité de nos collectivités à relancer notre économie. Quand vous êtes uniquement financé par des programmes sociaux et qu’on vous refuse l’accès à une région qui pourrait renforcer votre collectivité, c’est exaspérant et insultant.

Dans notre cas, en 2025, cela fera 300 ans que nos traités auront été signés. Nous avons une bonne mémoire et beaucoup de patience. Mais ici, nous perdons patience. Cela fait 15 ans que nous frappons à la porte du ministère des Pêches et des Océans pour avoir accès à d’autres pêches commerciales lucratives. Nous allons cette année envoyer une équipe sans quotas à la pêche au crabe des neiges. Nous avons un permis. Nous n’avons pas de quotas. Nous frappons à cette porte depuis une dizaine d’années.

Le sénateur Mockler est bien au courant de ce que nous avons présenté à cet égard. Vous essayez de négocier en paix, logiquement, d’une manière raisonnable, mais nos membres souffrent. La pauvreté fait partie de leur réalité quotidienne.

Je sais que je suis un peu hors sujet ici, mais la sécurité alimentaire — 40 p. 100 des Premières Nations du Canada atlantique — 11 collectivités qui ont travaillé avec l’Université d’Ottawa et l’Université de Montréal, dans le cadre d’une étude... Elle a été réalisée. On ne l’a pas inventée. Vous avez reçu l’information qui montre que nos collectivités se débattent, et qu’elles devraient faire partie de l’économie canadienne pour que nos membres aient un emploi valorisant et l’accès à des débouchés.

Nous continuons à faire valoir ces arguments, et nos chefs le font également, à savoir que nous voulons avoir des possibilités. Donnez-nous des possibilités. Travaillez avec nous. C’est ce que nous demandons, et c’est ce que nous continuerons à demander jusqu’à ce que nous soyons rendus plus loin et que nos membres estiment qu’ils ont accès aux mêmes possibilités que tous les autres citoyens de ce pays.

M. Maud : Je suis du même avis que mon collègue. Sur le Territoire du Traité 2, il a été très difficile pour nos membres d’exercer leurs droits inhérents. En ce moment, les brochets sont en train de frayer dans certains de nos cours d’eau. Le ministère du Développement durable du Manitoba a collaboré avec les collectivités du Traité no 2 pour faire en sorte que nos membres ne soient plus accusés.

Nos membres, pour la plupart, pratiquent la pêche durable. Ils essaient de ne pas pêcher les reproducteurs, à savoir les grandes femelles, celles qui pondent beaucoup d’œufs.

C’était vraiment difficile; de 40 à 50 p. 100 de nos membres reçoivent de l’aide sociale. Actuellement, pendant que les poissons se reproduisent, ils utilisent une canne et un moulinet pour nourrir leur famille. En même temps, les autres années, la province a porté de nombreuses accusations. Nous livrons un dur combat.

On parle un peu du savoir traditionnel. Certains de nos aînés m’ont dit, à moi et aux agents de conservation du Manitoba, que nous n’allons pas assainir ce lac où nos membres vont pêcher aujourd’hui même pour assurer leur subsistance. Nous n’assainirons pas ce lac.

En fait, l’année dernière, nous avons trouvé naturellement une solution. Nous avons recueilli des mâles et des œufs de femelles. Je connais quelqu’un qui a une écloserie. Nous avons mis 500 000 œufs en incubation, dans l’écloserie, et nous les avons ramenés au lac Dauphin. Nous avons trouvé une solution.

J’aimerais parler d’une de nos collectivités, la Première Nation Skownan, ma collectivité d’origine. C’est l’une des neuf collectivités du Traité no 2. Le lac Waterhen, où pêchent mon frère et 22 autres pêcheurs, et cinq Métis, est le premier lac écocertifié d’Amérique du Nord. C’est le lac le mieux géré d’Amérique du Nord, et on y trouve le meilleur bar d’Amérique. Nos pêcheurs pratiquent la durabilité depuis leur naissance, comme leurs grands-pères et leurs arrière-grands-pères. C’est bien géré. Ils s’en tiennent à quelques quotas de pêche, mais ils n’ont jamais fait de surpêche. Ils repeuplent le lac et l’assainissent. En 2014, il a été reconnu par le Marine Stewardship Council comme étant le premier lac écocertifié d’Amérique du Nord. Deux lacs voisins sont également écocertifiés, maintenant.

Nous savons comment préserver une ressource. Les collectivités du Traité no 2 ont ce savoir. Pour cette loi comme pour d’autres, il n’y a pas eu de consultation. J’ai pris connaissance de ces modifications il y a seulement deux mois. Je me suis rendu à ma première réunion. Comme je l’ai dit, je vis près du lac Waterhen. Mon frère est un pêcheur commercial. C’est le lac le mieux géré d’Amérique du Nord. Il est géré par 17 pêcheurs visés par un traité et 5 pêcheurs Métis, en tout 22 pêcheurs.

Nos membres — nos aînés et nos pêcheurs — savent ce qu’est la durabilité. C’est inhérent. Ils sont les gardiens de notre terre. Ils ne font pas de surpêche.

J’ai voulu soulever ce point et parler d’une de nos collectivités, la Première Nation Skownan. Comme je l’ai dit, elle a le premier lac écocertifié d’Amérique du Nord.

Nos membres sont compétents dans des pratiques transmises de génération en génération, et cela continuera. Toutefois, il y a des projets et des espèces envahissantes qui pourraient menacer notre lac.

Nous travaillons en collaboration avec le gouvernement fédéral et la province pour lutter contre les espèces envahissantes. Le Traité no 2 nous aide dans ce sens. Nous allons discuter avec vous et avec la province du Manitoba. Nous allons discuter avec nos voisins non autochtones et nous allons essayer de conclure des ententes. Je voulais vous le dire.

Le sénateur Campbell : Bienvenue. Je suis content d’apprendre qu’il pourrait y avoir une solution pour le problème du bar d’Amérique. Grâce à un sénateur du Nouveau-Brunswick, j’ai pu visiter Miramichi. Comme je viens de la côte Ouest, j’ai vu que de toute évidence, il y a des difficultés là-bas. Plus tôt nous réglons le problème, mieux ce sera.

Ma question est la suivante : « shall » ou « may »? Qu’y a-t-il de mal à simplement mettre « shall », point final, fin de la discussion? En fait, toutes les choses dont le sénateur McInnis a parlé — les arrêts Marshall et Sparrow —, montrent qu’ils vous ignorent de toute façon, sérieusement. Ils ignorent la Cour suprême. Le gouvernement ignore régulièrement la Cour suprême.

Que se passe-t-il si nous ajoutons « shall »? Quel serait le désavantage? Il n’y aura aucun désavantage de votre côté. Personne ne m’a encore expliqué, jusqu’ici, quels seraient les désavantages pour nous.

