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SECD - Comité permanent

Sécurité nationale, défense et anciens combattants

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent de la
Sécurité nationale et de la défense

Fascicule no 7 - Témoignages du 20 septembre 2016


OTTAWA, le mardi 20 septembre 2016

Le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense se réunit aujourd'hui, à 10 heures, pour étudier les questions relatives à l'Examen de la politique de défense entrepris actuellement par le gouvernement.

Le sénateur Daniel Lang (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bienvenue à cette rencontre du Comité sénatorial permanent de la défense et de la sécurité nationale en ce mardi 20 septembre 2016. Avant de commencer, permettez-moi de vous présenter les personnes assises autour de cette table. Je m'appelle Dan Lang et je suis sénateur pour le Yukon. À ma gauche se trouve le greffier du comité, Adam Thompson. Je vais maintenant inviter chaque sénateur à se présenter et à indiquer la région qu'il représente, à commencer par la vice-présidente.

La sénatrice Jaffer : Mobina Jaffer, Colombie-Britannique.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Mon nom est Jean-Guy Dagenais. Je viens de la province de Québec.

[Traduction]

Le sénateur Meredith : Don Meredith, Ontario.

Le sénateur Day : Joseph Day, Nouveau-Brunswick.

La sénatrice Beyak : Lynn Beyak, Ontario. Bienvenue.

Le président : Merci, chers collègues. Notre réunion durera six heures afin que nous examinions les questions relatives à l'examen de la politique de défense qui a été amorcé par le gouvernement. Le 21 avril 2016, le Sénat a autorisé notre comité à étudier, en vue d'en faire le rapport, les questions relatives à l'Examen de la politique de défense que le gouvernement est en train d'effectuer. Nous envisageons tous les aspects associés à la participation possible du Canada à de futures opérations de soutien de paix de l'ONU, de même que toutes les autres questions liées à cet examen.

Pour notre premier groupe de témoins, nous accueillerons des fonctionnaires qui ont, de façon indépendante, examiné les Forces armées canadiennes, je veux plus précisément parler de Michael Ferguson, vérificateur général du Canada, et de Gordon Stock, directeur principal chargé des questions de défense au Bureau du vérificateur général du Canada. Ils sont accompagnés de l'ombudsman du ministère de la Défense nationale et des Forces canadiennes, Gary Walbourne.

Avant d'inviter le vérificateur général à nous livrer ses remarques, pour notre bénéfice et pour celui des téléspectateurs, permettez-moi de vous lire un extrait du rapport concernant les réserves de l'armée canadienne, daté du 3 mai 2016. Voici ce que disait le vérificateur général à l'époque :

5.120 Nous avons conclu que même si les unités de la Réserve de l'Armée avaient reçu des directives claires sur les missions au Canada, l'Armée canadienne n'avait pas exigé qu'elles confirment officiellement qu'elles étaient préparées en vue d'un déploiement dans le cadre de missions au pays. Par ailleurs, les unités et les groupes de la Réserve de l'Armée n'ont pas toujours eu accès à l'équipement militaire dont ils avaient besoin. De plus, les unités de la Réserve n'ont pas eu de directives claires en vue de leur préparation pour des missions internationales; l'instruction qu'elles ont reçue en tant qu'équipes soudées était de niveau réduit; et l'instruction des soldats de la Réserve de l'Armée n'a pas été entièrement intégrée à celle de la Force régulière.

5.121 Nous avons conclu que la Réserve de l'Armée ne disposait pas du nombre de soldats dont elle avait besoin ni de toute l'information requise pour déterminer s'ils étaient prêts en vue d'un déploiement éventuel. Le nombre de soldats de la Réserve de l'Armée n'a cessé de diminuer parce que la Réserve n'arrive pas à recruter et à maintenir en poste les soldats dont elle a besoin. De plus, le budget alloué à la Réserve n'a pas été conçu pour financer entièrement l'instruction et les autres activités des unités.

5.122 Nous avons conclu que les soldats de la Réserve de l'Armée suivaient un entraînement physique moins poussé et ne recevaient pas l'instruction nécessaire pour acquérir le même nombre de compétences que les soldats de la Force régulière. Nous avons constaté que certains soldats de la Réserve de l'Armée n'avaient pas acquis les compétences qui leur manquaient avant d'être déployés.

Il s'agit là de problèmes graves et nous allons chercher à découvrir s'ils ont été réglés.

Messieurs, bienvenue au comité. Nous sommes conscients que vous avez tous deux fait preuve de diligence pour mettre au jour et régler de graves problèmes au sein de la Défense nationale, des problèmes qui ont une incidence sur nos militaires, dans leur vie quotidienne. Nous avons hâte de vous entendre.

J'invite M. Walbourne à débuter, et il sera suivi par M. Ferguson.

Gary Walbourne, ombudsman, Bureau de l'ombudsman du ministère de la Défense nationale et des Forces canadiennes : Merci, monsieur le président, et bonjour à vous toutes et à vous tous.

Comme la plupart d'entre vous le savent, j'ai pour mandat, à titre d'ombudsman des Forces armées canadiennes et de la Défense nationale, d'enquêter à la suite de plaintes et d'agir comme tierce partie neutre sur des sujets liés au ministère et aux Forces armées canadiennes. L'ombudsman est indépendant de la chaîne de commandement militaire et des dirigeants civils et relève directement du ministre de la Défense nationale.

Je comprends que votre comité traite d'une grande variété de sujets, des opérations aux politiques stratégiques, et au-delà. Je ne suis pas ici pour parler d'armes de guerre ou de lieux d'opération. Je suis ici pour discuter des gens que nous envoyons en mission — qui constituent notre ressource la plus précieuse.

Le personnel militaire de partout au pays nous a fait part de ses préoccupations concernant un certain nombre d'enjeux cruciaux liés au service, du recrutement jusqu'à la retraite. De plus, on nous a mentionné des problèmes particuliers touchant les cadets, les Rangers canadiens, les réservistes, les employés civils et les familles. À partir de ces rencontres, nous produisons des rapports contenant des recommandations fondées sur des données probantes, et non des suggestions. Ces recommandations visent à résoudre certains des problèmes systémiques durables auxquels font face les membres des FAC. Dans nos rapports, nous recommandons des mesures qui, si elles étaient mises en place, changeraient véritablement les choses pour les membres en uniforme.

Depuis la création du Bureau de l'ombudsman, en 1998, nos travaux fondés sur des faits ont servi et peuvent encore servir de référence aux gouvernements successifs pour instaurer de vrais changements.

Je crois que le gouvernement a la possibilité de réparer un système dans lequel, trop souvent, les plus vulnérables passent entre les mailles du filet. Si on combine nos rapports et ceux qu'ont produits les FAC, les ministres successifs ont suffisamment de preuves de la nécessité d'apporter des changements significatifs dans des secteurs clés. Avec cette mer d'études réalisées, j'attends toujours de voir quelqu'un plonger et commencer à prendre les décisions qui s'imposent. Le concept de l'étude commandée pour étudier les résultats d'une étude antérieure ne passera plus l'examen du public. Certaines des décisions requises pourraient s'avérer impopulaires, certaines pourraient être politiquement difficiles, mais il s'agit de prendre les bonnes décisions pour les hommes et les femmes qui servent ou ont servi notre pays. Un trop grand nombre de leurs plaintes sont évitables.

Je vais vous donner quelques exemples.

Les événements tragiques des 20 et 22 octobre 2014, à Saint-Jean-sur-Richelieu et au Monument commémoratif de guerre du Canada, qui ont entraîné la mort tragique de l'adjudant Patrice Vincent et du caporal Nathan Cirillo, ont soulevé des questions importantes concernant le soutien offert aux familles de nos militaires tombés au combat. Peu après que le caporal Cirillo, un réserviste, a été abattu au Monument commémoratif de guerre, il est apparu que les prestations de décès auxquelles sa famille aurait droit étaient beaucoup moins élevées que dans le cas d'un membre de la Force régulière qui connaîtrait un destin tragique similaire. Vu que l'adjudant Vincent, un membre de la Force régulière, est décédé seulement deux jours plus tôt, le contraste a sauté aux yeux du public. Étant donné l'attention médiatique et publique importante entourant ces événements, le gouvernement a accepté d'offrir la parité en matière d'avantages, uniquement pour cet incident.

Cependant, qu'en est-il des réservistes qui sont blessés ou tués pendant qu'ils servaient le Canada, par exemple, lors d'un entraînement? Peu a été accompli jusqu'à présent, et ce, malgré les efforts soutenus de mon bureau pour apporter les preuves démontrant qu'il faut apporter des changements significatifs en matière de parité des avantages. J'ai toujours maintenu qu'un soldat est un soldat, un aviateur est un aviateur et un marin est un marin. Une fois qu'on enfile l'uniforme, on est au service du Canada. Si on est blessé pendant qu'on porte l'uniforme — au service du Canada —, le traitement reçu devrait être le même pour tous.

Hier, nous avons publié les premières cartes visuelles décrivant le processus à suivre pour les réservistes et les membres de la Force régulière qui sont libérés pour cause médicale. Elles ont été élaborées en collaboration avec le Bureau de l'ombudsman des vétérans. Ces cartes démontrent non seulement la complexité du processus, mais aussi les différentes étapes à suivre, selon qu'on fait partie de la Réserve ou de la Force régulière. Un processus harmonisé est de toute évidence requis. La transition doit se faire sans embûches.

En ce qui concerne la transition, je crois que les processus des Forces armées canadiennes et d'Anciens Combattants Canada sont fondamentalement déconnectés, ce qui oblige les membres libérés à gérer leur départ avec un ministère avant de passer à l'autre. Une grande partie du problème réside dans la détermination de l'attribution au service et au modèle actuel de prestation des services.

La semaine dernière, j'ai publié un rapport que j'avais présenté au ministre de la Défense nationale en juin dernier, dans lequel je recommande que les Forces armées canadiennes soient chargées de déterminer si une maladie ou une blessure a été causée ou aggravée par le service militaire, et que cette détermination soit considérée comme suffisante par Anciens Combattants Canada pour justifier une demande d'avantages.

Quand il approuve les demandes en vertu de la Nouvelle Charte des anciens combattants, Anciens Combattants Canada, en tant qu'administrateur, tient principalement compte des preuves documentaires produites par les Forces armées canadiennes. Les dossiers médicaux du demandeur, et peut-être d'autres dossiers liés à sa carrière, constituent le gros de la preuve.

Il convient donc de se demander pourquoi ACC met en œuvre un long processus administratif pour examiner des dossiers préparés par les Forces armées canadiennes, quand ces dernières pourraient déterminer si l'état d'un militaire libéré pour cause médicale est oui ou non attribuable au service militaire, ou s'il a été aggravé par celui-ci. Étant donné que les FAC ont le contrôle sur la carrière du militaire et la responsabilité à l'égard de sa situation médicale tout au long de celle-ci, une telle décision pourrait et devrait être considérée comme une preuve à l'appui de la demande d'avantages du militaire auprès d'ACC.

Je suis d'avis que si ma recommandation de laisser les FAC déterminer l'attribution au service, conjointement avec un changement au modèle de prestation des services, était mise en place, on pourrait raccourcir les délais d'attente de 50 p. 100 ou plus, par rapport à la norme de 16 semaines actuellement en vigueur à ACC — laquelle, soit dit en passant, ne comprend pas les 3 semaines requises pour qu'ACC obtienne les dossiers médicaux auprès des FAC, ni le temps qu'il faut au militaire pour regrouper et soumettre les documents pertinents.

Vous pensez peut-être aussi que l'élaboration d'un nouveau modèle de prestation de services nécessiterait des études poussées étalées sur plusieurs mois, voire des années. La semaine prochaine, je publierai un rapport que j'ai soumis au ministre de la Défense nationale en août dernier et dans lequel je présente un possible nouveau modèle de prestation de services. Ce que je propose au ministre dans ce rapport — en partant de l'hypothèse qu'aucune modification aux lois n'est nécessaire et que les Forces armées canadiennes détermineront si une maladie ou blessure a été causée ou aggravée par le service militaire — est relativement simple. Voici mes recommandations : que les FAC gardent dans leurs rangs les militaires en voie d'être libérés pour causes médicales jusqu'à ce que tous les avantages, peu importe la source, aient été finalisés et mis en place. Qu'on établisse un point de contact unique pour aider dans leur transition tous les militaires libérés pour causes médicales. Que nous développions un outil capable de fournir aux militaires l'information dont ils ont besoin pour comprendre la gamme d'avantages auxquels ils pourraient avoir droit.

Tout cela sera décrit en détail dans le rapport à venir au cours des prochaines semaines. Je m'assurerai de faire parvenir des exemplaires à votre comité.

Voilà trois recommandations solides, fondées sur des données probantes et axées sur les militaires qui, mesdames et messieurs, pourraient selon moi changer les choses.

Chers sénateurs, ma plus grande crainte est que ces recommandations soient mises de côté pour les mauvaises raisons. Les personnes qui occupent des postes de direction vont peut-être dire aux décideurs et aux législateurs tels que vous que cela ne peut pas être fait — qu'il faudrait embaucher trop de nouveaux employés, apporter trop de changements législatifs ou injecter des millions de dollars dans le système. Je vous assure que ce n'est pas le cas. En fait, mon bureau a déterminé que ces changements auraient un coût financier très bas, en même temps qu'ils profiteraient très rapidement aux militaires et à leurs familles. Si le système est trop complexe, c'est parce que nous l'avons créé ainsi, et nous pouvons renverser la situation. Tout ce qu'il faut, c'est la volonté d'agir.

Comme nous le savons grâce aux lettres de mandat rendues publiques, le premier ministre a demandé au ministre des Anciens Combattants et au ministre de la Défense nationale de réduire la complexité, de faire une refonte de la prestation des services et de renforcer le partenariat entre les deux ministères.

[Français]

Le sénateur Carignan : Monsieur le président, le témoin parle extrêmement rapidement en anglais. Je compatis avec notre pauvre interprète. J'ai l'impression d'écouter une machine enregistreuse sur le format accéléré. C'est complètement incompréhensible.

[Traduction]

Le président : Monsieur Walbourne, pourriez-vous ralentir un peu? Je me rends bien compte que vous essayez de respecter le temps alloué. Je vous en prie, poursuivez.

M. Walbourne : Je vais ralentir. Excusez-moi.

Les deux ministres ainsi que le chef d'état-major de la Défense ont publiquement reconnu que le système doit être revu. Le temps n'est plus aux études, mais à l'action.

Comme je l'ai dit précédemment, une tonne de rapports et d'études ont été produits au fil des ans par des comités parlementaires, mon bureau et le Bureau de l'ombudsman des vétérans, en plus des rapports et études internes commandés par ACC et les FAC. On y trouve des recommandations très valables pour réparer le système. Bon nombre de ces recommandations ont été acceptées par les personnes ayant le pouvoir de changer les choses. Toutefois, nous avons appris que l'acceptation ne se traduit pas toujours par l'action.

Dans le cadre de l'Examen de la politique de défense, j'ai présenté un mémoire exhaustif, fondé sur des données probantes, au ministre de la Défense nationale, dans lequel je soulève plusieurs problèmes auxquels font face les membres de la communauté de la défense partout au pays. Tous les enjeux soulevés dans ce document concernent l'aspect humain de la défense, et uniquement l'aspect humain. Chaque enjeu a un impact sur la qualité de vie au sein de la communauté de la défense. J'espère sincèrement qu'on accorde une grande attention à ces données quand vient le temps de prendre des décisions.

Dans mon mémoire au ministre, j'ai délibérément évité de recommander la tenue d'études ou d'examens. Comme je l'ai déjà mentionné, nous n'en avons pas besoin. Tout a déjà été fait. Nous avons maintenant besoin de dirigeants ayant la volonté de construire un système centré sur les militaires et équitable pour tous. Peu importe notre position ou nos allégeances au pays ou à l'étranger, le soutien convenable de notre force militaire — y compris les familles et la prochaine génération de dirigeants — sera un facteur déterminant de notre succès. Nos gens devraient être notre priorité absolue, notre réelle mission « qui ne doit pas échouer ».

Merci, monsieur le président. Je suis prêt à répondre aux questions.

Le président : Merci, monsieur Walbourne.

Monsieur Ferguson, je vous en prie, allez-y.

[Français]

Michael Ferguson, vérificateur général du Canada, Bureau du vérificateur général du Canada : Monsieur le président, je vous remercie de nous donner l'occasion de discuter avec vous de notre rapport du printemps 2016 sur la Réserve de l'armée canadienne. Je suis accompagné de Gordon Stock, directeur principal chargé de cet audit.

Lors de notre audit, nous avons examiné si les membres de la Réserve de l'armée étaient prêts à être déployés dans le cadre de missions nationales ou internationales. Nous avons conclu que les troupes de la Réserve ne cessaient de décroître et qu'en raison de lacunes dans leur entraînement, les réservistes n'étaient pas pleinement préparés pour participer à toutes les missions.

L'armée canadienne a besoin de sa réserve pour remplir les missions qui lui sont confiées. La Réserve de l'armée fournit près de la moitié des 40 000 soldats de l'armée canadienne. Lors des missions internationales d'importance, l'armée canadienne s'attend à ce que les unités de la Réserve de l'armée fournissent jusqu'à 20 p. 100 des soldats déployés.

[Traduction]

Cependant, nous avons constaté que l'instruction de la Réserve n'était pas entièrement intégrée à celle des unités de la Force régulière. Même si la Réserve avait des directives claires sur la préparation aux missions au Canada, les unités n'ont pas reçu des directives aussi précises sur la manière de préparer leurs soldats en vue de participer à des missions internationales. Nous avons aussi observé que les soldats de la Réserve n'avaient pas toujours eu accès aux équipements requis pour s'entraîner et se déployer.

Les unités de la Réserve de l'armée doivent assurer l'instruction de leurs propres soldats. Cependant, nous avons constaté que la Réserve de l'armée ne disposait pas du nombre de soldats dont elle avait besoin. Par exemple, 12 des 123 unités de la Réserve avaient moins de la moitié des soldats nécessaires pour atteindre leur taille idéale.

Même si l'armée canadienne a financé 21 000 postes de réservistes, seulement 14 000 réservistes étaient présents et formés. En 2015, lorsque les unités de la Réserve de l'armée se sont réunies pour leurs exercices annuels d'entraînement collectif de grande envergure partout au pays, seulement environ 3 600 soldats y étaient.

La Défense nationale sait que son système actuel de recrutement des réservistes ne fonctionne pas et qu'elle doit prendre des mesures pour améliorer le maintien en poste des effectifs. Elle s'est donné comme objectif de recruter 950 réservistes de plus d'ici 2019. Toutefois, nous sommes d'avis qu'il sera difficile d'atteindre cet objectif vu que le nombre de soldats de la Réserve de l'armée avait diminué de quelque 1 000 soldats par année durant les trois années de notre audit.

Plus tôt cette année, la Défense nationale a confirmé que cette tendance s'est poursuivie. Au 15 mai 2016, on comptait 1 000 réservistes présents et formés de moins, soit 13 181 réservistes en tout.

[Français]

Il est essentiel que la Défense nationale sache si ses soldats sont qualifiés et prêts à être déployés. Toutefois, selon le système qui enregistre cette information, un fort pourcentage des réservistes ne possédait pas les qualifications nécessaires. La Défense nationale nous a indiqué que l'information contenue dans ce système n'était pas fiable.

La Loi sur la défense nationale précise que les membres de la réserve doivent principalement servir leur pays à temps partiel lorsqu'ils ne sont pas déployés. La Défense nationale a, cependant, dans les faits, créé une classe de réservistes qui sont en service continu et à plein temps.

Au cours de l'exercice 2014-2015, l'armée canadienne a consacré à ces contrats de service à temps plein environ 20 p. 100 de l'ensemble du budget de la réserve lié à la rémunération et aux dépenses opérationnelles, ce qui réduit le budget disponible pour les autres activités de la Réserve de l'armée.

L'armée canadienne alloue des fonds aux activités des unités de la réserve, notamment aux activités d'instruction. Le modèle de financement ne concorde cependant pas avec les résultats escomptés. Au cours de l'exercice 2014-2015, la Défense nationale a réaffecté des fonds tirés du budget consacré à la Réserve pour d'autres activités.

[Traduction]

Dans notre audit, nous avons constaté que même si le programme d'instruction individuelle avait été conçu pour que les soldats de la Réserve et ceux de l'armée régulière puissent tous acquérir le même niveau de maîtrise d'une compétence en particulier, les cours destinés aux réservistes étaient conçus de manière à ce que ces derniers acquièrent beaucoup moins de compétences que les soldats de l'armée régulière. Nous avons constaté que cet écart dans les compétences n'était pas toujours comblé lors de l'instruction préalable au déploiement que doivent suivre les soldats de la Réserve de l'armée. Par exemple, lorsque des soldats des Forces canadiennes ont commencé à se déployer pour appuyer la défense collective de l'OTAN en Europe de l'Est, il subsistait un écart entre la formation visant le maniement des armes qui était offerte aux soldats de la Réserve et celle offerte aux soldats de la Force régulière.

Nous avons formulé 13 recommandations dans notre rapport d'audit. La Défense nationale a répondu qu'elle se penchera sur chacune des recommandations, et elle a récemment établi un plan d'action détaillé sur la manière dont elle compte donner suite à chacune des recommandations.

Monsieur le président, je termine ainsi ma déclaration d'ouverture. Nous serons heureux de répondre aux questions des membres du comité.

Le président : Merci beaucoup. Je tiens à vous remercier pour le travail que vous avez tous deux effectué en préparation de vos exposés.

Je commencerai par le sénateur Dagenais qui sera suivi par la sénatrice Jaffer.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Merci beaucoup, monsieur le président. Je remercie nos trois témoins d'être venus nous rencontrer.

Ma première question s'adresse à M. Ferguson. On sait que l'armée est appelée à intervenir dans différents théâtres d'opérations. Au cours des 10 prochaines années, comment envisagez-vous les budgets qui devront être alloués à l'armée pour lui permettre de mener ses opérations à bien?

M. Ferguson : L'audit porte sur les activités de la Réserve de l'armée. Bien sûr, nous avons repéré des problèmes dans la façon dont le ministère accorde des fonds à la Réserve. Cependant, nous ne pouvons pas vraiment dire comment le ministère devrait allouer le budget; c'est une question qui devrait être adressée au ministère.

Nous avons cerné quelques problèmes et nous avons fait une recommandation au ministère en lui expliquant l'importance de l'allocation du budget à la Réserve.

Le sénateur Dagenais : Corrigez-moi si je me trompe, monsieur Ferguson, mais j'ai l'impression actuellement que le bras politique prend des engagements dont le financement est insuffisant ou inexistant. À long terme, n'entrevoyez-vous pas un déficit de financement et, si tel est le cas, quelles en seraient les conséquences pour l'armée?

[Traduction]

M. Ferguson : Monsieur le président, s'agissant de la Réserve de l'armée, qui nous intéresse plus particulièrement, un budget lui avait été alloué. Cependant, une partie de ce budget a été reversée aux Forces canadiennes régulières. Je crois qu'on parle de 166 millions de dollars qui ont été rétrocédés aux Forces canadiennes par la Réserve, au titre du paiement pour sa part des infrastructures. Le calcul n'était, cependant, fondé que sur les effectifs de la Réserve et non pas sur le degré d'utilisation des installations par celles-ci, et cela par rapport à l'utilisation par les Forces régulières.

Nous avons remarqué qu'un certain nombre de militaires de la Réserve ne bénéficiaient pas du nombre de jours d'instruction prévus. Nous en avons donc conclu, à la façon dont le budget était alloué, que les réserves n'avaient sans doute pas suffisamment de fonds pour assurer toute l'instruction nécessaire et faire tout ce que l'on attendait d'elles.

En revanche, je ne peux pas vraiment vous parler de l'incidence directe de ce genre de choses ni s'il y a eu un déficit ou un autre problème. Il est évidemment très important que les Forces canadiennes déterminent ce qu'elles attendent de leurs réserves, qu'elles veillent à ce que celles-ci disposent du matériel nécessaire pour assurer leur mission et qu'elles aient suffisamment de fonds pour réaliser ces missions. Vous ne pouvez pas confier un mandat à une organisation et vous attendre à ce qu'elle le réalise si vous ne lui donnez pas suffisamment d'argent pour y parvenir.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Avec votre permission, monsieur le président, j'aurais une question à poser à M. Walbourne.

Selon vous, monsieur Walbourne, dans quels trois secteurs recommanderiez-vous une intervention rapide pour que nos militaires soient mieux soutenus et pour améliorer leur efficacité dans le cadre des missions qui leur sont confiées à l'heure actuelle?

[Traduction]

M. Walbourne : Je ne sais si je pourrais vous donner trois exemples précis, mais si vous souhaitez en rester sur les réserves, je pense qu'il y a une occasion. En 2014, nous avons publié un rapport conjointement avec le bureau du médecin général pour traiter des questions des évaluations périodiques de la santé au sein des réserves. Nous savons qu'il n'y a pas de dossiers d'évaluations périodiques de la santé pour environ un tiers des réservistes. Cela nous ramène à la question fondamentale de savoir si les réservistes sont effectivement prêts et aptes, comme M. Ferguson l'a dit. Personnellement, j'estime qu'afin de régler tous ces problèmes, il faut envisager d'accroître les effectifs des réserves. D'où ma question : comment va-t-on augmenter les effectifs des réserves tout en donnant le genre de soins et d'avantages divers dont les réservistes ont besoin? C'est quelque chose qui me préoccupe.

Nous avons entamé un examen systématique du personnel en attente d'entraînement, à l'époque où nous étions encore en Afghanistan, et nous avons finalement renoncé à ce rapport à cause du rythme opérationnel du ministère. Cependant, cette question nous intéresse de nouveau. Il y a deux ou trois aspects sur lesquels j'aimerais me pencher très rapidement.

Il y a, par ailleurs, lieu de discuter du passage des réservistes à la vie civile et de la façon de les accompagner dans leur progression, ce dont nous avons beaucoup entendu parler dans les médias. J'estime qu'il y a lieu de faire davantage à cet égard. Nous devons montrer que nous prenons soin de nos gens.

Le président : Chers collègues, je veux revenir sur la question du financement qui a été soumise au vérificateur général. Je sais, monsieur, que vous avez consacré votre dernier rapport aux réservistes, mais dans les années passées, vous êtes également intéressé à d'autres volets de la vie militaire, qu'il s'agisse du F-35 ou d'autres aspects. Vous avez donc acquis une certaine compréhension de ce dossier et M. Stock plus que n'importe qui d'autre, j'en suis sûr.

Au comité, nous voulons savoir si la situation financière globale de l'armée est adéquate pour que celle-ci puisse répondre aux objectifs qui lui sont fixés. Je vais parler plus particulièrement de votre rapport sur les réserves.

Il est question de maintenir un effectif permanent de 21 000 réservistes, ce qui signifie qu'il faut payer ces gens-là et assumer tous les coûts connexes. Dans votre rapport, il est indiqué que 14 000 militaires seulement sont pris en compte dans le cadre des réserves. Cependant, nous ne parvenons même pas à répondre aux besoins de ces 14 000 soldats, à leur apporter tout ce dont ils ont besoin, qu'il s'agisse de matériel ou autre, pour qu'ils puissent faire ce qu'on attend d'eux, comme suivre des formations.

Ma question, que j'adresse au vérificateur général, est la suivante : si nous avions un effectif complet de 21 000 réservistes, disposerait-on des budgets nécessaires pour leur permettre de réaliser les objectifs que nous leur fixerions? Le gouvernement devrait-il faire quoi que ce soit à cet égard?

M. Ferguson : Je pense que vous avez fort bien décrit la situation, étant donné que l'effectif actuel est nettement inférieur à 21 000. Comme nous l'avons indiqué dans notre rapport, le budget des réserves, pour 21 000 soldats, a été fondé sur quelque 37 jours d'instruction pour chaque membre de la Réserve. Au final, les réservistes qui suivent tout l'entraînement prévu sont sans doute correctement formés, mais en quelque 47 jours, soit 10 de plus que le nombre prévu au budget.

Un grand nombre de réservistes ne terminent pas leur entraînement. Ils n'en font que la moitié ou à peu près. Cela signifie que ceux qui ont suivi toute l'instruction et qui ont accès à l'équipement nécessaire, ont été raisonnablement bien formés. Cependant, une fois qu'ils sont déployés et intégrés dans une unité de l'armée régulière, ils doivent suivre un entraînement supplémentaire.

Il est donc, selon moi, très clair que si les Forces canadiennes avaient voulu que les 21 000 réservistes soient parfaitement entraînés, les ressources déjà affectées auraient alors été lourdement sollicitées.

Dans le rapport, par exemple, nous avons précisé, au paragraphe 12 je pense, qu'en 2014, le commandement de l'armée canadienne a stipulé que l'armée devait se doter d'une réserve intégrée. Il était notamment question de veiller à ce que la Réserve de l'armée soit prête pour des missions intérieures et internationales; il fallait donner aux soldats de la Réserve de l'armée et à leurs unités un accès à l'équipement nécessaire pour leur entraînement; il fallait recruter et maintenir en poste les soldats de la Réserve afin qu'ils accomplissent leurs missions; il fallait financer pleinement toutes les activités, y compris les activités d'entraînement que les unités de la Réserve de l'armée doivent entreprendre; et il y avait deux ou trois autres choses.

De son côté, l'armée a fort bien énuméré ce dont elle a besoin pour veiller à ce que les réserves puissent accomplir les missions qu'on allait leur confier. Cependant, si vous comparez point par point le contenu de notre rapport aux documents produits par le commandement de l'armée canadienne en 2014, vous verrez que l'armée ne fait pas ce qu'elle a annoncé. Si elle était parvenue à avoir tous les effectifs dont elle a besoin et tout le matériel qu'il lui faut, et si elle assurait tout l'entraînement qui s'impose, elle aurait sans doute de la difficulté à s'en sortir avec son budget actuel. Vingt-sept pour cent de l'actuel budget des réserves est consacré à la rémunération des réservistes à temps plein, même s'il est prévu, dans la loi, que cette fonction soit essentiellement exécutée à temps partiel; 166 millions sur 706 millions du budget total sont reversés à la Défense nationale au titre des infrastructures.

Force est donc de constater que les budgets sont loin d'être suffisants pour permettre aux réserves de remplir leurs mandats.

Le président : Je voudrais préciser une chose, pour la transcription, afin que monsieur Tout-le-monde, s'il suit ses audiences, comprenne effectivement ce que nous sommes en train de dire. Au stade actuel, avec 21 000 réservistes, le budget ne permet pas aux réserves de s'acquitter des missions qu'on attend d'elles.

M. Ferguson : Monsieur le président, j'essaie de ne pas aller aussi loin.

Le président : C'est ce que j'essaie de tirer au clair.

M. Ferguson : Très bien. Je dirais que la Défense nationale doit être en mesure de faire la preuve qu'elle pourrait effectuer toutes ces choses-là. Pourrait-elle, dans les limites du budget actuel, faire telle ou telle chose?

Je fonde mes propos sur les constats que nous avons faits jusqu'ici et j'ai de la difficulté à voir comment il serait possible de financer toutes les activités des réserves, dans les limites du budget actuel, mais je ne peux pas me prononcer là-dessus avec une totale certitude, parce que cet aspect ne faisait pas partie de notre audit. Je trouve tout de même que la situation budgétaire des réserves leur complique considérablement la tâche.

La sénatrice Jaffer : J'ai deux questions. Je commencerai par vous, monsieur Walbourne. J'ai apprécié que vous vous attardiez sur la santé des réservistes et sur la question de la santé en général. Vous nous avez parlé de deux hommes courageux qui ont été tués et dit qu'il aurait été tragique que l'un soit traité différemment de l'autre. Cependant, beaucoup sont traités de cette façon et nous ne sommes pas vraiment au courant de ce qui se passe.

Ma question va particulièrement concerner la santé des femmes parce que, comme nous le savons, il y a d'autres problèmes sur ce plan. Pourriez-vous nous indiquer s'il existe des services de santé supplémentaires offerts aux femmes, parce que la manière dont elles accèdent à ces services échappe à toute transparence. Il existe un véritable risque que ces femmes ne reçoivent pas les services qu'elles devraient normalement obtenir. Pouvez-vous nous tirer cela au clair?

M. Walbourne : Comme nous le savons tous, nous appliquons depuis des années les analyses sexospécifiques qui commencent d'ailleurs à être répandues dans cette organisation.

La Défense en est arrivée à un stade de maturité où il est maintenant possible de recueillir et de ventiler les données de façon différente, selon qu'il s'agit d'hommes ou de femmes. Ainsi, dans l'avenir, nous devrons recourir à ces analyses sexospécifiques dans nos examens systémiques. Plutôt que de considérer un groupe homogène, nous analyserons maintenant les questions relatives aux femmes, à part. C'est important.

Cependant, nous savons qu'il y aura des nuances quant aux exigences faites aux différents sexes et nous veillerons, à la faveur de nos enquêtes, à mettre les problèmes en exergue.

La sénatrice Jaffer : J'aimerais maintenant que vous nous remettiez quelque chose — pas à l'instant même — au sujet des services additionnels nécessaires pour les femmes en uniforme, services qui ne sont pas offerts. Pourriez-vous donc nous donner quelques renseignements?

Je m'adresse maintenant au vérificateur général. Vous avez clairement énoncé les problèmes. Dans ma préparation pour ces questions, j'ai constaté que l'entraînement des réservistes est évidemment différent de celui des militaires à temps plein. Il s'avère que, ce faisant, on place les réservistes et les soldats de la Force régulière dans une situation dangereuse, étant donné qu'ils ne suivent pas le même entraînement.

M. Dorn et le sénateur Dallaire se sont exprimés à ce sujet. Le sénateur Dallaire a parlé hier de l'élargissement du mandat et des outils à donner aux réservistes pour cela.

Un plan d'action a été établi à partir de vos 13 recommandations, mais avez-vous la certitude que ce plan d'action pourrait être mis en œuvre dans les limites du budget actuel?

