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RIDR - Comité permanent

Droits de la personne

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Droits de la personne

Fascicule nº 25 - Témoignages du 8 février 2018


KITCHENER, le jeudi 8 février 2018

Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne se réunit aujourd’hui, à 18 h 14, pour son étude sur les questions concernant les droits de la personne des prisonniers dans le système correctionnel.

La sénatrice Wanda Elaine Thomas Bernard (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Bonsoir, chères sénatrices, et bienvenue à nos invités. Avant de commencer, j’invite les sénatrices à se présenter à tour de rôle.

La sénatrice Cordy : Je m’appelle Jane Cordy et je suis sénatrice de la Nouvelle-Écosse. Bienvenue et merci d’être venus nous rencontrer ce soir.

La sénatrice Pate : Oui, merci beaucoup. Nous sommes impatientes d’entendre vos témoignages. Je m’appelle Kim Pate et je suis de l’Ontario.

La présidente : Je m’appelle Wanda Thomas Bernard, sénatrice de la Nouvelle-Écosse et présidente du comité.

Comme premier point à l’ordre du jour, je vous demande, chères collègues, si vous autorisez la prise de photos et de vidéos durant cette audience.

La sénatrice Cordy : Oui.

La présidente : C’est d’accord.

Nous sommes honorées d’être à Kitchener ce soir. Au cours de la journée, nous avons visité le Centre correctionnel communautaire Keele et demain, nous visiterons l’Établissement Grand Valley.

Dans notre premier groupe, nous accueillons une représentante du Comité consultatif régional ethnoculturel, Sophia Brown Ramsay, vice-présidente et gestionnaire du développement communautaire pour le Black Community Action Network of Peel, Ambreen Jamil et Tamera Boothe, toutes deux stagiaires, ainsi que Winston LaRose, président et membre de la Jane-Finch Concerned Citizens Organization et du Comité consultatif régional ethnoculturel.

Bienvenue à tous. Nous sommes maintenant prêtes à entendre vos témoignages.

Sophia Brown Ramsay, vice-présidente et gestionnaire, Développement communautaire, Black Community Action Network of Peel, Comité consultatif régional ethnoculturel : Comme vient de le dire la sénatrice Bernard, je m’appelle Sophia Brown Ramsay. La sénatrice vient de faire les présentations, mais permettez-moi d’ajouter quelques mots parce que je suis accompagnée de personnes exceptionnelles.

Je vais commencer par M. LaRose. Je dois dire que c’est un homme fabuleux. Il vient tout juste de célébrer son 80e anniversaire et pour l’occasion, il a participé à une course, comme il le fait depuis 15 ans. La Ville de Toronto lui a récemment décerné le prix Bob Marley pour l’ensemble de ses réalisations dans les services communautaires. Il est incroyable. Je suis heureuse qu’il soit parmi nous ce soir à titre de représentant du Comité consultatif régional ethnoculturel de l’Ontario.

Je tiens également à souligner la présence de nos deux stagiaires qui sont des personnes tout aussi extraordinaires. Elles accomplissent des choses étonnantes. Ce sont des femmes dévouées et brillantes. Elles ont tenu à nous accompagner ce soir pour vous rencontrer, mesdames. Je vous remercie à nouveau, Ambreen Jamil et Tamera Boothe.

Je travaille pour le réseau Black Community Action Network, ou BCAN. Ce réseau représente plus de 400 organismes, professionnels, résidents et alliés qui unissent leurs efforts pour promouvoir l’équité, la mobilisation et un changement systémique au moyen de l’action sociale, du développement communautaire, de l’éducation et de la recherche. C’est une mission très importante parce que bon nombre des familles dont nous nous occupons sont touchées par des problèmes d’incarcération. Voilà pourquoi nous sommes ravis d’être ici ce soir.

D’entrée de jeu, je veux rappeler les mots prononcés par le premier ministre le 30 janvier dernier pour marquer le début du Mois de l’histoire des Noirs, qui est célébré ici dans notre pays et dans le monde entier. Permettez-moi de vous lire un extrait du discours qu’il a prononcé à cette occasion, à Ottawa :

C’est aujourd’hui une journée importante pour le Canada. Grâce à notre engagement à l’égard de la Décennie internationale, nous pourrons mieux relever les défis concrets et particuliers auxquels les Canadiens noirs font face. De cette façon, nous irons de l’avant vers un pays plus juste et plus inclusif.

Je rappelle que le gouvernement canadien s’est engagé à bâtir un pays plus juste et plus inclusif et que le premier ministre a déclaré que la Décennie internationale des personnes d’ascendance africaine, qui a débuté en 2015 et se terminera en 2024, nous donne l’occasion de souligner et de célébrer les grandes contributions que les peuples d’ascendance africaine ont apportées à la société canadienne. Elle constitue également le cadre idéal pour faire état de l’évolution de la justice et des progrès réalisés dans la lutte contre le racisme, la discrimination et les inégalités persistantes auxquels se heurtent les Canadiens d’ascendance africaine.

Le gouvernement du Canada a entendu les préoccupations de citoyens et d’organisations des quatre coins du pays, notamment de la Fédération des Canadiens noirs, concernant la nécessité de collaborer davantage avec les Canadiens d’ascendance africaine et de mieux les soutenir. En soulignant la décennie internationale, le gouvernement du Canada s’engage à assurer un avenir plus prometteur à tous les Canadiens de race noire et, ce faisant, à l’ensemble des Canadiens.

Je tiens à remercier le gouvernement et à vous remercier également, sénatrices, pour cette déclaration et cet engagement à participer au travail qui nous attend. Comme le gouvernement reconnaît qu’il s’agit là d’un enjeu d’importance, il me paraît évident que, pour faire avancer les choses, nous devons travailler en collaboration. On ne peut travailler chacun pour soi.

Je vous demande votre indulgence un moment, si vous n’y voyez pas d’inconvénient. L’indulgence, c’est important chez les Africains. Je sais que vous êtes sénatrices et je vous estime beaucoup pour ce que vous faites, mais je vous demande de vous prêter à un jeu. Cela vous aidera à comprendre d’où nous venons.

Essayez de parler sans bouger votre langue. Y arrivez-vous? Si vous ne pouvez bouger votre langue, vous ne pouvez parler. Je vous demande de faire cet exercice parce que je veux m’assurer que nous tous, ici présents, comprenons que chaque fois que nous voulons faire quelque chose de très difficile, nous devons pouvoir compter sur plusieurs personnes. Il faut être capable de faire cet exercice et c’est justement de cela que nous allons parler ce soir. Vous devez comprendre que sans collaboration, on ne va nulle part.

Ce soir, je veux vous dire un mot sur le Comité consultatif national ethnoculturel et le Comité consultatif régional ethnoculturel, ou le CCRE et le CCNE. Leur mission repose sur trois domaines prioritaires définis par le commissaire Don Head, qui vient de prendre sa retraite; d’ailleurs, nous le remercions publiquement pour sa vision et son engagement indéfectible à l’égard de la sécurité publique et des déterminants sociaux de la santé pour l’ensemble des Canadiens.

Le CCNE concentre ses efforts sur trois domaines : le logement, la santé mentale et l’emploi. Les porte-parole du CCNE, dont notre collègue ici présent, se penchent sur ces enjeux. Nous examinons les politiques, les changements, les programmes et les engagements, puis nous nous rendons dans les différents établissements pour nous entretenir avec les détenus et sensibiliser le personnel à leurs différences et leurs besoins.

Les membres du CCNE sont non seulement diversifiés, mais ils viennent de tous les coins de la planète. Ils nous arrivent avec une foule d’idées et de projets, dont certains viennent de recevoir un financement, notamment un projet qui sera mis en œuvre à Grand Valley.

Quand vous êtes allées à Keele aujourd’hui, vous avez peut-être entendu parler d’un nouveau projet pilote visant à renforcer la résilience et la santé mentale des détenues canadiennes d’ascendance africaine. Nous pouvons certes vous faire parvenir de l’information à ce sujet. Ce projet pilote sera mis en œuvre à Keele, à Grand Valley, à BCI et à Warkworth. À Ottawa, un autre projet très récent porte sur la santé mentale parce que les détenues nous parlent beaucoup de ces problèmes qui y sont liés.

Mesdames, vous avez sous les yeux un exposé de position ou document d’orientation signé par la sénatrice Bernard, du temps où elle n’était pas encore sénatrice. À l’époque, j’aimais bien l’appeler docteure, mais aujourd’hui, je préfère l’appeler sénatrice. Ce document porte sur les délinquantes appartenant à une minorité ethnoculturelle au Canada et propose une stratégie culturellement adaptée. Ce document que vous avez en main, sénatrices, est inédit et extrêmement important pour nous aider à trouver la meilleure façon de traiter les délinquantes de minorités ethnoculturelles, en particulier de race noire. Je vais faire un rappel des faits, même si je sais que vous êtes déjà au courant, mais je tiens à le faire.

Les Canadiens d’ascendance africaine évoluent dans un contexte particulier de racisme anti-Noirs qui fait écho à un passé marqué par l’esclavage, la stagnation raciale, la marginalisation, dont l’exemple le plus flagrant ici est la surreprésentation des Canadiens d’ascendance africaine dans le système de justice, mais pas seulement. Regardons aussi l’emploi, l’éducation, le logement et d’autres facettes du bien-être.

Arrêtons-nous sur quelques données. Les détenus noirs représentent 8,6 p. 100 de l’ensemble de la population carcérale, mais seulement 3,5 p. 100 de la population en général. À cela, il faut ajouter les quelque 70 p. 100 de Noirs emprisonnés au cours des 10 dernières années. C’est le groupe de détenus qui connaît la hausse la plus rapide dans les prisons fédérales. Comparons ces chiffres aux 50 p. 100 d’Autochtones emprisonnés au cours des 10 dernières années, même si ce groupe représente 24 p. 100 de la population carcérale et 4,9 p. 100 de la population en général. Les Noirs continuent à être surreprésentés à l’admission et à la mise en isolement, avec des taux de 10,5 p. 100 pour l’admission et de 10,6 p. 100 pour la mise en isolement. Ces chiffres ne représentent qu’un faible pourcentage.

J’insiste sur le problème de la surreprésentation parce que ce document, que le CCNE avait commandé à Mme Bernard à l’époque, propose justement des solutions à ce problème. Nous nous intéressons aux pratiques exemplaires. En lisant ce document, vous comprendrez qu’il est possible de recourir aux mêmes pratiques exemplaires que celles utilisées à l’endroit des Autochtones du Canada pour régler le problème de la surreprésentation de membres de groupes ethnoculturels, en particulier des Noirs, dans les prisons.

Je vais m’arrêter ici parce que je sais que mon collègue a des choses à vous dire. Je reprendrai ensuite la parole pour finir ce que j’ai à dire au sujet de ce document.

Winston LaRose, président et membre, Jane-Finch Concerned Citizens Organization et Comité consultatif régional ethnoculturel : Permettez-moi de remercier cette grande dame qui a été une chef de file dans sa fonction de vice-présidente de cette organisation. Elle y a accompli un travail remarquable au fil des ans. J’ai un immense respect pour elle.

Je remercie les sénatrices d’être présentes ici ce soir, en particulier ma professeure, aujourd’hui sénatrice, que j’ai connue il y a des années en Nouvelle-Écosse. Je vous remercie pour tout ce que vous avez fait pour moi comme directrice du département là-bas.

Le travail que j’accomplis depuis quelque temps dans le milieu correctionnel m’amène à découvrir une autre facette du Canada. Nous parlons de représentation et de surreprésentation. Dans la mesure où les Noirs sont concernés, il s’agit là d’un problème international. Vous trouverez un nombre élevé de détenus noirs en Europe, dans les Amériques et ailleurs dans le monde. Le Canada ne fait donc pas exception, mais nous avons tendance à penser que c’est normal.

Personne ne trouve cette situation problématique. Nous devons faire quelque chose pour changer cette mentalité culturelle qui accepte ce genre de situation. Elle ne devrait carrément pas exister, et surtout pas dans un pays développé. Nous sommes un chef de file, comme nous l’avons dit au monde entier, en matière de démocratie et de civilisation, mais en tant que pays civilisé, nous avons un fort contingent de Noirs dans nos prisons, notamment de jeunes. Je l’ai constaté de mes propres yeux. Bon nombre de ces jeunes suivent une filière qui les conduit directement de l’école à la prison.

J’ai rencontré le directeur de l’enseignement du conseil scolaire du district de Toronto, M. John Malloy. Notre première rencontre a eu lieu il y a un an, en décembre. À cette occasion, nous avons discuté de certains de ces problèmes et nous avons continué à nous revoir de temps à autre. Les taux de suspension et d’expulsion de jeunes garçons noirs dans le système scolaire sont effarants, troublants et persistants. Pourtant, aucun signal d’alarme ne se fait entendre nulle part. Ces jeunes passent de l’école à la prison. En Ontario, un nombre inimaginable d’entre eux est pris en charge par des Sociétés d’aide à l’enfance, surtout à Toronto. La famille noire est brisée. Il y a peu d’hommes à la tête des ménages. Cela est très néfaste pour la vie familiale et pour l’image du père comme soutien de famille. Bon nombre de nos garçons n’ont pas la chance de vivre une expérience familiale positive. Ils n’ont pas de modèles.

Dans notre pays, nous avons encouragé un système qui permet aux enfants noirs de passer du milieu scolaire à l’incarcération pour toutes sortes de délits criminels, en grande partie à cause d’un manque d’identification ou d’affiliation à leur culture. On nous désigne souvent sous les vocables de Noirs, de Canadiens d’ascendance africaine, d’Africains tout court, mais on cherche peu à savoir ce que signifie le fait d’être noir.

L’Ontario s’est dotée d’une loi contre le racisme qui vise à corriger un certain nombre d’injustices, de déséquilibres et d’iniquités. Qui sont donc ces Noirs? Les universités semblent avoir de la difficulté à reconnaître la race noire, bon nombre d’entre elles affirmant que c’est un concept social; permettez-moi de vous dire que c’est une réalité, quoi qu’on en pense. Ceux d’entre nous qui vivent cette expérience savent de quoi je parle. Tout au long de mon parcours de 80 ans, du colonialisme jusqu’au monde indépendant, les choses n’ont pas beaucoup changé. Je suis extrêmement troublé de voir qu’on coupe de jeunes hommes et femmes de race noire de la société pour les envoyer dans des réseaux institutionnels qui ne leur offrent aucune possibilité d’avenir et ne se soucient nullement de leur bien-être.

Je vais peut-être aller plus loin. Il y a tellement de choses que je voudrais dire, mais j’aimerais que les membres de ce comité reconnaissent qu’avant cette déclaration de notre premier ministre, le jeune Trudeau, personne au Canada n’avait porté attention à la Décennie internationale des personnes d’ascendance africaine. Rien n’a été prévu. Aucun projet, aucun programme. Pas de célébration non plus. Pourtant, les Nations Unies ont jugé nécessaire de dire au monde entier que nous devons reconnaître la contribution des Noirs dans le monde et notre société. Pourtant, cet enjeu ne suscite pas beaucoup d’intérêt. Ce manque d’intérêt a des répercussions sur notre population carcérale, sur ce que vivent les détenus, sur leurs difficultés liées à la réadaptation et la réinsertion dans la société, sur la surreprésentation et sur le personnel de race blanche, hommes ou femmes. Il n’y a pratiquement aucun employé de race noire. Le manque de représentation des Noirs dans les parlements de nos pays demeure une réalité. Pourquoi en est-il ainsi? À Toronto, il n’y a qu’un seul conseiller municipal de race noire. Cela n’a aucun sens, mais c’est la réalité. Nous avons de gros défis à relever.

Je vous laisse la parole, sœur Sophia, et j’espère avoir l’occasion de poursuivre.

Mme Brown Ramsay : Bien sûr. Je vous remercie Winston, c’était merveilleux.

Je veux maintenant continuer à attirer votre attention sur quelques données statistiques et vous demanderais de tirer vos propres conclusions ou de vous poser des questions. Arrêtons-nous au fait que 80 p. 100 des jeunes incarcérés au centre de détention Roy McMurtry de Peel sont des Canadiens d’ascendance africaine. Quand vous voyez cela, vous ne pouvez vous empêcher de penser, comme l’a dit Winston, que rien n’est fait pour régler ce problème. Je suppose que rien n’a été fait à une grande échelle, mais il existe un lot de petits organismes communautaires qui s’efforcent vraiment de faire quelque chose, mais ils manquent de ressources. Ils n’en ont tout simplement pas. Ils savent bien qu’il faut faire quelque chose pour éviter de perdre leurs jeunes. Si vous perdez vos jeunes, vous hypothéquez l’avenir et vous ne pourrez plus profiter des sages conseils d’un homme de 80 ans autour de cette table.

En tant que mère, j’ai beaucoup appris des autres mères de mon entourage. J’ai beaucoup appris de personnes pleines de sagesse qui m’entourent. Il est important, j’en suis persuadée, de nous inspirer des meilleures pratiques, maintenant que nous sommes décidés à changer les choses. Il existe une pratique exemplaire et elle est décrite dans ce document. Cette pratique exemplaire a été utilisée ici même au SCC. C’est celle qu’on a utilisée pour venir en aide à la population autochtone.

En 1991, on l’appelait, je pense, la Stratégie de la justice applicable aux Autochtones. Je voudrais qu’un programme similaire soit mis en place à l’égard des détenus de la minorité ethnoculturelle noire pour voir ce que nous pouvons faire en tant que collectivité. On dit que le triangle est la structure la plus solide au monde. Je pense que le moment est venu d’y recourir. Nous avons besoin du gouvernement, du SCC et de la collectivité. Si vous voulez vraiment changer les choses, le SCC ne peut pas agir seul. Il doit mettre en place une stratégie similaire à celle lancée pour les Autochtones et la présenter à la communauté ethnoculturelle noire pour qu’elle puisse apporter les changements requis avec l’aide de toute la collectivité.

Ce soir, nous vous demandons d’examiner les articles 81 et 84 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, parce qu’il faudrait les modifier. Nous voulons également examiner les articles 75 et 76 du règlement connexe. Ces articles portent sur la base même des facteurs et de l’histoire culturels, la lutte contre le racisme et l’oppression et visent, plus particulièrement, à apporter un changement au système. Je pense que nous devons faire plus que d’apporter des changements fragmentaires. Nous sommes rendus au point où, en tant que société et que communauté, nous devons collaborer avec le gouvernement pour que ces changements se concrétisent. Nous voulons travailler avec le gouvernement. Nous sommes ouverts à cela.

Votre présence ici ce soir et les visites que vous avez effectuées dans différents organismes et établissements sont un signe que notre gouvernement veut agir et qu’il reconnaît que certains droits de la personne ne sont pas pris en compte efficacement dans nos prisons et notre système de justice.

Comme je l’ai dit, je suis mère de famille. Quand je veux changer quelque chose et que je n’ai pas forcément les ressources nécessaires, je dois les trouver. Je suppose que c’est là toute la question. Si nous voulons examiner ces changements, nous devons trouver les ressources pour le faire parce que nos jeunes, qu’ils soient noirs, blancs ou peu importe, le réclament pour leur avenir.

