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RPRD - Comité permanent

Règlement, procédure et droits du Parlement

 

Délibérations du Comité permanent du
Règlement, de la procédure et des droits du Parlement

Fascicule no 13 - Témoignages du 8 mai 2018


OTTAWA, le mardi 8 mai 2018

Le Comité permanent du Règlement, de la procédure et des droits du Parlement se réunit aujourd’hui, à 9 h 32, conformément à l’article 12-7(2)c) du Règlement, pour étudier les ordres et pratiques du Sénat et le privilège parlementaire.

Le sénateur Leo Housakos (président) occupe le fauteuil.

Le président : Chers collègues, bonjour, et bonjour aux membres du public qui nous regardent. La séance d’aujourd’hui est télévisée. Je voulais simplement le signaler aux membres du comité.

Je demanderais d’abord à mes honorables collègues de bien vouloir se présenter.

La sénatrice Batters : Sénatrice Denise Batters, de la Saskatchewan.

Le sénateur Eggleton : Art Eggleton, de Toronto.

La sénatrice Seidman : Judith Seidman, de Montréal, Québec.

Le sénateur Wells : David Wells, de Terre-Neuve-et-Labrador.

La sénatrice Frum : Linda Frum, de l’Ontario.

La sénatrice Griffin : Diane Griffin, de l’Île-du-Prince-Édouard.

Le sénateur Woo : Yuen Pau Woo, de la Colombie-Britannique.

Le sénateur Marwah : Sabi Marwah, de l’Ontario.

Le sénateur Gold : Marc Gold, du Québec.

[Français]

La sénatrice Ringuette : Pierrette Ringuette, du Nouveau-Brunswick.

[Traduction]

Le sénateur Greene : Stephen Greene, de la Nouvelle-Écosse.

Le sénateur Joyal : Serge Joyal, du Québec.

[Français]

Le sénateur Maltais : Bonjour. Ghislain Maltais, du Québec.

[Traduction]

Le président : Je suis le sénateur Leo Housakos, du Québec.

En juin 2015, lors de la précédente législature, le comité a déposé un rapport intitulé Une question de privilège : document de travail sur le privilège parlementaire au XXIe siècle. Bien entendu, le comité a convenu de poursuivre cette étude.

Je suis très heureux de souhaiter la bienvenue à notre témoin, l’honorable Daniel Hays, qui traitera aujourd’hui de divers aspects ayant trait au privilège parlementaire.

Le sénateur Hays est né et a grandi sur une ferme laitière en périphérie de Calgary dans un secteur aujourd’hui devenu une banlieue du nom de Haysboro. Bachelier ès arts de l’Université de l’Alberta, il a poursuivi ses études à l’Université de Toronto où il a obtenu un diplôme en droit.

Le sénateur Hays a été nommé au Sénat en 1984. Au cours de sa carrière parlementaire, il a siégé à plusieurs comités sénatoriaux, y compris le Comité sénatorial spécial sur la réforme du Sénat. Au Sénat, il a également été nommé leader adjoint du gouvernement et, plus tard, leader de l’opposition. Il a agi à titre de Président du Sénat de 2001 à 2005.

Je tiens à remercier l’ancien Président du Sénat, M. Hays, d’avoir accepté notre invitation. Sa présence aujourd’hui fait salle comble. Nous sommes impatients d’entendre votre point de vue sur le privilège parlementaire. Donc, je vous laisse la parole.

L’honorable Dan Hays, C.P., ancien Président du Sénat, à titre personnel : Merci, monsieur le président. Quand je regarde tous ces gens dans la salle…

[Français]

Alors, j’ai peur.

[Traduction]

Je suis quelque peu inquiet, mais je ferai de mon mieux pour aborder le sujet à l’ordre du jour. J’ai préparé un bref exposé. Si j’ai bien compris, notre temps est limité. Je vais donc lire mon exposé — il ne compte que quelques pages — et nous pourrons ensuite amorcer la discussion. Si vous êtes las de m’entendre parler, n’hésitez-pas à m’interrompre et nous entrerons directement dans le vif du sujet.

J’aimerais d’abord confirmer que, pendant ma présidence, il m’est arrivé très peu souvent de traiter des questions touchant le privilège parlementaire. J’ai toutefois rendu 10 décisions sur le privilège. Ces décisions ont porté sur les questions écrites, les réunions de comité, la validité des délibérations sur un projet de loi, des accusations contre un haut fonctionnaire du Parlement, le dépôt d’un rapport de comité pendant l’ajournement du Sénat, la reconnaissance du leader de l’opposition, le traitement injuste réservé aux sénateurs par le Règlement et un communiqué de presse présenté par un député de la Chambre des communes. Dans un seul cas ai-je jugé que la question de privilège était fondée de prime abord; il s’agissait de la divulgation prématurée d’un rapport de comité.

Au cours de ma présidence et depuis mon départ du Sénat pour reprendre ma pratique privée dans une firme d’avocats de Calgary, j’ai suivi attentivement vos activités. Vous verrez, lorsque vous prendrez votre retraite, qu’il est difficile de ne pas continuer de s’intéresser à ce qui se passe ici. Peu importe, depuis mon départ, j’ai réfléchi aux défis que pose le concept de privilège, non seulement pour les parlementaires, mais aussi pour les citoyens, la presse, les tribunaux et même le Sénat et la Chambre des communes collectivement.

Je souscris à la conclusion qu’a formulée le comité dans son récent rapport au Sénat intitulé Une question de privilège, à savoir que « le privilège doit être adapté à l’environnement contemporain et aux attentes modernes ».

Comme c’est le cas pour toutes les institutions gouvernementales — et particulièrement pour le Sénat, qui conserve de nombreuses dispositions constitutionnelles désuètes qui ne reflètent plus les intérêts publics et dont j’ai traité dans des publications parlementaires —, il faut constamment examiner les dispositions nébuleuses ou désuètes que comprennent nos instruments de gouvernance de manière à les modifier pour mieux servir l’intérêt public.

Malheureusement, tout comme la réforme du Sénat, la question du privilège parlementaire est trop souvent mise de côté puisqu’on ne la considère pas comme une priorité. Il est dommage que l’on juge le temps dont dispose le Parlement trop précieux pour le consacrer à une question considérée comme secondaire. Toutefois, pour reprendre les propos du président Kennedy, le meilleur temps pour réparer sa toiture, c’est lorsque le soleil brille. Comme toutes les questions de politique publique, l’examen du privilège parlementaire devrait avoir lieu non pas en période de crise, mais plutôt lorsque les opérations roulent normalement, de manière à ne pas mettre en péril des échéances ou des projets.

J’abonde dans le même sens que l’ancien député Derek Lee, auteur d’un important article publié en 2005 dans la Revue parlementaire canadienne dans lequel il souligne le besoin de codifier le privilège parlementaire. Selon Derek Lee, en l’absence d’un code écrit clair, le privilège parlementaire continuera d’être caractérisé par la « méconnaissance de la part de la population [et] l’existence de conflits avec d’autres lois et d’autres institutions ».

Un juriste anglais, sir Edward Coke, dans son ouvrage intitulé The Institutes of the Laws of England, publié en 1629, décrit comme suit le privilège parlementaire et de nombreux autres éléments de la procédure parlementaire : « revendiqués par tous, inconnus de la plupart, compris d’un petit nombre » — un truisme toujours répandu de nos jours, à mon avis.

Sir Erskine May, expert incontournable de la procédure, estimait qu’il y avait lieu de codifier le privilège parlementaire. Dans son traité de 1844, il a écrit :

Dans son état actuel, le privilège est, au plus haut degré qui soit, insatisfaisant.

Les choses ne changent pas.

Il est invoqué au Parlement et refusé par les tribunaux […]. Le privilège des deux chambres devrait reposer sur une définition fixée dans une loi; et son mode d’application devrait lier les tribunaux.

