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RIDR - Comité permanent

Droits de la personne

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Droits de la personne

Fascicule nº 22 - Témoignages du 25 octobre 2017


OTTAWA, le mercredi 25 octobre 2017

Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne se réunit aujourd’hui, à 11 h 31, pour étudier les questions concernant les droits de la personne des prisonniers dans le système correctionnel.

Le sénateur Jim Munson (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bienvenue au Comité sénatorial permanent des droits de la personne. Nous pouvons maintenant voir M. Wright sur la vidéoconférence.

[Français]

Avant de commencer, j’aimerais que tous les sénateurs se présentent.

[Traduction]

Commençons par la vice-présidente.

La sénatrice Ataullahjan : Salma Ataullahjan, de l’Ontario.

La sénatrice Eaton : Nicole Eaton, de l’Ontario.

La sénatrice Andreychuk : Sénatrice Andreychuk, de la Saskatchewan.

La sénatrice Pate : Kim Pate, de l’Ontario.

La sénatrice Hartling : Nancy Hartling, du Nouveau-Brunswick.

La sénatrice Bernard : Wanda Thomas Bernard, de la Nouvelle-Écosse.

Bonjour, Robert.

Le président : Je suis le sénateur Munson. À titre informatif pour les gens qui nous regardent, nous réalisons depuis un bon moment déjà une étude sur les droits de la personne des prisonniers dans le système correctionnel. Nous aurons bientôt un rapport provisoire, et nous espérons déposer un rapport complet d’ici le printemps ou l’été prochain.

Nous accueillons aujourd’hui Tamara Thomas, avocate spécialiste des politiques et de la recherche, et Matthew Boissonneault, étudiant recherchiste, à la Clinique juridique africaine canadienne.

À titre personnel, nous avons Robert Wright. Robert, vous prendrez la parole en premier, parce que nous avons toujours peur que la vidéoconférence nous joue des tours. Nous savons que vous resterez des nôtres pour toute la durée de la réunion, mais je vous invite à ouvrir le bal ce matin.

Vous avez la parole.

Robert Wright, à titre personnel : Certainement. Je ne connais pas la façon officielle de commencer un exposé. J’aimerais dire bonjour aux sénateurs et aux invités. Je tiens à vous remercier de me donner l’occasion de prendre la parole aujourd’hui devant vous au sujet des droits de la personne des détenus dans le système correctionnel canadien.

En guise d’introduction et de mise en contexte, je tiens à vous mentionner les divers domaines dans lesquels j’ai travaillé. Mon objectif n’est pas de passer en revue avec vous mon curriculum vitæ, mais bien de clairement vous expliquer les initiatives auxquelles j’ai participé; je pense notamment aux besoins en matière de prestation de services de santé mentale aux personnes d’origine africaine qui sont bien réels et qui existent depuis longtemps, et nous en savons beaucoup à ce sujet.

Je suis travailleur social clinique. Au cours de ma carrière de 28 ans, j’ai touché au domaine de l’éducation, du bien-être de l’enfance, des relations interraciales, de la santé mentale en milieu correctionnel et de l’enseignement supérieur. J’ai même passé un certain temps à m’occuper de la prestation de services au gouvernement. Je suis un praticien afro-néo-écossais qui, au début des années 1990, a fait partie d’une petite équipe qui a élaboré et mis sur pied un programme afrocentrique de prévention de la toxicomanie à Halifax.

Je le mentionne, parce que c’est important de rappeler que depuis plusieurs décennies — en fait, dès les années 1950 — nous savons que les habitudes en matière de dépendance et de toxicomanie sont différentes selon la race ou l’origine ethnique. Évidemment, nos premières études dans ce domaine concernaient ce que je me plais à appeler les groupes ethniques blancs. Au début de la révolution industrielle, soit l’époque où nous avons commencé à nous inquiéter des effets de la dépendance sur la productivité, des gens ont tenté de comprendre pourquoi les Irlandais se présentaient au travail avec les facultés affaiblies le lundi matin, contrairement aux Italiens, aux juifs ou aux Écossais. Cette recherche a été élargie pour inclure des personnes d’origine africaine et latine et d’autres.

Étant donné que nous savions que les habitudes en matière de dépendance et de trafic variaient d’un groupe à l’autre, au début des années 1990, nous avons mis sur pied un programme afrocentrique de prévention de la toxicomanie. Ce programme a été repris, et des éléments ont été offerts en Ontario et ailleurs. Cependant, je ne sais pas si cela se poursuit.

J’ai occupé le poste de coordonnateur des relations interraciales à l’ancien conseil scolaire de Dartmouth, et j’étais la troisième personne à occuper un tel rôle. Nos connaissances sur le racisme et les personnes défavorisées d’origine africaine dans le domaine de l’éducation sont bien établies. En Nouvelle-Écosse, nous avons eu le Rapport du BLAC, qui a examiné de façon très détaillée la situation. Depuis, sous la supervision d’Edward Nichols, je m’applique à perfectionner ma pratique dans le domaine du savoir-faire culturel et de la prestation de services de santé mentale adaptés sur le plan culturel.

À cette fin, j’ai siégé à un sous-comité de la Commission de la santé mentale du Canada qui étudiait la prestation de services de santé mentale aux immigrants, aux réfugiés et aux groupes ethnoculturels et racialisés. Ce travail s’est effectué sous la supervision du Dr Kwame McKenzie, du Centre de toxicomanie et de santé mentale. Le rapport Enjeux et options pour l’amélioration des services qui découle de cette étude n’a pas encore réussi à faire atteindre l’objectif que les auteurs auraient souhaité, soit de contribuer à créer des centres d’excellence et des réseaux partout au pays en vue d’améliorer la prestation de services de santé mentale aux groupes racialisés au Canada.

À la suite de l’étude réalisée par la commission, la Nouvelle-Écosse a réalisé une étude semblable sur son système de prestation de services de santé mentale, qui a également démontré qu’en ce qui concerne la prestation de services aux groupes racialisés la situation était épouvantable et déplorable. J’ai été choisi pour élaborer de concert avec un petit groupe de collègues une initiative pour régler ce problème. Ce travail est en cours, et il s’agit d’un programme pour améliorer la prestation de services de santé mentale aux personnes d’origine africaine.

Plus récemment, à l’été 2011, j’ai fait partie d’un petit groupe qui a poursuivi ses activités sous le nom de l’Afrikan Canadian Prisoner Advocacy Coalition. En 2011, nous nous sommes réunis pour discuter exactement de la même question que vous étudiez aujourd’hui, soit les droits de la personne des détenus noirs au sein du système correctionnel fédéral canadien. Notre travail visait une question précise : une prestation de services de santé mentale inadéquate constitue-t-elle une violation des droits de la personne des détenus sous responsabilité fédérale?

Je tiens à souligner que ces discussions sous la supervision de Sandi Bell, qui était à l’époque une commissaire à la commission fédérale, ont été fructueuses et ont permis de faire certaines observations intéressantes. L’un des points les plus importants était probablement qu’un observateur du Bureau de l’enquêteur correctionnel était présent lors de ces réunions et en a fait rapport à l’organisme; c’est à ce moment que le Bureau de l’enquêteur correctionnel s’est rendu compte que cela faisait pratiquement 10 ans que nous n’avions pas vraiment étudié la situation des détenus noirs et que nous devrions le faire. Bref, le Bureau de l’enquêteur correctionnel a réalisé une étude sur la question. Dans son rapport de 2013, l’enquêteur correctionnel a souligné que la diversité dans le milieu correctionnel était un grave problème et a beaucoup parlé des conditions des détenus noirs.

En plus de tout cela, comme vous le savez peut-être, je fais également partie d’une équipe de deux cliniciens qui travaillent à l’élaboration d’un modèle pour réaliser des rapports d’évaluation sur les effets de la race et de la culture pour les juges en train de déterminer la peine à imposer à des détenus noirs et aider les tribunaux à rendre des décisions plus équitables dans le cas de détenus noirs et à leur imposer des peines plus équitables, étant donné qu’ils auront une compréhension plus détaillée du contexte socioculturel dans lequel évolue le délinquant noir. En fait, c’est la raison pour laquelle je témoigne aujourd’hui par vidéoconférence de Toronto au lieu de le faire de chez moi en Nouvelle-Écosse.

Je vous dis tout cela pour en arriver au point suivant. La question de la prestation des services de santé mentale au Canada et son caractère inadéquat pour les groupes racialisés ont été bien établis. Si nous regardons l’enquête sur l’affaire Donald Marshall, d’autres études sur des affaires similaires et même le rapport de 2013 du Bureau de l’enquêteur correctionnel, il est évident que ce racisme systémique imprègne notre système de justice et notre système correctionnel : de l’intervention policière initiale à la réinsertion sociale. La présentation ou la représentation de ce racisme systémique est propre aux personnes d’origine africaine et aux peuples autochtones. Nous parlons précisément du racisme envers les noirs qui existe dans notre système correctionnel et notre système de justice ainsi que du racisme envers les peuples autochtones.

Je crois que cette disproportion qui est le résultat de ce racisme envers les Noirs et les peuples autochtones est la preuve de facto que les droits de la personne des Noirs sont menacés ou ont été violés. Je ne suis pas ici pour en débattre; pour moi, c’est une évidence. La nature du racisme systémique et du traitement disproportionné dont sont victimes les Afro-Canadiens dans le système correctionnel est un commencement de preuve des violations des droits de la personne des détenus noirs dans notre système.

Nous pourrions reprendre le rapport du Bureau de l’enquêteur correctionnel et jeter un coup d’œil à ce rapport ainsi qu’à d’autres études similaires. Que savons-nous? Nous savons que les Noirs sont considérablement surreprésentés dans le système pénal fédéral. Nous savons que la hausse du nombre de détenus au Canada depuis 10 ans est entièrement attribuable à l’augmentation spectaculaire du nombre de détenus racialisés et autochtones au Canada, parce que le nombre de détenus blancs dans notre système fédéral a en fait diminué.

D’autres études nous ont appris que les détenus noirs purgent des peines plus longues que les détenus blancs pour des infractions équivalentes. Nous savons qu’ils passent plus de temps dans les services d’évaluation et reçoivent une cote de sécurité plus élevée. Lorsque les détenus noirs participent à des programmes conçus pour améliorer leur situation et réduire leur cote de sécurité, nous savons que le processus est plus lent pour eux que les détenus blancs pour passer d’une cote de sécurité plus élevée à une cote de sécurité plus faible. Nous savons également que les détenus noirs ont tendance à purger une plus grande partie de leur peine en établissement et à en purger une moins grande partie dans la collectivité que les détenus blancs.