Gordon Stock, directeur principal, Bureau du vérificateur général du Canada : Le plan d'action, sénatrice, a été déposé en mai dernier, en réaction à notre rapport. La question n'est pas de savoir si le budget est suffisant pour l'ensemble de la Défense nationale, la question concerne plutôt les priorités à confier aux réserves par rapport aux priorités en matière de Défense nationale.

Dans ce cas, je crois qu'il sera possible de mettre le plan d'action en œuvre. Nous l'avons révisé et avons jugé qu'il est raisonnable, compte tenu de la situation actuelle. Certaines échéances sont optimistes, mais nous pensons que ce plan d'action est une étape positive.

M. Ferguson : Ce plan d'action a été remis au Comité des comptes publics avec lequel nous avons eu une audience à ce propos, de sorte que le Comité dispose des éléments nécessaires pour pouvoir jouer son rôle et veiller à ce que la Défense nationale tienne ses promesses.

La sénatrice Jaffer : Comme vous avez pris grand soin d'étudier tout cela je voudrais vous poser cette question : Êtes-vous convaincu que, avec ce plan d'action, les réservistes n'auront peut-être pas exactement la même formation, mais le même calibre de formation que les autres?

M. Ferguson : Je renverrai à ce qu'a dit M. Walbourne dans son allocution d'ouverture à propos des plans qui succèdent au plan et des études qui succèdent aux études. Si vous vous reportez à ce que j'ai dit à propos des prévisions du commandant de l'armée canadienne concernant les forces de réserve canadiennes en 2014, cela figure au paragraphe 12 de votre rapport, si vous prenez en compte tous ces éléments, alors vous diriez oui, c'est bien cela qu'il convient de faire.

Il a été question de beaucoup de choses différentes, et avec ce nouveau plan d'action on est amené à se demander : est-ce qu'ils savent vraiment ce qu'il faut faire? Je pense qu'il est très clair qu'ils savent ce qu'il faut faire. Le problème n'est pas là. Il s'agit de savoir s'ils ont les moyens de le faire et de le mettre en œuvre, ce sur quoi, évidemment, nous ne sommes pas en mesure de faire un commentaire à ce stade.

La sénatrice Beyak : Merci, messieurs. Compte tenu de ce que vous venez de nous dire, des lacunes que vous avez clairement identifiées et des défis que vous mettez en lumière, pensez-vous que nos réserves — vous dites que pour 20 p. 100 d'entre elles, il s'agit de personnel nécessaire des forces terrestres. Pensez-vous que les forces de réserve de l'armée canadienne reçoivent la formation nécessaire et le soutien dont elles ont besoin pour être déployées en Afrique, si telle est la décision du gouvernement? Ce n'est pas l'impression que j'ai en tout cas.

M. Ferguson : Rappelez-vous que lorsque nous faisons une vérification, cela porte sur une période de temps précise, et que cette vérification aurait empiété sur l'année 2015. Cela fait probablement un an, ou un peu plus d'un an, de sorte que les choses ont pu changer entre-temps, mais on peut supposer que la situation est pratiquement la même que ce qu'elle était quand nous avons fait la vérification.

La première chose qui nous est apparue c'est que les unités de réserve ne recevaient pas en fait des instructions très claires concernant les objectifs de leur préparation. La plupart des unités n'avaient pas les effectifs suffisants, de sorte qu'une unité ne pouvait pas réellement suivre une formation en tant qu'unité, mais que chacun recevait plutôt une formation à titre individuel. Elles ne disposaient pas du matériel nécessaire pour toute la formation ni de tous les instructeurs voulus pour l'ensemble de la formation.

De sorte qu'à l'issue de sa formation, un réserviste avait de toute évidence besoin d'une formation complémentaire avant de pouvoir prendre part à une mission internationale importante, par exemple, et il incombait alors aux Forces régulières canadiennes de compléter cette formation.

Mais même après cela, nous avons constaté que certains réservistes n'avaient pas reçu la formation souhaitée sur l'ensemble de la gamme des compétences, ni des armements peut-être, ce genre de chose. Rappelez-vous que lorsque quelqu'un se trouve dans une situation dangereuse, cette situation peut changer et il faut pouvoir réagir à ce changement de la situation.

Personnellement, il me semble important que les Forces armées canadiennes définissent de manière claire le niveau minimum de formation que doit avoir reçu un soldat, qu'il appartienne à la Réserve ou aux Forces régulières, avant d'être envoyé sur un théâtre d'opérations dangereux, même si l'on reconnaît qu'un soldat régulier à plein temps aura en fin de compte plus d'expérience qu'un réserviste simplement à cause de la différence entre le plein temps et le temps partiel. Mais avant d'envoyer quelqu'un sur un tel théâtre d'opérations, ce quelqu'un devrait avoir acquis un niveau minimum de compétence et reçu un nombre minimum d'heures de formation dans certains types de situations.

Certes, les Forces armées canadiennes essaient d'y pourvoir, mais nous avons aussi pu constater qu'il arrive parfois que le réserviste, même après avoir suivi toute la formation dans la Réserve puis la formation dans l'unité régulière, n'a toujours pas le niveau de formation qui serait exigé d'un membre régulier.

La sénatrice Beyak : Vous avez dit que le modèle de financement ne concorde pas avec les résultats escomptés, mais vous n'avez pas poussé la vérification plus loin. Êtes-vous en mesure de déterminer les responsabilités, de dire qui gère mal ou ne planifie pas avec assez de précision? Je déteste parler comme ça, mais quel est le problème, selon vous? Pensez-vous qu'une autre vérification soit nécessaire pour trouver la réponse?

M. Ferguson : Je pense que la Défense nationale devrait être en mesure de fournir ce niveau de détail. Nous avons souligné un certain nombre de questions, et le ministère a fait ses propres recherches sur certaines d'entre elles. Par exemple, après avoir fait sa propre étude sur les besoins en formation des réservistes, alors qu'il était prévu un financement de 37 jours par membre, puis un autre de cinq jours, je crois, ou quelque chose comme ça de formation dans l'unité, ce chiffre a été augmenté de cinq à dix jours.

Je reviens à ce que disait le commandant de l'armée en 2014, à savoir qu'il fallait : « financer entièrement toutes les activités que doivent réaliser les unités de la Réserve de l'Armée, dont l'instruction militaire; » et « mettre à la disposition des soldats et des unités de la Réserve de l'Armée l'équipement dont ils ont besoin pour s'entraîner. »

Le modèle logique est simple : de combien de soldats avez-vous besoin, de quel type de formation ont-ils besoin, de quel type d'équipement ont-ils besoin pour la formation, combien tout cela coûte-t-il, et cela rentre-t-il dans votre budget ou pas? C'est quelque chose que la Défense nationale devrait être en mesure d'expliquer, il me semble, plutôt que de dire : « Nous avons un budget de tant et nous allons essayer de leur donner une formation, mais si certains ne reçoivent que 50 p. 100 de la formation au moins nous en aurons formé 14 000. » Mais c'est en dessous des 21 000 souhaités.

On a l'impression que l'on a essayé de poursuivre deux objectifs qui ne convergent pas réellement, qui ne sont pas compatibles. La Défense nationale devrait, il me semble, expliquer comment elle entend harmoniser son action sur ces deux plans.

Le sénateur Meredith : Merci, messieurs, pour vos exposés.

Vous parlez de formation et de déploiement. Tout comme les sénateurs autour de cette table et l'ensemble des Canadiens, je pense, il est une chose que je ne perds jamais de vue et c'est le bien-être des hommes et des femmes qui servent notre pays. Est-il généralement admis qu'une mission de l'ONU génère un niveau plus élevé de stress post-traumatique qu'une mission de l'OTAN? Avez-vous cherché à savoir de quel soutien bénéficient les policiers ou les militaires canadiens pour s'assurer que leur bien-être est intact lors de leur retour au Canada? Je souhaite vivement que vous approfondissiez la question.

M. Ferguson : En fait, M. Walbourne serait mieux placé pour en parler, je pense.

Dans notre rapport, nous avons aussi souligné que les réservistes ne bénéficient pas des mêmes régimes de santé que les membres de l'armée régulière, mais je pense que M. Walbourne a davantage travaillé là-dessus. Il devrait peut-être répondre à la question.

M. Walbourne : Les mécanismes de soutien visant à aider ceux qui reviennent d'un théâtre d'opérations constituent pour nous un sujet constant de préoccupation. Nous parlons de transition et des questions de fin de carrière depuis des années, et aujourd'hui encore je continue de me poser les mêmes questions. Sommes-nous prêts à accueillir ceux qui rentrent de mission? Avons-nous mis en place les mécanismes appropriés? Allons-nous essayer de bâtir un système qui les aide à trouver facilement leur place?

Les réservistes sont une anomalie une fois de retour au Canada. Sitôt accomplies les formalités de départ de l'armée, ils rentrent dans leurs villes ou villages où ils sont parfois coupés de tout contact avec une unité régulière. C'est une préoccupation pour moi.

Est-ce que nous prenons soin de nos soldats? Je pense que nous faisons un assez bon travail. Peut-on faire plus? Très certainement.

Nous parlions de déployer des soldats de réserve. Aucun soldat de réserve n'est déployé avant d'avoir reçu des Forces armées canadiennes une formation et un équipement complets. Ce n'est pas tellement ça qui m'inquiète, mais plutôt ce qui se passe à leur retour. Disposerons-nous d'un mécanisme de transition qui leur permette de trouver leur place dans les délais voulus?

Le sénateur Meredith : J'ai eu à intervenir personnellement dans un cas particulier, dont je ne parlerai pas ici, concernant une personne qui avait été diagnostiquée comme présentant un syndrome de stress post-traumatique et la façon dont ses supérieurs l'ont traitée.

À titre d'ombudsman, qu'avez-vous constaté concernant la façon dont sont traités les individus ainsi diagnostiqués, et les conséquences que cela peut avoir sur leur avancement au sein des Forces canadiennes? Pourriez-vous commenter cela? Vous avez peut-être eu à vous occuper de plaintes dont votre bureau aurait été saisi.

M. Walbourne : Nombre de nos clients présentent ce type de maladie. Ce que je dois dire, et il faut que cela soit dit clairement, c'est que les progrès dans le traitement des troubles de santé mentale et de stress opérationnel par rapport à notre situation d'il y a à peine trois à cinq ans se chiffrent en années-lumière. L'idée qu'on ne risque plus aujourd'hui de se faire mal voir du haut commandement en se déclarant malade, s'est répandue tambour battant et les gens ont fait le pas.

Le système en place est en cours d'évaluation, je crois. Le chef d'état-major de la Défense procède actuellement à un examen des unités interarmées de soutien du personnel. Je sais qu'ils ont confié la direction de cette organisation au brigadier-général Corbould.

Je suis satisfait de l'activité que je vois. Il nous est toujours possible de faire davantage, mais, comme nous l'avons mentionné précédemment, il y en a toujours quelques-uns qui glissent à travers les mailles du filet. Je crois que cela tient à la structure du système qui fait que dans certaines circonstances il est difficile de se déclarer malade.

Mais la façon dont on parle aujourd'hui de la santé mentale et du syndrome de stress post-traumatique est à des années-lumière de l'ancienne. Comme ne manquera pas de vous le dire le chef d'état-major de la Défense, nous en sommes à la première étape. Ce n'est pas la fin. Nous ne sommes pas arrivés. Je pense que ça va être une évolution continue.

Nous attendons avec optimisme de voir ce que feront les unités interarmées dans un proche avenir. Nous faisons du bon travail, je dirais. Peut-on faire plus? Pour sûr.

[Français]

Le sénateur Carignan : Ma question s'adresse à M. Ferguson. Pourriez-vous être un peu plus explicite dans vos commentaires et nous donner deux ou trois exemples précis de manquements dans l'entraînement des réservistes qui pourraient se traduire par un effet pratique sur le terrain?

[Traduction]

M. Ferguson : Encore une fois, on cherchait à voir ce qui se passait en général.

[Français]

Un exemple précis serait celui de l'état de l'équipement. Dans certaines situations, les réservistes ont constaté, après avoir complété un exercice, qu'il n'y avait pas suffisamment d'équipement. S'il n'y a pas d'équipement, il est difficile pour eux d'atteindre les niveaux de compétence requis lors des exercices d'entraînement.

[Traduction]

Nous avons pris, je crois, des cas où un bilan avait été fait après un exercice et où on avait dit, d'accord, il y avait un manque d'équipement. L'unité de l'Arctique, par exemple, a signalé que, oui, on leur avait fourni l'équipement, mais il leur manquait une partie de l'équipement lourd dont ils avaient besoin pour fonctionner. Ils avaient des motoneiges légères, mais pas tout l'équipement lourd nécessaire.

Le fait que certaines unités sont en dessous de 50 p. 100 de leur taille idéale — environ 10 p. 100 des unités sont en sous-effectif — signifie qu'il n'est pas possible d'assurer une formation cohérente de l'unité en tant que telle.

L'armée canadienne doit donc compenser elle-même ces lacunes dans la formation pour garantir que les réservistes sont prêts à opérer dans un théâtre dangereux avant qu'ils ne soient réellement déployés.

Le programme est conçu de manière que les réservistes reçoivent un certain niveau de formation au niveau des unités de réserve. Nous constatons en fait qu'elles n'assurent pas cette formation, parce qu'elles manquent d'équipement, d'instructeurs ou d'effectifs, et qu'elles ne peuvent pas de ce fait s'acquitter des tâches de formation que l'on attend d'elles. Ce qui oblige à compléter la formation des réservistes quand ils arrivent dans les unités régulières.

[Français]

Le sénateur Carignan : Quels sont les risques associés à ce manque d'équipement sur l'entraînement? Par exemple, dans le cadre d'une mission de paix, le réserviste met-il en péril sa santé ou sa vie, ou met-il en danger la santé ou la sécurité d'un autre membre de l'équipe à cause de ce défaut d'entraînement ou d'équipement?

M. Ferguson : Bien sûr, nous avons défini de tels risques.

[Traduction]

Une des choses que nous avons soulignées était que les unités de réserve devraient spécifiquement dire si elles ont été formées et si elles sont prêtes à partir.

À l'heure actuelle, on atténue le risque en complétant la formation du réserviste dans les unités de l'armée régulière avant de l'affecter à l'unité. Mais nous avons pu constater que malgré ça, il arrive que ce réserviste n'ait pas obtenu le même niveau de formation. Cela peut concerner la condition physique ou le maniement des armes individuelles. Donc, cela peut créer un risque, un risque pour la sécurité de la personne, mais aussi pour la sécurité de l'ensemble de l'unité. Cela doit être très bien géré, et c'est pourquoi nous disons qu'il est important que chacune des unités de réserve puisse dire si leurs membres sont prêts ou non à être déployés.

Au cours de la vérification, nous avons consulté les responsables du système national de défense qui assure le suivi de la formation et de l'état de préparation des soldats. Selon le système, 7 p. 100 d'entre eux étaient à jour concernant le maniement de leur arme personnelle; et 55 p. 100 d'entre eux répondaient aux critères de condition physique. Lorsque nous avons vu cela, nous leur avons dit que les réservistes nous semblaient insuffisamment préparés à l'issue de leur formation, et la réponse qu'ils nous ont faite, c'est que l'information contenue dans ce système n'était pas fiable.

Cela signifie qu'ils doivent compter sur les commandants des unités individuelles pour leur dire si leurs membres sont préparés ou non, et qu'ils ne suivent pas de manière suffisamment détaillée toutes les informations permettant de savoir si ces soldats de réserve sont effectivement prêts à être déployés.

Donc, il existe bel et bien un risque. On s'efforce de l'atténuer en veillant à ce que les soldats de réserve reçoivent leur formation au niveau de l'unité régulière avant leur déploiement, mais il y a encore des lacunes qui pourraient représenter un risque pour les personnes, et il leur faudra faire en sorte de mieux savoir quel est le niveau de préparation de chaque soldat.

[Français]

Le sénateur Carignan : Il y a un danger à se fier aux dires du dirigeant de l'unité qui affirme que son équipe est prête, sans qu'une personne indépendante puisse évaluer cette capacité. Comme on le sait, les soldats veulent tous être déployés et ils se sentent tous prêts. Toutefois, ce n'est pas nécessairement le cas. Lorsqu'on s'en tient aux rapports de l'unité, le risque d'erreur augmente également.

[Traduction]

M. Ferguson : Évidemment en fin de compte, vous devez faire confiance à l'unité et aux chefs d'unité, mais il faut s'assurer que le système recueille les informations appropriées pour pouvoir dire : « Nous savons qui a fait quelle formation et nous savons quelle formation l'unité a réalisée et qui y a participé et, oui, nous sommes prêts à partir » de sorte qu'il n'y ait plus qu'à officialiser par une signature que cette unité a été formée et a reçu tel type de formation. Cela se fait dans certains cas. Ce type de certification.

Mais après avoir examiné le système et vu les chiffres, on voyait mal sur quoi il se basait pour dire qu'ils étaient prêts à partir.

Les responsables des unités savent ce qui se passe, mais bien souvent, le système permettant de dire qui est prêt, ou que l'unité est prête à partir, manque de rigueur.

Encore une fois, le facteur atténuant, c'est qu'une fois arrivé dans son unité régulière, le soldat reçoit un complément de formation et une évaluation plus poussée a lieu dans le cadre de la préparation, mais cela révèle plutôt la relative inefficacité du système; et au bout du compte, comme je l'ai dit, il y a encore un risque et encore des situations où peut-être des soldats n'ont pas reçu toute la formation voulue avant d'aller dans certains de ces théâtres d'opérations.

M. Walbourne : Si je peux ajouter quelques commentaires, les opérations de déploiement au plan national me préoccupent moins parce qu'il y a un processus en place que doit suivre tout réserviste afin d'être déployé.

Nous avons des réservistes déployés dans le cadre d'opérations nationales de lutte contre les incendies, les inondations et ainsi de suite, sans évaluation périodique de santé dans le dossier. Alors, en cas de blessure, s'il n'y a rien pour prouver que le problème existait déjà ou qu'il a été causé en service, ce sera « pas de chance » et tant pis pour lui.

La façon dont nous utilisons les réservistes au Canada, par opposition à ceux qui sont effectivement déployés, m'inquiète davantage. Les Forces armées canadiennes font un travail formidable en préparation d'un déploiement sur un théâtre d'opérations.

Le sénateur Day : Je voulais confirmer ce que M. Walbourne vient d'indiquer, que la préparation qui était en place pour le déploiement en Afghanistan, par exemple, durait plus d'un an. Une fois qu'un réserviste s'était engagé à partir, il avait plus d'un an de formation avec un membre de la Force régulière avant d'être envoyé. Mais les choses changent et d'autres situations peuvent se présenter. Nous ne sommes plus en Afghanistan.

Monsieur Stock, votre rapport est daté de 2016. Sur quelle période porte-t-il? Sur la situation consécutive à l'intervention en Afghanistan?

M. Stock : Oui, c'est exact, d'après l'Afghanistan jusqu'à la fin janvier 2016, à la lumière de toutes les informations dont nous avons pu disposer jusque-là. Il y a des fonctions particulières dans lesquelles les réservistes jouent un rôle, que ce soit des activités d'influence, des escortes de convois, des choses comme ça, que nous avons mentionnées dans le rapport; on s'attendrait à ce qu'ils aient reçu une formation pendant qu'ils étaient dans la Réserve, si l'armée canadienne savait qu'ils seraient appelés à remplir cette fonction à l'avenir. On n'a pas vu de formation ni de financement spécialement prévu pour ces fonctions particulières dans la Force de réserve.

Je respecte ce qu'a dit M. Walbourne. Je crois qu'il y a des domaines particuliers où l'armée canadienne peut faire davantage pour améliorer l'état de préparation des troupes.

Elles sont endoctrinées pour ce qui est du degré de formation reçue au sein des unités avant le déploiement, mais dans certains cas, les rôles qui leur ont été confiés les obligent à s'adapter rapidement à l'évolution de circonstances à l'égard desquelles ils n'ont pas autant d'expérience qu'ils auraient pu en avoir, c'est pourquoi je crois qu'il y a des améliorations qui pourraient être apportées indépendamment de la formation qu'elles ont reçue auparavant.

Le sénateur Day : Il y a deux domaines sur lesquels je voulais vous inviter à réfléchir : le recrutement et le budget.

Au point de vue budgétaire, votre examen a porté sur les réservistes de l'Armée et la milice, mais pas sur la Réserve aérienne ni sur la Réserve navale.

M. Ferguson : C'est exact. Il s'agissait de la Réserve de l'armée.

Le sénateur Day : Seriez-vous d'accord pour dire qu'il y a ou peut y avoir des différences dans la façon dont on traite le budget de la Réserve par rapport aux autres volets des Forces armées?

M. Stock : Nous n'avons pas examiné ces autres domaines. Entre autres raisons, parce que les forces de réserve pour les autres branches de l'armée sont si différentes.

La Réserve de l'armée constitue sans aucun doute la plus grande partie des réserves, voilà pourquoi nous nous concentrons là-dessus.

Le sénateur Day : Juste en passant, si nous comprenons bien, une fois l'estimation faite de ce que l'on attend de la Réserve navale pour l'année à venir, le montant est alloué, puis ce qui peut être réalisé est réajusté en fonction des fonds disponibles. La Réserve navale dispose de cet argent tout au long de l'année et l'administre à sa guise sans qu'il puisse être récupéré par la Force régulière, contrairement à ce que vous avez décrit dans certaines situations par rapport à l'armée. Je voulais souligner ce point. Il pourrait être intéressant de faire une comparaison pour voir quelles sont les meilleures pratiques.

Du point de vue de la rétention et du recrutement, 12 des 123 unités de la Réserve de l'armée avaient moins de la moitié des effectifs. Moins de la moitié de leur taille idéale. Il ne s'agit pas de déficit minime, mais de 55 à 60 p. 100 d'effectifs en moins de ce qui est jugé nécessaire. Voilà une constatation très importante dont nous aurons à tirer les conséquences.

On nous a dit par le passé que nombre de réservistes de l'Armée sont des étudiants universitaires, qui trouvent que, parce que le nombre de jours de formation a été réduit pour respecter le budget, ils ne font pas assez de jours pour payer leurs frais de scolarité, et cherchent par conséquent d'autres emplois.

Avez-vous eu l'occasion de déterminer si le recrutement et la rétention avaient quelque chose à voir avec le nombre de jours de formation et de la quantité d'argent disponible, ou est-ce que le problème vient d'ailleurs?

M. Ferguson : Nous n'avons pas examiné cette question en particulier. Je ne sais pas quel est votre calendrier pour cette étude, mais fin novembre nous aurons les résultats de notre vérification sur le recrutement et la rétention dans les Forces armées.

On voit ici, je crois, un décalage entre, d'une part, ce qu'ils disent : « Nous voulons ajouter 950 membres », et d'autre part une diminution de 800 à 1 000 membres chaque année. Nous n'avons pas examiné spécifiquement cette question et l'autre vérification n'a pas spécifiquement cherché à savoir si le nombre de jours de formation est déterminant dans les choix faits par les étudiants universitaires.

Ici, nous indiquons que le processus de recrutement ne permet pas de fournir le nombre de soldats nécessaire. Je pense que vous aurez davantage d'informations dans notre vérification de novembre, sur les questions concernant le recrutement et la rétention.

Le président : Je sais que nous arrivons à la fin ici. Peut-être pourrait-on poursuivre un peu sur la question du recrutement afin de nous faire profiter de ce que vous savez maintenant qui, de toute évidence, ne nous a pas été communiqué.

Est-ce que, généralement parlant, vous diriez que les forces armées ont du mal à recruter les effectifs dont elles ont besoin, mais que le recrutement ne donne pas les résultats attendus? Que ceux qui pourraient participer ne sont pas intéressés?

M. Ferguson : Je ne suis pas sûr exactement de l'endroit où nous le disons, mais même dans ce rapport, nous insistons justement sur le fait que le processus de recrutement dans les Forces canadiennes n'attire pas le nombre de recrues souhaitées, et qu'il doit être revu. Je pense que l'autre vérification ne fera que développer cette idée. Le point fondamental est le même. Il est dit au paragraphe 5.51 que :

... le système de recrutement de la Défense nationale n'avait pas permis de recruter le nombre de soldats dont la Réserve de l'Armée avait besoin...

Ils avaient de la difficulté.

Des représentants de la Défense nationale nous ont fait savoir que le système actuel de recrutement de la Réserve ne fonctionnait pas : il est trop lent et ne permet pas de recruter le nombre de soldats nécessaires pour la Réserve de l'armée, vu le taux actuel d'attrition.

Cela résume probablement assez bien, dans leurs propres termes, le problème qui se pose au niveau du recrutement.

Le président : Je voudrais conclure sur ce point, si c'est possible. Je veux revenir à la question du sénateur Day, concernant l'exigence de donner une année de formation à un réserviste avant de l'envoyer en déploiement international. Est-ce que cette politique s'applique encore?

M. Ferguson : Je ne sais ni s'il s'agissait d'une politique ni si cette politique est toujours d'application.

Je voudrais cependant vous rappeler ce que j'ai essayé d'expliquer, que, oui, avant que les Forces canadiennes n'envoient quelqu'un sur une mission internationale, les Forces régulières doivent former les membres de la Réserve afin de les préparer. Ces membres sont la plupart du temps bien formés, mais il y a encore des cas où ils sont déployés alors qu'ils n'ont pas suivi l'entraînement complet. De manière générale, les Forces régulières essayent d'éviter ces cas au maximum.

Je pense que ce qu'a dit M. Walbourne au sujet des missions nationales est tout aussi important. Dans notre rapport, nous avons identifié un cas de membres de la Réserve affectés à la lutte contre les incendies de forêt dans la province de la Saskatchewan. Tous n'avaient pas achevé leur entraînement, par exemple physique, mais le commandant de la mission a simplement jugé qu'il n'était pas nécessaire de répondre à cette exigence de préparation physique, afin que ces membres puissent participer à la mission.

Je pense qu'il y a des signes, que ce soit sur des missions nationales ou internationales, que dans certaines situations, la santé et la sécurité de certains des membres de la Réserve sont mises en danger.

Le président : Chers collègues, je pense que nous allons en rester là, car nous avons un peu de retard sur l'horaire.

Je tiens à remercier nos témoins de leur présence. Nous vous sommes reconnaissants de prendre le temps de venir devant nous.

Nous rejoint aujourd'hui dans le groupe d'experts no 2, Kwezi Mngqibisa, coordinateur et conseiller, Initiative Somalie, Le Centre africain pour la résolution constructive des différends, communément appelé ACCORD. Il est avec nous par vidéoconférence.

ACCORD est une organisation non gouvernementale sud-africaine fondée en 1992. Elle se charge de la promotion du dialogue et du développement institutionnel à travers le continent africain. Elle est spécialisée dans diverses formes de prévention des conflits, ainsi que dans la gestion et la résolution de ceux-ci. L'organisation intervient par la médiation, la formation et la recherche.

ACCORD est composé de quatre unités principales : le rétablissement de la paix, le maintien de la paix, la consolidation de la paix et la production de connaissances. Elle est également active en ce qui concerne les questions liées au genre en Afrique du Sud.

Des initiatives de paix présentes dans 31 pays ont pu bénéficier du soutien d'ACCORD et plus de 20 000 personnes ont été formées avec son programme afin de résoudre des conflits. Les Nations Unies ont officiellement reconnu ACCORD comme un opérateur viable pour la résolution de conflits en Afrique. L'organisation dispose de programmes actifs dans trois pays : le Burundi, la Somalie et le Soudan du Sud.

ACCORD œuvre actuellement selon un plan quinquennal qui vise à développer des mécanismes de résolution pacifique des conflits dans un contexte mondialisé.

Monsieur, bienvenue au comité. Il me semble que vous avez une déclaration d'ouverture. Nous avons une heure pour ce groupe d'experts. Vous pouvez commencer, je vous en prie.

Kwezi Mngqibisa, coordonnateur et conseiller, Initiative Somalie, Centre africain pour la résolution constructive des différends (ACCORD) : Bon après-midi de l'Afrique du Sud, et bonjour au Canada. Merci pour cette opportunité. Nous apprécions de tout cœur le privilège que vous nous accordez de partager avec vous quelques perspectives que nous avons tracées tout au long de nos 25 ans d'existence dans le traitement des questions de paix et de sécurité.

Notre déclaration d'ouverture se concentrera, comme on pouvait s'y attendre, sur les aspects de la politique de défense pour contribuer à la paix et à la sécurité dans le monde. Nous sommes d'avis que le chapitre représente une excellente déclaration d'intention internationaliste et inclusive et nous sommes particulièrement motivés par ce que nous pouvons lire sur cet engagement : « Nous sommes parfaitement conscients que notre sécurité nationale est étroitement liée à la sécurité internationale. » Nous pensons que cela représente un très bon point de départ pour l'évolution de la façon dont le Canada apportera encore une fois sa contribution à la paix et la sécurité dans le monde.

Nous voudrions, en guise de déclaration d'ouverture, relever quatre points que nous jugeons pertinents. Premièrement, en notre qualité d'experts et d'opérateurs dans le domaine de la paix et de la sécurité en Afrique, nous pensons que dans ce domaine, pourtant largement couvert par les médias, peu de recherches de fond ont été réalisées pour, un, comprendre le contexte, deux, hiérarchiser les priorités, et trois, comprendre et anticiper les actions des protagonistes. Un investissement substantiel dans la recherche le long de ces trois axes conforterait ce processus d'examen de la défense aidant ainsi grandement le Canada à se positionner dans le maintien de la paix et la sécurité mondiales.

Deuxièmement, dans le domaine de la paix et de la sécurité en Afrique, les menaces émanant du continent suscitent un foisonnement d'opinions politiques et de solutions provenant aussi bien des Africains que des autres parties prenantes. Notre déclaration d'ouverture soulignera donc encore une fois l'importance d'une bonne compréhension des cadres politiques des uns et des autres. Le Canada, pour pouvoir apporter une contribution conséquente au maintien de la paix et de la sécurité mondiales, notamment en contribuant à la paix et la sécurité en Afrique, devra se fonder sur une bonne compréhension de la cohérence des méthodes d'action, des aspirations et des capacités des cadres politiques opérant sur le continent.

Troisièmement, il est important de souligner, je pense, que l'engagement communiqué dans le projet de texte, qui est la raison pour laquelle nous sommes ici aujourd'hui, parle de la nécessité de maintenir et de défendre certains des principes fondamentaux du Canada en ce qui concerne la promotion des valeurs de la démocratie, du respect des droits de l'homme et de la diversité, ainsi que de l'État de droit comme un moyen d'améliorer la sécurité mondiale. Nous pensons que le Canada pourrait apporter énormément à la paix et à la sécurité du continent s'il contribue à faire de ces valeurs le socle des activités de maintien de la paix, de prévention des affrontements ou des opérations de paix sur le continent.

Et quatrièmement, nous avons constaté avec un vif intérêt l'accent que l'on y met sur le renforcement des capacités. Cela est très important. Comme je l'ai fait remarquer, et comme plusieurs groupes avant nous ont parlé en long et en large des détails du recrutement, de la viabilité et du déploiement des troupes, nous sommes convaincus que le renforcement des capacités est un élément important dans le contexte volatile et conflictuel du continent africain. Ce renforcement ne se limite pas à une simple préparation professionnelle de l'armée. Il faut mettre l'accent sur la préparation et sur la capacité que devront avoir les soldats déployés pour assumer les rôles très particuliers de la contribution qu'apportera le Canada au maintien de la paix et de la sécurité en Afrique.

Soulignons que plusieurs rôles nécessitent des types bien précis de renforcement des capacités. Nous avons constaté, en observant les événements récents dans le cadre d'opérations de maintien de la paix sur le continent, que certains problèmes dits « secondaires », comme la protection des civils ainsi que certaines questions importantes comme la conduite et la discipline des soldats, révèlent que le maintien de la paix en Afrique n'est pas nécessairement chose facile. Ces opérations deviennent très difficiles lorsqu'il s'agit de veiller à ce que les soldats envoyés pour apporter une aide visant à favoriser le maintien de la paix et de la sécurité se comportent d'une manière conforme à leur rôle. Ces mesures seront d'une importance capitale non seulement pour le Canada qui devra renforcer ses propres capacités, mais pour qu'il veille à transmettre ces valeurs et ces capacités à certaines nations qui déploieront des troupes avec les siennes. En observant la situation de notre continent, on s'aperçoit que nous y avons établi — au cours de ces 10 dernières années environ — une architecture de maintien de la paix et de la sécurité relativement bien développée.

Je tiens à confier à votre comité que nos analyses indiquent que cette architecture, aussi développée qu'elle soit, n'est pas encore à même de faire face à certains des problèmes qu'elle doit affronter.

Au niveau de la paix et de la sécurité, je voudrais vous parler de quelques-unes des situations les plus pressantes du continent africain : un, la Somalie; deux, la partie orientale de la République démocratique du Congo; trois, le fléau que crée Boko Haram dans l'Ouest de l'Afrique centrale. L'architecture de paix et de sécurité n'a pas réussi à intervenir avec succès dans ces trois situations, si on les considère comme une gamme de troubles de la paix et de la sécurité. Dans le cas de la Somalie, c'est le bloc qu'ont formé l'Ouganda, le Burundi, le Kenya, Djibouti et d'autres nations qui a affronté directement le fléau d'al Shabaab. En fait, l'Union africaine a fourni le cadre juridique de ce déploiement. La communauté internationale l'a soutenue par l'intermédiaire des missions des Nations Unies qui soutiennent l'Union africaine dans ce pays.

Maintenant, parlons de la partie orientale de la République démocratique du Congo. Les républiques de l'Afrique du Sud, du Malawi et de la Tanzanie affrontent directement ce fléau dans le cadre d'une initiative internationale qu'appuie la mission des Nations Unies déployée dans ce pays.

La question demeure la même : si l'architecture de la paix et de la sécurité de l'Afrique est si bien développée, pourquoi cherchons-nous continuellement de nouveaux mécanismes pour résoudre ces conflits?

