Aller au contenu
SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie

Fascicule no 16 - Témoignages du 8 février 2017


OTTAWA, le mercredi 15 février 2017

Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie, auquel a été renvoyé le projet de loi C-6, Loi modifiant la Loi sur la citoyenneté et une autre loi en conséquence, se réunit aujourd'hui, à 16 h 16, pour étudier le projet de loi.

Le sénateur Kelvin Kenneth Ogilvie (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Je vous souhaite la bienvenue au Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie.

[Traduction]

Je suis Kelvin Ogilvie, sénateur de la Nouvelle-Écosse et président du comité. Je vais demander à mes collègues de se présenter.

Le sénateur Eggleton : Art Eggleton, de Toronto. Je suis vice-président du comité.

La sénatrice Jaffer : Mobina Jaffer, de la Colombie-Britannique.

[Français]

Le sénateur Cormier : René Cormier, sénateur du Nouveau-Brunswick.

[Traduction]

La sénatrice Omidvar : Ratna Omidvar, de l'Ontario.

[Français]

La sénatrice Mégie : Marie-Françoise Mégie, sénatrice du Québec.

[Traduction]

La sénatrice Lankin : Frances Lankin, de l'Ontario. J'assiste à la réunion d'aujourd'hui au nom de la sénatrice Chantal Petitclerc.

La sénatrice Raine : Nancy Greene Raine, de la Colombie-Britannique.

La sénatrice Stewart Olsen : Carolyn Stewart Olsen, du Nouveau-Brunswick.

La sénatrice Seidman : Judith Seidman, de Montréal, au Québec.

Le président : Cette semaine, le comité entreprend l'étude du projet de loi C-6, Loi modifiant la Loi sur la citoyenneté et une autre loi en conséquence.

Nous tiendrons deux séances cet après-midi. La première prendra fin au plus tard à 17 h 15. Nous appliquerons la règle « une question par sénateur et par tour ». Je vous prie d'éviter les longs préambules pour que tous nos collègues aient la possibilité de poser une question. Les sénateurs de tiers partis n'ont pas droit à des questions complémentaires. Si vous souhaitez poser une question complémentaire, je vous inscrirai sur ma liste et vous donnerai la parole à votre tour.

Je vais maintenant présenter nos témoins. Deux groupes comparaissent aujourd'hui : l'Association du Barreau canadien et le Barreau du Québec.

J'invite l'Association du Barreau canadien à présenter son exposé en premier. Nous avons ici Me Barbara Caruso et Me Kathleen Terroux.

Kathleen Terroux, avocate, Législation et réforme du droit, Association du Barreau canadien : Merci, monsieur le président et honorables sénateurs. Nous vous remercions de votre invitation. Nous sommes heureuses de comparaître aujourd'hui au nom de l'Association du Barreau canadien pour présenter notre point de vue sur le projet de loi C-6.

L'ABC est une association nationale regroupant plus de 36 000 avocats, notaires et universitaires. Un important aspect de notre mandat consiste à chercher à améliorer les lois et l'administration de la justice. Notre Section du droit de l'immigration, dont les membres travaillent dans tous les domaines du droit de l'immigration et de la citoyenneté partout au Canada, a rédigé ce mémoire.

Je suis accompagnée aujourd'hui de Barbara J. Caruso, vice-présidente, Section du droit de l'immigration. Elle abordera les questions de fond et les observations figurant dans notre mémoire et répondra à toute question que vous voudrez poser.

Barbara J. Caruso, vice-présidente, Section du droit de l'immigration, Association du Barreau canadien : Merci, monsieur le président et honorables sénateurs. Il y a quelques années, j'ai comparu devant votre comité au sujet du projet de loi C-24, qui comprenait la dernière série de modifications apportées à la Loi sur la citoyenneté. J'avais alors dit que tous les Canadiens profitent lorsque de nouveaux venus contribuent financièrement, socialement et politiquement à notre pays et que la citoyenneté joue un rôle capital en encourageant les résidents permanents à contribuer ainsi.

