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SECD - Comité permanent

Sécurité nationale, défense et anciens combattants

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent de la
Sécurité nationale et de la défense

Fascicule no 12 - Témoignages du 13 février 2017


OTTAWA, le lundi 13 février 2017

Le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense se réunit aujourd'hui, à 13 heures, pour poursuivre son étude sur les menaces à la sécurité nationale, notamment : a) le cyberespionnage; b) les menaces aux infrastructures essentielles; c) le recrutement de terroristes et le financement d'actes terroristes; d) les opérations antiterroristes et les poursuites contre les terroristes.

Le sénateur Daniel Lang (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Chers collègues, bienvenue à la réunion du lundi 13 février 2017 du Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense. Je m'appelle Dan Lang et je suis un sénateur du Yukon. Immédiatement à ma gauche se trouve le greffier du comité, Adam Thompson. À côté de lui, au bout, à ma droite, se trouve notre analyste de la Bibliothèque du Parlement, Marcus Pistor. Je vais maintenant faire un tour de table et demander à chaque membre de se présenter, en commençant par la vice-présidente.

La sénatrice Jaffer : Je m'appelle Mobina Jaffer, et je suis de la Colombie-Britannique. Bienvenue.

Le sénateur Kenny : Colin Kenny, de l'Ontario.

[Français]

La sénatrice Saint-Germain : Raymonde Saint-Germain, sénatrice du Québec.

[Traduction]

La sénatrice Boniface : Gwen Boniface, de l'Ontario.

Le sénateur White : Vern White, de l'Ontario.

[Français]

Le sénateur Smith : Sénateur Larry Smith, de Montréal.

[Traduction]

Le sénateur Tkachuk : David Tkachuk, de la Saskatchewan.

La sénatrice Beyak : Lynn Beyak, de l'Ontario. Bienvenue.

Le sénateur Meredith : Don Meredith, de l'Ontario.

La sénatrice McPhedran : Marilou McPhedran, du Manitoba. Bienvenue.

Le président : Merci, chers collègues. Aujourd'hui, nous rencontrons trois groupes de témoins dans le cadre de l'étude du Sénat sur les menaces à la sécurité nationale du Canada, et plus précisément le financement du terrorisme. Dans notre rapport de 2015, nous avons souligné certaines préoccupations au sujet du financement du terrorisme et du besoin d'accroître le nombre de poursuites. En guise de contexte, lorsque nous avons produit notre rapport, il y avait 53 entités terroristes désignées au Canada. La dernière organisation à avoir été ajoutée à la liste était IRFAN-Canada, l'International Relief Fund for the Afflicted and Needy Canada, un organisme de bienfaisance ayant obtenu sa désignation en 2014 après avoir amassé 14,6 millions de dollars.

En décembre dernier, le Canada a désigné deux autres entités, Al-Qaïda dans le sous-continent indien et les moudjahidines indiens. Il y a maintenant 55 entités qui, selon le Canada, constituent une menace pour notre sécurité nationale.

Nous accueillons aujourd'hui M. Barry MacKillop, sous-directeur, et M. Luc Beaudry, directeur adjoint, du Centre d'analyse des opérations et déclarations financières du Canada, couramment appelé le CANAFE.

Bienvenue, messieurs. Monsieur MacKillop, je crois savoir que vous avez une déclaration préliminaire, veuillez commencer. Nous avons une heure à vous consacrer.

Barry MacKillop, sous-directeur, Secteurs des opérations — Conformité et Renseignement, Centre d'analyse des opérations et déclarations financières du Canada : Je vous remercie, honorables sénateurs, de nous avoir invités aujourd'hui pour que nous puissions nous entretenir avec vous au sujet de l'étude de plus grande envergure sur les menaces qui pèsent sur la sécurité du Canada. Laissez-moi tout d'abord prendre quelques minutes cet après-midi pour décrire le mandat du CANAFE et le rôle que nous jouons pour ce qui est d'aider à protéger les Canadiennes et Canadiens et l'intégrité du système financier du Canada. Je soulignerai également la contribution que nous apportons à la lutte contre le financement du terrorisme en étroite collaboration avec nos partenaires des forces policières et de la sécurité nationale.

[Français]

Le CANAFE a été créé en 2000, en vertu de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes. À titre d'unité du renseignement financier du Canada, le CANAFE facilite la détection, la prévention et la dissuasion en matière de blanchiment d'argent et de financement des activités terroristes, tout en prenant les mesures nécessaires pour protéger les renseignements personnels qui lui sont confiés.

Dans le cadre du régime canadien de lutte contre le blanchiment d'argent et le financement des activités terroristes, le CANAFE s'acquitte à la fois de fonctions de supervision et de renseignement. Cela lui permet d'évaluer et d'assurer la conformité à la loi des 31 000 entreprises réglementées et de produire des renseignements financiers exploitables à l'intention de ses partenaires des forces policières, de l'application de la loi et de la sécurité nationale.

C'est donc grâce aux déclarations d'opérations financières issues des entreprises réglementées partout au pays que nous pouvons produire des renseignements financiers afin d'épauler nos partenaires des forces policières, de l'application de loi et de la sécurité nationale du Canada dans la lutte contre le blanchiment d'argent, le financement des activités terroristes et les menaces pour la sécurité du Canada. Le CANAFE produit également des renseignements stratégiques sur les tendances et les typologies qui caractérisent le blanchiment d'argent et le financement des activités terroristes.

[Traduction]

Monsieur le président, la menace terroriste existe vraiment. Nous avons tous été en mesure de constater les dommages et le préjudice considérables causés par des extrémistes violents à Paris, à Berlin, à Bruxelles et ailleurs dans le monde, y compris ici au Canada.

Tout comme le terrorisme, le financement du terrorisme comporte une dimension internationale. Nous savons que les fonds recueillis pour mener ces crimes violents sont obtenus de sources légitimes et illégitimes, et qu'une partie de ces fonds provient du Canada ou transite par notre pays. Il suffit de penser au cas de Momin Khawaja, qui a été reconnu coupable, entre autres, de fournir des fonds pour faciliter des activités terroristes.

Grâce aux 23 millions de déclarations d'opérations financières que nous recevons annuellement des entreprises réglementées, nous sommes en mesure de fournir des renseignements financiers exploitables qui aident les forces policières et les organismes de la sécurité nationale à protéger le Canada et la population canadienne.

Nous transmettons des communications de renseignements financiers aux forces policières et aux organismes d'application de la loi et de la sécurité nationale uniquement lorsque nous avons des motifs raisonnables de soupçonner que ces renseignements seraient utiles aux fins d'enquête ou de poursuite relativement à une infraction de blanchiment d'argent ou de financement des activités terroristes, ou qu'ils pourraient se rapporter à des menaces pour la sécurité du Canada.

Nos communications font état des liens importants établis entre des opérations financières, des personnes ou des groupes au Canada et à l'étranger qui appuient des activités criminelles et terroristes. Nos renseignements financiers s'avèrent de plus en plus utiles et essentiels pour nos partenaires, car ils leur permettent de définir leurs enquêtes ou d'en élargir la portée et d'obtenir des mandats de perquisition et des ordonnances de communication pour recueillir des éléments de preuve en vue de porter des accusations criminelles.

Les partenaires des forces policières et de la sécurité nationale ont aussi de plus en plus recours aux renseignements de CANAFE afin de repérer des biens aux fins de saisie et de confiscation, d'appuyer une demande d'inscription d'une organisation à la liste des entités terroristes et d'approfondir les connaissances du gouvernement au sujet de la dimension financière des menaces pour la sécurité, y compris le crime organisé et le terrorisme.

L'année dernière, nous avons transmis 1 655 communications de renseignements financiers à nos partenaires du régime pour faciliter leurs enquêtes sur le blanchiment d'argent, le financement des activités terroristes et les menaces pour la sécurité nationale du Canada.

De ces communications, 154 étaient liées directement au financement du terrorisme et à des menaces pour la sécurité du Canada. Le renseignement financier est devenu un élément essentiel des enquêtes sur le terrorisme de nos partenaires des forces policières et de la sécurité nationale.

Par exemple, l'Équipe intégrée de la sécurité nationale de la GRC à Toronto a reconnu la contribution du CANAFE au projet SWAP, une vaste enquête criminelle sur la sécurité nationale dans le cadre de laquelle des accusations de terrorisme ont été portées en vertu du Code criminel en mars 2016. La GRC a aussi reconnu la contribution du CANAFE au projet Smooth, qui a entraîné la condamnation en 2015 de deux individus accusés d'avoir fomenté un attentat contre un train de passagers de VIA Rail en partance de New York vers Toronto.

Monsieur le président, pour transmettre des renseignements financiers à la Direction des organismes de bienfaisance de l'Agence du revenu du Canada, le CANAFE doit s'assurer que deux conditions distinctes sont d'abord respectées. Premièrement, le CANAFE doit avoir des motifs raisonnables de soupçonner que les renseignements pourraient être utiles aux fins d'enquête ou de poursuite relativement à une infraction de blanchiment d'argent ou de financement d'activités terroristes. De plus, le CANAFE doit aussi avoir des motifs raisonnables de soupçonner que ses renseignements pourraient être utiles pour déterminer si un organisme de bienfaisance, comme le définit la Loi de l'impôt sur le revenu, a fourni des ressources à une entité inscrite en vertu du Code criminel ou a appuyé des activités terroristes.

En 2015-2016, le CANAFE a transmis 42 communications liées au financement du terrorisme à la Direction des organismes de bienfaisance de l'Agence du revenu du Canada.

La législation habilitante du CANAFE nous empêche de discuter des détails de ces déclarations, mais je peux vous dire sans crainte de me tromper que nos renseignements financiers ont vraiment eu une incidence sur les efforts à plus grande échelle que déploie le Canada pour lutter contre le terrorisme.

Par exemple, en 2014, l'Équipe intégrée de la sécurité nationale de la GRC en Ontario et au Québec a reconnu notre contribution à une enquête sur le financement du terrorisme concernant l'International Relief Fund for the Afflicted and Needy Canada, une organisation qui entretiendrait des liens avec l'entité terroriste Hamas.

[Français]

Le succès du régime canadien de lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme dépend des efforts assidus de toutes les parties concernées, des entreprises aux premières lignes du système financier canadien aux procureurs qui font condamner les criminels qui blanchissent des fonds et financent le terrorisme. Ensemble, nous produisons d'importants résultats pour les Canadiens. Je vous remercie, monsieur le président.

[Traduction]

Je serai heureux de maintenant répondre à vos questions.

Le président : Merci beaucoup. Pouvez-vous apporter des précisions aux fins de compte rendu parce que nous examinons le rapport du CANAFE de 2015 et 2016, et les statistiques que vous nous avez fournies aujourd'hui sont très différentes de ce qui figure dans le rapport public. J'aimerais qu'on se penche là-dessus.

L'équipe intégrée de la sécurité nationale de la GRC à Toronto a reconnu la contribution du centre au projet SWAP, une vaste enquête criminelle sur la sécurité nationale dans le cadre de laquelle des accusations de terrorisme ont été portées en vertu du Code criminel en mars 2016. En 2015-2016, nous avons généré 483 communications liées au financement du terrorisme, une augmentation de 43 p. 100 comparativement à l'année précédente.

Cependant, dans votre rapport, ici, vous mentionnez une statistique qui est, si je ne me trompe pas, beaucoup plus basse et, évidemment, il y a une différence entre ce qui a été dit et ce qui figure dans le rapport.

M. MacKillop : Je vais vous fournir des précisions. Je suis désolé. C'était non pas 154, mais en fait 329. Lorsqu'on tombe dans les chiffres, il y a parfois de la confusion. Les 483 communications sont liées au blanchiment d'argent, au financement du terrorisme et aux menaces terroristes. Si nous retirons la composante liée au blanchiment d'argent, il y en a en fait 329, et pas 154, comme je l'ai mentionné dans mon discours. Malheureusement, je l'ai lu.

Le président : Dans ce cas-là, est-il juste de dire que votre rapport est inexact, parce que vous avez dit précisément qu'il y avait eu 483 communications liées au financement du terrorisme?

M. MacKillop : Le financement du terrorisme était une composante des 483 communications, mais il y avait aussi la question du blanchiment d'argent associé au financement du terrorisme, alors, si on retire la composante du blanchiment d'argent, les 329 communications concernent uniquement le financement du terrorisme, sans tenir compte de la composante du blanchiment d'argent.

Le président :Le rapport est donc, de toute évidence, inexact à cet égard.

La sénatrice Jaffer : Merci beaucoup de nous avoir présenté votre exposé et merci aussi du travail que vous faites pour nous.

De ce que j'en sais, le mandat du CANAFE inclut la surveillance de tous les renseignements financiers en ce qui a trait au lien avec les menaces terroristes, pas seulement du point de vue du financement. On parle de tout type de financement. Le rapport qui a été déposé par les Finances était important, parce qu'il précise que le financement du terrorisme à partir du Canada est de nature diverse. Il n'y a pas une source majeure; il existe plutôt plusieurs types de menaces, et celles-ci cernent la catégorie la plus vulnérable ou le domaine de plus haute vulnérabilité. Ce sont les sociétés, les banques nationales, les fiducies expresses, les services alimentaires nationaux, l'argent, les entreprises et les petites entreprises de transfert de fonds indépendantes.

Si j'ai bien compris, les organismes de bienfaisance sont considérés comme étant dans la catégorie inférieure des entités que je viens de mentionner en ce qui a trait au niveau de vulnérabilité. C'est exact?

M. MacKillop : Pour ce qui est des menaces et risques généraux, oui. Il y a toujours un risque associé à l'utilisation d'organismes de bienfaisance ou au mésusage de tels organismes. Cependant, vu le nombre d'organismes de bienfaisance qu'il pourrait y avoir comparativement, par exemple, au nombre de transactions que nous recevons d'entités redditionnelles associées aux banques, aux entreprises de transfert de fonds ou à d'autres entités, il est plus vraisemblable que l'on constate qu'il se passe des choses par l'intermédiaire du système de services financiers plutôt que par l'intermédiaire des organismes de bienfaisance, mais nous avons vu des organismes de bienfaisance être utilisés à ces fins, mais à un niveau où cela constitue un risque moins élevé.

La sénatrice Jaffer : C'est un risque inférieur à celui des entités que j'ai mentionnées tantôt?

M. MacKillop : Oui.

La sénatrice Jaffer : Pouvez-vous nous dire si, selon vous, le rapport du ministère des Finances est encore exact actuellement ou si le paysage a changé? D'après ce que j'ai compris, les choses bougent beaucoup et changent très vite. Pouvez-vous nous décrire de quelle façon le paysage a changé depuis 2015?

M. MacKillop : Le rapport reste exact, et nous mettons régulièrement à jour l'évaluation nationale des risques, et nous faisons un suivi de ce qui se passe et nous modifions l'évaluation en conséquence.

Pour ce qui est des choses qui ont changé, nous voyons probablement plus de voyageurs à risque élevé qui sont pas mal plus présents depuis deux ou trois ans. On voit beaucoup plus d'autofinancement et de financement par des amis au Canada. Il y a un peu de monnaie virtuelle, mais pas beaucoup. On met beaucoup l'accent sur la monnaie virtuelle, mais ce n'est pas habituellement beaucoup utilisé encore par les terroristes, du moins, d'après ce que nous en voyons. C'est quelque chose qu'on a vu davantage du côté de la traite des personnes, par exemple, où les auteurs utilisent de la monnaie virtuelle pour acheter des publicités sur le site Backpage, par exemple. Au Canada, les activités de financement du terrorisme concernent davantage l'autofinancement et les voyageurs à risque élevé.

La sénatrice Jaffer : Je crois savoir que les organismes de bienfaisance sont encore moins vulnérables que certains autres groupes que j'ai mentionnés lorsqu'il est question de financement du terrorisme. Est-ce que j'ai raison?

M. MacKillop : Ils sont vulnérables à l'exploitation, mais il y a passablement beaucoup de surveillance et de réglementation dans le domaine des organismes de bienfaisance. Il est peut-être un peu plus facile de déterminer lorsqu'on les utilise à mauvais escient. Nous constaterons, par exemple, du point de vue du CANAFE, si des fonds sont remis à un organisme de bienfaisance canadien et qu'il s'agit d'un organisme de bienfaisance offrant des services, donc l'organisme fournit de l'argent à l'étranger, si les fonds sont destinés à des zones de conflit ou des zones qui constituent une préoccupation particulière. Lorsque nous constatons de telles choses, il est peut-être un peu plus facile, disons, de déterminer si les fonds sont utilisés à mauvais escient en ce qui concerne le montant d'argent qui arrive, puis lorsque le mauvais montant ou un montant trop élevé est transféré à l'étranger.

Ces organisations sont vulnérables, mais elles font probablement l'objet de plus de surveillance réglementaire de l'ARC et d'autres organisations.

La sénatrice Boniface : Merci beaucoup d'être là et merci de nous avoir présenté votre déclaration préliminaire.

Je veux revenir sur la question des 329 communications. Ce nombre, j'imagine, si j'interprète bien les données, constitue une augmentation comparativement à l'année précédente. Je me demande ce à quoi vous attribuez cette augmentation. Vous avez mentionné que vous travaillez de façon beaucoup plus étroite ensemble avec d'autres agences et que vous allez au bout des choses avec elle. Si vous deviez faire une supposition ou si vous avez des renseignements factuels, à quoi attribueriez-vous l'augmentation?

M. MacKillop : Probablement à deux ou trois choses. Dans un premier temps, il y a assurément notre relation avec les organisations d'application de la loi et nos partenaires du domaine de la sécurité nationale et le fait que nous travaillons en très étroite collaboration avec eux pour cerner et définir les priorités. L'utilisation de renseignements financiers devient de plus en plus chose courante dans le cadre de quasiment toutes les enquêtes, et nous constatons qu'il y a beaucoup plus de fichiers de renseignements volontaires relativement auxquels on nous demande de l'aide.

Je crois qu'un autre facteur concerne la professionnalisation de nos analystes. Les analystes qui travaillent pour moi du côté du renseignement s'améliorent constamment et sont capables de cerner et de fournir des communications proactives beaucoup plus efficacement qu'il y a seulement cinq ans.

La troisième chose, selon moi, concerne en fait nos entités déclarantes. Nos banques, nos banques mutuelles d'épargne et nos autres entités déclarantes sont de plus en plus capables de nous fournir de très bons rapports sur des transactions suspectes, ce qui nous permet de fournir de façon proactive des communications à nos organismes d'application de la loi et du domaine de la sécurité nationale.

Ce n'est pas nécessairement qu'il y en a plus. Il y a une relation de un à un en ce qui a trait au terrorisme en tant que tel, mais l'information que nous recevons de nos entités déclarantes, les relations que nous avons créées avec elles aussi, le travail que nous faisons, tout particulièrement avec les grandes banques, parce qu'elles nous fournissent près de 90 p. 100 des rapports que nous recevons, et le travail que nous avons aussi fait avec elles en leur fournissant des indicateurs de financement terroriste, des indicateurs sur la traite des personnes et ces genres de choses, a fait en sorte qu'il y a eu une augmentation de la quantité et de la qualité des renseignements sur les transactions suspectes que nous recevons et qui nous permet de procéder à des communications.

[Français]

La sénatrice Saint-Germain : Bonjour. Merci du temps que vous nous consacrez et de l'intérêt des propos que vous avez tenus. J'ai une question et une sous-question, que je vais vous présenter en même temps. Ma question concerne les tendances actuelles et nouvelles en matière de financement du terrorisme, tant au Canada qu'ailleurs dans le monde. Vous en avez parlé un peu dans votre présentation. J'aimerais que vous mettiez en évidence les principaux groupes terroristes qui amassent des fonds au Canada et leurs méthodes de collecte.

Ma sous-question est celle-ci : quels conseils pourriez-vous donner aux entreprises, aux institutions et même aux individus canadiens qui souhaiteraient faire une divulgation proactive? En d'autres termes, comment peut-on avoir un doute sur la légalité du financement, et, le cas échéant, comment peut-on le divulguer?

M. MacKillop : En ce qui concerne les tendances actuelles en matière de financement, ce que nous constatons au Canada et à travers le monde, c'est qu'il s'agit presque de financement personnel. Les organismes de bienfaisance existent encore. Ils reçoivent des dons et les utilisent à des fins qui ne sont pas prévues dans le cadre du travail qu'ils doivent faire. Ceux qui veulent aider, soit ils bâtissent des maisons dans d'autres pays ou ils contribuent à résoudre des problématiques dans des pays spécifiques.

