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SECD - Comité permanent

Sécurité nationale, défense et anciens combattants

 

LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DE LA SÉCURITÉ NATIONALE ET DE LA DÉFENSE

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le lundi 18 mars 2019

Le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense, auquel a été renvoyé le projet de loi C-71, Loi modifiant certaines lois et un règlementrelatifs aux armes à feu, se réunit aujourd’hui à 11 heures pour examiner le projet de loi; et, à huis clos, pour étudier, afin d’en faire rapport, les politiques, les circonstances et les capacités du Canada en matière de sécurité nationale (étude d’une ébauche de rapport ).

La sénatrice Gwen Boniface (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Bienvenue au Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense.

Chers collègues, comme vous le savez, le week-end a été très difficile pour les Néo-Zélandais. La sénatrice Jaffer voudrait faire une déclaration au nom de tous les sénateurs.

La sénatrice Jaffer : Aujourd’hui, j’aimerais m’adresser à tous mes frères et sœurs musulmans au Canada et dans le monde.

Il est possible que le tout dernier attentat en Nouvelle-Zélande nous ait meurtris, voire anéantis. Il est possible que nous nous sentions abattus et vulnérables. Mais je vous le dis, la peur ne nous forcera pas à nous terrer chez nous. On ne nous détruira pas. J’invite tous les Canadiens à lutter avec nous contre la xénophobie et l’islamophobie qui s’enracinent si facilement et à faire savoir au monde que tous les Canadiens sont égaux.

À titre de première sénatrice musulmane, je peux dire à tous mes frères et sœurs musulmans que j’ai été traitée sans l’ombre d’un doute exactement de la même manière par tous mes collègues ici. J’aimerais que vous sachiez que les Canadiens pensent vraiment que nous sommes égaux.

Je me pose une question : comment pouvons-nous concilier notre position et le terrible massacre perpétré dans la mosquée, en Nouvelle-Zélande? Honorables sénateurs, permettez-moi de vous lire une citation de la Dre Najma Ahmed de l’organisation Médecins canadiens pour un meilleur contrôle des armes à feu :

Les armes à feu sont le vecteur de cette crise de santé publique évitable. Elles sont la principale cause de cette épidémie. En tant que médecins, nous sommes témoins des pertes humaines causées par les armes à feu chez nos patients, leurs familles et leurs collectivités.

Canadiens, quand nous unissons nos forces, nous sommes invincibles. Faisons face ensemble à toutes ces formes de haine, parce que nous valons mieux que cela. Nous sommes au-delà de cela.

Merci de m’avoir donné cette occasion de m’exprimer, madame la présidente.

La présidente : J’aimerais que mes collègues se présentent.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Jean-Guy Dagenais, du Québec.

Le sénateur Boisvenu : Pierre-Hugues Boisvenu, du Québec.

[Traduction]

Le sénateur Richards : David Richards, du Nouveau-Brunswick.

Le sénateur McIntyre : Paul McIntyre, du Nouveau-Brunswick.

Le sénateur Wells : David Wells, de Terre-Neuve-et-Labrador.

Le sénateur Oh : Victor Oh, d’Ontario.

La sénatrice McPhedran : Marilou McPhedran, sénatrice indépendante du Manitoba.

Le sénateur Gold : Marc Gold, du Québec.

[Français]

Le sénateur Pratte : André Pratte, du Québec.

[Traduction]

La sénatrice Griffin : Diane Griffin, de l’Île-du-Prince-Édouard.

La sénatrice Jaffer : Mobina Jaffer, de Colombie-Britannique.

La présidente : Je m’appelle Gwen Boniface et je suis votre présidente.

Ce matin, nous allons continuer l’étude du projet de loi C-71, Loi modifiant certaines lois et un règlement relatifs aux armes à feu. Avant de passer aux témoins, j’aimerais rappeler à tous les sénateurs que, s’ils ont l’intention de proposer des amendements à l’étape de l’étude article par article qu’on prévoit aujourd’hui le 8 avril, ils devraient en informer le légiste, au Bureau du légiste, pour qu’il soit prêt.

Dans le premier groupe, nous avons Marc Renaud, le président de la Fédération québécoise des chasseurs et pêcheurs qui participe à la réunion par vidéoconférence; Gerald Ingeveld, le directeur de l’Association provinciale de surveillance de la criminalité rurale de l’Alberta; et Ray Orb, le président de l’Association des municipalités rurales de la Saskatchewan, par vidéoconférence aussi. Je vous souhaite à tous la bienvenue.

Monsieur Renaud, voulez-vous commencer?

[Français]

Marc Renaud, président, Fédération québécoise des chasseurs et pêcheurs : Madame la présidente, mesdames et messieurs les sénateurs et sénatrices membres du comité, merci de nous donner l’occasion de nous exprimer sur le projet de loi C-71. Je m’appelle Marc Renaud. Je suis président de la Fédération québécoise des chasseurs et pêcheurs, que je nommerai FédéCP.

D’entrée de jeu, rappelons que notre organisme contribue activement depuis plus de 45 ans à la réduction significative de la mortalité et des blessures par arme à feu. Nous avons ainsi fait la preuve de l’efficacité de la formation et de la prévention dans le cadre des activités de chasse. La FédéCP est un OSBL qui représente les chasseurs et les pêcheurs du Québec depuis 73 ans. Elle compte aujourd’hui 270 associations et organismes répartis dans toutes les régions du Québec.

La FédéCP est devenue mandataire du gouvernement en 1972 à la suite d’une demande novatrice de notre part pour dispenser obligatoirement des cours à toute personne désirant chasser. Depuis 1994, nous sommes mandatés par le ministère de la Sécurité publique du Québec pour dispenser des cours canadiens de sécurité dans le maniement des armes à feu. Au cours des cinq dernières années, notre filiale éducative, Sécurité et nature, a assuré la formation de plus d’un quart d’un million de participants, dont près de 100 000 personnes pour le cours d’initiation à la chasse avec arme à feu. La position que nous avons adoptée en ce qui a trait au projet de loi C-71 est issue du mémoire de l’Ontario Federation of Anglers and Hunters (OFAH), qui est partagée par 10 autres fédérations canadiennes de chasseurs et pêcheurs mentionnées dans le document de l’OFAH, qui se trouve en annexe.

Aujourd’hui, c’est en sa qualité de représentante des chasseurs et pêcheurs et des experts en formation sur la sécurité des armes à feu que la FédéCP se présente devant ce comité. Tout d’abord, bien que la FédéCP souscrive à de meilleures stratégies d’encadrement des armes à feu afin d’assurer la sécurité publique, nous sommes en désaccord avec le projet de loi C-71, qui représente une autre série de mesures qui affecteront les propriétaires déjà en règle.

Comme nous avons une expérience de première main d’un registre fédéral et d’un système d’immatriculation provincial, nous sommes à l’affût des difficultés techniques qui peuvent survenir dans l’application des lois dont l’objectif est énorme et qui ajoute un fardeau administratif à l’État et à d’honnêtes citoyens sans atteindre l’objectif prévu. Si le but est réellement d’accroître la sécurité des Canadiens et des Canadiennes, le projet de loi C-71 devra subir d’importantes modifications afin de cibler les vrais responsables de la violence par les armes à feu. Si on considère maintenant chaque élément du projet de loi, nous dénotons que de nombreux éclaircissements sont nécessaires. La vérification des antécédents lors de la demande du permis de possession et d’acquisition qui n’est plus limitée à une période de cinq ans devrait être définie. De plus, est-ce qu’une personne qui a commis une infraction peut prendre des moyens pour se réhabiliter et obtenir son permis? En ce qui concerne la vérification du permis de l’acquérant lors de la vente d’une arme à feu, il incombe encore fois aux propriétaires d’être consciencieux et de se donner la peine de faire la vérification en fournissant un seul outil pour valider le permis de l’acheteur. On protège le vendeur, mais on doit s’assurer que le processus sera simple, très efficace et accessible en tout temps.

La conservation des l’historique des transactions par les détaillants commerciaux pendant 20 ans devrait être mieux encadrée. Les acheteurs devront être assurés que leurs données personnelles sont conservées de manière sécuritaire et accessibles uniquement dans le cadre d’enquêtes criminelles et sous autorisation judiciaire. Du côté de la classification des armes à feu, il nous apparaît beaucoup plus important de savoir comment les armes sont classifiées plutôt que de savoir qui les classifie. Nous sommes d’avis que le processus de classification devrait être standardisé et que les utilisateurs d’armes devraient pouvoir se prononcer, en plus d’avoir accès à un système d’appel. Par ailleurs, la loi grand-père qui prévaut pour les détenteurs d’armes qui se deviendront prohibées est très importante pour nos membres qui possèdent des armes de chasse qui pourraient prochainement se trouver dans cette catégorie.

La FédéCP représente des propriétaires d’armes à feu qui sont formés pour manipuler et entreposer leurs armes de façon sécuritaire. Nous sommes les premiers à promouvoir la sécurité du public par l’entremise de campagnes de sensibilisation et de formation. Nous sommes toutefois déçus de ce projet de loi qui, encore une fois, vient ajouter des contraintes pour les honnêtes citoyens sans tenir compte de la réalité des propriétaires d’armes et surtout, sans atteindre l’objectif principal qui nous concerne tous, la sécurité publique.

Nous souhaitons que ce projet de loi soit amendé et qu’il soit complété par de véritables mesures pour cibler les groupes criminalisés et la violence par arme à feu qui en découle. Nous vous remercions de votre attention. Nous vous invitons à consulter le mémoire de l’OFAH, qui est disponible sur son site web, pour connaître les justifications détaillées à nos demandes de modification. Merci.

La présidente : Merci.

[Traduction]

Gerald Ingeveld, directeur, Association provinciale de surveillance de la criminalité rurale de l’Alberta : C’est un honneur pour moi de pouvoir vous parler ici, à Ottawa, en tant que représentant de l’Association provinciale de surveillance de la criminalité rurale de l’Alberta. Notre association compte environ 17 000 membres répartis dans 53 groupes disséminés dans toute la province. Notre priorité, en association avec la Gendarmerie royale du Canada, est la prévention du crime, que nous mettons en avant par la sensibilisation, l’éducation et le signalement d’activités louches, que nous encourageons.

Le programme de surveillance en milieu rural a été conçu pour faire baisser la fréquence des délits dans toutes les zones rurales et mieux faire connaître et comprendre les lois. Les habitants ruraux, qui participent de manière tout à fait volontaire à ce programme, travaillent en coopération avec leur division locale de la GRC.

La criminalité en milieu rural a augmenté en Alberta, au cours de la dernière décennie, et nous avons de plus en plus de travail. Notre travail consiste, en fait, à montrer aux gens comment protéger leurs résidences et leurs véhicules. Mais, on a parfois l’impression que cela ne sert à rien. Il est difficile d’exprimer le sentiment de viol que l’on ressent quand on s’est fait cambrioler.

On a qualifié le projet de loi C-71 de stratégie de lutte contre la criminalité. Nous sommes, certes, d’accord pour dire que nous avons besoin non pas d’une stratégie unique, mais de plusieurs pour régler le problème de la criminalité en milieu rural. Cependant, je me pose des questions quant au bien-fondé de celle-ci. D’après ce que je crois comprendre, le projet de loi a trois objectifs : faire passer le statut de certaines armes à feu d’armes à feu sans restriction à armes à feu à autorisation restreinte, resserrer la réglementation dans le cadre des mouvements d’armes à feu enregistrées et ajouter un directeur de l’enregistrement qui vérifiera si le permis de possession d’une arme à feu sans restriction peut être cédé par une personne à une autre.

Dans les régions rurales, la plupart des crimes commis sont des crimes contre la propriété et certains des délinquants portent des armes qui sont, d’ailleurs, généralement volées. Tout le monde se moque de savoir si l’arme aurait dû être enregistrée, si elle a été transportée ou si un directeur d’enregistrement des armes à feu attend gentiment dans son bureau une demande de transfert d’armes à feu.

J’inviterais nos législateurs à calculer le coût en dollars des initiatives prévues dans le projet de loi C-71 et à songer au fait que, au milieu de l’année 2018, la Division « K » de la GRC a pleinement mis en œuvre la Stratégie de la réduction de la criminalité de l’Alberta, qui était auparavant un programme pilote. Avec un budget annuel supplémentaire de 10 millions de dollars, des unités spécialisées de la réduction de la criminalité ont été créées à travers la province. Ces unités ont travaillé à la réduction de la criminalité grâce à la prévention, en ciblant les délinquants récidivistes et multirécidivistes, découvrant les points chauds de criminalité à l’aide de renseignements obtenus de la police, déterminant les causes profondes de la criminalité et offrant des choix de vie différents. Dans les six premiers mois de ce programme, on a réduit dans toutes les catégories la criminalité en milieu rural d’environ 10 p. 100.

Selon moi, cette approche peut montrer comment les gens, comme mon père et mon grand-père, ainsi que d’autres Canadiens traitaient de ces problèmes auparavant.

Comme je l’ai dit au début de mon témoignage, c’est un honneur pour moi d’être ici, à Ottawa. Cette capitale nationale représente plus de 150 années de liberté et d’occasions. Mon grand-père est venu au Canada en 1905 pour profiter de cette liberté et de ces occasions. Ensuite, il est retourné en Europe pour participer à la Première Guerre mondiale. Mon père a aussi servi comme soldat en Europe, de 1939 à 1945.

Pourquoi ces hommes, qui étaient en sécurité ici, au Canada, ont-ils tout risqué pour aller en Europe pour se battre dans une guerre à laquelle ils ont survécu, mais qui les a laissés brisés? C’est parce qu’ils ont cru que la sécurité ne l’emporte pas sur la liberté, et que lorsqu’il y a un problème, on ne crée pas simplement une autre règle ou un autre règlement; on remonte ses manches et on règle le problème. C’est ainsi que j’ai été élevé. La criminalité en milieu rural n’est pas le problème de quelqu’un d’autre. Ce n’est pas quelqu’un d’autre qui va le régler pour moi, surtout pas en créant d’autres règlements.

C’est pourquoi j’appuie Échec au crime rural et le travail accompli par la GRC. S’il y a des fonds disponibles pour créer d’autres postes pour réglementer les armes à feu, s’il vous plaît, donnez plutôt ces fonds à la GRC et aux organismes comme Échec au crime rural pour leur permettre d’avoir plus de ressources pour gérer cette situation sur le terrain, car nous commençons à voir les résultats.

Ray Orb, président, Association des municipalités rurales de la Saskatchewan : L’Association des municipalités rurales de la Saskatchewan, communément appelée SARM, a été incorporée en 1905. Elle est la voix des régions rurales de la Saskatchewan depuis plus de 100 ans. Nous représentons les 296 municipalités rurales qui composent notre province. Nous couvrons 53 p. 100 de la masse terrestre totale de la province; nos municipalités rurales en couvrent presque toutes les terres agricoles. Notre plus grande municipalité comprend un peu plus de 8 000 résidants ruraux, tandis que la plus petite en accueille 76. Nous représentons donc une grande région très diversifiée. Notre rôle est de servir nos membres et de défendre les valeurs des régions rurales de la Saskatchewan.

Bien entendu, nous apprécions l’occasion de prendre la parole au sujet des armes à feu, car le projet de loi C-71 aura des répercussions pour les agriculteurs et les éleveurs. Nous craignons qu’il ne reflète pas les besoins des résidants des régions rurales.

La Saskatchewan n’a pas été prise en considération dans la rédaction du projet de loi. Nous n’avons pas pu nous exprimer lors des consultations nationales du ministre Blair au sujet des crimes perpétrés à l’aide d’une arme à feu. Puisque la Saskatchewan est une province rurale, il y a des préoccupations légitimes liées à la propriété d’armes à feu et à la criminalité rurale qui doivent se refléter dans toute nouvelle loi ou politique gouvernementale. Nous croyons que le projet de loi est orienté vers les centres urbains comme Toronto et Vancouver, où la question des crimes commis avec des armes à feu a capté l’attention nationale.

Malheureusement, il y a des répercussions non voulues dans les régions rurales. Nous comprenons que la Ville de Toronto a été un grand promoteur de l’interdiction des armes de poing. Cependant, le président de l’association des policiers de Toronto a déclaré récemment que le fait d’interdire les armes de poing n’aurait aucune incidence sur les gens qui sont déterminés à s’en servir pour tirer sur quelqu’un. Nous sommes d’accord. Interdire les armes à feu touchera seulement les propriétaires d’armes à feu responsables et respectueux de la loi, dont bon nombre possèdent des armes à feu et s’en servent de façon responsable depuis des dizaines d’années.

Les municipalités rurales de la Saskatchewan réclament depuis longtemps que le gouvernement fédéral lutte plus vigoureusement contre le crime, mais nous ne croyons pas que l’interdiction des armes à feu soit le moyen pour y arriver. Les propriétaires de terres rurales ont besoin d’armes pour protéger leurs terres et leur bétail — qui représentent leur subsistance — contre les prédateurs et les animaux nuisibles. Nous croyons qu’il faut consulter directement les agriculteurs et les résidants ruraux sur la nécessité d’avoir des armes à feu en milieu rural.

Malheureusement, on a seulement organisé des tables rondes à Vancouver, à Toronto, à Montréal et à Moncton. Il n’y en a eu aucune en Saskatchewan. Selon nous, il faut en organiser d’autres pour que les Canadiens partout au Canada puissent avoir l’occasion de partager leur point de vue.

Au cours des dernières années, les membres de SARM n’ont soulevé aucune préoccupation concernant les lois en vigueur visant les armes à feu. Cependant, les résidants ruraux sont préoccupés par les interdictions d’armes à feu et par les confiscations de la propriété privée.

Nous nous opposons également au retour du registre des armes d’épaule, de quelque manière que ce soit, notamment à l’emploi des numéros de référence pour les transactions, qui créerait une sorte de registre d’armes dont on pourrait saisir le numéro pour chercher des renseignements sur une arme à feu en particulier.

Les délais nécessaires pour émettre des permis et des autorisations de transport des armes à feu sont également une préoccupation. Il est important que le gouvernement du Canada garantisse que le personnel fédéral pourra traiter rapidement tous les appels et toutes les demandes de renseignements, tout en assurant un niveau élevé de service.

SARM s’oppose à l’interdiction des armes de poing, car ce ne sera pas efficace pour prévenir le crime, mais cela aura des répercussions importantes pour les propriétaires d’armes à feu responsables et respectueux de la loi.

SARM fait d’énormes progrès en collaborant avec la GRC sur des mesures de prévention de la criminalité. Comme suite à une recommandation émise par le comité sur la criminalité de la Saskatchewan, la province a créé une équipe de protection et d’intervention appelée PRT, qui fait fond sur le succès des modèles policiers en les alliant pour améliorer les services d’intervention d’urgence, accroître la visibilité des policiers et renforcer la sécurité sur les routes de la Saskatchewan.

SARM appuie également Échec au crime et participe au conseil d’administration d’Échec au crime de la Saskatchewan. Nous avons aussi travaillé fort pour revigorer le programme Échec au crime rural, qui connaît désormais une participation fort accrue.

Nous avons aussi récemment dirigé une association provinciale de surveillance de la criminalité chargée de coordonner le soutien offert aux groupes locaux. Pas plus tard que la semaine dernière, nous avons annoncé la création du nouveau réseau consultatif de surveillance du crime de la Saskatchewan.

Il s’agit d’un système de notification de masse auquel les résidants des régions rurales peuvent s’inscrire afin d’être avisés des activités criminelles qui surviennent dans leur région. Les citoyens seront ainsi plus vigilants et pourront signaler les activités suspectes. Nous avons bon espoir que toutes ces mesures renforceront les outils dont nous disposons et apporteront la tranquillité d’esprit aux résidants des régions rurales.

Comme vous pouvez le constater, l’association a à cœur la prévention de la criminalité en milieu rural. Nous déployons de grands efforts à ce chapitre. Nous ne sommes pas du tout convaincus que l’interdiction des armes de poing sera une mesure efficace pour réduire la criminalité. Nous estimons avoir le droit d’être entendus et nous demandons qu’une table ronde soit organisée dans les Prairies afin que les agriculteurs puissent y exprimer directement leurs préoccupations.

Au nom de l’Association des municipalités rurales de la Saskatchewan, nous remercions le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense de nous donner cette occasion de participer à cette importante discussion.

La présidente : Il y a plusieurs sénateurs qui souhaitent prendre la parole.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Ma première question s’adresse à M. Renaud. Lors de votre présentation, vous avez exprimé le souhait que des amendements soient apportés au projet de loi C-71. Pourriez-vous nous donner quelques exemples d’amendements que vous aimeriez voir dans le projet de loi?

Nous rencontrons le ministre de la Sécurité publique, M. Ralph Goodale, aujourd’hui, et il voudra sûrement connaître la teneur de ces amendements.

M. Renaud : La conservation de l’historique des transactions et la vérification des antécédents incombent encore aux honnêtes citoyens, comme je l’ai déjà dit. Je proposerais donc d’inclure dans le projet de loi des moyens plus clairs, mieux définis et plus précis pour aller de l’avant à cet effet. Ce qui nous inquiète également, c’est le retour d’un registre des armes à feu. Nous connaissons déjà les résultats d’une telle démarche.

En résumé, les amendements devraient mieux cibler le milieu criminalisé. Pour le moment, la balle est dans le camp de la bureaucratie et rien ne se fait sur le terrain pour diminuer la criminalité, parce que les criminels n’ont pas besoin d’armes contrôlées.

Le sénateur Dagenais : Ma deuxième question s’adresse à M. Ingeveld. M. Renaud vient de le mentionner, il y a une différence entre les milieux urbains et ruraux en ce qui a trait au projet de loi. Ainsi, dans les milieux urbains, on retrouve les gangs de rue qui utilisent des armes à feu non enregistrées, souvent achetées sur le marché noir. Force est de constater que ce sont en majorité les gens qui vivent en milieu urbain qui prônent un registre des armes à feu, alors qu’ils ne comprennent pas la réalité du milieu rural. Croyez-vous que le projet de loi devrait tenir compte de la disparité entre les milieux urbains et les milieux ruraux?

[Traduction]

M. Ingeveld : C’est très difficile pour moi d’expliquer la différence entre les régions rurales et urbaines. Quelqu’un qui n’a jamais vécu ni même travaillé dans une région rurale pourrait ne pas comprendre la réalité du milieu rural. En ce qui me concerne, je suis un éleveur. Il arrive qu’un animal souffre ou soit en détresse à tel point qu’il faut l’euthanasier au plus vite. On ne peut pas attendre deux ou trois heures qu’un vétérinaire vienne lui faire l’injection; nous devons nous en occuper tout de suite.

J’habite aussi à moins d’un demi-mille d’un corridor de déplacement. On y trouve des ours, des loups, des couguars et toutes ces magnifiques bêtes sauvages, mais je dois pouvoir me protéger. En revanche, je dirais qu’il faut surtout se protéger des individus qui veulent nous cambrioler. La plupart du temps, ce sont des gens qui arrivent de la ville, à bord d’un véhicule volé, dans le but de cambrioler les résidants des communautés rurales.

La différence, en milieu rural, c’est que ces individus ne font pas partie d’un groupe. Ils surveillent votre propriété. Ils surveillent d’abord vos allées et venues, puis ils passent à l’action. Ils ont souvent une liste d’articles précis à voler, que ce soit des pneus de voitures, des perceuses électriques ou des téléviseurs. Ils vont donc s’introduire dans les propriétés et cibler ces articles.

Les enjeux sont très différents dans le contexte rural par rapport au contexte urbain. La plus grande différence, c’est possiblement le fait que, même si je me trouve à seulement 11 kilomètres du détachement local de la GRC, il faut plus de 20 minutes à un agent pour intervenir, et encore là, c’est lorsqu’il est à son bureau et non pas à 50 ou 60 kilomètres de chez moi. La région desservie par le détachement de la GRC est énorme; elle fait 150 kilomètres de diamètre. Dans ma collectivité, la GRC fait de l’excellent travail lorsqu’il s’agit de mener une enquête ou de récupérer des biens volés, mais pour ce qui est d’intervenir rapidement dans une situation d’urgence, son délai d’intervention est plutôt long.

La sénatrice Jaffer : Monsieur Ingeveld, je crois comprendre que vous travaillez en étroite collaboration avec la GRC. L’Association canadienne des chefs de police appuie ce projet de loi. Ils disent que cela les aidera dans leur travail d’enquête. Le surintendant Gordon Sneddon a déclaré :

Il est primordial du point de vue des services policiers et du travail d’enquête de pouvoir suivre la trace des armes à feu. Je n’insisterai jamais assez.

Êtes-vous de cet avis?

M. Ingeveld : Non, je ne suis pas d’accord. Il s’agit là d’observations anecdotiques. Je m’appuie ici sur mon expérience dans mon domaine, à titre de directeur. Je sais que les armes à feu qui sont normalement saisies lors d’une arrestation où on retrouve des objets volés sont souvent des armes volées.

La première chose qu’un voleur d’armes à feu fait est d’effacer le numéro de série à la meule. Que je sache, le numéro de série est souvent la seule chose qui nous permet de suivre la trace d’une arme à feu. Je possède une arme qui appartenait à mon grand-père. Elle a été fabriquée en 1921 et porte un petit numéro de série qu’on voit à peine, et ce, seulement après l’avoir entreposée. Les numéros de série sont effacés, puis les armes sont retouchées. Les armes dont on a scié le canon et la crosse sont plus faciles à dissimuler. Toutefois, dès qu’elles sont modifiées de cette façon, ces armes sont illégales.

Deuxièmement, je ne comprends vraiment pas comment la GRC peut arriver à dire qu’elle peut mieux suivre la trace des armes à feu alors que les numéros de série sont aussitôt effacés. Cela dit, je ne suis pas policier.

La sénatrice Jaffer : Monsieur Orb, certains témoins qui ont comparu devant nous ont dit que l’augmentation récente du nombre d’homicides commis à l’aide d’armes à feu était uniquement attribuable au crime organisé et aux gangs. Ces homicides impliquent des armes de poing qui sont déjà prohibées et non pas des armes d’épaule. Par conséquent, ils sont d’avis qu’avec le projet de loi C-71, on s’en prend aux Canadiens respectueux des lois. Or, les données de Statistique Canada révèlent que les homicides non liés aux gangs représentent encore près de la moitié de tous les homicides commis avec une arme à feu dans les régions rurales du Canada.

J’ai reçu un certain nombre d’appels de femmes qui vivent dans des régions rurales. Elles m’ont dit qu’elles avaient besoin de protection, surtout celles qui sont victimes de violence conjugale. Avez-vous observé un lien entre la violence armée et la violence conjugale dans les régions rurales de la Saskatchewan ?

M. Orb : Malheureusement, je n’ai pas les statistiques qui me permettraient d’étayer ma réponse. Il pourrait y avoir un lien. Cependant, il faut être conscient que beaucoup d’agriculteurs et d’éleveurs vivent dans des régions rurales éloignées. Ils n’ont pas beaucoup de voisins à proximité. Les gens se sentent souvent menacés. Ils ont besoin d’armes à feu pour protéger leur bétail et leur ferme, qu’il s’agisse d’armes de poing ou de fusils de chasse. Nous avons de la chance d’avoir la GRC.

Comme je l’ai dit, nous avons accru la surveillance de la criminalité dans la région. Nous savons qu’il y a des gangs dans toutes les régions de la Saskatchewan. À mon avis, les exploitations agricoles ne sont pas particulièrement ciblées par les gangs en milieu en rural, mais la criminalité liée aux gangs dans la région est un véritable problème.

La sénatrice Jaffer : Avez-vous des statistiques pour d’autres régions ou si vous n’en avez pas du tout?

M. Orb : Je n’ai pas de statistiques concernant la Saskatchewan.

Le sénateur Gold : Bonjour et merci à tous nos invités d’être ici aujourd’hui.

[Français]

Je commence avec une question pour M. Renaud. La Fédération québécoise des chasseurs et pêcheurs est reconnue pour ses efforts en ce qui a trait à l’éducation et à la sécurité. Chapeau à vous et à vos membres pour cela.

Je n’ai pas les mots exacts, mais vous avez parlé du fardeau administratif ou de la bureaucratie qui, selon vous, fait partie du projet de loi C-71. Pouvez-vous préciser les inconvénients et le fardeau administratif que subiront les chasseurs au Québec si le projet de loi est adopté? Par exemple, les vérifications d’antécédents ne changeront rien pour la vaste majorité de ceux qui n’ont rien à se reprocher. Les changements d’autorisation de transport ne toucheront pas vos membres. La vérification de permis dont vous avez parlé et la tenue de dossiers par les vendeurs ne changeront rien pour les chasseurs. J’ai de la difficulté à comprendre votre point de vue. Peut-être pouvez-vous nous éclairer sur ces inconvénients.

M. Renaud : Merci de nous considérer comme une fédération qui fait très bien son travail d’éducation et de sensibilisation.

Ce sont des contraintes bureaucratiques auxquelles les chasseurs eux-mêmes devront faire face. Si on parle de la vente d’armes à feu, en ce qui a trait à la vérification, il n’y a pas de moyen clair pour les aider dans ce processus quand ils vont effectuer une transaction les soirs ou les fins de semaine. Si on parle de transport, effectivement, les effets sont minimes pour les armes à feu à autorisation restreinte, mais en quoi cela va-t-il améliorer la sécurité publique?

Notre expérience avec le Registre canadien des armes à feu au fédéral et au provincial nous a montré que, chaque fois que des mesures s’ajoutent, c’est aussi de la bureaucratie de plus pour la machine gouvernementale. Ce sont des sommes d’argent supplémentaires qui ne sont pas mises à la bonne place. Les chasseurs font déjà tout ce qu’il faut. Ils ont tous les moyens et obligations nécessaires. On leur ajoute un fardeau supplémentaire, notamment pour la vérification des antécédents dont vous avez parlé.

Le projet de loi C-71 doit subir une cure de modification pour s’assurer qu’on atteint vraiment les bons objectifs, que tout ce qui est de la bureaucratie ne va pas à l’encontre des chasseurs et que cet argent est bien utilisé pour régler l’aspect lié à la criminalité.

Le sénateur Gold : Merci.

[Traduction]

Je pourrais peut-être poser une deuxième question. Deux de nos invités aujourd’hui ont parlé du problème de la criminalité dans les régions rurales et ont fait la distinction entre ce problème et ceux auxquels sont confrontées les régions urbaines.

Dans le cadre de ce projet de loi, on s’attaque non seulement à la question de la criminalité, mais aussi aux torts, aux homicides et aux blessures causés par les armes à feu en général. À cet égard, selon Statistique Canada, les homicides non liés aux gangs représentent encore environ la moitié des homicides commis avec une arme à feu dans les régions rurales au Canada. En milieu rural, les homicides non attribuables à des gangs représentent environ 80 p. 100 des homicides commis au moyen d’une arme à feu, très souvent une arme d’épaule.

