Délibérations du Comité sénatorial permanent de la
Sécurité nationale et de la défense
Fascicule no 6 - Témoignages du 20 juin 2016
OTTAWA, le lundi 20 juin 2016
Le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense se réunit aujourd'hui, à 10 h 2, pour étudier les questions relatives à l'Examen de la politique de défense entrepris actuellement par le gouvernement.
Le sénateur Daniel Lang (président) occupe le fauteuil.
Le président : Chers collègues, bienvenue à cette séance du Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense, en ce lundi 20 juin 2016.
Avant de commencer, j'aimerais présenter les sénateurs ici présents. Je m'appelle Dan Lang, sénateur du Yukon. À ma gauche, le greffier du comité, Adam Thompson.
J'invite les sénateurs à se présenter et à indiquer quelle région ils représentent, en commençant par la vice-présidente.
La sénatrice Jaffer : Mobina Jaffer. Je viens de la Colombie-Britannique.
La sénatrice Raine : Sénatrice Greene Raine, de la Colombie-Britannique. Je remplace le sénateur Dagenais, du Québec.
Le sénateur Day : Bonjour. Sénateur Joseph Day, du Nouveau-Brunswick.
La sénatrice Beyak : Lynn Beyak, de l'Ontario. Bienvenue.
Le président : Aujourd'hui, nous tenons une réunion de cinq heures pour étudier les questions relatives à l'Examen de la politique de défense entrepris actuellement par le gouvernement. Le 21 avril 2016, le Sénat a autorisé le comité à étudier les questions relatives à l'Examen de la politique de défense entrepris actuellement par le gouvernement et à en faire rapport, et à présenter son rapport au plus tard le 16 décembre 2016.
Nous étudions les enjeux liés à la possible participation du Canada aux opérations futures de soutien de la paix de l'ONU ainsi que d'autres points liés à l'examen.
Avant de présenter nos témoins d'aujourd'hui, je tiens à informer les membres du comité que nous tiendrons une réunion mercredi pour étudier le projet de loi S-205, parrainé par le sénateur Moore. J'aimerais aussi, à ce moment-là, discuter des prochaines étapes de notre étude en cours, que j'ai évoquée il y a quelques instants. L'heure n'est pas encore déterminée. Nous espérons que la réunion puisse avoir lieu plus tôt, mercredi matin. Nous avons du temps libre et nous nous organiserons en conséquence.
Le sénateur Day : Ce sont les heures habituelles de réunion du Sous-comité des anciens combattants. Nous espérions aussi réserver cinq ou dix minutes pour discuter des travaux futurs.
Le président : Sénateur, nous pourrions peut-être commencer plus tôt de façon à avoir un peu de latitude. Nous ne sommes pas obligés de le faire à midi. Cela pourrait être plus tôt le matin, si cela convient au comité directeur.
Le sénateur Day : Je ne sais pas ce qu'en pense le caucus.
Le président : Nous devrons discuter de l'horaire. Quoi qu'il en soit, nous aimerions avoir du temps, mercredi, pour étudier le projet de loi S-205 et les travaux futurs.
Le sénateur Day : L'horaire habituel est de 10 h 15 à 12 h 15.
Le président : J'espère que nous pourrons commencer un peu plus tôt.
Je remarque que le sénateur Meredith est ici. Soyez le bienvenu.
Chers collègues, permettez-moi de présenter le premier groupe de témoins de la journée. Nous accueillons Mme Elinor Sloan, qui est professeure des relations internationales au Département de science politique de l'Université Carleton. Représentant le Canadian Defence and Foreign Affairs Institute, nous avons M. Colin Robertson, qui est vice-président et chercheur à l'École de politique publique à l'Université de Calgary.
Madame Sloan, comme vous en êtes à votre première visite, à ma connaissance, je tiens à vous souhaiter la plus cordiale des bienvenues.
Monsieur Robertson — qui a comparu au comité de nombreuses fois —, nous sommes heureux de vous revoir. Bienvenue.
Je crois comprendre que vous avez chacun un exposé. Nous avons réservé une heure pour ce groupe de témoins. Nous commençons par Mme Sloan, suivie de M. Robertson.
Elinor Sloan, professeure des relations internationales, Département de science politique, Université Carleton, à titre personnel : Merci beaucoup de m'avoir invitée à témoigner devant le comité sénatorial. J'ai envoyé mon témoignage d'avance, hier; je sais que ce n'était pas suffisamment d'avance et je suis consciente qu'il est trop long. Je vais donc passer directement à la deuxième partie. La seule partie que je vais omettre est le bref historique de la participation canadienne aux opérations de maintien de la paix.
La sénatrice Jaffer : Madame Sloan, je vous remercie de nous l'avoir envoyé. Comme il n'est pas dans les deux langues officielles, il nous est difficile d'en fournir un exemplaire aux membres du comité.
Je demanderais au comité de nous autoriser à en fournir des exemplaires, exceptionnellement, car il est très long. Nous ne l'avons pas encore lu, car nous venons de le recevoir.
Le sénateur Kenny : Avons-nous la version française?
La sénatrice Jaffer : Non, mais nous le ferons traduire. Je demande simplement s'il est possible d'en fournir un exemplaire aux membres du comité. J'aimerais que vous l'ayez en main.
Le sénateur Kenny : Vous ne comprenez pas ce que je fais valoir. Vous ne me laissez pas terminer ce que j'essaie de dire. Nous n'avons jamais la version française. Ce n'est pas comme s'il arrivait qu'on n'ait pas la version anglaise. Nous demandons la permission chaque fois, et je ne crois pas que nous devrions avoir à le faire.
La sénatrice Jaffer : Je ne suis pas de votre avis. Je vous demanderais d'aller lentement, car c'est très important. Nous venons tout juste d'en recevoir copie.
Mme Sloan : Permettez-moi de vous en présenter un résumé. Dans ce document, je souligne qu'il y a eu 18 missions de maintien de la paix au cours des 40 premières années. Le Canada a participé à chacune d'entre elles, à divers degrés, allant de l'envoi de troupes restreintes à l'envoi d'un Groupe-bataillon complet. Le nombre de missions a explosé au cours des quatre premières années et demie de la Guerre froide, soit 23 missions. Pour le Canada, il n'était pas possible de participer à chacune d'entre elles. Cela dit, nos principales missions de maintien de la paix à cette époque ont été les missions en Bosnie, au Kosovo, en Somalie et au Rwanda. Je sais que le comité a entendu des témoignages sur la mission au Rwanda la semaine dernière.
À compter de 1996, l'OTAN a commencé à prendre en charge les missions de maintien de la paix —avec une certaine réticence — en raison de l'incapacité de la FORPRONU, la mission de l'ONU, à régler les problèmes complexes sur le terrain. Donc, à compter de ce moment-là, début 1996, l'engagement du Canada à l'égard des opérations de soutien de la paix s'est fait par l'intermédiaire de l'OTAN plutôt que de l'ONU.
L'aspect le plus important de ces missions était la réforme du secteur de la sécurité. Dans les observations que j'ai fournies, je mentionne que la « réforme du secteur de la sécurité » renvoie au processus de création ou de reconstruction du secteur de la sécurité d'un État, ce qui inclut les forces militaires et les forces policières. Il s'agit d'un aspect important des opérations de soutien de la paix. Le Canada a joué un rôle pour certains aspects de la réforme du secteur de la sécurité dans les Balkans ainsi qu'au cours de sa mission en Afghanistan, jusqu'en 2014.
Je dresse un bref historique des débuts de la participation du Canada aux opérations de soutien de la paix afin de faire valoir que même si le Canada n'a pas participé de façon importante aux opérations de soutien de la paix sous l'égide de l'ONU pendant 20 ans, environ — en raison de la réticence de l'OTAN à cet égard, à l'époque —, il a tout de même participé régulièrement aux missions de soutien de la paix, jusqu'à aujourd'hui, notamment par la formation de troupes en Ukraine et, comme nous le savons, au nord de l'Irak, au Kurdistan.
Le contexte étant établi, permettez-moi de présenter diverses observations directement liées à l'étude du comité, soit la façon de renouveler la contribution du Canada aux opérations de soutien de la paix. J'ai neuf points; je tâcherai de les présenter brièvement.
Premièrement, le Canada devrait accorder la priorité à la participation aux missions de l'ONU qui sont directement liées à ses intérêts en matière de sécurité, c'est-à-dire l'OTAN et les pays du Groupe des cinq. Aujourd'hui, cela signifie qu'il faut freiner la progression du groupe État islamique et endiguer l'afflux de migrants et de réfugiés vers l'Europe. Le groupe État islamique menace la stabilité en Libye et au Mali. Le Canada pourrait étudier la possibilité de jouer un rôle important dans une éventuelle mission de stabilisation en Libye. Sinon, il pourrait songer à contribuer à la mission au Mali, dont l'objectif est de stabiliser la partie nord du pays pour que les islamistes ne puissent y prendre le pouvoir.
Deuxièmement, le Canada devra se concentrer sur les missions auxquelles participe au moins un de ses alliés traditionnels, en raison du caractère dangereux, à l'ère de l'après-guerre froide, des missions de maintien de la paix intraétatiques — dans un État. Les Pays-Bas et l'Allemagne participent à une mission au Mali. Cela nous ramène encore une fois à cette mission.
Troisièmement, pour le Canada, la meilleure contribution aux opérations de la paix serait de fournir des éléments habilitants essentiels comme les signaux, le renseignement logistique, les services d'ingénierie et le transport aérien. Ce sont là des capacités de haut niveau qui pourraient être utiles aux principaux contributeurs aux missions de maintien de la paix, sur le plan de l'effectif, soit le Bangladesh, l'Éthiopie, l'Inde et le Pakistan. Il s'agit évidemment du genre de choses que le Canada a fourni le plus souvent au cours de la guerre froide.
Quatrièmement, les soldats de la paix doivent être équipés et formés en fonction de conditions assimilables à la guerre. La distinction entre les opérations de soutien de la paix et les missions de combat est établie en fonction de l'intention politique, du caractère impartial de l'intervention plutôt que la définition d'un ennemi, et non en fonction de l'intensité de l'opération.
La demande formulée par le sous-secrétaire général des Nations Unies lors de sa comparution au comité, il y a trois semaines — des hélicoptères de combat —, lorsqu'il a indiqué que le Canada pouvait contribuer aux opérations de l'ONU, laissait sous-entendre à quel point les troupes de soutien de la paix sont susceptibles de se retrouver en situation de combat.
De nos jours, les engins explosifs improvisés font partie intégrante des missions de paix dans les théâtres les plus dangereux. Il est essentiel d'avoir des hélicoptères de transport de troupes et des véhicules télépilotés pour les activités de renseignement, de surveillance et de reconnaissance. Aucune force ne devrait être déployée sans ces types de véhicules. Les patrouilleurs auront besoin de véhicules blindés renforcés, de gilets de protection balistique et d'une puissance de feu létale pour se protéger des tirs directs ou des menaces liées aux engins explosifs improvisés.
Cinquièmement, le Canada devrait se concentrer sur la réforme du secteur de la sécurité. Il s'agit d'un aspect essentiel à la stabilisation des régions du monde dont il est question. Sur le plan militaire, il convient d'offrir un appui à long terme à la formation des forces militaires des pays concernés. On parle d'une formation correspondant aux capacités et aux normes professionnelles auxquelles nous sommes habitués, et cela comprend la primauté du droit. La réforme des secteurs de la sécurité est un aspect important de la réponse à la question posée par le ministre de la Défense nationale lors de sa comparution au comité, il y a trois semaines. La question portait sur la façon d'empêcher le recrutement.
Fait à souligner, l'ONU n'est pas le principal acteur de la réforme du secteur de la sécurité. L'opération RESOLVE de l'OTAN, en Afghanistan, est une mission de réforme du secteur de la sécurité, à l'instar de la mission de l'UE dans le sud du Mali. Les missions canadiennes actuelles en Ukraine et Irak, qui ne sont pas menées sous l'égide de l'ONU, sont essentiellement liées à la réforme du secteur de la sécurité. Ce sont des missions importantes qui devraient être maintenues.
Sixièmement, il est important de ne pas juger de notre contribution aux missions de l'ONU uniquement en fonction du nombre de soldats déployés. Même si la quantité peut être une qualité en soi, c'est avec stupeur que je prends connaissance des classements des pays participants aux missions de maintien de la paix de l'ONU établis en fonction du nombre de soldats. Si le Canada déployait dès demain, dans le cadre d'une mission de l'ONU, le même nombre de soldats qu'il a déployés lors des plus importantes missions de la guerre froide et du début des années 1990, le Canada se classerait tout de même entre le 20e et le 27e rang des plus importants contributeurs aux missions de maintien de la paix.
Le facteur qui rend le mieux compte d'une contribution aux efforts de soutien de la paix des Nations Unies est l'efficacité de la force déployée. Cette force doit être cohésive et autonome, à l'échelle nationale.
Septièmement, le Canada pourrait envisager de retourner à Chypre. Des pourparlers de paix parrainés par l'ONU sont en cours. Ils visent à créer un État fédéral unifié à Chypre, qui est divisée depuis 1974. On estime que les pourparlers pourraient aboutir d'ici la fin de l'année. Le Canada pourrait jouer un rôle important à cet égard.
Huitièmement, en ce qui concerne le Peacekeeping Capability Readiness System lancé par le Secrétaire général des Nations Unies l'automne dernier, le Canada pourrait apporter une contribution significative en permettant l'utilisation d'un de ses appareils C-17 dans le cadre des missions de maintien de la paix de l'ONU.
Enfin, le ministre de la Défense nationale a parlé de l'adoption d'une perspective plus large par rapport au développement des capacités, perspective qui inclurait la bureaucratie civile et la bonne gouvernance. Lors de son témoignage au comité, il a posé la question suivante : « Quel est le rôle de l'armée dans tout cela? » Je n'ai pas encore une réponse bien définie, mais je tiens à souligner, ou à rappeler, qu'une Équipe consultative stratégique dirigée par les Forces canadiennes a mené des activités en Afghanistan de 2005 à 2008. Elle avait pour but de mettre en place des institutions gouvernementales viables en Afghanistan. Le comité pourrait donc vouloir communiquer avec les participants à l'effort de l'Équipe consultative stratégique. C'est avec plaisir que je vous conseillerai pour le choix des personnes avec lesquelles vous pourriez communiquer.
Mesdames et messieurs, je vous ai présenté neuf idées sur la façon dont le Canada pourrait renouveler son appui aux opérations de maintien de la paix de l'ONU. C'est avec plaisir que je répondrai à vos questions.
Le président : Merci beaucoup, madame Sloan. Je vous remercie du temps et des efforts que vous avez consacrés à la préparation de votre exposé et de vos recommandations.
Colin Robertson, vice-président et chercheur, École de politique publique, Université de Calgary, Canadian Defence and Foreign Affairs Institute : Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du comité, « L'ONU n'a pas créé le paradis, mais elle a évité l'enfer », a dit un jour le deuxième Secrétaire général des Nations Unies, M. Dag Hammarskjöld. Le commentaire de M. Hammarskjöld est encore vrai aujourd'hui. Il est particulièrement pertinent pour ce comité tandis qu'il étudie la meilleure façon dont le Canada pourrait répondre à la demande d'aide accrue aux opérations de paix formulée par le Secrétaire général des Nations Unies, M. Ban Ki-Moon.
Malgré toutes ses lacunes, l'ONU demeure notre meilleur moyen de fournir des soldats de la paix pour séparer les factions belligérantes et pour fournir de la nourriture, des mesures d'aide et de développement, ainsi que de protéger les femmes, les enfants et les minorités en danger. L'aide du Canada aux opérations de paix de l'ONU est nécessaire.
Transparency International et Human Rights Watch ont évalué les forces militaires des 30 pays — presque tous des pays en développement — qui fournissent le plus grand nombre de soldats et de policiers pour les opérations de maintien de la paix de l'ONU. On a constaté que ces militaires comptent parmi les plus susceptibles de se livrer à la corruption et d'être coupables de maltraitance et de crimes contre ceux qu'ils devraient protéger. En résumé, ils ont besoin d'une meilleure instruction en vue d'une participation aux opérations et aux interventions sur le terrain. Le Canada peut être utile en misant sur son expertise reconnue en matière de pluralisme réussi et de bonne gouvernance. En tant que peuple, nous célébrons la diversité des cultures de notre société. Nous représentons l'essence même du pluralisme progressiste, la capacité des gens de diverses origines de cohabiter. L'engagement que nous avons pris, dans notre Constitution, de garantir la paix, l'ordre et le bon gouvernement signifie que la gouvernance nécessite un travail constant, ce que nous réussissons très bien.
En 20 ans, le Centre Pearson a formé plus de 18 000 membres de la police militaire et de la société civile de plus de 150 pays. Les diplômés ont ensuite contribué à la paix mondiale et aux opérations de sécurité; ils ont pu miser sur ce bagage de connaissances et d'expériences à leur retour dans leurs pays respectifs. L'Institut de formation aux opérations de paix, situé aux États-Unis, a repris certaines activités du Centre Pearson. L'institut offre, en collaboration avec des conseillers internationaux, des cours sur le soutien aux opérations de la paix et sur l'aide humanitaire. Ce sont des cours en ligne accessibles, abordables et sur demande que les gens peuvent suivre à leur propre rythme. Cependant, le Secrétaire général estime qu'il faut en faire plus.
Compte tenu du nombre d'états en déroute, la situation est très favorable aux soldats de la paix. D'ailleurs, de nombreux pays moins développés louent les services de leurs soldats comme soldats de la paix. Aujourd'hui, le soldat de la paix moyen — il y a 120 000 soldats de la paix — vient d'un pays pauvre, mais aussi moins démocratique et moins développé sur le plan institutionnel. La formation que reçoivent ces soldats de la paix, l'expérience du combat qu'ils acquièrent et les salaires relativement élevés qu'ils touchent leur permettent d'influer sur la politique lorsqu'ils retournent dans leur pays. La formation qu'ils reçoivent est importante, non seulement dans le cadre de la mission à laquelle ils participent, mais aussi à long terme.
En leur en apprenant davantage sur les opérations de paix, nous les aidons à développer et à renforcer des habitudes de bonne gouvernance qui leur permettent de changer les choses lorsqu'ils reviennent dans leur pays. Souvent, les colonels et généraux deviennent plus tard premiers ministres ou présidents. Je demande donc au comité de recommander le rétablissement d'une capacité canadienne de formation sur les opérations de paix axée sur l'expertise canadienne.
Nous devrions tenter d'obtenir une représentation égale entre les hommes et les femmes. Le bilinguisme de nos formateurs est un atout important. Grâce à nos politiques d'immigration éclairées, nos Forces armées disposent d'une capacité langagière importante dont nous pourrions tirer parti. Nos formateurs devraient également refléter la diversité culturelle du Canada, y compris la communauté des LGBT. Notre approche en matière de formation serait différente et inclurait probablement la mise en place de centres régionaux dans d'autres pays. Elle tirerait également parti des meilleures réalisations du Centre Pearson, mais en mettant l'accent à parts égales sur la stabilisation immédiate de la situation et la durabilité à long terme.
Nous pourrions nous appuyer sur notre expérience en Afghanistan pour enseigner la profession des armes dans des conditions de guerre asymétrique, ce qui constitue de plus en plus la réalité des missions de maintien de la paix. Nous sommes bien placés pour élaborer une norme pour les Nations Unies, l'équivalent d'une norme ISO 14 000. Nous pourrions l'appeler la certification des Casques bleus de l'ONU pour la protection. À titre d'incitatif, nous pourrions rendre les indemnités de l'ONU conditionnelles à l'atteinte de certaines mesures du rendement. Nous pourrions avoir recours à d'autres organismes gouvernementaux, ainsi qu'à des diplomates, corps policiers, services de renseignement, avocats, médecins et infirmières. Notre société civile regorge d'expérience pratique. Nous n'avons qu'à penser, par exemple, à Médecins Sans Frontières, à Oxfam et au Centre parlementaire; nous pourrions tirer parti de leur expérience en secours en cas de catastrophe, en secours humanitaires à long terme et en matière de bonne gouvernance. Une des leçons que nous avons tirées des missions traditionnelles de maintien de la paix, c'est que, bien que les bérets bleus soient essentiels à la stabilisation d'une situation, la paix à long terme dépend de l'expérience des intervenants en matière de politique, de diplomatie, de développement et de rétablissement de la loi et de l'ordre.
J'ai passé une bonne partie de ma carrière à l'étranger à titre d'agent du service extérieur. Je sais que le Canada est un pays estimé. Nous avons du talent et de l'expérience. On attend beaucoup de ceux qui ont beaucoup, et nous pourrions faire beaucoup plus, comme fournir un soutien en matière de transport aérien et de commandement logistique. Mais, à mon avis, notre rôle le plus utile serait celui de formateur auprès des participants aux opérations de paix. Sur le monument au maintien de la paix situé près de la Colline du Parlement, on peut lire l'inscription suivante :
Nous devons agir non seulement afin de mettre fin à la guerre, mais aussi pour rétablir la paix [...] Mon gouvernement serait heureux de recommander la participation canadienne à une force internationale des Nations Unies, qui serait véritablement une force de pacification et de maintien de l'ordre.
Cette citation de Lester B. Pearson correspond encore aujourd'hui aux attentes des Canadiens à l'égard de leur gouvernement. Merci.
Le président : Merci beaucoup, monsieur Robertson. Nous allons amorcer notre première série de questions. Sénatrice Jaffer, vous avez la parole.
La sénatrice Jaffer : Merci beaucoup à vous deux pour ces exposés. J'ai bien aimé ce que j'ai entendu. Certains des points que vous avez abordés sont des points avec lesquels j'ai un peu de difficulté. Je suis donc heureuse que vous en ayez parlé.
Vous avez parlé, entre autres, du pluralisme. Je crois en une politique de défense qui tient compte de ceux qui composent notre force de défense, qui encourage les gens à adopter notre bilinguisme et notre multiculturalisme, ainsi que nos valeurs et ce qui nous définit. Ce sont tous des éléments importants. J'ai eu le plaisir de voyager avec nos hommes et femmes qui portent l'uniforme et dès qu'ils arrivent sur place, leurs gestes reflètent nos valeurs. Il s'agit là, à mon avis, de notre plus grande force.
J'aimerais vous entendre tous les deux sur l'utilisation des forces policières. Je les trouve très efficaces. Les policiers canadiens, par exemple, participent à la formation d'autres policiers sur la façon de mener des enquêtes pour viol et aident à accroître les compétences policières des participants. J'aimerais d'abord vous entendre tous les deux sur le sujet.
Mme Sloan : Je crois que les forces policières jouent un rôle essentiel dans la réforme du secteur de la sécurité. Elles ont joué un rôle crucial en Afghanistan. L'Armée nationale et aussi la police nationale afghane ont été formées, mais certains soutiennent que la formation n'était pas suffisamment approfondie ou qu'elle a débuté trop tard. Nous avons des agents de la GRC en Haïti. La réforme du secteur de la sécurité dans un pays est extrêmement importante et ce sont habituellement les corps policiers qui s'en chargent, et non les forces militaires qui, elles, s'occupent généralement de ce qui se passe en dehors des frontières du pays. C'est ce que l'on fait au Canada, par exemple. La mise en place d'une force policière bien formée, intègre, qui respecte la règle de droit et en qui les citoyens peuvent avoir confiance est un très bon point de départ dans les régions du monde que nous souhaitons stabiliser.
M. Robertson : Je suis d'accord avec Mme Sloan : la formation policière est absolument essentielle une fois que la situation est stable. Il est inévitable que des gens se retrouvent dans des camps de réfugiés — ces temps-ci, on parle de dizaines de millions de réfugiés. Il est donc nécessaire de compter sur des forces policières pour la durabilité à long terme.
Nous avons beaucoup d'expérience à ce chapitre. Nous avons formé les forces policières en Irak, en Jordanie et en Haïti, notamment, et nous pouvons compter sur les agents de la GRC, de la Sûreté du Québec et de l'OPP, entre autres. Nous avons une grande capacité et, comme vous l'avez souligné, ces forces policières reflètent la diversité du Canada. Les gens sont heureux de voir des femmes policières qui parlent leur langue. Dans certains pays, cela aide beaucoup à renforcer les valeurs que nous tentons d'inculquer dans le cadre des opérations de paix.
La sénatrice Jaffer : Lors de ma visite au Darfour, nos policiers enseignaient aux policiers du pays comment mener des enquêtes pour viol. Aujourd'hui, lorsque je retourne dans la région, les gens me disent que c'est le meilleur protocole qui a été mis en œuvre. Nos policiers peuvent apporter beaucoup.
Je voyage beaucoup, surtout au Moyen-Orient, et je vois que les guerres sont menées de manière très différente qu'autrefois. J'aimerais savoir si vous êtes d'accord avec moi, et je crois que vous le serez. La nature de la guerre a changé. L'extrémisme, et nous pouvons le remarquer avec l'EIIL — le groupe possède peu d'équipement, mais il procède de manière très destructive. À mon avis, nous devrons modifier notre préparation. J'aimerais connaître votre opinion à tous les deux sur la façon dont nous pourrions collaborer avec les Nations Unies afin d'utiliser plus efficacement notre pluralisme et notre multiculturalisme pour mener la guerre contre l'extrémisme.
M. Robertson : Lorsque nous avons commencé à intervenir, comme l'a mentionné Mme Sloan, nous séparions essentiellement des factions en guerre, mais maintenant, nous travaillons dans des conditions de guerre asymétrique dans lesquelles les ennemis sont pratiquement des bandits dans de nombreux cas. De plus, les Conventions de Genève relatives à la guerre ne s'appliquent pas, ce qui entraîne des pressions supplémentaires sur les hommes et les femmes de nos forces armées et sur les opérations de paix. Je crois que ces conditions exigent un entraînement différent de l'entraînement traditionnel. Encore une fois, selon l'ONU et d'autres organismes qui ont examiné les opérations de paix menées récemment, je ne crois pas que les militaires que nous employons dans d'autres pays ont cette capacité.
Je pense donc que c'est un domaine dans lequel nous pouvons faire une différence en nous fondant sur notre expérience, surtout celle que nous avons acquise en Afghanistan pendant les 10 années que nous avons passées là-bas et dans d'autres endroits où nous avons peut-être maintenu une présence réduite, mais comme Mme Sloan l'a dit, ce n'est pas la quantité qui compte, mais la qualité. Je crois que le Canada fournit une expérience hautement qualifiée dans les opérations de paix.
Mme Sloan : La plus grande différence entre les opérations de maintien de la paix à l'époque de la guerre froide et celles d'aujourd'hui, c'est-à-dire depuis le conflit bosniaque, c'est que durant la guerre froide, il existait une zone entre les États où le gouvernement contrôlait les forces, et c'était donc essentiellement une zone tampon.
Lorsqu'on passe de l'entre-deux-guerres à la guerre intérieure, par exemple une guerre civile, la situation devient beaucoup plus dangereuse. En effet, les gardiens de la paix pouvaient se permettre d'être légèrement armés pendant la guerre froide, car les États en conflit contrôlaient leurs forces. Aussi longtemps qu'on s'assurait qu'il n'y avait aucune transgression, tout allait bien.
À l'intérieur d'un État, aucune autorité centrale ne contrôle les gens, et c'est donc beaucoup plus dangereux. D'une certaine façon, les gardiens de la paix doivent être beaucoup plus armés aujourd'hui qu'ils ne l'étaient pendant la guerre froide, car les circonstances sont beaucoup plus dangereuses; c'est la raison pour laquelle le secrétaire général adjoint demande des hélicoptères de combat. C'est pourquoi je soutiens que si nos forces sont déployées, elles doivent être prêtes à faire face à la guerre. Dans l'ensemble, pour rebâtir une société, il faut d'abord assurer la sécurité, et le rôle de l'armée est de fournir cet environnement. Une fois cela établi, d'autres institutions peuvent mettre en œuvre une gouvernance et la police peut commencer à mettre sur pied des services de police.
À titre de bref commentaire, même si ce type de guerre se poursuit et a grimpé en flèche après la guerre froide, nous assistons en même temps au retour d'un conflit potentiel entre les États, et le Canada doit être prêt à cette éventualité.
Le président : Pourriez-vous nous parler davantage des règles d'engagement? Si nous envoyons des troupes qui interviendront d'une manière ou d'une autre, la question de l'engagement sera soulevée, car il faut déterminer la façon dont elles se comporteront en cas de conflit. Quelles sont vos observations dans ce cas? La précision de ces règles doit être une préoccupation dans le cadre des opérations de maintien de la paix des Nations Unies.
Mme Sloan : Manifestement, notre chef d'état-major de la Défense et les militaires devront préciser les règles d'engagement. Toutefois, pendant la guerre froide, les trois principes suivis étaient le consentement des parties, l'impartialité et l'utilisation de la force en cas de légitime défense. En effet, pendant la guerre froide, la force servait seulement de moyen de défense. Cependant, après la guerre froide, les missions ont dû forcer le passage de l'aide humanitaire. Les règles d'engagement ont changé pour ressembler davantage aux circonstances en temps de guerre.
Le sénateur White : J'aimerais remercier les deux témoins. Ma question concerne la discussion sur l'accroissement du rôle que nous jouons à l'extérieur et si nous avons actuellement la capacité de le faire. Dans le cas contraire, avez-vous réfléchi à ce que nous devrions faire relativement aux effectifs?
Nous ne devons pas oublier la disponibilité opérationnelle et son importance et certaines de nos autres tâches. Si nous élargissons notre rôle lié au maintien de la paix, que devons-nous faire, selon vous, en ce qui concerne les budgets de la Défense nationale?
Mme Sloan : Parlez-vous des régions du monde auxquelles nous devrions donner la priorité?
Le sénateur White : Non, je vous demande ce que notre pays devra faire au sujet de nos budgets si nous décidons d'entreprendre certaines des tâches que vous recommandez et qui sont recommandées par d'autres. Cela représente 1,7 p. 100 ou 2 p. 100 du PIB. Croyez-vous que ces chiffres sont importants pour nous?
Mme Sloan : Je crois que les dépenses liées à la défense ne sont pas assez élevées et qu'on devrait les augmenter, et que si le gouvernement souhaite assumer le rôle qu'il affirme vouloir jouer sur la scène mondiale, il devra augmenter les dépenses liées à la défense. Il serait avantageux pour le Canada de participer pleinement aux opérations de soutien de la paix menées par l'ONU dans les régions que j'ai indiquées, à la réforme du secteur de la sécurité ou dans certaines régions du monde que j'ai soulignées, mais également de participer à la mission de l'OTAN visant l'agression de la Russie.
Le sénateur White : Parlez-vous des discussions sur le déploiement de troupes dans la région baltique, par exemple, ou en Europe de l'Est? Est-ce ce à quoi vous faites référence?
Mme Sloan : C'est exact. J'appuierais cela. Dans les années 1970, les Forces canadiennes étaient beaucoup plus importantes. Elles ont progressivement diminué après la Deuxième Guerre mondiale et jusqu'à l'époque des gouvernements Mulroney et Chrétien. Toutefois, pendant les années 1970, nous avions 5 000 troupes en Europe, et 1 200 militaires en Égypte. Les Forces canadiennes, si elles sont alimentées en effectifs et bien équipées, peuvent certainement participer à ces deux types d'opérations en même temps.
Le sénateur White : Merci. Monsieur Robertson?
M. Robertson : Si vous souhaitez utiliser une norme, à titre de membre de l'OTAN, nous nous sommes engagés à dépenser 2 p. 100 pour la défense, et nous dépensons actuellement 1 p. 100; vous pouvez donc vous faire une idée de la situation. Le secrétaire général, aussi récemment que ces derniers jours, a encouragé tous les pays, y compris le Canada, à contribuer, comme vous l'avez souligné, aux opérations pour lesquelles l'OTAN a besoin d'aide en Europe de l'Est pour faire face à l'agression de la Russie. Il revient aux gouvernements de déterminer les sommes qui seront dépensées.
Toutefois, si nous voulons remplir notre engagement envers l'OTAN et participer activement aux opérations de paix dont parle le gouvernement actuel, il faudra inévitablement effectuer des dépenses. Cela signifie qu'il faut augmenter les budgets du ministère de la Défense nationale, mais cela signifiera probablement aussi qu'il faudra examiner les dépenses du ministère des Affaires mondiales liées au développement, car une grande partie des fonds liés aux opérations de paix viennent d'un large éventail de budgets, et pas seulement de celui de la Défense nationale. Toutefois, si nous faisons ce qu'on nous demande dans le cadre de nos responsabilités envers l'alliance et dans le cadre de l'appui à l'ordre international demandé par le secrétaire général des Nations Unies, nous devrons inévitablement augmenter nos dépenses.
Le sénateur White : Je vous remercie beaucoup de votre réponse. Si vous me le permettez, monsieur Robertson, nous avons un peu parlé des activités de maintien de la paix de l'ONU, des activités de la police et de l'entraînement. Actuellement, d'après ce que je comprends, le financement de la Police civile des Nations Unies et de la police est versé à la GRC par l'entremise d'Affaires mondiales.
Toutefois, en réalité, la GRC soutient souvent la Défense nationale lorsque ses agents arrivent sur place. Serait-il plus logique que ce financement passe d'Affaires mondiales à la Défense nationale? Ces organismes collaborent étroitement dans toutes les opérations dont je suis au courant.
