Aller au contenu
SECD - Comité permanent

Sécurité nationale, défense et anciens combattants

 

LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DE LA SÉCURITÉ NATIONALE ET DE LA DÉFENSE

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le jeudi 2 mai 2019

Le Comité sénatorial permanent de la sécurité et de la défense, auquel a été renvoyé le projet de loi C-59, Loi concernant des questions de sécurité nationale, se réunit aujourd’hui à 13 h 30 pour étudier le projet de loi.

La sénatrice Gwen Boniface (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Chers collègues, je vous demanderais d’abord de vous présenter.

La sénatrice Jaffer : Mobina Jaffer, de la Colombie-Britannique. Bienvenue.

La sénatrice Wallin : Pamela Wallin, de la Saskatchewan.

[Français]

Le sénateur Pratte : André Pratte, du Québec.

[Traduction]

Le sénateur Oh : Victor Oh, de l’Ontario.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Pierre-Hugues Boisvenu, du Québec.

Le sénateur McIntyre : Paul McIntyre, du Nouveau-Brunswick.

[Traduction]

Le sénateur Richards : David Richards, du Nouveau-Brunswick.

La sénatrice Griffin : Sénatrice Diane Griffin, de l’Île-du-Prince-Édouard.

La présidente : Je m’appelle Gwen Boniface, et je viens de l’Ontario.

Nous poursuivons aujourd’hui notre étude du projet de loi C-59, Loi concernant des questions de sécurité nationale. Permettez-moi de présenter notre premier groupe de témoins. Représentant le Bureau du commissaire du Centre de la sécurité des télécommunications, nous avons le commissaire, l’honorable Jean-Pierre Plouffe; Mme Guylaine A. Dansereau, la directrice générale; M. Gérard Normand, qui est conseiller juridique spécial. Merci à tous d’être ici.

[Français]

L’honorable Jean-Pierre Plouffe, commissaire, Bureau du commissaire du Centre de la sécurité des télécommunications : Madame la présidente, honorables sénateurs —

[Traduction]

... membres du comité, je suis heureux de témoigner devant le comité au sujet du projet de loi C-59. Je suis accompagné de Mme Dansereau, la directrice générale de mon bureau, et de M. Normand, mon conseiller juridique spécial.

[Français]

J’occupe depuis plus de cinq ans la fonction de commissaire du Centre de la sécurité des télécommunications (CST). Ma responsabilité actuelle consiste à examiner les activités du CST pour déterminer si elles sont conformes à la loi, y compris en ce qui concerne la protection de la vie privée des Canadiens. Mon mandat actuel doit prendre fin en avril 2020, à moins qu’il ne soit renouvelé — il l’a été trois fois jusqu’à maintenant — et, à ce moment-là, j’aurai 80 ans.

[Traduction]

Lors de ma comparution précédente devant le Comité permanent de la sécurité publique et nationale de la Chambre des communes en janvier 2018, j’ai suggéré plusieurs modifications. Je n’ai pas l’intention de les répéter aujourd’hui, puisqu’on m’a indiqué que vous aviez l’occasion de les consulter.

[Français]

Je tiens à prendre un moment pour fournir de plus amples renseignements sur le rôle du commissaire au renseignement. J’ai lu les déclarations de tous les sénateurs à l’étape de la deuxième lecture du projet de loi et certains commentaires m’ont porté à croire qu’il était important que j’explique aujourd’hui en quoi consiste le rôle de commissaire au renseignement.

[Traduction]

Mon mandat changera complètement. Il consistera non plus à examiner après coup les activités du CST, mais à effectuer un examen quasi judiciaire des conclusions tirées par les ministres pour accorder certaines autorisations ministérielles et déterminations relatives aux activités de renseignement du CST et du Service canadien du renseignement de sécurité avant qu’elles ne puissent être menées. J’insiste ici sur le mot « avant ». Je devrai établir si les conclusions sur lesquelles repose l’autorisation des activités par les ministres respectifs étaient raisonnables et, le cas échéant, je devrai les approuver. Il s’agit d’un nouveau rôle en droit canadien et d’un rôle important. Pour accomplir cette tâche, je serai conseillé et soutenu par des personnes possédant des connaissances techniques ou spécialisées dans le domaine de la sécurité nationale.

[Français]

Essentiellement, la notion de la raisonnabilité qui sera appliquée par le commissaire au renseignement — qui doit être un juge retraité d’une Cour supérieure du Canada — est assez semblable à la notion appliquée par un tribunal dans le cadre d’un contrôle judiciaire, que l’on appelle aussi au Québec une révision judiciaire. Un contrôle judiciaire, c’est le pouvoir d’un tribunal de revoir les mesures et les décisions de décideurs administratifs. Je pourrai revenir si nécessaire sur cette notion juridique de raisonnabilité lors de la période des questions.

Mon examen quasi judiciaire s’appliquera seulement à des cas particuliers, tels qu’ils sont décrits dans la partie 2 du projet de loi C-59 — cette partie couvre les articles 13 à 20. On parle de sept activités : trois qui sont en lien avec le CST et quatre avec le SCRS. À titre d’exemple, ce rôle ne fournit pas de droit de veto au commissaire au renseignement en ce qui concerne les autorisations ministérielles.

[Traduction]

Le commissaire aux renseignements examinera les faits et la preuve présentés aux ministres par les organismes du renseignement — ce qu’on appelle le dossier — en fonction desquels les autorisations ont été accordées. Il s’agit d’un examen du dossier.

Essentiellement, le mandat d’examen accordé au commissaire au renseignement sera d’être convaincu que les autorisations des ministres sont fondées sur des conclusions raisonnables. Si le commissaire aux renseignements est convaincu qu’elles sont raisonnables, il les approuve, sinon, il ne les approuve pas.

J’espère que cette dernière clarification permettra d’établir une meilleure compréhension du rôle proposé du commissaire au renseignement.

[Français]

En terminant, je suis persuadé que la Loi sur le commissaire au renseignement proposée dans le projet de loi C-59 donnera lieu à un processus de surveillance solide qui visera à améliorer la transparence, dans un premier temps, la responsabilité ou la reddition de comptes, dans un deuxième temps, et, enfin, à renforcer la confiance du public.

[Traduction]

Je vous remercie de m’avoir donné l’occasion de témoigner devant vous aujourd’hui. Je serai heureux de répondre à vos questions.

La présidente : Merci beaucoup.

La sénatrice Jaffer : Merci de votre concision. Vous n’avez pas formulé cette recommandation aujourd’hui, mais je crois savoir que devant le comité de la Chambre des communes, vous avez recommandé d’autoriser la nomination de juges surnuméraires en exercice au poste de commissaire au renseignement.

M. Plouffe : Oui.

La sénatrice Jaffer : Je tenais à citer les propos tenus par M. Forcese au comité à ce sujet.

[...] l’une des raisons pour lesquelles on prévoit que le commissaire au renseignement sera un juge à la retraite plutôt qu’un juge surnuméraire est que l’on veut éviter la perspective embarrassante qu’un juge surnuméraire de la Cour fédérale exerce les fonctions de commissaire au renseignement, puis qu’il fasse l’objet d’un contrôle par la même cour.

Pouvez-vous faire des commentaires à ce sujet, s’il vous plaît?

M. Plouffe : Avec plaisir. Je vous remercie de votre question, sénatrice. Lorsque j’ai été nommé, il y a cinq ans, j’étais juge surnuméraire. Sans cette disposition de la Loi sur la défense nationale, je ne serais pas ici aujourd’hui. Je soupçonne que la raison pour laquelle, à l’époque, on a inclus dans cette disposition qu’un juge à la retraite ou un juge surnuméraire pouvait être nommé visait à s’assurer de trouver le bon candidat pour le poste. Trouver un juge à la retraite âgé de 75 ans qui accepterait le poste de commissaire, ou celui de commissaire du CST, dans le cas présent, n’a rien de facile.

Inclure dans la Loi sur la défense nationale une disposition autorisant la nomination d’un juge surnuméraire faciliterait le recrutement de candidats, pour ainsi dire.

Cela dit, le fait d’être juge surnuméraire au moment de votre nomination ne signifie pas que vous le resterez pendant toute la durée du mandat. Si ma mémoire est bonne, je suis resté juge surnuméraire pendant quatre mois, puis j’ai pris ma retraite. Donc, je pense que cela ajoute de la souplesse pour la recherche de candidats.

Disons que je suis juge surnuméraire à la Cour fédérale. Je viens de la Cour supérieure du Québec, mais disons que suis un juge à la retraite de la Cour fédérale. Je suis juge surnuméraire et je suis nommé commissaire au renseignement. Si mon dossier fait l’objet d’un examen, la Cour fédérale du Canada peut en être saisie. Tous les juges qui me connaissent devront se récuser. La présidence doit être assurée par une personne qui ne me connaît pas. C’est toujours ainsi, dans tous les tribunaux du Canada. Donc, pour parler franchement, ce problème ne me préoccupe pas.

Par exemple, un juge de la Cour d’appel fédérale pourrait instruire l’affaire en première instance à la Cour fédérale, car en tant que juges, nous sommes tous magistrats des cours supérieures. Cela pourrait donc arriver à l’occasion et, le cas échéant, nous avons le mécanisme pour gérer la situation.

La sénatrice Jaffer : La question de savoir si le juge devrait exercer ses fonctions à temps plein ou à temps partiel fait aussi l’objet de discussions. Le ministre a dit que ce n’est pas un processus continu. J’en ai donc déduit qu’il penchait pour un juge à temps partiel. Je l’ai peut-être mal compris. Qu’en pensez-vous? Un juge devrait-il travailler à temps partiel ou à temps plein?

M. Plouffe : Eh bien, si vous voulez trouver un juge à la retraite prêt à travailler à plein temps, je vous souhaite bonne chance. Cela dit, la loi a été modifiée pour que nous prenions notre retraite plus tôt. Nous ne prenons plus nécessairement notre retraite à 75 ans. Une personne qui est âgée de 69, 70 ou 71 ans qu’on voudrait nommer commissaire au renseignement n’accepterait le poste que si c’était un poste à temps partiel.

Parallèlement à votre question, je suppose également qu’il est tout à fait possible que je doive proposer au gouvernement, lorsque j’entrerai en fonction, de modifier la loi et de nommer un sous-commissaire au renseignement, étant donné le nombre d’autorisations à examiner. Il est fort possible que le volume soit alors si élevé qu’il me soit impossible, en travaillant à temps partiel dans ce nouveau rôle, d’examiner toutes les autorisations qui seront accordées.