Nous avons constaté qu'il ne faut pas beaucoup d'argent pour financer un acte terroriste. Dans le cas des événements survenus à Paris et ailleurs, nous avons compris qu'il faut vraiment peu d'argent et que les sommes peuvent être amassées selon des moyens légitimes, ce qui rend notre travail et celui des policiers plus ardu. Il est plus difficile de déterminer à qui et à quoi les sommes sont consacrées. Il peut s'agir d'amis qui ne savent pas à quoi servira l'argent et qui donnent de l'argent à d'autres amis. Ce sont des transactions que l'on décèle seulement dans le cadre de déclarations d'opérations douteuses. Ce sont toujours des transactions en deçà de 10 000 $. Jamais on ne verra cela dans des rapports de transactions de plus de 10 000 $, ce qui souligne le besoin pour nous de continuer à travailler en collaboration avec nos partenaires, qui sont les banques et les services monétaires capables de déceler ces transactions.

Si j'ai bien compris votre question, vous voulez connaître la procédure à suivre par le public en général pour faire une déclaration.

La sénatrice Saint-Germain : Je voudrais savoir aussi ce qui permet d'avoir des doutes. Y a-t-il des profils, des caractéristiques?

M. MacKillop : Des indicateurs ont été donnés à nos entités rapportantes, et des indicateurs internationaux également. Sans entrer dans les détails, il peut s'agir d'une personne qui, tout d'un coup, décide de payer toutes ses dettes, car elle ne veut plus de dettes, ou qui décide de vendre ses effets personnels. La banque constatera que la personne vend ses effets personnels et qu'un dépôt anormal, en espèce, a été fait. N'importe qui peut nous envoyer de l'information volontaire; un voisin peut faire une déclaration. Il y a un endroit sur notre site web où les gens peuvent faire une déclaration, et nos partenaires qui appliquent la loi peuvent le faire également. Nous surveillons cela et nous pouvons faire une divulgation à la police ou aux agences de la sécurité nationale.

[Traduction]

Le sénateur Tkachuk : Avant de poser ma question, simplement pour que les choses soient claires, lorsque vous parlez d'« organisme de bienfaisance », est-ce ceux qui bénéficient d'un avantage de l'Agence de revenu du Canada ou s'agit-il d'organisations sans but lucratif qui n'émettent peut-être pas de reçus à des fins d'impôt?

M. MacKillop : Si nous devions communiquer quelque chose à la police, cette distinction ne changerait rien. S'il était question d'organismes de bienfaisance de l'ARC, ce serait ceux qui sont enregistrés comme organismes de bienfaisance qui peuvent fournir des reçus de dons.

Le sénateur Tkachuk : Tout comme les organismes qui seraient considérés comme des institutions de bienfaisance, mais sans but lucratif.

M. MacKillop : Exact. Si nous communiquons quoi que ce soit à un organisme d'application de la loi ou responsable de la sécurité, peu importe qui est en cause, que ce soit une entreprise, un organisme sans but lucratif ou un particulier, nous les inclurions dans notre communication et fournirions cette information au responsable du renseignement.

Le sénateur Tkachuk : Je crois que vous avez mentionné dans votre déclaration préliminaire qu'il y a 42 de ces entités sur les 483 communications.

M. MacKillop : Quarante-deux communications concernaient les organismes de bienfaisance de l'ARC.

Le sénateur Tkachuk : Alors qu'est-ce qui déclenche une telle communication? En quoi consiste une communication? Qu'est-ce que cela signifie exactement?

M. MacKillop : Une communication est notre principal produit de renseignements financiers. C'est essentiellement une trousse qui contient un sommaire et fournit des détails sur des transactions que nous constatons dans notre base de données. La trousse contient des fiches d'information sur chaque personne en cause, et elle contient habituellement un tableau i2, qui présente sous forme d'image les connexions et les liens entre les entités visées par notre communication. Nous communiquons le dossier de renseignements financiers aux responsables de l'application de la loi et de la sécurité nationale. Par conséquent, dans le cas des organismes de bienfaisance, si nous prenons, par exemple, l'IRFAN, on aurait pu voir que l'argent qui entre et qui sort est inapproprié, et nous aurions souligné le flux des transactions financières à l'intention des responsables de l'application de la loi.

Le sénateur Tkachuk : Lorsque vous parlez des communications, ces 42 communications sur 483 représentent combien d'argent? Et des 42 organismes de bienfaisance qui ont fait l'objet d'une communication, est-ce qu'elles tentaient toutes de donner des fonds pour respecter leurs exigences de bienfaisance à des organismes internationaux ou donnaient-elles leur argent à des organisations nationales?

M. MacKillop : Habituellement, il s'agirait d'organisations internationales. L'argent arriverait dans l'organisme de bienfaisance et serait transféré à des organismes internationaux partenaires ou des organismes en zone de conflits ou dans des zones préoccupantes, par exemple.

En ce qui a trait au nombre total en dollars, c'est difficile à dire pour ce qui est de ces 42 organismes-là, parce que ce n'est pas nécessairement tout l'argent dont on parle dans ces communications qui aurait nécessairement été lié à l'organisme de bienfaisance. Dans une communication, il peut y avoir six sujets différents, et on utilise l'organisme de bienfaisance pour faire circuler des fonds, mais cela ne concerne pas nécessairement tous les fonds.

IRFAN, par exemple, avait près de 14 millions de dollars. Dans d'autres cas, on parle de montants beaucoup plus petits, mais ce n'est habituellement pas le montant total qui est important pour nous lorsque nous fournissons l'information aux responsables de l'application de la loi et de la sécurité nationale ou encore à la Direction des organismes de bienfaisance de l'ARC dans ce cas-ci. Ce sont plutôt les transferts inhabituels de fonds qui sont importants pour nous, puis c'est à eux de mener leur propre enquête.

Le sénateur Tkachuk : En ce qui a trait aux renseignements fournis à l'ARC, l'agence a-t-elle enquêté dans tous les cas et cela a-t-il mené à des poursuites ou des renvois aux forces de l'ordre? Qu'est-il arrivé?

M. MacKillop : Malheureusement, je n'ai pas cette information. Nous fournissons les renseignements à nos partenaires, et c'est à eux de s'acquitter des activités d'application de la loi ou de mener des enquêtes. La Direction des organismes de bienfaisance de l'ARC a plusieurs façons différentes de s'occuper des organismes de bienfaisance. Elle peut révoquer le statut d'organisme de bienfaisance ou utiliser d'autres mécanismes de surveillance administrative qu'elle a à sa disposition. Je ne peux pas vraiment vous en parler.

Nous ne savons pas nécessairement ce qu'il en est sauf si on reconnaît notre travail publiquement ou lorsque nous regardons ce qui se passe dans les médias. Nous finirons par savoir ce qui s'est produit et si nos renseignements ont été utilisés, mais c'est très rarement, voire jamais, quelque chose qui se fait directement, une situation où nous communiquons l'information et constatons en retour une arrestation et des poursuites. Notre travail lié au renseignement n'est qu'une des composantes de l'enquête globale, que ce soit au sein de la Direction des organismes de bienfaisance ou du Programme d'enquêtes criminelles ou, pour ce qui est de l'application de la loi, le SCRS ou une quelconque autre entité. Nous ne sommes qu'une composante de l'enquête.

Le président : Juste avant de poursuivre, je crois qu'il est important de comprendre que vous fournissez l'information à d'autres organismes et qu'on ne vous informe pas nécessairement de ce qui se produit et que vous ne vous posez pas nécessairement de questions pour savoir ce qui est arrivé. Est-ce exact?

M. MacKillop : Nous saurons si des accusations sont portées, et s'il y a des déclarations de culpabilité. Nous faisons un suivi, mais nous ne faisons pas nécessairement le suivi d'une communication d'un bout à l'autre du processus pour savoir s'il y a eu une arrestation ou des poursuites.

Nous avons pu communiquer certains renseignements en 2009 dans le cadre d'une enquête qui aurait très bien pu se terminer en 2015. Oui, nous savons que nous y avons contribué, mais, encore une fois, nos contributions ne sont qu'une des composantes de l'ensemble du système.

La sénatrice Beyak : Merci, messieurs, d'être là.

Selon un rapport du ministère des Finances de juillet 2015, le Hamas et le Hezbollah possèdent des réseaux de collecte de fonds au Canada, et, en fait, l'année dernière, leurs efforts de collecte de fonds se sont accrus.

Pouvez-vous me dire dans quelle mesure les organismes de bienfaisance sont en cause, ici, et dans quelle mesure leurs activités sont vraiment lucratives? Quel est le rôle des organismes de bienfaisance dans le cadre de leurs activités de collecte de fonds?

M. MacKillop : C'est difficile à dire. Je ne peux pas nécessairement parler de choses précises. Les organismes de bienfaisance sont l'une des façons que ces organisations utilisent pour recueillir des fonds, mais ce n'est peut-être pas la plus importante méthode. Disons-le comme cela. Je ne peux pas vraiment vous fournir des données précises sur la mesure dans laquelle ils ont utilisé ou non les organismes de bienfaisance.

La sénatrice Beyak : En complément à la question de la sénatrice Jaffer, les organismes de bienfaisance sont-ils plus vulnérables simplement en raison de leurs critères?

M. MacKillop : J'imagine. Ces organismes ont tous leur vulnérabilité. Les transactions auxquelles l'ARC a accès et les communications que nous pouvons faire ont pour effet de donner une relativement grande visibilité aux organismes de bienfaisance. Ils constituent un risque, mais c'est difficile de comparer les risques. Tout dépend de ce dont on parle. Même la question du financement du terrorisme n'est qu'une petite portion des travaux que nous faisons, comparativement à ce que nous faisons du côté, par exemple, du blanchiment d'argent et du crime organisé. Si vous vous intéressez au risque, il y en aurait beaucoup plus du côté de la fraude et de la drogue qu'il n'y en aurait du côté du financement du terrorisme, par exemple.

La sénatrice Beyak : Les Canadiens qui regardent ces transmissions à la maison sont alarmés par les chiffres, peu importe lesquels, et ils ne comprennent pas pourquoi cela se produit au Canada. Avez-vous quelque chose à dire pour les rassurer?

M. MacKillop : J'imagine que ce qui peut les rassurer, c'est le fait que nous faisions autant de communications, ce qui signifie que nous voyons les fonds bouger. Nous soulignons les flux de fonds et fournissons ces renseignements à nos partenaires responsables de l'application de la loi.

Pour ce qui est des questions au sujet des poursuites liées au terrorisme et à la raison pour laquelle nous n'en voyons pas plus, je crois que c'est parce qu'une bonne partie des renseignements fournis sont utilisés à des fins de prévention et d'intervention, ce qui, d'après moi, est bien mieux que d'attendre qu'un geste soit posé pour ensuite intenter des poursuites.

La sénatrice Beyak : Merci.

Le sénateur Meredith : Monsieur MacKillop, vous avez indiqué faire un suivi de 23 millions de transactions chaque année. Le comité sénatorial a recommandé au gouvernement, l'année dernière, dans un rapport de 2015, de prendre des mesures strictes pour prévenir, d'une façon ou d'une autre, l'arrivée de fonds au Canada et cibler des fonds qui sont associés à des particuliers ou des organisations, ici, au Canada. Que pensez-vous du fait que des mesures plus strictes n'aient pas été mises en place pour prévenir ces genres de transactions dont vous avez fait mention? Quelle est la valeur totale de ces transactions? Pouvez-vous nous donner un total global? Vous avez mentionné 14 millions de dollars.

Pour ce qui est du point soulevé par la sénatrice Beyak relativement au taux de déclaration de culpabilité, vous avez dit que 154 menaces ont seulement mené à deux déclarations de culpabilité. J'ai une deuxième question à vous poser à ce sujet, en ce qui concerne la GRC.

M. MacKillop : Nous examinons bel et bien 23 millions de transactions chaque année. Une très faible minorité de celles-ci sont des transactions problématiques. Nous examinons chaque virement de fonds électronique de plus de 10 000 $, par exemple, qui entre au pays et qui en sort. Les institutions ne portent aucun jugement immédiatement au sujet des fonds qui entrent et sortent. Lorsqu'il y a des soupçons, elles présentent des rapports de transactions suspectes elles aussi. Si vous voulez que je quantifie le montant de toutes ces transactions, on parlerait de milliards et de milliards de dollars. Nous n'utilisons qu'une petite minorité de ces transactions dans nos communications, parce que nous nous intéressons seulement aux transactions et divulguons seulement les transactions qui sont liées à une menace précise, qu'il s'agisse de blanchiment d'argent, de financement du terrorisme ou de je ne sais quoi d'autre. Tout cela serait inclus dans nos transactions. Nous avons produit des communications qui concernaient des transactions d'une valeur d'un milliard de dollars, de plus d'un million de dollars, et il y en a d'autres qui concernent des montants beaucoup moins élevés. Ce qui est important, encore une fois, pour nous, lorsque nous fournissons des renseignements, ce n'est pas nécessairement toujours le montant d'argent; ce sont plutôt les mouvements de fonds et les comptes bancaires où les fonds sont transférés, ce que nous pouvons déterminer grâce aux transactions, afin d'aider les services de police, par exemple, à obtenir leurs ordonnances de communication et leur mandat de perquisition ainsi que les documents en tant que tels des entités déclarantes, habituellement les grandes banques. De ce point de vue, il y a beaucoup d'argent qui entre au Canada et qui en sort. Nous voyons beaucoup d'importantes transactions en espèces, mais, comme je l'ai dit, c'est une minorité qui est problématique. Très souvent, c'est simplement des affaires légitimes qui sont brassées de part et d'autre.

Le sénateur Meredith : Sans mentionner des particuliers ou des organisations pouvant faire l'objet d'enquêtes, pouvez-vous nous dire combien seraient problématiques et devraient être très préoccupants pour le comité ou le gouvernement de façon générale?

M. MacKillop : Je ne peux pas vous donner nécessairement un chiffre. Comme je l'ai dit, une bonne partie de nos transactions et une bonne partie de nos communications concernent beaucoup plus le crime organisé et d'autres activités criminelles que le terrorisme. Les communications liées au terrorisme ont tendance à concerner des montants moins élevés. Si on regarde les montants d'argent, ils seraient petits comparativement au montant des transactions des importants réseaux de trafic de drogue, par exemple, qui transfèrent beaucoup d'argent. Nous constaterions beaucoup plus d'activités financières et des activités financières beaucoup plus importantes liées au crime organisé et aux éléments criminels que nous n'en constaterions du côté du terrorisme.

Le sénateur Meredith : Évidemment, lorsque des accusations sont portées, vous l'indiquez aux autorités appropriées. Des associations de police nous ont parlé, et je ne fais que vous dire ce qu'elles nous ont dit lorsqu'elles étaient ici : elles désirent aller de l'avant et porter certaines de ces accusations ou faire ce qu'il faut pour en déposer. Pourquoi y a-t-il un manque de volonté ou un manque de désir d'intenter des poursuites dans ces dossiers?

M. MacKillop : Je crois qu'il serait négligent de ma part d'essayer de parler au nom des responsables des poursuites publiques, et je ne vais donc pas m'avancer sur ce terrain. Je ne dirais pas qu'il y a un manque de désir ou d'intérêt d'aller de l'avant. Dans de nombreux cas, je crois que nous avons tendance à ne pas suffisamment tenir compte de la composante de perturbation. Si nous pouvons communiquer l'information assez vite, si nous pouvons aider nos services de police et nos organismes nationaux responsables de la sécurité à faire leur travail — et leur travail sous- entend la perturbation des activités illégales —, alors on n'a pas besoin des poursuites, et on a plutôt misé sur la perturbation. C'est peut-être quelque chose dont les Canadiens entendent peut-être moins parler, parce que ce n'est pas aussi intéressant, et ça ne fait pas les manchettes. Cependant, les activités de perturbation sont essentielles, surtout lorsqu'il est question du financement du terrorisme.

Le sénateur White : Merci à vous deux d'être là. Je suis heureux de vous revoir, Barry. Au bout du compte, ce que vous dites, c'est que vous mettez l'accent sur la réduction du crime, pas sur l'augmentation du nombre d'arrestations, et, au bout du compte, c'est là une réussite. Je crois que depuis environ 15 ans, maintenant, les services de police au Canada tentent davantage de perturber les organisations criminelles que de procéder à des arrestations. Vous adoptez la même voie?

M. MacKillop : Je crois que, généralement, c'est le cas. Nous ne nous occupons pas de la composante d'application de la loi.

Le sénateur White : Non, je comprends.

M. MacKillop : L'objectif est toujours de prévenir que le pire se produit. Si nous pouvons perturber certaines choses, c'est comme les accusations de blanchiment d'argent. Est-ce important de mettre le doigt sur le blanchiment d'argent ou plutôt de condamner la personne pour l'infraction sous-jacente, la retirer de la circulation et procéder à la saisie?

Le sénateur White : Je remarque que nous avons ajouté deux ou trois autres organisations au cours des derniers mois à la liste des organisations terroristes. Est-ce que cela aide le CANAFE s'il s'agit d'un groupe qui figure sur la liste? Dans l'affirmative, pouvez-vous nous dire en quoi cela vous aide?

M. MacKillop : Cela aide vraiment les entités déclarantes. Si l'on pense aux banques, aux banques mutuelles d'épargne, au secteur immobilier, aux comptables, aux casinos et à toutes les entités de ce genre, le fait qu'une entité figure sur la liste leur permet d'identifier immédiatement les transactions liées à cette entité et de fournir au CANAFE des rapports de transactions suspectes permettant d'indiquer l'activité financière associée au compte de l'entité précise. Si nous ne constatons pas ces transactions, mais que nos entités déclarantes les constatent, elles nous fournissent l'information. Alors oui, cela nous aide lorsque nous produisons nos communications. Cela nous aide lorsque nous analysons l'ensemble des autres transactions que nous avons dans notre base de données. Il y a maintenant environ plus de 250 millions de transactions dans la base de données. Le fait d'ajouter des entités à la liste nous aide, mais cela aide davantage nos entités déclarantes à nous fournir l'information dont nous avons vraiment besoin pour réaliser nos analyses.

Le sénateur White : Je comprends. Par conséquent, quand une organisation terroriste figure sur la liste, vous pouvez regarder quelles sont les autres personnes pouvant être liées à cette organisation terroriste, ce qui vous permet de produire de meilleurs rapports. Avez-vous eu des discussions avec le gouvernement fédéral au sujet d'aussi établir une liste des organisations criminelles? Parce que, de façon réaliste, si c'est vrai — et je crois que ce l'est — il serait logique de commencer à dresser une liste des organisations criminelles et, aussi, de toutes les personnes rattachées à ces organisations.

M. MacKillop : Nous avons participé à de telles discussions, mais, comme vous le savez très bien, ce n'est pas une discussion difficile à tenir. Il faut tenir compte d'un certain nombre d'aspects différents dans le cadre de cette discussion, et d'autres personnes plus intelligentes que moi doivent se pencher sur la question et réfléchir avant qu'on dresse une liste des organisations criminelles. Il y a des avantages, il y a des défis et il y a un certain nombre de personnes qui y réfléchissent encore. Je sais que l'Association canadienne des chefs de police étudie encore la question, et ce, depuis un certain temps. Tout le temps qui s'est écoulé depuis le début de cette discussion est un bon indicateur de la complexité du dossier. Nous connaissons bon nombre de criminels, alors nous allons continuer à produire des communications à leur sujet.

Le sénateur White :Je crois comprendre, cependant, que vous diriez que c'est une bonne mesure à prendre, d'un point de vue organisationnel, à des fins de suivi et de production de rapports?

M. MacKillop : Je ne sais pas si je le recommanderais. Du point de vue du CANAFE, je ne crois pas que cela changerait grand-chose, parce que nous avons déjà les noms de tous ceux qui sont considérés comme des membres de ces organisations criminelles. La liste changera. Pour ce qui est des membres, la liste changerait probablement beaucoup sur de très courtes périodes. Par conséquent, pour nos entités déclarantes, ce qui est plus important, c'est de pouvoir discuter avec elles, d'être en mesure de cerner les transactions et de travailler en collaboration avec elles en partenariat lorsque nous ciblons des personnes, des organisations et des entités précises. Du point de vue du CANAFE, c'est vraiment ça que nos entités déclarantes peuvent nous donner, parce que la qualité de nos renseignements tient à celle des rapports que nous recevons. Plus nous pouvons discuter avec nos entités déclarantes, mieux ce sera.

Le sénateur McPhedran : Nous avons couvert pas mal de terrain, tant durant votre exposé que grâce aux questions. Je voulais vous demander si vous avez des suggestions quant aux quelques domaines clés où on pourrait accroître l'efficacité dans le cadre des efforts actuels de lutte contre le financement des activités terroristes. Si jamais vous avez une liste de souhaits que vous aimeriez nous laisser, un résumé de ce que vous désirez...