Examiner un projet de loi, je l’admets, ce n’est pas toujours facile. Je sais qu’il y aura des conversations en continu, une ouverture d’esprit, mais il faut reconnaître qu’il y a un problème. Notre premier ministre l’a fait. Il a ouvert sa porte. Nous sommes ici pour discuter avec vous afin de savoir ce que vous en pensez, de vous dire ce que nous en pensons et enfin d’envisager d’apporter des changements au projet de loi. Merci pour l’instant.

La présidente : Merci beaucoup de votre témoignage de ce soir. Je vais demander à la sénatrice Ataullahjan de se présenter.

La sénatrice Ataullahjan : Je m’appelle Salma Ataullahjan, de Toronto, en Ontario. Excusez mon retard, mais j’ai de bonnes raisons.

La présidente : Les sénatrices peuvent maintenant poser des questions.

La sénatrice Cordy : Vous nous avez toutes deux livré un témoignage très convaincant, alors merci beaucoup. Quand vous dites que vous avez besoin de ressources, je me souviens que le Comité des affaires sociales, auquel j’ai siégé il y a quelques années, a produit un rapport sur l’autisme intitulé Payer maintenant ou payer plus tard. C’est essentiellement ce que vous dites.

Mme Brown Ramsay : Oui.

La sénatrice Cordy : Est-il préférable de payer pour l’éducation, les programmes et la petite enfance ou de payer les coûts des prisons? Je sais où je voudrais que l’argent de mes impôts soit investi, et c’est pour les jeunes enfants.

Vous avez dit que nous devrions suivre l’exemple de ce que le gouvernement fédéral a fait avec les Autochtones. Quand vous dites que 80 p. 100 des détenus de Peel sont noirs, c’est un problème pour la société. Ce n’est pas un problème pour les Noirs; c’est un problème pour la société.

Comment commencer? Par où commencer? Vous avez parlé de certains petits programmes, mais y a-t-il des programmes au sein des collectivités qui pourraient être élargis dès le départ ?

J’ai déjà été enseignante au primaire. Je sais que, dans l’une des collectivités, celle de la sénatrice Bernard, on a mis sur pied un programme d’aide préscolaire prenant modèle sur le programme Head Start, aussi baptisé Bon départ, dans le cadre duquel des choses formidables ont été faites pour la collectivité et pour les enfants avant qu’ils n’entrent à l’école. Encore une fois, en tant qu’enseignant, si vous arrivez à l’école et que vous n’avez pas certaines compétences, que faites-vous? Vous essayez d’attirer l’attention de façon négative.

Monsieur LaRose, vous avez parlé de la trajectoire directe de l’école à la prison. Où faut-il commencer? Les programmes qui fonctionnent bien dans les petites collectivités pourraient-ils être élargis?

M. LaRose : Nous devons bien sûr commencer dans les écoles. John Malloy a récemment adopté cette position en disant que nous devons commencer dès le primaire. Nous ne pouvons pas attendre le secondaire parce que les garçons noirs ne vont même pas au secondaire, et encore moins à l’université.

Il faut, comme avant, enseigner à nos enfants le respect de soi dans le système scolaire, c’est impératif. Les familles déchirées n’ont pas la possibilité de faire face à ces problèmes. De nos jours, beaucoup d’enfants sont très irrespectueux. Ils deviennent aussi des adultes irrespectueux. Ainsi, dénués de toute discipline, du sens du respect ainsi que de toute aptitude intellectuelle et scolaire, bon nombre de ces enfants noirs, en particulier les garçons noirs qui décrochent, ne sont pas du tout connectés à leur culture, à tout ce que les Noirs ont accompli, de la musique aux arts de la scène en passant par les sciences. Il nous faut des programmes spéciaux dans la collectivité, par exemple un musée sur les inventions des Noirs, simplement pour les éduquer sur leur réalité et leur place dans la société en général.

Il faudrait, en fait, intégrer cette sensibilisation au système scolaire et non le faire de façon fortuite. Quand nous avons essayé d’ouvrir une école afrocentriste, l’ancien premier ministre ontarien, Dalton McGuinty, a dit que cela générerait du racisme. Il a fait la une des journaux. Voilà à quel point la société a l’impression que les enfants noirs sont éduqués de façon afrocentriste. Tous les autres, qu’ils soient asiatiques ou caucasiens, sont éduqués selon leurs traditions et leur héritage. Nous imitons cela le plus possible question d’être crédibles et validés en tant qu’êtres humains.

Nous devons avoir notre propre ligne de conduite si nous voulons faire partie de cette grande diversité. Impossible d’être diversifié sans être différent. Il nous faut reconnaître et apprécier toutes les différences qu’il y a dans notre société et notamment les différences raciales. Je les constate dans les prisons, dans les Sociétés d’aide à l’enfance et dans les foyers d’accueil. Je vois des Noirs. Je sais à quoi ils ressemblent et je sais à quoi les autres ressemblent.

Nous devons commencer dans le système scolaire et prendre les mesures qu’il faut pour que l’histoire des Noirs ou de l’Afrique, quel que soit le nom qu’on lui donne, soit obligatoirement reconnue comme un volet fondamental de la disposition relative aux droits de la personne dans le système scolaire et ainsi faire en sorte que les enfants noirs demeurent impliqués et qu’ils soient sensibilisés à leur rôle et à leurs responsabilités, non seulement à compter de l’époque de l’esclavage pour savoir s’ils étaient de bons ou de mauvais esclaves, mais avant cette époque. Nous avons été faits esclaves, mais nous avions une histoire avant. Aucun des enfants d’aujourd’hui ne sait cela, que ce soit à l’université, au collège ou à l’école primaire. On ne leur enseigne pas ce qui est pourtant essentiel.

Je vous cède la parole.

Mme Brown Ramsay : J’ai de bonnes nouvelles. Comme les sénatrices le savent certainement, le ministre Coteau a débloqué 47 millions de dollars pour aider les jeunes Noirs au cours des derniers mois. Cela a permis de mettre sur pied des programmes; il y a donc des fonds.

Je vais revenir à Centraide. Il y a deux ou trois ans, je présidais un comité consultatif, le Black Advisory Committee. Nous avons rédigé un document intitulé The F.A.C.E.S. Report - Facilitating Access, Change and Equity in Systems. La tâche n’a pas été facile, car pour préparer le rapport en question, nous avons demandé à des enfants noirs ce qu’ils pensaient de leur école et du fait d’être à l’école. Ils nous ont dit qu’ils se sentaient isolés. Ils n’avaient pas l’impression de faire partie de quoi que ce soit. Beaucoup, surtout des garçons, abandonnaient les études. Nous devions trouver ce que nous pouvions faire. Dans ce rapport, nous avons abordé tous les volets, la justice, le système scolaire et la santé mentale.

Le conseil scolaire de Peel a pris connaissance de ce rapport et a préparé le sien. Il y a maintenant une initiative appelée le rapport We Rise dans le cadre de laquelle l’accent est mis sur les garçons noirs de Peel.

Je veux être certain que tout le monde comprenne bien. Je sais qu’il y a des gens qui savent qu’il y a un problème et que nous voulons faire quelque chose. À ce stade-ci, nous cherchons des moyens de nous rassembler pour poursuivre dans cette voie. Vous entendrez parler de 47 millions de dollars. C’est un début. C’est novateur. Cela ne s’est jamais produit. Cependant, il est difficile pour bien des petites organisations de recevoir ce genre de financement, car elles n’ont pas les ressources nécessaires pour y être admissibles. Souvent, comme dans le passé, le financement allait aux plus grandes organisations, les organisations principales. L’intention était bonne; travailler et aider. Qu’il s’agisse de la jeunesse noire ou de la communauté noire, peu importe. En fait, comme l’a dit Winston, quand vous avez en face de vous quelqu’un qui vous ressemble, vous vous retrouvez dans un espace particulier. Je me sens sénatrice. Moi, Sophia Brown Ramsay, je me sens sénatrice parce que je suis assise ici face à un sénateur qui me ressemble.

Les jeunes doivent être témoins de ce genre de choses. Cela n’arrive pas tout le temps. Ces grandes organisations cherchaient ce qu’elles pouvaient faire de mieux, mais elles devaient faire participer des personnes qui ressemblent à ces jeunes pour les aider, les amener à faire ce qu’il fallait. Ça ne s’est pas passé ainsi.

Nous devons maintenant trouver un moyen de le faire. Vous vous interrogez sur la manière d’aider et sur les mesures à prendre. Nous pourrions d’abord aider ces très petites organisations à obtenir les ressources dont elles ont besoin pour être en mesure d’accéder à ce genre de financement et d’aider la collectivité.

Est-ce logique?

La présidente : Oui.

Mme Brown Ramsay : C’est un élément de l’équation. Je sais que vous avez probablement une autre question, et je vais vous laisser la poser, si vous le voulez, parce que je pourrais en parler indéfiniment.

La présidente : Je suis simplement consciente du temps et il y a deux autres groupes de témoins.

La sénatrice Cordy : Je vais attendre au deuxième tour.

La présidente : Il y aura un deuxième tour.

La sénatrice Cordy : Ou nous pourrons en parler plus tard.

La présidente : Oui.

La sénatrice Pate : Merci de votre témoignage. Nous avons déjà une copie du document de la sénatrice Bernard. Je suis très heureuse que vous ayez soulevé la question des articles 81 et 84. J’aimerais vous poser des questions précises à ce sujet.

Votre comité, le CCNE-CCRE, a-t-il eu droit à une séance d’information sur les articles 81 et 84 et sur l’intention de la loi?

Mme Brown Ramsay : Oui.

La sénatrice Pate : Il semble, cependant, que vous pensiez qu’il faut modifier la loi pour appliquer cela aux prisonniers noirs.

Mme Brown Ramsay : Je n’en sais peut-être pas autant que je le voudrais, mais je pense qu’il y a un article que nous n’avons pas utilisé à sa juste mesure. Au bout du compte, il y a une pièce maîtresse. Je dois le dire d’une façon sensée et utile. Lorsqu’une mesure législative est adoptée, tout le monde doit la respecter et c’est ce qui est fait. Le concept qui n’est pas encadré par une loi, mais qui obéit à de bonnes intentions, n’est pas interprété de la même façon au niveau des institutions.

Je ne sais pas si je me suis bien exprimé. En fin de compte, je suppose que nous avons l’impression que si nous voulons que des changements en particulier soient apportés, il faut tenir compte de la personne au pouvoir, du parti politique au pouvoir ou de la personne qui préside la commission à ce moment-là. Si c’est légiféré, c’est ainsi que ça doit se produire, alors éclairez-moi.

La sénatrice Pate : Bien sûr. Quand les articles 81 et 84 ont été instaurés, l’un des problèmes était que les communautés autochtones n’en avaient pas été informées, de sorte qu’il n’y avait pratiquement pas de demandes.

Mme Brown Ramsay : C’est exact.

La sénatrice Pate : À ma connaissance, et je crois que vous le confirmez, les communautés noires, transgenres et de nombreuses autres n’ont pas été informées que le droit secondaire en vertu du paragraphe 81(1) correspond au paragraphe 81(2) et que, malgré cela, il peut s’appliquer à d’autres groupes et à des prisonniers non autochtones.

Mme Brown Ramsay : Exactement.

La sénatrice Pate : Je m’étonne qu’il n’y ait pas eu de sensibilisation de la part des groupes autochtones, non autochtones, noirs, transgenres ou d’autres groupes comme les groupes de santé mentale qui pourraient profiter de l’application de ces dispositions à l’heure actuelle.

Je vous ai demandé si vous le saviez. Je suppose, d’après votre réponse, que vous ne le saviez pas. En fait, les services correctionnels ont créé des politiques qui ont rendu ces dispositions plus restrictives que ce qui était prévu dans la loi. Nous avons entendu des témoins nous parler de l’intention du projet de loi.

Mme Brown Ramsay : C’est exact.

La sénatrice Pate : Je vous incite à encourager les collectivités à présenter une demande. Je ne viens pas de votre collectivité, mais si je pouvais avoir l’audace de dire que si Kim Pate est de votre collectivité et qu’elle se trouve dans l’Établissement Grand Valley et que vous voulez que je sois dans votre collectivité, vous pourriez écrire au ministre de la Sécurité publique pour lui dire ceci : « Nous aimerions que Kim Pate soit dans la collectivité en vertu d’un accord conformément à l’article 81. C’est le soutien que nous sommes prêts à fournir. Discutons maintenant de la façon dont nous finançons cela. » C’est possible maintenant.

Mme Brown Ramsay : C’est bon à savoir.

La sénatrice Pate : On n’en parle pas aux gens.

Mme Brown Ramsay : C’est juste.

La sénatrice Pate : En avez-vous été informée? J’imagine que je connais votre réponse.

Mme Brown Ramsay : J’ai lu à ce sujet, mais j’ai cru comprendre qu’il n’était pas invoqué. Nous avons également constaté que parfois, quand on demande certaines choses, il n’y a tout simplement pas de suivi. Je retiens ce que vous dites. Je l’ai écrit. Je vais en parler à notre comité et m’informer à ce sujet.

La sénatrice Pate : Il se peut qu’on vous dise non. Ensuite, je vous encourage à communiquer avec notre bureau parce qu’il y a un certain nombre d’avocats prêts à faire la contestation constitutionnelle qui sera sans aucun doute fructueuse.

Mme Brown Ramsay : Eh bien, regardez donc cela. Merci.

La sénatrice Pate : Pas dans mon rôle de sénatrice. Seulement pour conseiller et aider.

M. LaRose : Si vous me le permettez, j’aimerais revenir sur une réponse parce qu’elle porte sur le fondement des défis. Une loi sur les droits civils, le Civil Rights Act, a été adoptée et pourtant, il a fallu des années avant même qu’elle ne commence à être appliquée pour qu’elle devienne efficace en regard de l’intention qu’elle visait.

Dans la même veine, et je suis d’accord avec Sophia ici, je n’étais moi non plus même pas au courant de cet article. Étant donné que les Noirs n’ont pas une catégorie de personnes qui leur est propre et qui est vraiment reconnue ou appréciée, nous entrons dans des catégories comme celles des gens de couleur, des minorités visibles et de toute une gamme d’autres noms et les Noirs sont toujours au bas de la liste, peu importe qui est inclus.

C’est d’une importance capitale dans le système carcéral. Lors de mes visites d’établissement, je constate régulièrement que les Noirs ou les détenus noirs, parfois les plus nombreux, n’ont pas droit à des choses comme des produits ou des activités culturels. Il n’y a pas de ressources pour les aider dans leur expérience de l’incarcération. Il est impératif d’intervenir dans le système carcéral pour veiller à ce que les détenus noirs soient reconnus comme tels, parce que dans les collectivités ethnoraciales, il y a des Noirs qui ne veulent pas s’identifier comme étant noirs et qu’on appelle de diverses façons.

Quand une loi comme la Loi contre le racisme de l’Ontario est adoptée et qu’elle comporte des dispositions visant les Noirs, est-ce que les Noirs en profitent? Il y a tous ces gens qui profitent de l’argent pour enseigner aux Noirs comment se comporter en Noirs. Avec le temps, tout cela a fini par constituer des problèmes fondamentaux. Je l’ai constaté à maintes reprises depuis mon arrivée ici, il y a 53 ans. Nous pouvons certes adopter la loi, mais il faut aller au-delà de l’intention et de l’esprit des textes.

Pour donner suite à ce que vous avez dit, nous devons prendre du recul et essayer de vous soumettre quelque chose qui pourrait éventuellement permettre de cerner certains de ces défis. Ce sont les ressources. Elles sont rares, d’après ce qu’on nous dit. Le système carcéral dit ne pas avoir les fonds et les ressources. Quand les autorités font appel à des gens de l’extérieur, elles veulent des gens comme moi. Je connais des personnes qui répondent à l’appel et offrent divers services dont les détenus ont besoin. Ils se font dire qu’il est impossible de payer leur transport, leurs repas ou que sais-je? Comment est-ce possible? Nous y allons gratuitement. Nous parcourons au moins une centaine de kilomètres pour offrir quelque chose aux détenus afin qu’ils restent connectés à la collectivité à laquelle ils appartiennent. C’est le plus gros problème. Ils sont tout à fait isolés de la collectivité locale et ne peuvent communiquer avec elle. C’est la famille qui se déplace et quand l’établissement ferme, elle doit retourner à la maison.

Comment se réadaptent-ils et intègrent-ils la collectivité de nouveau? C’est tout un processus. Mise à part la prévention, c’est ce dont nous parlons, les méthodes et systèmes d’éducation qui les préparent à l’incarcération que vous devez changer. Nous devons aussi modifier la façon dont ils vivent leur incarcération.

La sénatrice Pate : J’ai un commentaire et non une question. Ces dispositions permettraient à de nombreux groupes, lorsqu’ils commenceront à faire valoir leur point de vue dans ce domaine, d’essayer d’abord de changer et d’améliorer ce qui se passe à l’intérieur. Les décisions stratégiques de ne pas financer ne sont que cela, des décisions stratégiques.

Maintenant que vous avez en main l’information nécessaire, j’aimerais que vous envisagiez la possibilité de réfléchir à la façon de prendre la décision stratégique, celle d’encourager les collectivités à ne pas aller dans les prisons uniquement pour offrir des services. Je ne dis pas que vous devez abandonner les gens; je dis plutôt que vous devez présenter une demande pour obtenir les ressources nécessaires à leur épanouissement dans la collectivité et le genre de soutien et de services que vous voulez dans votre collectivité.

Ce sont des décisions stratégiques. Des fonds sont disponibles, Vous avez tout à fait raison, mais le financement doit être déclenché par ces processus. Si vous avez des recommandations à faire sur le genre de services que vous pourriez offrir, j’aimerais, en tant que membre du comité, que vous les présentiez. Quelles initiatives pourriez-vous mettre de l’avant dans votre collectivité pour faire sortir certains de ces prisonniers et les rendre responsables dans la collectivité et contribuer à celle-ci en même temps?

Mme Brown Ramsay : Splendide.

La sénatrice Ataullahjan : Pour ma part, c’est davantage une observation. J’ai raté la majeure partie des témoignages.

Comme j’ai deux jeunes enfants, j’ai été très impliquée dans le système scolaire. J’ai eu l’impression que nous devions également éduquer les éducateurs. Parfois, comme je fais partie d’une minorité visible, j’allais dans les salles de classe et je constatais que certains enfants étaient isolés. Mes deux filles sont passées par le système scolaire. Je les ai suivies pendant environ 16 ans et j’ai pu constater le changement chez les enfants.

Un autre grand pas que nous pouvons franchir, c’est de nous assurer que les éducateurs savent comment traiter tout le monde. Vous savez comment sont les enfants maintenant. Ma fille arrivait à la maison et disait : « Nous avons un nouvel élève dans la classe. » Je lui disais alors : « De quelle origine ethnique est-il? » Elle répondait : « Oh, attends un instant, il faut que j’y pense. » J’aimerais cela si tout le monde pouvait dire : « Laissez-moi y penser. »

Je voulais tout simplement réagir à cet aspect. Il doit se produire un gros changement dans nos systèmes scolaires.

Mme Brown Ramsay : J’ai une bonne nouvelle pour vous. Le conseil scolaire du district de Peel, avec le rapport We Rise, fait précisément cela. Il forme les enseignants et les administrateurs. Étant donné qu’il s’agit principalement de jeunes Noirs, il leur enseigne des histoires liées aux Noirs et comment examiner le fait historique social qui touche les Noirs. Tout cela se fait à l’école. Comme cela vient tout juste de commencer, je ne peux pas vraiment vous donner d’exemples de la façon dont cela se fait en ce moment ni aucun résultat, mais je suis tout simplement heureuse que l’on ait commencé ce processus. Peel essaie.