En Saskatchewan, le taux est beaucoup plus élevé que la moyenne nationale. Qu’il s’agisse de violence conjugale ou d’autre chose, pourriez-vous nous dire pourquoi, selon vous, le projet de loi C-71 ne s’attaque pas à un véritable problème, évidemment pas au problème des gangs de rue du centre-ville de Toronto, mais à un problème qui coûte et détruit de plus en plus de vies?

M. Ingeveld : Lorsqu’on parle de la perpétration de crimes avec une arme à feu, il ne faut pas oublier que j’ai été élevé avec des armes à feu. Je fais partie d’une famille qui en a toujours eu. Nous sommes des éleveurs de troisième génération dans une collectivité rurale. Comme je l’ai dit, mon père et mon grand-père étaient tous deux des militaires. J’ai très vite appris à manier les armes à feu de façon sécuritaire.

Je savais aussi qu’il y avait bien des façons de blesser quelqu’un. Tout le monde a entendu parler des gens qui ont percuté délibérément des piétons avec leur voiture sur un trottoir. J’ai étudié les arts martiaux. Je peux infliger d’importantes blessures seulement en utilisant mes mains. Je sais aussi qu’on peut fabriquer une bombe assez efficace avec de l’engrais et du diesel.

Pour ceux d’entre nous qui gagnent leur vie dans des régions rurales, les armes à feu sont des outils dont nous avons besoin. De nombreux outils peuvent être utilisés pour commettre des crimes violents et horribles. Les véhicules ont beau être bien immatriculés, de nombreuses personnes meurent à cause de conducteurs imprudents.

Nous ne croyons pas que l’enregistrement rigoureux des armes à feu va rendre les gens moins violents. Nous devons trouver un moyen de comprendre pourquoi ces gens sont violents. Pourquoi volent-ils? Est-ce à cause de la drogue? Sont-ils désespérés? Qu’est-ce qui les pousse à agir ainsi? Ensuite, nous pourrions les aider à réorienter leur vie pour qu’ils commettent moins d’actes violents.

L’enregistrement des armes à feu n’est pas une mesure terrible qui me dérangera beaucoup. Il s’agit néanmoins d’un autre inconvénient qui, selon nous, n’aidera pas à aller à la source du problème. Voilà pourquoi nous préférerions que des ressources soient allouées pour découvrir les causes profondes du problème et s’y attaquer plutôt qu’une autre mesure réglementaire soit imposée.

La présidente : Monsieur Orb, avez-vous quelque chose à ajouter?

M. Orb : Oui, je souligne que, dans notre province, c’est la GRC qui effectue la plupart des enquêtes et qui s’occupe des questions criminelles dans les régions rurales. Une grande partie des problèmes est attribuable au fait que les criminels ont besoin d’argent, pour de la drogue ou pour leur famille. Dans notre province, le taux de chômage a augmenté, particulièrement à cause du ralentissement économique dans le secteur pétrolier.

Bien des gens tentent de s’approprier des biens personnels en volant. Ils savent que s’ils entrent par effraction dans une propriété, ils y trouveront des armes à feu. Ces armes sont enregistrées, mais elles tombent entre les mains de criminels. Le cas échéant, la GRC s’efforce d’appréhender les auteurs de ces crimes et y arrive dans de nombreux cas.

Comme les agriculteurs et les éleveurs ont déjà fait enregistrer leurs armes à feu, nous ne comprenons pas pourquoi il faut aller plus loin. Des lois sont déjà en place. Les membres ruraux de notre association ne réclament pas un contrôle plus serré des armes à feu mais plutôt davantage d’information. Il faudrait mieux faire connaître les règles concernant l’entreposage sûr des armes à feu pour que les gens sachent où et comment garder les armes enregistrées. La surveillance est très importante lorsque des individus tentent d’entrer par effraction dans des maisons de ferme et des ranchs.

Le resserrement de la réglementation n’aidera pas. Dans certains, cela pourrait compliquer la vie des propriétaires d’armes à feu respectueux de la loi.

La sénatrice McPhedran : D’entrée de jeu, je salue et je remercie la sénatrice Jaffer de nous avoir rappelé que l’utilisation des armes à feu est une question sérieuse et d’avoir souligné que, pour autant que nous sachions, il est possible de se procurer et de faire modifier au Canada des armes comme celles qui ont servi au massacre récemment commis en Nouvelle-Zélande.

J’ai une question à poser aux trois témoins. Possédez-vous une voiture et en avez-vous fait l’achat vous-mêmes?

M. Ingeveld : Oui.

M. Orb : Oui.

La sénatrice McPhedran : Monsieur Renaud?

[Français]

M. Renaud : Oui.

[Traduction]

La sénatrice McPhedran : Voici la seconde partie de la question : Étant donné que vous avez tous les trois acheté votre voiture, connaissez-vous le processus d’immatriculation des voitures dans vos provinces respectives et les méthodes de tenue des dossiers des vendeurs de voitures et de transfert de propriété? Vous êtes-vous déjà opposés au processus d’immatriculation que les vendeurs et les acheteurs doivent respecter?

M. Ingeveld : Non, je ne m’y suis pas opposé.

M. Orb : Non, pas récemment.

La sénatrice McPhedran : Mais cela vous est déjà arrivé.

M. Orb : Je vis dans une région rurale où il arrive parfois que l’accès à Internet haute vitesse laisse à désirer. Par conséquent, il est parfois long de remplir et de télécharger des formulaires.

[Français]

M. Renaud : Je n’ai expérimenté aucun problème, mais ce n’est pas le même comportement, et ce n’est pas pour les mêmes intérêts non plus.

[Traduction]

La sénatrice McPhedran : Merci.

Ma prochaine question s’adresse encore une fois aux trois témoins. Combien de femmes comptent vos organisations respectives?

M. Ingeveld : Notre organisation compte environ autant de femmes que d’hommes. La plupart de nos membres sont inscrits à titre de famille.

M. Orb : Dans les régions rurales, les conseillers municipaux et les préfets sont tous des représentants élus. Probablement 20 p. 100 sont des femmes. Toutefois, au conseil d’administration, on trouve presque la parité hommes-femmes. Autrement, il y a presque 50 p. 100 de femmes.

[Français]

M. Renaud : Je ne pourrais pas vous préciser le pourcentage de femmes qui se trouvent parmi nos membres, mais cela doit tourner autour de 30 à 40 p. 100. De plus en plus de femmes suivent des cours de maniement des armes à feu et sont des adeptes de chasse ou de tir. Notre conseil d’administration provincial compte 2 femmes sur 14 membres. Toutefois, la plupart de nos employés sont des femmes; seulement 3 personnes parmi 16 employés sont des hommes.

[Traduction]

La sénatrice McPhedran : Ma dernière question s’adresse à vous, monsieur Ingeveld, parce que vous avez fait mention de la GRC. Avez-vous des préoccupations au sujet du niveau d’expertise dont la GRC a fait preuve lorsque vous avez traité avec elle, notamment pour ce qui est de la compréhension et du traitement des armes à feu?

M. Ingeveld : La GRC compte un effectif considérable. Certains agents sont mutés dans différentes régions. Il arrive parfois que des gens qui ont grandi en zone urbaine se retrouvent dans une région rurale. Il faut s’adapter à la vie rurale. Dans la plupart des cas, ceux qui traitent avec notre association dans ma région connaissent bien le maniement des armes à feu.

Toutefois, je crois que les agents sont formés dans le maniement des armes à feu qu’ils doivent utiliser au travail. Autrement dit, ils connaissent davantage les armes dont on leur a appris le maniement plutôt que des modèles différents ou uniques. Quoi qu’il en soit, je suis satisfait de l’expertise de la plupart d’entre eux.

Le sénateur Pratte : J’ai une question à poser à nos trois témoins.

[Français]

D’abord, monsieur Renaud, j’aimerais vous féliciter pour le travail de prévention et d’éducation qu’effectue la fédération. Comme j’ai moi-même suivi un de ces cours, je peux témoigner qu’ils sont très bien faits et très bien organisés.

[Traduction]

Vous avez tous trois dit craindre que le projet de loi n’introduise indirectement une nouvelle forme de registre des armes d’épaule. J’aimerais que vous précisiez d’où vient cette idée. Premièrement, il est clair dans le projet de loi que :

... la présente loi ne permet ni n’exige l’enregistrement des armes à feu sans restriction.

C’est écrit noir sur blanc dans la loi. Il s’agit d’un amendement qui a été adopté à l’unanimité au comité de la Chambre des communes.

Deuxièmement, le système pour vérifier la validité du numéro de permis de possession n’est lié à aucune description de l’arme à feu. Le projet de loi ne prévoit rien à cet égard. Il n’y a aucun moyen de lier les deux.

S’il n’y a pas d’obligation d’enregistrement et si les propriétaires ne sont pas tenus d’avoir un permis ou une preuve d’enregistrement, d’où vient l’idée qu’on cherche à imposer indirectement un nouveau registre?

M. Ingeveld : J’ai lu dans le projet de loi qu’il y aurait un directeur de l’enregistrement desarmes à feu. Je ne vois pas pourquoi il faut recourir à un directeur de l’enregistrement s’il n’y a pas de registre.

Le sénateur Pratte : Avec tout le respect que je vous dois, monsieur, je précise que le poste de directeur de l’enregistrement existe déjà et qu’il est occupé par le contrôleur des armes à feu.

M. Orb : Je dirais que certains de nos membres pensent qu’il pourrait s’agir d’une nouvelle forme de registre des armes d’épaule. Nous savons d’ailleurs que certains vendeurs font déjà un suivi. Nous ne sommes pas en faveur d’une telle pratique. On ne devrait pas créer un nouveau registre des armes à feu alors qu’il n’y a pas si longtemps, le gouvernement a éliminé celui qui existait.

Chaque fois que le gouvernement obtient de l’information, il peut la conserver et l’utiliser ultérieurement. Voilà l’une de nos craintes. Si vous affirmez que le projet de loi garantit que cela ne se produira pas, nous veillerons à ce que le gouvernement tienne parole. Nous voulons avoir l’assurance que cela ne se produira pas.

[Français]

M. Renaud : Ce qui nous inquiète est la chose suivante. Comme vous le savez, au Québec, nous avons hérité d’un registre des armes à feu. Après qu’on a investi beaucoup d’argent à l’échelle fédérale et que le projet a été aboli, ce qui nous inquiète, c’est que beaucoup d’argent sera encore une fois investi au détriment de la population et sur le dos des chasseurs, en raison de certains contrôles ou de certaines modifications. Nous sommes d’avis que cet argent, plutôt que d’alourdir la bureaucratie relative à nos façons de faire, devrait viser à atteindre l’objectif désiré avec l’adoption du projet de loi, soit la sécurité. Cela concerne donc le milieu criminalisé et, en ce moment, on ne voit pas cela nulle part.

Aussi, comme les deux autres témoins l’ont dit, notre crainte est de voir réapparaître un registre qui a coûté des sommes d’argent faramineuses et qui n’a pas lieu d’être. Encore là, le registre est-il vraiment supprimé des données? Au Québec, les données circulent. Pour les autres provinces, cela a-t-il vraiment été supprimé? Nous avons un doute à ce sujet.

Le sénateur Pratte : Je comprends que vous ayez des craintes, mais, selon moi, le projet de loi est très clair; si ces craintes sont légitimes, elles ne sont pas justifiées par le texte du projet de loi.

[Traduction]

La présidente : Je rappelle aux sénateurs qu’il reste environ 12 minutes et que cinq sénateurs souhaitent poser des questions.

[Français]

Le sénateur McIntyre : Ma question s’adresse à M. Renaud. Notre étude porte aujourd’hui sur le resserrement du contrôle des armes à feu à autorisation restreinte et prohibée. J’aimerais vous entendre au sujet du redressement du contrôle de cette catégorie d’armes à feu. À votre connaissance, le resserrement du contrôle en ce qui a trait à la qualification du transport et de l’utilisation de cette catégorie d’armes est-il assez sévère et strict? Si oui, pourquoi?

M. Renaud : Premièrement, nous prétendons que oui, il est assez strict. Peu d’utilisateurs, selon le projet de loi, vont à différents endroits; si vous consultez le document de l’OFAH, qui a bien élaboré sur ce sujet, vous serez en mesure de bien comprendre la question.

[Traduction]

Le sénateur McIntyre : Ma prochaine question s’adresse aux trois témoins. Comme vous le savez, les articles 34 et 35 du Code criminel portent respectivement sur la défense de la personne et sur la défense des biens. Pour établir si un acte commis dans certaines circonstances est raisonnable, le tribunal doit tenir compte de la situation de la personne, de celle des autres parties et de l’acte lui-même, et considérer notamment plusieurs autres facteurs.

En fin de compte, si je comprends bien, dans la plupart des cas, le tribunal évalue le caractère raisonnable et la proportionnalité. Dans une certaine mesure, il est possible de défendre sa position mais, encore une fois, la conclusion dépend du caractère raisonnable et de la proportionnalité.

Êtes-vous satisfaits du libellé des dispositions de la loi ou préféreriez-vous qu’il soit plus précis, pour éviter toute confusion?

M. Ingeveld : En Alberta au cours des 12 derniers mois, il y a eu deux cas où des individus se sont présentés chez des gens avec des armes illégales modifiées. Dans les deux cas, les propriétaires attaqués ont cru que leur vie était en danger. Ils ont tiré sur les intrus et en ont blessé deux.

On a invoqué le principe de force raisonnable lors du procès. Dans le premier cas, on a estimé que la victime avait employé une force déraisonnable parce que l’assaillant n’avait pas ouvert le feu. Je ne suis pas avocat. Je présente peut-être les choses de façon maladroite. Quoi qu’il en soit, comme la personne attaquée avait la possibilité de s’enfuir au lieu de résister, c’est ce qu’elle aurait dû faire. Dans le second cas, le tribunal a conclu que la victime n’avait pas vraiment l’intention de tirer sur l’assaillant, mais que la balle du coup de semonce avait fait ricochet.

Dans les deux cas, les victimes avaient peu de possibilités de se défendre. Or, ce genre d’interprétation n’est pas vraiment en faveur des propriétaires attaqués.

Le sénateur McIntyre : Quelqu’un aimerait-il faire des commentaires?

M. Orb : Dans le Code criminel, on connaît un peu les dispositions sur la légitime défense. On sait qu’il y est question de force raisonnable. Dans plusieurs cas survenus en Saskatchewan, les assaillants étaient armés et prêts à tirer. Dans quelques cas, les propriétaires attaqués ont répliqué et ouvert le feu pour tenter de protéger leur famille.

Cela pourrait avoir eu lieu à l’intérieur ou à l’extérieur d’une propriété. Lorsqu’un propriétaire doit se défendre, pour moi, cela signifie qu’il ne peut aller nulle part et tente de protéger sa famille. L’utilisation d’une arme à feu est un dernier recours. Une personne assaillie ne devrait utiliser une arme que si elle craint pour sa vie ou pour celle des membres de sa famille.

Les membres de notre association nous ont demandé si les dispositions pertinentes du Code criminel pourraient être modifiées, mais ni le gouvernement fédéral ni le ministre provincial de la Justice n’envisagent de tels changements. Il est très important que les gens comprennent et nous avons tenté de les informer à cet égard.

La sénatrice Griffin : J’avais deux questions, mais le sénateur Dagenais en a déjà posé une. Ma seconde question s’adresse au premier témoin, M. Renaud.

Vous avez fait mention du registre national des armes à feu et exprimé la crainte qu’il ne soit rouvert. Lorsqu’il était en place, le registre national des armes à feu a-t-il eu une incidence sur le taux de criminalité? Êtes-vous au courant? Le registre a-t-il eu une influence sur la criminalité?

[Français]

M. Renaud : Malheureusement, je n’ai pas ces données. Par contre, selon nous, le registre n’a pas contribué à faire diminuer le taux de criminalité.

Au fil des années, on constate que la sensibilisation au port des armes à feu contribue tranquillement, même sans registre fédéral des armes à feu, à faire diminuer le taux de criminalité.

[Traduction]

La sénatrice Griffin : Voilà qui répond à ma question. De toute évidence, la différence a été négligeable en comparaison avec d’autres facteurs comme la formation. C’est d’ailleurs ce que confirme le témoin de l’Alberta qui soutient que les ressources allouées à la formation des propriétaires et futurs propriétaires d’armes à feu semblent extrêmement importantes. Merci.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Merci beaucoup à nos invités. Tout d’abord, monsieur Renaud, merci de votre témoignage. Je vous félicite pour le travail de sensibilisation que vous faites auprès des chasseurs, des pêcheurs et des trappeurs du Québec, entre autres.

Avez-vous été consulté par le ministère en ce qui concerne ce projet de loi?

M. Renaud : Pas en tant que tel, mais la fédération de l’Ontario, qui est le porte-étendard des autres fédérations, a été consultée directement et nous avons appuyé sa démarche.

Le sénateur Boisvenu : Avez-vous manifesté votre opposition au projet de loi, en partie ou en totalité?

M. Renaud : Comme je vous l’ai dit d’entrée de jeu, nous sommes contre le projet de loi C-71. Si ce projet de loi voit le jour, nous recommandons que certaines modifications soient apportées pour assurer, sans qu’il fasse l’objet d’un allégement, une meilleure compréhension et une meilleure accessibilité.

Le sénateur Boisvenu : Les modifications recommandées ont-elles été transmises au ministère lors de la consultation?

M. Renaud : Je ne pourrais pas vous répondre.

Le sénateur Boisvenu : En ce qui concerne les antécédents des chasseurs, vous parlez sans doute des antécédents en matière de santé mentale ou de violence conjugale?

M. Renaud : Dans le cadre du projet de loi, il faudra que le vendeur ou l’acquéreur s’assure de la vérification des antécédents. On détermine par quels moyens il pourra assurer la vérification de la carte de permis de possession. C’est simple, mais il faut aller plus loin. Il incombe au vendeur d’assumer cette responsabilité.

Le sénateur Boisvenu : Vous dites qu’il faudrait préciser ces vérifications. Pouvez-vous expliquer quel genre de précisions devraient être apportées dans le projet de loi?

M. Renaud : C’est à vous de nous le dire. Il n’y a rien de défini et on veut savoir comment faire. À ce moment-là, on pourra participer, au besoin, à des consultations pour établir un processus ensemble. On ne connaît pas le processus. Il n’est pas défini. On souhaite qu’il soit clair avant l’adoption du projet de loi, pour éviter que ce soit n’importe quoi.

Le sénateur Boisvenu : Merci beaucoup.

[Traduction]

Le sénateur Oh : On a déjà répondu à la plupart des questions que j’avais. Néanmoins, j’estime que le projet de loi C-71 cible trop les propriétaires légitimes d’armes à feu, notamment les chasseurs et les détenteurs de permis de port d’armes en bonne et due forme.

À mon avis, le projet de loi C-71 devrait tenir davantage compte de l’utilisateur de l’arme à feu. Ce n’est pas l’arme elle-même qui tire sur les gens. Lorsque j’ai vu des extraits de vidéo en fin de semaine, les cartouches ont été chargées trois ou quatre fois.

Cette mesure législative devrait envisager des sanctions plus sévères pour les individus qui utilisent une arme à feu pour commettre des crimes. Pourriez-vous nous faire part de vos observations à cet égard?

M. Ingeveld : Je n’ai pas vraiment d’opinion à exprimer en ce qui concerne les sanctions. Néanmoins, j’estime qu’il faut chercher la cause profonde du problème et s’employer à l’éliminer. On sait qu’une grande partie du problème est liée à la toxicomanie qui nécessite beaucoup d’argent. J’imagine que ce problème est entre autres lié au ralentissement économique. Cependant, dans les régions rurales, la plupart des individus appréhendés pour de tels crimes ont un problème de toxicomanie et le style de vie qui y est lié. Nous pourrions nous attaquer aux causes profondes du problème et faire de la prévention.

Je demande encore une fois comment il se fait que les individus appréhendés en sont souvent à leur troisième, quatrième, cinquième, voire quinzième infraction. À un certain moment, disons par exemple entre la douzième et la quatorzième infraction, on pourrait peut-être intervenir pour aider les individus concernés à changer de style de vie. Au lieu d’imposer des sanctions plus sévères, on devrait plutôt diriger les efforts vers des mesures préventives. Mieux vaut prévenir que guérir.

La présidente : Monsieur Renaud ou monsieur Orb, aimeriez-vous ajouter quelque chose?

M. Renaud : Non.

M. Orb : Nous estimons qu’il devrait y avoir davantage de mesures dissuasives. Le témoin de l’Alberta a raison de dire que bon nombre des délinquants ont commis de nombreuses infractions et qu’ils ne sont pas suffisamment punis.

Toutefois, nous avons adopté une approche différente. Nous nous efforçons d’exercer une meilleure surveillance des ranchs et des fermes, de suivre et d’échanger de l’information avec la GRC pour dissuader les criminels et de prévenir les infractions dans de nombreux cas. Nous croyons qu’un financement du gouvernement fédéral aux provinces serait plus utile pour lutter contre la criminalité que toute autre mesure.

Le sénateur Richards : Je viens d’une région rurale. Je possède des armes à feu. J’ai notamment une carabine de calibre .22 qui date de 1913. Je chasse depuis que j’ai 14 ans. J’ai suivi un cours lorsque j’étais enfant. Il y a quatre mois, lorsqu’un accro à la méthamphétamine est entré par effraction chez moi, le recours à une arme à feu est la dernière chose à laquelle j’aurais pensé. J’ai empoigné l’individu et je l’ai mis à la porte. Je n’ai même pas pensé à utiliser une arme à feu. Je ne dis pas que d’autres auraient fait comme moi, je dis simplement que cette idée ne m’est jamais venue.

Ce projet de loi me pose problème parce que je crois qu’il s’agit d’un moyen bureaucratique subtil pour faire du profilage des Canadiens des régions rurales. Voilà ce que je pense de cette mesure. Jusqu’ici, les arguments avancés ne m’ont pas convaincu. Pourriez-vous brièvement nous faire part de vos observations à ce sujet?

M. Ingeveld : Certainement. Je suis vraiment extrêmement fier de vivre en région rurale. Je suis également très fier de mes origines. Mon grand-père est venu au Canada avec l’intention de s’établir à la campagne. C’est dans ce cadre que j’ai toujours vécu.

Si certains veulent me mettre une étiquette, bien à eux. Personnellement, je suis très heureux de ce que je suis. Si certains prétendent que les femmes des régions rurales vivent dans la peur, je les invite à rencontrer mon épouse et quelques-unes des femmes de notre entourage. Ces femmes sont solides; elles sont le sel de la terre. En général, elles s’intéressent peu à la bureaucratie. Elles sont davantage pratiques et privilégient l’action. Comme mon épouse est native de la Saskatchewan, cela contribue probablement dans une large mesure à cette attitude.

Je ne pense pas que quiconque cherche intentionnellement à rabaisser les résidants de la campagne. Certains ont peut-être ce sentiment, mais les Canadiens des régions rurales sont très fiers de ce qu’ils sont.

Le sénateur Richards : J’abonde dans le même sens en fait. Je suis moi aussi fier de vivre en région rurale. Cependant, j’ai parfois l’impression que la bureaucratie va trop loin en ce qui concerne les régions. Voilà ce que j’essaie de dire.

La présidente : Je remercie les témoins de leur présence. Nous apprécions vraiment le temps qu’ils nous ont consacré et leur contribution aux travaux du comité.

Comme deuxième groupe de témoins, nous accueillons Lise Martin, directrice générale, Hébergement femmes Canada; à titre personnel, Brian Mishara, professeur, département de psychologie, Université du Québec à Montréal; et Amanda Dale, directrice générale, Barbra Schlifer Commemorative Clinic.

Amanda Dale, directrice générale, Barbra Schlifer Commemorative Clinic : Notre clinique, située à Toronto, est le seul établissement au Canada qui soutient les victimes de violence fondée sur le sexe, notamment en fournissant des conseils juridiques et des services de traduction simultanée. L’année dernière, la clinique est venue en aide à environ 9 000 femmes.

Les témoins précédents ont parlé de l’importance des racines rurales. Je signale aux membres du comité que, dans mon enfance, nous avions une ferme et que mon père avait l’habitude de tirer sur les marmottes à partir de la porte d’entrée. Je connais l’utilisation des armes à feu en milieu rural. Je suis venue exhorter le comité à adopter des mesures modestes pour rétablir un équilibre en ce qui concerne l’approche à l’égard d’outils qui ont pour seul but de tuer — les armes à feu — et le droit à la protection de la vie privée.

Je rappelle au comité que la mesure législative à l’étude contient dès le départ une disposition d’application générale permettant ou exigeant, au titre de la loi, l’établissement d’un registre. Le projet de loi comporte deux courts articles d’une importance cruciale qui élargissent les critères concernant la délivrance de permis — ce dont je parlerai brièvement — alors que trois pages entières portent sur le maintien des droits acquis dans le cas des propriétaires actuels d’armes à feu et précisent ces droits qui sont fondés sur la possession, non sur un permis.

À la lecture du projet de loi, on constate la suppression de la période de cinq ans qui s’applique à la prise en compte de certains critères d’admissibilité pour la délivrance d’un permis. De plus, toute forme de violence contre une personne doit être considérée comme un critère d’interdiction et d’exclusion à l’obtention d’un permis. Enfin, en cas de transfert d’une arme à feu sans restriction, le directeur de l’enregistrement des armes à feu vérifiera le permis du cessionnaire.

Dans l’ensemble, le projet de loi privilégie clairement les droits des propriétaires d’armes à feu plutôt que les droits de la personne ou une approche féministe, par exemple. Il s’agit néanmoins d’une mesure importante pour rétablir certains contrôles élémentaires pour que les personnes les plus pénalisées par l’utilisation des armes à feu dont le propriétaire est titulaire d’un permis — les femmes et les personnes ayant des problèmes de santé mentale — disposent de certains moyens de protection.

Je laisse aux membres du comité le temps de poser des questions pour approfondir le sujet. Merci.

Lise Martin, directrice générale, Hébergement femmes Canada : Hébergement femmes Canada est un réseau national sans but lucratif qui représente les refuges et les maisons de transition pour les femmes victimes de violence.

Selon l’Observatoire canadien du féminicide, 148 femmes ont été tuées au Canada en 2018. Ce sont les armes à feu qui sont le plus couramment utilisées pour tuer les femmes et les jeunes filles. Par surcroît, on sait que dans la plupart des cas de femmes abattues au moyen d’une arme à feu au Canada, ce sont des carabines et des fusils de chasse enregistrés en bonne et due forme qui ont été utilisés.

Le plus récent rapport de Statistique Canada sur les homicides, soit celui de 2017, révèle que l’augmentation à l’échelle nationale du nombre d’homicides commis avec une arme à feu était plus marquée dans les régions rurales. Cette augmentation est largement attribuable à la violence liée aux armes à feu dans les régions rurales des Prairies. Sur l’ensemble des provinces, c’est en Saskatchewan et au Manitoba que le niveau de violence contre un partenaire intime est le plus élevé.

En tant que réseau national, une partie de notre travail consiste à comprendre le contexte unique à chaque région où il y des refuges pour femmes victimes de violence, notamment les régions rurales, éloignées et du Nord. Nos conversations avec les responsables de ces refuges nous ont permis d’apprendre que dans les régions rurales, les femmes craignent davantage pour leur vie et leur sécurité dans les maisons où il y a des armes à feu que, souvent les armes ne sont pas entreposées ou mises sous clé comme il se doit et qu’elles nuisent à la capacité des femmes de demander de l’aide et de l’appui pour fuir la violence familiale.

Ces réalités ont été documentées dans le cadre d’une étude menée par le département de sociologie de l’Université du Nouveau-Brunswick. L’étude révèle que 25 p. 100 des femmes interrogées vivent dans un foyer où il y a des armes à feu — des armes d’épaule dans une proportion de 72 p. 100. Les deux tiers des femmes vivant dans une maison où il y a des armes à feu ont affirmé que la présence des armes leur faisait craindre davantage pour leur sécurité et leur bien-être. De plus, 70 p. 100 des répondantes ont déclaré que cette situation influençait leur décision de parler de la violence dont elles étaient victimes ou de demander de l’aide.

La mort et les blessures ne sont pas les seuls torts que les armes à feu causent aux Canadiennes. Dans les refuges albertains, on se souvient trop bien du drame d’un petit garçon qui sanglotait en disant « Papa va me tuer » et qui s’accrochait au cadre de la porte du refuge parce qu’il ne voulait pas suivre son père qui avait obtenu la permission du tribunal de faire une sortie avec lui. Le père a chargé l’arme à feu devant le petit Alex puis l’a ramené auprès de sa mère à la fin de la visite avant de tirer sur l’enfant, sur sa mère puis sur lui-même. La police avait reçu de nombreuses plaintes de la famille qui soutenait que le père avait des armes à feu en sa possession, mais aucune mesure n’avait été prise.

Ce drame s’est produit il y a déjà un certain temps, mais les employés du refuge où il s’est déroulé sont encore sous le choc. Combien de fois une telle tragédie doit-elle se reproduire au Canada avant qu’on agisse? Des centaines de femmes et d’enfants innocents sont tués.

Notre membre de l’Alberta, l’Alberta Council of Women’s Shelters, fait le suivi du pourcentage de femmes en présence de niveaux de danger graves ou extrêmes au moyen de son évaluation du danger. Celle-ci mesure le risque qu’une femme soit assassinée par son partenaire intime. Au cours des sept dernières années, ce pourcentage a augmenté de façon constante, passant de 54 p. 100 en 2011-2012 à 64,8 p. 100 en 2017-2018. Aujourd’hui, près des deux tiers des femmes de l’Alberta qui effectuent l’évaluation du danger font partie de cette catégorie. Cela signifie, entre autres, qu’un nombre croissant de femmes sont menacées avec une arme à feu ou étranglées.

Dans le cadre de l’enquête annuelle de l’organisme Hébergement femmes Canada, nous demandons aux refuges de fournir des données sur une période précise de 24 heures. L’une des questions est : « Selon vous, combien de femmes résidant actuellement au refuge ont été menacées avec une arme à feu? » Depuis le début de l’enquête il y a cinq ans, le nombre moyen de refuges ayant répondu à l’enquête est de 230, et le nombre moyen de femmes ayant été menacées avec une arme à feu ce jour-là dans le refuge est de 100. Le lien entre les armes à feu et la violence faite aux femmes est manifeste, tout comme le lien entre les armes à feu et le décès par arme à feu chez les victimes de violence conjugale.