Si les résidents permanents ont l'impression d'être des citoyens de seconde zone parce qu'ils ne sont pas nés au Canada ou ne croient pas pouvoir accéder à la citoyenneté, nous risquons de changer sensiblement ce qui fait la grandeur du Canada. Notre pays continuera à prospérer si les gens qui y vivent sont des citoyens et ont un engagement psychologique, financier et social envers le Canada grâce au statut partagé et commun de la citoyenneté fondée sur l'égalité.

Je suis heureuse de me présenter à nouveau devant vous au nom de la Section du droit de l'immigration de l'ABC pour confirmer notre appui aux aspects du projet de loi C-6 qui facilitent l'accès à la citoyenneté pour beaucoup de gens, qui ramènent la période de résidence exigée de quatre années sur six à trois années sur cinq et qui permettent de compter la moitié du temps passé au Canada avant d'obtenir le statut de résident permanent.

Notre section continue à préconiser l'extension des pouvoirs discrétionnaires qui permettent au ministre, en vertu du paragraphe 5(4), d'accorder la citoyenneté dans des cas où le demandeur n'a pas encore atteint la période de résidence prescrite. Il y a de nombreuses situations et circonstances dignes d'intérêt qui peuvent empêcher une personne de satisfaire à cette exigence. Dans ces cas, la Loi sur la citoyenneté devrait prévoir un moyen de permettre au moins à ces personnes de présenter une demande.

Les événements récemment survenus dans le monde ont mis en évidence l'importance de la citoyenneté : ce n'est pas seulement la possibilité de se dire Canadien ou Canadienne ou une simple question de fierté nationale. L'obtention de la citoyenneté confère d'importants droits et obligations qui peuvent avoir de sérieuses répercussions sur la vie de la personne en cause, qu'il s'agisse de la possibilité de voter au cours d'élections générales, de se prononcer sur des questions d'intérêt national dans le cadre d'un référendum ou encore de vivre, travailler ou aller dans un autre pays sans restrictions.

Tout comme l'octroi de la citoyenneté doit être régi par des règles reflétant l'importance des droits et obligations du citoyen, le processus de révocation de la citoyenneté doit également être soumis à des règles.

Notre section appuie les dispositions supprimant les motifs de révocation introduits par le projet de loi C-24. Nous avions de sérieux doutes quant à leur constitutionnalité. Il est important que ces motifs soient supprimés. La révocation de la citoyenneté devrait être limitée aux Canadiens naturalisés qui ont obtenu la citoyenneté sur la base de faux renseignements. Toutefois, le projet de loi C-6 ne va pas assez loin puisqu'il ne rétablit pas le droit à une audience devant la Cour fédérale pour des questions de révocation.

Le projet de loi C-24 avait radicalement modifié le processus de révocation de la citoyenneté. Avant son adoption, ce processus comportait trois étapes : d'abord, un rapport était présenté en vertu de l'article 10 de la loi, établissant que le ministre était convaincu du fait que la personne avait obtenu frauduleusement la citoyenneté canadienne; ensuite, une fois avertie de ce rapport, la personne pouvait demander le renvoi de l'affaire à la Cour fédérale en vue de la tenue d'une audience; enfin, si la Cour fédérale aboutissait à la conclusion demandée par le ministre, le gouverneur en conseil pouvait révoquer la citoyenneté.

Le projet de loi C-24 avait éliminé l'audience de la Cour fédérale. Le ministre décide maintenant de la révocation sans qu'il soit nécessaire de tenir une audience. Dans une affaire aussi grave, il est essentiel de tenir une audience officielle devant un décideur indépendant et impartial.

Le mois dernier, nous avons pu nous rendre compte de la valeur d'un processus judiciaire destiné à examiner des questions touchant l'immigration et la citoyenneté qui ont eu d'importantes répercussions sur les droits et libertés de nos voisins du Sud. En conséquence, notre section demande instamment le rétablissement d'un processus équitable de révocation qui reflète les valeurs des Canadiens et qui comprenne notamment une audience devant la Cour fédérale.