M. Robertson : Oui, sénateur, ce serait logique. Toutefois, selon mon expérience, les budgets de la défense sont toujours soumis à des pressions si extrêmes qu'il est probablement préférable, en vue d'un résultat final, de rendre ces budgets disponibles dans d'autres ministères et d'obtenir la participation de ces autres ministères pour défendre la notion des opérations de paix. Si vous parlez seulement d'un résultat précis, cela revient à la Défense nationale, mais essentiellement, il est plus facile, par exemple, pour être franc, d'obtenir un soutien politique lorsque le financement de la police provient d'une très grande enveloppe gouvernementale. Il est avantageux de répartir des sommes dans différents ministères, car dans ce cas, ces ministères ont tendance à offrir un appui élargi.
Cela relève de votre domaine, c'est-à-dire la politique.
Le sénateur White : Ce n'est pas vraiment mon domaine; j'aimerais mieux le maîtriser.
M. Robertson : Toutefois, il se peut que plusieurs ministres, et non seulement le ministre de la Défense nationale, appuient largement ce que nous appelons des opérations de paix, et le ministre de la Défense nationale n'est plus le seul à les faire valoir au Cabinet.
Le sénateur White : Madame Sloan? Vous avez le droit d'être en désaccord avec moi.
Mme Sloan : Oui, je ne suis pas certaine en ce qui concerne les budgets. J'ai lu le témoignage du ministre de la Défense nationale, car il a comparu devant votre comité il y a trois semaines. Il a dit, entre autres, qu'on tentait de cerner les pays qui avaient atteint un point critique. On parle énormément, en ce moment, des opérations de maintien de la paix à caractère préventif, c'est-à-dire qu'on cerne les pays qui présenteront des problèmes à l'avenir et on intervient avant que ces problèmes surgissent. Lorsque j'ai lu cela, je me suis dit qu'il était essentiel, dans le cas des opérations de maintien de la paix à caractère préventif, d'envoyer des diplomates partout dans le monde pour observer la situation et d'obtenir des renseignements par l'entremise des activités du SCRS, et cetera.
Lorsque nous parlons de revitaliser les opérations de soutien de la paix, il y a un élément militaire, mais également un élément diplomatique, et nous devrions envisager de revitaliser notre service extérieur en étant présents dans différents endroits dans le monde. En effet, c'était important à l'époque de Lester B. Pearson. Nous avions des gens sur le terrain et des diplomates.
[Français]
Le sénateur Carignan : J'aurais une question complémentaire. Monsieur Robertson, nous entendons souvent parler du fameux 2 p. 100 du PIB. Je suis d'accord avec ce principe, mais à l'intérieur de ce 2 p. 100 du PIB, quels sont les deux ou trois objectifs auxquels le Canada devrait accorder la priorité? Nous ratissons large lorsqu'il est question du principe du 2 p. 100 du PIB; cela peut être attribué à différents secteurs. Êtes-vous en mesure de nous suggérer les deux ou trois domaines d'investissements que le Canada devrait privilégier? Le Canada devrait-il accorder la priorité à la défense ou aux opérations de maintien de la paix? Quels seraient les domaines d'investissements qui permettraient d'atteindre cet objectif?
M. Robertson : Je vous remercie pour la question; c'est une bonne question. Cependant, je crois que vous obtiendrez une réponse plus précise si vous vous adressez aux comités qui étudient les politiques en matière de défense.
Je peux tout de même vous dire ceci : la plupart des gouvernements privilégient d'abord la défense du Canada, ensuite, celle de l'Amérique du Nord, et finalement, les obligations internationales. Nos obligations internationales contribuent à stabiliser et à préserver la paix à travers le monde, ce qui, selon moi, est enchâssé dans les opérations de maintien de la paix.
[Traduction]
La sénatrice Beyak : Je vous remercie tous les deux de vos exposés exceptionnels. Il est impressionnant de voir dans quelle mesure vous connaissez et comprenez cet enjeu. Vous avez répondu à toutes mes questions dans vos exposés, mais j'ai une question pratique au profit de ceux qui nous regardent à la maison, car les questions liées à la sécurité nationale et à la défense sont suivies par de nombreux Canadiens. Le Canada devrait-il donner la priorité aux missions de maintien de la paix menées par l'ONU ou aux missions menées par l'OTAN? À votre avis, quelle serait l'approche à adopter, et pourquoi? Ma question est-elle claire?
Mme Sloan : Je suis dure d'oreille dans les deux langues.
La sénatrice Beyak : À votre avis, serait-il préférable de donner la priorité, en ce qui concerne notre appui, aux missions dirigées par l'ONU ou à celles dirigées par l'OTAN?
Mme Sloan : À mon avis, nous devrions donner la priorité à nos engagements envers l'OTAN. Ma première recommandation serait d'appuyer l'effort visant à accroître les forces militaires dans la région baltique pour contrer l'agression des Russes. Nous sommes peut-être en désaccord à cet égard.
Je crois que lorsqu'il s'agit de stabiliser des pays, la réforme du secteur de la sécurité est l'élément le plus important, c'est-à-dire qu'il faut mettre sur pied des forces militaires et policières crédibles. Il ne s'agit pas de décider quel organisme nous devrions appuyer, mais quelle fonction, et c'est la réforme du secteur de la sécurité. Nous avons observé que l'OTAN s'est profondément engagée à cet égard au cours des 20 dernières années. Le Canada a participé à cet effort, et l'UE s'est engagée à fond. Je ne dis pas que nous devrions participer aux opérations menées par l'UE, mais il y a d'autres organisations à part l'ONU.
M. Robertson : Sénatrice, je ne crois pas qu'il s'agit de choisir l'un ou l'autre. Je crois que le Canada, en sa qualité de pays du G7 et en raison de ses caractéristiques, peut faire les deux et le fera pour refléter nos intérêts respectifs. En effet, nous avons des intérêts en Europe de l'Est, et il faut donc envisager de répondre à la requête du secrétaire général de l'OTAN.
En même temps, nous finançons également des membres de l'ordre national libéral représentés par les Nations Unies. Encore une fois, nous avons des intérêts — le type de formation policière que nous avons effectuée en Haïti, la stabilisation assurée par nos forces après le tremblement de terre en Haïti. C'est le type de choses que nous pouvons faire. Nous sommes ambidextres, mais cela indique la raison pour laquelle nous devons être prêts à faire face à un large éventail de situations et de défis qui vont des questions précises aux questions liées au développement diplomatique et au développement à long terme.
La sénatrice Beyak : Devrons-nous réorganiser les dépenses pour y arriver?
M. Robertson : Nous ne décidons certainement pas à quoi ressemble la situation internationale, et il est donc très difficile de la prévoir. Les meilleures prévisionnistes trouvent cela très difficile. Par exemple, qui aurait pu prédire les événements du 11 septembre 2001?
Au fil du temps, nous avons appris à être toujours prêts, comme les scouts, pour un large éventail de situations. Nous avons également appris à veiller à avoir la capacité d'intervenir dans toutes sortes de situations, et les Forces canadiennes réussissent très bien à cet égard. Nous parlons surtout de la capacité des Forces canadiennes de réagir dans des situations d'aide humanitaire, mais également d'être en mesure de manœuvrer de façon crédible dans des situations de guerre, qu'elle soit réelle ou asymétrique.
La sénatrice Beyak : Merci.
Le sénateur Day : Madame Sloan, j'aimerais d'abord me concentrer sur les FORPRONU dans les Balkans et les piètres résultats obtenus par les Nations Unies là-bas. Ensuite, j'aimerais aborder votre citation selon laquelle le secrétaire général a dit que le Conseil de sécurité et le secrétaire général n'étaient pas prêts à mener le type d'intervention militaire nécessaire. Étant donné la structure du Conseil de sécurité et le droit de veto, pouvons-nous nous attendre à ce que les Nations Unies jouent un rôle qui remettrait en question le rôle que l'OTAN a été obligée de jouer à l'extérieur du théâtre des opérations ces temps-ci?
Mme Sloan : Cette citation a 20 ans. Je présume qu'on peut se demander si l'ONU a progressé à cet égard.
C'est toujours un défi pour les Nations Unies d'organiser des opérations de soutien de la paix d'intensité élevée. Je sais que cela semble étrange, mais les opérations de soutien de la paix, selon les circonstances, peuvent être très dangereuses. Elles peuvent toujours représenter un défi pour l'ONU, ce qui signifie que les organismes régionaux, par exemple l'OTAN, ont toujours un rôle à jouer dans l'exécution de ces missions dangereuses, et c'est exactement ce qui s'est produit en Bosnie.
Le sénateur Day : L'un d'entre vous a évoqué les opérations de maintien de la paix à caractère préventif. Était-ce vous, madame Sloan?
Mme Sloan : Oui.
Le sénateur Day : La dissuasion en fait-elle partie? Par exemple, l'OTAN peut-elle dissuader la Russie d'intervenir dans les pays baltes en faisant preuve de force et en montrant qu'on est prêt à intervenir, au besoin?
Mme Sloan : Les opérations de maintien de la paix à caractère préventif se comparent aux opérations de dissuasion, car dans les deux cas, on ignore si nos efforts ont porté fruit. C'est bien beau la dissuasion, mais est-ce qu'il se serait réellement produit quelque chose si on n'avait rien fait? Ces opérations sont semblables dans ce sens.
La principale distinction entre les opérations de maintien de la paix et les opérations de combat, comme je l'ai dit plus tôt, est fondée sur l'intention politique. Si on veut intervenir, être impartial et mettre un terme aux tueries, à ce moment-là, on n'est pas impliqué dans le conflit — on veut seulement mettre fin aux tueries — par opposition à une situation de combat où un ennemi a été identifié, que deux parties s'affrontent et qu'on est une partie au conflit.
Pour dissuader une éventuelle agression russe, le Canada ferait partie de l'OTAN et surveillerait la situation dans ce pays, alors que dans le cadre des opérations de maintien de la paix à caractère préventif, il ne serait pas une partie au conflit; il s'efforcerait simplement d'empêcher qu'un conflit éclate.
Le sénateur Day : Merci. Voudriez-vous m'ajouter à la deuxième série de questions?
Le président : Je ne sais pas si nous aurons un deuxième tour. Avez-vous une question complémentaire?
Le sénateur Day : Je veux simplement m'assurer qu'on n'exclut pas M. Robertson de la discussion.
Quel a été le problème avec le Centre Pearson? A-t-il fait fausse route? Est-ce parce que nous n'avions plus les moyens de maintenir ses activités? Vous envisagez maintenant d'instaurer des centres régionaux partout dans le monde. Je suppose que le Canada ne peut pas faire cavalier seul dans cette opération. Si vous pouviez nous en parler brièvement, ce serait très apprécié.
M. Robertson : En ce qui concerne le Centre Pearson pour le maintien de la paix, c'était une combinaison de divers facteurs, mais je pense que ce sont surtout des considérations budgétaires qui ont mené à la décision de mettre fin à ses activités.
C'est une initiative qui était admirée par la communauté internationale, comme en témoigne le nombre de pays qui y ont eu recours — 150 pays — et le nombre de diplômés de différents pays. Les gens auraient voulu qu'il soit maintenu, et ce centre pourrait en quelque sorte être rétabli, mais sous une forme différente.
Pour ce qui est des centres régionaux, je considère que nous pourrions jouer un rôle de premier plan et fournir les formateurs, mais sans nécessairement assurer tout le financement. Il faudrait que ce soit en collaboration avec d'autres pays. Je pense que nous ne serions pas obligés de faire venir des gens ici; nous pourrions établir les centres régionaux à l'étranger et y envoyer nos formateurs. Les pays hôtes, les pays bénéficiaires, pourraient également assumer une partie du financement, tout comme certains organismes des Nations Unies. C'est probablement ce que nous devrions faire.
Je pense que si on pouvait mettre cela en place, il pourrait être utile de commencer à former des formateurs potentiels pour l'avenir, et cela serait un atout précieux pour les pays hôtes à long terme. Nous pourrions prendre l'initiative, puis les autres pays emboîteraient le pas.
La sénatrice McCoy : Merci d'être ici aujourd'hui.
Je pense que vous avez appelé cette opération « Casques bleus ». Cela m'a également beaucoup intrigué. Vous avez parlé de miser sur les infrastructures physiques et les installations dédiées à cette fin dans d'autres pays, n'est-ce pas?
M. Robertson : Tout à fait, madame la sénatrice. Je pense que nous pourrions offrir la formation au maintien de la paix comme nous l'avons fait par le passé à l'étranger. Nous formons des policiers en Haïti, et nous avons formé des policiers irakiens en Jordanie et des policiers afghans en Afghanistan. On applique le même concept, mais à l'étranger. Il ne serait donc pas nécessaire d'amener tout le monde au Canada comme autrefois. Maintenant, grâce aux outils et à la technologie, ce serait probablement plus économique. Le coût demeure toujours un enjeu important, et c'est ce qui fait augmenter, comme plusieurs sénateurs l'ont souligné, les dépenses liées à la diplomatie de défense. Si on pouvait réaliser des gains d'efficience tout en intervenant dans les pays hôtes, tout près des pays où on voudrait cibler nos initiatives, par exemple en Afrique ou en Asie, je pense que ce serait une très bonne chose.
La sénatrice McCoy : Ces centres seraient donc établis un peu partout?
M. Robertson : Nous aurions des normes communes et des formateurs. Ce serait comme des campus satellites universitaires à l'étranger. C'est le principe.
La sénatrice McCoy : De combien d'argent dispose-t-on?
M. Robertson : On procède plutôt de façon ponctuelle et graduelle. Nous n'avons pas le point de référence que nous avions avec le Centre Pearson pour le maintien de la paix. Bien sûr, on offre de la formation en Irak, mais il est également important de rassembler les diverses composantes du gouvernement, notamment les services de police, le maintien de l'ordre, la formation des juges, par exemple, et la tenue d'élections, en vue d'assurer sa viabilité à long terme.
En effet, il est nécessaire que nos forces stabilisent la situation, mais ce que nous voulons ici, c'est la stabilisation à long terme d'un pays, et cela consiste en bien plus que la formation de policiers. Il ne suffit pas d'avoir une personne en uniforme avec un fusil; on a besoin de policiers pour assurer le maintien de la paix et de l'ordre, mais on a aussi besoin d'avocats, de juges et d'une liberté de presse.
Il y a beaucoup de choses que nous pouvons leur apprendre, en nous inspirant de notre pluralisme. C'est d'ailleurs l'une des grandes valeurs que le Canada a à offrir, et si nous pouvions la transmettre à l'étranger, ce serait une immense contribution à la paix et à la sécurité internationale.
La sénatrice McCoy : Pourriez-vous le faire sous l'égide de l'ONU?
M. Robertson : Je pense que l'ONU serait l'endroit le plus logique, étant donné que c'est la seule organisation internationale — on pourrait peut-être aussi s'en remettre à l'OTAN. Toutefois, puisque l'ONU y joue déjà un rôle et que les Casques bleus sont déjà présents, ce serait l'idéal.
La sénatrice McCoy : Mme Sloan a également parlé de la sécurité. Selon vous, devrait-on imposer des conditions préalables avant d'affecter davantage de ressources — ou de ressources humaines — aux opérations de maintien de la paix de l'ONU? Devrait-il y avoir des conditions préalables à notre participation?
Mme Sloan : Je crois que nous devons établir nos priorités en fonction de nos intérêts en matière de sécurité. Tout dépend de nos alliés et de nos partenaires du Groupe des cinq dans les régions du monde qui représentent une menace pour nos alliés. Comme je l'ai mentionné plus tôt, il serait très utile de stabiliser le nord du Mali, par exemple, tout comme la Libye, en raison de la menace du terrorisme islamique et de l'instabilité causée par les migrants. Je crois que la stabilisation de l'Afghanistan demeure importante, et nos alliés viennent tout juste de décider de prolonger cette mission de l'OTAN. Nous devons accorder la priorité à ce qui constitue une menace à la sécurité du Canada et de ses alliés.
Ensuite, en ce qui concerne la mission en tant que telle, il faut déterminer si elle est viable, si on dispose de suffisamment de troupes, et si ces troupes sont bien commandées et formées aux fins de ce mandat. Tous ces critères doivent entrer en ligne de compte.
La sénatrice Raine : Merci beaucoup. C'est très intéressant. Je pense que ma question est simple. Si on revient en arrière, à l'époque de Chypre, on savait qui étaient les parties belligérantes, on concluait des ententes, les Casques bleus intervenaient et on imposait des conditions. Maintenant, il semble que la menace la plus importante — celle qui me fait le plus peur, en tant que Canadienne — est la menace du groupe État islamique. Ce groupe semble étendre ses tentacules un peu partout. Par conséquent, la Force des Nations Unies chargée du maintien de la paix est-elle réellement la meilleure façon de contrer la menace que représente l'État islamique?
Le président : C'est une question plutôt complexe.
Mme Sloan : Je n'ai pas examiné en détail la mission au Mali, mais je crois qu'ils en arrachent et que des Casques bleus ont été tués, et cetera. Cela s'avère très dangereux et difficile pour l'ONU. L'Allemagne s'est récemment engagée dans ces opérations, tout comme les Pays-Bas. Selon moi, un pays comme le Canada pourrait apporter une bonne contribution, mais d'autres organisations comme l'OTAN ou des coalitions dirigées par les États-Unis peuvent être très importantes, comme on peut le constater en Iraq et aussi en Afghanistan. À mesure que les missions deviennent de plus en plus dangereuses, on a tendance à se tourner vers d'autres organisations. Cela ne veut pas dire qu'on doit toujours agir ainsi, mais c'est ce qui s'est passé jusqu'à présent.
La sénatrice Raine : On pourrait donc dire que dans certaines situations, il ne s'agit pas de maintenir la paix, mais plutôt de lutter contre un ennemi. Voilà la différence entre le maintien de la paix et...
Mme Sloan : Oui, parce qu'il n'y a pas de paix à maintenir. En Bosnie, il y a eu près de 34 cessez-le-feu. Souvent, ces cessez-le-feu sont négociés à l'automne et on les enfreint au printemps, alors cela peut être très difficile lorsqu'il n'y a pas de paix à maintenir et qu'on se retrouve pris dans le conflit.
La sénatrice Raine : Oui, c'est compliqué. Merci beaucoup de vos observations.
[Français]
Le sénateur Carignan : Mon commentaire va dans le même sens que celui de la sénatrice Raine, à savoir que l'on devrait étudier de nouveau la mission ou le mandat donné par l'ONU aux forces de maintien de la paix. Parfois, il n'y a pas de paix à maintenir. Nous sommes dans cette situation. Cependant, dans d'autres situations, nous pouvons nuire à l'équilibre des forces en soutenant un groupe plutôt qu'un autre, ou encore, le fait d'être en mode d'autodéfense nous rend témoins d'atrocités entre deux camps sans que nous puissions intervenir.
Quelle est l'importance de la définition d'un mandat et quel devrait être notre rôle selon la définition de ce mandat avant que nous nous engagions dans une mission?
[Traduction]
Mme Sloan : Je dirais que chaque opération est différente, mais dans bon nombre des opérations que l'on voit en ce moment, il s'agit de protéger les civils. Si on veut intervenir et protéger les civils, il faut être bien armé pour le faire. Toutefois, chaque mandat est différent.
[Français]
M. Robertson : Je suis d'accord avec le fait que, de temps en temps, les Nations Unies ne sont pas prêtes à répondre aux défis. Pour cette raison, nous nous sommes tournés vers d'autres organisations, comme l'OTAN, de concert avec les coalitions spéciales dirigées par les États-Unis.
Chaque situation est différente, mais ce qui compte, c'est de protéger les civils, les femmes et les enfants. C'est très important. C'est la raison pour laquelle nous nous efforçons de préserver cette responsabilité.
[Traduction]
Mme Sloan : L'ONU apporte un sens de légitimité. L'OTAN pourrait intervenir dans certains cas, mais il vaudrait mieux que ce soit l'ONU, car l'OTAN est souvent perçue comme une alliance militaire, alors que l'ONU peut avoir un plus grand sens de légitimité pour les gens sur le terrain. Il faut donc prendre des mesures pour améliorer les opérations de l'ONU.
[Français]
Le sénateur Carignan : L'OTAN est devenue la force policière de l'ONU lorsque celle-ci est incapable d'offrir le service elle-même?
M. Robertson : De temps en temps, c'est préférable. Parfois, il faut faire appel à l'OTAN pour protéger les civils.
[Traduction]
Mme Sloan : L'OTAN et d'autres organisations régionales font partie du système de l'ONU; ils font partie de la Charte des Nations Unies. Par conséquent, le fait de participer à une opération de l'OTAN ne nous exclut pas totalement de l'ONU; on ne fait que déléguer à une organisation régionale.
Le sénateur Meredith : Merci beaucoup à vous deux pour vos exposés.
Madame Sloan, lorsque vous avez parlé de la réforme du secteur de la sécurité, vous avez insisté sur la formation, et vous avez aussi parlé de la Bosnie et de la Croatie. En fait, j'ai collaboré avec certains de ces agents qui ont été déployés.
Vous avez aussi mentionné l'influence de la corruption. Quelles sont les mesures en place pour protéger nos agents déployés dans ces zones sensibles contre ce genre d'influence indue?
Mme Sloan : Je suis désolée. Je ne crois pas avoir de réponse à votre question.
Le sénateur Meredith : Pour ce qui est de la formation, lorsqu'on déploie des agents sur le terrain, comment peut-on s'assurer que ces gens demeurent à l'abri de la corruption? Dans votre déclaration, vous avez mentionné à deux reprises la corruption ou les activités qui pourraient être considérées comme étant corrompues.
Mme Sloan : Les Forces canadiennes sont bien formées et ont un haut degré de professionnalisme. Elles s'efforcent de transmettre ces principes de la primauté du droit, qui sont bien ancrés au sein des soldats et des officiers des Forces canadiennes.
M. Robertson : Vous vous souviendrez qu'on a démantelé un régiment qui manquait de professionnalisme en Somalie. Nos règles et notre code de conduite sont extrêmement rigoureux, mais ils ne s'appliquent pas à certains pays actuellement engagés. La formation joue donc un rôle important.
C'est pourquoi j'ai parlé de la norme « Certifié pour protéger ». On pourrait établir des mesures de rendement pour ces pays, et si les troupes ne sont pas à la hauteur, on mettrait fin à leurs activités, car elles jetteraient le discrédit sur toute l'intervention des Casques bleus et les opérations de la paix de l'ONU.
La sénatrice Jaffer : Madame Sloan, vous avez indiqué que l'ONU délègue à l'OTAN. Ce n'est pas ce que j'avais compris. L'OTAN intervient de façon autonome, et non pas sous l'égide de l'ONU. Ce n'est pas comme si l'ONU disait à l'OTAN d'intervenir; l'OTAN le fait de son propre chef. Il n'y a pas de délégation de l'ONU.
Mme Sloan : Permettez-moi d'apporter quelques précisions. Le chapitre 8 de la Charte des Nations Unies englobe les organisations régionales et prévoit que, si le Conseil de sécurité n'arrive pas à s'entendre, les organisations régionales peuvent prendre des mesures jusqu'à ce que le Conseil de sécurité se mette d'accord.
La sénatrice Jaffer : Je comprends ça. Ce que je dis, c'est que ce n'est pas comme si l'OTAN obtenait la permission ou recevait une demande de l'ONU. L'OTAN agit de son propre chef. Lorsque c'est sous l'égide de l'OTAN, ce sont les pays membres de l'OTAN qui décident et non pas l'ONU.
Mm Sloan : C'est exact.
La sénatrice Jaffer : Elle n'a pas l'autorité morale de l'ONU.
Mme Sloan : Absolument.
Le président : La légitimité des Nations Unies a été remise en question lorsque deux anciens ministres ont comparu la semaine dernière devant nous. Pour ce qui est des recommandations que le comité présentera au gouvernement, pourrait-on envisager une collaboration avec nos alliés habituels, de sorte que dans le cadre des opérations des Nations Unies, il y ait une compréhension très claire des règles qui régissent nos activités?
Pour toute recommandation découlant de ce rapport, les engagements financiers doivent dépasser les engagements financiers actuels du ministère de la Défense nationale. J'aimerais vous entendre à ce sujet.
Mme Sloan : Les arrangements pris avec le commandement doivent être transparents. Si le Canada doit faire partie d'une opération des Nations Unies, les méthodes à suivre sur le plan opérationnel doivent être très claires. En gros, je suis d'accord avec votre premier énoncé.
Sur le plan financier, le ministère de la Défense nationale a un budget, et on finit par imputer les opérations à ce budget. Il serait très utile d'avoir des sommes additionnelles pour couvrir les opérations, comme c'est le cas aux États- Unis, je crois.
M. Robertson : Je suis d'accord avec vos deux premières affirmations. Oui, il faut bien connaître les règles et les modalités d'engagement relatives à nos participations. Cela a été énoncé maintes fois par d'anciens commandants canadiens qui ont participé à des missions des Nations Unies, de Lewis MacKenzie à Roméo Dallaire.
Pour ce qui est du budget, il serait logique en effet d'avoir un budget supplémentaire, mais c'est très difficile à obtenir. Il faudrait initialement fournir suffisamment de fonds au ministère de la Défense nationale, parce qu'autrement il finit par couper dans d'autres parties de l'opération, n'étant jamais sûr d'obtenir les fonds demandés dans le Budget supplémentaire des dépenses.
Le président : Je remercie les témoins pour leurs exposés instructifs. Merci d'avoir participé et d'avoir consacré du temps à répondre à nos questions.
Accueillons maintenant notre témoin du deuxième groupe, Son Excellence Per Sjögren, l'ambassadeur de la Suède au Canada.
Monsieur l'ambassadeur, bienvenue à notre comité. Nous avons hâte d'en savoir plus sur la contribution de la Suède aux opérations de soutien de la paix des Nations Unies, d'obtenir de l'information et d'entendre les leçons apprises.
Je comprends que vous avez une déclaration à faire. Nous avons une heure devant nous. Nous vous invitons à commencer.
Son Excellence Per Sjögren, ambassadeur, ambassade de Suède au Canada : Merci, mesdames et messieurs, de m'avoir invité à venir vous parler de l'expérience suédoise et de la participation de la Suède au maintien de la paix internationale, notamment aux Nations Unies.
Ma déclaration comporte trois parties : d'abord, un exposé général sur la défense suédoise; puis des observations concernant nos politiques en matière de participation aux opérations de paix internationales; et enfin, un exposé détaillé sur notre participation à la MINUSMA — la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali —, à la mission Resolute Support en Afghanistan et à la Coalition mondiale contre Daesh, ou l'EIIL.
Pour débuter, j'aimerais vous dire que la fonction des forces armées suédoises est, naturellement, de défendre la Suède, ses intérêts et l'intégrité de son territoire. Elles doivent également pouvoir participer à des opérations outre-mer et aider les autorités civiles en cas d'urgence. Le budget annuel de la défense suédoise s'élève à près de 6,6 milliards de dollars canadiens.
En juin 2015, le Parlement a très majoritairement adopté une loi sur la défense pour la période de 2016 à 2020. La sécurité dans notre région du monde s'est détériorée. Il faut donc une plus grande capacité et une meilleure collaboration multilatérale et bilatérale. La loi sur la défense qui a été adoptée se fonde sur deux rapports présentés par la Commission parlementaire suédoise sur la défense. L'un d'eux s'intitule Choices in a globalized world et l'autre, The Defence of Sweden - a stronger defence for uncertain time.
Nos capacités militaires doivent être renforcées. Le budget sera porté à 7,7 milliards de dollars canadiens jusqu'en 2020. Les forces armées comptent 50 000 personnes, dont 22 000 font partie de l'unité territoriale. En 2010, la conscription avait cessé, et elle a été remplacée par une force uniquement constituée de volontaires, dont une majorité de soldats à temps partiel.
L'approvisionnement portera essentiellement sur les projets à long terme comme le nouvel avion de combat à réaction avancé Gripen et se limitera aux approvisionnements de base pour améliorer la disponibilité opérationnelle de nos unités de combat.
On rétablit l'organisation de la société civile appelée « défense totale », qui a pour fonction de protéger la population et les infrastructures ainsi que de soutenir les opérations de combat.
La Suède maintient sa politique de non-alignement militaire. Cela contribue à la stabilité dans notre région. De ce point de vue, la sécurité est assurée en collaboration avec les autres.
La collaboration en matière de défense est renforcée avec la Finlande, y compris la planification opérationnelle. Une entente a été signée au niveau du secrétaire à la défense des États-Unis il y a quelques semaines, pour consolider la collaboration en matière de défense.
La Suède travaille également à l'expansion de son partenariat avec l'OTAN dans le cadre du programme d'amélioration des occasions de partenariat, ainsi qu'au resserrement de ses liens avec les pays nordiques et baltes. Accroître et démontrer la capacité d'agir conjointement aura un effet dissuasif qui, à son tour, favorisera la stabilité dans la région de la mer Baltique.
En ce qui concerne les opérations de maintien de la paix à l'étranger, la Suède soutient depuis très longtemps celles des Nations Unies. Depuis 1948, moment où la Suède a envoyé des observateurs à l'ONUST, la toute première mission des Nations Unies au Moyen-Orient, plus de 80 000 hommes et femmes de notre pays ont participé à des opérations de maintien de la paix des Nations Unies.
Par l'entremise de l'ONU, nous contribuons à la prévention des conflits, aux efforts de paix et aux efforts humanitaires, à la reconstruction des États touchés par des conflits, au désarmement et à la non-prolifération, à la réduction de la pauvreté et au développement durable. Nous voyons la politique globale sur les opérations de maintien de la paix à l'étranger comme faisant partie intégrante des politiques relatives aux affaires étrangères et au développement de la Suède, avec entre autres une participation aux processus de paix et aux négociations au Mali, en Afghanistan, à Chypre et ailleurs.
À ce sujet, j'aimerais préciser que nous serions heureux de collaborer davantage avec le Canada à l'amélioration et à l'expansion du programme de paix et de sécurité de l'ONU. Nous en avons discuté entre autres choses lors de la deuxième rencontre Suède-Canada qui s'est tenue à Stockholm, en avril, et nous aimerions participer à un symposium ou un séminaire qui nous permettrait d'approfondir la relation entre nos deux pays, à la fois sur le plan des politiques et des opérations.
En 2015, la Suède a déployé environ 470 personnes dans près de 40 opérations civiles et militaires de gestion de crise. Le personnel envoyé dans les opérations civiles était composé de femmes à 38 p. 100, ce qui représente une hausse de 15 p. 100 par rapport à 2014.
On a consacré 2 milliards de couronnes — soit environ 200 millions de dollars canadiens — à des opérations internationales de gestion de crises, dont 50 millions de dollars pour régler des dépenses liées aux opérations civiles.
La contribution de la Suède à la collaboration en matière de gestion de crises civiles porte essentiellement sur des zones et des conflits prioritaires sur le plan de la sécurité étrangère et des politiques d'aide au développement. Par conséquent, elle est bien coordonnée avec la politique suédoise de développement mondial.
La Suède continue de promouvoir activement la mise en œuvre de la résolution 1325 du Conseil de sécurité sur les femmes, la paix et la sécurité et des lois qui s'y rapportent. La coopération est aussi un domaine où nous aimerions resserrer la collaboration avec le Canada, pour lequel c'est également une priorité.
Les affaires étrangères de la Suède continueront de promouvoir l'égalité des genres dans leurs activités de promotion de la paix. Nous allons également favoriser l'augmentation du nombre de femmes dans les postes de direction. Cela signifie qu'on intégrera des perspectives en matière d'égalité entre les sexes et des analyses comparatives entre les sexes dans les recherches portant sur les conflits où des organisations internationales travaillent à promouvoir la paix.
Une installation particulière a vu le jour dans cette optique à Stockholm. C'est le Centre nordique pour les questions de genre dans les opérations militaires. Le Canada a déjà envoyé du personnel pour la formation au centre. C'est un domaine dans lequel nous aimerions travailler davantage de concert avec le Canada.
Voyons maintenant trois opérations auxquelles nous participons activement. Nous participons à beaucoup d'opérations, mais je voudrais en décrire trois.
La première est la MINUSMA, au Mali. Nous prolongeons notre contribution en personnel à la MINUSMA jusqu'en juin 2017. La Suède fournit une unité du renseignement de 250 personnes pour la promotion de la paix et de la sécurité à Tombouctou et dans le secteur Ouest. Nous appuyons la MINUSMA depuis longtemps et nous avons décidé d'intensifier notre engagement par l'apport à une unité d'aviation de transport, en coopération avec la Norvège, la Belgique, le Danemark et le Portugal.
Les menaces à la sécurité que notre personnel de maintien de la paix doit affronter sont graves. La MINUSMA est devenue la plus dangereuse de toutes les missions actuelles de l'ONU, avec plus de 80 pertes de vie. Le renforcement des capacités de notre personnel est essentiel à l'accomplissement de son mandat, de même qu'à la sécurité de notre personnel et de celui des autres pays.
Comptant sur la prolongation du mandat de la MINUSMA par le Conseil de sécurité, la Suède est heureuse du rapport du secrétaire général selon lequel ce dernier propose d'augmenter d'un peu plus de 2 000 les effectifs militaires. Il importe que la mission puisse s'acheminer vers l'accomplissement de son mandat, ce qui, déjà, n'est pas assuré, mais sans se charger d'importantes tâches supplémentaires.
