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RIDR - Comité permanent

Droits de la personne

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Droits de la personne

Fascicule nº 22 - Témoignages du 1er novembre 2017


OTTAWA, le mercredi 1er novembre 2017

Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne se réunit aujourd’hui, à 11 h 32, pour poursuivre son étude sur les questions concernant les droits de la personne des prisonniers dans le système correctionnel.

[Traduction]

Le sénateur Munson : Bonjour et bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent des droits de la personne.

Une petite note d’abord, cette réunion sera la dernière où je siégerai à titre de président de ce comité. J’ai beaucoup appris au cours des deux dernières années sur des enjeux tels que les sept ou huit questions relatives aux réfugiés syriens ou celle que nous examinons aujourd’hui à propos des droits de la personne des prisonniers de notre système correctionnel.

J’aimerais remercier la sénatrice Ataullahjan, qui est notre vice-présidente, ainsi que les autres membres du comité, pour leur collaboration aux rapports que nous avons élaborés. Je souhaite bonne chance au comité pour les prochains mois à venir.

Nous devons achever notre rapport sur l’analyse comparative entre les sexes. Notre rapport sur l’application de la Loi sur les licences d’exportation et d’importation, la LLEI, sera également publié prochainement et, bien sûr, nous étudions la question des prisonniers rohingyas ainsi que les rapports en cours.

Ce fut un réel plaisir d’assumer la présidence.

Commençons.

[Français]

Avant de commencer, j’inviterais les sénateurs à se présenter.

[Traduction]

La sénatrice Bernard : Wanda Thomas Bernard, de la Nouvelle-Écosse. Bienvenue.

La sénatrice Hartling : Nancy Hartling, du Nouveau-Brunswick.

Merci beaucoup pour votre travail au sein de notre comité, sénateur Munson. C’est très apprécié.

La sénatrice Pate : Oui, merci beaucoup pour votre présidence et le leadership que vous avez démontré dans le cadre de nombreux enjeux. Je m’appelle Kim Pate, et je suis de l’Ontario.

[Français]

Le sénateur Brazeau : Bon travail, sénateur Munson.

Patrick Brazeau, sénateur du Québec.

[Traduction]

Le sénateur Munson : Nous continuerons de discuter des enjeux entourant les droits de la personne des prisonniers du système correctionnel.

Comme je l’ai mentionné précédemment, un rapport provisoire sera présenté ce mois-ci. Le rapport final paraîtra vers le milieu de l’an prochain, mais nous devons demeurer bien au fait de la situation.

J’entretiens des relations très étroites avec Parrainage civique d’Ottawa; nous avons collaboré à divers niveaux et à de nombreuses occasions. Nancy Lockwood est la gestionnaire du Programme de ressources sur les troubles du spectre de l’alcoolisation fœtale.

Bienvenue dans notre comité, madame Lockwood. Vous avez la parole, et nous aurons certainement plusieurs questions à vous poser.

Nancy Lockwood, gestionnaire de programme, Programme de ressources sur les troubles du spectre de l’alcoolisation fœtale, Citizen Advocacy Ottawa : Honorable sénateur Munson et distingués membres du Comité sénatorial permanent des droits de la personne, je vous remercie sincèrement de m’avoir invitée aujourd’hui pour vous parler d’un sujet complexe, le trouble du spectre de l’alcoolisation fœtale, ou TSAF, en relation avec le système carcéral canadien.

Je suis gestionnaire du Programme de ressources sur les troubles du spectre de l’alcoolisation fœtale créé par Citizen Advocacy Ottawa, un projet pilote issu d’une collaboration entre notre organisation, le Réseau pour la santé du cerveau des enfants, lequel est un centre d’excellence national, le Centre hospitalier pour enfants de l’est de l’Ontario et la Société de l’aide à l’enfance d’Ottawa.

Nos coordonnateurs de programme organisent des ateliers éducatifs sur le TSAF à l’intention des professionnels et du personnel d’organismes de divers secteurs comme celui de la justice, et fournissent une orientation aux personnes atteintes du trouble du spectre de l’alcoolisation fœtale, le TSAF, et à leur famille pour les aider à obtenir le soutien de ressources informées. Je vous ferai part aujourd’hui de recherches démontrant que les personnes atteintes du TSAF sont surreprésentées dans les prisons canadiennes. Nous verrons les raisons à la base de ce constat, nous verrons surtout pourquoi la prison ne convient pas à la majorité des personnes affectées de cette lésion cérébrale permanente et nous formulerons des recommandations visant à améliorer la façon dont les personnes souffrant du TSAF sont traitées dans notre système judiciaire, ainsi que des solutions de remplacement à l’incarcération.

Selon le Réseau canadien de recherche sur le TSAF, le réseau CanFASD, on estime que 4 p. 100 des Canadiens souffrent du TSAF, bien que de nombreuses personnes n’ont pas reçu de diagnostic ou ont reçu un diagnostic erroné tel que l’autisme, le trouble du déficit de l’attention avec hyperactivité, le TDAH, ou trouble oppositionnel avec provocation. Des études de prévalence du TSAF dans les prisons canadiennes ont démontré que les taux se situent entre 9,8 et 23,3 p. 100. En 2004, Streissguth a mené une étude longitudinale qui a révélé que 60 p. 100 des jeunes et des adultes atteints du TSAF auront des démêlés avec la justice.

En 2008, Sécurité publique Canada a fourni des preuves anecdotiques attestant que 50 p. 100 des détenus autochtones au Canada sont atteints du TSAF. L’École de santé publique de l’Université de l’Alberta a estimé que le TSAF coûte au système de justice pénale canadien environ 3,9 milliards de dollars par année.

Nous devons comprendre pourquoi tant de gens atteints du trouble du spectre de l’alcoolisation fœtale ont des démêlés avec la justice. Le TSAF est une incapacité physique de naissance qui prend la forme d’une lésion cérébrale permanente causée lorsque le fœtus en développement est exposé à l’alcool. C’est un spectre réel qui affecte chaque personne différemment, bien que certaines caractéristiques sont extrêmement courantes, telles que l’impulsivité, la difficulté d’apprendre des conséquences, le fait de répéter les mêmes erreurs, les difficultés avec les interactions sociales et la vulnérabilité face aux prédateurs.

La majorité des personnes atteintes du TSAF ont un quotient intellectuel normal, mais nombre d’entre elles affichent de graves déficiences sur le plan de la fonction exécutive, ce qui inclut des difficultés d’organisation et de gestion du temps, l’inaptitude à la vie autonome et au maintien d’un emploi. Les aptitudes à l’apprentissage fonctionnel sont souvent diminuées. Cela se présente comme un manque de jugement ou une difficulté à comprendre les règles non dites de la société. Un grand nombre de ces personnes vivent dans un isolement social immense. Plus de 50 p. 100 adoptent des comportements sexuels inappropriés résultant de la lésion cérébrale.

En plus de ces ces difficultés, une recherche publiée l’an dernier par le Centre de toxicomanie et de santé mentale, le CAMH, indique qu’il existe plus de 400 états de comorbidité associés au TSAF, ce qui en fait un trouble corporel véritable. Pourtant, très peu de professionnels de la santé sont formés sur ces conditions, ni sur le fait que la médication agit de façon très différente d’une personne à l’autre, lorsqu’elle donne des résultats.

Les personnes atteintes du TSAF se retrouvent dans le système judiciaire comme victimes, témoins et auteurs de crimes, mais je m’attarderai à la dernière catégorie, compte tenu du mandat de votre comité. Souvent, les personnes atteintes du TSAF ne réalisent pas qu’elles commettent un crime. Je vous en donne deux exemples. Un membre de mon équipe a travaillé avec un étudiant de secondaire à qui un « ami » a demandé d’apporter une bouteille de Tylenol dans un cours et de la remettre à un autre étudiant. Ce garçon n’avait aucune idée que la bouteille contenait des drogues illégales, mais il a été pris sur le fait et accusé de trafic de drogue. David Boulding, un avocat de Colombie-Britannique spécialisé dans les cas du TSAF dans le système judiciaire, raconte l’histoire d’un jeune homme à qui l’on a demandé de conduire sa voiture tard le soir à un magasin, afin de ramasser des articles pour un ami, et qui ne s’est pas rendu compte qu’il participait au vol du magasin.

De nombreuses personnes sont traduites en cour et accusées de crimes sexuels, qui sont souvent liés à l’impulsivité, à une mauvaise compréhension du consentement et au fait qu’elles socialisent plus facilement avec des personnes plus jeunes qu’elles-mêmes.

Les personnes souffrant du TSAF ont tendance à paraître peu crédibles lors de leur parution en cour. Leurs habiletés verbales correspondent généralement à leur âge chronologique, ce qui les rend très bavards et cache le fait que leur capacité réceptive du langage et leur compréhension peuvent être considérablement déficientes. Leur âge de développement est souvent très inférieur à leur âge chronologique. L’accusé peut ne pas se rappeler les dates, l’heure et la chronologie des événements. Et pour compliquer les choses davantage, il y a un risque de confabulation.

À l’intention de ceux pour qui le concept n’est pas familier, la confabulation consiste pour la personne à énoncer une chose qui n’est pas vraie mais qui n’est pas un mensonge. Il s’agit de souvenirs mal interprétés. La personne ne se souvient pas de ce qui s’est passé mais ne veut pas avoir l’air « stupide », alors elle invente quelque chose. La personne peut également tenter d’impressionner les gens. Elle peut mêler la réalité avec une situation qu’elle a vue dans un film. Contrairement au mensonge, il n’y a pas de manipulation intentionnelle. La confabulation et le désir de plaire font de la personne atteinte du TSAF un témoin peu fiable et l’amènent souvent à faire de fausses confessions en cour.

À première vue, la prison peut paraître un endroit bien adapté pour les personnes atteintes du TSAF. On leur offre un logement, de la nourriture, une structure, de l’organisation et des amis, ou du moins des gens qui font figure d’amis. Nous avons même entendu dire directement que certaines personnes atteintes du TSAF veulent aller en prison, car elles ne peuvent trouver d’autres façons d’obtenir ce type de soutien. Pourtant, il existe des raisons importantes pour lesquelles la prison n’est pas un endroit approprié pour la plupart des personnes atteintes du TSAF. Ces personnes deviennent des proies en prison pour les prédateurs qui prétendent être leurs amis et qui les incitent à commettre d’autres activités criminelles. Elles peuvent éprouver une surcharge sensorielle en vivant toutes sortes de situations, en étant exposées au bruit, à la surpopulation et à une stimulation excessive, si bien qu’elles manifestent des accès de colère et d’autres comportements négatifs. L’objectif d’un emprisonnement est d’amener le détenu à apprendre des conséquences de ses gestes, afin qu’il ne répète pas ses erreurs. Cependant nous savons que les personnes souffrant du TSAF n’apprennent généralement pas des conséquences et répètent toujours les mêmes erreurs.

Une autre raison pour laquelle les personnes atteintes du TSAF retournent en prison à répétition est le fait que les ordonnances de probation ont été conçues pour des gens sans lésions cérébrales et qu’elles sont assorties de multiples rendez-vous et réunions obligatoires. Notre équipe a offert une formation aux agents de probation dans toute la province de l’Ontario. Ils nous ont fait part de leurs expériences et nous ont répété que les personnes atteintes du TSAF arrivent souvent en retard aux réunions planifiées ou ne se présentent pas, en raison de leur gestion du temps et de leur mémoire déficientes. Le système actuel les mène à l’échec. Les agents de probation sentent qu’ils ont les mains liées, car ils savent que ces personnes ne peuvent pas respecter l’ordonnance de probation. Malgré tout, les agents doivent veiller à la faire observer.

Voici nos recommandations visant à améliorer le soutien aux personnes atteintes du TSAF dans les services correctionnels, s’appuyant sur les recherches effectuées par le réseau national CanFASD en 2016.

Premièrement, éliminer les obstacles aux diagnostics. Selon un reportage de la CBC la semaine dernière, Service correctionnel Canada n’a fourni un financement que pour sept évaluations du TSAF dans tout le pays l’an dernier. Le TSAF peut être très difficile à diagnostiquer et idéalement, les évaluations devraient être effectuées par une équipe multidisciplinaire, conformément aux Directives du Canada. Seulement 10 p. 100 des personnes atteintes du TSAF ont les caractéristiques faciales indiquant une exposition prénatale à l’alcool. Cette incapacité est invisible dans 90 p. 100 des cas. Actuellement, la confirmation d’une exposition prénatale à l’alcool est requise pour qu’un diagnostic soit effectué, ce qui constitue un autre obstacle, car de nombreuses personnes atteintes du TSAF ont été élevées par des familles d’accueil ou des parents adoptifs et possèdent peu d’antécédents de naissance. L’enquêteur correctionnel Howard Sapers a exprimé la recommandation suivante :

[…] déployer plus d’efforts pour traiter les gens comme si nous disposions d’un diagnostic, plutôt que de compter sur notre capacité à fournir un diagnostic.

Les organismes comme les Services juridiques autochtones de Toronto prennent en considération le fait que l’accusé peut avoir des problèmes cognitifs associés au TSAF et adaptent les procédures en conséquence. Lorsqu’une équipe permettant de fournir un diagnostic complet n’est pas disponible, CanFASD recommande des outils d’évaluation comme celui qu’a élaboré l’Asante Centre en Colombie-Britannique.