Mme Eve Samson, membre de longue date des services de la procédure à la Chambre des communes britannique, a écrit que depuis l’époque d’Erskine May, il y a toujours eu une tension entre la clarté de la codification et le pragmatisme d’une approche laissant la place à l’évolution, au bon sens et à la compréhension commune. Je fais référence ici à l’article qu’elle a publié intitulé « The Unfolding Debate with the Courts ».

Je comprends tout à fait cette réalité. Je suis convaincu que c’est le cas pour nous tous. Toutefois, je souscris aux conclusions du comité mixte de 1999 au Royaume-Uni selon lesquelles une loi exhaustive sur le privilège parlementaire s’impose si l’on veut véritablement moderniser le Parlement plutôt que le rafistoler.

Les conclusions du comité mixte de 1999 au Royaume-Uni reposaient sur les considérations suivantes : une loi du Parlement permettrait à l’électorat — c’est-à-dire, le public — de mieux comprendre l’importance du privilège parlementaire, puisqu’elle présenterait un code clair et accessible exprimé en langage moderne; le code devrait assurer la souplesse du privilège en définissant des principes; le code ne renforcerait pas le pouvoir des tribunaux de trancher sur la nécessité du privilège; pour assurer la souplesse, les principes devraient être assortis d’exemples de manière à ne pas empêcher des situations futures d’être couvertes par la Loi sur le privilège parlementaire; et, finalement, il y aurait lieu d’accorder un droit de réplique aux citoyens qui jugent que l’on a atteint à leur réputation au Parlement.

Comme vous le savez, les parlements de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande ont tous les deux codifié le privilège parlementaire au moyen de lois. Je crois qu’il serait judicieux d’étudier pleinement leur expérience de la codification, de même que celle de l’Assemblée nationale du Québec qui a codifié de nombreux éléments du privilège avec la Loi sur l’Assemblée nationale.

Puisqu’il peut être délicat pour le Sénat de se lancer seul dans cette entreprise, je propose que l’on envisage de créer avec la Chambre un comité mixte sur le privilège parlementaire chargé d’examiner les besoins du Parlement et des Canadiens à l’ère contemporaine.

Merci.

Le président : Merci.

Le sénateur Gold : Je vous souhaite la bienvenue au comité. C’est vraiment un honneur et un privilège de vous accueillir, surtout pour un sénateur relativement nouveau comme moi.

Lors d’une séance précédente du comité, nous avons accueilli Richard Gordon, un avocat britannique, qui est d’accord avec vous. D’ailleurs, je crois que nous convenons tous autour de cette table qu’il est temps de légiférer et de considérer l’adoption d’une loi sur le privilège parlementaire. Au sujet du contenu d’une telle loi, M. Gordon nous a proposé d’amorcer un dialogue, non seulement avec le Sénat et la Chambre des communes, mais aussi avec les tribunaux, les principaux intervenants pouvant nous aider à définir la portée du privilège. Il n’a pas précisé la structure que prendrait ce dialogue, mais il a reconnu qu’il pourrait y avoir une certaine résistance de la part des deux parties à amorcer ce processus, étant donné la séparation des pouvoirs consentis par notre Constitution.

Que pensez-vous de l’idée générale que les tribunaux et le Parlement collaborent à la modernisation du droit du privilège?

M. Hays : Merci, sénateur. Sans vouloir vous manquer de respect, la première chose qui me vient à l’esprit, c’est : bonne chance. Il serait difficile de convaincre les tribunaux de participer à une telle discussion, et avec raison. Ils pourraient compromettre leur indépendance, qu’ils valorisent énormément et qu’ils devraient valoriser ainsi, s’ils étaient associés publiquement à un tel processus. D’un autre côté, il vaut la peine d’essayer. De façon sélective, vous pourriez trouver certains juristes qui souhaiteraient participer à ce processus et qui auraient de bonnes idées sur la façon dont les tribunaux pourraient examiner vos décisions en matière de codification et ce qui constitue une question de privilège.

Le sénateur Gold : Sans vouloir vous mettre dans une position inconfortable, selon vous, dans quels domaines du droit du privilège les tribunaux sont-ils allés trop loin ou pas assez loin? Y a-t-il des domaines qui sont mûrs pour une modernisation?

M. Hays : Rien ne me vient immédiatement à l’esprit. Si j’avais du temps pour y réfléchir, je vous trouverais certainement quelques exemples de tribunaux qui s’intéressent un peu trop, peut-être même de façon inappropriée, à ce que les parlementaires tentent de protéger, soit les décisions des parlementaires et ce qui se passe au Parlement, et qui aimeraient bien examiner ces questions si quelqu’un se donnait la peine de les présenter devant les tribunaux.

Personnellement, je ne crois pas que ce soit une bonne idée de demander à l’arbitre suprême de ce qui aurait dû être fait de se prononcer sur ce qui se fait.

Le sénateur Gold : Merci.

Le sénateur Joyal : Sénateur Hays, je vous souhaite la bienvenue. Je suis heureux d’avoir l’occasion de discuter avec vous de cette question qui revient depuis maintenant 20 ans, et un peu plus souvent au cours des 15 dernières années, notamment devant les tribunaux.

En 2005, la Cour suprême a rendu une décision historique dans l’affaire Vaid concernant une allégation de discrimination fondée sur le racisme. Il s’agissait d’une allégation relative à l’article 15 de la Charte qui porte sur l’égalité, alors qu’elle était plutôt relative à la Loi sur les droits de la personne. Toutefois, le principe était le même, un principe couvert par la Charte.

Une autre affaire actuellement devant la Cour suprême concerne le Président de l’Assemblée législative du Québec. Dans cette affaire, un employé congédié, en vertu du pouvoir du Président, sans que la procédure de griefs pour les employés de l’assemblée ait été respectée, allègue qu’il s’agit d’une violation des droits des syndiqués. L’affaire a été plaidée il y a deux mois. À mon avis, il s’agit d’une affaire similaire à l’affaire Vaid; il s’agit d’une allégation de violation des droits consentis par Charte.

La Cour d’appel du Québec est actuellement saisie de l’affaire Singh, qui concerne une allégation de violation de la liberté de religion. Encore une fois, il s’agit d’un principe couvert par la Charte.

J’aimerais souligner deux points. D’abord, le principal conflit par rapport aux privilèges semble venir de la participation de tierces parties, et vous y faites référence à la dernière page de votre exposé, au point cinq, où vous dites qu’il y aurait lieu d’accorder un droit de réplique aux citoyens qui jugent que l’on a atteint à leur réputation au Parlement. Donc, il est question de ce que j’appellerais les droits des tiers. Pas des députés, en tant que tels, mais des tiers — des citoyens privés qui se sentent lésés par une décision du Parlement.

Ma question est la suivante : ne devrait -on pas tenter de réconcilier la mise en œuvre des principes de la Charte et les décisions quotidiennes du Parlement, qu’il s’agisse de décisions rendues par le Président ou l’assemblée elle-même, de façon à disposer d’un mécanisme permettant de réconcilier l’exercice du privilège et les principes de la Charte au sein du Parlement?

Le fait de codifier le privilège, même en étudiant l’exemple de l’Assemblée nationale du Québec, comme vous le dites dans l’avant-dernier paragraphe de votre exposé, ne protège pas les droits des citoyens, comme nous l’avons vu dans les deux dernières affaires auxquelles j’ai fait référence — l’affaire Chagnon, devant la Cour suprême, et l’affaire Singh, dont la Cour d’appel du Québec a été saisie — qui concernent des privilèges qui sont censés être codifiés dans la Loi sur l’Assemblée législative. Donc, la codification n’est pas une solution pour protéger les droits des citoyens qui se sentent lésés par une décision du Parlement et qui cherchent une façon appropriée de demander réparation.