Je m’attends à recevoir dès le début de nombreuses autorisations à approuver. Ce sera un défi en soi. Il y aura sans doute un ralentissement après un certain temps, et les autorisations seront réparties au long de l’année. Je répète que l’effectif actuel de mon bureau est de 12 personnes. Donc, si j’arrive à la conclusion que j’ai besoin de plus de personnel, j’en ferai la demande. On m’a dit que cela ne poserait pas problème.

[Français]

Le sénateur McIntyre : Merci de votre présentation, monsieur le commissaire. Lors de vos présentations au comité permanent de la Chambre des communes, vous avez formulé plusieurs recommandations sur le projet de loi C-59. Parmi ces recommandations, combien le gouvernement a-t-il accepté? Selon vous, quelles sont les plus importantes qui n’ont pas encore été traitées?

M. Plouffe : Merci de la question, sénateur. Mon personnel et moi avons fait de nombreuses recommandations au gouvernement. En fait, nous en avons fait 35. Le gouvernement en a retenu une seule. C’est la recommandation qui concerne le rapport annuel que doit soumettre le commissaire au renseignement. Le commissaire doit faire un rapport annuel au public. Si on veut que la confiance du public soit renforcée, il faut commencer par l’informer. On a dit qu’on allait accepter cette recommandation. Si j’avais à en faire une en particulier, ce serait une recommandation d’amendement ou de modification qui a trait aux précisions. Actuellement, la revue que je fais porte sur des dossiers. Lorsque j’étais à la Cour supérieure, je devais réviser certains dossiers de la Cour du Québec. C’est un appel sur dossiers. Il n’y a pas de témoins. C’est la même chose ici. C’est toute l’information qui est devant le ministre qui me sera transmise. Actuellement, en vertu du projet de loi, je ne peux pas poser de questions, je ne peux pas demander de précisions ni d’informations additionnelles. Je peux voir des circonstances, où en raison d’un manque de clarté, je devrai peut-être établir que les conclusions du ministre sont déraisonnables. Comme vous le savez, notre système actuel — en vertu du projet de loi C-59 en ce qui a trait au commissaire au renseignement — est, en quelque sorte, copié sur ce qui se passe en Grande-Bretagne. On s’est basé sur le modèle de la Grande-Bretagne. J’ai rencontré mon homologue britannique à quelques occasions. Là-bas, ils ont le pouvoir de demander des précisions et peuvent également exiger plus d’information.

Tenons-nous-en cependant aux précisions. Le commissaire m’a expliqué que, dans certaines circonstances, s’il n’avait pas eu le pouvoir de demander des précisions, il en serait arrivé à quelques occasions à penser que les conclusions du ministre étaient déraisonnables.

D’une part, j’ai suggéré cette modification afin de rendre le processus plus flexible. D’autre part, le fait qu’on ne retienne pas ma recommandation ne fait pas en sorte que tout le projet est non fonctionnel. En anglais, je dirais : « It’s not a show stopper. » Il est possible de travailler quand même avec le projet de loi tel qu’il est rédigé actuellement, sauf que le processus est moins flexible, c’est plus difficile.

Par ailleurs, il y a une façon de cerner le problème, et c’est ce que nous faisons actuellement. Je suis en communication avec les différentes agences et avec le bureau du ministre et nous faisons des exercices pratiques. En anglais, on appelle cela des « dry run exercises ». Je suis en train de leur expliquer comment cela fonctionne et quels sont les concepts juridiques qu’il faut appliquer. Je leur explique quel est mon rôle et, à partir de cela, nous faisons des exercices pratiques.

Si tout le monde est bien préparé, la question des clarifications deviendra peut-être redondante. C’est la même chose avec les agences. Je leur explique que, lorsqu’elles présenteront leur requête au ministre, s’il n’y a pas suffisamment de faits qui justifient les seuils juridiques que le ministre doit appliquer, leur demande sera refusée. Je leur ai expliqué en leur disant : « It’s not business as usual anymore », et c’est nouveau. C’est pourquoi il faut s’attarder sur le nouveau concept juridique et sur le nouveau seuil juridique. Si on le fait, tout devrait bien fonctionner.

Le sénateur McIntyre : Monsieur Plouffe, vous avez parlé du nouveau poste de commissaire au renseignement. L’une des préoccupations concernant ce poste porte sur le fait que le nouveau commissaire au renseignement pourrait ne posséder aucune expertise en matière de renseignement ou d’opérations de sécurité informatique et imposer un veto sur certaines cyberopérations en vertu de ses nouveaux pouvoirs.

Ma question est la suivante. Dans quelle mesure partagez-vous cette préoccupation en ce qui concerne l’expertise du nouveau commissaire? Devrait-on exiger un certain niveau d’expertise en la matière pour occuper ce poste?

M. Plouffe : Je vous remercie de la question. Dans un premier temps, lorsque nous recrutons le juge à la retraite, nous recherchons en pratique un juge qui a une certaine expérience, soit en matière de défense nationale, soit en matière de sécurité nationale. Dans mon cas, puisque j’ai été membre des Forces armées canadiennes et que j’ai travaillé au cabinet du juge-avocat général pendant 10 ans, j’ai acquis une certaine expertise des questions de défense et de sécurité.

Prenons, par exemple, le recrutement d’un juge désigné de la Cour fédérale. Il y a environ une douzaine de juges désignés à la Cour fédérale, et ce sont eux qui président les procès ayant trait à des dossiers de sécurité nationale.

Dans un deuxième temps, comme je le disais lors de mon allocution liminaire, j’ai à mon bureau les experts en sécurité nationale dont j’ai besoin. Je suis accompagné de Me Gérard Normand, un expert en droit en ce qui concerne la sécurité nationale. Il travaillait aux ministères de la Défense nationale et de la Sécurité publique et je l’ai recruté. J’ai aussi des experts qui ont travaillé au SCRS et d’autres qui viennent du CST.

Lorsque j’étais juge, toutes sortes de témoins experts m’instruisaient sur différents sujets qui avaient trait aux procès pour meurtre, que ce soit au sujet des taches de sang retrouvées sur une scène de crime, ou peu importe. Je fais cette simple analogie pour dire que, même si je ne suis pas un expert dans le domaine et même si je possède une certaine expertise, j’ai des personnes qui me conseillent et qui sont des experts. Je crois que, grâce à tout cela, je suis en mesure de rendre les décisions qui s’imposent.

Gérard Normand, conseiller juridique spécial, Bureau du commissaire du Centre de la sécurité des télécommunications : Sénateur McIntyre, je vous dirai simplement que le but est de faire un exercice quasi judiciaire; c’est vraiment au niveau juridique que la révision va se faire. La connaissance du genre de demande est importante, mais c’est l’application des principes qui prime.

[Traduction]

La sénatrice Wallin : Je vous remercie. J’aimerais poursuivre brièvement sur la question du processus. Vous avez parlé du poste à temps partiel. Il n’est pas vraiment possible de le savoir d’avance, mais avec le personnel dont vous disposez, vous avez manifestement une certaine expertise. Toutefois, quel type de recherches pourrez-vous faire, à votre bureau, puisque vous n’aurez accès qu’aux documents imprimés que le ministre aura consultés, mais peut-être pas à ceux transmis sous d’autres formats? Ici, je ne parle pas de votre expertise. Votre personnel aura-t-il assez de temps? Avez-vous les ressources et l’effectif nécessaires? Essayez-vous de fonctionner en temps réel? Quels seraient vos recours, selon vous, si un ministre prenait une mauvaise décision? Comment pouvez-vous réagir? Pouvez-vous intervenir rapidement? En l’absence d’un droit de veto, comment pouvez-vous réagir?

M. Plouffe : Je commencerai par la fin, car il m’est plus facile d’y répondre. Le projet de loi C-59 me donne 30 jours pour rendre une décision. C’est le temps dont je disposerai, normalement. Je ne parle pas des situations d’urgence qui nécessitent une intervention la plus rapide possible.

Disons que le directeur du SCRS peut délivrer une autorisation en cas d’urgence. Dans de tels cas, je dois être disponible, aux termes de la loi. Je dois prendre une décision en quelques heures voire quelques jours dans le pire des cas.

Mais pour ce que j’appellerais les choses courantes, le délai est de 30 jours.

Quant à l’expertise, comme je l’ai dit, je fais appel à des spécialistes qui connaissent bien le SCRS et le CST pour comprendre les types de dossiers que je serai appelé à transférer.

La sénatrice Wallin : Je sais que vous avez de l’expertise dans ce domaine. Ce n’est pas à cela que je veux en venir. Je parle d’une décision du ministre prise en situation d’urgence, mais qui ne vous plaît pas, ou d’une situation où vous essayez de déterminer ce qui peut être fait ou comment intervenir, si possible. C’est un aspect. Que faites-vous si la décision ne vous plaît pas? Il n’y a pas de recours public. Est-ce que vous...

M. Plouffe : Aux termes du projet de loi, je dois déterminer si les conclusions du ministre sont raisonnables. Je dois appliquer une norme juridique, ce qu’on appelle le caractère raisonnable. Cette norme juridique... Voilà pourquoi il s’agit d’un examen quasi judiciaire. Voilà pourquoi ils veulent embaucher un juge à la retraite. Mon titre devrait être « commissaire judiciaire au renseignement ». J’en ai fait la suggestion, mais cela n’a pas été retenu.

Toutefois, mes fonctions s’apparenteront à celles d’une cour de justice. Ce sera très semblable. Je n’aurai pas ce rôle, mais j’appliquerai des critères juridiques. J’examinerai les exigences ou les critères juridiques que le ministre doit respecter. C’est un examen juridique, en quelque sorte.

Je parle du caractère raisonnable, du caractère raisonnable en temps voulu. Si vous voulez une définition, je peux vous en donner une. Cela démontre simplement qu’il y a une grande latitude.

Essentiellement, le caractère raisonnable signifie que le commissaire au renseignement devra être convaincu que l’appartenance de la décision du ministre aux issues possibles acceptables peut se justifier au regard des faits présentés en appui à la demande et du droit. Dans l’exercice de ses fonctions, le commissaire au renseignement reconnaît — c’est très important — les connaissances et l’expertise des ministres et du directeur du SCRS en matière de sécurité nationale. À cet égard, la retenue s’impose.

Il s’agit donc d’un critère juridique souple, beaucoup plus souple que le critère de la décision correcte, par exemple. Certains sénateurs ont discuté de ce critère et ont fait valoir que le commissaire au renseignement devrait uniquement vérifier si le ministre a satisfait au critère établi dans la loi. En droit, c’est ce qu’on appelle le critère de la décision correcte. Mon rôle est d’examiner la décision du ministre et de déterminer s’il a respecté les critères judiciaires. Si oui, j’approuve la décision; sinon, je ne l’approuve pas.