La sénatrice Ataullahjan : Qu’en est-il pour le reste de la région du Grand Toronto?

M. LaRose : Comme vous le savez, Peel est secondaire au conseil scolaire du district de Toronto. C’est là que réside le problème. Les enseignants sont principalement de race blanche, bien entendu, présentant une sensibilité et une orientation culturelles différentes ainsi qu’un point de vue historique différent. Cela nous ramène à leurs familles, leur histoire, leurs traditions et leurs rapports avec les Noirs. Il est très difficile pour eux de vraiment pouvoir comprendre que les Noirs font partie du spectre social, sur un pied d’égalité. C’est un problème fondamental.

Ce processus éducatif doit être pratiquement de l’endoctrinement. Je me souviens du moment où Chris Spence est devenu le premier directeur du conseil scolaire. Il a réuni les enseignants de partout, des milliers d’entre eux, et nous avons discuté de la question de la race. Les enseignants à ma table, les enseignants Noirs compris, disaient : « La race est un concept social. Ce n’est pas vraiment un problème, n’est-ce pas? » Il s’agit d’un défi pour les enfants Noirs qui ont littéralement validé leur identité en fonction du degré de blancheur qui doit être acceptable. C’est réel et c’est vrai.

Mes enfants sont nés ici. L’aîné aurait eu 53 ans s’il était vivant. Ma fille vient tout récemment d’avoir 52 ans. Ils sont passés à travers tout le système éducatif et les défis sont les mêmes. Les Noirs sont dans notre pays depuis longtemps, mais on ne tient pas compte de nous. Il y a de nouveaux migrants qui sont ici et qui sont mieux considérés que les Noirs. On les traite différemment. On les traite mieux. Nous devons toujours nous battre pour obtenir une place.

Nous devons trouver une façon non seulement de légiférer dans ce domaine, mais aussi de nous assurer que cela fait partie intégrante du tissu de ce que signifient les sensibilités culturelles et la fierté nationale. Je suis au Canada depuis 53 ans et j’ai été très loyal. J’ai été très productif. J’ai dirigé de nombreuses entreprises. J’ai connu énormément de succès. Je consacre 72 heures par semaine, chaque semaine sans faute, à offrir un service gratuit dans la collectivité et ce, depuis les 25 dernières années.

Ce que je dis, c’est que nous avons fait nos contributions respectivement, mais nous voulons voir autant de respect que d’acceptabilité. Je pense que les peuples autochtones font exactement ce qu’il faut. Ils réaffirment leur identité et leur place. Les Noirs doivent pouvoir le faire au sein des systèmes éducatifs, que ce soit à l’université, au collège, dans les écoles primaires ou ailleurs. Tant que cela ne se produira pas, nous allons en parler au cours des 20 prochaines années de la même façon. Après tout, nous sommes au XXIe siècle et voyez ce dont nous discutons aujourd’hui. C’est la même chose. Rien n’a changé, ou si peu.

La présidente : Y a-t-il d’autres questions?

La sénatrice Cordy : Monsieur LaRose, vous avez parlé à quelques reprises de la famille noire, et nous généralisons ici, qui était éclatée et dans laquelle il n’y a pas de père de sexe masculin. Vous avez aussi parlé de la fierté. Comment faisons-nous pour établir la fierté de la culture noire?

M. LaRose : Sénatrice, je suis heureux que vous me posiez cette question. C’est facile en réalité. Nous devons avoir des incitatifs dans les assemblées législatives partout dans le monde. Lorsque je vivais en Angleterre, c’était la même chose. Si vous vouliez plus d’enfants, vous donniez des incitatifs à même le système budgétaire afin de créer la motivation dans les familles ou chez les gens. Nous n’encourageons pas la vie familiale ici. Quant à moi, nous faisons des expériences avec toutes sortes de familles et la famille traditionnelle a disparu. La mère, le père, les enfants, les grands-parents, la famille élargie, voilà la famille. Lorsque vous n’avez pas cela, vous êtes face à de réels défis pour élever des enfants.

J’ai beaucoup voyagé dans le monde. Je vois ces familles et elles sont très intactes. Tous les membres de la famille s’aiment. Ils se donnent mutuellement une thérapie au sein de la famille. Ici, nous appelons cela de la psychothérapie, mais c’est de la thérapie sociale, du conditionnement social. Nous devons ramener tout cela.

J’ai lancé les prix de la réussite familiale en remettant des prix aux familles qui restaient ensemble. Je n’ai obtenu aucun soutien gouvernemental. J’ai dû trouver l’argent pour le faire. Lorsque vous posez ces gestes, en particulier dans le cas de la famille noire, ce n’est pas intéressant pour les autres sensibilités. Si vous vérifiez toutes les familles respectives, qu’il s’agisse principalement de familles hindoues, sikhes, musulmanes, arabes ou italiennes, ou peu importe la famille, ces familles sont relativement intactes. Je dis que dans le cas de la famille noire, cet aspect a été brisé depuis des centaines d’années, depuis l’esclavage, lorsque le maître pouvait venir, prendre votre femme et vous n’aviez pas un mot à dire.

Cet héritage se poursuit alors que les hommes de race noire sont retirés de leurs foyers. On ne les encourage pas à y être. Il n’y a aucun incitatif. Il y a une culture autour de cela maintenant dans laquelle on parle de bébé père plutôt que de père, mais l’homme de race noire vit à l’extérieur de sa structure familiale. Lorsque je suis arrivé ici, ce n’était pas ainsi. Nous venions comme familles intégrées. Lorsque je suis venu, je suis venu avec mon épouse. Nous avions nos enfants et nous étions ensemble.

Il est vraiment important que nous remettions ces responsabilités aux familles et aux parents, et non pas aux travailleurs de l’aide à l’enfance. J’ai travaillé en santé mentale pendant au moins 53 ans comme infirmier psychiatrique. J’ai occupé de nombreux emplois, dont celui-là. J’ai travaillé jusqu’à ce que je prenne ma retraite. J’ai tout vu en fait de foyers brisés. Je représente un grand nombre de ces familles aux bureaux de l’aide sociale, aux bureaux des services sociaux et auprès des directeurs des Sociétés d’aide à l’enfance. Nous obtenons la même réponse négative, mais c’est un véritable problème.

Lorsque vous brisez la famille, vous enlevez ces enfants. C’est toujours au sujet de la sécurité des enfants, mais qui s’en soucie le plus? La société ou la famille? Nous devons réintroduire des mesures incitatives dans les familles de sorte que la mère et le père restent ensemble, que les époux et les épouses soient ensemble et les enfants peuvent avoir une parentalité qui fait fond sur la force et la capacité en eux. Ils peuvent apprendre de ce modèle à faire de même alors que nous perpétuons les fonctions sociales de façon responsable.

On n’aurait plus besoin de prisons au rythme auquel nous les construisons. Nous construisons beaucoup de prisons et nous y investissons beaucoup d’argent. Quant à moi, ils pourraient remettre cet argent à l'organisation Jane-Finch, que je représente, dont sont issus un grand nombre de nos prisonniers victimes. Ils sont victimisés par la société, bien honnêtement. Voilà mon humble opinion.

Je l’ai vu et c’est là que je travaille sans cesse depuis une cinquantaine d’années auprès des familles démunies. Qu’il s’agisse de la police, du système de justice, du processus de détermination de la peine, des conditions de libération sous caution qui les gardent en prison plus longtemps que d’autres ou de l’expulsion qui les renvoie dans des pays où ils ne connaissent personne, tous les Noirs sont chassés, même après avoir vécu ici pendant 20, 30 ou 40 ans. Je ne pense pas que ces choses envoient la bonne sorte de messages symboliques et de messages réels. Nous devons revenir à ce que nous faisions auparavant et à nous occuper de chaque membre de notre société avec le même niveau de respect et de validation.

La présidente : Vous nous avez donné de bons sujets de réflexion ce soir dans le cadre de notre étude. Vous avez dit très clairement que la reconnaissance de la place des Noirs au Canada est un premier pas important. La déclaration dans laquelle vous dites que les prisonniers de race noire avec lesquels vous avez travaillé au fil des ans ont été victimisés par la société est probablement une déclaration très profonde et nous vous avons entendu.

Merci beaucoup d’être venus. Je vous invite à rester et à vous joindre au public présent. S’il reste du temps à la fin, nous pourrions peut-être ramener tous les témoins.

Nous accueillons notre deuxième groupe de témoins ce soir, de Community Justice Initiatives, Chris Cowie, directeur général, et de l’Association canadienne des Sociétés Elizabeth Fry, Savannah Gentile, directrice, Mobilisation et affaires juridiques.

Nous vous laisserons présenter chacun votre exposé, puis nous passerons aux questions.

Chris Cowie, directeur général, Community Justice Initiatives : Je ne savais pas exactement comment commencer à parler des choses dont je voulais vous entretenir. Premièrement, je tiens à vous remercier de me donner l’occasion de vous en parler. Le travail que nous faisons chez Community Justice Initiatives, une grande partie des autres choses dont je m’occupe et une partie de l’enseignement que je fais me mettent au cœur d’un grand nombre des problèmes que l’on retrouve dans nos prisons qui m’ont chicoté, qui me dérangent. Je sais que nous pouvons faire nettement mieux dans notre système de justice à cet égard. Ces choses me tiennent vraiment à cœur.

Je vais me concentrer principalement sur la question de réinsertion et vous dire pourquoi la réinsertion est tellement importante. Je commence par une conversation au sujet de certaines choses dont nous n’aimons vraiment pas parler. La première prison au Canada a été inaugurée en 1835 et c’était le pénitencier de Kingston. Ce n’est que plusieurs années plus tard qu’il a été adopté par le système fédéral et est devenu la pièce maîtresse de notre système correctionnel fédéral.

À cette époque, la politique établie était claire. La raison d’être de notre prison était d’accueillir des gens qui avaient fait des choses manifestement mauvaises que nous n’aimions pas et qu’il fallait ces gens dans nos collectivités en meilleur état qu’à leur arrivée. Notre système carcéral ne l’a jamais fait.

En 1930, nous avons eu la première commission royale sur les prisons et c’est précisément ce qui a été déterminé à ce moment-là. Non seulement retournions-nous les personnes dans un état pire, nous les retournions dans un état nettement pire. Ce rapport a produit toutes sortes de renseignements sur la façon dont nous devrions modifier notre système pour qu’il passe d’une approche plus rétributive à une approche plus axée sur la réadaptation.

Ces idées n’ont pas suscité d’intérêt avant la fin des années 1940. Même lorsque le système a commencé à changer en quelque chose qu’il appelait plus axé sur la réadaptation, malheureusement nous ne semblions pas avoir les mêmes résultats que ceux auxquels nous nous attendions, ou à ceux que nous voulions vraiment. Nous avons donc continué à faire beaucoup de tort. Je pense que notre système actuel fait exactement la même chose.

L’un de nos programmes chez Community Justice Initiatives est une initiative à laquelle nous participons depuis au moins 20 ans à l’Établissement Grand Valley, le programme STRIDE. Il y a plusieurs années, j’ai amené l’une de nos clientes dans l’une de mes classes pour prendre le thé, parce qu’elle avait une histoire passablement intéressante. Elle avait été incarcérée pendant un certain temps dans une prison au Panama et, par un éventail de circonstances, elle s’est retrouvée à l’Établissement Grand Valley au Canada. Elle a passé à peu près le même temps dans leur système carcéral que dans le nôtre. Dans le cadre de son exposé, elle a montré des photos de l’intérieur de la prison où elle avait été incarcérée au Panama. Les conditions étaient absolument horribles : mauvaise nourriture, je veux dire que tout était mauvais. De petits rideaux pendaient entre de petites zones où de multiples femmes devaient dormir et vivre ensemble. On ne peut pas imaginer pires conditions. L’endroit était nettement sous-financé. Pour l’ensemble, le personnel avait fait l’objet de plus ou moins de vérifications.

C’était très intéressant lorsqu’elle a parlé de son expérience dans notre milieu, ici. Je sais que vous entendrez dire à quel point les conditions ici sont encore problématiques. En comparaison, les conditions ici sont nettement meilleures. Il suffit d’une photo de l’intérieur du bâtiment pour vous montrer combien c’est propre, combien on s’occupe des gens et qu’ils prennent des repas réguliers. Personne n’est privé de nourriture et personne ne compte sur les membres de la famille pour apporter de la nourriture.

Puis, elle a dit quelque chose de vraiment stupéfiant devant ma classe. À l’intérieur de cette prison au Panama, la façon dont les prisonnières entretenaient des rapports était fonctionnelle. En fait, elles s’entendaient. Elles prenaient soin les unes des autres. Il existait une ambiance de sollicitude. Il n’y avait pas de programmes précis de réadaptation, mais leurs rapports les ont amenées à un endroit qui les a préparées effectivement à vivre avec le genre de rapports que nous supposons que les gens voudront avoir lorsqu’ils seront libérés dans la collectivité.

Lorsqu’elle est arrivée dans notre prison, ce n’était pas le cas. Cela corrobore beaucoup de ce que j’ai vu et entendu depuis de nombreuses années. Nous mettons les gens dans un environnement dans lequel il est impossible de négocier des rapports de la façon que nous voulons en fait qu’ils soient négociés. L’une des conditions préalables des gens qui se retrouvent en prison, l’une des choses qui touchent souvent ces personnes qui se retrouvent dans le milieu criminel et qui sont incarcérées dans nos prisons, c’est qu’elles ont de la difficulté à négocier des rapports dans leur vie. Nous venons d’entendre tout ce qui s’est dit au sujet de la race et de la façon dont nous voulons effacer certaines distinctions. Les valeurs canadiennes essaient de nous amener à reconnaître que nous sommes tous égaux, mais nous mettons ces gens dans un milieu où, à moins que vous ne soyez prêt à vivre en fonction de ces distinctions raciales, vous allez souffrir.

Nous renforçons le type même de stéréotypes que nous voulons faire disparaître. Ensuite, un certain jour magique lorsque ces gens sortent de prison, nous supposons qu’ils trouveront le moyen de négocier correctement des rapports, parce qu’ils ont appris leur leçon. C’est un climat de violence et de crainte et de toutes ces sortes de choses. Nous leur enlevons toute capacité d’accepter la responsabilité pour une multitude de leurs activités quotidiennes.

En fait, dans notre prison pour femmes, environ 78 p. 100 d’entre elles étaient au chômage au moment de leur arrivée dans l’établissement. Cela m’en dit beaucoup au sujet des aptitudes à l’emploi. Je ne parle pas des aptitudes de base dont vous avez besoin pour pouvoir faire fonctionner une caisse enregistreuse ou vous occuper du service à la clientèle. Habituellement, les choses qui empêchent les gens d’être chroniquement employés, c’est de ne pas pouvoir s’aider au bon moment, de ne pas utiliser leur argent de façon responsable, de ne pas pouvoir se tirer du lit et d’aller trouver un emploi au bon moment.

Ces choses sont difficiles. Nous les plaçons dans un milieu où nous avons maintenant tendance à créer une forme de dépendance, mais lorsque ces gens quittent, nous nous attendons à ce qu’ils soient responsables. Nous créons un système qui exige absolument des mesures de soutien pour que les gens puissent réintégrer la société, parce que nous leur avons enlevé leur capacité de fonctionner de façon normale, de la façon que nous voulons qu’ils fonctionnent dans nos collectivités, de sorte que nous avons besoin de ce genre de programmes de réinsertion sociale comme celui que nous offrons.

J’aimerais dire quelques mots au sujet du programme STRIDE. Nous parlons d’un programme où nous faisons appel à plus de 50 bénévoles. Nous desservons 260 femmes de façon régulière et notre programme est très unique, en ce sens que le travail que nous faisons commence à la prison, mais ce sont les mêmes personnes qui deviennent le cercle de soutien de ces femmes pendant leur réinsertion sociale. Ce cercle de soutien devient leur principal réseau de soutien au moment où elles réintègrent effectivement la collectivité. Il s’agit de programmes à l’égard desquels nous devons nous battre et tout faire pour chaque sou que nous avons. J’ai entendu à de très nombreuses reprises que le mandat de Sécurité publique prend fin dès que les gens franchissent la porte.

S’il y a une chose que je peux dire plus clairement que n’importe quoi d’autre, le mandat de Sécurité publique doit être élargi de façon à inclure la réinsertion. Si nous nous soucions vraiment de ces gens et si nous voulons qu’ils vivent en toute sécurité dans la collectivité et si nous nous soucions de la collectivité dans laquelle ils vivront, alors ce mandat doit être élargi. Il est également important que les programmes de réinsertion soient fondés sur la collectivité et axés sur la collectivité, et non pas un programme universel d’un océan à l’autre.

Nous devons tirer parti de l’énergie que nous trouvons dans chaque collectivité. Il y a toujours des organisations et des groupes de personnes qui se soucient vraiment de ces gens. Nous n’avons aucune difficulté à recruter des bénévoles pour faire ce bon travail et pour vraiment appuyer ces femmes. Je pourrais vous lire de nombreux témoignages de femmes qui vous diront que cela constitue un élément absolument essentiel de leur vie dorénavant.

Les derniers fonds que nous avons reçus prendront fin en 2019. Nous avons déployé tous les efforts possibles pour essayer de trouver le prochain endroit. C’est une lutte sans relâche. Le financement des 20 dernières années est venu de différents endroits, de bien des gens, et cetera. Ces programmes doivent absolument être soutenus de cette façon et, une fois de plus, doivent l’être dans la collectivité.

Savannah Gentile, directrice, Mobilisation et affaires juridiques, Association canadienne des Sociétés Elizabeth Fry : L’ACSEF est un organisme dirigé par des bénévoles qui compte 24 sociétés membres réparties dans tout le pays qui offrent des services et des programmes directs aux filles et femmes criminalisées. Nous comptons également des représentantes régionales qui se rendent dans les prisons fédérales pour femmes afin d’observer les conditions de détention et aider les femmes dans leurs efforts de défense des droits, qu’il s’agisse de la rédaction de griefs ou de lettres de suivi à la haute direction du SCC. Tout notre travail est soutenu et éclairé par les expériences de femmes purgeant une peine fédérale ou criminalisées de façon générale.

Les femmes forment la population carcérale qui connaît la plus forte croissance au pays. C’est particulièrement vrai pour les femmes autochtones et les femmes racialisées. Dès qu’une femme entre dans notre système carcéral, elle fait face à une couche supplémentaire de discrimination. C’est sous la forme du système de classement du SCC.

Ce système est discriminatoire. Le rapport du vérificateur général déposé le 29 novembre 2016 en faisait état. SCC utilise un outil de classement initial créé il y a plus de 25 ans pour les hommes blancs. Il a également été validé sur une population d’hommes blancs. Kelly Blanchette a fait savoir que cet outil n’a jamais été validé pour les femmes. Ce fait a également été signalé à l’égard de plusieurs autres systèmes. Ce n’est pas nouveau. Il en avait été question en 2003. La Commission canadienne des droits de la personne a publié un rapport dans lequel elle indiquait que le système de classement du SCC est discriminatoire pour les motifs de sexe, de race, de statut autochtone et d’incapacité. Cela a aussi été confirmé dans la récente contestation devant la Cour suprême, Ewert c. Canada, et le Bureau de l’enquêteur correctionnel le mentionne depuis de nombreuses années.