Finalement, je pense que presque tout le monde a entendu parler de la contribution qu'apportent les républiques du Tchad, du Nigeria et du Cameroun à l'intervention du bassin du Lac Tchad contre Boko Haram. Une fois de plus, cela illustre le fait que malgré les progrès de l'élaboration d'une politique sur la mission de paix et malgré leur capacité de lancer des interventions techniques sur le terrain, nos cadres continentaux ne réussissent toujours pas à affronter les dynamiques particulières qui attisent ces conflits.

Pour résumer mon allocution, je dirai qu'il faudra avant tout examiner les caractéristiques particulières de notre continent. Ensuite, il faudra harmoniser les interventions que le Canada s'efforcera de mener soit bilatéralement, soit multilatéralement. Troisièmement, en contribuant au maintien de la paix et de la sécurité partout dans le monde, le Canada devra défendre fermement ses valeurs telles qu'elles s'appliquent en Afrique. Enfin, le Canada devra se tenir en tête de l'établissement de partenariats visant à renforcer la capacité de missions et de déploiements beaucoup plus aptes à résoudre les problèmes auxquels notre continent fait face.

Le président : Merci, monsieur.

Nous allons commencer par la sénatrice Jaffer, puis nous passerons la parole au sénateur Dagenais.

La sénatrice Jaffer : Merci beaucoup de nous avoir consacré de votre temps. Nous connaissons bien votre travail. Vous jouissez d'une grande réputation.

Vous avez suggéré pour le Canada des manières de collaborer avec vous. Je sais que vous êtes en partenariat avec la Norvège. Nous collaborons nous aussi beaucoup avec la Norvège, particulièrement sur ces questions.

Préféreriez-vous que nous travaillions côte à côte avec la Norvège, ou voudriez-vous que le Canada fasse autre chose avec vous?

M. Mngqibisa : Je souligne avec plaisir que notre partenariat avec la Norvège, qui vise à fournir de la formation pour un projet de maintien de la paix, est l'un des projets internationaux qui aide le continent africain depuis le plus longtemps de tous. Il vise à renforcer les capacités de maintien civil de la paix. Ces deux ou trois dernières années, nous nous sommes concentrés sur l'élaboration de doctrines, ou de cadres politiques, veillant à ce que les communautés économiques régionales d'Afrique et l'Union africaine participent de façon tangible aux opérations multidimensionnelles de maintien de la paix. Ce projet vise à préparer les officiers à faire du recrutement sur le terrain et d'y diriger des missions. Les opérations militaires ne sont pas les seules qui contribuent à résoudre des conflits.

Nous sommes très fiers de ce partenariat avec la Norvège. Je tiens à souligner que ce projet oriente la pensée de l'Union africaine depuis plus de 20 ans. Le problème auquel nous nous heurtons sur notre continent réside dans le fait qu'un grand nombre d'intervenants de l'étranger considèrent les communautés économiques régionales comme des satellites de l'Union africaine. C'est faux. Ce sont des entités économiques créées par l'intermédiaire de la Commission économique pour l'Afrique.

Quand vous offrez votre aide aux déploiements de maintien de la paix, vous vous trompez en pensant que la relation entre l'Union africaine et les communautés économiques régionales sont parfaitement harmonieuses. En menant le projet de formation au maintien de la paix que finance la Norvège, nous avons milité pour l'harmonisation des processus de recrutement de civils et pour la formation adéquate de ces gens, tout en reconnaissant que les civils ne pourront pas s'acquitter de cette tâche à eux seuls. Nous avons été en tête de l'élaboration de politiques et de normes de coordination des opérations civiles et militaires.

Notre travail dans le cadre de ce projet a produit des documents que suivent à l'heure actuelle presque toutes les missions que l'on mène sur le continent.

Je tiens cependant à souligner au comité ce qui représente pour nous une bonne leçon d'humilité. Comme nous avons en Afrique un statut d'organisme de la société civile, nous ne sommes pas au courant de tout ce qui se passe sur le continent. Ce projet que finance pour nous la Norvège nous a permis de conclure des partenariats avec d'autres régions du monde qui ont suivi des processus de développement institutionnel similaires au nôtre. Il nous a aussi aidés à apprendre d'autrui les moyens de faire évoluer notre architecture de paix et de sécurité et notre coopération avec les communautés économiques régionales et avec l'Union africaine. Ensuite, soulignons une chose qui est très mal comprise et que l'on néglige, le fait qu'aucune de ces forces de maintien de la paix ne vient de l'Union africaine. Elles viennent des États membres.

Nous voudrions que le comité examine la question suivante : certaines de ces forces de défense n'ont pas la structure administrative militaire qu'il faudrait. Elles ne possèdent pas de structures assurant de bonnes relations entre les forces civiles et les forces militaires. Elles n'appliquent pas de processus bien définis pour le renforcement des capacités et le débreffage. Elles ne possèdent pas ces capacités qu'appliquent les armées bien structurées. Examinez le profil des opérations de paix des pays contributeurs; vous y constaterez un vaste éventail d'occasions de partenariat.

En conclusion, il ne suffira pas de reproduire les résultats du projet que finance la Norvège. Il est certain que notre continent change, que les types de conflits changent, et qu'il est crucial de concevoir de nouveaux types d'intervention. Les prochains engagements ne devront pas reposer uniquement sur les suggestions d'un tribunal ou sur les résultats que le projet avec la Norvège a déjà produits, mais aussi sur une analyse de l'évolution de notre continent. C'est pourquoi dans mon allocution, j'ai suggéré que le Canada devrait examiner continuellement la situation afin de bien comprendre quelles mesures stratégiques produiront le plus d'effets.

La sénatrice Jaffer : Je tenais beaucoup à ce que le comité vous invite à témoigner, en partie à cause de tout ce que vous avez accompli dans le cadre des agressions sexuelles et des opérations de paix. Dans son rapport intitulé Unissons nos forces pour la paix : privilégions la politique, les partenariats et l'action en faveur des populations, le Groupe indépendant de haut niveau chargé d'étudier les opérations de paix des Nations Unies dénonce une tendance, chez les soldats du maintien de la paix de l'ONU, à commettre des agressions sexuelles. J'espère que l'envoi de soldats du maintien de la paix canadiens aura aussi un impact sur cette impunité.

Je reviens d'un voyage en Afrique orientale, et de nombreuses personnes m'ont dit que dans le cadre de certaines opérations de paix de l'ONU, des soldats de la paix agissent avec une impunité absolue. Je voudrais que vous nous disiez comment on traite les soldats de la paix qui commettent des infractions sexuelles avec tant d'impunité. Selon moi, ces agressions sont totalement inacceptables. Je voudrais que vous nous disiez ce que vous en pensez.

M. Mngqibisa : Je suis tout à fait d'accord avec vous. Je suis sud-africain, mes concitoyens sont sud-africains, et nous nous sommes heurtés à ces mêmes problèmes au sein de notre armée.

Je travaille dans tout le continent, dans des situations conflictuelles en République centrafricaine, au Mali, au Burundi, en République démocratique du Congo et dans d'autres régions, et j'y vois aussi ce grave problème. C'est absolument indéniable.

Il s'agit d'un problème majeur, et dans bien des cas personne n'intervient sous prétexte qu'il n'y a pas assez de preuves. À mon avis, l'un des meilleurs investissements que nous puissions faire serait de reconnaître les politiques et les directives des organismes multilatéraux et régionaux et d'y affecter les fonds nécessaires pour réunir sans tarder les renseignements et les données sur ces incidents.

En Afrique, par exemple, nous avons considérablement amélioré les interventions contre ces incidents en intégrant dans certaines missions déployées par l'Union africaine des conseillers des deux sexes. Nous ne visions pas uniquement à égaliser la participation des sexes, mais à garantir une meilleure protection des civils. Ces conseillers doivent dénoncer l'exploitation sexuelle et les mauvais traitements commis par les soldats de la paix, et après la mission, ces dénonciations doivent être traitées comme il se doit.

Je tiens à souligner qu'à mon avis, on ne peut plus résoudre ces problèmes à partir de nos bureaux confortables. Il faut en charger les équipes de planification des missions qui se trouvent sur le terrain, car elles seules peuvent réunir les preuves qui permettront d'identifier les coupables et de prendre les mesures qui s'imposent. L'ONU et l'Union africaine ne devront pas être les seules à sévir, mais ultimement, les États membres devront en être tenus responsables.

Sur le continent, le cercle dans lequel les acteurs sur le terrain dénoncent les tendances à l'exploitation et fournissent les renseignements nécessaires pour enquêter s'est brisé. Il semble que les États membres aient trouvé moyen de bloquer toutes capacités d'agir qu'aurait l'autorité de déploiement, qu'il s'agisse de l'Union européenne ou de l'ONU. Ces autorités se trouvent dans l'incapacité d'interdire l'exploitation et l'agression sexuelle que commettent les soldats des pays membres et de les punir.

Nous avons cependant vu d'excellents résultats. En République centrafricaine, je crois, le secrétaire général des Nations Unies a pris position en déclarant que l'on n'accepterait plus de soldats de ce pays parce que le gouvernement ne sévit pas assez sévèrement pour éliminer ce fléau.

Il me semble que le Canada pourrait entamer une sorte de dialogue et de sensibilisation sur les responsabilités des pays contributeurs de troupes.

Je conclurai en affirmant franchement que nous avons eu des discussions interminables à ce sujet avec l'ONU, avec l'Union européenne et aux Relations extérieures. Il est maintenant crucial d'investir pour prendre des mesures là où elles seront efficaces — sur le terrain —, puis dans les pays qui envoient ces soldats.

[Français]

Le sénateur Dagenais : En ce qui concerne ma première question, j'aimerais savoir quel rôle pourrait jouer votre organisme en prévision de l'arrivée des militaires canadiens en Afrique.

[Traduction]

M. Mngqibisa : Merci beaucoup. Je pense que je serai en mesure de répondre à cette question.

Au cours des vingt dernières années, ACCORD a assumé son rôle de maintien de la paix dans presque tous les centres d'excellence régionaux, notamment dans le Centre de formation pour le soutien de la paix au Kenya, où sont formés les soldats que déploient les pays contributeurs comme le Kenya lui-même, l'Éthiopie, l'Ouganda et d'autres nations de l'Afrique orientale.

Ce lien ne se limite pas au Kenya et aux régions de l'Afrique orientale. Nous avons une relation continue avec le Centre international Kofi Annan de formation au maintien de la paix au Ghana, qui est le centre par excellence de formation de la CEDEAO, la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest.

Plus près de chez nous, dans le Sud de l'Afrique, nous avons établi des liens de travail avec le Centre de formation pour le maintien de la paix de la Communauté de développement de l'Afrique australe, qui est basé à Harare, au Zimbabwe.

Nous nous chargeons d'aider à préparer les soldats à différents rôles de maintien de la paix ainsi que des observateurs militaires, des officiers, des agents des forces de police civiles, des experts en logistique ainsi que les responsables des principes de légalité, de la bonne conduite et de la discipline.

Dès le début de sa participation au maintien de la paix, ACCORD a participé à tous les exercices effectués sur le terrain et aux postes de commandement en Afrique australe et orientale, et cela non seulement au niveau des brigades, mais des bataillons. Autrement dit, avec l'expérience que nous avons acquise en renforcement des capacités, nous travaillerions dans un contexte multinational, multiculturel et multidimensionnel.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Ma deuxième question concerne les principaux conflits au sein desquels vous intervenez actuellement. Avez-vous l'écoute et le soutien nécessaires de l'ONU afin de continuer vos missions?

[Traduction]

M. Mngqibisa : Merci beaucoup d'avoir posé cette question, monsieur le sénateur.

En Somalie, les Nations Unies appuient fortement notre travail en y soutenant la mission de l'Union africaine en Somalie, l'AMISOM. Il est important de décrire un peu le contexte dans lequel nous travaillons.

Il s'agit d'une mission de soutien de la paix qui comprend aussi les éléments d'une stratégie de contre-insurrection. Le gouvernement de ce pays est transitoire, mais il est soutenu et reconnu par les unités continentales et mondiales de l'Union africaine ainsi que par les Nations Unies. Malheureusement, cette mission fait face au fléau d'al Shabaab; par conséquent, les soldats de la paix doivent continuellement combattre pour regagner le territoire qu'occupent les éléments d'al Shabaab et lutter contre les éléments radicaux et violents de ces groupes d'insurgés.

Dans un tel contexte, ACCORD vise deux objectifs. Il renforce l'institutionnalisation de la réconciliation. En effet, nous pensons, comme nos alliés somaliens, que le plus grand défi ne réside pas dans l'identification des coupables. Al Shabaab représente un problème, mais il n'est pas si difficile à comprendre. Le défi sera plutôt de soutenir le système de gouvernance émergeant en Somalie afin de renforcer la cohésion sociale du pays. C'est notre grande priorité.

Deuxièmement, il faudra rétablir la gouvernance. C'est en fait ce que nous appelons la stabilisation. Il faut pour cela trouver des moyens de rétablir l'autorité civile dans tous les territoires que nous arrachons à al Shabaab. Mais cet objectif non plus n'est pas difficile à atteindre, parce qu'il est directement lié à des opérations militaires contre le gouvernement.

Le plus grand défi — et nos alliés somaliens sont d'accord là-dessus —, consiste à donner une légitimité à ces petites autorités civiles et de les relier au gouvernement fédéral qui siège à Mogadishu. Il s'agit de ce que bien des gens appelleraient une dynamique de clans. Nous n'atteindrons donc pas cet objectif uniquement par la bravoure et l'engagement; ce travail dépend de l'information fournie par plusieurs intervenants clés du gouvernement somalien qui collaborent avec la société civile. Mais nous ne réussirions pas à accomplir ce travail sans l'environnement sécuritaire qu'a établi l'Union africaine.

Mais même tout cela ne suffit pas. Nous en arrivons donc aux Nations Unies, qui fournissent maintenant la capacité et le soutien nécessaires pour établir une infrastructure de gouvernance avec un parlement, une administration régionale et toutes sortes d'autres institutions.

Je pourrais vous présenter un exemple qui expliquerait l'interrelation de notre travail avec celui d'autres acteurs sur le terrain. Il s'agirait du type de relation que nous pourrions développer si, par exemple, le Canada nous y invitait. Nous avons établi une relation similaire, bien sûr, avec l'Afrique du Sud, puisque nous sommes rémunérés par ce gouvernement. Nous entretenons les mêmes relations avec toute une gamme d'autres gouvernements, et même avec d'autres institutions considérées comme militaires comme l'Union africaine, les Nations Unies, la Communauté de développement de l'Afrique australe. D'autres communautés économiques régionales n'ont pas d'armée, mais ce sont des États membres. Nous entretenons donc des relations avec les collèges de la défense qui produisent les commandants militaires qui accomplissent le travail sur le terrain. Nos partenariats et nos dispositions sur la formation dépendent des écoles militaires de certains des principaux pays contributeurs.

La sénatrice Beyak : Merci beaucoup de nous avoir décrit si clairement vos réalisations et les défis auxquels vous vous heurtez encore.

Vous avez répondu à la plupart de mes questions en répondant à celles de mes collègues, mais je me demande, vu l'engagement que le Canada a récemment pris envers l'Afrique et vu les résolutions de l'Union africaine sur le continent, quelles réalisations, selon vous, les forces de maintien de la paix de l'ONU ont-elles accomplies au cours de ces cinq dernières années?

M. Mngqibisa : Merci beaucoup d'avoir posé cette question.

Je vous dirai tout d'abord que si l'ONU ne menait pas de missions de maintien de la paix de en Afrique, ou si l'Union africaine n'y menait pas d'opérations de soutien de la paix, il serait urgent d'en créer.

Tout d'abord, ces réalisations n'ont pas répondu aux attentes. L'ONU s'est heurtée à d'énormes défis : les problèmes de capacité, la difficulté d'atteindre certains des objectifs fixés, le fait que certains soldats envoyés ne se soient pas comportés conformément à l'objectif et à la cause qu'ils servaient.

Mais examinons la situation sous un autre angle. En 2003, quand je suis arrivé en Somalie pour y faire mon travail, le pays était dominé par des seigneurs de la guerre. Par l'intermédiaire des Nations Unies, la communauté internationale a établi un bureau politique afin de négocier l'installation d'une forme quelconque de gouvernement. Ce gouvernement a commencé à fonctionner en 2005, il y a environ 11 ans, et 80 à 85 p. 100 de ceux qui le composaient étaient des seigneurs de guerre somaliens.

En 2012, quand nous avons passé du gouvernement fédéral transitoire au gouvernement fédéral de Somalie, la communauté internationale, sous la direction de l'ONU, avait considérablement réduit ce groupe. Elle avait cerné les personnes et les dirigeants communautaires qui désiraient vraiment écarter le gouvernement somalien de l'idéologie des seigneurs de la guerre.

À l'heure actuelle, le nombre de seigneurs de la guerre au parlement se compte sur les doigts d'une seule main. J'en déduis que nous ne nous attendons pas à ce que la communauté internationale apporte les solutions, mais à ce qu'elle établisse, par ses activités de maintien de la paix, un environnement qui permette aux dirigeants locaux de faire des erreurs en cherchant eux-mêmes les solutions.

Donc je ne pense pas que les échecs, et même les réussites, de l'Afrique incombent aux Nations Unies. Selon moi, la communauté internationale exprime sa solidarité envers la gouvernance locale par l'intermédiaire de l'ONU.

Oui, l'évolution de l'assemblée du Soudan du Sud nous a déçus. On ne peut attribuer l'entière responsabilité des échecs à l'ONU ou même à l'Union africaine. Ces échecs reflètent ceux des protagonistes de certains de ces conflits. Mais il est crucial — et le Canada pourrait en diriger l'exécution — d'animer les cadres institutionnels de l'ONU d'une approche, d'une attitude et d'un sentiment d'urgence en les exhortant à intervenir face à l'écroulement des processus d'établissement de la paix ou même de certaines initiatives de maintien de la paix.

Au cours de ces deux ou trois dernières années, nous avons vu des résultats très divers, et je n'en attribue l'entière responsabilité ni à l'ONU, ni à l'Union africaine, ni même à la communauté internationale. Nous y jouons tous un rôle, mais nous devons nous unir pour résoudre ces situations dans toute la mesure du possible.

Le sénateur Meredith : Merci beaucoup de nous avoir présenté cet exposé. Vous avez répondu à quelques-unes de mes questions sur les échecs de l'ONU et sur les leçons que le Canada peut en retirer avant de déployer ses forces de maintien de la paix.

Que devrait faire le Canada à l'avenir en déployant ses troupes pour le rétablissement et le maintien de la paix et pour le développement économique? Nous voyons ce qui se passe au Soudan du Sud et le travail accompli au Congo, et cetera. Décrivez-nous certaines choses que le Canada pourra clairement accomplir à l'avenir.

J'étais en Éthiopie l'année dernière, et j'y ai visité l'Union africaine, alors je comprends bien que le continent fait face à certains défis. Au Canada, nous nous inquiétons de voir la menace terroriste se rapprocher de nos frontières, et nous voudrions prévenir ce danger en établissant des mécanismes efficaces. Vous nous avez parlé d'architecture, alors décrivez-moi clairement quelques-unes des mesures que, dans notre rapport, nous pourrions suggérer que le Canada prenne avant de déployer ses troupes.

M. Mngqibisa : Merci beaucoup d'avoir posé cette question, monsieur le sénateur.

Aujourd'hui, je tiens avant tout à souligner ce qui suit : je suis heureux que vous envisagiez une contribution canadienne plus étendue que de simplement envoyer des bottes sur le terrain. En ce qui me concerne, votre attitude est très perspicace ainsi que très nécessaire et urgente en Afrique. Pour quelle raison? Parce que comme vous l'avez dit, l'architecture de paix et de sécurité de l'Union africaine tient compte de ces besoins très divers.

Cette architecture comprend une alerte précoce, le Groupe des sages, la Force africaine en attente et, bien entendu, le Conseil de paix et de sécurité de l'Union africaine qui se charge de la prise de décisions. Mais on ne mentionne que rarement l'architecture de gouvernance africaine, qui cherche des moyens de renforcer les capacités des nations du continent d'exercer des pressions les unes sur les autres.

Monsieur le sénateur, je vais vous confier un fait extrêmement triste qui me brise le cœur au sujet de l'Union africaine. Ses États membres ne lancent pas les initiatives progressistes de développement institutionnel qui proviennent de notre architecture. Pensez-y un peu. Nous avons ici un organisme, cette Union africaine, qui a établi des protocoles sur tout ce qu'il faudrait faire en Afrique. Mais comme elle ne possède pas la capacité de les mettre en œuvre, il incombe à ses États membres de le faire. Cependant, ils n'ont pas la capacité, dans leurs pays, de discuter des droits de la personne et de les appliquer. Les gens qui parlent de priorisation des programmes mènent ces programmes pour eux-mêmes.

Vous m'avez demandé quel rôle le Canada pourrait jouer pour produire de bons résultats stratégiques, et je vais vous répondre honnêtement : il peut envisager de soutenir les déclencheurs, ou les moteurs, de certaines de ces initiatives.

Je désigne par-là la migration. Je désigne par-là les impacts du climat, ou tout au moins le fait d'inciter les gouvernements ou les organismes africains à affronter les impacts du changement climatique. Je désigne aussi ce que nous connaissons tous et ce que nous vivons ce mois-ci : les élections et les conflits qu'elles provoquent. Si nous n'intervenons pas après les élections, la polarisation que produit la contestation crée des situations comme celles du Gabon et de la République démocratique du Congo.

Comme vous revenez d'un voyage en Éthiopie, vous avez entendu parler de ce qui se passe dans la région des Grands Lacs, ce que certains traitent de crise constitutionnelle, car des dirigeants veulent modifier leur constitution pour rester légalement au pouvoir. Ces événements ne créent pas nécessairement des conflits aujourd'hui, mais ce sont des failles. Si le Canada investit dans le renforcement des capacités d'intervenir dans ces situations, on les atténuera avant qu'elles ne se transforment en crises, comme le génocide de 1994 ou comme d'autres crises affreuses dont nous n'avons pas parlé, ou bien sûr avant qu'elles ne génèrent un extrémisme violent.

La radicalisation est aussi un élément crucial. Les gens n'aiment peut-être pas que l'on parle de terrorisme — quel que soit le nom que vous voulez lui donner —, mais quand nous examinons les statistiques sur les jeunes, ils se font réellement radicaliser. Il n'y a pas moyen d'en parler avec plus de douceur ou de rectitude politique. Il faut faire face à la réalité : il est urgent d'intervenir avant de subir les répercussions de leurs actes terroristes.

Que nous faudrait-il faire, puisque ce comité étudie le processus d'Examen de la politique de défense? À la page 17 de ce document, j'ai inclus quelques notes sur la diplomatie dans le domaine de la défense. Ce sont des mesures précises que le Canada pourra envisager de prendre. Elles concernent la réforme du secteur de la sécurité, ce qui est en fait l'administration de la défense.

Les nations contributrices de troupes de mon continent ont besoin de réforme. Elles doivent entamer un processus comme celui-ci — transparent, consultatif, un processus d'examen ordinaire. Nous ne pouvons pas nous permettre de laisser plusieurs États contributeurs de troupes négliger la tenue de ces examens. Pour bien administrer ces opérations, il faut leur dire où déployer leurs troupes et quelles conditions ils doivent respecter.

Pour moi, cet élément est crucial. En effet, nous pouvons édifier de belles structures d'intervention, comme l'ont fait l'Union africaine et même les communautés économiques initiales, mais les pays contributeurs doivent y placer leurs troupes. Certains d'entre eux n'ont pas de structure d'administration militaire adéquate. Certains d'entre eux ne maintiennent pas, dans leur propre pays, des relations adéquates entre la gouvernance civile et l'armée. Certains prennent bien soin de leurs troupes. D'autres ne disposent pas des ressources nécessaires pour décrire la planification des missions qu'ils se préparent à entreprendre.

En apportant sa contribution à la paix et à la sécurité dans le monde, le Canada doit accepter le fait qu'il ne pourra pas déployer ses troupes n'importe où en Afrique ou dans le monde. Il devra déterminer ses premiers points d'engagement avec l'administration de la défense — dans ce cas en Afrique —, afin que les pays contributeurs de troupes puissent développer des capacités, et peut-être même des interventions, qui affronteront plus efficacement les défis auxquels notre continent fait face.

Le président : Nous en arrivons à une conclusion ici et nous tenons à vous remercier du temps que vous nous avez accordé.

J'ai écouté très attentivement ce qui s'est dit ici, et il en ressort deux aspects. Le premier est le déploiement de troupes dans le but de maintenir la paix au jour le jour. Le second est la question de savoir si un pays comme le Canada peut consacrer des ressources à la formation et l'éducation des dirigeants et des peuples, quand c'est possible, pour leur donner les moyens de prendre en charge leurs propres institutions civiles, mais aussi les créer.

Nos ressources aussi sont limitées. Nous avons pris certains engagements au Moyen-Orient et à l'OTAN, et ils sont importants. Donc, ma question est celle-ci : compte tenu du fait que nous sommes limités jusqu'à un certain point, est-ce qu'il ne vaudrait pas mieux que le Canada se donne pour objectif clair de participer à la création d'organisations comme la vôtre et de collaborer avec elles pour élargir le champ d'action en matière d'éducation et d'autres aspects qui pourraient répondre aux besoins de la population locale afin que nous puissions bâtir les fondations sur lesquelles les gens pourront se prendre eux-mêmes en charge au lieu d'envoyer des troupes sur place, qui sont juste présentes au jour le jour et, à certains égards, de mettre en danger des Canadiennes et des Canadiens dans une région dont ils ne savent rien. Peut-être pourriez-vous nous éclairer, si cette décision doit être prise.

M. Mngqibisa : Je ne suis pas diplomate, monsieur le président, et je dirai donc simplement que c'est l'idée maîtresse de notre point de vue, car les troupes sur le terrain, après tout, ne sont rien d'autre qu'une brigade de lutte contre les incendies qui intervient quand le feu est pris. Mais en fait, si on analyse l'histoire des troupes de maintien de la paix — et je ne dis pas que les Casques Bleus n'ont pas eu leur importance —, qu'il s'agisse des divers États membres permanents des Nations Unies ou d'une collaboration entre l'ONU et l'Union africaine, le fait est que toutes les analyses renvoient à la nécessité d'une meilleure prévention. La prévention ne sera pas faite au Canada par le Canada pour aider le continent, mais en Afrique par les Africains qui sont en mesure de faire l'analyse qui convient et de mobiliser les ressources nécessaires.

Pensez-y, monsieur le président : dans bien des conflits où nos pays déploient des troupes, ils utilisent leurs propres ressources nationales pour faire la guerre quand leurs intérêts nationaux sont effectivement menacés ou qu'ils veulent élargir leur sphère d'influence, mais ils n'ont jamais de ressources pour le maintien de la paix. Donc, ce qu'il faut aujourd'hui, c'est commencer à passer à l'élaboration d'un style de leadership militaire, de relations entre les civils et les militaires, qui garantissent que les ressources internes des pays, les enjeux internes des pays soient gérés selon le principe de gouvernance, et de bonne gouvernance évidemment.

Le président : Merci de nous avoir accordé du temps. Nous vous en sommes très reconnaissants. Nous voici au terme du temps dont nous disposons, et nous tiendrons compte très sérieusement de ce que vous nous avez expliqué ici ce matin.

J'aimerais d'abord présenter notre prochain invité et témoin, le major-général Lewis MacKenzie, qui a pris sa retraite de l'armée canadienne en 1993 après 33 années de service. Il a été au service de l'OTAN en Allemagne de l'Ouest et il a fait partie des forces de maintien de la paix des Nations Unies dans la bande de Gaza, à Chypre, au Vietnam, en Égypte, en Amérique centrale et dans l'ex-Yougoslavie. En 1985, il a été nommé directeur du programme d'emploi des femmes dans des postes liés au combat, puis, en 1991, commandant adjoint du Secteur militaire du Centre des Forces armées canadiennes.

En février 1992, le major-général Lewis MacKenzie a été nommé chef d'état-major de la force de maintien de la paix des Nations Unies en ex-Yougoslavie. L'objet de la mission était de garantir le cessez-le-feu obtenu en Croatie, qui venait d'accéder à l'indépendance, mais le quartier général de l'ONU se trouvait à Sarajevo, la capitale de la Bosnie.

Peu après a été créée la République de Bosnie-Herzégovine. Le général MacKenzie s'est retrouvé au beau milieu d'un conflit entre factions ethniques. En mai 1992, il a créé le Secteur de Sarajevo et, avec ses Casques bleus, s'est attelé à ouvrir l'aéroport de Sarajevo pour que l'aide humanitaire puisse être livrée. Le major-général MacKenzie est devenu une célébrité internationale en utilisant la seule arme dont il disposait, à savoir les médias, pour essayer de rétablir la paix.

Après son retour des Balkans en octobre 1992, le major-général MacKenzie a été affecté au commandement de l'armée en Ontario. Ayant critiqué l'ONU pour son incapacité à commander, contrôler et appuyer les forces de maintien de la paix, il a pris sa retraite de l'armée en 1993. Cette année-là, il a publié un compte rendu de sa carrière sous le titre de Peacekeeper : The Road to Sarajevo, où il raconte ses douloureuses expériences.

En 1993, le major-général MacKenzie a reçu le prix Vimy de l'Institut de la Conférence des associations de la défense, et, en 2006, il a été décoré de l'Ordre du Canada.

Major-général Lewis MacKenzie, c'est un honneur de vous recevoir parmi nous. Nous vous souhaitons la bienvenue. Je crois que vous avez quelques remarques préliminaires. Je vous invite donc à prendre la parole.

Major-général (à la retraite) Lewis MacKenzie, à titre personnel : Chers sénateurs, merci beaucoup.

Mesdames et messieurs, j'imagine que vous en avez assez de vous faire dire par des tas de gens que les activités de maintien de la paix sont différentes depuis la chute du mur de Berlin et la fin de la guerre froide. Vous en avez eu de très bonnes explications, mais je crois que je suis particulièrement bien placé pour vous éclairer sur un autre aspect de ces différences, parce que, à ce qu'on m'a dit, je suis le seul à avoir commandé une opération de l'ONU avant la fin de la guerre froide et une autre après, parce qu'on est censé commander une seule opération de ce genre dans sa carrière.

Le problème, c'était que, quand la guerre a éclaté dans les Balkans, on a demandé une personne d'expérience, et, comme j'avais fait neuf missions pour l'ONU, on m'a choisi.

Mais la mission en Amérique centrale, juste avant la chute du mur — c'était l'ONUCA, qui est l'acronyme espagnol du Groupe d'observateurs des Nations Unies en Amérique centrale —, était unique parce que, en tant que commandant, je n'avais pas de RSSG, c'est-à-dire de représentant spécial du Secrétariat général, qui est le chargé de mission, comme cela a été le cas au Rwanda, où Roméo Dallaire a été affligé d'un diplomate incompétent, qui a été plus une entrave qu'une aide.

On n'aurait pas pu dire que je commandais la mission à Sarajevo, sauf que, pour la première fois de l'histoire militaire, les troupes du front se désolaient pour leur quartier général à Sarajevo — ces troupes qui se trouvaient en Croatie, à 300 kilomètres de là —, et on m'a ordonné de rendre compte directement à New York, sans l'intermédiaire d'un RSSG.

Donc, deux postes de commandement. Quelle différence alors? En Amérique centrale, où nous étions chargés d'observer l'application et de rendre compte de l'Accord d'Esquipulas II, qui, dans les cinq pays d'Amérique centrale, se résumait à : tu ne donneras pas asile dans ton pays à des gens qui traversent la frontière pour attaquer un pays voisin. Cela concernait en fait les Américains vivant au Honduras qui participaient aux opérations des contras contre eux au Nicaragua.

Donc, quand j'avais un problème, j'avais cinq pays d'Amérique centrale où la porte de chaque président m'était ouverte, une de ces portes plus largement que les autres parce que Violeta Chamorro était une diplômée de l'Université McGill, tout comme cinq des ministres de son cabinet, dont la moyenne d'âge était de 27 ans.

Si je n'arrivais pas à obtenir une solution des présidents ou des commandants d'armée, je pouvais aller à New York, où ces pays avaient des délégations, avec un drapeau flottant à l'entrée de l'immeuble, et le secrétaire général pouvait alors se charger des communications avec ces délégations. Il y avait une chaîne de commandement claire qui permettait au commandant des Nations Unies de régler les problèmes.

À Sarajevo, un an plus tard, le 6 avril 1992, la guerre a éclaté, et on s'est brusquement retrouvé avec un pays membre de l'ONU depuis à peine quelques semaines, la Bosnie-Herzégovine, avec le côté bosniaque musulman, à prédominance musulmane, et deux factions : les Serbes de Bosnie et les Croates de Bosnie. On pouvait, comme je l'ai fait une vingtaine de fois, s'asseoir avec eux et conclure une entente qui était rompue dans les 24 heures, après quoi je ne pouvais même pas les retrouver pour protester.

Deux d'entre ces groupes n'avaient pas de délégation à New York ni de drapeau flottant à l'ONU. C'était des irréguliers, une faction. Ils pouvaient absolument faire ce qu'ils voulaient et, dans une ville de moins de 300 000 habitants avec moins de 500 soldats — soit le nombre emprunté au Canada le premier mois —, on ne pouvait pas faire grand-chose à part protéger les convois humanitaires, avec l'accord des trois parties en cause.

Il s'est passé la même chose au Rwanda, et encore la même chose en Somalie. L'ONU est arrivée au début en Somalie. Le bataillon pakistanais a été piégé et détenu par Farrah Aidid et ses milices. Puis les États-Unis ont, au nom de l'ONU, occupé les plages de Mogadiscio, et les médias étaient là pour les rencontrer, ce qui est exactement ce qui doit se produire. Il faut aller à un combat au couteau avec un fusil, et ces deux organisations, qui étaient la cause de tous les troubles à Mogadiscio, ont pris la poudre d'escampette. Pendant des mois, y compris durant la période où le Canada a fait sa part, la mission a été la plus efficace des missions de l'ONU dans toute son histoire, en apportant une aide humanitaire et en sauvant des centaines et des milliers de vies.