La sénatrice Wallin : Je ne suis pas de ceux qui pensent que cela devrait être limité, car il s’agit de situations sans précédent. Ce qui me préoccupe, fondamentalement, c’est que vous devez porter un jugement fondé sur le caractère raisonnable, mais en fin de compte, vous devez vous en remettre au jugement du ministre.

M. Plouffe : Je ne dois pas m’en remettre au jugement du ministre, mais à son expérience du domaine de la sécurité nationale.

La sénatrice Wallin : Ce qui revient inévitablement à s’en remettre à son jugement.

M. Plouffe : Supposons par exemple que je suis en désaccord avec le ministre. Mon désaccord ne signifie pas pour autant que ses conclusions ne sont pas raisonnables. En appliquant le critère de la décision correcte, je devrai infirmer la décision du ministre si je suis en désaccord avec lui.

La sénatrice Wallin : Le commissaire ne pourrait-il pas donner son avis sur la nature de l’action, en disant qu’elle était trop faible ou trop forte? Votre rôle est-il simplement de déterminer si le critère de la décision correcte a été respecté?

M. Plouffe : C’est exact. En outre, ma décision pourrait faire l’objet d’un examen par la Cour fédérale du Canada.

M. Normand : Le commissaire doit rendre une décision écrite accompagnée des motifs sur lesquels il s’appuie. Quant à votre question sur la suite des choses, je dirais qu’une autre demande d’autorisation corrigée pourrait être envoyée au ministre dès le lendemain. Si le commissaire jugeait, pour une raison ou une autre, que ce n’est pas raisonnable, le ministre pourrait être saisi de l’affaire de nouveau dès le lendemain, comme l’a indiqué l’un des fonctionnaires qui ont témoigné devant le comité de la Chambre.

La sénatrice Wallin : En fin de compte, la décision relève du ministre, qui n’est pas tenu de la modifier en fonction de votre recommandation.

M. Normand : Si le commissaire conclut que ce n’est pas raisonnable, cela ne peut aller de l’avant. Il faut une nouvelle demande. C’est fondé sur le caractère raisonnable et non sur le critère de la décision correcte. Il y a une énorme différence.

La sénatrice Wallin : En effet.

M. Plouffe : Disons que je conclus que les conclusions du ministre ne sont pas raisonnables. Comme le ferait un juge, je serai tenu d’envoyer au ministre une décision écrite accompagnée des motifs. Le ministre communique alors la décision à l’organisme de renseignement, le SCRS ou le CST — disons le CST —, qui doit tout recommencer. On présentera alors une autre demande au ministre en tenant compte des observations que j’aurai faites au ministre. Ensuite, la nouvelle demande sera présentée au ministre, puis j’en serai de nouveau saisi. Évidemment, dans ce cas précis, j’approuverais probablement la demande. Donc, ce n’est pas un veto.

La sénatrice Wallin : Non, et c’est ce qui me préoccupe.

M. Plouffe : Ce n’est pas un veto. Cela n’a rien à voir avec la politique. Je n’ai aucun rôle dans les décisions de politique.

La sénatrice Wallin : Je comprends. On semble comprendre, à tort, que le rôle de cette personne consiste à dire aux responsables qu’ils auraient dû intervenir plus rapidement ou prendre des mesures quelconques parce qu’un attentat terroriste était imminent. Donc, on clarifie ce rôle.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Bienvenue, monsieur Blais, et à vos collègues également. J’essaie de comprendre, car il semble y avoir beaucoup de structure bureaucratique dans l’information et le renseignement. Voulez-vous me dire quel est votre lien avec le comité de surveillance?

M. Plouffe : Le nouveau comité, l’OSSNR?

Le sénateur Boisvenu : Oui, le nouveau comité de surveillance des activités de renseignement.

M. Plouffe : En principe, il n’y en a pas, parce que je suis indépendant. Je ne fais pas partie du nouveau comité. La distinction majeure est que, dans mon cas, je vais rendre des décisions avant le fait, alors que l’OSSNR, le nouveau comité, comme je le fais actuellement, rend des décisions après le fait. C’est-à-dire que, actuellement mon rôle, et le rôle de l’OSSNR, c’est d’examiner les faits après les activités, par exemple du SCRS, et de dire si elles sont légales ou non. Puis, on fait des recommandations au ministre. Avec le nouveau rôle qui est le mien, je fais partie du processus de décision; j’agis avant que l’activité ait lieu. C’est cela, le changement majeur. J’agis en amont, et non en aval.

Le sénateur Boisvenu : Comme citoyen, si je regarde le nom de votre bureau, le Centre de la sécurité des télécommunications, je vais penser que vous faites de l’écoute électronique. Est-ce le cas?

M. Plouffe : Pas moi, mais l’agence, oui.

Le sénateur Boisvenu : Il y a beaucoup de compartiments là-dedans.

M. Plouffe : C’est le vieux titre, ça.

Le sénateur Boisvenu : Est-ce qu’on fait comme les Américains après septembre 2001? Ils ont rassemblé sous une même structure tout ce qui était renseignement et sécurité intérieure. Est-ce qu’on a le même modèle au Canada, ou est-ce une structure vraiment éclatée?

M. Plouffe : C’est ce qu’on fait avec le nouveau projet de loi C-59. Actuellement, nous avons trois ou quatre comités de surveillance. Avec le nouveau projet de loi, il y aura un seul comité de surveillance. Actuellement, on travaille en silo. Moi, je m’occupe du CST; le CSARS s’occupe du SCRS; la GRC a un autre comité de surveillance interne. Tout fonctionne en silo, et ça ne va pas. On s’est dit que cela n’était pas viable. On a donc décidé de créer un comité de surveillance; en anglais, son acronyme est NSIRA, et en français, c’est OSSNR. C’est ce comité qui sera responsable d’examiner les activités de tous les ministères et agences qui ont une vocation de sécurité nationale. Il y en a 17, si je ne me trompe pas. Ce sera un comité unique.

Le sénateur Boisvenu : Au fédéral, maintenant, comment se fera l’interaction avec les organismes provinciaux? Je pense à la Sûreté du Québec, qui a également des services de renseignement et d’écoute. Comment vont interagir ces deux niveaux, qui interviennent potentiellement dans la surveillance des mêmes personnes, pour ainsi dire?

M. Plouffe : Il ne faut pas oublier que les questions de sécurité sont de nature nationale, donc de juridiction fédérale, et non provinciale. Les services provinciaux ont des services de police. Les services de police — je ne suis pas un expert dans le domaine — collaborent entre eux. Par exemple, la Sûreté du Québec collabore avec la GRC. Ils ont toutes sortes de mécanismes de collaboration. Par contre, à ma connaissance, les provinces n’ont pas d’agence de renseignement.

Le sénateur Boisvenu : Cependant, cela peut devenir une porte d’entrée. Vous comprendrez que la Sûreté du Québec est présente partout au Québec et peut, à un moment donné, avoir de l’information sur quelqu’un qui présente un risque et qui sera mis sous écoute. Je pense que le renseignement et la surveillance, cela ne se fait pas qu’au fédéral; cela se fait aussi dans les régions, au niveau provincial.

M. Normand : Si je puis me permettre, ce sont des mandats différents. La GRC fait du renseignement; elle a un volet « renseignement » et un volet « application de la loi ». Quand on parle d’écoute, on se situe dans un contexte d’application de la loi où des accusations peuvent être déposées. Il n’y a pas d’organisme de surveillance pour la Sûreté du Québec, il n’y en a pas au niveau provincial, à ma connaissance. Il y en a peut-être, mais il n’y a pas d’interaction avec le fédéral.

Le sénateur Boisvenu : Ce que je veux dire, c’est que, par exemple, quand la Sûreté du Québec est intervenue dans des dossiers, notamment qui avaient trait à des groupes criminalisés, ils sont aperçus qu’il y avait même des liens entre ces derniers et certains groupes terroristes.

M. Normand : Absolument.

Le sénateur Boisvenu : Parce que ces groupes sont dans le commerce de la drogue et la traite des personnes. Il n’y a pas de barrière entre les types de criminalité. Il y a des liens qui doivent se faire à un moment donné, inévitablement.

M. Plouffe : Actuellement, lorsqu’il y a un problème de sécurité nationale dans une province, le corps de police va faire affaire avec les services qui existent, par exemple le SCRS. N’oubliez pas que le SCRS a des bureaux partout, au Québec, au Canada et même à l’étranger. Ces gens travaillent ensemble, ils ont des comités de coordination, par exemple. Je suis d’accord avec vous, il faut qu’il y ait une certaine coordination, autrement tout le monde travaille en silo et ce n’est pas efficace.

M. Normand : Il y a une coordination au niveau des agences en ce qui a trait à l’application de la loi et à la collecte de renseignements. Par contre, si vous parlez de la révision, c’est complètement différent. En revanche, le CSARS pourra certainement être appelé à étudier un dossier dans lequel le service a été impliqué avec la Sûreté du Québec, par exemple. Il ne pourra pas faire de recommandation à la Sûreté du Québec en vue d’améliorer ses politiques, mais il pourrait être appelé à examiner ce que le service aurait fait avec la Sûreté du Québec.

Le sénateur Boisvenu : Merci.

Le sénateur Pratte : Bonjour à tous. J’essaie de mieux comprendre les circonstances qui pourraient vous amener à juger que la décision du ou de la ministre serait déraisonnable. Comme vous l’avez dit, vous avez bien exprimé la définition de « raisonnabilité », qui entraîne, en droit administratif, un haut niveau de déférence.

Par ailleurs, vous n’allez pas vérifier les faits que le ministre a en sa possession. Vous regardez les faits que le ministre a reçus. Vous essayez de voir si sa décision par rapport aux faits est déraisonnable. Vous n’allez pas aller enquêter pour voir si les faits sont véridiques. Les faits, vous les tenez pour acquis, ce sont les faits que le ministre avait devant lui, donc vous ne pouvez pas contester cela. Par ailleurs, il y a un haut niveau de déférence. Donc, on pourrait croire que le nombre de cas où le commissaire au renseignement déterminera que les décisions sont déraisonnables sera relativement petit.

M. Plouffe : C’est possible. Je ne le nie pas.

Le sénateur Pratte : Je ne connais pas les critères de droit administratif. Quel genre de décisions pourraient être déterminées comme déraisonnables par rapport aux faits soumis?