C’est pour ces raisons que nous croyons fermement que le projet de loi C-71 constitue un premier pas important en vue de réduire la violence faite aux femmes et aux enfants victimes de féminicides au Canada. Pour réduire la violence faite aux femmes, il est essentiel de prévoir des dispositions rigoureuses en matière de délivrance de permis. Même si certains peuvent croire qu’une meilleure vérification des antécédents n’améliorera pas la sécurité publique, ce n’est pas ce qui a été observé dans les refuges partout au pays. En effet, selon les faits observés, il en est tout autrement. La violence et le crime antérieurs sont de bons prédicteurs de la violence future. L’amélioration des vérifications des antécédents nécessaires à l’obtention d’un permis est une méthode bien acceptée pour réduire la criminalité liée aux armes à feu.

La question de la violence faite aux femmes est complexe, tout comme les mécanismes et les outils permettant de la réduire et d’y mettre fin. L’adoption du projet de loi C-71 constitue toutefois une étape importante. La prévention et la réduction du taux de violence faite aux femmes seront possibles uniquement en mettant en œuvre des changements progressifs, et l’adoption du projet de loi C-71 en fait partie.

Enfin, nous appuyons les recommandations de la Coalition pour le contrôle des armes à ce comité, qui demande le rétablissement de règles strictes relativement au transport des armes à feu et le renforcement du paragraphe autorisant les titulaires de permis à transporter leur arme à l’intérieur de leur province. Je vous remercie.

Brian Mishara, professeur, département de psychologie, Université du Québec à Montréal, à titre personnel : Je suis professeur de psychologie, chercheur et directeur du Centre de recherche et d’intervention sur le suicide, enjeux éthiques et pratiques de fin de vie et ancien président de l’Association canadienne pour la prévention du suicide et de l’Association internationale pour la prévention du suicide. Je travaille actuellement avec l’Organisation mondiale de la Santé à l’élaboration de recommandations pour des pratiques fondées sur des données probantes en matière de prévention du suicide.

Environ 77 p. 100 des décès par arme à feu sont des suicides. Les armes à feu sont utilisées dans 16 p. 100 des décès par suicide au Canada. Dans le domaine de la prévention du suicide, il existe de nombreuses questions controversées. Une question qui ne l’est pas — à un point tel qu’elle a été l’une des principales recommandations que l’Organisation mondiale de la Santé a formulées en 2014 pour les pays du monde entier — est le fait que de restreindre, de retarder ou de rendre plus difficile l’accès à des moyens de se suicider, même pour de courtes périodes, permet de prévenir efficacement les décès par suicide.

Il existe beaucoup de recherches sur différents moyens, y compris l’installation de clôtures ou de barrières sur les ponts ou les soi-disant points chauds, le contrôle de la quantité de choses comme le Tylenol disponible dans les emballages en vente, et l’installation de barrières dans le métro.

Il est vrai que, lorsque certaines personnes n’ont pas un accès immédiat à un moyen, elles utiliseront un autre moyen. Cependant, au moins 28 p. 100 des personnes en crise suicidaire n’ayant pas un accès immédiat ou dans un certain délai à un moyen qu’elles préfèrent ne se tournent pas vers un autre moyen pour se suicider.

Pourquoi en est-il ainsi? C’est parce que les suicides se produisent dans une situation de crise. L’idée de se tuer germe souvent en quelques minutes ou quelques heures, et la moitié du temps, en 10 minutes entre la première pensée suicidaire et l’acte. De plus, s’il y a substitution, une arme à feu est une méthode très meurtrière. Environ 83 p. 100 des personnes suicidaires qui les utilisent meurent, par rapport à 61 p. 100 pour celles ayant recours à la pendaison et à seulement 28 p. 100 ou moins pour celles qui s’empoisonnent.

Une des caractéristiques du suicide est l’ambivalence. La décision de se tuer n’est pas noir ou blanc. Il y a toujours beaucoup d’ambivalence. Pour chaque décès par suicide, il y a eu entre 25 et 100 tentatives de suicide. La raison pour laquelle il y a eu tant de tentatives pour chaque décès est que la grande majorité des personnes suicidaires changent d’avis après avoir fait une tentative. Évidemment, si la méthode employée est de se tirer une balle, les chances que la personne change d’idée et qu’elle obtienne de l’aide médicale sont beaucoup moins grandes que si elle avait choisi d’ingérer des pilules ou de s’infliger des coupures.

Il existe beaucoup de recherches. Si vous regardez aux États-Unis, les États américains qui ont des lois plus restrictives ont moins de suicides et moins de suicides par arme à feu. Lorsque le Royaume-Uni a adopté un projet de loi visant à restreindre l’accès aux armes à feu, le taux de suicide par arme à feu et le taux global de suicide ont diminué proportionnellement. Des recherches similaires ont été menées en Nouvelle-Zélande, en Norvège, en Suisse et en Autriche.

Une période d’attente, des vérifications des antécédents de chaque propriétaire, des sûretés d’arme à feu et des règlements sur le port d’arme ont contribué à réduire le nombre de suicides. Un nombre considérable d’études examinées par Anestis en 2017 ne montrent aucun signe d’augmentation des autres méthodes de suicide.

S’il y a une arme à feu dans une maison, il y a au moins six fois plus de risques qu’une personne s’y suicide. Ce n’est pas parce que les personnes ayant des armes à feu souffrent davantage de troubles psychiatriques comme la dépression ou la toxicomanie. Aux États-Unis, certains États ont adopté des lois plus restrictives. D’autres ont modifié leurs lois pour les rendre moins restrictives. Par exemple, le Connecticut a adopté des lois plus restrictives et a vu son taux de suicide global et son taux de suicide par arme à feu diminuer de 15,4 p. 100. Immédiatement après que le Missouri ait abrogé sa loi sur les armes à feu, le taux de suicide a augmenté de 16,1 p. 100.

Tout ce que vous pouvez faire afin de restreindre, de retarder ou de rendre plus difficile l’accès aux armes à feu pour les personnes vulnérables et suicidaires sauvera certainement des vies.

La présidente : Je rappelle aux membres que le ministre arrivera à 13 heures pile.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Ma première question s’adresse à Mme Martin. À l’heure actuelle, un propriétaire d’arme à feu détenteur d’un permis peut transporter son arme à autorisation restreinte pour faire des activités énoncées clairement dans la loi. Par exemple, il peut l’emmener sur un champ de tir, chez un armurier ou dans une exposition d’armes à feu; il doit également s’assurer que l’arme à feu n’est pas chargée et qu’elle est scellée à double tour. Pouvez-vous nous dire ce que le fait de restreindre les déplacements va changer en ce qui a trait à la sécurité que le projet de loi C-71 veut rehausser dans le but de diminuer les crimes violents dont sont victimes les femmes?

Mme Martin : Comme vous dites, c’est une question de restrictions. Lorsqu’on peut déplacer une arme à feu plus facilement, les risques qu’elle se retrouve entre de mauvaises mains sont plus élevés. Également, le déplacement des armes à feu d’une province à l’autre entre en ligne de compte.

Le sénateur Dagenais : D’accord. Ma seconde question s’adresse à M. Mishara. Selon vos connaissances, dans quelle mesure le fait d’étirer au-delà de cinq ans la vérification des antécédents de demandeurs de permis aura-t-il une incidence sur le nombre de suicides? Aussi, le gouvernement actuel veut limiter l’accès aux armes à feu alors qu’il vient de permettre le commerce de la marijuana; pouvez-vous nous dire dans quelle mesure la drogue joue un rôle chez ceux qui vont utiliser les armes enregistrées pour commettre un suicide?

M. Mishara : Je présume que, quand on parle de violence contre n’importe quelle personne dans le projet de loi, on inclut soi-même. La meilleure manière de prédire une tentative de suicide est une tentative précédente. Donc, si on fait une vérification sur une tentative de suicide précédente dans le cadre de l’évaluation du dossier d’une personne, je crois qu’on peut prévenir le risque de décès par suicide.

En ce qui a trait à la drogue, je dirais que c’est plus souvent l’alcool qui joue un rôle au moment d’une tentative de suicide. Dans 50 p. 100 des cas de décès par suicide au Canada, on retrouve de l’alcool dans le sang de la personne. La restriction de l’accès aux moyens est efficace et est très souvent liée au fait que la tentative de suicide a lieu dans une situation de crise où quelque chose d’épouvantable est arrivé à une personne qui était déjà à risque.

On ne prend pas de bonnes décisions sous l’effet de l’alcool. À cet égard, si l’accès à une arme à feu est facilité, la probabilité qu’une personne meure augmente. Lorsque les effets de l’alcool s’estompent, le recul face à l’élément déclencheur se fait plus aisément et le risque de passer à l’acte diminue.

La marijuana n’est pas directement associée aux risques suicidaires, même si certaines personnes rapportent des histoires et des cas.

Le sénateur Dagenais : Merci.

[Traduction]

La sénatrice Jaffer : Je vous remercie de vos exposés aujourd’hui.

Les données les plus récentes de Statistique Canada montrent que le nombre total de femmes victimes ayant signalé à la police un incident violent impliquant un partenaire intime et lié à une arme à feu a augmenté de façon constante de 2009 à 2017. Le taux d’homicides familiaux est huit fois plus élevé chez les femmes autochtones. Près d’une victime d’homicide familial sur cinq est décédée à la suite d’une fusillade. On parle d’environ 24 p. 100.

Pouvez-vous nous expliquer comment l’initiative de ce projet de loi abordera les questions de la violence conjugale? Diriez-vous que le contrôle des armes à feu est vraiment une question de genre?

Mme Dale : Oui, le contrôle des armes à feu est une question relative au sexe parce que, comme ma collègue l’a dit, la plupart des armes à feu qui sont utilisées pour tuer des femmes sont enregistrées. Le nombre de décès liés aux armes à feu est à la hausse. L’accès aux armes à feu est moins restreint depuis l’abrogation du registre des armes à feu.

Le projet de loi propose deux améliorations. Tout d’abord, il prolongera la période de temps accordée aux vérifications des antécédents de sorte que des incidents de violence conjugale ne passent pas inaperçus parce qu’il n’y a pas eu de signalement depuis un moment, ou parce que l’un des deux conjoints a quitté la situation familiale. Selon toutes les données que nous avons recueillies des comités provinciaux d’examen des homicides en contexte de violence familiale, la période qui suit le départ de l’un des deux conjoints est la plus mortelle pour les femmes. Le fait de prolonger ce délai est essentiel pour bien comprendre l’écart entre les hommes et les femmes en matière d’utilisation des armes à feu.

Ensuite, le projet de loi permettra la tenue d’un registre d’achat des armes à feu, quoique les données seront protégées tant que les services policiers ne présentent pas un mandat pour les consulter dans le cadre d’une enquête criminelle. Les policiers auront à tout le moins cet outil à leur disposition pour retrouver une arme à feu.

À l’heure actuelle, les normes relatives aux armes à feu sont moins rigoureuses que celles qui s’appliquent si l’on tente, par exemple, de retrouver un véhicule à la suite d’un homicide commis au volant d’un véhicule automobile. Toutes les personnes qui ont une voiture doivent la faire immatriculer. Les services policiers sont ainsi en mesure de retrouver le propriétaire de la voiture.

À l’heure actuelle, nous n’avons aucun moyen de lier le propriétaire d’une arme à feu à ladite arme à feu. Nos normes sont actuellement moins élevées que celles aux États-Unis.

En fait, ce que nous proposons se rapproche un peu plus d’une norme qui est toujours inférieure à celle des États-Unis. Dans la majorité des États, les policiers sont en mesure d’ordonner la production de ces données lorsqu’ils commencent une enquête. Ils n’ont pas besoin d’obtenir un mandat auprès d’un juge pour déterminer où l’arme à feu a été achetée. Grâce à la mesure législative dont il est question, les services policiers au Canada auront au moins la possibilité de demander un mandat pour déterminer à quel endroit une arme à feu a été achetée.

La sénatrice Jaffer : Puisque de nombreuses autres personnes veulent poser des questions, je vais m’arrêter ici.

La sénatrice McPhedran : Si c’est le cas, j’aimerais rectifier le compte rendu. Un témoin précédent a fait une déclaration au sujet de la contestation constitutionnelle déposée par la Barbra Schlifer Commemorative Clinic. En effet, si je ne m’abuse, madame Dale, vous êtes nommée dans ce cas.

Voici que nous avons actuellement au compte rendu au sujet de l’affaire qui est rejetée :

Le motif de ce rejet repose sur la décision du juge au procès, qui a conclu qu’il n’y avait aucun lien entre le registre des armes d’épaule, la mesure législative particulière qui a été abolie et les droits des personnes, comme le prévoit l’article 7 de la Charte, à la vie et à la liberté.[...] Les tribunaux ont déjà tranché la question, établissant qu’il n’y a aucun lien manifeste.

J’aimerais que vous nous disiez ce que vous pensez de cette déclaration.

Mme Dale : Il s’agit d’une mauvaise interprétation de la décision du juge. Bien que la décision du juge n’était pas en notre faveur, ce dernier a conclu qu’elle tranchait une question de droit très pointue, à savoir quel organe judiciaire du gouvernement est autorisé à déterminer quels genres de mesures législatives et de politiques doivent être élaborées et mises en œuvre.

Autrement dit, comme nos plaidoyers cherchaient à rétablir le registre des armes à feu, le juge a déterminé que le Parlement avait le droit de décider quelles mesures législatives allaient être adoptées. On ne pouvait pas imposer une mesure législative précise. Il s’agit d’un enjeu constitutionnel bien connu.

Nous savions que notre cas allait être difficile à faire valoir. Étant donné que la Loi sur l’abrogation des lois s’appliquait uniquement à un projet de loi, il s’est avéré difficile de réclamer d’autres protections sans invoquer les protections précises qui avaient déjà été mises en place. Le juge a donc conclu que nous avions outrepassé notre capacité à indiquer au Parlement de quelle façon il devrait recourir aux tribunaux, et il n’était pas prêt à se prononcer sur cette question.

Dans son très long jugement, que j’ai lu très attentivement, le juge a établi le lien entre le registre des armes à feu et une série de mesures de protection pour les femmes victimes de violence familiale. Comme ma collègue d’Hébergement femmes Canada l’a dit, les mesures de protection dont nous avons besoin pour veiller à ce que les femmes vivent à l’abri de la violence sont complexes et interdépendantes.

Il n’y a pas une seule chose que nous puissions faire qui soit la solution magique pour que les femmes vivent à l’abri de la violence. C’est l’une des nombreuses mesures qui ont été mises en place précisément pour protéger les femmes des armes à feu qui, le plus souvent, les tuent.

Le sénateur Gold : J’ai une question pour vous trois. Nous avons entendu du groupe précédent, et même avant, qu’il y a non seulement une différence entre l’expérience urbaine et l’expérience rurale, mais qu’en un sens, comme l’ont dit des critiques du projet de loi, ce dernier ne s’attaque pas au bon problème et que nous devrions nous concentrer davantage sur les criminels urbains qui viennent au pays, et ainsi de suite.

D’après les recherches et l’expérience, professeur Mishara et les autres, pourriez-vous nous parler de cette dichotomie apparente entre l’expérience urbaine et rurale et, de façon plus générale, quelle est votre opinion sur le problème de la violence par arme à feu dans les régions rurales et urbaines du Canada ?

M. Mishara : Je connais bien la situation au Québec et un peu moins dans le reste du Canada. Au Québec, les régions rurales ont des taux de suicide beaucoup plus élevés, la ville de Montréal et d’autres villes ayant les taux de suicide les plus bas. Les populations rurales sont particulièrement vulnérables.

Des recherches récentes ont montré que les agriculteurs constituent un groupe à risque particulièrement élevé dans lequel les taux de suicide augmentent alors qu’ils diminuent dans plusieurs autres groupes. Tout ce que nous pourrions faire pour nous assurer que les personnes vulnérables, celles qui ont des problèmes de santé mentale et qui ont déjà été suicidaires, aient moins accès ou un accès plus contrôlé ou même l’impression que l’accès est plus difficile... Il y a des recherches sur ce qu’on appelle l’accès cognitif, c’est-à-dire sur le fait que l’idée que ce sera peut-être difficile ait un effet positif sur la prévention du suicide.

Quand il s’agit de suicide, il est encore plus important d’envisager des mesures comme la restriction de l’accès aux armes à feu dans le Canada rural. Il s’agit d’un groupe particulièrement à risque élevé, et nous sommes de plus en plus préoccupés par la situation des agriculteurs au Canada.

Mme Dale : Ma réponse à votre question est que je suis souvent confrontée à l’hypothèse selon laquelle les armes à feu sont uniquement entre les mains de criminels et ne sont utilisées que par ces criminels pour commettre des méfaits. C’est peut-être le cas des types d’armes à feu et des formes de violence qui menacent les hommes. Les hommes sont plus susceptibles de mourir par les balles d’armes à feu actuellement à autorisation restreinte. Les restrictions qui ont été levées sur les armes à feu qui tuent le plus souvent des femmes montrent une tendance différente. Il y a une différence dans la façon dont les armes à feu sont utilisées pour tuer des femmes.

C’est pareil pour le suicide. Le problème est la présence d’une arme à feu dans une situation d’escalade de la violence familiale. Ce n’est pas que les gens qui possèdent des fusils de chasse sont en eux-mêmes de mauvaises personnes. Le fait est que ces armes à feu sont utilisées plus souvent dans les situations de violence familiale en milieu rural. Les taux de violence sont plus élevés dans les régions rurales, en partie parce qu’une arme à feu est disponible lors d’une escalade de la violence familiale. C’est un outil mortel. Ça vous tue rapidement. Si vous l’avez sous la main lorsqu’une situation tourne au vinaigre, il est plus probable qu’elle entraîne un homicide, comme mon collègue l’a mentionné dans le cas du suicide.

Encore une fois, il s’agit d’un cycle de violence qui s’intensifie avec le temps. L’escalade de cette violence lorsqu’elle se produit en présence d’une arme à feu est donc mortelle. Les gens ne sont pas des criminels jusqu’au moment où ils tirent avec l’arme. Quand ils tirent avec cette arme pour tuer quelqu’un, c’est là qu’ils deviennent des criminels. S’agissant de la violence faite aux femmes, nous ne tentons pas d’établir des tendances criminelles, mais des tendances concernant la violence domestique.

Le sénateur Richards : J’aimerais que cela arrête effectivement le féminicide, mais je ne sais simplement pas si cela arrivera. Je l’ai déjà mentionné et je le répète. Je connais huit femmes qui ont été assassinées. Aucune d’entre elle n’a été tuée avec une arme à feu.

Le taux d’homicides est sept fois plus élevé chez les femmes autochtones, mais, sur le plan constitutionnel, les Premières Nations ont des droits de chasse qui priment sur les mesures législatives sur les armes à feu.

Je me demande comment cela fonctionnera à grande échelle. J’aimerais que ça marche. Vous avez mentionné que, lorsqu’une personne tire avec une arme à feu, elle devient un criminel. Lorsqu’une personne menace quelqu’un avec une arme à feu, elle devient un criminel. C’est là que réside la différence, à mon avis.

J’aimerais simplement que quelqu’un commente l’idée qu’une femme ne mourrait pas s’il n’y avait pas d’arme à feu. J’aimerais que ce soit vrai. Je n’estime simplement pas que c’est le cas.

Mme Dale : Les femmes meurent plus vite et les taux d’homicides augmentent lorsqu’on utilise des armes à feu. Nous aimons dire qu’il peut y avoir la présence d’une autre arme dans le ménage, mais dans notre service, nous contrôlons 9 000 femmes par an. Notre principal contrôle porte sur la présence ou l’absence d’une arme à feu faisant l’objet d’un permis.

Ensuite, nous cherchons d’autres armes qui pourraient être présentes dans la maison. Il y a un couteau dans toutes les maisons. Les couteaux peuvent couper le pain. Ils peuvent être utilisés pour beaucoup de choses. L’arme à feu n’a qu’un seul but, et c’est de tuer.

Nous recherchons la présence d’une arme à feu à la première étape de contrôle lorsqu’une femme s’adresse à nous. La raison en est que, si nous pouvons la garder en vie un jour de plus, nous pouvons l’aider à concevoir un plan pour que les autres armes ne puissent pas être utilisées.

Le sénateur Richards : Vous avez un commentaire, madame Martin?

Mme Martin : Il est intéressant d’évoquer des histoires individuelles, mais ce n’est pas un problème individuel. Vous connaissez huit femmes qui ont malheureusement été assassinées sans arme à feu. Nous parlons ici de systèmes. Nous savons tous que de nombreuses femmes sont tuées sans arme à feu, mais il s’agit d’un changement progressif. Il faut bien commencer quelque part. Une seule vie, c’est déjà trop.

Le sénateur Richards : Je sais et je ne veux pas vous contredire. Je connais 11 femmes qui chassent aussi et qui ont des armes à feu dans leur maison. J’ai chassé des oiseaux et le chevreuil avec elles. Elles n’ont pas du tout peur des armes. Nous pouvons continuellement soulever ce genre de critères.

Comme je l’ai dit, ces huit femmes sont mortes par d’autres moyens. C’est tout ce que je voulais dire.

[Français]

Le sénateur Pratte : Professeur Mishara, vous avez parlé de certaines études en ce qui a trait au lien entre le suicide et la possession d’armes à feu dans un domicile, par exemple. Un précédent témoin, le Dr Langmann, a étudié le lien entre les lois sur le contrôle des armes et les suicides au Canada.

Je vous cite ce qu’il nous a dit :

[Traduction]

Le nombre de suicides par arme à feu au Canada est en baisse constante depuis les années 1980. Le suicide par d’autres moyens a connu une augmentation lente et constante. Une analyse récente que j’ai effectuée sur ces données ne révèle aucun changement significatif dans le déclin après l’adoption de la mesure législative dans les années 1990.

Le Dr Langmann semble dire que la législation sur le contrôle des armes à feu n’a aucun effet sur les suicides commis avec une arme à feu. Est-ce ce que vous concluez de la recherche à ce sujet ?

M. Mishara : D’autres articles ont été publiés. Par exemple, l’étude Leenaars, en 2007, a révélé une diminution très importante du nombre de décès par balle au Canada et une diminution proportionnelle du nombre total de décès par suicide à la suite de l’adoption du projet de loi C-51. Le chercheur a conclu qu’il y avait eu des réductions significatives dans plusieurs groupes d’âges, quoique pas tous les groupes d’âges.

L’un des problèmes que pose la recherche sur le suicide est que l’accès aux armes à feu n’est qu’un des nombreux facteurs qui influent sur les taux de suicide. Depuis 1999, au Québec, le taux de suicide a diminué chaque année dans tous les groupes d’âges. En 10 ans, ce taux a diminué de moitié chez les jeunes. Les résultats sont les mêmes pour tous les moyens employés. En 1999, le Québec a mis en place une stratégie de prévention du suicide qui est probablement à l’origine de ces résultats.

Nous traversons une période au Canada où, en général, le nombre de suicides diminue. Lorsque le nombre de suicides par un moyen donné diminue, mais que le nombre de suicides par d’autres moyens ne diminue pas dans la même proportion, on a l’impression que le nombre de suicides par les autres moyens augmente même si le nombre de décès est, dans les faits, le même.

Il faut tenir compte d’un grand nombre de facteurs différents, mais les répercussions sont évidentes partout où il y a eu un certain contrôle. Il y a quelques exceptions. Lorsque l’Autriche s’est doté d’une loi stricte en matière de contrôle des armes à feu, on n’a pas observé de répercussions immédiates sur les taux de suicide. Cependant, au cours de la même période, le pays a traversé une récession économique phénoménale. Dès que la récession a pris fin, les répercussions sur les décès par arme à feu ont de nouveau diminué. L’interprétation donnée est que d’autres facteurs ont compensé.

Il existe suffisamment de preuves que restreindre l’accès à n’importe quel moyen fonctionne. En Angleterre et dans toute l’Europe maintenant, on limite le nombre de capsules de Tylenol dans les maisons. Le fait d’obtenir une plaquette alvéolée de 12 capsules, au lieu de 150 de Costco, sauve des vies parce que, lorsque les gens en crise décident de prendre un médicament, ils trouvent des médicaments moins mortels. Je mentionne cela parce que le Tylenol est la première cause de décès par empoisonnement. Il peut s’agir de choses aussi simples que cela.

Le sénateur Pratte : Docteure Dale, vous avez écrit l’an dernier une lettre d’opinion dans le Toronto Star dans laquelle vous disiez que la question avait trop longtemps été présentée comme un problème de gangs et d’armes à feu, opposant les élites urbaines aux propriétaires d’armes à feu respectueux des lois en région rurale. Vous avez préconisé un changement de paradigme. Voudriez-vous nous en dire plus?

Mme Dale : Les discussions ici aujourd’hui montrent bien que la plupart des Canadiens ont, d’une façon ou d’une autre, un lien avec les régions rurales. Il n’y a pas tant de degrés de séparation. Je suis à cheval sur ces deux mondes; j’ai grandi dans ces deux mondes.

Lorsqu’il s’agit d’élaborer une politique publique, les données probantes sont notre meilleur outil. Le discours qui polarise n’aide en rien à la prise de décisions éclairées. Je regarde les données et celles-ci m’indiquent que le taux de criminalité et de violence contre les femmes en particulier est plus élevé à l’extérieur des régions urbaines. Étant donné la densité de la population à Toronto, ma propre clinique enregistre des chiffres comme 9 000 femmes, ce qui, soit dit en passant, représente une hausse de 100 p. 100 sur les trois dernières années.

Le taux de violence envers les femmes n’est pas une affaire de gangs et d’armes à feu, même si les gangs et les armes à feu, par contre, tuent les hommes qui sont dans leur vie. Cette forme de violence a un énorme effet sur les femmes des régions urbaines. Les armes à feu employées pour assassiner les femmes ne sont pas les mêmes que celles qui sont utilisées pour tuer les hommes. Il y a encore du rattrapage à faire en ce qui concerne cette différence entre les sexes, tout comme il y en a à faire en ce qui touche la différence entre les sexes au niveau médical.

En ce qui concerne l’expérience des femmes avec lesquelles nous travaillons, je crains que les objectifs de certaines personnes qui vont au-delà de cette question et les arguments qu’elles avancent pour présenter un autre aspect des choses fassent perdre de vue la question essentielle. Celle-ci est simple et repose sur des données probantes. À présent, il faut que la politique publique en tienne compte.

La sénatrice Griffin : J’avais une question brillante à poser, mais la sénatrice Jaffer m’a devancée. J’aimerais tout de même poursuivre sur le sujet. J’allais vous demander de donner des précisions et vous avez précisé quels éléments du projet de loi pourraient changer les choses dans la lutte contre la violence conjugale ou la violence contre les femmes en général. Selon vous, ce projet de loi ne représente pas une grande progression au chapitre de la protection des femmes.

Je ne sais pas si vous avez déjà fait une demande de permis de possession d’armes à feu. Une des sections de la demande doit être signée par le conjoint de la personne qui fait la demande. Quand j’ai demandé mon permis, par exemple, mon mari a dû signer.

En gros, on dirait que vous pensez peut-être que cela ne change pas grand-chose.

Mme Dale : Je ne doute absolument pas que ce soit une mesure nécessaire. Je suis plutôt préoccupée par le fait qu’il subsiste de grandes faiblesses du côté de la possibilité de retracer la provenance de l’arme à feu et que cela nécessite à mon avis un encadrement judiciaire. La vérification des antécédents n’est pas infaillible, mais elle est nécessaire.

Si le contrôleur des armes à feu ne confirme pas les antécédents, on peut se trouver devant des cas où la signature a été fournie sous la contrainte. Dans une situation de violence conjugale, il pourrait y avoir eu contrainte. S’il n’y a pas de confirmation par la police locale, qui pourrait avoir été appelée pour des incidents de violence conjugale dans le ménage, il est vrai alors que le mécanisme n’est pas infaillible et qu’il pourrait y avoir des cas de contrainte.

La sénatrice Griffin : Je pense qu’on peut dire sans se tromper que le problème est multidimensionnel. Comme vous l’avez dit, ou quelqu’un d’autre l’a dit, il n’y a pas de solution miracle dans ce dossier. Il faudra probablement plusieurs mesures graduelles.

Le groupe de témoins précédent a soulevé de très bons points. Vous les avez peut-être entendus. Ils ont indiqué qu’il serait nécessaire que d’autres ressources soient prévues pour s’attaquer aux problèmes sociaux. Malheureusement, ce projet de loi a très peu d’incidence sur ces problèmes. Ses résultats seront moindres que ce qu’on avait prétendu au moment de sa présentation.

Mme Dale : J’ai un doctorat en droit. Mes études en droit m’ont appris une chose, à savoir que les lois représentent simplement la limite de ce qui est socialement acceptable. Pour le reste, c’est à nous d’y voir. Il faut adopter les politiques et prévoir les fonds publics nécessaires à l’application de ces lois.

Sans lois, nous n’avons rien. À l’heure actuelle, nous n’avons rien. En matière de contrôle des armes à feu, la norme canadienne est encore moins élevée que celle des États-Unis. Je ne dis pas cela pour attirer l’attention. Cette situation scandaleuse est une réalité. C’est un fait. La plupart des Canadiens seraient indignés de savoir cela.

Cette mesure nous donne une norme minimale qui nous rapproche du niveau de certains des pays occidentaux les plus avancés sans nous permettre de les rejoindre dans la plupart des cas. Si on regarde à l’international, partout en Europe, les contrôles sont plus poussés que ce que nous avons ici au Canada. Certains disent que cette mesure est une façon d’aller chercher plus de pouvoir dans ce domaine; ce n’est pas le cas. Les normes canadiennes sont très faibles. Nous nous rapprochons légèrement d’une norme minimale qui ressemble un peu plus à ce qu’on trouve dans les autres pays occidentaux industrialisés.

La sénatrice Griffin : Je ne dirais pas que nous n’avons rien à l’heure actuelle; nous avons quelque chose. La question est de savoir ce qu’est la norme.

Le sénateur Wells : Je suis conscient du travail que vous avez accompli dans vos domaines respectifs.

On propose dans ce projet de loi d’étendre la vérification des antécédents à toute la vie de la personne. C’est ce point que je veux aborder. Nous savons tous que les jeunes années ne permettent pas toujours de prédire l’avenir.

Mis à part la vérification des antécédents habituelle qui fait partie du processus normal, voyez-vous des lacunes dans cet aspect du projet de loi? Si oui, comment peut-on y remédier pour rendre le processus équitable pour tous les demandeurs?

M. Mishara : Je parlerais peut-être de la question des tentatives de suicide antérieures, de l’idée qu’une vérification des antécédents puisse révéler une telle tentative. En gros, au Canada, on sait que les personnes qui ont déjà tenté de se suicider, même si elles étaient plus jeunes lorsqu’elles l’ont fait, représentent le groupe le plus susceptible de tenter une nouvelle fois de se suicider.