M. MacKillop : C'est une question à développement?

Le sénateur Meredith : Vous avez seulement cinq minutes, cependant.

Le président : Vous n'avez qu'à nous donner deux idées.

La sénatrice McPhedran : Les domaines prioritaires.

M. MacKillop : Comme je l'ai dit, notre efficacité dépend de la qualité des renseignements que nous recevons. Plus nous pouvons recevoir de rapports, meilleure sera la qualité des rapports, et meilleures seront nos analyses et nos communications à nos partenaires. Nous savons, par exemple, que le terrorisme est financé à un niveau relativement bas, alors il faut déterminer de quelle façon avoir accès à des montants plus petits en deçà des seuils, de façon à ce que ce soit bénéfique pour nous lorsque vient le temps d'identifier des transactions financières liées au terrorisme, d'en faire le suivi et de fournir des communications à leur sujet.

Nous avons récemment constaté une importante augmentation de la qualité des rapports que nous fournissent nos entités déclarantes. Cette augmentation de la qualité est fondée sur le fait que nous discutons de plus en plus avec elles et sur notre capacité de leur fournir des indicateurs. Selon moi, ma liste de souhaits contiendrait la capacité de former nos entités déclarantes et de les sensibiliser, de leur fournir toujours plus d'éducation. Lorsqu'on pense aux grosses banques qui emploient de 300 à 400 personnes responsables de la lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme, il faut fournir à ces gens l'information afin qu'ils puissent nous fournir des renseignements de meilleure qualité. Il faut avoir le temps de le faire et la capacité de s'assurer de voir tout le monde. Selon moi, là où, au bout du compte, nous changerons le plus les choses, c'est grâce à la qualité des rapports que nous recevons, afin que nous puissions poursuivre le processus, réaliser notre analyse et fournir de l'information à nos partenaires.

La sénatrice Jaffer : Je vous ai écouté très attentivement. Nous tentons de déterminer si nos organismes de bienfaisance sont plus vulnérables aux activités liées au financement du terrorisme. Le rapport du ministère des Finances que j'ai mentionné indiquait qu'elles étaient moins vulnérables. Du moins, c'est ce que j'en ai compris, et vous étiez d'accord. Au bout du compte, ce serait très utile si vous pouviez nous dire s'il y a un autre outil dont vous avez besoin dans le cadre de votre travail pour superviser ou examiner le travail que font les organismes de bienfaisance de façon à mieux nous protéger.

M. MacKillop : Je ne crois pas que ce soit une question d'outils. Je crois que nous avons les outils dont nous avons besoin actuellement pour faire notre travail. Le nombre de communications que nous faisons à la Direction des organismes de bienfaisance de l'ARC, par exemple, a augmenté au cours des deux ou trois dernières années. Ce n'est pas nécessairement parce que les organismes de bienfaisance sont pires qu'ils ne l'étaient. C'est davantage le reflet des partenariats que nous avons conclus avec eux et que nous continuons de mettre en place. Notre partenariat avec l'ARC est encore assez récent. Je crois que, à mesure que le temps passera et que le partenariat se renforcera, le nombre de dossiers d'information volontaire que nous recevrons d'elle, qui précisent les domaines qui la préoccupent et précisent ce que nous pouvons faire pour l'aider, en plus des communications que nous lui fournissons de façon proactive, eh bien nous constaterons une capacité accrue de nos responsables des renseignements financiers de l'aider et de la soutenir dans le cadre de son travail. Ce n'est donc pas nécessairement une question d'outils.

La sénatrice Jaffer : Si je vous ai bien compris, vous dites que vous n'avez pas besoin qu'on vous recommande de faire du meilleur travail en ce qui a trait aux organismes de bienfaisance et que vous avez tous les outils dont vous avez besoin dans votre coffre?

M. MacKillop : Je crois bien que oui. Nous modernisons actuellement notre capacité analytique en ce qui a trait aux technologies logicielles que nous mettons en place, ce qui sera aussi bénéfique. Je crois que nous avons tous les outils nécessaires pour faire notre travail.

Le sénateur Tkachuk : Pour que ce soit bien clair, une institution financière peut vous signaler une transaction financière qu'elle juge suspecte. Ce n'est pas nécessaire qu'elle respecte le seuil des 10 000 $. L'institution peut en fait déclarer une transaction de 5 000 $ si elle juge qu'elle est suspecte?

M. MacKillop : C'est exact.

Le sénateur Tkachuk : Par conséquent, si elle constate une situation suspecte, elle peut vous la signaler?

M. MacKillop : C'est exact.

Le sénateur Tkachuk : Combien de ces divulgations recevez-vous?

M. MacKillop : Nous en avons reçu 114 000, l'année dernière.

Le sénateur Tkachuk : De la part des banques? Qui d'autre vous envoie des rapports à part les banques?

M. MacKillop : Les caisses populaires, les banques, les entreprises de virement de fonds, des intervenants du milieu immobilier, des comptables, des casinos, les notaires de la Colombie-Britannique.

Le sénateur Tkachuk : Combien d'organismes de bienfaisance au Canada recueillent des fonds pour des causes internationales?

M. MacKillop : Je ne suis pas sûr. Je crois qu'il y a 70 000 organismes de bienfaisance au Canada. Je ne sais pas exactement combien le font à des fins internationales.

Le sénateur Tkachuk : La plupart d'entre elles sont canadiennes?

M. MacKillop : J'imagine.

Le sénateur Tkachuk : Par conséquent, sur les 70 000, avez-vous une idée du nombre qui œuvrent à l'échelle internationale? Je crois qu'il serait important de le savoir. Combien recueillent des fonds destinés à l'Europe, à l'Arabie saoudite, au Moyen-Orient ou à des endroits où il y a des organisations terroristes?

M. MacKillop : J'imagine que l'ARC pourrait vous répondre. Je n'ai pas ces statistiques parce que je ne fais pas directement un suivi des organismes de bienfaisance. Je fais seulement un suivi de celles dont il est question dans mes communications, mais je ne possède pas de système de suivi des organismes de bienfaisance.

Le sénateur Tkachuk : J'ai une dernière question. Disons qu'il y en a 10 000 qui œuvrent à l'échelle internationale. Une année donnée, vous présentez des déclarations sur 300 d'entre elles. L'année suivante, vous avez peut-être produit des rapports sur 500 organismes, et l'année suivante, 750. Ne serait-il pas important de savoir, sur ces 750, combien il y en avait vraiment? En d'autres mots, est-ce parce qu'il y a de plus en plus d'organismes de bienfaisance qui œuvrent à l'échelle internationale chaque année? Les gens se constituent en personne morale chaque année. Vous ne savez donc pas si le montant reflète une augmentation du nombre d'organismes de bienfaisance? C'est compliqué. J'essaie de m'assurer que d'obtenir la bonne réponse à ma question. Est-ce que vous comprenez ce que je dis?

M. MacKillop : Pas exactement. Il peut y avoir plus d'organismes de bienfaisance, mais cela ne signifie pas qu'il y en a plus dans mes communications. Nous nous occupons d'une quantité limitée de renseignements financiers que nous fournissons, pour des raisons précises, et peu importe s'il s'agit de 5 p. 100, 1 p. 100 ou 90 p. 100 des organismes de bienfaisance. Il s'agit de ceux que nous examinons, de ceux sur lesquels nous fournissons des renseignements à nos partenaires du domaine de l'application de la loi et aux responsables de la sécurité nationale seulement. Nous ne nous en faisons pas au sujet des autres...

Le sénateur Tkachuk : Si vous aviez 100 nouveaux organismes de bienfaisance établis et que, tout d'un coup, le nombre d'organismes déclarés augmente, ne serait-ce pas là à vos yeux une indication selon laquelle les gens constituent des organismes de bienfaisance en personne morale pour recueillir des fonds destinés au terrorisme? Une telle situation ne vous mènerait-elle pas à cette conclusion?

Le sénateur Kenny : Ce n'est pas une série de questions utile. Ce pourrait être lié à un tremblement de terre en Italie. À des gens qui meurent de faim dans le Sahara. Il peut y avoir beaucoup de raisons.

Le sénateur Tkachuk : Je ne vous posais pas la question, sénateur Kenny.

Le sénateur Kenny : Je comprends. La présidence m'a donné la parole. Je formule un commentaire.

Le sénateur Tkachuk : Posez une question.

Le président : Chers collègues, silence. Je crois que nous avons assez posé de questions en ce sens. Je vais passer à la sénatrice Beyak, puis au sénateur Meredith, mais il faudra faire vite. Le temps est presque écoulé.

La sénatrice Beyak : Merci, messieurs. Je me demande si vous faites un suivi des communications dans d'autres États, chez nos alliés, pour voir si nous pouvons apprendre quoi que ce quoi des modèles qu'ils utilisent ou obtenir des renseignements nouveaux ou à jour ou encore pour voir si le nombre de communications augmente. Je pense précisément à un récent rapport du Telegraph au Royaume-Uni dont je vais lire un extrait. Il était question de la Charity Commission de 2015-2016 du Royaume-Uni; on soulignait qu'il y avait eu 630 communications, et qu'il s'agissait d'un nombre record. Le rapport concernait des allégations formulées et des préoccupations soulevées au sujet de l'utilisation abusive des organismes de bienfaisance à des fins terroristes et extrémistes, y compris des préoccupations au sujet d'organismes de bienfaisance œuvrant en Syrie et dans d'autres zones à risque élevé où les groupes terroristes sont présents.

Avez-vous lu ce rapport?

M. MacKillop : Un peu, peut-être pas précisément ce rapport, mais nous travaillons beaucoup de concert avec nos partenaires internationaux, surtout nos partenaires du Groupe des cinq. Nous misons aussi sur un forum de supervision international où nous discutons ensemble entre partenaires du Groupe des cinq pour déterminer de quelle façon nous pourrons assurer une supervision et procéder à des examens de la conformité et ces genres de choses. Nous travaillons vraiment en étroite collaboration avec eux du côté du renseignement aussi. En plus de tout ce qui concerne le Groupe des cinq, nous avons un peu plus de 90 protocoles d'entente avec des partenaires internationaux en vertu desquels nous communiquons des renseignements avec eux et recevons des renseignements qu'ils nous fournissent. Par conséquent, nous faisons beaucoup de travail à l'échelle internationale. Nous tentons de rester au fait de tout ce qui se passe à l'échelle internationale qui est préoccupant.

La sénatrice Beyak : Est-ce que la Syrie est plus importante actuellement? Est-ce que la Syrie est une plus grande préoccupation, comme ce rapport l'indique?

M. MacKillop : C'est l'une des zones de préoccupation, oui.

Le sénateur Smith : Merci. Nous avons discuté avec vous dans une autre vie dans le cadre d'une étude sur les banques.

Est-ce que votre mandat a changé d'une certaine façon en ce qui a trait au champ d'intérêt du CANAFE, qui était, essentiellement, le blanchiment d'argent et le crime? Est-ce que les choses ont changé parce que des représentants du pouvoir en place vous ont dit que vous deviez consacrer tel pourcentage de plus de vos efforts au terrorisme? Ou est-ce que cela fait tout simplement partie de vos tâches quotidiennes lorsque vous recueillez des renseignements?

M. MacKillop : Le mandat n'a pas changé. Nous continuons à nous concentrer sur le blanchiment d'argent, le financement du terrorisme et les menaces à la sécurité du Canada. Pour ce qui est de notre charge de travail, le blanchiment d'argent reste la part la plus importante du travail que nous faisons, probablement de 70 à 75 p. 100. De façon générale, j'ai deux équipes qui travaillent sur le dossier du blanchiment d'argent, et une équipe qui travaille sur le financement du terrorisme. Ces équipes ne sont pas toutes de la même taille, mais c'est à peu près ça.

Le sénateur Smith : Y a-t-il eu une évolution majeure dans le cadre de vos relations internationales?

M. MacKillop : Non, ces relations évoluent constamment. Il n'y a rien d'important ou de majeur qui s'est produit hier qui fasse en sorte que nous travaillons différemment aujourd'hui.

Le sénateur Smith : Qu'est-ce qui fait en sorte que la situation est différente aujourd'hui de ce qu'elle était il y a cinq ans en ce qui concerne le financement du terrorisme à l'échelle internationale?

M. MacKillop : Encore une fois, je reviendrais à deux ou trois points. Premièrement, la professionnalisation de nos analystes, et, deuxièmement, la proximité en ce qui a trait à nos priorités communes avec nos partenaires du domaine de l'application de la loi et de la sécurité nationale en plus de la capacité de parler, de siéger avec eux aux comités sur le contre-terrorisme et la sécurité nationale, par exemple, ou encore dans le cadre des comités associés à la Réponse intégrée canadienne au crime organisé. Ces genres de choses nous ont vraiment aidés à définir les priorités, tant de pair avec les services de police que pour nous-mêmes, dans le but de répondre à leurs besoins. L'un des principaux facteurs, c'est le niveau de confiance accordé par nos partenaires aux renseignements financiers, ce qui a entraîné une augmentation du nombre de renseignements que nous leur fournissons, parce que cette information leur est utile. Par conséquent, lorsque les produits que vous fournissez suscitent un plus grand niveau de confiance, la demande s'accroît elle aussi.

Le président : J'ai deux questions. La première est une question complémentaire à celle posée par la sénatrice Beyak.

Le Groupe d'action financière a indiqué que les organismes de bienfaisance qui œuvrent dans des zones du monde où il y a des groupes terroristes, comme la Syrie — dossier que vous connaissez très bien, j'en suis sûr — et l'Irak sont plus susceptibles d'être exploités à des fins de financement terroriste. Je crois que c'est un fait. Pouvez-vous nous dire si, au cours des trois dernières années, votre organisation a cerné des virements directs ou indirects de fonds du Canada à des organisations affiliées à l'État islamique? Dans l'affirmative, de combien d'argent parlait-on?

M. MacKillop : Je ne peux pas vraiment répondre à cette question.

Le président : Pourquoi pas? Vous ne connaissez pas la réponse?

M. MacKillop : Oui, s'il y a une enquête en cours dans le cadre de laquelle on identifie un groupe affilié à l'État islamique ou toute autre association terroriste ou si un organisme de bienfaisance est en cause, nous fournirions l'information aux responsables de l'application de la loi. Nous fournissons les renseignements sur les mouvements de fonds. Ce n'est pas nous qui déterminons si, au bout du compte, il s'agissait d'une activité criminelle ou liée au terrorisme. C'est à ceux qui mènent les enquêtes de le faire. Par conséquent, même si je peux montrer que des fonds ont été envoyés par une personne puis sortis d'un compte bancaire en Syrie, je ne sais pas si, oui ou non, l'argent a été retiré pour une mauvaise fin. Je peux simplement montrer les mouvements des fonds.

Le président : Si j'étais ministre de la Couronne et que vous releviez de moi, et si je vous demandais la quantité approximative d'argent transférée indirectement et directement du Canada à des personnes qui mènent des activités terroristes dans des endroits comme le Moyen-Orient, pourriez-vous me donner un chiffre approximatif de la quantité de financement afin que je puisse, en tant que ministre de la Couronne, avoir une idée de l'urgence et de l'importance de ce dossier? Pourriez-vous me fournir un chiffre approximatif?

M. MacKillop : Non, monsieur.

Le président : Vous ne fourniriez pas cette information à un ministre de la Couronne? C'est donc dire que nous ne connaissons pas vraiment l'importance de cet enjeu ou du volume dont on parle.

Sénateur White, voulez-vous simplement conclure à ce sujet?

Le sénateur White : Pour être honnête, il y a d'autres organismes qui pourraient nous fournir cette information, n'est-ce pas? Merci.

Le sénateur Meredith : J'ai une brève question à poser sur les indicateurs et plus précisément sur les recettes tirées de la traite de personnes et de la sous-traite avec des partenaires internationaux. Faites-vous un suivi de ces choses? Avez- vous des données à ce sujet, parce que nous savons que c'est aussi ainsi que les groupes terroristes font l'objet d'un suivi? Monsieur Beaudry, vous n'avez pas encore parlé. Pouvez-vous nous en parler?

Luc Beaudry, directeur adjoint, Collaboration, développement et recherche, Centre d'analyse des opérations et déclarations financières du Canada : Pour ce qui est de la traite des personnes, nous avons beaucoup travaillé en collaboration avec nos partenaires de l'application de la loi au cours des quelques dernières années. Nous avons obtenu une très bonne collaboration de la part du secteur privé afin de trouver de bonnes pistes financières qui sont utilisées par les organisations d'application de la loi et nos partenaires responsables de la sécurité nationale au Canada et à l'étranger aussi. À l'échelle internationale, nous considérons le dossier de la traite de personnes comme une des formes de financement du terrorisme.

Le sénateur Meredith : Avez-vous des chiffres à fournir, des montants d'argent?

M. Beaudry : Nous n'avons pas encore de montant. Nous nous penchons sur cette question à l'échelle internationale actuellement.

Le président : Chers collègues, je tiens à remercier les témoins d'avoir pris le temps de se joindre à nous. Nous allons maintenant les autoriser à se retirer.

Notre prochain groupe compte un témoin qui comparaît en personne et un autre, par vidéoconférence.

Nous accueillons aujourd'hui M. Christian Leuprecht, professeur, Département de sciences politiques et d'économie, Collège militaire royal du Canada. Je suis content de vous revoir, monsieur.

Par vidéoconférence, nous accueillons M. Tom Keatinge, directeur du Centre for Financial Crime and Security Studies du Royal United Services Institute, au Royaume-Uni. Je ne sais pas quelle heure il est là-bas, mais vous semblez frais et dispos.

Messieurs, bienvenue. Je crois savoir que vous avez chacun une déclaration préliminaire. Je vais demander à M. Keatinge de commencer; nous poursuivrons ensuite avec M. Leuprecht. Nous avons une heure à vous consacrer.

Tom Keatinge, directeur, Centre for Financial Crime and Security Studies, Royal United Services Institute : Je vous remercie de m'accueillir. Je suis heureux d'avoir l'occasion de contribuer à votre étude.

On m'a demandé de cibler mes remarques sur les dossiers liés aux organismes de bienfaisance et au financement du terrorisme, et plus précisément la possibilité que les organismes de bienfaisance servent à des fins de financement du terrorisme.

Cette question a vu le jour après les événements du 11 septembre, quand les organismes de charité ont rapidement été soupçonnés de constituer un point faible de la lutte mondiale au financement d'activités terroristes. Dans le cadre des recommandations spéciales formulées par le Groupe d'action financière au sujet du financement des activités terroristes après le 11 septembre, les organismes à but non lucratif ont été qualifiés de « particulièrement vulnérables » aux abus à cet égard. Nous pouvons toujours débattre de la justesse de cette affirmation à l'époque et demander pourquoi les organismes de bienfaisance sont devenus suspects, mais il n'en reste pas moins qu'entre-temps ces organismes n'ont généralement pas ménagé leurs efforts pour prouver l'inexactitude de cette croyance générale.

D'ailleurs, en juin dernier, après plusieurs années d'efforts et de dialogue, le GAFI a retiré cette présomption de ses recommandations. Cela ne signifie toutefois pas pour autant que le secteur est à l'abri de stratagèmes visant le financement d'activités terroristes. Le conflit en Syrie l'a clairement fait ressortir.

Je vais formuler un certain nombre d'observations générales et précises sur les risques.

Premièrement, les organismes de bienfaisance reposent habituellement sur des transactions en argent, et il est donc difficile de surveiller d'où proviennent les fonds et à quoi ils servent.

Deuxièmement, la réglementation des activités de ces organismes n'est pas uniforme. La Charity Commission du Royaume-Uni vous a déjà parlé de son travail. Notre pays a de la chance de compter sur une unité aussi dévouée, mais même cette commission n'est pas en mesure de surveiller à quoi servent les fonds dans les pays auxquels ils sont destinés, comme la Syrie.

Troisièmement, les organismes de bienfaisance doivent être des intermédiaires transfrontaliers très efficaces pour que les fonds recueillis puissent soutenir leurs activités. Cette compétence représente évidemment un avantage pour ceux qui ont l'intention d'en abuser. Nous avons en effet été témoins de telles situations. C'est pourquoi le secteur bancaire traite ces organismes avec une telle prudence.

Ensuite, on a observé une prolifération d'activités de bienfaisance depuis le début du conflit en Syrie. Il est pertinent de se demander si tous ces nouveaux organismes ont mis en place des procédures de gouvernance suffisantes ou s'ils considèrent que ce genre de mécanismes de contrôle sont des coûts indirects inutiles.