Une MINUSMA efficace exige une excellente collaboration entre les deux pays qui y contribuent, et le contingent suédois à Tombouctou a établi un excellent niveau de collaboration avec les autres pays servant dans le secteur Ouest. Notre évaluation est que la MINUSMA réunit des acteurs internationaux et régionaux ainsi que les pays voisins.
En ce qui concerne la contribution de la Suède à la mission « Resolute Support » en Afghanistan, nous pensons que la dégradation de la sécurité là-bas exige une présence militaire ininterrompue dans ce pays. Le retrait graduel sera repoussé à plus tard. Nous avons aussi besoin de conserver les branches régionales tout en adoptant une mission centrée sur câblogrammes.
Nous savons bien qu'il y aura peu de soldats sur le terrain, en raison de la réduction de la taille de la présence américaine, et les plans de la Suède, quant à nous, visent à conserver nos effectifs au niveau actuel, c'est-à-dire une trentaine de soldats, en attendant la décision, en automne ou en hiver, du Parlement suédois.
Enfin, la sécurité en Afghanistan ne peut pas seulement reposer sur la présence militaire. La seule option viable pour mettre fin au conflit est un processus de paix conduisant à un règlement politique.
La Suède reste fermement engagée à l'égard de l'Afghanistan. Notre engagement collectif et à long terme dans ce pays se poursuivra. Il comprend aussi une forte présence de l'ONU, pour donner à cet engagement encore plus de crédibilité.
La création de droits égaux pour les femmes et les enfants et l'édification d'une société inclusive en Afghanistan sont des opérations indispensables. Le programme concernant les femmes, la paix et la sécurité est l'une de nos plus grandes priorités.
La sécurité n'est pas seulement un gage de développement. Les réformes politiques et économiques doivent aller de pair avec les efforts visant à construire la sécurité et à établir un développement durable, à long terme. Il importe de réaffirmer et de se rappeler le lien qui existe entre la sécurité et le développement, et la coopération en vue du développement a besoin, pour être entièrement efficace, d'un climat de sécurité.
La Suède s'est engagée à long terme, pour 2012 à 2024, en Afghanistan, en consacrant, à titre indicatif, environ 1,2 milliard de dollars américains à la coopération dans le développement. L'année dernière, elle a accueilli 41 000 demandeurs d'asile de l'Afghanistan, dont la moitié était des mineurs non accompagnés. Engagée dans la coalition contre Daech, la Suède appuie entièrement les efforts visant sa défaite et elle lui fournit environ 35 soldats affectés à la mission de formation et d'instruction dans le nord de l'Irak. Nos efforts militaires font partie de notre large appui à l'Irak, où nous accordons aussi une aide humanitaire et une aide au développement de la coopération qui sont considérables.
Nous collaborons aussi activement à l'engagement de l'Union européenne en Irak, en cherchant à stabiliser les régions libérées. Notre engagement en Irak et dans le nord de la Syrie est prévu pour durer, et nous constatons la nécessité d'efforts militaires multiples.
L'objectif du gouvernement est de prolonger notre apport à la coalition et aussi de chercher à assouplir notre mandat. Tout cela fait partie d'un processus parlementaire qui se déroulera cet automne ou au début de l'hiver. Les décisions ne seront pas connues avant quelques mois.
Je vous remercie de l'attention que vous avez réservée à mon exposé. Je suis maintenant prêt à répondre de mon mieux à vos questions. J'aurais aimé être accompagné de notre attaché militaire basé à Washington, qui vient aussi au Canada. Il est parti, et son remplaçant arrivera fin juillet. Si vous avez des questions sur des aspects militaires précis, j'implore votre indulgence pour que vous m'autorisiez à vous répondre plus tard ou à revenir. Je pourrai répondre plus rapidement aux questions générales.
La sénatrice Jaffer : Merci beaucoup pour votre exposé. J'ai eu l'honneur d'être invitée par votre ministre des Affaires étrangères en décembre, lors de la conférence à haut niveau qui a eu lieu en Suède. J'y ai notamment appris que votre pays s'est maintenant doté d'une politique étrangère féministe. J'ai été heureuse d'entendre que vous avez maintenant établi un centre nordique pour l'égalité des sexes dans les opérations militaires. Pourriez-vous communiquer à notre greffier plus de renseignements sur ce centre? Cela nous serait utile.
Notre gouvernement cherche à se donner une approche gouvernementale globale. Envisagez-vous la politique étrangère selon un point de vue féministe, une politique étrangère féministe? Envisagez-vous aussi une politique de défense féministe?
M. Sjögren : Merci beaucoup de votre question. En ce qui concerne la politique étrangère féministe, il importe de réaffirmer et de comprendre ses liens avec la sécurité. Nous voudrions que plus de femmes participent aux négociations de paix et aussi aux opérations de maintien de la paix. Nous partageons avec le Canada des inquiétudes communes à l'égard des opérations de maintien de la paix. C'est manifestement une priorité pour le Canada. Pour vous donner un exemple, nous appuyons les femmes qui participent aux négociations de paix en Syrie. Nous sommes en contact avec un certain nombre de femmes qui y participent localement. Nous avons essayé d'en attirer dans ces négociations en Syrie. La politique étrangère féministe de la paix est visiblement reliée à la politique de sécurité à cet égard.
En ce qui concerne notre ambition touchant la résolution 1325 du Conseil de sécurité de l'ONU et le centre nordique pour l'égalité des sexes à Stockholm, l'OTAN a reconnu ce centre comme son dispensateur d'une formation des hommes et des femmes sur l'égalité des sexes. Je serai ravi de fournir au Comité plus de renseignements sur ce centre. Je suis également heureux que la Défense canadienne soit déjà en contact directement avec ce centre et qu'il y ait envoyé en formation des militaires canadiens.
La sénatrice Jaffer : Je tiens à remercier officiellement la Suède pour l'initiative dont elle a fait preuve en amenant des Syriennes aux négociations de paix. J'espère que notre gouvernement suivra votre exemple.
Divers intervenants ont effleuré le sujet. Je voulais qu'on l'étoffe. L'un de mes sujets d'admiration pour votre pays est que, dans vos opérations de paix, vous envisagez la solution diplomatique et que vous cherchez à aider à la stabilisation des efforts, particulièrement au Sri Lanka, où vous avez fait appel à vos connaissances en matière de défense, de médiation et de maintien de la paix pour réunir les Cinghalais et les Tamouls. Voyez-vous un rôle pour la médiation et la diplomatie dans vos politiques de défense?
M. Sjögren : Oui. J'aimerais vous répondre par l'affirmative. Nous avons essayé de percevoir la capacité de paix ou les opérations de maintien de la paix au niveau international d'un point de vue global.
On peut dire que, actuellement, après la guerre froide, les conflits entre États sont devenus rares et que presque tous les conflits sont internes, multipartites. Il suffit de voir comment se déroulent les négociations de paix en Syrie; un certain nombre de parties négocient. La situation est très complexe. On ne peut pas la dénouer de la manière traditionnelle, avec l'interposition de seulement une force de maintien de la paix entre deux parties. Il faut tenir compte de beaucoup plus d'aspects.
La présence militaire en est un élément, mais nous considérons comme très importantes les négociations de paix, l'aide humanitaire, l'aide au développement, qui pourraient avoir un effet préventif, par exemple, dans les régions libérées. Voilà qui explique notre démarche très globale.
Nous avons examiné avec beaucoup d'intérêt la conception canadienne des opérations de maintien de la paix en Syrie et en Irak. Comme l'a expliqué le gouvernement canadien, on dit que ces différents éléments et l'accueil des réfugiés dans votre pays font partie d'un tout. Dans le cas des conflits et de leur typologie actuelle, c'est le modèle suédois de pensée qui s'applique de manière caractéristique.
La sénatrice Jaffer : Je suis bien au courant de ce que la Suède fait en Irak, parce que j'ai des amis irakiens qui collaborent avec votre gouvernement. Vous avez parlé de votre présence en Irak et de vos tentatives de lutte contre Daech. En cela, avez-vous eu recours, dans les collectivités, à un modèle de prévention ou de médiation, ou bien est-il trop tôt pour le faire?
M. Sjögren : Je ne peux pas dire exactement ni en détail comment nous nous y sommes pris, mais faire appel aux différentes capacités locales et régionales fait partie de notre méthode, et la mission de formation et d'éducation dans le nord de l'Irak est un exemple d'aide aux populations locales et aux groupes régionaux pour, de différentes manières, promouvoir la paix et les négociations de paix. Cela en fait clairement partie. Je ne suis pas en mesure de dire exactement comment cela s'est déroulé sur le terrain, en Irak. Merci.
Le président : Pour que nous puissions comprendre ce que vous faites sur le terrain, pourriez-vous nous donner une idée des effectifs que vous avez déployés ou envoyés là-bas? Relèvent-ils directement du mandat de l'ONU ou bien s'agit-il d'un programme distinct dont vous vous êtes chargé?
M. Sjögren : En Irak, je pense que les effectifs sont actuellement de 35.
Le président : Est-ce qu'ils relèvent aussi de l'ONU?
M. Sjögren : Oui, mais le gouvernement irakien a aussi donné son accord.
Le sénateur White : Je suis heureux de vous accueillir, Votre Excellence. Mes questions concerneront les discussions qui se déroulent actuellement sur la région baltique et sur les rapports avec l'OTAN et votre éventuelle perception d'une évolution de la Suède vers une alliance plus étroite avec l'OTAN et peut-être même son adhésion à l'organisation. Je sais que c'est un sujet chaud et animé dans votre pays entre partisans et adversaires, il est juste de le dire, mais, d'un point de vue international, les Canadiens s'interrogent aussi.
M. Sjögren : Notre politique est claire : nous ne sommes alignés sur aucun autre pays, et notre adhésion à l'organisation n'est pas à l'ordre du jour pour la prise d'une décision. Le non-alignement prévaudra. C'est la position claire du gouvernement. Mais notre politique coïncide avec l'augmentation de notre collaboration, y compris avec l'OTAN. Nous augmentons aussi notre coopération avec les pays nordiques, particulièrement la Finlande, qui peut être une collaboration bilatérale approfondie, y compris la planification opérationnelle.
Comme je l'ai dit, nous collaborons étroitement avec l'OTAN dans le cadre du programme « nouvelles opportunités », et, dernièrement, le Parlement a décidé de conclure une entente de pays hôte avec l'OTAN, mais l'adhésion à l'OTAN n'est pas au programme.
Le sénateur White : Merci beaucoup. Des pays d'Europe de l'Est ont demandé une plus grande participation de ce côté, celui de la Russie, il faut le dire. C'est peut-être la première de nombreuses autres demandes à venir. J'essaie simplement d'imaginer ce qui se passera ensuite. Le point de vue européen semble très différent du nôtre, de ce côté-ci de l'Atlantique.
Y voyez-vous la nouvelle norme pour de nombreux pays et l'OTAN en particulier, ce retour aux années 1960, pour augmenter la participation de l'OTAN en Europe de l'Est et dans beaucoup de pays? Est-ce ce qui est prévu?
M. Sjögren : Ce pourrait être perçu comme une question très politique, mais je peux affirmer que mon premier ministre participera au sommet de l'OTAN à Varsovie, où les pays non membres peuvent participer. Nous suivons le dossier de près. La situation de la sécurité, dans notre voisinage, nous préoccupe beaucoup, et elle a des conséquences sur notre défense nationale, comme je l'ai dit dans mes remarques préliminaires. Quelle forme exactement l'OTAN donnera-t-elle à sa présence à venir? Ce n'est pas à moi de le dire et peut-être pas non plus à mon pays, parce qu'il n'est pas membre de l'OTAN, mais nous suivons l'évolution de très près.
Le sénateur White : Deux témoins, qui vous ont précédé, nous ont dit que le Canada devait augmenter ses budgets s'il voulait rester à la hauteur, comme dans le passé, conformément à l'opinion de beaucoup, et d'y consacrer de 1 à 2 p. 100 de notre PIB. Est-ce que la Suède se trouve devant le même dilemme, augmenter son budget de défense nationale pour essayer de pouvoir continuer de répondre à la demande? Ses budgets de la défense ne bougeront-ils plus?
M. Sjögren : Pendant un certain nombre d'années, le budget a diminué. Il n'y aura pas de changement. Actuellement, il se situe à 6,6 milliards canadiens et, dans quatre ans, il sera à 7,7.
Le président : Est-ce par année?
M. Sjögren : Par année. Une nouvelle tendance s'est établie, et notre potentiel sera renforcé.
Le sénateur White : Quel serait le pourcentage du PIB?
M. Sjögren : Je devrai m'informer pour vous communiquer le pourcentage exact, mais c'est supérieur à 1 p. 100.
Le sénateur White : Merci.
La sénatrice Raine : Merci beaucoup. Il est intéressant d'entendre votre vision de votre rôle international dans le maintien de la paix. Pourriez-vous en dire un peu plus sur votre démarche entre le soutien militaire, le soutien policier et les civils, un appui intégré lorsque vous protégez les civils dans le cadre de missions de l'ONU?
M. Sjögren : Je vous remercie de la question. C'est un peu ce à quoi je faisais allusion, que les conflits, aujourd'hui, sont très complexes et pluridimensionnels. Nous croyons fermement que nous devons suivre une démarche globale, qui fait appel à la prévention des conflits, au maintien de la paix, au désarmement, à la consolidation de la paix et au développement durable selon une approche et une stratégie globales, qui prévoient aussi une participation plus grande des femmes.
Les signes avant-coureurs d'un conflit sont très importants pour évaluer les moyens d'action dont on dispose au tout début. Les Nations Unies ont augmenté leur capacité à cet égard, mais l'OTAN et l'Union européenne aussi.
Nous croyons aussi que le lien entre le développement et la sécurité est très important. Le renforcement des institutions nationales est essentiel en vue d'instaurer une paix durable. La Suède participe à la commission de la consolidation de la paix des Nations Unies depuis 2015.
Est-ce que cela précise un peu mes propos de tout à l'heure?
La sénatrice Raine : Oui. Est-ce que vous surveillez ce qui se passe dans le monde pour intervenir activement, autant que possible, lorsque des démocraties ou des gouvernements sombrent dans l'instabilité, afin de les aider à assurer leur propre sécurité interne et à prévenir les conflits? Êtes-vous en position d'intervenir avant que tout ne s'effondre?
Nous savons que les frontières de certains pays ont été érigées par des organisations externes, et qu'à l'intérieur de ces frontières, il y a des groupes qui ne s'entendent pas vraiment. C'est ce qui est particulier avec l'instabilité. Elle est quasi imprévisible. En Yougoslavie, par exemple, le puissant leadership en place a permis de maintenir la paix pendant de nombreuses années, mais après le départ de Tito, les frictions entre les groupes ethniques ont repris de plus belle.
Je me demande s'il est possible d'anticiper les remous et de trouver des moyens de cimenter la stabilité de ces pays. Les deux nations fondatrices du Canada, un pays colonial, ont trouvé le moyen de s'entendre et de soutenir leurs aspirations respectives. Je me demandais si vous envisagiez cette possibilité.
M. Sjögren : Oui. Je dirais que le but ultime de la démocratie et de la politique étrangère de la Suisse est bien sûr de prévenir les conflits de diverses façons.
À l'échelle nationale, ces efforts se traduisent par les missions diplomatiques de la Suisse et sa participation à des organisations internationales. Elle adhère également à la Politique étrangère et de sécurité commune (PESC) de l'Union européenne, qui travaille aussi activement à la politique préventive, de détection rapide. La Suisse fait également partie de l'Organisation des Nations Unies. Nous intervenons donc à l'échelle nationale, mais nous travaillons aussi de près avec des organisations internationales à cet égard. En quelque sorte, prévenir l'éclatement d'un conflit est le but ultime, et nous faisons de notre mieux et employons divers moyens pour y arriver.
En période de conflit en ex-Yougoslavie, nous avons participé très activement au processus de paix, en plus de contribuer aux opérations de maintien de la paix sur place. C'est évidemment très ardu.
Ce que j'expliquais concernant notre position par rapport à l'Afghanistan et à la MINUSMA, c'est aussi cette approche globale visant à prévenir le plus possible les conflits, absolument.
La sénatrice Raine : Je crois que vous êtes en bonne position, parce que la Suède a toujours opté pour la neutralité, tandis que le Canada, par exemple, a déjà été membre de l'empire britannique. Si on remonte dans le temps, on voit les lignes tracées sur les cartes par ces vieux empires. C'est une partie du problème.
J'apprécie ce que vous faites. Merci beaucoup d'être ici.
Le sénateur Meredith : Merci beaucoup, Votre Excellence.
Vous avez parlé des troupes que vous avez sur le terrain au Mali dans le cadre de la MINUSMA. Vous dites que vous allez vous retirer de cette mission d'ici 2017. Pourriez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet? Quelle est votre stratégie à long terme? Nous savons que la situation est encore très instable en ce qui concerne l'EI, et d'autres témoins nous ont dit vouloir s'assurer que le Canada participe plus activement à cette mission dirigée par les Nations Unies. J'aimerais avoir votre point de vue sur l'avenir de cette mission.
M. Sjögren : Merci, sénateur.
Nous allons maintenir nos troupes jusqu'en 2017 dans le cadre de la MINUSMA, mais nous n'avons pas décidé de les retirer après cette date. Je dirais plutôt que notre engagement envers la MINUSMA en est un à long terme, et rien n'a été décidé quant au retrait des troupes, et nous ne savons pas si notre participation à la mission prendra une autre forme ou pas. Nous prolongeons notre engagement pour l'instant, et nous sommes heureux que le secrétaire général des Nations Unies ait proposé d'accroître l'effectif de la MINUSMA, sans pour autant élargir le mandat de la mission. La mission subit une grande pression, et elle doit être renforcée pour pouvoir remplir son mandat actuel. C'est notre avis.
Parallèlement, nous aimerions que des groupes régionaux et nationaux viennent faire la promotion de la paix au Mali. Il faut que ce soit fait en parallèle à la présence militaire.
La MINUSMA est une mission très importante, selon nous. Nous n'envisageons pas de retirer nos troupes pour le moment. La décision a seulement été prise pour l'année à venir.
Mon attaché militaire à New York a eu une discussion avec le représentant d'une mission canadienne, et il a entre autres recommandé au Canada de ne jamais se retirer d'une mission. Si possible, il est préférable d'assurer une faible présence plutôt que de se retirer, car autrement, les connaissances se perdent et il est impensable de reprendre sa position. Nous ne vous recommandons pas de retirer toutes vos troupes. Nous participons à bien des opérations. Nous assurons une présence modeste.
Quand on m'a invité, on m'a aussi demandé de préparer quelques recommandations. J'ai parlé de la consolidation de la paix en général dans le cadre des opérations modernes de maintien de la paix, ainsi que de la Résolution 1325 et du rôle des femmes dans le cadre des opérations de paix et des négociations en ce sens.
Je note par ailleurs que Michael Grant, du Canada, préside le Comité des 34 à New York, qui est composé de 151 États membres. Il s'agit d'un comité de maintien de la paix qui mériterait sans doute plus le titre de « comité des opérations de paix ». D'après les informations que j'ai eues, le comité discute de questions relatives au genre, aux femmes, à la paix et à la sécurité, à la protection des civils, à la sécurité, au renforcement des capacités opérationnelles, et cetera. Le Canada a une position enviable à ce comité, puisqu'il est présidé par un ambassadeur canadien. Si nous pouvons vous prêter main-forte dans ce contexte, nous le ferons sans hésiter.
J'attire votre attention sur les renseignements que m'a communiqués mon attaché militaire à New York.
Le sénateur Meredith : Votre Excellence, vous avez fait une déclaration percutante, c'est-à-dire qu'il ne peut y avoir de développement en l'absence de sécurité. Nous savons le rôle que joue le Canada en Afghanistan. Pourriez-vous nous dire brièvement ce que le Canada peut faire pour s'assurer que la sécurité règne dans ces endroits troubles du monde où votre gouvernement assure une présence, et comment notre pays peut contribuer de la façon la plus efficace et novatrice possible au développement de ces nations pour qu'elles retrouvent une certaine sécurité?
M. Sjögren : Merci, sénateur. Je crois que le Canada et la Suède ont une vision semblable à cet égard. J'ai remarqué que lorsque le gouvernement a présenté la nouvelle mission en Irak et en Syrie, les ministres des Affaires étrangères, de la Défense et du Développement en ont fait l'annonce ensemble, et cela rejoint grandement notre façon de voir les choses.
J'ai aussi noté lors de cette annonce qu'on préconisait une approche graduelle à l'égard du développement, afin d'assurer la sécurité des zones libérées, mais aussi de prévenir les conflits. En assurant la sécurité, le développement et l'aide humanitaire, on peut prévenir l'éclatement d'un conflit, car on obtient l'appui de la population. J'imagine que c'est l'intention derrière tout cela. Je pense que le Canada et la Suède partagent la même philosophie à cet égard.
Le Canada a toujours été très impliqué en matière d'aide humanitaire. Vous êtes au sommet du monde. Vous avez une force très importante. Au Moyen-Orient, vous êtes présents dans tous les pays visés par les nouvelles opérations, dont la Jordanie et les autres pays entourant la Syrie. C'est une approche très intéressante. C'est aussi la philosophie que nous appliquons.
C'est l'approche globale préconisée devant les crises multidimensionnelles auxquelles nous sommes confrontés aujourd'hui, car il y a des combattants et toujours des pays au cœur de tout cela.
La sénatrice Beyak : C'est un honneur de vous recevoir, Votre Excellence. Merci d'être des nôtres. J'aimerais que vous nous parliez de votre rôle en tant que président du comité d'organisation de la Commission de consolidation de la paix de l'ONU, de même que du travail de votre gouvernement en matière de soutien pré et post-conflit.
M. Sjögren : Il y a différents niveaux d'intervention et différentes choses que nous puissions faire. Premièrement, nous croyons que le Conseil de sécurité de l'ONU devrait prendre ses responsabilités sur le plan politique en temps de crise, et prendre des décisions relatives à la prévention, mais aussi à la réalisation du mandat, notamment en Syrie. C'est triste que le Conseil de sécurité ait été bloqué pendant le conflit syrien et qu'il n'ait pas pu prendre les résolutions qu'il voulait prendre.
Encore là, le Canada est un des pères du principe de la responsabilité de protéger. Le Conseil de sécurité des Nations Unies a adopté une résolution très intéressante sur la Libye. C'est une décision très complexe qui repose entièrement sur la responsabilité de protéger. Nous aimerions que le Conseil de sécurité adopte ce genre de résolution dans les situations de crise qui entraînent d'immenses souffrances humanitaires. Cela comporte également un volet politique très important. La Suède, par l'entremise du Conseil de sécurité, aimerait collaborer de près avec le Canada.
Pour ce qui est de la Commission de la consolidation de la paix à New York, il faut tenir compte du fait que le budget de l'ONU à ce chapitre, de quelque 10 milliards de dollars américains, est relativement modeste par rapport aux fonds investis dans les efforts de guerre. C'est une tâche ardue pour la Commission de la consolidation de la paix de l'ONU. Une autre façon de contribuer aux efforts de la commission à New York est de fournir plus de financement et plus de troupes, et de s'engager plus activement dans les opérations de maintien de la paix des Nations Unies.
Les Nations Unies sont le résultat des efforts des États membres, alors si les États membres ne sont pas actifs, les Nations Unies ne peuvent rien accomplir. Cela nécessite du soutien politique et financier.
Pour ce qui est des volets politique et militaire, il est important de conjuguer ces efforts avec ceux d'autres organisations des Nations Unies : l'Organisation mondiale de la Santé et le Programme des Nations Unies pour le développement. Le secrétaire général des Nations Unies convoque régulièrement les dirigeants des différentes organisations afin d'établir une approche globale face aux diverses opérations de paix. L'époque des efforts fragmentaires est révolue.
La sénatrice McCoy : Bienvenue et merci pour vos commentaires. Vous avez parlé de votre lutte contre Daech en Irak. Êtes-vous aussi présents en Syrie?
M. Sjögren : Non. Nos efforts militaires contre Daech sont assurés par 35 troupes et se concentrent dans le nord de l'Irak. Cela fait partie de mission d'éducation et de formation là-bas.
La sénatrice McCoy : Tandis qu'il est question d'éducation, vous l'avez peut-être entendu, mais les témoins qui vous ont précédé ont recommandé avec un certain enthousiasme une idée fort pratique, soit celle d'établir des instituts de formation dans les zones critiques des quatre coins du monde. La Syrie serait du lot plus tard, mais l'Irak pourrait certainement recevoir un de ces instituts de formation. Peut-être que le Canada pourrait être un des principaux contributeurs, mais en sollicitant l'appui d'autres partenaires. Ce modèle s'inspire de ce qu'on appelait auparavant l'Institut Pearson, ici; c'est le même concept, mais appliqué à l'échelle internationale et établi à proximité des bénéficiaires, plutôt que d'être centralisé au Canada.
Vous avez un centre sur la pédagogie du genre, qui est de toute évidence un centre d'excellence. Pensez-vous que la Suède serait intéressée à s'associer au Canada pour établir des centres d'excellence en matière de formation à l'échelle mondiale?
M. Sjögren : Merci, sénatrice. Je sais que Stockholm a en haute estime le Centre Pearson. Je ne suis personnellement pas au courant de ses activités, mais l'idée d'établir des centres de formation et d'éducation adaptés à des zones en conflit ou à des situations régionales particulières, je présume, me semble très intéressante et une initiative positive. J'aimerais voir une proposition en ce sens, mais sachant que Lester Pearson est un des pères du maintien de la paix, et que le centre est très reconnu en Suède, l'approche qu'il préconise à l'égard de la formation et l'éducation dans des situations précises aurait notre appui, oui.
La sénatrice Jaffer : Je voulais revenir sur certaines des questions qui ont été posées. J'ai compris qu'une des principales forces de la Suède est de savoir intégrer des femmes au sein de la structure des opérations de paix. D'après votre expérience, quelles sont les principales étapes que vous avez dû suivre pour atteindre cet objectif? Quels sont les avantages de cette intégration, et quels sont les défis qui y sont associés?
Un des avantages à mener des opérations militaires à l'étranger, c'est de pouvoir inculquer certaines valeurs. Je ne voudrais pas sembler arrogante, mais je pense que la Suède et le Canada ont de bonnes valeurs à communiquer aux gens des régions touchées.
Quelles sont les principales raisons motivant la Suède à contribuer aux efforts de maintien de la paix des Nations Unies?
M. Sjögren : Merci, sénatrice. Pour répondre à votre dernière question, si nous soutenons autant les efforts de maintien de la paix des Nations Unies, c'est que nous voyons les Nations Unies comme une organisation mondiale de paix et de sécurité. À titre d'État membre, il est important de prendre part activement aux efforts des Nations Unies et de les soutenir. Les Nations Unies sont la somme des États membres qui la soutiennent. Si personne ne les appuie, elles n'auront pas la même incidence.
J'ai entendu une partie du témoignage de l'invité précédent, qui a parlé du chapitre VIII de la Charte des Nations Unies. Évidemment, il y a avant cela les chapitres VI et VII, puis le chapitre VIII. Il y a une gradation dans la façon de s'engager dans une situation de conflit. Le chapitre VIII est important, car il renvoie à la coopération avec d'autres organisations régionales dans différents contextes.
Le dialogue entre l'Union européenne et les Nations Unies est constructif et la coopération solide, mais les Nations Unies collaborent aussi avec l'Organisation de l'unité africaine et l'Union africaine, entre autres. Les différentes organisations régionales établissent leurs propres capacités quand il est question de maintien de la paix, par exemple, en Afrique occidentale, où il y a la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO), qui contribue à la promotion de la paix.
Les conflits sont multidimensionnels, et les mesures prises à leur égard doivent l'être aussi. Pour ce qui est du maintien de la paix en Afrique, j'ai noté dans mon mémoire que le groupe présidé par le Canada, le Comité des 34, a son propre plan visant à renforcer les capacités de l'Afrique en matière de maintien de la paix.
Il y a bien des raisons qui font que nous sommes autant impliqués dans les efforts de l'ONU et que nous soutenons autant ses activités de maintien de la paix. Au fil des années, il y a eu bien des réussites en matière de maintien de la paix internationale, mais aussi certains échecs. Le contexte était différent avant la Guerre froide, alors qu'une troupe pouvait s'interposer entre deux États en conflit. Ce n'est plus le cas aujourd'hui.
La sénatrice Jaffer : Mon autre question concernait la façon d'intégrer les femmes et les défis auxquels vous avez fait face.
M. Sjögren : Je dois avouer que nous avons encore beaucoup de chemin à faire.
Ma ministre des Affaires étrangères a pris l'initiative de créer un réseau — et la sénatrice a assisté à la réunion de Stockholm — de médiatrices dans le domaine du maintien de la paix. Elle est en contact avec le groupe. Je ne sais pas à quel moment elles se réuniront de nouveau, mais il s'agit sans aucun doute d'un engagement à long terme. Elle est également en contact avec des médiatrices de paix dans des situations de conflit. Elle maintient le contact avec elles de différentes façons, directement. Il s'agit de deux façons d'essayer de soutenir les femmes dans les opérations et les négociations de maintien de la paix.
Le processus est certainement long. Nous en faisons autant que possible : la résolution 1325, le Centre nordique à Stockholm et ainsi de suite. Les résultats sont essentiellement positifs, mais il faut du temps, tout comme il faut du temps pour arriver à l'égalité. C'est un processus à long terme.
Le sénateur White : Merci encore d'être ici, monsieur l'ambassadeur.
Comme vous le savez probablement, au Canada, le débat sur le commerce des armes avec l'Arabie saoudite mijote depuis un an, plus particulièrement depuis les derniers mois. Il y a environ un an, la Suède a envisagé de devenir le premier pays à recourir à des critères démocratiques pour prendre les décisions concernant le commerce des armes. Pouvez-vous nous expliquer à quoi cela ressemble et nous dire si cette façon de procéder a été adoptée, pour que nous ayons une idée des répercussions que cela aurait si nous décidions de faire quelque chose de semblable?
M. Sjögren : Merci, monsieur le sénateur. Je n'ai pas la loi en main, mais vous avez raison; nous avons des critères démocratiques pour ce qui est du commerce des armes. Cela fait également l'objet d'un contrôle dans notre système interne. Bien entendu, il est parfois difficile d'évaluer la situation dans un pays, mais notre politique générale consiste à examiner la situation d'un pays en matière de démocratie, de droits de la personne et de primauté du droit, et, en nous appuyant là-dessus, à déterminer si l'exportation d'armes est possible ou non.
Cela dit, il y a toujours des situations critiques qui sont difficiles à évaluer. Nous avons toutefois une loi et un système rigoureux, et le public suit de près ces dossiers, à savoir si nous devons faire des exportations dans des pays qui ne remplissent pas ces critères.
Je peux faire parvenir la loi au comité. Je n'étais pas préparé pour parler aujourd'hui de cette question précise.
Le sénateur White : Je vous en remercie. Je vous en serais reconnaissant. L'adoption de la loi a-t-elle eu des répercussions sur le commerce des armes avec l'Arabie saoudite?
M. Sjögren : Comme on le sait, la situation en Arabie saoudite a été sujette à débat en Suède, et des décisions ont été prises en conséquence. Je ne peux pas entrer dans les détails concernant la nature exacte de nos relations commerciales avec l'Arabie saoudite, mais c'est bien connu, et ces relations ont fait l'objet de discussions en Suède.
Le président : J'aimerais poursuivre avec une autre question. Au cours de nos audiences, on a expliqué, au sujet de notre contribution en tant que pays et de la façon dont nous pourrions contribuer davantage, selon les recommandations et les décisions à venir, que la légitimité de certains éléments des Nations Unies doit elle-même être remise en question. J'aimerais savoir si vous partagez ces préoccupations. C'est très important pour toute contribution apportée à cet organisme. Vous pourriez peut-être nous dire si vous avez pris des mesures avec vos autres alliés pour être certains que vous en avez pour votre argent.
M. Sjögren : Merci, monsieur le sénateur. Comme je l'ai mentionné, nous soutenons les Nations Unies. Nous sommes fermement engagés. Nous sommes l'un des principaux contributeurs de nombreux programmes des Nations Unies. En même temps, la réforme de l'ONU et l'efficacité sont aussi des éléments très importants. Nous faisons de notre mieux.
Avant de prendre part à, par exemple, une opération de maintien de la paix, nous maintenons avec le Département du maintien de la paix aux Nations Unies un dialogue serré au sujet des conditions. Nous invitons également les Nations Unies à participer à ce qui est appelé les services d'évaluation et de conseils pour discuter de certaines opérations, de façon assez détaillée, et également pour en apprendre davantage sur l'ONU et sa façon de travailler dans une situation précise. Ce renforcement des connaissances prend place tant sur le plan opérationnel que sur le plan politique. Avant de décider de participer à une mission de maintien de la paix des Nations Unies, il y a un long dialogue, une coopération étroite et un échange de connaissances sur l'opération concernée.
Dans ce contexte, nous déterminons également si l'opération est aussi efficace que possible, ce que nous continuons de faire tout au long de l'opération. Dans le cadre d'une mission sur le terrain, nous essayons d'être le plus efficaces possible pour exercer une influence.