M. Plouffe : Par exemple, le ministre prend une décision sans donner de raisons. C’est un peu simpliste, mais disons que c’est un cas où il ne donne pas de raisons. Ou alors, les raisons qu’il donne pour expliquer sa décision sont incompréhensibles. Je vais en arriver à la conclusion que c’est à cause de ce manque de clarté que c’est déraisonnable. Le ministre a des critères juridiques à appliquer. Il faut qu’il se penche là-dessus. Dans un premier temps, il doit examiner la requête que l’agence lui présente. Si, dans la requête, les faits examinés n’ouvrent pas la porte aux critères juridiques que doit appliquer le ministre, je pense que celui-ci va retourner immédiatement la requête à l’agence et dire que c’est insuffisant.

Si le ministre est d’avis que ce critère est respecté, il va regarder la requête et conclure qu’il y a suffisamment de faits qui justifient de déterminer s’il doit autoriser ou non une activité quelconque. Une fois qu’il a fait cela, il faut qu’il me donne des raisons et qu’il me convainque. D’ailleurs, la loi dit que le commissaire au renseignement doit être satisfait. C’est le seuil juridique qu’on emploie en droit civil. Est-ce que, par prépondérance de preuve, je vais être satisfait que le ministre applique ces critères juridiques de la bonne façon? Est-ce raisonnable? Est-ce que je suis satisfait? Je vous donne une définition globale et générale de la raisonnabilité. Il faut dire que, au fur et à mesure que les décisions seront rendues, ce critère va se raffiner.

On peut faire une analogie avec une cour de justice; on peut créer une banque de jurisprudence et le critère va se restreindre. Au départ, il faut avoir un critère général, parce que, si on a les mains liées dès le début, on aura des problèmes.

Le sénateur Pratte : Vos décisions peuvent-elles faire l’objet d’un appel devant la Cour fédérale?

M. Plouffe : Oui.

Le sénateur Pratte : La Cour fédérale ou la Cour d’appel fédérale?

M. Plouffe : La Cour fédérale. C’est une révision judiciaire en première instance et ensuite, les décisions peuvent se rendre en appel devant la Cour d’appel fédérale.

Le sénateur Pratte : J’essaie juste de comprendre le processus. Essentiellement, c’est le ministre qui va en appeler s’il n’est pas satisfait de votre décision?

M. Plouffe : Oui, ou l’agence avec le ministre.

Le sénateur Pratte : Est-ce qu’il y a aussi une norme de déférence?

M. Plouffe : Oui. La Cour fédérale qui va entendre le contrôle judiciaire en ce qui a trait à ma décision doit aussi appliquer le critère de la raisonnabilité et, dans mon cas, elle devra déterminer si je suis un expert en matière de sécurité nationale ou non. Peut-être qu’ils ne vont pas accorder de déférence dans mon cas. Comprenez-vous ce que je dis?

C’est le critère de la raisonnabilité qu’ils vont appliquer. Est-ce que j’ai bien appliqué le critère de la raisonnabilité, conformément à la définition que je vous ai donnée? C’est le critère qu’ils appliquent eux-mêmes actuellement.

Le sénateur Pratte : Je conclus que le nombre de cas où vous déterminerez que la décision est déraisonnable sera minimal. C’est peut-être une bonne chose.

M. Plouffe : Oui. C’est assez rare que je doive rapporter une non-conformité aux deux ministres en question. Par exemple, dans le cas de la Défense nationale avec le CST, si j’arrive à la conclusion qu’il y a non-conformité, je dois informer le procureur général du Canada et le ministre de la Défense. Depuis 1996, c’est arrivé une seule fois.

M. Normand : Il faut dire que les deux agences travaillent très bien. J’ai été avocat au SCRS. On a fait une multitude de présentations devant la Cour fédérale, et on refusait très rarement de donner les autorisations. Je pense que c’est une étape nécessaire parce que, dans le cas du CST, on avait des autorisations ministérielles seulement, et on subissait parfois des attaques. Par exemple, certains se demandaient si les autorisations allaient à l’encontre des exigences de la Charte. Le fait d’ajouter un poste de commissaire au renseignement permet de remédier à cela. En même temps, cette décision, lorsque l’autorisation est accordée, fera que les gens qui agissent ne contreviendront pas à la loi, parce que les seuls cas qui se présenteront au ministre et conséquemment au commissaire sont ceux où les activités seraient autrement illégales. C’est un système qui se tient bien et qui va protéger encore davantage les employés du CST que présentement.

Le sénateur Pratte : Merci.

Le sénateur Dagenais : Merci à nos invités. Monsieur le juge Plouffe, peut-être pourrez-vous m’éclairer. Lorsqu’il y a des opérations d’importance qui sont menées par le SCRS ou un corps de police, normalement, les mandats de perquisition doivent être autorisés par un juge ou un juge de paix. Est-ce que, dans le cas du SCRS, s’il y a une opération d’importance ou un mandat à exécuter, le SCRS doit faire autoriser ce mandat par un juge ou un juge de paix? Je vous ai écouté, et vous avez dit que votre rôle était d’examiner les faits après l’exécution des actions et de déterminer si tout a été fait correctement.

M. Plouffe : Actuellement...

Le sénateur Dagenais : Est-ce que vous devez examiner si le juge qui a autorisé le mandat a bien fait son travail? J’imagine qu’un juge ne juge pas un autre juge?

M. Plouffe : Non, pas du tout. Je vais laisser mon collègue vous expliquer cela.

M. Normand : Pour le SCRS, vous avez raison, c’est seulement la Cour fédérale, soit des juges désignés qui peuvent entendre les demandes du SCRS et, pour y avoir travaillé, il y a eu des demandes urgentes où on devait travailler la nuit pour aller en cour durant la fin de semaine. Essentiellement, le commissaire au SCRS joue un rôle en ce qui a trait aux jeux de données. C’est un régime parallèle à l’information que le service garde dans sa banque centrale. C’est de l’information qui n’est pas liée à une menace et qui est controversée depuis des années. Il fallait mettre sur pied un système pour réglementer tout cela.

Le commissaire ne sera pas impliqué dans des activités opérationnelles comme telles. Les demandes normales du SCRS demeurent la prérogative de la Cour fédérale. Les seuls cas où le commissaire pourrait être appelé à agir de manière urgente sont ceux où les jeux de données n’auraient pas fait l’objet d’une autorisation de rétention, parce que c’est un processus interne créé par la loi, mais où le service aurait besoin de faire une recherche rapide sur des données parce qu’elles pourraient être liées à une personne qui arrive durant une fin de semaine.

Ce n’est pas directement lié à une opération, mais cela facilitera cette opération. Les deux critères que l’on doit respecter en vertu de la loi, c’est la préservation de la vie d’une personne ou des cas où, si on n’agit pas rapidement, le renseignement pourrait perdre de son utilité. Ce sont les seuls cas d’urgence. C’est un ensemble de données, ce n’est pas une opération du SCRS qui serait en jeu, mais la recherche relativement à un jeu de données, qui pourrait être un ensemble de numéros de téléphone ou de dates de naissance reliés à des gens qui pourraient venir au pays.

Le sénateur Dagenais : Malgré tout ce qui se passe dans le monde, Dieu merci nous sommes quand même assez bien protégés au Canada et il n’y a pas eu beaucoup d’attentats sur notre territoire. Cependant, le SCRS, les forces policières ou d’autres organismes de sécurité nationale doivent souvent agir rapidement dans le but d’empêcher un attentat. Je comprends que les gens ne travailleront plus en silo et qu’il y aura un autre organisme, mais le fait de créer un organisme par-dessus un autre pourrait-il entraver le travail des organismes de sécurité nationale et, indirectement, nuire à la sécurité des citoyens?

M. Plouffe : Je ne crois pas. Peut-être faut-il le demander aux agences, et je pense que les sénateurs l’ont fait. Lorsque j’ai lu vos interventions, j’ai constaté que vous l’aviez demandé aux agences de sécurité. Est-ce que le projet de loi C-59 vous empêche de fonctionner au niveau opérationnel ? Les agences ont répondu que non. À ma connaissance, elles disent au contraire que ce nouveau niveau régime leur donne encore plus confiance en ce qu’elles font, parce qu’il y a plus de surveillance. À ce moment-là, elles trouvent que le processus est plus transparent. Elles sont contentes d’avoir un surveillant.

Cela va rehausser la confiance du public à leur endroit également. Les agences sont contentes d’avoir un surveillant. Il y a maintenant un comité de surveillance au lieu de trois ou quatre et un commissaire au renseignement qui va réviser les décisions ministérielles et les conclusions. Ce processus est calqué sur le régime britannique et il a été importé de la Grande-Bretagne, où il fonctionne assez bien et est en vigueur depuis 2016.

Le sénateur Dagenais : Juste en terminant, monsieur Plouffe, je vous écoute avec attention parce que vous avez peut-être lu, dans ma biographie, que je suis policier de carrière.

M. Plouffe : Je vous connais, ne vous inquiétez pas.

Le sénateur Dagenais : J’en suis certain. C’est la première fois que j’entends dire qu’un policier de la base est content d’avoir un surveillant; je n’avais pas entendu cela encore. Je vous remercie.

M. Plouffe : D’accord.

Le sénateur Boisvenu : Vous parlez de l’Angleterre, mais ce sont quand même deux régimes différents. Le MI5 est formé d’agents de la paix armés au sens du Code criminel.

M. Normand : C’est un mélange des deux.

Le sénateur Boisvenu : Alors qu’ici, ce sont des analystes. Ce que les gens me disent, c’est que cela risque de ralentir les opérations d’avoir des analystes plutôt que des agents de la paix.

M. Plouffe : Ce sont des analystes au CST, mais, au SCRS, il n’y pas que des analystes.

Le sénateur Boisvenu : Est-ce que tous les gens qui font de l’analyse sont des agents de la paix qui ont un mandat?

M. Normand : Ils ne sont pas du tout des agents de la paix, ils sont des analystes. On faisait le rapprochement avec la Grande-Bretagne un plus tôt en ce qui concerne le rôle du commissaire. Le MI5 est l’équivalent du SCRS ici; ses agents travaillent en étroite collaboration avec les policiers de Londres. Il y a donc une équipe qui a été créée, mais le MI5 est formé de gens du renseignement, comme le SCRS.

[Traduction]

La sénatrice Jaffer : J’ai une question au sujet des cyberopérations. Vous, comme d’autres, avez recommandé qu’en plus du ministre de la Défense nationale et du ministre des Affaires étrangères, le commissaire au renseignement participe aussi au processus d’approbation visant toutes les cyberopérations défensives et les activités du SCRS.