M. Teegee : Je ne vois pas de désavantage; le fait est que les Premières Nations détiennent du savoir, sont souveraines et sont autonomes. Je crois que c’est mon collègue, M. Paul, qui a parlé, plus tôt, de l’utilisation du mot « shall » dans la version anglaise. À mes yeux, cela témoigne d’un engagement. Le gouvernement s’est engagé à faire participer les Premières Nations au processus décisionnel. Je crois que M. Paul a dit plus tôt que certaines dispositions allaient garantir la protection des connaissances exclusives. Plus important encore, selon moi, cela est en harmonie avec la déclaration relative au consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause en ce qui a trait à la participation des Premières Nations. Je ne vois pas de désavantage, pourvu qu’il y ait dans le processus décisionnel des mesures protégeant les connaissances propres aux Autochtones.

Voilà ce que je pense. Je suis d’accord avec vous.

Le sénateur Campbell : J’ai un dernier commentaire à faire. J’inviterais tous ceux qui croient qu’il n’y a pas de pêche en haute mer à aller voir les Haïdas et les Salish de la Côte. On chasse la baleine très loin en haute mer. Ils ont des connaissances. D’accord, certains disent que ces connaissances ont été perdues, mais j’en doute. Je crois que les connaissances ont été transmises de génération en génération, seulement, peut‑être pas de la façon habituelle. Sur la côte Ouest, la chasse à la baleine se fait en haute mer. C’est là que les chasseurs vont.

La sénatrice Poirier : Nous avons déjà discuté de bon nombre des sujets que je voulais aborder. J’aimerais insister sur deux ou trois choses. Monsieur Ginnish, dans votre exposé, vous avez dit que les pêches des Micmacs ne sont pas reconnues dans la nouvelle définition. Encore une fois, pratiquement tous les témoins d’aujourd’hui nous ont dit qu’il n’y avait eu absolument aucune consultation à propos de la nouvelle définition du projet de loi C-68. C’est aussi ce que les représentants de divers groupes nous ont dit au cours des séances précédentes.

Aussi, monsieur Maud, voici ce que vous avez dit dans votre exposé : « Nous nous attendons non seulement à ce que la loi sur les pêches proposée — le projet de loi C-68 — assure la protection pour aujourd’hui, mais aussi à ce qu’elle dure pour de nombreuses générations à venir. » De la façon dont vous le dites, je suis portée à croire que vous doutez que cela se fasse.

Vous avez d’autres préoccupations... À la page 3, vous dites : « Nous demandons au ministère d’indiquer en quoi cette évaluation est erronée. » Mais il semble que vous n’avez toujours pas obtenu de réponse.

Dans un autre paragraphe, vous dites : « Toutefois, nos droits inhérents doivent être respectés ». Vous ajoutez que l’obligation de tenir des consultations doit respecter tout cela.

Mon collègue, le sénateur McInnis, a évoqué votre patience, et il est vrai que vous en avez énormément. Je veux que vous sachiez que nous vous avons bien entendu. Vous avez malgré tout mentionné, dans votre exposé, que le projet de loi est positif dans l’ensemble, qu’il représentait une amélioration et que nous ne devrions pas retarder son adoption.

Même si mes commentaires ne constituent pas vraiment une question, j’aimerais demander à chacun de vous de formuler une réponse, si vous le voulez bien. Même si nous voulons que le projet de loi soit adopté, j’ai l’impression, à la lumière des témoignages, que vous êtes déçus du manque de consultations. Il y a aussi des préoccupations touchant le manque de reconnaissance des pêches autochtones, dans le projet de loi. Est‑ce que j’ai bien compris?

M. Maud : Oui, madame la sénatrice. Comme je l’ai dit, j’ai pris connaissance de ces modifications il y a deux ou trois mois seulement. Je n’ai pas eu l’occasion d’en discuter avec la collectivité. Il y a neuf Premières Nations du Traité 2. Il faut que ce soit traduit en ojibwé. L’ojibwé est la langue maternelle dans la plupart de nos neuf Premières Nations. Je ne le parle pas couramment, je l’ai oublié quand j’étais au pensionnat. Je suis un survivant. Je ne peux pas rentrer chez moi et entreprendre une traduction.

Voilà pourquoi je crois que, par rapport à l’obligation de consulter, il faut des interprètes... Même s’il y a des mots qui ne peuvent pas être traduits de l’ojibwé à l’anglais et vice versa. Prenez par exemple le verbe « surrender ». On ne peut pas traduire ce verbe en ojibwé. La seule acception qui existe pour ce verbe, en ojibwé, c’est abandonner une guerre, c’est-à-dire quand une des deux parties abandonne. Beaucoup de mots ont plus d’un sens. Même le mot « shall ». Essayez de l’expliquer à nos aînés, et ils vont peut-être vous donner deux ou trois réponses différentes en ojibwé. C’est la vérité.

En ce qui concerne la patience, nous avons été très patients. C’est l’une de nos vertus. Notre peuple doit être consulté, et il doit être informé dans sa langue. Comme je l’ai dit, faites participer nos aînés. Ils veulent participer. Quand je serai de retour dans ma collectivité, je vais devoir, bien sûr, trouver quelqu’un pour faire la traduction dans notre langue. Oui, nous devons être consultés. L’obligation de consulter est d’une importance cruciale. Elle est cruciale, si nous voulons aller de l’avant.

La sénatrice Poirier : Merci.

M. Ginnish : J’aimerais ajouter quelque chose. L’obligation de consulter, par rapport à nos droits ancestraux et issus de traités, ne se compare pas aux consultations que le gouvernement peut mener auprès des intervenants. La consultation est une obligation prévue par la loi, et la loi prévoit également que la consultation doit être constructive. Ce n’est pas toujours le cas. En l’occurrence, nous sommes d’avis que la consultation était limitée. Nous avons pu envoyer deux ou trois mémoires, mais nous n’avons jamais vraiment eu la chance d’examiner la question sous toutes ses coutures, de discuter des points importants pour nous et de faire des propositions sur ce qui devrait être inclus.

On nous disait que le temps pressait, qu’il n’y avait pas assez de fonds, qu’il est difficile de rassembler tout le monde, qu’il est difficile de déployer autant d’efforts. De notre point de vue, quand ce sont nos droits qui sont concernés ou touchés, cela doit se faire. Il faut que les choses se fassent, et à cette échelle-là. Voilà pourquoi nous saisissons toutes les occasions qui se présentent, comme celle-ci, pour insister vraiment là-dessus, parce que nous n’avons pas toujours l’occasion de dire au gouvernement — à cet ordre de gouvernement — ce que nous vivons concrètement ni de lui parler des difficultés auxquelles nous sommes confrontés. Même lorsque nous rencontrons les représentants des gouvernements provinciaux à propos de questions qui relèvent de leur compétence... Il y a tellement d’obstacles à surmonter et tellement de discussions auxquelles nous voulons prendre part.