Ce n'est pas comme si nous nous croisions les bras et que nous attendions la décision de Stockholm. Avant de prendre part à une opération de maintien de la paix, nous suivons un long processus, qui comprend un dialogue serré avec les Nations Unies. Nous le faisons souvent avec nos alliés, ainsi qu'au sein de l'Union européenne.
Le président : Chers collègues, je veux remercier l'ambassadeur d'avoir pris le temps de comparaître devant nous. Nous vous sommes très reconnaissants de votre exposé.
Pendant la troisième partie de notre séance, nous allons poursuivre notre examen de la politique de défense du gouvernement et nous pencher sur des questions liées à la participation possible du Canada à de futures opérations de soutien de la paix des Nations Unies ainsi que sur d'autres éléments abordés dans le cadre de l'examen.
Nous accueillons cette fois-ci le major-général (à la retraite) Daniel Gosselin, qui est président du conseil d'administration de l'Institut de la Conférence des associations de la défense; ainsi que, à titre personnel, le colonel (à la retraite) Charles Davies et le colonel (à la retraite) Michael P. Cessford.
Tout le monde est retraité. Cela doit être extraordinaire.
Pour les téléspectateurs à la maison, permettez-moi de prendre une minute afin de parler du parcours de nos témoins. Le major-général Daniel Gosselin possède 39 ans d'expérience dans les Forces armées canadiennes et a servi plusieurs fois à titre de commandant et au sein de plusieurs états-majors. Il a pris sa retraite au grade de major-général en 2011, et les trois derniers postes qu'il a occupés ont été ceux de commandant de l'Académie canadienne de la Défense; de directeur général, Politique de sécurité nationale, au QGDN; et de chef d'état-major de l'équipe de transformation des Forces canadiennes en 2005-2006.
Le colonel Chuck Davies est un ancien officier de la logistique qui a servi quatre ans à titre de directeur de la planification stratégique du Groupe des matériels au ministère de la Défense nationale et trois ans à titre de directeur principal responsable de la politique d'acquisition et de soutien du matériel au ministère. Il a également officiellement présidé le groupe de l'OTAN sur la gestion du cycle de vie, qui est responsable d'améliorer l'uniformisation et l'interopérabilité dans la gestion du cycle de vie des systèmes d'équipement parmi les pays membres de l'alliance et ses partenaires. Il a pris sa retraite en 2013, après une carrière de 42 ans dans l'armée et la fonction publique.
Le colonel Michael Cessford a pris sa retraite de l'Armée canadienne en 2013 après 40 années de service dans la Force régulière et la Force de réserve. Le colonel Cessford a été déployé dans le cadre d'opérations de combat, de stabilité et de maintien de la paix sur trois continents. Il a également participé à des opérations tout aussi importantes en tant que directeur de l'OTAN responsable des politiques sur l'Afghanistan et à titre de conseiller militaire détaché au Groupe d'experts indépendant sur le rôle futur du Canada en Afghanistan. Il a également été détaché au Centre Pearson pour le maintien de la paix où il a directement participé à la préparation des membres de la police civile et du personnel militaire avant leur déploiement au Darfour. Il possède un doctorat en histoire de l'Université Carleton.
Messieurs, ces C.V. sont impressionnants. Bienvenue au comité. Nous avons hâte d'entendre vos observations.
Major-général (à la retraite) Daniel Gosselin, président du conseil d'administration, Institut de Conférence des associations de la défense : Monsieur le président, chers sénateurs, bonjour et merci de nous donner l'occasion de témoigner et de vous faire part de quelques réflexions pour soutenir l'important travail de votre comité.
Je veux vous parler quelques minutes du défi de maintenir une cohérence stratégique lorsque le Canada prend l'importante décision au plan national de participer à des opérations à l'étranger, que ce soit dans une coalition de nations de même esprit comme il l'a fait après le 11 septembre ou comme il le fait actuellement en Irak, ou au sein d'une force multinationale des Nations Unies comme le gouvernement a indiqué qu'il le fera au cours des prochains mois et des prochaines années.
Permettez-moi d'expliquer ce que j'entends par cohérence stratégique. La cohérence stratégique se rapporte au lien entre la politique, la politique nationale et la stratégie — plus précisément la stratégie militaire aux fins de mon exposé. Je parle ici de la politique dans le contexte du processus décisionnel national.
Quand il est question des opérations et des activités militaires, j'entends par cohérence stratégique l'obligation de continuer à bien comprendre, tant sur le plan politique que militaire, le but et les objectifs d'une opération militaire, notamment à mesure qu'elle évolue au fil du temps. Essentiellement, la cohérence stratégique se rapporte à l'alignement continu de la politique et de la stratégie militaire ou, autrement dit, à la nécessité de maintenir l'alignement des buts, des façons et des moyens face aux complexités stratégiques et aux situations en évolution.
Cette obligation comprend l'élaboration et le maintien d'un discours stratégique national cohérent.
Je voudrais parler de ce qui contribue à l'incohérence stratégique. Je pourrais aborder de nombreux points, mais je vais en aborder quatre. Le premier facteur qui crée de l'incohérence est de ne pas définir de manière irréfutablement claire les raisons pour lesquelles le Canada participe à une mission à l'étranger. Lorsque le pays définit ces fins et ces objectifs de manière ambiguë, il devient foncièrement plus difficile d'élaborer une stratégie militaire. L'élaboration d'un discours stratégique cohérent — pour parler aux Canadiens, à nos alliés et à nos militaires — devient également presque impossible.
La politique intérieure, les campagnes électorales et les changements de gouvernement, pour ne nommer que ceux-là, sont tous des raisons qui rendent difficile le maintien de la clarté stratégique et la synchronisation continue de la stratégie militaire et des actions subséquentes sur le terrain avec les objectifs en matière de politique.
Pour de nombreux pays occidentaux, y compris le Canada, la conséquence directe du 11 septembre a été de déléguer aux États-Unis leur stratégie et leur réflexion opérationnelle initiale — on n'était guère porté ou pressé de séparer la stratégie de la politique nationale — et de ne pas examiner avec la rigueur nécessaire les liens entre les moyens, les façons et les fins. De nombreux pays ont payé très cher ce laisser-aller intellectuel.
Bref, nous ne pouvons pas nous mêler en tant que pays ni embrouiller le public par rapport aux raisons pour lesquelles nous participons à des opérations exigeantes, coûteuses et hautement risquées partout dans le monde. Les conséquences sont trop sérieuses. Nous devons faire preuve de clarté dans notre réflexion non seulement au moment de prendre la décision initiale de participer au déploiement de forces — ce que nous faisons souvent très bien —, mais aussi après le déploiement de forces partout dans le monde, alors que nous avons détourné notre attention.
Un deuxième facteur, que l'on oublie souvent, est l'évolution de la dynamique de la coalition des forces multinationales. Le retrait d'un pays qui apporte une contribution considérable aux forces, et la perte de facilitateurs clés des forces, comme la puissance de feu, l'évacuation médicale ainsi que les dispositifs de renseignement et de surveillance, peuvent grandement changer les conditions dans le théâtre d'opérations. Par conséquent, il peut s'avérer nécessaire d'apporter des ajustements importants à la stratégie militaire, mais aussi à nos objectifs de politique nationale, ce qui accroît l'incohérence.
Un troisième facteur, que nous connaissons bien, est le défi que représente au fil du temps le déploiement d'un effort pangouvernemental, notamment à mesure que le mandat de la mission, la situation militaire et politique sur le terrain, les menaces et la dynamique régionale évoluent. Comme nous l'avons vu pendant la campagne en Afghanistan, il faut déployer un effort intellectuel important et soutenu — sur le plan politique, bureaucratique et militaire — pour maintenir l'orientation nationale et la cohérence stratégique.
Le gouvernement précédent a dû entreprendre une importante étude — celle du groupe indépendant dirigé par l'honorable John Manley — pour faire le point et réfléchir à l'avenir du Canada. Il a apporté d'importants changements à l'appareil gouvernemental, y compris en créant un comité du Cabinet, un groupe de travail interministériel — tout cela dans le but d'améliorer la planification, la coordination et la cohérence stratégiques nationales.
Bref, il est exigeant de diriger et de gérer un effort pangouvernemental qui comprend l'armée, surtout lorsqu'il manque de clarté et d'orientation politiques et que les ministères ont leurs propres points de vue sur les objectifs stratégiques que le gouvernement cherche à atteindre.
Enfin, la complexité de la mise sur pied d'un partenariat pour la paix dans le cadre des opérations multinationales actuelles de l'ONU représente un quatrième facteur. Je suis certain que vous en avez entendu beaucoup parler. La majorité des opérations menées en vertu du chapitre 7 de l'ONU comprennent la protection des civils. Plusieurs pays, y compris certains contributeurs de troupes, n'acceptent pas nécessairement les exigences plus ambitieuses en matière de protection des civils et de maintien de la paix. Par conséquent, malgré tous les efforts déployés par l'ONU, les pays contributeurs de troupes continuent de mener des opérations avec certaines réserves et de suivre les directives de capitales nationales, surtout pour ce qui est du recours à la force.
Il en découle au sein de l'ONU des défis, de profondes divisions et des interprétations divergentes concernant la nature et l'objectif du maintien de la paix. Les nouvelles missions vont à l'encontre des principes de l'ONU que sont le consentement, l'impartialité et le non-recours à la force, ce qui creuse souvent au sein de l'ONU un fossé entre les considérations stratégiques et les réalités opérationnelles.
L'apport intellectuel du Canada auprès de l'ONU devra être important à bien des égards pour tenir compte de tous ces facteurs et assurer ainsi la cohérence stratégique.
En résumé, la participation du Canada aux missions modernes de maintien de la paix de l'ONU — et j'emploie « maintien de la paix » dans tous les sens du mot — peut comporter un peu d'idéalisme, mais cet idéalisme doit être mélangé à une forte dose de pragmatisme. À défaut de faire preuve de lucidité, nous risquons d'avoir un écart important entre les fins politiques de notre gouvernement lorsqu'il participe aux opérations de maintien de la paix de l'ONU et la stratégie nationale et militaire déployée pour parvenir à ces fins.
Je serai heureux de donner plus tard des précisions là-dessus.
Colonel (à la retraite) Charles Davies, à titre personnel : On m'a demandé de me concentrer sur la question des opérations de soutien de la paix dans le contexte de l'examen en cours de la politique de défense, mais avant d'en parler, j'aimerais prendre deux ou trois minutes pour discuter de l'examen dans son ensemble.
La politique de défense ne concerne pas les missions ou les tâches que le gouvernement actuel confie à ses militaires. Ces décisions portent sur des questions de politique étrangère ou de politique de sécurité nationale. Les trois, ainsi que d'autres, créent un vaste ensemble.
La politique de défense porte essentiellement sur les capacités militaires dont le pays fera l'acquisition, qu'il entretiendra ou dont il se départira, ainsi que sur la façon dont elles seront financées. Ces capacités peuvent être utilisées à diverses fins, des secours en cas de catastrophe au maintien de la paix, en passant par différentes missions de soutien à la paix ou missions de combat.
Les capacités militaires sont des combinaisons intégrées de quatre éléments de base : premièrement, le personnel — principalement, mais pas nécessairement juste le personnel militaire —, y compris le recrutement, l'instruction, l'organisation, la gestion et les soins; deuxièmement, le matériel de défense important, comme les navires et les avions, ainsi que d'autre matériel, comme les systèmes d'information, les fournitures et les services nécessaires aux opérations et à l'instruction préalable; troisièmement, l'infrastructure essentielle de défense nécessaire à la disponibilité opérationnelle et à l'instruction, comme les chantiers maritimes, les aérodromes et les établissements d'instruction; et, finalement, un élément intellectuel que j'appelle la doctrine militaire et l'ensemble des connaissances militaires et professionnelles qui est nécessaire pour renforcer la cohésion avec les autres éléments afin d'en faire des éléments efficaces de nos forces en vue de planifier et de diriger des opérations assignées, de s'adapter rapidement aux nouvelles conditions opérationnelles, technologiques, géopolitiques ou autres, et de soutenir à l'avenir l'organisme de défense du pays.
Ces quatre éléments doivent être présents dans un juste équilibre et être adéquatement intégrés, préparés et appuyés avant qu'une capacité de défense puisse être considérée comme étant efficace aux fins d'opération.
Les investissements dans la capacité militaire se planifient souvent des années ou des décennies d'avance; les possibilités du gouvernement au pouvoir dépendent donc en grande partie des décisions des gouvernements précédents, tout comme les possibilités des gouvernements futurs dépendront des décisions du gouvernement actuel.
Il importe donc que votre comité, le Parlement en général et le gouvernement adoptent une vision à long terme en ce qui concerne l'élaboration de la politique de défense.
J'ai récemment entrepris une analyse de haut niveau des politiques de défense actuelles de quatre autres pays occidentaux, soit la France, le Royaume-Uni, l'Australie et les États-Unis. Elles témoignent toutes d'un processus d'élaboration très discipliné et exhaustif, habituellement constitué de cinq étapes clés. Premièrement, on détermine ce que l'on considère comme étant la place du pays dans le monde et, de façon générale, la manière dont les instruments du pouvoir de l'État, en particulier les capacités de défense, seront utilisés à l'appui d'une stratégie nationale. En deuxième lieu, on procède à l'analyse des perspectives stratégiques internationales et régionales, en tenant notamment compte des risques de conflagration futurs et des options militaires dont les gouvernements actuel et futurs auront besoin pour y réagir. Troisièmement, on élabore une stratégie en matière de défense que chaque pays entend suivre, puis, en quatrième lieu, on détermine les capacités de défense que chaque pays acquerra, maintiendra ou éliminera, ainsi que les structures que les forces devront adopter pour suivre cette stratégie. Enfin, on précise les moyens financiers grâce auxquels on acquerra et maintiendra ces capacités.
Si on considère le concept des opérations de soutien de la paix dans le contexte de ce processus analytique, elles méritent certainement une mention, car elles illustrent le genre de missions pour lesquelles le Canada a besoin de l'armée pour pouvoir entreprendre, mais elles ne constituent qu'un élément d'un très large éventail de possibilités. Les réactions du Canada aux événements exigeront toujours un grand nombre d'options.
Par conséquent, ce serait une grave erreur que de donner au soutien de la paix une place prépondérante dans le cadre de l'examen actuel de la politique de défense. Toute analyse objective du contexte de sécurité futur devrait en arriver à la conclusion que les plus grands risques que le Canada affrontera vraisemblablement au cours des prochaines décennies seront d'une nature telle que les opérations de soutien de la paix n'auront pas une place importante dans la réaction du pays. Contrairement à la surveillance et à la protection de nos espaces maritimes et aériens, le soutien de la paix n'est pas et ne sera jamais une mission ne pouvant échouer pour le Canada.
Tout au plus pourrait-il faire une contribution potentiellement utile à un objectif de politique étrangère en appuyant les efforts internationaux visant à juguler des crises et à améliorer la sécurité internationale. Cependant, pour que ces efforts soient efficaces, les pays occidentaux comme le Canada ont besoin de capacités solides et modernes, notamment celle de recourir expressément ou de menacer de recourir à une force mortelle contrôlée, ce qui n'a rien de nouveau. Ce ne sont pas des forces de maintien ou de soutien de la paix qui ont endigué la crise du canal de Suez en 1956, mais bien des interventions politiques et diplomatiques, appuyées par des forces militaires disciplinées, bien entraînées et bien équipées, déployées sur place relativement rapidement. Elles n'avaient pas été envoyées dans l'intention d'engager le combat, mais tout le monde savait qu'elles pouvaient le faire si c'était nécessaire, et cela a fortement contribué à la réussite de la mission.
En terminant, j'encouragerais le comité à voir les opérations de soutien sous leur vrai jour. Si elles s'avèrent utiles dans certaines situations, elles ne constituent qu'une solution dans tout un éventail d'options que les gouvernements actuel et futurs devront toujours envisager. En outre, le soutien de la paix doit être vu comme une tâche et non comme un élément crucial de la capacité militaire. Il ne mérite donc pas de rôle important dans l'établissement des capacités futures des Forces armées canadiennes.
Je répondrai à vos questions avec plaisir.
Le colonel (à la retraite) Michael P. Cessford, à titre personnel : Je voudrais vous parler aujourd'hui de l'évolution, au cours des deux dernières décennies, du soutien que le Canada a apporté aux opérations de paix et de stabilité internationales afin de vous offrir probablement un point de vue légèrement plus technique, si l'on veut, de la situation actuelle.
J'ai participé pour la première fois à une opération de maintien de la paix en 1975, avec les Nations Unies dans le Sinaï, où j'ai servi pendant six mois. J'ai également été dans les hauteurs du Golan. C'est vraiment là que j'ai eu ma première expérience des opérations de maintien de la paix classiques. J'ai ensuite servi en Croatie et en Bosnie- Herzégovine, où j'ai observé la nature évolutive et changeante des opérations de paix et de stabilité dans un théâtre opérationnel très difficile. Pendant mon passage au centre Pearson, j'ai été étroitement confronté aux défis que devait relever la mission hybride des Nations Unies et de l'Union africaine au Darfour. Enfin, lors de deux périodes d'affectation en Afghanistan, une bonne partie de mon travail s'est effectué dans le cadre d'opérations de paix et de stabilité vraiment classiques. J'ai essentiellement vécu tout l'éventail d'expériences opérationnelles.
J'aimerais commencer en dissipant ce que je considère comme étant un malentendu fondamental quant à la participation du Canada aux opérations internationales de paix et de stabilité au cours des 15 dernières années. Les gens ont l'impression tenace que le Canada a abandonné ces opérations à la fin des années 1990, après les débâcles au Rwanda, en Bosnie et en Somalie. Par exemple, parmi les nombreux articles que je peux citer, il y a celui que le Toronto Star a publié en juin 2015, où il indique que le Canada a abandonné son rôle de gardien de la paix. C'est on ne peut plus faux, à mon avis.
Le fait est que l'armée canadienne a admis, au milieu des années 1990, que les Nations Unies étaient alors incapables de tirer efficacement parti des nouvelles formes d'opérations de paix et de stabilité qu'il était nécessaire de mener dans un environnement opérationnel de plus en plus dangereux et complexe. C'est le constat auquel pratiquement toutes les forces militaires occidentales en sont arrivées.
La première preuve de cette transition a été observée en Bosnie-Herzégovine. La force de protection des Nations Unies, déployée en février 1992, avait établi des zones sécuritaires, mais les moyens lui manquaient pour les protéger. Ces zones sécuritaires, destinées à la population, ont toutefois facilité la commission de crimes de guerre en ayant pour effet de concentrer les populations civiles vulnérables là où elles étaient à la merci de leurs ennemis. Pratiquement toutes les zones sécuritaires ont été la cible de tirs nourris de mortier et d'artillerie, qui ont causé d'importantes pertes de vies humaines. Mais la pire atrocité s'est produite à Srebrenica, où plus de 8 500 garçons et hommes ont été réunis sous les yeux d'un petit bataillon des Nations Unies et conduits à leur lieu d'exécution.
Ce sont ces actes qui ont provoqué la transition de la direction des opérations des Nations Unies à l'OTAN. Le 30 août 1995, l'OTAN a lancé l'opération Deliberate Force, dans le cadre de laquelle on a entrepris des opérations de combat contre les belligérants. Environ six semaines plus tard, tous les belligérants ont accepté une trêve, qui a mené à la signature des accords de paix de Dayton un mois plus tard.
Le fait est que les Forces canadiennes en poste dans le théâtre, qui est passé, d'un coup de plume, de la direction des Nations Unies à celle de l'OTAN, n'ont pas cessé les opérations de paix. Elles ont plutôt été intégrées à une force bien plus capable d'obtenir, en l'espace de six à huit semaines, l'effet stratégique que les Nations Unies n'avaient pu avoir en plus de quatre ans, au prix de la vie de plus 100 000 Bosniaques, dont environ le tiers étaient des civils.
L'emploi des forces de l'OTAN dans le cadre d'opérations de paix et de stabilité s'est poursuivi après la Bosnie. Par exemple, les opérations de l'OTAN et de la coalition contre le Kosovo, la Libye et, aujourd'hui, la Syrie et l'Irak sont probablement ce qui se rapproche le plus du concept de responsabilité de protéger des Nations Unies. Cette initiative de responsabilité de protéger, proposée après le génocide au Rwanda, appuie l'engagement et l'intervention de pays étrangers dans les affaires intérieures de pays qui sont le théâtre d'actes génocidaires. Elle a été adoptée à l'unanimité à l'occasion d'un sommet mondial parrainé par les Nations Unies en 2005. Je considère toutefois que pour des raisons principalement politiques, il y a peu, voire aucune chance que les forces des Nations Unies mènent un jour ce genre de mission.
Permettez-moi de dire en terminant que l'OTAN, les Nations Unies ou d'autres entités régionales, comme l'Union africaine, ont le potentiel de lancer et de superviser des opérations de paix et de stabilité; les capacités et les contraintes opérationnelles de chaque organisation dans le cadre de ce genre d'opérations varieront toutefois énormément. Selon moi, les Nations Unies ne sont pas encore capables de mener à bien les genres d'opérations de paix et de stabilité complexes qui pourraient s'avérer nécessaires dans un proche avenir — au Yémen ou en Syrie, par exemple —, ce dont conviennent un grand nombre de ses hauts responsables. Par exemple, dans le rapport des Nations Unies publié par le groupe d'experts indépendant de haut niveau sur les opérations de paix en juin 2015, on admet que les Nations Unies ne pourraient pas mener efficacement ce qui est considéré comme des opérations de lutte au terrorisme ou des opérations contre un ennemi comme l'État islamique/Daesh et d'autres belligérants se trouvant au Yémen.
Le gouvernement du Canada doit donc, avant de s'engager à fournir des forces dans le cadre des opérations des Nations Unies, prendre soin d'évaluer le succès potentiel de ces missions et s'assurer que les opérations prévues ont un degré de risque acceptable. Il doit examiner d'un œil critique les lacunes qui minent les capacités des Nations Unies et les contraintes imposées dans les mandats des missions pour s'assurer que le Canada ne court pas à l'échec ou de dilapidera les rares ressources dont il dispose pour obtenir des succès locaux, tactiques ou à tout autre égard éphémères. Cela ne signifie pas que le Canada ne devrait pas participer aux opérations des Nations Unies; il devrait cependant appuyer les plus censées.
À mon avis, toute analyse d'une contribution potentielle du Canada à une mission des Nations Unies devrait répondre à la question suivante : l'engagement du Canada à fournir du personnel offre-t-il le potentiel d'obtenir des résultats positifs, durables et stratégiques dans un laps de temps raisonnable tout en exposant notre personnel à un degré acceptable de risque? Si la réponse à cette question est « non », le gouvernement peut encore choisir d'envoyer nos hommes et nos femmes à ce genre de missions, mais au moins, il connaîtra les risques.
Merci beaucoup. Je répondrai à vos questions avec plaisir.
La sénatrice Jaffer : Je vous remercie tous les trois. Vous nous avez donné beaucoup de matière à réflexion. Il semble que nous ayons besoin d'une journée pour réfléchir à vos propos avant de vous interroger, mais nous ne bénéficions pas de ce luxe.
J'ai écouté attentivement à ce que vous avez dit au sujet de la différence entre l'OTAN et les Nations Unies. Vous avez indiqué que pour participer à une mission des Nations Unies, il faut que l'alliance soit positive et stratégique et que le degré de risque soit acceptable. Cela ne s'applique-t-il pas à l'OTAN également? Je vous demanderais de répondre à cette question plus tard.
Je ne possède pas les connaissances exhaustives qui sont les vôtres, mais je pense que l'OTAN joue un rôle très différent. Lorsque nous participons à des missions des Nations Unies, les rôles sont différents parce que cet organisme est davantage axé sur la médiation et la diplomatie, alors que l'OTAN a un rôle plus précis. J'aimerais que vous nous indiquiez quand nous devrions nous associer à l'OTAN et quand nous devrions participer aux opérations des Nations Unies. Vous avez proposé de procéder à une évaluation, mais j'aimerais avoir une vision d'ensemble.
Mgén Gosselin : C'est une bonne question, car l'OTAN est la première organisation avec laquelle les gens s'allieraient. Je reviendrai à certains points que j'ai abordés et laisserai les autres traiter des aspects opérationnels et tactiques.
Nous sommes alliés avec l'OTAN depuis longtemps aux côtés d'un certain nombre de gens qui partagent nos points de vue. Le principe fondamental de commandement et de contrôle de l'OTAN évolue depuis 50 ans. Les gens utilisent une certaine terminologie, qu'adoptent même les nouveaux pays qui se joignent à l'organisation. D'entrée de jeu, nous avons affaire à un certain nombre de gens qui utilisent le même langage quand il est question du risque, du commandement, du contrôle et de la structure. Voilà qui confère un certain degré d'aise.
Il ressort aussi nettement que les pays membres de l'OTAN disposent de capacités qu'un grand nombre de pays membres des Nations Unies ne possèdent pas. C'est important, car les pays qui participent aux opérations doivent déterminer comment ils peuvent atténuer le risque. À part les États-Unis, le Royaume-Uni ou la France — et encore —, la plupart des pays se fieront à d'autres pour les aider à atténuer certains risques ou pour leur fournir des outils habilitants à cette fin.
L'OTAN est le point de départ. Même quand on parle de « coalition de pays partageant les mêmes points de vue », le Canada souhaiterait normalement la participation d'un ou deux pays clés de l'OTAN, et ce, pour les mêmes raisons.
Les Nations Unies ne sont pas dans la même situation. Elles ont réalisé moult études pour trouver des raisons valables. L'organisme a notamment une structure différente. De nos jours, les Nations Unies mènent au Mali et au Congo des opérations qui sont aussi complexes qu'en Afghanistan, sans toutefois disposer de la solide structure et de la capacité nécessaire pour atténuer le risque. C'est une tâche exigeante pour les Nations Unies.
La sénatrice Jaffer : Je trouve préoccupant que nous disions qu'il est plus facile pour nous de collaborer avec l'OTAN parce que nous parlons le même langage, car plus longtemps nous travaillons avec cet organisme, plus nous affaiblissons les Nations Unies, exactement pour les raisons que vous avez évoquées.
Mgén Gosselin : Vous avez raison. On pourrait faire valoir qu'un certain nombre de pays occidentaux auraient pu se tourner vers les Nations Unies dans les années 1990 pour tenter de mettre en œuvre des capacités plus solides. Il y avait des brigades pouvant être déployées et un certain nombre de capacités, mais après les attentats du 11 septembre, la plupart des pays ont tourné leur attention ailleurs et ont laissé les Nations Unies se débrouiller dans la région. D'autres pays ont pris la relève, mais à un niveau moindre.
Col Cessford : Je ne pense pas qu'on ait à choisir. Les Nations Unies et l'OTAN ont presque inévitablement un même objectif et cherchent à obtenir des résultats stratégiques communs. Ce qu'il faut se demander, c'est comment on peut atteindre cet objectif commun.
Chose certaine, il se peut bien que pendant un certain temps, les capacités que possède l'OTAN soient peut-être appropriées initialement, mais nous devrions chercher à passer à une opération des Nations Unies, particulièrement quand on fait la transition entre les opérations de combat et de véritables opérations de paix et de stabilité, et ce, en s'alliant idéalement à d'autres partenaires, comme l'Union africaine. C'est une transition qui me semble censée. C'est important.
Notre premier point de départ doit être la cohérence et la synergie dans le cadre d'un engagement des Nations Unies, de l'OTAN ou d'une autre force militaire. Ce n'est pas un choix, mais une longue continuité.
La sénatrice Jaffer : Vous avez fait mention de l'Union africaine à un certain nombre de reprises. Sachez que je suis allée vers l'Union africaine avec les gens avec lesquels vous travaillez pour lui proposer l'aide du Canada. Nous lui avons fourni beaucoup d'équipement et nous étions là pour l'aider, et vous avez fait le travail. Je pense qu'il était très efficace de laisser l'Union africaine diriger les opérations et de l'appuyer. Qu'en pensez-vous?
Col Cessford : L'an dernier, nous avons terminé d'aider l'Union dans le cadre de l'exercice Amani Africa II, qui consistait à réaliser l'évaluation de l'état de préparation opérationnelle des brigades permanentes. Cet exercice ambitieux présentait des défis. Je pense que certaines unions économiques régionales souhaitent obtenir un effet, mais c'est très difficile d'y parvenir. J'éprouve beaucoup d'estime pour l'Union africaine, où je compte de nombreux amis. Je peux dire qu'elle aurait besoin de soutien.
La sénatrice Jaffer : Elle a besoin de notre aide?
Col Cessford : Certainement.
Col Davies : Merci, sénatrice. C'était une excellente question.
Pour reformuler certains propos de mes collègues, je pense que c'est une question d'utiliser le bon outil à la bonne fin. Les Nations Unies sont avant tout un organe de politique internationale dont la capacité de gérer l'exécution d'opérations militaires est très faible. Elles se sont toutefois améliorées. Quand j'ai dirigé le contingent canadien déployé sur les hauteurs du Golan pendant un an, en 1996 et 1997, on ne nous répondait même pas quand on téléphonait à New York à l'époque. L'organisme s'est grandement amélioré depuis, mais il est loin de posséder des capacités de commandement, de contrôle et d'intégration des forces que l'OTAN perfectionne depuis de nombreuses années.
L'OTAN dispose d'une structure de commandement et de contrôle militaires très efficace et parée au combat. Voilà pourquoi les Nations Unies se sont en fait tournées vers elle pendant la guerre en Bosnie, quand les choses n'allaient pas très bien. Dépassées, elles ont demandé à l'OTAN de prendre la direction de la mission et d'établir des conditions qui lui permettraient de revenir pour rebâtir le pays, favoriser la paix et mener ce genre d'activités.
La grande force des Nations Unies, c'est le développement des pays et le renforcement de leurs capacités, ce qu'elles font mieux que presque n'importe qui. Cependant, pour pouvoir instaurer un environnement de sécurité où elles peuvent agir, je pense que l'OTAN doit régler le cœur du conflit afin d'établir les conditions permettant aux Nations Unies d'intervenir comme elle sait si bien le faire.
[Français]
Le sénateur Carignan : J'ai obtenu une réponse à ma première question concernant les rôles distincts de l'ONU et de l'OTAN, et je vous en remercie.
Ma prochaine question s'adresse plus particulièrement au colonel Davies, mais tous les témoins sont invités à y répondre s'ils le désirent.
Vous nous avez parlé de différents pays qui ont travaillé sur différents éléments — par exemple, les dépenses et les équipements - dans le but de développer une vision à long terme en ce qui a trait à l'engagement et à l'implication de leur organisation militaire.
Au Canada, notre système nous prive en quelque sorte de cette possibilité d'instaurer une vision à long terme quant à notre implication militaire. Lorsqu'un parti est au pouvoir qui croit en l'importance d'une telle vision, il dispose d'une dizaine d'années pour réaliser cette vision, pour être ensuite remplacé par un nouveau parti qui n'aura pas la même vision que lui, qui défera ce qui a été fait, et ainsi de suite.
J'aimerais donc comprendre de quelle manière les autres pays s'y prennent pour établir une vraie vision à long terme. Pouvez-vous nous en parler?
Col Davies : Si cela ne vous dérange pas, je vais parler en anglais, parce que c'est plus facile pour moi.
Le sénateur Carignan : C'est un droit constitutionnel. Allez-y.
[Traduction]
Col Davies : Vous abordez un point crucial, sénateur.
Les quatre pays que j'ai étudiés disposent tous de cadres solides afin d'analyser et de moderniser régulièrement leurs politiques de défense. Ces processus font participer non seulement le parti au pouvoir, mais aussi tous les autres partis du Parlement.
Par exemple, en Australie, il n'y a pas de débat national pour décider si le gouvernement achètera ou non des F-35 ou pour déterminer les priorités et les principaux investissements relatifs à la politique de défense du pays. Il en va de même en France et au Royaume-Uni. Dans ce dernier pays, le chef de l'opposition est souvent invité à assister aux réunions du conseil de sécurité nationale.
Ce qui fait sérieusement défaut au Canada, c'est un cadre qui, dans la structure politique, permettrait d'établir collectivement une vision commune des besoins du pays et une orientation stratégique en matière de défense que les gouvernements successifs peuvent maintenir.
Je sais que ce n'est pas facile; c'est plus difficile à faire à certaines périodes qu'à d'autres, selon la dynamique politique du moment, mais notre pays ne peut se permettre de continuer ainsi. Le gouvernement ne peut plus arriver au pouvoir et promettre d'acheter des sous-marins nucléaires, puis changer son fusil d'épaule et dire qu'il n'en achètera pas, ou dépenser 500 millions de dollars pour annuler un contrat parce qu'il en est arrivé à la conclusion politique que c'était une mauvaise idée. Nous ressentons encore les effets de ces décisions.
Je ne blâme aucun parti en particulier; je fais simplement remarquer que c'est une dynamique qui existe, peu importe où l'on va.
Le premier gouvernement Harper avait toutes sortes d'ambitions pour créer des unités au pays, sans toutefois disposer des ressources nécessaires. Il n'y avait pas de mission et nous ignorions ce qu'on allait faire.