Ces deux affaires sont devant les tribunaux. Donc, la codification n’empêche pas les tribunaux d’avoir à se prononcer sur cette question. Ne serait-il donc pas préférable d’avoir un système de réconciliation, peut-être un comité, et dans le cas du Parlement fédéral, un comité mixte des deux Chambres, qui aurait pour mandat de mettre en place à l’intention des citoyens qui se sentent lésés une procédure leur permettant d’interjeter appel devant le comité pour faire respecter les principes de justice fondamentale, de plaider leur cause et d’être représentés par un avocat, comme c’est le cas pour le Comité sur les conflits d’intérêts où un sénateur faisant l’objet d’allégations peut obtenir ce genre de soutien?

Est-ce que ce serait une façon de régler ce problème qui demeure frappant, même si, dans le cas du Québec, l’assemblée législative a procédé à une certaine codification?

M. Hays : C’est une question difficile, sénateur Joyal. Je connais votre intérêt pour le sujet et je tiens à faire preuve de prudence en vous répondant, car vous avez probablement passé plus de temps que moi à réfléchir à cette question.

Ce qui nous manque au Parlement pour régler le problème que vous soulevez, que ce soit par l’entremise de comités ou de tribunaux, c’est un processus de griefs qui permet aux citoyens de se plaindre d’une décision du Parlement ou d’un geste posé par celui-ci. Le Parlement devrait peut-être étudier la possibilité de créer un espace où les citoyens lésés peuvent exprimer leurs frustrations et obtenir de l’aide ou une réponse. Pour obtenir une réponse, il faudrait que ce soit un comité parlementaire.

Peut-être pourriez-vous m’aider, mais aucune situation précise ne me vient à l’esprit. Vous faites référence à l’affaire Vaid. De mémoire, il est question dans cette affaire du congédiement d’un chauffeur par…

Le sénateur Joyal : Le Président de la Chambre des communes.

M. Hays : Est-ce que le privilège parlementaire s’applique dans un tel cas? Si je ne m’abuse, non. Dans cet exemple, on a examiné le comportement du Président comme s’il s’agissait d’une compagnie de taxi, et je crois que c’était la bonne chose à faire. Où peut-on aller si l’on n’a pas accès aux tribunaux ou au Parlement, si la question exige l’attention du Parlement? Peut-être avons-nous besoin d’un véhicule — pas d’un véhicule, ce n’est peut-être pas la bonne terminologie à employer, mais nous avons besoin d’un forum où ce genre de plaintes peut être exprimée.

De mémoire, je ne crois pas que nous en ayons, mais si nous décidons d’en avoir un, je pense que c’est quelque chose que le Parlement pourrait faire. Je ne crois pas que les tribunaux pourraient le faire; c’est un défi parlementaire.

Le sénateur Joyal : Ce qui me préoccupe, c’est la façon dont nous concilions les deux parties de la Constitution, la Charte, d’une part, et les privilèges parlementaires, d’autre part, qui sont, comme vous le savez, visés par l’article 18 de la Loi constitutionnelle de 1867, en vertu de laquelle l’ancienne juge en chef McLachlin — elle n’était pas juge en chef en 1998 —, dans la célèbre affaire Harvey au Nouveau-Brunswick, a dit très clairement qu’une partie de la Constitution ne peut pas avoir préséance sur une autre partie de la Constitution. On ne peut donc pas invoquer une violation de la Charte pour éliminer les privilèges qui sont reconnus à l’article 18. Nous nous retrouvons avec deux pôles d’autorité dans la Constitution qui vont à l’encontre de certaines décisions. Comment pouvons-nous nous assurer que le Parlement fait des démarches pour concilier les deux si nous ne faisons pas ce que nous faisons maintenant, qui est de laisser un citoyen lésé avec le fardeau de s’adresser aux tribunaux?

Lorsque le citoyen va en cour, le tribunal peut être tenté de dire ceci : « Eh bien, oui, vous avez été lésé. Votre droit a été violé, mais c’est une décision qui est prise par le Parlement dans le cadre de ses délibérations et de sa fonction législative, comme on l’a évoqué dans l’arrêt Vaid et, par conséquent, nous ne pouvons pas ordonner un recours. » Autrement dit, le citoyen est laissé pour compte même s’il est convaincu que ses droits n’ont pas été respectés par le Parlement.

Il me semble qu’il devrait y avoir une façon de régler ce problème, qui découle du fait que nous avons une Constitution écrite et, ce faisant, nous devons trouver un moyen de jouer le rôle d’arbitre dans des affaires où les citoyens sont convaincus que leurs droits ne sont pas respectés par le Parlement et nous assurer qu’un processus est en place pour que la violation présumée soit examinée et qu’on y donne suite.

M. Hays : Ce qui me vient spontanément à l’esprit en vous écoutant poser la question, c’est que, même si vous avez une méthode finale pour déterminer une telle question, cela ne garantit pas que la personne lésée sera satisfaite du résultat.

Le sénateur Joyal : Non.

M. Hays : La méthode actuelle n’est peut-être pas si mauvaise, pour ce qui est du rôle des tribunaux et du Parlement et les mesures mises à la disposition du public pour régler ces affaires. Le processus pourrait être simplifié, cependant, et pourrait conférer de plus grands pouvoirs aux tribunaux d’une certaine façon. Je ne peux pas m’imaginer le type de loi qu’il faudrait, mais il faut donner aux tribunaux un plus grand rôle dans l’audience finale et la décision qui n’est pas disponible pour le moment. Autrement dit, une initiative législative novatrice pourrait fournir une meilleure réponse à votre question que ce que nous avons à l’heure actuelle, à savoir que vous devez vous satisfaire des décisions des tribunaux ou du Parlement, ou des deux.

Le sénateur Joyal : Merci.

Le président : J’aimerais intervenir et poser une question à ce sujet. Nous avons entendu des témoignages au cours des quelques dernières réunions sur la question du bien-fondé de la codification du privilège parlementaire, certains soutenant qu’elle apporterait plus de clarté, d’autres soutenant qu’à partir du moment où l’on codifie le privilège parlementaire, on donne l’occasion aux tribunaux d’empiéter encore plus sur le privilège parlementaire. Pouvez-vous nous faire part de votre point de vue sur le bien-fondé de la codification? Des Parlements dans le monde entier ont fait les deux, et je me demande si vous pouvez nous dire ce que vous en pensez.

M. Hays : Si on n’essaie pas de codifier, les résultats seront moins certains qu’ils le seraient si vous aviez fait un bon travail pour codifier les procédures qui donneront lieu à un recours pour le grief qui est revendiqué, car rien, dans les tribunaux et au Parlement, ne précise clairement leurs responsabilités à l’heure actuelle.

Comme c’est toujours le cas dans une question judiciaire ou parlementaire, on ne peut pas plaire à tout le monde, si bien que les gens n’ont aucune garantie, lorsqu’ils ont accès à la méthodologie de règlement des conflits, qu’ils seront satisfaits des résultats finaux. Je pense que nous devons simplement accepter la situation.

Le comité pourrait trouver utile d’examiner d’autres cadres législatifs dans d’autres pays pour voir si quelqu’un a mieux géré la situation que nous, mais rien ne me vient à l’esprit.

La sénatrice Ringuette : Sénateur Hays, c’est toujours un plaisir de vous voir. Nous vous sommes reconnaissants de garder un œil attentif sur notre institution et sur nos audiences.

J’aimerais que vous soyez très honnête. Vous avez dit que durant votre mandat en tant que Président du Sénat, vous avez rendu 10 décisions concernant le privilège. Les dispositions dans notre Règlement du Sénat actuel — elles n’ont pas changé depuis que vous avez quitté l’institution — concernant les preuves à première vue et les mesures subséquentes sont-elles adéquates? Devrions-nous nous pencher sur ce processus également?