Le risque est plus élevé, car la tentative de suicide n’est pas un acte que tout le monde est capable de commettre. Malgré une grande détresse, les gens n’iront pas jusqu’à s’enlever la vie. Si une personne a été capable de le faire une fois, cela indique qu’elle fait partie d’un sous-groupe de gens capables de cet acte.

À mes yeux, ce serait certainement un signal d’alarme en ce qui concerne la possession d’un moyen de s’enlever la vie. Même si cela s’est produit quand la personne était plus jeune, cela reste un facteur de risque statistiquement important, tout comme les problèmes de santé mentale graves dont la violence est un des éléments. De tels problèmes tôt dans la vie sont un indicateur d’un plus grand risque de violence plus tard lorsqu’un grave problème de santé mentale a été diagnostiqué et traité chez une personne.

J’ai la certitude, dans la mesure où nous le permettent les données scientifiques, que, si cette mesure législative empêche certaines de ces personnes d’avoir accès à des armes, des armes à feu, cela sauverait des vies.

Le sénateur Wells : Je n’en sais pas beaucoup sur la question du suicide, mais il n’y a pas que je sache de registre central des tentatives de suicide. Comment une vérification des antécédents, sur toute la vie en plus, permettrait-elle de détecter un tel acte?

M. Mishara : Je ne pourrais pas parler des détails pratiques. En Europe, quand une personne demande un permis de possession d’une arme à feu, une des questions qu’on pose dans plusieurs pays est : « Avez-vous déjà tenté de vous suicider? » Un nombre étonnant de personnes répondent par l’affirmative.

Si une personne essaie de cacher des choses sur son passé, elle ne sera sûrement pas honnête sur les questions de ce genre. J’espère que cela est compris dans les antécédents visés par l’expression « violence [...] contre lui-même ou autrui ». Pour moi, une tentative de suicide constitue de la violence contre soi-même. Si on demande de remplir honnêtement un document qu’il faut signer pour obtenir un permis de possession d’armes à feu, ou d’enregistrement ou quoi que ce soit d’autre, bien des gens vont faire preuve d’honnêteté.

Cela ne réglera pas le problème du suicide au Canada, mais, d’après ce qu’on a observé ailleurs, on sauvera des vies. Si cette vie est celle de votre fils, de votre fille, de votre époux ou de votre épouse, vous feriez n’importe quoi pour la sauver.

Mme Martin : Il en va de même en ce qui concerne la violence envers les femmes. Dans bien des cas, les données le démontrent, un agresseur commet des actes de violence contre plusieurs partenaires dans sa vie; la période de cinq ans est donc trop limitée. À mes yeux, sauver une vie est aussi important qu’en sauver des centaines.

Le sénateur Wells : Madame Martin, vous avez indiqué qu’il s’agissait du système. Vous avez raison. Dans ce système bureaucratique, on coche une case qui dit que la vérification des antécédents n’a rien révélé. C’est un point qui me préoccupe. Cela pourrait se produire à l’intérieur de la période de cinq ans ou être arrivé avant et on ne le saurait pas. C’est à ce genre de lacune qu’on voudrait remédier avec cette disposition.

Je crains qu’on ne remédie pas à cette lacune, qu’on coche simplement une case. Ce point est préoccupant, car on ne règle pas la question qu’on voudrait régler.

Mme Dale : Comme pour toute loi ou tout règlement, il est important de donner les bons outils aux responsables de l’application.

Les services de police diraient qu’ils ont besoin des ressources qui leur permettront d’effectuer les vérifications des antécédents correctement. Le CIPC, le Centre d’information de la police canadienne, aura des données sur toute urgence médicale liée à un suicide. Il devrait aussi avoir des renseignements sur tous les cas de violence conjugale signalés à la police. Si les services de police sont en mesure de faire les vérifications d’antécédents comme ils sont censés les faire, ils devraient pouvoir repérer ce genre d’incident antérieur.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Personnellement, je crois que si on veut réduire le taux de suicide, il faudrait éliminer complètement les armes à domicile, et je crois que c’est tout à fait irréaliste.

Monsieur Mishara, avez-vous pris connaissance de l’étude du Harvard Journal of Law and Public Policy qui remonte à 2007? Cette étude compare les taux de suicide en Europe. Par exemple, la Grèce a trois fois plus d’armes que sa voisine, la République tchèque. Pourtant, la République tchèque a un taux de suicide de 175 p. 100 plus élevé que la Grèce. La Suède, qui a deux fois plus d’armes à feu que sa voisine allemande, a un taux de suicide trois fois moins élevé. L’Espagne a 12 fois plus d’armes et elle a un taux de suicide 2 fois plus bas. Comparativement à l’Espagne, la Pologne a un taux de suicide deux fois supérieur. Cette étude révèle que les facteurs socioéconomiques sont beaucoup plus importants que la présence d’une arme à feu. Avez-vous pris connaissance de cette étude?

M. Mishara : Je suis au courant des différentes études qui ont évalué divers facteurs liés aux risques suicidaires. Il est curieux que vous ayez mentionné la Grèce, parce que ce pays avait, historiquement, un faible taux de suicide. Toutefois, il y a une augmentation incroyable des suicides en Grèce à la suite des problèmes économiques subis par ce pays, plus particulièrement les suicides par arme à feu.

Je ne dis pas que le fait de limiter l’accès aux armes à feu préviendra tous les cas de suicide, mais les recherches sont très claires.

Le sénateur Boisvenu : Nous sommes d’accord pour dire que le facteur prépondérant qui amène une personne à se suicider n’est pas la présence d’une arme à feu. Cela peut être un facteur. On peut se servir d’une arme à feu, mais les facteurs prépondérants sont bien davantage d’ordre sociologique que la présence d’une arme.

M. Mishara : Il y a toutes sortes de facteurs liés aux risques de suicide. Cependant, on ne peut pas se tuer si on n’a pas accès à un moyen. Comme je l’ai déjà mentionné, plus que la moitié des suicides ont lieu dans une situation de crise. Une personne est déjà à risque à cause de facteurs sociologiques et psychologiques, et de sa santé mentale. La grande majorité des personnes qui ont des problèmes financiers ou de santé mentale ne vont jamais se suicider, mais cela augmente le risque. Il faut un accès aux moyens. Par exemple, j’apprends que ma blonde m’a quitté pour quelqu’un d’autre. Je commence à boire et s’il y a une arme présente, j’ai nettement plus de risques de me suicider.

Le sénateur Boisvenu : Êtes-vous d’accord pour dire que, s’il n’y a pas d’arme à feu et s’il y a des facteurs très aggravants sur le plan sociologique et économique, une personne utilisera un autre moyen qu’une arme à feu pour se suicider?

M. Mishara : Les autres moyens ne sont pas aussi mortels. La plupart des personnes qui avalent des pilules changeront d’avis et composeront le 911, et leur vie sera sauvée. Elles ne vont pas mourir. Cependant, si elles utilisent une arme, elles n’ont pas l’occasion de changer d’avis. Si on utilise d’autres moyens qui sont moins mortels, il y a moins de risques de mourir.

Deuxièmement, en situation de crise, si on dispose d’un moyen à la maison qui nous convient, si on a une arme à feu, toutes les recherches montrent que les risques de suicide sont plus élevés. Si une personne a besoin —

[Traduction]

La présidente : Je dois vous dire que nous avons dépassé de beaucoup le temps alloué. Je vous remercie d’avoir essayé de répondre à la question. Je profite de l’occasion pour remercier tous les témoins de l’information très utile qu’ils nous ont donnée pendant cette heure. Je vous remercie de vous être déplacés pour nous faire part de vos points de vue relativement à ce projet de loi.

À présent, nous accueillons avec plaisir le ministre Ralph Goodale. Il est accompagné de Randall Koops, directeur général, Politiques en matière de police, Sécurité publique Canada; Kellie Paquette, directrice générale, Programme canadien des armes à feu, Gendarmerie royale du Canada; Robert Mackinnon, directeur, Direction de l’amélioration des activités relatives aux armes à feu, Gendarmerie royale du Canada; et Alexandra Budgell, chef d’équipe et avocate-conseil, ministère de la Justice Canada.

L’honorable Ralph Goodale, C.P., député, ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile : Si vous me le permettez, madame la présidente, j’aimerais prendre quelques instants pour parler de ce qui s’est passé en Nouvelle-Zélande la semaine dernière.

Une horrible attaque terroriste a été perpétrée vendredi dernier contre des fidèles innocents qui priaient dans deux mosquées de la Nouvelle-Zélande. Partout dans le monde, les gens sont en deuil. Si l’angoisse est particulièrement grande dans les communautés musulmanes, il reste que nous ressentons tous cette douleur. Cinquante personnes ont été tuées et de nombreuses autres ont été grièvement blessées. Nous tenons à exprimer notre solidarité envers nos alliés néo-zélandais et les communautés musulmanes de la Nouvelle-Zélande, d’ici, au Canada, et de partout dans le monde.

Cette terrible tragédie nous rappelle malheureusement l’attaque survenue à Sainte-Foy il y a un peu plus de deux ans, quand six citoyens canadiens innocents ont été tués alors qu’ils priaient dans une mosquée. La haine, l’islamophobie et la violence de l’extrémisme de la droite n’ont pas leur place dans notre société. Tout le monde devrait pouvoir pratiquer sa religion en paix, en sécurité et sans crainte.

La Nouvelle-Zélande est un des partenaires du Canada dans le Groupe des cinq de la sécurité et du renseignement, une alliance qui comprend également l’Australie, le Royaume-Uni et les États-Unis. Je me suis entretenu avec mon homologue néo-zélandais, le ministre de la Justice Andrew Little, afin de lui exprimer nos condoléances, notre solidarité et notre soutien. Il va sans dire que nous allons offrir à la Nouvelle-Zélande toute aide qu’elle pourrait nous demander.

Je vais rencontrer le ministre Little lors d’une assemblée des ministres du Groupe des cinq qui aura lieu cet été à Manchester. Nous estimons tous les deux que de solides discussions s’imposent sur toutes les sources de risques et de menaces pour notre façon de vivre civilisée, y compris les suprémacistes blancs, les néonazis et les extrémistes de droite qui commettent des actes de violence, de même que l’utilisation qu’ils font des plateformes des médias sociaux pour répandre la haine et favoriser le chaos.

Comme toujours, tous les services de police et les organismes de sécurité et de renseignement canadiens travaillent assidûment pour assurer la sécurité de la population canadienne. Je tiens à souligner qu’il n’y a aucun facteur qui indique à nos responsables qu’il y a lieu de modifier le niveau de la menace au Canada pour le moment. Le niveau actuel est établi à modéré, soit le même niveau depuis octobre 2014.

Il va sans dire qu’on évalue constamment la situation et que, si un changement s’impose, il sera apporté.

Comme de nombreux autres parlementaires, j’ai passé du temps la fin de semaine dernière avec des dirigeants musulmans et des membres de la communauté dans des mosquées et ailleurs dans ma circonscription, Regina. Nous devons absolument faire preuve de solidarité, et c’est ce que nous faisons.

Je souligne en outre qu’il semble y avoir une autre situation liée au terrorisme en cours aujourd’hui aux Pays-Bas. Nous suivons les événements de près. L’enquête ne fait que commencer, mais nous suivons les choses avec grand intérêt.

Madame la présidente, je vous remercie de m’avoir invité à témoigner aujourd’hui au sujet du projet de loi C-71 et, aussi, d’avoir présenté les représentants de Sécurité publique Canada, de la GRC et du ministère de la Justice qui m’accompagnent.

J’aimerais d’abord dire ceci : bien que, de façon générale, les taux de criminalité au Canada soient en baisse depuis des dizaines d’années, on enregistre une hausse marquée du nombre d’incidents de nature criminelle liés à l’utilisation d’armes à feu. Entre 2013 et 2017, la dernière année pour laquelle nous avons des statistiques complètes, le nombre de ces incidents a augmenté de 44 p. 100. Cela comprend une hausse d’environ 30 p. 100 des incidents de violence entre partenaires intimes commis avec une arme à feu, une augmentation de 45 p. 100 des introductions par effraction dans le but de voler une arme à feu et une augmentation de 99 p. 100 du nombre d’homicides commis avec une arme à feu.

Qui plus est, on constate que le genre d’arme employée pour commettre ces crimes varie beaucoup au pays. À Toronto, par exemple, ce sont surtout des armes de poing qui sont utilisées pour commettre des actes de violence, alors que, dans les Prairies, ce sont en général des armes d’épaule. Quand on parle de crimes violents commis avec une arme à feu, 3 sur 10 surviennent à l’extérieur des grands centres urbains.

Voilà qui m’amène à l’objet de mon témoignage. La partie 1 du projet de loi C-71 découle entièrement des engagements électoraux que nous avions pris explicitement envers les Canadiens, qui comprenaient l’adoption d’un ensemble de mesures complet touchant les armes à feu dans le but d’accroître la sécurité publique.

Dans certains cas, comme celui de notre initiative sur les armes à feu et les gangs, il n’est pas nécessaire d’adopter une mesure législative. Nous respectons ces promesses au moyen de décisions stratégiques et budgétaires. Les fonds budgétaires commencent à être versés aux provinces, puis, par elles, aux corps de police municipaux et locaux. Nous investissons en outre quelque 50 millions de dollars à la frontière sur les cinq prochaines années pour aider l’ASFC à enrayer l’entrée illicite d’armes à feu en provenance des États-Unis et environ 35 millions de dollars sont accordés à la GRC pour ses activités nationales.

Renverser cette tendance récente en matière de crimes commis avec une arme à feu exige une démarche globale. Nous agissons à plusieurs égards. Le projet de loi C-71 porte sur des éléments qui exigent une modification législative.

D’abord et avant tout, nous avons promis d’exiger des vérifications approfondies des antécédents des demandeurs de permis d’arme à feu. Cet élément était en grande partie fondé sur le projet de loi d’initiative parlementaire présenté par l’ancien député conservateur James Moore pendant la 37e législature, le projet de loi C-442. Selon la Loi sur les armes à feu en vigueur, le contrôleur des armes à feu doit tenir compte des antécédents du demandeur sur les cinq ans précédant la date de la demande. Selon le projet de loi C-442 et, à présent, le projet de loi C-71, la vérification des antécédents porte sur toute la vie plutôt que sur les cinq années précédentes seulement.

Voici ce qu’avait dit M. Moore au moment de la présentation de son projet de loi :

Mon projet de loi ne parle pas de cinq ans; il dit qu’une personne qui, une fois dans sa vie, a commis un crime violent n’aura jamais le droit de posséder une arme à feu. Une personne qui fait de la prison pour avoir battu sa femme ou commis un viol ou un meurtre n’aura jamais le droit de posséder une arme à feu au Canada.

L’idée était bonne en 2004 quand il a présenté son projet de loi et elle le demeure.

Pendant l’étude du projet de loi C-71 au comité de la Chambre des communes, les députés ont beaucoup discuté des questions liées à la vérification des antécédents. Ils ont d’ailleurs renforcé les dispositions de la mesure législative à bien des égards afin de veiller à ce que ces vérifications soient efficaces.

Ensuite, nous avons promis d’exiger que les acheteurs d’armes à feu sans restriction soient tenus de présenter un permis de possession d’armes à feu et le vendeur de confirmer que ce permis est valide avant que la transaction puisse être faite. Il s’agira alors d’appeler le numéro du programme des armes à feu pour confirmer la validité du permis et c’est là le but de l’appel : confirmer que la transaction entre ces deux personnes est légale et autorisée puisque le permis nécessaire a été accordé et qu’il est valide au moment de la transaction. C’est le seul but de l’appel qui doit être fait au programme des armes à feu.

Bien des gens m’ont dit qu’ils pensaient qu’exiger la présentation d’un permis valide pour pouvoir acheter une arme d’épaule était une simple affaire de bon sens. D’autres m’ont dit que la loi l’exigeait déjà. En réalité, c’était une exigence pour toutes les armes d’épaule jusqu’à 2012.

Cette exigence tient toujours pour les armes prohibées ou à autorisation restreinte et nous la rétablissons à présent pour toutes les armes à feu, y compris les armes d’épaule.

Je vais vous donner un exemple hypothétique pour illustrer l’importance de cette mesure. Disons qu’un client qui fait régulièrement affaire avec un magasin local d’armes à feu a eu quelques problèmes récemment, que le contrôleur des armes à feu a révoqué son permis et que la police a confisqué ses armes à feu. Peut-être que le propriétaire du magasin est au courant, peut-être qu’il ne l’est pas. S’il est habitué de faire affaire avec ce client régulièrement, il n’a peut-être pas de raison de penser que celui-ci n’a pas de permis valide puisqu’il en a toujours eu un. Il pourrait, de bonne foi, vendre une nouvelle arme à feu au client même si ce dernier n’a plus de permis valide.

Il n’y a qu’une seule façon de savoir avec certitude et c’est de vérifier. Nous corrigeons cette lacune.

Nous avions fait deux autres promesses importantes dans ce domaine pendant la campagne électorale. D’abord, que nous ne rétablirions pas le registre des armes d’épaule; ensuite, que nous obligerions les vendeurs d’armes à feu à consigner leurs ventes pour aider les corps policiers à retracer les armes trouvées sur le lieu d’un crime.

Sur le premier point, les membres du comité de la Chambre des communes ont présenté un amendement au projet de loi C-71 dont je suis très heureux, un amendement qui apporte une précision faisant en sorte que personne ne puisse penser que ce projet de loi est un nouveau registre des armes d’épaule. Cet amendement, proposé par M. Pierre Paul-Hus, se lit comme suit :

Il est entendu que la présente loi ne permet ni n’exige l’enregistrement des armes à feu sans restriction.

Le comité a approuvé cet amendement, qui fait maintenant partie du projet de loi C-71.

En ce qui concerne les renseignements que doivent noter et conserver les vendeurs, il s’agit d’une exigence que les magasins ont dû respecter du milieu des années 1970 jusqu’à la création de l’ancien registre des armes d’épaule. Après la mise sur pied du registre, toutes les armes d’épaule étant enregistrées au nom de leur propriétaire, il n’était plus nécessaire que les vendeurs conservent des renseignements et cette exigence a été éliminée.

Or, maintenant que le registre des armes d’épaule a été aboli, il est logique de rétablir cette importante exigence de comptabilité commerciale afin d’aider les policiers à retrouver les propriétaires d’armes à feu trouvées sur les lieux d’un crime. Je signale que l’Association canadienne des chefs de police a exprimé son ferme appui à cette mesure clé.

Je ferai remarquer aux personnes qui croient que cette mesure sera trop lourde que des vendeurs d’armes à feu réputés comme Canadian Tire et Cabela’s assurent déjà le suivi de leurs ventes d’armes à feu. Quand vous achetez une arme à feu ou des munitions chez Cabela’s, votre numéro de permis de possession et d’acquisition (PPA) sera indiqué sur le reçu et enregistré dans le système.

Je veux aussi souligner que, aux États-Unis, les vendeurs doivent se conformer à des exigences similaires en ce qui concerne la tenue des dossiers depuis les années 1950. En effet, la National Rifle Association vend même des registres de tenue des dossiers aux propriétaires des magasins pour les aider à respecter leurs exigences en matière de tenue des dossiers.

Dans notre programme, nous avons aussi promis de redonner aux experts techniques de la GRC le pouvoir de prendre des décisions sur la classification des armes à feu, au lieu de laisser ce pouvoir au Cabinet.

En 2015, la Loi sur les armes à feu a été modifiée afin de permettre au gouverneur en conseil de classer certaines armes prohibées dans une classe moins restrictive. Le gouvernement précédent avait pris cette mesure pour faire passer deux types d’armes dans la catégorie des armes à feu sans restriction : les armes appartenant à la famille des CZ858 et à celle des Swiss Arms. Le projet de loi C-71 propose d’éliminer l’autorité conférée par décret au gouverneur en conseil, ce qui aura pour effet de reclasser automatiquement ces armes à feu dans la catégorie plus restrictive à laquelle elles appartiennent lorsqu’il sera adopté.

Nous mettons en place un régime de droits acquis pour les gens qui ont acheté l’une de ces armes de bonne foi lorsqu’elles étaient classées comme des armes à feu sans restriction, si ces armes étaient en leur possession avant le 30 juin 2018. Pour bénéficier des droits acquis, les propriétaires devraient être admissibles au permis approprié, ce qui prendra un certain temps. Afin de leur permettre de le faire d’une manière ordonnée, le gouvernement compte publier une période d’amnistie pour ces deux types d’armes à feu, une fois que le projet de loi C-71 aura reçu la sanction royale.

Cela m’amène à notre promesse sur le transport d’armes à feu prohibées et à autorisation restreinte. Je me permets de souligner encore une fois que ces problèmes de transport se rapportent aux armes prohibées et à autorisation restreinte, et non aux armes sans restriction.

Jusqu’en 2015, les propriétaires des armes à feu prohibées ou à autorisation restreinte étaient tenus de demander et d’obtenir une autorisation de transport chaque fois qu’ils souhaitaient emmener leur arme à feu quelque part. Depuis 2015, les propriétaires titulaires d’un permis bénéficient d’une autorisation automatique de transport qui les autorisent à apporter leurs armes à feu sur un champ de tir, à une exposition d’armes à feu, dans une entreprise d’armes à feu ou dans un port d’entrée.

Il y a actuellement environ 4 500 entreprises d’armes à feu dans l’ensemble du pays. Ce grand nombre rend extrêmement difficile pour les policiers de questionner les gens qu’ils soupçonnent de transporter illégalement des armes à feu à autorisationrestreinte. Les règles strictes régissant le transport de ces armes ont essentiellement été rendues plutôt inutiles par le fait qu’il est presque devenu impossible pour les forces de l’ordre de les appliquer. Toutefois, les policiers savent généralement où se trouvent tous les champs de tir locaux. Ils peuvent déterminer si une personne transporte une arme à feu à autorisationrestreinte, s’il est probable que cette personne se rende à un champ de tir ou qu’elle en revienne.

Pour veiller à ce que les limites au transport des armes à feu à autorisationrestreinte améliorent véritablement la sécurité publique, le projet de loi C-71 propose de mettre fin aux autorisations automatiques de transport, sauf pour le transport en direction ou à partir d’un champ de tir agréé. Avant 2015, le transport vers les champs de tir représentaient la vaste majorité de toutes les demandes d’autorisation de transport, c’est-à-dire probablement 95 p. 100 approximativement.

Le modification que nous proposons aiderait donc les policiers à s’assurer qu’il n’y a pas d’armes à feu à autorisation restreinte qui sont transportées illégalement, tout en créant le moins d’inconvénients possible aux propriétaires d’armes à feu respectueux des lois.

Enfin, j’aimerais répondre à certaines des préoccupations que j’ai entendues lors du débat sur le projet de loi C-71 au Parlement. Je veux faire valoir deux points en particulier.

Je désire tout d’abord parler des effets des nouvelles exigences relatives aux autorisations de transport sur la chasse. Même si, à l’heure actuelle, aucun contrôleur des armes à feu ne délivrera une autorisation de transport d’une arme à feu prohibée ou à autorisation restreinte pour la chasse puisque, depuis de nombreuses décennies, les seules armes à feu avec lesquelles les gens sont autorisés à chasser sont des armes d’épaule sans restriction, le projet de loi C-71 ne change rien aux pratiques et aux traditions de chasse.

J’ai aussi entendu des personnes qui craignent qu’obliger les contrôleurs des armes à feu à prendre en compte toute l’histoire de la vie d’un demandeur de permis d’armes à feu pourrait empêcher les chasseurs autochtones d’obtenir un permis. Dans de telles circonstances, un demandeur autochtone peut se servir du Règlement d’adaptation visant les armes à feu des peuples autochtones du Canada.

Ce règlement permet à un demandeur d’inclure une lettre d’un aîné attestant qu’une arme à feu est requise pour la pratique de la chasse traditionnelle. C’est un système qui fonctionne raisonnablement bien depuis une vingtaine d’années et qui continuera d’exister dans le cadre du projet de loi C-71.

Par ailleurs, je suis conscient que certains sénateurs veulent mettre à jour la disposition de non-dérogation visant les droitsancestraux et issus de traités qui se trouve dans l’article d’interprétation non pas du projet de loi C-71, mais dans sa loi-cadre, la Loi sur les armes à feu. Même si la modification d’articles de la loi-cadre du projet de loi C-71 dépasse la portée de la Chambre des communes et serait contraire au Règlement de celle-ci, le Règlement du Sénat est différent.

Je serais très intéressé de savoir quel type de mise à jour les sénateurs pourraient envisager, quels termes pourraient être employés et comment les peuples autochtones répondraient aux améliorations proposées au libellé des dispositions de non-dérogation.

Madame la présidente, vous avez été très patiente. Je suis heureux d’avoir l’occasion de comparaître aujourd’hui. Je sais que mon temps de parole devait expirer à 14 heures exactement afin que je puisse me rendre à la période des questions à la Chambre des communes, mais je crois que vous pourriez me laisser dépasser ce délai de quelques minutes. Je tenterai de rester ici le plus longtemps possible. Je vous remercie de m’avoir donné l’occasion de m’adresser à vous.

La présidente : Merci, monsieur le ministre. Nous vous en savons gré.

La sénatrice Jaffer : Je tiens à vous remercier, monsieur le ministre, de votre déclaration sur la Nouvelle-Zélande et à laisser savoir au premier ministre à quel point les Canadiens musulmans ont apprécié son travail et le vôtre dans ce dossier. Je peux vous dire que vos paroles ont été d’un grand réconfort pour nous tous. Ce sont des moments pénibles pour nous tous.

Le temps est limité. Ma question sera donc très brève. Comme tous mes collègues, j’ai reçu de nombreuses lettres disant que vous enleviez des droits aux propriétaires d’armes à feu et que vous punissiez les citoyens respectueux des lois pour les gestes des criminels et des gangs. Nous recevons tous les jours des lettres disant cela. Qu’en pensez-vous?

M. Goodale : Merci de vos remarques, sénatrice Jaffer.

Lors de l’élaboration du projet de loi C-71, nous avons travaillé très fort pour éviter d’imposer un fardeau déraisonnable ou injuste aux propriétaires d’armes respectueux des lois. La vaste majorité des personnes qui utilisent des armes à feu au Canada le font légalement et en conformité avec la loi. Elles se conforment à toutes les règles et procédures, et elles le font d’une façon respectueuse et responsable.

En rédigeant les dispositions de la mesure législative, nous avons tenté de ne pas empiéter sur leurs droits ou de nous ingérer dans leurs pratiques de manière injuste ou déraisonnable. De toute évidence, il y a un problème de sécurité publique qui doit être réglé. Vous pouvez le constater dans les statistiques que j’ai citées au début. D’ailleurs, si les sénateurs aimeraient des précisions sur ces statistiques, nous serions heureux d’en fournir. Les chiffres viennent directement de Statistique Canada. Nous nous ferions un plaisir d’indiquer comment cette tendance s’est développée depuis 2013.

Je reviens aux modifications que nous proposons d’apporter aux autorisations de transport. Par exemple, nous avons cherché à nous concentrer sur la source du problème pour aider les forces de l’ordre d’une manière qui n’aurait aucune incidence sur environ 95 p. 100 des personnes transportant ces types particuliers d’armes à feu.

Je pourrais passer en revue toutes les dispositions du projet de loi afin de montrer où l’on a appliqué ce type de considérations, mais nous avons un problème de sécurité publique à régler. Nous tentons de le faire d’une façon respectueuse et responsable. Nous croyons que nous le faisons sans imposer de fardeau déraisonnable ou irréaliste.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Merci, monsieur le ministre, de votre présentation.

L’adoption du projet de loi C-71 ferait en sorte que les possibilités de déplacement des honnêtes propriétaires qui possèdent des armes à feu aux fins d’activités sportives soient limitées. Ceux qui participent à des compétitions olympiques dénoncent notamment cette situation, car il ne sera pas évident pour eux d’obtenir rapidement un tel permis pour transporter une arme à feu. Par exemple, si, un vendredi soir, vous allez chez l’armurier pour une compétition qui aura lieu le lendemain matin, qui va s’assurer que la police pourra rapidement délivrer un permis de transport? Quelles sont les mesures que vous allez prendre pour ne pas pénaliser ces personnes?

Dans les régions éloignées, il n’y a pas beaucoup de policiers par kilomètre carré, parce qu’il n’y a souvent qu’un véhicule de police et qu’il peut être occupé avec un autre appel. Cela fait en sorte qu’il sera difficile pour les gens d’obtenir ce permis de transport. Seriez-vous ouvert à adopter certains amendements afin de remédier à cette situation?

[Traduction]

M. Goodale : Sénateur Dagenais, je suis toujours disposé à envisager des amendements constructifs. Je signale que, lorsque la Chambre des communes a examiné le projet de loi, des amendements présentés par les trois partis politiques ont été acceptés durant l’étude de cette mesure législative par le comité permanent. Si vous croyez que des améliorations peuvent être apportées au processus, nous sommes certes prêts à envisager toutes les bonnes idées.

Pour répondre à vos remarques sur les autorisations de transport, je dirais, premièrement, que les nouvelles exigences s’appliqueraient uniquement aux armes à feu prohibées ou à autorisation restreinte.

Deuxièmement, environ 95 p. 100 des déplacements probables d’armes de cette nature seraient exemptées de ces exigences. Une personne se rendant à un champ de tir reconnu ne serait pas tenue d’obtenir une autorisation de transport particulière.

Troisièmement, nous travaillons de concert avec les responsables du Programme canadien des armes à feu pour faire en sorte que les normes de service prévues par le programme permettent de traiter la population d’une manière convenable et responsable. Si une personne téléphone pour obtenir son numéro de vérification de permis, elle devrait pouvoir l’obtenir rapidement et correctement, et elle devrait recevoir un bon service sans devoir attendre pendant des heures. Nous cherchons à améliorer ces normes de service et à rendre ce service accessible en ligne afin que les gens puissent obtenir leur numéro au moyen d’une application mobile.

Grâce à ces améliorations, nous espérons nous assurer que personne ne subit d’inconvénients indus.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Nous savons que les milieux autochtones ne sont pas exempts de crimes violents; comment répondez-vous aux groupes qui voudraient que les restrictions s’appliquent généralement aussi aux communautés autochtones, afin de diminuer le nombre d’armes à feu qui s’y trouvent?

[Traduction]

M. Goodale : Évidemment, les lois s’appliquent à tous lorsqu’il est question de la sécurité publique, du Code criminel et des dispositions législatives visant les armes à feu. Comme vous le savez, les dispositions de non-dérogation prévues dans nos lois permettent de protéger les droits et les principes qui s’appliquent aux Autochtones.