Cela étant dit, le rapport du Bureau de l’enquêteur correctionnel reconnaît également que les détenus noirs ont un taux de récidive plus faible que les détenus blancs. En voyant cela, nous pourrions croire que tous les programmes correctionnels auxquels participent les détenus noirs font des miracles, mais je crois que c’est en fait l’opposé. La réalité est que les détenus noirs sont souvent au départ moins criminalisés et ont moins de problèmes. Donc, après leur séjour en prison, malgré certaines conséquences négatives que peuvent vivre des détenus noirs, ils sont libérés, et leur taux de récidive est plus faible.

J’aimerais ensuite traiter brièvement de ce que nous faisons. Si nous convenons que la surreprésentation et les statistiques démontrent que la détention est plus pénible pour les détenus noirs que les détenus blancs — je n’ai pas besoin de vous rappeler ce que dit le rapport de 2013 du Bureau de l’enquêteur correctionnel —, j’aimerais seulement prendre quelques minutes pour voir ce que nous pouvons faire.

Il y a plusieurs éléments. Lorsque nous réfléchissons aux solutions, il y a des aspects qui nous viennent à l’esprit. Nous avons besoin de meilleures politiques. Le Service correctionnel du Canada se penche sur des politiques concernant le savoir-faire culturel ou plutôt la prestation de services aux détenus noirs. Je sais que les comités consultatifs ethnoculturels redoublent d’ardeur depuis quelques mois à ce sujet. Je suis en contact avec les présidents nationaux et régionaux à cette fin.

Nous avons besoin de politiques, mais nous avons aussi besoin de programmes. Je mentionne toujours que, depuis que nous avons professionnalisé notre système pénal, nous avons besoin de professionnels pour offrir les programmes correctionnels. Nous avons des médecins, des infirmières et des psychiatres qui assurent la prestation de services de santé et de santé mentale. Nous avons des éducateurs professionnels et des responsables des programmes.

Cependant, en ce qui concerne les programmes ethnoculturels, nous semblons dépendre encore beaucoup trop des bénévoles. Le Service correctionnel du Canada n’a pas encore compris comment élaborer des programmes concrets adaptés au traitement et aux besoins précis en matière de programmes des détenus racialisés et en particulier des détenus d’origine africaine. Même si nous avons des connaissances sur la toxicomanie et les traitements adaptés aux personnes d’origine africaine et qu’existent des modèles pour la prestation de soins de santé aux personnes d’origine africaine, nous n’avons pas encore relevé le défi de chercher activement à mettre le tout en œuvre dans nos établissements.

Nous avons besoin de politiques et de programmes, et j’ajouterai que nous avons besoin de personnel. Je suis dans le domaine depuis suffisamment longtemps pour réaliser que nous n’avons pas suffisamment de professionnels noirs pour en avoir un nombre proportionnel et adéquat dans chaque programme et chaque établissement où des programmes sont offerts, mais la Commission de la santé mentale du Canada a certainement réclamé la création d’un centre national d’excellence en prestation de services de santé mentale aux groupes raciaux et ethniques et aux immigrants. Il serait important pour le Service correctionnel du Canada d’élaborer un modèle similaire en vue d’avoir des centres d’excellence en prestation de services de santé mentale aux détenus racialisés et en particulier aux détenus noirs.

Le président : Monsieur Wright, nous avons énormément de questions à poser et nous avons d’autres témoins ici. Voulez-vous conclure cette partie?

M. Wright : Oui. Je ferai un dernier commentaire, puis nous pourrons passer aux questions.

Le dernier domaine est la qualité. Nous devons vraiment nous concentrer sur les fondements scientifiques ayant trait à la prestation de services de santé mentale et de programmes aux Afro-Canadiens.

Il faut penser aux politiques, aux programmes, au personnel et à la qualité. Voilà mes suggestions. Les recommandations pour tous ces éléments se trouvent déjà dans le rapport sur les enjeux et les options, soit le rapport du Bureau de l’enquêteur correctionnel, et même aussi loin que dans le rapport de l’enquête sur l’affaire Marshall.

Le président : Merci beaucoup, monsieur Wright, de vos solides réflexions dont nous pourrons tenir compte dans notre rapport.

Nous avons ensuite Tamara Thomas, avocate spécialiste des politiques et de la recherche à la Clinique juridique africaine canadienne, qui est accompagnée par Matthew Boissonneault. Vous avez la parole. Nous passerons aux questions après votre exposé. Merci de votre présence.

Tamara Thomas, avocate, spécialiste des politiques et de la recherche, Clinique juridique africaine canadienne : Merci. Bonjour, monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du comité.

Tout d’abord, j’aimerais dire que notre exposé aujourd’hui complétera à merveille celui de M. Wright.

Ce matin, M. Boissonneault et moi-même témoignons au nom de la Clinique juridique africaine canadienne, et nous utiliserons le sigle CJAC pour y faire référence. Il s’agit d’un organisme sans but lucratif qui lutte depuis sa création en 1994 contre le racisme et la discrimination systémiques envers les Noirs au Canada.

Nous tenons premièrement à vous remercier de votre engagement à améliorer et à protéger les droits de la personne des détenus au Canada, soit un sujet particulièrement important pour notre clinique. La communauté noire du Canada est considérablement surreprésentée dans le milieu correctionnel, et il y a un grave manque de programmes de réhabilitation appropriés sur le plan culturel offerts aux détenus noirs lorsqu’ils commencent à purger leur peine. Le temps passé en prison par des Afro-Canadiens représente du « temps perdu » où ils se voient refuser toute occasion de développement personnel ou de perfectionnement professionnel, ce qui peut souvent mener à une récidive.

Nous formulons aujourd’hui deux principales recommandations. Premièrement, les articles 81 et 84 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition donnent aux Afro-Canadiens l’occasion de profiter d’initiatives correctionnelles dans la collectivité qui sont adaptées sur le plan culturel. Nous recommandons par conséquent le recours à des services communautaires intégrés et à des programmes de réinsertion sociale dans la collectivité qui rappellent les solutions de rechange à l’incarcération proposées par les communautés autochtones, et nous recommandons que ce soit financé par le ministère conformément à l’article 81 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition.

Ces services permettront une plus grande décarcération graduelle des détenus noirs et leur permettront de purger une partie de leur peine dans leur communauté en profitant du soutien actif de fournisseurs de services sociaux et de programmes de formation visant à réaliser leur potentiel humain. Dans le cas des détenus qui ne sont pas à risque élevé et qui ne présentent aucun risque pour la sécurité publique, leur peine pourrait entièrement être purgée en ayant recours à de telles solutions de rechange dans la collectivité.

Dans le cas des détenus qui purgeront toute leur peine dans des établissements et qui sont sans cesse laissés pour compte en raison des programmes et des services de réhabilitation actuellement offerts, nous recommandons d’investir dans des programmes de réhabilitation et de réinsertion sociale qui sont adaptés sur le plan culturel et qui ont un caractère pratique.

Nous fournirons un aperçu statistique de la situation des Afro-Canadiens dans les établissements fédéraux. La Clinique juridique africaine canadienne est préoccupée à la fois par la surreprésentation des Afro-Canadiens dans les établissements correctionnels et par les déficits qualitatifs qui touchent les Noirs placés dans ces établissements. Bien qu’ils ne constituent que 3 p. 100 de la population canadienne, les Afro-Canadiens comptent pour 9,5 p. 100 des détenus sous responsabilité fédérale, ce qui n’a rien de vraiment surprenant quand on sait que le nombre de détenus noirs sous responsabilité fédérale a augmenté de 80 p. 100 entre 2003 et 2013.

Il y a aussi eu une augmentation marquée du nombre de détenues noires sous responsabilité fédérale, soit de 54 p. 100 en 2010 et de 28 p. 100 en 2011. Et ces chiffres continuent d’augmenter rapidement.

Il est particulièrement préoccupant de constater que la moitié des détenus noirs ont 30 ans ou moins, et que le pourcentage de jeunes noirs détenus dans des établissements correctionnels est quatre fois celui de la place qu’ils occupent dans la jeunesse canadienne en général.

De plus, les détenus noirs s’en tirent généralement beaucoup moins bien que les autres dans les programmes de réhabilitation actuels. Ils sont 1,5 fois plus susceptibles d’être enfermés dans des établissements où les programmes, l’emploi, l’enseignement, la réhabilitation et les activités sociales sont limités. Leurs chances de se faire embaucher dans les Industries CORCAN sont beaucoup moins bonnes que pour les autres détenus, et ils sont gravement sous-employés au sein des établissements. En 2014, le taux de chômage dans les établissements correctionnels fédéraux était de 1,5 p. 100, alors qu’il était de 7 p. 100 chez les détenus afro-canadiens.

Cependant, les recherches démontrent que les détenus afro-canadiens connaissent beaucoup plus de succès dans leur réinsertion sociale en matière d’emploi et de prévention de la récidive lorsque les interventions sont adaptées à eux sur le plan culturel et qu’elles tiennent compte de multiples aspects.

Dans son rapport de 2014, le rapport du Bureau de l’enquêteur correctionnel indiquait que :

[...] les possibilités de travailler, de faire du bénévolat et d’apporter une contribution utile à la collectivité étaient cruciaux pour aider les délinquants à retourner dans la collectivité sans récidiver.

L’une des grandes inquiétudes de la Clinique juridique africaine canadienne est la santé mentale des détenus noirs. Les personnes qui ont des problèmes de santé mentale ne devraient pas être dans les prisons. Ce type de problèmes reste cependant très fréquent au sein des populations carcérales. Treize pour cent des détenus sous responsabilité fédérale ont des problèmes de santé mentale et jusqu’à 60 p. 100 ont des problèmes de toxicomanie. Or, ces problèmes touchent la population de race noire de manière disproportionnée.

Les anciens détenus courent le plus grand risque de rechute dans la période qui suit immédiatement leur libération. Les facteurs qui contribuent à la rechute comprennent le manque de soutien social, les comorbidités médicales et les ressources économiques limitées; les facteurs qui réduisent les risques de rechute sont, entre autres, le soutien familial, les programmes de traitement de la toxicomanie, la spiritualité ou la religion ainsi que l’accès aux ressources communautaires.

La Clinique juridique africaine canadienne recommande fortement que les personnes ayant des problèmes de santé mentale soient complètement retirées de l’expérience carcérale et transférées dans des hôpitaux ou des établissements spécialement conçus pour travailler avec eux et pour eux, ce qui serait conforme à l’alinéa 29b) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition. La prison est le dernier endroit où une personne en crise devrait être envoyée pour faire face aux difficultés auxquelles elle est confrontée en raison de ses problèmes de santé mentale.

Il est clair que le système correctionnel n’est pas adapté aux Noirs de ce pays. Pour commencer à aller dans la bonne direction, il faudra qu’un investissement systémique soit fait dans des initiatives axées sur la communauté et pouvant servir de solution de rechange à la prison. Plus précisément, la Clinique juridique africaine canadienne appuie et est disposée à aider la mise en œuvre de services complets de soutien communautaire et de soutien pour les détenus noirs sous responsabilité fédérale. Des exemples de ces services comprennent la formation à l’emploi et à la préparation à l’emploi, le counseling sur la consommation de drogues, le counseling familial, le soutien au logement et les programmes généraux de réhabilitation à la vie active.