M. Hays : Quant à savoir si le Sénat doit se pencher sur une question ou non dépend toujours du nombre de votes pour ou contre l’idée de revoir la situation actuelle. Je ne me rappelle pas, durant le temps que j’ai passé ici, si c’est déjà arrivé, et si quelqu’un qui est aux prises avec les problèmes que vous venez de soulever voulait, une fois pour toutes, trouver un moyen pour que ces problèmes soient réglés par le Président, un arbitre ou le Sénat. Je ne suis pas certain de pouvoir aider en proposant une façon de passer en revue le processus et de le remplacer par une meilleure structure que celle que nous avons déjà en place à la Chambre des communes et au Sénat.

Je n’ai peut-être pas bien compris votre question, mais je vais m’arrêter ici et vous permettre d’apporter des éclaircissements.

La sénatrice Ringuette : Si j’ai bien compris, vous êtes d’avis que le processus actuel selon lequel le Président détermine s’il y a une question de privilège fondée à première vue est adéquat.

Maintenant, pour la deuxième étape, lorsqu’une preuve a été établie et acceptée par le Président, la décision revient au sénateur qui a soulevé une question de privilège au Sénat. Par conséquent, le Comité du Règlement sera parfois saisi de la question. À d’autres occasions, un autre comité en sera saisi.

Nous ne semblons pas avoir, pour assurer un suivi, un système adéquat et un délai lorsque le Président relève une question de privilège ou une question de privilège fondée à première vue. Quelles mesures devrions-nous prendre à la deuxième étape, après avoir établi qu’il y a une question de privilège fondée à première vue?

M. Hays : L’élément principal est d’établir l’existence d’une question de privilège fondée à première vue. Une fois que le Président a relevé une question de privilège fondée à première vue, on passe alors à l’étape suivante, qui est de déterminer l’objectif poursuivi par le plaignant. Ce n’est pas facile à faire. Ce n’est pas censé être facile à faire, car il s’agit d’une ingérence dans les procédures normales et les travaux du Sénat.

Quelle procédure serait préférable à celle en place au Sénat actuellement? Ma mémoire n’est pas assez bonne pour que je puisse vous donner une bonne réponse à votre question. Si vous voulez procéder à une codification et clarifier les étapes à suivre pour qu’une question de privilège soit réglée plus rapidement, la méthodologie pour obtenir ce résultat serait biaisée davantage lorsqu’on relève une atteinte au privilège que lorsqu’on n’en relève pas.

J’estime que parce que c’est une procédure difficile et qu’il y a de nombreux éléments subjectifs dans le processus, il est moins probable que l’on établira qu’il y a eu une atteinte au privilège, et c’est peut-être correct.

C’était toujours ce qui se produisait durant les années que j’ai passées au Sénat. Je n’arrive pas à me souvenir d’un moment où cette procédure a été modifiée pour qu’il soit plus facile ou plus difficile d’établir s’il y a eu atteinte au privilège.

Il est difficile de répondre à cette question, à moins de vous asseoir et de passer du temps à examiner les exemples — et ils sont nombreux — et la façon dont on pourrait se tourner vers une solution plus rapide et plus équitable pour établir s’il y a eu violation du privilège ou non.

La sénatrice Ringuette : Lorsqu’une question de privilège fondée à première vue est entendue et le processus en vertu duquel un sénateur passe en revue le cas est correct, devrions-nous envisager de faire appel à un groupe tiers externe pour examiner la question? Je trouve que les données et les politiques semblent parfois interférer avec l’élément central du privilège parlementaire.

M. Hays : Un arbitre indépendant, peut-être les tribunaux ou un groupe de juges, pourrait-il être bien placé pour déterminer s’il y a eu une violation de privilège? Je ne pense pas. Je crois que le Parlement tient vraiment à garder les problèmes qui se posent à l’interne, et la création d’un processus parallèle pour prendre une décision n’est pas une bonne idée.

La sénatrice Ringuette : Merci.

Le président : Je suis ravi d’entendre la réponse à la question de ma collègue, la sénatrice Ringuette, car c’est le nœud du problème, à mon avis. Avec le temps, nous cherchons constamment des éléments externes au processus parlementaire pour régler la question du privilège parlementaire, et je pense que nous avons permis aux tribunaux d’empiéter sur la suprématie et le pouvoir du Parlement. Dès que vous ouvrez cette boîte de Pandore, vous minez le privilège sous-jacent au privilège et au pouvoir du Parlement.

À l’avenir, quels sont les risques et les défis auxquels nous serons confrontés au Parlement en raison du rôle croissant du système judiciaire de rendre des décisions qui outrepassent ce que nous percevions à une certaine époque être notre autorité suprême sur des questions législatives et des questions de privilège?

Notre défi sera de trouver une façon compatible de combiner les traditions et les objectifs du privilège parlementaire avec notre système juridique et les rôles que les tribunaux jouent, de même que d’émulsifier dans ces deux éléments la Charte des droits et libertés. Comme le sénateur Joyal l’a dit, le défi est également de gérer les violations perçues par les tierces parties. Je sais que c’est très vaste.

M. Hays : Oui. J’essaie de faire ressortir une question que je peux commenter, à laquelle je peux répondre ou pour laquelle je peux fournir de l’aide. J’éprouve des difficultés.

Dans chacune des deux Chambres du Parlement, j’ai toujours été réticent à l’idée de laisser le soin à des entités externes d’examiner nos enjeux, en dehors du Sénat ou de la Chambre des communes. Il y a quelques cas où les deux Chambres prennent des décisions ensemble, mais cela ne nous plaît pas non plus, si je ne m’abuse. La dernière chose que nous voulions lorsque j’étais sénateur était que la Chambre des communes nous dise quoi faire, et je suis certain que c’était la même chose dans l’autre enceinte. Il y a quelques comités mixtes, le restaurant parlementaire et quelques autres aspects que nous acceptons de partager, mais ils ne sont pas nombreux.

Je pense que ces questions devraient rester à la Chambre autant que possible. Même si la solution ou la réponse à une question donnée n’est peut-être pas la meilleure, il est plus facile de l’accepter si c’est la décision de l’institution et non pas celle d’une autre entité.

[Français]

Le sénateur Maltais : Bienvenue, sénateur Hays. Mon collègue, le sénateur Joyal, a effleuré la question de l’affaire Michaud, qui implique l’Assemblée nationale, avec la délicatesse d’un plaideur reconnu. Pour ma part, n’étant pas avocat, je vais y aller plus directement. Dans cette cause, dont vous avez certainement entendu parler, une motion unanime a été déposée à l’Assemblée nationale contre M. Michaud en raison de certains propos qu’il avait tenus à l’extérieur. Depuis ce temps, il y a environ une quinzaine d’années, il essaie d’avoir une plateforme pour expliquer la teneur de ses propos et la valeur qu’il leur donnait. L’Assemblée nationale a toujours refusé. M. Michaud, qui est avocat de profession, aurait pu faire appel aux tribunaux. Cependant, s’il a cru bon de ne pas le faire, c’est que ses chances d’avoir raison étaient minces.

Qu’en pensez-vous, monsieur Hays, en tant qu’avocat?

[Traduction]

M. Hays : Oui, et je ne connais pas très bien l’affaire Michaud, et c’est probablement pourquoi je vais répondre à cette question d’une façon différente que si je connaissais l’affaire.

Ce que vous dites, c’est que l’Assemblée nationale a pris une décision à laquelle M. Michaud s’oppose de manière objective — je présume que M. Michaud n’est pas membre de l’Assemblée nationale. C’est un citoyen, et il n’a aucun moyen de répondre à ce qu’il considère être des allégations injustes sur sa conduite ou un geste qu’il a posé. Je réponds à cette question de façon théorique, car je ne connais pas l’affaire Michaud.

Pendant que je réfléchis et que vous posez la question, si l’on suppose que l’Assemblée nationale n’a pas plus de recours pour ce type de grief que les structures provinciales que je connais, c’est une lacune; c’est quelque chose qui fait défaut.