Ce que je demanderais à votre comité, qui est aussi bien placé que n'importe quelle de nos institutions nationales, c'est de tenter de trouver un moyen de jeter des ponts entre les partis. Il existera toujours des désaccords politiques à propos des détails, mais il faut que notre orientation stratégique globale en matière de défense soit solidement établie afin qu'elle soit raisonnablement stable pour 5, 10, 15, 20 ou 25 ans, et ce, pour de ne pas prendre de mauvaises décisions d'investissement ou pour que les bonnes décisions d'investissement ne soient pas critiquées et annulées ultérieurement.
C'est une excellente question, que je vous remercie d'avoir posée, sénateur. Si vous pouvez trouver la solution ou la voie à suivre, alors le comité devrait aller de l'avant.
La sénatrice Raine : Pourriez-vous nous donner un montant, tout estimatif soit-il, de ce que nous gaspillons en agissant comme des girouettes? C'est un gaspillage non seulement de fonds publics, mais aussi d'énergie cérébrale, qui fait que nous n'arrivons à rien.
Col Davies : Vous avez absolument raison, sénatrice. Je ne voudrais pas donner de chiffre, mais je vais illustrer le problème.
Je m'occupais de la planification d'un élément de la capacité de défense quand le gouvernement Mulroney a été élu. Avec de grandes attentes, nous avons entamé avec les Britanniques une discussion très détaillée à propos de l'établissement d'une base de théâtre en Europe pour appuyer notre mission avec l'OTAN. D'autres s'employaient à réunir d'importantes ressources, alors que certains pays rassemblaient des ressources pour voir comment ils pourraient aider le Canada à acquérir une flotte de sous-marins nucléaires.
Nous avons créé un poste de directeur général de la sûreté nucléaire au sein de la Défense nationale et réuni des ressources pour jeter les bases qui nous permettraient de gérer une flotte de sous-marins nucléaires. Personne n'a jamais déterminé le coût de cette initiative, mais elle a entraîné un énorme gaspillage de ressources non seulement pour notre pays et l'institution de la défense, mais aussi d'autres ministères et pays.
Le gouvernement a admis que l'annulation de l'achat de l'hélicoptère EH-101 s'est soldée par un gaspillage de 500 millions de dollars, mais les pertes ne se limitent pas à cela. Tous les efforts déployés au Quartier général de la Défense nationale pour tenter d'établir un cadre stratégique concernant les intentions premières du gouvernement Harper — toutes louables soient-elles —, de trouver une justification et d'évaluer les coûts de l'initiative ont exigé beaucoup d'énergie de la part de la Défense nationale et d'autres ministères.
Cette annulation a également provoqué une paralysie politique à l'égard des achats de la défense en général. C'est notamment pour cette raison qu'il est si difficile pour le gouvernement au pouvoir de prendre une décision dans ce domaine, de s'y tenir et de l'exécuter jusqu'au bout. Faisant preuve de réalisme, les décideurs cherchent à déterminer ce qu'il en coûte d'agir comparativement à ce qu'il en coûte de ne rien faire et d'attendre que la situation atteigne un point où une forme de consensus national émerge. C'est un énorme gaspillage d'énergie et de ressources pour toute l'institution.
La sénatrice Raine : C'est un peu déprimant.
Col Davies : En effet.
[Français]
Le sénateur Carignan : J'aimerais entendre l'opinion des autres témoins également sur ce sujet. J'ai constaté que vous aviez une opinion, et j'aimerais l'entendre.
[Traduction]
Mgén Gosselin : Je voulais formuler deux observations après avoir écouté la question, en particulier le dernier commentaire.
Ce sera la huitième politique de défense officielle depuis la Seconde Guerre mondiale. Nous avons fait un certain nombre de déclarations de principe et divers énoncés. En l'espace de sept ans, nous en avons fait deux dans le cadre d'un processus de consultation auprès des Canadiens comme celui-ci : en 1994 et aujourd'hui.
On peut débattre des mérites de cette démarche, mais cela met en lumière le fait qu'on juge qu'il ne vaut pas tellement la peine de discuter des questions relatives à la politique de défense avec la population canadienne. Certaines personnes, quelque part, ont élaboré un certain nombre de politiques de défenses dans le cadre d'un processus auquel le gouvernement a participé. Je ne remets pas ce processus en question, mais je m'intéresse aux Canadiens.
Ce qu'il faut notamment se demander, c'est comment on peut éduquer la population pour que cet échange ne devienne pas un débat politique enflammé, mais soit plutôt une discussion sur les besoins du Canada. Je pense qu'en éduquant mieux les Canadiens en général, on pourrait peut-être tenir une meilleure discussion dans l'avenir.
Le deuxième élément concerne la structure. J'ai parlé de la cohérence stratégique au début. Ce qui est difficile, une fois que l'opération est lancée, c'est de maintenir la cohérence. À mesure que les facteurs changent à l'échelle nationale et internationale, avec la force et tous les intervenants qui entrent en ligne de compte, nous finissons par accorder notre attention à autre chose, et tout à coup, les soldats déployés, les commandants et le personnel en poste à Ottawa doivent composer avec des situations changeantes. En l'absence de structure ou de mécanisme pour s'occuper continuellement de la question au pays, qu'il s'agisse d'un comité du Cabinet, d'un groupe de travail ou d'un comité parlementaire chargé du dossier, c'est à l'armée qu'il revient de tenter d'adapter la stratégie à des fins politiques qui ne sont pas toujours claires, d'autant plus qu'elles évoluent.
C'est avec une capacité solide qu'on atténue le risque. L'armée peut ainsi essentiellement voir la situation évoluer sans constamment devoir s'adresser à Ottawa, car elle peut s'adapter du point de vue tactique et opérationnel.
D'autres pays ont apporté des modifications importantes à l'interne, comme les États-Unis et le Royaume-Uni pendant l'intervention en Afghanistan et en Irak. Tout en maintenant leurs grands objectifs politiques, ils ont fait des ajustements tactiques qui avaient des répercussions stratégiques.
La solidité de la force accorde une certaine souplesse et permet d'atténuer le risque quand les objectifs politiques ne sont parfois pas clairs. Quand le gouvernement change, les politiques nationales prennent le dessus et le gouvernement accorde son attention à autre chose. Il faut donc avoir la structure adéquate, à défaut de quoi nous ne sommes pas en mesure d'atténuer le risque.
Col Cessford : Pour mes péchés, j'ai été directeur de l'analyse de la défense pendant trois ans au Quartier général de la Défense nationale, à l'échelon stratégique, fonctions dans le cadre desquelles j'ai dû justifier les demandes de capacité. Ce n'était pas une mince tâche.
Je ferais remarquer que ce n'est pas seulement lorsque le pouvoir passe d'un parti politique à un autre qu'il y a transition ou incohérence. La transition du premier ministre Chrétien au premier ministre Martin a conféré une tout autre perspective à nos défis opérationnels.
Lorsque je réfléchis à cette incohérence, aux transitions et aux vagues qui accompagnent chaque changement de gouvernement, je suis frappé par notre manque de culture stratégique. Nous ne réfléchissons pas à long terme. Si vous parlez à un fonctionnaire de la République populaire de Chine, vous constaterez que ce pays a une vision à long terme de ce qu'il sera. Cette culture stratégique est inscrite dans l'ADN de la Chine. C'est une caractéristique que partagent d'ailleurs d'autres pays.
Il me semble que toute politique de défense traitant d'un équipement précis, comme les appareils F-35 ou CF-18; d'une base, comme celles de Bagotville ou de Goose Bay; ou d'une unité, comme un bataillon de la Réserve territorial ou un bataillon de parachutistes, fait fondamentalement fausse route. Ce n'est pas tant une politique que, potentiellement, de la politique. Elle s'adresse à d'autres personnes que celles qui ont besoin d'une politique de défense qui répond efficacement aux besoins du pays.
Voilà ce je veux faire remarquer. Si une politique de défense comprend des noms, des chiffres et des types d'équipement très précis, je m'inquiète. Il peut y être question de sous-marins nucléaires, de défense ou d'attaque aériennes ou de capacité de combat, mais si elle comprend des lieux, des chiffres, des noms, des unités et des types d'équipement, alors je pense qu'on fait fausse route.
Le président : Chers collègues, je veux poursuivre sur le même sujet, si vous me le permettez. Nous avons devant nous des témoins forts de 120 ans d'expérience dans tous les aspects de l'armée.
Vous savez que nous avons été chargés de déterminer si le Canada devrait participer davantage aux opérations de maintien de la paix aux côtés des Nations Unies.
Je veux vous interroger au sujet du budget déposé au Parlement et de ce que vous savez de l'engagement financier que le Canada devrait prendre pour que son armée demeure viable. Le budget déposé au Parlement nous permet-il de nous acquitter des responsabilités qui sont les nôtres au chapitre de la protection du Canada, en Amérique du Nord, envers l'OTAN et à tout autre égard? C'est ma première question : sommes-nous, à votre avis, capables de satisfaire les exigences auxquelles l'armée est actuellement soumise?
Col Davies : Les opérations de maintien et de soutien de la paix sont une tâche. Cela ne concerne pas la capacité de défense. Selon moi, la question sur ce que nous devrions ou ne devrions pas faire ne concerne pas la politique de défense, mais bien la politique étrangère.
En ce qui concerne le budget et la capacité, je pense que notre pays a très peu de tâches qui ne peuvent échouer, mais il en a quelques-unes, notamment la défense du Canada, la réponse aux exigences intérieures et la défense de l'Amérique du Nord en collaboration avec nos alliés américains.
L'Amérique du Nord sera défendue. Il importe toutefois que nous sachions si ce sera par les États-Unis seuls ou avec le concours du Canada.
Nous devrions considérer que la défense de nos espaces aériens, maritimes et sous-marins fait partie des tâches qui ne peuvent échouer. À mon avis, nous défendrons notre espace aérien avec des chasseurs, notre espace maritime avec des navires de surface et des aéronefs, et notre espace sous-marin avec des sous-marins. Ce qu'il faut se demander, c'est si ces appareils seront canadiens ou américains.
J'ai ma propre opinion à ce sujet, mais je pense que le débat sur des questions comme le sous-marin de classe Victoria et d'autres investissements potentiels est présenté sous un mauvais jour par ceux qui ne semblent pas avoir bien réfléchi aux répercussions que pourrait avoir le fait de disposer ou non de ces appareils sur la souveraineté et la sécurité nationales.
Le budget est probablement suffisant pour nous permettre de mener à bien des tâches qui ne peuvent échouer, mais pas beaucoup plus. C'est un des principaux problèmes que j'ai décelés. Le directeur parlementaire du budget a certainement frappé dans le mille avec son observation sur le déséquilibre entre le budget et la structure de la force.
Nous dépensons près de la moitié de notre budget en frais de personnel. Les systèmes aériens et navals exigent énormément de capitaux. Il faut peu de personnel pour assurer le fonctionnement de ces systèmes, mais beaucoup de biens d'équipement.
Les forces terrestres, les forces d'opérations spéciales, le Quartier général et les organismes de renseignements sont importants et requièrent un effectif considérable.
À mon avis, nous n'avons pas de juste équilibre. Pour trouver cet équilibre dans le budget, en présumant qu'aucun parti n'augmentera substantiellement le budget de la défense, il faut affecter les fonds dont nous disposons aux tâches qui ne peuvent échouer, puis utiliser le reste pour les tâches optionnelles que nous pouvons accomplir sur la scène internationale afin d'aider les Nations Unies ou d'autres organismes.
Col Cessford : Je repense à l'examen de la politique de défense réalisé par le gouvernement Chrétien en 1994, alors que j'étais en poste au Quartier général de la Défense nationale. Si nous pensons que les finances sont serrées actuellement, elles l'étaient vraiment alors, et pour une excellente raison.
À titre de citoyen canadien, je comprends pourquoi le gouvernement procède à certaines réductions budgétaires. J'ai toutefois été frappé par le fait que le gouvernement de l'époque avait, dans le cadre de son examen de la politique de défense, souligné le besoin de forces polyvalentes et aptes au combat, un besoin dont il a d'ailleurs été question dans les six derniers examens de la politique de défense. Nous avons presque éliminé une capacité sans laquelle le coût humain et financier aurait été considérable dans des pays comme l'Afghanistan.
C'est intéressant, et les gens, souvent, ne comprennent pas que chaque premier ministre — de Mulroney à Justin Trudeau, selon moi — s'est engagé à faire participer les Forces canadiennes à des opérations de combat — pas des opérations de paix, mais bien de combat.
Je ne possède tout simplement pas les connaissances pour dire si le financement actuel est suffisant ou pas. Toutefois, si on élimine une capacité afin d'accorder la priorité à une capacité de créneau pour faire preuve de ce qu'on pourrait qualifier de prudence financière, sachez que l'on ne cible jamais le bon créneau et que l'on n'a jamais la guerre que l'on veut.
Mgén Gosselin : J'ajouterais une observation. Quand le colonel Davies parlait des tâches qui ne peuvent échouer, si on examine la manière dont nous avons parfois développé notre capacité au fil du temps, on constate qu'autrefois, nous réagissions à une menace et développions la capacité pour y faire face. Nous avons délaissé cette pratique dans les années 1990 pour adopter ce qu'on appelait la planification fondée sur la capacité, une approche selon laquelle on demande la capacité pour s'occuper de certains éléments, car il n'y a jamais eu de menace immédiate sauf dans le cadre de nos engagements, et j'y reviendrai. Nous utilisions ensuite la capacité à l'étranger ou au pays, à notre convenance.
Dans les années 1970 et 1980, nous agissions largement en fonction de nos engagements. Nous avions pris un engagement envers l'OTAN pour déployer une brigade à l'étranger, ainsi qu'à l'égard de NORAD et d'un certain nombre d'organisations. Cela nous oblige à avoir une certaine capacité parce que nous avons pris un engagement.
Nous avons encore un engagement envers l'OTAN et NORAD. On peut débattre de ce qu'on veut faire avec l'OTAN et de ce que l'on veut dépenser, mais nous avons rarement pris des décisions strictement en fonction du point de vue canadien. Je pense que la décision du gouvernement précédent d'acheter des biens pour aller dans le Grand Nord canadien constitue une des rares décisions vraiment stratégiques qui n'ont pas été trop influencées par l'OTAN, NORAD et d'autres organismes. Nous tendons à affecter juste assez de ressources. Nous acquérons une capacité, avec laquelle nous accomplissons des merveilles. L'armée canadienne peut réaliser des choses étonnantes.
Cependant, ce n'est pas toujours possible. Nous n'avons pas participé à la première guerre en Irak parce que nous n'en avions pas la capacité. Il y avait divers problèmes en 1990-1991. Personne n'a critiqué notre première année ou deux en Afghanistan, mais ce n'était pas joli joli, si l'on regarde quel genre de ressources nous y avons déployées.
Pensez à toutes les critiques que les dirigeants politiques et militaires britanniques ont essuyées pour leur déploiement en Irak et en Afghanistan, étant donné le nombre de personnes tuées dans les deux missions. Au Canada, il est surprenant que nous n'ayons pas analysé davantage à quel point nous étions mal préparés pour partir en Afghanistan et comment nous nous sommes adaptés rapidement. Nous devons peut-être en parler une autre fois.
Bref, nous nous débrouillons. Je ne peux pas vous répondre au sujet du budget, mais je peux vous dire que ceux qui assembleront les pièces du casse-tête, compte tenu de l'argent dont nous disposons, pondéreront toutes les possibilités pour essayer de trouver la meilleure solution. En bout de ligne, il pourrait arriver que dans certaines situations, nous ne soyons pas en mesure d'intervenir comme nous le voudrions. Il y a de l'éducation à faire, pour revenir à ce que j'ai déjà dit.
La sénatrice Raine : J'aimerais poser une question sur le même sujet. Nous avons entendu dire que l'OTAN recommande de consacrer 2 p. 100 de notre PIB à l'armée, et je présume que nous nous situons autour de 1 p. 100 à l'heure actuelle. Croyez-vous que c'est vraiment possible pour un pays comme le Canada? Y a-t-il la volonté politique pour cela? Est-ce nécessaire? Qu'en pensez-vous?
Mgén Gosselin : Je pense que la cible de 2 p. 100 n'est probablement pas réaliste pour nous. Nous ne l'avons jamais atteinte. Les Britanniques se sont engagés à y investir 2 p. 100 de leur PIB l'an dernier. Nous avons déjà fait de même au Canada, mais pas récemment.
Le sénateur Kenny : Sous le règne de l'ancien premier ministre Trudeau, nous l'atteignions.
Mgén Gosselin : Oui, vous avez raison, mais pas récemment.
On peut toutefois se demander comment calculer ce pourcentage. Certains pays ont des forces paramilitaires, entre autres, qui entrent dans le calcul. Il y a tout un débat à l'OTAN sur la question, comme vous le savez probablement. En fait, votre prochain témoin a été le représentant militaire du Canada à l'OTAN, donc il pourra probablement vous en parler. Il y a tout un débat sur ce pourcentage. Je ne crois pas que le seuil de 2 p. 100 soit réaliste à court terme. Ce serait un bel engagement à prendre à long terme, mais je ne crois pas que ce soit réaliste.
Pour pouvoir faire tout ce que nous devons faire au cours des prochaines années, je ne crois pas que nous devions doubler le budget de l'armée. Cela ne me semble pas réaliste.
Col Davis : J'ai vu sur votre liste de témoins de ce matin, la professeure Elinor Sloan. Je ne sais pas si elle a abordé la question pendant son passage ici, mais je sais qu'elle l'a déjà fait ailleurs et qu'elle a publié un article selon lequel le Canada ne serait pas le petit acteur qu'on décrit parfois.
De par notre population, nous sommes dans le quart supérieur des pays du monde, et nous sommes 10e ou 11e selon la taille de notre économie. Nous sommes un grand pays du monde. Nous pouvons, et je crois que nous devons jouer le rôle d'un grand pays. Cela signifie-t-il que nous devons y investir 2 p. 100, 1,1 p. 100 ou 0,5 p. 100 de notre PIB? C'est à l'ensemble du pays et à sa classe politique d'en décider.
C'est une dérobade que d'utiliser cette fausse rhétorique pour décrire le Canada de manière à justifier que nous ne dépensions pas plus en développement international, en défense et dans tout ce qui permet à un pays d'exercer son influence dans le monde. C'est simplement parce que nous sommes radins; nous ne sommes pas prêts à dépenser pour cela.
La sénatrice Beyak : Je vous remercie, messieurs, de cette présentation approfondie et convaincante. C'était excellent.
Général Gosselin, le public canadien nous regarde. Le Comité de la sécurité nationale et de la défense est le comité le plus suivi au Canada. Bien sûr, les gens s'inquiètent pour notre sécurité. Ils sont présents en ligne aussi. Certains croient que les médias ne nous disent pas toute la vérité, malgré la grande qualité des journalistes qu'il y a ici, et les Canadiens veulent en savoir plus.
La principale observation dont me font part les électeurs, ou les gens qui m'écrivent, c'est pourquoi faut-il que les gouvernements annulent le travail de leurs prédécesseurs? Peu importe qu'une décision relève du bon sens ou qu'elle se fonde sur une bonne analyse des coûts, ils la renversent simplement parce qu'ils peuvent le faire, et c'est vrai des gouvernements de toutes les allégeances. Je vous remercie de porter tout cela à notre attention.
Enfin, le budget militaire de la défense devrait être le plus grand poste budgétaire du pays. Le gouvernement fédéral a pour rôle de nous protéger, nous et nos libertés. Je vous remercie de l'affirmer haut et fort aujourd'hui.
Vous avez répondu à toutes mes questions sur les différences entre l'ONU et l'OTAN. Merci.
Le président : C'était toute une question, sénatrice.
Col Boucher : Effectivement.
Le sénateur Day : « Dépenser plus d'argent », je pense avoir bien entendu.
Messieurs, je vous remercie infiniment. J'aimerais revenir, si vous me le permettez, au débat sur la force permanente des Nations Unies et l'OTAN. Le Canada joue un rôle de premier plan au sein de l'OTAN, et c'est vrai depuis un bon nombre d'années. Je cherche quel serait le juste équilibre pour notre pays, compte tenu de la taille de nos forces armées, de l'équipement et de la formation que nous avons.
Je prends l'exemple de la Libye. Après l'intervention des forces de combat en théâtre d'opérations, il y a un grand besoin de reconstruction du pays, ainsi que de maintien de la paix, parce qu'il faut non seulement faire la paix, mais la conserver ensuite.
Je pense que les Nations Unies, à tout le moins, si ce n'est tous les participants à la mission en Afghanistan, le reconnaissent, mais je n'observe pas le même engagement à l'égard de la Libye, alors que la situation en Libye a recommencé à s'envenimer.
Le Canada a-t-il assez de ressources pour tout faire ou devrions-nous nous concentrer sur une chose, comme notre rôle de combat, puis envoyer un autre millier de soldats dans la région baltique, comme l'OTAN nous le demande? Devrions-nous au contraire garder la poudre sèche et participer plutôt à la reconstruction?
Col Cessford : Je crois que le Canada, qui a déjà participé à des opérations en Libye, a la responsabilité de mener cette mission à bien. Ce n'est pas nécessairement une mission militaire. En fait, au fur et à mesure que la situation évolue, il devrait s'agir de moins en moins d'une mission militaire.
L'armée a un impératif, celui d'établir des conditions de sécurité telles que d'autres éléments nécessaires à la paix puissent intervenir pour gagner la paix. Je pense à la primauté du droit, aux services policiers, aux services correctionnels, à l'appareil judiciaire, le tout dans la reconnaissance des différences culturelles. C'est le concept de la gouvernance.
J'étais étonné qu'en Afghanistan, nous ayons des dizaines de centres de formation militaire, mais aucun centre de gouvernance civile pour enseigner aux Afghans comment se réengager dans la société civile après 30 ans de guerre civile.
Je suis donc tout à fait d'accord avec vous. Je pense qu'il faut adopter une approche globale et remplacer la perspective militaire par une perspective dans laquelle l'armée est avant tout un acteur de soutien, surtout lorsqu'elle a réussi à assurer la sécurité, et nous mobilisons les autres ministères fédéraux, organisations civiles, ONG et services policiers, qu'on pense aux services municipaux, provinciaux ou à la GRC, comme on l'a vu en Afghanistan et ailleurs. Je pense que cette approche globale peut produire l'effet stratégique durable auquel j'aspire.
Le sénateur Day : Il y a peut-être d'autres personnes qui souhaitent réagir à cela, mais permettez-moi d'ajouter quelque chose. Je n'ai pas l'impression que l'OTAN ait beaucoup d'appétit pour cette deuxième phase. Elle s'y engage dans une certaine mesure, lorsqu'elle y est obligée, mais il semble que c'est souvent là où l'Union européenne intervient et dit : « D'accord, nous pouvons nous en occuper. » Je parle ici des questions d'importance pour l'Union européenne, mais qu'en est-il du Canada et de son rôle? Devrions-nous jouer un rôle accru dans la reconstruction ou devrions-nous essayer de participer à la fois aux missions de combat et aux missions de suivi?
Col Cessford : Je pense que dans la mesure où nous n'oublions jamais notre impératif d'assurer la sécurité du Canada et de ses citoyens, chez nous comme à l'étranger, nous devons clairement nous demander comment nous pouvons établir les conditions nécessaires à la paix. Idéalement, on voudrait réussir à prévenir les conflits, mais je crois qu'il faudrait pour cela un plus grand engagement de l'armée, des services policiers et des forces civiles en amont.
Cela dit, je ne crois pas qu'il faille choisir entre l'un et l'autre. Nous devons être prêts à intervenir de différentes façons le long du spectre avant, pendant et après un conflit. À mon avis, certaines organisations sont meilleures que d'autres pour certaines choses; l'OTAN se démarque pour certaines, les Nations Unies pour d'autres. Il y a aussi les acteurs régionaux.
Le moment de l'intervention est aussi déterminant. Je ne crois pas qu'il faille choisir entre les deux formules. Il faut essentiellement solliciter différents acteurs qui ont différentes priorités à un moment donné. J'espère que cela répond à votre question, sénateur.
Le sénateur Day : Oui. Général ou monsieur Davis, l'un de vous voudrait-il ajouter quelque chose?
Mgén Gosselin : Non. Je dirais seulement que peu importe la façon dont le Canada doit intervenir, je pense que nous devons prendre le temps en amont de vraiment comprendre la portée et la complexité des enjeux. Quand je dis « nous », je pense aux politiciens et aux hauts fonctionnaires qui conseillent le gouvernement. Ils ont un rôle très important à jouer. Il est clair qu'en définitive, comme l'illustrera le rapport Chilcot sur l'Irak et le Royaume-Uni, ce sont les politiciens qui recevront le blâme, puisqu'ils sont les ultimes responsables des décisions prises.
Depuis deux ou trois ans, j'ai fait beaucoup de lectures sur ce qui s'est passé au Royaume-Uni, les difficultés qu'il y a eues, et les Britanniques ont été très critiques, très auto-critiques. Il y a eu beaucoup d'ouvrages et d'articles écrits sur le sujet. La littérature scientifique sur le sujet est assez incroyable. L'élément le plus intéressant qui en ressort, c'est à quel point les militaires, les hauts dirigeants en veston-cravate et les politiciens ont mal jugé de la complexité des opérations dans lesquelles ils se sont engagés.
Que faisons-nous pour mieux nous préparer avant de donner le coup d'envoi à une mission, quelle qu'elle soit? Avant d'embarquer, nous nous devons de réfléchir attentivement et d'envisager les scénarios les plus difficiles, puisqu'il peut y avoir de bons jours, de mauvais jours ou de terribles jours et qu'il faut penser à ce qui peut arriver dans six mois. Bien souvent, six mois plus tard, les gens qui étaient là pour prendre les décisions n'y sont plus, alors que les troupes sont toujours déployées.
Le président : Chers collègues, c'est tout le temps que nous avions. Je remercie nos témoins. Vous nous avez fourni beaucoup d'information. Je suis certain que nous vous reverrons. Nous vous remercions du temps et de l'attention que vous nous avez consacrés, ainsi que de tout le temps que vous avez passé à servir notre pays.
Accueillons maintenant notre quatrième groupe de témoins de la journée, qui se compose de M. Tony Battista, PDG de la Conférence des associations de la défense; du brigadier-général à la retraite Jim Cox et du vice-amiral à la retraite Denis Rouleau.
Pour ceux qui nous suivent de la maison, je prendrai quelques instants pour présenter leurs biographies.
M. Tony Battista s'est joint aux Forces armées canadiennes en 1974 en tant que soldat, puis a pris sa retraite en 2014 au rang de colonel. Il a d'abord fait partie de la police militaire, mais il a aussi occupé les fonctions d'adjoint personnel du chef d'état-major de la Défense et de chef d'état-major de l'Académie canadienne de la Défense.
Il a participé à des déploiements et a occupé des fonctions à l'étranger en Allemagne, au sein du Conseil multinational de l'interopérabilité, qui regroupe la United States Joint Forces Command et les Forces armées canadiennes; il a été représentant de liaison national adjoint auprès du Commandement allié de la transformation de l'OTAN à Norfolk, en Virginie; puis a été attaché de défense du Canada en Allemagne, en Autriche et en Suisse, dans le cadre de deux missions, en 2006-2009 et 2009-2010.
Il a également été envoyé au Kosovo pour des visites d'aide d'état-major en plus d'exercer les fonctions d'attaché de défense du Canada en Afghanistan d'août 2011 à août 2012. Il a ensuite été affecté à Rome, pour assumer les fonctions d'attaché de défense du Canada en Italie, en Grèce, en Albanie, en Croatie, en Slovénie et à Malte.
Quant à lui, le vice-amiral Denis Rouleau a obtenu son diplôme du Collège militaire royal au baccalauréat en génie et gestion, puis a été sélectionné à l'automne 2005 pour occuper le poste de commandant du premier Groupe maritime permanent de l'OTAN. Le vice-amiral Rouleau a ensuite assumé le commandement des forces multinationales de l'OTAN en mer pendant un an, de janvier 2006 à janvier 2007.
À son retour au Canada, au printemps 2007, il a été promu au rang de contre-amiral et s'est vu confier les responsabilités de chef des programmes au quartier général, à Ottawa. En juin 2008, il a été promu au rang de vice- amiral et a été nommé vice-chef d'état-major de la Défense. Le vice-amiral Rouleau a été nommé représentant militaire du Canada à l'OTAN, à Bruxelles, en 2010, et a pris sa retraite en 2012, après 39 années de service.
Le brigadier-général à la retraite James Cox a mené une carrière militaire de 35 ans, principalement à des postes de commandement des opérations et d'état-major partout au Canada et sur les cinq continents. En cours de route, M. Cox a effectué six déploiements opérationnels avec les Nations Unies à Chypre, en Afrique centrale, en Somalie et dans le cadre de trois missions d'opérations de l'OTAN en Europe. Il détient une maîtrise et un doctorat en études sur la conduite de la guerre du Collège militaire royal du Canada. Après avoir pris sa retraite des Forces canadiennes, Jim est devenu analyste pour la Bibliothèque du Parlement, de 2005 à 2011, à l'appui de divers comités, y compris de celui-ci.
Brigadier-général Cox, vice-amiral Rouleau et monsieur Battista, je vous souhaite la bienvenue au comité. Nous avons bien hâte d'entendre vos observations. Monsieur Battista, je crois que vous avez une déclaration préliminaire à prononcer. Je vous cède la parole.
[Français]
Tony Battista, président-directeur général, Conférence des associations de la défense : Je remercie les membres du Comité de la sécurité nationale et de la défense d'avoir invité six membres de la Conférence des associations de la défense (CAD) et de l'Institut de la CAD. Vous venez tout juste de recevoir les présentations et les témoignages de trois autres membres, le président du conseil d'administration de l'Institut de la CAD, le major-général Daniel Gosselin, ainsi que deux professionnels en résidence de l'institut, les colonels Charles Davies et Michael Cessford.
[Traduction]
Je joins ma voix à celles du président de la Conférence des associations de la défense, le vice-amiral Denis Rouleau, et du brigadier-général Jim Cox, chercheur honoraire à l'Institut de la CAD, pour vous remercier de cette occasion. La Conférence des associations de la défense et l'Institut de la CAD accueillent favorablement votre travail et votre contribution très importante à cette initiative gouvernementale de premier plan, qui consiste à examiner la politique de défense, un examen susceptible d'avoir une grande incidence sur la sécurité et la défense du Canada et des Canadiens pendant les années à venir.
Nous commencerons par un bref exposé qui se composera d'un court préambule, puis de cinq recommandations. Nous nous ferons ensuite un plaisir de répondre personnellement à vos questions. J'ajouterais que vous constaterez que nos points de vue s'apparentent beaucoup à ceux exprimés par le premier groupe, bien que nous ne nous soyons pas concertés du tout.
Nous soulignons que cet examen de la politique de défense s'effectue un peu en vase clos, sans l'articulation d'un cadre national stratégique en matière de sécurité de plus haut niveau, d'une grande stratégie en matière de sécurité nationale ou d'un examen des politiques internationales pour ancrer les politiques en matière de défense, de sécurité nationale et d'affaires étrangères.
Nous déplorons également les déclarations que le gouvernement a déjà faites concernant la politique de défense, malgré que nous en soyons encore à la phase de consultations publiques en vue de l'Examen de la politique de défense ou EPD. Nous remarquons également que la plupart des discussions tenues à ce jour sur l'EPD semblent axées sur les Forces armées canadiennes, alors qu'une politique de défense détaillée et crédible doit aller bien au-delà des FAC.
De même, les opérations de soutien de la paix, un terme qu'on pourrait presque considérer désuet, puisque nous devrions parler d'opérations de gestion des conflits et de stabilisation internationale, vont bien au-delà des strictes forces militaires. Si on veut véritablement favoriser une approche pangouvernementale, beaucoup d'autres ministères et organismes doivent participer au processus et s'engager.
Recommandation no 1. Nous recommandons que l'élément central de la nouvelle politique de défense du Canada se fonde sur un argument clairement articulé motivé par l'intérêt national. Cela semble assez évident et simpliste, mais il est essentiel de s'asseoir sur des justifications fortes et convaincantes fondées sur l'intérêt national pour convaincre les Canadiens et les autres ministères et organismes gouvernementaux de la nécessité d'établir et d'appuyer une politique de défense crédible, puis d'y consacrer les fonds nécessaires pour acquérir les capacités de défense dont les FAC auront besoin pour accomplir efficacement les missions et les tâches qui leur seront confiées.
La prépondérance de l'intérêt national, selon une rhétorique bien articulée, permettra également au gouvernement d'établir l'ordre de priorités de besoins de défense concurrents et de s'engager à y affecter des ressources bien définies pour que les Forces armées canadiennes puissent s'acquitter des missions et des tâches qui leur sont confiées.
Je peux résumer la première recommandation en disant que la défense, comme la charité, commence par soi.
Recommandation no 2. Elle découle directement de la première recommandation et consiste à établir avec suffisamment de clarté et d'intention que la structure des FAC doit mettre d'abord et avant tout l'accent sur la défense du Canada et prévoir un soutien bien défini et structuré aux autres ministères et organismes gouvernementaux pour donner une pleine crédibilité au gouvernement canadien et montrer qu'il peut déployer et qu'il déploiera toutes les mesures pangouvernementales à sa portée dans l'éventualité d'une situation à gérer sur son territoire. C'est une partie de la politique de défense qui incombe aux forces armées, quelle que soit la mission qui leur est confiée, et à laquelle elles ne peuvent pas échouer.