C'est devenu le sujet d'un débat présidentiel. Clinton a promis que, s'il était élu, il retirerait les troupes de Somalie. Et il l'a fait. Ils ont laissé environ 800 soldats sur place, comme réserve, utilisable seulement par les Américains et non par le commandant trois étoiles turc de la force de l'ONU, et c'est devenu une catastrophe. L'ONU est partie la queue entre les jambes.

Quand les pays qui contribuent habituellement aux opérations de maintien de la paix — à savoir la Norvège, la Suède, Fidji, le Canada, la Nouvelle-Zélande, l'Australie — ont vu ça, ils ont dit : « On laisse tomber, on n'y va plus. » Et c'est comme ça que se sont terminés les déploiements militaires commencés en 1956.

Les pays du tiers monde ont pris la relève, envoyant des troupes en grand nombre qui s'élève aujourd'hui à environ 80 000 soldats.

Bon, j'ai commandé les troupes de certains de ces pays, et certaines sont excellentes. Mais les hommes sont lamentablement sous-payés. Les 1 323 dollars américains, je crois que c'est le chiffre, qui sont versés par mois à un pays pour chacun de ses soldats en mission pour l'ONU ne vont pas à ces soldats. Tout, jusqu'au dernier sou, va au gouvernement du pays contributeur, et c'est donc une activité assez lucrative.

Mais, quand on aligne des soldats qui ne sont pas payés convenablement — en fait, en 1992, mes soldats russes et ukrainiens n'étaient pas payés du tout —, il faut s'attendre à ce que ces hommes trouvent d'autres moyens de gagner de l'argent, et ils peuvent très bien s'adonner à la traite d'êtres humains, à l'exploitation de prostituées, au marché noir ou peu importe, et c'est actuellement ce qui entache les opérations de l'ONU, notamment en Afrique.

Donc, je pense qu'il faut se préparer à l'idée, que je vous demanderais d'envisager, que peu importe ce que nous demande maintenant l'ONU, surtout en Afrique, on ne les laissera pas nous dire ce que nous devons envoyer. On ne peut pas compter sur nos faibles ressources, dont on discute actuellement, que ce soit des hélicoptères, des ressources de renseignement ou de commandement ou que ce soit une unité médicale. Leur sécurité ne doit pas être confiée à une force militaire étrangère participant à la mission. Nous devons envoyer nos propres soldats pour nous protéger. Je veux dire que, si on envoie des organisations de petite envergure, il faut qu'elles s'insèrent dans l'organisation d'un groupement tactique, ou appelez-le comme vous voulez, c'est-à-dire une organisation capable d'assurer la sécurité personnelle des gens qui participent à la mission. Il ne faut pas les disperser dans certains pays très, très vastes, sans les protéger comme il convient.

Je vais conclure en disant que ces opérations ne sont pas des opérations de pays. Je suis très content qu'on ait supprimé l'expression « maintien de la paix » du vocabulaire. On appelle ça des opérations de paix maintenant. Mais ce n'est pas ça. Ce sont des missions de protection. Elles ne servent pas à créer un climat propice aux pourparlers de paix ou peu importe. Créer les conditions de la paix? Quelle blague! On y va et on devrait y aller pour faciliter la protection des innocents. On ne peut pas en protéger tant que ça, mais au moins ce sera leur rôle. Ces soldats seront une force de protection.

Enfin, je sais d'après les médias publics que nous voulons gagner des points. Pour quoi faire? Peut-être pour obtenir un siège sans droit de vote au Conseil de sécurité. On ne gagne pas de points avec de petits engagements dans une zone de mission. On les gagne en étant solide, en protégeant les gens et en veillant sur les nôtres, et en facilitant le reste.

Merci beaucoup.

Le président : Je vous remercie, général MacKenzie.

Nous commencerons par la sénatrice Jaffer, puis le sénateur White prendra la parole.

La sénatrice Jaffer : Général, merci pour les services que vous avez rendus au Canada. Vous savez bien qu'on vous admire, et ce que vous aviez à nous dire aujourd'hui est très important à nos yeux. Vous savez aussi que nous avons entendu beaucoup d'autres témoins.

J'aimerais vous soumettre deux idées. D'abord ceci : on n'a pas la capacité, à ce que j'ai entendu, et vous le savez mieux que moi, d'avoir une mission de maintien de la paix à la fois solide et d'envergure. On n'a pas les hommes et les femmes qu'il faudrait pour ça. Que diriez-vous d'envoyer des gens pour fournir des conseils stratégiques et une orientation en matière d'encadrement et de formation? On n'enverrait pas 600 ou 700 hommes, mais disons une centaine ou une cinquantaine?

Permettez que je vous explique pourquoi je dis ça. J'ai été émissaire au Soudan, et je suis allée souvent avec nos hommes et nos femmes, un groupe de 50 à 100 personnes, au Soudan du Sud, au Darfour. Ils voulaient des militaires sur le terrain, mais on donnait des conseils stratégiques, de la formation.

Pensez-vous que ça devrait être notre rôle aujourd'hui? Est-ce notre rôle devrait être de fournir des conseils stratégiques? Parce que nous n'avons pas les ressources humaines pour faire ce que vous proposez. Qu'en pensez-vous?

Mgén MacKenzie : Madame la sénatrice, je dirais que nous en avons les moyens. La mission de l'OTAN est une mission tournante à très, très faible stress, et ils sont là à titre dissuasif, aussi ridicule que ça puisse sembler à certaines personnes compte tenu du fait que la force est aussi modeste. Mais c'est un piège. On disait à l'époque que tout ce dont les Américains avaient besoin en Allemagne et en Allemagne de l'Ouest était un seul soldat pour être sûr qu'il serait tué le premier quand les Russes ou les Soviétiques franchiraient la frontière. C'était un piège.

Nous y viendrons, j'en suis sûr. Le processus de planification est en route. C'est ridicule de fixer un nombre, puis d'essayer de le remplir. C'est ridicule, mais c'est la politique, et je l'accepte.

Je penche de votre côté, parce que je faisais partie du conseil d'administration du Centre Pearson pour le maintien de la paix. Notre contribution la plus valable durant ma dernière année au conseil a été la façon dont le centre a formé des policières africaines destinées à retourner chez elles pour en former d'autres. Ç'a été un succès incroyable et cela n'a pas du tout attiré l'attention méritée.

Je suis d'accord avec vous, mais je ne crois pas qu'on devrait être obligé d'aller dans les 600 pour les trouver. Bon sang, c'est tellement ridicule. S'il y a un rôle utile à remplir, on peut trouver ces gens sans parler du chiffre magique de 600. Je suis tanné d'entendre ce chiffre.

Mais vous avez tout à fait raison : si c'est considéré comme un niveau stratégique, alors oui. Une réflexion à long terme, oui, tout à fait. C'est très important.

La sénatrice Jaffer : Je reviens tout juste d'une zone de conflit et j'ai notamment rencontré des femmes victimes de violence sexuelle. Il y avait aussi le problème du choléra en Haïti. L'immunité des Casques bleus déclenche souvent de l'angoisse et de la colère. Je n'ai pas besoin de vous convaincre. Vous savez de quoi je parle. Pensez-vous que le Canada peut jouer un rôle dans la transformation de cette situation?

Je crois que le Canada devrait jouer un rôle de premier plan dans la levée de cette immunité. Comme vous le savez, l'ONU est censée s'en occuper à l'interne, mais on sait bien ce qui se passe. Ça n'est pas aussi efficace qu'on le voudrait.

J'aimerais avoir votre avis. Que pensez-vous de cette question de l'impunité des Casques bleus?

Mgén MacKenzie : Je suis d'accord, nous pourrions donner l'exemple. Ce qui me dérange, c'est qu'il y a eu, par exemple, en Haïti, une personne qui a eu une petite aventure avec une collègue civile employée de l'ONU. C'est loin d'être au sommet de ma liste de scandales, mais ça s'est retrouvé à la une du Globe and Mail, comme si ça devait nous empêcher d'aborder la question dont vous parlez.

La réponse, en bref, à votre question est que, oui, c'est possible. Des femmes font partie depuis longtemps des activités de combat dans les Forces canadiennes. Nous avons pris l'initiative. Il y a eu beaucoup d'opposition. Et il est certain que nous sommes des spécialistes à cet égard. Nous avons un bilan positif et une réputation. Très franchement, cela irait dans la même catégorie que ce qu'a fait le Centre Pearson pour le maintien de la paix en formant des policières en Afrique.

La sénatrice Jaffer : J'ai emmené des policiers et policières au Darfour pour enseigner comment faire enquête sur des viols, et on utilise encore cette formation là-bas, en faisant toujours l'éloge de notre police. Nous aussi, bien sûr. Selon moi, si on envisage une opération de paix, il faut y faire participer la police. J'aimerais avoir votre avis à ce sujet.

Mgén MacKenzie : Effectivement, et c'est ce qu'on fait. J'ai fait ma première mission en 1962. C'était dans la bande de Gaza, et il y avait à l'époque ce qu'on appelait la Police civile de la force des Nations Unies, l'UNPOL. Nous avons travaillé avec eux dans le cadre de toutes les missions effectuées depuis.

J'ai fait une petite erreur dans mon introduction. Le Vietnam était une commission internationale de contrôle et de surveillance, pas une mission de l'ONU.

Mais il y a une police civile dans toutes les missions de l'ONU, et de plus en plus ces jours-ci, comme la sénatrice pourra le confirmer, j'en suis sûr, et les membres viennent des polices municipales et provinciales et de la police fédérale. Dans la plupart des missions auxquelles le Canada participe aujourd'hui, il y a plus de policiers que de soldats. Ils sont donc absolument essentiels.

Je rappelle encore une fois que j'ai eu quelques centaines de policiers avec moi dans les Balkans, et j'ai dû en renvoyer plus de 30 p. 100. Pourquoi? Parce que des demandes étaient adressées à des pays pour obtenir des agents de police, pour le maintien de l'ordre dans les rues, et, quand ces pays ont vu l'indemnité quotidienne versée par l'ONU, certains se sont dit : « Hé, ça a l'air très intéressant, j'y vais! » Et, tout d'un coup, je me suis retrouvé avec tous ces policiers qui n'étaient pas préparés aux fonctions d'agent de police parce qu'ils étaient des inspecteurs, des surintendants, et cetera.

L'ONU ne voulait pas que je les renvoie. On m'a dit : « Renvoyez-les à New York, et on les intégrera à leur délégation permanente. » Ils ont obtenu une indemnité quotidienne encore plus importante à New York que sur le terrain. Et, tout d'un coup, beaucoup de mes policiers sont devenus incompétents d'un jour à l'autre parce qu'ils voulaient être envoyés à New York et y travailler.

Vous allez au-devant de problèmes quand vous avez affaire individuellement aux pays qui envoient tel nombre de policiers ou de soldats ou peu importe.

Le sénateur White : Merci beaucoup, général. Je suis heureux de m'entretenir avec un ancien de l'Université St. Francis Xavier.

Mgén MacKenzie : Et de l'Université du Cap-Breton.

Le sénateur White : Au fait, je suis sûr que ce n'était pas la première fois que l'ONU devait composer avec l'incompétence.

Ma question porte sur le dialogue relatif au maintien de l'ordre. Vous et moi avons déjà eu cette discussion quelques fois et nous avons parlé des problèmes qui y sont rattachés.

Il est certain qu'une des difficultés rencontrées par les policiers qui arrivent sur place est le manque de formation de base des policiers, et parfois même un manque d'instruction tel qu'ils ne peuvent pas suivre la formation de base. Je vous avais demandé si vous pensiez qu'on devrait commencer par leur donner une instruction de base en les retirant du théâtre des opérations, par exemple des policiers de l'Afghanistan, pour leur enseigner dans un autre endroit. On l'a fait en Jordanie à une certaine époque. On le fait encore sporadiquement à cet endroit, quoique plus superficiellement. Je sais que l'Australie fait maintenant venir des policiers de l'Afghanistan pour sept ou huit ans et leur donne une instruction de base pour que les policiers australiens envoyés sur place n'aient pas à enseigner des compétences linguistiques de base.

Mgén MacKenzie : Absolument.

Le sénateur White : Pensez-vous que le Canada pourrait, dans les futures opérations de paix, être plus largement engagé à cet égard au lieu d'essayer d'enseigner des notions de base tout en protégeant la vie des gens sur place?

Mgén MacKenzie : Je sais que mon expérience n'est plus d'actualité, mais je suis entièrement d'accord, et je pense qu'il y a là une occasion à saisir. Je dis ça parce que, quand je pense en particulier aux policiers affectés à la FORPRONU dans les Balkans, on leur avait ordonné d'être du côté administratif de la mission. Ils n'étaient pas sous mon commandement. Ils relevaient du chef du service administratif en chef, et cetera. Environ une semaine plus tard, ils m'ont envoyé une délégation pour me demander : « Monsieur, est-ce que vous pouvez vous arranger pour que nous puissions travailler avec les soldats? » Quand ça s'est présenté, j'ai dû retirer un monsieur de Scandinavie qui s'occupait de la police et désigner deux policiers, un du Sénégal et l'autre du Canada, qui ont réglé les problèmes parce qu'ils avaient de l'expérience.

Mais je dirais que, même aujourd'hui, les policiers envoyés par la majorité des pays contributeurs ne possèdent pas les compétences de base en matière de maintien de l'ordre, alors que c'est un préalable à l'envoi dans le cadre d'une mission de l'ONU. C'est une occasion en or, c'est un boulot vraiment bien payé.

Le sénateur White : J'ai été à l'académie de police internationale, et la question des inspecteurs qui achetaient leur participation à une mission internationale y était largement discutée. On parlait d'agents supérieurs qui payaient des milliers de dollars canadiens pour servir six mois sur un théâtre d'opérations pour y gagner 100 $ par jour. C'est une chose bien connue.

Est-ce que vous pourriez nous parler des lacunes actuelles de l'armée au regard des missions à prévoir pour l'avenir?

Mgén MacKenzie : Oui, bien sûr. Ce n'est pas une réponse à pile ou face. C'est impossible tant que le gouvernement du Canada ne dira pas aux militaires ce qu'il attend d'eux. S'il dit : « Vous devez être capables de déployer une brigade de 4 000 hommes et la maintenir indéfiniment sur le terrain, ou une flottille de quatre navires avec une capacité de commandement, ou un certain nombre de conteneurs à six missiles », je vous dirais qu'on n'a pas cette capacité. Donc, il faut réduire l'envergure dans les trois armées.

On ne peut évaluer la capacité que si on sait de quoi on est responsable, et c'est un peu comme ce qui arrive en ce moment avec le chiffre magique de 600. C'est de la planification inversée. Certaines lacunes sont peut-être très évidentes, mais la plupart ne sont définies comme telles que quand on sait en quoi consiste la tâche à accomplir, en dehors de la défense du Canada, ce qui est très modeste.

Quant à ce qu'il manquait de chars, de camions et d'artillerie quand on est allé en Afghanistan, c'est devenu évident presque tout de suite. On avait besoin de chars et d'artillerie. Comme par magie, ils sont devenus disponibles en deux ou trois mois. C'était fantastique. On s'en est rendu compte uniquement quand les soldats ont été affectés à une tâche précise.

Le sénateur White : Quelle est selon vous notre capacité actuelle?

Mgén MacKenzie : Pour faire quoi?

Le sénateur White : Aujourd'hui, si on demande : « Qu'est-ce que vous avez pour faire quelque chose? » Deux navires?

Mgén MacKenzie : Compte tenu des promesses actuelles et des gens que nous avons en Ukraine et en Pologne et de l'éventualité d'aller en Lettonie, les chiffres sont modestes. Ce serait difficile, mais pas impossible, d'envoyer ce que j'appelle un groupe de combat, soit 1 200 à 1 400 soldats, en mission en Afrique. Pas indéfiniment cependant, surtout si vous y ajoutez des exigences linguistiques, qui va mettre à contribution le Royal 22e et nos soldats canadiens-français, soit le tiers de notre armée. Ils seraient opérationnels d'ici deux ou trois ans, mais ce serait possible. Comme d'habitude, les militaires vous diraient : « C'est faisable. »

Le président : J'aimerais donner suite à la question des compétences linguistiques en français, qui, évidemment, concernent surtout les militaires en provenance du Québec.

Quel effet est-ce que ça aura sur les régiments qui assumeront la charge de travail si une telle décision est prise comparativement au reste de l'armée? Est-ce qu'on a déjà déployé des soldats en raison de compétences linguistiques?

Ensuite, quelles sont les retombées du point de vue du moral des troupes quand on est effectivement déployé pour longtemps? Les Canadiens doivent savoir que ce n'est pas pour six mois. Si on prend ce genre de décision, on compte en années. Peut-être pourriez-vous nous en parler... ce n'est pas un problème qu'on a peu abordé.

Mgén MacKenzie : En fait, les militaires le savent très bien. Il se trouve que je sais, et c'est de notoriété publique, que la brigade de l'Ouest est en attente d'un déploiement, par exemple en Afrique, et il faudrait prévoir des agents de liaison bilingues. Donc, on n'a pas l'intention de faire porter tous les rôles à la 5e brigade du Québec. Vous pouvez être sûrs qu'ils réserveront certains postes de liaison à la brigade de l'Ouest parce que, si on faisait seulement appel à des régiments du Québec pour ces déploiements, les conséquences seraient très négatives.

Le président : C'était bien le sens de la question : Est-ce qu'ils vont effectivement assumer le rôle principal et le plus gros des responsabilités?

Mgén MacKenzie : À ce que je sache, ils viennent d'abandonner le rôle de réserve au Québec. C'est transféré à l'Ouest.

Tout ça a des ramifications, et je sais que je ne suis plus dans la course, mais c'est affreux. Tout le système de formation, la préparation, le changement de commandement, les déménagements individuels et tout le reste, tout sera perturbé. Ils vont donc employer ou déployer les gens de ce que j'appellerais la brigade d'intervention.

Le sénateur Meredith : Merci beaucoup, général MacKenzie. Je suis heureux de vous revoir.

Monsieur, je compte sur votre expertise, tout comme les membres du comité ici, autour de cette table, pour recueillir des données factuelles en vue de rédiger le rapport que nous sommes en train de préparer. Je m'inquiète toujours des conditions de déploiement et du degré de préparation de nos troupes. Un autre témoin nous a parlé de nos insuffisances du point de vue de notre capacité à être complètement prêts.

Pourriez-vous nous parler des conditions de déploiement, notamment en Afrique. Ma collègue, la sénatrice Jaffer, a parlé du Soudan du Sud et d'autres régions, par exemple, le Congo, où le Canada a aussi envoyé des troupes. Pourriez-vous nous parler de ces conditions?

Mgén MacKenzie : Je dois dire d'emblée que je ne suis pas à jour. Je garde le contact, mais je ne suis pas à jour. Mais je sais quand même que les préparatifs sont nettement meilleurs qu'à mon époque. Ce n'est pas la faute des dirigeants de l'époque. J'ai commencé au grade de caporal de réserve, puis j'ai été promu aux grades de lieutenant, puis de colonel, parce que les missions étaient prévisibles. On savait deux ans et demi à l'avance qu'on allait être déployé, par exemple, à Chypre. C'était tellement prévisible qu'on ne passait pas beaucoup de temps avec ceux qui rentraient avant de partir les remplacer. Quatre ou cinq jours suffisaient parce que c'était très routinier.

C'était la même chose en Allemagne, mais en beaucoup plus intense. C'était un rôle à haute intensité, et on partait pour trois ans. La première année, on apprenait le métier. La deuxième année, on devient très compétent. Et, la troisième année, on gagnait la compétition. C'est l'ordre des choses quand on est au service de l'ONU dans le cadre de la brigade canadienne.

Ils sont beaucoup mieux préparés aujourd'hui. Les commandants sont beaucoup plus conscients. On disait, quand je suis arrivé en 1960 : « Bon sang, on pourrait partir à la guerre n'importe quand maintenant. » Ce n'est jamais arrivé. C'était la guerre froide. Aujourd'hui, c'est du sérieux. Ils savent qu'ils pourraient être déployés au Mali ou au Soudan du Sud dans deux semaines, un mois, ou peu importe.

Je dirais que les conditions de déploiement sont aujourd'hui sûres et qu'on est prêt, à moins que les Nations Unies n'imposent de restrictions vraiment ridicules, et on ne devrait jamais accepter ces restrictions, et d'ailleurs je pense qu'on ne les accepterait pas.

Il n'y a pas plus de 30 cartouches dans un chargeur. Il n'y a plus de pistolets pour certains et plus de fusils pour les autres. Non, il est essentiel de se préparer au pire.

Le sénateur Meredith : Un autre témoin nous a parlé de l'accord sanctionné ou approuvé par l'ONU. Je sais que vous appréciez le rôle de l'ONU. J'aimerais savoir ce que vous pensez de notre déploiement en Afrique et de nos relations avec l'Union africaine et en quoi consistent les responsabilités de nos missions. En particulier en Afrique, à l'échelle du continent et compte tenu de nos partenaires là-bas, de quoi est-ce qu'il faut s'assurer qu'ils ont à disposition quand nous y allons? Ils sont sur place. Ils ont des soldats sur le terrain. Nos hommes et nos femmes sont moins en danger quand il existe des gens formés chez nos partenaires sur place. Pourriez-vous nous en parler plus largement?

Mgén MacKenzie : Excellente question, monsieur le sénateur, parce que nous avons quatre missions au Mali : l'AFRICOM, la mission des États-Unis, la mission de l'ONU et la mission de l'Union africaine. Vous pouvez imaginer le réseau de liaison nécessaire.

Je ne sais pas si je l'ai déjà dit — le sénateur et moi-même en avons discuté —, je ne connais pas les chiffres concernant le Mali, mais ça dépasse largement les deux chiffres pour ce qui est des pays participants de taille significative composant les 14 000 personnes déployées. Chaque mandat national éclipse celui des Nations Unies. Ils ont leurs propres mandats nationaux, de sorte que les commandants appellent chez eux pour demander la permission de faire ceci ou cela que le commandant de l'ONU leur a demandé. Alors c'est un vrai bazar quand on a une conférence dans une salle comme celle-ci, où chacun a une liberté d'action différente selon son mandat national.

Vous avez donc absolument raison. J'ai appris à la dure, au fil des ans, que le meilleur moyen de créer des relations n'était pas un mandat ou un quelconque accord écrit, mais que c'était les relations personnelles, et pas toujours avec les commandants, surtout quand il s'agissait des gens des pays de l'ex-bloc soviétique, comme les Tchèques, les Slovaques, les Polonais et les Hongrois. Il y avait toujours un agent politique présent, et il fallait passer par lui et par le commandant militaire.

Les relations personnelles, aussi simple que ça paraisse, c'est ce qui marche. Je me rappelle le commandant hollandais dans mon service des transmissions à Sarajevo. Je lui ai dit : « J'ai besoin d'une cellule de transmission ici avec moi. Il faut que je la fasse venir de Belgrade. » Il m'a répondu : « Monsieur, je n'ai pas le pouvoir de le faire, mais donnez-moi deux heures. » Il a téléphoné chez lui, est revenu et m'a dit : « C'est réglé. » Ce ne serait pas arrivé si nous avions eu des relations antagonistes et que je lui avais donné un ordre, qu'il soit d'accord ou non.

Donc, c'est différent des relations de commandement, mais ça peut marcher presque n'importe où.

Le sénateur Meredith : Je vous remercie.

La sénatrice Beyak : Merci beaucoup. Je suis heureuse de vous revoir.

Mgén MacKenzie : Moi de même.

Le sénatrice Beyak : J'apprécie beaucoup votre expertise. Pourriez-vous nous parler des réactions sur le terrain d'anciens militaires concernant le Mali, sur leur expérience et sur leurs inquiétudes? Et pensez-vous qu'une mission comme celle-là devrait faire l'objet d'un vote au Parlement?

Mgén MacKenzie : Leurs réactions? J'ai connaissance d'un pour cent, probablement, de gens qui parlent ou qui parlent à des amis. Tout le monde, du caporal Smith au général quatre étoiles Jones, est absolument choqué et gêné par le processus de planification inversée, par lequel on décide d'un nombre arbitraire, 600, pour dire ensuite : « Bon, c'est notre contribution. Voyons maintenant quel rôle on va leur attribuer. »

Je sais, par des amis familiers de la mission de reconnaissance effectuée par la juge Arbour et le général Dallaire, que personne, durant cette mission, n'a demandé de soldats sur le terrain. Donc on sera tenté d'envoyer de petites unités médicales, des agents du renseignement, des hélicoptères, peu importe, et c'est quelque chose que je déconseille absolument parce que ça, c'est ce qui se fait dans le meilleur des cas.

On met la charrue avant les bœufs, et c'est tellement évident pour les gens qui ont un peu de formation. C'est comme ce comité, sans vouloir vous offenser. Mais, sans la participation et la collaboration des affaires étrangères, des agents de développement et des responsables de la diplomatie — et c'est comme ça que ça n'a pas commencé au début de la campagne en Afghanistan, pour ensuite se faire en quelques années, et ça a fonctionné un peu mieux — c'est la faille du système, et nous le savons tous. Ça n'est pas propre à la situation actuelle : j'ai vu ça durant toute ma carrière et vingt plus tard.

Quant à savoir s'il faudrait voter, les débats à la Chambre des communes ternissent beaucoup le terme « débat ». Aucun doute. J'étais furieux. Vous rappelez-vous, au milieu des années 1970, on a décidé de passer au vote. Ça devait être débattu au Parlement, mais c'était un débat pour le compte rendu, qui est un débat différent d'après ce que je comprends. Quoi qu'il en soit, il fallait décider si on devait passer de la mission de l'ONU, la FORPRONU, à la mission de l'OTAN. L'OTAN prenait le relais. Ironiquement, maintenant qu'on avait la paix, ils envoyaient des avions, des chars et tout ça.

Chaque parti avait deux ou trois de ses députés présents, et deux partis, que je ne nommerai pas, ont pris la parole en comprenant l'inverse, à savoir qu'on devait passer de l'OTAN à l'ONU. On était là depuis trois ans et on avait perdu 22 ou 23 personnes, et ils n'avaient pas d'observations préalables indiquant qu'ils savaient de quoi diable il était question.

Donc, quand vous me demandez s'il devrait y avoir un débat, oui, absolument, ne serait-ce que pour révéler l'ignorance de certaines personnes qui ne connaissent rien au sujet.

Le président : Je voudrais donner suite à la question sur le débat. Il y a actuellement un débat sur le bien-fondé de déploiements dans certaines régions du monde, sur notre participation et sur l'ampleur de notre participation.

Mais que diriez-vous qu'on exige, par exemple, tous les deux ans un débat public pour examiner les conséquences d'une décision prise deux ans auparavant, pour que la population soit mieux informée, au moins partiellement, des résultats précis des tâches accomplies par nos hommes et nos femmes dans certaines régions du monde? Il y aurait aussi un compte rendu au Parlement.

Mgén MacKenzie : Monsieur le sénateur, je pense que ça pourrait faire partie du renouvellement de ce que j'appelle un mandat — une prolongation. Il s'agirait de savoir si le mandat doit être prolongé, selon qu'il s'agit d'un déploiement d'un an, de deux ou de trois. Ça pourrait se faire à ce moment-là.

J'ai passé, oh mon Dieu, presque deux mois, après mon retour des Balkans, à m'occuper d'audiences du Congrès américain et j'ai constaté la somme de connaissances qu'ils avaient sur ce que nous les Canadiens faisions dans les Balkans, en Croatie et en Bosnie, et toute la recherche qui se faisait, eh bien tout ce qui forcerait nos parlementaires, et pas seulement quelques membres d'un comité, à se familiariser effectivement avec ce qui se passe à l'étranger serait bienvenu.

J'ai dû remplacer Dini Petty à une émission de télévision d'une heure par semaine. Elle partait en vacances, et je l'ai remplacée pendant sept jours. On m'a donné six sujets, mais j'avais la possibilité d'en choisir un une fois, pour une émission. J'ai choisi de parler de la nécessité d'un cimetière militaire national, simplement pour montrer aux parlementaires le coût de leurs décisions. Ç'a été l'émission la plus impopulaire de l'histoire de CBC, j'en suis sûr, parce que personne n'était en désaccord. Pas un seul Canadien ne s'est opposé. Ce n'était pas obligatoire, dans le genre : « Tu seras enterré ici ». On a le choix, et, aujourd'hui, 50 p. 100 de ceux qui sont tombés au combat sont enterrés ici à Ottawa. Ça n'a pas d'importance pour les parlementaires. Notre empreinte militaire à l'étranger est si modeste que ça ne semble pas assez important pour être un sujet d'actualité qui saisisse l'imagination.

Donc tout ce qui permettrait à quelqu'un ou à un comité de rendre compte au Parlement et de dire : « Voilà ce que nous avons fait » —, ça peut être un peu embarrassant. J'étais tout à fait contre les bombardements en Serbie et au Kosovo. J'étais tout à fait contre les bombardements en Libye. Ça ne sert à rien de dire : « Je vous l'avais dit », parce qu'un tas d'autres gens étaient contre, eux aussi, mais personne ne l'a dit au Parlement. On a eu droit à un foutu défilé et à un défilé aérien.

Il faut faire attention quand on prend des engagements, parce qu'il faut vivre avec leurs conséquences.

Le président : C'est le sens de ma question. C'est une chose que de prendre une décision; c'en est une autre d'en découvrir les conséquences deux ans plus tard, avec leurs ramifications pour le pays et pour les hommes et les femmes en cause.

Le sénateur Meredith : À ce sujet, vous avez parlé de ceux et celles qui se sacrifient et donnent leur vie pour ce pays. Nous avons perdu environ 122 Casques bleus. Comment réduire ce risque au minimum quand on déploie nos hommes et nos femmes en Afrique ou dans d'autres régions du monde? Comment faire?

Mgén MacKenzie : Je vais parler au nom des soldats : ils seront les derniers à vous demander d'organiser une mission pour qu'elle soit sécuritaire. Si ça en vaut la peine, ils sont plus que prêts à partir, comme le sont les policiers et les diplomates. Et si on joue au jeu de la protection, et c'est ce qui se passe si on va en République centrafricaine, en République démocratique du Congo ou au Soudan du Sud, il y a des risques.

C'est la formation qui atténue les risques. C'est le matériel qui atténue les risques. Ce sont les bonnes communications qui atténuent les risques, parce que vous pouvez réagir rapidement. Les militaires sont éminemment qualifiés pour déployer des moyens permettant d'atténuer les risques.

Mais je me souviens d'avoir écrit une lettre au Calgary Herald quand ils ont dit qu'on ne devrait pas envoyer d'observateurs à la Commission internationale de surveillance et de contrôle au Vietnam, après les accords de paix de Paris, parce que certains d'entre eux pourraient être blessés. Il me semblait que — j'étais major à l'époque — il me semblait ridicule de ne pas déployer de troupes parce que quelqu'un pourrait être blessé.

Je pense que les soldats seraient les derniers à être en désaccord avec moi à ce sujet. Ceux qui seraient en désaccord ne devraient pas être soldats.

Le président : J'aimerais revenir sur deux ou trois choses. Il semble y avoir un fil conducteur dans ce qu'on nous dit, et il y a deux éléments liés aux décisions qui doivent être prises. Il y a d'abord la question de savoir si on doit envoyer des soldats sur le terrain, des hommes et des femmes, pour, comme vous dites, garantir la protection des gens et maintenir la paix au jour le jour. Et puis il y a ce que beaucoup de témoins nous ont dit : la question du renforcement de la capacité locale et le fait qu'on va dans des pays déchirés par la guerre, où l'infrastructure est détruite. Et il n'y a, pour l'essentiel, aucune institution en place et donc aucun ordre civil.

L'autre aspect de tout ça est : est-ce que le Canada et le Centre Pearson pour le maintien de la paix peuvent jouer ce rôle, par opposition à l'hypothèse de déployer des troupes et d'exceller à former des gens qui ont été identifiés dans un pays comme le Mali? On n'aurait pas nécessairement à le réserver à un seul pays. On pourrait identifier trois ou quatre pays dans lesquels, pendant une certaine période, ici et là peut-être, on apporterait les moyens éducatifs dont ces gens ont besoin pour devenir aptes à prendre soin eux-mêmes de leur pays. Plutôt que de maintenir la paix au jour le jour et de dépenser 450 millions de dollars juste pour ça, alors que les gens envoyés par l'ONU le font déjà, au moins en partie. Autrement dit, on pourrait améliorer les choses à plus long terme. Qu'en pensez-vous?

Mgén MacKenzie : J'aurais quelques commentaires à ce sujet, monsieur le sénateur.

Je dirais que, oui, c'est une bonne idée qu'un gouvernement accepte de jouer un rôle peu visible. Ils veulent être très visibles et que ça soit sans risque et pas cher... désolé, mais ça ne va pas ensemble. Mais, oui, absolument, on peut faire les deux.

Quant au renforcement de la capacité, on utilise surtout des ressources civiles, avec, une fois encore, je le rappelle, l'aide de la sécurité canadienne, parce que certaines de ces régions sont très dangereuses. Mais si c'est une autre situation où la capitale est sûre et qu'il y a une certaine paix, alors oui, ils peuvent y aller, comme quand on joue un rôle de développement. J'ai vu des travailleurs humanitaires dans certaines zones vraiment dangereuses témoigner de ce qui se passe en Syrie à l'heure actuelle. Il ne manque pas de volontaires, que Dieu les bénisse! Donc, oui, on peut certainement faire les deux.

Si ça se fait tout seul, vous avez un problème de relations publiques si le gouvernement veut que ça soit visible, parce que, dès qu'il y un déploiement, c'est une histoire finie, et c'est la dernière dont vous entendrez parler sauf si quelqu'un se fait tuer. C'est très peu visible.