Sans connaître les détails, je pense que les organes législatifs devraient prendre acte du grief et devraient savoir qu’il y une façon de le régler en offrant un recours à la personne qui a déposé le grief à l’organe législatif — dans ce cas-ci, l’Assemblée nationale —, car on ne peut pas répondre au grief ou on ne peut pas le soulever, même si on l’approuve en partie. Or, le seul recours à la disposition de la personne est de contester la situation en la portant à l’attention des médias. Une fois que la personne s’adresse aux médias, c’est un jeu de devinettes pour déterminer comment la situation sera réglée, car les motivations de La Presse ou de Radio-Canada sont influencées par la volonté de vendre plus de journaux et d’avoir plus d’auditeurs. C’est potentiellement un processus qui n’est pas objectif, et je ne pense pas que cette filière existe dans les provinces ou au niveau fédéral.

J’ai peut-être mal compris votre question; je ne le sais pas. C’est une longue observation qui est peut-être inutile en réponse à vos remarques.

[Français]

Le sénateur Maltais : Je crois que vous avez bien cerné l’ensemble de la question. Depuis sept ans, plusieurs législatures se sont écoulées, mais l’Assemblée nationale n’a pas bougé.

Cela dit, selon le système de Westminster et plusieurs témoins qui ont comparu devant notre comité, le privilège parlementaire s’applique uniquement au sein du Parlement ou de ses comités désignés. Avez-vous cette même perception, sénateur Hays?

[Traduction]

M. Hays : Oui. Pour pousser la question au-delà de ce que vous avez décrit, il faudrait une initiative législative qui n’a pas été entreprise, selon moi. Je n’ai pas consulté d’autres instances, mais je ne suis au courant d’aucune initiative législative qui offre ce recours.

Si j’étais un législateur en ce moment, je réfléchirais très sérieusement avant d’aller de l’avant et de fournir un recours à la personne lésée et de lui donner des droits extraordinaires pour obtenir réponse à son grief. Je ne sais pas quelle serait cette filière, mises à part celles qui existent à l’heure actuelle. Dans les cas de diffamation, il y a un recours. Si des précisions sont requises, ce ne serait peut-être pas un très bon recours, mais vous pouvez entrer dans la mêlée en vous adressant aux médias, notamment.

Mes remarques ne sont pas très utiles. Je suis désolé.

[Français]

Le sénateur Maltais : Merci, monsieur Hays.

[Traduction]

La sénatrice Seidman : Bienvenue, sénateur Hays.

Dans votre déclaration, vous avez fait référence à l’article de Mme Samson sur le privilège et sur toute la question de la tension entre la clarté de la codification et la nécessité de faire preuve de souplesse et de laisser place à l’évolution. Je peux voir comment ce peut être un défi. Lorsque vous mettez une mesure sur papier, vous la définissez — et comme vous le dites, elle devrait être définie —, et vous perdez un certain niveau de souplesse.

Vous nous avez également présenté les principes, les raisons fournies par le comité mixte du Royaume-Uni pour lesquelles une loi exhaustive sur les privilèges parlementaires est requise, ce que vous appuyez, comme vous nous l’avez fait savoir. Le point 4 prévoit que, pour conserver une certaine souplesse, les principes devraient être énoncés avec des exemples pour ne pas empêcher que des projets futurs soient couverts par les dispositions d’une loi sur les privilèges parlementaires.

Je vous serais très reconnaissante si vous pouviez nous en dire plus sur la question de la tension entre la nécessité de codifier et le défi de continuer à faire preuve de souplesse.

M. Hays : C’est une tâche difficile, et les observations que j’ai formulées sont une tentative d’être catégorique dans une certaine mesure, mais pas si catégorique que l’on empêche quelque chose auquel on n’avait pas pensé de se produire lorsqu’on a suggéré les procédures qui seraient utiles pour régler les questions de privilège.

Je pense avoir répondu à votre question en partie. Lorsque vous tentez de codifier — et je suis favorable à l’idée d’écourter le délai de traitement d’un grief —, la codification est utile. Je pense que vous devez laisser le processus ouvert, car il est impossible de penser à tous les cas pouvant être pertinents. La définition d’atteinte au privilège doit être généralisée. Je pense que vous devez élaborer le processus de manière à pouvoir inclure des situations auxquelles vous ne pouvez pas penser en ce moment. Je ne sais pas si ma réponse vous est utile ou non.

La sénatrice Seidman : Cela m’aide. Le point 4 de cette liste comporte en quelque sorte une offre de traiter cela de sorte que les principes s’accompagnent d’exemples. Est-ce que vous trouvez cela sensé?

M. Hays : Oui.

La sénatrice Seidman : Donc, il y a une définition, mais qui ouvre la porte à d’autres possibilités. Est-ce que je comprends bien?

M. Hays : Oui.

La sénatrice Seidman : D’accord. Merci.

Le sénateur Gold : Sénateur Hays, j’aimerais revenir en arrière et essayer de cerner — pour voir si je les comprends bien — certains des commentaires du président et du sénateur Joyal. C’est au sujet du rôle des tribunaux par rapport au Parlement.

Je crois que nous comprenons que ce qui a pu être compris comme étant la suprématie du Parlement doit maintenant être compris comme l’assujettissement du Parlement à la Constitution. Je pense que c’est ce que le sénateur Joyal a expliqué. Le privilège parlementaire tire ses origines d’une époque de grande tension entre la Couronne et le Parlement qui émergeait, mais les choses ont énormément changé, heureusement, au cours des derniers siècles. Donc, d’une certaine façon, je crois qu’on a tort de caractériser le privilège comme étant un conflit entre des adversaires — le Parlement et les tribunaux. Chacun a son rôle à jouer, et le Parlement et les tribunaux ont l’obligation de respecter les paramètres de la Constitution. Je pense que c’est essentiellement ce que le sénateur Joyal disait quand il parlait de concilier les deux pôles de la Constitution.

Cela étant dit, je veux m’assurer de bien comprendre la recommandation et voir si vous êtes d’accord. Je crois que l’idée est que le Parlement établisse des règles internes reflétant les principes fondamentaux de justice, d’application régulière de la loi, et ainsi de suite, pour traiter les cas où des tiers, des citoyens, s’estiment lésés dans leurs droits garantis par la Charte — des règles internes qui détermineraient la structure de la prise des décisions au Sénat à savoir s’il y a atteinte au privilège parlementaire, et qui donneraient au citoyen lésé le droit de comparaître et d’être entendu.

Si ces mécanismes étaient en place, diriez-vous que le Parlement pourrait toujours décider sans appel de laisser plus régulièrement ou convenablement au Sénat la décision à savoir s’il y a eu ou non violation d’un privilège parlementaire? Autrement dit, s’il y avait en place des mécanismes internes reflétant les valeurs de la Charte pour le traitement des tiers, cela pourrait donner aux tribunaux des raisons de laisser comme il se doit le Parlement décider, alors que dans les circonstances actuelles, sans de tels mécanismes, les tribunaux pourraient à raison croire que leur rôle est de veiller à ce que les valeurs de la Charte soient tenues en compte et protégées, étant donné que personne d’autre n’en tient compte.

Diriez-vous qu’il vaudrait la peine d’envisager cela?

M. Hays : En tant que parlementaires, vous posez la question; il y a toujours des choses qui valent la peine d’être envisagées. Cependant, d’après ma compréhension de ce que vous avez soulevé, est-ce une chose pour laquelle je dois m’adresser au Parlement, ou dois-je plutôt en saisir les tribunaux?

Le sénateur Gold : Je crois que c’est juste, mais l’image que j’ai en tête est un peu celle du droit administratif ou de quelque chose de semblable. Je ne veux pas attribuer au Sénat un rôle de tribunal indépendant, mais la loi prévoit souvent qu’un citoyen doit d’abord exercer le recours qui existe.

Nous ne préconisons pas du tout une clause restrictive qui les empêcherait de s’adresser aux tribunaux, mais il faut d’abord exercer les recours en place qui sont prévus dans les procédures du Sénat, après quoi le tribunal pourrait trancher la question de savoir si la justice fondamentale a été respectée ou non, avec toute la jurisprudence pertinente qui en découlerait.