Deuxièmement, mettre en œuvre des interventions proactives qui réduisent la possibilité que des personnes atteintes du TSAF aient des interactions négatives avec la justice. Un des exemples que mon équipe et moi-même utilisons est de donner une formation aux policiers éducateurs dans les écoles secondaires, afin qu’ils entretiennent des relations positives avec les jeunes à risque avant que des problèmes ne surgissent. Utiliser une approche axée sur les forces; les gens atteints du TSAF possèdent de nombreuses forces.

Troisièmement, rendre obligatoire la formation sur le TSAF pour tout le personnel travaillant dans le système correctionnel canadien, incluant une formation permettant de reconnaître les signaux d’alarme pouvant révéler la présence du TSAF, ainsi que des stratégies éprouvées pour réaliser des interventions efficaces.

Quatrièmement, utiliser des mesures d’adaptation en cour qui s’appliquent aux besoins des personnes souffrant du TSAF, de même que des mesures d’adaptation visant à réduire l’anxiété, privilégier un langage simplifié et concret et vérifier la compréhension de la personne.

Cinquièmement, élaborer des solutions de rechange à l’incarcération, telles que des milieux résidentiels ou de travail supervisés; des ordonnances de probation adaptées pour les personnes affligées par des lésions cérébrales; des programmes de mentorat et des modèles de tribunaux thérapeutiques ou communautaires qui visent à modifier l’environnement et non la personne.

Sixièmement, assurer que les personnes atteintes du TSAF dans le système judiciaire aient accès gratuitement et en temps opportun à des services de soutien pour les problèmes de santé mentale et de toxicomanie, ainsi qu’un soutien psychiatrique, psychologique et pharmacologique. Selon SAFmonde, 95 p. 100 des personnes atteintes du TSAF souffriront de problèmes de santé mentale et plus de 50 p. 100 des hommes et 70 p. 100 des femmes auront des problèmes de toxicomanie.

Septièmement, tirer profit du modèle du cerveau extérieur. Un système de soutien externe est mis en place pour compenser les faiblesses du cerveau, agissant comme une chaise roulante pour une personne qui ne peut marcher. Il peut s’agir d’une personne ou d’un groupe de personnes qui aide la personne affectée avec l’organisation, la gestion du temps et des finances, les aptitudes sociales et les tâches de la vie quotidienne. Ces aides externes peuvent également inclure des technologies comme les applications mobiles ou les outils de réseautage en ligne tels que les réseaux Tyze.

Huitièmement, se baser sur l’initiative du député du Yukon Larry Bagnell, dont le projet de loi C-235 de 2016 visait à modifier le Code criminel afin d’exiger l’application de considérations spécifiques dans les cas de TSAF, lors de condamnations et d’incarcérations : permettre les évaluations des cas de TSAF ordonnées par le tribunal, atténuer la peine si l’accusé reçoit un diagnostic de TSAF, exiger que les personnes atteintes du TSAF qui sont reconnues coupables de crimes soient traitées différemment par le personnel des services correctionnels et élaborer un plan à appliquer au moment de la libération de la personne afin de décourager la récidive.

Malheureusement, ce projet de loi a été rejeté à l’issue d’un vote de 170 voix contre 133, mais le député Bagnell est toujours dévoué à cette cause et affirme que le TSAF est « […] une affection particulière, totalement distincte, qui embourbe les prisons et le système judiciaire. »

Mes trois collègues et moi avons dispensé une formation sur le TSAF à plus de 1 800 professionnels et employés d’organismes au cours des deux dernières années, majoritairement dans le domaine de la justice, incluant des présentations à des juges de cours provinciales, des avocats, des agents de probation et des policiers. Les participants à ces séances de formation nous ont offert des témoignages émouvants relatant leur sentiment de mal représenter leurs clients atteints du TSAF. Des avocats et des juges ont affirmé qu’ils souhaiteraient recommencer certains procès maintenant qu’ils connaissent mieux le TSAF.

Nous avons offert des services communautaires d’orientation à des personnes atteintes du TSAF et à des familles recherchant désespérément une aide juridique bien informée sur le TSAF. Pour un grand nombre de ces parents, la réussite se résume souvent au fait que leur enfant n’est pas en prison, sans abris ou suicidaire. J’ai des liens personnels avec une personne atteinte du TSAF et j’ai pu constater directement à quel point il est difficile de vivre dans une société pleine de règles écrites ou non, qui ont été conçues pour des gens ne souffrant d’aucune déficience cognitive.

En conclusion, nous manquons à nos engagements envers les personnes atteintes du TSAF dans le cadre du système correctionnel. Nous criminalisons une incapacité permanente du cerveau, une incapacité physique, ce qui va à l’encontre des droits de la personne de notre pays. Je vous encourage fortement et respectueusement à apporter des modifications à notre système correctionnel afin de rendre plus équitable le traitement de cette population vulnérable, tout en améliorant la sécurité publique et en réduisant le fardeau économique que cette condition médicale prévalente constitue pour le système judiciaire.

Le sénateur Munson : Merci beaucoup pour votre témoignage. J’attends que les sénateurs inscrivent leur nom sur la liste. Je sais que vous vous êtes penchée essentiellement sur le TSAF, mais puisque j’en ai le privilège, je vais poser une question sur l’autisme, car l’autisme me touche énormément.

Dans le Nord canadien, le gouvernement fédéral n’a mis en place aucun programme de surveillance ou de détection de l’autisme dans les premières années de vie d’un enfant. Dans les réserves, il n’y a pas de programmes. Par conséquent, lorsqu’on découvre qu’un enfant est atteint du TSA, on le transporte d’Iqaluit à Ottawa ou, s’il se trouve en Nouvelle-Écosse, par exemple, sur la réserve Membertou, comme me l’a raconté le sénateur Christmas, cet enfant est envoyé ailleurs en Nouvelle-Écosse, ce qui n’est pas vraiment respectueux de la culture et des besoins de l’enfant. Cet enfant est plus âgé et n’a jamais bénéficié de services de quelque sorte que ce soit. Cet enfant a maintenant 14 ou 15 ans et il est dans le pétrin. Cet enfant aboutit en prison ou dans une école de réforme ou à un autre endroit où il ne devrait pas aller.

Avez-vous des recommandations sur la façon dont le gouvernement fédéral devrait collaborer avec les provinces ou gérer cette situation par lui-même? Le gouvernement a une responsabilité fiduciaire envers les populations autochtones, de même que l’obligation de résoudre ce problème et d’être proactif sur le terrain, afin que cet enfant reçoive les services appropriés et que nous n’ayons pas à affronter ce type de circonstance dans le futur.

Mme Lockwood : Je crois sincèrement que nous devons tenir compte des particularités culturelles lorsque nous apportons un soutien à ces communautés. Je crois également que nous devons établir la différence entre le trouble du spectre autistique et le trouble du spectre de l’alcoolisation fœtale. Il existe des différences importantes.

Dans le cas de l’autisme, des traitements tels que la thérapie cognitivo-comportementale et les programmes de modification comportementale peuvent être bénéfiques, car nous ne sommes pas en présence d’une lésion cérébrale permanente. Je recommande vivement que ces traitements soient offerts dans la communauté de la personne atteinte et qu’ils soient adaptés en fonction des particularités culturelles. Je crois à l’efficacité des interventions précoces et à leur pouvoir de prévenir les interactions avec la justice dans les années à venir.

Nous savons ou avons entendu des témoignages selon lesquels un grand nombre d’enfants atteints du TSAF reçoivent un diagnostic de trouble du spectre autistique et ce, pour une variété de raisons. J’en appelle à la prudence et je souligne qu’une personne très qualifiée doit être affectée à ces évaluations, afin d’assurer que les diagnostics sont adéquats, car il existe des différences considérables entre les deux conditions. Dans le cas du TSAF, il s’agit d’une lésion cérébrale permanente qui ne peut être traitée. Un grand nombre de programmes de modification comportementale ne fonctionneront pas. Il faut changer l’environnement et non la personne.

Nous avons entendu dire que de nombreux médecins étaient embarrassés de demander à une mère biologique si elle consommait de l’alcool pendant sa grossesse. Ils préfèrent émettre un diagnostic d’autisme. Ils croient également que l’enfant recevra davantage de services avec un diagnostic d’autisme, mais à notre avis, ces services ne sont pas nécessairement adéquats. Il serait merveilleux qu’au sein de la communauté de la personne atteinte, se trouve une équipe de diagnostic multidisciplinaire comprenant un psychologue spécialisé en neurologie du développement, un médecin généraliste, un ergothérapeute, un orthophoniste et un travailleur social qui connaissent la différence entre l’autisme et le TSAF et qui pourront ensuite mettre en place des stratégies de soutien pour l’enfant qui, espérons-le, lui éviteront d’avoir des démêlés avec la justice quand il sera plus âgé.

Le sénateur Munson : Nous avons maintenant une liste. Je vous remercie. J’y reviendrai probablement plus tard.

La sénatrice Pate : Je vous remercie de votre témoignage et pour votre travail. À l’évidence, vous êtes très engagée et dévouée à cette cause.

Des pédiatres avec qui j’ai travaillé sur des questions relatives au trouble du spectre de l’alcoolisation fœtale ou TSAF, m’ont maintes fois fait remarquer qu’en raison du lien historique avec la consommation d’alcool pendant la grossesse, il y a une tendance au surdiagnostic dans certaines communautés, notamment chez les Autochtones. En fait, certains pédiatres ont soutenu que la consommation d’alcool et de drogues par le père n’est souvent pas un facteur considéré lors des évaluations. Bien souvent, le diagnostic n’est lié qu’à la consommation d’alcool, alors qu’il peut y avoir d’autres types de lésions cérébrales, comme vous l’avez déjà mentionné, à savoir l’autisme ou une alimentation et des soins de santé inadéquats.

Compte tenu de ce que nous savons des conditions de vie de plusieurs communautés autochtones, en particulier dans les réserves, leur conclusion est qu’il vaut mieux adopter une approche plus universelle dans l’évaluation de la capacité des gens à fonctionner. Je me demande si vous avez considéré certaines de ces évaluations qui portent de prime abord sur la capacité plutôt que sur le diagnostic.

Mme Lockwood : Nous croyons fermement qu’un diagnostic est primordial. Nous avons entendu, directement de personnes atteintes du TSAF, que, lorsqu’elles reçoivent un diagnostic, elles ressentent un énorme soulagement. Il y a une raison pour laquelle ces personnes ont de la difficulté à faire face à certaines facettes de la vie qui semblent si simples pour d’autres.

C’est ce que nous faisons lors de nos présentations et quand nous travaillons dans la collectivité. Nous travaillons avec le Centre hospitalier pour enfants de l’est de l’Ontario, CHEO, qui pose des diagnostics pour les enfants et les adultes. De nombreuses personnes des collectivités du Nord viennent au CHEO pour des évaluations. Nous croyons fermement qu’il faut d’abord connaître le diagnostic avant de décider des mesures à adopter. Je ne suis pas certaine qu’il conviendrait de parler de surdiagnostic. Nous assistons régulièrement aux conférences internationales de recherche. Les témoignages nous ont toujours révélé que ce trouble est largement sous-diagnostiqué.

Il faut considérer que 50 p. 100 de toutes les grossesses au Canada ne sont pas planifiées et qu’au moment où une femme apprend qu’elle est enceinte, il est fort probable qu’elle ait consommé de l’alcool. Nous devons éliminer la stigmatisation. La stigmatisation, qui est très présente, constitue un obstacle à nos yeux. Si nous pouvions éliminer cette flétrissure, les mères biologiques ne se sentiraient pas embarrassées de partager le fait qu’elles ont peut-être bu pendant leur grossesse. Un plus grand nombre de personnes chercheraient à obtenir un diagnostic parce qu’on n’y attribuerait pas autant de stigmates.

Est-ce que j’ai répondu à votre question?

La sénatrice Pate : En partie, parce que, comme vous venez de le mentionner, l’approche vise essentiellement l’abstinence comme si l’on pouvait éviter la consommation, alors qu’autrefois, on prescrivait de l’alcool, de la bière et d’autres produits similaires aux femmes enceintes pour contrer certains effets, comme la nausée. Des générations entières n’ont pas été diagnostiquées, mais elles peuvent avoir subi les effets.

La difficulté d’établir un diagnostic est l’élément que je connais le mieux, provenant de pédiatres qui se préoccupent moins du surdiagnostic dans le but d’obtenir de l’aide que du surdiagnostic de certains groupes où d’autres facteurs peuvent entrer en jeu.

Mme Lockwood : D’après notre expérience, peu de pédiatres comprennent parfaitement le trouble du spectre de l’alcoolisation fœtale. Souvent, ils ne reconnaissent pas les signaux d’alarme et n’effectuent pas de demandes d’évaluation.

Un autre aspect lié à ce sujet est que nous n’affirmons pas que ce trouble est évitable à 100 p. 100 parce que certaines femmes aux prises avec des problèmes de toxicomanie veulent arrêter, ne savent pas comment y parvenir et n’ont pas le soutien nécessaire pour cesser de consommer de l’alcool pendant la grossesse. Nous préférons ne pas insister sur le fait que c’est évitable à 100 p. 100.