J’ai cité un exemple dans ma déclaration préliminaire. Si le contrôleur des armes à feu a des doutes par rapport à la demande de permis ou d’autorisation de transport d’un Autochtone, le demandeur peut obtenir une attestation auprès d’un aîné. C’est ce qui est prévu dans la réglementation visant les peuples autochtones qui s’appliquerait au titre de ce projet de loi.

L’objectif est d’appliquer la loi efficacement tout en respectant les particularités culturelles. Ces dispositions sont en place depuis près de 20 ans. Elles semblent s’harmoniser assez bien avec la loi depuis une vingtaine d’années.

La sénatrice Griffin : Je pense aux détaillants, à ceux qui vendent des armes à feu. Je souligne au passage qu’il était fort judicieux de retirer le pouvoir décisionnel au conseil exécutif pour le confier aux spécialistes de la GRC lorsqu’il s’agit de déterminer si une arme à feu doit être reclassée en tant qu’arme à feu prohibée. C’était une excellente proposition. Cependant, peu importe qui prend la décision, il reste que des propriétaires de magasin pourraient se retrouver soudainement avec des armes à feu prohibées dans leur inventaire.

Avez-vous pensé à une façon d’accorder des droits acquis ou d’atténuer les effets de la reclassification sur les entreprises légitimes qui vendent les armes visées?

M. Goodale : Je vous remercie de votre appui en ce qui concerne la classification. En abrogeant l’ancien pouvoir de rendre un décret pour reclassifier une arme à feu dans une catégorie moins restreinte, nous savions que cela toucherait rétroactivement les inventaires. C’est pourquoi nous avons inclus dans le projet de loi un régime de droits acquis afin que l’on puisse prendre les dispositions nécessaires.

Si une personne s’est procuré l’une de ces armes à feu de bonne foi et de façon tout à fait légale sous un autre régime, alors ce n’est pas de sa faute si elle se trouve à ne plus respecter la loi à la suite des changements législatifs. Nous avons tenté de tenir compte de l’ancien régime en incluant dans le projet de loi des dispositions pour accorder des droits acquis.

Nous avons choisi une date, c’est-à-dire le 30 juin 2018, pour que les gens soient avisés suffisamment d’avance que les règles vont changer et qu’ils devront prendre les mesures nécessaires. Malheureusement, lorsqu’on apporte des changements qui ont des effets rétroactifs, on ne peut pas couvrir toutes les situations et prévoir toutes les irrégularités. C’est pour cela que nous avons donné aux gens un préavis suffisant afin qu’ils puissent prendre les mesures nécessaires pour se protéger.

La sénatrice Griffin : Je peux concevoir une telle mesure pour les particuliers. Cependant, comment comptez-vous procéder en ce qui concerne les propriétaires d’armurerie qui ont un inventaire considérable?

M. Goodale : Le même préavis serait accordé aux propriétaires d’armurerie. Ils devraient savoir que leur marché va changer après une date donnée. Ils devraient également avoir suffisamment de temps pour se préparer en vue des changements qui seront apportés à la loi.

Évidemment, nous nous sommes également montrés très prudents en évitant de tenir pour acquise l’approche qui sera finalement retenue par le Parlement. Il y a déjà eu des difficultés à ce chapitre auparavant. Par ailleurs, nous avons tenté de prendre en considération les difficultés liées au processus parlementaire en accordant un préavis suffisant aux acheteurs et aux vendeurs afin qu’ils soient au courant des possibles changements à venir et qu’ils puissent ainsi prendre les mesures nécessaires pour protéger leur situation commerciale.

La sénatrice Griffin : Je ne comprends pas pourquoi il faut une autorisation de transport pour apporter une arme à feu à autorisation restreinte à un armurier. Je peux en voir l’utilité dans d’autres circonstances, mais, si on peut transporter une arme entre son domicile et le champ de tir, alors pourquoi ne peut-on pas l’apporter à un armurier sans autorisation de transport? Il me semble que c’est une bonne chose de s’assurer que l’arme à feu est en bon état.

M. Goodale : Votre dernier argument est très juste. Personne ne devrait utiliser une arme à feu défectueuse. Cependant, le problème, c’est que, même si les forces de l’ordre savent très bien où sont les champs de tir et où se déroulent les compétitions sportives, entre autres choses, le pays compte quelque 4 500 commerces, magasins d’armes à feu et armuriers où un propriétaire peut apporter son arme à feu. Il est donc très difficile pour les policiers de prévoir où ira le propriétaire d’arme à feu. Les policiers nous ont indiqué que la multitude d’endroits différents où on peut apporter une arme à feu pose problème. À moins qu’on dispose d’une sorte de carte interactive avec un code de couleurs, il serait très difficile pour les policiers d’effectuer un contrôle et de demander, par exemple, pourquoi un propriétaire se rend à tel endroit, alors que l’armurier se trouve ailleurs.

Les policiers savent où sont les champs de tir, mais il est difficile de recueillir des données sur les autres endroits. Je souligne que cette mesure ne toucherait environ que 5 p. 100 des transports, du moins, selon des données antérieures. Par conséquent, cela ne semble pas représenter un lourd fardeau à imposer par rapport aux besoins des propriétaires d’arme à feu.

Le sénateur McIntyre : Merci, monsieur le ministre, d’être venu répondre à nos questions aujourd’hui.

Monsieur le ministre, lors d’une séance d’information préparatoire sur le projet de loi C-71, des fonctionnaires de votre ministère ont dit que des ressources n’ont pas encore été réservées pour les contrôles pendant la durée de vie. Avez-vous estimé combien cela coûterait? Quand aura-t-on une estimation de ces ressources?

M. Goodale : Laissez-moi seulement me renseigner à ce sujet.

Sénateur, nous sommes encore en train de quantifier les ressources nécessaires. Cependant, vous avez raison de souligner que, si des contrôles sont exigés — et c’est ce qui est prévu dans le projet de loi C-71 —, alors il faudra fournir aux administrateurs du programme des armes à feu les ressources nécessaires pour appliquer la loi. Le gouvernement fournira des fonds à la GRC selon le processus habituel d’affectation des crédits.

Le sénateur McIntyre : Pouvez-vous nous assurer que le coût des contrôles pendant la durée de vie n’aura pas comme conséquence de réduire les ressources dont le contrôleur des armes à feu dispose pour mener d’autres activités liées à la sécurité publique?

M. Goodale : Non, le but n’est pas de réaffecter des ressources à l’interne en vue de la création d’une nouvelle responsabilité. Il faudra donc accorder de nouvelles ressources à cette fin.

Le sénateur McIntyre : Selon les mesures proposées dans le projet de loi C-71, de nouvelles conditions seront maintenant rattachées au permis d’exploitation commerciale. L’entreprise devra notamment recueillir et conserver certains renseignements pendant une période minimale de 20 ans ou plus longtemps, selon les exigences réglementaires. Comment avez-vous déterminé cette période de conservation de 20 ans, et qu’est-ce qui justifie cette décision?

M. Goodale : Comme je l’ai dit dans ma déclaration préliminaire, sénateur, ces règles étaient en vigueur avant la création du registre des armes d’épaule. Lorsque ce registre est entré en vigueur, l’ancien régime d’enregistrement est devenu redondant. Maintenant que le registre a été aboli, il semble justifié de rétablir les anciennes règles d’enregistrement.

Les fonctionnaires de mon ministère m’indiquent que la période de 20 ans est la norme la plus répandue aux États-Unis. C’est d’ailleurs la norme internationale en ce qui a trait à ce genre d’enregistrement.

Le sénateur McIntyre : Ma dernière question porte sur le Comité consultatif canadien sur les armes à feu. Je crois comprendre, monsieur le ministre, qu’une personne d’origine autochtone en faisait partie à l’origine, et qu’elle s’est retirée depuis. Avez-vous fait toutes les nominations nécessaires?

M. Goodale : Oui, nous l’avons fait. Le comité est maintenant complet. Il a changé de président, et une personne d’origine autochtone a été choisie pour doter ce poste.

Vous avez raison. Lorsque nous avons mis le comité sur pied, une personne d’origine autochtone a été nommée. Malheureusement, cette personne n’était pas en mesure de rester au comité, et nous avons dû la remplacer. Le poste a été doté. Le nom de famille de la personne choisie est Creyke. Je vais vous fournir une liste complète des membres de ce comité ainsi que des données biographiques à leur sujet, tant pour les membres qui sont là depuis le début que pour les nouveaux membres.

Le sénateur McIntyre : Merci, monsieur le ministre.

La sénatrice McPhedran : Je vous remercie, monsieur Goodale, ainsi que les fonctionnaires de votre ministère de vous pencher sur la sécurité publique, notamment sur les effets des armes à feu sur les femmes et les enfants du pays qui sont victimes de violence familiale.

Certains opposants à ce projet de loi soutiennent qu’il aurait pour résultat de harceler les honnêtes propriétaires d’arme à feu sans faire quoi que ce soit pour empêcher les gangs d’utiliser des armes à feu illégales. Ils ajoutent que ce ne sont pas les propriétaires d’arme à feu légale qui sont responsables de la hausse alarmante du nombre de crimes commis avec des armes à feu dont vous avez parlé très clairement aujourd’hui, et que ces crimes supplémentaires sont commis avec des armes de poing.

Même s’il est important pour assurer la sécurité publique et la sécurité des particuliers au Canada, ce projet de loi ne propose pas grand-chose à l’égard des armes de poing. Or, l’article 16 de ce projet de loi propose une modification au paragraphe 84(1) du Code criminel, qui est précisément la disposition du Code criminel à modifier si on souhaite ajouter les armes de poing à la liste des armes à feu prohibées.

Monsieur le ministre, comme vous le savez, la date des élections fédérales approche à grands pas, ce qui limite le temps dont nous disposons cette année pour étudier des projets de loi. Est-ce que vous pourriez envisager de contrer la prolifération des armes de poing en modifiant ce projet de loi de manière à inclure les armes de poing dans la liste des armes à feu prohibées qui se trouve au paragraphe 84(1) du Code criminel?

M. Goodale : Je vous remercie de votre question, sénatrice. Ma réponse est double. Sachez tout d’abord que cette question, parmi d’autres, a été transmise au ministre Bill Blair par le premier ministre qui lui a demandé de tenir des consultations à ce sujet. C’est ce qu’il fait depuis les derniers mois. Je crois qu’il aura prochainement des choses importantes à dire au sujet des consultations. Il travaille fort dans ce dossier et il a entendu l’avis de centaines, voire de milliers, de Canadiens. Le gouvernement doit attendre d’obtenir des recommandations de sa part avant de prendre une décision à ce sujet. Il en donnera bientôt.

Il y a également un point technique que j’aimerais souligner, et je laisserais les experts parlementaires trancher, mais on m’a dit que ce genre d’amendement pourrait être hors de la portée du projet de loi. Je sais que vous pouvez présenter l’argument contraire, et j’en entends les débuts. Très bien. Toutefois, du point de vue technique, je crois qu’il serait hors de la portée du projet de loi. La réponse plus pratique est que le ministre Bill Blair travaille fort dans ce dossier. Il a été chercher l’avis de Canadiens pendant une période de temps considérable. Il a organisé son travail afin de pouvoir rendre des conclusions exhaustives au printemps.

Je crois qu’il sera là pendant la prochaine semaine de séance au Parlement. Il pourrait peut-être faire une mise au point à ce moment-là, mais j’attends ses recommandations.

Le sénateur Pratte : Monsieur le ministre, je vous remercie d’être avec nous. J’ai deux questions à vous poser au sujet des changements proposés aux autorisations de transport dans ce projet de loi.

Cela pourrait sembler comme des détails relatifs à la mise en œuvre, mais il est tout de même important d’en parler, car les changements proposés préoccupent les propriétaires d’armes à feu.

Ils m’ont dit à maintes reprises qu’ils ne voulaient pas revenir au système des copies papier des autorisations de transport qui devaient leur être envoyées par courrier et qui prenaient donc beaucoup de temps à leur être acheminées. Selon ce que vous avez dit plus tôt, est-ce possible qu’un processus électronique soit mis en place pour éviter que les autorisations de transport aient à être envoyées par courrier?

M. Goodale : Absolument, sénateur Pratte. Il s’agit d’une sorte de service gouvernemental. Le Parlement va décider d’établir une nouvelle loi et un nouveau régime de règlementation. Ainsi, la population va être amenée à faire un certain nombre de choses qu’elle ne fait pas en ce moment et le gouvernement du Canada doit veiller autant que possible à lui fournir des services électroniques et numériques.

Il se peut que vous ayez remarqué dans le cadre de la nomination de la nouvelle présidente du Conseil du Trésor qu’elle a également le titre de ministre du Gouvernement numérique. Le gouvernement du Canada tente de faire passer le message qu’il s’efforce à rendre disponibles ses services en format électronique.

Cela va-t-il se faire de façon instantanée? Évidemment, une période de transition sera nécessaire, mais notre objectif est de fournir aux gens de ce milieu et au reste de la population des services efficaces et pratiques qui répondent à leurs besoins quotidiens en ayant recours le plus possible à la technologie. Notre objectif est d’y arriver.

Le sénateur Pratte : Une autre préoccupation qui revient souvent concernant le nouveau système de vérification des permis, c’est de savoir si le service sera offert le jeudi et le vendredi soir et le weekend, car c’est à ce moment-là que les expositions d’armes à feu ont le plus souvent lieu. Ou bien les gens devront-ils attendre le lundi à 8 heures du matin pour y avoir accès?

M. Goodale : L’horaire du centre d’appel sera établi de façon stratégique afin que les Canadiens, autant au Canada atlantique que dans la région du Pacifique, y aient accès.

On m’a dit que les organisateurs d’expositions d’armes à feu qui s’attendent à y faire beaucoup d’affaires avertiront au préalable le programme d’armes à feu. C’est déjà ce qui se fait pour la plupart des grandes expositions d’armes à feu, car cela leur permet de bien fonctionner. Le centre d’appel sera géré de sorte que les clients soient servis comme il faut.

Les normes de prestation de services offerts aux Canadiens, que ce soit dans ce domaine, l’ARC ou la Sécurité de la vieillesse, comptent pour beaucoup dans le rendement du gouvernement. Nous devons mieux répondre aux attentes de la population. Que l’on cherche à obtenir un permis, à faire vérifier un permis ou à obtenir une autorisation de transport, ou encore à obtenir une réponse de l’ARC à un problème fiscal ou une réponse d’une agence de services sociaux, les normes de services doivent être au cœur des préoccupations des ministères gouvernementaux.

Le sénateur Wells : Monsieur Goodale, tout d’abord, 66 p. 100 de tous les homicides par arme à feu de 2014 à 2017 ont été commis par des gens qui avaient des casiers judiciaires, ce qui signifierait que deux tiers des homicides sont la conséquence de lacunes en matière d’application des lois et de la règlementation actuelles, car il est illégal pour une personne avec un casier judiciaire d’obtenir une arme. De plus, dans la même période, 60 p. 100 de tous les homicides par arme à feu ont été commis avec une arme à autorisation restreinte ou une arme prohibée. Cela veut dire qu’il y a un échec partiel, voire total, de notre système de contrôle des armes à feu, car les armes à autorisation restreinte et les armes prohibées doivent normalement être enregistrées et étroitement contrôlées.

Ainsi, le gouvernement suggère-t-il que créer plus de lois et de règlement améliorera la sécurité, alors que les faits montrent que cela est faux et que cette loi semble cibler les Canadiens respectueux de la loi?

M. Goodale : Avec tout le respect que je vous dois, sénateur, vous interprétez mal nos intentions. Les dispositions proposées visent à améliorer et à renforcer le système de vérification des antécédents pour que le système soit aussi efficace que possible. Nous tentons d’éviter que toute personne qui ne devrait pas avoir d’armes à feu pour les raisons que vous avez mentionnées et d’autres raisons que le contrôleur des armes à feu pourrait avoir ne puisse pas en avoir, notamment en améliorant la façon dont les permis sont vérifiés.

Encore une fois, nous tentons de veiller à ce que les acheteurs et les vendeurs qui procèdent à une transaction aient le droit d’en effectuer. J’ai donné l’exemple hypothétique dans mon discours de la possibilité que quelque chose tombe entre les tabourets.

Le fait d’établir un système de tenue de dossiers pour les entreprises commerciales vise directement à aider les services policiers à contrôler les armes à feu liées à des actes criminels. L’Association canadienne des chefs de police est fortement en faveur du fait que ce régime soit établi. Ils sont également en faveur des nouveaux règlements que nous avons proposés concernant les autorisations de transport.

Tout l’objectif ici est d’établir un régime sécuritaire pour renforcer la sécurité des Canadiens, tout en évitant d’imposer un fardeau injustifié aux propriétaires d’armes à feu respectueux de la loi, soit la grande majorité des propriétaires d’armes à feu au Canada. Nous croyons que nous avons trouvé un équilibre assez juste dans le projet de loi C-71.

Le sénateur Wells : J’ai une autre petite question. Elle porte sur la Saskatchewan. Cela ne devrait pas être trop compliqué pour vous d’y répondre, ministre Goodale.

Selon Statistique Canada, il y a eu 42 homicides commis avec une arme à feu en Saskatchewan de 2014 à 2017. La majorité, 52 p. 100, ont été commis en milieu rural. Il est alarmant que 77 p. 100 des personnes accusées d’homicides commis avec une arme à feu pendant cette période en Saskatchewan fussent classifiées par Statistique Canada comme étant autochtones.

Vous avez parlé plus tôt du Règlement d’adaptation visant les armes à feu des peuples autochtones du Canada. Que font les dispositions de ce projet de loi pour résoudre ce problème? S’agit-il d’un danger propre à un groupe précis, ou bien ces communautés sont-elles simplement mises de côté en ce qui concerne le projet de loi C-71?

M. Goodale : La loi s’applique à tous. Des dispositions précises ont été établies dans des règlements en ce qui concerne les peuples autochtones.

Je n’ai pas été mis au courant dans l’analyse qui a été faite de l’efficacité des règlements de déviations spécifiques pouvant être attribuées à une ethnicité ou à des antécédents culturels particuliers. Il faudrait réaliser des analyses statistiques beaucoup plus précises pour vérifier le point que vous tentez de faire.

Le sénateur Wells : Je tiens à dire clairement que les statistiques que j’ai citées viennent de Statistique Canada.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Bienvenue, monsieur le ministre. Bienvenue également à vos collaborateurs. Monsieur le ministre, une étude interne de la GRC affirmait récemment que la révocation des armes à feu pour des raisons de violence conjugale ou de maladie mentale a connu des retards très importants.

Ces retards mettent en péril la sécurité publique, comme le dit le rapport. Deux causes sont évoquées dans le rapport : d’abord, le manque d’accès en temps voulu aux informations médicales, qui est la principale cause du retrait du permis ou de l’arme, ainsi que les demandes d’informations confidentielles par un tiers, qui sont souvent des policiers.

On sait que l’information médicale est tout à fait confidentielle et que ce peut être très long lorsque c’est un tiers qui la demande. On observe au Yukon et en Colombie-Britannique près de 3 000 dossiers qui ne sont pas encore traités par la GRC. Pour ce qui est de l’ensemble du Canada, quel est l’état des retards pour des demandes d’information de cette nature?

[Traduction]

M. Goodale : Je demanderais à M. Mackinnon de la GRC de répondre à cela.

Robert Mackinnon, directeur, Direction de l’amélioration des activités relatives aux armes à feu, Gendarmerie royale du Canada : La GRC a effectué une vérification de son cadre d’admissibilité continue. Il en a découlé des mesures mettant l’accent sur le régime de santé mentale, comme vous l’avez dit, et portant sur l’obtention, par nos clients atteints d’une maladie mentale, d’un certificat de médecin. À cela s’ajoutent les mesures que nous avons prises relativement à des problèmes au niveau du déroulement des activités.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Ce n’est pas ma question. Au Yukon, en 2017, il y avait tout près de 3 000 dossiers en retard. Ma question est la suivante : combien de dossiers non traités par la GRC sont en retard au Canada pour ce qui est du retrait des armes à feu? Pour retirer les armes, il nous faut un rapport médical qui fait un diagnostic sur le plan de la santé mentale. Cela met la sécurité de la population en danger. Combien y a-t-il de retards de cette nature pour l’ensemble du Canada?

[Traduction]

M. Goodale : Sénateur, nous n’avons pas ces statistiques avec nous en ce moment, mais nous les obtiendrons pour vous et vous communiquerons l’information.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : La GRC doit obtenir de l’information des corps médicaux. Un témoin médecin qui a comparu il y a deux semaines nous a dit que les délais peuvent être très longs — jusqu’à cinq ans — avant qu’on prenne une décision pour une personne qui a des problèmes de santé mentale.

En quoi ce projet de loi va-t-il faciliter les communications entre les médecins et les corps policiers pour retirer des armes à feu des mains de gens qui ont des problèmes de santé mentale?

[Traduction]

M. Goodale : Le projet de loi comme tel élargit simplement la portée de la vérification des antécédents.

La difficulté dont vous parlez, sénateur Boisvenu, est l’administration des nouvelles règles qui mènera manifestement au problème dont nous parlions tout à l’heure concernant les normes de service et les ressources pour le programme, car il faut faire en sorte qu’il y ait en place des systèmes ainsi que des gens qui possèdent le bon savoir-faire.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : En 2019, il n’y a aucune ressource additionnelle prévue au budget de votre ministère pour répondre à ces demandes de retard?

[Traduction]

M. Goodale : Comme je l’ai indiqué en réponse à une question antérieure, la question des ressources affectées à ce programme précis sera réglée dans le cadre du processus budgétaire, où l’on fournira à la GRC les fonds nécessaires pour qu’elle puisse faire le travail qu’on lui demande de faire. Le processus budgétaire normal permettra de fournir les fonds supplémentaires voulus.

La présidente : Monsieur le ministre, si vous acceptez de répondre à une dernière question, celle-ci viendra du sénateur Gold.

Le sénateur Gold : Mes questions ont été posées et vous y avez répondu. Pour ne pas abuser de votre temps, monsieur le ministre, je demande l’indulgence de la présidence pour pouvoir poser une question au personnel après la période de questions à l’intention du ministre et le départ de ce dernier.

La présidente : Monsieur le ministre, au nom du comité, je vous remercie de votre comparution aujourd’hui. Je sais que le personnel demeurera pour la prochaine heure. Je suis convaincue que les sénateurs auront une série de questions à lui poser.

M. Goodale : Merci, madame la présidente. Je souhaite bonne chance au comité dans ses délibérations au sujet du projet de loi. Vous avez un programme chargé.

La sénatrice Jaffer : Ma question porte surtout sur les droits des Autochtones. Nous savons tous que, pour les Autochtones, la chasse et la pêche sont très importantes.

Le 18 février, Ghislain Picard, chef de l’Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador, a comparu à titre de témoin devant le comité. Il a dit :

Certes, nous devons garder les armes à feu hors des mains des criminels dangereux et des gens atteints de maladies mentales graves, mais pourquoi punir une personne qui a fait une erreur il y a des dizaines d’années?

Aujourd’hui, j’ai entendu quelque chose de différent. J’ai entendu qu’il y a un moyen pour les Autochtones d’obtenir un permis. Ai-je bien compris? Le cas échéant, pourquoi le chef a-t-il de telles préoccupations? Peut-être qu’il n’est pas au courant. Qu’en pensez-vous?

Randall Koops, directeur général, Politiques en matière de police, Sécurité publique Canada : Nous écoutons toujours attentivement le chef Picard, qui tient des propos réfléchis à l’égard de ces questions.

Ce dont parlait le ministre, c’est un moyen prévu dans le Règlement d’adaptation visant les armes à feu des peuples autochtones du Canada qui permet aux membres de la communauté de confirmer qu’une personne est bel et bien apte à posséder une arme à feu. À l’heure actuelle, l’article 5 de la Loi sur les armes à feu exige que le contrôleur des armes à feu tienne compte de l’historique des cinq dernières années d’une personne dans l’évaluation des facteurs énumérés dans la loi pour déterminer son admissibilité à détenir un permis d’armes à feu. Le projet de loi C-71 propose de changer cette période de cinq ans à la vie entière de la personne.

Rien de cela ne différencierait le traitement des Autochtones par rapport au traitement des personnes des autres communautés. Le contrôleur des armes à feu conserve le pouvoir discrétionnaire de tenir compte des circonstances dans lesquelles un incident s’est produit dans la vie de la personne, de la gravité de ces circonstances, du délai qui s’est écoulé depuis, et de juger si, tout compte fait, étant donné ces considérations, la personne représenterait une menace à la sécurité publique si elle détenait un permis d’armes à feu.

La sénatrice Jaffer : Est-ce que cela s’applique à tout le monde?

M. Koops : Oui.

La sénatrice Jaffer : Ce n’est pas une interdiction à vie. On tient compte des circonstances. N’est-ce pas?

M. Koops : C’est exact.

La sénatrice Jaffer : On tient compte des circonstances pour tout le monde, peu importe si un incident remonte à votre jeunesse et que vous ayez maintenant 60 ou 70 ans, c’est bien cela?

M. Koops : C’est exact. La loi ne dit pas cela moyennant quelques exceptions pour certains types d’infractions criminelles, mais généralement, ces facteurs comptent parmi les choses dont on doit tenir compte. On ne les présente pas comme des choses qui, si elles sont présentes, vous empêcheront pour toujours d’obtenir un permis d’armes à feu.

La sénatrice Jaffer : La loi ne dit pas cela. D’où la grande préoccupation. Hormis le chef que nous avons entendu, d’autres demandent : « Pourquoi punir une personne qui a fait une erreur lorsqu’elle était très jeune? » Est-ce que cela se trouvera dans le règlement?

M. Koops : Cela ne serait pas inclus dans le règlement puisque c’est déjà prévu à l’article 5 de la Loi sur les armes à feu comme telle.

La sénatrice Jaffer : Voilà des renseignements très utiles.

Ma prochaine question rejoint ce que j’ai demandé au ministre. Comme tous mes collègues, j’ai reçu de nombreuses lettres disant que vous punissez les citoyens respectueux des lois et demandant pourquoi vous ne vous en prenez pas plutôt aux gangs ou aux criminels.

Ai-je raison de dire que le Code criminel prévoit déjà des dispositions par rapport aux gangs et aux criminels? Ce n’est pas l’objectif du projet de loi. À ce que je comprends, vous faites six choses sur le plan administratif. Ce n’est pas une attaque contre les citoyens respectueux des lois. La démarche vise à clarifier certaines choses et à instaurer des dispositions administratives.

Pourriez-vous clarifier cela pour moi, je vous prie?

M. Koops : Certainement. Il pourrait également être utile de signaler au comité que le budget de 2018 a annoncé un programme de 327 millions de dollars sur une période de cinq ans visant à lutter contre les armes à feu et les gangs de rue. L’un des volets de ce programme vise à interdire l’utilisation criminelle d’armes à feu.

Visiblement, les mesures contenues dans le projet de loi C-71 ne ciblent pas précisément les criminels qui choisissent de faire le commerce au noir d’armes à feu ou de faire passer illégalement des armes à feu à la frontière. Le gouvernement prend d’autres mesures pour combattre l’utilisation croissante d’armes à feu, octroyant notamment à la GRC, à l’Agence des services frontaliers du Canada et aux provinces et territoires du financement qu’ils pourront utiliser comme bon leur semble là où ils exercent leur juridiction.

La sénatrice Jaffer : Je suis convaincue qu’il s’agit d’un document public. Pourriez-vous fournir cette information au greffier s’il vous plaît?

M. Koops : Certainement.

La sénatrice Jaffer : Merci beaucoup.

Le sénateur Gold : J’ai une question à deux volets à l’intention de Mme Paquette et de M. Mackinnon.

Premièrement, en ce qui concerne la classification des armes à feu, pourriez-vous parler un peu de la formation et de l’expérience des membres du personnel de la GRC chargés de classifier les armes à feu ainsi que des titres de compétence qu’ils détiennent? Les témoins n’ont jamais contesté leur compétence et leur crédibilité. Néanmoins, les détracteurs du projet de loi soutiennent qu’il faut maintenir la situation actuelle, où le Cabinet aurait le dernier mot.

Deuxièmement, pourquoi n’existe-t-il pas de recours aux décisions de la GRC en matière de classification? Si vous pouviez parler de ces deux aspects, je vous en serais reconnaissant.

M. Mackinnon : Le Programme canadien des armes à feu de la GRC fait appel à l’expertise et aux définitions du Code criminel pour classifier une arme à feu, qu’elle soit sans restriction, à autorisation restreinte ou prohibée. Les responsables suivent une vaste formation et possèdent une vaste expérience dans le domaine. La plupart s’acquittent de la tâche depuis des années. Ils sont considérés comme des experts dans le domaine pour ce qui est d’exécuter le Code criminel pour déterminer la classification des armes à feu.

Le sénateur Gold : L’un des témoins que nous avons entendus soutenait ou déplorait que des armes qui, autrement, ne se distinguent aucunement sur le plan fonctionnel sont classées différemment selon leur apparence. Ils ont également mentionné que les décisions sont prises par des personnes individuellement. Il pourrait donc y avoir une différence d’opinion d’un expert de la GRC à un autre.

Est-ce vrai que l’apparence d’une arme à feu peut déterminer si celle-ci est prohibée, à autorisation restreinte ou appartient à une autre catégorie?

M. Mackinnon : Je ne suis certainement pas un spécialiste technique dans la classification des armes à feu, mais nous ne fondons pas celle-ci sur l’apparence de l’arme à feu. Ce sont les caractéristiques physiques de l’arme à feu qui en déterminent la classification. S’agit-il d’une arme à tube court? D’une arme dont la longueur du tube est supérieure ou inférieure à 470 millimètres? D’une arme à feu pouvant être convertie d’entièrement automatique à semi-automatique? Voilà les éléments que les spécialistes utilisent pour déterminer la classification d’une arme à feu.

Le sénateur Gold : Qu’en est-il de l’absence de recours par rapport aux décisions en matière de classification?

M. Mackinnon : L’arme à feu doit être enregistrée et sa classification peut changer. Du point de vue juridique, une personne a le droit d’interjeter appel de la décision par l’entremise du directeur de l’enregistrement des armes à feu.

Alexandra Budgell, chef d’équipe et avocate-conseil, Justice Canada : Oui. Par l’entremise du processus d’audition établi dans la Loi sur les armes à feu, les gens ont accès à un juge de la cour provinciale au moment de l’audition. Par contre, s’il s’agit d’une question relevant du commerce, le recours peut se faire auprès du Tribunal canadien du commerce extérieur. Si cela relève de la sécurité à la frontière ou, évidemment, si la personne fait l’objet d’accusations criminelles par l’entremise du système judiciaire pénal, c’est le juge qui déterminera la classification conformément aux critères énoncés dans le Code criminel.