Le Sénat et le Parlement montreraient au moins ainsi qu’ils reconnaissent que dans l’ère moderne, comme l’a souligné le sénateur Joyal, les enjeux sont souvent liés aux droits de tiers et non aux assauts de la Couronne contre les pouvoirs et privilèges des parlementaires.

M. Hays : Ce qui vient à l’esprit, c’est que vous avez les tribunaux, les organismes de réglementation et le Parlement. Il peut arriver que les trois soient des objectifs ou des destinations légitimes, mais la plupart du temps, on conclura sans doute que c’est une question qui relève des tribunaux, une question de relations de travail ou une question relevant d’un organisme de réglementation — tribunaux, organisme de réglementation ou Parlement.

Si vous avez un problème, vous le caractérisez. Parfois, les trois s’appliqueraient, mais la plupart du temps, l’un des trois est le meilleur choix, car si vous ne vous adressez pas au bon endroit, les gens vont simplement se lancer la balle et vous allez devoir aboutir à l’endroit qui était relativement évident au début : un enjeu parlementaire, un enjeu réglementaire ou un enjeu juridique que les tribunaux peuvent résoudre.

Je ne sais pas s’il y a une façon facile de bloquer les trois options — il y en a peut-être d’autres auxquelles je n’ai pas pensé sur le coup — ou d’en bloquer une ou une autre si elles sont également convenables pour un enjeu particulier dont vous allez parler à votre sénateur ou député dans l’espoir d’obtenir qu’une initiative soit lancée, ou dont vous allez saisir un tribunal en faisant une demande et en retenant les services professionnels qu’il vous faut. Je n’en suis pas sûr.

J’aime que vous ayez ces choix, et ce n’est habituellement pas un choix très difficile à faire, car on sait très bien où aller. Cependant, il peut arriver que vous vouliez vous adresser directement à l’organe décisionnel qui est responsable de la loi — c’est-à-dire le Parlement —, plutôt que d’essayer de résoudre le problème autrement.

Il est cependant très difficile d’en parler de façon abstraite. Avez-vous un exemple précis?

Le sénateur Gold : Je crois qu’on pourrait utiliser presque n’importe quel cas où le Sénat a déterminé que la question est fondée de prime abord. Commençons par cette procédure. La question est, donc, de savoir comment le Sénat tranche la question. Le Sénat crée-t-il une occasion, dans sa prise de décision, pour qu’il soit possible d’envisager les droits légitimes prévus par la Charte de tierces personnes? S’il le fait, l’argument est que cela pourrait, pour le citoyen qui est insatisfait comme c’est souvent le cas des citoyens concernant les décisions qui les touchent, avoir une influence sur la façon dont les tribunaux traitent la question, si ce citoyen exerce son droit d’aller en cour. Le tribunal établirait alors un juste équilibre entre l’autonomie du Sénat, pour ce qui est de régir la conduite de ses membres, au sein de la famille comme vous l’avez souligné, et l’importance à accorder aux valeurs de la Charte qui sont de plus en plus présentes dans les questions de privilège.

M. Hays : Les tribunaux, un organisme de réglementation ayant compétence ou un organe législatif, ou le Parlement fédéral. À qui vous adressez-vous pour faire entendre votre problème, votre plainte? Habituellement, je crois que, selon l’enjeu, le choix d’une de ces trois options est assez évident.

Le plus difficile, c’est si vous voulez que le Parlement en soit saisi. Comment faites-vous cela? C’est moins clair. Pour un organisme de réglementation ou un tribunal, les procédures sont bien établies. Obtenir l’attention du Parlement est bien plus difficile. Si le Parlement a compétence dans le dossier, mais qu’il ne veut pas s’en occuper, vous êtes aussi bien d’oublier cela. Vous êtes pris à choisir l’un des autres recours.

Si le Parlement refuse de se pencher sur une question pour laquelle il n’y a aucun autre recours, je trouverais cela surprenant, et cela correspondrait à un manquement au devoir du Parlement. Je ne sais pas si cela vous aide. Vous n’avez pas donné d’exemple précis, probablement parce que c’est difficile à imaginer.

Le sénateur Joyal : Je veux poursuivre dans cette veine, sénateur Hays, parce que comme je le dis, le précédent du Comité permanent sur les conflits d’intérêts ne nous donne pas nécessairement un modèle, d’après moi, mais il nous donne au moins matière à réflexion.

Le Comité permanent sur les conflits d’intérêts est, bien sûr, une création de la Chambre, dans l’exercice de son privilège de discipline sur ses propres membres. C’est essentiellement ainsi que la Chambre exerce sa fonction disciplinaire, et quand un sénateur fait l’objet d’une allégation d’infraction aux dispositions sur l’éthique et les conflits d’intérêts du Règlement du Sénat, l’allégation est transmise, comme vous le savez, au conseiller sénatorial en éthique, le CSE. Un examen préliminaire sert à déterminer si l’affaire justifie une enquête. C’est le CSE qui prend cette décision. S’il décide qu’une enquête est justifiée, le dossier passe à la deuxième étape — l’enquête —, puis à la troisième étape — le rapport. Le rapport du CSE est déposé au Sénat, puis envoyé au Comité sur les conflits d’intérêts. C’est à ce comité qu’il incombe de tenir des audiences, si le sénateur qui fait l’objet du rapport le souhaite, afin d’examiner le rapport et d’entendre le sénateur. Le sénateur en question peut se faire accompagner d’un avocat, et la procédure se déroule dans le respect du principe de l’application régulière de la loi.

Une fois les audiences terminées, le comité s’appuie sur le rapport et sur la preuve, l’énoncé ou les points soulevés par le sénateur en question pour discuter et présenter un rapport au Sénat. Ce n’est pas le comité qui tranche, mais il fait rapport au Sénat. C’est au Sénat d’agir en fonction du rapport du comité sénatorial permanent.

Je ne suis pas un témoin, ce matin, mais je siège au comité depuis 15 ans et j’ai vu sa façon de fonctionner et la façon dont la procédure fonctionne. J’estime que la procédure est juste parce qu’elle donne au sénateur qui fait l’objet du rapport l’occasion de se faire entendre et d’avoir la conviction d’être traité équitablement, car autrement, le Sénat pourrait essentiellement agir en fonction de l’opinion publique, céder à la pression publique et ainsi de suite. Nous savons comment cela a fonctionné ces dernières années.

C’est en quelque sorte ma façon de penser. Autrement dit, dans le cas d’un tiers comme dans votre cinquième point, si on estime qu’on a atteint à la réputation d’un citoyen au Parlement, comme cela s’est produit pour M. Yves Michaud et, à l’autre endroit, pour Barbara George… Je ne sais pas si vous vous souvenez de l’affaire célèbre de Barbara George. On a atteint à sa réputation, comme M. Michaud, mais étant donné que cela s’est produit au cours de délibérations parlementaires, c’est tout à fait hors de la portée des tribunaux.

Comment donc pouvons-nous gérer les citoyens, ces tiers qui sont lésés, comme M. Vaid et les chauffeurs du Président, la cause Chagnon, et qui ont perdu leur emploi par décision du Président, ainsi que, dans l’affaire Singh, celui qu’on a refusé parce qu’il portait son kirpan, sous prétexte qu’il représentait une menace pour la sécurité du Parlement? Comment traitez-vous les cas des citoyens qui sont laissés sur leur faim? Les cas de ce genre se sont multipliés au cours des 12 dernières années. Ce ne sont pas des cas qui font école, comme on le dit. Vous imaginez un cas et vous vous dites : « Comment réagirions-nous? » Ce sont de vrais citoyens. Et cela s’est produit, en fait, dans les dernières années.

Il me semble donc qu’il y a moyen, dans l’exercice de notre privilège associé à nos fonctions délibératives et législatives, comme nous le faisons dans l’exercice de notre privilège de discipline, de gérer le système en exerçant notre propre responsabilité de nous occuper des cas où quelqu’un a exercé ses privilèges en empiétant sur les droits de tiers.