Au Nouveau-Brunswick, nous menons des négociations axées sur nos droits. L’une de ces négociations concerne la pêche, et c’est l’une des plus compliquées. Même si nous pouvons compter régulièrement sur des négociateurs dévoués, dans le cadre de ces discussions, nous avons toujours de la difficulté à faire avancer les choses.

M. Paul : L’APN n’est pas une organisation de défense des droits. Nous ne participons pas aux consultations, et nous ne sommes pas titulaires de droits. Je veux mettre l’accent sur le fait que tout ce processus a commencé en 2016. Il semble que les Premières Nations sont déçues des efforts de consultation; la plupart des dossiers ont l’air d’être axés sur les droits prévus à l’article 35, c’est-à-dire les droits ancestraux et issus de traités. On a l’impression que ces droits ne sont ni respectés ni protégés. J’espère que l’on pourra ajouter des dispositions à ce sujet ou renforcer la conformité avec la déclaration des Nations Unies. Dans l’ensemble, cette initiative du gouvernement fédéral actuelle est, dans les faits, un effort de réparation, en réaction à ce qu’a fait le gouvernement fédéral précédent, qui ne menait aucune consultation et adoptait des projets de loi omnibus pour sabrer dans les mesures de protection de l’environnement et des habitats du poisson.

Nous sommes conscients de l’engagement sans précédent qui a été pris dans ce dossier. En ce qui concerne la consultation, ce sont nos titulaires de droits qui détermineront dans quelle mesure ils doivent participer. Essentiellement, l’important est de veiller à ce que les droits prévus à l’article 35 de la Loi constitutionnelle soient protégés.

La sénatrice Poirier : Merci.

Le sénateur Christmas : Compte tenu de notre temps limité, j’ai une question à poser au chef Ginnish.

Chef Ginnish, vous avez dit dans votre témoignage qu’il s’est écoulé 20 ans depuis l’arrêt Marshall. Vous avez souligné que la définition des pêches autochtones n’englobe pas la pêche visée dans un traité ou la pêche de subsistance convenable; l’important, c’est que vous avez dit avoir entrepris des négociations axées sur vos droits.

Pouvez-vous nous expliquer en détail ce qui se passe pendant ces discussions? Que négociez-vous? Les droits issus des traités des Micmacs touchent-ils la pêche de subsistance convenable? Discutez-vous de cela, et si oui, êtes-vous satisfait de la discussion?

M. Ginnish : En ce qui concerne le projet de loi, il y a un problème que notre groupe a cerné : dans la version anglaise, on remplace la définition de « Aboriginal fishery » par la définition de « Indigenous fishery », et nous croyons que cela est limité dans le projet de loi.

Pour ce qui est des négociations que nous avons au Nouveau-Brunswick avec les Micmacs, nous venons de conclure une entente-cadre avec le Canada. Nous envisageons d’entreprendre un certain nombre de négociations afin de faire valoir nos droits. Nous ne sommes pas d’accord avec les clauses de résiliation. Nous refusons de céder nos terres. Cependant, nous devons avoir accès aux pêches et aux ressources naturelles pour nous assurer une subsistance convenable sans avoir à payer pour exercer nos droits. Présentement, c’est un problème.

Le gouvernement fédéral, nos collectivités et la province sont en train de négocier. Certaines discussions progressent plus rapidement que d’autres. J’ai l’impression que les négociations avec Parcs Canada sont les seules où tout le monde s’entend et où nous faisons de grands progrès. En ce qui concerne les pêches, ce n’est pas facile, parce que notre objectif est de rétablir nos nations. Nous voulons rétablir notre économie.

Les données du recensement — et ce sont des données fiables —, montrent qu’il y a un écart entre les gens des Premières Nations, au Nouveau-Brunswick, et le reste des Canadiens. Cela est probablement aussi vrai dans le reste du Canada. Nous avons accumulé un énorme retard, et nous en sentons les répercussions dans beaucoup de domaines, par exemple en santé et en éducation. Le revenu disponible est un facteur très important pour la réussite scolaire. Nous avons besoin de ces choses si nous voulons prospérer. C’est difficile d’obtenir du soutien dans le cadre de ces négociations. C’est un long processus, et nous progressons seulement par étapes, mais nous persévérons. Nous avons un stock de 50 000 bars rayés, et nous espérons qu’il aidera à éliminer une partie de la population de ce vilain prédateur de nos cours d’eau.

Il y a d’autres choses que nous cherchons à obtenir, grâce aux négociations, mais jusqu’ici, le processus a été très lent. Les négociations demandent beaucoup de temps et d’énergie.

Le sénateur Christmas : Merci, chef Ginnish, d’avoir illustré pour nous votre situation.

Le président : Merci, sénateur Christmas. Je tiens à remercier nos invités de leurs témoignages d’aujourd’hui. La discussion a été très constructive. Pour revenir sur ce que le chef Ginnish a dit il y a peu de temps, j’essaie de donner le plus de latitude possible lorsque nous avons ce genre de discussion. Quand vous avez l’occasion de venir témoigner devant nous pour nous faire part des préoccupations des gens que vous représentez, j’essaie de vous donner autant de marge de manœuvre que possible. J’espère que vous avez pu dire tout ce que vous aviez à dire, et, si jamais vous pensez à autre chose, après la fin de la séance, je vous invite à communiquer avec la greffière. Elle nous transmettra le message pendant que nous poursuivons notre étude sur le projet de loi C-68.

Je souhaite la bienvenue à l’honorable Herb Breau. M. Breau a été député fédéral et ministre des Pêches il y a un certain nombre d’années. Je crois que M. Breau a préparé une déclaration préliminaire. Nous passerons ensuite à la période de questions.

Vous avez la parole. Bienvenue.

[Français]

L’honorable Herb Breau, C.P., ancien député, à titre personnel : Merci, monsieur le président. Je suis très heureux d’être ici ce soir. Je vous remercie de votre invitation. Je dois dire que c’est la première fois que j’entre dans ce nouvel édifice qui évoque de bons souvenirs. J’ai été observateur parlementaire à la fameuse conférence de 1981, et devinez avec qui j’ai eu une discussion lors d’une pause? C’était avec M. René Lévesque, qui m’a reconnu parce qu’il connaissait tout le monde en politique. Savez-vous de quoi il voulait parler? Il savait que j’étais Acadien et que j’étais de la côte; il voulait savoir pourquoi les Acadiens ne s’occupaient pas d’étudier l’exploitation des côtes par les compagnies de pêche jersiaises. C’est la première chose dont il voulait discuter avec moi.