Nous sommes pleinement conscients que de nombreux médecins continuent de transmettre des informations erronées, affirmant qu’une certaine quantité d’alcool est acceptable pendant la grossesse. Nous savons que ce n’est pas le cas. À la fin de pratiquement toutes nos présentations, une femme sollicite notre attention en privé et nous dit que son médecin lui a mentionné que tout irait bien si elle consomme avec modération, ce qui nous inquiète beaucoup.

La sénatrice Pate : Vous avez mentionné, dans votre exposé, et lors d’une entrevue au mois de mars l’année dernière, que les personnes atteintes du TSAF ont des besoins qui doivent être comblés par le recours à un réseau de soutien communautaire, hors du système carcéral. Vous avez formulé une recommandation très claire à cet égard.

Le Service correctionnel du Canada a-t-il demandé à votre organisation d’examiner les possibilités de conclure des accords en vertu des articles 29, 81 et 84? Si vous ne connaissez pas ces articles, je peux vous les décrire. Il y a des moyens pratiques de collaboration entre le Service correctionnel du Canada et les organismes ou les groupes afin d’autoriser le transfert de détenus à l’extérieur des prisons; là où ils n’échappent pas au processus de criminalisation que vous avez décrit, des façons qui pourraient être évitées et là où ça ne se produit pas, des façons de les faire sortir.

Votre organisme a-t-il été approché pour sortir les prisonniers du milieu carcéral afin de leur offrir du soutien dans la collectivité?

Mme Lockwood : Nous n’avons pas été approchés pour cette initiative. En fait, notre mandat est de servir la communauté d’Ottawa. Nous avons été invités à d’autres présentations en Ontario, mais notre mandat s’applique surtout à la région. Nous n’intervenons pas à l’échelle nationale. Nous n’offrons pas un service de soutien direct, mais nous offrons de la formation et un appui aux familles.

C’est vraiment un domaine très intéressant et nous aimerions certainement qu’il soit exploré davantage.

La sénatrice Pate : Dans cette région, nous avons des détenus qui purgent des peines sous responsabilité fédérale. Votre organisation souhaite-t-elle obtenir plus d’informations à ce sujet, afin de les communiquer à d’autres personnes avec qui vous effectuez des formations sur ces options?

Mme Lockwood : Nous serions très intéressés.

La sénatrice Bernard : Je vous remercie pour votre témoignage aujourd’hui, madame Lockwood. J’ai quelques questions. Je me demande par où commencer.

Je crois que je vais commencer par la formation. Dans votre réponse à la sénatrice Pate, vous avez dit que vous vous concentriez sur la formation. Offrez-vous des services de formation d’orientation pour les intervenants des programmes d’enseignement, de médecine, de travail social, de psychologie, et cetera? Ce travail se fait-il à l’étape de l’orientation? Nous pouvons souvent obtenir plus d’interaction avec les gens dans le cadre de leur parcours éducatif.

Mme Lockwood : Je suis d’accord avec vous. Oui, c’est vrai. Nous offrons de la formation dans le système éducatif, les secteurs de la santé mentale et des soins, le logement, l’emploi, le travail social, et cetera, dans de nombreuses collectivités. Nous valorisons une approche proactive. Nous voulons vraiment mettre en place des mesures de soutien pour que les personnes atteintes du TSAF aient un endroit où vivre, des intervenants qui les aident à acquérir des compétences pratiques, des emplois intéressants et des employeurs qui reconnaissent leurs niveaux de difficulté ainsi que leurs forces.

Si ces mécanismes de soutien sont en place, nous pensons que les gens atteints du TSAF auront moins de démêlés avec la justice. C’est également le meilleur conseil pour les parents. Nous devons veiller à ce que la personne reçoive un soutien tout au long de sa vie. Habituellement, la plupart des personnes atteintes du TSAF ont besoin d’un soutien à vie, d’aide financière et d’intervenants pour les aider dans leur vie quotidienne. Si nous pouvons nous assurer que ces mesures de soutien sont en place, l’incarcération ne sera plus la seule solution pour obtenir cette aide.

La sénatrice Bernard : Est-ce que vous offrez de la formation dans le cadre des programmes universitaires en médecine, en travail social et en psychologie? Ces types de programmes incluent-ils de la formation sur le syndrome d’alcoolisation fœtale?

Mme Lockwood : Nous l’avons offert. Nous avons souvent organisé des présentations pour les étudiants et stagiaires des départements d’éducation et de travail social. Nous avons reçu des étudiants en médecine qui ont fait des stages avec nous où ils ont conçu des unités de formation qu’ils ont, par la suite, présentées à leurs collègues étudiants en médecine et mises en œuvre.

La communauté médicale est plus difficile à infiltrer, si je peux utiliser ce mot, parce qu’elle a tendance à vouloir recevoir de la formation provenant des professionnels de la santé. Nous avons tenté de trouver des médecins de la région qui seraient prêts à s’engager et à informer leurs collègues.

Nous avons déjà offert tout ce que vous suggérez. Notre programme n’existe que depuis deux ans. Nous offrons de la formation à tous les intervenants de ces différents secteurs, mais c’est surtout le ministère de la Justice qui nous sollicite le plus pour des séances de formation.

Nous sommes aussi en train de constituer une base de données sur les ressources dans la région d’Ottawa. Nous les publierons et elles seront accessibles à tous. Les personnes atteintes du TSAF et leurs familles pourront y trouver des ressources. Nous n’incluons que les agences ayant reçu une formation sur le TSAF.

La sénatrice Bernard : Je reviens sur l’un des commentaires de la sénatrice Pate quant à la possibilité qu’il y ait un surdiagnostic au sein des communautés autochtones, qui pourrait être une forme de racisme systémique. Je me demande si ce surdiagnostic ne proviendrait pas également d’une surveillance excessive dans ces collectivités. Ce n’est pas une question, mais simplement mon point de vue.

Votre présentation ne traitait pas des groupes racialisés. Il n’y a aucune information sur les groupes afro-canadiens par exemple. Je me demande si certaines des données de recherche sont subdivisées par race. Avez-vous des informations là-dessus?

Mme Lockwood : Nous n’avons pas ces données-là au Canada, mais il y a eu une étude mondiale publiée l’an dernier par Svetlana Popova du CAMH qui présentait les pays où les cas sont les plus répandus. Par exemple, l’Irlande était en tête de liste. Leur taux de personnes atteintes du TSAF était le plus élevé au monde. Je crois que l’Afrique du Sud était également un pays avec un taux élevé. En fait, certains travailleurs reçoivent de l’alcool en guise de salaire. Il y a certainement eu des études de prévalence à l’échelle mondiale.

Une autre préoccupation est la découverte de raisons épigénétiques aux changements cérébraux liés à l’alcool. Il n’y a pas que les cas où les mères biologiques ont consommé de l’alcool pendant leur grossesse. Ils commencent maintenant à constater que si les grands-mères ont consommé au cours de leur grossesse, les effets peuvent être ressentis par les générations subséquentes. Ils commencent également à constater certains effets de l’alcoolisme paternel liés à la naissance, mais qui ne causent pas nécessairement le TSAF.

Ce sont davantage ces types de recherches qui ont été menées au Canada récemment. Je n’en ai vu aucun qui concerne d’autres populations au Canada.

La sénatrice Hartling : Je vous remercie énormément, madame Lockwood, pour cet exposé très intéressant.

Tout au long de notre étude, de nombreux témoins nous ont affirmé qu’il y a une surabondance de personnes atteintes du TSAF dans les prisons fédérales. À titre de précision, car vous avez présenté plusieurs éléments dans un court laps de temps, avez-vous des données fiables ventilées par genre, origines ethniques, âges et autres types de mesures ou avez-vous mentionné que c’était difficile parce qu’ils n’étaient pas capables d’être diagnostiqués?

Pourriez-vous nous en dire davantage à ce sujet?

Mme Lockwood : Oui. J’ai cité des références pour toutes les statistiques que je vous ai présentées. C’est très délicat, car de nombreuses personnes ne sont pas diagnostiquées ou le sont incorrectement.

Par exemple, le résultat de prévalence de 4 p. 100 dans notre population canadienne a été obtenu en visant une certaine population et en testant toutes les personnes d’un certain âge, puis en effectuant ce test dans différents secteurs du pays. C’est très délicat.

Au sein de la population carcérale, ces statistiques sont tirées de méta-analyses provenant de nombreuses études. Il y a d’autres études anecdotiques où ils ont mené des entrevues avec des gardiens de prison et où ceux-ci ont déclaré qu’ils estimaient que 60 p. 100 des détenus dans les prisons canadiennes souffraient du TSAF.

Il y a plusieurs types d’études à ce sujet. Certains affirment que 9,8 p. 100 de la population carcérale en sont affectés et d’autres indiquent plutôt 23,3 p. 100. C’est d’une portée assez élargie, car ce trouble est relativement récent. Il n’y avait pas de nom officiel avant les années 1970 et comme je l’ai dit, beaucoup de personnes ne cherchent pas à obtenir un diagnostic.

Nous avons également discuté avec des spécialistes de l’Hôpital Royal Ottawa, à Ottawa. Ils hésitent parfois à poser un diagnostic et parlent plutôt d’une déficience neurologique ou comportementale, souvent parce que nous n’avons pas d’antécédents de naissance sur l’exposition prénatale à l’alcoolisation fœtale.

La sénatrice Hartling : Selon votre lieu d’origine et votre province. Je viens du Nouveau-Brunswick et nous sommes très privilégiés. Claudette Bradshaw a été l’une des ambassadrices qui en ont beaucoup parlé. Nous en avons beaucoup entendu parler dans notre province.

Est-ce que vous êtes au courant qu’il existe d’autres ressources semblables ailleurs au pays? Quelle est leur disponibilité? Est-ce que cela dépend de la province? Est-ce que vous pouvez nous en parler?

Mme Lockwood : Absolument. On retrouve d’excellentes ressources en Colombie-Britannique. Certains affirment qu’ils ont 10 ans d’avance sur nous. En ce qui concerne le TSAF, il existe un programme provincial pour les principaux travailleurs concernés. Des évaluations du trouble du spectre de l’alcoolisation fœtale sont financées par la province. Alors qu’ici, c’est un obstacle supplémentaire. Si une famille tente d’obtenir une évaluation, elle doit débourser 5 000 $ pour toutes les évaluations avant de pouvoir se rendre à la clinique de diagnostic.

L’Alberta possède déjà d’excellentes ressources pour le TSAF, ainsi que les territoires. Plus vous parcourez le Canada, vous réalisez que les services d’évaluation et les ressources tendent à diminuer. Vous avez raison, le Nouveau-Brunswick est la province où il y a un centre d’excellence pour le dépistage du trouble du spectre de l’alcoolisation fœtale et plusieurs autres ressources.

Effectivement, c’est un obstacle en soi. Il n’y a pas d’autre accès comparable au Canada.

La sénatrice Hartling : Merci beaucoup.

Le sénateur Brazeau : Nous vous remercions pour votre exposé.

Vous avez notamment recommandé d’appliquer d’autres solutions que l’incarcération. À cet égard, existe-t-il des modèles, que ce soit au Canada ou dans d’autres pays, qui ont dépassé, pour ainsi dire, le statu quo en ce qui concerne cette préoccupation et qui ont mené à des résultats positifs dont vous êtes au courant?

Mme Lockwood : Le logement supervisé semble être un excellent modèle. La prison n’est pas une bonne solution, car très souvent les établissements sont débordés.

Les programmes de mentorat et de stages supervisés sont beaucoup plus intéressants. Le soutien individuel est le meilleur choix pour ces personnes. Il est clair que les personnes atteintes du TSAF ne sont pas considérées comme un danger pour la société. Nous avons observé des modèles où le logement supervisé, l’embauche sous supervision, le mentorat et les tribunaux sont conçus pour mieux satisfaire leurs besoins ainsi que les ordonnances de probation qui peuvent être émises.

Le sénateur Brazeau : Connaissez-vous des modèles dans d’autres pays?

Mme Lockwood : L’Australie et la Nouvelle-Zélande sont avancées en matière de dépistage du TSAF et ont d’excellents modèles. Je ne peux pas vous donner les noms de mémoire, mais je me tournerais vers l’Australie et la Nouvelle-Zélande.

Le sénateur Brazeau : Souvent, la difficulté consiste à convaincre les gouvernements d’investir des ressources financières dans des domaines qui ont du sens pour les gens.

Comment pouvons-nous convaincre les gouvernements de faire ce qu’il faut dans ce cas précis et d’investir l’argent là où il est nécessaire au bénéfice de ce dont nous discutons ici ce matin?

Mme Lockwood : Un investissement dans le financement des diagnostics serait très judicieux, également d’offrir une éducation obligatoire aux professionnels de la santé et aux intervenants des systèmes correctionnels pour qu’ils comprennent mieux les particularités du trouble du spectre de l’alcoolisation fœtale ou le TSAF.

Ce sont des exemples d’investissements intelligents. Nous comprenons que c’est très dispendieux pour la société canadienne. C’est l’une des dépenses les plus importantes. Svetlana Popova du CAMH qui effectue des recherches relatives au TSAF a déterminé que l’une des plus importantes dépenses est liée aux services correctionnels. Si nous pouvions mettre en œuvre des stratégies proactives, les démêlés avec la justice seraient moins fréquents, le système carcéral serait moins encombré et, par conséquent, nous serions en mesure de réduire le coût que doit payer la société et la vie serait plus justifiable pour les personnes atteintes du TSAF.