Le projet de loi C-24 avait également éliminé la prise en compte de facteurs qui pouvaient empêcher d'aboutir à un résultat légal, mais injuste. Avant l'adoption du projet de loi C-24, le gouverneur en conseil pouvait tenir compte de facteurs équitables en prenant une décision relativement à la révocation de la citoyenneté. Cela n'est plus possible. La décision de révoquer la citoyenneté est exécutoire et ne permet plus au ministre de prendre en compte des considérations d'équité. Même avec ses pouvoirs discrétionnaires, le ministre ne peut pas décider en toute indépendance. Le projet de loi C-6 devrait pour le moins autoriser explicitement les agents à prendre en considération les facteurs humanitaires et permettre à l'intéressé d'exposer ces facteurs par écrit.

Enfin, le processus de révocation de la citoyenneté se compare mal au processus de perte du statut de résident permanent engagé en vertu de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés pour fausse déclaration. Un résident permanent a droit à une audience, mais un citoyen n'y a pas droit.

L'ABC appuie cependant la modification destinée à permettre aux personnes dont la citoyenneté est révoquée par suite d'une fausse déclaration lors de l'obtention de leur statut de résident permanent de retrouver ce statut au lieu d'être considérées, comme c'est le cas actuellement, comme des étrangers interdits de territoire.

En résumé, notre section souhaite souligner trois recommandations figurant dans notre mémoire sur le projet de loi C-6. Premièrement, les dispositions du paragraphe 5(4) devaient être élargies pour permettre au ministre de reconnaître la résidence sur une base discrétionnaire dans des cas particuliers. Deuxièmement, un citoyen passible de révocation de sa citoyenneté devrait avoir droit à une audience devant la Cour fédérale. Troisièmement, la citoyenneté ne devrait pas être révoquée sans que l'agent évalue les facteurs d'ordre humanitaire.

Merci, monsieur le président et honorables sénateurs. Je serai maintenant heureuse de répondre aux questions.

[Français]

Le président : Nous accueillons maintenant des membres du Barreau du Québec. Me Réa Hawi prendra la parole et sera suivie de Me Hugues Langlais.

Réa Hawi, avocate au Secrétariat de l'Ordre et Affaires juridiques, Barreau du Québec : Je m'appelle Réa Hawi. Je suis avocate au Secrétariat de l'Ordre et Affaires juridiques et secrétaire du Comité en droit de l'immigration et de la citoyenneté au Barreau du Québec. Je suis accompagnée par Me Hugues Langlais, qui est président du Comité en droit de l'immigration et de la citoyenneté au Barreau du Québec.

La mission première du Barreau du Québec est la protection du public. Ainsi, nos interventions sont toujours orientées en ce sens. Le Barreau du Québec accueille avec enthousiasme le projet de loi C-6 qui modifie la Loi sur la citoyenneté et qui propose d'abolir la majorité des modifications apportées par le projet de loi C-24 en 2014 qui, selon nous, portait atteinte aux droits et libertés de la personne.

Le Barreau du Québec tient à souligner que la citoyenneté est l'un des éléments fondamentaux d'appartenance à un pays. Elle sollicite et permet une participation à la vie civique d'un pays ainsi qu'un rôle actif dans ses institutions. Le Canada a toujours fait preuve de leadership dans le domaine des droits de la personne et d'ouverture à l'égard de la communauté internationale. Une loi concernant la citoyenneté doit être basée sur les valeurs et les principes fondamentaux des Canadiens qui sont, pour la plupart, enchâssés dans la Charte canadienne des droits et libertés.

En 2014, le Barreau du Québec avait critiqué les modifications proposées lors de l'étude du projet de loi C-24, notamment en raison des critères rigides imposés aux demandeurs de citoyenneté et de la grande discrétion accordée au ministre pour révoquer la citoyenneté, du non-respect du droit d'être entendu et du traitement différent des personnes sur la base de la double citoyenneté. Parmi les modifications apportées par le projet de loi C-6, mentionnons celles qui concernent les examens de citoyenneté. Nous saluons la restriction de l'exigence imposée par le projet de loi C-24 aux demandeurs âgés de 14 à 64 ans de démontrer leurs connaissances du Canada, de même que la restriction de l'exigence de connaître l'une des langues officielles imposée aux demandeurs âgés de 18 à 54 ans. En effet, le Barreau du Québec avait des réserves à étendre ces exigences particulièrement aux enfants, et nous sommes heureux de voir que l'exigence ne s'appliquerait plus aux personnes âgées de moins de 18 ans.