Quand j’étais en cour, il y a deux mois, je suis sûr que la cour a compris la question à savoir comment baliser l’exercice des privilèges parlementaires quand les droits d’un tiers sont en jeu. C’est le principal enjeu auquel nous devons faire face, d’après moi, tout en conservant notre capacité, en tant que Chambre, d’exercer nos fonctions délibératives et législatives, notre liberté de pensée et notre liberté de parole, tout en tenant compte des droits d’un tiers, comme vous le reconnaissez vous-même dans votre document. Pour moi, c’est vraiment l’un des principaux aspects à résoudre.

Je ne suis pas convaincu que codifier les privilèges nous permettra de résoudre ce problème en soi, car comme vous l’avez énoncé très clairement dans votre mémoire, la codification ne règle pas tout. Il restera une marge de manœuvre malgré l’adoption d’une loi sur le privilège. C’est donc sur ce point, d’après moi, que nous avons de la difficulté à répondre à ce que le sénateur Maltais a soulevé dans le cas de M. Michaud. Je parle du cas de Barbara George, presque en même temps que celui de M. Michaud, à l’autre endroit, ainsi que des trois autres cas que j’ai mentionnés et qui sont réels. Les tribunaux ont vraiment de la difficulté avec cela, en ce moment.

Donc, une fois que nous aurons la décision rendue dans l’affaire Chagnon, nous pourrions obtenir des principes dans lesquels la Cour suprême va délimiter ce que nous devons faire en tant que Parlement quand les droits d’un tiers sont en jeu. Toutefois, nous ne devons pas attendre que la cour nous ordonne de faire quelque chose. Je crois que, en tant que membres d’une Chambre responsable, nous devons résoudre cette question.

M. Hays : C’est une question à laquelle il est difficile de répondre. D’une façon, nous confondons les rôles de l’appareil judiciaire et des tribunaux et les rôles des législateurs, du Parlement, du Bureau de régie interne et des individus qui, comme le Président, possèdent à n’en pas douter des pouvoirs extraordinaires en raison des postes qu’ils occupent.

Ce n’est pas la bonne manière de le dire, mais en ce moment, nous nous débrouillons. Nous trouvons une façon de prendre une décision avec ce qui est à notre portée.

Si nous trouvons — j’entends par « nous » les gens que vous représentez et vous — que la situation actuelle est insatisfaisante, nous pourrions devoir créer un moyen permettant aux gens de présenter les griefs de ce genre de façon officielle et garantissant qu’ils seront traités équitablement par des entités indépendantes, comme des juges, ou par un groupe représentatif de l’organisme qui est en cause, en l’occurrence le Parlement.

Je ne crois pas que nous ayons cela en ce moment. Vous devriez peut-être y penser. Je n’ai pas de bonne solution en tête à vous suggérer. Il faudrait peut-être une entité pertinente dont la structure serait semblable à celle du Bureau de régie interne dans les deux Chambres, et dont la responsabilité exclusive serait de s’occuper convenablement de cas comme celui de Vaid, en permettant aux deux côtés de se faire entendre ou de présenter leur grief — ou la raison pour laquelle leur grief n’a pas été présenté —, puis en obtenant que quelqu’un tranche la question.

Je ne crois pas que nous ayons cela. Il serait bon que vous établissiez cela, car il est fort possible que la partie lésée n’ait pas accès aux tribunaux en pareille situation. Je ne peux pas me souvenir assez bien de l’affaire Vaid pour l’utiliser comme exemple, mais je pense que M. Vaid a été lésé par une décision du Président de la Chambre des communes; c’était un chauffeur, je crois. Qui devait être saisi de ce dossier? Les tribunaux ou le Parlement? Je ne pense pas que le cheminement était clair, pour le traitement de ce grief. Il faudra sans doute un peu de travail pour fournir cela, mais il en vaudrait probablement la peine de le faire.

[Français]

Le sénateur Maltais : Sénateur Hays, on a beaucoup parlé des personnes qui pouvaient être lésées par le privilège parlementaire. Mais il y a une autre version aussi. À titre de Président du Sénat, vous avez dû rendre des décisions selon les renseignements dont vous disposiez pour les étoffer, mais les parlements issus du système britannique veulent que dans une Chambre, un député ou un sénateur ne conteste d’aucune façon la décision du Président. Ce n’est pas une bonne et saine habitude. Je crois que, lorsque le Président a rendu sa décision, tout le monde doit l’accepter. Cependant, cela ne veut pas dire que tous les parlementaires sont d’accord avec cette décision. Mais la règle est une règle de « soumission ».

Somme toute, le parlementaire n’est pas aussi bien protégé qu’on pourrait le croire, si on compare la situation avec celle d’une personne extérieure au Parlement, qui a souffert d’une même décision. Voyez-vous une certaine similitude entre les deux?

[Traduction]

M. Hays : Votre question m’incite à revenir sur la contestation d’une décision du Président. D’après mes souvenirs, si vous n’êtes pas d’accord avec le Président, il est possible de demander un vote de l’ensemble de la Chambre. La décision du Président peut donc être soumise à l’examen de la Chambre, si les bonnes mesures sont prises et si les procédures sont suivies pour dire : « Le Président a commis une erreur », ou « Je ne suis pas d’accord », ou « Ce n’est pas bien parce que… ».

C’est donc une solution au problème. C’est laborieux, mais je ne vois rien d’autre qui suffirait, outre l’intervention de la Chambre entière après que le Président ait fait une chose avec laquelle assez de sénateurs ne sont pas d’accord pour que la question soit soumise à la Chambre. Comment résoudre un désaccord dans un sens ou dans l’autre, concernant une chose que le Président a faite ou n’a pas faite? Quant aux sénateurs qui ne sont pas satisfaits de l’état des choses, il faut qu’il y ait une façon de résoudre le problème. Est-ce que c’est la Chambre en entier qui doit résoudre le problème?

[Français]

Le sénateur Maltais : Je saisis très bien votre explication et vous avez raison. Sauf que le fait d’entamer une procédure de contestation, comme vous l’indiquez, est possiblement un vote de censure envers la présidence. Dans le système britannique, le Président doit jouir de la confiance de la majorité des membres de la Chambre, sinon cela devient intenable pour lui. Peu de parlementaires se risquent à contester une décision de la présidence. Vous le savez par expérience, tout comme moi qui ai siégé dans deux parlements; très peu de parlementaires vont courir ce risque, parce que cela peut entraîner des procédures très difficiles et même rendre le Parlement temporairement inefficace.

Donc, le flegme britannique veut que l’on ne conteste jamais une décision de la présidence...

M. Hays : Ou très rarement.

Le sénateur Maltais : ... ou très rarement, et je suis entièrement d’accord avec cette position. Mais si la seule façon d’exprimer son désaccord, pour un parlementaire, est de contester la décision de la présidence, il est pris dans un cul-de-sac.

[Traduction]

M. Hays : La tradition, l’usage veulent donc que le premier ministre nomme le Président, mais les règles prévoient l’élection à la présidence, et cette forme d’élection est généralement respectée.

Je me suis souvent posé cette question : qu’arriverait-il si le Sénat n’approuvait pas le choix du premier ministre à la présidence? Je pense que le cas échéant, le Sénat devrait élire son propre président et dire : « Non, nous n’accepterons pas votre nomination. » Je pense que les règles nous permettraient de ne pas suivre la tradition de longue date selon laquelle c’est le premier ministre qui décide qui occupera la présidence dans l’une des deux Chambres du Parlement.

Je pense que cette décision n’a jamais été contestée, mais qu’elle pourrait l’être. Le cas échéant, je pense que l’organe législatif gagnerait la bataille. C’est ce que je crois.

Le sénateur Joyal : Pouvez-vous répéter cela?