Dès que les femmes sont classées, cela aura une incidence sur toutes les étapes de leur cheminement dans le système correctionnel. Cela aura une incidence sur l’endroit où elles se retrouveront dans le système carcéral. En ce qui concerne les placements dans des unités à sécurité maximale ou en isolement, nous savons, par exemple, que les femmes autochtones sont considérablement surreprésentées dans les placements dans des unités à sécurité maximale et en isolement. Leur placement dans un établissement à sécurité maximale signifie qu’elles auront moins accès aux programmes et services culturellement adaptés auxquels elles ont droit en vertu de la loi.

Dans sa récente décision sur l’isolement, la Cour supérieure de la Colombie-Britannique a parlé des conditions et des préjudices permanents qui peuvent découler de l’isolement cellulaire. J’aimerais vous parler brièvement de la sécurité maximale et d’élargir cette fenêtre à la sécurité maximale. La réalité pour les femmes incarcérées dans des établissements à sécurité maximale, c’est que leur accès à des programmes, à des services et à un emploi valorisant est également limité.

Le jugement mentionnait des préjudices permanents que subissent les femmes en isolement solitaire lorsqu’elles tentent de s’adapter à la population générale ou dans la collectivité dans son ensemble après avoir été placées en isolement cellulaire. Je tiens à vous dire que les femmes dans les établissements à sécurité maximale subissent également ce préjudice permanent. Je suis personnellement au courant d’un certain nombre de cas de femmes libérées d’un établissement à sécurité maximale et transférées dans la population générale, pour ensuite être renvoyées de nouveau dans l’unité à sécurité maximale, parfois d’abord dans le cadre d’un placement en isolement en raison de problèmes qu’elles ont eus à s’adapter à la population générale et des mesures de stimulation qui en découlent.

Les femmes dans une unité à sécurité maximale sont également assujetties à un autre système de classement illégal connu sous le nom de système de niveaux, c’est-à-dire 1, 2 ou 3. Ce système est propre aux femmes puisqu’il n’existe pas dans le système des hommes. Le Bureau de l’enquêteur correctionnel vient d’ailleurs d’en faire rapport cette année.

Plusieurs outils ont été intégrés dans notre loi et visaient à régler le problème de surreprésentation, mais ces outils sont gravement sous-utilisés et sous-financés. Par exemple, l’article 81 de la LSCMLC permet aux collectivités de parrainer des détenus autochtones pour qu’ils purgent leur peine dans la collectivité. À l’heure, il y a deux pavillons pour les femmes. L’un est axé sur le SCC et l’autre, sur la collectivité. Il existe un énorme écart de financement entre les pavillons de ressourcement du SCC et les options communautaires en vertu de l’article 81. En fait, la loi n’exige pas la création d’un pavillon de ressourcement ou d’un établissement pour permettre aux détenues autochtones de purger leur peine dans la collectivité. En fait, ce qu’il faut, ce sont des options communautaires personnalisées.

Cependant, on ne dispose pas de suffisamment d’information sur ces options. Les collectivités ne sont pas au courant ou, lorsqu’elles le sont, elles ne sont pas en mesure d’y participer, parce que SCC exige que les structures soient liées à un pavillon de ressourcement et à un établissement. Cela crée plusieurs obstacles aux collectivités autochtones et empêche les options personnalisées de se concrétiser.

Il y a aussi l’article 29 de la LSCMLC qui permet à SCC de libérer des femmes détenues dans les établissements psychiatriques ou médico-légaux dans des collectivités lorsqu’il y a des problèmes de santé mentale. À l’heure actuelle, l’approche la plus courante du SCC en ce qui concerne les femmes ayant des problèmes de santé mentale consiste à les placer en isolement dans une cellule d’observation ou à les assujettir à une surveillance de la santé mentale. Cela signifie essentiellement que ces femmes, qui sont à risque d’automutilation, seront placées dans des cellules d’isolement. Cependant, SCC dit que l’isolement est une situation et non un endroit. Moi, je vous dis que c’est les deux, une situation et un endroit.

Le fait de mettre des femmes dans une cellule d’isolement et de dire qu’il s’agit d’une surveillance de la santé mentale ne change rien aux conditions que ces femmes vivent. En fait, cette situation peut être très préjudiciable. Elle peut augmenter le risque d’automutilation et augmenter le comportement combatif pour lequel les femmes sont punies et elles peuvent faire l’objet d’accusations d’infractions disciplinaires ou d’accusations extérieures à la suite de comportements motivés par ces conditions de détention punitives très restrictives.

Les problèmes courants dans les prisons pour femmes au Canada ne sont pas nouveaux pour nous. Le système de classement est connu. L’outil qu’ils utilisent date de plus de 25 ans. Il a fait l’objet de rapports à de nombreuses reprises et de nombreuses façons. À plusieurs reprises, SCC a résisté aux recommandations, depuis le rapport Arbour jusqu’à l’enquête sur la mort d’Ashley Smith.

Cette résistance au changement est révélatrice d’un besoin de surveillance judiciaire et de la nécessité d’éliminer toutes les formes d’isolement dans les prisons. Cela vaut aussi pour les unités à sécurité maximale pour les femmes. À cet égard, SCC a la réputation d’omettre ou de refuser de mettre en œuvre les recommandations ou encore de s’ajuster en conséquence. Sans cette surveillance, rien ne changera. On s’est engagé à plusieurs reprises envers une réforme des prisons. En réalité, cela ne fait que marginaliser les conditions.

Lorsque vous entrerez dans la prison Grand Valley demain, elle sera propre. J’y étais aujourd’hui. Deux femmes nettoyaient. Elles se lèveront tôt demain matin pour nettoyer. Cela paraît bien. Cela a l’air beau. Vous verrez des maisons. Cependant, la réalité est tout autre. Ce qu’il est vraiment important de garder à l’esprit, c’est la dynamique créée par cet environnement punitif et restrictif.

Ce que M. Cowie a mentionné aujourd’hui au sujet de la prison au Panama est un reflet de ce que j’entends constamment des femmes qui sont emprisonnées depuis des années, depuis l’époque de la prison pour femmes de Kingston. Les femmes qui étaient incarcérées à la prison pour femmes de Kingston me disent tout le temps qu’elles s’en ennuient, parce qu’elles avaient au moins des rapports sur lesquels elles pouvaient s’appuyer.

L’environnement créé par les établissements régionaux, les prisons régionales pour femmes, est combatif. Les femmes se retournent les unes contre les autres. L’environnement impose aux femmes des obligations qu’elles ne devraient pas avoir. Elles ne sont pas censées se surveiller mutuellement du fait qu’elles représentent leurs maisons. Elles ne sont pas censées faire cela. Honnêtement, cela les place dans de très mauvaises situations et crée énormément d’hostilité et de problèmes. Il y a des écarts considérables dans la sécurité dynamique qui empêchent de régler les problèmes créés.

Je vous encourage à étudier le rapport de Moira A. Law. L’une de ses principales recommandations était que toutes les femmes commencent au niveau de sécurité minimale. L’idée consistait à leur donner quelque chose à perdre. Les femmes sont loin de représenter un risque pour la sécurité. En fait, la majorité des femmes incarcérées ont commis des infractions non violentes liées à la pauvreté ou aux biens. Elles ne représentent aucun risque pour la collectivité et elles sont, même selon les outils du SCC, classées en grande partie comme telles.

Les femmes qui sont placées dans des établissements à sécurité maximale et en isolement sont celles dont les besoins sont les plus grands et les plus complexes. Ces établissements, à sécurité maximale et en isolement, sont les plus mal équipés pour traiter de ces besoins complexes. Ils ne disposent pas de l’infrastructure nécessaire. Ils n’ont pas les outils. En fait, le système de niveaux empêche les femmes de quitter l’unité à sécurité maximale pour aller dans le reste de la prison pour des soins de santé, des programmes, de l’éducation ou du travail.

Sans surveillance judiciaire des décisions relatives aux placements en isolement de détenues autochtones, SCC continuera d’adopter le même comportement qu’il a toujours eu. Les femmes continueront d’être victimes de discrimination. En fait, les politiques du SCC sont restrictives. Elles créent des restrictions. L’article 81 ne donne pas en grande partie de résultats, parce que la moitié des détenues autochtones se trouvent dans une unité à sécurité maximale. Quelque 90 p. 100 des femmes autochtones ne se qualifient pas pour les pavillons de ressourcement, en raison de leurs cotes de sécurité, résultat d’un système discriminatoire que SCC connaît depuis des décennies, mais qu’il n’a pas réussi à changer.

La sénatrice Ataullahjan : Vous avez dit que vous étiez à la prison où nous nous rendrons demain et qu’on était en train de la nettoyer.

Quelles sont les questions importantes que nous devrions poser à ces femmes? Aux fins du compte rendu, que pourrions-nous obtenir d’elles? Quelles seraient ces questions importantes?

Mme Gentile : C’est particulier lorsque vous entrez, ce que j’ai appris comme représentante régionale. Je vais dans des prisons pour femmes depuis près de deux ans maintenant. Les femmes ne soulèveront pas de grandes questions, parce qu’elles les considèrent comme un élément normal de la structure de l’établissement. Les femmes ont tendance à accepter et à ne pas se battre pour plus de droits ou de meilleures conditions.

Je vais vous donner un exemple. À l’EGV, les fouilles corporelles sont obligatoires après toutes les permissions de sortir avec escorte ou les placements à l’extérieur. Cela signifie que lorsqu’une femme sort pour une visite, pour un placement à l’extérieur ou pour aller à l’église et revient à la prison, elle fera l’objet d’une fouille à nu. Au début, les femmes disaient que les fouilles à nu obligatoires étaient un problème, parce qu’en vertu de la loi, elles sont aléatoires. Dans son plan de recherche, l’EGV a limité cette question davantage en rendant les fouilles obligatoires. Les femmes ont vraiment dit qu’il s’agissait d’un problème, mais au fil du temps, elles ont cessé de le dire. Elles ont accepté que cela faisait partie de la réalité d’être criminalisées. Elles ont accepté que cela faisait partie de leur punition. C’est problématique, étant donné que la majorité des femmes incarcérées ont des antécédents de violence physique et sexuelle. C’est une continuation de leurs traumatismes.

Elles n’en parleront pas. Elles soulèveront des problèmes minimes, des choses qu’elles pensent pouvoir changer. Elles soulèveront des questions concernant la nourriture et les conditions de leurs unités résidentielles. Parfois, il faut poser beaucoup de questions pour parvenir aux véritables problèmes de conditions de détention, des fouilles à nu et des fouilles de leurs unités. Il faut aussi un certain degré de confiance.

La sénatrice Ataullahjan : Nous sommes là pour un temps limité. Nous n’aurons pas le temps de bâtir cette confiance. Nous n’aurons peut-être même pas le temps de poser des questions de façon à pouvoir aller au fond des choses.

Quelles questions pouvons-nous poser? Une, deux ou trois questions. Vous dites qu’elles acceptent ces choses. Étant des femmes, elles sont traitées différemment. Les femmes ont tendance à accepter ce qui se passe et à ne pas perturber quoi que ce soit. Les choses changent, mais il semble que ces femmes, en raison des circonstances qu’elles ont vécues auparavant, aient été brisées et aient poursuivi dans la même voie. Comment pouvons-nous changer cela?

Mme Gentile : Vous devez leur donner la permission de poser une question différente et de leur offrir plus d’options. Elles ne sont pas tenues d’accepter que la fouille à nu soit la chose à faire. Alors, comment pouvons-nous limiter cela? Comment les protégeons-nous? Vous devez aller jusqu’à la possibilité que peut-être, en raison de ce traumatisme, les femmes ne devraient pas faire l’objet de fouilles à nu. Ouvrez les possibilités de ce qui est possible pour elles et elles répondront aux questions de façon plus ouverte.

La sénatrice Ataullahjan : Aimeriez-vous répondre, monsieur Cowie? Selon vous, quelles sont les compétences les plus importantes pour les aider à réintégrer la société?

M. Cowie : Premièrement, pour corroborer certains des propos de Mme Gentile, je suis d’accord. Si vous allez dans un milieu carcéral comme celui-là et que vous demandez simplement ce qu’il faut changer, vous obtiendrez en général une réponse plutôt superficielle.

La sénatrice Ataullahjan : Exactement.

M. Cowie : En fait, le milieu est conçu pour être sécuritaire. Elles doivent se sentir en sécurité de cette façon. Si vous avez une conversation très ouverte sur ce qu’elles ont fait au cours de la dernière semaine, vous pourrez aller beaucoup plus loin. Si vous rencontrez une détenue qui s’est rendue dans l’unité à sécurité maximale ou si vous avez une détenue qui a obtenu un placement à l’extérieur, demandez-leur ce qui se passe lorsqu’elles reviennent. Alors, vous pouvez leur demander comment elles se sentent et si cela se produit chaque fois. C’est à ce moment-là que les gens commencent à s’ouvrir, mais ce n’est pas une histoire de poser trois questions et d’obtenir une réponse. Cela ne fonctionnera pas vraiment de cette façon.

Notre expérience du programme des cercles de soutien et de responsabilité, c’est que les bénévoles apprennent à les connaître lorsqu’elles sont en isolement et qu’elles sont en mesure de parler comme cela. C’est à ce moment-là que les choses commencent à sortir. La plupart ont tendance à sortir après leur libération et leur réinsertion sociale. C’est à ce moment-là que le cercle devient si important, étant donné qu’elles parlent de la totalité de leur incarcération.

C’est un peu difficile de parler d’une compétence. C’est une constellation de compétences qui a trait à la compréhension des normes sociales de l’extérieur. Voilà ce dont je parle. La capacité d’interagir avec d’autres d’une façon significative s’atténue lentement au fil du temps. Le fait est que la plupart des personnes qui vont en prison ont de toute façon des lacunes à cet égard. Elles ont vécu des choses comme un traumatisme et toutes sortes d’autres choses qui font qu’il est difficile d’avoir ces relations. Le milieu carcéral exacerbe cela.

La façon de le faire n’est pas de s’asseoir dans une salle de classe et d’enseigner comment établir une relation. Il s’agit en fait d’établir des relations fonctionnelles, utiles et significatives avec les femmes. Il est également logique que bon nombre des relations dans lesquelles les femmes se retrouvent en prison n’étaient probablement pas très saines au départ.

L’un des avantages du programme STRIDE, c’est que les bénévoles qui se rendent dans les prisons et commencent à établir des liens et à bien les connaître sont elles-mêmes des femmes stables qui se soucient des choses. Elles peuvent en réalité modéliser ce que c’est d’avoir ce genre de relation significative. Voilà pourquoi ces relations deviennent incroyablement importantes une fois qu’elles sont réinsérées dans la société.

L’un des avantages du programme STRIDE, c’est que la relation commence et prend racine pendant qu’elles sont à l’intérieur de l’établissement, mais que lorsqu’elles sont libérées, cette relation les suit dans la collectivité. C’est là le véritable pouvoir. Il ne s’agit pas d’enseigner la compétence. C’est une question de vivre ainsi. Ces compétences ne sont pas parfaites et les détenues finissent par savoir comment établir des relations avec les autres. Elles sont même en mesure de réparer certaines des autres relations endommagées qu’elles ont sans doute.

La sénatrice Cordy : C’est très intéressant.

Monsieur Cowie, la fiche d’information que vous nous avez remise parle de la vulnérabilité des femmes avant qu’elles n’arrivent en prison. Quelque 86 p. 100 d’entre elles ont été victimes de violence physique, 68 p. 100 ont été victimes de violence sexuelle, 79 p. 100 n’ont pas de diplôme d’études secondaires, 78 p. 100 étaient sans emploi à leur arrivée en prison et 66 p. 100 sont des mères qui ont de la difficulté à être séparées de leurs enfants.

Vous avez dit tout à l’heure que la plupart d’entre elles ne vivaient probablement pas des relations très saines à leur arrivée. Elles se retrouvent dans un système qui favorise la combativité, la violence et la peur. Il est passablement difficile d’établir ce que nous qualifierions de relations normales avec d’autres êtres humains.

Vous avez parlé de modélisation. Cela fonctionnerait, mais l’une des choses que vous avez mentionnées dans votre exposé et qui me frappent le plus, c’est l’absence d’argent dans le système pour la réinsertion sociale. J’ai oublié de quelle façon vous l’avez formulée. Cela doit inclure la réinsertion au plan financier.

Que devrions-nous avoir? Le système ne fournit certainement pas les compétences nécessaires à la réinsertion.

M. Cowie : Non. Je pourrais nommer des programmes conçus expressément pour aider ces gens dans la plupart des communautés.

Si j’insiste sur la communauté, c’est qu’il est important qu’on y trouve des liens organiques dans une certaine mesure. Nous pouvons reproduire notre programme STRIDE. Il y a des éléments non négociables. Nous pourrions mettre en œuvre ce programme dans n’importe quelle prison. Nous pourrions recruter des bénévoles et faire certaines choses exactement de la même façon. Une agence communautaire disposée à refléter une partie du caractère unique de ce programme serait appelée à le gérer. À Winnipeg, un autre organisme a mis sur pied un programme STRIDE s’adressant exclusivement à une communauté autochtone. Évidemment, les rouages du programme STRIDE sont là, mais l’organisme en question l’a adapté en fonction de ses besoins et de façon unique.

Il s’agit, là aussi, d’un autre organisme qui a du mal à trouver du financement. Il sous-paie les gens. Il doit parfois suspendre le programme parce qu’il ne parvient pas à trouver de financement provisoire auprès d’une autre association communautaire. Ce genre de programme requiert un financement stable.

Au cours des dernières années, on a mis l’accent non seulement sur le terme sécurité publique, mais on a aussi multiplié les propos alarmistes, à savoir que les détenus doivent rester en prison pour assurer la sécurité de nos collectivités. Bien sûr, nous reconnaissons à quel point ces propos sont ridicules et superficiels parce que notre système prévoit que tous les détenus reviendront dans la collectivité. La probabilité d’une récidive est très élevée lorsqu’ils sont rapatriés dans la communauté, tandis qu’ils sont désavantagés. À mon avis, dire que la sécurité publique est bien servie sans financer la réinsertion sociale n’a aucun sens. Nous risquons ainsi de faire beaucoup de tort et nous devrions cibler l’aide là où elle est vraiment nécessaire, afin que les gens puissent bien s’intégrer.

La sénatrice Cordy : Je comprends ce que vous dites quant aux propos alarmistes, puisque je siège au Parlement depuis quelques années. Quand on est contre les peines minimales obligatoires, que j’ai dénoncées parce que je crois qu’elles ne fonctionnent pas, on se fait accuser d’être laxiste à l’égard de la criminalité.

M. Cowie : Oui.

La sénatrice Cordy : C’est comme l’étiquetage.

M. Cowie : Cela soulève un autre point. En réalité, l’une des conséquences des peines minimales obligatoires est qu’elles éliminent toute incitation à faire quoi que ce soit lorsqu’on est incarcéré. Je ne ferai pas l’éloge de plusieurs des programmes offerts aux détenus, étant donné qu’ils sont plutôt inefficaces, à mon avis; toutefois, ils servent à encourager les détenus à participer et à accepter certaines responsabilités. Ceux qui déménageaient autrefois dans des maisons de transition acceptaient sans réserve les programmes offerts dans la collectivité.