De plus, nous saluons l'abrogation du motif de révocation de la citoyenneté d'individus dont on présume qu'ils possèdent une double citoyenneté et qui, alors qu'ils étaient des citoyens canadiens, avaient commis des gestes particuliers contraires à l'intérêt national du Canada. Les modifications apportées par le projet de loi C-24 avaient élargi la portée de l'article 10 qui traite de la perte de la citoyenneté pour y assujettir les personnes ayant la double citoyenneté. Nous saluons les modifications apportées par le projet de loi C-6 qui corrigent le traitement différent auquel étaient assujetties ces personnes.

Cela dit, et quoique nous soyons d'avis que ce projet de loi va dans le bon sens, certaines situations demeurent problématiques et il y aurait lieu d'aller plus loin, notamment pour mieux protéger les enfants. Je laisse la parole à Me Langlais.

Hugues Langlais, président, Comité en droit de l'immigration et de la citoyenneté, Barreau du Québec : Je vous remercie de l'invitation à comparaître devant votre comité pour discuter de la question de la citoyenneté et du projet de loi à l'étude. Nous portons un intérêt à ce dossier, et nous faisons nôtres les observations de notre groupe et celles de nos collègues de l'Association du Barreau canadien en ce qui a trait à la révocation, à toute la mécanique qui a été dénoncée par l'ABC et à la nécessité qu'il y ait la possibilité de faire des représentations pour motifs humanitaires, ce qui m'apparaît essentiel dans le contexte.

J'aimerais aborder deux ou trois aspects, si le temps me le permet. Le premier touche les mineurs voulant déposer des demandes de citoyenneté. Ces mineurs qui ne peuvent avoir le bénéfice de la représentation par un tuteur ou un adulte sont souvent représentés par la Direction de la protection de la jeunesse dans le cadre de dénonciations faites par le mineur lui-même à l'égard de son tuteur. Ce mineur ne peut pas, sous aucun prétexte, déposer une demande de citoyenneté, même s'il est résident permanent depuis un certain nombre d'années. Ceci constitue une atteinte très sérieuse à la liberté de l'enfant de pouvoir disposer de sa propre personne et de faire une demande de citoyenneté sans l'aval d'un adulte en lequel il n'a peut-être plus confiance et qu'il a dénoncé auprès de la DPJ, qui devra prendre fait et cause pour cette personne.

Le deuxième élément est la notion de père ou de mère prévue au paragraphe 3(1) de la Loi sur la citoyenneté. Je vous renvoie particulièrement à l'arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Kandola que la Cour fédérale d'appel a analysé sous l'angle du lien génétique par opposition au lien gestationnel qu'a un enfant ou un produit génétique à l'égard d'un parent. Il faudrait peut-être davantage examiner le projet parental, cette idée de pouvoir procréer un enfant à l'aide de techniques de fertilisation in vitro, ce que la loi ne prévoit nullement.

Le troisième élément est l'apatridie. Cela revient dans toutes les lois sur la citoyenneté. Cette loi a l'avantage d'être modifiée à peu près tous les 40 ans. Il est temps, et c'est l'occasion, dans le respect des obligations du Canada signées lors de la Convention de New York relative au statut des apatrides de 1954, de fixer un mécanisme de détermination de l'apatridie au Canada, ce que nous n'avons pas encore, malheureusement, malgré les recommandations des autorités et les instruments internationaux.

Il m'apparaît donc nécessaire de faire en sorte qu'on corrige cette erreur ainsi que d'autres, mais je m'arrêterai ici, compte tenu du temps. Je préfère répondre à vos questions.

[Traduction]

Le président : Je vous remercie. Les membres du comité vont maintenant poser des questions.

La sénatrice Omidvar : Je remercie les témoins de leurs exposés. Lors de l'adoption du projet de loi C-24, le ministère de la Justice avait produit un avis juridique au sujet de sa constitutionnalité. Pouvez-vous nous dire ce que vous savez de cet avis juridique? N'importe qui peut répondre. Que savez-vous en outre des contestations judiciaires du projet de loi C-24 qui sont actuellement devant les tribunaux? Où en sont ces contestations?

