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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie

Fascicule no 4 - Témoignages du 14 avril 2016


OTTAWA, le jeudi 14 avril 2016

Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui, à 10 h 31, pour poursuivre son étude de la question de la démence dans notre société.

Le sénateur Kelvin Kenneth Ogilvie (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Je vous souhaite la bienvenue au Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie.

[Traduction]

Je m'appelle Kelvin Ogilvie, je viens de la Nouvelle-Écosse et je suis président du comité. J'invite mes collègues à se présenter.

La sénatrice Raine : Nancy Greene Raine, Colombie-Britannique.

La sénatrice Stewart Olsen : Carolyn Stewart Olsen, Nouveau-Brunswick.

La sénatrice Merchant : Pana Merchant, Saskatchewan.

Le sénateur Eggleton : Art Eggleton, je suis de Toronto et je suis le vice-président du comité.

Le président : Merci, chers collègues. Je tiens à nous rappeler à tous que nous poursuivons notre étude sur la question de la démence dans notre société, et nous avons la chance de recevoir aujourd'hui, par vidéoconférence, Marc Wortmann, directeur général d'Alzheimer's Disease International.

Je vous souhaite la bienvenue, monsieur Wortmann. Comme je l'ai dit, nous sommes très heureux que vous vous joigniez à nous ce matin. Je vous invite à nous présenter votre exposé, après quoi je laisserai mes collègues vous poser des questions.

Marc Wortmann, directeur général, Alzheimer's Disease International : Fantastique. Je vous remercie beaucoup de m'avoir invité à comparaître dans le cadre de ces audiences. Comme vous l'avez dit, je m'appelle Marc Wortmann et je représente Alzheimer's Disease International, qui est la fédération internationale des associations de l'Alzheimer. La Société Alzheimer du Canada fait partie des membres fondateurs de l'organisation et a toujours continué de nous appuyer depuis 1984. Notre vision consiste à améliorer la qualité de vie des gens atteints de la maladie d'Alzheimer et d'autres formes de démence, ainsi que celle de leurs familles.

La démence est un syndrome qui touche plus de 48 millions de personnes dans le monde à l'heure actuelle, et bien que sa prévalence dans les différents groupes d'âge ne change pas, le nombre de personnes atteintes augmentera pour atteindre plus de 131 millions de personnes d'ici 2050. L'essentiel de cette augmentation s'observera dans les pays à faible et moyen revenu, mais nous verrons tout de même les chiffres doubler dans votre pays. L'an dernier, on estime que la démence a coûté environ 818 milliards de dollars américains dans le monde, une somme qui atteindra bientôt un billion de dollars américains.

Dans beaucoup de pays, on observe une collaboration entre les partis pour que la question devienne un enjeu politique malgré les différentes allégeances politiques. Partout dans le monde, on a besoin de stratégies nationales de la démence, et 24 pays en ont déjà. La démence est plus qu'un problème de santé, elle a une incidence sur les programmes sociaux, le logement, le transport et les systèmes financiers. Tous ces éléments peuvent être abordés globalement dans un même plan, comme quelques pays l'ont fait, dont l'Australie, la France et le Japon, avec beaucoup de succès.

L'Organisation mondiale de la Santé a également recommandé, dans son rapport de 2012 intitulé La démence, une priorité de santé publique, que tous les pays se dotent d'un plan d'action. Ainsi, la région des Amériques au sein de l'Organisation mondiale de la Santé, soit l'Organisation panaméricaine de la Santé, a adopté un plan d'action le 1er octobre 2015 et vient en aide aux pays dans l'ébauche de leurs plans nationaux, comme le Chili et l'Argentine en ce moment.

Le Canada a appuyé la résolution de l'OPS, et je recommande vivement au Canada de se doter d'un plan national également, pour orienter les enjeux nationaux comme le financement de la recherche, l'assurance et la situation des aidants familiaux, même si les soins et les services sont du ressort des provinces et des administrations locales, ce qui n'est d'ailleurs pas inhabituel quand on regarde l'exemple des autres pays. D'ailleurs, je crois que certaines provinces canadiennes ont déjà leur propre plan de lutte contre la démence.

Nous avons réalisé une étude sur les plans nationaux, il y a deux ans, et nous pouvons constater que la mise en place d'un plan national ou d'une stratégie contribue à orienter la politique publique pour aider les personnes atteintes de démence et de celles qui leur viennent en aide. Nous avons relevé quelques points communs, de même que les principales clés du succès. La première est un appui politique de haut niveau, idéalement de l'ensemble du gouvernement.

Un autre facteur de succès fondamental, c'est la participation de tous les intervenants. Il y a les personnes atteintes de démence et leurs familles, la société nationale de l'Alzheimer, mais également les associations professionnelles de neurologues, de psychiatres et de gériatres, les infirmières et les autres professionnels de la santé, les fournisseurs de soins, les services communautaires, les chercheurs et tous les ministères pertinents du gouvernement. Il est très important d'écouter la voix des personnes atteintes de démence ainsi que de la Société Alzheimer du Canada, et de les inclure dans tout plan futur. S'il y a une leçon à tirer de l'expérience des autres pays, c'est que les besoins des personnes atteintes de démence ne correspondent pas toujours à ce qu'en disent les experts, il est donc important de les laisser s'exprimer.

La démence est parfois décrite par les gens touchés comme toute une aventure dans l'univers des soins, mais elle est également décrite comme une chaîne de différents services reliés qui devraient être intégrés les uns aux autres, d'où l'importance de la coordination des soins et de désigner un responsable du dossier ou un coordonnateur. L'expérience du Japon et des Pays-Bas à cet égard est positive. Ces pays désignent une personne-contact principale pour la personne atteinte de démence et sa famille.