Enfin, il y a aussi des organismes de bienfaisance qui servent à acheminer des fonds au Royaume-Uni et au Canada. Le Parlement britannique s'est dit préoccupé par le financement de l'extrémisme. L'ancien premier ministre David Cameron a ordonné la tenue d'une enquête sur le financement des activités extrémistes islamistes au Royaume-Uni, y compris les sources de financement provenant de l'étranger.

Les organismes de bienfaisance sont inévitablement visés par ce genre d'enquête, qui a été complétée, mais dont les résultats n'ont pas été publiés. Cependant, je peux dire que, puisqu'il n'est pas nécessaire de déclarer les transferts d'argent transfrontaliers au Royaume-Uni, nous ignorons tout des fonds qui entrent au pays et qui en sortent électroniquement. La sécurité financière des frontières est une question importante qui est souvent négligée.

Comment pouvons-nous nous assurer que le secteur caritatif fait son précieux travail, au pays et à l'étranger, sans toutefois servir, sciemment ou non, à financer des activités terroristes?

Je vais soulever cinq points en guise de conclusion.

Premièrement, il faut constamment rappeler aux organismes de bienfaisance leurs obligations en matière de réglementation et de gouvernance. De nouveaux organismes voient sans cesse le jour, et la gouvernance opérationnelle doit être absolument essentielle. Les organismes qui ne peuvent pas prouver qu'ils adhèrent aux normes adéquates ne devraient pas mener d'activités dans des régions présentant un risque élevé. Ils devraient travailler en partenariat avec des intervenants expérimentés ou ne devraient tout simplement exercer aucune activité.

Deuxièmement, dans la même veine, les organismes de bienfaisance doivent exercer leurs activités avec professionnalisme. Il n'est pas étonnant de trouver d'anciens comptables et des professionnels rigoureux dans les grands organismes de bienfaisance. Ce sont des compétences dont tous les organismes ont besoin pour respecter leur obligation de protéger l'utilisation de fonds provenant des donateurs.

Les organismes de bienfaisance doivent veiller à inclure la gouvernance financière dans la planification et dans l'exécution des programmes. Certains grands organismes, c'est assurément le cas, ici, au Royaume-Uni, envoient des vérificateurs professionnels sur le terrain pour surveiller la distribution de l'aide et atténuer les risques de détournement.

La déclaration des fonds reçus de l'étranger par des organismes de bienfaisance, ou expédiés à l'étranger par ces organismes devrait être obligatoire, ce qui est déjà le cas au Canada, je pense. Cela peut sembler futile, mais les faits montrent que de nombreux pays savent peu de choses sur les fonds qui entrent sur leur territoire ou qui en sortent. Cependant, il ne faut pas oublier de veiller à ce que la réglementation ne pousse pas les fonds vers des canaux officieux et obscurs, où un suivi est impossible. La vague d'atténuation des risques lancée par le secteur bancaire a fait en sorte que des organismes de bienfaisance sont incapables de distribuer des fonds légitimes ou qu'ils les distribuent par des canaux officieux et risqués.

Au bout du compte, les pays comme le Canada et le Royaume-Uni comptent énormément sur les organismes de bienfaisance pour distribuer l'aide financière de nos pays prospères à des États fragiles et déchirés du monde entier. Ce travail contribue à notre sécurité nationale et internationale et il faut l'encourager, mais les activités doivent respecter des normes de fonctionnement qui limitent la possibilité de détournement de l'aide et des fonds ou le risque d'abus des organismes de bienfaisance à de mauvaises fins.

J'ai hâte de répondre à vos questions.

Le président : Merci, monsieur. Nous allons demander à M. Leuprecht de dire quelques mots.

[Français]

Christian Leuprecht, professeur, Département de sciences politiques et d'économie, Collège militaire royal du Canada, à titre personnel : Bonjour, mesdames et messieurs, merci de l'invitation.

[Traduction]

Comme vous le savez, nous avons récemment terminé un projet portant précisément sur les activités au Canada et les activités d'organisations au Canada dont nous avons pu faire un suivi grâce à des sources ouvertes. Vous trouverez le tout sur le site web de la TSAS. Je crois savoir que certains membres du comité ont déjà lu l'article.

Nous réalisons aussi actuellement un projet qui vise à cartographier tous les dossiers de financement terroriste transnationaux pour cerner les tendances derrière ces cas et le nombre préliminaire de cas, et les données que nous possédons relativement à chacun de ces cas donnent à penser qu'il y a des tendances distinctes qui soulèvent des questions très intéressantes, tant à l'échelle internationale qu'au sein du Canada.

Il s'agit d'un projet que je réalise avec Art Cockfield, de l'école de droit de l'Université Queen's. M. Cockfield a constaté dans le cadre de nos travaux que, de façon générale, notre cadre législatif n'est pas mal du tout. La question de recherche intéressante est la suivante : si le Groupe d'action financière nous dit que notre cadre législatif est peu près correct, pourquoi ce problème semble-t-il persister? Demandons-nous quelle était la gravité du problème seulement l'année dernière.

Il y a le GAFI, le Groupe d'action financière international. Il y a la stratégie mise à jour sur le financement du terrorisme. Il y a eu de récentes déclarations de leaders du G20 et de ministres des Finances à l'appui des efforts du GAFI en matière de lutte au financement du terrorisme. Il y a aussi l'appel aux États membres du GAFI d'en faire plus. Mentionnons aussi le plan d'action de 2016 du G7 sur le financement du terrorisme pour lutter contre le groupe de financement de l'État islamique et le plan d'action du groupe responsable des finances. Il y a aussi les récents efforts de l'UE.

Ce ne sont pas les preuves qui manquent pour montrer qu'il s'agit d'un problème grandissant, et c'est de toute évidence un problème important, et, tout de même, empiriquement, il semble que nous ayons beaucoup de difficulté à faire quelque chose à ce sujet. Comme vous l'avez mentionné, il y a relativement peu de poursuites. La question est la suivante : est-ce que le fait qu'il y ait si peu de poursuites est, premièrement, un signe que nous n'avons pas de problème, deuxièmement, la preuve que nous faisons un travail fantastique pour éradiquer le problème; ou, troisièmement, une indication que nous ne faisons pas nécessairement du bon travail? Cela est question des zéros et des uns. De quelle façon pouvons-nous mesurer les zéros alors qu'il n'y a pas beaucoup de ces événements démontrés ni beaucoup de poursuites?

Pour bien situer les choses, il s'agit d'un problème très diversifié et variable. Il y a les entités qui figurent sur la liste, comme le Hamas et le Hezbollah, et il y a les organisations de sécurité externe, comme le Hezbollah, qui réalisent des activités de financement à l'échelle mondiale. J'ai déjà écrit à ce sujet. J'ai cartographié ces réseaux. Ils ont tendance à être décentralisés, des liens avec le Canada ont été démontrés. J'ai récemment publié un article à ce sujet dans Terrorism and Political Violence, le chef de file des revues dans ce domaine à l'échelle internationale.

Puis, il y a des organisations terroristes transnationales, comme l'État islamique et Al-Qaïda, qui ont pris du galon et sont devenues autofinancées. L'État islamique, à son apogée, engrange environ 80 millions de dollars par mois, dont une bonne partie vient des exportations illicites de pétrole.

Puis, il y a des organisations plus locales, davantage axées à l'échelle nationale et régionale comme les Tigres tamouls. Ce sont des organisations. Nous avons de très bonnes preuves venant de l'Australie expliquant de quelle façon tout ça fonctionne. Une organisation détournait des dons dans des temples, une partie des dons. L'autre façon misait sur un stratagème lié à des cartes d'appel; des organisations amies des Tigres contrôlaient ces cartes d'appel, et il était entendu que ceux qui faisaient partie de la diaspora utilisaient les cartes d'une certaine compagnie de téléphone.

Le problème, c'est que ce sont des activités légales, cependant, certains des fonds sont utilisés à des fins illégales. Ce qui explique en partie pourquoi les poursuites sont si difficiles. Certaines organisations, comme Al-Shabaab, s'adonnent à des activités de collecte de fonds locales, puis des loups solitaires et des combattants terroristes étrangers ont, en fait, besoin de très peu d'argent pour passer à l'action.

Alors quels sont certains des défis auxquels nous sommes confrontés ici? L'un des problèmes, c'est l'attribution. L'un de mes collègues à la retraite a dit que même les terroristes ont besoin d'aller voir le dentiste. Par conséquent, lorsque vous envoyez de l'argent à l'étranger, même si vous envoyez ces fonds à une organisation qui figure sur une liste, les fonds peuvent être utilisés à des fins de développement. Les organisations sont très astucieuses lorsqu'elles tentent de masquer l'objectif du financement, et, donc, de façon générale, l'attribution tant au niveau individuel qu'au niveau des organisations peut être difficile.

Il y a aussi le problème du pourvoyeur en Afrique du Nord-Ouest. Bruno Charbonneau, qui enseigne à l'Université Laurentienne et à l'UQAM, a écrit à ce sujet. Il y a des organisations qui, essentiellement, fournissent des services que, sinon, l'État fournirait. La plupart des choses qu'Al-Qaïda transporte et fait passer clandestinement en Afrique du Nord-Ouest sont des choses comme des aliments et des articles de base qu'on peut acheter dans une quincaillerie parce qu'il n'y a pas d'État pour fournir ces choses, même si certaines des choses qu'ils font et transportent clandestinement sont clairement illicites et ne sont clairement pas dans notre intérêt.

Puis, il y a aussi le problème lié aux déclarations de culpabilité, dans la mesure où il est difficile de les obtenir. Je crois que les procureurs hésitent à intenter des poursuites parce que nous n'avons pas beaucoup de précédents, et les poursuites sont donc un pari : nul ne sait si elles seront couronnées de succès. Souvent, les organisations d'application de la loi déposent tous les chefs d'accusation possibles, puis laissent tomber certains types de chefs pour en venir à une entente. Le financement du terrorisme est souvent l'une des accusations qui tombent en cours de route, mais je vous rappelle que Momin Khawaja, la première personne à avoir été accusée au titre de la loi canadienne sur le terrorisme, a aussi été accusée d'une infraction liée au financement.

La question plus générale que cela soulève, c'est de savoir de quelle façon une organisation comme le CANAFE, notre Unité du renseignement financier, peut faciliter davantage les choses dans le cadre du processus. J'ai quelques recommandations auxquelles il serait bon de réfléchir à ce sujet. L'une, c'est que la loi, même si, de façon générale, elle fournit une trousse d'outils permettant aux organisations de passer à l'action, eh bien, en fait, la législation sur le financement du terrorisme au Canada et ailleurs a été intégrée à la législation sur le blanchiment d'argent, et on parle là de deux problèmes opposés dans la plupart des cas. Dans le cas du blanchiment d'argent, on parle de fonds illicites qui sont blanchis afin qu'ils deviennent légaux. Pour ce qui est du financement du terrorisme, on parle habituellement de fonds qui, d'une façon ou d'une autre, sont légaux et qui sont utilisés à des fins illicites. Le fait d'utiliser le même instrument pour atteindre deux objectifs opposés en matière de poursuites ne s'est pas avéré la façon la plus efficiente de procéder. D'aucuns se demandent si nous devrions avoir une loi sur le financement du terrorisme tout à fait autonome et distincte. Je crois que nous devons réaliser plus de recherches afin que tout cela soit mieux connu.

Vous avez pu voir, en écoutant le témoin qui m'a précédé, que les gens au sein de la bureaucratie sont toujours réticents à l'idée de parler de certaines de ces choses, mais nous pouvons savoir plus de choses à partir de sources ouvertes que nous voulons l'admettre.

Il faut abandonner la limite de 10 000 $. Cette limite n'a jamais été logique. Il n'est pas sensé de l'utiliser du point de vue des faux positifs. Ce n'est pas sensé de l'utiliser du point de vue du secteur bancaire, parce que les représentants de ce secteur vous diront que cela ne fait qu'ajouter des règlements et des coûts supplémentaires parce qu'ils doivent siphonner toutes les transactions au-dessus et en dessous de ce seuil. Demandons-leur uniquement de déclarer toutes les transactions, ce qui nous permettra d'avoir une connaissance complète du domaine à partir de laquelle nous pourrons travailler.

Nous avons besoin d'un échange des transactions financières. Il y a un précédent, ici, et c'est ce qu'on fait du côté cybernétique, avec l'Échange canadien de menaces cybernétiques, l'ECMC, qui est une première à l'échelle internationale. Le secteur public et le secteur privé se sont réunis, permettant à leurs unités du renseignement financier d'échanger des données sur les menaces et le renseignement lié à la cybersécurité, et je crois que nous devons faire la même chose. Ce serait une des façons d'habiliter le CANAFE, en réunissant plus de personnes autour de la table et en trouvant un mécanisme efficace permettant aux institutions financières et aux organismes du renseignement et d'application de la loi de se réunir et d'échanger certains renseignements stratégiques opérationnels. En fait, je crois que nous pourrions être un des chefs de file mondiaux en la matière. Tout comme nous sommes passés à l'action du côté cybernétique, nous pourrions le faire du point de vue des finances.

Nous avons besoin de plus de rapports sur les entrées de fonds. Nous parlons toujours des sorties de fonds, mais, au Canada, nous avons un défi lié au fait que certains pays que nous ne considérons peut-être pas comme les plus amicaux financent ce qui semble être des projets de bien-être au Canada, ce qui, en tant que tel, est un débat intéressant parce que cela laisse entendre d'une façon ou d'une autre que le Canada ne prend pas adéquatement soin de certains groupes, et on peut donc se demander pourquoi ces pays financent certains projets de bien-être ici, au Canada. D'entrée de jeu, tout ça est discutable, mais il faut poser les questions plus difficiles au sujet de l'argent qui entre au pays et au sujet de la façon dont ces fonds sont dépensés ici.

Ce qui peut sembler être des fins de bienfaisance et des motifs altruistes vise à promouvoir les intérêts de certains pays, des pays que nous considérerions peut-être comme des États hostiles.

Une façon possible de conclure ma déclaration préliminaire, c'est de revenir sur le fait que vous venez de discuter de la traite de personnes. Nous avons vu des dizaines de personnes traverser la frontière canadienne ces derniers jours, et je demande fortement au comité de se poser les questions difficiles sur la façon dont ces personnes arrivent à la frontière. Les tendances qu'on constate ici sont exactement les mêmes que celles qu'on a vues en Europe où il y a eu des tendances migratoires similaires. Cela donne à penser que ces personnes n'agissent pas seules. Certaines réussissent à se rendre à la frontière et à la traverser. Ces personnes obtiennent de l'aide et payent des gens pour se rendre là.

Le Canada a l'obligation de poser certaines questions difficiles afin de connaître les individus qui gagnent de l'argent au moyen de ce trafic, tant aux États-Unis qu'à l'échelle internationale, et nous avons des obligations, non pas seulement d'accepter des personnes comme réfugiées, mais également de nous assurer que les trafiquants et les réseaux de migration clandestine n'exploitent pas la vulnérabilité de ces personnes en les amenant ici au Canada.

Le président : Merci, monsieur, vous avez soulevé des points très intéressants.

La sénatrice Jaffer : Merci beaucoup à vous deux de vos commentaires. J'ai beaucoup de questions, mais je vais d'abord commencer par vous, monsieur Keatinge.

Vous avez beaucoup écrit à propos des sources de financement de Daech et de la façon dont le paysage du financement d'activités terroristes a changé ces derniers temps. Un des articles était intitulé Financial Intelligence and the Evolving Threat from Daesh, qu'on pourrait traduire par « Les renseignements financiers et l'évolution des menaces de Daech ». Je ne répéterai pas ce que vous avez écrit, mais comme le public nous regarde, je désire offrir un contexte.

L'article parle de la perte du territoire que Daech utilisait pour obtenir du financement et du fait que de nombreux partisans retournent dans les pays où Daech était actif. Vous avec déterminé qu'il s'agit d'une nouvelle menace potentielle relativement au financement d'activités terroristes. Ce que vous dites à la fin de l'article est très intéressant; nous ne devons pas confondre les personnes qui mènent des activités de bienfaisance ou d'aide au développement avec quelques-unes qui ne font peut-être pas un si bon travail.

Que constatez-vous actuellement? Le financement d'activités terroristes vient-il d'organismes de bienfaisance?

M. Keatinge : Merci de votre question. Très brièvement, l'objet de l'article est que nous sommes devenus obsédés par le risque de financement d'activités terroristes, car il concerne le mouvement de l'argent de pays comme le Royaume- Uni vers la zone de conflit de la Syrie et de l'Irak, particulièrement en ce qui concerne les combattants étrangers qui quittent nos pays pour aller vers ces endroits. Ce que je veux dire, c'est que les gens commencent à revenir à la maison et, comme l'a mentionné le témoin précédent, il est très difficile de relever les mouvements de financement qui doivent être arrêtés. Alors ce que nous devons nous demander, entre autres, c'est comment pouvons-nous utiliser les mouvements de financement et les renseignements financiers? Comment pouvons-nous utiliser ces éléments pour identifier ces individus?

Mais nous ne devons pas oublier que — et nous constatons certainement cela tout le temps au Royaume-Uni — il y a des mouvements d'argent vers des pays comme la Turquie, la Jordanie et le Liban, qui sont liés à des organismes de bienfaisance et servent à financer des camps de réfugiés à la frontière entre la Turquie et la Syrie, par exemple. Cet argent est trop souvent stoppé par des banques et d'autres parce qu'on s'inquiète du fait qu'il finance le terrorisme.

Il importe que, à mesure que nous tentons de resserrer l'étau autour du financement d'activités terroristes, nous ne nous mettions pas nous-mêmes des bâtons dans les roues en bloquant en réalité des fonds qui sont destinés au soutien de réfugiés. Bien sûr, si nous ne les soutenons pas, que se passera-t-il? Qui comble le vide, comme il l'a mentionné le témoin précédent? Des groupes comme Daech qui assurent le bien-être des gens et ainsi de suite? C'est très compliqué, mais nous devons y penser de manière intelligente, et je crois que, en général, nous y pensons d'une manière trop simpliste.

La sénatrice Jaffer : Merci. Monsieur Leuprecht, vous avez soulevé de nombreuses questions. Une des choses que vous avez dites, si je vous ai bien compris, c'est que, dans de nombreux endroits, l'État n'existe pas alors l'organisation terroriste ou l'organisation sur le terrain fournira des services comme l'éducation et des hôpitaux, en plus de faire d'autres choses. Il est parfois difficile de déterminer ce dont il s'agit, si c'est du financement d'activités terroristes ou de l'aide au développement. Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet?

M. Leuprecht : Je crois que nous devons encourager les organisations à transformer leurs efforts en de véritables efforts politiques. C'est un peu le défi que posait l'Irlande du Nord, le Sinn Fein et l'Armée républicaine irlandaise.

Il existe des choses que nous pouvons faire sur le plan politique afin de nous assurer que nous encourageons un comportement qui sépare le comportement extrémiste criminel violent de celui qui est politique. Nous devons être particulièrement proactifs — et je crois que le Canada a fait un travail relativement satisfaisant à cet égard — dans des zones du monde où nous constatons qu'il y a beaucoup de fragilité et de défis potentiels. Je soulignerais particulièrement le nord-ouest de l'Afrique dans ce contexte précis parce que, comme M. Keatinge l'a souligné, lorsque nous avons un feu de forêt, cela devient une préoccupation très tactique, et je crois que nous devons d'abord nous assurer de prendre les devants concernant ce type de comportement.

La sénatrice Jaffer : Je suis très inquiète lorsque vous parlez de traite de personnes. J'ai participé pendant de nombreuses années à la lutte contre ce fléau. En ce qui concerne le financement d'activités terroristes et la traite de personnes, ils sont tous les deux, pour ma part, de mauvaises activités, mais le passage de clandestins qui peut se produire au Manitoba n'a peut-être rien à voir avec les organismes de bienfaisance; il s'agit d'une personne qui essaie de s'enrichir sur le dos des gens. À mon avis, le mélange de passage de clandestins et de financement d'activités terroristes est un cocktail explosif.

M. Leuprecht : Je dirais qu'une des choses que nous avons observées est ce qu'on appelle souvent le lien entre le terrorisme et le crime organisé. Je redoute ce lien parce que, comme de nombreuses choses sur le terrain, il y a de nombreuses propositions et relativement peu de données probantes.

Ce que nous connaissons du lien, c'est que nous voyons de plus en plus d'organisations terroristes adopter des méthodes du crime organisé et nous avons vu des organisations criminelles organisées, particulièrement au Mexique, par exemple, adopter des méthodes terroristes. Il y a donc un apprentissage commun. Je ne parlerais pas de convergence, mais il existe un mécanisme d'apprentissage à l'œuvre ici.