Lundi dernier, une témoin a déclaré que la décision d’avoir recours à des cyberopérations dans le contexte international devrait appartenir uniquement au Cabinet et que le commissaire au renseignement ne devrait pas intervenir dans de telles décisions. Que pensez-vous de cette déclaration?

M. Normand : C’est une question de politique publique; le gouvernement a la prérogative de décider comment il veut procéder. Il arrivera que le CST soit appelé à mener les mêmes activités dans le contexte des cyberopérations actives que dans celui de la collecte de renseignements étrangers, car la loi prévoit plusieurs façons de recueillir les renseignements. Certaines méthodes de collecte de renseignements sont aussi utilisées dans le cadre des cyberopérations actives, qui visent principalement à contrer les menaces.

Le gouvernement a décidé que le commissaire au renseignement devrait jouer un rôle dans la collecte de renseignements, mais que les cyberopérations défensives et actives devraient continuer à relever des deux ministres. C’est la décision que le gouvernement a prise.

La sénatrice Jaffer : Je comprends, mais je croyais que vous suggériez d’inclure aussi le commissaire au renseignement. Je voulais que vous m’expliquiez pourquoi.

M. Plouffe : À ce moment-là, je voulais demander au gouvernement pourquoi je ne devrais pas être inclus dans ce processus alors que je participe à tant d’autres activités, vous voyez? Si l’objectif est de mettre en place une structure de surveillance complète, quelle est la différence? Pourquoi est-ce nécessaire, dans ce cas précis, d’exclure le commissaire au renseignement? On ne m’a pas répondu. On m’a tout simplement dit que c’était la décision que le gouvernement avait prise.

Je dois ajouter, en me fondant sur mon expérience, que dans quelques années, le commissaire au renseignement participera probablement à ces activités.

M. Normand : On peut faire une comparaison avec les mesures de réduction des menaces du SCRS. Ces mesures peuvent ressembler aux cyberopérations actives puisqu’elles relèvent aussi parfois du domaine de la cybersécurité. Normalement, le SCRS doit obtenir l’autorisation préalable de la Cour fédérale, à moins que les mesures soient très minimes. Dès que les mesures envisagées risquent d’avoir une incidence sur les droits garantis par la Charte — car le SCRS travaille surtout au Canada, mais il participe aussi à des activités à l’étranger —, le SCRS doit demander l’autorisation de la Cour fédérale. Cette distinction faisait partie de nos arguments initiaux. Pour le service, la structure menait à l’autorisation des mesures par des juges désignés de la Cour fédérale. Pour les cyberopérations actives du CST, il n’y avait pas pareil examen indépendant.

La sénatrice Jaffer : J’avais cru comprendre que les cyberopérations étaient, en quelque sorte, un dernier recours. C’est pour cette raison qu’on était d’avis que la décision devrait revenir aux ministres de la Défense nationale et des Affaires étrangères.

M. Normand : Évidemment, ces ministres participeront au processus. C’est pour cela que le mandat touchant l’assistance est attendu depuis longtemps. Il permettra au CST de fournir de l’assistance au MDN et aux FC, surtout relativement à la cybersécurité. Ils y travaillent ensemble depuis plusieurs années et ils ont hâte que le projet de loi soit adopté pour pouvoir continuer à travailler dans ce domaine.

La présidente : Au nom de tous les sénateurs, je vous remercie d’avoir passé la dernière heure avec nous. Vos témoignages nous seront très utiles. Nous vous en remercions.

Pour notre deuxième groupe de témoins de la journée, nous accueillons l’honorable Pierre Blais, président, Mme Chantelle Bowers, directrice exécutive par intérim, et M. Darryl Hirsch, directeur de la recherche, du Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité. La parole est à vous, monsieur Blais.

[Français]

L’honorable Pierre Blais, président, Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité : Je vous remercie de me donner l’occasion de comparaître devant le comité pour parler du projet de loi C-59, Loi concernant des questions de sécurité nationale.

En février 2018, soit il y a un peu plus d’un an, j’ai comparu devant le Parlement afin de discuter de ce projet de loi avec vos collègues de la Chambre des communes. J’avais alors affirmé, et je le réitère aujourd’hui, que le projet de loi C-59 est un projet de loi complexe, mais extrêmement important, qui donnera de nouvelles orientations à la sécurité nationale au Canada et à la reddition de comptes à cet égard dans un avenir prévisible.

Je suis heureux de constater que le projet de loi suit les étapes du processus parlementaire. Je vois aussi que mon collègue, M. Plouffe, a abordé certaines questions que nous pourrons peut-être aborder un peu plus tard.

[Traduction]

J’aimerais commencer par vous décrire le mandat et les responsabilités du CSARS.

Comme vous le savez, le CSARS a été créé en 1984, en même temps que le Service canadien du renseignement de sécurité et aux termes de la même loi. Le CSARS est un organe d’examen externe indépendant, c’est-à-dire indépendant du gouvernement. Il ne relève pas d’un ministre; il rend directement compte au Parlement. Le CSARS est composé d’éminents Canadiens.

[Français]

Ce n’est pas moi qui le dis.

Il s’agit de Canadiens qui ont une expérience plus large dans le domaine de la sécurité nationale et qui viennent de divers horizons dans cette sphère d’activité.

[Traduction]

Ces personnes viennent d’horizons politiques et régionaux divers. Je suis le président du comité. Le CSARS aide à veiller à ce que le SCRS s’acquitte de son mandat comme il se doit, d’une façon efficace et conforme à la loi, tant au pays qu’à l’étranger. Essentiellement, le CSARS a pour mandat de fournir au Parlement et, par extension, à l’ensemble des Canadiens, l’assurance que le SCRS mène des enquêtes, signale les menaces à la sécurité nationale et recueille du renseignement étranger dans le respect de la primauté du droit et des droits des Canadiens.

Le mandat du CSARS se décline en trois responsabilités principales. Premièrement, le CSARS effectue des examens approfondis des activités du SCRS. Deuxièmement, le CSARS doit certifier le rapport annuel présenté par le directeur du SCRS au ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile. Troisièmement, le CSARS fait enquête sur les plaintes du public concernant les activités du SCRS et les refus d’habilitations de sécurité.

Le CSARS rend compte des résultats de son travail dans son rapport annuel au Parlement.

[Français]

Dans l’ensemble, le système a bien fonctionné au début. Toutefois, avec le temps, le CSARS et d’autres intervenants ont remis de plus en plus en question l’efficacité du processus cloisonné de reddition de comptes et des activités de renseignement au Canada, processus qui existe depuis plus de 30 ans.

Cette question a été abordée par M. Plouffe un peu plus tôt. Les agences fonctionnaient en silo, individuellement. Cette question a été soulevée pour la première fois dans le contexte des événements du 11 septembre, alors que les activités de sécurité nationale de plusieurs entités fédérales semblaient s’entrelacer dans la foulée de ces attentats, mais que les organismes en place demeuraient cloisonnés.

Dans son rapport annuel — et je remonte presque 10 ans en arrière, en 2010-2011 —, le CSAR indiquait ce qui suit :

Au Canada, pourtant, le système de freins et contrepoids, qui a été instauré il y a plus de deux décennies pour assurer la reddition de comptes de ces divers organismes, n’a pas suivi le rythme de ces changements. Les mécanismes de surveillance existants, dont le CSARS, ne sont ni conçus ni outillés pour examiner à fond les activités de plus en plus intégrées du Canada en matière de sécurité nationale.

Il s’agit d’une lacune importante de la reddition de comptes relativement à ces activités. Plus précisément, chaque fois que nous examinons les activités du service, en ce qui concerne certaines opérations réalisées par exemple par la GRC, l’Agence des services frontaliers du Canada ou tout autre ministère, nous sommes incapables de suivre le fil — follow the thread, comme on dit en anglais. Le projet de loi répond à cette problématique.

[Traduction]

Dans l’ensemble, le projet de loi qui vous est soumis permet de corriger le problème. Il donne à l’OSASNR le mandat d’examiner toute activité du SCRS ou du CST, toute activité menée par un autre ministère ou un autre organisme portant sur la sécurité nationale ou le renseignement, et toute autre question liée à la sécurité nationale qu’un ministre porterait à son attention, ce qui est très large.

L’examen spécial de la sécurité nationale est ainsi élargi à un grand nombre d’autres ministères et organismes, y compris l’ASFC et la GRC. Le CSARS appuie ces propositions de changements qui corrigeront les lacunes du système de reddition de comptes que nous, comme bien d’autres groupes, soulignons depuis des années.

Les délibérations du Canada au sujet de la reddition de comptes se déroulent à un moment où la réflexion sur la reddition de comptes des organismes du renseignement a évolué, ce qui se traduit par des attentes de transparence accrues chez le public.

À cet égard, l’une des grandes forces du projet de loi est la disposition qui permet au nouvel organisme d’examen de publier des rapports spéciaux aux termes du paragraphe 40(1) de la loi lorsqu’il estime qu’il est dans l’intérêt public de le faire.

Ce mécanisme permettra au nouvel organisme d’examen de signaler un problème important aux parlementaires et au public en temps opportun. En ce moment, le CSARS n’est pas en mesure de le faire, son seul recours étant le rapport public annuel, ce qui limite sa capacité à présenter les résultats de ses activités en temps utile. Étant donné les récents engagements du gouvernement en matière de transparence, il s’agit là d’une disposition importante.

[Français]

Au cours de sa précédente comparution, le CSARS a proposé un certain nombre d’amendements au SECU — le Comité permanent de la sécurité publique et nationale — en vue d’améliorer et de préciser certains éléments du projet de loi. J’ai insisté sur la plus importante de ces propositions, soit le principe selon lequel l’office devrait déterminer lui-même ses procédures. On s’assurerait ainsi que l’organisme a le pouvoir de déterminer la procédure à suivre dans l’exercice de l’une ou l’autre de ses responsabilités ou fonctions, comme c’est le cas actuellement pour le CSARS. Cette proposition a été retenue et figure dans l’ébauche que vous étudiez actuellement. Nous en sommes très heureux.

C’est important parce que nous sommes non seulement un organisme d’examen, mais nous jouons aussi un rôle de tribunal administratif, puisque nous devons entendre des plaintes. Cela n’est pas usuel et cela transforme notre rôle en celui de décideur.

[Traduction]

Nous devons prendre des décisions rapidement concernant des recommandations fondées sur les plaintes que nous recevons.