Il existe différents moyens pour une personne concernée par la classification d’une arme à feu de contester une décision.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Monsieur Mackinnon, comment allez-vous faire pour assurer le contrôle des armes à feu dans les réserves autochtones? On sait que c’est difficile parfois pour la GRC d’enquêter sur les territoires des réserves autochtones et que parfois certaines armes à feu transitent par certaines réserves.

[Traduction]

M. Mackinnon : Je vous remercie de votre question. Les contrôleurs des armes à feu qui œuvrent auprès de clients autochtones font des efforts proactifs de communication pour que ces communautés soient conscientes de leur rôle et de leurs responsabilités en matière d’entretien d’armes à feu. Le contrôleur des armes à feu du Manitoba vient de former 88 instructeurs au Nunavut, lesquels donneront des cours sur le maniement, le transport et l’utilisation sécuritaire des armes à feu. C’est là le genre de mesures proactives que prennent les contrôleurs d’armes à feu.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Je ne voulais pas parler du Nunavut, mais bien de certaines réserves qui se trouvent parfois sur le territoire de l’Ontario. Cela dit, j’aimerais revenir sur l’accès aux permis de transport sur Internet. Compte tenu du succès douteux de l’implantation des systèmes et des services informatiques du gouvernement — je ne vous parlerai pas de Phénix, quand même —, pouvez-vous nous dire depuis quand ce projet de loi est dans l’air, où il en est pour ce qui est des services par Internet et dans combien de temps vous croyez que ce service sera disponible?

[Traduction]

M. Mackinnon : Un projet de mise en œuvre est prévu pour le projet de loi C-71. Il sera consolidé une fois reçue la sanction royale. Une partie du plan porte sur des services en ligne relatifs aux autorisations de transport et, pour ceux qui n’ont pas accès à Internet, des ressources qui appuieront le centre de contact, comme le ministre Goodale l’a mentionné. Nous sommes à discuter du plan de mise en œuvre avec Sécurité publique Canada, afin d’offrir ce service une fois que cet élément de la loi sera entré en vigueur. Les services seront offerts en ligne une fois que les changements liés à l’autorisation de transport seront inscrits dans la loi.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Je ne veux pas mettre votre témoignage en doute, mais dresser un plan de mise en œuvre et assurer son efficacité. Ce sont deux choses. On le constate dans d’autres situations. Il y a beaucoup de plans de mise en œuvre, mais ils ne fonctionnent pas toujours comme on le souhaiterait. Je comprends que vous faites confiance aux services informatiques, même si cela peut paraître un peu douteux parfois. Je vous remercie beaucoup, monsieur.

[Traduction]

Le sénateur Pratte : En ce qui concerne le régime entourant l’autorisation de transport, des témoins ont mentionné, par exemple, qu’ils participent à des compétitions de tir et doivent se rendre fréquemment chez un armurier. D’autres sont collectionneurs et assistent à toutes les expositions d’armes à feu dans leur région.

Dans des cas comme ceux-là, d’après ce que je comprends, le contrôleur des armes à feu délivre souvent une autorisation de transport pour une certaine période de temps. Ainsi, plutôt que d’octroyer une autorisation spécifique à une seule activité chaque fois qu’un tireur professionnel doit se rendre chez l’armurier, ce qui est fréquent, on délivre une autorisation de transport d’un an ou de cinq ans pour la durée du permis de possession et d’acquisition.

Ai-je bien compris? Est-ce bien le cas?

M. Mackinnon : Oui, c’est exact. Avant les modifications apportées en 2015, à la suite desquelles les dispositions en matière de transport sont devenues une condition pour l’émission du permis, les contrôleurs des armes à feu délivraient des autorisations de transport surtout pour des séances de tir à la cible. Il y avait des exceptions, notamment lorsqu’on savait que le demandeur était armurier ou propriétaire d’une entreprise de réparation. Les contrôleurs des armes à feu auront toujours cette option. La modification consiste à faire en sorte que ce ne soit plus une condition pour l’obtention du permis.

Le sénateur Pratte : Par exemple, un tireur de compétition n’aurait pas à faire une demande chaque fois qu’il doit se rendre chez un armurier. Du moins, le contrôleur des armes à feu peut en décider ainsi.

M. Mackinnon : C’est à la discrétion de chaque contrôleur des armes à feu.

Le sénateur Pratte : Dans une de ses réponses, le ministre a donné une estimation des ressources nécessaires pour la mise en œuvre du projet de loi par la GRC et les contrôleurs des armes à feu. Il s’agit d’un processus en cours.

Certains ont l’impression que les choses deviendront extraordinairement lourdes avec l’attribution de numéros de référence, la vérification des antécédents couvrant la vie entière d’une personne et les nouvelles exigences liées à l’autorisation de transport. Il y aura évidemment des retards et il en coûtera 2 milliards de dollars, comme ce fut le cas pour l’ancien registre des armes d’épaule.

Sans nous dire combien d’argent sera nécessaire, pouvez-vous nous donner une idée du fardeau qu’entraîneront ces nouvelles exigences pour le programme des armes à feu et les contrôleurs des armes à feu?

M. Mackinnon : Comme le ministre Goodale l’a souligné, les autorisations de transport à titre de condition assortie à un permis représentent 96,5 p. 100 des autorisations de transport émises par le passé. Nous devons nous occuper du 3,5 p. 100 restant des déplacements d’armes à feu, qui ont lieu lors d’un déménagement ou d’une participation à une exposition d’armes à feu.

Le ministre Goodale a aussi mentionné que le gouvernement cherche continuellement à améliorer les services aux Canadiens. Ainsi, nous allons créer un portail en ligne pour ces demandes. En ce qui concerne les autorisations de transport, le fardeau pour le Programme canadien des armes à feu de la GRC devrait être minime.

Pour ce qui est des vérifications de permis, il n’a pas été mentionné qu’il y aura des portails en ligne où les entreprises et les particuliers pourront vérifier les antécédents d’un cessionnaire d’une arme à feu. À l’heure actuelle, il existe un tel portail pour les entreprises, qui peuvent s’en servir aux fins visées par l’article 23 de la Loi sur les armes à feu. C’est optionnel et on ne génère donc pas de numéros de référence, ce qui va changer.

Avant 2012, alors que l’enregistrement des armes sans restriction était obligatoire, une grande partie des transactions était exécutée en ligne. Environ 65 p. 100 des transactions avec les entreprises et les particuliers étaient effectuées en ligne, plutôt que par l’intermédiaire d’un centre d’appel ou de documents.

Nous avons cerné les ressources nécessaires pour la vérification des permis et les autorisations de transport. Nous étudions les processus et les modes de service, et faisons tout en notre pouvoir pour limiter l’ajout de ressources.

Le sénateur Pratte : Qu’en est-il des vérifications des antécédents?

M. Mackinnon : Il s’agit du même genre de concept qu’a évoqué le ministre Goodale. Nous sommes en train d’évaluer l’incidence qu’aura sur la clientèle une vérification de certains éléments couvrant la vie entière d’une personne. Nous estimerons les ressources qui s’ajouteront à celles dont les contrôleurs des armes à feu ont besoin pour mener leurs activités en matière d’admissibilité. Nous ne voulons pas nuire au travail qu’ils font du point de vue de la sécurité publique.

Nous tenons compte également des modifications que nous apportons à notre processus afin d’améliorer l’efficacité du traitement des dossiers, qui pourraient augmenter nos besoins en matière de ressources sans diminuer ce que nous accomplissons du point de vue de la sécurité publique.

Le sénateur Pratte : Merci.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Merci beaucoup de vos réponses. J’ai deux questions, une qui s’adresse à M. Mackinnon et l’autre à M. Koops.

Monsieur Mackinnon, vous avez parlé plus tôt des retards en ce qui concerne les demandes d’information de la GRC, entre autres, en Colombie-Britannique, en raison d’un règlement où les médecins vérifient les antécédents des cinq ans dernières années. Désormais, ils étudieront les antécédents à vie.

Donc, on peut prétendre que les retards vont s’accentuer, parce que les recherches médicales seront beaucoup plus longues, d’autant plus que les gens déménagent, changent de médecin ou de psychiatre. Les consultations devront donc être effectuées auprès de plusieurs médecins à la fois. Avez-vous des données, par province, en ce qui a trait aux retards à ce jour? Ensuite, avez-vous une idée de l’impact en ce qui concerne les demandes d’information, si on passe d’une période d’évaluation de cinq ans à une période à vie? Avez-vous calculé l’impact que cela aura en ce qui a trait aux recherches?

[Traduction]

M. Mackinnon : Merci de votre question.

Comme je l’ai dit plus tôt, je n’ai pas les données indiquant où les contrôleurs des armes à feu de chaque province obtiennent les renseignements en matière de santé mentale dans le cadre de leurs enquêtes. Nous allons faire un suivi et nous renseigner à cet égard.

Évidemment, dans certains cas, lorsqu’il est question de la maladie d’un client, nous devons compter sur le milieu médical. Nous étudions constamment les processus et les façons de les améliorer afin que les contrôleurs des armes à feu reçoivent les informations sans délai et puissent déterminer l’admissibilité du client.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Je comprends bien, mais là n’est pas ma question. Je vais la reprendre. À l’heure actuelle, alors que la période de référence est de cinq ans, les chances sont qu’une personne est soignée ou traitée par un seul médecin et que la période de violence conjugale est relativement facile à repérer dans le système judiciaire. Maintenant que le citoyen sera évalué sur toute sa vie, probablement qu’il aura été traité par plusieurs médecins et que les périodes de violence conjugale s’étaleront sur 30 ou 40 ans. Avez-vous évalué l’impact des délais par rapport à ces recherches?

[Traduction]

Kellie Paquette, directrice générale, Programme canadien des armes à feu : Nous nous appuierons sur les renseignements à notre disposition. Pour ce qui est des personnes qui auraient eu cinq médecins au cours de leur vie, comme vous l’évoquez, on pose des questions concernant leurs antécédents médicaux et, à l’heure actuelle, on revient cinq ans en arrière. Le projet de loi propose de vérifier les antécédents de la vie entière. S’il est adopté, il incomberait à la personne concernée de fournir les renseignements.

Par ailleurs, nous avons accès à des informations qui datent d’au-delà de cinq ans, qui peuvent désormais être prises en compte lorsque l’admissibilité est remise en question.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : On peut considérer que les risques d’erreurs ou d’informations erronées seront beaucoup plus importants puisque le citoyen devra livrer de l’information toute sa vie durant. Le taux d’erreur sera plus important en termes de fiabilité de l’information.

Monsieur Koops, le rapport du Bureau du vérificateur général de l’automne dernier nous a appris un élément inquiétant : en effet, le calcul du taux de récidive au Canada qui est publié par Statistique Canada par l’intermédiaire de Juristat ne prend pas en considération les gens qui sont condamnés à des peines de moins de deux ans. Avez-vous des données sur le taux de récidive ou la réincarcération de gens qui ont été condamnés à des peines de moins de deux ans et qui ont commis un crime avec une arme à feu?

M. Koops : Malheureusement, je ne connais pas bien ce rapport. On pourra vérifier auprès du ministère pour savoir si nous avons ces données.

Le sénateur Boisvenu : Il serait intéressant d’avoir des données qui incluraient les gens qui ont reçu une sentence de moins de deux ans et qui ne sont pas inscrits au registre des statistiques sur la criminalité. Il serait intéressant d’avoir un rapport sur le taux de récidive qui inclurait les personnes qui ont été condamnées à des peines de moins de deux ans et de plus de deux ans. Le portrait que nous avons à l’heure actuelle sur le taux de récidive des criminels qui ont commis un acte à l’aide d’une arme à feu est tout à fait partiel.

M. Koops : Nous ferons un suivi.

[Traduction]

Le sénateur McIntyre : Dans le projet de loi C-71, on propose d’assortir les permis des entreprises de certaines conditions. Ainsi, on exigerait que les entreprises transmettent à une personne désignée des fichiers contenant des renseignements s’il est déterminé que l’entreprise cessera d’en être une. L’objectif est d’éviter toute atteinte à la vie privée.

Le projet de loi prévoit-il des précautions en matière de protection de la vie privée et de responsabilité?

M. Koops : Le projet de loi C-71 ne contient pas de telles dispositions parce que la Loi sur la protection des renseignements personnels prévoit déjà des protections pour les renseignements personnels recueillis dans le cadre de l’administration d’un programme gouvernemental.

Les dossiers qui sont sous le contrôle d’une entreprise pourraient dans certains cas être assujettis à une loi provinciale gouvernant l’utilisation et la cueillette de renseignements personnels par les entreprises de cette province.

Le sénateur McIntyre : D’après ce que je comprends, les entreprises pourraient être obligées de faire l’acquisition d’un nouveau logiciel afin de respecter les nouvelles exigences de diligence sur la tenue des dossiers que prescrit le projet de loi C-71. Il y a cette possibilité.

M. Koops : La version du projet de loi qui vous a été présentée, sénateur, ne précise pas la manière dont les entreprises doivent tenir les dossiers. Une entreprise pourrait tenir un registre sous format papier, ce qui a été la méthode en vigueur pendant des années avant le régime actuel.

Certains grands détaillants pourraient choisir de procéder ainsi, dans le cadre de leur processus de gestion des dossiers informatisés de leurs clients. Toutefois, le projet de loi n’indique pas comment les informations doivent être conservées.

Le sénateur McIntyre : Ma prochaine question s’adresse à Mme Budgell. Elle porte sur la tenue des dossiers par les entreprises d’armes à feu et la participation des contrôleurs des armes à feu et des tribunaux dans l’émission de mandats.

D’après ce que je comprends, il existe des nuances par rapport aux pouvoirs réglementaires du contrôleur des armes à feu d’entrer dans une entreprise pour y mener une enquête et voir à ce que les dossiers soient bien tenus. Si les dossiers sont bien tenus, pas de problème : les choses s’arrêtent là. Si les dossiers ne sont pas bien tenus, l’entreprise ou la personne pourrait faire l’objet de poursuites en vertu de l’article 101 de la Loi sur les armes à feu.

Cela dit, si, en examinant les dossiers, le contrôleur des armes à feu trouve des preuves ou ce qu’il soupçonne être des preuves, la Couronne et la police peut obtenir une autorisation judiciaire pour saisir les dossiers de l’entreprise. Autrement dit, obtenir un mandat. Est-ce bien le cas?

Mme Budgell : Oui, dans le sens où il s’agit de deux cadres distincts. Les pouvoirs d’inspection prévus dans la Loi sur les armes à feu permettent aux préposés aux armes à feu d’inspecter les dossiers des entreprises.

Le sénateur McIntyre : Les pouvoirs du contrôleur des armes à feu et des tribunaux.

Mme Budgell : On vise le respect de la réglementation et on veille à ce que les entreprises satisfassent aux conditions de leur permis et se conforment aux règles.

Dès qu’il s’agit d’une enquête au criminel, les règles de la justice pénale s’appliquent. Habituellement, les normes sont plus rigoureuses. Au besoin, on exigera une autorisation judiciaire et une ordonnance de communication.

Le sénateur McIntyre : Le projet de loi C-71 ne prévoit aucun nouveau pouvoir d’enquête pour les forces de l’ordre.

Mme Budgell : C’est exact. Le projet de loi C-71 n’accorde aucun pouvoir spécial aux forces de l’ordre.

La sénatrice Griffin : Revenons aux autorisations de transport; le ministre a mentionné qu’il y avait 4 500 armuriers au Canada. Il n’a pas donné le nombre de champs de tir, mais il a dit qu’il était beaucoup plus facile pour la GRC d’avoir les champs de tir à l’œil.

Sachant cela, combien y a-t-il de champs de tir au Canada environ?

M. Mackinnon : Je n’ai pas le chiffre à portée de main, mais je dirais entre 1 200 et 1 300 dans l’ensemble du pays.

La sénatrice Griffin : J’imagine qu’obtenir une autorisation de transport est aussi simple que de faire enlever les pneus d’hiver au printemps. Je n’ai qu’à prendre rendez-vous au concessionnaire. Je crois que ce ne devrait pas être compliqué de mettre cette exigence dans la réglementation. Il n’est pas nécessaire de l’inscrire dans la loi. Ainsi, quelqu’un qui apporterait son arme chez l’armurier après avoir pris rendez-vous disposerait de la documentation requise. Ce serait probablement beaucoup plus facile à contrôler de cette façon que d’avoir à déterminer si la personne arrive ou non du champ de tir.

C’est un élément mineur. Ce n’est pas la fin du monde, mais ce serait plus simple.

Lorsque j’ai posé des questions sur l’atténuation des pertes pour les détaillants, la réponse du ministre, en gros, concernait deux types d’armes à feu que le cabinet avait permises auparavant et qui ne seront plus permises. Il a aussi été question d’une période de droits acquis, et je comprends cela.

Si on regarde vers l’avenir, si la GRC considère qu’une arme à feu auparavant à autorisation restreinte est maintenant prohibée, a-t-on discuté des solutions d’atténuation pour les détaillants d’armes à feu qui pourraient avoir ce type d’arme en stock? On parle de sommes d’argent qui pourraient être importantes pour ces détaillants.

M. Mackinnon : Oui. En ce qui concerne l’approche utilisée pour le changement de classification ou la classification d’une arme à feu, la GRC est bien consciente des impacts pour les commerçants. Ces derniers reçoivent de l’information sur ce qu’ils peuvent faire advenant qu’une reclassification fasse qu’ils n’aient plus le droit de garder les armes à feu concernées. Chaque situation est examinée au cas par cas.

Dans le cas des deux types d’armes à feu mentionnés dans le projet de loi C-71, les CZ858 et les Swiss Arms, des mesures proactives ont été prises, comme l’a mentionné M. Goodale, afin d’informer les intervenants du secteur commercial que la date de possession était le 30 juin 2018. C’était une des exigences.

Je n’irais pas jusqu’à parler de préavis, mais des mesures peuvent être mises en place pour informer les marchands, en plus des particuliers, au sujet des mesures législatives prévues.

La sénatrice Griffin : Nous allons attendre de voir comment cela se déroulera à long terme. Il pourrait être question de beaucoup d’argent. On parle de détaillants privés qui ont acheté ces armes en toute bonne foi. Il est possible que certains d’entre eux en aient une très grande quantité en stock.

Lorsque des changements sont apportés, il faut un effort véritable pour limiter les pertes des propriétaires d’entreprise légitimes.

La sénatrice McPhedran : On dirait bien que mes interventions tournent toutes autour de la question de la portée aujourd’hui. Dans ma première question, je voudrais parler du Code criminel et revenir sur votre explication, madame Budgell.

D’après ma compréhension du projet de loi, présentement, il n’est pas possible pour un policier de mener une perquisition pour trouver des documents concernant la possession d’une arme à feu. Je me réfère à l’emploi des temps présent et passé dans le libellé de l’article 117.02 du Code criminel.

Mon inquiétude vient en partie du fait que j’ai aussi des racines rurales. J’ai connu des situations de violence conjugale en milieu rural.

D’après ce que je peux lire dans le projet de loi, dans les situations où une infraction serait sur le point d’être perpétrée ou qu’un cas de violence conjugale serait sur le point d’éclater et qu’il devient nécessaire d’obtenir un mandat, l’obtention rapide du mandat en question, particulièrement dans les régions rurales, afin d’agir rapidement deviendrait pratiquement impossible d’après les exigences combinées du projet de loi et du Code criminel.

J’espère que je me trompe, mais si j’ai raison, j’en reviens à ma question concernant la possibilité d’un amendement.

Mme Budgell : Je veux être certaine d’avoir bien compris votre question. Le projet de loi ne porte pas sur les pouvoirs de perquisition et de saisie des policiers. Présentement, l’article 117, si je ne m’abuse, du Code criminel comprend plusieurs dispositions relatives aux perquisitions et aux saisies qui prévoient quand les forces de l’ordre peuvent pénétrer à l’intérieur d’une résidence ou d’un autre endroit pour saisir des armes à feu.

Il y a des situations où un mandat doit être obtenu à l’avance et d’autres situations où un mandat n’est pas requis dans des circonstances exceptionnelles.

Ces dispositions sont très claires quant à la capacité d’un policier de saisir une arme à feu lorsqu’une infraction a été commise ou lorsqu’existent des préoccupations relatives à la sécurité publique.

La sénatrice McPhedran : En ce qui a trait aux situations où il y a perpétration d’une infraction avec usage d’une arme ou des motifs raisonnables de croire à une telle perpétration, je m’inquiète notamment de la référence aux télémandats. J’essaie de comprendre ce qui arriverait dans une situation hypothétique dans un contexte rural ou isolé où la proximité des policiers est un enjeu.

A-t-on pensé à un scénario du genre et à la difficulté d’obtenir un mandat? Pouvez-vous expliquer s’il devient alors plus facile d’obtenir un télémandat dans une telle situation? Qu’est-ce qui est prévu, présentement, pour les cas de violence conjugale où une réponse rapide et une présence dans un court délai sont absolument essentielles?

Mme Budgell : Je vais demander à ma collègue, spécialiste du Code criminel, de me prêter main-forte.

Il faut faire la distinction entre les situations où il y a un mandat et des situations où il est possible qu’un mandat ne soit pas requis en raison de l’urgence d’agir.

Phaedra Glushek, directrice et avocate générale, Section de la politique en matière de droit pénal, ministère de la Justice du Canada : Je peux résumer certaines des dispositions du Code criminel relatives à l’obtention des mandats. Il y en a plusieurs.

Je n’ai pas le code avec moi, alors je vais y aller de mémoire. L’article 487.11 prévoit des perquisitions sans l’obtention de mandat. Il concerne également les télémandats pour une réponse rapide dans les situations où un mandat peut être demandé et obtenu.

En ce qui concerne les armes à feu, il y a également l’article 117.02 de la partie III du Code criminel, dont vous avez parlé, sénatrice, concernant les perquisitions et la liste des mandats de perquisition dans certaines circonstances. Les exigences de cet article et des paragraphes connexes sont moins élevées et permettent des perquisitions sans mandat dans des situations bien précises où une infraction est perpétrée ou vient de l’être. Le régime de la Loi sur les armes à feu est très strict.

Je suis certaine que le comité sénatorial connaît bien ce que permet la common law en matière de perquisitions sans mandat lors de circonstances critiques ou de situations d’urgence. Je ne vais pas présumer de la mauvaise foi des entreprises, mais, dans ce cas-ci, une situation d’urgence pourrait survenir, par exemple, lorsqu’une entreprise décide de détruire des dossiers. Ainsi, on pourrait pénétrer dans l’établissement sans mandat. C’est un pouvoir que la common law confère aux policiers.

Il existe trois catégories de circonstances. Il y a une gradation quant aux situations où un mandat est requis. En gros, ce sont les types de mandats qui peuvent être utilisés. Il y a des situations où il y a urgence et où il est possible d’obtenir un télémandat, des situations où on peut se servir des pouvoirs conférés par la common law et, dans des cas bien précis où l’urgence est extrême, des situations où on peut pénétrer dans un établissement commercial sans mandat.

La sénatrice McPhedran : Je pourrais peut-être préciser ma question. Est-il raisonnable de conclure, d’après ces informations, qu’une situation de violence conjugale imminente ou en cours justifierait clairement l’invocation de l’existence d’une situation d’urgence?

Mme Glushek : Chaque situation est examinée au cas par cas. Il pourrait très certainement arriver une situation où la personne est connue des policiers ou que ces derniers savent qu’il y a une arme à feu dans la résidence et qu’on invoque l’urgence de la situation pour pouvoir pénétrer dans la maison ou la résidence.

La sénatrice McPhedran : Je me demande si la directrice générale ou si le directeur de la GRC aurait quelque chose à ajouter venant de leur expérience sur le terrain, par exemple.

M. Mackinnon : Non, je n’ai rien à ajouter à ce que les juristes vous ont dit.

La sénatrice McPhedran : Alors je vais orienter ma question en fonction du projet de loi à l’étude. Serait-il nécessaire de présenter un amendement pour clarifier les pouvoirs prévus dans le projet de loi concernant les situations où il y a un risque imminent de perte ou de destruction de preuves ou des préoccupations quant à la sécurité des personnes ou des policiers en matière d’armes à feu ou autres choses de plus spécifique?

Mme Glushek : En ce qui concerne le projet de loi, je dirais que le régime actuel englobe la plupart des circonstances, qu’on parle de perquisitions avec un mandat, sans mandat ou dans le cadre des pouvoirs accordés par la common law.

Je ne pourrais me prononcer quant à la politique du projet de loi ou à la nécessité d’un amendement, mais je peux affirmer qu’il y a un régime exhaustif en matière de mandats et de télémandats et qu’il couvre les situations telles que la violence conjugale.

Le sénateur McIntyre : À l’heure actuelle, l’article 23.1 de la Loi sur les armes à feu indique qu’un cédant est autorisé à céder des armes à feu sans restriction s’il n’a aucun motif de croire que le cessionnaire n’est pas autorisé à acquérir et à posséder une telle arme.

Le projet de loi C-71 éliminerait complètement l’article 23.1, y compris le paragraphe 23.1(2), qui prévoit ceci :

[...] le directeur, son délégué ou la personne désignée,selon le cas, ne conserve aucun registre ou fichierau sujet d’une telle demande.

Voici ma question : qui est désigné directeur de l’enregistrement des armes à feu, et en vertu de quelle autorité est-il désigné?

M. Mackinnon : Le directeur de l’enregistrement des armes à feu — j’invite les autres à me corriger au besoin — est désigné par le commissaire aux armes à feu ou le ministre de la Sécurité publique. Je ne sais pas quel est le mécanisme législatif prévu, mais le directeur aurait la responsabilité de recueillir les renseignements qui concernent la vérification du permis du cessionnaire relativement aux éléments énumérés dans le projet de loi C-71.

À l’heure actuelle, le directeur de l’enregistrement des armes à feu est un employé de la GRC qui relève du directeur général et de la commissaire aux armes à feu, laquelle est aussi commissaire de la GRC.

Le sénateur McIntyre : J’aimerais poser une dernière question à M. Mackinnon à ce sujet. Le directeur de l’enregistrement des armes à feu sera-t-il autorisé à conserver des données sur les demandes concernant la cession d’une arme sans restriction entre deux personnes?

M. Mackinnon : Oui. Aux termes du projet de loi C-71, le directeur recueillera le numéro de permis relatif au transfert ou le numéro de permis du cessionnaire, la date et le numéro de référence attribué. Il ne recueillera toutefois aucun détail sur les armes qui font partie de la transaction.

Le sénateur Pratte : Certains disent craindre qu’il soit possible d’établir des liens avec les armes si on prend les données que conservera le gouvernement à propos des numéros de référence associés aux permis de possession et d’acquisition et qu’on les combine à d’autres sources de renseignements.

De tels liens seront-ils possibles, ou s’agira-t-il d’une base de données indépendante, complètement séparée de toute autre base de données?

M. Mackinnon : Comme je l’ai mentionné, le directeur ne recueillera aucun renseignement sur les armes qui font partie de la transaction. Aux termes du projet de loi C-71, il recueillera quatre renseignements précis, qui resteront isolés.

Un lien établi avec la base de données des permis permettra de valider l’admissibilité de l’acheteur, ce qui est l’objet du projet de loi. Les renseignements recueillis resteront toutefois isolés.

La présidente : Au nom des membres du comité, je vous remercie de vos éclaircissements à propos de ce projet de loi très pointu.

Le dernier groupe de témoins de la journée comprend les personnes suivantes : Daniel Fritter, de la publication Calibre : Canada’s Firearms Magazine; Edward Burlew, avocat, qui témoignera par vidéoconférence; et Gerry Gamble, président des Sporting Clubs of Niagara.

Monsieur Fritter, je vous invite à présenter votre exposé.

Daniel Fritter, éditeur, Calibre - Canada’s Firearms Magazine : Je suis propriétaire et éditeur du magazine Calibre, la plus populaire des publications canadiennes consacrées aux armes à feu, qui compte environ un million de lecteurs par année. J’ai lancé Calibre il y a sept ans. Depuis, j’écris des reportages sur les débats entourant les armes à feu au Canada. C’est un honneur de témoigner devant vous aujourd’hui.

Je parlerai franchement : le projet de loi C-71 ne permettra pas d’accroître la sécurité publique, comme il vise à le faire, et je n’appuie aucun élément de cette mesure législative. Je comprends toutefois qu’à son arrivée au pouvoir, le gouvernement actuel avait pour mandat d’éliminer l’ancien projet de loi C-42, ce que vise principalement à faire le projet de loi C-71.

Signalons que le projet de loi C-42 ne posait pas de menace notable pour la sécurité des Canadiens, et que le projet de loi C-71 ne représente pas un jalon important vers un Canada plus sûr. Je crois, au contraire, que certains des éléments prévus posent un risque important pour la sécurité publique puisque leur mise en œuvre coûtera cher et qu’aucune restriction n’est imposée au gouvernement et à la GRC aux fins du respect des obligations prévues par le projet de loi.

Je demanderais au comité de réévaluer, d’abord et avant tout, l’exigence voulant que les commerçants conservent des registres ou fichiers des achats d’armes à feu, une exigence qui ne comporte aucune restriction pour le moment.

La présidente : Monsieur Fritter, pourriez-vous parler plus lentement pour faciliter le travail des interprètes?

M. Fritter : Dans sa forme actuelle, la loi exige que les commerçants notent des renseignements sur les armes achetées et le numéro de permis de l’acheteur, et qu’ils conservent ces renseignements pendant 20 ans.

Comme l’a expliqué M. Caruana lorsqu’il a comparu devant le comité, cela aurait essentiellement pour effet de créer un registre décentralisé des armes à feu. Alors qu’un tel registre ne servirait pas vraiment aux forces de l’ordre puisqu’il ne leur offrirait aucun accès centralisé aux données, sans oublier la question de la protection des données, les commerçants devraient assumer les coûts et le travail requis pour maintenir ce registre et le protéger.

Je ne suis pas moi-même commerçant d’armes, et je ne perdrai pas le temps du comité en parlant des préoccupations que pourraient avoir les commerçants. Je suis toutefois propriétaire d’armes à feu. À ce titre, je crois que, chaque fois que l’industrie privée note mes données personnelles à la demande du gouvernement, particulièrement quand il s’agit de l’achat et de la possession d’objets qui intéressent les criminels, comme les armes à feu, le gouvernement a des responsabilités envers les Canadiens : il doit voir à ce que ces entreprises privées ne puissent recueillir que des données limitées, et à ce que les données soient protégées par la loi.

Le projet de loi C-71 ne prévoit ni restriction de ce genre ni protection des données. Il est donc pratiquement garanti que certains commerçants recueilleront plus de données que l’exige le projet de loi C-71, par exemple le nom et l’adresse de l’acheteur, pour diverses raisons.