Le sénateur White : Merci à vous deux de votre présence aujourd'hui. Monsieur, merci encore une fois d'être ici. Je sais que vous êtes déjà venu.

En ce qui concerne le Canada, la loi qui a d'abord mis en place le CANAFE n'est pas nouvelle. Je crois que lorsque nous entendons les gens dire : « Cela devrait être 10 000 $ », la peur que nous avons, bien sûr, si nous pouvions analyser toutes les données, c'est comment gérerions-nous cela?

Recommanderiez-vous que nous analysions en réalité la façon dont le CANAFE exerce ses activités afin de permettre à la technologie qui existe aujourd'hui d'effectuer un suivi plutôt que de le laisser comme à l'origine? Est-ce ce que vous envisagez? Nous ne pouvions pas tripler la taille du CANAFE pour être en mesure de gérer les données. Je ne crois pas que ce soit nécessaire, de toute façon, et vous?

M. Leuprecht : Non. Sur le plan de l'analyse de données, il s'agit uniquement d'un problème de méthodologie; ce n'est pas un problème de ressources en personnel. En connaissant pleinement le domaine, comme vous le savez en raison de votre dernier emploi, vous avez en réalité une meilleure compréhension de ce qui se passe que si vous ne connaissez qu'une partie de la situation.

Le sénateur White : Merci de votre commentaire parce que c'est exactement ce que je voulais dire. Si nous voulons être réalistes, nous sommes en plein âge de pierre et tentons de demander quelque chose à des personnes qui sont dans une ère technique. Compte tenu du nombre de personnes, d'organisations et les sommes d'argent que nous suivons, nous pourrions regrouper toutes ces informations et les communiquer plus facilement si nous avions accès à davantage d'information, non pas moins. Ça ne compliquerait pas les choses pour nous; en réalité, ça les simplifierait.

M. Leuprecht : Il existe des obstacles institutionnels et culturels à cet égard. Je sens que, dans cette ville, il y a des gens qui redoutent les données parce qu'ils ne les comprennent pas. Nous faisons également face à un défi au pays concernant l'analyse de données; nous n'avons pas un bon programme de formation sur les demandes de sécurité en ce qui concerne l'analyse de données ou même l'analyse avancée de réseaux sociaux. La plus grande partie de ce que vous recevez de la part d'organismes de renseignement et d'application de la loi, ce sont des tableaux i2.

Nous pourrions en faire beaucoup plus avec les ressources dont nous disposons si nous avions les compétences appropriées au sein de ces ressources, ce qui ne revient pas à dire que nous n'avons pas de bonnes compétences, mais je crois que nous pouvons faire mieux avec les personnes, les compétences et les mandats que nous avons.

Le sénateur White : Nous venons tout juste d'entendre des témoins qui ont parlé du fait de ne pas tenir une liste des organisations criminelles au pays. Si nous prenons l'Australie, elle a obtenu beaucoup de succès, par exemple, relativement aux gangs de motards criminalisés, en les inscrivant sur une liste et en les empêchant de posséder des biens. Plusieurs diront que nous les avons poussés à vivre dans la clandestinité. Les membres de ces gangs vivent déjà dans la clandestinité; c'est pourquoi ils continuent d'être actifs.

Ne croyez-vous pas qu'il est temps pour nous, au cours de notre cheminement, d'aller au-delà du fait de seulement établir au moyen du CANAFE une liste de certains individus qui appartiennent à des organisations criminelles, mais d'identifier en réalité les organisations qui ont été reconnues par un tribunal comme étant des organisations criminelles et de les inscrire sur une liste afin qu'il leur soit plus difficile de conserver leurs actifs?

M. Leuprecht : Je crois certainement que le mécanisme actuel selon lequel lorsque trois personnes s'unissent, cette union devient une activité criminelle organisée est vraiment trompeur en ce qui concerne les données que nous finissons par publier. Je pense qu'un des meilleurs outils accessibles à la police est la confiscation d'actifs. Mais un des défis auxquels nous faisons face, bien sûr, est que vous pouvez compter sur les doigts d'une seule main le nombre de comptables dans la GRC, alors vous avez besoin en réalité de compétences au sein des organisations. Si rechercher des qualifications minimales à l'embauche c'est la façon pour nous de recruter et de promouvoir les gens, ce seront les résultats que nous obtiendrons.

Le sénateur Meredith : Merci à vous deux d'être ici cet après-midi. L'étude porte sur les organismes de bienfaisance et la protection des organismes de bienfaisance au sein du Canada. Nous parlons également des organismes à l'échelle internationale.

Monsieur Keatinge, quel pays nous offre le meilleur exemple de ces protections quand vient le temps de nous assurer que les organismes de bienfaisance sont protégés dans le contexte du financement d'activités terroristes? C'est ma première question. J'ai aussi une petite question complémentaire.

M. Keatinge : Bien sûr, je dirais le Royaume-Uni. Mais comme je le dirais, je sais que vous avez entendu Michelle Russell auparavant.

Je crois que l'élément clé que nous avons au Royaume-Uni est qu'il s'agit évidemment d'un organe du gouvernement, mais c'est un organe relativement indépendant du gouvernement. Il se concentre sur la protection du secteur des organismes de bienfaisance. Son attention ne se porte pas sur les impôts ou tout autre problème qu'on associe aux organismes de bienfaisance. Il se concentre sur la protection du secteur des organismes de bienfaisance et des fonds de donateurs. Cela a entraîné une excellente collaboration entre l'énorme secteur des organismes de bienfaisance que nous avons au Royaume-Uni et les autorités, et on a tenté de s'assurer que ces organismes comprennent leurs responsabilités, les risques qu'ils courent et la façon dont ils s'attaqueront à ces risques.

Je recommande certainement la Charity Commission comme modèle à examiner. Je crois qu'elle pourrait bénéficier de plus de financement. C'est un organe important, particulièrement dans le contexte de ce dont nous parlons maintenant. En tant que concept, je le recommanderais fortement comme une étude de cas de pratiques exemplaires.

M. Leuprecht : J'encouragerais simplement le comité à regarder au-delà de la collectivité des cinq. Il existe de bonnes choses au sein de cette collectivité, mais il y a aussi d'autres pays qui font bonne figure, en particulier l'Allemagne.

Je vous prie d'examiner le côté opérationnel. Le fait d'avoir un bon cadre législatif, si nous n'avons pas les capacités d'appliquer et de faire respecter la loi, a quand même ses limites. Il s'agit d'enquêtes sur des négociations très complexes et difficiles. On a besoin d'une certaine restructuration actuellement au sein de la GRC pour mieux faire les choses, mais je crois que, en général, nous devons repenser les capacités dont nous avons besoin pour y arriver et la façon dont nous pouvons obtenir de meilleurs résultats au moyen de ce qui est déjà en place.

Le sénateur Meredith : Vous avez tous deux parlé de détournements de fonds concernant les actifs qui vont aux bons organismes de bienfaisance ou de l'aide en ce qui concerne les crises humanitaires. Une des choses que vous avez mentionnées était le risque de détournement de nourriture, d'eau et de médicaments pour ce qui est du soutien aux personnes. Y a-t-il un mécanisme qui empêche cela de se produire? Est-ce évidemment un élément criminel comme Daech qui cherche à se réinventer? Existe-t-il une façon pour nous de prévenir ce risque de détournement dont vous parlez tous les deux? Monsieur Keatinge, qu'en pensez-vous?

M. Keatinge : Les grands organismes de bienfaisance, comme je l'ai mentionné au cours de ma déclaration préliminaire, qui ont une gouvernance appropriée en place, se concentrent très attentivement sur le fait de s'assurer, au mieux de leur capacité, de réduire le risque de détournement. La plupart de ces organismes ont un gestionnaire des risques de détournement sur le terrain qui s'assure que le matériel se rend le mieux possible là où il doit se rendre.

Je crois que le matériel n'est pas aussi préoccupant que l'argent. Le détournement d'argent est clairement une préoccupation beaucoup plus importante. Les gestionnaires s'assurent que leur organisme de bienfaisance est pleinement conscient de l'identité de leurs partenaires sur le terrain. Certains organismes de bienfaisance trouvent cela difficile et gênant de vérifier les partenaires sur le terrain, mais il est extrêmement important de bien connaître ces partenaires et les personnes avec qui ils entretiennent des liens. Alors je pense que ce qu'on tend à trouver, c'est que les organismes de bienfaisance préfèrent apporter du matériel dans des zones de conflit plutôt que de l'argent parce que s'ils perdent du matériel, c'est dommage, mais ce n'est certainement pas aussi grave qu'un détournement d'argent.

Les organismes de bienfaisance qui ont une bonne gouvernance en place mettent beaucoup l'accent sur le fait de s'assurer de réduire le plus possible le risque de détournement et investissent beaucoup d'argent à cet égard.

M. Leuprecht : Les structures, comme M. Keatinge l'a souligné, de grands organismes de bienfaisance par comparaison avec celles d'autres activités, sont différentes des structures des mécanismes utilisés pour transférer les types de biens, la façon dont les sommes d'argent sont transférées et le nombre d'intermédiaires qui participent à ces transferts. Dès qu'on a davantage d'intermédiaires, cela soulève la question de savoir si on essaie de dissimuler une partie de l'argent au cours du processus. À partir seulement de tendances, nous pouvons établir le degré de certains des risques de détournement des transferts. Le GAFI a encouragé de meilleures pratiques de gestion des risques, ce qui donne à penser que non seulement le Canada éprouve des difficultés, mais que la plupart des pays du monde occidental sont aux prises avec ce à quoi doivent ressembler ces modèles axés sur les risques.

Le sénateur Tkachuk : Peut-être que vous pouvez tous deux parler de cet aspect. Lorsque vous avez mentionné que le plafond de 10 000 $ allait être non pertinent et que nous devrions tout surveiller à cet égard, mon opinion est que — je ne sais pas si elle est juste ou non — nous sommes passés par là auparavant. Le CANAFE existe depuis longtemps. Nous avons vu une seule accusation au criminel, je crois, pendant tout ce temps, faire l'objet d'un procès au cours duquel nous avons eu gain de cause. N'est-il pas vrai qu'en surveillant tout le monde, nous ne surveillons en réalité personne?

M. Leuprecht : Oui, vous avez tout à fait raison. Le côté des poursuites, comme nous l'avons mentionné, présente un défi, mais cela ne signifie pas, comme Luc Beaudry et Barry MacKillop l'ont souligné, que le Canada n'a pas son lot de belles réussites dans l'interception et la perturbation d'activités sans nécessairement obtenir des condamnations au final.

Le sénateur Tkachuk : Je suis un peu d'accord avec cela, oui.

M. Leuprecht : Non, je dirais, au contraire, que vous voulez travailler avec toutes les données et tous les renseignements disponibles précisément dans le but d'avoir une meilleure compréhension des types divergents de tendances et de comportements associés à certains types d'activités que nous n'avons pas actuellement. Je dirais que nous nous en tirerions beaucoup mieux en connaissant mieux l'ensemble du spectre de la situation. Et les banques seraient reconnaissantes parce que vous réduiriez du coup leurs coûts liés à la conformité.

M. Keatinge : Si vous me le permettez, il y a deux extrémités au spectre que j'examine. La première est l'Australie, où toutes les transactions transfrontalières effectuées au pays doivent être signalées. L'autre extrémité du spectre est mon propre pays, le Royaume-Uni, dans lequel il n'y a pas du tout de visibilité. Lorsque vous parlez à la police et à d'autres intervenants dans ces deux pays, il est très évident, selon moi, lequel a un meilleur portrait de l'activité financière.

N'oublions pas, l'analyse de réseaux a été mentionnée par l'autre témoin. L'analyse de réseau est incroyablement puissante si vous pouvez utiliser l'information financière pour établir qui a des liens avec qui. Mais si vous imposez une coupure artificielle, vous allez limiter le tableau que vous allez obtenir. C'est pourquoi il y a autant d'attention portée maintenant sur les partenariats public-privé dans le monde et sur les banques et les gouvernements qui travaillent ensemble afin d'essayer de brosser des tableaux plus détaillés, exacts et complets de l'information financière afin de pouvoir s'attaquer à la criminalité et au financement du terrorisme.

Le sénateur Tkachuk : Nombre des dernières attaques terroristes étaient essentiellement intérieures. En d'autres mots, les personnes vivaient dans le pays ou, dans le cas de l'UE, en France et en Belgique, où elles jouissaient d'une liberté de circulation. Vous recueillez l'argent au pays. Vous ne l'envoyez à personne. Vous récoltez l'argent au pays; ce n'est pas très difficile. Vous achetez une poignée de mitrailleuses, allez à un concert et tuez tout le monde. Il me semble que c'est ce qu'ils font maintenant.

M. Keatinge : Je ne veux pas laisser entendre que si vous faites preuve de tolérance zéro à l'égard des divulgations transfrontalières vous allez soudainement tout régler. Mais vous auriez une meilleure idée d'une partie du défi.

N'oublions pas que, certainement en Europe, au cours des dernières années, le défi tenait à l'argent de nos pays qui se rend en Syrie et en Irak; c'est donc quelque chose qui a posé des difficultés aux autorités. Maintenant, vous avez tout à fait raison. Nous faisons face à l'heure actuelle au problème intérieur des loups solitaires et des petites cellules. Soyons dynamiques. Comment devrions-nous actuellement envisager les menaces?

Une partie du problème auquel nous faisons face est que le paysage financier terroriste a été établi après le 11 septembre en raison d'une menace : Al-Qaïda. Nous faisons face maintenant à un spectre de menaces provenant de personnes qui agissent seules par l'intermédiaire de proto-États comme al-Shabaab et l'État islamique. Nous n'avons pas été suffisamment dynamiques pour rajuster notre approche afin d'analyser cette menace changeante. L'ensemble du spectre des menaces ne saurait être éliminé par une seule solution, alors nous devons continuer à analyser attentivement ce spectre et adopter la bonne approche en ce qui concerne les menaces auxquelles nous faisons face maintenant.

Le sénateur Tkachuk : Le Hamas et le Hezbollah sont connus pour avoir des réseaux de financement au Canada, je crois. Les sommes d'argent recueillies par ces groupes ont-elles augmenté au cours des dernières années? Utilisent-ils des organismes de bienfaisance comme véhicules pour mobiliser des fonds?

M. Leuprecht : Le Hezbollah est probablement l'organisation terroriste mondiale par excellence si vous regardez les réseaux et la portée de ces réseaux. La majeure partie de ce qu'elle fait dépend de mécanismes de commerce assez perfectionnés, de mécanismes à valeur ajoutée et de fraudes fiscales à valeur ajoutée. Ses activités vont au-delà du porte-à-porte afin d'essayer de ramasser de l'argent.

Mais je crois que la clé ici est que nous devons nous assurer... ce que j'ai démontré dans le cadre de mon propre travail, c'est que, encore une fois, au cours de la fin de semaine, nous avons eu des discussions sur la frontière Canada- États-Unis et ce qui traverse cette frontière. Nous pouvons démontrer de manière empirique que le véritable défi réside non pas dans ce qui traverse la frontière dans ce qui se produit. La façon dont cela se produit en Amérique du Nord fait en sorte que le reste du monde est moins sécuritaire en raison de choses que les gens se procurent ici et de fonds qui, d'une façon ou d'une autre, sont acquis ici et envoyés ailleurs dans le monde en soutien à des activités malhonnêtes ou des activités qui sont clairement et régulièrement contre les intérêts du Canada ou ceux de ses alliés.

L'effort de financement et le fait de nous assurer de limiter ces problèmes en faisant de notre mieux sont importants. Nous vivons dans un pays diversifié, et lorsque vous vivez dans un tel pays, il y a forcément des personnes qui sont favorables, soit par appât du gain, soit en raison de motifs idéologiques, à certaines organisations que nous préférerions qu'elles ne soutiennent pas et que nous avons inscrites sur une liste en disant : « Nous devons nous assurer de faire comprendre à tous les Canadiens que ce type de comportement est ou n'est pas acceptable à cet égard. »

La présidente : Pouvez-vous réagir à cela?

M. Keatinge : Je ne crois pas que je peux réagir à des éléments précis propres au Canada dans ce cas, non.

Le sénateur Tkachuk : Qu'en est-il de votre propre pays?

M. Keatinge : Encore une fois, cela revient à une partie de mon commentaire sur la façon dont nous n'avons pas su en quelque sorte nous adapter dans mon pays. Nous avons acquis beaucoup d'expérience relativement aux activités financières de l'IRA, l'Armée républicaine irlandaise, que les gens oublient souvent. Mais nous avons certainement appris beaucoup de choses sur la façon dont les groupes terroristes se financent dans le cadre de notre expérience avec l'IRA. Encore une fois, d'autres témoins en ont un peu parlé.

Il existe ce lien entre les affaires et la criminalité qui permet de mobiliser des fonds à des fins terroristes. Clairement, l'IRA est un cas que nous ne devrions pas oublier parce que sa capacité de recueillir des fonds provenant d'entreprises et d'utiliser le crime organisé était impressionnante. Tout n'est pas lié à des donateurs et à des organismes de bienfaisance, comme on pourrait l'imaginer en lisant la presse.

La sénatrice McPhedran : Je voudrais seulement obtenir quelques éclaircissements de la part de M. Keatinge. Au point quatre de votre mémoire, vous faites la déclaration suivante : « On a observé une prolifération d'activités de bienfaisance depuis le début du conflit en Syrie. »

Je voulais juste m'assurer de bien comprendre. Avez-vous des données probantes qui vous donnent à penser qu'une telle prolifération est liée à la mauvaise utilisation de fonds d'organismes de bienfaisance à des fins de terrorisme?

M. Keatinge : Ce que je voulais dire, c'est que, certainement au Royaume-Uni, le nombre d'organismes de bienfaisance créés pour soutenir les efforts humanitaires en Syrie a augmenté considérablement. Très tôt, au début du conflit — j'oublie la date précise —, le nombre d'organismes de bienfaisance dont le travail visait la Syrie a doublé, bien sûr, en raison du conflit qui y sévissait.

Essentiellement, c'est que nombre de ces organismes de bienfaisance sont mis sur pied avec de très bonnes intentions, mais sans nécessairement la bonne gouvernance en place afin d'exercer leurs activités et de composer avec un environnement aussi complexe qui met en jeu de nombreuses formes de groupes armés non étatiques comme c'est le cas en Syrie. Je ne dis certainement pas que la prolifération d'organismes de bienfaisance visait l'envoi de fonds à des terroristes. Selon moi, ces organismes étaient créés très rapidement, avec de bonnes intentions, mais je ne crois pas que tous ces organismes étaient dotés d'une gouvernance qui leur permette de gérer les fonds qu'ils transféraient.

La sénatrice McPhedran : Par conséquent, ces fonds étaient-ils susceptibles d'être détournés?

J'essaie de comprendre la logique. Si je comprends bien ce que vous avez dit sur la gouvernance et vos explications, par conséquent, les organismes sont au moins un peu vulnérables à ce que leurs fonds soient détournés et soient utilisés à des fins de terrorisme.

M. Keatinge : C'est exact. J'ai parlé avec des représentants d'organismes de bienfaisance et je les ai écoutés me dire ce qu'ils font. Il est clair pour moi qu'il y en a qui comprennent leurs responsabilités et investissent à cet égard; il y en a d'autres qui croient qu'il s'agit de coûts indirects inutiles et que la distribution de l'aide est la chose la plus importante qu'ils devraient faire, coûte que coûte.

La sénatrice McPhedran : Cela fait toujours partie de mon propos. J'essaie seulement de comprendre en regroupant un certain nombre de points de votre rapport.

Vous nous avez aussi recommandé la Charity Commission comme modèle. Établissiez-vous un lien entre la fonction de la Charity Commission telle que vous la percevez et le type de surveillance dont on a davantage besoin, selon vous, concernant l'exemple du point quatre?

M. Keatinge : Une des choses qu'a faites la Charity Commission est d'avoir passé beaucoup de temps sur la route partout au Royaume-Uni en allant dans des collectivités où il y a beaucoup de dons de charité liés au conflit en Syrie pour essayer d'insuffler aux gens l'importance de comprendre où va leur argent. Si vous y pensez bien, le zakat est un des principes de l'Islam. Le don d'argent est extrêmement important; en fait, c'est une obligation. La question est la suivante : pensez-vous à ce qui arrive à votre argent ou le donnez-vous et, une fois que c'est fait, estimez que vous avez rempli votre obligation?

Il s'agit d'encourager les gens à penser à qui ils donnent leur argent, aux canaux qu'ils utilisent pour le distribuer et au besoin de parler aux personnes locales qui gèrent les organismes de bienfaisance afin de s'assurer qu'elles connaissent leurs obligations.