À notre avis, les personnes libérées après un long séjour en prison qui n’ont pas participé à ces programmes ou été encouragées à faire quoi que ce soit ont peut-être besoin d’aide pour contrer leur propension à commettre des délits sexuels ou régler un problème de dépendance ou toute autre chose. Elles n’ont rien appris d’utile. En fait, cette approche représente un risque énorme pour la sécurité publique.

La sénatrice Cordy : Dans le cas des femmes incarcérées qui sont particulièrement vulnérables, je crois qu’il faudrait accorder la priorité à l’amélioration de leur estime de soi.

M. Cowie : Oui. Permettez-moi de souligner autre chose qui est particulier aux femmes incarcérées. Les détenus qui ont une famille, comme c’est souvent le cas — et peu importe de quelle famille il s’agit, peu importe si celle-ci laisse à désirer — peuvent compter sur elle. Après sa libération, un homme peut se retrouver dans une situation peu reluisante. Il doit s’occuper de toutes les choses qui lui sont arrivées et composer avec son handicap relationnel. Cependant, sa famille est toujours là et il peut la réintégrer.

Toutefois, dans le cas d’une femme, tout cela éclate. Les enfants sont souvent éparpillés. Les frères et les sœurs sont parfois séparés; l’un est placé chez sa grand-mère, l’autre chez sa tante ou son oncle. Ils sont parfois confiés aux services d’aide à l’enfance. Et tout homme avec qui elle pouvait avoir une relation a probablement déguerpi. D’autres facteurs sont liés à l’éclatement de la famille.

Quand elle est libérée, la femme doit trouver un logement qui doit être jugé acceptable par les services d’aide à l’enfance, si elle désire avoir la garde de ses enfants. Sa capacité à établir des relations est dorénavant réduite, tout comme l’est sa capacité à naviguer dans le système et de communiquer avec des personnes susceptibles de l’aider à trouver ce dont elle a besoin pour se remettre sur pied.

Dans une telle situation, on imagine facilement que deux ou trois femmes bénévoles, solides, qui connaissent cette ancienne détenue depuis un an ou deux et qui lui sont profondément attachées, peuvent lui venir en aide. Encore une fois, il ne s’agit pas d’un service offert par une employée rémunérée, mais par une amie. Il se noue une véritable amitié et il s’instaure une relation d’aide. Au fur et à mesure qu’elle s’en sort, en ramassant tous les morceaux de sa vie, quelque chose de significatif se produit.

Je pourrais vous lire toute une série de témoignages de femmes ayant participé à ce processus et qui en confirment l’importance. Soit dit en passant, cette approche a été étudiée. Elle a fait l’objet de recherches assez rigoureuses à l’Université de Waterloo qui a conçu un outil d’évaluation à cette fin. Le capital social des gens et leur capacité à bien gérer leurs relations s’en trouvent améliorés. Tous les résultats que nous espérions ont été confirmés.

La sénatrice Pate : Si vous me le permettez, j’aimerais apporter certaines précisions. Je suis étonnée par le fait que plusieurs de nos témoins confondent la loi et les décisions stratégiques. Ces témoins nous en ont encore donné un exemple.

Or, il est faux de dire que le mandat du Service correctionnel exclut la réinsertion. La loi le prévoit, mais les décisions relatives aux politiques et au financement ont créé la situation dont vous avez parlé.

Je reprends certains points saillants. Je ne vais pas tout passer en revue parce que je désire aussi poser une question. Mme Gentile a mentionné que l’article 81 exige que les détenus ne soient pas placés en sécurité maximale. Ce n’est pas exact. La loi et son objet prévoyaient que cela serait accessible à tous, peu importe la classification de sécurité. L’article 77 et l’article 80 pour les détenus autochtones visaient à reconnaître la nécessité de mettre l’accent sur ces options pour les groupes sous-représentés, notamment dans le cas des femmes. Comme nous l’a dit le groupe de témoins précédent, des choses semblables sont censées être accessibles aux autres groupes ethnoculturels et certainement aux prisonniers noirs.

Je suis également étonnée que l’une des réalités dont parlait M. Cowie n’ait peut-être pas fait l’objet de discussions auparavant. Certains des documents d’information que nous avons confirment que le Groupe de travail sur les femmes purgeant une peine fédérale avait recommandé des options communautaires lors du dépôt de son rapport en 1990. Tous les programmes maintenant offerts dans les prisons étaient censés être offerts dans la collectivité. Seuls les détenus qui ne pouvaient pas réintégrer la communauté en raison de leur peine étaient censés participer à des programmes dans la communauté et celle-ci était censée se prévaloir de ces programmes. Comme M. Cowie l’a dit, la plupart de ces services sont maintenant offerts à l’interne.

J’aimerais vous poser une question à tous les deux. Vous avez parlé de combativité, de violence et de peur dans les prisons. Je vais vous poser une question à cet égard. Si vous pensez que j’ai tort, je corrigerai le tir. Si je me fie à mon expérience, au cours des 20 dernières années, on a eu tendance à dire que tous les détenus, notamment les femmes et les détenus appartenant à des groupes ethniques minoritaires sont devenus plus combatifs et plus violents.

J’aimerais avoir vos commentaires à ce sujet. En fait, nous avons observé une diminution des interactions positives entre le personnel et les détenus, ainsi qu’un surpeuplement et une réduction des programmes offerts. Nous savons que les gens, les êtres humains, les détenus et les autres, s’effondrent quand ils perdent espoir. L’enquête sur le cas d’Ashley Smith nous a bien renseignés sur ce phénomène. Les gens se blessent et se sentent de plus en plus désespérés. Ensuite, la tension augmente s’ils se sentent toujours désespérés et constatent ou apprennent qu’un autre détenu a obtenu un avantage qu’on ne leur donne pas.

À l’expérience, je dirais que c’est davantage ce qu’on a pu observer. On présente ces situations comme des résultats finals au lieu de les mettre en contexte en soulignant qu’il s’agit d’un phénomène qui est apparu au fil du temps. Je dirais qu’il est peu probable que vous ayez observé un tel environnement lors de votre première visite de l’Établissement Grand Valley pour femmes. Si je me trompe, j’aimerais que vous me corrigiez aux fins du compte rendu.

Pouvez-vous nous parler un peu des changements qui ont eu lieu? Nous avons observé un phénomène de surpopulation croissante, une augmentation de l’absentéisme du personnel, des mesures de sécurité moins dynamiques et plus statiques au sein de l’établissement et une plus grande tension entre les employés. Nous savons que cela se produit, mais aucun d’entre vous n’en a parlé. Je suis simplement curieuse d’avoir votre avis à cet égard.

Madame Gentile, vous avez notamment décrit l’isolement préventif comme étant un statut plutôt qu’un lieu. Vous pourriez peut-être nous décrire ce que nous devons nous attendre à voir lors de notre visite de la prison, étant donné que les unités à sécurité maximale pour les femmes au pays sont des unités isolées. La plupart des Canadiens et aucun des sénateurs ici présents n’ont connaissance de ce milieu, alors pouvez-vous nous expliquer comment les détenues sont isolées? Quels privilèges refuse-t-on aux femmes placées dans des installations à sécurité maximale auxquels elles auraient accès si elles faisaient partie de la population générale, c’est-à-dire, si elles n’étaient pas en isolement?

Mme Gentile : Les cellules d’isolement et à sécurité maximale se trouvent toutes dans la même unité sécurisée. Elles sont séparées de la population générale par des portes sécurisées. On y entre comme dans un bloc cellulaire. Les zones à sécurité maximale, comme on les appelle, sont comme des blocs cellulaires. Ces unités comprennent des cellules différentes et peut-être un grand couloir dans lequel il y a un canapé, un téléviseur, un réfrigérateur et un évier. Il y a aussi une douche, mais elle est verrouillée.

L’accès y est très restreint. Ces unités peuvent héberger jusqu’à cinq ou six femmes, parfois plus en régime de double occupation. Nous avons vu plus de femmes confinées à des cellules minuscules 24 heures par jour ou 23 heures par jour si on leur donne accès à la cour.

Sénatrice Pate, j’aimerais revenir sur ce que vous avez dit au sujet du comportement combatif des femmes. Quand j’en ai parlé, je voulais absolument dire que c’était en raison de leurs conditions de détention. On constate, surtout dans le cas de la sécurité maximale, que les interventions axées sur la sécurité aggravent le comportement des femmes lorsque leurs conditions de détention leur causent de la détresse. Cela pourrait être le résultat de la situation dont M. Cowie a parlé. Les femmes ont tendance à être les principales dispensatrices de soins. Leur incarcération les sépare de leurs enfants qui sont souvent placés sous la garde de l’État. Cela peut causer beaucoup d’anxiété pour les femmes et exacerber leur détresse.

La sénatrice Pate : Lorsque la présidente de l’Association canadienne des Sociétés Elizabeth Fry, Diana Majury, a comparu devant le comité, elle a parlé d’un projet pilote présenté au Service correctionnel dans le but de collaborer avec les équipes régionales de défense dont vous avez parlé pour sortir toutes les femmes de l’isolement. Le Service correctionnel y a-t-il donné suite?

Mme Gentile : Non. Nous sommes toujours ouverts au projet pilote relativement à l’isolement préventif. Nous aimerions bien collaborer avec le SCC pour sortir toutes les femmes de l’isolement préventif.

La sénatrice Pate : Y compris les femmes détenues en sécurité maximale?

Mme Gentile : Y compris les femmes détenues en sécurité maximale, absolument.

M. Cowie : Il est très difficile de vous donner une réponse quant aux origines de ce comportement. J’ai commencé ma carrière dans le système des jeunes contrevenants et j’ai géré des établissements de détention pour eux. J’ai été très surpris de voir que, dans les établissements de 25 lits, où il y avait des garçons de 14, 15 ou 16 ans, les jeunes avaient une façon de parler et qu’ils s’étaient donné une allure. Ils se comportaient comme s’ils étaient dans un établissement pour adultes. Ils s’attendaient à ce que tous se comportent comme eux. Tous devaient adopter le même langage et le même code, même dans le cas de ces jeunes.

Cela l’explique en partie. On s’attend à ce que tous agissent d’une certaine façon, peu importe si cela ne leur plaît pas. Même si vous n’avez pas de propension naturelle à agir d’une certaine façon, on s’attend à ce que vous vous conformiez. C’est comme essayer de prendre une poignée d’eau. Quelles sont les origines de ce comportement? Par où commencer pour démêler les choses?

Notre expérience de la prison pour femmes est fascinante. Nous nous rendons habituellement avec 20 ou 25 bénévoles aux soirées organisées dans le cadre du programme STRIDE. Nous nous retrouvons dans un endroit avec plus de 100 participantes, et parfois beaucoup plus. En règle générale, aucun employé n’est présent. Ils s’éclipsent, étant donné qu’aucun incident n’est survenu en 20 ans. Quand les femmes commencent à intervenir, personne ne les remet à leur place, ne leur dit que les règles sont différentes ou qu’elles doivent agir d’une certaine façon. Les soirées STRIDE ne leur impose pas une manière de s’exprimer. Elles suivent leurs propres règles et elles en sont conscientes.

Elles peuvent même affirmer qu’elles se comportent différemment entre elles en raison de notre présence et du fait que nous sommes de vraies personnes. Nous leur faisons rencontrer des membres de la collectivité. C’est comme une soirée communautaire et nous interagissons différemment. Toutefois, lorsque nous quittons la prison, et que les choses retournent à la normale, les mêmes tensions ont tendance à revenir. Il est difficile de comprendre l’origine exacte de ce comportement, mais il fait partie intégrante de ce milieu. Cela nous confirme que l’environnement en est la cause.

Vous avez parlé de violence. Quand la surpopulation entre en ligne de compte, la tension se manifeste. Quand quelque chose se produit en prison et a une répercussion sur les détenus, nous le savons. Le milieu devient plus tendu et violent.

Dans les prisons pour hommes, il existe un plus grand nombre de comportements typiques. On s’attend à ce que le nouveau détenu soit fort, qu’il se batte contre celui qu’il doit mettre à sa place, qu’il respecte les lignes de fractures raciales qui ont été créées. Ce genre de code ne fait que se perpétuer. Il n’y a jamais eu de véritables efforts pour changer les choses. Ces codes sont très réels. Nous n’aimons pas en parler. Il y a un code du détenu et un code de l’agent correctionnel. On maintient un environnement de tensions et de violence perpétuelles.

La présidente : J’ai quelques questions.

Madame Gentile, dans votre témoignage, vous avez dit avoir entendu, au fil des ans, certaines femmes affirmer qu’elles préféraient l’ancien établissement de Kingston. Pouvez-vous nous éclairer un peu plus quant à ce que disent les femmes à ce sujet? Qu’est-ce que cet établissement leur offrait de plus que les prisons régionales où elles se trouvent maintenant?

Mme Gentile : Il était notamment question de relations. Les femmes parlent de solidarité féminine. Du moins, elles se trouvaient dans le même bateau. Un certain nombre de facteurs ont compliqué les choses et il serait vraiment difficile de les étoffer, mais il s’agit en partie de la dynamique créée par l’afflux de femmes dans les prisons.

Comme je l’ai dit plus tôt, les femmes représentent une des populations carcérales qui croit le plus rapidement. Cela complique les choses. Il existe un surpeuplement et une approche visant à diviser pour régner. Nous entendons dire constamment que certains employés divulgueront des renseignements confidentiels à une femme dans le but d’ébranler ou de créer des tensions entre les femmes dans une unité résidentielle donnée.

Il s’agit simplement de préférer une unité par rapport à une autre. Cela se fait de plusieurs façons. Je ne peux pas toutes les identifier, mais je peux vous dire qu’il s’agit d’un thème récurrent parmi les problèmes que les femmes incarcérées rapportent à nos défenseurs régionaux. L’approche qui consiste à diviser pour régner a fait en sorte que les femmes ne collaborent plus. L’un des plus grands problèmes que nous devons résoudre, en fait, est la présence de défenseurs régionaux. Comment surmonter ce problème et réunir les femmes pour qu’elles défendent leurs droits de façon uniforme?

La sénatrice Pate : La prison pour femmes est maintenant fermée, mais d’après mon expérience, je présume que certaines des femmes que nous rencontrerons demain y ont été détenues. Je crois que ce serait une excellente question à leur poser. D’après mon expérience, elles disent habituellement qu’elles n’étaient pas placées en isolement et qu’il n’y avait pas d’unités à sécurité maximale comme celles que nous avons maintenant. Les détenues pouvaient se rendre visite. Elles étaient peut-être séparées, étant donné qu’elles vivaient dans l’une des deux ou trois unités résidentielles, mais elles pouvaient se regrouper et s’entraider. L’établissement n’était pas aussi surpeuplé. Elles ont eu accès à des programmes de formation et à des études universitaires pendant un certain temps, jusqu’à ce qu’on y mette fin. À certains égards, elles avaient en fait de meilleurs contacts avec la collectivité, étant donné qu’un plus grand nombre de groupes communautaires venaient leur offrir du soutien, y compris la Black Inmates and Friends Assembly, qui s’y rendait fréquemment. Il serait intéressant d’examiner cela.

J’aimerais savoir si nous allons passer au groupe suivant. Je ne suis pas sûre.

La présidente : Nous en avons un autre.

La sénatrice Pate : Je voulais poser une question au groupe des témoins précédents pour savoir s’ils étaient au courant de l’affaire Hugo.

La présidente : Peut-être aurons-nous du temps à la fin.

La présidente : Je crois que nous allons nous arrêter ici. Merci à vous deux de vos témoignages ce soir. Nous vous en sommes reconnaissants. Et nous vous invitons à rester parmi nous.

Accueillons maintenant Halina Haag, doctorante à la faculté de travail social de l’Université Wilfrid Laurier et chercheuse à l’Acquired Brain Injury Research Lab de l’Université de Toronto.

Halina (Lin) Haag, doctorante à la faculté de travail social, Université Wilfrid Laurier et chercheuse à l’Acquired Brain Injury Research Lab, Université de Toronto, à titre personnel : Merci de m’avoir invitée à venir ce soir discuter avec vous de ce que j’estime être un problème très important et largement négligé.

Il y a un moyen facile de se rappeler comment prononcer mon nom : pensez à la crème glacée Häagen-Dazs. Mais il n’y a malheureusement aucun lien de parenté. Mme Angela Colantonio et moi avons collaboré pendant environ cinq ans à l’Université de Toronto. Notre spécialité est l’étude des traumatismes crâniens dans les populations vulnérables, et c’est pourquoi je suis ici aujourd’hui.

Les traumatismes crâniens intéressent beaucoup les médias en ce moment, mais généralement en lien avec les activités sportives, les accidents de la route et ce genre de chose. Les populations vulnérables sont souvent passées sous silence, et pourtant on estime que ce sera la principale cause de décès et d’invalidité dans le monde d’ici 2020. Catherine Latimer, directrice générale de la Société John Howard, a déclaré que c’est la question négligée par excellence en criminologie et en politique correctionnelle.

Il m’a semblé que je pourrais être utile en vous donnant un peu d’information sur les traumatismes crâniens et sur les raisons pour lesquelles ils sont liés à la discussion de ce soir, après quoi je répondrai à vos questions.

Les traumatismes crâniens sont une sous-catégorie des lésions cérébrales acquises, c’est-à-dire, au sens strict, des lésions non génétiques. C’est quelque chose d’acquis après la naissance. Il s’agit d’une altération de la fonction cérébrale ou de toute autre manifestation d’une pathologie cérébrale provoquée par une force externe. Une lésion cérébrale non traumatique pourrait être due à des raisons médicales, comme le manque d’oxygène, la noyade ou un accident vasculaire. Une lésion cérébrale acquise non traumatique peut être causée par toutes sortes de circonstances.

C’est, à l’échelle globale, une cause de décès et d’invalidité importante. C’est en fait plus courant que le cancer du sein, le VIH/sida, les lésions de la moelle épinière et la sclérose en plaques réunis, et pourtant on n’en parle pas souvent. Les causes principales en sont les chutes, les accidents de la route et le fait d’être frappé par un objet ou une personne. Le traumatisme peut être léger, modéré ou grave. Ces catégories renvoient en réalité au mécanisme de la lésion et non à ses conséquences.

On observe un flottement du vocabulaire ces jours-ci autour du terme « commotion ». Je tiens à préciser que toute commotion est une forme de traumatisme crânien modéré, mais que tous les traumatismes crâniens modérés ne sont pas des commotions. C’est plus fréquent chez les adolescents et les jeunes adultes que chez les adultes plus âgés, notamment parmi les femmes, et la raison en est que, bien souvent, les femmes vivent plus longtemps et sont plus susceptibles de tomber pour toutes sortes de raisons. Cela peut arriver à absolument n’importe qui n’importe quand.

Parmi les principales répercussions d’un traumatisme crânien, signalons des difficultés cognitives, des problèmes d’attention et de mémoire, une diminution de l’aptitude à former de bons jugements, des problèmes de communication et de la difficulté à traiter l’information et à accomplir plusieurs tâches en même temps.