Mais, si vous envoyez des soldats sur le terrain — et ce n'est pas ce que je recommande, je dis seulement que, si vous envoyez des gens, il faut les protéger, et ça veut dire des soldats sur place autour d'eux — alors les journalistes vont venir voir, parce que, quand le sang coule, l'encre coule aussi... Si quelqu'un se fait tuer, on en parlera plus dans les reportages. C'est notre monde. C'est comme ça.

Mais c'est du bon travail, évidemment, et il faut le faire. Des gens comme Lloyd Axworthy seront là pour taper sur la table et vous dire de le faire.

Le président : Est-ce qu'il n'y a pas aussi une autre question ici? Est-ce que les décisions prises par notre gouvernement ne devraient pas tenir compte des intérêts du Canada aussi bien que du pays à aider? Je demande ça parce que nous voyons tous les jours le carnage qui se passe en Syrie jour après jour. Le jour n'est pas très loin où il faudra reconstruire ce pays de fond en comble et on peut se demander si nous serons en mesure de répondre aux besoins sociaux et humanitaires là-bas. Ce sont des millions de gens qui sont touchés, et on n'arrive pas à croire ce qui se passe en ce moment là-bas.

Donc, si on prend la décision de s'engager en Afrique de façon conséquente — et vous avez oublié de souligner les engagements que nous avons déjà au Kurdistan, en Lettonie et ailleurs —, est-ce que, à court terme, nous nous rendons incapables d'aider vraiment un pays dont la situation a effectivement des répercussions sur la sécurité du Canada?

Mgén MacKenzie : Je vous rappelle ce que j'ai dit aux médias il y a quelques jours et que je répéterai cet après-midi sur CPAC. Si on prenait l'argent qu'on va consacrer à essayer d'obtenir un siège au Conseil de sécurité — un siège sans droit de vote pour deux ans à partir de 2021 — il y aurait tellement de meilleurs endroits à l'ONU où le dépenser.

Ironiquement, l'ONU a été créée en 1945 pour faciliter le maintien de la paix et de la sécurité à l'échelle internationale. Je donnais une conférence à Minneapolis quand une personne est venue me voir après. C'était la dernière personne vivante à avoir signé la Charte des Nations Unies en 1945, et elle m'a dit : « Vous savez, Général MacKenzie, vous avez raison, excepté qu'il n'y a pas eu de troisième guerre mondiale. » Et c'est pour cette raison que le Conseil de sécurité a été créé et que les cinq membres permanents ont un droit de veto.

Au fait, ce qui est écrit en petits caractères précise que la composition et les procédures du Conseil de sécurité sont sujets à veto également, ce qui veut dire qu'il n'y aura jamais aucun changement d'ici la fin de ma vie. Il y aura toujours les cinq membres permanents. Les autres sont là après avoir fait une campagne très coûteuse pour y être, puis pour y rester.

Bob Fowler est passé à la télévision l'autre soir. Pendant les quatre années qu'il a passées là, il a assumé en moyenne 22 ou 23 fonctions tous les soirs. Il a expliqué que ça coûte beaucoup d'argent.

Donnez cet argent à l'UNICEF. Les agents de l'UNICEF et du HCNUR travaillaient à partir de mon quartier général. C'est malheureusement là qu'il y a de la croissance. La clientèle augmente à vue d'œil tous les jours, et il n'y a pas de doute que ces organismes font vraiment du bon travail.

Je sais bien que ce n'est pas un jeu à somme nulle. Ce n'est pas l'un ou l'autre. Mais je me dis que l'argent dépensé ici pourrait être plus utilement dépensé ailleurs et avoir plus d'effet.

La sénatrice Jaffer : J'aimerais vous poser une question compte tenu de tout ce que nous avons entendu jusqu'ici. J'espère pouvoir le formuler correctement. L'un des témoins a déclaré que le DOMP envoie des notes pour dire qu'on a besoin d'hommes sur le terrain. Différents pays disent qu'ils vont envoyer tel nombre, et le DOMP les envoie.

Peut-être que j'ai mal compris, mais j'ai l'impression qu'une planification stratégique n'est pas nécessaire pour envoyer tous ces gens. J'exagère un peu, parce que je sais bien qu'il doit y avoir une certaine planification. Je ne sais même pas si ça s'est déjà fait, mais pensez-vous que le Canada pourrait travailler avec le DOMP pour élaborer un plan stratégique avant d'envoyer des gens? Est-ce que ça pourrait être un rôle pour nous?

Mgén MacKenzie : Madame la sénatrice, il y a bien longtemps, quand j'étais un critique de l'ONU, c'était un personnel très peu nombreux, et ils se sont rendu compte qu'ils devaient travailler 24 heures par jour, sept jours sur sept. Ils ont donc commencé à engager des gens, et beaucoup de pays, dont le Canada, ont proposé de fournir l'expertise d'agents à l'ONU gratuitement. Le Canada assumerait les coûts.

Je me rappelle avoir visité cette nouvelle salle de gestion de crise. Ce n'était pas un centre d'opérations. Il n'y avait aucune autorité en place, et j'ai adoré ça parce qu'il y avait un écriteau en carton à l'avant, où était écrit : « Salle de gestion de crise du Général Lewis MacKenzie. Nous travaillons 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. » C'était bien. J'ai trouvé ça super.

Ce que je veux dire, c'est que les pays du tiers monde ont protesté aussitôt parce que ceux d'entre nous qui avaient les moyens d'avoir des gens à New York ont envoyé des agents au quartier général, où ils n'acceptaient pas l'indemnité quotidienne de 150 dollars américains ni de rémunération pour l'hébergement, et cetera. Le plan a été mis en pièces au bout de deux mois. Ils ne fournissaient plus de ressources gratuites à l'ONU.

Alors, c'est ce genre de planification qui se produit aujourd'hui. Je ne suis pas un expert, mais je sais que le personnel s'est multiplié par 20 là-bas. Ils ont donc le personnel nécessaire pour faire le travail et je suis sûr qu'il y en a quelques-uns dans ce personnel.

Mais ça devient difficile d'équilibrer l'envoi de troupes. Vous avez absolument raison : ce qui se passe, c'est que ces demandes sont adressées à un pays — à moins que ça ait changé depuis mon époque — à qui on demande : « Si nous avons une mission à envoyer ici ou là, qu'êtes-vous prêt à fournir? ». Et, si vous répondez : « Rien », on ne vous demande plus rien. Il faut répondre : « Nous sommes prêts à fournir ceci et cela », et on vous demande alors officiellement, par la porte avant, de faire ce que vous avez proposé.

Vous pouvez imaginer le temps que ça prend. Certaines missions ont des représentants de 30 à 35 pays, qui envoient parfois deux ou trois personnes seulement, alors que d'autres en envoient des milliers. Mais c'est très difficile pour l'ONU d'envoyer les troupes qu'elle veut au moment où elle le veut.

Le président : Chers collègues, nous arrivons au terme. J'aimerais poser une question au général au sujet de l'examen de la politique de défense globale qui est en cours.

Avez-vous des commentaires concernant quelque chose qui, dans l'armée, devrait être changé, modifié ou autre? Peut-être au sujet des réserves, de l'approvisionnement ou de la défense par missiles balistiques? Après quoi, nous conclurons notre réunion.

Désirez-vous ajouter quelque chose?

Mgén MacKenzie : Les ressources, c'est un sujet brûlant. Demandez à n'importe quel expert aujourd'hui. Il y a des choses qui devraient être révélées. Ensuite, pour économiser des ressources et de l'argent, les gens se lasseront en disant : « Oh mon Dieu, on ne peut pas faire ça » comme dans Summerside. Et ils monteront dans un autobus et viendront manifester devant le Parlement.

À chaque fois que les militaires quittent une région, ça vole en éclat. Pourquoi? Parce que l'armée ne produit rien. C'est un élément de dissuasion, et les militaires dépensent peut-être la moitié de leur salaire sur place. La plupart deviennent des parcs industriels : voyez Calgary, Summerside, et des endroits comme ça. On entretient une infrastructure qui dépasse nos besoins.

Les réserves sont critiquées systématiquement depuis toujours, même quand j'y étais, mais le fait est qu'elles ont été une ressource essentielle durant la guerre d'Afghanistan, de l'ordre de 20 à 25 p. 100, et qu'elles ont fait un travail extraordinaire. Quand je suis allé en Afghanistan, je n'ai pas vu la différence, tout simplement parce qu'il n'y en avait pas. Elles faisaient un excellent travail. Mais, chaque fois qu'il est question d'économiser de l'argent, on tape naturellement sur les réserves. C'est un personnel très mobile. Il y a beaucoup d'étudiants dans les réserves. Ils restent deux ou trois ans, puis s'en vont travailler ou poursuivre leurs études, peu importe.

Quant à l'approvisionnement, je pensais atteindre un record Guinness. Je n'ai servi qu'une année ici à Ottawa durant mes 33 ans de service. Je me suis aperçu qu'un de mes amis n'est jamais venu ici : je parle du général Goudreau, un homme très avisé. On appelle ça la peine capitale. Mais je ne comprends absolument pas pourquoi l'achat de matériel est si compliqué quand on a pu voir en Afghanistan comme il était facile d'avoir des avions, des chars et de l'artillerie parce que des vies étaient en jeu.

Il faut des années et des années de collaboration entre Travaux publics et le MDN. Si on voulait acheter un char il y a 30 ans, on avait besoin d'un colonel, d'un sergent-major et d'un caporal. Aujourd'hui, on remplit tout une salle de théâtre avec les gestionnaires de projet dont on a besoin pour acheter quelque chose.

J'aimerais bien pouvoir vous donner une réponse. Tout ce que je sais, c'est que ça semble être un problème insurmontable. Je ne sais pas pourquoi, mais le fait est que c'est comme ça. L'approvisionnement est toute une histoire avant que le matériel nécessaire parvienne à ceux qui en ont besoin.

Le président : Général, merci beaucoup d'être venu nous voir. Ça a été très instructif, et je tiens à dire que nous apprécions beaucoup le fait que vous ayez pris le temps de venir. Au nom du comité et du Sénat, je vous remercie des services remarquables que vous avez rendus au pays et j'adresse mes salutations aux hommes et aux femmes en uniforme.

Accueillons maintenant notre quatrième groupe de témoins d'aujourd'hui. Il y a d'abord les représentants de la Légion royale canadienne : le Major-général (à la retraite) Richard Blanchette, président du Comité de défense et de sécurité, et Charles Gendron, secrétaire du Comité de défense et de sécurité. Nous avons aussi, de l'Association canadienne des vétérans des forces de la paix des Nations Unies, le major (à la retraite) Wayne Mac Culloch, président national de l'Association, et le Lieutenant-général (à la retraite) Louis Cuppens, conseiller spécial de l'Association.

Messieurs, bienvenue parmi nous. Je crois savoir que chaque association a des remarques préliminaires à formuler. Nous commencerons par la Légion royale canadienne, puis nous entendrons l'Association canadienne des forces de la paix des Nations Unies et l'Association canadienne des vétérans pour le maintien de la paix.

Major-général (à la retraite) Richard Blanchette, président du Comité de défense et de sécurité, Légion royale canadienne : C'est un grand plaisir pour moi d'être ici. Je suis heureux de pouvoir vous parler cet après-midi au nom de notre président Dave Flannigan et de nos quelque 300 000 membres. Je suis accompagné de Charles Gendron, secrétaire du Comité de défense et de sécurité de la Légion royale canadienne. Notre mission est d'être au service des anciens combattants, dont les militaires actifs et les membres de la GRC, ainsi que de leurs familles, pour promouvoir la mémoire de leurs actions et servir nos collectivités et notre pays.

[Français]

J'ai succédé à feu le général Bill Leach à la présidence du Comité de défense et de sécurité de la Légion royale canadienne, et ce dernier m'avait décrit le poste comme étant la porte d'entrée ou le point de contact avec les différents ministères dont les décisions touchent les anciens combattants et les membres des Forces armées canadiennes en service, ainsi que les policiers retraités ou en service à la Gendarmerie royale du Canada.

Les questions d'équipement, d'entraînement, de soldes ou de salaires et de moral font toutes partie du mandat de ce comité que j'ai l'honneur de présider.

[Traduction]

Quand on examine ces responsabilités, soyez sûrs que la Légion ne s'est pas engagée dans un changement d'orientation de mission. La Légion a été créée en 1926 par une loi du Parlement, et, jusqu'à maintenant, nous avons aidé les anciens combattants par le biais de notre mandat législatif dans le cadre de la Loi sur les pensions et de la Nouvelle Charte des anciens combattants. Nous sommes la seule organisation de services qui aide les anciens combattants et leurs familles grâce à des représentants au ministère des Affaires des anciens combattants et au Tribunal des anciens combattants (révision et appel). Nos 22 agents de services professionnels, sans parler de tous les bénévoles non professionnels, sont disséminés dans tout le pays et offrent une aide gratuite aux anciens combattants et à leurs familles pour obtenir les prestations et les services du ministère des Affaires des anciens combattants, et il n'est pas nécessaire d'être membre de la Légion pour obtenir notre aide.

[Français]

Par conséquent, la Légion estime que la nouvelle politique de défense devrait s'articuler sur les individus qui la feront fonctionner. J'ai eu l'occasion d'informer deux membres du groupe consultatif ministériel à ce sujet, le général Henault et Mme Margaret Purdy, ici même à Ottawa.

En juin, j'ai eu une occasion semblable, à Halifax, où j'ai participé à une table ronde présidée par le secrétaire parlementaire à la Défense nationale, John McKay. Lors de ces deux occasions, j'ai présenté huit recommandations relatives aux questions touchant le personnel des Forces armées canadiennes et de la Gendarmerie royale du Canada en service ou à la retraite. Je ne répéterai pas ici ces huit recommandations, en espérant qu'elles se sont rendues à quiconque est responsable de les examiner dans le cadre d'un examen de la politique de défense axé sur les questions relatives au personnel.

[Traduction]

Aujourd'hui, il vaut mieux que ce soit nous qui vous parlions des opérations de soutien de la paix. Je me limiterai donc à quatre recommandations à ce sujet.

Notre première recommandation ne vous paraîtra pas nouvelle, mais il faut quand même la rappeler. Un examen de la politique de défense est un exercice difficile, sur le plan mental comme sur le plan pratique, et il faut l'appuyer sur une stratégie de sécurité nationale plus vaste. Ce genre de stratégie doit tenir compte de tous les atouts dont le Canada dispose, qu'il s'agisse des militaires, des policiers ou des civils. Nos alliés américains, britanniques, australiens et français appliquent tous cette méthode beaucoup plus logique. On voit bien maintenant que notre nouveau gouvernement a choisi de mettre la charrue avant les bœufs.

Bien entendu, on va nous dire qu'il y a eu, qu'il y a et qu'il y aura beaucoup de consultations auprès d'autres ministères et organisations pour élaborer la nouvelle politique de défense. Mais, comme beaucoup d'analystes l'ont dit avant moi, on manque une belle occasion d'envisager globalement le rôle que le Canada pourrait jouer dans la sécurité mondiale. Ma recommandation doit cependant être pragmatique. Le train a déjà quitté la gare. Les annonces faites le 26 août par les ministres Dion, Sajjan, Goodale et Bibeau au sujet des opérations de paix le confirment. Il n'y aura pas de stratégie de sécurité nationale qui orientera l'examen de la politique de défense. Nous recommandons plutôt que les officiers d'état-major et les fonctionnaires chargés d'élaborer une politique de défense produisent un solide ensemble d'hypothèses permettant d'aller plus loin que les lettres de mandat adressées aux ministres. Nous sommes évidemment heureux de ces lettres de mandat, mais nous avons besoin de plus que ça. Ces hypothèses ne remplaceront jamais une stratégie de sécurité nationale, mais elles faciliteraient l'élaboration de la nouvelle politique de défense et permettraient de la comprendre une fois qu'elle serait promulguée.

[Français]

Notre deuxième recommandation vise à ce que l'examen de la politique de défense ne mène pas au développement de capacités tellement spécialisées que leurs coûts fassent en sorte qu'une capacité polyvalente de combat, tant dans les opérations offensives que défensives, soit sacrifiée. Cet équilibre entre la spécialisation et la polyvalence doit être maintenu dans les cinq éléments, puisque maintenant nous devons tenir compte également de l'espace et du cyberespace.

[Traduction]

Nous recommandons en troisième lieu que, si les Forces canadiennes déploient plus de personnel plus souvent, le gouvernement du Canada devrait intégrer au processus de planification un système d'évaluation des coûts à long terme associés au soutien des familles au pays et des anciens combattants eux-mêmes, même lorsqu'ils ont pris leur retraite. Ça suppose une collaboration beaucoup plus étroite entre la GRC, les Affaires des anciens combattants, le MDN et Sécurité publique Canada par le biais du ministre Ralph Goodale, au-delà de l'idée très constructive du double emploi du ministre Hehr comme ministre associé de la Défense nationale.

[Français]

Notre quatrième recommandation vise à ce que le gouvernement du Canada, advenant une participation accrue aux opérations de la paix, prenne les mesures nécessaires pour améliorer la coopération interministérielle essentielle à la planification opérationnelle qui inclut l'attribution et la distribution de l'équipement, les exposés culturels ainsi que l'entraînement spécialisé. L'approche 3D — Défense, Diplomatie et Développement -ou l'approche pangouvernementale apprise difficilement avec les Équipes provinciales de reconstruction -les fameuses EPR et l'EPR de Kandahar -doit être revue et améliorée en fonction des théâtres opérationnels à venir.

[Traduction]

En conclusion, la Légion royale canadienne et ses quelque 300 000 membres suivent de très près l'examen de la politique de défense. Nous vous sommes reconnaissants de nous avoir invités à contribuer à votre étude par le biais de ces quatre recommandations. Nous vous demandons instamment de ne pas oublier de tenir compte aussi de nos huit recommandations concernant le personnel.

Lieutenant-général (à la retraite) Louis Cuppens, conseiller spécial, Association canadienne des vétérans pour le maintien de la paix : L'Association canadienne des vétérans pour le maintien de la paix vous a envoyé, il y a déjà un certain temps, un document accompagné d'une lettre, que j'ai écrits pour souligner ce dont viennent de parler les représentants de la Légion, c'est-à-dire la nécessité d'une large consultation pour élaborer ce rapport.

Nous sommes d'avis qu'un nouvel examen de la politique de défense ne peut se faire en vase clos. Il y a tant d'autres organismes gouvernementaux qui doivent y prendre part. Autrement, nous nous retrouverons avec le Livre blanc de 1987 sur la défense, jamais financé, jamais même mis en œuvre, puisqu'il s'agissait du fruit d'une initiative ministérielle interne. J'en ai apporté un exemplaire, si jamais quelqu'un veut l'emprunter.

Comme vous pouvez le constater dans la note que j'ai envoyée, je compte 38 années de service militaire, notamment mes années de service à Colorado Springs à titre de commandant en chef adjoint du NORAD. Inutile de préciser que je suis en mesure de répondre à toutes les questions au sujet de la défense antimissile balistique que vous pourriez avoir. J'ai aussi dirigé les opérations de maintien de la paix au quartier général de la Défense nationale et j'ai participé à certaines de ces opérations, dont les deux missions de Lewis MacKenzie. C'est avec plaisir que je répondrai à toutes les questions soulevées, vous évitant ainsi de lire mon document, qui fait quand même neuf pages; c'est à vous de décider.

Je suis prêt à répondre à toutes vos questions. Je suis heureux d'être ici parmi vous.

Le président : Merci beaucoup, général. Avons-nous une autre présentation?

Major (à la retraite) Wayne Mac Culloch, président national, Association canadienne de Vétérans des forces de la paix des Nations Unies : Monsieur le président, honorables sénateurs, je suis ravi de comparaître devant vous aujourd'hui pour vous parler des idées des membres de l'Association canadienne de Vétérans des forces de la paix des Nations Unies sur la participation future du Canada aux opérations et aux missions de paix des Nations Unies.

Comme vous l'avez déjà mentionné, le mandat du Comité est d'examiner les missions sous l'égide des Nations Unies. Je crois que ces missions devraient comprendre celles autorisées par une résolution du Conseil de sécurité des Nations Unies, mais effectuées par d'autres organismes, comme l'OTAN ou l'Union africaine. En outre, les missions de paix ne sont pas une niche clairement reconnaissable dans le spectre des conflits, mais elles constituent un continuum allant de la consolidation de la paix, soit la prévention de l'escalade d'un conflit, au rétablissement de la paix, soit le recours massif à la force pour mettre fin aux hostilités.

Les missions de paix du Canada doivent avoir un objectif clair et réalisable qui devrait être mesurable et comprendre des jalons permettant d'évaluer la progression vers l'atteinte de l'objectif ultime.

Le mandat du contingent canadien doit correspondre le plus possible à l'objectif. Il faut veiller avec beaucoup d'attention à ce qu'il soit clair et comprenne les objectifs de la mission du Canada. Il doit aussi reprendre le mandat de mission des Nations Unies, qu'il s'agisse du chapitre 5 ou du chapitre 6 de la Charte des Nations Unies. Dans le passé, de telles divergences entre les Nations Unies et le Canada ont semé la confusion sur le terrain, une situation qui expose inutilement nos troupes au danger et place notre pays dans l'embarras.

Les missions de paix ne sont habituellement pas à faible risque pour ceux qui y participent, et elles changent souvent leur vie. En raison de leur nature, elles placent les Canadiens dans des situations précaires ou en voie de le devenir, souvent lorsque la loi et l'ordre n'existent plus. Il est préférable de déployer du personnel de paix avant que la situation devienne instable, mais il est fort peu probable qu'un pays demande et accepte une mission de paix des Nations Unies avant que la situation ne se dégrade ou soit sur le point de se dégrader.

Tout contingent canadien doit avoir des règles d'engagement claires qui sont établies par le Parlement et qui autorisent la légitime défense, de manière individuelle et collective. Elles devraient également prévoir le recours à la force dans d'autres cas, notamment pour mettre fin aux échanges de feu, défendre des civils démunis, prévenir des incidents comme ceux survenus à Srebrenica, ce que nos alliés néerlandais ont connu en Bosnie en 1995. Certes, nous savons désormais que les soldats canadiens ne doivent plus jamais recevoir l'ordre de demeurer impassibles alors que les actes les plus vils sont commis sous leurs yeux.

La Force des Nations Unies chargée d'observer le désengagement sur le plateau du Golan, la mission d'un an en Namibie et l'Organisation des Nations Unies pour la surveillance de la trêve au Moyen-Orient sont autant d'exemples de succès. Les missions en Angola et au Rwanda ont connu un échec retentissant, dont nous devons tirer des leçons.

De l'équipement canadien devrait être remis aux Canadiens participant aux missions de paix. Il faudrait porter une attention particulière aux renforts, qui sont souvent négligés lors de la fourniture d'un tel soutien et laissés à eux-mêmes.

Dans le même ordre d'idées, malgré un appui externe et d'autres technologies modernes qui permettent d'évacuer des humains du théâtre de la mission, un soutien « arrière » à proximité immédiate du personnel sur le terrain sera toujours nécessaire. Il faut résister à la tentation de réduire ce soutien essentiel pour diminuer le nombre de personnes déployées. Il est crucial de fournir un échelon de soutien suffisant dans le théâtre, non seulement parce qu'il assure le maintien d'un moral élevé, mais aussi parce qu'un appui rapproché est indispensable pour le succès de la mission.

Comme je l'ai dit précédemment, le déploiement lors d'une mission de paix change souvent des vies et tous ceux qui y participent devraient recevoir l'aide du gouvernement pendant la mission et celle d'Anciens Combattants Canada à leur retour. Ce sont les policiers provinciaux et municipaux qui sont le plus touchés par les lacunes actuelles, mais les agents déployés de la Gendarmerie royale du Canada sont aussi victimes de ces lacunes. Ils devraient recevoir le même soutien et la même aide que les membres des Forces armées canadiennes.

Les familles des personnes déployées lors de ces missions ont aussi besoin d'un soutien considérable. Dans leur cas, le besoin se fait sentir avant le début de l'instruction en prévision du déploiement. Les membres de la famille doivent comprendre ce que comporte une mission des Nations Unies et quelle est la part du Canada. Il faudrait offrir un complément de formation préparatoire sur le filet de sécurité pour la famille et sur ce qu'il convient de faire lorsqu'un imprévu se produit. Les Forces armées canadiennes continuent d'élaborer un modèle approprié en la matière, qui devrait être fourni à la GRC et aux services de police De plus, à la fin de la mission, la personne déployée et les membres de sa famille doivent suivre de la formation sur la réintégration.

En résumé, pour que le Canada poursuive sa riche tradition de collaboration aux opérations de soutien de la paix dans le monde, certaines lacunes devront être corrigées avant que le gouvernement ne s'engage de nouveau dans ce domaine. Il faut une orientation claire et réaliste qui assure la protection du personnel canadien et des démunis. Le gouvernement se doit de les soutenir adéquatement du début à la fin, et le soutien doit tenir compte des conséquences sur les personnes déployées et leur famille.

Merci beaucoup. Je suis disposé à répondre à vos questions.

La sénatrice Jaffer : Merci beaucoup de vos présentations et je sais que je parle au nom de tous en vous remerciant de votre service envers le pays pour que le Canada demeure un endroit sûr.

J'aimerais commencer avec vous, général Cuppens, de l'Association canadienne des vétérans pour le maintien de la paix, à propos du Centre Pearsons. J'ai lu votre présentation. Vous dites que nous devons mettre en place une nouvelle institution pour remplacer le Centre Pearsons qui est maintenant fermé. Pouvez-vous l'expliquer?

Lgén Cuppens : Je sais de quel document vous parlez. Mon collègue, qui ne pouvait pas être ici aujourd'hui, le général Mitchell, est un ardent défenseur de ce centre. Le centre en question a existé pendant longtemps, et il soutient la notion que pour participer à des opérations de paix ou à des opérations conjointes pour essayer de rétablir la paix dans une région où il n'y en a pas, il faut une formation spéciale.

Cette formation a été dispensée aux diplomates, aux organismes de santé et d'aide et au personnel militaire qui serait en charge surtout pour comprendre les modalités des missions et l'intervention du gouvernement, dans le style mentionné par le général MacKenzie : Que faire à la dernière minute quand tout est devenu horreur? Avec qui communiquer?

Il y a eu un processus de formation intense. C'est malheureux que le centre ait fermé ses portes et notre organisation en défend ardemment la reproduction.

La sénatrice Jaffer : L'un des témoins, je pense que c'était hier, a parlé de la nécessité de renforcer les aptitudes intellectuelles — et loin de moi l'idée de dire que les gens ne sont pas intelligents, détrompez-vous — les aptitudes intellectuelles des cadres moyens et des membres de l'armée, de la Marine et de la force aérienne, et de mettre en place une base, une armée, plus stratégique au Canada.

Est-ce que l'un d'entre vous veut en parler? Comment parvenir à renforcer les gestionnaires intermédiaires, non les cadres, dans les trois forces?

Lgén Cuppens : Je vais commencer et mes collègues voudront peut-être emboîter le pas.

À l'époque où j'étais affecté au quartier général de la Défense nationale en 1987, nous avions mis sur pied la direction générale des opérations de maintien de la paix. C'était bien avant l'arrivée du général Hillier qui a réorganisé les composantes du quartier général. Je me souviens, au début de ce que le général MacKenzie a si bien décrit, que si on demandait à notre pays de fournir un bataillon chargé de la logistique, la réponse était établie et il y avait ensuite un suivi.

Habituellement, des intervenants de l'ACDI, des Affaires étrangères, de la GRC et du SCRS et des employés de la Défense nationale, qu'il s'agisse de spécialistes de la logistique, des finances ou des questions juridiques, étaient réunis à la même table dans le but de conseiller le gouvernement le mieux possible. J'ai dirigé les travaux de cette équipe, d'environ 20 personnes, à maintes reprises pour m'assurer d'avoir articulé une solution pangouvernementale, et c'est monnaie courante chez ceux qui portent l'uniforme au ministère de la Défense. Je ne suis pas certain que ce soit la même chose dans les autres ministères.

Mgén Blanchette : Votre question est très importante. J'ai l'impression que le niveau du gestionnaire intermédiaire dans les Forces canadiennes équivaut plus ou moins à celui de major ou de colonel. Je serais porté à dire que le système actuellement en place dans les Forces canadiennes est excellent. Il en manque peu pour qu'il soit pratiquement parfait. Et je suis sérieux. J'ai donné des cours dans divers organismes et j'ai suivi la situation de très près et je peux dire que le système est très, très efficace.

Ce qui l'est moins, c'est notre façon de former nos partenaires civils. Nos collègues des Affaires étrangères ou des Affaires mondiales, du secteur du développement et même des corps policier et militaire, doivent comprendre comment le processus de planification opérationnelle se déroule dans les Forces canadiennes, et j'ajouterais dans le monde, car nous tenons compte des conseils des Américains sur la façon de le faire. Notre système se rapproche beaucoup de celui de nos voisins.

Nous voulons des équipes solides. J'étais directeur de la politique en matière de maintien de la paix quand j'étais colonel, et quand nous étions appelés à collaborer avec les gens du Centre Pearson dans le cadre de l'ancêtre de l'ERP, et que nous parlions d'opérations 3D, c'était assez difficile d'en discuter avec eux, car ils étaient un peu dépassés. Ils avaient de la difficulté à embarquer dans un train qui fonçait à vive allure pendant que nous nous préparions pour la mission X.

C'est assez surprenant de constater que les responsables du perfectionnement des fonctionnaires canadiens n'envisagent pas une coopération plus étroite entre les civils et les militaires à ce chapitre.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Avant de poser mes questions, je voudrais faire un commentaire sur la déclaration de M. Mac Culloch. Vous avez dit que, souvent, les policiers municipaux et provinciaux avaient besoin d'un suivi après avoir participé à une opération. À titre d'ancien président de l'Association des policières et policiers provinciaux du Québec, je puis vous dire que vous avez entièrement raison. Bien des personnes qui revenaient de missions au Rwanda et en Haïti avaient besoin de suivi.

Ma question s'adresse au major-général Blanchette. Vous avez parlé dans votre présentation d'une approche plus logique mise en place par d'autres pays alliés et que le Canada refuse de suivre malgré toutes vos suggestions à cet égard. Pourquoi le Canada ne veut-il pas suivre l'exemple des pays alliés?

Mgén Blanchette : Malheureusement, je pense que notre gouvernement devrait répondre à la question. Nous vivons présentement une situation où nous avons carrément mis la charrue devant les bœufs. Il faut s'y mettre, mais soyons réalistes, il est trop tard. La révision d'une stratégie de sécurité nationale exige beaucoup de temps. Il faut, si c'est la première fois que nous tentons de le faire, que nous puissions nous doter d'une capacité intellectuelle qui touche à peu près tous les domaines de la société civile ainsi qu'à tout ce qui a trait au pouvoir militaire canadien et à tous les éléments que nous sommes en mesure de déployer à titre de pays du G8 pour réussir à influer sur la situation internationale, ou plus simplement, nous concentrer sur les manières dont nous pouvons déployer nos éléments ici, au Canada.

J'ai mentionné quatre pays qui ont eu le réflexe de passer par ce processus. Une fois que l'assise est solide, nul besoin de revenir sur cette stratégie nationale et de la changer constamment. On parle ici d'avoir des politiques qui vont s'arc-bouter sur cette stratégie de sécurité nationale et qui doivent être faites de façon méthodique, comme je l'ai mentionné tout à l'heure.

Le sénateur Dagenais : J'ai une question pour M. Cuppens. Malheureusement, les missions de paix de l'ONU ont déjà entraîné la mort de 22 Casques bleus canadiens. Chaque cas est certainement différent, mais on peut sûrement tirer des leçons de ces pertes de vie afin de mieux assurer la sécurité de nos militaires. Auriez-vous des suggestions quant à de nouvelles façons de faire, du moins afin de réduire les pertes de vie?

[Traduction]

Lgén Cuppens : La question que vous soulevez est assez compliquée et j'ai pu siéger quand le général MacKenzie a répondu à une question semblable. Tout d'abord, quand le secteur militaire s'engage dans une opération de paix ou de rétablissement de la paix ou peu importe, les soldats sont bien formés et informés, et ils comprennent la nature de la sécurité.

Or, bien avant, il faut évaluer une mission potentielle. Je pense que c'est là votre point. La mission doit faire l'objet d'une reconnaissance détaillée. Quand cela est fait, comme je l'ai mentionné dans mon rapport, il faut connaître le soutien logistique, les communications, le soutien médical, les gens avec qui vous travaillez, les règles d'engagement et le nombre estimatif de victimes.

Comment peut-on dire au gouvernement qu'il peut aller de l'avant avec la mission envisagée en Afrique quand ces facteurs et bien d'autres n'ont pas été évalués? Les militaires qui s'occupent de cet aspect sont bien formés à cette fin. Comme mon collègue l'a mentionné ici, malheureusement au MAECI et peut-être parfois à l'ACDI, on cherche à rebâtir le pays en même temps et l'attention portée au volet sécurité et risques en cause n'est pas suffisante.

Je peux donner un exemple. En 1987-1988, nous avons été envoyés pour assurer les communications entre l'Iran et l'Irak qui avaient convenu de parvenir à un cessez-le-feu. Il a fallu faire une reconnaissance approfondie, exploiter les intérêts, examiner les renseignements, simplement pour nous assurer de vraiment vouloir engager le gouvernement du Canada et ses jeunes dans cette mission.

D'autres missions se sont faites à la hâte. Dans certaines, il y a eu des victimes, ce qui ne se serait pas produit si la situation avait été bien évaluée.

J'espère avoir répondu à votre question, sénateur.

[Français]

Mgén Blanchette : Pour donner suite à votre question, j'aimerais ajouter que j'ai eu le privilège de commander des troupes dans trois missions onusiennes. J'ai commencé à Chypre, puis j'ai commandé mon bataillon en Haïti ainsi qu'au Rwanda, où je me suis retrouvé pendant un an dans des situations très difficiles où la vie de nombreuses personnes sous mon commandement était en jeu.