Tous les services qui peuvent être offerts dans la communauté devraient être considérés plus abordables que les soins en institution, bien qu'on ne puisse pas se passer des institutions aux stades les plus avancés de la démence et pour les personnes qui n'ont pas de soutien familial.

Il y a beaucoup d'exemples de communautés que je qualifierais d'amies de la santé cognitive, où les responsables des entreprises et les services publics locaux se demandent ce qu'ils peuvent faire pour se rendre plus accessibles pour les personnes atteintes de démence. Cela passe notamment par un programme des amis de la santé cognitive, comme on en voit déjà au Canada. C'est un bon début, et je suis moi-même devenu un ami de la santé cognitive en m'inscrivant à un programme après avoir regardé une vidéo, mais ces programmes pourraient être encore plus efficaces si l'on offrait de la formation en personne, comme au Japon. Le programme japonais a totalement changé la perception de la maladie, et il y a désormais plus de cinq millions d'amis de la santé cognitive de tous les âges dans ce pays.

Il y a également le volet prévention et réduction du risque. Il y a de plus en plus de preuves que la démence partage beaucoup de facteurs de risque avec les autres grandes maladies non transmissibles, comme le diabète, les maladies du cœur et le cancer. Le fait d'arrêter de fumer, le contrôle de l'hypertension et des autres facteurs de risque cardiovasculaire, un régime alimentaire sain et l'activité physique semblent réduire ou retarder le risque de démence, ce qui envoie un message fort. Beaucoup de gens craignent la démence plus que toute autre maladie.

Nous avons besoin de recherches approfondies pour comprendre comment mieux prendre soin des personnes atteintes de démence ou, ultimement, pour trouver un traitement et prévenir la maladie. Il y a beaucoup de bons programmes de recherche dans votre pays, et nous soulignons le travail des Instituts de recherche en santé du Canada. Plus il y a de financement, plus on peut faire de recherches, et il y a de plus en plus d'efforts de recherche qui s'observent dans le monde. Il faut toutefois en faire un objet de recherche aussi fort que le cancer et le VIH/sida, puisqu'on peut voir que les investissements dans ces domaines paient. La recherche sur la démence est encore bien loin de ce niveau, mais le Congrès américain a récemment augmenté le budget de recherche en matière de démence de 50 p. 100, et il envisage de prendre d'autres mesures. Le principe de base de notre association, c'est qu'au moins 1 p. 100 du total des coûts devrait aller au financement public de la recherche, ce qui correspondrait à 8 milliards de dollars dans le monde actuellement, et nous en sommes bien loin.

Le Canada est presque le seul pays à appuyer des projets de recherche sur l'Alzheimer et la démence dans les pays à faible et moyen revenu, grâce à son programme Grands Défis, par exemple, grâce auquel il a financé un projet de sensibilisation en Indonésie. Nous vous en remercions; il a eu une grande incidence dans ce pays, donc nous vous prions de continuer. Les maladies chroniques sont désormais les principales causes de décès dans la plupart des pays du monde, mais cela ne transparaît pas encore dans l'aide internationale. De même, il faut féliciter l'Organisation mondiale de la Santé pour son travail en vue de la création d'un observatoire mondial de la démence et du programme de formation en ligne iSupport pour les aidants. Il serait fantastique que le Canada appuie ces projets, tout comme d'autres pays tels que le Royaume-Uni, la Suisse et le Japon.

J'ai presque terminé, mais je dois mentionner un autre volet important des plans de lutte contre la démence, soit la surveillance et l'évaluation. La collecte systématique de données est fondamentale pour suivre le progrès de ces programmes, et c'est la raison pour laquelle l'OMS a besoin d'appui en faveur de la création de son observatoire mondial de la démence.

Si l'on analyse les plans nationaux qui existent, la France est probablement première de classe avec son plan 2008- 2012, qui comportait une liste d'indicateurs sur lesquels un rapport était publié tous les six mois. L'OPS a également établi des indicateurs qui pourraient être utiles, et je vous recommande vivement de les examiner attentivement.

Aucun nouveau médicament n'a été mis en marché depuis 2003 pour traiter l'Alzheimer ou la démence, mais il y a de plus en plus de raisons d'être optimistes puisqu'il y a des composés à l'étude qui pourraient être plus efficaces que les médicaments actuels, qui ne sont que systématiques et ne peuvent au mieux que retarder un peu le développement de la maladie.

Il ne faut pas sous-estimer la dynamique qui apparaîtra si un nouveau traitement connaît du succès. Partout dans le monde, les systèmes de santé sont prêts à gérer la demande que cela créera dans la société pour le diagnostic, la prescription et le suivi post-diagnostic.

L'établissement d'un plan national pour le Canada vous permettrait de relever le défi et de profiter du fait que vous avez un bon système de santé, qui n'a besoin que d'un peu d'adaptation.

Je vous remercie encore de me donner l'occasion de m'entretenir avec vous.

Le président : Merci beaucoup, monsieur Wortmann. Je laisserai maintenant mes collègues vous poser des questions.

Le sénateur Eggleton : Merci beaucoup, monsieur Wortmann, d'être parmi nous. J'ai jeté un coup d'œil à l'un des rapports auxquels vous avez participé, le rapport que votre organisation a préparé en collaboration avec Bupa et qui s'intitule Améliorer les soins aux personnes atteintes de démence dans le monde : idées et conseils pour le développement et la mise en œuvre d'un plan de lutte contre la démence. Je suis en faveur de l'adoption d'un plan national de lutte contre la démence, et je pense que votre organisation nous donne beaucoup de bonnes idées sur la façon de procéder.