[Traduction]

On peut avoir l’impression que les politiques en matière de pêche servent à protéger une époque révolue. Ce qu’il faut comprendre, c’est que cette infrastructure stratégique a été mise en place en fonction de la situation, au milieu des années 1960 et dans les années 1970. J’ai été élu député en 1968. J’ai vu comment l’infrastructure réglementaire a évolué jusqu’à aujourd’hui, et je tiens à dire qu’elle est dépassée et qu’il est grand temps de la moderniser de A à Z. Les gens qui l’ont élaborée ou mis en œuvre n’étaient pas fous; la culture politique de l’époque ne faisait que réagir au fait que les pêches — je parle surtout de l’Est canadien, je connais moins la côte Ouest — de la côte gaspésienne, de la côte du Nouveau-Brunswick, du cap Breton, de Terre-Neuve et de la majeure partie de la Nouvelle-Écosse étaient exploitées par des compagnies jersiaises, des entreprises britanniques et des entreprises étrangères. Je me souviens d’une époque où les pêcheurs ramenaient leurs prises à terre sans avoir aucune idée de leur valeur. On les payait en pommes de terre, en farine, en sucre ou en mélasse. Voilà quelle était la situation à l’époque. Les dirigeants politiques de l’époque devaient prendre des mesures, et cela transcendait leur parti politique. Tout simplement, ils ont réalisé qu’ils devaient intervenir pour régler ce problème.

Notre régime réglementaire ne convient plus à notre époque. Selon moi, il n’y a pas eu de politique claire en matière de pêche depuis les 25 dernières années. Cela me désole de le dire, parce que mon parti et certains de mes amis étaient au pouvoir pendant ce temps, mais cela ne m’a jamais empêché de parler franchement. Même quand j’étais député, je n’hésitais pas à critiquer les politiques si je jugeais qu’elles méritaient d’être critiquées.

À mon avis, la politique d’aujourd’hui en matière de pêche est à la dérive. Elle manque de cohérence. Je vous demanderais donc, puisque c’est votre devoir, d’examiner ce projet de loi et d’en renvoyer la plus grande partie à la Chambre des communes en demandant une révision intégrale de la politique sur les pêches. À mon avis, le régime réglementaire est désuet; une grande partie de ses règles sont illogiques. Je ne veux pas critiquer les fonctionnaires qui doivent le gérer. Les fonctionnaires du ministère des Pêches et des Océans sont probablement les meilleurs fonctionnaires du pays; j’ai gardé contact avec beaucoup d’entre eux. Le ministère des Pêches et des Océans est l’un des rares ministères qui interagissent directement avec les citoyens canadiens, au lieu d’interagir seulement avec des institutions, des gouvernements provinciaux ou des organismes nationaux majeurs. Les fonctionnaires du MPO sont tous de très bonnes personnes. Ils sont très compétents. Ce sont des professionnels, mais lorsqu’il y a un vide politique, ils doivent faire leur travail en fonction de ce qu’ils ont.

J’ai commencé à m’intéresser à certaines des questions soulevées dans ce projet de loi l’été dernier seulement, parce que je suis un homme d’affaires et que mes affaires concernent, dans une certaine mesure, l’industrie de la pêche. J’espère avoir plus de possibilités d’affaires dans l’avenir. J’ai donc pris connaissance du projet de loi. J’avais déjà lu quelque chose à son sujet. J’ai parlé aux députés que je connaissais, surtout ceux de mon parti. Le projet de loi avait déjà été adopté ou était sur le point d’être adopté. J’ai fait des recherches sur ce qui se passait.

Je crois que ce projet de loi sert à remplir un objectif. N’en soyez pas surpris. J’ai probablement passé plus de temps à la Cité parlementaire que quiconque parmi vous. Je ne suis pas si vieux que ça, mais j’ai bien étudié mon sujet. Lorsque le Parlement — et vous faites partie du Parlement — donne un pouvoir législatif au gouvernement, ne soyez pas surpris s’il fait ce qu’il veut ensuite.

Dans l’ensemble, il y a quelques objectifs stratégiques dans ce projet de loi avec lesquels je ne suis pas d’accord. De façon générale, il y a beaucoup de points positifs dans ce projet de loi. Cependant, j’ai l’impression que les problèmes s’accumulent. Vous devriez être prêts à vous pencher sur la question. Pour ceux d’entre vous qui connaissent le baseball — je ne sais pas si vous savez ce qu’est une balle courbe; je n’étais pas lanceur, mais je sais ce qu’est une balle courbe —, il y a dans ce projet de loi ce qu’on pourrait appeler une balle courbe. Premièrement, avec tout le respect que je vous dois, le préambule devrait être retiré du projet de loi. Le préambule essaie de créer un lien avec une disposition de la Constitution. J’étais député au moment du rapatriement de la Constitution. J’ai participé au débat. Je n’étais pas membre du comité, mais j’ai étudié de près la question. Je sais comment on en est arrivé à l’article 35. Les députés de l’époque que je connais n’avaient jamais prévu — et ce n’était certainement pas leur intention — que la Loi sur les pêches soit un jour liée directement à l’article 35 de la Constitution.

Peut-être que c’est une bonne chose. Peut-être que c’est votre objectif. Ce n’est pas à moi seul d’en décider. Si, comme cela semblait être prévu dans le projet de loi, vous voulez établir un lien entre l’ensemble des programmes de pêche et les droits issus de traités, pour que les groupes autochtones aient le même statut que les provinces et les territoires, alors ils devront participer aux discussions avec le ministre. Ne soyons pas naïfs. J’ai parlé avec beaucoup d’intervenants de l’industrie, et je sais que le ministère se prépare déjà à cette éventualité. Il invite déjà des groupes autochtones à participer aux discussions sur la gestion des pêches.

Je ne crois pas que cela ait jamais été un objectif de l’article 35. Si c’est votre objectif, alors dites-le ouvertement et discutez-en avec les Canadiens pour voir si c’est ce qu’ils veulent. C’est à vous de faire changer les choses. Je sais que le premier ministre, dans les nombreuses lettres de mandat qu’il a envoyées aux ministres, et au ministre des Pêches en particulier, devait respecter sa politique en matière de réconciliation.

La réconciliation est une politique gouvernementale. Ce n’est pas une loi, et elle n’a pas de fondement constitutionnel. Je ne suis pas avocat, mais j’ai étudié rigoureusement la question au fil des ans. Une politique gouvernementale ne l’emporte pas sur une loi; elle n’accorde pas de pouvoir législatif à un ministre. Je crois que cela doit être clarifié.

Au Canada, le processus de réconciliation avec les Premières Nations a été lancé il y a longtemps déjà par M. John Diefenbaker. C’est un objectif que nous devrions toujours chercher à atteindre. Le pays en entier doit prendre en considération, de façon générale, les aspirations des Premières Nations et essayer d’améliorer leur sort.