La prochaine priorité doit être la défense du continent nord-américain, en étroite collaboration avec les États-Unis. Nous avons besoin pour cela d'un énoncé de politique clair et de structures organisationnelles et militaires non seulement compatibles avec celles des forces américaines, mais pleinement interopérables, qui reposent dans bien des cas sur un commandement, un contrôle et une exécution intégrés. Pour que ce soit viable, le Canada doit assumer sa juste part, mais pas nécessairement une part égale du fardeau de la défense pour la protection du continent nord- américain et des approches aériennes, terrestres, maritimes, spatiales et virtuelles du continent et de l'Arctique.
Le rôle du NORAD est particulièrement important dans notre politique de défense continentale et devrait demeurer une priorité dans un avenir rapproché.
Recommandation no 3. Après la formulation claire de l'intérêt national et d'une politique de défense continentale et intérieure accompagnées de la structure militaire requise et de capacités bien définies, dotées de ressources suffisantes, la priorité suivante est d'établir, dans la nouvelle politique, quels sont les éléments essentiels pour que le Canada puisse diriger des opérations internationales ou y participer. En l'espèce, les critères suivants doivent être satisfaits.
Premièrement, le Canada doit conserver des capacités essentielles de combat maritime, terrestre et aérien pour demeurer pleinement interopérable avec ses grands alliés, et je parle des membres de l'OTAN, des États-Unis et des pays du Groupe des cinq. Deuxièmement, le Canada doit renforcer et même approfondir sa spécialisation en cyberdéfense et en défense spatiale et accroître la taille de ses forces spéciales en conséquence. Ces ressources multiplieront sa force et créeront même leurs effets en soi. Troisièmement, dans la même veine, la politique de défense doit exprimer l'intention de financer, d'acquérir et de conserver des capacités spécialisées précises qui soient suffisamment souples pour s'intégrer à des opérations pré-cinétiques, cinétiques et post-cinétiques. Ces ressources spécialisées peuvent comprendre des ingénieurs, des policiers, des médecins et les autres compétences nécessaires pour assurer des opérations humanitaires efficaces, en plus d'éléments de combat intégraux pour défendre la force opérationnelle, protéger les personnes en grand danger et s'exfiltrer in extremis.
Recommandation no 4. La politique de défense du Canada doit comprendre un chapitre consacré à la désignation d'éléments de la structure des forces pour diriger des opérations de stabilisation ou de soutien de la paix sanctionnées par l'ONU ou y participer, ce qui sous-entend que le Canada pourrait faire partie des pays responsables de la formation ou de l'organisation des tâches.
Cette recommandation s'appuie sur l'idée que la participation du Canada à ce genre d'opérations de l'ONU doit d'abord et avant tout se fonder sur la première recommandation, qui consiste à définir d'abord l'intérêt national de façon essentiellement discrétionnaire, de manière à ne pas affaiblir la structure ni les capacités des forces essentielles à la réalisation de nos trois premières recommandations.
Finalement, la recommandation no 5. Nous ne pouvons pas souligner assez que quelle que soit la nouvelle politique de défense approuvée par le gouvernement du Canada, les ressources nécessaires à sa mise en œuvre doivent être clairement établies, promises et assurées pour toute la durée de vie de la politique.
Par exemple, à l'heure actuelle, faute d'une augmentation importante des dépenses en matière de défense, il semble peu probable que les FAC soient en mesure de respecter leurs plans de recapitalisation, de maintenir un niveau de préparation adéquat, de conserver leur structure actuelle et de respecter leurs engagements de défense actuels, sans parler de toute l'importance que le nouveau gouvernement accorde aux opérations de soutien de la paix de l'ONU.
Le gouvernement se trouve donc devant deux options : soit il augmente le financement de la défense pour que les forces puissent respecter ces engagements de défense, soit il revoit ces exigences et la structure des forces correspondante à la lumière des limites de l'enveloppe de défense potentielle. Aucune de ces deux options ne s'annonce facile. Pour la première, le gouvernement devrait augmenter immédiatement de façon considérable les ressources qu'il affecte à la défense, même si cette décision pourrait sembler peu opportune sur le plan politique, étant donné que les déficits sont plus élevés que prévu. La deuxième option nécessiterait aussi beaucoup de discipline dans la priorisation des engagements de défense, si bien qu'il faudrait faire des choix difficiles quant à la structure de base des FC et même là, il y aurait un risque d'erreur.
Dans un cas comme dans l'autre, le gouvernement ne peut pas se mettre des œillères et se laisser guider par des préoccupations intéressées, électorales ou même politisées relativement aux services, il doit plutôt se laisser guider par des intérêts plus vastes, soit l'intérêt national et un véritable leadership politique, faute de quoi les obstacles seront nombreux et creuseront à coup sûr l'écart entre ce que nous pouvons faire et nos engagements, un écart qui afflige depuis longtemps les planificateurs en matière de défense et qui risque fort de nuire au Canada et aux Canadiens, créant ainsi une perte de crédibilité encore plus grave.
Nous vous remercions de cette invitation et de votre attention. Nous nous ferons un plaisir de répondre à vos questions.
Le sénateur Kenny : J'ai deux questions à poser. Premièrement, l'un de vous croit-il que la stratégie pangouvernementale a bien fonctionné en Afghanistan?
Vice-amiral (à la retraite) Denis Rouleau, président, Conférence des associations de la défense : J'ai remarqué que les témoins du premier groupe ont mentionné qu'il n'y en avait pas eue, mais je m'inscris en faux avec ce point de vue. Il y a eu un énorme effort en Afghanistan, non seulement sur le terrain, en Afghanistan, mais même au quartier général de l'OTAN : un effort énorme. Lorsque que je suis parti pour Bruxelles, en 2010, nous utilisions un acronyme en anglais au QGDN, soit SCR. Pour nous, la SCR ou strategic capability roadmap correspondait à la Feuille de route des capacités stratégiques, dont nous pourrons reparler, mais quand je suis arrivé à Bruxelles, l'acronyme SCR renvoyait à senior civilian representative, soit haut représentant civil. À chaque réunion, à chaque téléconférence avec les autorités sur le terrain en Afghanistan et les commandants, nous commencions toujours par parler de SCR, après quoi nous parlions des enjeux militaires sur le terrain.
Il y a eu un énorme effort de gouvernance sur le terrain, en Afghanistan, pour reconstruire le gouvernement afghan, pour l'accompagner sur cette voie, parce qu'il ne savait pas comment faire, et il y avait la FRCS, qui correspond à SCR en français. Nous avions notre propre haut représentant civil pour chaque déploiement en Afghanistan, un poste en rotation, comme ceux des brigades là-bas. C'était un énorme effort.
Le sénateur Kenny : La question était : croyez-vous que cette stratégie a bien fonctionné?
Vam Rouleau : Les choses se sont bien passées, jusqu'à ce qu'on les laisse continuer seuls. J'en retiens que les leçons acquises n'ont pas été acquises de la meilleure façon, mais qu'on a mis en place énormément de mécanismes de gouvernance structurés pour eux. Ils visaient à leur permettre de structurer tout cela. Je pense que nous les avons même accompagnés pendant les élections, avec cette structure civile en place, pour leur montrer comment mener des élections en bonne et due forme, comment convaincre la population de venir voter et bien sûr, il y avait également un énorme volet de sécurité, puisque vous vous rappelez sans doute que les gens prenaient vraiment un risque en faisant la file pour aller voter et que les talibans n'étaient jamais bien loin, mais les gens sont tout de même allés voter. Il faut leur en donner le crédit, ils y sont allés.
Les Afghans ont maintenant un gouvernement. Est-ce qu'il fonctionne aussi bien qu'il le devrait? La réponse à cette question est probablement non, mais ce n'est pas faute d'efforts pour les accompagner et les doter d'une structure.
Brigadier-général (à la retraite) Jim Cox, à titre personnel : Je vais me faire l'avocat du diable et lancer des idées provocatrices. À mon avis, toute cette stratégie pangouvernementale n'est que du vent. C'est un mythe. L'intention, à mon avis, serait que le Canada ait sa propre mission de représentation du Canada et qu'elle ne se limite pas seulement à l'armée, aux Affaires étrangères ou à un autre organisme. C'est l'organisation canadienne sur le terrain qui gérerait la situation selon les intérêts canadiens, une tâche extrêmement difficile quand on travaille en collaboration avec une grande diversité d'acteurs.
En théorie, c'est une excellente idée, mais je ne crois pas qu'il y ait à l'heure actuelle des mécanismes à la disposition du gouvernement qui permettent de réaliser ce que j'appellerais une stratégie ou une approche pangouvernementale comme voulu. Nous avons nous-mêmes encore beaucoup d'acteurs qui ont leurs propres objectifs, et les ministères, ici, tirent les ficelles d'une manière ou d'une autre.
Franchement, je ne vois pas comment le Canada peut vraiment déployer une stratégie pangouvernementale où que ce soit, à moins de disposer d'une contribution suffisamment importante pour gagner la confiance du public ou respecter notre cadre opérationnel. Si nous pouvions montrer qu'une division militaire et des centaines de délégués des Affaires étrangères ont vraiment réussi à obtenir des résultats et à défendre notre territoire, alors ce serait une possibilité. Mais tant que nous ne semblerons que vouloir montrer notre drapeau ici et là, plutôt que de donner un véritable élan à la mission, je pense que nous ne réussirons jamais à réaliser une véritable stratégie pangouvernementale.
M. Battista : Si je peux me permettre d'intervenir, le déploiement d'une stratégie pangouvernementale est probablement la chose la plus difficile pour n'importe quel gouvernement, mais cela ne signifie pas, comme d'autres l'ont déjà souligné, qu'il ne vaut pas la peine de continuer d'essayer.
Pour avoir passé une année complète en Afghanistan, avoir vu 22 des 34 provinces du pays et avoir observé nos principaux alliés essayer de s'attaquer à l'aspect multidimensionnel de ce conflit, dans un pays dont on pourrait dire qu'il regroupe en fait quatre ou cinq pays différents, je dirais que sur le terrain, la stratégie pangouvernementale a fonctionné. Quand je travaillais sur le terrain avec d'autres acteurs de notre propre armée ou d'autres, avec des agents de développement, des agents de la filière politique, des avocats ou des policiers, cela fonctionnait sur le terrain. Je pense qu'en général, c'était reconnu chez nous.
C'est malheureux, je trouve, parce qu'on parle sans cesse des leçons acquises de la stratégie pangouvernementale, mais ces leçons ne sont jamais vraiment acquises. Nous en avons peut-être tiré des leçons, mais nous ne les avons pas vraiment acquises, parce que dès notre retour chez nous, nous sommes retournés à nos petites affaires.
Nous n'avons pas tiré profit de ce que nous avons fait dans le cadre de la stratégie pangouvernementale. Ce n'est pas le propre d'un parti en particulier ou d'une philosophie au gouvernement, c'est parce que malheureusement, les tâches ministérielles sont organisées verticalement. Chaque ministère défend ses propres intérêts, et les ministères sont financés verticalement, si bien que nous ne portons pas suffisamment attention à la dimension horizontale. Nous le faisons au niveau des SM, entre autres, mais il n'y a pas assez de profondeur pour déployer une stratégie pangouvernementale à l'échelle nationale, comme on peut le faire sur le terrain, quand on est face à la situation.
Le sénateur Kenny : J'aimerais savoir ce que pense ce groupe de témoins de l'examen militaire quadriennal. Quels en sont les avantages pour le Canada et quels en sont les inconvénients?
Bgén Cox : L'idée d'un examen périodique me semble excellente. Tout dépend de la nature de l'examen et de sa durée, s'il est long ou court. Je pense que ce devrait être un processus récurrent au gouvernement. Comme il s'agit d'une politique qui touche l'ensemble du pays, qui vise la défense du pays, je pense que sa révision périodique contribuerait à faire participer tous les acteurs, toutes les parties et les Canadiens en général.
L'examen ne doit pas être aussi rigide qu'on pourrait l'interpréter — en effet, il doit se faire périodiquement, mais sans que ce soit figé. Il faut qu'il soit possible de refaire l'examen si, tout à coup, les circonstances changent. Le faire régulièrement est une excellente idée.
Vice-amiral Rouleau : J'appuierais cela aussi. Par exemple, la Stratégie de défense Le Canada d'abord, la SDCD, a vu le jour en 2008, et quand j'ai pris ma retraite en 2012, on parlait d'en faire l'examen. Bien entendu, cela ne s'est jamais produit, mais un tel examen aurait pu relever d'un mandat comme cela visant à déterminer si les choses avaient été bien faites en 2008. Que pouvons-nous faire pour la revoir ou l'adapter maintenant? Je n'y vois vraiment rien de mal. On dirait que nous nous laissons berner par les bonnes intentions, puis que l'orientation gouvernementale change. Vous vous rappellerez que la Stratégie de défense Le Canada d'abord adoptée en 2008 allait s'étendre jusqu'à 2028. C'est un examen au bout de 20 ans, dans ce cas.
Il y a en plus ce que j'ai mentionné précédemment, soit la Feuille de route des capacités stratégiques. Il s'agissait essentiellement de décrire chacune des capacités des forces militaires canadiennes, compte tenu du moment où elles tomberaient en désuétude, de manière à éviter les lacunes dans les capacités et à déterminer quand nous devrions amorcer un programme de remplacement et lancer le programme.
Il y a eu en plus de ces deux choses le Plan d'investissement du ministère de la Défense qui a été créé aussi en 2008. On l'a mentionné ici précédemment. En fait, c'est l'amiral Norman qui l'a mentionné ici au début de la semaine. La Feuille de route des capacités stratégiques, ou la FRCS, devait alors correspondre au financement réel, jusqu'en 2028. Vous alliez savoir les capacités qui seraient financées et le moment où le financement commencerait.
En fait, vous aviez une très bonne idée des capacités des Forces armées, et ces capacités se fondaient toutes sur un échange rigoureux qui a eu lieu entre les forces militaires et le gouvernement, à savoir ce que le gouvernement aimerait que les forces militaires soient capables de faire. C'est ce qui s'est produit à l'origine de la SDCD. Il y a eu des échanges, et cela s'est terminé avec six missions pour lesquelles le gouvernement voulait que les Forces armées aient les capacités nécessaires, dans bien des cas simultanément, en plus. Les forces militaires sont alors revenues en disant : « D'accord. Pour que nous puissions faire cela, voici ce qu'il nous faut. » Ce qu'il nous fallait, c'était la SDCD.
À ce moment-là, concernant la construction navale, notre pays ne faisait rien dans ce domaine depuis au moins 20 ans. Les estimations qu'il y avait alors étaient les meilleures estimations possible, mais c'était quand même des estimations. Elles étaient faibles. Bien entendu, nous savons cela maintenant. C'est bien plus facile à voir, en rétrospective. Elles étaient faibles, et c'est la raison pour laquelle en 2012, j'avais très hâte de dire : « Il va y avoir un examen, et il y aura des ajustements. »
Comme vous le savez, quand j'ai quitté le poste de vice-chef pour aller à Bruxelles, tout cela était en place. Je me suis rendu à Bruxelles. Je me souviens avoir rencontré l'ambassadeur croate à l'OTAN. Bien entendu, le Canada et la Croatie étaient côte à côte à la table, puisque c'était en ordre alphabétique, et il me disait : « Amiral, vous êtes l'un des 28 pays à la table qui a un plan de recapitalisation vraiment progressif en place, et ce, jusqu'à 2028. » Bien entendu, les documents étaient accessibles. Si je devais rencontrer cet ambassadeur aujourd'hui, il faudrait qu'il me demande ce qui a bien pu se passer. Mon successeur a dû faire face à des réductions successives, et la SDCD est devenue ce qu'elle est aujourd'hui. Elle n'existe plus. Toutes les dates de la Feuille de route des capacités stratégiques que je vous ai mentionnées concernant les programmes de remplacement et tout cela sont derrière nous. Maintenant, nous essayons de faire du rattrapage.
Sur le plan des lacunes, récemment, dans les médias, on a parlé des CF-18 et des lacunes possibles dans nos missions du NORAD. Nos stratégies et notre contexte géopolitique n'ont pas changé. Nous allons continuer de faire partie du NORAD. On parle de lacunes là, mais personne ne parle des lacunes ailleurs. Depuis quelques années, nous sommes incapables d'envoyer nos destroyers en mer. La marine n'a pas de ravitailleur pour ses navires en mer.
Il y a d'énormes lacunes parce que la FRCS et la SDCD n'ont pas reçu le financement requis. C'est bien d'avoir des plans comme ceux que nous avions en 2010, mais si vous ne fournissez pas les fonds, comme on l'a dit, vous allez devoir reculer et il y aura encore plus de lacunes.
On essaie d'arranger les choses, en ce moment. On fait un effort, avec les NSBS — les systèmes à bord des navires — et tout cela, ainsi qu'avec le remplacement des CF-18. Ce ne sont que deux choses. Je n'ai aucun doute qu'au Quartier général de la Défense nationale, il y a des équipes qui savent ce que la FRCS était. Elle porte probablement un nom différent, maintenant. Ils connaissent toutes les capacités, ce qu'il faut et le moment où il leur faudra une réponse du gouvernement à la question de savoir ce qu'il veut que les forces militaires soient capables de faire.
Une nation comme le Canada devrait être en mesure de se défendre. Je ne crois pas que nous ayons le choix. Je pense que demeurer au sein du NORAD et respecter nos engagements font partie de nos responsabilités. En effet, nous ne pouvons être les égaux de notre voisin du sud. Ce serait impossible, mais nous pouvons contribuer sans difficulté si nous y mettons les efforts et les fonds nécessaires. Je n'ai aucun doute.
Quand il s'agit d'opérations internationales — et nous avons parlé de l'OTAN, tout à l'heure — nous sommes l'une des nations fondatrices de l'OTAN. Le Canada est l'une des nations à avoir préconisé cela. Nous n'en serons probablement jamais à 2 p. 100 de notre PIB, mais à mon point de vue, ce n'est pas l'élément critique. En fait, c'est probablement un faux-fuyant quand on pense au fait que le Canada est toujours à la table. Le Canada est là, même si sa contribution est inférieure à 1 p. 100 de son PIB.
Si notre nation avait les forces que la SDCD allait lui attribuer, nous serions en mesure de jouer notre rôle comme nous l'avons fait pendant des années et des années. Je n'ai aucun doute à ce sujet, que ce soit dans les airs, sur la mer ou sur la terre.
En Afghanistan, nous jouions un rôle prépondérant. Bon nombre de nos généraux commandaient en fait les forces sur le terrain. Ce n'est pas qu'une petite contribution; nous avions un rôle prépondérant là-bas. C'était la même chose avec la marine, même si je suis le dernier à avoir commandé la flotte de l'OTAN sous le pavillon canadien, parce que nous n'avons plus les navires du Commandement maritime qui nous permettraient d'offrir ce soutien à un Canadien. Éventuellement, ce sera le cas et cela s'en vient, avec les NSBS, mais pas pour le moment. C'est impossible.
Le président : Chers collègues, nous avons cinq sénateurs qui veulent poser des questions. Il est 14 h 40, alors je vais demander à tout le monde de poser de brèves questions.
[Français]
Le sénateur Carignan : Merci. Si je résume bien la question, la priorité, c'est d'assurer notre souveraineté et notre protection, ensuite, c'est notre participation à l'OTAN, et enfin, ce sont nos responsabilités internationales.
De ce que je comprends des témoignages antérieurs, il m'apparaît que l'objectif ultime est d'avoir toujours les moyens de nos principes et de nos ambitions. Selon la direction politique, que nous décidions d'utiliser les outils ou pas, nous avons la capacité de le faire. Si nous décidons de ne pas les utiliser, c'est notre choix politique. Lorsqu'une décision politique est prise de les utiliser, nous avons les outils et nous pouvons les utiliser sans devoir attendre quatre ou cinq ans pour les obtenir.
Je comprends que c'est ce que devrait être notre politique en matière de défense nationale idéalement. Ai-je bien compris?
Vam Rouleau : Oui. C'est la raison pour laquelle nous avons demandé au gouvernement de nous confier ces six missions, pour que nous puissions déterminer ce que les forces militaires sont capables de faire.
Le sénateur Carignan : Tout à l'heure, on a parlé de structure pour soutenir cette vision et du fait que les achats et les investissements puissent se faire de façon stratégique, sans faire l'objet de débat. Quelqu'un disait qu'en Australie, il n'y a pas de débats comme ceux qui se sont tenus au sujet des F-35. Les décisions sont prises et on ne fait pas de politique avec ces questions. Il y a une structure en place. Je comprends que quatre ou cinq pays ont adopté une structure de continuité des investissements pour assurer leur souveraineté.
Quelle serait la structure idéale pour le Canada? Vous êtes-vous déjà penchés sur cette question? Quelle serait la structure idéale pour le Canada, si on la compare à ce qui se fait ailleurs, qui nous permettrait de soutenir cette vision de maintenir la capacité organisationnelle du Canada en matière de défense nationale?
M. Battista : Nous réfléchissons à cette question régulièrement. Considérons votre question et celle du sénateur Kenny. Si nous faisons une révision régulière de ce que devrait être notre politique en matière de défense, il y a une grande différence entre ce qu'on appelle l'emploi des forces et des capacités que nous avons, et le développement de ces forces. Le développement de ces forces doit se faire à long terme. Nous ne pouvons pas tout simplement acheter à gauche et à droite sans réfléchir.
Le développement de nos capacités militaires pour assurer la défense du pays, de la façon dont nous l'avons expliqué plus tôt, est un élément qui ne doit pas faire l'objet de partisanerie ou de politique. Il s'agit vraiment de donner une capacité au pays de la même façon que les États-Unis ont conçu leur façon de faire. Ils ont la politique Title Ten qui protège certaines choses. Un gouvernement ne peut pas arriver et décider de modifier l'emploi de ses forces militaires et de recommencer à neuf avec le développement. Ce n'est pas ainsi que l'on gère un pays, surtout en matière de défense.
Nous ne pourrions être plus clairs. Nous l'avons dit à plusieurs reprises, et je crois qu'il s'agit d'une approche bien réfléchie. Le développement des capacités militaires ne se fera pas en trois ou quatre ans. Il se fera à beaucoup plus long terme. Il s'agit vraiment de soumettre les intérêts politiques à l'intérêt national.
Le sénateur Carignan : Avez-vous une idée de la structure qui serait nécessaire?
M. Battista : Là, il y a un défi. Je crois que les États-Unis ont un bon modèle, toutefois, il est beaucoup plus large. Nous ne disposons pas des mêmes moyens. Cependant, les principes sont bons. Les deux chambres sont bien impliquées et intégrées, et elles exposent régulièrement les défauts ou les lacunes dans le développement des forces. Je ne vois pas, par exemple, le jour où il y aura un débat à savoir si les États-Unis ou un autre gouvernement se déferont de leurs armes nucléaires comme élément de dissuasion. Alors, c'est peut-être un modèle que nous pourrions adapter à nos intérêts canadiens.
[Traduction]
La sénatrice Raine : Merci, sénateur Carignan. Vous avez posé les questions que j'allais poser.
Il y a une chose qui n'a pas été mentionnée encore, et c'est notre besoin d'intégrer dans notre stratégie les capacités spatiales et cybernétiques. Pouvez-vous nous parler de cela?
Bgén Cox : Je décrirais cela ainsi : si vous pensez à ce que nous avons maintenant, nous avons des éléments capables de s'engager dans des combats et des conflits maritimes, terrestres et aériens. Un jour, cela va inclure l'espace, et il y a en ce moment toute la cybernétique. D'après ce genre de logique, cela fait partie de la guerre et c'est un autre aspect sur lequel nous devrons être en mesure d'agir.
L'étendue de notre capacité sur ce plan doit faire l'objet d'une décision en temps et lieu, mais en tant qu'élément de base de la guerre à l'avenir, je pense que l'espace, même s'il n'est pas un lieu de bataille, est un lieu important en ce moment en raison des satellites, des radars, de l'imagerie, et ainsi de suite. L'espace fait partie des enjeux et nous ne pouvons l'ignorer. Bien des gens sont contre cela, mais d'après moi, l'espace est sur le point de devenir un lieu de bataille.
Le sénateur White : Je remercie chacun de vous de votre présence.
L'un de vous a mentionné l'Australie, précédemment. Je pense que c'était vous, monsieur Battista. J'ai passé quelques mois au sein d'un groupe de réflexion en Australie, l'année passée, et il y a eu des exposés sur l'équipement de la force terrestre, les navires — nous savons où ils s'en vont avec les navires — et, bien sûr, les avions. Ils n'ont presque jamais parlé d'un produit; ils ont presque toujours parlé de repères, de buts, de cibles et d'attentes pour l'avenir. Si je n'avais pas demandé si le F-35 est l'avion qu'ils choisissent, ils n'auraient jamais dit que c'était le F-35. Et si je n'avais jamais demandé où il était construit, ils n'en auraient jamais parlé.
Je pense bien que ce que je veux savoir, c'est si vous croyez comme moi que nous avons ce problème en partie parce que nous nous concentrons tellement sur ce que nous achetons et sur l'endroit où nous l'achetons — le type de véhicule, le type de navire et l'endroit où il est construit —, que c'est presque comme si nous ignorons nos attentes. Personne ne parle de ce que nous attendons d'un F-35 par rapport à un F/A-18 Super Hornet ou un F/A-18, ni des effets que cela aura. C'est la même chose avec nos navires. C'est comme si nous passons à côté de notre stratégie relative à l'achat d'équipement pour commencer. N'êtes-vous pas d'accord?
Bgén Cox : J'ai étudié cet aspect de la structure et des relations entre la politique, la stratégie, les opérations et les tactiques. Pour l'exercice dont nous parlons, je pense que le problème avec le processus actuel, c'est l'absence, en première ligne, d'un énoncé complet des objectifs stratégiques du gouvernement dans ce domaine. Il n'est pas question que des forces militaires, car nous parlons de la protection et de la défense du Canada. C'est important. Cela dépasse les forces militaires, et il faut que diverses autres personnes au gouvernement et ailleurs dans notre société soient mobilisées et motivées.
À mon avis, une politique bien formulée porte sur des généralités et même sur des idées un peu abstraites, mais le but est de présenter nos aspirations, de servir de source d'inspiration et de préciser les objectifs et les cibles que notre pays essaie d'atteindre. Voilà ce qu'une politique est censée exprimer, selon moi, et ce, sans aucune mention d'argent, d'avions ou de navires. J'ai ici les documents de la stratégie des États-Unis. On n'y trouve pas un mot sur un avion ou un navire particulier — et il s'agit d'une stratégie de plusieurs pages.
Le défi ici, c'est de s'en tenir à la politique. C'est dans la stratégie qu'on peut se demander si le financement est disponible et parler du type de navire en des termes généraux — est-ce un navire qui flotte au-dessus ou en dessous de la surface de l'eau? — ou du type d'avion — est-ce un avion à haute ou à basse altitude? —, sans toutefois mentionner de marque. Voilà la difficulté fondamentale qui se présente dans le processus d'examen de la politique. En somme, c'est le manque de compréhension quant à la distinction entre une politique et une stratégie. Malgré tous les talents et toutes les compétences qui ont été mis à contribution dans cette initiative, la discussion, à mon sens, ne doit pas porter sur les détails.
Vam Rouleau : En fait, je reviens sans cesse à la feuille de route des capacités stratégiques, qui porte bien son nom. Dans ce document, on ne disait pas que la durée de vie utile des CF-18 se terminerait à telle date et qu'il faudrait, par conséquent, lancer un programme de remplacement. On disait plutôt que la capacité visée par les CF-18 arrivait à échéance, d'où la nécessité d'entreprendre un programme de remplacement à cet égard. Par ailleurs, le programme de remplacement ne précisait pas que ces appareils seraient remplacés par les CF-35. On se contentait de dire qu'il faut un avion doté de la même capacité afin de combler le besoin auquel répond le CF-18 pour le Canada, que ce soit pour protéger notre souveraineté aérienne, pour assurer la souveraineté du NORAD ou pour déployer certains de ces appareils, comme nous l'avons fait avec succès à plusieurs reprises dans le passé. Bref, c'est la capacité qui doit être remplacée, et non l'appareil en tant que tel.
M. Battista : J'ajouterai brièvement que c'est le symptôme d'un problème plus grave. Faute d'une discussion et d'un examen réguliers de la politique de défense — parce que, dans notre pays, cela se fait au bout de nombreuses années, plutôt qu'à des intervalles réguliers —, nous semblons discuter par défaut de plateformes, au lieu de nous concentrer sur les capacités et les aspirations du pays. C'est tout à fait déplorable. Et ce n'est pas une ou deux fois; c'est de façon répétée. Nous créons de la résistance à cause de l'absence d'un examen régulier de la politique de la défense.
Mettez-vous à la place de ceux qui servent notre pays et de ceux qui s'occupent de la planification; par défaut, ils s'attardent, plus que tout, aux plateformes. Ensuite, cette question est récupérée à l'échelon politique, si bien qu'elle devient l'objet d'une discussion politique constante. Franchement, ce n'est pas ainsi que nous pouvons amener les Canadiens à appuyer ce qui s'impose pour leur sécurité et leur défense.
Le sénateur White : Voici une question complémentaire : comment remédier à la situation? Vous avez évoqué le problème au moins deux fois au cours des 45 dernières minutes. Comment rectifier le tir? Faut-il retirer cette initiative des mains des politiciens? Si oui, entre les mains de qui doit-on la remettre?
Il y a quelque temps, j'ai parlé à un soldat qui m'a dit : « Nous voulons plus de victoires que de défaites. » Nous parlions d'aéronefs. Dans quelle mesure est-ce difficile? Avec un CF-18 Super Hornet, on ne risque pas d'y arriver. Avec un F-18, on n'y arrivera pas non plus dans le futur, lorsque l'appareil en sera à sa cinquième génération.
Comment faire pour trouver une solution à cette discussion politique sur l'équipement?
M. Battista : Voici une petite idée. Récemment, quelqu'un m'a posé la même question au sujet de l'approvisionnement en matière de défense. Je crois que nous assistions probablement à la même conférence tenue à l'Université d'Ottawa. Comme je l'ai dit, dans le domaine de l'approvisionnement en matière de défense, nous devons créer au Canada une capacité non partisane, à la manière des « chevaliers Jedi », qui transcende les formalités administratives et les différents obstacles qui se dressent dans l'appareil bureaucratique. Les gouvernements, de par leur nature, sont de grosses machines bureaucratiques.
Je crois que nous avons besoin de la même capacité de « chevaliers Jedi », une capacité qui transcende toutes les allégeances politiques, dans le domaine de la planification en matière de défense afin que nous puissions nous concentrer sur les capacités et les aspirations de la nation plutôt que sur les plateformes, comme Jim l'a indiqué à juste titre. La solution consiste peut-être, en partie, à transformer le bureau du conseiller à la sécurité nationale en un organisme plus efficace.
La sénatrice Beyak : Les Canadiens suivent les délibérations de notre comité pour entendre les témoignages d'invités remarquables de votre calibre. Le plus beau message qui est ressorti de la séance d'aujourd'hui, c'est qu'à l'instar de nos fondateurs, tous les Canadiens et tous les groupes de témoins conviennent que la charité commence par soi — le Canada d'abord.
Sachez que mes concitoyens me disent également que nous n'avons pas besoin de nouveaux deniers publics dans le budget; nous devons accorder la priorité au secteur militaire. Nous envoyons des milliards de dollars à l'étranger, à des pays qui financent le terrorisme. Cet argent devrait rester au pays et être consacré à nos Forces armées.
Vous en avez parlé lorsque vous avez répondu à la question du sénateur White, mais que pensez-vous de l'ONU et de l'OTAN, et quelles devraient être nos priorités à cet égard?
Bgén Cox : Le groupe de témoins qui nous a précédés a fait d'excellentes observations. J'étais assis dans la salle, à les écouter parler, et je ne pouvais m'empêcher de hocher la tête.
J'ai personnellement travaillé dans un certain nombre de ces organisations. Si on participe à une mission militaire, je suis persuadé qu'il faut opter pour l'OTAN chaque fois, d'entrée de jeu. Si on doit déployer une organisation militaire pour toutes les raisons qui s'imposent, le principe consiste à se rendre sur place, à régler le problème le plus rapidement possible et à amorcer un processus de transition. L'ONU, par contre, excelle dans toutes sortes d'autres domaines, mais le domaine militaire n'est pas son fort.
Comme principe, je suis en faveur de l'OTAN si on a besoin d'une intervention militaire; s'il s'agit d'un problème à long terme dans un domaine autre que militaire, on peut alors faire la transition vers tous les autres experts de l'ONU. Toutefois, comme vous l'avez entendu, la capacité de l'ONU de mener efficacement des opérations d'ordre militaire laisse vraiment à désirer.
Le sénateur Kenny : Brigadier-général Cox, qu'en est-il des problèmes dont nous avons été témoins en ce qui concerne l'intervention de l'OTAN en Afghanistan? En effet, chaque pays membre avait une série différente de conditions, si bien que certains n'étaient pas en mesure de participer et d'autres ne pouvaient participer qu'en partie ou que les mardis.
Bgén Cox : C'est une réalité. J'ai déjà fait partie du personnel international de l'OTAN et j'ai participé à ses opérations. C'est là un fait.