Le président : Si je peux réagir brièvement aux observations et aux questions de mon collègue, le sénateur Maltais, je pense qu’il ne faut pas oublier que, dans les Chambres élues selon le modèle de parlement de Westminster, dans notre pays, on ne peut contester la décision de la présidence.

Bien sûr, comme le Sénat est un hybride du modèle de Westminster, nous jouissons ici d’un pouvoir unique, et il peut arriver, en de rares occasions, que les décisions du Président soient contestées. Cela témoigne aussi du fait que notre Chambre, plus que tout autre organe parlementaire, a été créée pour défendre de façon inébranlable les voix minoritaires.

Concernant le fait que le Sénat pourrait contester le choix du premier ministre à la présidence, il y a évidemment beaucoup de personnes qui partagent ce point de vue. Je crois qu’il serait très difficile pour une assemblée composée de membres nommés d’enclencher des élections pour élire le Président de la Chambre.

De plus, compte tenu du rôle unique que joue le Président en matière diplomatique et du fait qu’il représente la Couronne ou le gouvernement dans le monde diplomatique, comme vous le savez très bien, sénateur Hays, qu’il est le quatrième en lice selon le protocole parlementaire, cela créé une situation assez délicate, puisqu’on pourrait concevoir qu’un premier ministre démocratiquement élu soit représenté sur la scène internationale par un Président du Sénat qui ne partagerait pas la position du gouvernement en affaires étrangères. Je me demande comment on pourrait concilier ces deux positions diamétralement opposées.

M. Hays : Je ne crois pas que ce soit facilement conciliable. J’ajouterais qu’en Alberta, d’où je viens, il y a une forme d’élection pour déterminer qui devrait représenter la province à la Chambre haute, selon nous, les Albertains, si l’on suit la procédure. Je pense que la plupart des sénateurs de l’Alberta, aujourd’hui, ont été choisis après une forme d’élection. C’est un peu chaotique, et la formule n’a pas été reprise par les autres provinces. Elle ne le sera probablement pas, d’ailleurs, parce que je pense que le Sénat s’acquitte avec distinction et sagesse de cette tâche et qu’il fait un assez bon travail pour que nous soyons satisfaits du fonctionnement actuel. Je le dis à titre d’Albertain, mais c’est l’exception à la règle. Je ne sais pas si cela vous aide.

Je pense qu’éventuellement, nous devrons nous pencher sur cette question, collectivement, mais que ce sera probablement un problème touchant le premier ministre qui justifiera cet examen. Je pense que nous sommes encore bien loin de là.

Le président : Sénateur Joyal, vous aurez le dernier mot.

Le sénateur Joyal : Je n’oserais jamais avoir le dernier mot. Je respecte bien trop la liberté d’expression pour cela.

Sénateur Hays, êtes-vous au courant de la recommandation que le Comité sur la modernisation a faite cette session-ci relativement à la nomination du Président?

M. Hays : Pouvez-vous me la rappeler?

Le sénateur Joyal : Oui. Essentiellement, c’est qu’avant la nomination à la présidence, quand il y a une nouvelle législature, le Sénat tienne des élections internes pour déterminer quelles trois ou cinq candidatures seront soumises au premier ministre. Autrement dit, le premier ministre conserverait le pouvoir discrétionnaire de recommander un candidat au gouverneur général, comme il le fait pour les nominations au Sénat en général, mais il serait invité à choisir une personne parmi le bassin de candidats qui ont reçu l’appui de leurs collègues au Sénat.

Il me semble qu’il pourrait y avoir un terrain d’entente entre les deux qui respecteraient la lettre de la Constitution, parce que c’est un privilège de la Couronne que de nommer le Président du Sénat, mais que, en revanche, rien dans la Constitution n’empêche les sénateurs de désigner parmi eux les candidats qu’ils jugeraient compétents et d’en soumettre la liste au premier ministre.

M. Hays : La véritable question est la suivante : que ferait un premier ministre devant un Sénat qui aurait élu son Président, comme la Chambre des communes, et durcirait le ton en disant au premier ministre : « Vous n’avez pas de pouvoir constitutionnel, ce n’est qu’un précédent de longue date que de toujours respecter la décision du premier ministre quant à la personne qui assumera la présidence du Sénat. »

D’un point de vue juridique, je pense que c’est le Sénat qui aurait gain de cause. Le Sénat ne l’a jamais vérifié, mais s’il le faisait, est-ce le premier ministre qui gagnerait la partie, ou serait-ce les sénateurs qui ont décidé de choisir une différente personne à la présidence? Ce pourrait bien être à la cour de trancher. Le cas échéant, je pense que c’est le Sénat qui gagnerait. Cela ne répond peut-être pas à votre question. Ce n’est que spéculation de ma part.

Le sénateur Joyal : Oui, bien sûr, mais si la Chambre décidait de s’exprimer en présélectionnant trois ou cinq sénateurs — je m’attendrais alors à ce qu’elle propose des sénateurs de différents groupes au premier ministre —, nous nous trouverions à protéger le privilège de la Couronne de sélectionner le candidat le mieux placé pour représenter le gouvernement.

Par contre, les sénateurs pourraient également exprimer leur volonté en désignant un certain nombre de personnes en qui ils placent leur confiance. Je crois que ce serait un bon compromis pour protéger l’exercice du pouvoir de la Couronne tout laissant une certaine indépendance à la Chambre.

Nous nous retrouverions à peu près dans la même situation qu’avant, entre les deux parties à la Constitution. Il y a deux parties habilitées à exprimer leur volonté. Il y a la volonté du premier ministre, puis il y a celle du Sénat. Comment pouvons-nous trouver un terrain d’entente entre les deux afin de préserver l’exercice du pouvoir de nomination de la Couronne tout en tenant compte de la volonté du Sénat?

M. Hays : Ce serait une bonne solution pour que le Sénat joue un rôle dans la nomination du Président du Sénat. Il limiterait la liste des candidats à cinq plutôt que de se borner à dire : « Nous avons tenu une élection et nous voulons que telle ou telle personne soit nommée Présidente, monsieur le premier ministre. » Cela éviterait que le Sénat ne conteste le premier ministre et le mette au défi de ne pas nommer à la présidence la personne que le Sénat a lui-même choisie par vote, un peu comme la Chambre des communes le fait. Je pense que si le Sénat agissait ainsi, dans un exemple un peu plus extrême que le vôtre, ce serait comme de laisser entrer le loup dans la bergerie. Je pense que le premier ministre aurait bien du mal à s’en tenir à une tradition qui remonte à 1867 face à un Sénat qui lui dit : « Nous ne voulons pas d’un Président nommé. Nous voulons un Président élu. »

Cela dit, et je l’affirme en tant qu’ancien Président, les premiers ministres ont toujours fait d’excellents choix.

Le sénateur Joyal : Bien sûr.

Le président : Je suis tout à fait d’accord avec vous.

Le sénateur Joyal : Je suis tout à fait d’accord aussi.

M. Hays : Cela dit, ce système fonctionne bien.

Le sénateur Joyal : Vous connaissez mes sentiments à l’égard de la famille Hays, sénateur.

M. Hays : Oui. Mon père et vous avez assumé l’une des plus grandes tâches d’un comité parlementaire dans l’histoire.

Le sénateur Joyal : Je me souviens très bien de lui.

M. Hays : Merci.

Le président : Le premier ministre actuel peut dormir sur ses deux oreilles, puisqu’il ne semble pas y avoir de grande propension de la part des sénateurs à contester ses décisions par les temps qui courent.

Au nom du comité, je souhaite remercier le sénateur Hays d’être venu nous faire part de ses points de vue. C’est très apprécié.

Chers collègues notre prochaine séance aura lieu le 22 mai. Nous recevrons, à titre de témoin, l’ancien juge de la Cour suprême Ian Binnie.

M. Hays : Je vous remercie, monsieur le président, et je remercie mes anciens collègues.

(La séance est levée.)

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