On observe également d’importantes répercussions sur le plan émotif, de sorte que l’instabilité et l’impulsivité sont des états très courants. La dépression est très courante parmi les victimes de traumatismes crâniens. On observe aussi des troubles du sommeil, aussi bien du côté du rythme que de la quantité de sommeil. Cela a aussi un effet sur l’aptitude au travail. On enregistre un fort taux de chômage et de sous-emploi parmi les victimes. Et cela a des répercussions importantes sur les membres de la famille et sur les aidants naturels.

En fait, M. Cowie, du groupe précédent, a fait une remarque intéressante tout à l’heure au sujet de la structure familiale, qui demeure intacte pour les hommes incarcérés, mais pas pour les femmes dans la même situation. J’ai constaté qu’il en va de même lorsqu’il y a un traumatisme crânien. Il y a beaucoup plus de divorces parmi les victimes de traumatismes crâniens que dans le reste de la population, et les chiffres augmentent vertigineusement du côté des femmes. Les femmes restent avec leur homme, mais les hommes quittent leur femme. C’est aussi simple que cela. Il est intéressant que le témoin ait fait remarquer que c’est le même problème en prison.

Le traumatisme crânien est un handicap invisible. Il est très rare qu’on puisse regarder quelqu’un et savoir que c’est de cela qu’il souffre, et ce même si la personne nous en parle et nous fait comprendre que cela fait partie de son problème. C’est un état très stigmatisé socialement, surtout quand il se conjugue à une difficulté de l’ordre de la santé mentale ou du comportement. Cela peut durer toute une vie et être considéré comme un état chronique. Cela touche une population hétérogène, et nous savons notamment qu’il n’y a pas deux cas semblables. Ce peut être un déclencheur d’autres maladies, par exemple la maladie d’Alzheimer et l’épilepsie. Il est beaucoup question en ce moment d’encéphalopathie traumatique chronique dans les médias. Il y a, à long terme, un élément dégénératif dans cet état.

Nous savons que les traumatismes crâniens touchent toutes sortes de gens dans la population générale. On s’attendrait à ce que la proportion soit de l’ordre de 2 p. 100 ou moins, mais, dans quatre groupes vulnérables particuliers, la proportion est nettement supérieure. Les femmes exposées à la violence familiale, les itinérants, les consommateurs de drogues, la clientèle des services de psychiatrie judiciaire et les détenus affichent des taux de plus de 50 p. 100.

Il est important de comprendre que ces catégories ne sont pas souvent distinctes, mais qu’elles se chevauchent et se croisent fréquemment. Un itinérant peut aussi avoir eu affaire au système de justice pénale. Une femme victime de violence familiale peut aussi se retrouver en prison. Ces éléments ont souvent un impact et peuvent interagir.

Plus précisément, nous savons que, dans les populations criminalisées, les traumatismes crâniens sont plus fréquents parmi les hommes que parmi les hommes, ce qui ne nous surprend pas. C’est vrai également dans la population générale. De manière significative, on constate généralement que 70 p. 100 des victimes de traumatisme crânien sont des hommes et 30 p. 100, des femmes.

La majorité des membres de nos échantillons de détenus avaient été victimes de traumatisme crânien avant leur première infraction. C’est probablement l’élément d’information le plus important que je puisse vous donner, à savoir que les gens sont victimes de traumatisme crânien avant de s’adonner à des activités criminelles. C’est à ce stade que l’on peut intervenir et modifier la trajectoire. Selon leurs déclarations, environ 95 p. 100 des femmes détenues avaient des problèmes neurologiques préalables à la perpétration du crime.

Si on revient à la très brève liste que je vous ai donnée sur les types de répercussions à prévoir, je tiens à les inscrire dans le contexte de l’incarcération pour que vous puissiez comprendre de quoi il retourne et en quoi cela vous concerne.

Du point de vue du déficit d’attention, l’intéressé pourrait avoir de la difficulté à se concentrer sur sa tâche ou à respecter des consignes. Du point de vue du déficit de mémoire, il pourrait avoir de la difficulté à comprendre ou à se rappeler des règles ou des consignes. Du point de vue du contrôle des impulsions, il pourrait avoir des comportements négatifs découlant de son traumatisme plutôt que de commettre délibérément des actes agressifs ou violents. Il est très possible que le personnel qui l’interroge se méprenne. Les comportements jugés problématiques ou délibérément provocateurs pourraient seulement découler de problèmes cérébraux. La réinsertion communautaire est de plus en plus difficile. J’ai beaucoup réfléchi à ce dont M. Cowie a parlé, et cela correspond vraiment au genre de choses dont nous nous préoccupons aussi dans cette population.

Nous avons fait quelques études précisément sur cette population. J’aimerais vous parler de ce que nous avons constaté. Nous avons pris connaissance des résultats d’une autre étude sur les populations criminalisées. Nous avons cherché des renseignements sur les antécédents de traumatisme crânien et avons constaté que 43 p. 100 des 234 participants avaient été victimes de traumatisme crânien. Là encore, nos résultats ont corroboré l’information existante. C’était effectivement plus fréquent chez les hommes que chez les femmes.

Nous avons également examiné les expériences négatives précoces et les corrélations éventuelles que nous pourrions y trouver. Nous avons remarqué que les corrélations à cet égard sont plus fréquentes parmi les femmes que les hommes, aussi bien parmi les victimes de traumatisme crânien que parmi les autres participants à l’étude. Mais, en règle générale, la corrélation est beaucoup plus fréquente parmi les victimes de traumatisme crânien.

L’âge moyen du premier traumatisme crânien est de 19,6 ans chez les hommes et de 21,9 ans chez les femmes parmi les détenus. Environ 55 p. 100 des femmes auraient été victimes de traumatisme crânien avant leur premier crime, comparativement à 41 p. 100 des hommes. Une grande partie des victimes de traumatisme crânien ont eu leur accident avant de s’engager dans des activités criminelles.

La présidente : Est-ce que je peux vous poser une question très brève?

Mme Haag : Je vous en prie.

La présidente : Peut-on avoir une ventilation des 234 participants en fonction du sexe à cet égard, s’il vous plaît?

Mme Haag : Certainement, mais pas tout de suite. Je n’ai pas l’information en main. J’ai dû choisir ce dont je parlerais en l’espace de sept minutes. Mais je pourrai vous faire parvenir ces renseignements si vous le désirez.

La présidente : Je vous remercie.

Mme Haag : Nous avons constaté, une fois de plus, que les femmes victimes de traumatisme crânien avaient été également victimes de violence à des taux très supérieurs aux autres participants, hommes et femmes, qui n’avaient pas été victimes de traumatisme crânien, et l’on parle ici de violence physique et sexuelle, de violence due à la consommation d’alcool dans la famille, de violence due à la consommation de drogue dans la famille et du fait d’avoir été témoin de violence familiale. Il semble y avoir une corrélation qui mériterait d’être examinée de plus près.

Compte tenu de tout cela, quelles mesures pourrais-je vous recommander? Je me disais que c’était tout aussi important ce soir. Nous estimons qu’il est important de sensibiliser le personnel correctionnel. Nous avons commencé de notre propre chef à les aider à identifier les personnes le plus à risque et à se familiariser avec les pratiques de soutien exemplaires. Une évaluation professionnelle en fonction du traumatisme crânien, des programmes de réadaptation et des programmes d’aide aux personnes dépendant de l’alcool et de la drogue seraient utiles, tout comme l’acheminement vers divers organismes d’aide voués aux personnes victimes de traumatisme crânien. Nous comprenons bien que ce n’est une spécialité de Corrections Canada. Et nous ne disons pas que ce devrait être de son ressort. Mais les détenus devraient pouvoir obtenir des services ailleurs.

La question du dépistage est souvent soulevée. Il existe des moyens de dépistage. Certains d’entre eux ont été mis à l’essai dans cette population et se sont révélés fiables et utiles. Le moyen le plus connu en l’occurrence est le modèle de l’Université de l’Ohio. Ce qui le rend, entre autres, très valable est qu’il n’est pas nécessaire qu’il soit appliqué par un spécialiste des traumatismes crâniens. N’importe qui peut s’en charger. Il s’agit d’une série de cinq questions. Si l’on coche suffisamment de cases, on atteint un seuil de probabilité. Une fois le seuil atteint, on peut acheminer l’intéressé vers un endroit où il sera possible de faire un diagnostic plus précis et offrir de l’aide.

Dans plus d’une population vulnérable se pose, entre autres, la question de savoir si le dépistage est utile aux intéressés eux-mêmes si nous ne pouvons pas leur offrir d’aide suffisante. À quoi bon diagnostiquer ou du moins déterminer une probabilité quand on ne peut pas aider correctement les intéressés?

C’est encore plus vrai des femmes que des hommes au sens où il existe de nombreuses façons d’utiliser le diagnostic de traumatisme crânien contre elles, notamment quand elles sont déjà vulnérables. Nous sommes en train d’examiner cette question, en particulier dans le contexte de la violence familiale. Si des partenaires peuvent faire valoir cette information contre elles dans le cadre du système de justice pénale ou de justice familiale, on peut vraiment se demander si le système de dépistage les aide ou leur fait du tort.

Il faut également se demander s’il faut modifier la perspective de façon plus large. On peut bien espérer que le système correctionnel évolue et s’adapte, mais je crois que la question est plus vaste. Il faut se pencher sur le système de justice proprement dit, sur le corps judiciaire et sur la représentation juridique. Il serait très utile de mieux comprendre les répercussions des traumatismes crâniens et leur rôle dans la vie des intéressés. Je m’interroge, par exemple, sur l’inclusion de renseignements précis à l’intention des tribunaux en santé mentale.

Cela va au-delà de ce que nous avons déjà fait et m’amène, en fait, à ma conclusion. Je serai heureuse de répondre à vos questions. Je ne voulais pas vous submerger de données et de statistiques. Je pense que vous pourrez ainsi mieux circonscrire ce que je peux vous apporter.

Il est important que vous sachiez que je peux vous parler des traumatismes crâniens du point de vue de mon travail de chercheuse universitaire et d’éducatrice, mais aussi du point de vue de l’expérience vécue. J’ai eu un traumatisme crânien il y a 15 ans. Je ne m’en cache pas, car c’est l’occasion pour les gens qui ne savent pas ce que c’est de poser des questions. Vous pouvez me poser des questions sur ce que j’ai appris dans le cadre de mon travail universitaire aussi bien que du point de vue de mon expérience personnelle, et je ferai de mon mieux pour vous répondre.

La présidente : Merci beaucoup de votre témoignage.

Mme Haag : Je vous en prie.

La sénatrice Pate : En dehors des données ventilées en fonction du sexe que la sénatrice Bernard vous a demandé de produire, avez-vous examiné la corrélation éventuelle entre les femmes victimes de traumatisme crânien et leurs antécédents judiciaires ainsi que leurs antécédents de victimes de violence? Nous savons que les chiffres sont très élevés, notamment parmi les femmes autochtones.

Avez-vous examiné la possibilité d’une corrélation entre leurs antécédents judiciaires pour infraction violente, qui est souvent une réaction à la violence qu’elles subissent, leur expérience de la violence et le traumatisme crânien?

À cet égard, avez-vous des choses à nous dire, s’il y a lieu, sur la capacité de ces femmes à effectivement nourrir une intention criminelle? Vous nous avez donné toute une liste de répercussions éventuelles du point de vue de l’impulsivité, du processus décisionnel, de la planification et du respect des règles. Compte tenu de tout cela, il se pose des questions semblables. Je songe à l’intention criminelle et je me demande si vous avez abordé cette question et envisagé la possibilité d’une corrélation entre ces éléments et s’il a été question des recours qui existent actuellement dans la réglementation correctionnelle.

L’article 29 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition permet le transfert de détenus dans des établissements de santé ou d’autres, mais notamment dans des établissements de santé. C’est là qu’ils devraient être. Le cas le plus évident est celui d’une crise cardiaque ou d’une maladie quelconque. Il est certainement loisible aux établissements correctionnels d’utiliser cette disposition pour procéder à des transferts pour des raisons de santé mentale et pour des cas de traumatisme crânien. De quelles sortes de ressources aurait-on besoin pour offrir cette possibilité aux personnes actuellement incarcérées afin qu’elles obtiennent des soins?

Cela fait beaucoup de questions. Je crois que j’ai couvert ma deuxième série aussi.

Mme Haag : Et ce sera votre premier apprentissage : ne posez pas autant de questions en même temps à quelqu’un qui a eu un traumatisme crânien, parce que cette personne n’a aucune chance de se rappeler la première.

La sénatrice Pate : Bonne remarque.

Mme Haag : Cela dit, durant ces quinze années, j’ai appris à prendre des notes rapides, et je pense que je vais pouvoir vous répondre. Veuillez simplement me rappeler à l’ordre si je ne réponds pas clairement à vos questions.

Concernant la corrélation au type de crime, j’ai une diapositive ici. J’en ai une série de 54 au total. J’ai dû en choisir 15, mais je ne voulais pas vous submerger de chiffres. Je pourrai aussi vous fournir ces renseignements.

Nous avons des données stratifiées en fonction du sexe, donc pour les femmes et pour les hommes, compte tenu d’une dizaine ou d’une quinzaine de types de crime. Vous pouvez voir où intervient la question du traumatisme crânien à chaque fois. Nous avons aussi des données indiquant une corrélation avec certains troubles de santé mentale et les types de diagnostics associés. Je pourrai également vous les fournir si elles peuvent vous être utiles.

La sénatrice Pate : Ce serait très utile. Merci.

Mme Haag : Peut-être que je pourrais vous envoyer tout simplement les 54 diapositives. Je peux faire cela.

Quant à l’intention criminelle et l’aptitude à la nourrir, c’est une question très intéressante. Avant mon traumatisme crânien, j’ai, en fait, travaillé dans le domaine du droit. Cela me permet de réfléchir à plusieurs niveaux. La réponse la plus brève est que je n’ai pas de réponse. Je ne sais pas si quelqu’un s’y est intéressé. Je ne connais pas d’ouvrage sur cette question, mais cela ne veut pas dire qu’il n’en existe pas. Je n’en ai pas cherché quant à moi.

Mais c’est une question tout à fait pertinente. Je vais retourner directement au laboratoire pour la mettre sur la table et vérifier si nous avons quelque chose à ce sujet et, si ce n’est pas le cas, voir dans quel délai nous pouvons commencer à y travailler. C’est d’une très grande importance pour beaucoup de ces personnes.

Cela nous renvoie à la question du dépistage, qui, selon moi, fait partie intégrante de votre troisième remarque sur le transfert. Il y faudrait absolument un diagnostic médical. Je dirais comme vous que cela entrerait dans la classification dont vous parliez, mais il y faudrait une autorisation fondée sur un diagnostic.

À l’heure actuelle, la référence absolue du diagnostic de traumatisme crânien est un examen neuropsychologique. Notamment en ce qui a trait aux traumatismes légers à modérés, les outils de dépistage actuels en neuro-imagerie ne sont pas très efficaces. Nous sommes en train d’examiner les possibilités de l’imagerie par résonnance magnétique fonctionnelle pour voir si cela peut nous donner plus d’information du point de vue diagnostique. La référence, jusqu’ici, était la scanographie et la résonnance magnétique. Ces outils ne sont pas particulièrement aptes à repérer les traumatismes légers à modérés, c’est-à-dire le genre de lésion découlant d’une série de commotions, de trois ou quatre bagarres ou de l’exposition à la violence familiale pendant quelques années. Ces événements peuvent produire des traumatismes légers à modérés qui n’apparaîtraient pas à la scanographie, compte tenu tout simplement du type de lésion cérébrale et de la grille d’analyse de la technologie en question.

Pour obtenir un diagnostic, il faut employer des tests neuropsychologiques qui coûtent généralement de 4 000 à 6 000 $ par test et qui ne sont pas couverts par l’assurance-maladie provinciale. On parle d’une population très peu susceptible d’avoir accès à ce genre de processus diagnostique sans l’aide financière et le soutien de ce qui serait, à mon avis, un organisme gouvernemental. Cette question n’a pas encore été abordée à ma connaissance.

Est-ce que cela répond à vos questions?

La sénatrice Pate : Tout à fait.

L’outil mis au point par l’Université de l’Ohio pourrait être utile, cependant

Mme Haag : Effectivement.

La sénatrice Pate : Cela pourrait être fait par n’importe qui, n’est-ce pas?

Mme Haag : C’est exact. L’intérêt de ce test est qu’il peut être fait par n’importe qui. C’est assez rapide. C’est une série de cinq questions. Si l’on obtient suffisamment de réponses affirmatives, la probabilité augmente, auquel cas on vous fait passer à un mécanisme de dépistage plus efficace. C’est bien cela.

La sénatrice Pate : Cela pourrait être un test de routine appliqué à tous ceux qui entrent dans le système correctionnel.

Mme Haag : Oui.

L’une des diapositives que je vous ai montrées tout à l’heure présentait trois modèles de dépistage. Le test HELPS est très semblable à l’outil de l’Ohio. Le test BISQ est très largement employé. Ce que j’apprécie dans le test de l’Ohio, c’est qu’il a été mis à l’essai dans cette population.

La sénatrice Cordy : C’est vraiment intéressant. Je ne dirai pas que nous comprenons, mais au moins nous parlons de traumatisme crânien. Quand on prendra ce problème plus au sérieux dans les sports, cela finira par faire son chemin, parce que c’est là que coule l’argent et que sont les gros salaires. Personne ne voulait perdre ses joueurs vedettes. Alors on les sortait de la patinoire ou du banc pendant 24 heures et on les ramenait, mais parfois ce n’était même pas le temps d’un match. Cela dure depuis des années, et il est heureux que cela commence à changer.

Vous avez parlé de traumatismes crâniens dans les populations vulnérables et vous avez dit que beaucoup de femmes incarcérées ont connu la violence, l’itinérance, la dépendance à la drogue et la détention en service de psychiatrie judiciaire.

Mme Haag : Oui.

La sénatrice Cordy : La même population.

Mme Haag : Oui.

La sénatrice Cordy : Y a-t-il une corrélation ou avez-vous simplement recueilli ces données et constaté que c’est un fait? Avez-vous observé une corrélation dans ces populations vulnérables à l’égard des traumatismes crâniens? Est-ce qu’il y a une raison à cela? Je crains de ne pas être très claire.

Selon vos chiffres, les cas de traumatisme crânien sont plus fréquents dans ces populations vulnérables, mais quelle est la corrélation? Vous savez ce qui se passe, mais y a-t-il une raison? Avez-vous examiné cette question?

Mme Haag : Simplement pour clarifier les choses, est-ce que je peux vous dire pourquoi ces femmes ont subi des traumatismes crâniens au départ?

La sénatrice Cordy : Oui.

Mme Haag : Est-ce qu’il y a une corrélation à la base de tout cela, c’est ce que vous demandez?

La sénatrice Cordy : Oui.

Mme Haag : La réponse en bref est : non. Qu’on pense à la violence conjugale. Ce qu’il y a notamment d’insidieux dans sa nature, c’est que cela recoupe tout le spectre des catégories socioéconomiques du niveau d’instruction, de la race, de la situation matrimoniale, que ces femmes aient des enfants ou non ou qu’elles soient financièrement indépendantes ou non. Cela peut les frapper toutes.