La Charity Commission a fait énormément de sensibilisation au Royaume-Uni, en partie, à mon avis, en raison de la création de ces nouveaux organismes de bienfaisance. Les membres de la commission savent qu'ils doivent parler aux gens afin de s'assurer qu'ils comprennent leurs obligations.

M. Leuprecht : Sénatrice, c'est une question très importante à poser. Si on fait des prévisions concernant le Moyen- Orient, on s'attend à ce que cette région devienne moins stable. Nous verrons probablement plus de conflits. Le cas type de ce qui s'est passé en Syrie est un peu le canari dans la mine de charbon. Nous devons donc nous assurer que les Canadiens peuvent tendre la main, mais sans finir par financer des choses que nous ne voulons pas qu'ils financent.

À cet égard, nous parlons d'organismes de bienfaisance, mais, en réalité, il s'agit d'un secteur très diversifié. C'est comme parler du secteur privé, dans lequel on retrouve de très grandes sociétés et aussi de très petites entreprises familiales. Cela donne à penser que nous avons besoin d'un modèle beaucoup plus axé sur les risques en ce qui concerne le secteur de la bienfaisance parce que de très grandes organisations courent des risques énormes liés à leurs activités et à leur réputation. Si quelque chose tourne mal, elles ont la capacité de réagir. En même temps, elles dépensent beaucoup plus d'argent en administration que certains groupes plus petits qui sont beaucoup moins lourds et beaucoup plus efficaces et qui peuvent, à bien des égards, acheminer l'argent vers des endroits beaucoup plus rapidement, mais où il y a beaucoup plus de risques si les bonnes structures de gouvernance ne sont pas en place.

Alors une chose que le gouvernement du Canada peut faire est de s'assurer que, lorsque nous avons de petits organismes de bienfaisance, nous les aidons de manière efficace à mettre en place ces structures de gouvernance et que nous avons les bons mécanismes de surveillance et d'examen en place afin de nous assurer que ces organismes de bienfaisance respectent la loi et leur mission et que leurs fonds ne sont pas drainés, même accidentellement, et servent à des fins auxquelles nous ne voulons pas qu'ils servent.

La sénatrice Jaffer : J'ai une question pour vous, monsieur Keatinge. Nous savons que Daech perd du territoire et que, auparavant, il finançait beaucoup son travail au moyen des ressources et du territoire qu'il possédait. Maintenant, comme il perd des régions de ce territoire, il devra commencer à trouver d'autres façons de recueillir de l'argent. Vous avez beaucoup travaillé sur Daech. Pouvez-vous nous dire, selon vous, ce qui va se produire?

M. Keatinge : La première chose à dire est que toute organisation limite ses activités pour respecter sa capacité financière. Alors évidemment, Daech a tenté de gérer un État providence. Il a essayé de mener des activités de sécurité. Il a évidemment exercé les activités d'une force combattante. À mesure que Daech perd des pans de son territoire et qu'il est limité, nous pouvons alors nous attendre à ce que son modèle opérationnel change. Ce que je veux dire, c'est que le modèle opérationnel exigera moins d'argent.

Il y a certains problèmes qui devraient nous préoccuper. Je sais que les enlèvements contre rançon sont un sujet très pertinent au Canada. À mesure que les zones contrôlées par Daech sont limitées, nous observons des journalistes qui réalisent leur reportage à partir de Mossoul, par exemple. La question que nous devons nous poser est la suivante : allons-nous assister à un retour des enlèvements contre rançon comme outil de financement de Daech, ce qui, à mon avis, a été moins le cas au cours des deux ou trois dernières années?

Les enlèvements contre rançon seront une préoccupation importante en Syrie et en Irak au cours des prochaines années, car des Occidentaux, des gens qui offrent de l'aide, des journalistes, et cetera, s'y rendront d'une façon qu'on n'avait pas vue auparavant.

La sénatrice Jaffer : Vous avez dit que Daech fera différentes choses. J'en déduis, et peut-être je suis dans l'erreur, qu'il ne fournira pas de services sociaux et se concentrera uniquement sur les combats et sa survie. Est-ce que c'est ce que vous disiez?

M. Keatinge : C'est ce que je voulais dire. Le groupe est passé d'un état de protestation à une insurrection en se concentrant sur des engins explosifs improvisés placés dans un véhicule à Bagdad et en favorisant les attaques en Europe et au Canada, contrairement au contrôle et à la gestion du territoire comme un quasi-gouvernement.

Le sénateur White : Monsieur Keatinge, vous avez parlé de la sensibilisation qui est faite au Royaume-Uni concernant les organismes de bienfaisance et l'endroit où l'argent est envoyé. Observez-vous un signalement accru d'individus et de groupes qui peuvent ne pas avoir été signalés par le passé en raison de diverses préoccupations?

M. Keatinge : J'ai assisté à la fin de la séance précédente au cours de laquelle un des membres du comité citait une entrevue du Telegraph avec William Shawcross, président de la Charity Commission. Il y a clairement eu une augmentation des préoccupations soulevées par le public et d'autres intervenants en ce qui concerne les activités d'organismes de charité. Oui, il y a eu une augmentation. Les données que William Shawcross a mentionnées dans l'entrevue le confirment.

Le sénateur White : Constatez-vous un signalement accru de cas de financement d'activités terroristes, de financement du crime organisé ou uniquement de cas liés à des organismes de bienfaisance en général?

M. Keatinge : Certainement des organismes de bienfaisance en général. La Charity Commission est devenue, au cours de la dernière année, beaucoup plus ouverte pour parler des enquêtes qu'elle entreprend. Michelle Russell et ses collègues ont parlé d'un cas, l'an dernier, qui était lié au financement d'activités terroristes. Il y a eu un cas plus tôt cette année où on a utilisé un convoi d'aide pour transférer des fonds à un groupe terroriste. C'est une augmentation générale, et nous prenons connaissance d'un nombre croissant d'exemples de problèmes liés au financement d'activités terroristes.

Le président : J'aimerais approfondir certaines questions qui ont été posées plus tôt auxquelles, selon moi, on n'a pas répondu. Une des choses que nous tentons de connaître à cette table, c'est l'ampleur du problème de financement étranger. Quel est le volume d'argent? Quel est le nombre de personnes en jeu? Si les Canadiens savaient ce qui se passe, ils seraient beaucoup plus à l'affût et chercheraient des incidents possibles qu'ils pourraient signaler.

Monsieur Leuprecht, vous avez dit que vous pensiez que le Canada faisait un assez bon travail, mais nous ne connaissons pas vraiment l'envergure du problème. J'ai la même question pour vous et M. Keatinge : si nous ne connaissons pas l'envergure du problème et le volume d'argent en cause de façon à fournir un contexte au financement d'activités terroristes et au financement réel, ce que cela suppose, comment pouvons-nous dire que le Canada fait un bon ou un mauvais travail?

M. Leuprecht : Je retournerais la question. Je dirais que nous devrions cesser de parler de financement d'activités terroristes et commencer à parler de ressources du terrorisme. Les organisations se procurent de nombreuses façons différentes diverses ressources qui ne sont peut-être pas des ressources financières, et nous en parlons dans notre mémoire. Nous devons comprendre le modèle des ressources plutôt que le financement. Si nous nous concentrons simplement sur l'argent, nous passons à côté de la majeure partie des façons avec lesquelles les organisations sont actives sur le terrain.

Ce serait un effort très valable, fondé sur certains des renseignements, d'essayer d'obtenir une estimation à cet égard. M. Keatinge désirera peut-être me corriger à ce sujet, mais j'ai travaillé avec des personnes en Turquie qui tentaient d'avoir une idée des sommes d'argent que le crime organisé a amassées au moyen de la traite de personnes en Europe. On les estime à environ 10 milliards de dollars américains, seulement pour l'an passé. Les chiffres ici sont assez impressionnants.

Nous voulons changer la façon dont nous pensons à ce problème et désirons l'envisager sous l'angle d'un problème d'application de la loi, davantage qu'un problème de confiscation d'actifs, et dans une certaine mesure qu'un problème de produits de la criminalité. En raison de notre Code criminel, le fardeau de la preuve est renversé, si j'ai bien compris. Je ne suis pas avocat. C'est un élément prévu au Code criminel.

Vous avez démontré la façon dont on obtient l'argent qu'on dépense. En utilisant cette disposition, nous pourrions réaliser plus de progrès au pays. Au lieu de nous en tenir à l'objectif, nous examinerions les flux et les finances qui nous semblent louches et les raisons pour lesquelles nous pouvons invoquer des motifs raisonnables de soupçons.

Le président : Je vais vous renvoyer la balle, et nous allons parler des ressources financières. Avec cette définition, de quoi parlons-nous? Parlons-nous de 10 milliards de dollars ou de 5 milliards? Quelle est la somme que les Canadiens doivent avoir en tête? Si vous ne le savez pas, les autorités ne devraient-elles pas au moins informer le grand public régulièrement de ce qui se passe au pays?

M. Leuprecht : Cela exigerait du gouvernement qu'il fasse connaître la façon dont il aimerait que l'on calcule cette estimation et ce qu'elle comprendrait ou non.

Le président : Croyez-vous que les Canadiens ont le droit de savoir?

M. Leuprecht : Je vais vous donner un exemple. Dans un article sur le Hezbollah, on apprend, entre autres choses, que ce dernier gère un site pornographique et commet des fraudes liées aux cartes de crédit, mais 90 p. 100 des profits générés sont allés aux personnes qui se livrent à ces manœuvres frauduleuses, plutôt qu'être transférés au Hezbollah. Comment comptez-vous cela? Comptez-vous les 10 p. 100 qui sont allés au Hezbollah ou tout ce qui a été généré? La méthode ici pose des défis.

M. Keatinge : Au Royaume-Uni, nous avons eu récemment des cas où il s'est avéré que plusieurs milliers de livres ont été transférées à des personnes désignées par l'intermédiaire d'organismes de bienfaisance. Il importe de dire que la plupart des organismes de bienfaisance ne sont pas au courant du fait qu'ils sont exploités. Cela me ramène à mon sujet principal : pourquoi ne sont-ils pas au courant? Parce qu'ils n'ont pas la gouvernance en place qu'ils devraient avoir. Nous devons nous concentrer sur la force de la gouvernance afin que ces organismes évitent d'être exploités à des fins de financement d'activités terroristes. Ensuite, chaque année au Royaume-Uni, nous tenons, pendant la période de l'Aïd, une campagne dont le message consiste à dire à la communauté musulmane qu'elle doit faire des dons responsables et s'assurer de connaître l'endroit où vont ses dons. Il ne faut pas les donner à n'importe quel organisme de bienfaisance. Il faut que ce soit un organisme que vous connaissez, qui fait du bon travail et qui possède une bonne gouvernance en place.

Le président : Merci beaucoup.

Chers collègues, M. Matthew Levitt, boursier Fromer-Wexner et directeur du Programme Stein sur le contre- terrorisme et le renseignement du Washington Institute for Near East Policy, de Washington, D.C. se joint à nous dans le troisième groupe de témoins. De 2005 à 2007, M. Levitt était secrétaire adjoint du renseignement et de l'analyse au Trésor américain. Avant d'occuper ce poste, il travaillait au FBI. Il a écrit un certain nombre de livres sur le financement d'activités terroristes, dont le sujet principal, mais sans s'y limiter, portait sur les activités de financement du Hezbollah et du Hamas.

Bienvenue monsieur Levitt. Si je comprends bien, vous avez dû effectuer certains rajustements afin de pouvoir être avec nous aujourd'hui, et nous apprécions vos efforts. Je crois savoir que vous avez une déclaration préliminaire, alors je vous donne la parole.

Matthew Levitt, directeur, Programme Stein sur le contre-terrorisme et le renseignement, Washington Institute, à titre personnel : Merci beaucoup. C'est un honneur de pouvoir témoigner devant le Sénat et devant votre comité. Je vous remercie de me recevoir. Ma déclaration préliminaire sera brève : j'apprécie votre flexibilité compte tenu du changement de dernière minute. Je vais vous envoyer dans les prochains jours le mémoire complet que j'ai rédigé à votre intention.

Je crois qu'il est important d'examiner maintenant l'état de l'exploitation terroriste d'organismes de bienfaisance dans ce que je décrirais l'âge de Daech et la guerre en Syrie. C'est non pas parce que tout est nécessairement lié au soi- disant État islamique ni au contexte de la guerre en Syrie, mais parce que ces deux événements ont grandement changé l'environnement dans lequel nous nous trouvons.

Voici ce que je veux dire. Pendant les événements du 11 septembre, je travaillais au FBI comme analyste pour la lutte contre le terrorisme. Au cours des années qui ont suivi, j'ai travaillé en alternance dans la fonction publique et dans le secteur privé, et nous avons reconnu que des œuvres de charité avaient été exploitées abusivement comme source de financement importante pour le terrorisme, en particulier pour Al-Qaïda.

Il faut perturber la capacité des terroristes d'exploiter abusivement les dons de charité dans le but de recueillir, transférer et blanchir des fonds. Les œuvres de charité peuvent être utilisées pour chacune de ces trois activités, mais la plupart du temps, elles sont utilisées pour toutes les trois. Les autorités de lutte contre le terrorisme dans le monde entier ont déployé d'importants efforts pour combattre ce problème.

Certaines autorités nationales ainsi que des organisations internationales comme l'Organisation des Nations Unies ont reconnu que certaines œuvres de charité agissaient comme façade pour des groupes terroristes. On a donc encouragé le secteur des œuvres de charité à mettre en œuvre des procédures perfectionnées, menées avec toute la diligence requise, afin de protéger l'industrie contre l'exploitation abusive. Par ailleurs, les gouvernements ont lancé des campagnes d'information et de sensibilisation afin de permettre l'échange de renseignements entre les sphères publique et privée. Pendant un moment, je crois qu'il est juste de dire que l'exploitation abusive des organismes de bienfaisance était chose du passé, du moins en tant que mode de financement illicite privilégié. Puis, la guerre en Syrie a éclaté, et une vague d'autres conflits se sont déclenchés au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Je pense en particulier à la Libye et au Yémen. Désormais, l'exploitation abusive des œuvres de charité à des fins de terrorisme est un sujet brûlant sur la scène politique antiterroriste.

Par exemple, il y a eu un assez grand nombre de cas au Royaume-Uni. En décembre dernier, deux hommes britanniques ont été reconnus coupables d'avoir acheminé des fonds à des extrémistes syriens. Ils faisaient partie d'un convoi d'aide britannique de 100 véhicules, mais ce n'était qu'un prétexte pour remettre à un de leurs neveux 3 000 livres sterling. Dans ce cas particulier, l'homme était lié au front d'Al-Qaïda en Syrie, anciennement connu sous le nom de Jabhat al-Norsa Fateh al-Sham. Il y a beaucoup de cas similaires.

Les conflits font rage au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, et les organismes de bienfaisance demeurent une source d'aide cruciale pour répondre aux crises humanitaires que ce genre de guerres laissent dans leur sillage. En février, Amnistie internationale a conclu que 13,5 millions de personnes avaient un besoin urgent d'aide humanitaire rien qu'en Syrie, et on s'attend à ce que ce chiffre augmente. En décembre, un représentant de l'ONU a sonné l'alarme à propos d'une famine imminente au Yémen, où près de 19 millions de personnes ont déjà besoin d'une forme ou d'une autre d'aide humanitaire.

Il n'est donc pas surprenant que le Conseil de sécurité de l'ONU ait adopté en 2014 une résolution exhortant tous les pays membres à contribuer à l'effort ou à renforcer leur soutien afin de répondre aux besoins de plus en plus urgents des gens qui sont touchés par la guerre civile en Syrie.

La résolution avait pour objectif d'augmenter l'aide offerte aux organisations de l'ONU. Cependant, les donateurs ainsi que l'ensemble des organismes d'aide doivent demeurer prudents. Certaines personnes n'ont pas de scrupules à tirer parti de ce genre de tragédies, qu'elles soient d'origine naturelle ou humaine, afin de voler, détourner ou blanchir des fonds à des fins terroristes, entre autres. Dans certains cas, ces personnes montent des façades pour tromper les gens. Par exemple, un rapport de l'Australie et de plusieurs autres pays dans le sud-est de l'Asie faisait état de l'apparition soudaine d'organismes sans but lucratif en Australie qui s'évaporaient après avoir recueilli des fonds pour de supposés efforts humanitaires en Syrie ou en Irak. Au Liban, en Turquie et au Bangladesh, il y a eu un cas avec une organisation de bienfaisance qui était censée aider les orphelins syriens. Les autorités libanaises ont lancé une enquête en mai 2015 et ont arrêté un certain nombre de personnes pour avoir recueilli des fonds pour les djihadistes et pour soutenir le recrutement dans l'État islamique.

Dans un autre cas en Australie, les autorités ont fait une descente dans une garderie. Une enquête avait été lancée parce qu'on soupçonnait que 27 millions de dollars de prestations pour la garde d'enfants réclamés auprès du gouvernement australien avaient peut-être été envoyés à l'étranger afin de financer l'État islamique et d'autres groupes de terroristes.

Les États-Unis et l'Arabie saoudite ont également participé à des enquêtes conjointes sur toute une gamme d'entités — des œuvres de charité qui ont pour but de financer Al-Qaïda et les talibans. Je vais vous fournir plus de détails à propos de cela dans mon mémoire.

Je crois qu'il est important de reconnaître ce problème, à l'âge des divisions sectaires tranchées et des idéologies radicales qui sous-tendent le terrorisme, qu'elles appartiennent à des groupes d'extrême droite, à des courants islamiques radicaux ou à tout ce qu'il y a entre les deux. Nous devons reconnaître que les œuvres de charité que nous soutenons sont parfois utilisées pour soutenir les idéologies pures et dures qui peuvent fomenter le terrorisme. Prenez ce rapport de renseignement d'origine allemande qui a fait l'objet de fuites en décembre. On y mentionne des préoccupations à propos des œuvres de charité qui aident à importer l'idéologie salafiste pure et dure dans les États du golfe Persique comme l'Arabie saoudite, le Koweït et le Qatar. Selon les rapports, ces œuvres de charité étaient étroitement liées aux gouvernements dans ces pays. L'un des groupes les plus importants mentionnés était la filiale koweïtienne de la Revival of Islamic Heritage Society — ou RIHS —, laquelle est déjà inscrite sur la liste noire des États-Unis — et de l'ONU, je crois — pour avoir financé Al-Qaïda. Des cas similaires ont été rapportés en Inde, au Kosovo et dans le monde entier.

Je crois qu'il est également important de reconnaître que nos efforts à ce chapitre sont en très grande partie axés sur l'extrémisme sunnite par rapport au reste du spectre islamique. Il y a aussi l'Iran qui a exploité abusivement des œuvres de charité pour soutenir des groupes extrémistes chiites. En juillet de l'année dernière, les autorités du Kosovo ont arrêté un ecclésiastique iranien pour avoir financé le terrorisme et avoir blanchi de l'argent grâce à une œuvre de charité qui « tirait parti de la révolution ».

Récemment, il y a eu le cas d'un organisme de bienfaisance lié au Hezbollah libanais, l'Association de soutien à la résistance islamique — ou IRSO —, qui avait précédemment été ciblée par le département du Trésor des États-Unis en août 2016. L'organisation avait été liée plus tôt cette année à une campagne publique du Hezbollah qui encourageait explicitement le public à faire un don non pas aux organisations politiques ou d'aide sociale du Hezbollah, mais à ses groupes militants. La campagne avait pour slogan « armer un moudjahidin ». L'organisme a produit une vidéo d'accompagnement complète, avec une trame sonore de mauvais goût pendant que les militants enfilent leurs uniformes et prennent leurs armes. Il y avait aussi des messages coraniques qui défilaient à l'écran : « Vous contribuez. Vous résistez. Financer le djihad, c'est votre devoir. » Pour finir, il y avait le numéro de téléphone où appeler pour faire un don. Il s'agissait du numéro de téléphone de l'organisme de bienfaisance qui était lié au Hezbollah.

Donc, je crois que nous devons réfléchir longtemps et sérieusement aux risques et aux conséquences associés aux dons de charité. Les organismes de bienfaisance fournissent un service absolument essentiel. Les œuvres de charité font de bonnes choses, et la très grande majorité d'entre elles assument complètement leurs responsabilités en ce qui concerne la diligence raisonnable dont nous avons besoin. En ces temps de guerres civiles et d'horreurs qui surviennent aux quatre coins du monde, nous avons besoin de plus en plus d'œuvres de charité.