Vous avez également souligné que notre régime diffère un peu de celui de beaucoup d'autres pays. Vous parlez beaucoup du Royaume-Uni et de la France dans votre rapport, ainsi que de leurs façons de faire novatrices. Les régimes de l'Australie et des États-Unis s'apparenteraient cependant plus aux nôtres, puisqu'il y a des provinces et des États dans ces deux pays.

À la lumière des diverses études que vous avez menées, y a-t-il des solutions qui ressortent et qui pourraient s'appliquer au Canada (il peut y en avoir plusieurs) en vue de l'adoption d'un plan canadien de lutte contre la démence?

M. Wortmann : Nous constatons que l'Australie comme les États-Unis ont un plan national et des plans d'États. Aux États-Unis, ce sont les États qui sont passés à l'action en premier. Le plan national touche surtout la recherche et quelques autres éléments, alors que les plans d'États mettent beaucoup l'accent sur les services et la réalité quotidienne des gens.

Même dans les pays les plus petits (et je viens des Pays-Bas), la mise en œuvre de ce genre de plan se fait à l'échelle locale, dans les petites communautés. Donc bien qu'il n'y ait pas de division officielle entre l'échelon national et l'échelon provincial au quotidien, c'est ce qui se passe.

Je crois donc que vous pourriez sûrement adopter un plan national, sans aborder toutes les questions. Par exemple, je peux très bien imaginer une sorte de campagne de santé publique au Canada sur un mode de vie sain, si je m'inspire de la lutte contre l'épidémie d'obésité. Il y a récemment eu un article dans The Lancet sur les problèmes d'obésité partout dans le monde. Je pense que si vous ajoutiez le risque de démence aux conséquences d'un mode de vie malsain, le message serait encore plus fort. La question peut probablement être abordée sous l'angle de la santé publique à l'échelle nationale.

Le sénateur Eggleton : Par coïncidence, avant d'entreprendre cette étude sur la démence, nous venions tout juste de terminer une étude sur l'obésité, à l'issue de laquelle nous avons formulé des recommandations assez vastes. Je vois bien le lien que vous faites avec une alimentation et un mode de vie sains.

J'ai été assez impressionné de ce qui se fait en France. Il semble y avoir une grande volonté politique de haut niveau, qui vient du président. Le système y semble très bien organisé. L'exemple d'organisation qu'on trouve là-bas vise à éviter l'un des problèmes classiques des gouvernements, soit le cloisonnement. Ils essaient de faire le pont entre les divers acteurs des divers ministères et des organismes communautaires, pour trouver une solution commune.

Vous dites dans ce rapport que la personne chargée de coordonner le plan français est assez indépendante, puisque c'est une fonctionnaire du ministère des Finances plutôt que de l'un des organismes de service social ou de santé. Est-ce toujours le cas? Est-ce toujours un élément clé du succès de la France pour combattre le problème du cloisonnement?

M. Wortmann : Eh bien, cela fonctionnait très bien pendant cette période. Comme vous l'avez dit, cette dame relevait du ministère des Finances et n'était pas une experte. Elle suivait tout le monde très rigoureusement, mais après le changement de gouvernement, la France a un peu cessé d'y porter attention, donc la personne chargée de coordonner le plan devait faire rapport au président Sarkozy tous les six mois. Ce n'est plus le cas.

Le sénateur Eggleton : Il y a eu un petit dérapage.

M. Wortmann : Malheureusement, il y a eu un certain glissement. Tant qu'elle était là, il y avait des rapports périodiques. Ainsi, pendant la mise en œuvre de ce plan, on s'est rendu compte que tout ne fonctionnait pas aussi bien que possible, et les intervenants ont dû déployer des efforts supplémentaires dans leur approche locale. C'est pourquoi ces groupes ont été créés, c'était une collaboration locale entre les divers intervenants. Ce n'était pas dans le plan d'origine, mais cet élément a été ajouté grâce à la surveillance et à l'évaluation.

Le sénateur Eggleton : Jeremy Hunt, secrétaire du cabinet britannique en matière de santé, prétend que le Royaume- Uni deviendra le pays le plus accueillant pour les personnes atteintes de démence. Que le Royaume-Uni fait-il de différent pour appuyer cette prétention?

M. Wortmann : C'est une question délicate. Je pense que ce pays est très bon pour se vanter de la sorte. La société n'est toutefois pas encore assez accueillante pour les personnes atteintes de démence.

Pour être honnête, je pense que le Royaume-Uni a réussi à créer des communautés locales amies de la santé cognitive. Il a mobilisé beaucoup de villes, qui se sont déclarées amies de la santé cognitive et qui y mettent vraiment les efforts. Il y a également le monde des affaires, bon nombre d'entreprises forment leur propre personnel. Je pense entre autres à la Lloyds Bank et à Bupa, qui a cofinancé la production de ce rapport, de même qu'à quelques autres entreprises.

Il y a beaucoup plus de sensibilisation au Royaume-Uni qu'il y a 10 ans. Les gens n'ont plus peur de parler de la démence, mais je pense que l'aspect le plus difficile dans le système de santé, c'est toujours qu'il y a beaucoup de personnes sans diagnostic ou qui ne reçoivent pas suffisamment de services à domicile, en soins de relève ou en soins résidentiels. Il reste beaucoup à faire.

En fait, je crois que c'est l'Écosse qui s'en tire le mieux au Royaume-Uni. Cela ne paraît pas dans le rapport, parce que ce n'est que tout récemment que le gouvernement écossais a décidé de garantir à toutes les personnes qui reçoivent un diagnostic de démence un soutien post-diagnostic pendant un an, ce qui comprend des services d'orientation des familles et l'accès à divers services et interventions non médicales. La mise en œuvre de ce plan n'est pas encore complète, mais d'après ce qu'on entend, les gens l'apprécient beaucoup. L'Écosse a le taux de diagnostic le plus élevé au monde, probablement parce qu'il y a clairement un suivi après le diagnostic.