Ce dont vous parlez correspond à ce que nous appelons en termes de planification opérationnelle « le facteur de perte zéro ». Quelles sont les possibilités de ne subir aucune perte?

[Traduction]

Aucune perte. C'est un facteur très important dont il faut tenir compte pour évaluer comment déployer les troupes, mais le facteur le plus fondamental demeure le leadership sur le terrain. C'est au dirigeant sur le terrain que revient la responsabilité de prendre la décision, de regarder son interlocuteur dans les yeux et de déterminer si le risque est trop élevé pour se rendre à la mission. Il n'y a qu'un militaire qui peut donner un ordre légitime à une personne en sachant qu'elle sera tuée. C'est très difficile.

Je dois admettre que beaucoup, beaucoup de Canadiens ne se rendent pas compte de cette différence, et j'ai un énorme respect pour notamment mes amis policiers et pompiers, mais ces métiers sont protégés d'une façon ou d'une autre. S'ils veulent refuser, ils ont le droit légitime de le faire, les militaires, non, et il est très important de le comprendre.

[Français]

Le sénateur Carignan : Ma question s'adresse au lieutenant-général Cuppens. Il est souvent question des problèmes liés au financement des activités militaires, dont l'enveloppe devrait représenter 2 p. 100 du PIB. Nous sommes loin de là, puisque nos investissements se montent à moins de 1 p. 100 du PIB. C'est une situation récurrente qui a des répercussions sur l'équipement, l'entraînement, les forces, et cetera.

Vous dites dans votre présentation que, sans une augmentation importante du budget, nous serons une fois de plus des pique-assiette, du moins pour la prochaine année, ce qui signifie que nous serons obligés de puiser dans d'autres budgets pour combler nos lacunes. Pouvez-vous nous donner des exemples pratiques de situations où, lors d'un déploiement ou d'une mission, nous avons dû combler un déficit d'équipement ou de préparation en puisant dans les ressources d'un autre pays?

[Traduction]

Lgén Cuppens : Une autre question très compliquée, mais je vais essayer de donner des exemples et de mettre l'enjeu en lumière.

Oui, dans mon document, j'ai indiqué que le Canada n'a pas respecté l'obligation qu'il a prise envers l'OTAN. Nous faisons partie de l'OTAN. Nous avons convenu d'une hausse de 2 p. 100 et nous ne l'avons pas encore fait. Nous avons plutôt gelé le budget de la défense dans le dernier cycle. Nous parlons probablement de tout juste 1 p. 100. Nous occupons le quinzième rang parmi tous les pays.

Ce n'est pas nouveau. Nous avons été très longtemps des parasites en matière de défense. J'ai eu le plaisir de servir aux États-Unis pendant cinq ans. Le secrétaire de la Défense et les divers chefs d'état-major des États-Unis me rappelaient sans cesse les lacunes du Canada. Nous devons corriger la situation. Nous faisons partie de l'OTAN. Quand nous avons voté en faveur de 2 p. 100, le Canada a levé sa main. Nous ne l'avons pas fait.

En ce qui concerne votre question portant précisément sur les missions et le soutien aux missions, en 1957, c'était, je crois, 1956-1957, le Canada a envoyé un escadron de reconnaissance pour patrouiller la région entre Israël et l'Égypte. Nos troupes n'étaient pas bien équipées, n'étaient pas vêtues pour un climat chaud et n'avaient aucune nourriture, mais nous devions agir rapidement. Avec le temps, nous y avons vu. C'était en 1957.

J'ai pris part à des missions pour lesquelles aucun soutien logistique n'était prévu. Nous avions sorti nos troupes de l'Europe. Pendant la dernière mission en Afghanistan, nous avons dû établir le camp Mirage dans un autre pays et nous ne pouvions préciser lequel dans les médias afin de pouvoir offrir aux troupes déployées dans la région le soutien logistique nécessaire. Nous avons dû mettre sur pied un hôpital pour soigner les blessés. Nous avons tout de même dû les transporter à Landstuhl, en Allemagne, puisque nous n'avions pas de plan d'évacuation médicale à long terme.

Nous avons envoyé des gens dans divers théâtres encore une fois avec des armes qui ne fonctionnaient pas ou en quantité insuffisante. Prenons la mission en Afghanistan; il fallait des chars d'assaut, des hélicoptères de transport lourd. Nous y avons vu. Il y a sûrement au ministère de la Défense un livre épais comme ça sur les leçons apprises. Voilà 18 ans que j'ai quitté et j'en apprends encore.

Pour essayer de répondre à votre question, nous avons mis des gens en danger sans leur avoir donné le meilleur équipement, peu importe ce que nous pouvons possiblement avoir fait. Je peux préciser des pièces d'équipement si vous voulez. Le jeep Iltis par exemple, mais il y en a beaucoup. J'espère avoir répondu à votre question.

[Français]

Le sénateur Carignan : En écoutant vos présentations, je constate que, en ce qui concerne l'armée, lorsque le Canada part en mission, vous sentez que nous ne sommes pas suffisamment préparés, entraînés ou outillés pour faire face aux menaces et aux situations qui peuvent se produire et que cela peut mettre à risque la vie et la sécurité des membres des forces.

Ce matin, le vérificateur général nous a parlé de l'état de la Réserve. Il a d'ailleurs déposé un rapport à ce sujet. Il nous a dit que les membres de la Réserve sont moins entraînés que le personnel des Forces régulières. La Réserve est aussi moins financée que les Forces régulières. Il indique également que les membres de la Réserve sont moins prêts physiquement et moins outillés que le personnel des Forces régulières. Toutefois, on nous dit qu'en situation de déploiement, ils subiront un entraînement supplémentaire qui se rapprocha de celui que reçoit le personnel des Forces régulières.

Or, j'entends cet après-midi que les ressources dont disposent les forces à ce chapitre ne sont pas suffisantes. Je m'inquiète des risques liés à une mission pour laquelle nous sommes mal préparés. S'agit-il d'une crainte subjective ou objective? A-t-on raison de craindre que, si le Canada s'implique dans une mission, l'armée et la Réserve ne soient pas suffisamment préparées et les risques de pertes de vie soient importants?

[Traduction]

Lgén Cuppens : Pour votre question, je ne suis plus tellement à jour, étant à la retraite depuis 18, presque 19 ans. Ce que je vous raconte dans mon document, ce sont les lacunes. Je ne peux faire des observations sur le degré de formation des forces militaires de réserve du Canada. Je crois comprendre — et vous devriez soulever la question auprès du commandant de l'armée — que quand un réserviste est appelé à faire du service, il a les mêmes qualifications que son voisin. Il possède les mêmes compétences que les hommes du bataillon d'infanterie, de l'unité d'artillerie ou peu importe son unité d'attache.

Ainsi, votre prémisse selon laquelle ils ne sont pas assez compétents m'est totalement étrangère. Nous ne mettons pas un réserviste dans une situation pour laquelle il n'a pas été formé. Il ne peut en faire la demande et l'unité ne peut le déployer, s'il n'est pas qualifié. Ce monsieur serait peut-être plus à jour, mais, moi, c'est ma réponse.

[Français]

Mgén Blanchette : J'ai pris ma retraite il y a quatre ans, alors mon expérience est donc un peu plus récente.

J'aimerais poursuivre dans la même veine en commençant avec la question de l'effort de défense de 2 p. 100 et ce qui se passe à l'OTAN. Pendant trois ans, j'ai eu le privilège d'être assis à la droite du général Henault, qui était le président du comité militaire. À l'époque, 26 nations se trouvaient autour de la table. Le défi d'arriver à un consensus était alors aussi difficile qu'au début de l'alliance, lorsque nous avons pris cette décision concernant les 2 p. 100. La recherche d'un consensus constitue toujours un véritable défi quand il y a 26 organisations ou nations qui doivent s'entendre. La situation est un peu la même aujourd'hui avec les 28 nations membres de l'OTAN.

La décision concernant l'objectif des 2 p. 100 avait été prise en fonction de l'assurance que tous les pays pourraient l'atteindre, bien entendu. Toutefois, nous savions pertinemment que certaines nations, avec 2 p. 100, pourraient faire certaines choses, et d'autres nations pourraient faire autre chose. Il y avait donc un aspect très subjectif de ce point de vue.

Je parlerai maintenant de la question de l'entraînement des réservistes. J'ai servi comme directeur de la gestion des réserves pendant deux ans, au grade de colonel, dans les années 2000. À ce moment-là, nous avions une mesure que nous avons appelée la restructure de la Réserve de l'armée — elle visait l'armée et non la Marine ou l'aviation. Il est à noter que la Marine et l'aviation utilisent leurs réservistes d'une façon très différente de l'armée. Si les réservistes ont été aussi utiles durant les récents déploiements, en ex-Yougoslavie et même en Afghanistan, c'est qu'il s'agissait de remplacements individuels. Ces remplacements se sont avérés extrêmement utiles au sein des bataillons d'infanterie qui, pour la majorité, ont servi d'assise aux forces sur le terrain.

Ces unités reçoivent des budgets pour assurer un certain entraînement collectif. Cependant, la frustration que vous avez peut-être perçue derrière les chiffres fournis par les commandants des régiments de réserves est liée au fait qu'ils ne sont pas en mesure, avec les sommes dont ils disposent, d'amener l'entraînement collectif à un niveau qui leur permettrait d'envoyer même un peloton, soit une trentaine d'hommes et de femmes, sur le terrain. Cette situation existe depuis très longtemps. Il faut voir comme une victoire le fait que nous soyons en mesure de fournir aux réservistes — qui viennent assez tôt avec ce qu'on appelle la montée en puissance d'une unité — la possibilité d'atteindre les mêmes normes que les soldats de l'armée régulière. En fin de compte, je reviens à la notion de leadership. C'est le commandant d'unité qui, en évaluant ses troupes, va devoir dire à son patron : « je suis prêt à y aller » ou « je ne suis pas prêt à y aller ». Cette responsabilité sera toujours celle du commandant nommé pour partir en mission.

Le sénateur Carignan : Dans l'armée en tant que telle, le niveau de préparation est-il suffisamment élevé pour remplir la mission?

Mgén Blanchette : Chaque cas est différent. Quand je préparais mon bataillon pour partir en Haïti, je me souviens pertinemment que nous avions certains objectifs à atteindre. J'avais discuté avec ma chaîne de commandement, c'est-à-dire les gens qui travaillaient pour moi, et avec mon commandant de brigade afin de déterminer ce que nous voulions accomplir durant les trois mois dont nous disposions à partir du moment où nous avions reçu notre ordre d'avertissement. Avec toutes les tâches supplémentaires qui m'ont été confiées, comme des entraînements culturels — arriver à parler créole à un certain niveau, par exemple —, je suis arrivé assez juste à la ligne. Il y avait une série de facteurs qui ne m'avaient pas frappé au départ. Dans les dernières semaines, nous avons dû compresser, couper des congés. Mais lorsque nous sommes partis, j'ai salué mon patron en lui disant : « Nous sommes prêts à y aller. » C'est ainsi que ça fonctionne.

[Traduction]

Le président : Chers collègues, le temps file. Il nous reste 10 minutes. Trois sénateurs ont des questions à poser.

Nous vous saurions gré de faire en sorte que vos préambules et les réponses soient assez brefs.

La sénatrice Beyak : Je veux faire écho aux propos de la sénatrice Jaffer et vous remercier tous de défendre ou d'avoir défendu notre pays. C'est un honneur de vous compter parmi nous.

Vous serez heureux de constater, général Cuppens, que le même rapport a été présenté hier et qu'on nous a dit espérer que notre rapport indique certaines leçons apprises.

Je me demande si chacun d'entre vous pourrait me faire part de ses idées. Général Cuppens, vous avez déjà parlé au début de votre intervention de la nécessité pour nous de procéder à un examen de la politique étrangère parallèlement à un examen de la défense nationale. Plusieurs témoins nous ont dit que c'est un devoir ou que l'examen de la défense nationale n'est qu'un autre document, comme vous l'avez souligné.

Lgén Cuppens : J'ai soulevé la question dans mon document. En fait, quand j'ai pris connaissance des lettres de mandat de chacun des ministres affectés au Cabinet, je n'ai pas tardé à rédiger un article pour souligner le fait que vous ne pouvez effectuer un examen de la défense en vase clos. Vous devez collaborer avec vos collègues des Affaires étrangères, de l'ACDI, de la sécurité et de la sécurité publique. Nous avons tout un chacun un rôle à jouer dans la sécurité nationale et certains aspects nécessiteront la force militaire et d'autres, l'imposition de la volonté politique, les forces de sécurité, les ressources naturelles ou l'état de préparation de l'industrie.

Vous ne pouvez pas tout simplement parcourir le document et dire qu'il s'agit de la politique nationale en matière de sécurité du Canada sans amener les ministres autour de la table à prodiguer leurs conseils les plus judicieux et à s'entendre sur ce que le secteur militaire doit, à leur avis, être en mesure de faire et sur ce qu'ils veulent que les intervenants dans le domaine des affaires étrangères et les diplomates, les médias publics et notre corps policier fassent.

Je suis tout à fait en faveur d'un examen collectif, et non d'un examen indépendant; je brandis ce document, non financé, il s'effondre.

Plusieurs autres estiment que la Stratégie de défense Le Canada d'abord n'est pas financée. Ainsi, jusqu'à ce que les politiciens s'entendent à ce chapitre, nous sommes voués à l'échec.

Maj Mac Culloch : Je pense que les deux vont de pair, sinon le travail est à moitié fini.

Le sénateur Meredith : Nous parlons de formation des Forces canadiennes, de préparation au déploiement, de nos réservistes et ainsi de suite.

De l'autre côté de la médaille, quelle est la responsabilité du Canada pour ce qui est de garantir que nos partenaires des pays dans lesquels nous déployons nos forces sont bien équipés, qu'ils ont renforcé leur capacité de minimiser les risques et qu'ils sont en mesure de réduire au minimum le nombre de pertes de vie?

La deuxième question, major-général Blanchette, porte sur les points soulevés par le vérificateur général concernant le stress post-traumatique et le bien-être de nos anciens combattants, sujet qui est encore très d'actualité, et la mesure dans laquelle nous devons voir à ce que les mécanismes nécessaires pour les appuyer soient en place.

J'aimerais vous entendre à ce sujet rapidement. Major Mac Culloch, vous pourriez peut-être parler en premier, puis céder la parole aux autres intervenants.

Maj Mac Culloch :Je pense que je vais passer mon tour. Le réseau qui s'impose ne se limite pas au stress post-traumatique et ce sont les personnes qui obtiennent le moins de soutien qui en ressentent le plus les effets. Malheureusement, ceux-là sont un peu hors de la portée du gouvernement fédéral; je parle des policiers provinciaux et municipaux.

À mon avis, la formation que nous dispensons avant de partir est aussi bonne que possible, et il est difficile d'influencer les autres partenaires à ce chapitre, car, après tout, ce sont des pays souverains.

Lgén Cuppens : En ce qui a trait au premier volet de votre question à propos des préparatifs, si nous entreprenons une opération, peu importe le type, avec un allié, nous devons bien comprendre en quoi consistent leurs règles d'engagement. Nous avons eu toute une expérience à cet égard en Bosnie et dans les Balkans. Par exemple, le droit américain confère aux militaires des É.-U. la capacité de défendre la pauvreté. Vous pouvez défendre votre demeure au moyen d'une force meurtrière. Ce n'est pas le cas au Canada.

Donc, quand on arrive dans un théâtre pour défendre le terrain, les règles d'engagement de tous ceux qui participent à l'opération doivent être très claires; autrement, un intervenant prend du recul et les autres doivent assumer.

C'est l'un des grands points dont il faut discuter, mais j'en ai déjà servi toute une litanie; je ne vous embêterai donc pas avec cela. Il est question de beaucoup de préparatifs.

La plupart du temps, les pays pro-occidentaux ont formé leurs troupes ensemble. Nous avons déjà collaboré, ce n'est donc pas difficile. Le problème, c'est quand il est question de former d'autres pays avec lesquels nous n'avons jamais collaboré.

En ce qui a trait au deuxième volet, j'ai témoigné à maintes reprises devant le Comité permanent des anciens combattants de la Chambre des communes pour parler de la nécessité d'une collaboration plus étroite entre le ministère de la Défense et Anciens Combattants Canada. Il faut que la transition se fasse sans heurt. Il ne faut jamais qu'une personne soit libérée et qu'elle se suicide trois semaines plus tard.

Bien des choses ne tournent pas rond. Le ministère des Anciens combattants et la Chambre des communes s'efforcent d'étudier les problèmes et de les régler. Cela ne fonctionne pas encore à 100 p. 100, mais je m'aventurerais à dire à 80 p. 100.

Le stress post-traumatique est un problème de taille pour les soldats de retour, spécialement de l'Afghanistan. En fait, on me dit qu'il y a plus de soldats de retour d'Afghanistan qui se sont suicidés qu'il y en a qui sont morts au combat sur place.

Mgén Blanchette : Pour commencer avec la question que j'ai ratée, sénatrice Beyak, il se peut que dans mon allocution j'aie parlé de la nécessité d'articuler une stratégie nationale en matière de sécurité pendant deux minutes.

Quant aux deux points que vous avez soulevés, sénatrice, je tiens à souligner que le renforcement des capacités est un domaine merveilleux dans lequel les Canadiens excellent à transmettre leur savoir-faire. Le meilleur exemple à ce chapitre est, bien entendu, assez récent, soit ce que nous avons réalisé en Afghanistan; en outre, l'année de mon service sur place, j'ai très régulièrement rendu visite aux forces afghanes de sécurité pour constater l'interaction très positive qui se manifestait, et, malheureusement, ce ne sont pas tous les pays qui peuvent en faire de même. Jamais un Afghan — on me corrigera si je me trompe — n'a tourné son arme contre un Canadien. Donc, à mon avis, inutile d'illustrer à quel point nos gens sont de bons formateurs.

Quant au bien-être des membres de nos forces, je pense que je me fais le porte-parole autant des membres actifs que des anciens combattants pour affirmer que nous nous attendons à ce que le gouvernement du Canada s'occupe de nous quand nous avons des problèmes, physiques ou mentaux, découlant de nos années de service.

Il y a aura beaucoup de plaintes, bien entendu, mais c'est un domaine immense et il faut tant de ressources pour s'attaquer à ce qui doit être fait, et le ministère des Anciens combattants, d'après ce que nous avons compris des lettres de mandat, a un défi de taille. Essentiellement, la Légion exerce des pressions sur le gouvernement et nous voulons nous assurer qu'elle poursuivra cette tâche. Nous illustrons la situation en chiffres : il en reste 14, plus que 12; continuons le combat, monsieur le ministre. Voilà le genre de demande que nous présentons.

Or, même pour les membres actifs, il y a des situations où nous avons de véritables espoirs. Par exemple, mon frère a été militaire pendant 28 ans. Il est décédé l'année dernière. Sa veuve m'a dit avoir lu les lettres de mandat et avoir constaté qu'elle pourrait toucher 70 p. 100 du revenu ou de la pension de mon frère. Elle se demandait quand. Nous attendons. On parle de 50 p. 100. Elle pourrait toucher 70 p. 100.

Nous allons faire preuve de prudence quand nous donnons de l'espoir avec ces lettres, et nous voulons nous assurer qu'elles feront l'objet d'un suivi et que les promesses qui y sont faites seront remplies.

Le sénateur Day : Ma première question fera écho à la question de ma collègue — je pense qu'elle a lu mes notes — c'est-à-dire qu'elle portera sur ce que nous devons étudier parallèlement à l'Examen de la politique de défense. Les commentaires du général Blanchette sont devant moi. Je veux que vous me parliez de la stratégie de défense nationale, car l'expression est différente d'un examen de la politique.

Je le sais bien aussi — parce que nous nous demandions où nous nous situions quand le ministre a commencé à faire ces déclarations sur l'Afrique; nous nous engageons à ce chapitre et, en même temps, on nous demande de réaliser une étude sur la politique de défense nationale. Il semble donc que la décision a déjà été prise et nous nous penchons maintenant vraiment sur un aspect du dossier.

Je garde aussi en tête que pour bien des gens, la vie, c'est ce qui se passe pendant qu'on fait des plans. Où commencer et comment y arriver? Qu'est-ce que vous envisagez avec la stratégie?

Mgén Blanchette : Malheureusement, je n'aurai probablement pas le temps de bien répondre à votre question. Je peux vous dire que si la stratégie de sécurité nationale était une tarte, vous avez le livre de recettes pour la cuire, d'après le document de l'Institut de la CAD — Les perspectives stratégiques du Canada. Année après année, toutes les fois où on a un nouveau document, la Légion est membre de l'Institut de la Conférence des associations de défense. On y trouve la recette sur la façon de préparer une stratégie de sécurité nationale avant de déterminer où et comment nous allons utiliser les ressources aux fins de la défense et de la sécurité, et bien d'autres choses.

Comment aller de l'avant et déterminer la formation dont bénéficieront les membres des forces quand on ne sait pas les fins auxquelles les forces seront vraisemblablement utilisées? Est-il probable que nous allions à l'encontre de la Russie au cours des prochaines années? Est-ce que cela pourrait être inscrit pour nous? Tout dépend de la façon de définir notre relation avec la Russie. Comment définissons-nous la relation du Canada avec la Chine? C'est une question très générale, mais il faut l'aborder dans une certaine mesure afin que les officiers puissent mieux comprendre comment le gouvernement entend utiliser ses forces.

Je ne parle pas de déclencher une autre guerre froide ici, mais il faut que ces grandes questions soient posées, et si vous en voulez une liste détaillée, ce document explique clairement comment cela devrait se dérouler.

Le sénateur Day : Ma question est brève et à l'intention du général Cuppens. Nous sommes choyés d'avoir une personne qui a été pendant des années commandant adjoint auprès du NORAD. Il est consigné que ce comité a dit que nous devrions participer à la défense antimissile. Dans la mesure de vos moyens, pourriez-vous nous expliquer votre réaction face à la décision prise il y a bien des années de ne pas y participer et votre opinion aujourd'hui?

Lgén Cuppens : Mon opinion est la même qu'à l'époque de mon affectation à Colorado Springs, notamment, que nous devrions participer. Nous faisons déjà partie de l'OTAN et l'OTAN a un système de défense antimissile. Nous sommes membres de l'OTAN. Au moment de l'expliquer, je n'ai pas été ne mesure d'illustrer la logique devant un groupe mixte de sénateurs et de députés. L'honorable sénateur là-bas a assisté à l'une de mes séances d'information à propos de la défense antimissile balistique.

Nous avons raté l'occasion d'offrir aux jeunes Canadiens l'expérience extraordinaire que le développement du système leur aurait permis d'acquérir. J'étais allé jusqu'à placer des officiers dans les modules de développement, à Washington et ailleurs. Ils en ont tous été retirés lorsque notre pays a décidé de ne pas participer.

Nous nous rapprochons, de plus en plus, du moment où des ennemis déterminés menaceront notre pays et nos voisins du sud sans que nous ayons vraiment déployé un système différent de celui que nous avons actuellement, qui est très limité.

Le Canada a beaucoup à offrir. Par exemple, nous pourrions participer au mode de détection. Nous pourrions participer au mode de guidage ou au mode de recherche et développement. Néanmoins, une fois que nous avons déclaré que nous ne participerions pas au système, toutes ces possibilités ont disparu.

Je reste donc un ardent défenseur de la défense antimissile. Lorsque je portais l'uniforme, j'ai fait de mon mieux pour convaincre les gens du gouvernement que nous devions y participer, mais ils ont décidé que non. Je les ai salués et je suis parti.

Le président : Je tiens à remercier nos témoins. Général Cuppens, nous avions présenté un rapport appuyant, à l'unanimité, la participation du Canada au système de défense antimissiles balistiques et je pense que notre pays est passé à côté de quelque chose de très important. Dans une certaine mesure, cela nous a mis en danger si les choses se passent comme certains s'y attendent. Quoi qu'il en soit, le gouvernement du Canada est peut-être à l'écoute et pourrait, en tant que nouveau gouvernement, saisir l'occasion de voir ce qu'il peut faire pour convaincre les États-Unis que nous devrions participer au programme.

Merci à vous tous d'être venus aujourd'hui et d'avoir consacré du temps et des efforts à vos mémoires. Ils seront examinés attentivement.

Nous avons le plaisir d'accueillir aujourd'hui, dans le cadre de notre étude sur les questions relatives à l'examen de la politique de défense et le réengagement du Canada dans les opérations de maintien de la paix, Son Excellence Anne Kari Hansen Ovind, ambassadrice du Royaume de Norvège, qui constitue le cinquième groupe de témoins.

Avant de devenir l'ambassadrice de la Norvège au Canada, en janvier 2016, Mme Ovind a dirigé la section du Grand Nord, des Affaires polaires et des Ressources marines au ministère des Affaires étrangères de Norvège pendant six ans. Elle possède une vaste expérience des affaires de l'OTAN et a été la première secrétaire de la délégation norvégienne à l'OTAN, à Bruxelles, de 2003 à 2006. Elle a également travaillé sur le dossier de la sûreté nucléaire et de la coopération bilatérale avec la Russie dans le Nord.

[Français]

Son Excellence Anne Kari Hansen Ovind, ambassadrice du royaume de Norvège, Ambassade royale de Norvège à Ottawa : Merci, monsieur le président et membres du comité. C'est un grand honneur pour moi de prendre la parole devant vous aujourd'hui. Je vous remercie infiniment de m'avoir invitée.

Je saisis cette occasion de partager avec vous l'expérience norvégienne en matière de maintien de la paix, particulièrement dans les opérations onusiennes et autres opérations relatives.

[Traduction]

Les Nations Unies revêtent une importance particulière pour la Norvège et occupent une place spéciale dans le cœur et l'esprit de nombreux Norvégiens. Depuis la toute première opération au Moyen-Orient en 1948, jusqu'aux opérations au Liban et dans les Balkans, sans oublier les opérations actuelles au Mali — pour ne nommer que celles-là — , plus de 60 000 Norvégiens, hommes et femmes, ont fièrement porté le casque bleu, qui représente un symbole de paix et d'espoir. D'autres encore ont occupé des postes clés, ajoutant ainsi de la valeur à notre contribution à long terme. La Norvège demeure fermement résolue à participer aux efforts internationaux pour veiller à ce que les opérations de paix de l'ONU s'adaptent à la nouvelle donne.

Nous nous réjouissons de l'engagement du gouvernement canadien à reprendre sa participation aux opérations onusiennes.

L'ONU subit des pressions considérables pour remplir des mandats de plus en plus exigeants dans des contextes opérationnels de plus en plus éprouvants. Devenu la cible directe des belligérants sur le terrain, le personnel de l'ONU se trouve souvent contraint — faute d'une formation et d'un équipement suffisants — d'essayer de maintenir la paix alors que les conditions ne s'y prêtent pas.

Aujourd'hui, 9 Casques bleus sur 10 viennent de l'hémisphère Sud. La Norvège estime qu'il est primordial d'accroître la participation des pays occidentaux. L'engagement renouvelé du Canada dans les opérations de paix de l'ONU sera très utile à cet égard.

Nous jugeons que cela est important pour trois raisons. D'abord et avant tout, nous croyons qu'une contribution accrue de l'Occident augmentera la légitimité des opérations de l'ONU. Nous avons la responsabilité commune d'assurer la paix et la sécurité internationales.

Deuxièmement, nous possédons bon nombre des capacités de pointe et des compétences nécessaires pour réussir dans un contexte de sécurité complexe.

Troisièmement, les conflits dans lesquels l'ONU intervient sur le plan du maintien de la paix touchent de plus en plus, directement ou indirectement, notre propre sécurité. La distance géographique ne procure plus de protection contre les problèmes qui sévissent ailleurs dans le monde. Prenons l'exemple du Mali. De par sa situation géographique, le Mali est une porte d'entrée vers la région euro-atlantique, mais aussi une plaque tournante du terrorisme international, de la contrebande d'armes et de la traite des personnes. Il s'agit d'un pays de transit pour la migration. À l'échelle locale, l'ONU joue un rôle vital en contribuant à la stabilité et au maintien de la paix. Parallèlement, la mission constitue un élément important de la lutte contre l'extrémisme violent sur la scène internationale.

Mesdames et messieurs les membres du comité, tout en reconnaissant le rôle crucial que peuvent jouer les opérations de paix, nous devons également admettre que nos exigences et nos attentes dépassent les capacités actuelles en matière de maintien de la paix. Nous devons reconnaître que la quantité ne suffit pas. Nous devons améliorer la qualité des mesures prises par l'ONU, de la compréhension de la situation sur le terrain à la formation et aux procédures normales du personnel de l'ONU, en passant par l'état de l'équipement. Les efforts de maintien de la paix de l'ONU ne peuvent pas varier en fonction des capacités que nous pouvons fournir; ils doivent plutôt s'appuyer sur les exigences du conflit et la capacité de l'ONU d'y donner suite.

Pour ce faire, l'augmentation des ressources doit s'accompagner de réformes importantes. La Norvège croit que le travail du Groupe indépendant de haut niveau — le fameux rapport HIPPO présenté en juin dernier — a mis en évidence les réformes dont nous avons besoin à court et à long terme. Les États membres et l'ONU doivent travailler ensemble pour concrétiser ces réformes. Il nous faut agir de façon rapide et décisive avec un esprit ouvert. Nous devons être disposés à revoir nos positions et à envisager des compromis. La Norvège soutient fermement ces efforts de réforme.

Il y aura toujours des ressources limitées. C'est aussi vrai pour les États membres que pour l'ONU dans son ensemble. Et c'est pourquoi nous devons penser à des solutions intelligentes, mettre à profit les avantages naturels de chacun et chercher des multiplicateurs de force.

La Norvège, qui compte cinq millions d'habitants, dispose d'un budget de défense modeste. Nous comptons donc sur la possibilité de trouver des solutions intelligentes en partenariat. La Norvège a beau être un petit pays, elle peut avoir un grand effet dans certains créneaux spécialisés qui, de pair avec la contribution d'un autre pays, peuvent faire toute la différence sur le terrain dans le cadre d'une opération donnée. Je crois que ce constat vaut pour tous les États membres.

La mesure la plus importante que peuvent prendre la Norvège et les autres pays pour appuyer les opérations de paix de l'ONU et le processus de réforme continue, c'est de déployer des troupes et des capacités qui soutiennent réellement ces efforts.

À l'heure actuelle, la Norvège déploie 100 militaires dans quatre opérations onusiennes, les plus importantes étant celles au Mali, au Soudan du Sud et au Moyen-Orient. De plus, la Norvège apporte une contribution importante à la mission « Soutien résolu » de l'OTAN en Afghanistan, à la Coalition contre le groupe État islamique en Irak, et nous déploierons des effectifs en Jordanie pour aider les États-Unis à former les groupes d'opposition syriens. Nous avons également envoyé 37 conseillers des forces de police en Haïti, au Libéria et au Soudan du Sud.

Mesdames et messieurs les membres du comité, je reparlerai de la contribution concrète de la Norvège durant la période des questions et réponses. Je tiens simplement à insister sur l'importance de la participation de la police canadienne aux opérations de paix de l'ONU. La police joue un rôle clé dans les missions onusiennes, d'autant plus qu'il existe une forte demande pour des policiers francophones. La récente annonce du Canada en vue d'accroître le nombre de policiers déployés dans les missions de l'ONU a d'ailleurs été très bien accueillie.

Pour l'instant, on observe un élan très positif en faveur d'opérations onusiennes plus efficaces et mieux adaptées. Créé sous l'impulsion du processus de réforme, cet élan a été maintenu grâce au sommet tenu l'année dernière, à New York, sur les opérations de maintien de la paix de l'ONU et s'est poursuivi jusqu'à la récente réunion des ministres de la Défense, à Londres.

[Français]

Le renouvellement de l'engagement du Canada sera bien accueilli dans la contribution pour maintenir cet élan. L'appui du Canada est important également pour que le prochain secrétaire général de l'ONU puisse continuer cette réforme cruciale initiée par le secrétaire général Ban Ki-moon. Merci de votre attention.

[Traduction]

Le président : Merci beaucoup.

La sénatrice Jaffer : Madame l'ambassadrice, merci beaucoup d'être venue. Tout d'abord, je sais que chacun des membres de notre comité souhaite remercier la Norvège de sa contribution, surtout aux opérations de paix.

J'ai travaillé avec votre ministre des Affaires étrangères pendant au moins deux ans et je voudrais poser une question au sujet de la dimension sexospécifique de la politique étrangère norvégienne. J'aimerais que vous expliquiez aux membres du comité et aux Canadiens ce que cela signifie. Pourquoi la Norvège pense-t-elle que c'est important et en quoi cela consiste-t-il?

Mme Ovind : Merci pour cette question, sénatrice.

La participation des femmes aux opérations de paix, la politique étrangère et la résolution 1325 n'ont pas pour but premier d'assurer l'égalité entre les sexes, mais plutôt d'améliorer les résultats. Il s'agit d'améliorer la possibilité d'une paix durable, d'une croissance économique et d'un bien-être durable et, sur le plan des opérations, d'améliorer la capacité, l'efficacité opérationnelle et le succès des missions.

Le ministre de la Défense de la Norvège a récemment déclaré, au sommet de Londres, que le recrutement d'un plus grand nombre de femmes est une politique non seulement souhaitable, mais intelligente. Cela améliore les forces armées et fournit à l'ONU des meilleurs soldats de maintien de la paix.

Je peux vous donner quelques exemples de ce qu'a fait la Norvège pour augmenter le recrutement pour son armée, de même que pour les opérations des Nations Unies. Je mentionnerais simplement que la Norvège a franchi une étape importante en devenant le premier pays de l'OTAN à adopter une politique d'enrôlement dans ses forces armées qui est non discriminatoire envers les femmes. Cette année, près d'une sur cinq de nos 8 000 nouvelles recrues sont des femmes. Nous nous attendons à ce que, l'année prochaine, ce chiffre soit de une sur quatre. Bien entendu, si ces femmes choisissent la carrière militaire, elles fourniront un bon réservoir de personnel pour notre défense nationale, mais aussi pour les opérations internationales.