[Français]

Même si nos recommandations n’ont pas toutes été acceptées — ce qui est normal dans les circonstances —, nous sommes satisfaits du projet de loi tel qu’il vous est présenté. Je souligne tout de même un élément important : depuis 30 ans, une erreur persiste relativement au nom de l’organisme, soit l’Office de surveillance des activités en matière de sécurité nationale, comme dans le cas du Comité de surveillance des activités de renseignement tel qu’il existe actuellement. Nous ne sommes pas un comité de surveillance, mais un comité d’examen.

En anglais, c’est parfait, mais en français, vos linguistes devraient apporter la correction. À mon avis, cela pourrait se faire sans devoir présenter un amendement. J’ose m’avancer. Je n’ai pas beaucoup d’expérience récente dans les délibérations parlementaires, mais je crois que cela pourrait régler le problème. Pour un francophone comme moi, le fait de ne pas corriger cela m’agace un peu et cela devrait agacer tout le monde. Pour le « comité de surveillance », ce n’est pas le cas. À moins que vous nous donniez le mandat de surveiller les activités, ce qui n’est pas le cas, et ce n’est pas l’intention du gouvernement. J’espère que vous comprenez. Je le dis tout à fait respectueusement.

[Traduction]

Je crois que les linguistes du Sénat et de la Chambre des communes, et peut-être aussi du ministère de la Justice et de nos équipes pourraient se pencher sur la question sans modifier ou amender le projet de loi. C’est une question de langue qui ne touche que le titre.

[Français]

J’arrête ici, madame la présidente.

[Traduction]

Je vous remercie de nous avoir donné l’occasion de nous adresser à vous. Je serai ravi de répondre à vos questions.

La présidente : Merci beaucoup.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Merci beaucoup, monsieur Blais. Avant de poser ma question, je dois dire que vous avez raison. Le mot « surveillance » est quelque peu bizarre. Vous avez fait de la politique longtemps.

M. Blais : Si peu.

Le sénateur Dagenais : Vous êtes modeste. En politique, tout est une question de perception, et les gens seraient portés à croire que le gouvernement veut s’ingérer dans les affaires de sécurité nationale. C’est la perception. Cela dit, vous avez répondu en partie à ma question concernant les quelques failles qu’il faudrait corriger avant l’adoption finale du projet de loi. Selon vous, serait-il normal que le Sénat recommande ce nouveau mécanisme de contrôle sans politiquement s’assurer qu’il soit révisé avant la période proposée de cinq ans, pour s’assurer que les nouvelles dispositions répondent correctement aux besoins d’aujourd’hui? Si je comprends bien, on proposera une période de révision après cinq ans, mais, s’il y a des failles, devrait-on les endurer pendant cinq ans ou apporter les corrections avant?

M. Blais : Le Parlement demeure souverain. C’est toujours le Parlement qui décide, le moment venu, d’abroger ou de modifier une loi. Ce qui m’apparaît intéressant, c’est que nous ne sommes pas dans un champ nouveau. L’organisme que je préside, le CSARS, existe depuis 35 ans. Puisque le passé peut être quelque peu garant de l’avenir, on peut dire que la formule a donné de bons résultats. Nous avons été en mesure de surveiller le travail des services secrets, leurs opérations, comment ils respectaient la loi et comment, de temps à autre, il pouvait y avoir des choses à corriger.

Tout comme moi, mes prédécesseurs l’ont fait au fil des années en soumettant des rapports qui ont reçu un accueil largement favorable de l’État et du public, et aussi des agences. Je retiens le mot de M. Pierre Coulombe, qui a quitté notre service il y a à peine un an. Il disait : « Nous sommes meilleurs grâce à vous. » Lorsqu’on corrige des lacunes, cela veut dire quelque chose. Élargir le mandat des 19 organismes fédéraux qui touchent de près ou de loin à la sécurité nationale, avoir notre mot à dire pour voir si le travail est bien fait, est-ce que cela représente vraiment un risque? Je ne crois pas.

Si le Parlement décide, à l’intérieur des délais... Je n’ose pas m’avancer sur ce sujet, mais je pense que ce n’est pas un gros risque que d’élargir le mandat d’un organisme de surveillance pour donner une plus grande confiance aux Canadiens en leurs institutions.

Le sénateur Dagenais : J’aimerais revenir sur la question que j’ai posée à M. Plouffe plus tôt en ce qui concerne les organismes de sécurité nationale. Je vais faire un parallèle avec la Sûreté du Québec, où il y a un comité de la régie interne, un comité de discipline et un commissaire à la déontologie. Cela fait beaucoup d’instances qui se surveillent mutuellement. Je comprends que les gens ne travailleront plus en silo, mais ne croyez-vous pas que le fait d’ajouter un autre organisme de surveillance — je suis même surpris qu’on ne parle pas de table de concertation ou d’assemblée de citoyens — pourrait créer un obstacle dans le cadre du travail des policiers? De plus, avez-vous les effectifs nécessaires pour faire cette « surveillance »?

M. Blais : Monsieur le sénateur, je crois qu’on agit beaucoup dans la confidentialité, et il faut toujours faire attention de ne pas dépasser... Dans notre mandat, chaque année, nous rencontrons le personnel des services secrets ici et parfois à l’étranger. On rencontre toujours ceux que l’on appelle les « partenaires des services secrets », qui sont à la fois la GRC, l’Agence des services frontaliers du Canada et les autres. Les corps policiers sont toujours très heureux de nous rencontrer.

Par exemple, dans le cadre de nos enquêtes et de nos recherches, si on va à Vancouver ou à Montréal... Nous sommes allés à Montréal il n’y a pas si longtemps et nous avons passé au moins deux heures avec des gens de la police de Montréal et de la Sûreté du Québec. On l’a fait avec la police à Vancouver, à Toronto et même à Washington l’automne dernier. Ce sont des partenaires qui, tous les jours, travaillent avec les services en matière de sécurité. Contrairement à ce qu’on pourrait penser, il n’y a pas de guerre de territoire.

De façon générale, je dois dire que j’ai senti un immense désir de collaborer dans la communauté du renseignement. Cette collaboration est présente. J’ai entendu le témoignage de M. Plouffe tout à l’heure et les questions qui lui ont été posées à ce sujet. Il y a une très grande collaboration entre les corps policiers et tous les gens impliqués d’une manière ou d’une autre. Vous avez absolument raison lorsque vous dites que, lorsqu’on a arrêté des gens à Montréal avant qu’ils prennent l’avion pour partir à l’étranger, c’est un corps de police municipal qui était impliqué. Le corps de police fédéral, les services secrets et les services frontaliers sont aussi impliqués. Tout le monde travaille main dans la main.

Si une erreur est commise ou s’il y a un abus, on sera en mesure, avec l’OSSNR, d’avoir une vision globale de l’événement. Ainsi, les gens ne pourront pas se renvoyer la balle pour savoir qui a commis une erreur. On aura l’autorité nécessaire pour donner aux Canadiens, au Parlement d’abord, à vous, la possibilité de s’exprimer, afin de savoir si les services ou les agences ont agi ou non de manière exagérée ou disproportionnée.

Le sénateur Dagenais : Vous êtes en train de me convaincre, monsieur Blais.

Chantelle Bowers, directrice exécutive par intérim, Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité : Je suis convaincue également que le gouvernement fédéral nous donnera exactement tout ce dont nous avons besoin pour ce qui est des effectifs. Il ne faut pas oublier que nous ne sommes pas partis de rien. Nous avons déjà un système bien rodé avec le CSARS, avec les effectifs actuels et les membres de notre comité. Nous sommes bien partis.

Le sénateur Dagenais : Merci beaucoup.

[Traduction]

La sénatrice Jaffer : Merci pour vos témoignages. Ils étaient très intéressants. J’ai compris que vous appuyez la création de l’OSASNR. J’aimerais donc vous poser quelques questions de nature administrative. Aux termes du projet de loi C-59, le président et le vice-président doivent exercer leur charge à temps plein, mais les autres membres peuvent exercer leur charge à temps partiel. Que pensez-vous de cette disposition? Cela leur permettra-t-il de s’acquitter de leur charge de travail?

M. Blais : C’est une bonne question. J’exerce ma charge à temps partiel. Comme vous le savez, je suis un ancien député. Nous ne pouvons pas vraiment être rémunérés pour le travail que nous faisons. Juste pour vous donner un exemple, nous, la majorité des anciens députés qui ont été membres, recevons 4 000 $ par année et nous y consacrons probablement, comme je l’ai fait, autour de 60 jours par année.

C’est donc difficile pour moi de répondre à votre question. J’en suis à la cinquième année de mon mandat, la dernière. À titre de président, j’étais obligé de venir ici aujourd’hui, car je suis comme un sous-ministre. La structure a changé. Je suis maintenant le directeur général. Mes tâches sont liées aux activités quotidiennes et aux grandes questions touchant la dotation et la recherche. Nous discutons de ces dossiers avec tous les cadres supérieurs.

À l’avenir, évidemment, les tâches seront plus nombreuses. Ce sera au gouvernement de décider si la charge doit être exercée à temps plein. C’est difficile pour moi de répondre. J’ai vécu ma propre expérience et j’en sais un peu sur l’expérience des autres.

Depuis deux ou trois ans, nous travaillons à la création du nouvel OSASNR. Nous avons passé beaucoup de temps à rencontrer les 19 nouveaux organismes, c’est-à-dire tous les intervenants et les parties intéressées d’un peu partout. Je ne sais pas. Si le président exerce sa charge à temps plein, on n’aura certainement pas de difficulté à le tenir occupé.

Je ne sais pas comment ce sera géré. Le gouvernement ne m’a pas donné les détails de la nouvelle structure. Je sais que les quatre membres actuels vont rester. Nous sommes cinq membres, dont l’un a terminé son mandat il y a un mois. Il sera possible d’ajouter deux membres, ce qui sera probablement bien reçu parce que notre rôle de tribunal veut dire que nous tenons des audiences. Nous rencontrons des témoins et nous devons travailler avec des avocats dans le cadre des enquêtes.

Exercer la charge à temps plein? Je ne sais pas. La décision sera probablement prise dans l’intérêt supérieur du pays. Je peux vous donner une idée du travail que j’ai fait. Il faudra trouver quelqu’un qui sera disponible, évidemment, pour occuper le poste de président dans un tel contexte.

Mme Bowers : J’aimerais ajouter que notre président est toujours disponible. De plus, la loi est très souple; elle permet de désigner un président et un vice-président, qui peuvent exercer leur charge à temps plein ou à temps partiel. Le législateur a donc la possibilité de décider.