Le sénateur Eggleton : Merci.

La sénatrice Raine : Merci infiniment, monsieur Wortmann. Votre réponse à la dernière question est une bonne transition vers la question que je souhaite vous poser.

Je crois personnellement en l'importance d'un diagnostic précoce, mais les gens ont peur de recevoir ce diagnostic. C'est un peu comme de rédiger son testament : personne n'a envie de le faire.

Y a-t-il, dans les stratégies que vous connaissez dans le monde, un âge ou une période recommandée où cela devrait faire partie de l'examen général, où la personne devrait subir un test diagnostic de la démence? Je pense aussi au test de Montréal. Est-il bien utilisé? Ce test semble très facile à administrer. Il n'est pas totalement définitif, j'en suis sûre. D'après l'exemple de l'Écosse, s'il y avait une politique comme celle-là, les gens auraient moins peur de recevoir un diagnostic, parce qu'ils sauraient tout de suite qu'ils recevront de l'aide.

J'aimerais savoir ce que vous en pensez,

M. Wortmann : C'est un enjeu très important, et c'est probablement le plus difficile à résoudre, parce que comme vous l'avez dit, les gens ont peur de demander un diagnostic. Par contre, on entend souvent dire que quand la personne reçoit un diagnostic après quelques années à en ressentir les premiers symptômes, c'est aussi un soulagement, cela crée l'occasion de se demander quoi faire et comment gérer la situation.

Il n'y a pas encore de recommandation claire sur l'âge auquel il conviendrait de commencer les examens. Il y a quelques exemples. Au Royaume-Uni, les examens de santé généraux commencent à 55 ans, si je ne me trompe pas, et ils comprennent des questions sur la santé cognitive, des questions très simples, mais qui peuvent susciter une conversation. Cela existe dans d'autres pays également. Je sais que tout le monde fait l'objet d'un examen à Taïwan et qu'à 70 ans, il y a un examen de santé annuel qui va encore plus en profondeur.

L'un des problèmes, c'est que la maladie commence probablement dans le cerveau bien avant que la personne n'en ressente les premiers symptômes, si bien que des changements peuvent commencer à apparaître dans le cerveau d'une personne dès la cinquantaine, mais qu'elle ne ressent pas de symptômes de démence avant 70 ans; et je pense qu'il n'y a toujours pas de consensus sur la question de savoir s'il faudrait examiner tout le monde au mitan de la vie. J'ai bien peur de ne pas avoir de bonne réponse à cette question, mais je dirais que s'il y a dans votre système de santé des examens ou des bilans de santé, il serait bon d'y ajouter quelques questions sur la santé cognitive. Comme vous l'avez dit, il y a des tests simples qui peuvent s'ensuivre, comme le test de Montréal, qu'on appelle également l'évaluation cognitive de Montréal, ou le test des cinq mots, qui ne prend que quelques minutes. Il n'est pas très précis, mais il est toujours possible de faire un suivi pour établir un diagnostic plus en profondeur.

Cela dit, la population à risque représente presque la moitié de la population actuelle dans les pays à revenu élevé. Il serait donc très coûteux d'examiner toute la population, probablement un peu trop.

Dans certains pays, comme les Pays-Bas, il est important que les gens sachent à qui s'adresser s'ils ont des inquiétudes. Si vous avez l'impression d'avoir des problèmes de mémoire ou d'autres difficultés cognitives, à qui devez- vous vous adresser? L'information doit être facilement accessible.

Il y a un outil qui s'est développé depuis quelques années, et c'est celui des 10 signes avant-coureurs. Il a été conçu aux États-Unis et est en train d'être traduit dans beaucoup d'autres langues. Si une personne voit qu'il y a deux ou trois éléments de la liste qui correspondent à ce qu'elle vit, c'est un signe qu'elle doit aller chercher de l'aide.

La sénatrice Merchant : Merci, monsieur Wortmann. Nous avons entendu dire qu'il y a une grave pénurie de gérontologues au Canada et que les écoles de médecine sont conçues de telle façon que les étudiants en médecine ne sont pas incités à choisir la gérontologie comme spécialité; de même, il n'y aurait pas de cours généraux pour former les étudiants et les infirmières. Est-ce ce que vous avez observé dans les autres pays aussi? Est-il vrai que les étudiants ne choisissent pas la gérontologie comme spécialité, pour une raison ou une autre? Quelqu'un nous a dit hier que ce n'était peut-être pas une spécialité séduisante en médecine.

Je me demande quel est l'état des choses dans les autres pays et ce qu'ils font pour remédier à la situation.

M. Wortmann : Vous avez probablement raison : ce n'est pas un domaine de spécialité très populaire, bien que j'aie entendu quelque part que les gérontologues et les gériatres seraient les médecins spécialistes qui se déclarent les plus satisfaits de leur travail et qu'ils seraient également les moins rémunérés.

Je pense que les choses changent un peu. On constate qu'il y a beaucoup de jeunes qui s'intéressent au vieillissement, des jeunes dans le domaine médical. Cela dit, il n'y a aucun pays qui me vienne à l'esprit et qui en aurait fait une priorité, qui adopterait des incitatifs ou qui conseillerait aux étudiants de choisir cette spécialité. C'est peut-être attribuable au fait que la profession médicale a aussi l'impression qu'il n'existe pas de traitements et qu'il n'y a pas grand-chose qu'on puisse faire, donc s'il y avait plus de médicaments, les médecins seraient peut-être plus attirés par le domaine.