Il conviendrait de prêter attention aux modèles de foyers nationaux et internationaux qui intègrent plusieurs fournisseurs de services sociaux sous une même bannière, offrant ainsi une aide concertée aux personnes vulnérables et à risque.

Il faudrait également investir dans la création, dans les pénitenciers, de programmes diversifiés et pertinents sur le plan culturel. La Clinique juridique africaine canadienne et d’autres fournisseurs de services se voient systématiquement bloquer l’accès aux établissements correctionnels lorsqu’ils tentent de fournir une telle programmation. Pour réduire les déficits actuels en matière de services, il faut améliorer l’accès des fournisseurs de services externes à ces établissements.

À quoi cela ressemblerait-il concrètement? Par exemple, la CJAC dirige tout un lot de programmes conçus pour la communauté noire de l’Ontario. Parmi les plus importants, il y a l’Employment Skills Job Readiness Program, ou ESJRP, qui a été mis en œuvre à Maplehurst et au Centre de détention de Toronto-Sud, en 2014-2015, à titre de projet pilote. Ce programme enseigne les compétences essentielles qu’il faut posséder pour décrocher un emploi et se débrouiller dans la vie en général. Les finissants de ce programme sont aiguillés sur des apprentissages rémunérés, et sur des emplois auprès de partenaires syndicaux et d’employeurs privés. Dans sa version pilote, le programme a eu un taux de réussite de 88 p. 100, ce qui correspond au nombre de personnes qui ont décroché un emploi, qui ont obtenu un apprentissage rémunéré ou qui ont pu adhérer plus facilement à un programme de préapprentissage.

Tous les jours, la Clinique juridique africaine canadienne reçoit des appels de détenus — des hommes et des femmes — dont les droits de la personne sont systématiquement foulés aux pieds. L’incarcération exagérée des personnes de race noire aggrave les préjugés selon lesquels les Noirs seraient plus portés sur le crime que leurs concitoyens canadiens, qu’ils mériteraient moins de respect qu’eux et qu’ils inspireraient davantage la peur qu’eux. Des programmes culturels peuvent aider à faire reculer ces préjugés et à mettre fin au cycle de réincarcération qu’alimentent les conditions socioéconomiques défavorables des Noirs. Ces programmes procureront aux détenus de race noire l’égalité des droits et les chances qui leur font défaut à l’heure actuelle.

En terminant, je tiens à vous remercier d’avoir pris le temps de m’écouter ainsi que de votre détermination à vous attaquer à ce problème souvent négligé, mais néanmoins bouleversant. Nous serons heureux de répondre à toutes vos questions.

Le président : Merci beaucoup de votre témoignage.

La sénatrice Eaton : J’aimerais m’adresser à la personne qui est sur l’écran, M. Wright.

J’ai cru comprendre que vous avez été conseiller en santé mentale dans un pénitencier. J’aimerais aussi revenir sur ce que vous avez dit au sujet du fait qu’il n’y a peut-être pas assez de policiers, de gardiens, de juges et d’avocats de race noire. Comptent-ils pour 20 p. 100 de l’ensemble? La pénurie est-elle de l’ordre de 50 p. 100? Avez-vous quelque idée du nombre qu’il nous faudrait pour faire en sorte que le système soit mieux adapté à la culture des détenus noirs?

En vous basant sur votre expérience des rues et des pénitenciers, pouvez-vous nous dire quels sont les obstacles bien précis qui empêchent les délinquants noirs de suivre des traitements pour combattre leur toxicomanie?

M. Wright : Bien sûr, madame la sénatrice Eaton. Pour ce qui est de mon expérience dans les établissements, j’ai suivi ma formation clinique au Washington State Penitentiary, et j’ai toujours eu plus ou moins affaire avec les services correctionnels.

En ce qui concerne la question du personnel qu’il faudrait à nos agences pour augmenter leur efficacité, une partie du problème, comme Tamara l’a dit, c’est que nous représentons environ 3 p. 100 de la population dans son ensemble. Or, comme nous sommes gravement surreprésentés dans les établissements, il serait très difficile pour notre population de fournir un nombre suffisant de gens qualifiés. Si vous faites le calcul, comme nous représentons 3 p. 100 de la population, il nous est impossible de fournir assez de gens pour constituer à chaque endroit 9 p. 100 du personnel des services de police, des avocats, des juges, et cetera. C’est donc un problème.

Selon moi, la solution serait de veiller à ce que les personnes qui sont de descendance africaine et qui travaillent dans ces milieux se voient explicitement donner la chance d’être les agents du changement. Il faudrait pour cela leur permettre de développer leur savoir-faire et leurs connaissances au sujet des modèles de prestation de service adaptés sur le plan culturel. Leurs collègues d’autres races pourront d’ailleurs imiter ces modèles et s’en servir. En procédant de la sorte, nous pourrions améliorer l’efficacité de tous ceux qui interviennent — les praticiens, les avocats, les agents de police, les juges, les agents correctionnels — dans la prestation de services à diverses populations. C’est ce que j’aurais à dire à ce sujet : les personnes qui sont là doivent ni plus ni moins devenir des références en matière d’excellence à l’égard de ces clientèles particulières.

Maintenant, au sujet des obstacles particuliers qui barrent la route aux traitements. L’une des choses que nous savons au sujet du traitement de la toxicomanie, c’est ceci : dans un programme comme le programme en 12 étapes — qui est l’une des pierres angulaires dans ce domaine —, il y a un principe qui dit qu’aucun problème extérieur ne devrait interférer avec notre adhésion aux 12 étapes.

La sénatrice Eaton : Pouvez-vous être plus précis?

M. Wright : Bien sûr. Pour les toxicomanes qui sont en réhabilitation, la toxicomanie est un problème, n’est-ce pas?

La sénatrice Eaton : Oui, ce l’est.

M. Wright : Tous les autres problèmes sont des excuses pour nos toxicomanes. Dans un autre contexte, les modèles de thérapie de ce type ne sont pas très efficaces pour entendre les problèmes systémiques dont les gens ont souffert — les problèmes socioéconomiques, le racisme systémique, la pauvreté institutionnelle — et en tenir compte dans les thérapies individuelles.

Par conséquent, nous demandons à ce que les programmes de traitement soient passablement enrichis afin de tenir compte de l’expérience particulière des personnes de race noire qui deviennent toxicomanes. Leur toxicomanie met en cause des questions raciales, des questions de pauvreté et des problèmes de racisme systémique. Ce sont les attributs en raison desquels les communautés noires sont très précisément ciblées à la fois pour la consommation de substances illicites et pour le trafic de ces substances, des phénomènes qui se manifestent de façon très particulière sur le plan socioculturel.

L’une des choses que nous faisons, c’est que nous enseignons ces notions aux toxicomanes lorsque nous commençons à les aider à s’affranchir de leur accoutumance. Nous leur expliquons comment l’histoire les a ciblés pour qu’ils deviennent des toxicomanes, des trafiquants et des criminels. Lorsque vous faites cela, vous aidez la personne à raffermir son appartenance et son identité raciales; vous augmentez sa résistance à l’égard des drogues et de la criminalité. Toutefois, il y a très peu de programmes qui s’adressent aux délinquants ou même aux patients de race noire de cette façon.

La sénatrice Eaton : Merci.

La sénatrice Andreychuk : J’aimerais continuer sur le sujet de la réhabilitation en me tournant vers Mme Thomas. J’invite M. Wright à intervenir s’il le souhaite.

La réhabilitation vise à préparer la personne à son retour en société, et je suis convaincue que nous savons toutes les deux ce que cela signifie. Je sais que les problèmes de la communauté noire sont liés en profondeur à des problèmes de racisme et de discrimination, mais récemment, j’ai été en contact avec certaines communautés noires, et voici ce qu’elles disent : « Oui, ce problème existe et c’est quelque chose qui doit être traité à l’intérieur du système de justice. » Sauf qu’en même temps, la communauté noire est composée de différents groupes qui viennent de différentes parties du monde — ce qui est particulièrement vrai en ce qui concerne les immigrants qui sont arrivés plus récemment —, et nous devons tenir compte de ces traits particuliers en plus des problèmes communs à l’ensemble de la communauté noire.

J’ai réfléchi à la façon dont nous devrions traiter cet enjeu. Y avez-vous pensé, vous aussi? Est-ce que cette dimension est prise en compte dans les programmes dont vous parlez? Il y a les individus, il y a la communauté noire et il y a les différentes communautés noires. Puis il y a les démêlés avec la justice. Que devrions-nous faire?

Mme Thomas : En réponse à cela, en particulier lorsqu’on met l’accent sur les distinctions et les différences au sein de la communauté noire — qu’il s’agisse de la langue, de la culture ou de l’histoire individuelle de ces groupes ethniques particuliers —, la meilleure façon de traiter ces questions spécifiques est de s’appuyer fortement sur un modèle de communauté où les groupes communautaires individuels sont capables de prendre leurs responsabilités, de travailler les uns avec les autres, et de cristalliser ces antécédents culturels et cette compréhension similaires. Cela se prête bien aux résultats positifs qui découleraient d’une alternative communautaire à l’incarcération, facilitant les liens entre l’individu, le détenu ou le contrevenant, et le groupe communautaire d’où cette personne est issue.

En outre, je pense que cela réglerait en partie la question du déséquilibre statistique dont M. Wright a parlé concernant le nombre de Canadiens de race noire à l’échelle du pays et leur surreprésentation dans les établissements sous responsabilité fédérale. Dans ce contexte, vous ne pourrez pas nécessairement arriver à un ratio d’un à un, mais si vous allez dans le sens contraire de l’incarcération et que vous permettez aux personnes qui le peuvent de se réadapter au sein de leur groupe communautaire respectif, vous allez régler une partie de ce problème de quantité dans certains établissements, et vous allez tenir compte des circonstances particulières des personnes visées, y compris tout le bagage linguistique, religieux, et cetera, qui les définit. Souhaitez-vous ajouter quelque chose?

Matthew Boissonneault, étudiant recherchiste, Clinique juridique africaine canadienne : Bien sûr. Tout d’abord, merci d’avoir souligné cette question. C’est une préoccupation de taille. La clinique s’interroge souvent sur le fait que la communauté noire n’est pas homogène. C’est pour cette raison que nous souscrivons à un modèle communautaire. Il y a matière à réflexion, car en admettant que Service correctionnel du Canada opte pour un programme plus respectueux des particularités culturelles, si ce programme est uniforme, il ne sera pas accessible à tous.