Nous avons également franchi une autre étape importante, en 2013, quand le secrétaire général a nommé au poste de commandant d'une force des Nations Unies chargée du maintien de la paix, la générale de division Kristin Lund, la première femme à occuper ce poste, et son rôle a été prolongé jusqu'à récemment. Cela démontre, je pense, que les femmes peuvent atteindre des postes de premier plan aux Nations Unies, même en tant que commandant de la force et c'est certainement un bon exemple à suivre pour les femmes.

Je vais m'arrêter là. Je voudrais mentionner aussi qu'au ministère des Affaires étrangères, nous avons un guide pour aborder la question de l'égalité entre les sexes dans le contexte des affaires étrangères et de l'aide au développement, mais je voulais vous citer ces exemples se rapportant au sujet d'aujourd'hui.

La sénatrice Jaffer : Pendant un certain temps, le Canada a joué le rôle de chef de file à l'égard de la résolution 1325 et de l'inclusion des femmes dans les prises de décisions et sur d'autres plans, surtout en ce qui concerne les affaires étrangères et sur la scène internationale. La Norvège est maintenant l'exemple à suivre à l'égard de la résolution 1325, surtout pour ce qui est de nommer plus de femmes aux postes décisionnels.

J'aimerais que vous expliquiez davantage comment la Norvège se sert de la résolution 1325 pour faire participer les femmes à ses missions.

Mme Ovind : Permettez-moi de vous donner un exemple de ce que nous faisons pour faciliter les processus de paix en tant que pays tiers. Par exemple, tout récemment, un accord de paix a été conclu entre le gouvernement colombien et les FARC et c'est, je pense, un bon exemple de ce que nous avons pu faire pour faciliter l'inclusion des femmes dans le processus.

Un sous-comité a été mis sur pied pour voir comment tenir compte du point de vue des femmes sur diverses questions et pour la première fois, des femmes ont fait partie des deux délégations. C'est un exemple de la façon dont nous procédons.

La sénatrice Jaffer : Ce matin, un monsieur d'Afrique du Sud nous a parlé du travail d'ACCORD et nous a dit que la Norvège participait avec cet organisme à des programmes de formation et des programmes contre les agressions sexuelles. Il nous a invités à jouer également un rôle avec ACCORD. J'aimerais savoir ce que vous pensez du partenariat entre la Norvège et ACCORD.

Excellence, vous ne pouvez pas être informée de tout ce que fait la Norvège. Si vous n'êtes pas au courant, ne vous en faites pas. Vous pourrez nous envoyer une réponse ultérieurement.

Mme Ovind : Je vous en remercie, sénatrice.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Merci beaucoup, madame l'ambassadrice, pour votre présentation. J'aimerais vous entendre sur l'expérience que vous avez vécue lors de missions menées avec l'OTAN, comparativement aux missions de l'ONU. Le degré de risque est-il le même entre les différentes organisations?

[Traduction]

Mme Ovind : Merci pour cette question, sénateur.

L'important, pour la Norvège, est d'apporter sa contribution par l'entremise de l'ONU, de l'OTAN et de la coalition internationale contre l'EI. Notre participation dépend vraiment de ce que nous pouvons faire le mieux pour servir la mission, des capacités que nous pouvons mettre au service des différentes opérations ainsi que des atouts que nous possédons et des besoins spécifiques des différentes missions. La participation militaire norvégienne vise à promouvoir la paix et la sécurité en Norvège et dans le monde et se fonde sur le droit international. Comme je vous l'ai mentionné dans ma déclaration préliminaire, nous participons à quatre missions de l'ONU différentes, de même qu'à des missions de l'OTAN et nous contribuons à la coalition internationale contre l'EI, ce qui reflète les priorités de la Norvège.

Je me ferais un plaisir de vous fournir plus de précisions au sujet des opérations prioritaires.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Lorsque vous travaillez avec l'ONU ou avec l'OTAN, avez-vous un certain degré de difficulté à connaître les lignes directrices inhérentes aux différentes missions que vous devez assumer?

Il s'agit d'organisations imposantes où travaille beaucoup de monde. Est-il difficile de communiquer avec ces organisations ou est-ce que les lignes directrices des missions sont tout de même assez claires, nettes et précises?

[Traduction]

Mme Ovind : Je peux seulement répondre dans les grandes lignes. Bien entendu, avant de prendre une décision, il faut tenir des discussions et s'entendre à l'avance avec le pays ou le commandant de la mission. C'est important, mais il est tout aussi important d'avoir des contacts étroits avec l'ONU, le Secrétariat de l'ONU et d'avoir des bonnes et franches discussions. C'est, je crois, essentiel pour préparer une décision, de même qu'au cours des opérations.

La sénatrice Beyak : Merci, madame l'ambassadrice. Dans vos déclarations préliminaires, vous avez mentionné vos policiers et militaires présents au Soudan du Sud. Pourriez-vous nous fournir un peu plus de précisions au sujet des défis auxquels ils sont confrontés et des rapports qu'ils vous font?

Mme Ovind : Le Soudan du Sud est, bien sûr, un endroit important où la Norvège joue un rôle. Nous avons 15 militaires qui participent à cette mission. Cela comprend les officiers d'état-major et les observateurs militaires. La Norvège occupe également le poste de chef d'état-major sur la base d'une rotation annuelle avec le Royaume-Uni et c'est actuellement le Royaume-Uni qui détient ce poste.

Pour ce qui est de la contribution de notre police, je peux certainement vous parler des défis d'ordre général. Les compétences linguistiques sont très importantes pour tout le personnel de l'ONU, mais surtout, peut-être, pour la police. Je pense que les Canadiens possèdent un gros avantage sur ce plan étant donné que vous êtes à la fois anglophones et francophones. Nous apprécions la contribution du Canada à cet égard.

Bien entendu, la Norvège, comme les autres États membres, se soucie beaucoup de la sécurité des troupes de maintien de la paix. Par conséquent, ce que nous pouvons faire pour améliorer la formation ainsi que l'équipement et les capacités médicales est important et nous jugeons aussi que la formation a énormément d'importance. Voilà ce dont je peux vous parler à propos du Soudan du Sud, car cela vous intéresse particulièrement.

Je parlerais peut-être un peu plus du renforcement des capacités, car nous avons vu que les policiers norvégiens ont été chargés de la formation de l'Unité mixte de police intégrée à laquelle participent des membres des deux camps. Dans ce contexte, la formation a évidemment été compliquée en raison des relations tendues entre les opposants au Soudan du Sud et suite à la reprise des combats, à Juba, cet été. Cela répond peut-être un peu à votre question.

[Français]

Le sénateur Carignan : Merci, Votre Excellence. Je suis heureux de vous entendre parler français. Vous avez un excellent français. Félicitations!

Ma question porte sur le pourcentage des dépenses militaires. Si les chiffres dont je dispose sont exacts, je vois que la Norvège consacre actuellement environ 1,5 p. 100 de son PIB aux dépenses militaires. Je vois également dans mes recherches qu'en 2015, la première ministre a critiqué l'objectif de 2 p. 100. Dans certaines entrevues, elle a dit que l'objectif d'attendre 2 p. 100 était absurde. Par contre, si mes dates sont précises, le 17 juin 2016, le gouvernement a présenté une loi sur la programmation militaire pour veiller à ce que les dépenses militaires puissent atteindre un certain seuil, et on semble viser les 2 p. 100.

Pouvez-vous nous parler de l'historique de cette loi, de son but et de l'importance pour la Norvège de se rapprocher des 2 p. 100? Je rappelle que le Canada en est à environ 1 p. 100. Or, nous avons deux fois et demie plus de frontières ou de côtes littorales que la Norvège. Pouvez-vous nous parler un peu de cet aspect de la volonté gouvernementale de la Norvège?

[Traduction]

Mme Ovind : Merci de poser cette question. L'objectif de l'OTAN est de 2 p. 100 des dépenses budgétaires. Pour le moment, le budget de la Norvège, pour 2016, se chiffre à environ 7,8 milliards de dollars canadiens, mais il faut également tenir compte, je pense, des investissements que nous comptons faire. Ils devraient représenter environ 24 p. 100 de cette somme.

Ces dernières années, la situation de la sécurité s'est dégradée en Europe et nous a rappelé que nous ne pouvons pas vraiment tenir nos droits et libertés pour acquis. L'évolution rapide de la situation nous a également rappelé que nous devions être prêts à réagir en cas de crise et qu'il faut prendre des décisions maintenant et non pas lorsque la crise survient.

Nous devons donc prendre aujourd'hui même les bonnes décisions quant aux investissements à faire. Par conséquent, le gouvernement norvégien a récemment présenté au Parlement un livre blanc décrivant le plan à long terme établi pour les Forces armées norvégiennes pour les années 2017 à 2020. Dans ce livre blanc, le gouvernement a recommandé une augmentation graduelle du budget de la défense au cours des quatre prochaines années.

Ce plan à long terme tient compte, pour la première fois, de l'augmentation du coût de l'équipement militaire en plus de l'inflation habituelle dans sa planification financière. Le plan à long terme de la défense a pour priorité de renforcer notre défense nationale, de renforcer la capacité de l'OTAN à assurer sa défense collective et également de contribuer à la gestion de la crise internationale.

Ce plan à long terme, ce livre blanc, a été présenté au Parlement, qui est en train de l'examiner.

[Français]

Le sénateur Carignan : Je comprends que la loi présentée le 17 juin 2016 fait l'objet d'un examen et qu'elle n'a pas encore été adoptée. Cependant, il y a une volonté d'assurer un investissement. Pouvez-vous nous parler des objectifs ou des paramètres du livre blanc ou du projet de loi qui vise à ce que, nonobstant les changements de gouvernement, ces investissements puissent continuer dans le temps? L'un des problèmes que nous avons ici, c'est que, avec les changements de gouvernement et les différentes visions, le budget militaire connaît des hausses et des baisses, et cela crée une inconstance dans nos investissements.

[Traduction]

Mme Ovind : Une fois qu'il sera approuvé, ce plan à long terme aidera à guider nos investissements pour cette période. Bien entendu, je ne peux pas vous dire comment les discussions se déroulent actuellement, mais lorsque ce document sera approuvé, il servira de base aux décisions budgétaires à long terme.

Le sénateur Meredith : Merci beaucoup, Excellence. Comme j'étais en dehors de la salle, j'ai entendu la partie de votre déclaration dans laquelle vous avez parlé de paix, du renforcement des capacités et du succès des missions. Je voudrais parler de l'Afrique et de votre engagement envers l'Afrique. Vous avez actuellement 127 Casques bleus déployés dans des missions de l'ONU. Nous avons également entendu, plus tôt, un organisme d'Afrique du Sud chanter les louanges de la Norvège pour son appui et dire qu'il compte sur le savoir-faire de la Norvège et du Canada pour assurer le succès des missions sur le continent.

À l'avenir ou dans le cadre du déploiement actuel, la Norvège va-t-elle envoyer davantage de troupes sur le continent dans les zones de conflit et pour résoudre les crises qui sévissent actuellement? Et comment la Norvège peut-elle collaborer davantage avec le Canada à l'égard de ces déploiements dans le contexte des missions de l'ONU?

Mme Ovind : Je vous remercie de cette question, sénateur. La très grande similarité de l'approche et de la participation de la Norvège et du Canada aux opérations de paix de l'ONU n'a sans doute rien d'étonnant, car cela reflète les priorités globales de nos politiques à l'égard des affaires étrangères et de la sécurité. Il est important pour la Norvège que sa participation aux opérations de paix s'inscrive dans le cadre d'un engagement plus vaste envers le pays en question. Je pense qu'une approche globale est essentielle.

Depuis le milieu des années 1990, l'Afrique est au centre de nos priorités et elle le restera probablement. L'Afrique reste le continent où il y a le plus grand nombre de conflits et de Casques bleus. Comme je l'ai mentionné dans ma déclaration préliminaire, nous avons actuellement une centaine de militaires qui participent à quatre opérations des Nations Unies, principalement au Mali, au Soudan du Sud et au Moyen-Orient.

J'ajouterais quelques mots au sujet de notre opération au Mali, car je pense qu'elle se rapporte à votre question, sénateur. La Norvège considère la MINUSMA, au Mali, comme une priorité stratégique étant donné que la stabilité au Mali et dans la région se répercute sur la sécurité en Europe. Nous considérons que notre participation à la MINUSMA fait partie de nos efforts pour lutter contre l'extrémisme violent. Nous avons actuellement 73 militaires au Mali.

Nous cherchons aussi à offrir des technologies et certaines capacités spécialisées qui, de pair avec les contributions d'autres pays, peuvent avoir un effet tangible sur le terrain. Je pourrais peut-être vous citer trois exemples de ce que nous faisons actuellement sur ce plan-là.

Le premier exemple que je mentionnerais est l'unité de renseignement. Au Mali, les analystes norvégiens ont participé à l'établissement de la première unité moderne de renseignement des Forces de maintien de la paix de l'ONU, qui fusionne toutes les sources d'information. Nous croyons que la capacité de renseignement est essentielle pour prévenir les attaques mortelles contre les Casques bleus et les civils, de même que pour renforcer la capacité de toute mission de faire son travail de façon plus sûre et plus efficace. Ce centre se trouve dans le camp que la Norvège a fourni et établi à côté de l'aéroport de Bamako. C'est un exemple de ce que nous pouvons faire pour renforcer les capacités en mettant des technologies modernes au service des opérations de l'ONU.

Un autre exemple est l'emploi de l'avion Hercules C-130. Cette année, nous participons à la mission de l'ONU au Mali, pendant 10 mois, avec un Hercules C-130, ce qui permet à la mission de moins dépendre des convois risqués qui traversent les vastes déserts du nord du Mali. L'avion de transport que nous offrons et déployons actuellement au Mali représente 25 p. 100 de notre flotte totale de Hercules C-130.

Un troisième exemple de contribution ayant pour effet d'amplifier l'efficacité de la mission est le système de transport aérien que nous assurons à Camp Bifrost, à Bamako, en alternance avec le Danemark, la Suède, le Portugal et la Belgique, et qui permet d'offrir une capacité de transport aérien jusqu'à la fin de 2018. C'est, je pense, un exemple de ce que les pays peuvent faire ensemble pour apporter à l'ONU les capacités requises de façon plus durable.

Voilà, je pense, les exemples d'opérations que je peux vous citer.

Le sénateur Meredith : Nous nous inquiétons de la radicalisation et de la radicalisation des jeunes. Quelles pratiques exemplaires la Norvège a-t-elle mises au point à l'occasion de ses contacts avec ces pays? Nous avons vu ce qui est arrivé avec l'EI, al Shabaab et Boko Haram.

Ici, au Canada, nous nous inquiétons de ce qui s'est passé, de l'attaque qui a eu lieu contre notre Parlement. Cela nous inquiète.

Quelles pratiques exemplaires pouvez-vous partager avec nous dans le cadre de vos échanges avec le Canada pour la préparation de notre rapport? Sur le plan de la sécurité nationale et internationale, ce qui arrive dans les autres pays nous touche également ici et nous cherchons comment éviter ce genre de choses. Pouvez-vous nous parler de ce que vous faites pour réduire la radicalisation dans votre pays et comment vous partagez vos pratiques exemplaires avec les autres pays dans lesquels vous vous déployez?

Mme Ovind : La lutte contre la radicalisation est vraiment un sérieux problème. Nous cherchons tous des moyens de mieux contrer la radicalisation.

Nous parlons ici de la sécurité. Je pense que la sécurité et la prospérité sont interdépendantes. L'essentiel est également d'avoir une approche « globale ». Nous partageons tout à fait cette approche globale avec le Canada.

Je vais être plus précise. Les causes premières de la radicalisation se trouvent aussi dans la pauvreté et le manque d'espoir pour l'avenir. C'est la raison pour laquelle la Norvège a augmenté, cette année, son aide humanitaire et a également intensifié son aide au développement à long terme aux régions du Liban, de la Jordanie, de la Syrie et de l'Irak.

Je crois qu'il faut favoriser la prospérité de différentes façons, dans le cadre d'une approche globale, mais l'éducation joue un rôle essentiel, l'éducation ainsi que de meilleurs systèmes de soins de santé. La Norvège a fait de l'éducation une priorité de sa politique d'aide au développement. Nous intensifions actuellement nos efforts sur le plan de l'éducation et de l'aide au développement. Nous augmentons largement nos efforts. Nous devons adopter cette approche globale : en ripostant lorsque c'est nécessaire avec les moyens voulus, mais également en soutenant l'aide humanitaire et l'aide au développement à long terme.

Je n'ai pas une réponse très précise à vous donner. Nous devons simplement travailler avec des partenaires comme le Canada et d'autres pays et nous fixer un objectif à long terme pour réaliser les objectifs du développement durable. Les objectifs du développement durable consistent, en fait, à accroître le développement et le bien-être durables de tous les peuples et nous devons unir nos efforts pour y parvenir.

Le président : Chers collègues, je voudrais poser deux questions, si vous le permettez.

Tout d'abord, je crois que la Norvège est au Mali depuis 2011, dans le cadre des Nations Unies. Je me demande si vous pourriez nous décrire les succès que vous avez remportés au cours de cette période, car, à propos du Mali, nous entendons parler de tout le terrorisme qui sévit là-bas, des autres difficultés du pays et du chaos qui y règne.

Si vous êtes là-bas depuis si longtemps, avec d'autres pays, quels succès avez-vous enregistrés en plus de soutenir la paix?

Mme Ovind : Désolée, sénateur, pourriez-vous répéter une partie de cette question?

Le président : Pourriez-vous informer le comité des succès que votre pays a enregistrés au Mali, en collaboration avec d'autres pays, en plus du maintien de la paix. Le fait est que vous êtes là-bas depuis cinq ans. Nous voudrions savoir précisément où en étaient les choses en 2011 et où elles en sont en 2016.

Mme Ovind : Je crois que je vais devoir vous répondre plus tard, sénateur, pour vous citer des exemples concrets. Je vous ai simplement fait part de ce que nous faisons actuellement au Mali pour renforcer notre contribution, les trois exemples que j'ai mentionnés et surtout, comment nous coopérons avec les autres pays nordiques et les autres pays européens pour assurer, en alternance, une capacité durable de transport aérien.

C'est, je pense, un bon exemple montrant que les pays peuvent travailler ensemble pour veiller à ce que l'ONU et cette mission aient la capacité requise de mieux protéger le personnel et d'être plus efficaces dans le théâtre d'opérations.

Le président : Vous pourrez peut-être nous fournir ultérieurement, par écrit, une description des résultats positifs obtenus, car c'est une des préoccupations de notre comité. Si le gouvernement décide de déployer nos forces, quel sera notre point de départ et que pouvons-nous espérer à l'avenir pour ce qui est de mettre en place les fondements d'une société civile? Au cours des cinq dernières années — peut-être pourriez-vous le noter et nous vous remettrons aussi un exemplaire du hansard — qu'avez-vous accompli dans les zones où vous avez réussi à maintenir la paix et vous avez réussi, avec d'autres pays, à apporter de l'aide, une aide constructive à un pays en proie au chaos?

Je voudrais passer à une autre question, si vous le permettez, car nous respectons notre horaire. Dans votre déclaration préliminaire, vous avez mentionné la question des Nations Unies et des réformes. Je vais relire ce que vous avez dit :

Pour ce faire, l'augmentation des ressources doit s'accompagner de réformes importantes. La Norvège croit que le travail du Groupe indépendant de haut niveau — le fameux rapport HIPPO présenté en juin dernier — a mis en évidence les réformes dont nous avons besoin à court et à long terme.

Pourriez-vous nous fournir de plus amples renseignements à propos des réformes dont vous parlez? Je pose la question parce que le printemps dernier et au cours des derniers jours, un certain nombre de témoins qui ont comparu devant notre comité ont parlé des graves difficultés que les Nations Unies ont éprouvées sur le plan de leur capacité non seulement à s'engager dans ces opérations, mais aussi à s'assurer qu'elles sont menées comme il le faut. Nous partagerons sans doute ce souci si nous nous engageons davantage vis-à-vis des Nations Unies. Quelles réformes vont être apportées pour garantir que ce qu'on attend de nous sera bien exécuté?

Mme Ovind : Je vous remercie de cette question. Comme je l'ai mentionné, il est important d'apporter maintenant des réformes aux opérations de paix et ce sera aussi un enjeu important pour le prochain secrétaire général.

J'ajouterais que la recommandation du rapport HIPPO correspond largement aux priorités norvégiennes et que nous allons, dans le cadre de ce processus, chercher à souligner la nécessité d'une stratégie politique pour toutes les opérations, en mettant davantage l'accent sur la prévention des conflits et la médiation de la paix ,de même que sur des opérations répondant mieux aux besoins et mieux adaptées. D'autre part, il est essentiel d'établir un solide partenariat avec les organisations régionales. Le rapport souligne que les opérations davantage centrées sur le terrain et sur les gens doivent jouer un rôle important dans le processus de réforme.

J'insiste aussi sur la nécessité de travailler continuellement à l'inclusion et à l'engagement des femmes. C'est également essentiel pour assurer le succès de l'ONU.

La sénatrice Jaffer : Madame l'ambassadrice, je connais certaines de ces réponses, mais juste pour le mentionner ici — les Canadiens suivent également nos délibérations — quelle est l'importance de votre force de défense?

Mme Ovind : À l'heure actuelle, il y a 8 000 conscrits.

La sénatrice Jaffer : Combien y en a-t-il au Mali?

Mme Ovind : Au Mali, ils sont 73 pour le moment.

La sénatrice Jaffer : Soixante-treize hommes et femmes?

Mme Ovind : Je ne connais pas le nombre exact de femmes. Je sais que pour la contribution des conseillers de la police, environ 30 p. 100 sont des femmes. J'insiste aussi sur le fait qu'il importe d'inclure les femmes dans nos opérations de paix, du côté de la police.

La sénatrice Jaffer : Il y en a 73 et en quoi consistent surtout leurs tâches? Font-ils de la formation, de la planification stratégique? Où se trouvent-ils? À Bamako?

Mme Ovind : Je suis désolée; je ne suis pas au courant de tous les détails concernant le déploiement.

La sénatrice Jaffer : J'aimerais que vous ayez l'amabilité de nous donner des détails. Plus tôt, madame l'ambassadrice, on vous a demandé combien de personnes étaient déployées et ce qu'elles faisaient exactement; vous êtes en poste depuis 2011. Si vous pouviez nous le préciser en même temps, ce serait utile.

Madame l'ambassadrice, je pose la question, car il y a beaucoup de militaires sur le terrain au Mali. Certains témoins qui ont comparu ont demandé combien de militaires le Canada peut fournir. Six cents? Que peuvent faire 600 personnes quand il y en a tant au Mali? Il est intéressant de constater que vous faites tellement du bon travail avec 73 personnes.

Voilà pourquoi il importe pour nous de comprendre exactement l'intervention de la Norvège et comment ce pays arrive à jouer un rôle constructif avec si peu de personnes. Ce serait utile pour nos délibérations.

Ma dernière question pour vous, madame l'ambassadrice. Je sais, parce que j'ai participé à votre mission au Soudan du Sud pendant quatre ans et que j'étais aussi un envoyé, l'énorme travail effectué par la Norvège au plan de la médiation, des négociations et de la collaboration avec John Garang. Avez-vous le même rôle au Mali? Je ne parle pas de la force de défense, mais des autres personnes. Contribuent-elles au maintien de la paix? Essaient-elles de négocier avec les divers groupes de rebelles, comme vous l'avez fait au Soudan?

Mme Ovind : Je n'ai pas répondu à toutes vos questions, sénatrice, et vous m'en voyez désolée. Je tiens à ajouter concernant les chiffres que la clé, ce sont les compétences, la capacité et l'aptitude de remplir efficacement et véritablement le mandat de l'opération, ce n'est pas seulement une question de nombre.

Je vais vérifier le nombre exact de femmes et vous le dirai.

La sénatrice Jaffer : Madame l'ambassadrice, ne vous méprenez pas, nous ne nous attendions pas à ce que vous répondiez à toutes les questions. Vous être ambassadrice au Canada et non membre de la force de défense, mais nous espérons pouvoir obtenir de l'information par votre entremise. N'ayez donc pas l'impression que vous devez répondre à toutes les questions.

Je voudrais terminer en disant que le Canada collabore de très près avec la Norvège et que nous sommes de grands admirateurs du travail fait par votre pays. Merci beaucoup d'être ici aujourd'hui.

Le sénateur Meredith : Votre Excellence, merci encore de votre présence.

D'autres témoins — et les généraux à la retraite étaient présents — nous ont entretenus des enjeux auxquels les Nations Unies font face. Votre pays a été en mesure de composer avec ces enjeux. Pouvez-vous donner des précisions sur notamment le manque de ressources quand vos troupes sont envoyées dans ces missions et sur la façon dont vous relevez ces enjeux? Quelles sont les leçons que peut tirer le Canada concernant le déploiement de nos troupes, en particulier au Soudan du Sud? Et nous avons été au Congo et au Mali. Pouvez-vous expliquer comment vous vous y êtes pris pour relever certains de ces enjeux concernant le manque de ressources, spécialement avec les Nations Unies?

Mme Ovind : Il a été important pour la Norvège d'étudier l'intérêt général, global, le genre de besoins au plan de la capacité et sa contribution possible.

La sécurité est importante lorsqu'il est question de contribution. En fait, il y a divers points qui sont importants et qui doivent être évalués et examinés avec soin en consultation avec certains acteurs avant de prendre des décisions.

Notre démarche se reflète bien là où nous participons aux opérations que j'ai mentionnées, outre aux missions de l'OTAN et de la coalition pour combattre l'EIIL.

Le président : Merci, collègues. Nous approchons de la fin. Je tiens à vous remercier grandement, madame l'ambassadrice Ovind, de vous être libérée de votre horaire chargé et de votre présentation. On a beaucoup appris, spécialement à quel point la Norvège intervient dans les pays dont nous parlons. Merci encore.

Nous sommes maintenant arrivés au dernier volet de la journée portant sur les questions relatives à l'Examen de la politique de défense et à l'engagement du gouvernement de reprendre sa participation aux opérations de paix de l'ONU. Accueillons maintenant Mme Carolyn McAskie, agrégée supérieure à l'École supérieure d'affaires publiques et internationales de l'Université d'Ottawa.

Mme McAskie possède une vaste expérience dans les domaines du maintien de la paix, de l'aide étrangère et du développement international. De juin 2004 à avril 2006, elle a été représentante spéciale du secrétaire général des Nations Unies et chef de l'Opération de maintien de la paix de l'ONU au Burundi, une des rares femmes à diriger une mission de l'ONU. De mai 2006 à août 2008, elle a été sous-secrétaire générale à l'appui à la consolidation de la paix et, de ce fait, la plus haute responsable de la Commission de consolidation de la paix des Nations Unies nouvellement mise sur pied. De 1999 à 2004, elle a été sous-secrétaire générale aux affaires humanitaires ainsi que coordonnatrice adjointe des secours d'urgence du Secrétariat de l'ONU.

Avant de faire carrière aux Nations Unies, Mme McAskie a occupé le poste de sous-ministre adjointe de l'Agence canadienne de développement international, pour le gouvernement du Canada, de 1993 à 1999.

Officière de l'Ordre du Canada, Mme McAskie a aussi dirigé le Centre Pearson pour le maintien de la paix, en plus de siéger au conseil d'administration de CANADEM. Elle est actuellement agrégée supérieure à l'École supérieure des affaires publiques et internationales de l'Université d'Ottawa.

Mme McAskie, je comprends que vous avez une déclaration préliminaire.

Carolyn McAskie, ancienne représentante spéciale du secrétaire général (SRSG) et chef de la mission de maintien de la paix des Nations Unies au Burundi, à titre personnel : Merci beaucoup. Je suis très heureuse que les traducteurs aient demandé les remarques préliminaires à l'avance, car cela m'a permis de réfléchir d'avance et d'ordonnancer mon intervention. Si vous me le permettez, je commencerai sans tarder.

Tout d'abord, je tiens à dire que je suis absolument ravie de comparaître devant vous et de vous donner de l'information sur les activités de maintien de la paix de l'Organisation des Nations Unies. Vous avez mentionné que j'ai été représentante spéciale et chef de la mission de maintien de la paix des Nations Unies au Burundi. J'aimerais ajouter que je suis la seule Canadienne à avoir occupé ce poste dans une mission intégrée complète des Nations Unies au Burundi faisant intervenir 5 600 soldats, 120 policiers et 1 000 civils.

Les autres Canadiens éminents qui ont dirigé des forces des Nations Unies sur le terrain l'ont fait avant l'organisation des missions intégrées complètes; il s'agissait de militaires à la tête de forces qui ne faisaient pas partie d'une mission complète moderne relevant du contrôle civil et bénéficiant de ressources liées à la politique, aux droits de la personne, à la règle de droit ou au développement. En fait, c'est l'une des raisons pour lesquelles il y avait tant de problèmes à l'époque et nombreux sont les éminents généraux qui en ont souffert.

J'accueille très favorablement l'intention du gouvernement en poste de revenir aux activités de maintien de la paix après tant d'années. L'absence du Canada, et nous devons préciser correspondant à deux gouvernements successifs, est malheureuse et dure depuis trop longtemps, au détriment de notre réputation et de nos activités de maintien de la paix en général. Le maintien de la paix a besoin du Canada, mais aussi d'autres membres de l'OTAN. L'essentiel de l'expérience du Canada en matière de maintien de la paix est antérieur aux réformes qui ont marqué les 15 dernières années. Pour réussir, le Canada devra absolument composer avec les opérations intégrées modernes de maintien de la paix.

En 2000, les opérations de la paix de l'ONU ont changé radicalement dans le sillage du rapport maintenant désigné Brahimi, qui a donné lieu aux missions intégrées complètes sous contrôle civil. L'ONU et ses partenaires internationaux et locaux ont alors entrepris de planifier et de mettre en place du soutien pour les pays sortant d'un conflit afin de veiller à ce qu'ils bénéficient d'un soutien complet sur les plans de la politique, des forces militaires, du développement, de l'aide humanitaire et des droits de la personne.

On a ainsi créé une relation nettement plus solide entre la mission, le secrétaire général de l'ONU et le Conseil de sécurité, de manière à ce qu'il n'y ait plus jamais de fiasco comme celui du Rwanda, quand le général Dallaire a été abandonné après que les États-Unis aient refusé au Conseil de sécurité de caractériser la crise de génocide.

Les opérations de paix ont depuis fait l'objet de diverses réformes importantes, notamment avec la publication, l'année dernière, du rapport du Groupe indépendant de haut niveau chargé d'étudier les opérations de paix. Les réformes se poursuivent. J'ai en main une copie du rapport et c'est avec plaisir que je répondrai aux questions à ce sujet.

J'aimerais faire valoir rapidement quelques points importants.

Premièrement, quand vous parlez de l'ONU — et c'est une erreur que bien des gens font, spécialement dans le domaine du maintien de la paix, mais aussi dans d'autres — vous parlez le plus souvent des États membres. (L'ONU a fait ceci, l'ONU a fait cela, l'ONU a échoué ici, l'ONU n'a pas été en mesure de faire cela, l'ONU n'est pas parvenue à conclure une entente.) Une entité individuelle avec des pouvoirs et ressources qui lui sont propres, ça n'existe pas. C'est une institution composée à part entière d'États membres. En cas de problèmes — et bien entendu, il y en a, par exemple, réponse inadéquate du QG, de troupes mal équipées ou mal entraînées et mandats mal conçus ou irréalistes — ce sont les États membres qui ont préparé les mandats et mal équipé les troupes. Ce qui est tragique de la longue absence du Canada sous le régime des deux derniers gouvernements, c'est que nous ne nous sommes jamais vus comme un État membre obligé de régler les problèmes que nous nous empressions de critiquer.

Deuxièmement, ne voyez pas cela comme une opération militaire. Bon, je sais qu'il s'agit du Comité sénatorial de la défense nationale, mais c'est une opération politique qui requiert des ressources militaires; vous devez donc garder en tête le programme politique global. Le groupe d'étude de haut niveau de 2015 a réclamé le retour des accords politiques pacifiques soutenus au besoin par le recours à la force. Nous ne devrions pas nous contenter de fournir des troupes. Les missions sont désespérément en manque de bons agents politiques, de bons agents voués aux droits de la personne et de bons budgets de développement. Le quartier général a désespérément besoin de personnel à l'appui des capacités requises.

Je ne suis pas absolument certaine du ratio, mais je vais vous donner une idée approximative. L'armée américaine a une personne au quartier général pour deux sur le terrain. Voilà le ratio de soutien offert par le quartier général.

À l'ONU, le rapport est de 1 pour 100 ou de 1 pour 200. Les États membres n'ont pas donné au quartier général des Nations Unies la capacité de quartier général nécessaire pour déployer 100 000 troupes sur le terrain, et pourtant nous n'avons pas tardé à critiquer. C'était l'une des grandes particularités de la réaction des militaires canadiens dans les années 1990, ils n'avaient aucune foi dans le quartier général de l'ONU.

La situation est aujourd'hui fantastique par rapport à ce qu'elle était à l'époque. De grandes améliorations ont été apportées, mais il manque toujours de personnel selon les normes de l'OTAN relatives au soutien du quartier général sur le terrain. Et n'oubliez pas que le personnel militaire sur le terrain de l'ONU est sous-équipé et mal entraîné.

Troisièmement, les journaux font grand état du fait qu'il ne s'agit plus de maintien de la paix conventionnel. Je vous conseille de ne pas vous accrocher aux principes des activités classiques de maintien de la paix. Il n'y a rien eu de tel depuis la guerre froide. La seule exception importante est la MINUEE, qui a patrouillé dans la région de la frontière entre l'Érythrée et l'Éthiopie en 2002, l'ironie étant que c'est la seule à avoir attiré deux puissances de l'Occident, soit le Canada et les Pays-Bas.