La sénatrice Merchant : Ce n'est pas nécessairement lié à la situation au Canada, mais comme il s'agit d'un phénomène planétaire, pouvez-vous nous dire ce que vous pensez d'un pays comme la Chine qui connaît un vieillissement rapide de sa population et où il n'y aura pas nécessairement de proches pour s'occuper d'un malade à domicile, compte tenu de la politique de l'enfant unique? Dans cette perspective, qu'est-ce que vous envisagez pour l'avenir?

M. Wortmann : La situation est d'autant plus problématique pour un pays comme la Chine que l'institutionnalisation n'est pas une solution viable, car on devrait y construire des centaines de milliers d'établissements de soins. Le gouvernement chinois n'est pas nécessairement conscient de toute l'ampleur du problème, mais il souhaite tout de même améliorer son système de soins primaires de manière à être en mesure de déceler plus rapidement les cas pour pouvoir offrir sans tarder le soutien communautaire nécessaire.

Les pays comptant les plus fortes proportions d'aînés sont les plus actifs dans ce domaine. C'est le cas notamment du Japon et de la Corée du Sud en Asie. Singapour fait aussi des efforts en ce sens, et il y a également les pays européens, le vôtre et les États-Unis.

On semble comprendre d'une manière générale que l'ancien modèle qui voyait les familles prendre soin d'un proche atteint de démence ne sera plus nécessairement viable lorsque l'évolution démographique aura fait pleinement son œuvre.

Le quart des Japonais sont âgés de plus de 65 ans, si bien qu'il n'y a pas assez de jeunes pour s'occuper de tous ces aînés. Pour l'instant, ils arrivent à se tirer d'affaire en embauchant des infirmières aux Philippines ou en Indonésie, mais le vieillissement va frapper ces pays-là également et c'est une solution qui ne sera plus accessible.

Il faut également considérer les possibilités qu'offre le recours à la technologie pour dispenser des soins à distance ou permettre aux gens de demeurer plus longtemps autonomes. Mais cette technologie n'en est qu'à ses premiers balbutiements. À ce titre, il y a quelques pays qui envisagent l'utilisation de robots pour dispenser les soins.

Chose intéressante, j'ai pu constater que les Américains ont peur des robots. Ils leur font penser automatiquement au film Terminator. Les Japonais ont des robots beaucoup plus gentils, et ils n'y voient aucun problème.

La sénatrice Stewart Olsen : Merci pour votre exposé, monsieur Wortmann. J'ai deux questions pour vous. Pouvez- vous d'abord me dire si vous avez eu connaissance d'études portant sur le traitement prophylactique de l'Alzheimer, un peu comme on l'a fait avec le tamoxifène et le cancer du sein? Y a-t-il des études sur cet aspect? J'imagine qu'il s'agirait sans doute d'une étude de grande portée, mais cela pourrait être fort intéressant.

M. Wortmann : Oui, il y a eu un certain nombre d'études à ce sujet. Deux éléments sont à considérer. Une faible proportion des gens atteints d'Alzheimer avaient une prédisposition génétique. C'était le cas du personnage d'Alice dans le film Toujours Alice. Si votre père ou votre mère a la maladie, vous avez 50 p. 100 des chances de la développer également.

C'est une petite ville de Colombie qui bat tous les records en matière de prévalence. Presque tout le monde y développe la maladie d'Alzheimer. C'est sans doute la population la plus étudiée au monde. Les chercheurs commencent à s'intéresser aux gens dans la vingtaine, et chacun souhaite contribuer aux études en sachant fort bien à quel point ses risques de développer la maladie sont élevés.

Il y a aussi une étude qui a été réalisée par le DIAN (Dominantly Inherited Alzheimer Network), un partenariat entre des universités des États-Unis, du Canada, de l'Australie et de l'Europe. Les chercheurs ont suivi une importante cohorte de sujets ayant une prédisposition génétique à partir d'un stade très précoce où les symptômes ne s'étaient pas encore manifestés. On soupçonnait simplement que ce serait le cas en raison des antécédents familiaux. On a essayé de déterminer si les médicaments existants, y compris certains qui n'avaient pas encore été approuvés, pouvaient être efficaces pour les gens dans cette situation.

La sénatrice Stewart Olsen : Merci. J'estime que ces études ouvrent des perspectives très intéressantes, car un traitement prophylactique serait vraiment une bonne chose si l'on considère que la moitié de la population terrestre va être atteinte de démence ou d'Alzheimer.

Parmi les pays qui se sont donné une stratégie nationale, y en a-t-il un d'après vous qui se démarque? Est-ce que des évaluations ont été menées. Aux fins de notre étude, il serait bon que nous puissions prendre connaissance de ces évaluations pour ne pas recommander des solutions qui se sont révélées inefficaces.

M. Wortmann : Tout à fait. Une évaluation très détaillée de la stratégie française a été menée en 2012 ou en 2013. Le rapport est disponible seulement en français, ce qui n'est pas un problème pour plusieurs d'entre vous. L'évaluation a été effectuée en collaboration par un chercheur français et un chercheur belge. C'est un document plutôt volumineux qui compte une centaine de pages.

Les Américains mettent à jour leur plan à chaque année. Ils en font en quelque sorte une évaluation, mais aucun rapport n'est publié à ma connaissance. C'est la même chose pour le Japon qui en est déjà à son troisième plan, mais il est difficile d'obtenir de l'information en anglais. Malheureusement, je ne lis pas le japonais.

Les stratégies du Japon et de la France sont sans doute les deux meilleures que nous ayons pu voir. Je ne dirais toutefois pas qu'il vous serait possible de reproduire facilement l'une ou l'autre sans tenir compte de ce qui se fait par ailleurs, car les systèmes de santé diffèrent d'un pays à l'autre.