Je sais qu’il y a un certain nombre de programmes offerts exclusivement dans la région de l’Atlantique, ce qui est logique parce que la région de l’Atlantique a une histoire culturelle différente de celle de l’Ontario, de l’Alberta ou de la Colombie-Britannique. Nous savons que notre proposition axée sur la communauté est un peu forte. C’est un changement radical par rapport au paradigme actuel. Mais la situation actuelle est très problématique. En proposant cette façon de procéder, nous allons permettre aux gens qui ont des expériences de vie communes avec les détenus de venir en aide à ces détenus et de les épauler dans leur réinsertion sociale. Ils pourront le faire parce qu’ils comprendront les origines des détenus. Je crois que c’est un aspect extrêmement important de la réinsertion dont on ne tient pas souvent compte.

Il est très important que cela se produise dans la communauté parce que c’est presque comme une expansion d’un concept d’apprentissage expérientiel. Quelqu’un ne va pas apprendre les secrets d’une réinsertion efficace en restant derrière les barreaux. Si vous pouvez patauger dans l’eau, pour ainsi dire, mais tout en étant soutenu par différents services sociaux aptes à collaborer entre eux pour vous aider à vous mettre sur la bonne voie, je pense que c’est extrêmement important.

Peut-être que M. Wright a quelque chose à ajouter à cela.

M. Wright : Le classique Counseling the Culturally Diverse de Sue et Sue met de l’avant ce principe très intéressant : plus vous êtes proche de moi sur le plan ethnoculturel, plus il me sera facile de vous servir; plus vous êtes loin, plus ce sera difficile.

Bien qu’il existe une grande diversité au sein des communautés noires au Canada, il y a tout de même des points communs. Par conséquent, je ne pense pas que nous devrions permettre à cette diversité de nous empêcher d’offrir une programmation pertinente sur le plan culturel. Au Canada, la communauté noire est principalement constituée d’Africains — des gens de descendance africaine récente —, de ceux que l’on appelle parfois les « Noirs autochtones » — dont la présence remonte à aussi loin que les années 1600, soit avant l’arrivée des colons — et des Noirs venus des Caraïbes.

Bien qu’il y ait des différences, dans vos établissements où il y a un aumônier noir, qui est peut-être catholique, cet aumônier noir devient l’aumônier des tous les détenus noirs, peu importe leur affiliation religieuse. Il y a une affinité qui va au-delà des traditions religieuses confessionnelles ou même historiques. Par exemple, étant donné cette affinité, les détenus chrétiens noirs solliciteront plus assidûment un imam musulman noir que les aumôniers chrétiens blancs.

Je dirais que nous avons la chance de développer nos capacités pour embrasser la diversité qui existe au sein de la communauté noire et que cette attention que nous commençons à mettre sur cette programmation adaptée sur le plan culturel nous permettra de faire cela. Encore une fois, il s’agit d’identifier les personnes qui ont le savoir-faire voulu et de les regrouper de manière à former un réseau de gens compétents.

La sénatrice Bernard : Je vous remercie tous les deux d’être là, ce matin, pour témoigner.

Ma première question est en fait complémentaire à celles qui ont été posées au sujet de la diversité des communautés noires. Je vais modifier un peu le discours. Au lieu de parler de la « communauté noire », je crois que nous devrions parler des « communautés noires » pour tenir compte de cette diversité.

Pourriez-vous nous dire, au moyen d’exemples, de quoi auraient l’air les programmes communautaires s’ils tenaient réellement compte de la diversité au sein de ces communautés? Comme nous avons un témoin de l’Ontario et un autre de la Nouvelle-Écosse, nous pourrions peut-être demander à tous les deux de nous donner un exemple.

Monsieur Wright, je crois que vous pourriez nous parler un peu de l’initiative afrocentrique en matière de santé mentale, initiative dont vous faites partie. Les gens qui nous écoutent, ceux qui nous regardent à la maison et peut-être même certains de mes collègues risquent de ne pas savoir de quoi il s’agit. Si vous pouviez nous fournir un peu plus d’information en utilisant cet exemple, ce serait utile.

M. Wright : Volontiers. Après la révision en matière de santé mentale, menée ici, en Nouvelle-Écosse, la province a demandé à la Health Association of African Canadians d’unir ses efforts pour mettre au point une initiative destinée à remédier au manque de services offerts. Ma collègue, Lana McLean, et moi-même étions les consultants principaux dans le cadre de ce programme. Nous avons mis sur pied un petit groupe sous la direction de Donna Smith Darrell, à la Health Association of African Canadians, et l’initiative a débouché sur trois résultats : la création d’un réseau provincial de praticiens, l’organisation de deux conférences pour souligner et échanger certaines des données que nous avions recueillies et, enfin, la mise en œuvre de modules de formation pouvant être utilisés par tous les praticiens dans le système de santé mentale.

Nous voulions tout simplement nous assurer que l’équipe chargée de ce dossier compte des représentants des diverses communautés africaines de la Nouvelle-Écosse. Il y a ici une organisation appelée ADAM, l’Association Diaspora africaine des Maritimes, qui travaille auprès des récents immigrants africains. Notre équipe comptait donc certains représentants d’ADAM. Par exemple, Lana McLean est d’origine antillaise. Elle vient d’une collectivité du Cap-Breton qui accueille depuis longtemps des immigrants des Caraïbes. Pour ma part, je suis un Néo-Écossais d’origine africaine de la sixième ou septième génération. Ensemble, nous avons travaillé à l’élaboration de modules qui ont su interpeller les divers groupes au sein des communautés noires : les immigrants africains, les Noirs autochtones et les Noirs des Caraïbes.

Il s’agit vraiment de faire en sorte que les intervenants, dans le cadre de leur travail, se renseignent sur l’histoire unique des divers peuples, notamment au chapitre de l’établissement, pour pouvoir ensuite régler, dans le contexte de leurs interactions avec ces gens, les difficultés sociales et psychologiques particulières qui font partie des expériences de ces derniers. Par exemple, les immigrants africains subissent des pressions inhérentes à l’immigration, en plus de faire face au racisme dirigé contre les Noirs, souvent pour la première fois dès leur arrivée au Canada.

Pour pallier ce problème, nous nous sommes assurés d’avoir une représentation des diverses communautés au moment d’élaborer ces initiatives.

La sénatrice Bernard : Monsieur Wright, pouvez-vous nous dire dans quelle mesure les programmes ont été efficaces sur le plan des services offerts aux détenus noirs?

M. Wright : En ce qui a trait aux services offerts aux détenus noirs, cette initiative n’était pas vraiment axée là-dessus. Mais je sais, par exemple, que Lana a participé à la création du programme Rituels de passage, qui a été mis en œuvre dans notre établissement pour jeunes en Nouvelle-Écosse, le centre de jeunesse de Waterville. Ce programme vise à favoriser le développement de l’identité raciale des jeunes de descendance africaine, tout en reconnaissant que la culture et l’affiliation culturelle sont des facteurs déterminants pour la santé. Le programme Rituels de passage offre des services d’information, d’éducation et d’intervention aux jeunes incarcérés afin qu’ils puissent améliorer leur affiliation culturelle et raciale, notamment de manière à accroître leur tolérance à la frustration, ce qui constitue l’une des raisons pour lesquelles les jeunes ont des démêlés avec la justice.

Bref, il s’agit d’une intervention correctionnelle qui permet de tenir compte de la race, de l’histoire et de l’acculturation dans le cadre des programmes.

La sénatrice Bernard : J’avais une question à poser aux autres témoins, si vous me le permettez. En ce qui concerne l’équipe de la Clinique juridique africaine canadienne, pouvez-vous nous parler davantage de votre première recommandation sur les possibilités? Comment entrevoyez-vous cet aspect? Quelle forme cela prendrait-il sur le terrain?

Mme Thomas : Pour ce qui est de savoir comment une solution de rechange à l’incarcération, axée ou centrée sur la communauté, pourrait fonctionner aux termes des articles qui prévoient de telles mesures, mentionnons, par exemple, les modèles de carrefours d’échanges communautaires qui ont été établis partout au pays. Je crois que le premier a été instauré à Prince Albert.

M. Boissonneault : Le modèle de Prince Albert est celui que nous connaissons le mieux.

Mme Thomas : Ces centres sont apparus un peu partout au pays. Ce qui se passe dans ces situations, c’est que les fournisseurs de services en provenance de divers secteurs s’assoient ensemble pour discuter des gens auprès de qui ils travaillent actuellement et à qui les autres intervenants autour de la table pourraient également offrir de l’aide. Il s’agit d’une conversation qui sert à déterminer les intervenants pertinents et le type d’aide qu’ils peuvent apporter. Ensuite, la personne est aiguillée vers ces ressources, qui l’aident alors à faire les démarches qui s’imposent.

Donc, en l’espèce, je crois que nous envisagerions une solution de rechange communautaire semblable, c’est-à-dire la tenue d’une réunion entre les groupes communautaires et les fournisseurs de services adaptés sur le plan culturel afin de discuter des cas de détenus qui pourraient purger leur peine ou suivre des processus de réhabilitation au sein de la communauté. Les intervenants autour la table pourraient ensuite déterminer comment venir en aide à ces gens et comment les accompagner dans leurs démarches.

En somme, il s’agirait d’une table ronde ou d’une sorte de groupe de travail communautaire qui tâcherait de déterminer les besoins de chaque personne et la façon dont la communauté pourrait y répondre. Un tel modèle serait donc une façon d’appliquer ce genre de solution de rechange communautaire.

La sénatrice Martin : Ma question va un peu dans le même sens que celle posée par la sénatrice Bernard. Dans votre recommandation, vous avez expliqué à quoi cela ressemblerait concrètement, et vous avez parlé d’un projet pilote que votre organisation a lancé ou dirigé. Donc, ce que vous décrivez, c’est quelque chose de semblable à l’idée de rassembler les diverses organisations qui pourraient fournir un service intégré au client.

Cette tâche reviendrait-elle à votre organisation, ou y a-t-il une autre organisation ou un modèle existant au Canada, mis à part l’exemple que vous avez donné? Cela me fait penser un peu aux fournisseurs de services aux nouveaux immigrants en Colombie-Britannique. Nous avons un excellent groupe appelé S.U.C.C.E.S.S. Cet organisme a commencé par répondre aux besoins ethnoculturels de la communauté chinoise, mais depuis, il a élargi la portée de ses activités afin d’aider les gens de toutes les origines ethniques qui ont besoin de ces services.

Si je pose cette question, c’est aussi pour dire que la Colombie-Britannique a, je crois, une plus petite communauté noire. Il s’agit certes d’une communauté en pleine croissance, mais pour fournir ce genre de service intégré, il faudrait beaucoup de ressources. Est-il possible de les partager avec d’autres? Je suis curieuse d’en savoir plus sur le projet pilote que vous avez mené. Vous pourriez peut-être nous en dire davantage et nous préciser si ce serait votre organisation ou une autre qui dirigerait une telle initiative.