La création d’une telle base de données pose des risques importants. En effet, si un criminel l’obtenait, il aurait du même coup une véritable liste de magasinage comprenant une liste d’armes et l’adresse où chacune se trouve. La police ne pourrait rien faire pour protéger les armes en question et garantir la sécurité de leurs propriétaires, si ce n’est de déployer des policiers devant la résidence de chacun.

De nos jours, les gangs criminels ont amplement les moyens d’embaucher des pirates informatiques et des explorateurs de données, tandis que les boutiques d’armes locales disposent de moyens limités pour protéger les données. Le gouvernement doit donc réduire les risques que pourraient courir les propriétaires d’armes et l’ensemble de la population. Il doit, pour ce faire, amender le projet de loi C-71 de façon à interdire la collecte de renseignements personnels supplémentaires en lien avec la vente d’une arme, et fournir des lignes directrices sur la sécurité des données.

Mon deuxième sujet de préoccupation concerne aussi la cueillette de données. Il porte plus précisément sur la vente d’armes à feu sans restriction et sur le nouveau système de vérification que propose le projet de loi C-71.

Premièrement, il sera pratiquement impossible d’appliquer ce système dans le cas des ventes privées. Si une personne vend une arme sans restriction à une autre personne, les forces de l’ordre ne peuvent généralement pas obtenir de condamnation, à moins que l’achat ne soit fait par un agent d’infiltration.

Deuxièmement, comme je l’ai déjà signalé au sujet des registres des commerçants, le gouvernement procède, en fait, à une immense campagne de collecte de données qui n’est balisée par aucune restriction. Dans sa forme actuelle, le projet de loi décrit le processus que devront suivre les gens, mais il n’impose au gouvernement aucune restriction quant aux données qui peuvent être exigées d’un propriétaire d’arme pour l’obtention d’un numéro de référence attribué par le centre des armes à feu. Comme nous l’avons appris récemment, ces données pourraient très bien servir à d’autres fins que celles que prévoit le projet de loi C-71.

Un membre du Comité consultatif canadien sur les armes à feu a indiqué que la première rencontre du comité avait été consacrée aux changements au Règlement sur l’entreposage des armes à feu que pourrait entraîner le projet de loi C-71. De toute évidence, comme ce projet de loi ne parle pas du tout de l’entreposage des armes, on peut supposer que tout changement concernant l’entreposage sera en lien avec l’entreposage des données recueillies.

Ce qui m’inquiète particulièrement à propos de cet élément, c’est son coût. En 2012, la dernière année pour laquelle nous avons des données au sujet des armes d’épaule détenues au Canada, le pays comptait environ 7 millions d’armes sans restriction et 500 000 armes à autorisation restreinte. À l’heure actuelle, il y a un million d’armes à autorisation restreinte au Canada. Comme ce nombre a doublé depuis 2011-2012, on peut raisonnablement supposer que le nombre d’armes sans restriction atteint maintenant 14 millions, surtout si on tient compte du fait que les 7 millions d’armes inscrites à l’origine ne représentaient, grosso modo, que la moitié des armes importées pendant la période où le registre des armes d’épaule était en vigueur.

Selon une estimation prudente, si on exige que le centre des armes à feu approuve désormais la cession des armes sans restriction, sa charge de travail sera multipliée par 14. À cela s’ajoute le fait que les propriétaires devront désormais obtenir une autorisation de transport qui n’était pas requise auparavant. On peut donc estimer que le budget du centre des armes à feu devra être multiplié au moins par 15 pour maintenir ses normes de service. Soulignons qu’à l’heure actuelle, le centre semble souvent débordé par le nombre d’appels, ce qui se traduit par des attentes de 10 à 30 minutes.

Rappelons que, dans le budget de 2016-2017 du programme d’armes à feu, près de 12 millions de dollars étaient affectés au site de traitement central. Je m’attends donc à ce que ce budget passe à 180 millions de dollars par année en raison de la charge de travail accrue qu’entraînera le projet de loi C-71. C’est là une estimation prudente.

Le programme des armes à feu a annoncé dernièrement qu’il n’a pas les moyens de tester des armes, sauf si elles ont servi pendant un crime et que des coups de feu ont été tirés. Dans ce contexte, il m’apparaît inconsidéré d’adopter une loi qui obligerait le gouvernement à affecter d’énormes ressources à un centre d’appels dont la clientèle n’est composée que de gens comme nous qui sont soumis à une vérification d’antécédents quotidienne.

Il faudrait donc modifier considérablement cet élément du projet de loi C-71, de manière à imposer des limites au gouvernement pour la cueillette des données et à réduire le fardeau financier que créerait le projet de loi dans sa forme actuelle.

Enfin, je demanderais au comité de réévaluer l’idée d’imposer des vérifications d’antécédents illimitées pour les nouvelles demandes de permis de possession et d’acquisition, pour les raisons que j’ai déjà données. Parmi tous les éléments du projet de loi, c’est probablement celui qui s’éloigne le plus des valeurs et des idéaux canadiens.

Bien que je ne sois pas avocat ni spécialiste de la validité légale de telles dispositions, je crois que la Charte canadienne des droits et libertés protège les Canadiens contre les fouilles et les perquisitions abusives. Quand un Canadien présente une demande de permis d’arme à feu, le service national de police ne devrait pas avoir carte blanche pour fouiller dans sa vie et dans ses activités en ligne.

À titre de comparaison, rappelons que les mandats de perquisition émis pour des affaires criminelles sont souvent assujettis à davantage de restrictions que les vérifications qui seront faites pour les demandes de permis de possession et d’acquisition en vertu du projet de loi C-71.

Outre les enjeux relatifs à la sécurité et à la protection de la vie privée, comme pour les autres parties du projet de loi dont j’ai parlé, il faut penser à ce que coûteraient des vérifications d’antécédents illimitées.

Si on ajoute ces coûts aux sommes qui seraient requises pour maintenir le niveau de service dans le cadre du nouveau processus de vérification de cession d’une arme à feu sans restriction et pour traiter les nouvelles demandes de transport d’armes qui seraient exigées, le budget du programme des armes à feu pourrait passer d’environ 54 millions de dollars à plus de 250 millions de dollars par année.

Il s’agirait donc d’un crédit budgétaire considérable, et ce, pour un service dont la clientèle ne compte que deux millions de Canadiens qui ont déjà prouvé qu’ils étaient pacifiques et respectueux des lois, et qui font déjà l’objet de vérifications quotidiennes.

C’est pourquoi je demande au Sénat d’envisager l’élimination de cet élément du projet de loi C-71.

Je pourrais encore parler longuement des faiblesses du projet de loi. Si j’avais plus de temps, je réussirais sûrement à ennuyer terriblement tous les gens ici présents en décrivant ce qui m’apparaît comme un abandon des responsabilités gouvernementales en ce qui concerne l’élimination de toute surveillance du système de classification de la GRC, la création de nouvelles catégories d’armes prohibées et pratiquement tous les autres éléments du projet de loi.

Selon moi, le projet de loi C-71 a été élaboré à toute vitesse dans le but d’éliminer l’ancien projet de loi C-42, tel que promis par le gouvernement. J’encourage vivement le comité à évaluer ce projet de loi non pas en fonction de l’image que lui donne le gouvernement, qui le présente comme un renfort contre des attaques semblables à celles qui ont secoué la Nouvelle-Zélande la semaine dernière, mais en fonction de sa propre valeur.

Je vous remercie d’avoir pris le temps de m’écouter. J’espère pouvoir répondre à vos questions à votre satisfaction.

Edward Burlew, avocat, à titre personnel : Les membres du comité trouveront peut-être utile de savoir que j’exerce le droit depuis 40 ans. Je suis diplômé de la Osgoode Hall Law School. Depuis 21 ans, je me spécialise en droit des armes à feu et je représente des propriétaires d’armes titulaires de permis. Je ne représente pas de membres de gangs; c’est un temps révolu. Je ne les représente pas. J’ai traité plus de 700 affaires pendant ce volet de ma carrière, et je connais un solide succès. Parmi ces 700 cas figurent de nombreux appels à propos des références pour les permis d’arme à feu et des demandes de permis pour une arme prohibée, que ce soit dans le contexte du prononcé de la peine ou non, en vertu de l’article 117 du Code criminel.

Cela m’amène au point que je souhaite aborder aujourd’hui, c’est-à-dire l’élimination de la limite de cinq ans qui figure actuellement au paragraphe 5(2) de la Loi sur les armes à feu.

Voici ce que dit actuellement le paragraphe 5(1) de la Loi sur les armes à feu à propos de l’admissibilité à un permis :

[...] lorsqu’il est souhaitable,pour sa sécurité ou celle d’autrui, que le demandeurn’ait pas en sa possession une arme à feu, une arbalète,une arme prohibée, une arme à autorisationrestreinte [...] des munitions [...]

Cette formulation est semblable à celle qui est utilisée, dans le Code criminel, quand il est question de demander ou de réévaluer une ordonnance d’interdiction discrétionnaire si une personne est reconnue coupable. Selon le paragraphe 110(1), le tribunal doit déterminer :

[...] s’il en arrive à la conclusion qu’il est souhaitable pour la sécurité du contrevenant ou pour celle d’autrui de [...] rendre une ordonnance lui interdisant d’avoir en sa possession des armes à feu, arbalètes, armes prohibées [...]

Par ailleurs, selon l’article 111 du Code criminel, qui vise les demandes d’interdiction préventives, l’agent de la paix, le préposé aux armes à feu ou ou tout autre agent peut demander à un tribunal provincial d’interdire à quelqu’un, ne serait-ce que de toucher les objets suivants, c’est-à-dire, comme précédemment :

[...] des armes à feu, arbalètes, armes prohibées, armes à autorisation restreinte, dispositifs prohibés, munitions, munitions prohibées et substances explosives...

— comme la poudre noire —

... s’il [croit] qu’il ne serait pas souhaitable pour la sécurité de qui que ce soit que [la personne] soit autorisée à les avoir en sa possession.

La même règle s’applique lorsqu’il s’agit de saisir les armes à feu de quelqu’un. En effet, l’article 117.04 du Code criminel dit essentiellement la même chose : « [...] s’il est convaincu [...] que cette personne est en possession [d’armes à feu, et cetera] et que cela n’est pas souhaitable pour sa sécurité ou celle d’autrui. »

En quoi est-ce important? Les tribunaux, y compris les cours d’appel, dans toutes les provinces et tous les territoires, ont établi une jurisprudence, le principe selon lequel l’imposition d’une ordonnance d’interdiction doit dépendre de l’état actuel de la personne qui est en cause ou qui est trouvée coupable. Le tribunal examine l’état actuel de la personne. C’est là le plus important.

Dans les affaires dont je me suis occupé, il y a des gens qui avaient eu des problèmes. Voici ce qui a mené à une ordonnance d’interdiction. Voici ce qui a mené à une accusation de voies de fait. Le tribunal se penche sur l’état de la personne au moment de la détermination de sa peine ou de l’audience relative à une ordonnance d’interdiction.

Lorsqu’il s’agit pour nous, les avocats de la défense, de montrer que quelqu’un s’est réadapté, ce n’est pas une mince affaire. Les juges, les procureurs de la Couronne et les policiers vérifient et contre-vérifient notre travail et le dossier de la personne. S’ils ont l’assurance que cette personne est réadaptée au moment de l’audience, aucune interdiction n’est imposée.

Or, supprimer les mots « pour les cinq ans précédant la date de la demande » du paragraphe 5(2) va à l’encontre de cette jurisprudence. Ce paragraphe indique que le contrôleur des armes à feu — qui peut déléguer cette tâche aux autres autorités compétentes, jusqu’aux préposés aux armes à feu de chaque province — sera tenu de tout réexaminer depuis le début. Le paragraphe dit que le contrôleur « tient compte » de ces faits; il le mandate donc de le faire.

Que faut-il retenir? Que les personnes de 50 ans ont dû renouveler leur permis quatre fois depuis 1998. Elles détiennent un permis de possession d’arme à feu depuis 20 ans. Or, peut-être que, quand elles avaient 18 ans, elles ont eu une bagarre qui s’est soldée par une peine. Peut-être qu’elles ont été mises à l’amende. Peut-être qu’elles ont plaidé coupables. Peut-être qu’elles ont passé une journée en prison. Tout cela devient tout d’un coup pertinent. À défaut de donner des directives au contrôleur ou au préposé des armes à feu relativement à la réadaptation, elles n’obtiendront rien.

La réadaptation est cruciale, mais le retrait de la limite de cinq ans n’en tient aucunement compte. En revanche, en droit de l’immigration, il y a une directive d’une trentaine de pages sur la réadaptation de quelqu’un qui a un casier judiciaire et qui désire devenir résident permanent.

C’est la même chose pour la détermination de la peine. C’est ce qu’on appelle l’évaluation des risques, mais la Loi sur les armes à feu n’en dit pas un mot. Les bureaux chargés de la délivrance des permis sont laissés complètement à eux-mêmes.

Je parle de l’Ontario et des autres provinces de l’Ouest où je pratique le droit. C’est quelque chose que je découvre, car les policiers, dans l’ensemble, cherchent au-delà des cinq années actuellement. Ils évaluent la situation et ils cherchent à s’y retrouver. Même si quelqu’un a obtenu un permis à l’issue de l’examen d’un tribunal, d’un procureur de la Couronne ou d’un préposé aux armes à feu dans une autre province ou un autre territoire, il est maintenant soumis à un nouvel examen, sans égard à sa réadaptation.

C’est une évidence : les personnes qui possèdent une arme à feu depuis au moins cinq ans, et même depuis beaucoup plus longtemps dans certains cas, étant donné les renouvellements, sont bel et bien réadaptées.

Pourquoi les policiers doivent-ils aller des dizaines d’années en arrière dans les casiers judiciaires? Ils ne peuvent pas retrouver les témoins. Ils ne peuvent pas aller au fond des choses. Je ne parle pas que sur le plan anecdotique. C’est ce qui se passe.

Il y a un avocat qui avait eu des problèmes au secondaire. Après avoir enquêté, la police a conclu qu’il n’y avait pas vraiment de problème. Pourtant, un préposé aux armes à feu se penche expressément sur son cas. L’affaire remonte à plus de 15 ans.

Il faut revoir la question. Ce qui semble être une excellente idée à première vue ne fonctionnera pas dans les faits, car on ne donne aucune directive aux préposés aux armes à feu. On ne leur dit absolument pas qu’ils doivent se conformer à la jurisprudence relativement aux interdictions.

J’ai rédigé un document à ce sujet à l’intention du comité. J’ignore s’il a été distribué. J’y explique en quoi une ordonnance d’interdiction a un champ de prévention beaucoup plus large que le simple refus d’un permis de possession d’arme. Il faut se pencher là-dessus.

Il s’agit d’un enjeu grave, car on gaspille les ressources policières. On revisite des choses qui ont déjà été tranchées, sans avoir obtenu de directives à cet effet.

Je comprends l’idée derrière tout cela, mais c’est une question de pragmatisme. Je parle de la jurisprudence, des libellés très semblables. Rien ne justifie que diverses personnes aient à se tourner vers les tribunaux après qu’on leur eut refusé un permis de possession d’arme selon ces critères.

La présidente : Puis-je vous prier de terminer?

M. Burlew : J’achève justement.

J’aimerais qu’on réexamine la question. Pour des considérations pratiques, je pense qu’il faut continuer de s’en tenir à cinq ans.

Je vous remercie de votre temps et je serai heureux de répondre à vos questions.

Gerry Gamble, président, The Sporting Clubs of Niagara : Le Sporting Clubs of Niagara et un groupe d’action politique citoyen proarmes à feu qui représente quelque 7 000 ménages de la péninsule du Niagara. Je siège par ailleurs au comité de direction de deux clubs d’amateurs d’armes à feu de la région de Niagara en plus d’être vice-président de l’Association des sports de tir du Canada. Pendant sept ans, de 2006 à 2013, j’ai en outre été membre du Comité consultatif canadien sur les armes à feu du gouvernement fédéral.

Je traiterai aujourd’hui expressément des répercussions du projet de loi C-71 sur les utilisateurs légitimes d’armes à feu ainsi que du point de vue des clubs et des champs de tir.

Avant les élections de 2015, le premier ministre Trudeau a dit :

Nous créerons des politiques basées sur des faits, et non des faits basés sur les politiques.

Or, ce projet ne satisfait pas à ce critère. Il repose non pas sur des faits, mais sur des suppositions sans fondement, des observations anecdotiques mal appuyées et des situations hypothétiques. En conséquence, il ne pourra que rater son objectif, qui consiste à instituer :

[...] des mesures judicieuses afin de réprimer la possession d’armes de poing et d’assaut illicites, rendant nos collectivités plus sûres.

Voici une liste de points qui sont nuisibles aux clubs de tir et à leurs membres tout en ne contribuant aucunement à l’atteinte de l’objectif du projet de loi, que je viens d’énoncer.

En premier lieu, il y a l’élimination des autorisations de transport qui sont actuellement associées à un permis de possession et d’acquisition.

Aujourd’hui, un permis de possession et d’acquisition autorise le transport d’une arme à utilisation restreinte ou prohibée dans les six cas suivants : pour l’apporter à un champ de tir agréé; pour la présenter à un agent de la paix, et cetera, à des fins de vérification, d’enregistrement ou de disposition; pour la faire réparer auprès d’une entreprise agréée; pour l’apporter à une exposition d’armes à feu; pour la présenter à un port de sortie ou d’entrée; pour la conduire du lieu d’achat à la résidence du titulaire du permis.

Le projet de loi C-71 élimine l’autorisation dans tous ces cas, sauf le premier et le sixième. Le reste du temps, le propriétaire devra demander une autorisation de transport.

Peu de preuves laissent supposer que le régime d’autorisation de transport actuel est utilisé à mauvais escient ou que le transport d’armes à feu n’est pas encadré. Après tout, les propriétaires d’armes sont tout de même tenus de respecter les conditions énoncées dans la Loi sur les armes à feu. Ils ne commettent pas un vol à main armée au dépanneur pendant qu’ils se rendent chez l’armurier, pas plus qu’ils ne cambriolent une banque en route vers une exposition d’armes à feu. Toute affirmation en ce sens serait au mieux trompeuse et au pire d’une fausseté flagrante.

À la suite d’une demande d’accès à l’information, Dennis Young, qui a déjà comparu devant ce comité, a découvert que près d’un million d’autorisations de transport avaient été délivrées de 2008 à 2017, dont seulement 471 avaient été révoquées, soit 0,047 p. 100, la plupart du temps parce que le titulaire du permis n’adhérait plus à un club de tir et qu’il n’avait donc plus besoin de transporter d’armes.

La GRC estime-t-elle que les autorisations de transport font l’objet d’un usage abusif? Selon la demande d’accès à l’information de M. Young, rien dans les dossiers du Programme canadien des armes à feu ne fait état d’arrestations ou de mises en accusation relativement au nombre d’individus accusés d’avoir commis un acte criminel sans avoir d’autorisation valide pour le transport d’armes à feu, et il n’y a rien sur le nombre total de propriétaires d’armes à feu titulaires d’un permis à avoir été mis en accusation au criminel sans avoir eu d’autorisation valide pour le transport d’armes à feu.

Il n’y a là rien d’étonnant : les propriétaires d’armes à feu titulaires d’un permis ne transportent pas leurs armes dans le but de commettre des actes criminels, et les criminels ne se donnent jamais la peine d’obtenir une autorisation de transport.

Obliger comme le fait le projet de loi C-71 les propriétaires à obtenir des autorisations de transport individuelles dans les cas autres que le premier et le sixième n’est qu’une pure perte de temps et d’argent. Ce changement ne réduira aucunement l’utilisation d’armes à feu à des fins criminelles, alors qu’il mobilisera des ressources policières déjà rares, au détriment de la prévention efficace de la criminalité.

Ensuite, il y a l’interdiction des fusils CZ858 et Swiss Arms. Le projet de loi reclassifie d’office en armes prohibées 10 000 à 15 000 armes à utilisation restreinte et non restreinte achetées et possédées légalement. Il laisse à la GRC une plus grande marge de manœuvre pour reclassifier et prohiber n’importe quelle arme à feu sans faire l’objet d’un encadrement rigoureux pour justifier la démarche.

Ces fusils ne sont pas couramment employés pour commettre des actes criminels. Ce sont des armes coûteuses, à raison de 1 500 $ à 4 000 $ l’unité. Elles servent surtout à la chasse et au tir à la cible, et rien de particulier ne les distingue des milliers d’autres armes à feu à usage non restreint qui existent au Canada. Elles ne sont pas plus dangereuses.

La GRC n’a fourni aucune preuve du contraire. Si ces armes à feu présentent un danger pour la sécurité publique, il faut se demander pourquoi la GRC a d’abord jugé bon de les classer tous les deux dans la catégorie des armes à feu sans restriction, soit la plus inoffensive des trois catégories d’armes à feu du Canada.

L’application du droit canadien a-t-il sombré dans un abîme si profond que des Canadiens honnêtes et respectueux des lois peuvent se voir confisquer leurs biens sans qu’on daigne leur donner une raison valable?

On pourrait s’attendre à une telle confiscation de biens sans indemnisation en Corée du Nord ou à Cuba, mais pas au Canada. Malgré les beaux discours du gouvernement, il s’agit d’une confiscation, étant donné que ces armes à feu seront saisies sans indemnisation au décès de leur propriétaire.

Troisièmement, il y a la vérification des permis en cas de cession d’une arme à feu. Au titre du projet de loi C-71, il faut détenir un numéro de référence avant de procéder à la cession d’une arme à feu sans restriction. À l’instar des autorisations de transport révisées, cette mesure semble répondre à une question que personne n’a posée. Statistiquement, les armes à feu les plus utilisées par les criminels sont les armes de poing, malgré le fait que leur cession légale au Canada est strictement réglementée depuis 1934.

Soyons clairs : il est rare qu’un propriétaire d’armes à feu détenteur d’un permis fournisse une arme à feu à une personne qui ne devrait pas en avoir une. Le cas échéant, il existe une loi permettant de porter les accusations appropriées.

Selon les renseignements dont je dispose, dans toute l’histoire du Canada, il n’y a eu au total que 24 poursuites, et non des condamnations, pour des achats au moyen de stratagèmes, où une personne détentrice d’un permis achète des armes à feu pour une personne qui ne détient pas de permis.

Le gouvernement ne croit certainement pas vraiment qu’un autre système de données permettant de prévenir dans le meilleur des cas une ou deux transactions illégales par année constitue la façon la plus économique de prévenir le crime.

En août 2018, CBC News a communiqué avec le Programme canadien des armes à feu au sujet des armes à feu achetées au Canada utilisées pour commettre des crimes. La GRC a répondu ceci :

À l’heure actuelle, il n’existe aucun dépôt national pour ce type d’information au Canada. Le Programme canadien des armes à feu ne recueille pas de statistiques nationales sur l’origine des armes à feu utilisées pour commettre des crimes et il n’en fait pas le suivi [...] de telles données n’existent pas.

Lynn Barr-Telford, directrice générale de Santé, Justice et Enquêtes spéciales de Statistique Canada, a déclaré ceci :

Nous ne connaissons pas l’origine des armes à feu utilisées dans des actes criminels au Canada.

Si, comme le gouvernement le prétend, ce sont les armes à feu achetées au Canada qui posent problème, pourquoi la GRC ne tient-elle pas de statistiques sur ces incidents? La réponse semble évidente. Ils sont si rares qu’ils ne constituent pas un problème.

En conclusion, étant donné que la majeure partie de ce projet de loi touche uniquement les propriétaires d’armes à feu qui détiennent un permis et les armes à feu légales, il est faux d’admettre qu’il peut, dans sa forme actuelle, lutter de façon significative contre l’utilisation illégale des armes à feu.

Dans un communiqué de presse publié en mars 2018, M. Goodale, le ministre de la Sécurité publique, a déclaré que le projet de loi C-71 traiterait les propriétaires d’armes à feu honnêtes de manière respectueuse et raisonnable.

À la lumière de cette déclaration, je vous pose les questions suivantes : est-il raisonnable et respectueux de confisquer des biens acquis légalement sans indemnisation? Est-il raisonnable et respectueux d’imposer des formalités administratives supplémentaires qui, selon les données, n’ont aucun effet sur l’utilisation des armes à feu à des fins criminelles? À mon avis, la réponse claire et précise à toutes ces questions est non.

Si la solution pour prévenir l’utilisation des armes à feu à des fins criminelles était de se concentrer sur les propriétaires légitimes d’armes à feu, le problème aurait dû être réglé en 1977 grâce au projet de loi C-51, en 1991 grâce projet de loi C-17, et en 1995 grâce au projet de loi C-68. Or, 42 ans plus tard, on essaie de résoudre les mêmes problèmes à l’aide de la même logique absurde.

Si ce projet de loi est adopté dans sa forme actuelle, je vous assure que, dans quelques années, nous serons de retour ici pour tenter en vain de comprendre pourquoi le taux de crimes commis au moyen d’une arme à feu ne diminue pas.

Je vous demande de profiter de l’occasion pour rejeter ce projet de loi dans sa forme actuelle et d’éviter de répéter l’erreur de se concentrer sur les Canadiens respectueux des lois et détenteurs d’un permis dans un effort mal dirigé pour résoudre le problème de l’utilisation des armes à feu à des fins criminelles.

Je vous remercie de votre temps et de votre intérêt. Je me ferai un plaisir de répondre à toutes vos questions.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Merci à nos invités. Ma première question s’adresse à M. Fritter.

Monsieur Fritter, les défenseurs du projet de loi nient catégoriquement que le projet de loi C-71 crée un nouveau registre des armes à feu. D’ailleurs, ils nous citent le préambule du projet de loi pour justifier cet argument. Vous avez dit, d’entrée de jeu, que c’est un registre déguisé. Pouvez-vous justifier cette affirmation?

[Traduction]

M. Fritter : Quelques éléments justifient mon affirmation. Il y a manifestement le processus de vérification pour les armes d’épaule, qui est enclenché au moment de la vente de ces dernières. Les vendeurs devront céder ces armes un peu comme on le fait dans le cas de la cession d’une arme à feu à autorisation restreinte.

Je ne crois pas que cela constitue un quelconque registre des armes d’épaule. Toutefois, cette mesure fournit un registre du nombre d’armes à feu qu’une personne possède. Par exemple, si une personne achète cinq armes à feu et qu’elle en vend trois, le gouvernement dispose d’une sorte de registre du nombre d’armes à feu qui reste à cette dernière. J’ai oublié les deux chiffres que j’ai dits parce que je suis nerveux.

Le deuxième élément est celui des détaillants, qui, je le répète, n’est pas un registre des armes d’épaule, mais qui pourrait le devenir si le projet de loi n’est pas amendé pour limiter les renseignements qui peuvent être recueillis dans le cadre de ces achats.

Si un magasin souhaite prendre en note le nom et l’adresse d’une personne pour la gestion de la clientèle et ainsi de suite, c’est très bien, mais, en ce qui concerne la vente d’armes à feu en particulier, le projet de loi doit être amendé pour que les entreprises ne puissent recueillir que le numéro de permis de possession et d’acquisition et le type d’arme à feu parce que ces renseignements n’ont aucune valeur.

Je pense qu’il est également crucial de souligner, comme je l’ai mentionné dans mon discours, que ni le projet de loi C-71 ni l’actuelle Loi sur les armes à feu ne contiennent de dispositions visant à empêcher un détaillant de distribuer ce registre. Si un employé mécontent prend des registres de ventes d’armes à feu tenus pendant 10 ans et qu’il les vend à un membre d’un gang pour une grosse somme d’argent, ce n’est même pas illégal, et, lorsque cette information circule librement, cela représente un énorme risque pour la sécurité.

En tant que propriétaire légitime d’armes à feu, si le registre de mon magasin d’armes local est vendu, c’est terminé. On ne remettra jamais la main dessus. Je suppose que je devrais déménager. C’est la seule conclusion à laquelle je puisse arriver. Autrement, il y a un registre qui circule et qui indique que, dans la maison où j’habite, il y a des armes à feu. C’est une situation très inconfortable.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Ma prochaine question s’adresse à M. Burlew.

M. Fritter a parlé de la lourde charge que représente le projet de loi C-71. Il y aura des certificats d’enregistrement; on parle de vérifications d’antécédents et de suivis des données par les vendeurs. Cependant, tout devient un peu flou quand on veut savoir ce qui va se passer sur les territoires autochtones, où il y a pourtant beaucoup d’armes à feu et d’armes illégales.

Croyez-vous, à titre d’avocat, que ce projet de loi crée, chez ceux qui le réclamaient, un sentiment de sécurité qui ne sera rien d’autre qu’un écran de fumée, tout en imputant nombre de responsabilités aux policiers, aux commerçants, aux chasseurs et aux agriculteurs? En peu de mots, pensez-vous que le projet de loi est applicable de manière équitable sur tout le territoire canadien?

[Traduction]

M. Burlew : En réponse à la situation des propriétaires d’armes à feu autochtones, nous devons penser au fait que, dans le passé, la police aurait agi injustement à l’égard des Autochtones. Les Autochtones sont impliqués de façon inexpliquée ou injuste dans un nombre élevé d’incidents mettant en cause la police.

Je pense que ce sera un gros problème si nous remontons plus de cinq ans en arrière. Pour pratiquer la chasse de subsistance et profiter de leur style de vie, de leurs droits et de leur culture, les chasseurs autochtones doivent détenir un permis pour leurs armes à feu.

Selon moi, en remontant plus de cinq ans en arrière, ils devront à nouveau faire face à des enquêtes et à des difficultés qu’ils ont déjà surmontées, qu’il s’agisse de la drogue, de la violence, de la dépression ou de quelque chose du genre. Les Autochtones constateront que, plusieurs décennies plus tard, on réexamine leur vie d’aujourd’hui à travers le prisme de problèmes qu’ils se sont efforcés de surmonter de concert avec leurs communautés.

À cause de cette mesure, on pourrait commencer à appeler le projet de loi C-71 loi sur le désarmement des Autochtones, et je n’emploie pas ce terme à la légère.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Ma dernière question s’adresse à M. Gamble. Vous avez sûrement entendu, plus tôt aujourd’hui, le ministre de la Sécurité publique, M. Goodale. Que pensez-vous des explications qu’il donne pour rassurer les propriétaires qui devront transporter leurs armes, comme il dit qu’ils le faisaient auparavant? Que pensez-vous de l’idée que ces permis puissent être obtenus par l’intermédiaire d’Internet?

[Traduction]

M. Gamble : Je n’ai pas entendu l’intervention du ministre aujourd’hui, mais je vais vous faire part de mon expérience en matière de cession d’armes à feu. À l’heure actuelle, en Ontario, quand j’essaie de céder une arme à feu à autorisation restreinte, il m’arrive souvent d’attendre de quatre à six semaines avant qu’on finalise la cession.