Je ne crois pas que cela veut dire qu’il faut intervenir dans les plans de gestion d’un secteur, parce que ce qui va arriver, essentiellement, c’est qu’on va prendre à un secteur pour donner à un autre. C’est ce qui va arriver. Cela se fait déjà.

Vous savez tous ce qui s’est passé depuis l’arrêt Marshall. Il y avait un vide. Le ministre des Pêches n’a pas réagi assez rapidement à l’arrêt de la Cour suprême. L’arrêt disait deux choses : premièrement, le traité conclu entre quelques Micmacs et l’Empire français pendant les années 1700 était valide sous l’Empire britannique, parce qu’il ne s’agissait pas d’une cession. Deuxièmement, la Cour suprême a dit que M. Marshall avait le droit de pêcher pour être autosuffisant. Voilà ce qui était énoncé dans l’arrêt.

Je doute qu’on puisse extrapoler et affirmer que la pêche est un droit issu de traités même dans les secteurs différents des pêcheries commerciales. Il y a eu un conflit — c’était une période difficile —, et cela s’est rendu jusque dans ma province. Pour les gens de ma province, cela a été très difficile. Ce l’était aussi pour moi, parce que je suis acadien. Je suis acadien de 11e génération. Mon peuple — heureusement ou malheureusement — a échappé à la déportation. Ce sont les Micmacs qui nous ont sauvés. Mes ancêtres ont traversé la baie de Fundy au début des troubles et ont remonté la rivière Miramichi à pied.

Le président : Je vous demanderais de conclure votre exposé. Les sénateurs ont des questions à vous poser.

M. Breau : Voici mes préoccupations : on tient pour acquis l’avenir des pêches. Aujourd’hui, les pêches sont rentables dans la plupart des secteurs, mais c’est grâce à la force de notre devise. Cela nous a été d’une grande aide.

J’ai déjà dit que le régime réglementaire est désuet. Les études du gouvernement du Canada sont aussi lacunaires. Nous ne recherchons pas les stocks de poisson. Nous avons seulement quelques navires de recherche où les gens travaillent 40 heures par semaine. Ce n’est pas ainsi qu’on cherche les poissons. Les pays qui sont vraiment à la recherche de poissons ont des navires de recherche qui sont actifs de 18 à 20 heures par jour.

Nous ne pouvons pas ignorer la situation des populations de phoques dans les océans. Nous discutons tous du partage des ressources. Selon les rapports, il y aurait environ 15 millions de phoques adultes dans le golfe du Saint-Laurent jusqu’à Terre-Neuve. Vous savez que chaque phoque mange entre 1 000 et 1 500 tonnes par année? Cela représente 50 p. 100 de la plus grande prise annuelle de morue. Nous ne faisons rien par rapport à cela.

Selon un rapport publié il y a un mois, même si les phoques disparaissaient du golfe du Saint-Laurent, une zone de protection marine ne serait pas utile. Même si on désignait le golfe en entier comme zone de protection marine, la morue ne se rétablirait pas. Il ne faut pas fermer les yeux là-dessus.

La désignation de zone de protection marine est une mesure logique, mais il est cependant impossible de fixer les limites d’une zone de protection marine dans l’océan comme on le fait sur terre, parce que des changements inobservables surviennent dans l’océan. Même si, une année, il y a une espèce de poisson qui est abondante, elle peut toujours se déplacer et être remplacée par une autre espèce.

Vous ne pouvez pas vous fier au processus administratif habituel pour déterminer quelles devraient être les zones de protection marine. Vous devez prévoir un processus qui comprend beaucoup plus de questions et qui exigera beaucoup plus de consultations avec l’industrie.

Il faut également revoir la question de la politique de séparation des flottilles et de l’indépendance des pêcheurs. Le règlement n’est plus logique sur le plan économique, aujourd’hui. En ce qui concerne l’industrie de la pêche, vous avez entendu les témoignages de pêcheurs et de dirigeants syndicaux. J’ai lu leur témoignage. Je ne les ai pas tous lus, mais j’en ai lu beaucoup. Ils appuient le projet de loi, mais ils font une grave erreur. Qui sont les perdants quand il n’y a aucun nouveau capital d’investi dans votre secteur? Connaissez-vous ne serait‑ce qu’un seul secteur au Canada ou aux États-Unis — vu notre système de gouvernance libéral axé sur le capital — qui peut se développer sans de nouveaux capitaux de l’extérieur? C’est ce qui est prévu dans la politique. La politique de séparation des flottilles prévoit qu’une usine de transformation du poisson ne peut pas posséder un bateau de pêche ou un permis. Cependant, un pêcheur pourrait acheter une usine de transformation du poisson. Cela est-il logique?

Le président : Nous allons devoir passer à la période de questions, monsieur Breau. Nous avons peu de temps. Sentez‑vous à l’aise de fournir des réponses détaillées aux questions. Mesdames et messieurs les sénateurs, rappelez-vous que nous avons peu de temps, alors soyez aussi brefs que possible dans vos questions, et, monsieur Breau, soyez aussi brefs que possible dans vos réponses, s’il vous plaît.

Le sénateur Gold : Merci d’être venu et de nous faire profiter de votre expérience et de vos opinions.

Cependant, je dois dire, avec tout le respect que je vous dois, que je suis en désaccord avec l’un des points que vous avez évoqués dans votre déclaration préliminaire. Si j’ai bien compris, vous remettez en question la pertinence de l’article 35, ou, de façon plus générale, la pertinence des droits ancestraux et issus de traités dans le contexte de la réglementation des pêcheries. Je pense que notre compréhension de la portée et de l’étendue de ces droits a évolué au fil des années. Je crois que nous avons tous appris énormément de choses depuis le rapatriement. Je ne suis pas d’accord avec vous quand vous dites que ce n’est pas un élément central, parce que je crois que c’en est un, si nous voulons aller de l’avant. Je ne crois pas non plus que la réconciliation soit une simple politique. Toutefois, je ne suis pas ici pour débattre avec vous de la façon dont l’arrêt Marshall doit être interprété. Je préférerais tirer parti de votre expérience en matière de pêche.

Vous avez dit que de nombreuses dispositions du projet de loi C-68 devraient être renvoyées à la Chambre des communes. Je ne sais pas si c’est réaliste, compte tenu du temps que nous avons. Quelles dispositions en particulier nous recommandez-vous d’examiner à nouveau? Devons-nous proposer des modifications, un réexamen ou des observations en vue d’un réexamen continu du cadre réglementaire pour la pêche?