Les Pays-Bas font également du bon travail et évaluent leurs stratégies au fur et à mesure qu'ils doivent les remplacer. Je crois que le Royaume-Uni en est encore à l'évaluation de sa dernière stratégie.

Soit dit en passant, nous prévoyons faire un suivi à notre rapport, car il y a eu depuis de nombreux nouveaux plans qui ont été publiés et plusieurs nouvelles études qui ont été réalisées.

La sénatrice Stewart Olsen : Merci.

Le sénateur Munson : Merci pour l'exposé très concis que vous nous avez présenté. Tous ces renseignements nous sont d'une grande utilité.

J'ai vu que votre organisation offre aux travailleurs et aux bénévoles une série d'ateliers dans le cadre de ce que vous appelez l'université de l'Alzheimer. Pouvez-vous nous parler des objectifs visés par ce programme? Est-ce que ces ateliers sont courus? De quels enjeux traitent-ils? Assurez-vous un suivi auprès de ceux qui ont participé à ces ateliers?

M. Wortmann : C'est ce que nous faisons. C'est une université virtuelle. Il n'y a pas d'édifice à proprement parler. La formation peut être suivie de partout dans le monde.

Nous sommes une petite organisation disposant de très peu de ressources, mais nous voulons donner à nos membres les moyens de renforcer leurs capacités. La formation s'adresse exclusivement aux gens qui travaillent pour les associations et les sociétés Alzheimer, que ce soit à titre d'employés, d'administrateurs ou de bénévoles.

Il y a deux volets distincts. Le premier est réservé aux nouvelles associations qui en sont aux premières étapes de leur développement. Nous leur indiquons tout ce qu'il y a à faire pour créer une association vraiment efficace. Le second volet consiste en une formation plus avancée; on y traite des politiques publiques et de tous les enjeux dont nous discutons aujourd'hui. Les participants peuvent ainsi avoir une meilleure connaissance de ces enjeux et apprendre comment travailler avec les gouvernements et revendiquer une amélioration des politiques et des services en matière d'Alzheimer.

La formation est dispensée avec l'apport de spécialistes, mais aussi grâce aux synergies qui se dégagent de la mise en commun des connaissances. À la fin de la formation, les gens présentent leur plan d'action, et nous assurons un suivi à tous les 6 mois pendant 18 mois grâce aux rapports qu'ils nous transmettent sur la mise en œuvre de leur plan en cherchant à savoir s'ils ont besoin d'un soutien supplémentaire.

Le sénateur Munson : Qui participe à cette formation virtuelle un peu partout dans le monde? Pouvez-vous me donner un exemple? Est-ce qu'il y a des Canadiens qui en bénéficient?

M. Wortmann : Oui, il y en a. Les Canadiens n'ont pas besoin de la formation initiale, mais ils ont pris part à certains ateliers de notre université sur les politiques publiques. Je crois qu'ils en sont ressortis avec la certitude qu'il serait vraiment bénéfique pour le Canada d'avoir un plan national et la volonté de préconiser une telle approche.

Il y a aussi des gens de pays comme le Pérou, l'Argentine, l'Indonésie et Taïwan qui ont suivi ces ateliers et qui sont parvenus, à leur retour chez eux, à faire adopter des politiques relatives à la démence.

Le sénateur Munson : Merci beaucoup pour ces précisions.

Le président : Avant de passer au second tour, j'aurais une question pour vous, monsieur Wortmann.

J'aimerais vous parler des cafés de la mémoire, un concept qui retient de plus en plus l'attention, semble-t-il. D'après ce que j'ai pu lire, cette formule a vu le jour aux Pays-Bas avant d'être importée aux États-Unis. L'idée semble faire rapidement son chemin dans d'autres pays du monde et même dans certaines provinces canadiennes.

Je me demandais si vous ne pouviez pas nous en dire plus long notamment au sujet de l'importance de ces cafés et des avantages qu'ils procurent.

M. Wortmann : Certainement. J'en ai visité plusieurs dans différents pays, mais surtout aux Pays-Bas. On les appelle là-bas les cafés Alzheimer. La connexion inusitée entre Alzheimer et café suscite la curiosité des gens qui se demandent ce que c'est. S'agit-il d'amener des personnes atteintes de la maladie dans un café? Non, pas vraiment.

Il s'agit de créer un environnement sûr où les gens peuvent obtenir sans contrainte de l'information et du soutien dans une ambiance amicale et chaleureuse. Le tout premier café Alzheimer a été créé à Leiden aux Pays-Bas. On s'y réunit un soir par mois à 19 h 30 ou 20 heures pour 30 minutes pouvant être consacrées à une conférence, une vidéo ou une entrevue. Suit une pause musicale avec un peu de piano ou de guitare. Les gens peuvent boire du café ou même de la bière ou du vin. Dans la seconde partie, les participants peuvent poser des questions et chacun peut soulever les enjeux qui le préoccupent. C'est bénéfique pour ceux qui craignent de parler de ces choses-là, mais qui souhaitent tout de même en savoir plus long. Lorsque des personnes qualifiées sont à la barre de ces séances, elles peuvent détecter les gens qui hésitent à parler publiquement de leurs problèmes et les aborder ensuite individuellement.

C'est un modèle qui a vraiment fait ses preuves. Le premier café semblable a ouvert ses portes en 1997. Quelques années après, il y en avait cinq, et ce nombre a dépassé la centaine six ou sept ans plus tard. On en compte maintenant plus de 200 aux Pays-Bas. Chaque ville a le sien. À Amsterdam, il y en a six dans différents secteurs de la ville. Je crois qu'il y en a 50 en Belgique et aussi plusieurs au Royaume-Uni. On en retrouve même dans d'autres régions du monde. Il y a notamment un adorable café Alzheimer à Buenos Aires en Argentine où la rencontre se termine en musique et en danse. Chacun sa façon de travailler.