Les missions qui ont suivi immédiatement la guerre froide en Afrique et en Amérique centrale, bien avant le concept de la mission intégrée préconisé dans le rapport Brahimi publié en 2000 englobaient déjà les élections, le désarmement et les droits de la personne, même si une approche intégrée sous contrôle civil faisait toujours défaut.

Quatrièmement, vous avez beaucoup lu sur l'approche pangouvernementale du Canada prônant la coopération entre la défense, le développement et la diplomatie. Cet exercice a été utile, mais a grandement été critiqué en Afghanistan pour ce qui est des efforts déployés afin d'amener divers ministères à se parler. Or, dans l'ensemble, — et je parle avec mes antécédents à l'ACDI — ce sont les militaires qui menaient la barque. Notre légendaire programme de développement, qui était à un certain moment le programme de développement canadien le plus important sur papier, a rétréci quand les militaires se sont retirés. Pour le Canada, l'Afghanistan était surtout un exercice militaire.

Les missions complètes de l'ONU sont assez différentes. Elles relèvent du contrôle civil d'un représentant spécial du secrétaire général (RSSG) et le commandant de la force, le chargé des affaires politiques du RSSG et le chargé du développement du RSSG sont sur un pied d'égalité hiérarchique par rapport au chef de mission. Ils fonctionnent ensemble conformément à une vision et un plan stratégiques visant l'ensemble de la mission, dans le cadre d'une alliance étroite avec les autorités civiles et militaires du gouvernement hôte ainsi qu'avec de très divers partenaires internationaux.

Au Burundi, j'organisais régulièrement des tables rondes regroupant des représentants de la Banque mondiale, les donateurs représentés sur le terrain et les intervenants de l'Union européenne et de diverses ONG, tout cela en partenariat et sur place.

Cinquièmement, si vous utilisez cette expression, ignorez les trouillards qui craignent qu'il y ait des victimes. Excusez-moi, mais il s'agit de zones de guerre et, bien sûr, c'est dangereux. C'est la raison pour laquelle nous offrons notre aide et déployons des troupes dans les zones de guerre. Bien sûr que les armées prennent des précautions, et je sais que quand il y a des victimes, cela ne fait pas bonne presse au pays. Je comprends tout à fait cet aspect, mais si nous voulons une guerre sans pertes, alors gardons les soldats à la maison et faisons-les parader. Voilà ce que je pense.

Il ne faut pas non plus oublier que des civils canadiens n'ont pas le soutien du gouvernement et se trouvent constamment au front en tant que travailleurs de l'aide, travailleurs humanitaires, travailleurs politiques, travailleurs voués aux droits d'égalité entre les sexes et aux droits de la personne au sein des missions, travaillant activement pour des ONG à défendre des droits, partout dans le monde.

Laissez-moi vous raconter une histoire personnelle. Vous souvenez-vous des bannières « Appuyons nos soldats » qui flottent à l'aéroport d'Ottawa? La première fois que je les ai aperçues, je travaillais pour le Bureau de la coordination des affaires humanitaires; je rentrais de missions dans le cadre desquelles il avait fallu enterrer nos travailleurs humanitaires. La première fois que j'ai vu ces grosses bannières, j'ai presque pleuré. Où était le soutien aux travailleurs humanitaires qui meurent — oui, qui meurent — au front?

Après la tragédie du Rwanda, qu'a fait l'Occident? Il a battu en retraite. Ce fut un échec monumental, l'échec des États membres qui ont refusé répondre à l'appel du Conseil de sécurité. Et les jeux étaient faits. Cinq ans plus tard, les travailleurs humanitaires sont plus nombreux que de Casques bleus à se faire tuer en zone de guerre. C'est du jamais vu.

C'est ce qui m'a incitée à me joindre aux Nations Unies en 1999, à titre de coordinatrice adjointe des secours d'urgence au Bureau de coordination des affaires humanitaires.

Au Burundi, les civils les plus nombreux au sein de mon personnel de mission étaient des Sénégalais, et le deuxième groupe en importance était les Canadiens qui, en raison de leur bilinguisme, sont très recherchés à l'ONU. Pendant que les Canadiens servaient au Burundi, je suis venue à Ottawa pour demander aux ministères de la Défense et des Affaires étrangères ainsi qu'à l'ACDI de soutenir la seule Canadienne à la tête d'une mission intégrée de maintien de la paix. En vain, je n'ai absolument rien obtenu. Heureusement que je pouvais compter sur mes Canadiens, tous recrutés par l'ONU, venus travailler en zone de guerre. Parce que c'est ce qu'ils font, et ils savent que leur travail est nécessaire.

Cela m'amène à mon point six. J'ai lu un article du Globe and Mail ou du Citizen portant sur la nécessité d'établir si certaines de ces missions sont dans notre intérêt national. Le Mali est-il dans notre intérêt national? La Colombie est-elle dans notre intérêt national?

Je vous inviterais à réfléchir à ce qu'on entend vraiment par notre « intérêt national ». En cette période de terrorisme transfrontalier et d'enjeux liés à l'environnement, à la santé et aux migrants, notre intérêt national prend une dimension mondiale. La paix, la sécurité et la prospérité du Canada sont indissociables d'un monde stable et sûr. La pauvreté et le sous-développement dans le monde sont des problèmes connus de longue date, de même que leurs répercussions sur la dégradation de l'environnement, l'instabilité politique et la mauvaise gouvernance.

Un rétablissement des missions de maintien de la paix requiert une meilleure compréhension des causes profondes des conflits et un engagement à l'égard de leur prévention. Il en coûte quatre fois plus cher au monde de résoudre les conflits que de les prévenir grâce à un investissement initial.

Il y a près de 200 ans, le Français Alexis de Tocqueville a dit que la poursuite d'un intérêt bien entendu dépassait largement les frontières politiques et géographiques. L'intérêt des autres, le bien-être commun, est en fait une condition préalable au bien-être absolu de chacun. La sécurité et la prospérité mondiales sont dans l'intérêt de tous et c'est la raison même de l'existence de l'Organisation des Nations Unies. Voilà pourquoi je suis ravie de voir que l'actuel gouvernement s'engage à soutenir les grands enjeux mondiaux, parce que c'est dans notre intérêt.

Point sept. Investir dans la formation, non seulement dans celle des Canadiens, mais aussi dans celle des partenaires du tiers monde. Le Canada a perdu un précieux outil reconnu à l'échelle planétaire lorsqu'il a cessé de financer le Centre Pearson pour le maintien de la paix. Cet organisme unique créé en 1994 est à l'origine d'un réseau d'établissements de maintien de la paix à l'échelle mondiale, l'Association internationale des centres de formation au maintien de la paix. La décision du gouvernement canadien d'abandonner le Centre Pearson a stupéfié le milieu, car c'était un phare dans ce domaine.

Il faut envisager sérieusement de lui redonner vie, que ce soit à l'extérieur ou au sein même du gouvernement, à la façon du modèle suédois, l'Académie Folke Bernadotte, nommée d'après un grand diplomate suédois.

Point 8. J'aimerais maintenant glisser un mot sur le problème de l'exploitation sexuelle dans le cadre des missions onusiennes. Je vous mets au défi de mieux comprendre les véritables causes des problèmes d'exploitation sexuelle dans le cadre de ces missions. Ces incidents ont attisé la colère et révèlent un comportement consternant de la part d'hommes en uniforme. C'est une erreur de conclure qu'il s'agit là d'un problème propre à l'ONU, car nous savons pertinemment que de nombreuses organisations militaires et policières connaissent aussi ce genre de problème.

Premièrement, il est extrêmement difficile pour la hiérarchie onusienne de traiter ce problème lorsque les États membres refusent de rappeler ou de punir les agresseurs. Les soldats déployés sur le terrain demeurent sous l'autorité de leurs gouvernements respectifs et non pas sous celle d'une entité appelée « Nations Unies ». Et le secrétaire général des Nations Unies n'a pas le pouvoir de renvoyer ces personnes dans leur pays.

Il ne s'agit pas là d'un problème propre au tiers monde. Nous avons tendance à croire que ces pays manquent de discipline. Un récent scandale vient d'éclater mettant en cause des militaires français en poste en République centrafricaine qui ont été renvoyés dans leur pays pour avoir dirigé un réseau de prostitution infantile. Ils n'ont pas encore été sanctionnés par leur gouvernement. Le Canada n'est pas à l'abri de tels dérapages, mais, à notre connaissance et sans vouloir exagérer, ils sont heureusement très rares.

L'exploitation sexuelle est un problème d'ordre militaire, un problème de violence masculine qui se produit, entre autres, au sein des Nations Unies. C'est également un problème lié aux droits des femmes. Les sociétés qui favorisent la participation des femmes dans toutes les sphères d'activité sont plus prospères, plus pacifiques et mieux en mesure de résoudre et de prévenir les conflits et de faire respecter les accords de paix. Mesdames et messieurs, il s'agit d'un enjeu public.

Enfin, vous connaissez tous l'expression « Allez-y à fond ou restez chez vous. » J'ajouterais qu'il faut y aller avec stratégie. Six cents soldats — c'est le nombre total que nous déployons actuellement —, c'est évidemment mieux que 19. Il n'en reste pas moins que nous nous classons au 38e rang, derrière Fidji. Je vous ai entendu demander au témoin précédent, l'ambassadrice de Norvège, ce que son pays arrive à faire avec 73 militaires. Je vous fais remarquer que la Norvège compte trois millions d'habitants, tandis que nous en comptons 35 millions; nous avons également une armée plus imposante et un rôle plus important à jouer. Avec 600 militaires, je le répète, nous nous retrouvons au 38e rang, derrière Fidji. Comme point de départ, c'est extrêmement apprécié. Je ne veux surtout pas dénigrer l'effort déployé, du moment que les ressources ne sont pas dispersées entre de multiples missions — un petit peu par ci, un petit peu par là. Il y a de la place pour des interventions stratégiques au quartier général ou dans le cadre de missions particulières, mais il faut essayer de réunir une masse critique. Six cents militaires, c'est presque un bataillon, il faut donc essayer de maintenir ce nombre.

Je recommanderais d'établir un plan de croissance ainsi qu'une stratégie à long terme, notamment pour l'Afrique, où se concentrent près des deux tiers des missions des Nations Unies. Une telle stratégie doit tenir compte des autres intervenants. Nous ne pouvons pas la concevoir en vase clos. Pensez au rôle de la France en Centrafrique. Nous devons discuter avec tous les partenaires actifs, chercher à comprendre les causes des conflits et fournir un investissement suffisant dans les activités de consolidation de la paix et de développement. À lui seul, l'investissement militaire ne suffit pas.

Merci.

Le président : Merci beaucoup.

La sénatrice Jaffer : Je vous remercie pour votre exposé. Je vous félicite également et vous remercie pour le rôle que vous avez joué à l'ONU. Comme vous l'avez dit, aucun autre Canadien n'a joué un rôle semblable au vôtre. Je suis certaine qu'avec tout ce qui se passe au Burundi en ce moment, vous devez passer de nombreuses nuits blanches.

Comme vous êtes une spécialiste de ces dossiers, j'ai beaucoup de questions à vous poser. Depuis le début de nos audiences, il y a plusieurs semaines, la question qui revient sans cesse est de savoir si nous devrions nous aligner sur l'OTAN ou sur les Nations Unies.

Mme McAskie : C'est exact.

La sénatrice Jaffer : Chaque fois qu'elle est soulevée, cette question me tracasse, puisqu'il s'agit de deux organismes distincts et que nous devons être présents au sein des deux. J'aimerais connaître votre opinion à cet égard.

Mme McAskie : D'accord. Je constate que c'est surtout une question de chiffres parce que la réponse facile, c'est que nous devrions être présents au sein des deux. Le Canada est un membre important de l'OTAN. Nous ne devons pas renoncer à ce rôle. Comme je l'ai mentionné dans mon introduction, le Canada a l'occasion d'inciter plus de membres de l'OTAN à soutenir l'ONU.

L'ONU peut intervenir là où l'OTAN ne peut aller en raison de sa structure décisionnelle. L'OTAN est organisme plus encombrant et plus lourd; d'ailleurs, d'après ce que m'ont dit mes amis généraux, il n'a pas été facile de fonctionner sous l'égide de l'OTAN en Afghanistan. Cela ne veut pas dire que l'OTAN fonctionne et que l'ONU ne fonctionne pas. La question n'est pas là.

Ce qu'il faut savoir, c'est que l'ONU est une organisation humanitaire et politique axée sur le développement et qui, par le biais du Conseil de sécurité, est capable d'utiliser une capacité militaire. C'est très différent. Combien d'exercices l'OTAN effectue-t-elle? Je ne saurais vous le dire. En revanche, l'ONU est un organisme très transparent. Elle dirige 16 missions de maintien de la paix dans le monde et dépêche des négociateurs politiques par l'entremise de ce que nous appelons les bons offices du secrétaire général, lors de chaque négociation politique dans le monde.

L'ONU intervient dans une foule d'autres affaires dont l'OTAN ne s'occupe pas. L'OTAN peut compter sur l'expertise globale de chacun de ses membres, mais en raison de la structure du secrétariat des Nations Unies, l'ONU a une excellente capacité d'analyse de l'information.

En raison de l'envergure de bon nombre des missions des Nations Unies, je dirais qu'après nos expériences au sein de l'OTAN, nous devons maintenant mettre l'accent sur les Nations Unies par le biais du Conseil de sécurité. Les Nations Unies ont 100 000 militaires sur le terrain en ce moment. Cela représente la plus grande armée du monde, mais si vous répartissez ce nombre entre les diverses missions, vous vous rendez compte que, prises isolément, chacune n'est pas très importante.

Je dois dire que j'ai été contrariée — « agacée » serait peut-être le terme exact — par les critiques négatives concernant les activités des Nations Unies au Congo. Dans son ensemble, l'opération menée au Congo faisait intervenir le même nombre de militaires que le « déploiement Obama » en Afghanistan. L'Afghanistan avait 150 000 militaires et Obama en a envoyé 15 000 ou 20 000 de plus en renfort. Le Congo fonctionnait depuis 10 ou 12 ans avec environ 15 000, 18 000 ou 19 000 soldats. Ceux d'entre vous qui comprennent le fonctionnement d'une armée — et c'est le cas de tous les membres du Comité, j'en suis convaincue — savent que si vous avez 18 000 soldats, vous n'en avez que 6 000 actifs parce qu'il y en a six sur le terrain et six autres assurent le soutien, sans parler du personnel affecté à la chaîne d'approvisionnement, aux hôpitaux, au transport ainsi qu'à l'administration et la gestion des bases.

Cela signifie que 18 000 militaires sur un territoire de la taille du Congo, avec les terribles problèmes dans la partie est du pays, ce n'est pas beaucoup. C'était pourtant l'une des troupes les plus nombreuses.

La sénatrice Jaffer : Je suis une idéaliste. Ainsi, en mettant à profit la capacité, l'habileté et la compétence de l'OTAN — et si, comme vous l'avez mentionné, certains membres, dont le Canada, renforçaient leur capacité — les missions de paix de l'ONU seraient différentes. Est-ce exact?

Mme McAskie : Je suis tout à fait d'accord. C'est exactement ce que j'ai dit aux ambassadeurs de l'OTAN lorsque je les ai rencontrés à titre de membre de la Commission de consolidation de la paix des Nations Unies. Ils m'ont alors demandé pourquoi New York ne les aimait pas. Je leur ai répondu que, premièrement, ils critiquaient l'ONU et, deuxièmement, qu'ils ne participaient jamais à ses missions. Pour quelle raison l'OTAN devrait-elle être aimée?

Je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas intégrer une unité de l'OTAN dans une mission des Nations Unies, mais il faudrait réfléchir sérieusement à la question du commandement. Qui aura la priorité?

La sénatrice Jaffer : Ma question manque peut-être d'objectivité, étant donné que je suis une sénatrice originaire d'Afrique, mais j'ai l'impression, d'après les questions posées par les membres du Comité, que les gens deviennent nerveux quand on parle de l'Afrique. Vous avez servi en Afrique. Lors de mon récent voyage, j'ai rencontré de nombreux travailleurs humanitaires canadiens qui dirigeaient des camps et accomplissaient une foule d'activités.

Mme McAskie : C'est vrai.

La sénatrice Jaffer : Devrions-nous avoir peur d'aller en Afrique?

Mme McAskie : Si nous avons peur d'aller en Afrique, nous devrions avoir honte d'être Canadiens. Avoir peur de déployer nos militaires en Afrique, c'est méprisant, embarrassant.

Peur de quoi? J'ai vécu deux ans au Burundi. Dans la vingtaine, j'ai vécu au Kenya comme travailleuse humanitaire. J'ai voyagé dans presque tous les pays de l'Afrique subsaharienne. J'ai rencontré des groupes rebelles en Sierra Leone et aussi dans l'est du Congo. Je n'ai jamais eu peur.

Il est vrai que des travailleurs humanitaires ont malheureusement été tués par des groupes rebelles. Ce sont des choses qui arrivent. Cependant, nous devons nous demander si nous souhaitons vraiment trouver une solution à ces problèmes. Si nous n'allons pas sur place, nous n'y arriverons pas. Nous ne pouvons rester à l'écart; nous devons nous impliquer. Nous devons être sur le terrain.

En toute franchise, plus les pays occidentaux feront les investissements promis et interviendront sur le terrain en Afrique, mieux ce sera. L'Afrique est un continent fascinant — étonnamment complexe et varié. Je vais souvent en Tanzanie. C'est un pays magnifique. Le pays le plus pacifique qu'on puisse imaginer. Le Ghana a une économie prospère. Le Sénégal s'en tire vraiment bien. Nous n'y entendons pas toutes ces histoires.

Au Mali, la situation est très complexe. La dégradation de l'environnement et la mauvaise gouvernance ne datent pas d'hier.

De plus, il y a eu l'entrée massive d'armes provenant de l'exercice militaire en Libye. Le conflit libyen a été tellement dramatique que les représentants de l'ONU qui ont planifié les missions de suivi ont été laissés pour compte. Au Canada, nous avons même organisé un défilé aérien au-dessus de la Colline parlementaire célébrant notre « mission accomplie ». Ce n'est pas vrai. À l'instar des Marines, nous n'avons fait qu'ouvrir brutalement la porte. Il faut donc aller là-bas pour accomplir le travail.

Nous n'avons pas fait notre travail en Libye. Par conséquent, les armes se retrouvent partout, notamment entre les mains d'Al-Qaïda au Maghreb, de Boko Haram et d'autres groupes terroristes.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Merci beaucoup, madame McAskie.

J'ai été heureux de vous entendre dire, dans votre présentation, que les opérations sont plus politiques que militaires. Le comité a entendu plusieurs témoins militaires, et plusieurs mettaient en doute l'état de préparation du Canada face aux missions de paix en Afrique et sa capacité d'assurer la sécurité de nos soldats et de nos troupes.

Selon vous, quelles seraient les chances de succès d'une mission de paix en Afrique, alors que plusieurs des témoins entendus ont mentionné des lacunes dans la préparation des militaires?

Mme McAskie : Vous voulez dire des lacunes chez les militaires canadiens ou en général?

Le sénateur Dagenais : En général, en ce qui concerne la préparation actuelle, des témoins ont soulevé certaines lacunes dans la préparation, entre autres pour les réservistes.

Mme McAskie : Compte tenu du fait que nous avons été absents depuis près de deux décennies et demie, nous n'avons pas beaucoup de militaires qui ont de l'expérience. Mais il faut commencer quelque part. On ne pourra jamais me convaincre que c'est une bonne raison de ne pas le faire. Au contraire, c'est une bonne raison de commencer à le faire.

Il faut dire qu'un groupe de soldats canadiens serait sur le terrain avec d'autres militaires qui ont beaucoup d'expérience. Même si peu de pays de l'Ouest ont des troupes sur le terrain, en Afrique ou ailleurs, beaucoup de pays comme le Pakistan, le Bangladesh, l'Inde, le Ghana ou le Kenya ont des troupes qui sont très bien formées, qui connaissent leur travail et qui travaillent beaucoup ensemble. Je sais, par le Centre de maintien de la paix, que le Canada était très engagé à appuyer ces troupes dans leur formation.

D'après moi, rien ne peut remplacer la formation sur place. Or, il faut commencer quelque part. C'est ce que j'encouragerais. Est-ce que cela répond à votre question?

Le sénateur Dagenais : Oui, merci.

On connaît peu les objectifs tangibles à atteindre en Afrique, et je constate que vous avez une très grande expérience. En ce qui concerne la durée de la mission dans laquelle le gouvernement serait prêt à engager les militaires, est-ce qu'il ne serait pas bon de fixer une date limite avant même de déployer les troupes? On pourrait dire qu'on envoie des troupes, mais qu'après un an ou deux, on les retirerait.

Mme McAskie : La politique, c'est que, du point de vue du Conseil de sécurité, toutes les missions sont approuvées six mois à la fois. Il y a donc toujours une porte de sortie si le besoin s'en fait sentir. La pratique, c'est la rotation des troupes. Il n'y a jamais une unité qui est sur place plus de six mois à la fois. On peut la remplacer par d'autres troupes. Cela veut dire que si le Canada s'engage à participer à une mission au Mali, au Congo ou ailleurs, il est plus ou moins entendu qu'il y serait pour un bout de temps. Ce ne serait pas une bonne idée de commencer en fixant une échéance de deux ou trois ans, ou six mois. Cela créerait une mauvaise impression.

Le sénateur Dagenais : D'accord.

Mme McAskie : Cela donne aussi l'impression au personnel, soit militaire, politique ou autre, qu'il est là uniquement pour une certaine période. Cela empêche aussi un véritable investissement personnel dans le travail, dans les préparations et dans la vision à long terme. Il s'agit vraiment de bien travailler avec les autres, parce que le Canada ne travaille pas seul, évidemment. Il y a d'autres soldats.

Avant de venir ici, j'ai lu le mandat de la mission pour le Mali. J'ai oublié combien de personnes en font partie, mais il s'agit certainement de milliers de personnes, dont 600 proviennent du Canada, ce qui n'est pas un gros groupe.

Le sénateur Dagenais : Je vous remercie, madame.

Mme McAskie : Avec plaisir.

[Traduction]

Le sénateur Meredith : Je vous remercie énormément pour votre exposé. À l'instar de ma collègue, la sénatrice Jaffer, j'aimerais vous féliciter pour ce que vous faites pour le Canada et le monde et pour l'exemple que vous donnez. Vous êtes incontestablement une source d'inspiration pour les autres.

Mme McAskie : J'ai toujours aimé mon travail et je l'ai toujours fait avec plaisir.

Le sénateur Meredith : Vous êtes très courageuse également. C'est fantastique.

Vous avez mentionné que près des deux tiers des missions de l'ONU se concentraient en Afrique. Après avoir entendu nos témoins, je me demande ce que nous pouvons faire avec nos partenaires sur le terrain pour minimiser les risques pour les Canadiens. Vous avez glissé un mot sur nos efforts pour obtenir un siège au Conseil de sécurité. Les témoins précédents ont fait observer qu'il n'est pas raisonnable de dépenser l'argent pour l'obtention de ce siège, qu'il faudrait plutôt l'utiliser pour sauver des vies et renforcer la capacité interne des pays où nous nous déployons.

Veuillez me donner des détails sur cela. J'aurais une ou deux questions complémentaires à vous poser, si monsieur le président le permet.

Mme McAskie : Vous informez-vous de la valeur d'un siège au Conseil de sécurité?

Le sénateur Meredith : Non, nous poursuivons cela. Je vous pose deux ou trois questions en même temps. Elles portent sur le moyen de s'adjoindre des partenaires sur le terrain et sur l'investissement que nous poursuivons pour obtenir un siège au Conseil de sécurité. Est-ce que cet argent ne serait pas mieux dépensé à se lancer dans le renforcement des capacités avec ces pays?

Mme McAskie : Je pense que faire du renforcement des capacités avec ces pays est extrêmement important. Je pense que ce besoin existera toujours, que nous prenions part au maintien de la paix ou non.

J'espère qu'une augmentation du budget consacré au développement, une diplomatie plus proactive et un intérêt pour le maintien de la paix nous permettront d'étendre un peu nos activités, même s'il ne nous est pas possible de tout faire. Je ne pense pas qu'il n'y ait que deux possibilités à cette étape-ci.

Peu importe que cela favorise notre élection au Conseil de sécurité, ou non, je pense que le Canada doit reprendre ses activités de maintien de la paix.

Mes lectures m'inspirent le sentiment que les trois quarts des Canadiens y sont favorables, que c'est un enjeu aux yeux des Canadiens, et que notre absence a été perçue négativement dans l'esprit des Canadiens. Cela constitue un signe très important de notre retour sur la scène internationale, mais ce n'est pas seulement un signe, c'est en fait un besoin bien réel.

J'ai consacré près de 10 ans aux Nations Unies du côté de l'humanitaire, du maintien de la paix et de la consolidation de la paix, et j'ai été témoin de l'extrême difficulté éprouvée par mes collègues de travail qui tentaient de dépêcher des missions de maintien de la paix et parcouraient le monde pour constamment mendier et emprunter, pas au point de voler tout de même, ici et là. S'ils avaient eu cette option, ils l'auraient peut-être essayée.

Je me souviens de l'opération au Darfour et jusqu'à quel point nous étions tous horrifiés par la situation. Nous avons été en mesure d'obtenir des troupes, mais elles venaient majoritairement des pays voisins, et ces derniers ne possédaient pas le genre d'équipement nécessaire à cette mission, par exemple des hélicoptères d'attaque. Il a été impossible d'obtenir ce genre d'équipement des pays occidentaux.

On peut procéder de diverses manières. Si le Canada décide de livrer une guerre sans subir de pertes, nous expédierons des avions et des hélicoptères d'attaque ainsi que du soutien. Par contre, si nous n'engageons pas nos propres troupes, il faut se demander pourquoi nous avons une armée, si nous ne voulons pas de pertes humaines. N'allez surtout pas croire que je parle de pertes à la légère. C'est là une chose difficile à dire parce qu'on pourrait croire que la mort de quelques gars me laisse indifférente. Ce n'est absolument pas le cas. Les pertes humaines, c'est une chose épouvantable et les familles sont mises à dure épreuve, mais quand on joint les rangs de l'armée, il faut s'attendre à être mis en danger à un moment donné.

Je pense vraiment que notre priorité doit être celle-là. Nous avons malgré tout la capacité d'assurer l'entraînement des troupes.

Il y a beaucoup d'opérations de renforcement des capacités en cours en Afrique auxquelles participent des Canadiens, des Américains, des Européens et des Britanniques et, comme je l'ai déjà dit, le Centre Pearson s'est engagé dans beaucoup d'entre elles. On peut faire beaucoup très facilement.

Le sénateur Meredith : Pour faire suite à vos dires, vous avez affirmé que nous blâmons sans cesse les Nations Unies. Ce sont les États membres les responsables, et nous vous remercions des éclaircissements apportés à ce sujet.

Une des choses auxquelles un pays fait toujours face en qualité de membre de l'OTAN et de l'ONU, c'est la réception de demandes de déploiement de troupes. À votre avis, ces demandes devraient-elles être soumises à l'approbation du Parlement? Aussi, combien de temps devrait s'écouler avant qu'il n'y ait révision de la décision? Est-ce que ça devrait être deux ans ou trois ans, à votre avis? Pouvez-vous entrer dans les détails à l'intention du comité?

Mme McAskie : Une fois que vos troupes sont sur le terrain dans le cadre d'une mission de l'ONU, vous devriez constamment surveiller les choses. Est-ce que ça fonctionne? Est-ce que vous vous tournez les pouces? Est-ce que vous êtes complètement dépassés? Devrait-on renforcer la mission?

En fait, c'est le commandant du contingent sur le terrain qui détermine en grande partie quelle est la stratégie adoptée sur place en tout temps. Il y a examen. Quand j'étais au Burundi, je passais mon temps au téléphone à parler aux cadres supérieurs du Département des opérations de maintien de la paix. Mon commandant de la force, un Sud-Africain brillant, était constamment en relation avec les conseillers militaires à New York pour leur dire ce qui était faisable et ce qui pouvait être fait.

Ce qui est intéressant, c'est que j'avais diverses troupes, dont certaines restaient en contact avec leur QG, les Pakistanais par exemple, alors que d'autres l'étaient moins, les Éthiopiens et les Mozambicains par exemple.

Il sera intéressant de constater où se situe le Canada dans la hiérarchie, parce qu'il y a une chose dont je n'ai pas entendu parler, simplement du fait que je n'ai pas été très impliquée, et c'est dans quelle mesure nous cherchons à occuper le poste de commandant de la force. Si nous contribuons 600 soldats, voulons-nous ce poste? Est-ce que ce sera la contrepartie, le poste de commandant de la force?

Qu'arrivera-t-il si les Néerlandais ou les Français envoient 1 000 ou 2 000 soldats? Le Canada n'obtiendra pas le poste de commandant de la force.

Bien, la façon dont ça marche, c'est que vous avez un commandant de la force dont relèvent les commandants des contingents nationaux et ces derniers, en fin de compte, doivent se mettre d'accord avant d'envoyer leurs troupes participer à l'opération telle quelle.

Un vaste éventail d'exercices sont prévus pour les troupes sur le terrain. Elles ne seront pas souvent en première ligne à faire la guerre. Le Mali en particulier devient un endroit très dangereux en raison de la présence de groupes terroristes.

Le sénateur Meredith : Permettez-moi de placer une question rapidement. À votre avis, en quoi consiste le rôle du Parlement relativement à la décision de déployer nos troupes ou non, ou de retirer nos troupes déjà déployées?

Mme McAskie : Je ne sais pas. Je n'ai pas d'expérience à ce sujet. Je m'excuse, monsieur le sénateur.

Le sénateur Meredith : Je pensais obtenir votre point de vue.

Mme McAskie : Je suis consciente que la question est cruciale. Est-ce que le Parlement vote l'entrée en guerre, par exemple? Je ne sais pas, désolée.

Le président : J'espère bien. Si ce n'est pas le cas, nous avons un sérieux problème. Nous sommes tout de même une démocratie.

La sénatrice Jaffer : Une chose, quand vous êtes dans une zone de conflits, en particulier du point de vue des femmes, c'est la question de l'impunité, et les forces de l'ONU jouissent du privilège de l'impunité. Je crois que si le Canada redevient actif, une des choses qu'il devra régler, c'est la question des Casques bleus ayant l'impunité, car cela détruit tout le travail positif accompli. J'aimerais connaître votre opinion à ce sujet.

Mme McAskie : Toute mission comporte des règles d'engagement et les troupes doivent les accepter. J'ai été très chanceuse au Burundi parce qu'il ne s'y est produit aucun incident grave. J'ai eu un dossier classé dans la catégorie des formes d'exploitation sexuelle, mais, pour être franche, il s'agissait de deux jeunes soldats qui se sont rendus dans un bar et qui ont pris quelques verres avec deux filles qui disaient avoir 16 ans, et ils sont restés au bar toute la nuit. Nous avons découvert que les filles avaient en fait 15 ans, donc qu'il s'agissait de relations sexuelles avec une mineure et que les gars étaient absents sans permission. Les deux gars ont été rapatriés chez eux.

Parlez-vous d'impunité en rapport avec l'exploitation sexuelle?

La sénatrice Jaffer : Une des choses sur lesquelles je travaille depuis quelque temps, c'est la question du choléra en Haïti. Je sais qu'au départ, on invoque l'agression sexuelle, mais beaucoup de personnes communiquent avec moi et ça peut être n'importe quoi, et les structures onusiennes ne traitent pas ces dossiers de manière appropriée.

Mme McAskie : Franchement, la façon dont on a présenté cette histoire de choléra me consterne vraiment, parce que, à ce que je sais, il était évident au début que les soldats népalais infectés posaient un problème, et ça contaminait l'eau et infectait ensuite la région environnante.

J'avais une unité pakistanaise composée de véritables prodiges de la construction de bases temporaires à des endroits difficiles à l'intérieur des terres. Si j'avais été en charge en Haïti et que j'avais eu une unité aussi capable sous la main, je l'aurais tout de suite envoyée nettoyer l'endroit et faire le nécessaire pour que les jeunes népalais soient soignés, placés en quarantaine et mis en isolement. Je ne sais pas ce qui s'est passé. Le dérapage m'a consternée.

Deuxièmement, je suis consternée, et je connais la personne concernée, qu'un cadre supérieur de l'ONU ait refusé que l'organisation accepte quelque responsabilité que ce soit dans le dossier. Voilà un problème. Ça revient à ce que disait monsieur le sénateur au sujet de la responsabilité des États membres. Le haut fonctionnaire de l'ONU aurait dû s'asseoir immédiatement avec les principaux États membres et leur faire part des faits, avouer que la mission aurait dû régler le problème, admettre sa responsabilité et indiquer le coût du nettoyage. Il aurait dû demander aux États membres s'ils pouvaient ajouter ce montant au budget pour Haïti afin que les travaux soient effectués. On n'abordait même pas la question de l'indemnisation des familles dont des membres étaient morts du choléra.

À mon avis, l'échec est attribuable à l'inaction du personnel de l'ONU, mais les États membres auraient dû lui clouer le bec dès le début et demander quel était le problème, quelle était la solution, quel était le prix et comment y faire face. L'ONU aurait dû reconnaître avoir commis une erreur et en assumer immédiatement la responsabilité. Je suis tout à fait d'accord avec vous.

Le président : Mesdames et messieurs, je veux remercier le témoin de sa présence. Elle apporte une grande expérience du point de vue des enjeux auxquels nous faisons face, et nous vous sommes reconnaissants du temps et des efforts que vous y avez consacrés.

Nous remercions le témoin.

Mme McAskie : Je vous remercie de m'avoir invitée et de m'avoir tirée de ma retraite dans le magnifique village de Wakefield.

Le président : Nous vous remercions d'être venue.

(Le comité s'ajourne.)

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