Le sénateur Brazeau : Je suis tout à fait d'accord avec vous.

Le sénateur Munson : Sénateur Brazeau, nous devrions faire un suivi auprès de notre analyste pour voir si ces programmes fonctionnent bien dans d’autres pays et si nous pouvons les appliquer comme modèles au Canada et les inclure dans notre rapport.

Mme Lockwood : Nous serions heureux de participer aux recherches pour vous aider.

Le sénateur Munson : Si vous pouviez l’envoyer à notre greffier, ce serait bien apprécié.

La sénatrice Pate : Mme Lockwood, j’ai entendu quelques incohérences dans certaines de vos réponses. Ce n’est certainement pas pour vous critiquer personnellement.

Ce que j’ai cru comprendre : si les personnes se retrouvent dans le milieu carcéral, il est préférable d’offrir une formation aux autorités correctionnelles. Je vous ai aussi entendu dire et j’ai lu dans vos recommandations écrites que vous semblez fermement insister sur le fait que les personnes ne devraient pas être criminalisées et emprisonnées au départ et qu’une partie du diagnostic, de l’éducation et du soutien communautaire viserait à prévenir tout cela.

Je veux m’assurer d’avoir bien compris parce que je trouve qu’il manque de cohérence.

Mme Lockwood : Je peux comprendre que cela semble incohérent. J’attends avec impatience le jour où ces interventions précoces seront mises en place afin que moins de personnes se retrouvent dans le système correctionnel, mais ce n’est qu’une donnée pour le moment. Je pense également que si les intervenants de la justice, les policiers et les agents de probation sont renseignés sur les particularités du TSAF ou sur les signaux d’alarme, nous pourrons traiter une personne atteinte plus équitablement.

C’est ce que nous devons faire pour le moment, car c’est un énorme problème. Comme le dit Larry Bagnell, les personnes atteintes du TSAF paralysent le système correctionnel. Les mettre en prison n’est pas la solution. Le milieu carcéral est reconnu pour être une porte tournante. Ils finissent par réintégrer ce milieu à chaque situation.

Nous devons investir dans les deux secteurs. Nous devons penser à long terme en mettant des stratégies en œuvre pour favoriser des interventions et des diagnostics précoces, mais pour le moment, nous devons faire face au système correctionnel actuel. Nous devons nous assurer que toutes les parties reconnaissent le caractère unique du TSAF et les stratégies que nous mettons en œuvre pour soutenir la personne affectée par ce trouble.

La sénatrice Pate : Mary Ellen Turpel-Lafond militait encore récemment pour la défense des jeunes en Colombie-Britannique. Lorsqu’elle était juge en Saskatchewan, elle a remarqué que de nombreux jeunes Autochtones, surtout des jeunes hommes qui se présentaient devant elle, souffraient du trouble du spectre de l’alcoolisation fœtale, le TSAF, ou du syndrome d’alcoolisme fœtal, le SAF. En se fondant sur l’idée qu’un tel diagnostic empêcherait de criminaliser quelqu’un, elle a posé l’hypothèse que nous pourrions assister à une réduction de ce diagnostic.

Je ne sais pas si c’est vrai et je ne sais pas ce que vous en pensez. Elle disait en réalité qu’on ne peut pas faire de programmation en prison. Elle entendait des spécialistes expliquer que si des détenus n’avaient pas accès à des programmes, c’est en partie à cause de leur incapacité à persévérer dans ces programmes, à surmonter les obstacles, à demander la libération conditionnelle et à faire tout ce qu’il faut. Elle a argumenté et décidé dans plusieurs cas de ne pas condamner des gens à la prison même si c’était la peine habituelle et elle a insisté plutôt pour qu’on organise des programmes communautaires.

Nous savons depuis ce temps-là, comme je le mentionnais tantôt, qu’avec l’article 29 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, nous n’avons plus à attendre jusqu’au terme dont vous parlez, je dirais. Si vous connaissiez et si d’autres membres de la famille connaissaient l’existence de cette disposition et qu’ils insistaient pour que leur proche soit retiré de prison et transféré dans un milieu convenable de soins ou de soutien à la vie autonome, combien de gens souffrant du trouble du spectre de l’alcoolisation fœtale aboutiraient en prison, d’après vous?

Et corollairement, recommanderiez-vous l’application de ce processus?

Mme Lockwood : Je comprends votre question. J’essaie juste de penser à ma réponse. En fait, nous avons une juge qui nous conseille sur notre programme. Elle a mis sur pied des tribunaux de la santé mentale ici et nous avons discuté de ce genre de choses avec elle.

Chaque cas est différent. Cela dépend aussi du crime dont on a été accusé. La majorité des délits dont sont accusés les gens atteints du TSAF pourraient être traités hors du système pénal.

Je suis un peu embarrassée de répondre à votre question, honnêtement.

La sénatrice Pate : Je m’excuse. C’est injuste de lancer à l’improviste une disposition que vous ne connaissez pas. Cette disposition n’exigerait pas que les gens ne soient pas criminalisés. Nous parlons de gens qui sont déjà dans le système carcéral. Elle offre l’occasion de les en faire sortir pour aller dans des milieux appropriés d’aide à la santé mentale.

Vous proposez une autre démarche, qui serait la déjudiciarisation au départ, sans qu’aucune poursuite ne soit intentée. Ce serait une option qui existe déjà en droit de transférer des gens du système carcéral dans d’autres cadres convenables qui ne sont pas encore tout à fait en place. C’est une décision qui touche les politiques de l’État et notre comité peut justement faire des recommandations en la matière.

Mme Lockwood : Oui, je pense que c’est une situation idéale, qui convient beaucoup mieux, mais le problème est que beaucoup de gens n’ont pas été diagnostiqués. Nous avons vu dans un rapport la semaine dernière qu’on a autorisé seulement sept évaluations du TSAF dans les établissements correctionnels au Canada l’an dernier.

Oui, la situation paraît idéale, mais il faut d’abord savoir s’ils sont bel et bien atteints du TSAF. Ils ont souvent un de ces diagnostics de soupe alphabet comme le TDAH ou un trouble oppositionnel avec provocation. C’est le genre de choses que nous voyons. La première chose qui nous alerte d’habitude est la présence de tous ces diagnostics différents.

Je pense que c’est une très bonne solution, qui sortirait beaucoup de gens du système judiciaire, mais il faudrait d’abord affecter des spécialistes et des budgets au diagnostic.

La sénatrice Pate : Dès l’époque où Louise Arbour faisait son enquête sur la prison des femmes, une des recommandations était que les évaluations ne portent pas sur les risques comme c’est le cas actuellement, mais sur les besoins des individus, et que des services soient offerts pour répondre à ces besoins.

Je ne veux pas vous mettre des mots dans la bouche, mais il me semble que c’est le genre de recommandation que vous feriez aussi. Dès que quelqu’un arrive à l’attention de la police, d’un procureur de la Couronne, de son propre avocat, d’un juge ou des services correctionnels, dès qu’on décèle ce genre de problèmes — le plus tôt possible, espérons-le —, et avec le genre de formation dont parlait Mme Bernard, les évaluations devraient être faites en fonction des points forts ou des besoins plutôt qu’en fonction des risques.

Mme Lockwood : Oui. Il existe des outils très simples pour évaluer sans faire de diagnostic. J’ai parlé du centre Asante en Colombie-Britannique qui offre d’excellentes publications au sujet du TSAF. Il utilise un outil de dépistage très simple. Je répète qu’il ne s’agit pas d’un diagnostic, mais d’un outil de dépistage.

Si l’agent de police ou quiconque fait l’évaluation et soupçonne que la personne souffre d’un trouble du spectre de l’alcoolisation fœtale, il peut commencer par appliquer des stratégies comme le langage concret, une chose à la fois. Quand on comprend que beaucoup de comportements prennent racine dans l’anxiété, on peut faire des choses qui réduisent l’anxiété, de sorte que le sujet puisse suivre calmement son fil de pensée, se rappeler ce qui s’est passé et cetera.

Si nous pouvons appliquer ces stratégies dès que nous avons une idée assez juste, même sans diagnostic, nous pourrons être d’un meilleur secours pour la personne et trouver ce qui lui convient le mieux.

La sénatrice Bernard : J’aimerais avoir un peu plus d’information sur l’étude à laquelle vous nous renvoyez.

À la première page de votre mémoire, vous parlez d’environ 400 troubles concomitants, en citant une étude publiée l’an dernier par le Centre de toxicomanie et de santé mentale. Il serait bon pour nous d’avoir accès à cette étude.

Mme Lockwood : Oui, certainement.

La sénatrice Bernard : S’il s’y trouve des recommandations, elles nous seraient utiles aussi.

Mme Lockwood : Oui. C’est très important en fait parce que nous ne comprenions pas vraiment jusqu’à tout récemment que le TSAF affectait l’organisme tout entier. Il peut attaquer chaque système et chaque organe, ce qui signifie qu’un médicament prescrit pour le TDAH peut être très dangereux chez une personne atteinte du TSAF, qui cache peut-être des problèmes cardiaques, par exemple. Nous savons aussi que des médicaments n’opèrent pas correctement dans cette population, sinon pas du tout.

Ce sont toutes des pièces différentes du puzzle, mais elles sont toutes reliées. Oui, nous pouvons nous assurer que vous aurez accès à cette étude.

La sénatrice Hartling : J’ai une question. Si quelqu’un est dans le système correctionnel avec le TSAF ou un trouble comparable, quels sont les problèmes ou les défis qui pourraient se présenter? Qu’est-ce qui pourrait arriver?

Mme Lockwood : Beaucoup de comportements négatifs découlent de l’anxiété. Les personnes atteintes du TSAF peuvent avoir de graves problèmes sensoriels. Elles sont souvent très sensibles à la lumière vive comme celle-ci, à des sons que nous autres savons filtrer, à la surstimulation, à la promiscuité ou aux bavardages excessifs. Les problèmes de sommeil prennent une très grande place chez elles. Elles ont souvent du mal à s’endormir et à rester endormies. Il est rare qu’elles sombrent dans un bon sommeil réparateur. Toutes ces choses peuvent affecter leur comportement.

Elles ne s’entendent pas bien avec les personnes en position d’autorité qui les abordent avec une attitude très autoritaire. Cela aussi peut déclencher un comportement négatif. Ce n’est pas vraiment un bon cadre pour elles si elles sont toujours sur le qui-vive.

Elles doivent faire beaucoup plus d’efforts que les autres. Elles se fatiguent rapidement et ne peuvent généralement travailler qu’à mi-temps. Un programme d’une journée entière pourrait les dépasser entièrement. Surcharge sensorielle, je dirais.

La sénatrice Hartling : Elles peuvent se retrouver en difficulté si elles ne parviennent pas à suivre et finir en isolement ou dans quelque autre endroit encore pire pour elles.

Mme Lockwood : Exactement. Même les emplois en prison ne leur conviennent pas. Elles sont incapables de suivre les consignes si on leur en donne plus d’une à la fois. Elles ont besoin d’un compagnon ou d’une compagne de travail et de toutes sortes de choses qu’on ne trouve guère dans le système carcéral.

Le sénateur Munson : Y a-t-il d’autres questions? Sinon, nous vous remercions sincèrement, madame Lockwood, de Citizen Advocacy Ottawa. Vous nous avez offert un certain nombre de recommandations et nous allons suivre ce qui se passe dans d’autres pays, plus ce que vous venez de dire à propos du Centre de toxicomanie et de santé mentale et tout le reste. Il est important pour nous de savoir qu’il y a dans les prisons canadiennes des milliers de personnes qui ne devraient pas être là. Il devrait y avoir d’autres voies de réhabilitation pour elles.

Nous avons deux nouveaux témoins pour éclairer nos débats et le rapport que nous devons produire. Nous aurons un rapport d’étape, idéalement à la fin du mois, et un rapport complet dans le courant de l’année prochaine.

Nous accueillons le Dr J. Paul Fedoroff, directeur de la Clinique des comportements sexuels au Centre de santé mentale de l’Hôpital Royal Ottawa, et le Dr Brad Booth, vice-président de l’Académie canadienne de psychiatrie et de droit.

Je crois que vous parlez le premier, docteur Booth.

Dr Brad Booth, vice-président, Académie canadienne de psychiatrie et de droit : Merci beaucoup de vous pencher sur un problème aussi important et de nous inviter tous les deux. Nous sommes tous deux psychiatres judiciaires.

Je représente aujourd’hui deux organismes. Le président de l’Association des psychiatres du Canada devait aussi prendre la parole devant vous, mais il a eu malheureusement un empêchement de dernière minute, alors je me fais un peu son porte-parole. L’Association des psychiatres est un organisme bénévole qui représente 4 600 psychiatres et 900 résidents en psychiatrie du Canada.

Le second organisme que je représente aujourd’hui est l’Académie canadienne de psychiatrie et de droit, dont font partie les psychiatres judiciaires du Canada. Vous nous connaissez peut-être, mais la psychiatrie judiciaire est une branche de la psychiatrie qui se spécialise dans l’évaluation et le traitement des personnes ayant à la fois des problèmes de santé mentale et des démêlés avec la justice. Évidemment, il s’agit entre autres de la clientèle des tribunaux et des établissements correctionnels du Canada.