M. Breau : Je crois que la politique de séparation des flottilles et la politique sur l’indépendance doivent être revues. J’estime que les pêcheurs indépendants et leurs collectivités ont besoin de protection. La règle actuelle est illogique sur le plan économique. On se tire dans le pied parce que ce qui est dit, c’est que si un pêcheur décède ou vieillit, s’il tombe malade et qu’il ne peut plus travailler — et, de plus en plus, les enfants quittent ces collectivités pour aller ailleurs, par exemple à l’université ou occuper un autre emploi —, sa succession s’en trouve restreinte. Voilà ce qui se passe. Vous empêchez sa succession d’être capable de vendre ce permis à quelqu’un de l’extérieur. Je ne connais aucun secteur de l’économie qui aurait une politique aussi stupide. Elle devrait être revue.

Selon moi, le préambule devrait être retiré. Laissez-moi vous expliquer pourquoi. Vous êtes un avocat très connu. Vous savez que le préambule ne devient pas loi lorsque le projet de loi est adopté, mais des juges vont le lire. Pendant mes 51 ans dans cette ville, j’ai pu voir des juges lire ce genre de choses. Parfois ils ont raison et parfois ils ont tort. Ils lisent le préambule et disent : « Tout ce qui se trouve dans la Loi sur les pêches est lié aux droits issus des traités. » Pardonnez-moi, mais il ne s’agit pas de l’histoire des pêches au Canada. J’étais là lorsque les choses ont évolué; il n’a jamais été question de cela.

Il n’y a pas lieu de parler, dans le préambule, des droits issus de traités reconnus à l’article 35. Ils sont déjà dans la loi. Les tribunaux en ont parlé dans certaines affaires. Lorsque le gouvernement ou le Parlement est d’accord, ces droits sont respectés, sinon, on modifie la loi.

Je crois que le fait d’inscrire cela dans le préambule donne l’impression que vous êtes en train de vous lancer dans une gestion parallèle du secteur des pêches. Si vous voulez faire cela, vous devriez, à mon avis, tenir un débat au pays, auquel je prendrai part. Je ne pense pas que cela soit logique, compte tenu de l’histoire du Canada, mais c’est mon opinion. À mon sens, ce sont les gens, lorsqu’ils votent, qui décident de ce qui est juste dans le pays, et, les gens comme vous, qui sont nommés, débattent et écoutent ce que les gens ont à dire et prennent ensuite une décision. Je ne pense pas que vous devriez accepter des modifications majeures à la Loi sur les pêches avec ce genre de préambule, puisque ce dernier n’a rien à y voir.

Je crois que vous devriez demander la tenue d’un examen en profondeur de la politique sur les pêches. J’espère que vous avez posé bon nombre de questions au ministre lorsqu’il a comparu devant vous. Il me semble qu’on modifie les termes selon lesquels, en vertu de la Loi sur les pêches, le ministre doit tenir compte des facteurs sociaux et culturels. Assurons-nous qu’il ne s’agisse pas du but de cette mesure, car aucun ministre des Pêches ou tout autre ministre de n’importe quel ministère au gouvernement du Canada, en vertu de quelque loi que ce soit, n’a le pouvoir d’utiliser son ministère et le pouvoir qui lui est conféré à des fins d’équité sociale. Ce genre de chose n’existe pas.

Je me souviens des séances d’information lorsque je suis devenu ministre — je ne l’ai pas été pendant bien longtemps, mais j’ai été le député d’une zone côtière pendant 16 ans. Cela ne s’est jamais vu, alors que les droits que les pêcheurs ont aujourd’hui ont évolué depuis 1967-1968 sous Jack Davis et Roméo LeBlanc principalement... puis nous avons eu le groupe de travail Kirby. Voilà comment les choses ont évolué entre 1968 et 1982-1983. Il s’agit d’une évolution des droits. Personne à cette époque n’aurait osé dire qu’un politicien pourrait décider de quelque chose en s’appuyant sur l’équité sociale. Jamais.

Le sénateur Wells : Merci, monsieur Breau, d’être ici aujourd’hui.

J’aimerais juste en apprendre plus sur votre parcours pour mieux comprendre votre point de vue. Je sais que vous avez été ministre pendant une courte période. Vous avez également dit directement que vous travaillez dans le secteur de la pêche. Quel type d’entreprise possédez-vous? J’aimerais savoir si nous discutons d’une bonne politique publique ou bien d’avantages commerciaux personnels. Pourriez-vous m’éclairer?

M. Breau : Je suis ici parce que j’ai à cœur la politique publique, et c’est tout. Je me suis entretenu avec les sénateurs. Je suis ici parce que je tiens à la politique publique. Lorsque je travaille, je compose avec la politique en place.

Vous êtes un organe de direction, n’est-ce pas? Je travaille dans le secteur des pêches, dans la transformation, ce qui est très près de la pêche. Est-ce que cela m’enlève le droit d’avoir une opinion?

Le sénateur Wells : Pas du tout. Je voulais simplement comprendre votre situation. Je comprends également que vous étiez un décideur en tant que ministre des Pêches et des Océans.

M. Breau : Oui.

Le sénateur Wells : Donc, en vertu de la PIFPCAC, la politique de préservation de l’indépendance de la flottille de pêche côtière dans l’Atlantique canadien, mise en place à l’époque du ministre Hearn en 2006 et confirmée en 2010 par la ministre Shea, les deux...

M. Breau : La politique de séparation de la flottille a été mise en place à l’époque de Roméo LeBlanc.

Le sénateur Wells : La PIFPCAC. Elle a été établie à l’époque de la ministre Shea en 2010.

M. Breau : Laquelle?

Le sénateur Wells : La PIFPCAC, la politique de préservation de l’indépendance de la flottille de pêche côtière dans l’Atlantique canadien.

M. Breau : Il me semble que c’était lié à la séparation des flottilles, mais tout cela a commencé à l’époque de Roméo LeBlanc.

Le sénateur Wells : Il en est de même pour la séparation des flottilles et la politique du propriétaire exploitant.

Si j’ai bien compris, vous êtes contre la politique du propriétaire exploitant, selon laquelle le titulaire d’un permis doit être sur l’eau.

M. Breau : Vous simplifiez les choses en disant que je suis contre. Je crois que cette politique a besoin d’être revue. Je ne pense pas qu’on doive la changer. Je n’ai jamais été de ceux qui pensent qu’il faut modifier la politique en l’abandonnant parce qu’on ne l’aime pas. Je pense qu’il faut l’examiner, puisqu’elle existe pour une raison. J’ai mentionné plus tôt qu’il y a une raison à tout cela.

Cependant, la situation change, et les pêcheurs indépendants aujourd’hui ne sont plus les esclaves économiques des entreprises européennes. Un pêcheur indépendant aujourd’hui, par exemple un pêcheur de homard du golfe du Saint-Laurent, fait 250 000 $ par année. Tant mieux pour eux. En Nouvelle-Écosse, cette année, ces pêcheurs font 750 000 $ par année. C’est très bien pour eux. Un pêcheur de flétan qui a son propre quota est millionnaire.