J'ajouterais que le Canada avait également ses conditions. Nous figurons par les membres de l'OTAN; nous avions nos conditions. Elles n'étaient pas aussi restrictives que celles d'autres pays. D'un autre côté, nous devions nous occuper des affrontements dans notre zone d'intervention; j'ignore donc si nos conditions semblaient aussi contraignantes que celles dans les autres régions. C'est une réalité de la vie. La même situation existe aussi au sein de l'ONU. Il en serait de même si nous participions à une opération à l'appui de l'Union africaine ou de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe. Nous aurons toujours des conditions.
La sénatrice Jaffer : J'ai une brève question supplémentaire à vous poser, brigadier-général Cox. Vous parlez sans cesse de l'OTAN, mais il arrive souvent que l'OTAN hésite à intervenir sur le terrain. Nous ne pouvons donc pas compter uniquement sur l'OTAN, n'est-ce pas?
Bgén Cox : J'en conviens. Ma réponse à cette question serait ceci : qu'il s'agisse de l'ONU ou de l'OTAN, comme Tony l'a dit tout à l'heure, c'est l'intérêt du Canada qui dicte le tout. Autrement dit, quel est l'intérêt du Canada dans telle ou telle opération?
Dans le cadre de la planification opérationnelle et stratégique, le choix de recourir à l'OTAN ou à l'ONU fait partie du processus, mais cela dépend de l'intérêt. N'empêche que si on a affaire à un problème militaire précis, je ne vois pas d'autre solution que l'OTAN comme première étape.
Le sénateur Meredith : Monsieur Battista, vous avez dit clairement que vous appuyez la création du poste de conseiller à la sécurité nationale. Êtes-vous d'accord avec les groupes de témoins précédents au sujet des quatre axes — le personnel, l'infrastructure, l'équipement et les capacités — autour desquels devrait s'articuler un examen approfondi de la politique? Estimez-vous que cette approche constitue la solution, comme l'a dit mon collègue, le sénateur White? Les Canadiens veulent que le Canada soit protégé, mais nous voyons les coûts qu'entraîne l'annulation d'un contrat de 5 milliards de dollars, sans compter les coûts supplémentaires sur le plan interne, en matière de temps et d'effectifs pour avancer des idées. Partagez-vous l'avis des témoins précédents qui préconisent l'élaboration d'une politique globale axée sur ces domaines précis en ce qui a trait aux questions militaires et de défense?
M. Battista : Je souscris à l'idée de miser sur ces quatre domaines. Je suis d'accord pour dire qu'il est essentiel d'adopter une approche globale non partisane pour le renforcement à long terme des capacités de défense. Une telle approche se trouve au cœur même de tout effort crédible pour élaborer une véritable politique de défense qui soit pertinente, abordable et valable pour le Canada — une politique qui nécessitera, selon toute vraisemblance, qu'on en fasse un examen régulier, sans toutefois changer de cap à tout bout de champ, parce qu'on ne peut tout simplement pas fonctionner ainsi. Si vous examinez notre histoire, vous verrez que nous avons changé de direction à tort et à travers; ce n'est pas une façon de procéder.
Vam Rouleau : Imaginez si, en 2008, les missions proposées par le gouvernement avaient été planifiées selon une approche non partisane pour exprimer, à l'unanimité, notre volonté de confier les six missions à nos forces armées — j'entends par là l'armée en général — et, de surcroît, si le tout avait été intégré dans une enveloppe de financement, un plan d'investissement ou un plan de capacités pour la période allant de 2008 à 2028. Vous avez tout à fait raison de parler du changement de cap dans les plans de capacités. La SDCD serait peut-être encore en vigueur aujourd'hui, sans comporter les lacunes dont nous avons parlé. Or, comment y arriver? Il faut une approche dénuée de toute partisanerie, une approche qui rassemble les gens, peu importe leur allégeance politique, et qui leur rappelle qu'ils font partie d'un même pays. Voilà ce dont nous avons besoin pour y parvenir ou pour nourrir de telles attentes à l'égard de nos militaires. Nous devons établir un plan sur un horizon de 20 ans afin de ne pas avoir à réinventer la roue tous les quatre ou six ans, chaque fois qu'il y a des élections — c'est tout à fait juste.
Le sénateur Day : Monsieur Battista, je crois que vous avez énuméré les cinq éléments au moment de parler des capacités spécialisées qui devraient être mises en relief dans la politique de défense. Vous avez également dit qu'il faut accroître la taille des forces spéciales et favoriser les communications, parmi beaucoup d'autres activités spécialisées. D'après vous, l'examen de la politique de défense devrait-il également aborder le rôle possible des réservistes, notamment dans certains de ces domaines de spécialisation?
M. Battista : Oui. Quand je parle d'accroître la taille des forces spéciales, je ne fais pas allusion à un ajout de plusieurs milliers de soldats, mais plutôt à une augmentation modeste parce que les forces spéciales sont en mesure de produire des effets, presque indépendamment des autres capacités militaires.
Compte tenu de la menace insidieuse dont nous sommes témoins depuis au moins une décennie et de la transformation continue d'autres groupes terroristes, nous avons besoin de cette capacité non seulement pour maintenir notre crédibilité à titre de partenaire d'autres pays dans le cadre des efforts visant à régler ces problèmes sur la scène internationale, mais aussi pour protéger notre sécurité interne.
Les autres capacités spécialisées que j'ai évoquées tout à l'heure, comme l'ingénierie, les interventions médicales, les services de police et les communications, sont des éléments habilitants qui permettent au gouvernement d'utiliser ces fonctions, comme je l'ai dit, avant, pendant et après les opérations cinétiques. Si le Canada veut continuer à jouer un rôle constructif avant de devoir sortir l'artillerie lourde, nous aurons peut-être intérêt à utiliser ces capacités de manière plus ponctuelle. Elles doivent être protégées et bien financées, et le pays doit les appuyer. Si nous tenons à participer sérieusement à des missions humanitaires, ces capacités sont essentielles.
Le sénateur Day : Il y a aussi la stabilisation et la cyberdéfense. Brigadier-général Cox, les réservistes pourraient-ils assumer certaines de ces fonctions? C'est ce qu'ils font tous les jours.
Bgén Cox : C'est possible. Il s'agit d'un domaine spécialisé, mais certains possèdent ces capacités.
La cyberdéfense soulève une question de politique. Si le Canada adopte une politique en matière de cyberdéfense qui mise sur l'attaque ou les manœuvres offensives, on se retrouve du coup dans une situation où il faut exercer la violence et la force au nom du pays à l'étranger. Voilà qui suscite des questions de droit, notamment celle de savoir à qui revient la tâche d'appuyer sur les boutons. Si on décide de couper le courant dans une région et qu'un hôpital se trouve ainsi privé d'électricité, il y aura des pertes de vie. L'État emploie ainsi la violence. Aux termes des lois en vigueur, seuls les membres des Forces armées, c'est-à-dire ceux ayant choisi le métier des armes, ont le droit de faire cela. Ce n'est pas un jeune qui se terre dans un sous-sol pour mettre à profit ses talents en piratage informatique. Si on compte demander aux réservistes de nager entre deux eaux — c'est-à-dire travailler un jour comme le jeune dans le sous-sol et retourner au manège militaire le lendemain —, il y aura des complications en matière de cyberdéfense.
Le président : Monsieur Battista, dans votre cinquième recommandation, vous faites valoir que, faute d'une augmentation importante des dépenses en matière de défense, il semble peu probable que les Forces armées canadiennes soient en mesure de mener à bien leurs plans de recapitalisation, de maintenir un niveau de préparation adéquat, de conserver leur structure actuelle et de respecter leurs engagements de défense actuels, sans parler de toute l'importance que le nouveau gouvernement accorde aux opérations de soutien de la paix de l'ONU. C'est justement l'objet de notre étude — la possibilité d'une intervention canadienne dans les opérations de soutien de la paix de l'ONU. Or, cela ne peut pas s'effectuer en vase clos, sans tenir compte des autres exigences imposées à nos Forces armées et sans chercher à savoir si nous pouvons répondre à ces exigences.
Nous avons hâte de déposer notre rapport au Sénat. Recommanderiez-vous que toute participation aux opérations de soutien de la paix de l'ONU soit nécessairement accompagnée d'un financement supplémentaire, au lieu d'être financée à même l'enveloppe actuelle du ministère de la Défense?
M. Battista : Oui, en effet. Nous avons indiqué de façon relativement claire que si nous prenons toutes ces mesures en plus de mettre à niveau les forces armées et de participer aux opérations de maintien de la paix, de stabilisation et de gestion des conflits sous l'égide de l'ONU, les ressources dont nous disposons actuellement ne suffiront vraiment pas. Deuxièmement, vous pouvez changer les priorités, mais nous avons expliqué les enjeux et les dangers potentiels de le faire. Troisièmement, nous estimons que ces opérations ne se feront pas simplement avec une carabine et un Jeep comme nous l'avons déjà pensé après la crise du canal de Suez et les opérations de maintien de la paix des Casques bleus. Elles sont compliquées et complexes, elles requièrent énormément de ressources et sont, très souvent, à long terme.
Le président : Chers collègues, je remercie nos témoins. Il est clair qu'ils ont ajouté à la vaste gamme d'informations que nous essayons d'obtenir sur ces questions.
Dans le cadre de notre dernier groupe de témoins de la journée, nous accueillons M. Dan Ross, ancien sous-ministre adjoint (Matériels) à la Défense nationale; le major-général (à la retraite) Jim Ferron; et le vice-amiral (à la retraite) Glenn Davidson. Bienvenue. Permettez-moi de prendre quelques minutes pour passer en revue les biographies de nos invités.
Le major-général Jim Ferron a pris sa retraite en juillet 2014 après 39 années de service au sein des Forces armées canadiennes. Sa dernière nomination a été au poste de commandant de la 1re Division du Canada. Aujourd'hui, il est vice-président du Développement des capacités chez Carillion Canada Inc.
Le vice-amiral Davidson s'est enrôlé dans la Réserve navale en 1970 et a rejoint les forces régulières en 1974. En 1995, après un détachement à l'ambassade canadienne à Tokyo, au Japon, comme attaché militaire, il a été nommé commandant du 2e groupe des opérations maritimes et chargé d'une flotte de sept frégates et destroyers ainsi que d'un navire de soutien opérationnel. Il a été promu au rang de contre-amiral en 2000 et, en 2002, il a été nommé Commandeur de l'Ordre du mérite militaire.
Entre 2002 et 2004, il est devenu commandant des Forces maritimes de l'Atlantique, qui regroupaient l'ensemble des forces navales canadiennes dans cette région, soit quelque 8 000 militaires. Il a supervisé le déploiement des navires dans le golfe Persique dans le cadre de l'opération Apollo, contribution du Canada à la guerre en Afghanistan.
En 2004, il a été nommé représentant militaire canadien au sein du comité militaire de l'OTAN au siège de l'organisation à Bruxelles.
De 2008 à 2011, M. Davidson a occupé le poste d'ambassadeur du Canada en Syrie et, en août 2011, il a été nommé ambassadeur du Canada en République islamique d'Afghanistan.
M. Ross a été sous-ministre adjoint (Matériels) de mai 2005 à décembre 2012 au ministère de la Défense nationale. À ce titre, il a dirigé un groupe de 4 400 militaires et civils et géré un budget annuel de 5 à 6 milliards de dollars. Il a supervisé l'exécution du plus important programme de rééquipement des Forces canadiennes depuis la guerre de Corée, tout en dirigeant une série complète de projets en vue d'offrir aux troupes canadiennes en Afghanistan l'équipement et les capacités essentielles pour améliorer la surviabilité des soldats et l'efficacité des opérations.
Avant cette nomination, il a occupé divers postes gouvernementaux à la Défense nationale et au Bureau du Conseil privé.
M. Ross a pris sa retraite des Forces canadiennes en septembre 2002, après avoir servi en uniforme pendant 34 ans et quatre jours, lui qui s'était enrôlé à un très jeune âge.
Qui a préparé des remarques liminaires? Aimeriez-vous commencer?
Le major-général (à la retraite) James R. Ferron, vice-président, Développement des capacités, Carillion Canada Inc., à titre personnel : Sénateur Lang, membres du comité sénatorial, je tiens d'abord à vous remercier personnellement d'appuyer l'examen de la politique de défense et de m'avoir aimablement invité à participer aux discussions d'aujourd'hui.
Aujourd'hui, bien qu'on accorde beaucoup d'attention aux opérations de maintien de la paix et à la façon dont nos forces armées pourraient contribuer à l'engagement renouvelé à l'égard des Nations Unies, je reconnais qu'on doit le faire dans le contexte d'un examen global de la politique de défense. En conséquence, mon intention est de vous faire part de mon point de vue concernant le développement des capacités de défense afin d'assumer les rôles et missions des Forces armées canadiennes, tant aujourd'hui que dans un avenir prévisible.
J'estime que les opérations de maintien de la paix devraient être examinées à la lumière de tous les aspects d'un conflit, allant des opérations traditionnelles de maintien de la paix aux opérations de guerre, en tenant compte des capacités nécessaires avant, pendant et après les hostilités.
Bien que l'on doive viser à prévenir les conflits, en réalité, les opérations de maintien de la paix doivent souvent faire face au défi de reconstruire le tissu social, économique et politique de nations dévastées. De toute évidence, ces types d'opérations ne devraient pas se limiter à des solutions purement militaires; elles doivent permettre à des équipes pangouvernementales nationales et — j'insiste là-dessus — internationales d'atténuer les conditions sous-jacentes qui contribuent aux conflits dès le départ, en gros, pour fixer les conditions d'une solution politique négociée.
Afin de définir nos exigences en matière de capacités de défense, je crois que nous devons reconnaître les conditions qui sous-tendent les conflits afin de vraiment comprendre qui est l'ennemi. En outre, je souhaite d'emblée insister sur le fait que, bien que nous nous attachions aux exigences en matière de capacités des Forces armées canadiennes, nous devons avoir connaissance du besoin de développer des capacités au sein des forces de sécurité locales par le truchement de l'éducation, de la formation et du maintien en puissance de l'équipement. Pour qu'une mission soit couronnée de succès, la nation hôte doit pouvoir se débrouiller toute seule.
Alors, brièvement, quelles sont les conditions susceptibles de nous aider à définir les exigences des Forces canadiennes en matière de capacités, ces facteurs qui créent et alimentent les conflits? Permettez-moi de n'en souligner que quelques-uns d'assez récents, comme l'analphabétisme répandu; les taux de chômage extraordinaires qui créent des groupes de jeunes marginalisés; des taux élevés de mortalité infantile qui sèment le désespoir au sein des familles; la criminalité endémique; une approche fondamentaliste à l'égard de la religion; et, enfin, l'instabilité politique qui engendre souvent l'anarchie.
En conséquence, pour lutter contre ces conditions, que ce soit dans le contexte des opérations de maintien de la paix ou de guerre, les Forces armées canadiennes doivent avoir les moyens d'assurer la sécurité du contexte seules ou en collaboration, de créer une soi-disant bulle de sécurité, normalement mise en place au départ par une coalition de forces, mais avec l'objectif énoncé de former les forces locales avant de leur en confier la responsabilité.
Ce faisant, nous ne devons pas oublier notre responsabilité de répondre à la question fondamentale posée par tout militaire canadien lorsqu'il se retrouve confronté à une réalité opérationnelle qui met sa vie en péril, c'est-à-dire : pourquoi sommes-nous ici?
Compte tenu du peu de temps dont je dispose, j'aimerais maintenant parler de la difficulté de définir les ressources et les capacités nécessaires aux Forces armées canadiennes pour exécuter leur mandat — manifestement un défi de taille, pour lequel le mieux est de commencer par tenter de comprendre la menace émergente, la menace dans un contexte de sécurité et de défense en rapide évolution.
Aujourd'hui, nous voyons un contexte de sécurité défini par une vaste gamme de facteurs de menaces, souvent décrit comme imprévisible et chaotique. Il y a la Russie qui s'est récemment insurgée, créant ainsi un paradigme de guerre froide en Europe orientale, sans mentionner la réelle menace qu'elle représente pour la souveraineté canadienne dans le Grand Nord; la présence continue d'Al-Qaïda et de celle de son rejeton, l'EIIL, toutes les deux ponctuées par le terrorisme national, comme nous l'avons récemment observé à Orlando; le spectre des États voyous munis d'armes de destruction massive; la réalité de la guerre cybernétique; et l'avènement potentiel des conflits dans l'espace, tous exacerbés par les vastes mouvements de populations déplacées. Aujourd'hui, les combattants sont diversifiés, ils n'ont pas de frontières et, comme je l'ai mentionné, ils sont complètement imprévisibles.
Quel est donc le thème commun? C'est l'incapacité du Canada et de la communauté internationale de prédire ce que l'avenir nous réserve. Quelle combinaison de facteurs de menace pèse sur la sécurité du Canada au pays et à l'étranger? Peu importe ce que nous décidons, nous avons besoin de flexibilité : la capacité de repérer rapidement et avec assurance les menaces grâce à des capacités solides en matière d'échange de renseignement, qui sont renforcées par la capacité d'intervenir en temps opportun pour avoir l'avantage dans une situation donnée.
Cette exigence ne va pas de pair avec l'idée que les forces de défense du Canada deviennent plus spécialisées. Cette situation renforce par contre la nécessité d'avoir des forces polyvalentes et aptes au combat qui peuvent intervenir dans tous les domaines. Pour ce faire, il faut une Force régulière hautement entraînée et flexible qui est appuyée par une Force de réserve bien pourvue, sans oublier — je me dois de le souligner — des forces spéciales compétentes qui peuvent intervenir dans les environnements hostiles les plus exigeants.
En terminant, j'aimerais insister sur quatre points. Il est évident que le Canada ne peut pas le faire seul. Notre centre de gravité est notre crédibilité à collaborer au sein d'alliances pour assurer notre défense collective. Par conséquent, il est nécessaire d'avoir un certain degré d'interopérabilité sur le plan de la réflexion, des objectifs et du matériel au sein du NORAD, de l'OTAN, de l'ONU et des forces de coalition auxquelles notre gouvernement accepte de participer.
Deuxièmement, les Forces armées canadiennes doivent pouvoir collaborer au sein d'une équipe pangouvernementale en vue de renforcer les capacités, soit un rôle au sujet duquel nous avons déjà fait nos preuves.
Troisièmement, l'industrie canadienne doit faire partie de l'équipe de sécurité et participer aux discussions sur le renforcement des capacités dès qu'un besoin est défini.
Enfin, beaucoup de personnes diraient que c'est d'une importance capitale, mais mon dernier point concerne la capacité des Forces armées canadiennes de prendre soin de ses militaires et de leur famille avant, durant et après leurs services.
Mesdames et messieurs, je vous remercie grandement de m'avoir donné l'occasion de témoigner devant votre comité ici aujourd'hui et j'ai hâte de poursuivre la discussion avec vous. Merci.
[Français]
Vice-amiral (à la retraite) Glenn Davidson, ancien ambassadeur du Canada en Syrie et en Afghanistan, à titre personnel : Monsieur le président et membres du comité, je vous remercie de me donner l'occasion de témoigner devant vous cet après-midi.
[Traduction]
Je suis heureux de pouvoir témoigner à titre personnel, et je suis persuadé que la politique gouvernementale du Canada qui mise sur une collaboration plus étroite avec l'ONU est la bonne approche non seulement pour le Canada, mais aussi pour l'ONU.
L'intention précise de soutenir davantage les opérations de maintien de la paix de l'ONU est un aspect de cet engagement global, mais c'est un élément très important. À mon avis, c'est également plus complexe qu'il n'y paraît à première vue.
Il y a deux aspects fondamentaux au soutien du Canada à l'égard des opérations de maintien de la paix. En termes très simples, pour mon propre bénéfice, il faut premièrement participer au sein de l'ONU et deuxièmement faire avancer les choses pour l'ONU, et les deux sont évidemment intrinsèquement liés.
La participation peut se faire évidemment relativement rapidement si c'est l'objectif, mais il y a certains risques à foncer tête baissée sans avoir une stratégie globale et nationale à l'égard de l'ONU.
Faire avancer les choses pour l'ONU est un objectif à plus long terme. Cela nécessite un engagement qui dépasse le simple déploiement de troupes au sol. Il faut qu'au final le Canada exerce une influence au sein de l'ONU et auprès des autres nations qui participent à la vaste gamme d'opérations de maintien de la paix.
L'influence est un aspect primordial. Si je réussis à vous faire retenir une seule chose cet après-midi, j'espère que ce sera que l'influence est un aspect primordial. Nous n'avons pas été un joueur central dans les opérations de maintien de la paix de l'ONU depuis bon nombre d'années, et il faudra du temps au Canada pour regagner ses lettres de noblesse au sein de l'ONU et avoir l'influence nécessaire pour réellement faire avancer les choses. Selon moi, c'est possible d'y arriver tant que nous avons une stratégie pangouvernementale cohérente concernant notre participation au sein de l'ONU et que nous sommes prêts à investir. C'est vraiment l'essentiel de mon message à votre comité.
Permettez-moi de vous donner une idée de la forme que pourrait prendre une telle stratégie pour le Canada. Je serai très bref et je vous présenterai cinq points à prendre en considération.
Le premier point est que la participation à des opérations de maintien de la paix est une condition pour exercer une certaine influence. Je vais laisser mes collègues du ministère de la Défense nationale formuler des recommandations quant à la meilleure manière pour le Canada d'apporter une contribution sur le plan militaire, parce qu'ils connaissent les effectifs actuels et les autres engagements.
Nous devrons également évaluer la manière d'apporter le plus efficacement possible une contribution aux activités de maintien de la paix et de gestion non liée à une catastrophe, comme la médiation et la prévention des conflits. Nous devrons aussi déterminer les ressources diplomatiques, policières, juridiques et militaires disponibles pour ces rôles et l'endroit où le Canada peut les mettre le plus à profit au sein de l'ONU.
Quelle devrait être l'ampleur de notre engagement? Je ne crois pas que la taille est le seul point qui importe. Il y a actuellement 125 000 troupes et policiers en service au sein de l'ONU, et 28 pays contribuent chacun plus de 1 000 personnes à l'ONU, et 6 pays en contribuent chacun plus de 5 000. Compte tenu de cela, le Canada doit mettre l'accent sur la qualité et les effets de sa contribution plutôt que les chiffres, et je crois que nous le comprenons tous.
La seule observation que j'aimerais faire concernant les chiffres, c'est qu'en moyenne les pays du G7 contribuent aux opérations de maintien de la paix de 300 à 400 troupes et policiers au total, mais nous sommes actuellement loin de cette moyenne. En fonction des autres engagements des Forces canadiennes, une certaine augmentation de notre contribution en vue d'atteindre la moyenne des pays du G7 serait un objectif stratégique raisonnable à envisager pour le Canada.
Deuxièmement, nous devrions être pleinement conscients des divers degrés d'entraînement, d'expérience et de rendement des militaires parmi les pays qui fournissent des troupes. Certaines troupes seront bien entraînées et excellentes, tandis que d'autres seront tout le contraire. Nous avons grandement entendu parler de certains manquements graves de certaines troupes de l'ONU. Même si l'ONU demande aux pays qui fournissent des troupes d'améliorer le rendement et la compétence de leurs effectifs, cela prendra un certain temps. Pour l'instant, le Canada doit comprendre ces risques, choisir ses partenaires et se préparer à aider l'ONU à surmonter ces défis à long terme.
Voici le troisième point que j'aimerais que le comité prenne en considération. Nous devrions évaluer les comités et les organismes onusiens importants et les organismes clés non onusiens et déterminer ceux où le Canada devrait accroître sa contribution et son engagement. Voici certains exemples pour vous expliquer ce que je veux dire. Le Canada a grandement contribué par le passé à l'important Comité spécial des 34 de l'ONU, soit le comité des opérations de maintien de la paix. Il serait pertinent et logique pour le Canada d'aspirer à avoir un rôle important et influent au sein du C34.
Le Secrétariat des Nations Unies, ainsi qu'en particulier son Département des opérations, est au cœur des opérations de maintien de la paix.
Si nous pouvions renforcer ces organismes en fournissant du personnel canadien spécialisé, en particulier des officiers supérieurs, des spécialistes civils, du personnel bilingue et des conseillers en matière d'égalité des sexes, et possiblement de l'équipement spécialisé ou du financement ciblé, ce serait un investissement stratégique très judicieux.
Il n'y a plus de centres de formation pour le maintien de la paix au Canada. Cependant, fait intéressant, l'un des legs directs du Centre Pearson pour le maintien de la paix est l'Association internationale des centres de formation en maintien de la paix, qui est toujours active. Une plus grande participation officielle du Canada à l'égard de cette organisation pourrait être une bonne manière d'améliorer notre compréhension des questions relatives à l'entraînement, au rendement et au professionnalisme et de nous aider à évaluer les endroits où nous pouvons faire avancer les choses. Je répète que l'objectif est que le Canada exerce une influence.
Mon quatrième point va au-delà des aspects traditionnellement associés aux opérations de maintien de la paix. Dans le cadre de notre stratégie d'engagement à l'égard de l'ONU, je crois que nous devrions déterminer les postes supérieurs au sein de l'ONU pour lesquels le Canada pourrait envisager de proposer des candidats. Je pense par exemple aux représentants spéciaux de l'ONU et à leurs adjoints dans les divers pays et aux hauts commissaires aux droits de l'homme et pour les réfugiés. Ce sont des postes très importants qui ont une énorme influence, et le Canada possède clairement des personnes compétentes pour occuper efficacement ces postes et d'autres. Par contre, la concurrence est féroce, et il faudra pour ce faire que nos dirigeants fassent preuve d'engagement à l'égard de ces causes, les soutiennent activement et se portent à la défense des victimes. Cela devrait faire partie de notre stratégie.
Enfin, mon cinquième point table sur cette idée. L'élaboration et le succès de la mise en œuvre d'une stratégie à l'égard de l'ONU nécessitent vraiment une approche pangouvernementale. Le ministère de la Défense nationale, Affaires mondiales, le ministère de la Sécurité publique, le ministère de la Justice, le ministère des Finances, le Conseil du Trésor et le Bureau du Conseil privé devront tous s'y engager activement, et cela aura un coût.
Avec une volonté nationale, une stratégie nationale et les personnes de grand talent que nous avons au sein des Forces canadiennes, de notre corps diplomatique, des forces policières et du gouvernement, le Canada pourra bientôt retrouver la place qui lui revient aux Nations Unies.
Dan Ross, ancien sous-ministre adjoint (Matériels), ministère de la Défense nationale, à titre personnel : C'est un plaisir d'être de retour. J'ai témoigné à plusieurs reprises par le passé à titre de sous-ministre adjoint (Matériels). J'enseigne actuellement la gestion de projets complexes à l'École de gestion Telfer de l'Université d'Ottawa.
J'aimerais discuter de la fourniture aux membres des Forces canadiennes du bon matériel pour mener à bien les missions que nous leur confions. Il sera question de deux aspects en particulier : la reddition de comptes et le calendrier. Vous vous dites peut-être que ces deux éléments ne vont pas de pair, mais ils sont intrinsèquement liés.
À la lumière de ces enjeux, je pose une question importante. Un seul ministre devrait-il être responsable des dépenses annuelles de 5 à 8 milliards de dollars en matériel de défense? Le modèle actuel de reddition de comptes est clair. Tout le monde est responsable, et personne ne l'est. Trois organismes centraux et trois ministères se partagent la responsabilité, mais pas les conséquences; seul le ministère de la Défense nationale doit vivre avec les conséquences sur le budget, la vie des militaires et la production des effets.
Le ministère de la Défense nationale gère le matériel de défense de la conception à l'élimination par l'entremise de responsables des besoins, de gestionnaires de projets, d'ingénieurs, de maintenance en service et d'une capacité et d'une expertise considérables en matière de passation de marchés. Seules les activités de passation de marchés en vertu de la Loi sur la production de défense relèvent de SPAC.
Cette gestion se caractérise par divers échelons de comités interministériels. Le plus grand risque pour un programme, c'est la navigation des nombreux échelons de comités et le temps que cela prend.
Les conséquences sont toujours d'accuser des retards dans le calendrier. Au sein du ministère de la Défense nationale, ces conséquences prennent la forme d'une obsolescence fonctionnelle ou de lacunes réelles sur le plan des capacités, de coûts de maintenance non nécessaires, d'un pouvoir d'achat réduit — pour les combattants en service, cela représente 1 million de dollars par jour — et d'une augmentation en ce qui concerne les coûts, la technologie et les risques politiques.
Lorsque nous accusons des retards dans le calendrier et que personne n'évoque un sentiment d'urgence, tous les risques que je viens d'énumérer se concrétisent. C'est le modèle de reddition de comptes fragmentée qui entraîne des retards dans le calendrier.
Les gestionnaires de projets doivent alimenter la bête que sont les comités interministériels aux échelons du directeur général, du sous-ministre adjoint, du sous-ministre et du ministre. Par exemple, le projet de remplacement d'aéronefs de recherche et de sauvetage à voilure fixe est en cours depuis 14 ans. Le résultat aurait-il été différent si nous avions eu recours à un processus concurrentiel il y a six ans?
Depuis le milieu des années 2010, la fourniture de matériel de défense en prend pour son rhume. Des ministres des Finances de deux gouvernements ont reporté des milliards de dollars, parce que « le ministère de la Défense nationale ne pouvait pas les dépenser de toute manière ».
Peu de projets ont mené à l'attribution de contrats depuis l'annonce de la Stratégie d'approvisionnement en matière de défense, et les répercussions se font sentir sur l'industrie canadienne. Il est difficile d'affirmer que les Forces canadiennes reçoivent le bon équipement ou que l'industrie et les entreprises canadiennes sont mieux soutenues.
J'en suis de plus en plus convaincu chaque jour, mais je crois qu'il y a beaucoup trop de processus avant l'attribution d'un contrat.
Il ne fait aucun doute que certains processus sont nécessaires pour assurer une diligence raisonnable en ce qui concerne la dépense d'autant de fonds publics. Il reste à déterminer ce qui serait suffisant.
Pourquoi le cadre de reddition de comptes est-il devenu aussi fragmenté et aussi particulièrement inefficace parmi nos alliés occidentaux? C'est une question de confiance et de reddition de comptes.
Existe-t-il une légende urbaine à savoir que les besoins sont toujours fixes et que les énoncés de besoins devraient être déterminés par des intervenants, mis à part l'armée? Oui. C'est une opinion répandue que citent souvent des intervenants qui n'ont aucune expérience en la matière. Y a-t-il un fond de vérité? À l'occasion, c'est vrai, mais c'est normalement une légende.
L'armée a le droit de dire ce dont elle a besoin. Arriver en deuxième au combat n'est pas une option. Mis à part les ministres, de nombreux intervenants ont actuellement leur mot à dire concernant des choses qu'ils ne comprennent pas.
Il y a un comité d'examen indépendant présidé par Larry Murray qui fonctionne, et des gestionnaires de projets me disent qu'ils ont profité des conseils, des examens et des orientations de ce comité. Cela rallonge un peu le processus, mais cela permet probablement de gagner beaucoup de temps à la longue.
C'est important de laisser le comité d'examen indépendant faire son travail et d'avoir confiance en sa diligence raisonnable. Ce n'est pas le travail de SPAC ou d'Industrie Canada d'être en désaccord avec le comité d'examen indépendant ou d'exercer des pressions pour qu'il modifie ses besoins.
Y a-t-il des menaces réelles et de nouvelles menaces qui pèsent sur les Canadiens et les Forces canadiennes au pays et déployées à l'étranger? Le cas échéant, un processus d'approvisionnement en matière de défense qui prend 14 ans est-il acceptable?
Il faut éliminer certaines étapes et certains échelons du processus, nous fier au comité d'examen indépendant en ce qui a trait aux besoins et réduire au minimum les examens par des tiers et les rapports inutiles.
Un ministre qui serait appuyé par un personnel responsable de la gestion du matériel devrait être nommé seul responsable de ces dépenses de 6 à 8 milliards de dollars. Ce n'est pas nécessaire que ce soit un organisme existant, mais il faut que cet organisme soit bien au courant des processus de gestion des ressources du ministère de la Défense nationale et des besoins des Forces armées canadiennes.
La Loi sur la production de défense relève-t-elle du bon ministère? Il n'est pas nécessaire de maintenir le statu quo. Un seul ministre devrait-il être responsable des dépenses annuelles de 5 à 8 milliards de dollars en matériel de défense?
Merci.
Le président : Merci. Passons maintenant aux séries de questions.
La sénatrice Jaffer : Vous avoir à la fin de la journée, c'est comme sortir un gâteau du four. C'est encore mieux qu'une cerise sur le gâteau. Vous avez permis de faire la synthèse de ce qui a été dit. J'ai de nombreuses questions que j'aimerais vous poser, mais je sais que le président interviendra rapidement pour modérer mes ardeurs.
Major-général Ferron, vous avez parlé de la nécessité de s'occuper des gens pendant qu'ils sont là-bas et après leur retour. Parfois, ils se demandent pourquoi ils sont là-bas et combien de temps ils y resteront. Parfois aussi, on vous blâme d'être partis au mauvais moment, mais ces décisions ne sont pas les vôtres. Ce sont des décisions politiques. C'est un sujet qui devra être abordé. Vous avez été très clair.