M. Boissonneault : Le projet pilote que nous avons mentionné s’appelle l’Employment Skills Job Readiness Program. L’idée, c’est de le mettre en œuvre directement au sein de l’établissement, mais nous offrons aussi un programme communautaire en parallèle. C’est multidimensionnel, en ce sens que l’objectif est d’enseigner aux détenus de 18 à 30 ans les compétences essentielles à l’employabilité, allant de la communication interpersonnelle aux compétences pratiques de base. Par la suite, nous pouvons compléter le tout, au besoin, avec des services comme la consultation familiale, la maîtrise de la colère et, si possible, le counseling en matière de toxicomanie. Bref, il s’agit d’un programme unique que nous envisageons d’élargir.

Quant à votre question de savoir s’il y aurait des partenariats, la réponse est oui, absolument. D’après notre idée, il y aurait une personne à la table. Ensuite, on pourrait également inviter, disons, Across Boundaries et d’autres organisations qui offrent des services de santé mentale adaptés sur le plan culturel. Le but est de rassembler le plus grand nombre possible de fournisseurs de services sociaux communautaires.

Je crois qu’on a mentionné tout à l’heure que la réhabilitation doit tenir compte de la situation du délinquant. Ainsi, les intervenants discuteraient de cette personne de façon anonyme, et quelqu’un autour de la table dirait : « Vous savez quoi? Je crois que nous avons des services qui pourraient aider cette personne. » Ensuite, tous ceux qui voudraient mettre la main à la pâte se réuniraient en privé afin d’élaborer et de mettre en place un programme à l’intention de cette personne, le tout assorti d’étapes et d’indicateurs de réussite.

Bon nombre des carrefours d’échanges sont de nature préventive et, selon nous, il serait très utile de les restructurer subtilement afin de les rendre propices à la réhabilitation. Les résultats à Prince Albert, soit le modèle que nous connaissons le mieux, ont été tout à fait positifs; j’avais quelques statistiques à ce sujet, mais malheureusement, je ne les ai pas sous la main. En tout cas, un des résultats très frappants de ce modèle — qui a été instauré pour remédier aux problèmes semblables qui sévissent dans la communauté autochtone à Prince Albert, en Saskatchewan —, c’est que, grosso modo, 50 ou 51 p. 100 des cas présentés à la table d’intervention provenaient des services de police, mais environ 15 ou 16 p. 100 d’entre eux étaient traités par la police. Le reste était pris en charge par les services sociaux qui intervenaient en disant : « Le problème de cette personne n’est pas principalement d’ordre criminel. Cela pourrait être attribuable à la pauvreté, à la toxicomanie ou à des problèmes familiaux. »

Par conséquent, notre vision est de rassembler un certain nombre d’organisations qui peuvent collaborer pour faire en sorte que la personne ait accès à tous les services sous le même toit, au lieu d’essayer de s’y retrouver toute seule.

La sénatrice Martin : Je suis d’accord pour dire que les modèles de services intégrés et ce genre d’initiatives sont très efficaces. Dans votre première recommandation, lorsque vous parlez des possibilités qui seraient prévues aux termes des articles 81 et 84, je me suis demandé si c’est parce que vous n’y avez pas accès maintenant, à l’instar des communautés autochtones, ou si quelque chose doit changer pour que vous ayez plus d’occasions. Je ne suis pas sûre d’avoir compris le sens de votre première recommandation. S’agit-il d’une recommandation assez restreinte qui se limite aux communautés autochtones plutôt qu’à la communauté noire? Que pourrait-on faire pour que de telles possibilités soient offertes à ceux qui veulent appuyer la communauté noire?

Mme Thomas : C’est justement ainsi que je conçois la situation actuelle : les détenus afro-canadiens ne se voient tout simplement pas offrir des possibilités d’accès à des services externes de soutien communautaire ou à ce genre d’accommodement de la part de Service correctionnel Canada. Les personnes actuellement en prison n’ont pas accès à de tels services.

Il y a eu beaucoup de résistance de la part de Service correctionnel Canada chaque fois que nous avons tenté de faire ce genre de rapprochement avec la population des détenus de race noire. Il est donc question ici de la possibilité d’appuyer les initiatives et les solutions de rechange communautaires qui sont offertes ou mises en œuvre par des groupes disposés à s’atteler à la tâche, mais ayant des difficultés à accéder aux gens qui en ont besoin.

En ce qui concerne le cadre établi pour faciliter le retour des détenus ou des délinquants autochtones dans leur communauté et pour leur permettre de participer à des processus de réhabilitation, nous devons maintenant l’adapter à la communauté noire. Nous avons besoin d’une telle aide pour pouvoir fournir des services de soutien à ces gens.

La sénatrice Martin : Je serais curieuse d’entendre le point de vue de Service correctionnel Canada. Il serait important de discuter de la façon dont nous pouvons accroître l’accès et les possibilités.

La sénatrice Omidvar : À vrai dire, la sénatrice Martin vient de poser ma question. Je me contenterai donc de souligner un petit fait qui rehausse la tension ou le caractère impérieux de notre conversation. Selon les dernières données démographiques publiées par Statistique Canada, l’Afrique a devancé l’Europe, à titre de deuxième source principale de l’immigration. C’est donc dire que cette question a pris davantage d’importance, même si on ne peut pas présumer que A est égal à B.

Si je vous comprends bien, maître Thomas, les articles 81 et 84 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition — ces mécanismes dont nous avons entendu parler dans le cadre des témoignages de représentants des communautés autochtones et qui leur permettent de recourir à des absences temporaires et, dans certains tribunaux, à des rapports de type Gladue — ne sont pas appliqués aux membres de votre communauté. Pourquoi?

Mme Thomas : Je ne saurais vous le dire.

La sénatrice Omidvar : D’accord. M. Wright aurait peut-être une réponse. Pourquoi ces articles ne sont-ils pas appliqués?

M. Wright : Je dirais qu’ils commencent à l’être. Dans le Code criminel du Canada, aux termes du paragraphe 718.2e) et des principes de détermination de la peine, il est mentionné très clairement que les juges doivent tenir compte de toutes les possibilités ou stratégies mises à la disposition des délinquants, avant de recourir à l’incarcération. Selon les principes de détermination de la peine, il est indiqué clairement que les juges doivent procéder ainsi, en portant une attention particulière aux délinquants autochtones. On peut donc affirmer qu’avant d’imposer une peine, les juges ont manifestement la responsabilité législative de s’attarder précisément sur le statut autochtone d’une personne et d’accorder une attention particulière à la recherche de possibilités autres que les placements sous garde. Ce principe imprègne tout le reste de la détermination de la peine. Bien entendu, avec la mise en œuvre des rapports de type Gladue, les délinquants autochtones qui passent devant les tribunaux ont maintenant, en quelque sorte, un dossier détaillé de leurs besoins qui sont directement liés à leur statut autochtone.

Le travail que j’accomplis au chapitre des évaluations sur les effets de la race et de la culture, un concept innovateur qui a été mis en œuvre en Nouvelle-Écosse — et je suis d’ailleurs en Ontario pour y mener le premier projet en la matière — représente essentiellement des rapports de type Gladue pour les Noirs. Je ne dis pas cela à la légère; je n’essaie pas de m’approprier une notion pour laquelle les Autochtones se sont battus et dont ils ont eu besoin précisément en raison de leur relation constitutionnelle avec le gouvernement fédéral, mais de toute évidence, les statistiques laissent entendre que les Noirs qui entrent dans le système correctionnel ont besoin d’un mécanisme similaire pour qu’on puisse prêter attention à leurs besoins uniques et spéciaux dans le contexte du système correctionnel.

Un collègue et moi avons récemment mis en œuvre cette idée en Nouvelle-Écosse, et les tribunaux provinciaux ont bien accueilli ces rapports parce que les juges estiment que cela les aide à imposer des peines plus équitables. Toutefois, ces renseignements ne suffisent pas à éclairer les tribunaux au moment de la détermination de la peine. Il faut informer le système judiciaire au sujet des programmes, notamment en matière de réhabilitation.

La sénatrice Pate : Merci à tous de vos témoignages.

Pour revenir aux thèmes évoqués par les sénatrices Martin, Omidvar et Bernard, j’aimerais faire une déclaration et vous demander si vous êtes d’accord, après quoi je passerai à un autre point.

Un des aspects qui ont été soulevés — et je remercie la sénatrice Martin d’avoir demandé pourquoi Service correctionnel Canada ne s’est pas engagé dans cette voie —, c’est la question suivante : d’après votre expérience, la plupart des gens qui travaillent au sein de la communauté, auprès des délinquants en prison ou hors de prison, sont-ils au courant des dispositions comme les articles 29, 76, 77, 80, 81 et 84 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition? Je ne dis pas cela pour vous lancer des chiffres. Ce sont des dispositions qui, comme Me Thomas, M. Boissonneault et M. Wright l’ont dit, prévoient des options pour permettre à Service correctionnel Canada de donner vie à des dispositions comme le paragraphe 718.2e) du Code criminel du Canada, et le tout a été élaboré de manière similaire dans le but précis d’essayer de réduire le nombre de personnes en prison, en particulier le nombre de détenus autochtones, mais aussi de prisonniers racialisés et de femmes. J’aimerais d’ailleurs que vous nous parliez également des femmes.

Selon mon expérience limitée, j’ai conscience que bon nombre de groupes ne connaissent même pas l’existence de ces dispositions. La politique a été élaborée d’une façon restrictive et, en outre, la plupart des gens ne savent pas que ces dispositions existent parce que trop de gens, y compris ceux qui travaillent pour le Service correctionnel, ne lisent pas les lois qui s’appliquent à eux. Mon affirmation est-elle juste?

Que penseriez-vous de pouvoir avoir accès aux ressources utilisées en ce moment pour incarcérer les gens, comme cette possibilité est indiquée par ces dispositions de la loi? Comment croyez-vous que ces ressources pourraient être utilisées? Je ne vous demande pas de répéter tout ce que vous avez déjà dit, parce que vous avez mentionné un large éventail de possibilités, mais y a-t-il d’autres éléments comme le logement ou des besoins de ce genre que vous pourriez envisager?

Le président : Veuillez être bref, car nous accueillons un autre groupe d’experts après le vôtre.

M. Wright : Premièrement, je pense que peu de gens sont au courant. Deuxièmement, la plupart des gens qui le sont ne disposent pas des ressources nécessaires pour établir les programmes qui pourraient tirer parti de ces possibilités. Troisièmement, lorsque les astres sont alignés, c’est-à-dire lorsque les gens au courant sont en mesure d’établir des programmes, le financement pour ces services est souvent restreint ou d’une durée limitée.