Ce n’est pas comme dans les années 1950 et 1960, lorsque ces personnes avaient besoin d’une politique de protection. Les gouvernements doivent intervenir dans une économie où il y a une ouverture politique qui dit qu’un changement est nécessaire. À un certain moment, vous n’avez pas besoin de la protection du gouvernement.

J’estime que la politique de séparation des navires et que la politique sur l’indépendance doivent être revues. Vous voudrez peut-être offrir une protection pendant quelque temps aux pêcheurs actuels. Vous pourriez peut-être déterminer qui est admissible.

Le résultat de cette politique, c’est que, à l’heure actuelle, il n’y a plus de nouveaux capitaux qui vont dans le secteur des pêches. Compte tenu de l’incertitude relative à la réconciliation — un objectif avec lequel je suis d’accord —, je ne vois aucun problème à consacrer du capital politique pour défendre cela.

Lorsque je dis qu’il s’agit de passer par la porte arrière, ce projet de loi, s’il avait été adopté l’an dernier, aurait validé la décision Clearwater. Connaissez-vous cette décision? Qu’il s’agisse d’une bonne chose ou non, c’était clairement illégal. C’était très anticanadien et cela allait à l’encontre de la Constitution, peu importe quel était l’objectif.

Ce projet de loi, à mon avis, instaure un régime dans lequel vous vous réveillez un matin et un ministre décide de retirer quelque chose et le remettre ailleurs. Vous ne pouvez pas avoir une bonne politique de cette façon.

Le sénateur Wells : Monsieur Breau, n’oubliez pas que la Loi sur les pêches actuelle a été établie en 1867. Elle offrait au ministre le droit absolu de prendre des décisions sur les attributions et sur le quota.

M. Breau : Non, monsieur. Il s’agit d’une mauvaise interprétation. C’est une illusion. Je sais que certaines personnes et certaines décisions judiciaires ont dit cela. Elles sont toutes à côté de la plaque.

Le sénateur Wells : Sauf votre respect, s’il s’agit d’une décision judiciaire, il s’agit de la loi.

M. Breau : Non. Les tribunaux interprètent les choses. Je suis désolé, mais un jugement de la Cour suprême n’est pas automatiquement loi. Je ne suis pas avocat, mais laissez-moi vous dire qu’en tant que ministre, j’ai reçu des séances d’information sur ces choses. Je sais que certaines personnes disent que le ministre des Pêches a un pouvoir illimité, mais le terme « ministre » dans la loi est également présent dans la Loi de l’impôt sur le revenu. Est-ce que cela signifie que le ministre du Revenu national peut modifier votre cotisation fiscale?

Vous pouvez accepter cela si vous le voulez. Je vous dis que c’est absurde. Le ministre des Pêches n’a pas le pouvoir illimité de faire ce qui lui plaît. Il doit suivre les coutumes et les conventions, en plus de suivre les droits établis par l’évolution de la pêche.

Le sénateur Wells : Ma prochaine question porte sur votre opinion selon laquelle les exploitants devraient être en mesure de vendre leur permis à une ressource en copropriété, laquelle appartient aux Canadiens. Ce n’est pas comme pour une exploitation agricole, qui appartiendrait à une entité spécifique qui n’est pas la population canadienne.

Vous êtes d’avis qu’un pêcheur qui a un permis pour pêcher une ressource de propriété commune devrait être en mesure de transférer ce permis à un héritier ou, en quelque sorte, de conférer cette valeur qui appartient aux Canadiens à une autre personne en particulier? Est-ce exact?

M. Breau : J’estime que cette politique doit être revue, parce qu’elle empêche la venue de nouveaux capitaux dans le secteur. Je crois que les bons gestionnaires de politiques devraient être préoccupés par cela.

Un permis n’est pas une propriété : un permis, c’est un permis. Au sujet du quota, la Cour suprême a dit que, aux fins de l’impôt sur le revenu et de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, un quota est une propriété. Le juge Binnie a clarifié cela en disant qu’il s’agissait du résultat économique de la pêche issue du quota. Tout le monde sait que le quota est une propriété commune. Cela ne veut pas dire que 36 millions de Canadiens peuvent aller pêcher. Cela signifie qu’un quota est une propriété.

Un permis n’est pas une propriété, mais c’est quelque chose qui est renouvelé chaque année. Un permis de pêche est renouvelé automatiquement chaque année, à moins que vous n’ayez enfreint la loi ou les politiques du ministère. C’est la même chose que pour votre permis de conduire. Ce n’est pas une propriété, mais on ne peut pas vous le refuser si vous respectez la loi.

Le sénateur Wells : Je n’ai pas d’autres questions.

Le sénateur McInnis : Je viens de la côte Est de la Nouvelle-Écosse, qui est composée d’une multitude de petites collectivités. La pêche est le pilier de la plupart d’entre elles. Ce qui me préoccupe avec votre proposition, c’est que ces moyens de subsistance permettent à ces petites collectivités de survivre. Elles achètent de la nourriture, du carburant et des camionnettes d’une demi-tonne. Elles font ce genre de choses.

Ce que j’aime de cette politique... Il ne semble y avoir ni problème ni difficulté avec la succession, et les fils ou les filles, à l’heure actuelle, reprennent le permis et le bateau. Cependant, dans le cas où de grandes sociétés viendraient acheter les bateaux et les permis, il ne faudrait pas grand temps avant que ces collectivités ne cessent d’exister.

J’ai toujours adhéré au régime de libre entreprise. Je crois que les nouveaux investissements sont une bonne chose, mais pas dans la mesure où cela fait entrave au moyen de subsistance des collectivités. Je parle de collectivités, parce que c’est ce qu’elles sont. Lorsqu’il y a eu le ralentissement de la pêche au poisson de fond au milieu des années 1980 ou dans les années 1990, les gens n’achetaient plus de camionnettes d’une demi-tonne. Ils n’étaient plus les consommateurs qu’ils étaient autrefois. Cependant, depuis que le marché a repris — et, à l’heure actuelle, vous pouvez le voir dans les collectivités —, les permis appartiennent aux familles. Si des entreprises venaient les acheter, ce serait littéralement la fin pour ces collectivités.

C’est là où j’ai de la difficulté avec ce que vous dites. Cependant, je suis d’accord avec vous en ce qui concerne les ZPM, qui ne sont pas dans le projet de loi. Vous auriez dû être ici lors de l’étude du projet de loi C-55. Je suis d’accord avec vous, les poissons vont et viennent entre une ZPM et les zones interdites à la pêche. Le fait que vous puissiez pêcher ce que vous avez pêché au cours des 12 mois précédents — la pêche change... Je suis d’accord avec vous, mais je ne souscris pas à la prise de contrôle de ces petites collectivités par des entreprises.