Nous savons tous comment nous pouvons compter sur les promesses entourant les systèmes de données. Le système de paye Phénix est un exemple qui illustre bien le bon fonctionnement des systèmes de données.

Pour vous donner une idée, le Sporting Clubs of Niagara organise quatre expositions d’armes à feu par année. Dans le cadre de ces expositions, les gens achètent et vendent des armes à feu. Les expositions d’armes à feu ont lieu le vendredi soir. Lorsque le registre des armes à feu était en place, il fermait à 17 heures le vendredi et ne rouvrait que le lundi matin. Par conséquent, il était impossible de céder des armes à feu lors des expositions. Les gens parcouraient 50 ou 60 milles en voiture pour se rendre à une exposition d’armes à feu et ils disaient : « J’aimerais acheter cette arme à feu », mais le vendeur devait leur répondre : « Vous devrez revenir lundi pour en prendre possession parce que je ne peux pas appeler au registre pour signaler la cession. »

Je suis désolé, mais j’ai très peu confiance dans les systèmes automatisés parce que, ce qui se passera, c’est que les gens voulant acheter une arme à feu devront passer 45 minutes au téléphone. Les acheteurs n’arriveront à parler à personne parce qu’ils entendront le message suivant : « Nous recevons un nombre d’appels anormalement élevé », puis ils finiront par s’en aller.

Comme j’ai essayé de le souligner, ce n’est pas un problème. La cession d’armes à feu n’est pas un problème. Cette mesure remonte à la mise en place, en 1977, du système des autorisations d’acquisition d’armes à feu. Je dois avouer que je siégeais au comité sur les armes à feu juste avant la présentation du projet de loi C-42. Nous avions même quelques problèmes avec le fait que le projet de loi indiquait en quelque sorte que le vendeur ne devait avoir aucune raison de croire que la personne ne pouvait pas acquérir l’arme à feu.

Je ne sais pas pourquoi la mesure législative n’indiquait pas simplement que l’acheteur devait présenter un permis de possession et d’acquisition valide. Le cas échéant, le système prévu dans ce projet de loi aurait aussi bien fonctionné que celui des autorisations d’acquisition d’armes à feu de 1977 à 1995. Aucun vendeur ne vendra à une personne qu’il soupçonne d’essayer d’acheter illégalement une arme à feu. Les vendeurs insisteront toujours pour voir une pièce d’identité valide.

Je ne crois pas qu’il existe de système automatisé dont le fonctionnement est économique et rapide. Le registre des armes d’épaules en est un parfait exemple. Il devait coûter 2 millions de dollars, mais il a finalement coûté 1 milliard de dollars. Voilà ce qui s’est passé. Je possède des armes à feu depuis 40 ans. J’ai vu l’adoption de tous ces projets de loi et entendu toutes les promesses qui ont été faites. La plupart de celles-ci ne se sont pas réalisées.

[Français]

Le sénateur Dagenais : À titre d’information, le registre a coûté 2,5 milliards de dollars. Il s’est avéré très coûteux et inefficace et il a instauré un faux sentiment de sécurité chez les policiers.

[Traduction]

M. Gamble : J’étais optimiste avec 1 milliard de dollars.

Le sénateur Gold : J’essaie de mieux comprendre vos points de vue. J’ai deux questions. La première est pour M. Fritter.

Il y a quelques années, vous avez écrit que l’ensemble du programme de contrôle des armes à feu au Canada n’avait pratiquement aucune incidence sur la violence commise au moyen d’une arme à feu. Au cours des témoignages, nous avons entendu que des données probantes montrent un lien entre l’accessibilité des armes à feu et les cas de violence commise au moyen d’armes à feu, surtout dans les régions rurales et en particulier avec des armes d’épaule.

Par ailleurs, vous dites que le programme de contrôle des armes à feu n’a eu aucune incidence. Dans ce cas, que recommandez-vous? Abandonneriez-vous toute forme de contrôle des armes à feu au Canada? Sinon, quels éléments conserveriez-vous?

M. Fritter : Paradoxalement, je ferai valoir les propos tenus par Wendy Cukier il y a quelques semaines quand elle a dit que ce que nous voulons c’est un contrôle des armes à feu efficace.

Il ne s’agit pas d’en faire plus ou moins. Il faut faire en sorte qu’un délinquant violent ne puisse pas entrer dans un commerce pour y acheter toute arme dont il a envie. Voilà qui serait un contrôle efficace des armes à feu.

J’aimerais que les coûts soient davantage pris en compte dans le contexte du débat sur le contrôle des armes à feu. Si le projet de loi C-71 est adopté et qu’il fait augmenter en flèche la charge de travail au point où il faut débourser 250 millions de dollars par année, eh bien, à mon avis, cet argent pourrait servir ailleurs. Selon les médecins, il faut envisager cette question sous l’angle de la santé publique. Certes, mais il faut aussi financer ce volet.

En Colombie-Britannique, nous avons en partie rouvert l’hôpital psychiatrique Riverview pour la somme de 100 millions de dollars. C’était en corrélation directe avec une hausse marquée de l’utilisation d’opioïdes à Vancouver. Je me demande s’il vaut mieux dépenser de l’argent pour un système d’autorisation de transport ou pour la réouverture d’hôpitaux psychiatriques.

Le sénateur Gold : Malgré tout, M. Fritter, nous avons des données du ministre, des fonctionnaires et d’autres personnes montrant que les ressources seront employées dans différents volets pour veiller à la bonne administration du système.

De nombreux témoins et des gens que vous avez cités aimeraient que le projet de loi C-71 aille plus loin. Cette mesure permettra de sauver des vies et d’éviter les torts causés par l’utilisation impulsive d’armes à feu par des citoyens normalement respectueux de la loi, qui s’en servent à un moment de crise dans des cas de violence familiale ou de problèmes personnels qui leur semblent sans issue.

Les mesures proposées dans le projet de loi C-71, comme vérifier les antécédents pour savoir s’il y a eu des tentatives de s’en prendre à soi ou à autrui, seraient un pas dans la réduction des torts causés par les armes à feu.

Que pensez-vous des données qui nous ont été présentées?

M. Fritter : Comme l’a dit M. Burlew, la réadaptation est l’un des principaux éléments du système judiciaire du Canada. Si quelqu’un commet un crime, nous ne le lui reprochons pas jusqu’à la fin de ses jours. Nous octroyons la réhabilitation, et cetera, tout dépendant du crime. La sentence tient compte du processus de réadaptation et du reste. Je trouve étrange, en tant que propriétaire d’armes à feu, que la demande de permis de port d’armes soit une chose pour laquelle on n’obtienne jamais le pardon, quoi que l’on ait fait. Tout reviendra à la surface et vous aurez à répondre pour des actes que vous avez commis il y a 15, 20 ou 30 ans.

Le sénateur Gold : Ne connaissez-vous pas le processus actuel? Le contrôleur des armes à feu ne s’arrêtera pas à une ânerie commise au secondaire il y a 40 ans, mais à un comportement menaçant, à des incidents violents ou à des menaces de violence envers un partenaire intime. L’interdiction n’est pas automatique parce que vous avez fait quelque chose d’idiot il y a 30 ans.

M. Fritter : Ce qui me pose problème, c’est qu’il n’y a aucune restriction. Vous dites que les contrôleurs ne s’arrêteront pas à un acte commis il y a 14 ans, mais il est très fréquent de voir des agents abuser du système en allant inutilement beaucoup trop loin.

Je me demande si nous ne devrions pas restreindre ce genre de chose. Ed Burlew pourrait probablement en dire plus long à ce sujet.

Le sénateur Gold : J’ai d’autres questions, mais je crois que j’ai pris suffisamment de temps. Je vais laisser la parole aux autres.

La sénatrice McPhedran : J’ai une question pour MM. Fritter, Burlew et Gamble. Êtes-vous tous propriétaires de voitures?

M. Fritter : Oui.

M. Gamble : Oui.

M. Burlew : J’ai quatre voitures.

La sénatrice McPhedran : Vous êtes-vous occupés de l’achat de ces voitures et de leur immatriculation?

M. Fritter : Oui.

M. Gamble : Oui.

M. Burlew : Oui, mais je veux souligner une distinction.

La sénatrice McPhedran : Non, ça va. Avez-vous immatriculé ces voitures? Oui ou non?

M. Gamble : Oui.

M. Fritter : Oui.

M. Burlew : Oui, je n’ai rien contre toutes ces lois.

La sénatrice McPhedran : Avez-vous une affiliation quelconque avec la National Rifle Association aux États-Unis? Ma question englobe toutes les formes de soutien, financier ou autre, de cette association ou de personnes qui sont reconnues comme étant affiliées à celle-ci.

M. Fritter : Non.

M. Gamble : Oui, je suis membre de la National Rifle Association. Je le suis principalement parce que j’obtiens ainsi leur excellent magazine pour 25 $ par année.

La sénatrice McPhedran : Votre organisation est-elle affiliée à la National Rifle Association? Votre publication ou votre organisme reçoivent-ils une forme quelconque de soutien, M. Gamble?

M. Gamble : Si je ne m’abuse, les statuts de la National Rifle Association ne lui permettent pas de fournir du soutien ou des ressources financières à des organisations à l’extérieur des États-Unis. C’est dans leurs statuts.

La sénatrice McPhedran : De soutien financier, je crois. Qu’en est-il des autres genres de soutien?

M. Gamble : Nous parlons de toute forme d’affiliation. Eh bien, j’ai rencontré l’ancienne présidente de la National Rifle Association, Sandra Froman. Elle était la présidente, il y a quelques années.

Pour ce qui est d’une affiliation officielle, les statuts de cette association prévoient que toutes ses activités officielles doivent se dérouler aux États-Unis.

La sénatrice McPhedran : M. Burlew, vouliez-vous répondre à la question?

M. Burlew : Bien sûr. Je suis membre de la National Rifle Association, tout comme mon père l’était. Je suis le seul avocat au Canada à qui la National Rifle Association réfère ses membres lorsqu’ils transgressent les lois sur les armes à feu au Canada.

Je confirme aussi que la National Rifle Association ne fait aucun paiement en dehors des frontières des États-Unis. Je connais aussi de nombreux membres de cette association.

La sénatrice McPhedran : Ce qui inclut le règlement de toute forme d’assistance juridique que vous pourriez fournir.

M. Burlew : Ce n’est pas l’association, mais la personne accusée qui paie pour cela. Le plus souvent, c’est une personne qui oublie de déclarer toutes ses armes à feu quand elle franchit la frontière. Elle pense que ce n’est pas trop important; or ce l’est beaucoup au Canada. On est passible de prison en faisant cela.

La sénatrice McPhedran : J’ai une question pour M. Fritter en sa qualité d’éditeur du magazine sur les armes Calibre et d’auteur de nombreux articles dans celui-ci. Dans l’un d’eux, vous dites : « Nous n’avons pas de problème de perpétration de crimes avec des armes à feu au Canada. » Dans votre article, vous citez Statistique Canada, en indiquant que 3 p. 100 des crimes avec violence rapportés à la police ont aussi été commis avec des armes à feu.

Vous dites que ce chiffre est suffisamment petit pour dire que nous n’avons pas de problème de perpétration de crimes avec des armes à feu au Canada. Toutefois, cette statistique de 3 p. 100 représente plus de 7 000 êtres humains.

Pouvez-vous m’expliquer comment vous en êtes arrivé à la conclusion que la perpétration de crimes avec une arme à feu n’est pas un problème au Canada?

M. Fritter : Dans 97 p. 100 des cas, il n’y a pas d’armes à feu, mais il s’agit aussi d’êtres humains.

La sénatrice McPhedran : Donc les 7 000 êtres humains en cause ne comptent pas, selon vous.

M. Fritter : Non, ils comptent, bien entendu. Ils comptent pleinement. Comme M. Gamble l’a dit, 9 000 personnes sont mortes en raison de la crise des opioïdes.

Pour moi, la vie de chacun est sacrée et elle doit être préservée. Je ne vois pas de différence entre une personne qui meurt après une injection ou qui meurt par balle. Ni l’une ni l’autre ne veut mourir.

La sénatrice McPhedran : Toutefois, vous concluez à partir des statistiques que la perpétration de crimes avec une arme à feu n’est pas un problème au Canada.

M. Fritter : Peut-être me suis-je mal exprimé et aurais-je dû dire que ce n’est pas une priorité. Évidemment, c’est une opinion personnelle et chacun est libre de former la sienne.

La sénatrice McPhedran : J’ai une question pour M. Gamble, au sujet du site web des Sporting Clubs of Niagara. Je crois que vous êtes l’auteur du texte suivant, mais corrigez-moi si j’ai mal compris la façon dont les articles sont publiés sur votre site web. La formulation est la vôtre, et non la mienne :

Il y a 75 000 signatures contre le projet de loi C-71. Il y a aussi une mosquée musulmane qui n’a recueilli que 75 signatures pour interdire les armes d’assaut (aussi appelée carabine civile). Or, le gouvernement accorde de l’attention à cette pétition de seulement 75 signatures, mais il fait comme si la pétition contre le projet de loi C-71 signée par 75 000 contribuables canadiens n’avait jamais existé.

M. Gamble, l’une des choses que nous nous efforçons de faire, ici, c’est d’examiner les lois qui sont proposées et de prendre des décisions fondées sur des faits.

Pourriez-vous nous dire sur quels faits vous vous appuyez pour affirmer ce que je viens de citer?

M. Gamble : En fait, ce n’est pas de moi. Il y a quelqu’un qui s’occupe de notre site web. C’est une de ses publications.

La sénatrice McPhedran : Avez-vous vu le texte avant sa publication?

M. Gamble : À dire vrai, je ne consulte pas le site web très souvent.

La sénatrice McPhedran : Donc vous représentez les Sporting Clubs of Niagara, mais vous n’avez aucun contrôle et n’exercez aucune surveillance sur votre site web.

M. Gamble : Notre organisation est entièrement bénévole, donc tout n’a pas à passer par moi.

La sénatrice McPhedran : Juste pour tirer les choses un peu plus au clair, il y a un autre article sur le site web qui a pour titre « Proposer d’interdire les armes de poing est anormal ».

Avez-vous quelque chose à voir avec cette affirmation? Savez-vous qui en est l’auteur?

M. Gamble : Avez-vous le texte correspondant?

La sénatrice McPhedran : Oui, mais la citation est assez longue. J’essayerai de la raccourcir.

Tous ces actes sont justifiés parce que les gens anormaux qui veulent à tout prix interdire les armes à feu n’ont pas d’arme à feu mais tous les autres objets utilisés avant ça leur sont connus...

— il est question ici de la camionnette qui a été utilisée pour commettre des meurtres à Toronto —

... alors ils se mettent à se gratter la tête pour trouver un désordre mental qui justifierait les mauvais actes posés par les gens anormaux quand une arme à feu n’est pas utilisée — hourra! — comme ça les gens anormaux peuvent réintégrer la société et vivre leur vie.

Ben quoi? Après tout, c’est pas leur faute. C’est pas non plus la faute à la camionnette, au couteau, au chasse-neige ou aux autres objets qui ont jamais été utilisés pour faire mal. Mais dès qu’une arme à feu est utilisée, ben sacrement, faut l’interdire. À tous les jeunes, quoiqu’on vous dise, cette proposition anormale revient à vous dire que vous avez pas le droit d’avoir un téléphone cellulaire parce que quelqu’un s’est servi d’un cell pour faire sauter une bombe qui a tué des innocents.

Ben quoi? Après tout, c’est pas leur faute. C’est pas non plus la faute à la camionnette, au couteau, au chasse-neige ou aux autres objets qui ont jamais été utilisés pour faire mal. Mais dès qu’une arme à feu est utilisée, ben sacrement, faut l’interdire. À tous les jeunes, quoiqu’on vous dise, cette proposition anormale revient à vous dire que vous avez pas le droit d’avoir un téléphone cellulaire parce que quelqu’un s’est servi d’un cell pour faire sauter une bombe qui a tué des innocents.

Avez-vous participé à la rédaction de cet article?

M. Gamble : Non, je n’y ai pas participé; je m’excuse.

La sénatrice McPhedran : Comment ce texte se rapporte-t-il à la position officielle du club de tir de Niagara relativement au site Web de cette même organisation?

M. Gamble : En fait, jusqu’à la mort du registre des armes d’épaule, nous publiions des bulletins d’information et organisions des expositions d’armes à feu assez régulièrement. À partir du moment où le registre a été aboli, nous avons réduit nos activités. Les bulletins d’information ont cessé. Nous organisons encore des présentations à l’intention de groupes intéressés, et ce genre de chose.

Le fait est que je n’ai pas les compétences pour diriger un site web. Nous avons un jeune homme qui y affiche l’information. Il arrive qu’il me soumette les articles avant publication, mais pas toujours.

La sénatrice McPhedran : Vous a-t-il soumis les deux articles en question?

M. Gamble : Non, aucun des deux ne m’a été soumis.

La sénatrice McPhedran : Partagez-vous les positions exprimées dans ces deux citations?

M. Gamble : Non, je ne les partage pas. Je répète qu’il s’agit d’une organisation bénévole. Les gens qui y travaillent sont des bénévoles. J’ai beau en être le président, cela ne veut pas dire pour autant que j’approuve tout ce qui s’y fait.

La sénatrice McPhedran : Nous allons néanmoins considérer qu’il s’agit d’une déclaration des Sporting Clubs of Niagara puisqu’elle figure sur votre site web.

M. Gamble : Comme je suis président, je suppose devoir en assumer la responsabilité même si ce ne sont pas mes déclarations.

Le sénateur Pratte : M. Gamble, vous dites dans votre présentation que la protection d’armes par droit acquis, qui revient selon vous à la confiscation, est une pratique que l’on s’attendrait à retrouver dans des pays comme la Corée du Nord ou un autre que vous avez nommé.

Sauf erreur, quand les armes entièrement automatiques, la majorité des armes de poing et celles converties en armes entièrement automatiques ont été interdites en 1977 ou 1978, elles ont également été protégées par droit acquis. Peut-être y en a-t-il eu d’autres, mais dans ces trois cas, des gouvernements de toutes les allégeances politiques ont eu recours aux droits acquis au moment où un certain nombre d’armes ont soudainement été interdites. Est-ce exact?

M. Gamble : Oui, monsieur, c’est exact.

Le sénateur Pratte : J’ignore si c’est comme ça en Corée du Nord, mais dans l’affirmative, nous sommes à l’image de la Corée du Nord depuis longtemps.

M. Gamble : Ce qui n’est pas vraiment souhaitable, selon moi. Je ferais cependant remarquer, monsieur, que les armes entièrement automatiques ont été interdites et ont fait l’objet de droits acquis en 1978. À ma connaissance, jamais au Canada le propriétaire enregistré d’une telle arme ne s’en est servi pour commettre un homicide.

Toutes ces armes sont devenues prohibées. Comme le changement de désignation a eu lieu en 1978, leurs propriétaires — qui ont maintenant tous au moins 60, 70 ou 80 ans — se les verront toutes confisquer. Ces armes seront confisquées quand ces gens meurent.

J’ai fait quelques recherches, mais je répète que, à ma connaissance, les propriétaires enregistrés d’armes appartenant à ces catégories ne s’en sont jamais servis pour commettre un homicide.

Le sénateur Pratte : Donc, si je comprends bien, s’il n’en tenait qu’à vous, les armes entièrement automatiques ne seraient pas prohibées au Canada?

M. Gamble : Ce n’est pas ce que je dis. Tout ce que je fais remarquer, c’est l’illogisme de déclarer certaines catégories d’armes à feu prohibées quand l’arme elle-même n’est pas la cause du problème. Ce sont celles ou ceux qui la possèdent qui décident, et les propriétaires autorisés respectueux des lois commettent très rarement de tels crimes.

Le sénateur Pratte : Monsieur Burlew, j’aimerais que vous précisiez quelque chose en votre qualité d’expert en droit des armes à feu au Canada.

Je crois comprendre que les cours canadiennes ont dû trancher la question des cinq ans ou plus. J’aimerais citer une décision de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique :

Tout élément d’information lié aux antécédents ou au comportement du demandeur ou du titulaire de permis susceptible de toucher la sécurité publique peut être pris en compte, et ce, même au-delà de la période de cinq ans.

C’est ce qu’ont confirmé d’autres instances. Voilà l’information dont je dispose, mais je fais peut-être erreur. Me corrigeriez-vous si j’ai tort?

M. Burlew : Je ne connais pas cette décision-là de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique. Je l’admets. Ce que je sais, c’est que le juge Durno de la cour supérieure à Brampton a dit qu’il n’est pas d’accord avec la période de cinq ans. Ce que je ferai valoir au comité, cependant, c’est la raison d’être de la réadaptation.

De plus, compte tenu du fait que la vérification se ferait dans un contexte judiciaire, si on devait remonter à plus de cinq ans, il convient de signaler que les cours sont sensibles au concept de la réadaptation. Elles ont les connaissances et les ressources nécessaires.

Chaque fois qu’on effectue une vérification des antécédents, la situation actuelle doit être prise en compte; même dans l’affaire qui avait à voir avec le permis dans laquelle le juge Durno a voulu remonter jusqu’à 10 ans, la situation actuelle du demandeur de permis était une considération centrale. Les circonstances ont été mises en contexte, mais la situation actuelle était le facteur prépondérant dans la décision de la cour.

Le sénateur Pratte : Si une décision déraisonnable est prise aux termes des modifications apportées par le projet de loi C-71, il y aurait possibilité d’interjeter appel devant un juge de la cour provinciale selon un processus que vous connaissez bien; c’est bien ça? Donc, même si un préposé aux armes à feu devait rejeter une demande pour les mauvaises raisons, il existe un processus d’appel.

M. Burlew : Tout à fait, oui; il relève de l’article 74 de la Loi sur les armes à feu. L’appel peut ensuite se rendre à la cour supérieure, et après, avec permission, à la cour d’appel provinciale en dernière instance.

Le sénateur Pratte : Les gens ne sont-ils pas ainsi protégés contre d’éventuelles mauvaises décisions?

M. Burlew : Non, pas lorsqu’on tient compte de considérations pratiques comme les frais juridiques et la complexité du processus même. Il est pénible d’aller en cour. Surtout lorsqu’on commence en position de désavantage, c’est très difficile.

Le fait que les questions liées aux permis relèvent d’instances pénales complique lui aussi beaucoup les choses. Les juges ne connaissent pas toujours le niveau de preuve à satisfaire. Dans les questions liées aux permis, c’est la norme de preuve du droit civil qui est utilisée, alors qu’en droit pénal, la preuve doit être établie hors de tout doute raisonnable.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Bienvenue à nos témoins. Je tiens à m’excuser de mon retard. Maître Burlew, le projet de loi fera en sorte que la responsabilité en matière de classification des armes à feu relèvera de la GRC. Selon vous, la GRC a-t-elle toutes les compétences requises pour assumer ce rôle?

[Traduction]

M. Burlew : En un mot, non. Laissez-moi vous expliquer vite fait.

Lorsque les experts judiciaires de la GRC examinent une arme à feu ou autre arme, ils travaillent en laboratoire exclusivement. Leur mandat est d’examiner l’arme à feu en laboratoire afin de déterminer si c’est une antiquité ou si ses projectiles vont à moins de 500 pieds par seconde, dans quel cas aucun permis n’est requis, ou encore s’il s’agit d’une arme à utilisation restreinte, non restreinte ou prohibée.

Cela dit, chaque décision prise au terme d’un tel examen a des répercussions qui dépassent la portée du mandat ainsi que les compétences de la GRC. Autrement dit, qu’est-ce que cela veut dire d’autoriser une arme à feu à des fins civiles au Canada?

Comme nous l’avons vu, beaucoup de problèmes ont été créés par l’arrivée sur le marché du pistolet Charger, une version modifiée de la 10/22 de Ruger.

La vente au Canada du Charger a été approuvée en 2006. Environ 300 unités ont été importées. Je doute qu’il y en ait eu beaucoup plus. Il faudrait que je vérifie. Ainsi, c’était un pistolet à autorisation restreinte pouvant tirer jusqu’à 10 cartouches. La carabine 10/22 de Ruger, pour sa part, peut utiliser un chargeur de 30, voire même 50, cartouches, puisqu’il s’agit de cartouches à percussion annulaire de calibre .22.

Plus d’un million de ces chargeurs ont été importés. Ils continuaient d’être importés bien après 2006. Ce n’est qu’en 2015 que la GRC a enfin compris qu’elle avait fait erreur en 2006 et interdit l’importation de ces chargeurs à grande capacité.

Dans l’intérim, il y en a un paquet qui sont arrivés sur le marché canadien, chacun accompagné d’un élément de criminalité. Cela n’avait pas été déterminé au préalable, mais non plus cela faisait-il partie du mandat de la GRC. C’est pour cette raison qu’il faut en faire plus qu’un simple examen judiciaire en laboratoire par la GRC.

Je ne dis pas qu’il faut l’éliminer, mais plutôt qu’il faut améliorer le processus, ce qui n’incombe pas seulement au Parlement, mais aussi à l’industrie, parce que l’industrie veut réussir. Elle veut que les gens puissent jouir de leur passe-temps, que ce soit la chasse, le tir ou la collection d’armes à feu. Elle préfère éviter les échecs.

Nous sommes tous d’humeur positive. Nous voulons tous mettre fin à la violence commise avec une arme à feu. Nous voulons tous pouvoir tirer du plaisir de nos activités. Nous devons tous travailler ensemble à l’établissement d’un système qui reconnaît les besoins de l’industrie, du Parlement, de la société et des corps de police.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Monsieur Fritter, vous avez parlé plus tôt de la possibilité que des renseignements personnels soient volés ou vendus. Récemment, au Québec, il y a eu des boutiques ont été dévalisées, notamment au Lac-Saint-Jean ou à Chicoutimi. Selon vous, ces informations qui seront confinées chez le commerçant pourraient-elles être volées? Qui peut utiliser ces informations et à quelles fins?

[Traduction]

M. Fritter : Il est clair que tout élément criminel soucieux d’obtenir une arme à feu peut trouver un moyen plus facile de le faire qu’en entrant par effraction dans un magasin.

Ces dernières années, les magasins d’armes à feu sont de plus en plus souvent la cible d’attaques. Par mesure de protection, on a installé des barreaux aux fenêtres, des bornes pour empêcher les voitures de passer, des alarmes surveillées à distance, une intervention immédiate de la police et que sais-je encore. Il n’est évidemment pas faisable pour 2,2 millions de propriétaires d’armes à feu de vivre derrière des barreaux et avec des bornes devant leur maison.

Cela ne prendrait pas beaucoup de temps pour que des gangs entreprenants se rendent compte qu’au lieu d’entrer dans des magasins par effraction, tout ce qu’il y a à faire c’est de pénétrer dans un système informatique ou de donner un pot-de-vin à un employé pour obtenir l’information.

On en parle aujourd’hui, mais ce pourrait être la loi dans 10 ou 20 ans, lorsque l’on ne travaillera plus avec un registre comptable en papier, mais avec une base de données électronique qui sera mise à jour par le propriétaire d’un magasin qui aura des soucis plus graves que celui de se demander : « Est-ce que ma base de données est suffisamment protégée? » Ce qui les inquiète, c’est leur remise de la taxe sur les produits et services, leurs déclarations de profits et de pertes, les salaires de leurs employés et que sais-je encore. Ce ne sera pas la priorité absolue que cela doit être et que cela devrait être légalement.

Comme je l’ai dit, il est impossible de remettre le génie dans la lampe. Vous avez d’ailleurs entendu ici le témoignage d’Adam Caruana, de FOC, ce magasin qui brasse énormément d’affaires en vendant chaque jour une tonne d’armes à feu. Si le registre disparaît dans 10 ans, il y aura littéralement des dizaines de milliers d’adresses qu’on ne pourra pas récupérer. Les gens apprendront l’existence de ces armes et le problème n’en sera que plus grave.

Le sénateur Pratte : J’aimerais revenir sur le sujet. Vous dîtes que les livres comptables ou autres que les détaillants utiliseront pour consigner l’information seront le début d’un registre ou constitueront un registre créé de façon détournée.

Vous connaissez le sujet beaucoup mieux que moi, mais il me semble que de 1977 à 1995, période pendant laquelle était en vigueur le registre des armes d’épaule, chaque détaillant devait conserver un dossier complet de ses ventes. Était-ce alors le début d’un registre des armes à feu ? Sinon, quelle est la différence entre aujourd’hui et cette époque?

M. Fritter : Je n’appellerais pas cela un registre, car ce terme détourne l’attention du vrai sujet, qui est la collecte de données. Nous devons déterminer si nous voulons que ces données soient disponibles.

Comme je l’ai dit, il ne s’agit pas de savoir si les données devraient être enregistrées ou non. Le problème, c’est que la loi ne protège pas ces données. En ce qui me concerne, ces données m’appartiennent. C’est mon nom et mon adresse qui sont consignés dans ce registre. Cela ne me gêne pas que les autorités veuillent savoir qui achètent des armes à feu. Ces renseignements peuvent être utiles pour les enquêtes de la police. Ce qui me gêne, c’est que l’on dise : « Nous allons recueillir cette information, mais cette démarche ne sera assortie d’aucune contrainte juridique pour ceux qui l’utilisent à mauvais escient ».

Le sénateur Pratte : Si je puis me permettre, le projet de loi n’exige pas que l’on consigne le nom et l’adresse de l’acheteur, mais seulement le numéro du permis de possession.

Toute information personnelle contenue dans les dossiers des détaillants est protégée par la Loi sur la protection des renseignements personnels.

M. Fritter : Oui. Bien que le projet de loi exige de consigner le numéro du permis de possession et les détails relatifs à l’arme vendue, il ne se limite pas à cela. Ce qui m’inquiète, c’est que les magasins à grande surface prennent déjà les noms et les adresses des propriétaires pour rassurer leurs services juridiques.

Le sénateur Pratte : C’est donc ce qui se passe à l’heure actuelle.

M. Fritter : Que voulez-vous dire?

Le sénateur Pratte : Que les magasins à grande surface consignent déjà cette information, je veux dire les noms et les adresses des acheteurs.

M. Fritter : Ce qui m’inquiète, c’est qu’à l’heure actuelle, les propriétaires d’armes à feu ne vont pas dans ces magasins précisément parce qu’ils ne veulent pas que leur nom soit consigné.

Si le projet de loi est adopté, le problème sera décuplé. Les détaillants se diront : « Si je suis censé enregistrer le numéro du permis de possession, il faudrait peut-être que j’enregistre aussi d’autres informations, au cas où ».

La présidente : Monsieur Gamble, monsieur Fritter et monsieur Burlew, merci beaucoup de vous être joints à nous aujourd’hui. Nous vous savons gré de vos efforts, en particulier ceux de M. Fritter, pour qui c’est la deuxième tentative.

(La séance se poursuit à huis clos.)

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