Une organisation de Truro appelée la Community Enhancement Association s’est servie de ces dispositions pour offrir un programme de six ou huit semaines aux détenus noirs, qui étaient en mesure de demander une mise en liberté sous condition dans une maison de transition pour pouvoir participer à ce programme. Le programme a été offert pendant quelques années, mais je crois que cela s’est produit pendant les années où le financement pour des ressources communautaires de ce genre s’est tari. Par conséquent, lorsque nous avions la connaissance requise et la possibilité d’agir, le financement est devenu difficile à obtenir.

Le président : Madame Thomas, nous allons conclure après votre réponse. Mesdames et messieurs les sénateurs, si vous avez des questions à poser, nos autres témoins devraient être en mesure d’y répondre. Je vous prie de prendre le temps de me pardonner.

Mme Thomas : Je pense que nous approuvons en grande partie cette analyse très concise en trois points. Très peu de gens sont au courant, et les ressources sont rares. Pour en revenir encore une fois à ces plaques tournantes communautaires, je dirais que, dans de nombreux cas, la responsabilité d’assurer la prestation des services incombe à ces fournisseurs de services. Par conséquent, le financement pour ces ressources provient de ces groupes communautaires qui manquent souvent de ressources eux-mêmes.

En ce qui concerne la façon d’utiliser les fonds qui servent en ce moment à incarcérer les gens, je suis certaine que vous savez tous qu’il est incroyablement plus coûteux de détenir quelqu’un dans un établissement que de le mettre en liberté dans la collectivité. Si une volonté de décarcération existait, les fonds disponibles suffiraient amplement. Ces fonds pourraient alors servir à appuyer des initiatives désignées par ces groupes communautaires qui, autrement, ne pourraient pas présenter certaines initiatives comme faisables en raison d’un manque de financement.

Je crois que M. Boissonneault aimerait faire valoir un argument.

M. Boissonneault : Je crois que le rapport du BEC de 2014 indiquait que les centres correctionnels communautaires hébergeaient environ 6 p. 100 des détenus sous responsabilité fédérale, mais ne dépensaient que 1 p. 100 du budget. Ce modèle est donc efficace d’un point de vue économique.

En ce qui concerne les ressources, les personnes responsables des services dont nous parlons peuvent obtenir du financement auprès d’autres sources. Par exemple, si elles souhaitaient demander des fonds aux responsables de la Stratégie canadienne de réduction de la pauvreté, ce serait également possible. Il ne serait pas nécessaire que le financement provienne exclusivement du budget du Service correctionnel. Voilà plus ou moins le dernier argument que je souhaitais faire valoir.

Le président : Si vous souhaitez poser une question, les témoins pourront y répondre par écrit, parce que nous devons poursuivre la séance.

La sénatrice Omidvar : Recommanderiez-vous que les lignes directrices de la politique figurant dans la LSCMLC, qui font allusion à des instruments spéciaux mis à la disposition des communautés autochtones, soient étendues aux communautés noires, compte tenu de leur surreprésentation dans les prisons?

Le président : Nous pourrions obtenir cette réponse par écrit.

La sénatrice Andreychuk : Ma question donne simplement suite à notre discussion concernant les communautés qui composent la communauté noire. Nous avons parlé des différences qui existent dans cette communauté, mais élaborez-vous des modèles de justice qui reproduisent ceux que ses membres peuvent avoir connus dans leur communauté d’origine? J’ai travaillé fréquemment en Afrique, et je sais qu’il y a là-bas des modèles de justice différents. Si nous comprenions, entre autres, leur perception de la justice et ce qui est sensé à leurs yeux à cet égard, ces modèles seraient peut-être plus appropriés à des fins de réhabilitation au Canada, tant pour le délinquant que pour la collectivité. Je vous laisse réfléchir à cette question.

Le président : Il y a là matière à réflexion. Messieurs Wright et Boissonneault, madame Thomas, nous vous sommes tous reconnaissants d’être venus. Vos observations ont apporté une grande contribution à nos témoignages et à notre audience. Par souci d’équité, je précise que nous allons entendre sous peu un autre groupe d’experts très intéressant. Si vous regardez nos délibérations en ce moment, restez à l’écoute.

Nous poursuivons notre étude sur les questions concernant les droits de la personne des prisonniers dans le système correctionnel. Nous accueillons maintenant M. Luketa M’Pindou, directeur général de l’Alliance Jeunesse-Famille de l’Alberta Society, et M. Jacques Kanku, coordinateur des projets du Centre de bien-être et de prévention pour Afro-Canadiens de l’Alberta.

Vous vous joignez à nous par vidéoconférence. Soyez les bienvenus, messieurs, à la séance du comité. Nous avons parmi nous un certain nombre de sénateurs qui ont hâte de vous interroger à la suite de vos déclarations préliminaires. Je vous remercie de participer à la séance du comité et à cette conversation. Qui aimerait commencer? Nous pouvons vous voir. Monsieur M’Pindou, aimeriez-vous amorcer votre déclaration?

[Français]

Luketa M’Pindou, directeur général, Alliance Jeunesse-Famille de l’Alberta Society : Monsieur le président, membres du comité, mesdames et messieurs, je tiens à remercier les membres organisateurs de cette audience publique de m’avoir invité à comparaître devant le Comité sénatorial permanent des droits de la personne. Je tiens à vous informer que j’ai eu plusieurs occasions de comparaître devant des comités permanents de la Chambre des communes. Aujourd’hui, je me présente pour la toute première fois devant un comité sénatorial permanent et, surtout, celui des droits de la personne. Je vous remercie de cette invitation.

Ma présence ce matin est de vous partager mes propres expériences vécues d’abord en tant que directeur général d’un organisme qui travaille dans le domaine de la prévention du crime auprès des jeunes immigrants francophones en Alberta depuis 1999 et, ensuite, comme ancien membre du Comité consultatif national ethnoculturel (CCNE) de Service correctionnel Canada depuis 2005 et comme président du Comité consultatif régional ethnoculturel (CCRE) pour la région des Prairies pendant sept ans.

Par l’entremise de notre organisme, Alliance Jeunesse-Famille de l’Alberta Society, nous avons collaboré avec Service correctionnel Canada dans différentes initiatives, comme celle contre le racisme et l’intimidation au sein des établissements correctionnels, le projet pilote destiné aux délinquants de race noire axé sur les objectifs de la directive du commissaire 767, ainsi que le projet intitulé Looking Ahead, en collaboration avec l’Alberta Human Rights Commission.

En ma qualité de membre du Comité consultatif ethnoculturel, j’ai pu constater combien le visage des établissements correctionnels est en train de changer avec des détenus qui proviennent de groupes culturels et ethniques plus diversifiés. Cette présence multiculturelle justifie la mise en œuvre de la directive du commissaire 767.

Quelques projets mentionnés ci-dessus montrent combien il faut accorder de l’importance à l’harmonie, à l’égalité, au respect de la différence et à la dignité, conformément à la Charte canadienne des droits et libertés.

Les détenus viennent de la communauté et ils retourneront dans la communauté. C’est pourquoi nous devons collaborer étroitement pour aider ces détenus à devenir de bons citoyens lorsqu’ils retourneront dans la communauté.

En septembre 1999, lors d’un colloque marquant le 10e anniversaire de l’Association multiculturelle francophone de l’Alberta, j’ai prononcé un discours sur le thème touchant la jeunesse congolaise dans la société canadienne. J’avais mentionné ce qui suit dans le document que vous voyez :

Pour votre information, un jeune délinquant en prison coûte environ au gouvernement fédéral 50 000 $ […] Figurez-vous que si nos prisons sont débordées de jeunes délinquants, combien de salaires de cadres hiérarchiques sont gaspillés pour le maintien de ces jeunes en prison. Cette réflexion vise à vous démontrer l’importance de la prévention du crime dans notre société.

J’aimerais partager avec vous quelques préoccupations que certains détenus ethnoculturels ont soulevées durant les ateliers. Les délinquants disent souvent que les perquisitions sont effectuées sans respect des documents religieux comme le Coran, la Bible et autres. Lorsqu’on est incarcéré, cela prend quelques semaines pour entrer en contact avec la famille. Nos droits dépendent soit des directeurs de prison ou des agents correctionnels.

L’application de la loi change selon les circonstances. Le respect des droits de la personne n’est pas vécu de la même façon dans les pénitenciers. Les bibliothèques ne possèdent pas de livres en français. Le français n’a pas un statut égal à l’anglais en tant que langue officielle dans les pénitenciers et, s’il faut exagérer, au sein du service correctionnel aussi. De longs délais s’appliquent pour bénéficier d’une libération conditionnelle.

En vertu de tout cela, il faut reconnaître que le service correctionnel continue de faire un rapprochement avec les communautés en vue d’encourager les délinquants à établir et à entretenir des liens avec leur famille et la collectivité, et ce, afin de faciliter leur retour dans la collectivité. Ce rapprochement peut se faire en mettant l’accent sur les initiatives qui touchent l’emploi, le logement et la santé mentale.

Monsieur le président, il n’y a aucun doute que le respect des droits des détenus améliore la qualité de vie dans le milieu carcéral. En 2003, notre organisme a publié un guide éducatif en droits de la personne intitulé La différence, ça s’apprend. Comme je l’ai mentionné au début de ma présentation, le visage des établissements correctionnels est en train de changer. C’est ainsi. Nous devons nous assurer de créer des conditions favorables à tous les détenus, sans discrimination fondée sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l’âge ou les déficiences mentales ou physiques.

Pour terminer, j’aimerais vous proposer les recommandations suivantes : que le gouvernement canadien adopte une politique juste et équitable en matière de programmes et de services pour les délinquants ethnoculturels; que les membres du Comité consultatif régional ethnoculturel travaillent de concert avec les membres du Comité consultatif des citoyens pour examiner certaines plaintes présentées par les délinquants ethnoculturels; que les ateliers sur les droits des détenus soient incorporés dans les programmes de formation dans le milieu carcéral.

Je me permets de vous féliciter et de vous remercier pour le travail déjà accompli à travers le pays. Au nom de tous les membres de notre organisme, Alliance Jeunesse-Famille de l’Alberta Society, je vous souhaite bon courage et je vous remercie de votre attention. Je suis disposé à répondre à vos questions.

Jacques Kanku, coordinateur des projets, Centre de bien-être et de prévention pour Afro-Canadiens de l’Alberta : Monsieur le président, c’est avec plaisir que j’ai accepté l’invitation de comparaître devant votre comité et de vous présenter mon mémoire dans le cadre de votre étude sur la situation des délinquants issus des communautés en situation minoritaire, plus précisément des Noirs dans les services correctionnels du Canada. Je vous remercie de ce geste si aimable à mon égard et à l’égard de notre organisme qui est le Centre de bien-être et de prévention pour Afro-Canadiens de l’Alberta. Je m’appelle Jacques Kanku et je suis infirmier de formation. De 2013 à 2014, j’ai travaillé comme infirmier dans la prison à sécurité maximale d’Edmonton. Actuellement, je travaille comme infirmier dans un hôpital psychiatrique d’Edmonton, au service médico-légal, où nous accueillons des patients atteints de maladies mentales et ayant des problèmes avec la justice.