Je sais que le comité a visité un certain nombre d’établissements. Comme vous l’avez sans doute entendu de la part de M. Zinger et d’autres experts, les personnes atteintes de maladie mentale sont surreprésentées dans le système de justice pénale, tant au provincial qu’au fédéral.

D’un point de vue psychiatrique, nous y voyons un rapport avec le phénomène qu’on appelait autrefois la désinstitutionnalisation. Vous vous rappelez peut-être que dans les années 1950 et 1960, on a réduit le nombre de lits réservés aux cas psychiatriques. En même temps, il devenait plus difficile de les garder en institution et aussi de les traiter. Nos établissements de soins de longue durée se sont peu à peu vidés. Malheureusement, il n’y avait pas de ressources en place pour accueillir les « désinstitutionnalisés ». Encore aujourd’hui, la prestation de services aux personnes qui présentent des troubles graves de santé mentale laisse grandement à désirer.

Plutôt que d’atteindre une certaine autonomie dans la société ou d’obtenir un soutien approprié, ils ont migré vers le système judiciaire et correctionnel. Il y a un mot qui s’est imposé dans la littérature pour rendre compte du phénomène, c’est la transinstitutionnalisation. Autrement dit, une partie de la clientèle est passée des centres de soins de longue durée aux prisons, que bien des gens ont appelées les asiles modernes du XXe siècle.

Comme vous l’avez sans doute aussi entendu, ces personnes qui arrivent dans le système de justice pénale ont souvent des problèmes de santé mentale, comme des troubles de l’humeur, la dépression, l’anxiété, les troubles liés à la consommation de drogues et les troubles psychotiques. Le Dr Fedoroff peut témoigner de son expérience en la matière.

Nous voyons des personnes avec des déficiences intellectuelles et des troubles du spectre de l’autisme. Nous voyons de plus en plus de personnes souffrant de démence dans le système correctionnel. Dans le passé, ce n’était pas nécessairement un large échantillon représentatif, mais certainement une proportion croissante. M. Zinger a dû vous signaler aussi la forte hausse du nombre de personnes âgées dans nos prisons.

Une autre chose qui vient à la connaissance des psychiatres est que la population autochtone y est représentée en proportion tout à fait démesurée. Beaucoup d’Autochtones aboutissent en prison avec des traumatismes complexes et des troubles liés à la consommation de drogues et sont mal desservis dans nos établissements carcéraux. Les prisons n’ont pas été construites pour fournir des soins de santé mentale, alors ne soyons pas surpris qu’elles ne soient pas les meilleurs endroits pour fournir des services spécialisés à une population déjà défavorisée et stigmatisée.

Les détenus atteints de maladie mentale sont souvent des victimes tout désignées et terrorisées. C’est le cas surtout aussi pour ceux qui présentent un trouble d’identité sexuelle, des transgenres et des personnes qui se disent lesbiennes, gaies ou bisexuelles. Le personnel carcéral n’a pas été nécessairement formé pour traiter des problèmes aussi complexes. Avec des cas qui seraient difficiles à gérer même dans un établissement psychiatrique hautement spécialisé, il n’est pas étonnant que les services correctionnels éprouvent des difficultés, parce que ce n’est pas vraiment leur mandat.

Cela dit, certaines personnes ont en fait trouvé dans le système de justice pénale une solution pour obtenir des services. Il y a une pénurie de services de santé mentale à travers le pays, donc il faut s’armer de patience pour voir un psychiatre, consulter un spécialiste ou obtenir des soins appropriés. C’est un secteur de la médecine où les services font extrêmement défaut au Canada.

Nous voyons de nombreuses possibilités d’améliorer le système actuel de justice pénale, la première au point d’entrée. Les personnes atteintes de maladie mentale sont souvent perdues dans l’appareil judiciaire. On essaie bien d’en orienter vers des services qui leur conviennent, mais dès que vous avez un mélange de problèmes mentaux et de justice pénale, la stigmatisation se fait en double. Il est très difficile de trouver des gens prêts à défendre la cause de cette population privée de ses droits.

De plus, si une minorité parvient à se prévaloir des services de psychiatrie judiciaire, la plupart sont inadmissibles à un verdict de non-responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux, ou ne seraient pas déclarées inaptes à subir un procès. Elles ne tombent pas automatiquement sous la protection d’un programme de traitements psychiatriques.

Nous craignons que les peines minimales obligatoires et le principe de vérité dans le prononcé de la sentence n’empêchent les juges et le système de justice pénale de bien prendre en considération les problèmes graves de santé mentale.

La deuxième amélioration possible vise le système correctionnel même : reconnaître la proportion démesurée de personnes atteintes de maladie mentale dans les établissements. Il n’y a pas assez de services, de soutien et de traitements pour faire face à une telle surreprésentation. À l’échelle nationale, on manque de praticiens en psychiatrie générale et encore plus de psychiatres judiciaires et autres spécialistes de plusieurs disciplines qui auraient la formation, les compétences et la vocation nécessaires pour desservir cette population-là. Les personnes qualifiées pour le faire sont souvent réticentes, à cause encore une fois de la double stigmatisation.

À l’heure actuelle, la plupart des services de santé mentale s’intéressent plus au correctionnel qu’à la santé mentale. Ils privilégient la sécurité, la punition et le confinement au détriment de ce qui serait réellement utile à la personne.

Le manque de services et de soutien adaptés aux cas de maladie mentale dans les prisons entraîne à nos yeux des taux inacceptables d’isolement et de non-traitement. Si quelqu’un est incapable de comprendre sa maladie et de se faire soigner, il y a peu d’endroits dans le système correctionnel où on pourra lui prodiguer le traitement involontaire qu’il lui faut.

Il est souvent difficile de s’en remettre au système de santé habituel parce que nos hôpitaux généraux ne sont pas équipés pour recevoir ces cas particuliers de concomitance de troubles mentaux et de problèmes judiciaires.

Les Autochtones, rappelons-le, sont eux aussi surreprésentés dans les prisons, en particulier de sexe féminin. Beaucoup ont reçu un diagnostic de troubles psychiatriques et ont un historique d’hospitalisations en milieu psychiatrique. Puis, comme je l’ai dit, les prisons sont mal équipées pour prendre soin des détenus âgés qui peuvent souffrir de démence ou d’autres problèmes de santé physique. Ceux atteints de déficience cognitive sont des candidats à la psychiatrie judiciaire.

Enfin, il y aurait lieu de faciliter les choses au moment de la libération. La plupart des personnes incarcérées dans les établissements fédéraux ou provinciaux finissent par en sortir. Malheureusement, les délinquants âgés ou atteints de maladie mentale font face alors à d’autres obstacles, dont un manque d’aide à l’intégration dans la société.

De plus, les personnes qui sortent avec un casier judiciaire peuvent trouver très difficile, sinon impossible, de trouver un emploi lucratif. J’en ai vu qui ont renoncé à chercher, même du travail manuel, parce qu’on vérifie alors leur casier judiciaire. Ils se retrouvent donc sans emploi, même s’il est prouvé pourtant qu’un emploi diminuerait chez eux le risque de récidive. Voilà qui les empêche de se bâtir une vie stable. Le casier judiciaire nuit autant aux délinquants âgés. Beaucoup d’entre eux se voient refuser l’accès à un milieu de vie structurée comme une maison de repos. Les sujets de préoccupation ne manquent pas.

Il y a un certain nombre de recommandations que l’Association des psychiatres du Canada et l’Académie canadienne de psychiatrie et de droit voudraient soumettre au comité.

La première est que le gouvernement fédéral crée une commission chargée d’examiner les effets du placement en établissement et tienne les provinces responsables de fournir les ressources nécessaires dans les hôpitaux et dans la société.

La deuxième est que le gouvernement envisage des voies de financement distinctes pour garantir aux personnes atteintes de maladie mentale des places et des ressources en nombre suffisant, aussi longtemps qu’elles en auront besoin.

Quant à notre troisième recommandation, comme les ressources en psychiatrie se déplacent vers les hôpitaux généraux publics et dans la collectivité, nous recommandons qu’une reddition de comptes serrée soit exigée afin de garantir que les fonds affectés à la santé mentale ne sont pas détournés au profit d’autres services. Par exemple, dans un hôpital général, ceux-ci pourraient être réaffectés aux services d’oncologie ou de chirurgie, ou encore, servir à combler tout autre besoin de l’hôpital.

En quatrième lieu, nous recommandons que des ressources et des services soient mis en place afin d’offrir des traitements en santé mentale appropriés et satisfaisants, hors des systèmes judiciaires et correctionnels, de sorte qu’il existe des possibilités vers lesquelles orienter les personnes avant qu’elles ne commettent un crime et soient inculpées.

Notre recommandation suivante est de financer la recherche afin que nous puissions nous pencher sur les facteurs prédictifs des personnes souffrant de troubles mentaux ainsi que sur la façon dont elles finissent par avoir des démêlés avec le système de justice pénale et sur la façon dont nous pouvons éviter de criminaliser les personnes souffrant d’une maladie mentale.

Nous demandons également au gouvernement d’examiner les conséquences des nouvelles mesures législatives en matière criminelle, y compris les peines minimales obligatoires, ainsi que les incidences qu’elles ont sur les personnes souffrant de troubles mentaux et sur les autres groupes marginalisés.

Les services correctionnels fédéraux et provinciaux devraient également envisager la création d’unités de traitement psychiatrique dont la surveillance serait assurée par des travailleurs de la santé plutôt que par le personnel correctionnel. Je sais que le comité a probablement aussi entendu parler des défis auxquels font face les établissements correctionnels, qui sont pris entre un mandat correctionnel et un mandat à l’égard de la santé mentale.

Nous recommandons également que tous les détenus soient évalués au moment de leur admission afin de dépister tout problème de santé mentale et, le cas échéant, qu’un plan de traitement soit établi, incluant un soutien médical et en santé mentale approprié. Les agents correctionnels et le personnel de santé mentale des établissements correctionnels devraient suivre une formation approfondie sur la façon de reconnaître les problèmes psychiatriques et de les gérer afin de diriger les personnes qui en souffrent vers une intervention appropriée.

L’isolement des patients psychiatriques susceptibles de se mutiler, ou pour toute autre raison, doit être réévalué attentivement et régulièrement. Les professionnels et les experts, comme les psychiatres et les psychiatres légistes, doivent participer pleinement à ces évaluations.

Le gouvernement doit aussi explorer les options de financement afin d’inciter les professionnels en santé mentale, y compris les psychiatres et les psychiatres légistes, à offrir leurs services à cette population stigmatisée, tant pendant la détention qu’après la libération.

Enfin, le gouvernement devrait prendre des mesures pour éliminer les obstacles à l’emploi, et je dirais pour tous les contrevenants, mais surtout pour ceux aux prises avec des problèmes de santé mentale qui partent déjà avec un handicap au moment de leur libération. Ce sont là les recommandations de notre organisme et nos remarques préliminaires.

Je vous remercie de nouveau d’avoir permis à l’APC et à l’ACPD de comparaître devant vous aujourd’hui. Je serai ravi de répondre à vos questions. Il serait logique de poursuivre avec le Dr Fedoroff, mais je laisse le soin au comité d’en décider.

Le sénateur Munson : Merci beaucoup. Docteur Fedoroff, si vous le souhaitez, vous pouvez ajouter quelques mots avant que nous passions à la période de questions.

Dr J. Paul Fedoroff, directeur, Clinique sur les comportements sexuels, Services de santé Royal Ottawa : Je vous remercie, sénateur Munson, mesdames et messieurs, de m’avoir invité à faire cet exposé. Cela pourra vous sembler suspect, mais la vérité est que Nancy Lockwood, le Dr Booth et moi ne nous sommes pas concertés au sujet de ce que nous étions pour vous dire aujourd’hui. Vous constaterez sans doute que mes propos sont très similaires à ceux que vous avez déjà entendus.

Je commencerai ma présentation en parlant de la stigmatisation. La stigmatisation va de pair avec l’étiquetage négatif et la discrimination. Je suis directeur de la Clinique sur les comportements sexuels des Services de santé Royal Ottawa. Je m’occupe donc de délinquants sexuels, un groupe très stigmatisé. Un grand nombre de ces personnes ont une déficience intellectuelle.

En fait, je dirige une clinique distincte pour des personnes doublement stigmatisées seulement qui ont une déficience intellectuelle et qui sont aussi des délinquants sexuels. De ce groupe, environ 90 p. 100 souffrent d’autres maladies mentales graves ou d’autres troubles psychiatriques, lesquels sont une troisième cause de stigmatisation. Nous parlons d’un groupe qui, en raison de sa nature, inquiète grandement les gens et qui souffre de tous les problèmes qu’entraîne la stigmatisation. Je suis très heureux que le comité accorde une attention particulière à ce groupe.