J'ai bien quelques questions, mais je dois d'abord m'entretenir avec vous, monsieur Ross. Monsieur Ross, quand vous étiez sous-ministre, l'ancienne juge de la Cour suprême Marie Deschamps a présenté un rapport sur l'inconduite sexuelle dans les Forces armées canadiennes. Cela a entraîné une série de mesures systémiques visant à contrer le phénomène — l'opération HONOUR. Quelle a été l'efficacité de ce programme? Pourrait-il être utilisé ailleurs également? Comment?
Quand j'étais au Darfour, j'ai travaillé avec des hommes et des femmes en uniforme qui partageaient nos valeurs et mettaient en place des programmes. Compte tenu de tout ce qui se passe — pas dans nos forces, mais à l'extérieur — comment pourrions-nous transposer les programmes dans d'autres contextes?
M. Ross : Je ne suis peut-être pas le mieux qualifié pour vous répondre. En janvier 2003, j'ai quitté un poste civil. Même s'il y avait environ 1 500 militaires, ils étaient pratiquement tous des officiers d'état-major au quartier général ici à Ottawa. Alors je n'ai véritablement...
La sénatrice Jaffer : Ce n'est pas grave, nous poserons la question à quelqu'un d'autre.
Quand je vous écoutais tous les trois, il m'est soudainement venu à l'esprit que les décisions que nous prenons pour des raisons politiques sont celles qui déterminent où vous irez. Major-général Ferron, vous avez décrit ces régions. J'y suis allée; je sais à quel point la situation y est terrible. Nous envoyons nos hommes et nos femmes là-bas, parfois sans les outils ni l'équipement nécessaire, et on attend le meilleur d'eux.
Ce qui me pose la plus grande difficulté dans cet examen, c'est que les guerres ont changé. Vous me direz peut-être que j'ai tort, mais je crois que les guerres ont changé et la manière dont nous faisons la guerre aussi.
Nos hommes et nos femmes sont-ils prêts à aller combattre en Afghanistan ou en Irak, avec l'idéologie fondamentaliste? Je suis sûre qu'ils le sont, mais quelle préparation additionnelle est nécessaire?
Mgén Ferron : C'est une question extrêmement complexe, mais je vous remercie de la poser. Cela nous ramène à une question fondamentale : pourquoi un membre des Forces armées canadiennes — de la marine, de l'armée de terre ou de la force aérienne — risquerait-il sa vie pour sa nation?
La réalité — et elle échappe à certains —, c'est que ce qui importe le plus à un soldat en train de combattre, ce n'est pas l'impératif national. C'est l'homme à sa droite, la femme à sa gauche et, surtout, celui derrière qui les couvre.
Ce que je veux dire, c'est qu'ils doivent être certains que les autres soldats autour d'eux ont l'entraînement et l'équipement nécessaires pour faire ce qu'on leur a demandé. On peut en demander énormément à un soldat, à un marin ou à un pilote et il le fera, à condition que sa confiance demeure intacte.
Cela me ramène à mon argument au sujet de l'agilité, et vous me donnez l'occasion de le faire valoir pleinement : nous ne savons pas qui est l'ennemi aujourd'hui.
La sénatrice Jaffer : C'est le problème.
Mgén Ferron : Nous ne le savons pas, et je vous mets au défi de nous dire qui il sera demain. Si vous pouvez le prédire, j'aimerais acheter un billet de loterie avec vous.
Quand on ne connaît pas l'avenir, dans l'armée, on se garde une plus grande marge pour pouvoir réagir à l'imprévu. C'est ce qu'on entend par agilité et celle-ci revêt un aspect multidisciplinaire. Les soldats se battront pour leur nation tant qu'ils seront certains que les gens autour d'eux sont suffisamment entraînés et équipés pour faire ce qu'on leur demande. L'élément le plus important, c'est l'agilité.
La sénatrice Jaffer : Vous n'avez pas parlé de la valeur de nos hommes et de nos femmes en uniforme. Je les accompagnais au Darfour. Les gens sur le terrain disaient que la plupart des soldats se reposaient dans les casernes le soir. Pendant ce temps, les soldats canadiens construisaient des orphelinats. Partout où nous allons, nous apportons une contribution. Nous jouons un important rôle dans la lutte contre le terrorisme. J'aimerais que vous nous en parliez un peu.
Je porte peut-être mon drapeau trop haut, mais je crois qu'il est important que des Canadiens participent, car notre contribution va au-delà des combats.
Vam Davidson : Je ne puis qu'en convenir, madame la sénatrice. Vous avez tout à fait raison et c'est précisément pourquoi je suis convaincu qu'une plus grande participation canadienne aux opérations de maintien de la paix sera très bien accueillie et très précieuse pour les Nations unies. Cependant, nous ne pouvons offrir qu'une contribution modeste. C'est pourquoi il est doublement important que nous choisissions des domaines où nous pouvons faire des interventions spécialisées.
Peu importe les missions auxquelles nous participons, nous allons inévitablement apporter notre soutien à des soldats étrangers qui se distinguent par leurs habiletés, leur entraînement et leurs compétences professionnelles, et qui donnent de leur temps — ce que font tous les militaires professionnels. Cela fait partie du défi à relever. Les Canadiens seront bien sûr en forte demande lorsque le temps sera venu.
J'ajouterais seulement une chose qui va peut-être de soi, et je pense que Jim y a fait allusion. Il doit être bien clair que mettre davantage l'accent sur les missions de soutien de la paix ne signifie pas une transformation fondamentale du rôle des Forces canadiennes. Il est important de comprendre que cela ne sera qu'un ajout à ce que nous faisons déjà, à nos autres obligations. Nos jeunes hommes et nos jeunes femmes doivent avoir le bon équipement, le soutien nécessaire et un plan de sortie; et ils doivent savoir que nous sommes derrière eux.
Le sénateur Meredith : Je vous remercie de vos présentations.
Major-général Ferron, vous avez parlé de capacités militaires locales. Pourriez-vous m'expliquer comment s'effectue le transfert de notre expertise technique aux personnes sur le terrain? Je songe notamment à ce que nous faisons au Mali actuellement ou à ceux que nous avons formés en Afghanistan, un exemple classique. Un des témoins précédents a dit que la sécurité était une condition essentielle au développement et à la mise en place d'un système d'enseignement. Vous avez parlé des impacts sociaux et économiques qui sont essentiels dans ces pays hôtes pour qu'il puisse y avoir un sentiment de sécurité et de paix véritable.
Pourriez-vous nous en dire davantage sur ces capacités, sur la réceptivité des pays hôtes à notre présence, sur leur développement et leur capacité à assurer leur propre sécurité?
Mgén Ferron : Je vais d'abord répondre du point de vue des valeurs. Dans toutes les missions auxquelles j'ai participé au cours de ma carrière militaire de 39 ans, peu importe le théâtre d'opérations, les pays hôtes, les forces locales, ont toujours bien accueilli les Forces canadiennes et leur formation en raison des valeurs qui y sont véhiculées. Nous ne changeons pas qui nous sommes. Nous venons dans l'espace de combat tel que nous sommes, et nous donnons deux types de formation.
Le premier revient à ce que je disais tout à l'heure. Nous nous entraînons avec les personnes à notre droite, à notre gauche et derrière nous. C'est l'entraînement tactique. Ce sont de jeunes hommes et de jeunes femmes dans la vingtaine, dans certains cas des adolescents, qui leur enseignent ce qu'ils savent. Avec l'aide d'un ou deux interprètes, ils inculquent à leurs hôtes leurs tactiques de combat et leurs valeurs canadiennes.
L'amiral et moi avons donné de la formation à un degré plus stratégique en Afghanistan. J'étais le commandant des troupes canadiennes et l'amiral était l'ambassadeur. Notre rôle au sein de la coalition était de former et d'encadrer 352 000 policiers et militaires. Les Forces armées canadiennes ont apporté une grande contribution à l'espace de combat et dans les écoles en bonne et due forme. Lors des exercices, le personnel des Forces canadiennes et son équipement ont été intégrés aux forces afghanes. Nous avons fait la même chose en Bosnie et dans certaines de nos missions de l'ONU. Nous démontrons, illustrons et exemplifions les valeurs, les connaissances et les ressources techniques que nous mettons en œuvre pour gagner. J'espère avoir répondu à votre question. Je ne veux pas prendre trop de temps.
Vam Davidson : Le major-général Ferron a donné une réponse très complète.
L'une des difficultés, ce sont les chiffres, car les besoins sont si vastes dans certains des pays où les Nations Unies assurent une présence, en particulier ceux de l'Afrique. À l'heure actuelle, les Nations Unies mènent 16 grandes missions. Certaines rassemblent des milliers de soldats. Étant donné la nature modeste de la contribution canadienne, notre présence et notre visibilité dans les missions futures de l'ONU n'auront pas la même ampleur qu'en Afghanistan. C'est pourquoi j'ai insisté dans ma présentation sur le fait qu'il faudra se concentrer sur les domaines où nous pourrons tirer le meilleur parti de nos ressources.
Le sénateur Meredith : J'aimerais que vous nous parliez un peu d'influence. Vous avez parlé de l'absence du Canada au Conseil de sécurité de l'ONU et du fait que nous avons besoin d'exercer notre influence afin d'accomplir les objectifs que nous nous sommes fixés en tant que nation, en particulier sur la scène internationale. J'aimerais que vous m'en parliez un peu.
Vam Davidson : Pour faire partie d'un club, il faut payer les frais d'adhésion. Depuis 20 ans, nous ne sommes pas un gros joueur dans les missions de paix de L'ONU. Certes, l'envergure de notre contribution à l'ONU dans l'ensemble a beaucoup diminué ces dernières années. C'est pourquoi j'ai indiqué que notre regain de participation à des missions de soutien de la paix s'inscrit dans le cadre d'un objectif plus vaste qui est de revitaliser notre engagement auprès des Nations Unies. Un soutien plus actif dans certains domaines spécialisés, que ce soit le transport aérien, la logistique, le renseignement ou le génie médical, pourrait aider les autres à accomplir leur travail. Si nous ciblons certains domaines, ce que notre rôle sur le terrain nous aidera à faire, nous pourrons alors influencer le cours des choses à long terme par l'intermédiaire des comités auxquels il faut appartenir. On n'obtiendra pas le commandement d'une unité sur le terrain si nous n'avons aucun soldat sur les lieux, pas plus qu'on obtiendra la présidence d'un important comité si nous ne participons pas activement aux missions de soutien de la paix.
Mgén Ferron : Monsieur le président, puis-je donner un exemple? Je n'en ai pas pour 30 secondes. En 2011, j'étais affecté au commandement central, dont le commandant était le général Petraeus, que beaucoup connaissent. Le Canada venait d'annoncer qu'il se retirerait de la mission de combat en Afghanistan pour se consacrer plutôt à la formation des troupes locales. J'ai été appelé dans le bureau du général Petraeus. Je croyais bien que j'allais y passer, qu'il allait me demander : « Pourquoi le Canada se retire-t-il de l'offensive? » Je me préparais au pire. Il m'a tiré une chaise, puis, pendant environ une demi-heure, il a fait l'éloge du Canada et de son leadership en matière de formation. Nous avons ensuite été rejoints par le commandant adjoint responsable de la mission de formation de l'OTAN pour l'ensemble du théâtre en Afghanistan, qui allait plus tard devenir le commandant. C'est un cas où l'influence à l'échelon militaire a eu des répercussions sur les décisions stratégiques.
Le sénateur Meredith : Excellent. Monsieur le président, j'ai une autre question, mais je vais attendre la deuxième ronde.
Le président : Chers collègues, avant que nous délaissions la question du sénateur Meredith au sujet des Nations Unies et de l'influence, j'aimerais seulement obtenir une précision. Des témoins nous ont dit il y a quelques jours que notre contribution annuelle aux Nations Unies s'élève aujourd'hui à 800 millions de dollars, si je ne me trompe pas. Est-ce exact, ou à peu près exact?
Vam Davidson : Monsieur le sénateur, je dois dire que je ne suis pas très au fait de ce renseignement précis. Je crois me souvenir que le montant versé en aide directe à la mission de paix est...
Le président : Pas aux missions de paix, mais aux Nations Unies.
Vam Davidson : Dans l'ensemble? Je ne peux pas me prononcer.
Le président : Je voulais simplement éclaircir ce point, car l'impression qui se dégage est que nous n'apportons rien aux Nations Unies, et je ne crois pas que ce soit vrai. Nous allons obtenir cette précision pour que ce soit bien clair pour tout le monde.
Le sénateur Day : Messieurs, l'un de vous a dit que les Forces armées canadiennes doivent veiller au bien-être des militaires et de leurs familles. Est-ce qu'elles le font à l'heure actuelle?
Mgén Ferron : C'est moi qui l'ai dit, monsieur.
Le sénateur Day : Oui.
Mgén Ferron : Elles le font. Elles l'ont toujours fait et ne cesseront jamais de le faire, mais à des degrés variables.
À l'époque où j'étais un jeune officier, on nous apprenait à garder un petit calepin noir dans notre poche dans lequel étaient inscrits les noms de notre femme et de nos enfants. J'ai toujours mon calepin. Dans les années soixante, soixante-dix et quatre-vingt, on veillait déjà au bien-être des membres des forces, mais ce n'était pas dans l'œil du public comme aujourd'hui.
Les troubles de stress post-traumatique ont toujours existé. Ce n'est pas nouveau, c'est seulement qu'on en parle beaucoup plus. Le public en est plus conscient. Pendant longtemps, on en parlait en mal et on ostracisait ceux qui en souffraient. Aujourd'hui, on accepte que devant ce que j'appelle des « situations opérationnelles mettant la vie en danger », les hommes et les femmes réagissent tous de manière différente. Nous faisons de notre mieux.
J'aimerais ajouter que l'opération HONOUR s'inscrit dans le cadre de nos efforts en vue de soutenir les hommes et les femmes en service ainsi que leurs familles.
Monsieur le sénateur, je ne doute pas une seconde qu'à tous les niveaux de rang, nos membres veillent les uns sur les autres et sur les familles de chacun. Pourrions-nous faire mieux? Bien sûr. On peut toujours faire mieux. Il y a toujours place à amélioration.
Le sénateur Meredith : J'aimerais poser une question complémentaire, si vous le permettez.
Le président : Sénateur Day, donnez-vous suite à votre question?
Le sénateur Day : Non, j'allais poser une autre question.
Le sénateur Meredith : D'accord, je vais alors poser une question complémentaire rapidement à ce sujet, si vous me le permettez, monsieur le président.
Le président : Oui.
Le sénateur Meredith : C'était, encore une fois, ma question, major-général. Je vois les hommes et les femmes qui ont servi notre grand pays, et ils sont parfois désespérés, car ils doivent rendre leur situation publique. Dans cet examen de la politique de défense, comment veillons-nous à mettre davantage l'accent sur ceux qui ont fait l'ultime sacrifice pour servir notre pays? Comment accordons-nous plus d'importance à ces personnes dans cet examen de la politique? C'est un point important, je pense, qui trouve un écho auprès de tous les Canadiens et de ceux qui envisagent une carrière dans notre force de défense, les forces canadiennes.
Le président : Sénateur, avez-vous une question?
Le sénateur Meredith : Non, c'était ma question. Le témoin a déjà entendu la question.
Maj.-gén. Ferron : Je l'ai entendue. Je pense que vous avez abordé la réponse dans votre question. La solution, à mon avis, c'est la transparence. Au cours de ma carrière, nous avons ouvert des portes dans de nombreux secteurs où ces portes étaient fermées auparavant. Si nous pouvons faire preuve de la plus grande transparence possible envers les jeunes hommes et les jeunes femmes qui entrent dans les Forces armées canadiennes en leur expliquant ce à quoi ils seront confrontés, comment nous les préparerons et quelles sont les répercussions possibles, je pense que nous faisons ce qu'il faut pour ces hommes et ces femmes. Je pense que la transparence, monsieur, est la solution.
Vam Davidson : En plus de la transparence, il faut assurer un suivi, et plus particulièrement en faisant un meilleur travail pour ceux qui sont blessés dans l'exercice de leurs fonctions.
Dans une vie antérieure, pour un péché commis, j'ai passé cinq années à occuper des postes supérieurs dans l'armée et je me suis longuement penché sur la question. C'est un secteur qui me préoccupe peut-être plus que n'importe quel autre, à savoir dans quelle mesure nous prenons soin des blessés, de ceux qui ont subi des blessures qui ont changé leur vie.
Le sénateur Day : C'était peut-être le vice-amiral Davidson qui a mentionné cette association internationale de centres de maintien de la paix. On nous a dit plus tôt que le Canada devrait aller de l'avant à cet égard, mais nous ne devrions pas établir des Centres Pearson de maintien de la paix partout dans le monde s'il y a déjà un centre en place. Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet?
Vam Davidson : J'en sais très peu à ce sujet personnellement, mais le Centre Pearson de maintien de la paix était un pionnier lorsqu'il a été créé en 1994. Nous étions des chefs de file. L'année suivante, en 1995, je sais que l'un des legs durables de notre engagement est la mise sur pied de cette association internationale. Elle regroupe des pays qui mènent des opérations de formation officielles en maintien de la paix et qui ont des centres ou des écoles qui offrent ces formations chaque année. Ils organisent une conférence très importante. Il y a un secrétariat.
Ce que j'ai fait valoir, c'est que nous devrions participer officiellement. Je crois qu'il y a un inspecteur de la GRC qui est membre du conseil qui gouverne cette association et un diplomate à la retraite, si je ne m'abuse, qui est membre d'office. Je pense que c'est un bon point de départ pour nous.
Je ne propose pas de créer un autre centre de formation en maintien de la paix au Canada. Ce n'est pas le moment de le faire pour nous avant de reprendre sérieusement l'étude de ce dossier. C'est un bon point de départ.
Le sénateur Day : Je vous remercie de nous avoir mis au courant. Nous allons demander à notre analyste de faire des recherches à ce sujet. Quelqu'un a fait une observation à ce propos, et un ambassadeur qui a témoigné devant le comité croyait que le Centre Pearson pour le maintien de la paix était toujours en opération, alors la bonne volonté qui existe dépasse les limites du temps, ce qui est intéressant.
Ma dernière question, dans cette série d'interventions à tout le moins, porte sur les 125 000 soldats qui participent à différentes activités de maintien de la paix des Nations Unies. Nous entendons des rumeurs selon lesquelles ils sont payés et que de nombreux pays enverront des soldats pour qu'ils puissent être mieux rémunérés qu'ils le seraient dans leur pays. Ce n'est pas comme avec l'OTAN, où chaque pays qui participe à ces activités paie ses propres soldats. Est- ce que je me trompe?
Vam Davidson : Vous avez tout à fait raison. Les Nations Unies offrent un montant aux pays qui fournissent une aide militaire. Je crois que c'est de l'ordre de 1 300 $ par mois. Cet argent n'est pas forcément versé aux soldats. Vous regardez les cinq pays qui fournissent la plus grande aide militaire — et ces renseignements sont tous faciles à obtenir — aux Nations Unies, et ils ont un PIB par habitant d'environ 3 400 $. Deux des pays qui fournissent la plus grande aide militaire ont un PIB par habitant de moins de 2 000 $. Si vous envoyez des centaines de militaires sur le terrain, vous augmentez vos revenus pour le pays grâce aux millions de dollars que les Nations Unies versent. C'est très important pour ces pays.
Je n'ai pas les renseignements à jour à ce sujet, mais dans le passé, nous avons toujours refusé au Canada d'accepter que les Nations Unies paient pour nos soldats. Nous avons toujours payé la facture.
Le sénateur Day : Bien entendu, si nous participons à des activités de l'OTAN, chaque pays paie ses propres soldats.
Vam Davidson : Exactement. L'OTAN utilise l'expression « les coûts sont imputés à leurs auteurs ». C'est tout à fait exact.
Le sénateur Day : Il y a aussi l'expression « le partage du fardeau » que nous entendons souvent.
Vam Davidson : Il y a une infrastructure commune de l'OTAN, bien entendu, et des fonds sont disponibles pour financer les opérations.
Le sénateur Day : L'AWACS et ce genre d'initiatives. N'est-ce pas un problème que nous devons régler? N'est-ce pas un problème que nous devons corriger avant de renforcer le rôle que nous jouons au sein des Nations Unies?
Vam Davidson : Je suis désolé, de quel rôle parlez-vous?
Le sénateur Day : Un grand nombre de ces soldats ne sont que des mercenaires, à défaut d'un meilleur terme. Ils sont sur le terrain, et les pays les envoient pour l'argent qu'ils génèrent plutôt que d'assumer un rôle plus altruiste que nous aimerions voir dans n'importe quelle force de l'OTAN.
Vam Davidson : Je pense que le général Ferron a mis le doigt en plein sur le problème lorsqu'il a dit que peu importe l'opération, vous regardez à gauche, à droite et derrière vous pour savoir avec qui vous travaillez. La qualité des troupes variera. Vous aurez des soldats très solides, bien formés, responsables et respectueux des règles d'éthique, mais il est fort probable que ce ne soit pas toujours le cas.
L'engagement des Nations Unies à rehausser les normes en matière d'éthique et de rendement est louable, mais il faudra du temps pour y parvenir. L'engagement de notre gouvernement à aider les Nations Unies dans ces démarches est la bonne chose à faire, mais c'est la raison pour laquelle nous devons nous assurer de siéger aux comités appropriés et de participer aux bonnes initiatives afin de pouvoir contribuer à mettre en œuvre certains de ces changements.
[Français]
Le sénateur Carignan : Ma question s'adresse principalement à M. Ross. J'aimerais que vous nous indiquiez la principale problématique que vous avez rencontrée dans le cadre de vos fonctions quant aux conséquences de l'absence d'une politique en matière de défense nationale.
Est-ce que ce sont les changements d'orientation du gouvernement? Est-ce que ce sont les changements sur le plan des politiques? S'agissait-il des demandes qui provenaient des membres de l'armée? Est-ce que c'est la bureaucratie?
Pouvez-vous dresser le portrait du problème le plus important auquel vous avez fait face durant l'exercice de vos fonctions et nous indiquer la solution que nous pourrions envisager dans le cadre d'une politique en matière de défense?
M. Ross : Oui, sénateur, mais je vais répondre en anglais.
Le sénateur Carignan : Oui, bien sûr, allez-y.
[Traduction]
M. Ross : Je pense que le problème fondamental n'a pas changé d'un gouvernement à un autre ou en ce qui a trait aux politiques en matière de défense qui se sont succédé. Le problème fondamental a toujours été l'incertitude entourant le responsable et la gestion des 6 à 8 milliards de dollars annuellement. Environ 2 ou 3 milliards de dollars sont consacrés aux nouvelles initiatives et entre 2,5 et 3 milliards de dollars par année sont versés pour l'équipement dont vous avez déjà fait l'acquisition, ce que nous appelons l'approvisionnement.
La Loi sur la production de défense, qui a été créée peu après la Seconde Guerre mondiale, a conféré le pouvoir à un ministère de faire l'acquisition de matériel de défense tel que des chars d'assaut, des avions et des navires pour équiper les Forces armées canadiennes. Il y a un ministre de la Production de défense. Le pouvoir a été confié au ministre de la Défense, puis au ministre des Approvisionnements et Services Canada et ensuite au ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux. Ce pouvoir est maintenant entre les mains du ministre des Services publics et de l'Approvisionnement, même si la loi n'a pas changé. Elle confère un pouvoir de passation de marchés.
Les affaires sont donc gérées et le ministère de la Défense nationale est entièrement responsable de tous les résultats, mais il ne gère pas la principale activité, qui est la capacité de conclure un contrat. Prenons l'exemple du navire de patrouille extracôtier de l'Arctique. Environ 45 militaires et civils du MDN travaillent à ce projet, ainsi que deux agents d'approvisionnement de Travaux publics. L'ensemble du programme est élaboré par les deux agents de Travaux publics et leur chaîne de commandement. Donc, toutes les décisions sont prises par des comités interministériels composés de directeurs généraux, de sous-ministres adjoints, de sous-ministre et, occasionnellement, de ministres.
Par exemple, durant l'étape de la conception, il a été décidé ici que toutes les tâches dans le cadre de la conception des navires de patrouille feraient l'objet d'un examen indépendant mené par des consultants — toutes les tâches. Donc, tous les six mois, nous demandions, « Cette tâche est-elle raisonnable et le coût est-il raisonnable? », et nos directeurs financiers confirmaient le coût de la tâche.
Les années passent. Le pouvoir d'achat diminue. Le programme n'offre plus d'avantage. C'est presque catastrophique pour le ministère et les Forces armées canadiennes. C'est un exemple de la gestion excessive et des chevauchements redondants que l'on voit chaque jour. La vie d'un gestionnaire de projet est extrêmement frustrante. Après trois ans à travailler sur un projet, il peut n'avoir fait aucun progrès. Habituellement, un gestionnaire de projet dira qu'il faut sept ans pour terminer les analyses des options de base.
[Français]
Le sénateur Carignan : Je suis satisfait de votre réponse, parce que, au départ, je voulais formuler ma question ainsi : « Quelle est votre plus grande frustration? » J'ai réussi à avoir la réponse, mais en vous posant la question différemment.
M. Ross : Ce sont les enjeux et les processus.
[Traduction]
La sénatrice Raine : J'allais poser une question semblable. Lorsque nous regardons le budget global pour la Défense nationale au Canada, il est assez important, même s'il n'est peut-être pas aussi élevé que dans certains pays. Mais de toute évidence, nous gaspillons beaucoup d'argent sur une partie de l'approvisionnement de quelques gros articles. Pouvez-vous deviner combien d'argent nous perdons dans ce processus, le pourcentage? C'est très préoccupant.
Mme Ross : C'est une excellente question. J'ai 60 étudiants qui suivent des cours de gestion de projets complexes avec moi et bon nombre d'entre eux sont des gestionnaires de projet actifs. Par exemple, j'ai un gestionnaire de projet qui a consacré plus de temps à travailler sur le processus au cours des cinq dernières années qu'il en consacrera à l'achat de l'équipement. Lorsqu'on pense à cela, aux coûts des retards d'exécution et aux coûts du processus, on parle en termes de dizaines ou de centaines de millions de dollars par année. Tous les membres du personnel de la gestion de ces projets sont rémunérés. L'immeuble est chauffé. Il y a de l'éclairage. Des procès, des voyages et des conférences ont lieu, mais les membres du personnel ne peuvent pas aller de l'avant.
La sénatrice Raine : C'est excellent pour l'économie d'Ottawa, mais, en tant que contribuable qui ne vit pas à Ottawa, c'est quelque chose que nous devrions examiner étant donné que nous allons de l'avant avec une nouvelle stratégie de défense. La perfection est l'ennemi du progrès. Si on met sur pied un système où l'on peut prendre n'importe quel risque ou dans le cadre duquel on sera vilipendé si l'on ne respecte pas ses promesses à la lettre, alors je ne vois pas comment on peut se sortir de cette impasse.
Mme Ross : Nous avons la structure de gouvernance la plus inefficace à l'OTAN, sans compter les très petits pays qui participent aux partenariats pour la paix. Nos alliés et mes homologues directeurs d'armées nationales m'ont dit, « Vous faites quoi? » Ils maîtrisent le processus de passation des marchés. Ils ont un ministre qui est responsable de fournir cette nouvelle catégorie de navires.
La sénatrice Raine : Y a-t-il un pays dont nous pourrions examiner les pratiques exemplaires?
Mme Ross : Je pense que l'Australie et le Royaume-Uni ont tous les deux des modèles assez efficaces. Celui des États-Unis est très compliqué. Mon homologue, qui était le secrétaire adjoint à l'Accès des technologies et à la Logistique, assumait un rôle assez global. L'armée, la marine et les forces aériennes aux États-Unis s'occupent de leur propre approvisionnement, mais ils le font au sein du département de la Défense des États-Unis. Les Britanniques et les Australiens ont des processus d'approvisionnement assez efficaces au sein de leur ministère de la Défense.
Les Australiens avaient une organisation du matériel de défense distincte pendant environ huit ans, et ils viennent juste de la réintégrer à leur ministère de la Défense, car ils trouvaient qu'ils s'étaient trop éloignés du personnel chargé des besoins opérationnels. Ils ont rapproché les deux entités et ont un seul PDG responsable.
La sénatrice Raine : C'est très intéressant. Je pense que nous devrions examiner ce que l'Australie fait, car c'est un pays qui a plus évolué que le Canada. La taille de notre armée est-elle assez semblable à celle de l'Australie?
Mme Ross : Non, la taille de notre armée est plus grande, mais les Australiens dépensent presque le double que nous pour la défense. C'est presque le double. Ils mènent des programmes d'équipement importants et coûteux.
La sénatrice Raine : Nous devrions peut-être examiner ce qu'ils font alors.
La sénatrice Beyak : Je suis d'accord avec la sénatrice Raine.
Vos exposés étaient très détaillés et instructifs. Vous avez dit que vous devez répéter ce que vous dites 17 fois en ce qui concerne les communications et la publicité, et on nous l'a signalé assez souvent cet après-midi que j'espère que notre comité sénatorial pourra rédiger un rapport qui montrera le gaspillage, les fonds supplémentaires qui sont requis et les secteurs sur lesquels nous pourrions nous concentrer.
J'ai posé la question suivante à tous les autres groupes de témoins : entre l'OTAN et les Nations Unies, avez-vous une idée des secteurs qui devraient être prioritaires? Pouvons-nous faire partie des deux, ou y en a-t-il un plus important que l'autre? Vous avez couvert la majorité de ces questions dans vos déclarations, mais avez-vous un dernier mot à dire?
Vam Davidson : Comme j'ai un intérêt direct en raison de ma carrière antérieure à l'OTAN, ce n'est pas une question d'établir si l'un est plus important que l'autre. C'est clairement pour le Canada — nous sommes un pays allié. Nous avons des obligations dans le cadre de l'alliance et des obligations de défense mutuelle, nous avons un engagement envers l'OTAN et nous sommes un membre fondateur de l'OTAN, qui a beaucoup à offrir. Elle a ses imperfections et ses inefficacités, mais c'est un groupe dont nous ne pouvons pas nous permettre de ne pas faire partie.
Nous nous engageons maintenant à nouveau auprès des Nations Unies, et je crois que c'est également important.
Ce n'est pas l'un ou l'autre. Nous avons besoin des deux.
Maj.-gén. Ferron : J'adopterais une approche très similaire. C'est une question d'interopérabilité, et nous ne pouvons pas nous permettre de ne pas être interopérables. Dans mes remarques liminaires, je n'ai pas seulement parlé de l'équipement; l'interopérabilité doit faire partie intégrante du processus de réflexion et de la formation. Nous ne pouvons pas choisir l'un au détriment de l'autre.
Au cours de ma carrière, j'ai travaillé aux Nations Unies et à l'OTAN. Pour être honnête, notre participation au sein de l'OTAN est une priorité, car c'est surtout sur cette organisation que nous avons mis l'accent de mon vivant, de la guerre froide jusqu'au conflit dans les Balkans, en passant par l'Afghanistan et qui sait où nous serons ensuite.
Je pense que nous ne pouvons pas faire un choix. Nous devons faire partie de l'équipe.
M. Ross : J'ai été conseiller adjoint sur la politique étrangère pendant trois ans et, à mon avis, nous ne pouvons pas choisir. Quand nous sommes un pays membre du G7 et du club des gros joueurs, lorsque le premier ministre du Royaume-Uni, le premier ministre de l'Australie ou le président américain nous demande d'intervenir, il faut faire quelque chose. Nous ne sommes pas obligés de faire ce qu'on nous demande le jour même, mais ne rien faire n'est pas une option lorsque nous faisons partie du club.
Le sénateur Day : L'interopérabilité avec les autres membres participants des Nations Unies n'est peut-être pas l'interopérabilité avec les 28 pays membres de l'OTAN. Craignez-vous qu'il y ait deux types d'interopérabilité?
Maj.-gén. Ferron : C'est une excellente question. Que ce soit dans le cadre de l'OTAN-ONU ou de l'ONU-OTAN, vous verrez les défis liés à l'interopérabilité partout. Ma petite analogie portait sur la gauche et la droite : lorsqu'on veut appliquer quelque chose à l'échelle nationale, c'est du travail. Il est souvent arrivé que je me retrouve dans un théâtre opérationnel et que je me rende compte que nos procédures habituelles n'étaient pas interopérables. Cela n'avait rien à voir avec l'équipement ou la technologie; c'était plutôt lié à la façon dont les soldats réagissaient.
C'est un travail ardu, et nous devons continuer à être cohérents. L'interopérabilité est parfois négligée, mais elle est tout à fait essentielle à la réussite de toutes nos démarches.
Le président : Le temps a filé. J'aimerais remercier les témoins d'avoir pris le temps de venir comparaître. Nous vous sommes reconnaissants de vos témoignages. Nous en tiendrons compte.
J'aimerais remercier les membres de notre personnel qui ont été ici toute la journée. La journée a été longue. Je tiens à leur dire que nous leur sommes reconnaissants du temps et des efforts qu'ils ont consacrés.
Chers collègues, nous allons lever la séance, mais je tiens à vous signaler que nous tiendrons fort probablement une autre réunion du Comité plus tard cette semaine. Vous en serez avisés, le cas échéant.
(Le comité s'ajourne.)