La sénatrice Jaffer : D’après ce que je comprends, le président et le vice-président peuvent exercer leur charge à temps plein ou à temps partiel, mais les autres doivent tous exercer leur charge à temps partiel.

Mme Bowers : C’est exact.

La sénatrice Wallin : Merci beaucoup. J’espère que vous réussirez à faire modifier la terminologie, car je trouve que c’est un détail important et qu’il serait probablement mieux d’apporter la correction.

Dans le même ordre d’idées, j’aimerais avoir votre avis sur un détail du projet de loi qui me préoccupe. Je sais que dans l’ensemble, vous approuvez le projet de loi. Or, ma préoccupation concerne la terminologie, et c’est pour cette raison que je vais vous poser la question.

La loi actuelle parle de quiconque, sciemment, préconise ou fomente la perpétration d’infractions de terrorisme. D’après moi, la définition contenue dans le projet de loi C-59 est beaucoup plus étroite : « quiconque conseille à une autre personne de commettre une infraction de terrorisme ». La nouvelle disposition limite donc le champ d’action; elle ne permet pas de s’attaquer aux réseaux terroristes, à leur capacité de recruter et à bien d’autres choses.

Comment interprétez-vous la disposition proposée? La trouvez-vous plus étroite que la disposition actuelle?

M. Blais : Comme vous le savez, les termes « terroriste » et « terrorisme » font l’objet de discussions depuis des dizaines d’années. J’ai participé à titre de législateur et aussi de juge au tout début de la discussion concernant l’interprétation de ces termes, et cette discussion n’est pas terminée. Le terrorisme s’est transformé au fil des années; il s’est répandu dans divers domaines, et le terme a revêtu de nouvelles significations.

En ce qui nous concerne, la terminologie employée dans la loi nous importe peu. En fait, nous ne décidons pas ce que font le SCRS ou le CST. Nous examinons seulement les activités qu’ils ont menées pour déterminer si elles cadrent avec leur mandat ou s’il y a des restrictions imposées par la Charte, par exemple.

La sénatrice Wallin : Je sais que ma question ne relève pas précisément de votre mandat. Le changement m’a frappée parce que ces termes sont importants, et la façon dont ils sont interprétés à toutes les étapes du système aussi. Je sais que vous réagissez à autre chose, mais j’aimerais simplement avoir votre avis sur la différence entre « préconise ou fomente » et « conseille ».

M. Blais : Oui, eh bien, c’est difficile pour moi d’émettre mon avis à ce sujet. Je suis toujours avocat, mais je pense que je vais attendre avant de me prononcer là-dessus.

La sénatrice Wallin : Je comprends. Merci.

M. Blais : Ces termes évoluent constamment, et ces définitions ne renverront jamais à un concept précis. L’avenir nous le dira, probablement.

La sénatrice Wallin : Je vous remercie.

[Français]

Le sénateur McIntyre : Monsieur le commissaire, je vous remercie de votre présentation et j’aimerais vous poser deux questions. D’abord, lors de vos comparutions devant le comité de la Chambre des communes, vous avez formulé plusieurs recommandations à propos d’amendements au projet de loi C-59.

Comme vous l’avez mentionné, le principal amendement visait à ce que l’Office de surveillance des activités en matière de sécurité nationale et de renseignement puisse déterminer ses propres procédures, et le gouvernement l’a adopté. Naturellement, vous êtes satisfait de cet amendement adopté par la Chambre des communes.

Parmi vos recommandations, en reste-t-il une ou deux que vous jugez importantes et qui n’ont pas encore fait l’objet d’un suivi?

M. Blais : Je vous dirais, monsieur le sénateur, que je suis d’un naturel pragmatique. Avec une expérience d’environ 40 ans dans le domaine de la sécurité nationale, je sais que nous faisons les choses un pas à la fois. Nous avons formulé un certain nombre de recommandations et nous ne savons pas encore de quelle façon vont se dérouler les opérations. Au point où nous en sommes, je suis satisfait et je n’ai pas d’autres recommandations à proposer.

Le fait d’établir nos propres règles va nous permettre d’assouplir la façon d’intervenir. Par ailleurs, nous avons déjà contacté tous les organismes avec lesquels nous allons travailler. Je le dis parce que, d’une certaine façon, cela me permet de répondre par ricochet à la question. Nous avons consacré des mois de travail à établir des mécanismes de coopération avec eux. Comme vous le savez, ce n’est pas toujours le règlement qui nous guide. Nous devons pouvoir travailler de très près avec les organismes. Je peux vous dire que nos équipes ont rencontré des représentants du Conseil privé et de plusieurs autres organisations.

J’ai rencontré personnellement plusieurs présidents d’organismes dans le but d’éviter qu’ils aient peur de la création de cette nouvelle « bibitte » — excusez l’expression —, et qu’ils la voient plutôt comme un nouvel organisme de surveillance.

Depuis 30 ans, nous montrons ce que nous faisons. Nous avons tenu de multiples séances d’information pour apaiser les inquiétudes liées à l’impact des ajustements apportés à la loi. Nous voulons nous assurer que l’Office de surveillance des activités en matière de sécurité nationale et de renseignement aura accès librement aux informations et aux opérations des organismes lorsqu’il sera question de sécurité nationale. Voilà notre préoccupation.

Je dois dire qu’à ce jour je suis très satisfait des progrès accomplis. Il existe actuellement ce qu’on appelle en anglais le « memorandum of understanding ». C’est ce que nous développons avec chaque organisme afin d’éviter que ceux que nous examinons soient récalcitrants.

En partenariat avec le comité des parlementaires, nous avons développé un « memorandum of understanding » avec eux parce que nous ne voulons pas nous marcher sur les pieds. On ne veut pas que des gens manifestent de la résistance. C’est pourquoi je dis que nous avons beaucoup évolué depuis un an, et nous en sommes très satisfaits. Actuellement, nous croyons que si le projet de loi est accepté et approuvé par le Parlement, tout cela va se faire avec beaucoup de souplesse.

Le sénateur McIntyre : Dans votre allocution, vous avez parlé du mandat de votre comité. Je comprends qu’il se décline en trois principales responsabilités. L’une d’elles est d’enquêter sur les plaintes concernant les activités du SCRS et sur les refus d’habilitation de sécurité.

Depuis que vous occupez le poste de président, votre comité a-t-il dû faire enquête sur certaines plaintes ou certains refus? Si oui, êtes-vous en mesure de nous dire lesquels?

M. Blais : Dans un premier temps, lorsque nous parlons de recherches, il s’agit de recherches générales. Nous établissons un plan, car c’est nous qui décidons sur quelles activités du SCRS nous allons enquêter. Le deuxième aspect de notre mandat, ce sont les plaintes qui concernent le comportement d’employés du SCRS ou les habilitations de sécurité. C’est un vaste domaine et je ferai preuve de prudence pour ne pas laisser échapper de phrases malencontreuses.

Il peut s’agir de Canadiens à qui on refuse une habilitation de sécurité, ou encore d’étrangers qui ont un problème de sécurité avec le Canada. Je ne peux pas vous dire précisément combien de plaintes nous recevons. Toutefois, notre rapport annuel en fait toujours état.

Nous nous trouvons dans une drôle de situation, car, d’une part, les gens ne veulent pas que ces informations soient connues en général. C’est la raison pour laquelle la loi a prévu que cette information demeure confidentielle. D’autre part, certains auraient intérêt à ce que l’information soit rendue publique et ne souhaitent pas qu’elle soit confidentielle. Quoi qu’il en soit, la loi stipule que cette information doit demeurer confidentielle, et nous ne pouvons pas en dévoiler la teneur.

Le sénateur McIntyre : Autrement dit, vous naviguez entre transparence et confidentialité.

M. Blais : Oui, et la confidentialité, c’est la loi. La loi stipule que les audiences doivent se tenir à huis clos et, actuellement, certaines décisions de la cour traitent de la portée de la confidentialité. Si une question n’est pas réglée devant le comité, si nous proposons une recommandation et que les gens ne sont pas satisfaits, ils peuvent se présenter devant la Cour fédérale et demander une révision judiciaire.

La position traditionnelle du comité, c’est que l’information doit demeurer confidentielle, et c’est ce que stipule la loi. Par contre, il y a d’autres points de vue qui se font entendre à l’heure actuelle, dont celui du tribunal qui ne partage pas tout à fait mon opinion. Il y a des procédures devant le tribunal actuellement et je ne peux pas commenter davantage.

Comme vous voyez, je fais de la gymnastique. Je ne peux pas vous en dire davantage, au risque de me faire taper sur les doigts par mon avocat général. Vous comprenez?

Le sénateur McIntyre : J’ai bien compris votre gymnastique intellectuelle. Merci.

Mme Bowers : Si vous me le permettez, j’aimerais vous donner un exemple concret de ce que nous faisons avec une des modifications préconisées à l’origine à l’autre endroit. Le président vous a expliqué les protocoles que nous avions mis en place.

Une de nos suggestions à l’époque concernait la GRC et, depuis ce temps, je peux vous dire que nous avons tenu plusieurs rencontres avec le comité externe d’examen de la GRC. Nous avons pu régler de façon interne, par des protocoles et des rencontres, ce que nous avions préconisé comme modifications législatives à l’époque, et nous sommes satisfaits d’avoir trouvé d’autres moyens de le faire.

[Traduction]

Le sénateur Richards : Merci. Vous avez répondu à ma question en répondant à la sénatrice Wallin.

Vous faites de la reddition de comptes après coup, mais cela cause-t-il tout de même des problèmes? Les gens sentent-ils qu’ils ont les mains liées ou trouvent-ils la surveillance contraignante? La fluidité de toute situation pourrait leur faire prendre des mesures qui sont parfaitement pertinentes au moment des faits, mais qui ne semblent pas appropriées durant un examen de reddition de comptes. Comment gérez-vous cela?

M. Blais : La reddition de comptes est intemporelle...

Le sénateur Richards : Oui, je comprends cela.

M. Blais : La question concerne plutôt le moment où nous entrons dans les bureaux du SCRS pour examiner ses activités.

Nous comprenons tous — vous le comprenez probablement aussi — qu’il serait contre-productif pour notre organisation d’entrer dans les bureaux du SCRS et de dire : « Nous voulons examiner ce que vous avez fait aujourd’hui et les mesures que vous prenez par rapport à telle ou telle situation. » Le travail du SCRS est parfois très critique. Ses activités sont... Je ne peux pas donner de détails là-dessus, mais comme vous pouvez l’imaginer, il enquête sur des gens qui pourraient représenter une menace à la sécurité nationale. Des mesures de réduction de la menace sont aussi en place.