Je veux d’abord vous parler d’un patient que j’ai suivi il y a de nombreuses années et qui représente bien ce que je viens de vous décrire. On l’a amené à ma clinique pour délinquants sexuels ayant une déficience intellectuelle un vendredi après-midi pluvieux, comme cela semble toujours être le cas. C’était un contrevenant sous responsabilité fédérale qui venait tout juste d’être libéré sans véritable plan de traitement. Il a été amené par deux policiers qui étaient, je dirais, plutôt effrayés. C’était un homme imposant. Il avait un lourd passé d’agressions sexuelles répétées et avait la réputation d’être agressif. On nous a dit qu’il était bagarreur. On l’a libéré au sein de la collectivité après qu’il ait purgé la totalité de sa peine sans qu’aucun plan ait été élaboré à son endroit. Lorsqu’il est arrivé à la clinique, il n’avait aucun lieu de résidence.

Je l’ai rencontré. Dans son évaluation du risque, on affirmait que la probabilité qu’il récidive au cours des sept prochaines années était de 100 p. 100. Il est venu me voir. Une des premières choses que j’ai remarquées a été les initiales KKK tatouées sur ses jointures. Elles ont été tatouées par d’autres détenus pendant qu’il était en prison, sans qu’il sache ce que ces lettres signifiaient. À cause d’elles, il a été impliqué dans de nombreuses bagarres. Il ne comprenait pas que ce tatouage était à l’origine de celles-ci.

Nous l’avons traité. Avec son consentement, nous lui avons administré un traitement aux hormones anti-androgènes. Nous avons mis en place diverses formes de soutien afin qu’il puisse vivre dans la collectivité. Je vous en reparlerai à la fin de ma présentation.

Le prochain sujet dont je veux vous parler est que bien sûr les gens s’inquiètent lorsqu’ils entendent parler de délinquants sexuels qui ont commis des crimes. De nombreux délinquants sexuels sont antisociaux. Ils ont commis des crimes parce qu’ils n’ont aucun respect pour les lois du pays.

Les personnes dont je veux vous parler aujourd’hui sont celles qui ont une déficience intellectuelle et que j’ai décrites comme étant asociales, dans le sens où elles enfreignent également les règles et ont des démêlés avec la justice, non pas parce qu’elles n’ont aucun respect pour les lois, mais bien parce qu’elles ne les comprennent pas ou qu’elles ne comprennent pas nos règles sociales. Elles enfreignent les lois, mais pour une raison bien différente de celle des criminels ordinaires.

Pour vous donner un exemple, je vais vous parler d’un patient qui a été amené à ma clinique. Il avait été incarcéré et venait tout juste d’être transféré dans un nouvel établissement. Peu de temps après son arrivée, les gens de l’établissement ont dit que les parents de l’une des femmes qui vivaient dans l’établissement voulaient porter des accusations contre lui pour exhibitionnisme, car il se promenait nu dans l’établissement.

La question était de savoir s’il était ou non pour être accusé. Je suis fier de dire que nous avons réussi à le soigner. Nous y sommes parvenus en lui donnant un peignoir. Cet homme avait vécu toute sa vie dans des établissements pour hommes seulement où certains résidents ne portaient pas de vêtements. Il n’avait pas vraiment compris que c’était une bonne idée de porter un peignoir. Il ne possédait aucun vêtement. Dès qu’il a eu ce peignoir, il a cessé de se promener nu, et nous avons évité qu’il entre dans le système.

Si des accusations avaient été portées contre lui, je crois qu’il aurait pu facilement retourner derrière les barreaux, où il aurait été de nouveau victimisé, et les mêmes problèmes se seraient répétés. C’est un exemple de la différence entre antisocial et asocial.

Les personnes déficientes intellectuellement qui ont des démêlés avec la justice ont réellement des besoins particuliers. On entend parler des personnes ayant des besoins particuliers, mais certaines d’entre elles ont des besoins dans une multitude de domaines qui ne sont, bien souvent, pas reconnus.

Je dirais même qu’on s’occupe souvent mieux des personnes ayant une déficience intellectuelle profonde que des personnes atteintes du syndrome d’alcoolisme fœtal, dont on vous a parlé, et qui ont une déficience intellectuelle légère ou modérée. Ce sont ces personnes qui ne sont pas reconnues et qui ont souvent des ennuis avec la justice. Lorsqu’elles participent à des programmes offerts dans le système correctionnel fédéral, programmes fortement axés sur les devoirs ou sur les exercices de lecture, et qu’elles ne savent pas lire, elles le cachent et finissent par être étiquetées comme étant contestataires ou non motivées. J’ai vu des hommes qui préféraient se voir coller l’étiquette de non motivé plutôt que d’avouer à quiconque qu’ils ne savaient pas lire ou qu’ils avaient du mal à suivre.

Un grand nombre de ces personnes ont été victimes de violence durant leur enfance ou maltraitées dans des établissements ou d’autres institutions. Leurs réactions face aux événements qui surviennent en prison diffèrent des réactions des personnes qui n’ont jamais été victimes de sévices. Elles ont souvent des difficultés d’apprentissage particulières. Beaucoup éprouvent de la difficulté à verbaliser ou à exprimer leurs émotions. Elles ont donc tendance à les exprimer de manière physique, ce qui peut être perçu à tort comme de l’agressivité. C’est réellement un groupe qui doit être traité différemment.

Vous avez déjà entendu, et à plusieurs reprises je crois, qu’il est nécessaire d’établir un diagnostic ou, tout au moins, de reconnaître ces personnes. Leur apparence n’a rien de spécial. Elles n’ont pas de difformités ou ne semblent pas avoir un retard mental. Par contre, elles peuvent avoir une déficience intellectuelle. Il est important de reconnaître qu’elles ont tous ces problèmes, même si elles sont incapables d’en parler immédiatement.

Mes recommandations commencent par la reconsidération des peines minimales obligatoires, point qui a déjà été porté à votre attention. Souvent, des personnes qui ont une déficience intellectuelle, comme celles dont je vous ai parlé, se retrouvent devant les tribunaux et se voient imposer une sentence en raison des règles en matière de peines obligatoires, mais il y aurait des façons vraiment plus appropriées de les prendre en charge. Les peines obligatoires privent nos juges de la latitude nécessaire pour rendre des décisions justes quant aux peines.

Comme je l’ai mentionné, il est important d’identifier et de reconnaître le syndrome d’alcoolisme fœtal et les autres déficiences intellectuelles légères. Il est primordial de reconnaître que les personnes déficientes intellectuellement souffrent souvent d’autres problèmes psychiatriques tels que la dépression. Parfois, elles ont des problèmes de consommation d’alcool ou de toxicomanie. Parfois, elles ont d’autres problèmes. Parfois, elles ont un problème physique qui les fait souffrir, et elles l’expriment par de l’agressivité ou se retirent d’une situation parce qu’elles sont incapables d’expliquer quel est le problème.

Nous devons accorder une attention à leurs droits, même si elles ont porté atteinte aux droits d’autrui. C’est très important. Je vous ai donné une citation de Tony Ward. Il parle de l’importance pour les personnes qui ont le pouvoir et qui prennent des décisions touchant d’autres personnes qui ont moins de pouvoir d’être conscientes de la nécessité de respecter leurs droits et leur dignité si elles veulent les inciter à faire les changements qui doivent être faits.

Nous devons améliorer l’éducation, pas uniquement celle des contrevenants qui ont des difficultés d’apprentissage, mais aussi celle des personnes qui ont la responsabilité de s’occuper d’eux. Comme je l’ai souligné, les gens peuvent mal interpréter les actions des personnes ayant une déficience intellectuelle s’ils ne sont pas au courant des choses dont on vous a parlé lorsqu’il a été question du syndrome d’alcoolisme fœtal.

Plus important encore, nous devons tenter d’éviter, en premier lieu, que les personnes déficientes intellectuellement aient des démêlés avec la justice, ou qu’elles soient maltraitées lorsqu’elles se retrouvent dans le système correctionnel et aient des difficultés lorsqu’elles reviennent au sein de la collectivité.

Nous sous-estimons souvent à quel point il est difficile pour les personnes qui ont été incarcérées de réintégrer la société. Elles s’habituent à l’institutionnalisation des prisons, particulièrement les personnes ayant une déficience intellectuelle. Lorsqu’elles sortent et doivent commencer à prendre des décisions par elles-mêmes, elles ont souvent de la difficulté à le faire.

La planification de sortie est une chose qui est pratiquement inexistante dans le système actuel. Les personnes purgent leurs peines, puis elles sont libérées. Mais souvent, elles n’ont aucun plan quant à l’endroit où elles vont vivre. Elles n’ont aucun soutien communautaire. Je mentionnerai uniquement les Cercles de soutien et de responsabilité qui découlent d’un programme qui avait été élaboré au départ pour une personne déficiente intellectuellement. Ces initiatives peuvent venir en aide aux personnes ayant des difficultés à réintégrer la société.

Pour terminer, je reviendrai sur le patient dont je vous ai parlé au début de ma présentation. Cela fait plus de 10 ans qu’il a été libéré, et il n’a pas récidivé. La première chose qu’il a faite a été de se trouver un emploi et de demander à un tatoueur de modifier les lettres sur ses jointures pour les remplacer par le nom de son chat.

Un mois, je suis allé dans une clinique du Sud de l’Ontario. Il y a eu un changement à mon horaire et je n’ai pas pu arriver à l’heure. Il est sorti seul, est allé chercher son injection et se l’est administrée lui-même, car il sentait que le médicament l’aidait. Nous avons pu faire un test pour vérifier qu’il avait bien reçu l’injection. Il est maintenant un membre productif de la société. Il est un exemple démontrant qu’avec le soutien adéquat, même les personnes stigmatisées et qualifiées de criminels incorrigibles peuvent être aidées.

Sur ce, je m’arrête et répondrai à vos questions.

Le sénateur Munson : Nous sommes toujours curieux. C’est un témoignage très important pour nous.

Je n’ai pas fait souvent cela à titre de président. Je travaille de près avec la communauté de l’autisme. Je souhaite poser la question suivante avant que les autres sénateurs posent des questions sur d’autres sujets. J’ai travaillé dans diverses parties du pays et dans diverses communautés avec des personnes autistes.

Il y a eu ce jeune homme qui a croupi pendant des années dans la prison de Penetanguishene pour attouchements à l’endroit d’une personne qui prenait soin de lui. Il ne savait pas ce qu’il avait fait. Il n’avait aucun casier judiciaire. Il a posé ce geste et a été accusé. Cette histoire a fait les manchettes il y a quelques années.

Ce jeune homme est maintenant un peintre accompli, recevant un soutien adéquat des personnes qui l’aident. J’ai même une de ses toiles. Elle me rappelle la bonté dans ce que je fais chaque jour.

Vous avez parlé des peines minimales obligatoires. De nos jours, et en ce qui a trait au système judiciaire, une telle chose pourrait-elle se reproduire? Une personne pourrait-elle se retrouver en prison pour un crime au lieu d’être dirigée à un endroit qui peut l’aider, comme vous nous l’avez raconté, dans une clinique comme la vôtre par exemple?

Dr Fedoroff : Cela peut certainement se reproduire. En fait, cela se reproduira encore. Si une personne est accusée d’une infraction sexuelle commise contre un enfant, elle va en prison. Il n’y a aucun doute là-dessus. Dans le système actuel, il n’y a aucune possibilité de clémence.

Le sénateur Munson : Je ne parle pas d’un enfant. Je parle de deux adultes. S’il n’y avait pas eu une intervention à cette époque concernant cette accusation, la personne se trouverait toujours dans une situation désespérée.

Dr Fedoroff : Une fois que des accusations ont été portées, si la personne est déclarée coupable, alors il y a une peine obligatoire.

Le sénateur Munson : Merci beaucoup de votre réponse.

La sénatrice Bernard : Merci beaucoup, messieurs, de vos témoignages. Vous nous avez donné beaucoup d’informations. Je veux d’abord revenir sur la question au sujet de la personne souffrant de troubles du spectre autistique. Lorsque vous parlez des personnes ayant des déficiences intellectuelles, faites-vous une distinction entre les personnes regroupées sous ce terme générique? Inclut-il les personnes atteintes d’un TSA, comme le jeune homme dont a parlé le sénateur Munson?

Dr Fedoroff : Le terme déficience intellectuelle englobe les personnes souffrant de ce qu’on appelait auparavant un retard mental. Les troubles du spectre autistique font partie d’une autre catégorie de troubles envahissants du développement. Les deux peuvent présenter des difficultés au niveau des facultés intellectuelles, mais il y a des personnes atteintes d’autisme qui ont un QI supérieur à la moyenne. C’est un trouble différent.

Certes, je vois également un grand nombre de personnes atteintes d’un TSA ou, si vous préférez, d’un trouble du spectre autistique. Nous avons un terme pour les problèmes que vous avez mentionnés. Nous les appelons déviance contrefaite. Les personnes semblent commettre un crime sexuel, mais, en fait, elles agissent de la sorte pour un tout autre motif, bien qu’elles puissent, au final, être accusées de ce crime.

La sénatrice Bernard : Dans quelle catégorie classez-vous les personnes atteintes d’un trouble du spectre autistique? Je comprends les précisions que vous apportez à ce qu’englobe le terme déficience intellectuelle. Toutefois, c’est un fait bien établi que de nombreux adultes autistes languissent dans le système de justice pénale, et ce, en grande partie parce qu’ils ont reçu un mauvais diagnostic ou que leur trouble n’a pas été diagnostiqué pendant leur enfance ou qu’ils n’étaient plus admissibles aux services à l’âge de six ou huit ans et n’ont plus reçu de services. Les systèmes les laissent constamment tomber. Où en sont-ils relativement à votre point de vue sur le traitement et les services?