L'essentiel, c'est de parvenir à créer une atmosphère où les gens peuvent surmonter leur crainte de parler de la démence. C'est là tout l'avantage de ces cafés.

Le président : Merci beaucoup. C'est un excellent survol. Ces cafés semblent vouloir se répandre partout comme une traînée de poudre pour des raisons qui apparaissent assez évidentes.

Le sénateur Eggleton : Dans la foulée de ces informations concernant les cafés, j'ajouterais que la Société Alzheimer du Canada a un programme intitulé Premier lien qui vise à peu près les mêmes objectifs. Il donne accès à des services d'aide, mais aussi à de l'information. Je ne sais pas si vous connaissez ce programme.

Vous pouvez me répondre à ce sujet, mais j'aimerais surtout connaître votre point de vue quant à la nécessité de professionnaliser la prise en charge de ces malades. Il est difficile de trouver des gens pour dispenser les soins requis, notamment parce que la rémunération n'est pas très élevée.

Il y a aussi toute la question des aidants naturels, des proches qui s'occupent du malade. Quelles pratiques exemplaires pourrait-on dégager d'après vous des études menées dans différents pays relativement à cette question des pourvoyeurs de soins? Est-ce qu'il y a un pays qui aurait une longueur d'avance à ce chapitre?

M. Wortmann : Je crois que c'est dans les pays scandinaves que l'on retrouve les professionnels les mieux qualifiés dans ce domaine. La profession y est prise au sérieux et on peut étudier les soins infirmiers à l'université. Les soignants professionnels sont là-bas des gens très instruits.

Vous avez tout de même raison de dire que ce travail est sous-estimé. Bon nombre de ces personnes sont mal rémunérées ou insuffisamment formées. Comme des correctifs à cet égard contribueraient grandement à améliorer la situation, nous estimons très important de nous y consacrer.

La situation est plus hétérogène du côté des aidants naturels. Certains modèles d'intervention efficaces ont été mis au point. Ainsi, la Dre Mary Mittelman de l'Université de New York a conçu une approche intégrant non seulement l'aidant principal, mais aussi le reste de la famille. Elle a élaboré cette formule au fil d'un certain nombre d'années, en a étudié les résultats et y a apporté des modifications en conséquence. C'est un programme efficace qui n'est pas très coûteux ni très complexe.

Il m'arrive parfois de constater dans les pays asiatiques que l'on accorde un peu plus d'attention à la qualité des soins et plus de respect aux aînés que dans le reste du monde, tout au moins en comparaison avec l'Europe. Les Asiatiques font donc peut-être mieux que les autres, mais c'est un enjeu très vaste, et je ne pourrais pas dire qu'il existe quelque part un modèle idéal dont vous pourriez vous inspirer.

La sénatrice Raine : Comme vous avez indiqué dans vos observations préliminaires qu'il fallait miser davantage sur la recherche, j'aimerais aborder ce sujet avec vous. Je voudrais savoir quel rôle joue votre organisation relativement à la mise en réseau des chercheurs dans toute la planète.

Simple hasard, j'ai assisté ce matin à un déjeuner où le conférencier nous a parlé de sa participation à un projet de simulation par ordinateur donnant accès en quelque sorte à un cerveau virtuel. C'est une initiative qui semble prometteuse; il deviendra ainsi possible de tester l'efficacité sur le cerveau de différents produits pharmaceutiques et autres agents semblables. La simulation informatique permet en effet de voir comment le cerveau réagit, sans que l'on ait à se servir d'animaux ou d'êtres humains.

Il indiquait que la façon dont on aborde la recherche sur le cerveau peut différer d'un pays à l'autre. Je pense que tous les chercheurs ont la même motivation, à savoir de comprendre ce qui se passe dans le cerveau quand la démence fait son apparition.

Je me demandais si votre organisation avait des mécanismes facilitant la liaison et la collaboration dans le contexte de ces différentes initiatives qui ont cours dans le monde.

M. Wortmann : C'est une très bonne question. J'estime que la recherche générale sur le cerveau a son importance, car c'est sans doute l'organe que l'on comprend le moins bien, comparativement par exemple au cœur ou aux poumons. Le cerveau est beaucoup plus complexe. Je dirais donc que c'est un secteur de recherche primordial.

Soit dit en passant, l'utilisation de modèles informatiques est une avancée intéressante, car on évite ainsi de causer des torts aux animaux qui seraient utilisés sans cela pour effectuer les tests. En outre, la recherche révèle que les tests menés avec des animaux ne sont pas vraiment fiables. Plusieurs médicaments donnent de très bons résultats avec les souris, mais n'ont aucun effet lorsqu'on les teste avec des êtres humains. Il nous arrive de dire que les souris sont très chanceuses, car nous avons de très bons médicaments à leur offrir si elles développent l'Alzheimer. L'absurde dans tout cela, c'est que l'Alzheimer n'affecte pas les souris; il faut leur injecter la maladie artificiellement.

Pour revenir à la recherche sur la démence, il faut dire que la plupart des pays développés s'y intéressent de plus près depuis le sommet du G8 tenu il y a quelques années. La coordination des efforts de recherche s'est également améliorée.