Monsieur le président, l’organisme que je représente est un organisme à but non lucratif qui œuvre dans le domaine de la santé. Le centre a été créé pour combler le vide occasionné par le manque de structure de santé communautaire viable susceptible de répondre aux besoins spécifiques des populations afro-canadiennes et de fournir des services de santé culturellement adaptés en Alberta. Comme son nom l’indique, le centre s’occupe de la promotion de la santé et de la prévention des maladies chroniques comme le diabète, l’hypertension artérielle, le cancer, les maladies mentales, la consommation de l’alcool et de drogues illicites dans les populations afro-canadiennes, surtout chez les jeunes de 11 à 25 ans. Le centre travaille aussi comme groupe d’experts ethnoculturels en collaboration avec le Service correctionnel du Canada, plus précisément à Edmonton, en Alberta, pour identifier les services de soutien à fournir sur le plan culturel et linguistique aux délinquants afro-canadiens qui sont dans les institutions fédérales de l’Alberta. C’est dans le cadre de cette collaboration que nous avons accepté cette invitation pour vous parler de la situation de la population afro-canadienne dans les services correctionnels du Canada.

En effet, toutes les statistiques dénotent une tendance soutenue d’année en année de l’augmentation de la population noire ou afro-canadienne dans les services correctionnels du Canada. Les dernières statistiques ont établi une augmentation d’environ 70 p. 100. Nous sommes conscients que de nombreux efforts ont été mis en œuvre pour améliorer les services dans les systèmes correctionnels du Canada, avec des résultats visibles, mais nous avons constaté aussi que dans leur politique, les services correctionnels du Canada portent une attention particulière, avec raison d’ailleurs, aux femmes et aux Autochtones, compte tenu de leurs caractéristiques et de leurs besoins particuliers. Des programmes et des services adaptés ont été mis sur pied pour répondre à leurs besoins spécifiques.

Notre intervention d’aujourd’hui se résume à une réflexion ou à une question, celle de savoir pourquoi les groupes de délinquants noirs ou afro-canadiens ne bénéficient pas du même niveau d’attention particulière, compte tenu de leurs caractéristiques ou de leur spécificité. Nous savons que, d’une manière générale, ces délinquants font partie des populations ethnoculturelles provenant des pays où la violence est systématique. Ils ont subi des traumatismes autant physiques que mentaux avec des conséquences néfastes et permanentes sur leur vie quotidienne. Il a été démontré que si une personne non seulement hérite d’une vie de pauvreté et de l’exclusion sociale, mais connaît également le racisme ou la discrimination généralisée dans tous les domaines de sa vie, notamment en ce qui concerne le travail, l’éducation, les soins de santé, les relations interpersonnelles et, finalement, même durant son expérience dans les établissements carcéraux, cette personne risque d’adopter certains comportements et un langage qui ne répondent pas aux normes générales. Il serait donc souhaitable de lui réserver un traitement particulier susceptible d’aider et d’atténuer les effets négatifs de ses antécédents sociaux.

Pour ce faire, le Centre de bien-être et de prévention pour Afro-Canadiens propose quelques pistes. Nous pensons qu’une attention particulière devrait être apportée à la population carcérale afro-canadienne à l’instar des autres groupes, compte tenu de leur spécificité et de leurs antécédents sociaux. Pour cela, il serait nécessaire d’effectuer des études supplémentaires afin de porter la lumière sur cette question. Il serait aussi nécessaire de concevoir des programmes, des services et des interventions culturelles adaptés susceptibles de répondre aux besoins des délinquants afro-canadiens, d’accroître le partenariat entre les services correctionnels du Canada et les organismes ethnoculturels communautaires, d’accroître la diversité culturelle des agents de police et du personnel des services correctionnels du Canada, d’assurer la formation liée à la compétence culturelle et au recrutement des membres du personnel possédant des valeurs ethnoculturelles; et, enfin, de créer des ponts avec les agents de liaison ethnoculturels au sein des services correctionnels du Canada.

Je crois que je vous ai fait part de mes réflexions, et je vous remercie du temps que vous m’avez accordé.

Le président : Merci beaucoup.

[Traduction]

La sénatrice Hartling : Je vous remercie infiniment de votre exposé. En ce qui concerne le placement en isolement préventif, je me demande quels sont ses effets sur la population noire des prisons, en particulier chez les femmes et les personnes atteintes de troubles mentaux. Que leur arrive-t-il lorsqu’elles sont placées en isolement?

[Français]

M. Kanku : Je vais répondre selon mon expérience personnelle. L’isolement préventif conduit la personne à se sentir encore plus isolée et cela entraîne des conséquences qui ne sont pas souvent positives sur sa santé mentale ou en général. Je peux dire qu’il y a des effets négatifs sur la santé d’une manière générale.

[Traduction]

La sénatrice Pate : Monsieur Kanku, j’étais heureuse d’entendre que vous travaillez comme infirmier au service médico-légal de l’hôpital de l’Alberta. Comme vous le savez sans doute, cet hôpital est celui que, dans le cadre d’un accord d’échange de services, le Service correctionnel du Canada utilise pour les transferts en vertu de l’article 29 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition. Je suis simplement curieuse de savoir combien de fois vous constatez que l’hôpital est utilisé pour traiter des personnes atteintes de problèmes de santé mentale et, pour donner suite à la question de la sénatrice Hartling, quel genre de programmes particuliers ont été élaborés, qui pourraient aider les gens transférés de la prison à l’hôpital de l’Alberta?

[Français]

M. Kanku : Je suis au courant de ces services. À l’hôpital de l’Alberta, il y a eu deux sections : la section des maladies actives et la section médico-légale, c’est-à-dire les personnes qui ont des maladies mentales qui viennent d’établissements carcéraux. Ces personnes, lors de leur arrivée, sont détenues dans leur section et on leur offre des services d’aide juridique. Je sais qu’il y a des services pour leur accueil. Elles sont à la section médico-légale et sont soignées par des médecins spécialisés dans ce domaine.

[Traduction]

La sénatrice Pate : Savez-vous combien de femmes et d’hommes sont transférés chaque année à l’hôpital en vertu de l’article 29? Dans la négative, avez-vous accès à des renseignements qui vous permettraient de nous fournir ce chiffre?

[Français]

M. Kanku : Je n’ai pas l’information exacte, mais je sais que la section médico-légale a environ 120 patients. De notre côté, nous recevons en moyenne cinq à sept personnes par mois provenant d’établissements correctionnels. Cependant, je n’ai pas les statistiques exactes avec moi.

[Traduction]

La sénatrice Pate : Est-il possible d’obtenir ces chiffres pour les hommes et les femmes?

[Français]

M. Kanku : Oui, je vais vous les trouver.

[Traduction]

La sénatrice Pate : Ce serait très utile. Merci beaucoup.

La sénatrice Andreychuk : J’aimerais donner suite aux commentaires selon lesquels des problèmes particuliers sont observés dans la population noire originaire d’Afrique. Je présume que ce sont des gens qui ont immigré récemment. Nous savons que certaines personnes ont passé des années dans des camps de réfugiés en raison des conflits civils qui sévissent dans les pays où ils ont résidé. Nous savons également que, parfois, ils ont été coincés dans ces situations de guerre. Bien entendu, il y a des gens qui viennent au Canada pour des raisons économiques. L’immigration englobe donc un grand nombre de cas.

Tentez-vous de déterminer comment les services d’immigration traitent les nouveaux immigrants lorsqu’il s’agit de leur fournir les services dont ils ont besoin? Certains de leurs besoins sont liés à la santé mentale. Lorsque ces besoins ne sont pas satisfaits, ces personnes deviennent problématiques pour leur collectivité et finissent souvent devant les tribunaux. Cependant, la source de leurs problèmes est probablement beaucoup plus ancienne. Donc, vous attaquez-vous à ces problèmes de coordination avec les communautés d’immigrants et de services offerts aux immigrants, longtemps avant que ces personnes deviennent des problèmes de justice pénale?

[Français]

M. Kanku : Merci. Nous continuons sur notre lancée. Peut-être que je ne l’ai pas dit, mais notre organisme est encore jeune. Nous collaborons avec l’établissement qui reçoit les nouveaux arrivants, afin d’identifier de manière précoce les personnes susceptibles de développer des problèmes de maladie mentale pour ensuite les diriger vers les services compétents. Nous travaillons de pair avec ce service.

[Traduction]

Le président : Monsieur M’Pindou, aimeriez-vous répondre à cette question?

[Français]

M. M’Pindou : Oui, pour compléter ce qu’a dit M. Kanku, quand les nouveaux arrivants ont des problèmes de santé, surtout quand ils viennent de camps de réfugiés ou de pays en guerre et qu’ils sont traumatisés, il y a des services pour prendre soin de ces personnes, pour les aider à s’intégrer favorablement dans la communauté. Je voudrais vous informer que, parmi ces gens, il y a des francophones, mais ils ne sont pas dirigés vers nos communautés ou nos services, parce que nous manquons de ressources pour aider ces francophones. Lorsqu’ils vont auprès de services anglophones, ils souffrent davantage d’un manque de connaissances en anglais. Comment peut-on concevoir qu’un organisme comme l’Edmonton Mennonite Centre for Newcomers, qui reçoit de nouveaux arrivants victimes de traumatismes, offre des services uniquement en anglais? Cela pourrait traumatiser les gens davantage. Nous aimerions que vous fassiez des recommandations afin que nos communautés francophones reçoivent les ressources nécessaires pour accueillir ces gens qui ont des traumatismes.

[Traduction]

La sénatrice Andreychuk : Puis-je faire simplement un suivi? Vous dites que vous avez besoin de services en français, mais j’entends quelque chose de légèrement différent. Je crois que vous dites que vous avez besoin de gens qui comprennent les problèmes dont souffrent ces gens, mais qui peuvent s’exprimer dans la langue parlée par ces personnes. Ce qui me préoccupe, c’est qu’il est possible de trouver un francophone originaire d’une certaine communauté qui ne comprend pas les besoins de cette personne. Il faut donc assortir la langue aux besoins et, par conséquent, aux compétences nécessaires pour assurer la prestation de ce service.

Si c’est le cas, ces ressources sont-elles disponibles à Edmonton?

[Français]

M. M’Pindou : Il faut que la personne soit spécialisée pour communiquer en français afin de répondre à ces problèmes. Nous avons besoin de ressources. Cela peut être des gens qui sont compétents pour travailler avec de nouveaux arrivants et qui peuvent s’exprimer en français. Nos organismes en situation minoritaire sont là pour défendre et promouvoir la langue française.