Néanmoins, comme on le mentionnait dans un rapport datant de 2015, notre ère est également celle où il y a de plus en plus de risques de financer le terrorisme à cause, entre autres choses, de pseudo-organisations à but non lucratif qui utilisent des campagnes virales sur les médias sociaux afin de recueillir des fonds pour les extrémistes. Il peut être très difficile de prouver devant un tribunal qu'une œuvre de charité a été exploitée abusivement par le terrorisme — et j'imagine que nous allons parler de cela très bientôt —, mais cela ne veut pas dire que nous devons renoncer à lutter contre cela aussi activement que nous le pouvons.

Il est vrai que les poursuites judiciaires — porter de véritables accusations au criminel — ne sont peut-être pas toujours la meilleure façon, ni la plus facile ou la plus efficace de lutter contre ce genre d'œuvres de charité. Il y a peut- être d'autres méthodes ou d'autres outils qui font appel aux lois que nous pouvons utiliser, mais nous devons lutter contre l'exploitation abusive du secteur caritatif.

De surcroît, nous devons reconnaître que c'est un effort que nous devons entreprendre non seulement aux fins de notre sécurité nationale, mais également afin de répondre au désir sincère d'aider le secteur caritatif à se protéger lui- même. Lorsqu'il est reconnu que les œuvres de charité sont à risque d'être exploitées abusivement, même les organismes de bienfaisance qui œuvrent pour le bien peuvent avoir de la difficulté à trouver des services bancaires. Nous avons vu cela bon nombre de fois; des banques ou d'autres établissements financiers sont réticents à libérer les fonds d'œuvres de charité, même si, autant qu'on le sache, ces organismes sont parfaitement légitimes et exercent leurs activités dans des zones de conflits parce que c'est là où le besoin est le plus grand. On a vu cela en Somalie, par exemple. C'est un énorme problème. Nous voulons que les œuvres de charité puissent offrir leurs services là où on en a désespérément besoin.

Les exigences que nous imposons au secteur caritatif peuvent avoir comme conséquences de retarder et de réduire l'aide dont ont tant besoin les populations, et c'est un vrai problème. Nous devons trouver des façons de trouver un équilibre entre notre prérogative de protéger notre sécurité nationale et le besoin tout aussi valable d'aider les gens qui en ont désespérément besoin, et ce, en temps opportun et à un coût abordable; pour un dollar donné, il faut que la plus grande partie possible soit utilisée pour l'aide. Il sera impossible d'atteindre l'un ou l'autre de ces buts à 100 p. 100, mais nous allons devoir trouver une façon d'en atteindre un sans nuire à l'autre.

Les œuvres de charité jouent un rôle absolument critique. Elles apportent de l'aide et soulagent la souffrance aux quatre coins du monde. La très grande majorité d'entre elles sont parfaitement légitimes. Mais comme les incidents que j'ai mentionnés le montrent — et je vais en discuter plus en détail dans mon mémoire —, les gouvernements, les œuvres de charité et les donateurs doivent faire preuve de vigilance. La question est donc : comment? Dans l'avenir, comment pouvons-nous donner à nos organismes d'application de la loi les outils qui leur permettront, à eux seuls et en collaboration avec d'autres organismes de réglementation — le CANAFE et le FinCEN aux États-Unis, entre autres — d'enquêter sur ce genre de cas?

Je vais conclure ma déclaration préliminaire en disant, à nouveau, que c'est un honneur de pouvoir témoigner devant vous aujourd'hui, et j'attends avec impatience de discuter de ce sujet avec vous.

La sénatrice Jaffer : Monsieur Levitt, je vous remercie de vous être mis à notre disposition. Dans tout ce que j'ai lu de vous — je ne dis pas que j'ai tout lu ce que vous avez écrit, mais d'après ce que j'ai lu —, vous parlez du fait que le financement du terrorisme évolue constamment. Il se transforme, et il faut s'adapter à ses nouvelles formes. Les gens mal intentionnés vont trouver une façon de faire partie des convois en feignant une envie d'aider, mais le message que vous avez pour nous aujourd'hui est qu'il est important de continuer à aider ces œuvres de charité, surtout dans les pays où il y a beaucoup de conflits.

L'un des aspects qui me préoccupent dans l'étude que nous menons actuellement est le fait que nous insistons de façon excessive sur les œuvres de charité. En conséquence, nous faisons complètement fi du fait que les groupes terroristes ont recours à de nouvelles stratégies. Dès qu'on leur ferme une porte, ils trouvent de nouvelles stratégies. C'est ce que vous avez dit, je crois.

Pouvez-vous nous parler de la façon dont ils s'adaptent, sans vous en tenir exclusivement aux œuvres de charité? Le terrorisme se finance d'autres façons également.

M. Levitt : Je vous remercie de poser cette question, madame la sénatrice. Je vais le redire, c'est évidemment un plaisir d'être parmi vous. Je vous remercie de me donner du temps.

Vous avez absolument raison, et j'ai beaucoup écrit à propos de l'évolution et de l'adaptation des groupes terroristes. Je dirais que c'est exactement ce que nous voyons actuellement. À un moment donné, l'exploitation abusive des œuvres de charité était au premier ou deuxième rang dans la liste des préoccupations les plus urgentes relativement au financement du terrorisme. Après de nombreuses années de travail acharné, ce problème a chuté en flèche. Ce que nous voyons aujourd'hui, c'est que les terroristes évoluent et s'adaptent en exploitant à nouveau abusivement les œuvres de charité.

Il y a toutefois des différences. Aujourd'hui, ils n'utilisent plus d'œuvres de charité à très grande échelle, même si cela arrive encore souvent. Il y a beaucoup d'activités sur Internet, et beaucoup d'activités sur les médias sociaux, mais le fait est que nous assistons à un retour de l'exploitation abusive des œuvres de charité. Je dirais que c'est une forme d'évolution et d'adaptation du terrorisme dans un domaine. Il est très important de souligner — et je crois que c'est ce que vous vouliez dire — qu'il n'y a pas de façon unique de recueillir des fonds. Alors, nous devons savoir faire deux choses à la fois.

Je salue le fait que le comité a décidé d'étudier les œuvres de charité. Je crois que ce n'est pas encore quelque chose dont la majorité est au courant, c'est-à-dire le fait que des personnes mal intentionnées utilisent les œuvres de charité afin de déplacer, de transférer ou de blanchir des fonds. C'est sur ce genre de choses qu'un comité comme le vôtre devrait insister. Je ne veux pas dire qu'il n'y a pas autre chose; je suis assez sûr que votre comité va également se pencher sur d'autres méthodes de financement.

Je ne connais aucune organisation terroriste qui se finance à l'aide d'un modèle seulement. Je crois que nous allons assister, de plus en plus, à une rationalisation dans le monde du financement illicite où on ne se demande plus vraiment « que fait chacune de ces organisations »; il y a des exceptions, par exemple l'État islamique qui se trouve sur des terres riches en ressources naturelles. En ce qui concerne leurs partisans aux quatre coins du monde — qu'ils appuient l'État islamique ou Al-Qaïda — que ce soit des gens d'extrême droite ou autre chose, ils ont tendance à utiliser les outils à leur disposition à l'échelle locale. Ils ont tendance à utiliser ce qu'ils connaissent bien.

Pourquoi est-ce qu'une personne utilise les médias sociaux, et qu'une autre décide de transporter l'argent elle-même? C'est probablement parce qu'elles y sont habituées, c'est ce qu'elles connaissent. Je crois absolument que nous sommes extrêmement d'accord sur ce point. Il y a de nombreuses façons de recueillir des fonds à des fins illicites, que ce soit pour favoriser le terrorisme ou autre chose, mais je m'assurerais de ne pas perdre celle-ci de vue. Je crois que c'est très important, parce que nous avons la possibilité de prendre une longueur d'avance sur les terroristes avant que l'exploitation abusive des œuvres de charité ne prenne encore plus d'ampleur. Cela doit à nouveau faire partie de nos programmes. Peut-être pas comme ce l'était à l'époque du 11 septembre, mais je crois qu'à présent, beaucoup de personnes sont surprises d'apprendre l'ampleur que cela a pris au cours des dernières années, vu les réussites que nous avons connues dans notre lutte contre le terrorisme après les événements du 11 septembre.

La sénatrice Jaffer : Monsieur Levitt, vous avez écrit abondamment sur les sources de financement que l'État islamique — la plus grande menace terroriste, selon moi — utilise pour se financer. Par exemple, au lieu d'utiliser des œuvres de charité, vous avez dit que l'État islamique vole des animaux d'élevage, vend les passeports des combattants étrangers, collecte des taxes, et cetera, et elle peut aussi tirer 40 millions de dollars en un mois de la vente de pétrole.

Même en ce qui concerne le financement intérieur de l'État islamique, il semble que les œuvres de charité ne sont pas le problème le plus important. Vous avez cité le rapport du Groupe d'action financière sur le blanchiment de capitaux, selon lequel le vol qualifié, le trafic de drogue, la demande de rançons ainsi que diverses prestations d'aide sociale et des prêts non remboursés sont également des sources majeures de financement.

D'après vous, serait-il judicieux, dans le cadre de notre étude sur le financement du terrorisme, d'adopter une approche globale plutôt que d'insister sur des sources individuelles? Ce que je veux dire, c'est que, oui, il est important d'étudier le cas des œuvres de charité, mais ce n'est pas la seule source de financement du terrorisme. Il y en a d'autres également. Donc, pouvez-vous avancer quelques idées sur la façon dont nous pourrions procéder?

M. Levitt : Je vous remercie de la question. La première chose que je dirais c'est que les travaux que vous avez cités datent un peu. L'État islamique utilise un modèle unique de financement du terrorisme dû au fait qu'il a créé un pseudo-État et qu'il contrôle un territoire riche en ressources. Il a donc été en mesure de se financer grâce au pétrole, au bétail, aux passeports volés et à tout le reste. Cependant, les efforts de la coalition visant le pseudo-État islamique sur le terrain en Syrie et en Irak ont connu de grandes réussites, et, en conséquence, ces modèles de financement se sont affaiblis. À présent, l'État islamique connaît de grandes difficultés financières, surtout lorsqu'on prend en considération le fait que les efforts de la coalition peuvent, depuis janvier dernier, cibler les pétroliers et les endroits où sont entreposées les espèces. On fait littéralement exploser des millions et des millions de dollars.

Dans ces conditions, le financement provenant de partisans individuels venant d'ailleurs est devenu beaucoup plus important. Donc, je crois que cela souligne particulièrement l'importance, au moment présent, d'étudier l'exploitation abusive potentielle du secteur caritatif, qui est, dans les faits, exploité abusivement par des groupes comme l'État islamique, entre autres.

Cela étant dit, je crois que votre question a déjà été posée, et qu'elle a déjà trouvé réponse. Je vais le redire : il y a certainement plus d'une façon de financer le terrorisme, mais je crois qu'il est particulièrement important pour nous — qui nous trouvons à différents endroits en Amérique du Nord — d'étudier quel type de criminels et d'activités terroristes fournissent du soutien financier et logistique aux groupes terroristes depuis l'intérieur de nos frontières. Par exemple, il n'y a pas de problèmes avec les animaux d'élevage dans nos pays. Cela vaut aussi pour le pétrole et le gaz. Ce que nous voyons de temps en temps, par contre, c'est une exploitation abusive des œuvres de charité. Il se produit la même chose chez nos collègues européens. Dans ses plus récents rapports, le Groupe d'action financière sur le blanchiment de capitaux — et, comme vous l'avez mentionné, je l'ai cité dans une de mes études — constate qu'il y a une exploitation abusive des organisations sans but lucratif, c'est-à-dire les œuvres de bienfaisance.

Nous ne sommes pas du tout en désaccord. Il y a beaucoup de façons de financer les œuvres de charité. Nous tous, moi y compris, avons examiné bon nombre d'entre elles. Cependant, je crois qu'il convient de discuter de chacune individuellement, et vous pourrez prendre d'autres séances pour étudier de façon holistique le reste de l'ensemble. Je dirais que l'un et l'autre méritent votre temps et vos efforts.

Le sénateur Meredith : Merci beaucoup de nous avoir présenté votre exposé. Bien sûr, l'un des aspects les plus importants de notre étude, comme ma collègue la sénatrice Jaffer l'a dit, relativement aux œuvres de charité, est le fait qu'elles œuvrent pour le bien lorsqu'elles se conforment aux règles.

Nous avons obtenu quelques renseignements du CANAFE à propos des transactions. Au Canada, il y a 23 millions de transactions annuellement, c'est-à-dire l'argent qui entre au pays et qui en sort.

Vous avez travaillé avec notre unité de lutte contre le terrorisme au Canada. Quelles sont vos recommandations — ou vos observations — sur la façon dont nous pouvons améliorer le processus afin de veiller à ce que ces transactions qui passent par le Canada ne sont pas utilisées pour financer un groupe terroriste quel qu'il soit, ou un terroriste unique. Je vais avoir une autre question à poser après.

M. Levitt : Merci beaucoup de cette question. La réponse est simple : ce sera difficile. C'est quelque chose de très difficile à réaliser, la plupart du temps, sans une forme ou une autre de renseignements, et je ne parle pas uniquement de renseignements de niveau classifié. Le secteur privé pourrait fournir de l'information et des renseignements, par exemple des banques qui rendent des comptes au CANAFE, ou quelque chose du genre. Il peut être très difficile de prouver qu'une œuvre de charité reconnue ne dit pas la vérité — en tout ou en partie — dans ses déclarations publiques sur son site Internet ou dans le cadre de conférences et qu'une partie de l'argent recueilli va financer le terrorisme.

Comme je l'ai mentionné dans ma déclaration préliminaire, je sais d'expérience — depuis que j'ai commencé au FBI pour lutter contre le terrorisme aux États-Unis, puis plus tard comme chef adjoint du renseignement au Trésor américain, et j'ai aussi témoigné à titre d'expert dans bon nombre de cas d'exploitation abusive d'œuvres de charité — que ces genres de cas peuvent être très difficiles à traduire en justice, alors il va falloir examiner une multitude de possibilités pour régler le problème.

À dire vrai, je suis plutôt impressionné par un grand nombre d'activités du CANAFE. Je crois qu'il est très important que nous puissions continuer à nouer des relations entre les secteurs public et privé, pas seulement avec les banques, mais également avec le secteur caritatif, dans le but premier de lui permettre de mieux comprendre ce qui se passe. Quels sont vos objectifs? Quelles sont vos préoccupations? Il faut que les gens qui œuvrent pour le bien, et c'est la grande majorité dans le secteur caritatif — je ne dirais même pas qu'ils sont bons, je dirais qu'ils sont formidables, parce qu'ils essaient de rendre le monde meilleur —, puissent faire ce qu'ils ont à faire. C'est dans leur intérêt. Ils ne veulent pas être mêlés à tout cela. Ces gens essaient de nourrir des personnes qui sont affamées. Ils ne veulent absolument pas soutenir les terroristes.

Nous devons également reconnaître que nous allons devoir travailler pour trouver des solutions à certains problèmes. Un grand nombre d'œuvres de charité qui vont soulever des préoccupations exercent leurs activités dans des endroits qui sont dangereux, par exemple des zones de conflit. Dans certaines de ces régions, si vous voulez être sûr de fournir de la nourriture aux gens qui en ont besoin, vous allez devoir interagir d'une façon ou d'une autre avec ce genre d'individus mal intentionnés. Vous allez devoir verser un pot-de-vin à une personne ou à une autre. C'est ce genre de choses qui se passent dans le vrai monde.

Donc, comment devons-nous composer avec cela? Je n'ai pas de réponse simple à vous donner. Tout ce que je sais, c'est qu'il n'y aura pas de situations parfaitement tranchées.

Aux fins de la sécurité nationale, le gouvernement a l'intérêt légitime et très important de s'assurer de faire tout en son pouvoir pour empêcher le financement du terrorisme. Je dirais que cette prérogative nationale n'est pas moins importante — ou plutôt que c'est également important — que de soutenir les œuvres de charité et de fournir de l'argent et du matériel afin de venir en aide aux personnes qui en ont désespérément besoin, pour toutes les bonnes raisons et afin de prévenir le genre de flux migratoire massif que nous avons eu avec les réfugiés, par exemple, qui a pris l'Europe au dépourvu. Il faut trouver un équilibre entre ces deux pôles.

En général, je dirais qu'en Occident — aux États-Unis, au Canada, en Australie et en Europe occidentale en particulier — il ressort souvent de mes conversations avec les organismes d'application de la loi que les ressources et la priorisation sont deux problèmes avec lesquels ils doivent composer par rapport à cela.

Dans un grand nombre d'endroits en Europe, par exemple, ce sont les procureurs qui décident de la priorité des dossiers des agents des forces de l'ordre. Je me souviens d'une conversation à propos d'un pays d'Europe où le dossier d'une œuvre de charité qui recueillait d'énormes sommes d'argent pour financer le terrorisme avait énormément stagné pendant un grand nombre d'années. Tout le monde le savait; ils le savaient; il suffisait d'une bière pour qu'ils vous en parlent ouvertement. Mais ce n'était simplement pas une priorité pour les procureurs. Leurs ressources étaient limitées, autant sur le plan financier que personnel, et ils avaient de la difficulté à s'occuper de tout en même temps.

De nos jours, à une époque où nous sommes préoccupés par l'État islamique et le retour d'Al-Qaïda ainsi que d'autres problèmes importants — les extrémistes violents locaux, les extrémistes qui s'inspirent des terroristes et les combattants étrangers qui rentrent dans leur pays — ces questions prennent beaucoup d'ampleur. Je peux comprendre pourquoi les organismes d'application de la loi et les organisations de sécurité veulent avant toute chose s'assurer d'avoir une longueur d'avance sur ceux qui ne veulent pas recueillir de l'argent, mais qui voudraient — Dieu nous garde — exécuter une attaque.

Je crois que nous devons trouver un juste équilibre. Quel niveau de priorité doit-on accorder à cela par rapport à l'ensemble de la lutte contre le financement du terrorisme? La lutte contre le financement du terrorisme doit être multidisciplinaire et requiert des efforts communs entre les ministères et les organisations du gouvernement. Ce n'est pas au CANAFE de s'occuper seul de la lutte contre le financement du terrorisme, il en va de même pour une commission britannique sur les organismes caritatifs, les percepteurs d'impôt et tout le reste. Il va sans dire que les organismes d'application de la loi doivent intervenir dans ce milieu, et nous devons comprendre que leurs priorités ne s'aligneront pas, qu'il s'agisse des forces de l'ordre locales, de la GRC, du FBI ou d'un autre organisme. Nous allons devoir discuter de cette question. Nous devons reconnaître — en tant que législateurs — et dans mon cas, en tant qu'ancien fonctionnaire et universitaire — qu'il n'est pas suffisant de produire des rapports ou de tenir des séances si nous n'arrivons pas à élaborer des recommandations pour leur permettre de mieux répartir également leurs ressources. Je ne crois pas, au bout du compte, que quiconque viendrait me contredire : nous devrions en faire davantage, mais nos moyens sont limités par les ressources actuellement à notre disposition et par les menaces.

Le sénateur Meredith : Vous avez très bonne mine, pour un ancien universitaire.

M. Levitt : Mon travail est fait.

Le sénateur Meredith : Merci de nous avoir donné votre opinion sur ce sujet. Évidemment, les résultats par rapport à cette question importent beaucoup aux membres du comité.

L'une des choses que vous avez citées dans votre présentation est le fait que l'ONU dispose d'une liste des entités sanctionnées. Au Canada, il n'y a aucune loi explicite par rapport à ces entités. Diriez-vous ou recommanderiez-vous au Canada de déployer des efforts afin d'identifier et de nommer ces entités afin de veiller à la protection du grand public et de ses intérêts?

M. Levitt : Je pense que c'est utile d'avoir en place un processus national d'inscription des entités, pour diverses raisons. Nous en avons un aux États-Unis. Dans le but de nous conformer à la désignation de l'ONU proposée par d'autres pays, nous devons enclencher notre propre processus d'inscription des entités.

Je me rappelle que dès 2006 ou à peu près, au début de l'ère des sanctions contre l'Iran, des partenaires européens ont incité l'ONU à adopter un petit nombre de sanctions contre l'Iran; les États-Unis ne voyaient pas les choses du même œil parce qu'ils n'avaient pas de preuve des exactions commises. Donc, le processus n'est pas parfait et peut poser problème, mais il présente plusieurs avantages.