Dr Booth : Je crois que vous avez visité le Centre correctionnel et de traitement St. Lawrence Valley. Dans l’unité de comportements sexuels que j’ai dirigée auparavant, sur une période de cinq ans, un bon tiers des personnes avaient reçu un diagnostic de déficience intellectuelle ou de trouble du spectre autistique. Elles étaient fortement représentées. Cela démontre où ces personnes aboutissent : en prison.

La sénatrice Bernard : Je comprends que vous ayez tous les deux parlé des personnes dans le système carcéral issues de groupes marginalisés. Cependant, je constate une importante lacune : il n’y a aucune mention des Canadiens noirs. Les recherches ont démontré que le stress lié au racisme peut conduire et conduit souvent à des problèmes de santé mentale. Les recherches nous montrent également que les jeunes et les adultes noirs, s’ils ont des problèmes comportementaux ou s’ils présentent une certaine forme de « troubles » du comportement, sont plus susceptibles d’être incriminés comparativement à ceux renvoyés pour évaluations de la santé mentale.

Les Canadiens de race noire doivent composer avec un traumatisme complexe car ils sont exposés quotidiennement au racisme. Nous savons également que les hommes et les femmes de race noire sont surreprésentés dans le système carcéral canadien. Les jeunes Noirs sont étiquetés comme des enfants agressifs dès la maternelle ou la garderie et nombreux sont ceux qui sont étiquetés de méchants, sans même avoir reçu de diagnostic ou alors un diagnostic erroné. Ces étiquettes leur collent à la peau.

La recherche a également démontré que de nombreux délinquants de race noire ne savent pas lire. Ils sont passés à travers le système scolaire sans attirer l’attention de personne. Pour cacher leur déficit, ils adoptent un comportement qui camoufle leurs problèmes d’apprentissage.

J’aimerais savoir ce que vous pensez de la situation actuelle. Quelle est la situation des délinquants de race noire, hommes et femmes, en ce qui a trait aux services carcéraux offerts et à leur accès à des services de santé mentale, tant à l’intérieur du système qu’à l’extérieur?

Dr Booth : Vos observations et vos données sont tout à fait pertinentes. Les Canadiens de race noire sont assurément surreprésentés dans le système correctionnel. Je suis également d’accord avec vous sur le problème de l’étiquetage négatif.

Nous constatons ce problème dans nos établissements et dans nos programmes de traitement et il touche diverses populations. Nous avons des délinquants de race noire nés au Canada qui ont été victimes de discrimination tout au long de leur vie. Inévitablement, ils ont un problème d’estime de soi, ce qui peut mener au développement de nombreux troubles psychiatriques et de problèmes de toxicomanie.

Nous constatons également un problème chez des Canadiens de la première génération ou de nouveaux arrivants. La ville d’Ottawa, qui compte une forte population de Somaliens, est un très bon exemple. Bon nombre des Somaliens sont arrivés ici à un très jeune âge. Bien qu’ils soient citoyens canadiens à part entière, ils sont stigmatisés en raison de leur race, ce qui peut accroître chez eux le risque de développer des problèmes de comportement, engendrés par leur état de santé mentale, et les inciter à la consommation de substances.

Je conviens qu’il y a un problème. Des efforts sont faits pour en prendre toute la mesure, bien qu’à ma connaissance, ce problème n’a jamais été une priorité au sein du système correctionnel.

Je vous signale que les portes de nos hôpitaux sont ouvertes à tous les nouveaux arrivants qui cherchent à obtenir des services. Comme vous l’avez dit, il se peut que certaines personnes, quelle que soit leur origine, présentent des problèmes de comportement ou aient un comportement que l’on pourrait qualifier de criminel et qu’elles soient rejetées comme des fruits pourris. C’est très préoccupant pour nous.

La sénatrice Bernard : Savez-vous s’il existe des services de santé mentale culturellement adaptés dans vos régions?

Dr Booth : Je dirais qu’on intensifie les efforts pour sensibiliser le personnel aux facteurs culturels et cela, dès la faculté de médecine et tout au long des programmes de résidence jusqu’à la pratique de la psychiatrie. Notre bible des diagnostics, le DSM-V, comporte une section sur la formulation culturelle ou la compréhension des patients du point de vue de leur culture. On constate également un intérêt croissant au sein de la médecine culturelle. À l’Association canadienne de psychiatrie, il y a un groupe d’intérêt spécial. À ma connaissance, il y en a un dans la région d’Ottawa dont le principal objectif est la médecine axée sur la culture. Nous avons l’intention de faire connaître ces initiatives afin qu’elles deviennent la norme. C’est dans nos plans.

La sénatrice Bernard : Pour revenir au DSM, vous dites que ce manuel contient maintenant une section portant sur l’incidence de la culture?

Dr Booth : Oui, il y a un chapitre spécial, si on peut l’appeler ainsi, qui porte sur ce que nous appelons la formulation culturelle. Le mot formulation signifie essentiellement comprendre quels facteurs biologiques, psychologiques et sociaux contribuent aux problèmes de santé mentale d’une personne. La formulation culturelle permet de comprendre le rôle que jouent la religion, la race et d’autres facteurs culturels et pourquoi ils se manifestent à ce moment précis; elle nous permet ensuite de nous renseigner sur les traitements et les interventions les mieux adaptés.

La sénatrice Bernard : Les problèmes de racisme sont-ils aussi pris en compte?

Dr Booth : Bien sûr.

La sénatrice Bernard : Je vous remercie.

La sénatrice Pate : J’ai une question qui fait suite à celle de la sénatrice Bernard. D’après ce que je comprends, à en juger par l’excellent travail accompli au Centre de la vallée du Saint-Laurent de Brockville que nous avons visité, l’un des problèmes est le manque de sensibilité aux problèmes des femmes et des détenus racialisés.

Pour revenir à la question de la sénatrice Bernard, je crois comprendre que vous vous interrogez sur la nécessité d’augmenter les ressources et sur la façon d’adapter les services afin d’offrir de meilleurs services aux femmes, surtout aux femmes autochtones et racialisées, ainsi qu’aux hommes racialisés.

Poursuivez-vous votre réflexion? Où en êtes-vous maintenant?

Dr Booth : Cette réflexion se poursuit à la grandeur du pays. Je pense qu’il y a une lacune à cet égard. Dans toutes les professions, malheureusement, il est encore difficile de recruter du personnel culturellement adapté. En psychiatrie, nous pouvons au moins dire que c’est un objectif que nous nous sommes fixés et que nous voulons atteindre à tous les niveaux.

La sénatrice Hartling : Merci beaucoup pour votre exposé. Je suis ravie que vous ayez décrit la situation réelle et son évolution. Le fait de connaître le parcours de ces détenus et tout ce qu’ils doivent traverser donne une note plus personnelle.

Comme vous l’avez dit, et nous l’avons d’ailleurs constaté à l’occasion de nos visites dans les prisons, les délinquants souffrant de troubles mentaux sont très nombreux. Ils sont surreprésentés. La manifestation des troubles mentaux et des comportements qui y sont liés est souvent considérée dans une optique axée sur la criminalité, ce qui fait que les détenus sont traités en fonction des risques qu’ils présentent et non en fonction de leurs besoins. Je me demande si, pour cette raison, les délinquants présentant des troubles mentaux risquent de se voir attribuer une cote de sécurité plus élevée?

Existe-t-il des outils d’évaluation des risques adaptés aux problèmes de santé mentale que présentent certains délinquants? Dans la négative, ne devrait-on pas utiliser ce genre d’outils pour évaluer les détenus atteints d’un trouble de santé mentale?

Dr Fedoroff : Nous disposons d’un éventail d’outils d’évaluation des risques qui ont été normalisés en fonction des personnes qui ont des problèmes de santé mentale et des autres. À mon avis, le problème n’est pas là. Le problème, c’est qu’à l’arrivée d’une personne dans un établissement carcéral comme les nôtres, les gardiens ont certaines tâches à accomplir. Quand un délinquant cause des ennuis, la plupart du temps parce qu’il souffre d’un trouble mental, il est placé en isolement ou à l’écart. S’il ne proteste pas, il restera là. Au lieu de recevoir le traitement dont ils ont besoin, ces détenus sont souvent oubliés, laissés en isolement et leur état ne fait que s’aggraver.

Un problème se pose lorsque des délinquants atteints d’une maladie mentale sont incapables de revendiquer leurs droits. Ils sont déjà stigmatisés. Ils sont considérés comme des criminels dangereux à qui on ne peut faire confiance. Ils ne sont pas traités avec la dignité et le respect dont ils ont besoin pour obtenir de l’aide.

La sénatrice Hartling : Comment changer les choses, alors? Que doit-il se passer? Comment pouvons-nous inverser la situation pour faire en sorte que les besoins de ces personnes seront pris en compte et qu’elles seront traitées?

Dr Fedoroff : Je le répète, les prisons sont des endroits très inadéquats pour traiter des personnes atteintes d’une maladie mentale. Malheureusement, comme l’a fait remarquer le Dr Booth, bon nombre des personnes souffrant d’un trouble mental qui étaient traitées dans nos établissements psychiatriques se retrouvent aujourd’hui dans un autre genre d’établissement, une prison qui n’est pas bien conçue pour les aider.

Si je le pouvais faire quelque chose, je commencerais par empêcher que ces personnes soient envoyées en prison. L’idéal serait qu’elles aient accès à d’autres programmes de traitement afin qu’on puisse les empêcher de commettre des délits ou leur prodiguer un traitement plus efficace pour transformer leur comportement criminel en un comportement pro-social.

Deuxièmement, il faut former les gardiens et le personnel responsable de cette population problématique. Je suis conscient que le travail des gardiens est difficile. S’ils comprenaient mieux pourquoi une personne a parfois un comportement qui leur semble étrange et s’ils savaient qu’il existe un traitement efficace, cela améliorerait grandement les choses.

La sénatrice Hartling : J’ai entrepris une étude sur la santé mentale au Nouveau-Brunswick, ma province. L’une des choses que je constate, c’est le manque d’accessibilité aux services, le manque d’accès à des services gratuits.

Êtes-vous au courant de cela? Il n’existe plus d’établissement psychiatrique susceptible de traiter ces personnes avant qu’elles se retrouvent en prison. C’est peut-être bien que ces établissements n’existent plus, mais existe-t-il des endroits où ces personnes peuvent aller chercher de l’aide? Est-ce difficile pour elles d’avoir accès à des services?

Dr Booth : Je voudrais insister sur cette partie de mon exposé. Il existe une pénurie criante de professionnels en santé mentale dans les domaines de la psychiatrie en général et de la psychiatrie médicolégale. Malheureusement, nous ne pouvons augmenter le personnel du jour au lendemain. Il faut compter de nombreuses années d’études avant de devenir médecin, puis psychiatre et enfin psychiatre médicolégal.

Par ailleurs, il est souvent difficile d’obtenir des services auxiliaires qui soient subventionnés. Si vous avez une bonne police d’assurance qui couvre des services psychologiques pour votre enfant jusqu’à l’âge adulte, ce qui est très rare, cela pourrait changer la trajectoire. Dans bien des villes, vous devez attendre un à deux ans avant de pouvoir consulter un psychiatre. Il y a une grave pénurie de services.

Dr Fedoroff : Au moment de leur arrestation, les personnes atteintes d’une maladie mentale ou d’une déficience intellectuelle sont particulièrement vulnérables. Elles auront tendance à répondre par l’affirmative à toutes les questions. Elles veulent faire plaisir. Elles feront de faux aveux qui leur causeront beaucoup de problèmes. Comme rares sont celles qui ont les moyens de se payer un avocat, elles finiront par se voir imposer des sanctions plus sévères, justement à cause de leurs troubles mentaux.

La sénatrice Pate : J’ai une question supplémentaire pour la sénatrice Hartling. Je suis l’exemple de la sénatrice Bernard. Pour gagner du temps, je vais d’abord poser mes questions, dont la question supplémentaire.

Je commence par celle-ci. Hier, l’enquêteur correctionnel a déposé son rapport annuel. Il y fait observer que le recours à des mesures de restriction physique, à l’isolement clinique, à la surveillance de détenus suicidaires et à d’autres mesures d’isolement désignées par divers euphémismes, de même qu’à des unités d’isolement à sécurité maximale, constitue un problème particulièrement grave pour les femmes, davantage encore pour les femmes autochtones.

Au moment de la rédaction du rapport, près de la moitié des femmes mises en isolement ou placées dans une unité à sécurité maximale étaient des Autochtones. Historiquement, il y a toujours eu une surreprésentation d’Afro-Canadiennes également. L’enquêteur formule des recommandations pour mettre fin à cette situation.

Dans son bulletin de juin 2017, l’Académie canadienne de psychiatrie et de droit exprime son appui aux recommandations du Bureau de l’enquêteur correctionnel concernant la nécessité de trouver des solutions de rechange à l’isolement et, d’après ce que je comprends, à l’incarcération également.