[Traduction]

La sénatrice Pate : Pour donner suite à la question de la sénatrice Andreychuk, je m’intéresse en particulier aux services offerts aux femmes noires de la collectivité, ainsi qu’aux enfants des femmes qui sont peut-être incarcérées. Nous savons qu’environ 90 p. 100 des enfants des femmes incarcérées finissent par être placés sous la tutelle de l’État, comparativement à 10 p. 100 des enfants des hommes détenus.

En outre, pour reprendre la question de la sénatrice Andreychuk, avez-vous examiné les approches adoptées dans d’autres pays? En Afrique du Sud, en particulier, lorsque Nelson Mandela est devenu président, l’une des mesures qu’il a prises a été de libérer toutes les femmes ayant des enfants âgés de moins de 12 ans, parce qu’il reconnaissait que, en condamnant une femme à la prison, on exposait les générations à venir à une discrimination encore plus grande. Je suis curieuse de savoir si vous avez mené des travaux dans ces domaines, ou s’il y a des renseignements supplémentaires que vous pourriez nous communiquer. Merci.

[Français]

M. M’Pindou : Je voudrais d’abord dire que nous venons de pays où les prisons ne sont pas divisées comme ici. Ici, on a des prisons pour femmes et des prisons pour hommes, et des centres de détention pour les mineurs de 12 à 17 ans. On a des prisons de différents niveaux : minimum, moyen et maximum. Ce n’est pas le cas dans nos pays d’origine. Il faut reconnaître que le Canada, en matière de services correctionnels, est bien organisé, mais qu’il a encore des défis à relever.

Dans la culturelle africaine, ce sont surtout les hommes francophones qui sont emprisonnés. Les femmes, il y en a moins. Les crimes sont commis souvent par des hommes. Cela commence un peu à changer ici. Lorsque ces hommes sont en prison, la femme est là pour s’occuper des enfants et la famille peut accompagner l’homme dans sa peine. Nous sommes en train de défendre cette situation pour voir comment on peut aider une personne emprisonnée à comprendre ses droits, et on l’accompagne pour faire une réinsertion sociale réussie. C’est pour ça que nous sommes ici devant vous.

M. Kanku : À la suite de votre question, sénatrice Pate, j’aimerais vous partager une expérience personnelle que j’ai vécue quand j’ai travaillé à la prison. Il y avait une femme incarcérée qui avait deux enfants. Ses enfants ont été pris en charge par sa famille. C’est probablement sa petite sœur qui les a pris en charge. La fin de semaine, la petite sœur devait amener les enfants pour qu’ils voient leur mère, ce qui a ajouté à sa charge familiale. Dans notre esprit, pour les Africains, nous préférons que les enfants restent dans nos familles, c’est-à-dire avec les membres de nos familles. Cela cause des problèmes parce que cela devient une charge supplémentaire imprévue pour la famille, telle que la sœur ou une cousine. À mon avis, il faudrait instaurer certains mécanismes et services qui pourraient traiter ces cas. Ce sont des cas qui peuvent se manifester, bien qu’ils soient rares.

[Traduction]

La sénatrice Pate : Voici une question complémentaire que je vous pose à tous les deux. Monsieur M’Pindou, je sais que vous avez mentionné que vous voyez surtout des hommes en prison, mais avez-vous des inquiétudes particulières à propos des droits de la personne des femmes noires incarcérées?

[Français]

M. M’Pindou : Pourriez-vous préciser votre question, madame la sénatrice Pate? Faites-vous allusion au Canada ou à l’Afrique?

[Traduction]

La sénatrice Pate : Au Canada.

[Français]

M. M’Pindou : Au Canada, pour les hommes emprisonnés, les services qu’on veut mettre en place, c’est surtout travailler pour qu’on puisse les aider à avoir un bon retour dans la communauté. Comme je vous l’ai mentionné, on est là pour faciliter la liaison entre les délinquants et leurs familles. Nous avons une collaboration avec Service correctionnel Canada pour travailler en faveur de ces rapprochements. C’est une initiative qui mérite d’être saluée. Ils veulent que les collectivités soient au courant que c’est dans leur intérêt d’accompagner un homme délinquant emprisonné et de s’occuper aussi de sa famille. Ce pont est important. On ne veut pas priver un délinquant de sa famille. Il existe une collaboration avec les services correctionnels afin d’aider un détenu emprisonné pendant sa sentence à avoir le droit d’être en contact avec sa famille. Nous, en tant que membres de la communauté, nous devons créer ce pont.

[Traduction]

La sénatrice Pate : Je vous remercie beaucoup de votre réponse. Elle me pousse à vous poser la question suivante : compte tenu de votre relation de travail positive avec le Service correctionnel du Canada, avez-vous été pressenti pour fournir n’importe quel service de soutien en vertu des articles 81 ou 84, de manière à ce que des personnes de votre communauté puissent purger leur peine ou être mises en liberté sous condition au sein de votre collectivité?

[Français]

M. M’Pindou : Merci, sénatrice, pour cette question. Les articles 81 et 84, comme vous le savez, touchent surtout les communautés autochtones. Du côté ethnoculturel, c’est un dossier sur lequel nous travaillons avec Service correctionnel Canada afin que l’on puisse avoir droit à ces avantages. Jusque-là, au niveau des communautés ethnoculturelles, tout ce qui existe, c’est la directive du commissaire no 767, que j’ai mentionnée plus tôt, qui traite des programmes et des services visant à répondre aux besoins spécifiques des délinquants ethnoculturels. Nous ne sommes même pas rendus aux articles 81 et 84.

[Traduction]

La sénatrice Pate : J’aimerais simplement clarifier quelque chose. La politique que le Service correctionnel du Canada a mise en œuvre limite l’application de ces dispositions aux détenus autochtones et uniquement dans certaines circonstances — la loi accorde en fait la priorité aux détenus autochtones —, mais les paragraphes des articles 81 et 84 autorisent l’application de ces dispositions à d’autres prisonniers. Par conséquent, il n’est pas nécessaire de modifier la loi. Je soutiens que, en modifiant sa politique, le SCC pourrait vous permettre de tirer parti de ces dispositions.

[Français]

M. M’Pindou : Oui, exactement. À l’article 84, il y a la possibilité de collaborer avec les communautés autochtones. Y aura-t-il des agents ethnoculturels qui s’occuperont de ces délinquants? Voilà le problème. Ce n’est pas dans les maisons d’hébergement ou de transition des communautés autochtones qu’un membre délinquant ethnoculturel pourra avoir accès à tout ce qui touche sa culture. Nous aimerions que ce soit spécifique pour les délinquants ethnoculturels.

La sénatrice Pate : Merci.

[Traduction]

La sénatrice Andreychuk : Pour ma gouverne, je précise que votre arrivée à Edmonton est relativement récente, et vous attirez l’attention sur un problème que nous devons régler. Travaillez-vous avec d’autres collectivités, disons de l’Ouest canadien, afin de leur faire part de points de vue semblables et de leur fournir des services semblables? Autrement dit, j’aimerais savoir s’il y a un réseau sur lequel vous pourriez vous appuyer pour mettre en lumière des besoins en matière de services en français offerts dans des domaines spécialisés comme le vôtre. Travaillez-vous avec Winnipeg ou Vancouver, ou vous concentrez-vous seulement sur Edmonton?

[Français]

M. M’Pindou : Sénatrice, je ne suis pas nouveau à Edmonton. Cela fait presque 20 ans que j’y suis, et 17 ans que je travaille pour l’Alliance Jeunesse-Famille de l’Alberta Society. J’ai été le premier vice-président de l’Association canadienne-française de l’Alberta. J’ai aussi été le représentant de l’Alberta au sein du Comité national d’immigration francophone. En outre, j’ai été le directeur de l’Ouest et du Nord du Canada pour la Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada. Alors, je connais très bien les communautés francophones et acadienne du Canada.

Nous avons des contacts avec toutes les provinces que vous avez mentionnées dans l’Ouest pour nos programmes. Nous travaillons avec d’autres partenaires dans la région des Prairies. J’ai mentionné que je suis un ancien membre du Comité consultatif national ethnoculturel. J’ai aussi été président du Comité consultatif ethnoculturel régional des Prairies pour Service correctionnel Canada. Alors, les défis auxquels nous faisons face avec les délinquants ethnoculturels dans la région des Prairies, c’est qu’il n’y en a pas une présence forte, mais le peu qu’il y a... Actuellement, si l’on prend seulement la région d’Edmonton, nous trouvons dans les institutions de Bowden et de Drumheller des délinquants noirs somaliens, soudanais et autres. Voilà où nous commençons déjà à voir comment nous pouvons aider ces délinquants et favoriser leur réinsertion sociale dans leurs communautés. Voilà ce que nous faisons avec la collaboration de Service correctionnel Canada.

[Traduction]

La sénatrice Andreychuk : Je crois que vous m’avez mal comprise. Je ne parlais pas du travail que vous faisiez auparavant; je parlais du travail sur lequel nous mettons l’accent, c’est-à-dire celui qui est lié à la population carcérale et à ses besoins. En fin de compte, vous avez répondu à la question en mentionnant que vous travaillez avec les communautés de nouveaux immigrants. Ce qui me préoccupe, c’est qu’à mesure que le nombre d’immigrants s’accroît dans différentes collectivités du Canada, nous devons être attentifs à ces personnes et à leurs besoins. Je me demandais si vous communiquiez avec d’autres collectivités de l’Ouest canadien qui observe le même changement en matière d’immigration en ce qui a trait aux besoins des immigrants, en particulier ceux d’origine africaine, avec lesquels j’ai travaillé. Voilà ce que je faisais valoir.

Y a-t-il des organisations semblables qui répondent à ce nouveau besoin?

[Français]

M. M’Pindou : Oui, sénatrice, il y en a. Le Comité consultatif national ethnoculturel est composé de membres provenant de différents organismes qui travaillent sur ce dossier. Ils connaissent cela. La majorité des membres ont les mêmes problèmes. Vous allez voir que ceux qui sont, par exemple, en Colombie-Britannique, au Manitoba et même au Québec et en Ontario, quand nous nous retrouvons, nous partageons les mêmes défis en ce qui concerne les délinquants ethnoculturels que nous accueillons dans nos communautés. Il y a des défis à révéler, il y a certains droits qui sont brimés. Il doit y avoir une collaboration franche tout en respectant les lois qui existent et en aidant les délinquants à devenir de bons citoyens dans la communauté.

Le président : Merci beaucoup, messieurs M’Pindou et Kanku, d’avoir comparu aujourd’hui. Vos témoignages et recommandations seront importants pour notre rapport. Merci beaucoup.

(La séance est levée.)

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