D'après moi, le programme conjoint de l'Union européenne pour la recherche sur les maladies neurodégénératives est ce qui se fait de mieux actuellement. C'est une initiative européenne à laquelle le Canada et le Japon ont adhéré. Parmi les plus grands pays du monde, seuls les États-Unis manquent à l'appel. Dans le cadre de ce programme, chaque pays continue à travailler de son côté tout en demeurant au fait de ce qui est accompli ailleurs dans le monde. Les différents projets de recherche sont comparés dans le but d'éviter les chevauchements ou les dédoublements.

Il arrive en revanche que les dédoublements soient nécessaires pour que les données soient encore plus précises et probantes. Plusieurs intervenants du monde scientifique font valoir de toute manière que bon nombre d'études ne peuvent pas être reproduites. Je suppose qu'il ne faut donc pas essayer de tout rectifier.

Il y a une autre initiative très récente dont les résultats n'ont pas encore été rendus publics. L'Organisation mondiale de la Santé vient de terminer un vaste projet visant à prioriser les efforts de recherche. On a demandé à quelque 500 ou 800 chercheurs de soumettre des sujets de recherche qui n'avaient pas encore été éclaircis. Tous les sujets proposés ont été compilés, et chacun a été invité à se prononcer sur un ordre de priorité. Une liste finale sera dressée et publiée sous peu.

Parmi les éléments qui exigent de toute évidence des recherches plus approfondies, il y a bien sûr le fait qu'il n'existe toujours pas de traitement. En tête de liste, on retrouve aussi la nécessité de recueillir davantage de données sur les mesures efficaces pour la prévention et la réduction des risques de même que sur les modèles de soins qui ont fait leur preuve.

La sénatrice Raine : Merci. Pourriez-vous me rappeler le nom de ce programme dans le cadre duquel les efforts de recherche sont mis en commun?

M. Wortmann : C'est le programme JPND, soit le programme conjoint de l'Union européenne pour la recherche sur les maladies neurodégénératives.

La sénatrice Raine : D'accord. Vous avez aussi indiqué que l'OMS entend procéder à une cueillette systématique de données sur la prévalence de l'Alzheimer à l'échelle planétaire. Est-ce que l'on s'intéressera aussi aux données sur les déterminants liés au mode de vie, comme une mauvaise alimentation, une surconsommation de sucre, l'obésité et les facteurs semblables, dans le contexte du développement de la maladie d'Alzheimer?

M. Wortmann : J'ose l'espérer. Cette initiative est sur le point de se mettre en branle. On a encore des problèmes à trouver le financement nécessaire. Il faut savoir que l'on dispose d'excellentes données sur l'incidence de ces déterminants dans le cas du cancer et des maladies cardiovasculaires, par exemple. Ainsi, grâce à une cueillette systématique de données au cours des 30 dernières années, nous savons très bien en quoi les déterminants liés au mode de vie peuvent contribuer à la prévention des maladies cardiovasculaires. Nous n'avons toujours rien de tel pour ce qui est de la démence.

C'est loin d'être chose faite. Les pistes de solution ne vont pas nous apparaître au cours des prochaines semaines ou des prochains mois, mais j'estime que c'est une initiative tout à fait primordiale.

La sénatrice Raine : Merci beaucoup.

Le président : J'ai une dernière question pour vous, monsieur Wortmann. Vous nous avez brossé un tableau très précis des grands enjeux et nous sommes maintenant mieux au fait de la situation. Comme vous l'avez souligné, les stratégies nationales sont récemment devenues l'un des éléments clés des efforts déployés dans ce dossier très important. Dans une fédération comme la nôtre, l'élaboration de stratégies nationales est un parcours semé d'embûches politiques, notamment en raison des chevauchements entre les différentes sphères de compétence.

D'après votre observation des stratégies nationales déjà en place et forcément en évolution, je ne sais pas si vous pourriez nous dire quelle entité est la mieux placée pour concevoir et mettre en œuvre une stratégie semblable. Serait-ce le gouvernement du pays ou bien une organisation ayant une présence nationale et régionale et une structure similaire à celle de la Société Alzheimer? Il va de soi qu'une stratégie nationale doit être prise en charge par quelqu'un qui va cerner les différentes questions à régler, répartir les tâches et appliquer les solutions à l'échelon local.

Je me demandais si vous aviez des recommandations à nous faire pour ce qui est de la structure de coordination à privilégier à cette fin.

M. Wortmann : Eh bien, je vous dirais qu'il est très important d'obtenir un engagement ferme de la part du gouvernement. C'est ainsi que les efforts pourront être pris au sérieux. Il faut espérer que ce sera le cas dans votre pays.

Il peut être judicieux de confier un rôle à la Société d'Alzheimer qui est également fédérée de par sa présence aux échelons national, provincial et local, mais dont les différents chapitres partagent tout au moins le même objectif d'éradiquer la maladie ou de la gérer le mieux possible. Je dirais certes que c'est une bonne idée de l'intégrer au processus.

En revanche, c'est une organisation qui devrait aussi être en mesure de critiquer les actions qui sont entreprises. C'est un aspect qui ne leur plaira pas nécessairement si on leur confie trop de responsabilités.

Le président : Je vois à quel point cela peut être délicat, car je suis conscient de la nécessité de pouvoir compter sur la vigilance d'une entité très à l'affût des grands enjeux et active à l'échelle nationale comme au niveau des régions.

Monsieur Wortmann, nous vous remercions pour la perspective exceptionnelle dont vous nous avez fait bénéficier à l'égard de cette question très importante et de ce qui se fait un peu partout dans le monde.

S'il vous venait à l'esprit des éléments qui n'ont pas été abordés dans nos échanges, nous vous serions reconnaissants de bien vouloir nous en informer en communiquant avec notre greffière.

Au nom de tous les membres du comité, je tiens vraiment à vous remercier pour les réponses claires et approfondies que vous avez données à chacune de nos questions.

(La séance est levée.)

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