On sait, par contre, que 92 p. 100 des coups portés le sont à la tête, au visage et au cou. Un coup suffit à provoquer un traumatisme crânien. Les femmes n’en reçoivent pas qu’un. Elles sont généralement frappées 20 ou 30 fois avant de pouvoir se sortir de la situation. Elles vont essayer de partir cinq ou six fois avant d’y arriver. Je crois très plausible que la probabilité de risque augmente et que les dégâts provoqués soient exponentiels et permanents.

Ce qui est très intéressant au sujet des trois autres catégories, c’est que la lésion est antérieure à la catégorie. La lésion est antérieure au comportement criminel. Elle est antérieure à la consommation de drogue. Elle est antérieure à l’itinérance. C’est ce qui arrive aux victimes de traumatisme crânien.

La sénatrice Cordy : C’est logique en fait, oui.

Mme Haag : Je vous en prie.

La sénatrice Cordy : Vous avez bien étudié la question, mais est-ce que la population en général commence à comprendre ce qu’est un traumatisme crânien et les effets qu’il peut avoir sur le processus décisionnel et, en l’occurrence, sur la criminalité en raison d’un médiocre processus décisionnel?

Mme Haag : Je ne crois pas que la population générale ait atteint ce degré de sensibilisation. Je ne suis même pas sûre que les professionnels qui sont en contact direct avec les intéressés aient atteint ce degré de sensibilisation.

Je pense que nous en sommes encore à penser que c’est une maladie des joueurs de hockey.

La sénatrice Cordy : J’allais vous demander si le système judiciaire en est conscient. Diriez-vous que ce n’est pas encore le cas ou pas beaucoup, ou pas du tout?

Mme Haag : Pas beaucoup ou pas du tout, selon mes conversations avec des gens qui ont connu les deux situations, en effet.

La sénatrice Ataullahjan : La deuxième question de la sénatrice Cordy est celle que j’allais vous poser. Poussons un peu plus loin. Que pouvons-nous faire pour élargir cette conversation? Est-ce que les travailleurs du système correctionnels sont conscients du fait que cela pourrait être un facteur à considérer dans le cadre du système judiciaire, comme l’a dit la sénatrice Cordy? Qu’en est-il des enfants victimes de violence? En quoi est-ce que cela détermine leur comportement? Est-ce qu’on a examiné cette question?

Mme Haag : Oui. Il y a le travail de John Corrigan, de l’Université de l’Ohio. C’est l’un des principaux chercheurs en matière de traumatismes crâniens chez les enfants et il s’intéresse à leurs répercussions jusqu’à l’âge de 21 ans. Ses constatations sont très intéressantes du point de vue du lien avec la probabilité accrue de consommation de drogue et d’activité criminelle, d’où la probabilité accrue d’incarcération avant l’âge de 21 ans. Ses statistiques donnent envie de pleurer. C’est pour cela, en quelque sorte, que je travaille avec des adultes. Ces chiffres me bouleversent. On étudie la question, et c’est important. C’est là qu’il faut intervenir. C’est la leçon que nous pouvons en tirer.

Il n’est pas difficile d’aider les victimes de traumatisme crânien. Mais il faut d’abord comprendre qu’il y a probablement une lésion en cause, et ensuite il faut savoir comment intervenir et comment les aider à passer par le système éducatif et aider leur famille à faire face aux problèmes que cela soulève.

Il faut sensibiliser la population générale au traumatisme crânien. Quels en sont les signes? Quels en sont les symptômes? À quoi dois-je m’attendre si mon enfant fait une chute au terrain de jeux? C’est souvent de cela que nous parlons. Il est facile de se dire que les enfants exposés à la violence familiale et défavorisés sur le plan socioéconomique sont plus exposés à la probabilité de se heurter à la violence durant leur enfance. Mais cela peut aussi très simplement passer par une chute d’un portique d’aire de jeu, qui, à l’instant, va changer la vie d’un enfant pour très longtemps.

On commence à en parler. Il existe en Ontario des protocoles concernant les commotions, qui n’existaient pas il y a cinq ans. Les gens sont de plus en plus sensibilisés, mais pas encore quand il est question de ces populations vulnérables et marginalisées. On ne parle ni de leurs besoins ni de leur situation de victimes. Ce sont des malfaiteurs. Ce sont eux que nous punissons. Ils ne suscitent pas notre empathie et notre désir d’aider. Il faut changer la perspective, tout à fait dans l’esprit de ce qu’un témoin précédent disait de la race. Notre société doit reconsidérer son point de vue, mais je ne suis pas sûre que cela vous aide. Et cela ne risque pas d’arriver dans un avenir rapproché.

Entre-temps, la sensibilisation est de première importance. Ce que je trouve frustrant, c’est que nous savons tout cela depuis 20 ans. Il existe des études sur ces populations qui remontent à 20 ans. On parle de sensibilisation et de sa nécessité depuis des années. Et rien n’a l’air de changer.

Je me dis souvent qu’on devrait créer une bannière disant « Merci aux joueurs de hockey », parce que, sans les Sidney Crosby de ce monde, notre conversation n’aurait pas lieu, et je ne serais pas là à vous en parler. Leurs sacrifices et leur notoriété nous ont permis d’en parler dans ces cercles, et j’estime que c’est très important.

La sénatrice Ataullahjan : Avez-vous des chiffres sur la mesure dans laquelle les victimes de traumatisme crânien sont conscientes de leur état?

Mme Haag : L’un des effets secondaires d’un traumatisme crânien est que le degré de la lésion a tendance à augmenter, selon la classification initiale allant de léger à modéré, puis grave. Les difficultés que cela entraîne augmentent également à tous égards.

Je peux vous parler de mon expérience ou de mon point de vue sur ce qui peut être ou non un effet secondaire. Je sais très bien que cela peut arriver dans mon univers. Cela me rend très nerveuse de ne pas être sûre de ce que je sais ou ne sais pas.

Beaucoup de ceux auprès de qui j’ai travaillé comme travailleuse sociale sont tout à fait inconscients de leur situation ou la nient complètement, alors que la documentation médicale atteste clairement que c’est un élément important de ce qu’ils sont. Cela va d’une conscience pleine et entière de la situation à une inconscience complète.

La présidente : Merci beaucoup. Compte tenu de tout ce que vous nous avez dit ce soir, on voit bien que la question commence à attirer l’attention de beaucoup de monde.

Nous avons deux personnes dans l’auditoire qui souhaitent faire de très brefs exposés. Je vais également inviter les autres témoins de la soirée à se joindre à nous pour conclure et au cas où d’autres questions seraient soulevées.

Nous écouterons Rod Friesen, du Comité central mennonite, et Julie Thompson, du programme STRIDE. Ensuite, s’il y a lieu, il sera possible de poser d’autres questions aux témoins précédents.

Rod Friesen, coordonnateur, Programme de justice réparatrice, Comité central mennonite du Canada : Merci de m’avoir invité à venir vous parler ce soir et merci à vous d’être venus à Kitchener pour entendre ce que nous avons à dire.

C’est très frappant. Je suis en train de réfléchir et de prendre beaucoup de notes ce soir. Je n’avais pas l’intention de parler, mais je pensais au rôle du CCM dans trois programmes, et je voudrais vous en parler et vous proposer une démarche.

Nous faisons fonctionner trois programmes dans le cadre de la justice réparatrice en Ontario. Le premier est un programme de cercles d’aide et de responsabilisation. Nous y travaillons auprès de personnes qui ont commis des infractions sexuelles. Nous appliquons ces principes d’aide et de responsabilisation dans la collectivité pour que, à leur réinsertion, il n’y ait pas d’autres victimes et qu’ils ne soient pas non plus sacrifiés dans le processus.

Ce programme nous a appris, au fil du temps, qu’il n’est pas seulement fructueux sur le plan statistique puisque 70 p. 100 des participants ne récidivent pas. La transformation remarquable tient à la valeur de la collectivité entourant ces délinquants et à ce que cela entraîne de changements parmi les bénévoles qui entrent en contact avec des gens qui ont commis des infractions sexuelles.

Le SCC finance également un programme de réinsertion sociale avec des groupes confessionnels, dans lequel nous facilitons la réinsertion sociale d’un ex-délinquant dans la région du Grand Toronto et à London. C’est d’autant plus important que les bénévoles de groupes confessionnels, et pas seulement chrétiens, mais aussi musulmans et autres, collaborent avec nous pour faciliter la réinsertion sociale des délinquants, et cela nous semble crucial.

L’autre programme qu’on vous montrera, je l’espère, demain quand vous visiterez l’Établissement Grand Valley est le programme de fabrication de couvertures. Des femmes de l’unité à sécurité minimum et de l’unité principale fabriquent des couvertures. Elles s’occupent également de ce qu’on appelle des projets de revalorisation et apprennent à coudre pour avoir quelque chose à faire pendant leur incarcération. Ces femmes éprouvent un sentiment extraordinaire lorsqu’elles peuvent contribuer au travail international du CCM, qui envoie des couvertures à l’étranger. Depuis le début de leurs activités, il y a maintenant 12 ans, je crois, elles ont cousu plus de 1 200 couvertures à destination d’endroits comme l’Ukraine et la Jordanie. Ce qui me frappe, ce sont les commentaires de ces femmes lorsqu’elles ont la possibilité de contribuer à la collectivité : elles ne font pas que purger une peine. Elles contribuent effectivement à quelque chose de plus vaste et qui est utile.

Lorsqu’un crime est commis, l’une des principales difficultés tient au fait que c’est l’État qui prend la situation en charge et que les victimes, les contrevenants et les collectivités n’ont pas la possibilité de faire quelque chose. Ce qui est intéressant dans la justice réparatrice et dans les valeurs et principes qui la sous-tendent, c’est notamment que l’objectif est de repriser le tissu social antérieur au crime. Le crime a des répercussions sur tout le monde et fait du tort à tout le monde en ce sens.

J’ai travaillé pendant des années dans le domaine correctionnel à l’échelle fédérale et je me suis occupé d’aide au logement, d’itinérance, de relations interraciales, et de questions associées aux lésions cérébrales acquises, aux troubles du spectre de l’alcoolisation fœtale et aux expériences néfastes de la petite enfance. Durant mes 25 années de travail dans ce domaine, j’ai constaté les nombreux problèmes et difficultés dont tout le monde a parlé ici ce soir. L’espoir que j’aimerais apporter ici est l’idée que les pratiques, les principes et les valeurs de la justice réparatrice puissent être intégrés à tous nos systèmes, qu’il s’agisse de l’éducation de la petite enfance, du système scolaire, du système carcéral et d’autres systèmes.

Pendant la moitié de ma carrière, j’ai exercé dans le domaine des ressources humaines, où j’ai dû gérer le changement dans des organismes sociaux. S’il y a une chose que j’ai apprise, c’est qu’il est très difficile d’amener les gens à changer quand ils sont inscrits dans un système. La façon de s’y prendre est d’inciter les gens à voir les choses d’un autre point de vue. On a beaucoup parlé, ce soir, de la transformation du système correctionnel.

Je peux le constater à un niveau très modeste quand je vais à l’Établissement Grand Valley pour faire des couvertures avec les femmes, simplement pour apprendre. J’ai appris plus de choses que je n’aurais cru sur la fabrication de couvertures, mais ce qui est extraordinaire, c’est de pouvoir prendre le temps d’apprendre et de commencer à observer. D’après mon expérience, il est indéniable que les systèmes ne changeront pas tant qu’on n’aura pas commencé à penser les choses du point de vue de la justice réparatrice dès avant l’incarcération, en appuyant cette démarche sur les principes de cette justice réparatrice tout au long du processus de la justice pénale. Je crois que quelqu’un a parlé de système digestif. J’aime bien cette image parce que c’est ce que nous devons favoriser. Dès qu’un crime est commis, il faut penser en termes de justice réparatrice au lieu de financer des organismes communautaires qui doivent ramasser les pots cassés et essayer de guérir ceux qui reviennent dans la collectivité.

C’est ce que je tenais à vous dire ce soir. Je serai heureux de répondre à vos questions. Nous sommes ouverts au dialogue.

Julie Thompson, directrice, Relations communautaires, Community Justice Initiatives : Merci de m’avoir invitée à vous parler. Cela fait une vingtaine d’années, depuis hier, que j’ai été embauchée par CJI pour lancer le programme STRIDE. Je travaille auprès des femmes de l’Établissement Grand Valley depuis 20 ans. C’est pour moi un honneur et un privilège. Je tiens absolument à faire les choses comme il faut parce que j’ai l’impression que c’est vraiment une occasion unique de pouvoir souligner certains enjeux qui, selon moi, méritent qu’on les aborde.

Je dois préciser d’abord que notre organisme est également un organisme de justice réparatrice. Je crois vraiment qu’il y a toutes sortes de moyens de s’occuper des gens qui commettent des crimes, qui sont en conflit avec le système ou qui sont dans le système, pour qu’ils ne soient tout simplement pas mis en prison. Beaucoup de femmes avec lesquelles je travaille n’ont pas du tout le sentiment qu’elles devraient être en prison. Il y a toutes sortes d’autres moyens de réparer les torts commis et de le faire de façon moins préjudiciable pour elles et leur famille et plus fructueuse pour leurs victimes.

La plupart des femmes avec lesquelles j’ai eu le privilège de travailler veulent prendre leur vie en main. Elles ne veulent jamais retourner en prison. Pourtant, pour ces femmes, il est très difficile de savoir par où commencer une fois revenues dans la collectivité. On compte sur des femmes qui sont déjà marginalisées et qui sont stigmatisées par notre système pour apporter des changements énormes. Lorsqu’elles se déplacent dans la collectivité, elles ne s’y sentent pas aussi en sécurité qu’en prison. Cela m’indique qu’il y a fort à faire dans les collectivités pour aider les femmes à apporter les changements qu’elles veulent faire. Une grande partie du travail que nous faisons vise non seulement à appuyer les femmes dans leur changement, mais aussi à créer une collectivité mieux informée, plus réceptive et plus accueillante à laquelle les femmes pourront se réintégrer pour réussir.

Il s’est passé beaucoup de choses au cours des 20 dernières années qui ont contribué à l’isolement des femmes dans un système qui est devenu plus isolé de la collectivité. À l’origine, avec La création de choix, l’on estimait que la collectivité jouait un rôle précieux dans la vie quotidienne des femmes à l’intérieur de l’établissement. Elle était là pour élaborer et appuyer les programmes en cours.

Les programmes de lutte contre la toxicomanie, les abus sexuels et toutes sortes d’autres programmes destinés aux femmes étaient censés être offerts par des membres de la collectivité et par des organismes communautaires. Cela faisait partie du principe derrière La création de choix. Systématiquement, au cours des 20 dernières années, tout cela a presque disparu. Des membres du personnel correctionnel animent ces programmes, ce qui réduit considérablement leur impact, et provoque aussi l’isolement. Il se passe beaucoup de choses en isolement dont nous ne pouvons être fiers. Cela crée un système qui fait ressortir le pire côté des femmes. Lorsque des personnes sont traitées de la pire façon, cela fait ressortir les pires aspects de leur personnalité.

M. Cowie en a parlé un peu. Nous offrons un programme appelé STRIDE. C’est un simple programme de loisirs qui a lieu chaque semaine à l’intérieur de l’établissement. Les femmes sont libres de choisir si elles veulent participer ou non. Au cours des 20 années d’existence de ce programme, nous avons toujours eu sur nous notre DAPP conçu pour sonner l’alarme en cas de besoin. Pour une raison que j’ignore, le personnel de la prison n’assiste pas à ce programme. En 20 ans, nous n’avons jamais eu à sonner l’alarme.

Ce sont les femmes qui créent cet endroit sûr. Elles disent qu’elles se comportent différemment envers les autres en raison de la présence de la collectivité. Elles sont aussi extrêmement reconnaissantes aux personnes qui choisissent de venir ici chaque semaine afin de partager leur expérience avec elles. Elles ne feraient jamais rien pour mettre ce programme en péril. Il peut y avoir de la violence à l’extérieur, mais il n’y en a jamais à l’intérieur. Cela en dit long sur l’importance de créer un endroit où il n’est pas question de ce que vous avez fait avant ou de l’étiquette qui vous est accolée. Il s’agit d’établir des liens avec des êtres humains et de parler de choses extérieures au quotidien de la vie carcérale. Le fait d’être isolé de la collectivité peut aggraver le comportement des femmes, mais je pense aussi que cela peut surtout aggraver le fonctionnement du système. Je n’en dirai pas beaucoup plus à ce sujet. Mme Gentile va le faire pour moi.

Il y a eu d’énormes obstacles à la participation communautaire en prison. Je vais parler d’un cas qui s’est produit assez récemment, et qui concerne la nécessité pour les bénévoles d’obtenir une cote de fiabilité avant de pouvoir accéder à la prison. C’est une question qui se rapporte au ministère de la Sécurité publique. Auparavant, on se limitait à vérifier si une personne qui voulait accéder à une prison avait un casier judiciaire. Il fallait attendre entre 20 minutes et deux semaines pour obtenir l’autorisation. Les cotes de fiabilité coûtent très cher aux bénévoles et aux organismes qui les appuient. Le questionnaire que doivent remplir les bénévoles est extrêmement personnel et invasif. Non seulement doivent-ils remplir ce très long formulaire et ne faire aucune erreur, parce qu’ils risqueraient alors de se retrouver sur une autre liste d’attente de deux mois, mais ils doivent aussi fournir leurs empreintes digitales. Ils doivent payer pour tout cela et depuis peu, ils doivent aussi se soumettre à une vérification de crédit.

On peut imaginer l’obstacle auquel sont confrontés les organismes qui veulent que leurs bénévoles aillent en prison. Ils doivent convaincre des gens de passer du temps avec des personnes qui ont commis des crimes et composer avec certaines des craintes très réelles qui en découlent. Or, il leur faut en plus se conformer à toute une série de contrôles très intrusifs. C’est un énorme fardeau pour tous les organismes qui doivent faciliter ces examens préalables.

La présidente : Il nous reste environ deux minutes. Si les gens sont d’accord pour rester quelques minutes de plus, nous inviterons chaque sénatrice à poser une question.

La sénatrice Ataullahjan : Quelle est l’idée derrière la cote de fiabilité? En quoi est-ce utile?

Mme Thompson : Je crois que c’est l’outil de contrôle de Sécurité publique pour tout ce qui concerne les critères de sécurité du gouvernement. Il a récemment été appliqué à des organismes bénévoles à l’intérieur de l’Établissement pour femmes Grand Valley. Il est appliqué depuis deux ou trois ans. Il faut de huit mois à un an pour qu’un organisme puisse fournir ses propres cotes de fiabilité.

La sénatrice Ataullahjan : Si vous n’avez pas eu d’expérience négative, à quoi cela sert-il donc?

Mme Thompson : Il faudrait poser la question à Sécurité publique. Je pense que c’est un obstacle énorme et vraiment inutile.

La présidente : Quelqu’un d’autre veut-il en parler?

Mme Gentile : J’ajouterais simplement qu’on commence à appliquer le même critère de sécurité supplémentaire aux défenseures régionales à l’échelle du Canada. C’est ce que nous constatons à l’Établissement Nova pour femmes. On y exige une cote de fiabilité plus élevée pour nos défenseures régionales, même s’il n’y a jamais eu de problème à signaler avec eux.

Je dirais que c’est un obstacle plus qu’une aide, parce que cela complique la tâche des bénévoles.