M. Breau : Moi non plus.

Le sénateur McInnis : Eh bien, c’était mon interprétation de ce que vous avez dit au sujet de la succession.

M. Breau : Les personnes qui achèteront ces quotas ou ces permis ne sont pas nécessairement des entreprises, et ce ne sont pas nécessairement de grandes entreprises. Soit dit en passant, les grandes entreprises bénéficient aujourd’hui d’une clause de droits acquis. Ne présumez pas un seul instant que les gens qui en débattent pensent qu’on a le choix. De nos jours, ce sont les grandes entreprises qui détiennent la majorité des quotas dans le Canada atlantique.

Pourquoi? Parce qu’elles bénéficient d’une clause de droits acquis.

Le sénateur McInnis : Sauf votre respect, le problème se pose si vous avez un permis — à l’heure actuelle, cela coûte au moins environ 1,5 million de dollars — et qu’il y a des ententes de succession avec les enfants, les familles et ainsi de suite. Si les entreprises peuvent arriver et acheter le permis, 2 millions de dollars ne seront pas un problème. Le permis et le bateau seront vendus.

M. Breau : Dans la société actuelle, empêchez-vous les entreprises d’acheter autre chose...

Le sénateur McInnis : Non, je ne le fais pas. Je vous dis que c’est dommageable pour les petites collectivités rurales de la Nouvelle-Écosse, du Nouveau-Brunswick, de l’Île-du-Prince-Édouard et de partout ailleurs. Voilà ma difficulté.

Le président : Je veux m’assurer de bien comprendre, lorsque vous parlez de la possibilité de vendre un permis ou un quota qui appartient à un pêcheur, dites-vous que cela devrait être sur le marché libre, accessible à tous, et de n’importe où? Vous ai-je bien compris?

M. Breau : Je pense qu’il faut examiner la question à la lumière de l’économie actuelle et de l’économie de la pêche d’aujourd’hui. Il y a peut-être des limites que vous voudrez imposer.

Ce que je veux dire, c’est que je ne connais aucun secteur de l’économie canadienne où l’on empêche les gens de le faire. Je peux aller acheter un quota de lait dans une ferme. Je peux aller acheter d’autres choses. Pourquoi est-ce que je ne peux pas aller acheter un permis de pêche?

Le président : Je viens d’une petite communauté de pêcheurs de Terre-Neuve-et-Labrador. L’une des choses les plus importantes que les gens qui travaillent dans le secteur de la pêche constatent, c’est qu’ils sont en concurrence sur le quai avec les acheteurs et les transformateurs qui viennent acheter leur produit. Ils ont un permis et des quotas individuels. Ce qui les préoccupe — et c’est ma version des choses —, c’est que si c’est sur le marché libre, n’importe quelle personne, entreprise ou organisation qui dispose d’une grosse somme d’argent pourrait venir acheter tous les quotas. Dans la plupart des cas, ce ne sont pas elles qui vont pêcher; ce sont des gens de la région qui vont pêcher le produit. Il n’y aura pas de concurrence pour les prix, parce qu’ils vont dicter le prix.

Voilà mon interprétation de la façon dont les gens que je représente voient les choses. Vous avez parlé plus tôt au sénateur Wells de l’interprétation de quelque chose. Nous pourrions tous interpréter la loi un peu différemment; je suis certain que mon interprétation de quelque chose sera différente de celle du sénateur McInnis. Il y a de la concurrence au bout du quai.

M. Breau : Que dites-vous, sénateur Manning, si quelqu’un d’autre dans la collectivité voulait acheter un permis? Il n’a pas non plus le droit de l’acheter. Les grandes entreprises ne sont pas les seules à acheter des choses. Les particuliers peuvent aller à la banque, hypothéquer leur maison et acheter des choses. Que dites-vous si quelqu’un dans votre collectivité veut acheter un permis? Vous dites : « Non, vous ne pouvez pas l’acheter parce que nous n’êtes pas pêcheur. »

Le président : Personnellement, je ne pense pas que le dentiste du coin devrait avoir un permis de pêche. S’il gagne sa vie en arrachant des dents, il ne devrait pas...

M. Breau : Il devrait peut-être y avoir des limites...

Le président : C’est mon opinion.

M. Breau : Je suis désolé, mais...

Le président : Nous ne sommes pas d’accord, mais je pense que les gens qui vivent de l’océan devraient être ceux qui détiennent les permis.

M. Breau : Empêchez-vous un dentiste d’acheter une ferme?

Le président : Non, ce n’est pas un bien commun.

M. Breau : Quel est le problème avec...

Le président : Nous devrons convenir que nous ne nous entendons pas sur ce point.

M. Breau : C’est très bien. Ce que je veux dire, c’est que ce ne sont pas nécessairement des entreprises qui veulent acheter ce permis ou ce quota, et il ne s’agit pas nécessairement d’un dentiste. Il pourrait s’agir de votre fils, de votre oncle ou de votre cousin. Pourquoi voulez-vous les empêcher de pouvoir acheter un permis? La plupart des gens qui ont des permis et qui sont indépendants aujourd’hui les ont obtenus pour rien. Ils les ont eus au fil des ans par l’intermédiaire de leur famille. Certains pêcheurs achètent des permis à d’autres. Ce que je veux dire, c’est que vous devriez examiner la question — je ne vous dis pas quelle devrait être la politique. Je comprends que c’est difficile. Je comprends qu’il y a des enjeux locaux que vous voulez prendre en considération. Je dis qu’il faut trouver des moyens de stimuler l’investissement de capitaux dans ce secteur, parce que, un jour, au lieu d’avoir deux ou trois entreprises qui possèdent tout, vous aurez peut-être 10 pêcheurs qui posséderont tout. Quelle est la différence?

Il y a toujours eu des pêcheurs — aujourd’hui, je pourrais vous en nommer quelques-uns, mais je ne veux pas les nommer publiquement — qui détiennent 5, 6 ou 10 permis. Est-ce bon pour une politique ou un secteur?

Je conviens que c’est un sujet délicat. Il faut s’en occuper avec soin et mener des consultations. Il faut trouver un moyen de permettre à d’autres personnes de pêcher, y compris les Premières Nations, si celles-ci le souhaitent.

Toutefois, pour mettre en place un régime de réglementation qui empêche les gens de se lancer dans cette activité... Je le répète, certains bénéficient aujourd’hui d’une clause de droits acquis. Il y a au moins 10 grandes entreprises qui possèdent plusieurs bateaux et plusieurs permis et quotas. Vous ne leur enlèverez rien. Ils créent des emplois et de bons produits et ils améliorent le PNB du pays.

Le président : D’accord. Merci de votre temps, monsieur Breau. Vous avez eu l’occasion d’exprimer votre opinion sur un sujet très important, et nous vous en remercions. Nous vous remercions de votre temps.

(La séance est levée.)

Haut de page