Soit dit en passant, nous incluons des observations à ce sujet dans nos rapports. Nous pouvons examiner ce que le SCRS a fait dans le passé, mais pas vraiment ce qu’il fait en ce moment. M. Plouffe vous a donné quelques explications précisément là-dessus. Il prend des décisions avant et même pendant que le SCRS mène ses activités. Nous n’en avons ni le pouvoir ni le mandat.

Ce que j’ai essayé d’être au fil des années… Je crois que nous devrions être plus pertinents. Nous pouvons être plus près de leurs activités. Nous essayons de faire rapport plus tôt. Avant, nos rapports venaient trop tard. Après les élections, par exemple, nous avons produit un rapport en février ou mars au sujet de l’année précédente. Nous avons produit un rapport à la fin de l’exercice suivant l’exercice couvert par le rapport. C’était une année trop tard. J’ai dit que nous ne pouvions pas faire cela, et nous avons changé un peu, ce qui fait que nous produisons notre rapport quelques mois plus tard seulement. Cela donne aux Canadiens et à vous tous une meilleure compréhension de ce qui s’est passé.

Il convient également de noter que, quand nous faisons nos recommandations et notre rapport au Parlement, nous mentionnons nos recommandations ainsi que la façon dont le gouvernement y a réagi. Vous remarquerez, si vous regardez nos rapports, que les réactions ont été positives la plupart du temps. Nous avons établi un examen de tout cela également. C’est une chose pour le SCRS de dire que oui, ils sont d’accord et vont faire telle ou telle chose, et corriger telle ou telle chose. Eh bien, nous avons également un mécanisme pour examiner cela. Nous pouvons alors leur dire qu’en passant, vous avez dit l’année dernière que vous alliez vous pencher sur telle ou telle chose, alors nous allons y revenir afin de vous le rappeler. C’est parfois compliqué.

L’affaire des métadonnées qui s’est produite il y a quelques années et dont vous vous souvenez tous… C’est nous qui avons signalé que le service conservait certaines métadonnées sans autorisation. Cela a donné lieu à plusieurs requêtes à la Cour fédérale, et je ne veux pas entrer dans tous ces détails. Il suffit de dire qu’il était important d’en faire rapport. Le ministre nous a donné comme mandat de faire un ménage dans cela, afin de veiller à ce qu’à l’avenir, ces métadonnées soient saisies conformément à la loi et dans le respect de leurs obligations légales envers les Canadiens.

C’est le mieux que nous pouvons faire, mais je ne peux pas dire qu’il y ait de réactions négatives au fait que nous ne fassions pas de surveillance comme telle.

[Français]

On ne les dérange pas.

[Traduction]

Mme Bowers : Je crois que c’est très vrai. J’aimerais ajouter quelque chose à ce que le président dit. Nous faisons le suivi de ces recommandations, mais il est aussi important de noter que nos recommandations et nos conclusions ne sont pas exécutoires. Le service peut ne pas être d’accord. Comme notre président l’a dit, nous avons dans nos rapports annuels une partie réservée à leurs commentaires sur les recommandations, à la façon dont ils vont les mettre en œuvre s’ils décident de les mettre en œuvre et ainsi de suite. Ils ont cette possibilité. Cela ne va pas changer avec l’Office de surveillance des activités en matière de sécurité nationale et de renseignements. Leurs recommandations ne seront pas exécutoires non plus.

[Français]

Le sénateur Pratte : Monsieur Blais, j’ai une très courte question. Vous avez parlé plus tôt dans votre présentation de la différence entre l’examen et la surveillance, qui vous paraît évidente. Je trouverais intéressant que vous expliquiez brièvement la différence entre les deux, et pourquoi il est important de donner le bon nom au comité ou à l’organisme, qui serait un organisme d’examen, et non un organisme de surveillance.

M. Blais : Le terme « examen » suppose qu’on examine après le fait, parce que la surveillance donne vraiment l’impression que l’événement est contemporain et se produit en même temps. C’est le bon mot, et je vais faire attention avec vous, compte tenu de votre passé littéraire. On parle de faits contemporains, alors que nous, notre travail n’est pas effectué au moment où se produit l’événement. Cela pourrait donner l’impression aux gens de langue française qu’on parle de faits contemporains, alors que ce n’est pas le cas, et on pourrait nous reprocher de ne pas avoir agi plus rapidement. Or, ce n’est pas à nous d’exercer une surveillance, mais plutôt de procéder à un examen après les faits. C’est difficile de trouver le bon mot. Une revue, cela se fait après.

[Traduction]

Le terme anglais « review » est très clair.

[Français]

En français, ce n’est pas aussi clair. J’imagine que les linguistes ont eu de la difficulté, parce qu’ils ne l’ont pas corrigé.

Le sénateur Pratte : Avez-vous abordé cette question avec le gouvernement? La façon la plus simple de faire ce changement serait que le gouvernement le fasse lui-même.

M. Blais : Oui, j’ai écrit au ministre, mais je ne sais pas si cela se fera. La sous-ministre de la Justice pourrait examiner la question avec les linguistes. C’est plutôt une question linguistique. Je suis un peu gêné de la soulever, mais, comme j’ai écrit plus de 2 000 jugements dans ma vie, j’ai fait attention et je les ai écrits en anglais et en français. Je tentais toujours de trouver le bon mot, car, dans ma tradition de juriste, un mot veut dire quelque chose.

Votre collègue, la sénatrice Wallin, a souligné qu’un mot peut être important lorsqu’il s’agit de terrorisme. C’est la même chose ici. On passera peut-être encore 30 ans à croire que ce n’est pas le bon mot, mais je trouvais que c’était le bon moment pour le mentionner.

Le sénateur Pratte : Merci.

Le sénateur McIntyre : Je suis tout à fait d’accord avec vous en ce qui concerne le libellé « office d’examen ». Pendant 25 ans, j’ai été président de la Commission d’examen du Nouveau-Brunswick, qui relève de l’article 672 du Code criminel. En anglais, on l’appelle review board, donc vous avez tout à fait raison.

M. Blais : Enfin, j’ai un soutien moral.

Mme Bowers : Du Nouveau-Brunswick, notamment.

M. Blais : Je reconnais le Nouveau-Brunswick.

Le sénateur McIntyre : Je vous appuie à ce chapitre.

[Traduction]

Le sénateur Oh : Je remercie nos témoins de leur présence. Vous avez mentionné précédemment que vous ne travaillez que 90 jours par année.

M. Blais : Je n’en ai pas fait le compte, parce que…

Le sénateur Oh : Vous venez de me le dire, quand je vous l’ai demandé.

Mme Bowers : Il travaille tout le temps.

M. Blais : Je travaille dans mon bureau plus de 50 jours par année, mais en tant qu’avocat, je suis au téléphone, et comme vous le savez, nous travaillons quand nous sommes au téléphone.

Le sénateur Oh : Ce que je veux savoir, c’est le nombre d’examens que vous réalisez, ou le nombre de plaintes que vous traitez concernant le SCRS et le CSTC.

M. Blais : En ce moment, nos examens sont liés uniquement au SCRS. Nous ne faisons pas encore le CSTC. Nous le ferons si le projet de loi est adopté. Nous allons alors faire des examens du Centre de la sécurité des télécommunications et des 19 autres organisations. En ce moment, c’est le SCRS.

Nous faisons environ 15 examens par année. Il arrive qu’un examen s’étale sur plus d’un an. C’est M. Darryl Hirsch qui assure la supervision de cela. Il est le directeur de la recherche. Nous avons des équipes composées de chercheurs et d’avocats. Les avocats sont relativement nouveaux, mais compte tenu de la complexité des opérations du SCRS, nous avons ajouté un avocat à chaque équipe de chercheurs pour nous assurer que l’examen est bien fait et conforme à la loi. Il y en a environ 15. Il arrive que nous dépassions une année et que nous entreprenions de nouveaux examens.

Le sénateur Oh : Prenez-vous aussi des plaintes qui viennent de l’extérieur?

M. Blais : Oui, nous recevons également des plaintes. Nous avons environ 20 plaintes par année. Nous en avons plus que cela, mais certaines sont exclues parce que…

Mme Bowers : Parce que notre compétence n’a pas été établie.

M. Blais : En guise de première étape, nous devons déterminer si nous avons compétence pour entendre la plainte. Il arrive que la plainte soit frivole ou qu’elle relève d’un autre secteur.

Si c’est un problème de relations de travail — par exemple, un employé qui a un problème —, il faut d’abord que cela passe par le comité d’examen des relations du travail qu’il y a au fédéral. Il arrive que les gens soient mêlés et qu’ils ne soumettent pas leur plainte au bon endroit. Nous devons aussi regarder cela afin de rendre une décision. Il faut du temps même pour simplement dire que nous n’avons pas compétence. Nous en avons 15 à 20 chaque année. Les quatre autres membres et moi devons nous réunir pour examiner les cas et faire des recommandations.

Le sénateur Oh : Craignez-vous que le projet de loi C-59 affaiblisse notre loi sur le renseignement et vos opérations?

M. Blais : Je dirais plutôt le contraire, parce que cela va nous aider à faire un travail plus complet. Comme je l’ai mentionné, nous ne travaillerons pas en vase clos. Nous serons en mesure de suivre les pistes, en cas de problème. Par exemple, dans le cas d’une plainte venant d’une personne ayant un problème avec l’immigration, le problème va venir initialement de l’Agence des services frontaliers du Canada. Le plaignant pourrait avoir un problème avec la GRC et avec le service parce que c’est lié à la sécurité nationale. Avant, nous ne pouvions pas nous pencher sur cela. Nous regardions la situation relative au SCRS, mais s’il était question de l’intervention d’un employé de l’ASFC, nous ne pouvions pas examiner cela et faire des observations à ce sujet.

Il arrivait parfois que nous ayons un peu accès à cela, mais faire des recommandations sur une autre agence ne faisait pas partie de notre mandat. On nous disait que cela ne relevait pas de notre compétence.

Le sénateur Oh : Merci beaucoup. Maintenant, je sais à qui m’adresser. Merci, monsieur le président.

La présidente : Mesdames et messieurs, je crois que c’est tout pour nos questions.

Je vous remercie beaucoup d’avoir été là aujourd’hui, monsieur Blais et vos collègues. C’est une heure qui a été très bien utilisée, et nous vous savons gré de votre contribution aux travaux du Comité.

(La séance est levée.)

Haut de page