La sénatrice Pate : Merci de cet autre exemple de mise en place de politiques qui font obstacle.

Je sais, madame Thompson, que vous êtes dans ce domaine depuis 20 ans, mais pour revenir en arrière, la première décision de changement ou de politique était que tout le monde était censé aller dans la collectivité. Le changement de politique suivant consistait à amener la collectivité dans les établissements, et l’étape suivante voulait que le SCC offre les programmes. Est-ce aussi ce que vous comprenez?

Mme Thompson : Oui.

La sénatrice Pate : J’ai été très heureuse de vous entendre toutes les deux parler de justice réparatrice. On parlait autrefois de justice réparatrice comme d’un coup d’épée dans l’eau au sein du système carcéral et du système de justice pénale. J’aimerais beaucoup savoir ce que vous en pensez.

Je sais que les responsables de la justice réparatrice ont eu de la difficulté en ce qui concerne le revenu garanti, par exemple, comme moyen de s’attaquer de façon réparatrice à la pauvreté, à l’itinérance et ce genre de problèmes. Je me demande simplement quelles autres solutions vous envisagez en matière de justice réparatrice de façon préventive, et non sous l’angle des collectivités et des personnes en santé, et de personnes ayant le droit de ne pas être sans abri, de ne pas avoir faim et de ne pas vivre dans une pauvreté abjecte.

M. Friesen : Je dirais que la mise en œuvre de la pratique réparatrice doit d’abord permettre aux gens de comprendre certains des principes fondamentaux de la justice réparatrice. Nous vivons dans la collectivité et nous devons établir des liens entre nous. Il faut développer des compétences en ce sens dans les écoles afin que les réseaux scolaires appliquent des pratiques réparatrices dans les salles de classe. Une partie de mon dernier travail consistait à travailler avec les salles de classe visées à l’article 23 et à essayer de trouver des solutions pour les membres du personnel qui sont blessés par des enfants.

Ne serait-il pas merveilleux, dans ces situations, que nous commencions à examiner la façon dont les préjudices sont causés dès le début, à titre de mesure de prévention précoce, et que nous adoptions des concepts de justice réparatrice comme la garde des cercles de justice réparatrice dans les salles de classe? C’est un concept très simple qui pourrait être utilisé comme outil pour les personnes, les enfants et le personnel, afin de dépister les préjudices qui se produisent en classe et de mettre en place les processus qui s’imposent. Ils ne sont pas difficiles à apprendre et ils sont plus faciles à observer lorsqu’on est dans la collectivité et qu’on doit rendre des comptes aux autres.

La sénatrice Cordy : Pour moi personnellement, cette soirée a été très productive, compte tenu de l’information que tous les témoins nous ont donnée. Nous avons eu notre visite cet après-midi, et nous aurons d’autres visites et nous parlerons aux détenues demain. Tout cela nous est très utile pour rédiger notre rapport.

Le thème commun qui s’est dégagé tout au long de la soirée concerne la réinsertion sociale et sa grande importance. Pourtant, selon ce que nous entendons, il semble que le programme le plus productif soit STRIDE, dont Mme Thompson et un autre témoin nous ont beaucoup parlé tout à l’heure. Il semble que des politiques soient mises en place. Personne ne dit que l’on doit permettre à n’importe qui d’entrer dans le système, mais les mesures que nous appliquons me semblent exagérées. Nous avons le programme STRIDE, mais je connais un ami dont le groupe confessionnel en Nouvelle-Écosse se rend dans des prisons pour faire de la musique et divertir les détenus. Tout cela sera interrompu parce qu’il est peu probable que des bénévoles acceptent de payer la somme d’argent et de consacrer leur temps aux mesures de sécurité. Lorsque vous serez enfin autorisé à accéder aux établissements, vous aurez peut-être à ce moment perdu l’envie d’y aller.

La sénatrice Pate : D’où la pertinence d’une vérification de crédit.

La sénatrice Cordy : Oui, c’est vrai aussi. Je n’avais pas vu les choses sous cet angle, mais c’est vrai.

Nous disons tous que nous sommes ici pour aider le gouvernement. Quoi qu’il en soit, nous rédigeons un rapport. Comment pouvons-nous incorporer à notre rapport l’idée de la réinsertion? Il devait s’agir au départ d’une initiative communautaire, comme la sénatrice Pate l’a dit plus tôt. Cela se passe maintenant plutôt en établissement, parce que les participantes ne sont pas prêtes à sortir, ce qui ne fonctionne pas.

Quels genres de recommandations devons-nous formuler pour veiller à ce que l’accent soit mis sur la réinsertion sociale afin que les détenues ne reviennent pas sans cesse dans le système?

Mme Thompson : Il y a beaucoup à dire à ce sujet. Encore une fois, les responsables des ressources parlent constamment de ressources, mais je pense qu’il existe des organismes qui travaillent avec des personnes qui sont elles-mêmes marginalisées à cause de sources de financement instables et peu fiables.

J’ai participé au programme STRIDE. À un moment donné, je travaillais 15 heures par semaine. J’étais la seule personne à travailler 15 heures par semaine juste pour que le programme puisse se poursuivre. Lorsque vous faites cela, vous travaillez avec des gens avec qui vous avez pris le temps de bâtir une relation de confiance. Si cette relation échoue sans cesse parce que vous perdez votre financement ou du personnel parce que vous devez procéder à des mises en disponibilité, vous finissez presque par faire plus de tort que de bien. Il faut un meilleur modèle de financement qui investit vraiment dans la stabilité à long terme des organismes communautaires afin de pouvoir offrir à long terme des services aux femmes ou à n’importe qui d’autre.

Mme Gentile : Si vous me permettez d’ajouter quelque chose, un aspect vraiment crucial de la réinsertion sociale est la déségrégation. J’ai parlé un peu de la façon dont les unités à sécurité maximale et les unités d’isolement empêchent les femmes de mettre en œuvre leur plan correctionnel. Cela limite leur accès aux programmes et aux visites. À Grand Valley, seulement deux femmes à la fois peuvent recevoir des visites dans l’unité à sécurité maximale en raison du système de niveau et des différentes justifications inscrites dans la politique. Cela signifie également qu’elles ne peuvent pas avoir accès aux permissions de sortie temporaire avec escorte. Elles n’ont pas accès à des possibilités d’aller dans la collectivité pour suivre des programmes utiles et avoir des contacts avec leur famille dans la collectivité. Cela réduit leurs chances d’obtenir une libération conditionnelle et leurs possibilités de réinsertion sociale. Nous constatons que les révocations visent souvent des femmes autochtones, et souvent pour des manquements administratifs, comme des manquements à une condition qui est fixée à leur libération conditionnelle.

La présidente : J’ai aussi une question à poser. Ma question est posée à la cantonade. Existe-t-il des programmes de soutien au mentorat avec d’ex-détenues? S’il y en a, comment fonctionnent-ils?

Mme Brown Ramsay : Il n’y en a plus. Encore une fois, c’est un manque de ressources. Je ne sais pas si vous le savez, mais Audmax a collaboré avec le SCC pendant un certain temps. Il y en a effectivement eu un à Grand Valley, mais le financement est devenu un problème. Ils n’y vont plus, mais je sais qu’Audmax a continué de faire du bénévolat même après, parce que les femmes le demandaient. Ils s’occupaient surtout, bien sûr, des femmes de couleur, des femmes noires.

Comme nous l’avons déjà dit, cet élément culturel, ce facteur historique, est important. Les femmes s’en ennuient vraiment.

La présidente : Pourriez-vous nous dire ce qu’est Audmax? Certaines personnes ne le savent peut-être pas.

Mme Brown Ramsay : Audmax est un organisme qui travaille auprès des détenues et qui offre différents types de programmes. Les éléments de base sont les compétences essentielles et l’esprit d’équipe. Cela aide vraiment les femmes à se comprendre et à envisager la réinsertion sociale. Les participantes sont jumelées à des organismes à l’extérieur de l’établissement sur lesquels elles pourront compter lorsqu’elles sortiront. Il s’agit surtout de réunir la collectivité et les femmes dans les établissements.

Ce programme était incroyable. Les femmes l’aimaient beaucoup parce qu’elles avaient l’impression d’être entendues. Elles y trouvaient quelqu’un qui comprenait certains de leurs problèmes et qui pouvait les mettre en contact avec des gens de la collectivité pouvant les aider à réintégrer la société. En toute franchise, si certaines des femmes essayaient de retourner dans leurs églises, et nous en avons discuté, les églises n’en voulaient pas. Elles devaient trouver d’autres endroits où aller. Audmax s’en occupait sur le terrain jour après jour.

Mme Thompson : Si vous me permettez d’ajouter quelque chose, Option-Vie était un programme vraiment efficace et extraordinaire dont le financement a été aboli. Je ne pense plus qu’il y ait de programmes Option-Vie. Je n’arrive même pas à le croire.

Même lorsque nous avons des gens qui veulent faire du bénévolat pour nous, nous ne pouvons plus les faire entrer en prison à cause de la cote de fiabilité. C’est devenu un obstacle énorme. Autrefois, un directeur d’établissement pouvait accorder la permission de faire entrer dans l’établissement une personne qui avait un casier judiciaire. Cela n’est désormais plus autorisé.

Mme Haag : Puis-je ajouter quelque chose?

La présidente : Allez-y.

Mme Haag : Il ne s’agit pas nécessairement d’un soutien par les pairs, mais à la faculté de travail social de Waterloo, nous offrons un programme baptisé Walls to Bridges. Je ne sais pas si vous le connaissez ou si vous avez eu l’occasion de parler à notre corps professoral, mais nous offrons dans le cadre de notre maîtrise en travail social des cours qui sont donnés à l’intérieur et à l’extérieur de Grand Valley. L’effectif étudiant est composé à la fois de femmes criminalisées et de femmes non criminalisées.

Au sein de ces groupes, nous comptons aussi des étudiantes du programme de maîtrise qui ont un lien avec le programme Walls to Bridges et qui ont vécu la criminalisation. Il y a un certain chevauchement. Ce programme a connu beaucoup de succès et semble prendre de l’expansion au lieu d’aller en diminuant.

La sénatrice Pate : Je crois que Shoshana Pollack ou la faculté de travail social nous a écrit, ou peut-être pas.

Mme Gentile : Je tiens à mentionner que l’ACSEF, nos défenseures régionales, a créé des postes d’agentes de revendication dans les prisons. Nous offrons de la formation en défense des droits, et ceux qui ont suivi cette formation peuvent ensuite décrocher des postes rémunérés. Nous constatons que les femmes qui sont en mesure de défendre leurs droits à l’intérieur des prisons réussissent mieux à l’extérieur grâce aux compétences et aux outils qu’elles ont acquis.

La sénatrice Pate : Pourrions-nous obtenir les noms de ces agentes demain? Savez-vous s’il est prévu que nous les rencontrions demain?

Mme Gentile : Oui. Des changements ont dû être apportés parce qu’il y a eu des transferts récemment. En fait, nous allons donner de la formation la semaine prochaine pour former de nouvelles agentes de revendication. En fait, nos agentes de revendication dans l’unité à sécurité minimale sont actuellement absentes.

Nous avons une agente de revendication dans le bâtiment principal. Je peux vous fournir ses coordonnées ou son nom. Pour l’instant, c’est tout. Nous avons perdu des agentes de revendication dans l’unité à sécurité maximale, et l’une de nos agentes du bâtiment principal a été transférée à une autre prison.

La sénatrice Pate : J’ai cru comprendre que certaines des agentes, des ex-détenues qui travaillaient avec votre équipe à l’extérieur, font actuellement l’objet de vérifications de crédit ou de sécurité renforcées. À un moment donné, il y avait des pairs qui faisaient partie des équipes de revendication.

Mme Gentile : Oui. En Colombie-Britannique, nous avons une défenseure régionale qui n’a pas pu avoir accès à la prison. Elle a dû surmonter de nombreux obstacles pour obtenir une autorisation de sécurité. Elle est une ardente défenseure.

Malheureusement, nous n’avons pas vraiment d’équipe. Nous sommes en train de mettre sur pied une équipe régionale de revendication en Colombie-Britannique. Une de nos défenseures régionales a de l’expérience comme détenue. Elle est sortie depuis un certain temps et elle se porte très bien, mais elle n’a pas accès à la prison.

La présidente : Monsieur LaRose, avez-vous un commentaire ou une question?

M. LaRose : J’ai une question et je voulais proposer une solution. Pour l’Établissement Grand Valley, quelle proportion de la population carcérale est noire? Diriez-vous que c’est plus ou moins 50 p. 100?

Mme Thompson : Non, moins.

Mme Gentile : C’est moins que cela.

M. LaRose : En ce qui concerne les programmes communautaires, les programmes de justice réparatrice et les programmes de réinsertion sociale, il y a un décalage total entre la collectivité et les établissements, que ce soit à l’école ou ailleurs. Les écoles sont devenues confessionnelles et isolées. Les collectivités ont été mises à l’écart des écoles. Les portes sont verrouillées. Le symbolisme est assez remarquable. Il y a des policiers à l’école. Le système en entier a essentiellement créé un environnement carcéral dans lequel les enfants entrent dans le réseau scolaire et aboutissent dans le réseau carcéral.

Comment pouvons-nous constituer une base solide sur laquelle la collectivité peut s’appuyer activement dans la pratique de la justice réparatrice ainsi que dans la pratique de la réinsertion sociale? D’après ce que je comprends, il n’y a pas vraiment de décalage à Cuba. Une fois qu’une personne est incarcérée, sa famille est encouragée à maintenir le lien et à poursuivre la fonction correctionnelle. Une fois cette chaîne brisée, la population devient isolée. La distance entraîne une déconnexion, et les liens familiaux se perdent.

Voilà une collectivité qui existe de son propre chef. D’après ce que j’ai entendu, lorsqu’elles sont en prison là-bas, elles se comportent mieux qu’à leur retour dans la population en général pour ce qui est de leurs rapports entre elles. C’est ce que j’ai compris en ce qui concerne les détenues et leurs relations au sein du système.

Il y a quelque chose qui cloche sur le plan culturel dans la manière dont l’accent est mis sur la façon de socialiser les personnes pour qu’elles puissent traiter avec des établissements qui les isolent, les retirent de la population et veulent tout de même les y réinsérer. L’on pourrait peut-être mettre l’accent sur la façon de mieux travailler à la réinsertion sociale à l’aide des ressources communautaires.

Nous le faisons depuis des années. J’ai travaillé avec bon nombre de détenues. Dans les quelques cas que j’ai eus, nous les avons ramenées sur le marché du travail. Nous avons sensiblement réduit leur stigmatisation. À leur retour, elles sont activement engagées. Personne ne sait plus qu’il s’agit de détenues.

La sénatrice Pate : Monsieur LaRose, pour votre gouverne, 17,9 p. 100 des détenues à Grand Valley sont noires. Il s’agit de la plus forte proportion de femmes noires dans le système carcéral fédéral. Auparavant, c’était à Joliette, mais maintenant, c’est à Grand Valley.

M. LaRose : Il y a une tendance ici. Les femmes et les hommes noirs sont emprisonnés à des taux disproportionnés par rapport à leur présence dans la population. Je n’ai pas entendu parler de la façon dont nous allons composer avec ce problème. Quelles sont les causes de leur incarcération et qui en est responsable? À quelles fins?

C’est un phénomène observé partout dans le monde, mais en particulier au Canada, aux États-Unis et au Royaume-Uni. Existe-t-il un problème universel d’incarcération des Noirs? Je pose simplement la question. Commençons par examiner ce que nous faisons de mal dans la société qui fait que les Noirs finissent par être incarcérés, où qu’ils soient, et qu’il n’existe pas de mécanisme de réadaptation pour assurer leur remise en liberté.

La présidente : Nous en arrivons aux causes profondes.

Mme Brown Ramsay : C’est incroyable. Je remercie les sénatrices et toutes les personnes ici présentes de leur témoignage. J’aimerais souligner un dernier point.

Il y a 25 ans, l’un de mes premiers emplois était à la Société Elizabeth Fry. Je travaillais auprès de jeunes contrevenants dans un établissement de détention en milieu ouvert. J’avais l’occasion de parler régulièrement aux parents. Ils ne me voyaient pas parce que bon nombre des jeunes avec qui nous traitions venaient de l’extérieur.

Il y avait des parents à qui je parlais assez souvent qui sont venus en visite. Notre personnel était occupé. Quand ils sont arrivés, c’est moi qui ai répondu à la porte. En me voyant, l’un des parents m’a dit : « Puis-je parler à un membre du personnel? » J’ai alors répondu : « Je suis membre du personnel. Je peux vous aider. » Le mari a dit : « Oh, d’accord. Où est votre superviseur? Puis-je parler à votre superviseur? » J’ai répété : « Je peux vous aider. » Comme ils ne voulaient pas me parler, je les ai donc menés à mon bureau. À l’époque, j’étais gestionnaire intérimaire de l’établissement. Je me suis assise derrière mon bureau et j’ai dit : « Puis-je vous aider? Je peux vous aider. » Ils ont répondu : « Je ne savais pas que vous étiez Jamaïcaine. » Comment savent-ils au juste que je suis Jamaïcaine? Vous voyez ce que je veux dire?

Lorsque M. LaRose reviendra là-dessus, il y a un problème systémique sur lequel nous devons nous pencher lorsque nous traitons avec des délinquants ethnoculturels, en particulier de race noire. Cette situation aurait pu être vécue de façon très différente selon les gens. Elle aurait pu dégénérer. Il faut comprendre ce que cela signifie pour une personne qui est noire, d’avoir l’impression de ne pas compter. Comment avais-je pu obtenir cet emploi? Comment pourrais-je être gestionnaire? J’aide votre enfant et c’est comme cela que vous me voyez?

Si une telle situation a pu se produire avec moi et que j’occupe ce rôle, pensez-vous qu’il s’agit d’un cas unique? Je sais que tout le monde ici comprend la situation, mais qu’est-ce que cela doit être pour ce jeune, pour cette jeune femme ou pour ce père qui a l’impression que personne ne l’entend?

C’est pourquoi nous revenons à la raison pour laquelle nous demandons aujourd’hui qu’il soit envisagé d’apporter certains changements afin d’assurer l’équité pour tous, peu importe la couleur de leur peau. C’est l’essence même de l’équité. L’on ne peut pas s’attendre à ce que cela se produise si je veux atteindre le même niveau. Les règles du jeu ne sont pas les mêmes pour tout le monde. Cela n’arrive pas, plus maintenant. J’aurais peut-être besoin d’une plus grande échelle pour que vous et moi puissions être au même niveau. Il y a du travail à faire. J’adore le fait que nous soyons tous ici ce soir. Je suis convaincue qu’ensemble, chacun d’entre nous peut faire quelque chose.

La présidente : À ce sujet, à titre de rappel, nous devons examiner toute cette question sous l’angle de l’équité raciale.

Mme Brown Ramsay : Oui.

La présidente : C’est ainsi que notre séance prendra fin ce soir. Je vous remercie tous beaucoup d’être venus et d’avoir témoigné, et je remercie mes collègues d’être ici.

Il est presque 21 h 30, ce qui veut dire que nous avons largement dépassé notre temps. Évidemment, la discussion pourrait se poursuivre, mais nous devons mettre fin à notre séance.

(La séance est levée.)

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