Par ailleurs, la Dre Law, une psychologue recrutée par le Service correctionnel du Canada en 2004 pour examiner le régime de classification et d’évaluation des femmes, a recommandé que toutes les femmes commencent à purger leur peine dans un milieu à sécurité minimale, ce qui semble conforme à la recommandation de M. Zinger visant la suppression complète des milieux à sécurité maximale pour les femmes au profit de milieux de vie où elles auront accès à des mesures de soutien.

Je suis curieuse de connaître votre opinion sur les recommandations déposées hier. En tant que représentant de l’association pancanadienne, savez-vous combien d’accords ont été conclus en vertu de l’article 29 à la grandeur du pays, à part le projet pilote lancé par le service correctionnel à Brockville qui prévoit des cellules à deux lits? Voilà ma première question.

Voici maintenant ma question qui fait suite à votre réponse à la question de la sénatrice Hartling. Vous vous demandiez si la formation du personnel pouvait être bénéfique. Vous semblez penser que ce le serait. Avez-vous des preuves le démontrant? Savez-vous si des travaux de recherche le confirment?

Les psychiatres des services correctionnels ne cessent de répéter qu’ils sont supposés avoir l’entière responsabilité de la santé mentale des détenus. Même lorsque le Centre psychiatrique régional de Saskatoon, dûment désigné comme un établissement carcéral et un hôpital psychiatrique, ordonne à son personnel de ne pas placer les détenus en isolement, de ne pas utiliser de moyens de contention et de ne pas les asperger de poivre de cayenne, les employés contournent la directive aux fins de sécurité.

J’ignore s’il a été démontré que la formation a vraiment permis de changer les choses. Si vous avez des données probantes, il serait très utile que nous puissions les consulter parce que les preuves semblent démontrer le contraire. On est porté à croire que si le personnel était mieux formé, il changerait son comportement. Je me demande si cela a été démontré dans un contexte carcéral.

Dr Booth : Je vais d’abord répondre à la deuxième question. En fait, je ne sais pas s’il existe des données à l’appui de cette idée, mais d’après ce que j’ai observé dans l’unité de traitement en milieu fermé que je connais bien, dans un établissement provincial, nous avons un très grand nombre d’employés correctionnels très bien formés qui font un travail fantastique auprès de détenus ayant des problèmes de santé mentale.

Cela est en partie attribuable à la formation, mais aussi au fait que nous avons recruté des personnes qui avaient un intérêt manifeste à l’endroit des détenus et possédaient les compétences requises pour traiter des personnes qui ne vont pas bien.

La sénatrice Pate : Par souci de précision, il s’agit de l’établissement où vous travaillez et qui est régi par les services de santé. Est-ce exact?

Dr Booth : En Ontario, l’unité de traitement en milieu fermé relève du ministère de la Sécurité communautaire et des Services correctionnels. Le ministère en assure la supervision. Un modèle d’intervention a été établi spécialement pour les établissements qui accueillent une clientèle ayant des problèmes de santé mentale; ce modèle prévoit un personnel plus nombreux.

C’est un modèle plus ou moins hybride. En fin de compte, les employés relèvent tous des services correctionnels.

La sénatrice Pate : Si j’ai bien compris, toutes les interventions thérapeutiques sont régies par le système de santé. Est-ce exact?

Dr Booth : Oui, les interventions thérapeutiques et les questions de sécurité sont du ressort des services correctionnels, mais le personnel travaille en collaboration pour régler les problèmes à mesure qu’ils surviennent.

Je pense qu’il y a de l’espoir. À condition d’avoir les personnes compétentes, les choses peuvent très bien se passer. Votre question est intéressante : lorsqu’il est établi qu’une personne a de sérieux problèmes de santé mentale, est-il judicieux de demander aux services correctionnels de s’occuper de cette personne au lieu de la confier à un service de santé mentale?

Si nous transférons ou essayons de transférer ces personnes dans un établissement psychiatrique, bon nombre d’entre elles seront retournées dès leur arrivée ou elles devront être surveillées à des fins de sécurité. Là encore, j’ignore quelle est la bonne réponse.

Dr Fedoroff : Vous avez tout à fait raison de dire qu’il faut faire une distinction entre la formation des employés et la culture d’un établissement. À mon avis, le système fédéral actuel et les systèmes provinciaux considèrent que leur rôle premier consiste à détenir les gens plutôt qu’à faciliter leur réinsertion.

À preuve, en raison du manque de planification des libérations, certaines personnes n’ont guère accès à des mesures de soutien ou de suivi à leur sortie de prison. Les gardiens ont la tâche de maintenir les délinquants en détention pendant la durée de leur peine. Ils ne réfléchissent pas à ce qui se passera au moment où ces personnes retourneront dans la collectivité. Cela influence leur façon de traiter les détenus. Ces derniers ne sont pas traités dans la dignité et le respect dont ils ont besoin.

Il serait temps que le système commence à comprendre que chaque détenu retournera un jour dans la collectivité et qu’il faut commencer à planifier sa sortie dès le premier jour. Comme nous l’avons appris au moment de la désinstitutionalisation des patients psychiatriques, lorsque la collectivité n’offre pas de soutien, les choses se passent mal. Nous devons commencer à établir les programmes externes de traitement, trouver des endroits où ces personnes pourront vivre et leur offrir des mesures de soutien communautaire pour nous assurer qu’ils ne se retrouveront pas à nouveau en prison.

La sénatrice Pate : Il y a aussi l’article 29. Savez-vous si d’autres accords ont été conclus ailleurs au pays?

Dr Booth : Non, je l’ignore. Par contre, je sais qu’il y a eu des discussions et des problèmes de mise en œuvre. Encore une fois, il est difficile de trouver un modèle approprié qui fera consensus. Je ne sais pas si d’autres accords ont été conclus.

Vous avez également soulevé la question de l’isolement. Pouvez-vous me rappeler les détails de votre question pour m’orienter?

La sénatrice Pate : Oui. Je parlais des recommandations formulées hier par l’enquêteur correctionnel, M. Zinger, qui, vous n’êtes pas sans le savoir, est psychologue et avocat. Il a recommandé la suppression des unités à sécurité maximale pour les femmes et la restriction sévère, voire l’élimination, du recours à l’isolement cellulaire pour les délinquantes présentant des problèmes de santé mentale.

Dans les prisons pour femmes, en particulier, les délinquantes souffrant de troubles mentaux et les détenues autochtones ont tendance à être grandement surreprésentées dans ces unités. L’enquêteur recommande de consacrer des ressources à l’aménagement de milieux de vie structurés, étant donné que certaines femmes présentent également des déficiences intellectuelles, en plus de leurs troubles mentaux. Bon nombre de ces femmes, comme l’ont fait remarquer la sénatrice Bernard et d’autres intervenants, n’ont jamais reçu de diagnostic. Il y aurait également lieu de recourir à d’autres mécanismes d’évaluation des risques.

J’ignore si vous êtes au courant de l’étude menée par la Dre Law dans laquelle elle recommande que toutes les femmes soient d’abord détenues dans des environnements à sécurité minimale. Selon vous, ces deux recommandations convergent-elles?

Dr Booth : Je suis d’accord avec ces principes. L’important, selon moi, c’est qu’au lieu de dire qu’une personne présente un risque élevé, qu’elle est violente et dangereuse, la première étape consisterait à faire une évaluation de ces risques. En fait, parmi les personnes ayant un dossier criminel qui présentent un risque élevé pour le personnel, pour leurs codétenus ou pour d’autres patients se trouvent des patients souffrant de troubles mentaux et des patients qui ne souffrent pas de troubles mentaux. L’erreur fréquente est de supposer l’existence de risques au lieu de commencer par évaluer les personnes.

Il est évident qu’il faut pouvoir compter sur un personnel dûment formé pour les évaluations. Je salue les efforts du Service correctionnel du Canada qui recourt sans doute à son propre personnel, mais un certain niveau de connaissances est requis pour mener à bien ce type d’évaluation, pour poser le bon diagnostic, pour comprendre la personne et pour faire les recommandations appropriées en matière de sécurité et de traitement. Le second principe qui découle de ces constatations concerne l’isolement préventif et les interventions contraignantes et très intrusives touchant la liberté de la personne, de même que le respect de son intégrité physique.

Je suis tout à fait d’accord. Il s’agit d’interventions de dernier recours. Dans la mesure du possible, elles doivent être évitées. On doit appliquer des solutions de rechange en misant sur les ressources appropriées. Il est établi qu’il existe de nombreuses solutions de rechange fonctionnant bien, voire mieux. Je pense notamment aux traumatisés qui mobilisent un grand nombre d’intervenants des services correctionnels et de la santé mentale. C’est inacceptable.

Encore une fois, il s’agit d’interventions de dernier recours. Les intervenants doivent être renseignés sur la personne et être mis au courant de ses traumatismes. Existe-t-il d’autres solutions qui seraient plus efficaces?

À l’expérience, j’ai appris qu’il faut éviter de simplement éliminer ces solutions parce que, malheureusement, certaines personnes deviennent dangereuses quand elles ne sont pas bien. D’autres solutions ont été tentées, sans succès. Nous ne devons pas les oublier, mais ces autres solutions doivent être de dernier recours.

La sénatrice Pate : Vous avez parlé d’évaluation et de classification. Je crois comprendre que les systèmes de classification sont très critiqués et les recherches semblent démontrer qu’ils sont davantage conçus pour les hommes blancs que pour les femmes et les groupes racialisés, notamment les Afro-Canadiens, les Sud-Asiatiques et les Autochtones.

Savez-vous si des travaux de recherche ont été entrepris pour adapter les systèmes de classification? Une grande partie de la recherche dont vous parlez concerne de mettre les hommes en isolement préventif. Exception faite de la recherche de la Dre Law, je crois qu’aucune autre recherche n’a ciblé uniquement des femmes.

Dr Booth : Je voudrais clarifier quelque chose. Quand je parle de la nécessité de l’isolement préventif ou d’autres interventions, il faut mentionner que le Service correctionnel du Canada possède son propre système de classification. Je ne sais pas jusqu’à quel point les intervenants s’y connaissent en santé mentale ni si les interventions sont effectuées par des personnes hautement qualifiées, comme des psychologues et des psychiatres. Ces cas complexes nécessitent une approche permettant de comprendre la nature de la personne et de ses problèmes, une approche permettant ensuite de se demander quel est le risque encouru et de quelle façon il faudra le gérer. Je reconnais que les risques associés à ces cas sont sans doute fondés sur des normes conventionnelles, pas nécessairement culturelles ou faisant intervenir le genre.

Dr Fedoroff : Puisque vous le demandez, la Clinique sur les comportements sexuels est sur le point de lancer deux nouveaux projets de recherche, le premier sur les délinquantes sexuelles et le second qui misera sur Internet pour tenter d’inciter les personnes aux prises avec un problème lié à l’intérêt sexuel à suivre un traitement avant qu’elles ne commettent d’actes criminels.

J’espère que nous progresserons également dans ces domaines.

La sénatrice Pate : Cela soulève toute une autre série de questions, mais je sais que nous sommes à court de temps.

Le sénateur Munson : Le temps est presque écoulé. Je vais terminer en posant une question.

Nous en avons déjà discuté lors des généralités. Le Comité des Nations Unies sur les droits des personnes handicapées a recommandé que le Canada ajoute des mécanismes de soutien supplémentaires afin d’assurer une entière accessibilité au secteur de la justice qui soit gratuite pour toutes les personnes handicapées, et qu’il offre le braille, l’interprétation en langue des signes et d’autres modes de communication adaptés.

Dans le contexte des déficiences intellectuelles et du TSA, quels services semblables faudrait-il offrir pour améliorer l’accessibilité à la Commission des libérations conditionnelles du Canada et, de façon plus générale, au système correctionnel? Comme nous souhaiterions formuler une recommandation, nous aimerions connaître les mécanismes de soutien qui pourraient être mis en place.

Dr Fedoroff : Je suis plutôt d’accord avec les recommandations des Nations Unies. Ces interventions seraient utiles.

Il convient par ailleurs de souligner que les personnes aux prises avec une déficience intellectuelle ont très souvent besoin d’un travailleur de soutien pour les aider à faire face au stress occasionné par ce genre de système. J’ai constaté que des personnes ayant une déficience intellectuelle ont eu l’autorisation d’être assistées d’une autre personne quand elles témoignent ou qu’elles répondent à des questions. Ce type de soutien leur est très utile.

De plus, les audiences doivent être interrompues pour leur laisser le temps de rassembler leurs idées. Ces personnes ont très souvent besoin d’aide pour communiquer, que ce soit en lien avec leur compréhension de la question ou avec l’interprétation de leurs réponses par les tribunaux et par d’autres autorités.

Le sénateur Munson : Merci à tous les deux. Vous devriez revenir, on s’en occupera éventuellement. Ce fut un formidable échange très instructif et important pour notre rapport, et nous vous remercions tous deux.

La sénatrice Bernard : S’il vous plaît, faites-les revenir. Je tiens à vous remercier pour votre leadership à ce comité, pour votre engagement à l’égard des questions liées aux droits de la personne et, en particulier, à l’égard des droits des enfants. Je vous remercie.

Des voix : Bravo, bravo!

Le sénateur Munson : J’apprécie, merci. Je souris à l’idée.

(La séance est levée.)

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