Le Canada a été poursuivi par la dernière personne au Canada qui figurait sur la liste de l'ONU. C'était un Canado- Soudanais. Je connais bien cette affaire parce qu'on m'avait désigné comme témoin expert pour le gouvernement du Canada. En définitive, l'affaire s'est réglée. C'est là un des problèmes causés par le fait de ne pas posséder sa propre liste. De fait, vous devez automatiquement désigner les entités qui sont proposées à l'ONU, et cela peut poser des problèmes juridiques.

Je dirais que l'autre raison tient peut-être au fait que, premièrement, la liste de l'ONU est incomplète par définition et que, deuxièmement, elle peut parfois donner lieu à l'établissement d'une liste fondée sur le plus petit dénominateur commun. Il peut y avoir des cas où le gouvernement du Canada, pour ses propres considérations liées à l'équité et ses propres intérêts, conclut qu'une entité doit figurer sur la liste et où d'autres pays sont en désaccord pour des motifs stratégiques ou en raison de la façon dont ils définissent les choses. Le gouvernement du Canada peut, en raison de ses propres intérêts, vouloir prendre des mesures, et c'est parfois un aspect très important.

Par définition, ces listes sont incomplètes. Très peu de gens y prêtent attention, mais la liste de l'ONU, par définition, se limite aux entités liées à Al-Qaïda, aux talibans et, maintenant que la liste a été allongée, à l'État islamique également. L'ONU peut seulement désigner la Jemaah Islamiah, présente en Indonésie, par exemple, en établissant un lien entre elle et Al-Qaïda. Mais dans le cas où le gouvernement du Canada voudrait ajouter sur la liste une entité liée aux Tigres libérateurs de l'Eelam tamoul, dont il a été question au Canada, ou le Hamas, le Hezbollah, un groupe extrémiste juif, les Forces armées révolutionnaires de Colombie ou tout autre groupe qui n'est pas expressément lié à Al-Qaïda, aux talibans et à l'État islamique, ces entités ne peuvent désignées à l'ONU.

L'un des éléments auxquels nous devons faire particulièrement attention dans les années à venir est non seulement la montée actuelle, du Hezbollah libanais, mais aussi celle des nombreuses milices chiites très radicales qui proviennent surtout de l'Irak, mais aussi d'ailleurs. Ces entités entretiennent des liens avec des gens en Amérique du Nord, par exemple, et, si vous n'avez pas votre propre liste, si vous ne faites que suivre la liste établie par l'ONU, elles ne peuvent être désignées.

La sénatrice Beyak : Merci beaucoup, monsieur Levitt, d'être venu ici et de nous faire part de votre vaste expertise. Nous vous en sommes très reconnaissants.

Le Canada permet aux organismes de bienfaisance religieux d'accepter des dons en argent. Par le passé, certains de nos témoins étaient très préoccupés par le fait qu'il est impossible de faire le suivi de ces sommes. Elles peuvent facilement être détournées ou utilisées à mauvais escient. J'aimerais savoir si vous avez des suggestions à formuler aux fins du rapport du comité à ce sujet.

M. Levitt : C'est une excellente question. Examinons la situation en détail. Qu'il s'agisse d'une église, d'une mosquée, d'une synagogue ou de tout autre lieu de culte religieux, ces établissements collectent tous de l'argent, même si ce n'est que de la petite monnaie. Je pense que nous ne souhaitons pas interdire cela.

Je pense qu'il est essentiel que des règlements très stricts soient en place quant à la façon dont l'argent est comptabilisé et qu'il faut reconnaître que ce ne sera jamais parfait. Selon moi, il s'agit d'un aspect qu'il faut prendre en compte. Il nous faut un certain équilibre.

Il y a la petite monnaie, et les gens qui donnent quelques dollars ici et là. Ce n'est pas ce qui nous inquiète vraiment. Ce qui nous préoccupe, c'est le fait qu'à la fin d'un mois ou deux, il y a une somme d'argent considérable, et il se peut qu'une partie de ces fonds soit détournée avec le temps. Ce sera difficile à contrer, peu importe ce que nous faisons.

Nous devons mettre en place des exigences réglementaires très claires en matière de déclaration pour faire en sorte que les organismes de bienfaisance, religieux ou non, puissent déclarer aux autorités les sommes d'argent qui ont été amassées au cours d'une période donnée et préciser s'il s'agissait d'argent comptant, de chèques ou de cadeaux en nature et que nous puissions assurer un suivi dans une certaine mesure.

Lorsqu'il est question d'argent, plus il y a de détails, mieux c'est. Donc, si nous pouvions à tout le moins exiger la tenue d'un registre dans lequel on consignerait les montants d'argent amassés en une semaine, puis en un mois, nous aurions une idée de ce qui se passe. Il serait plus difficile de trafiquer les chiffres. Au bout du compte, si vous voulez trafiquer les chiffres, vous le ferez, particulièrement s'il est question d'argent.

Parfois, rien ne met davantage la puce à l'oreille des responsables de l'application de la loi que les livres sont parfaitement en ordre d'un lieu où se déroulent des activités suspectes. Je me rappelle d'un cas, dans un contexte tout à fait différent, concernant la Banco Delta Asia, en Corée du Nord, qui était tout ce qu'il y a de plus sale et de malhonnête. La première fois qu'on a examiné les livres, ils étaient si impeccables que c'en était répugnant. En définitive, les craintes se sont révélées justifiées. Mais ce n'était qu'un élément de plus qui a mené les responsables de l'application de la loi à se dire : « Peut-être qu'un examen plus rigoureux s'imposerait ici. »

Le sénateur Tkachuk : Merci beaucoup de votre exposé. Nous avons entendu beaucoup de choses par le passé et aujourd'hui encore au sujet de la lutte contre le financement des activités terroristes. Notre gouvernement, et j'imagine que le vôtre également, surveille les transactions en argent. En outre, le témoin précédent a dit qu'au gouvernement britannique, on travaillait avec les organismes de bienfaisance pour s'assurer qu'ils ne sont pas exploités par des organisations terroristes.

Y a-t-il d'autres mesures que pourraient adopter les responsables de l'application de la loi et le législateur pour prévenir le financement d'activités terroristes? Les gouvernements procèdent-ils à des vérifications de gestion et de conformité des organismes de bienfaisance qui exercent des activités à l'échelle internationale?

M. Levitt : Merci de votre question. Je pense que c'est quelque chose qui doit être envisagé. Il y a de nombreuses manières différentes de définir en quoi doit consister une vérification de gestion dans ce milieu.

Nous devons reconnaître que notre capacité à effectuer des vérifications est manifestement plus importante ici. Prenons par exemple un organisme de bienfaisance situé au Canada qui exerce ses activités dans différents lieux et dans différentes zones de conflit. Il peut être très difficile de procéder à une vérification dans ces zones de conflit et surtout de bien le faire.

La Charity Commission du Royaume-Uni, qui fait un travail fantastique, est un bon exemple. Cette organisation a fait, pas une, pas deux, mais trois enquêtes différentes sur Interpal — à ne pas confondre avec l'organisation de police internationale —, dont les liens avec le Hamas sont largement établis. C'est un organisme de bienfaisance qui a été désigné par les États-Unis comme étant lié au Hamas et qui est illégal en Israël et ailleurs.

À un certain moment, la Charity Commission du Royaume-Uni a dit qu'elle enverrait le plus de gens possible — mais en réalité, ce n'étaient pas des enquêteurs — pour examiner les partenariats d'Interpal, et aucun problème n'a été relevé.

La BBC a ensuite réalisé un documentaire à ce sujet. Elle a envoyé des journalistes visiter sur le terrain certains des organismes partenaires d'Interpal, au dire de ce dernier, et ils ont trouvé des affiches du Hamas partout. Ils ont parlé aux gens, et ceux-ci ont répondu : « Oui, absolument, nous appuyons le Hamas. »

Donc, ce peut être très difficile. Ces enquêtes à l'étranger peuvent également aller au-delà du domaine de compétence de certaines de ces organisations.

Cela amorce une conversation qui est, selon moi, très importante au sujet des différentes approches globales à cet égard. Je pense qu'on pourrait clairement démontrer qu'aux deux extrémités du spectre reposent l'approche des États- Unis et celle du Royaume-Uni. Mais les extrémités du spectre ne sont pas aussi éloignées qu'elles l'ont déjà été.

Voici ce que je veux dire : aux États-Unis, ce qu'on peut constater, c'est que si les autorités découvrent qu'un organisme de bienfaisance prend part à des activités terroristes, elles prennent des mesures. Comme c'était certainement le cas par le passé, on voit davantage une approche à l'emporte-pièce plutôt qu'une volonté de chercher et de déterminer s'il est possible d'exclure une partie. Est-ce l'arbre tout entier qui est mauvais, ou seulement certaines branches ou quelques fruits?

On observe le contraire au Royaume-Uni. La Charity Commission du Royaume-Uni a plutôt adopté une approche chirurgicale : elle présume d'abord que l'organisme de bienfaisance n'a pas été établi par des terroristes et ensuite qu'il ne s'agit pas d'une couverture pour toutes les activités et enfin envisage qu'elle peut servir de paravent à une partie des activités, auquel cas elle va isoler certaines parties.

Dans les deux cas, on peut citer des exemples de réussites et d'échecs. Je pense qu'il est juste de dire que les deux approches ont progressé un peu, mais qu'il y a tout de même un spectre d'activités.

Je pense que nous devons être en mesure de trouver des moyens d'établir une relation interorganisme entre nos autorités responsables du renseignement, de l'application de la loi, de la réglementation et de l'impôt, qui voient tous les choses d'un œil différent, pour discuter de ce que nous — avec un grand « N » — savons collectivement. Puis, nous pouvons décider s'il est nécessaire d'agir à l'égard d'un partenaire étranger et d'envoyer, en théorie, des gens à l'extérieur du pays pour qu'ils puissent constater la situation par eux-mêmes. Mais tout cela est très complexe lorsque les organismes de bienfaisance sont présents à l'international et qu'ils peuvent exercer leurs activités de façon irréprochable à domicile, aux États-Unis, ou au Canada, dans votre cas, tout en menant des activités illicites sur le terrain ou à l'étranger.

Le sénateur Tkachuk : J'ai une autre question. Cela me tourmente un peu parce que les organismes de bienfaisance exercent leurs activités selon le bon vouloir du gouvernement. Si le gouvernement dit : « Nous allons nous occuper de votre cas et vous ne pourrez plus remettre de reçu », cela met fin à la bienfaisance.

Il me semble que vous pouvez effectuer une vérification des livres d'une personne, et vous pouvez faire une vérification là-bas. Revenu Canada en fait. Les livres peuvent être entièrement conformes, mais cela ne veut pas dire que, sur le terrain, il ne se passe pas des choses illicites.

Donc, s'il existe des preuves d'ordre opérationnel montrant que des activités suspectes ont lieu, Revenu Canada peut simplement dire : « Nous allons procéder à une vérification de gestion et nous allons suspendre les activités de votre organisation pendant six mois, pour voir ce qui se passera. » Les organismes ont peu de recours dans un tel cas.

C'est pourquoi je ne comprends pas pourquoi il ne semble pas être possible pour nous de déterminer ce qui se passe dans le cas des organismes de bienfaisance : nous entendons beaucoup de choses, mais il n'y a pas de condamnation, et rien ne se passe.

M. Levitt : Je déconseille de juger en fonction des condamnations. Nous disposons de nombreux outils. Il y a certainement des cas où il devrait y avoir des poursuites et des mises en accusation et, à tout le moins dans certains cas, on peut le présumer, des condamnations. Je pense qu'il est possible de faire valoir partout, et pas seulement au Canada, que les condamnations sont rares et que cela ne dénote pas toujours qu'il n'y a pas suffisamment de preuves. Je crois que parfois, cela peut être révélateur de certains autres points dont nous avons discuté, en ce qui a trait aux ressources et à l'importance accordée à la menace.

Il y a d'autres moyens d'évaluer l'efficacité de nos mesures à cet égard. Soit dit en passant, nous ne devrions pas nous fonder sur le nombre de désignations faites, le nombre de renvois du CANAFE. Chacune de ces unités de mesure est intéressante, mais prises séparément, aucune d'elles n'est particulièrement révélatrice.

Je pense qu'il est aussi important de reconnaître qu'il peut être délicat sur le plan stratégique de cibler des organismes de bienfaisance, particulièrement s'ils sont associés à des groupes ethniques ou religieux en particulier. Vous voulez donc vous assurer qu'il y a matière à enquête.

Je crois comprendre — et je ne peux parler pour le Canada, je peux seulement parler pour les États-Unis —, en tant qu'ancien membre du FBI, si on regarde le cas de la Holy Land Foundation ici aux États-Unis, que c'était le plus grand organisme de bienfaisance musulman au pays à l'époque, et il s'est révélé être une couverture pour le Hamas. Il a fallu deux procès. Lors du premier, le jury n'a pas réussi à s'entendre, mais en définitive, il y a eu des condamnations pour tous les chefs d'accusation d'exploitation d'un organisme de bienfaisance dans le but de soutenir des activités terroristes aux États-Unis.

Cela n'a pas commencé par une poursuite. Il y a eu une enquête en matière du renseignement durant quelques années, très axée sur les opérations, et les livres et d'autres éléments ont fait l'objet d'un examen. Donc, je peux seulement présumer que les homologues canadiens effectuent des activités semblables lorsqu'ils jugent nécessaire de le faire.

Le président : Sénateur Meredith, soyez très bref.

Le sénateur Meredith : Merci beaucoup. Nous avons entendu deux intervenants avant vous, et ils ont parlé, plus particulièrement M. Keatinge, de détournement d'actifs dans des cas où de prétendues œuvres de bienfaisance envoyaient de l'argent, des biens et des produits à l'étranger à des fins humanitaires et où cela était détourné pour financer des activités illicites. Pouvez-vous nous expliquer en détail ce que fait le Canada en ce qui a trait à nos organismes de bienfaisance? Vous avez parlé de conformité et de gouvernance et ainsi de suite. Y a-t-il autre chose que nous pouvons faire différemment ou que nous devons améliorer? En ce qui a trait aux questions du sénateur Tkachuk au sujet de ces organismes de bienfaisance et des poursuites ou des révocations de statut pour non-conformité, pouvez- vous nous en dire davantage?

M. Levitt : D'abord, je suis très heureux de voir que mon collègue et ami, Tom Keatinge, a témoigné aujourd'hui également. Vous êtes entre de bonnes mains. Je ne sais pas si c'est toujours le cas, mais vous étiez entre de bonnes mains plus tôt.

Il a soulevé un point important en ce qui concerne le détournement. Parfois, il peut y avoir des détournements de fonds sans que cela fasse partie des activités de l'organisme installé, disons aux États-Unis ou au Canada qui amasse des fonds. Les organismes essaient de faire les choses en bonne et due forme, et les fonds sont détournés plus loin dans le processus par une personne malintentionnée ou, comme je l'ai dit, parce qu'il faut verser une somme pour faire parvenir de la nourriture à un village donné. La seule façon de faire en sorte qu'elle se rende au village est de franchir des lignes contrôlées par un groupe de militants. Il va exiger un pot-de-vin pour qu'on puisse acheminer la nourriture jusqu'au village. Le détournement peut prendre diverses formes.

Ce sont des organismes de bienfaisance qui exercent leurs activités dans leur pays d'attache, disons le Canada, tout en sachant pertinemment que des activités de détournement ont lieu dont nous devons nous préoccuper le plus. Ils sont au courant. Peut-être que l'organisme le fait délibérément, dans le pire des scénarios, ou peut-être qu'il le tolère et ne le signale pas.

Il n'y a actuellement aucun mécanisme leur permettant de déclarer : « Il y a un village affamé. Nous devons remettre 2 p. 100 au groupe de terroristes pour nous y rendre. Avons-nous le droit de faire cela? » Peut-être qu'il devrait y en avoir un, mais il n'y en a pas actuellement.

Toutefois, nous avons eu connaissance de nombreux cas où les gens se livraient sciemment à des activités avec d'autres gens qu'ils savaient être des militants. Dans le pire des scénarios, des organismes de bienfaisance ont été mis sur pied pour servir d'abord de couverture; c'était leur raison d'être. Des organismes de bienfaisance qui prétendent être des organismes non gouvernementaux sans but lucratif remettent, j'en suis sûr, certains fonds, peut-être la majeure partie des fonds, à des gens qui en ont besoin, peut-être à des gens qui soutiennent leur cause, peut-être pas. Mais dans le vrai monde, les organismes de bienfaisance font de bonnes choses, même s'ils peuvent également contribuer au terrorisme, et c'est ce qui peut compliquer les choses.

Soit dit en passant, cela peut également faire en sorte qu'il est plus difficile pour nous d'obtenir la collaboration de partenaires locaux sur le terrain. Le gouvernement local peut décider que c'est dans son intérêt prioritaire d'acheminer les biens au village affamé. Ils ne voient peut-être pas ces groupes de militants comme étant si mauvais, ou peut-être qu'ils sont intimidés par eux, donc cela peut compliquer nos capacités d'enquête sur le terrain.

Nous devons déterminer à quoi tient notre avantage à domicile — aux États-Unis, au Canada, et ainsi de suite — et établir les exigences réglementaires que nous pouvons imposer aux parties sans les contraindre à un point où cela risque de retarder les activités légales de quelques jours ou de quelques semaines; les exigences en matière de conformité ne doivent pas être si dispendieuses qu'une tonne d'argent qui devrait aller à l'organisme pour ses efforts de conformité est détournée. Mais les organismes doivent tout de même faire preuve d'une diligence raisonnable de leur côté et être en mesure de dire : « Écoutez, nous avons fait tout ce qui était possible pour déterminer si l'homme avec qui nous collaborons en Somalie, en Irak, dans la Bande de Gaza, en Colombie, peu importe, est une personne bien intentionnée. » Je ne suis pas convaincu que nous faisons déjà tout cela.

Il y a plusieurs années, j'ai abordé cette question devant le Congrès américain. Je pense qu'on m'avait convoqué à titre de responsable de la sécurité têtu, et la plupart des autres témoins étaient des gens du secteur caritatif. Je pense qu'ils ont été surpris de constater à quel point nous étions d'accord, mais je ne pense pas qu'ils étaient aussi prêts que moi à dire : « Écoutez, en ce qui a trait à la sécurité nationale, nous ne pouvons pas exiger la perfection. Nous devons faire des concessions. » Je ne pense pas qu'ils étaient aussi prêts que moi à dire : « D'accord, nous ne pouvons pas acheminer les choses là où elles sont requises aussi vite que possible à faible coût, même si nous voulons le faire pour de bonnes raisons, parce que nous devons être en mesure d'assurer la sécurité nationale. »

Depuis ce témoignage, les choses ont évolué. Je pense que c'est en partie pour cette raison que nous avons réussi à empêcher tant de personnes malintentionnées de tirer profit d'organismes de bienfaisance et d'en abuser autant qu'elles l'ont fait auparavant. Ce qui me préoccupe, c'est qu'on voit toutes sortes de cas semblables dans le monde — des grands organismes de bienfaisance aux deux hommes qui lancent une œuvre de charité sur leur site web en passant par toutes les structures intermédiaires —, et c'est notre chance de régler le problème.

Je ne travaille pas pour Revenu Canada, mais faites appel à son effectif. De quel type d'information auriez-vous besoin pour être en mesure de décider, comme votre collègue l'a demandé plus tôt, s'il faut ou non procéder à une enquête opérationnelle? À quel moment devons-nous vérifier si la GRC possède des renseignements? Peut-être que nous nous penchons sur l'organisme de bienfaisance lui-même, peut-être qu'il est question de certaines personnes qui pourraient avoir un lien avec lui. Une approche holistique à l'échelle du gouvernement est vraiment nécessaire. C'est la seule façon de procéder dans ce milieu parce que, comme je l'ai dit plus tôt, au bout du compte, nous saurons qu'il se passe des activités illicites si nous obtenons ces renseignements. Nous ne pouvons pas nous attendre à ce que leurs livres ne soient pas en ordre ni à ce que leur site web soit incriminant. Au contraire, leurs sites web, leurs livres et leurs déclarations publiques seront la plupart du temps blancs comme neige.

À nouveau, il s'agit d'un petit sous-groupe. Je ne peux le dire assez — je n'arrête pas de parler des organismes de bienfaisance et d'abus —, la vaste majorité des organismes de bienfaisance sont nos meilleurs alliés et nos meilleurs amis et ils font du très bon travail.

Le président : Monsieur Levitt, merci beaucoup d'avoir pris le temps de comparaître devant nous. Le temps file. Vous pouvez vous en aller. Merci beaucoup.

Chers collègues, je vais suspendre la séance afin que nous passions à huis clos. Il y a quelques questions que j'aimerais aborder, et je vais tenter d'être aussi bref que possible.

(La séance se poursuit à huis clos.)

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