[Français]

M. Langlais : Il y a une contestation constitutionnelle présentement en délibéré devant la Cour fédérale. La British Columbia Civil Liberties Association et une personne privée ont demandé une injonction à l'égard de toutes les demandes de révocation adressées de façon générale dans tous les cas de révocation. La cour a statué qu'il n'y avait pas lieu à une injonction, puisqu'il y avait déjà un mécanisme existant permettant aux gens de se joindre à cette contestation judiciaire. Sans me prononcer sur la constitutionnalité, le problème que nous avons dans une telle situation est à savoir comment avertir celui ou celle qui se trouve en Afrique du Sud ou en Syrie qu'il existe un mécanisme permettant de se joindre à un recours existant pour obtenir un sursis à l'avis de révocation prononcée en attendant que la cour se prononce sur la constitutionnalité de cette disposition.

[Traduction]

La sénatrice Frum : Maître Caruso, dans un mémoire concernant le projet de loi C-6 que l'ABC a présenté à la Chambre des communes en avril, vous avez expliqué les raisons pour lesquelles vous appuyez la révocation de beaucoup des dispositions du projet de loi C-24. Je voudrais parler des dispositions du projet de loi C-6 traitant de la révocation de la citoyenneté des terroristes condamnés.

Vous dites ce qui suit dans votre mémoire :

[...] les Canadiens ne devraient pas faire face à la révocation de leur statut de citoyen sauf dans les cas les plus exceptionnels et d'une façon équitable qui respecte les obligations constitutionnelles et internationales du Canada.

Ma question est la suivante : quand on pense à Zakaria Amara, chef du groupe des 18 de Toronto qui a été condamné pour avoir planifié, comme nous le savons, d'épouvantables atrocités, comme décapiter le premier ministre, faire sauter le Parlement du Canada et Radio-Canada, et cetera, pourquoi ne croyez-vous pas qu'il fait partie de ces « cas les plus exceptionnels » qui peuvent justifier la révocation de la citoyenneté?

Mme Caruso : Je pense que les membres de l'ABC croient fortement à notre système judiciaire. Nous sommes convaincus que les gens qui commettent des crimes au Canada sont assujettis à un processus équitable, mais rigoureux, relevant de notre système de justice pénale. C'est ainsi que nous devons traiter des personnes de ce genre, en recourant à notre système de justice pénale.

Si nous nous limitons à les expulser et à les déclarer apatrides, nous les laisserions libres de poursuivre leurs activités terroristes ailleurs dans le monde. Il vaut beaucoup mieux les condamner s'il est prouvé qu'ils ont commis les actes qui leur sont reprochés avec une intention criminelle. Il est préférable de les condamner et de les tenir responsables dans le cadre de notre système judiciaire, qui est équitable, au lieu de les chasser de chez nous pour les envoyer dans un pays qui n'a pas de système judiciaire et où ils peuvent poursuivre leurs activités.

La sénatrice Frum : Tout d'abord, nous ne les rendrions pas apatrides. Les dispositions du projet de loi C-24 ne s'appliquent qu'à ceux qui ont une double nationalité. Nous révoquerions leur citoyenneté canadienne, mais ils garderaient leur citoyenneté d'origine, soit avant soit après qu'ils ont purgé leur peine. Je tiens à le préciser.

Le sénateur Eggleton : Je vous remercie de votre présence au comité. Vous avez présenté des arguments très convaincants sur de nombreux aspects du projet de loi C-6.

Je voudrais parler en particulier de la révocation, notamment en cas de fausse déclaration ou de fraude. Je trouve très alarmante l'absence d'une procédure d'appel et d'une audience. La plus grande partie de ces formalités se fait sur papier, et les prévenus ne connaissent même pas tous les détails des accusations portées contre eux.

L'un des arguments avancés plus tôt pour justifier l'absence de la procédure d'appel est le fait que l'intéressé retrouverait le statut de résident permanent et ne serait donc pas considéré comme un ressortissant étranger pouvant facilement être expulsé. Si j'ai bien compris, la révocation du statut de résident permanent peut faire l'objet d'un appel. Que pensez-vous de cette situation?

Mme Caruso : La procédure prévue dans le cas d'un résident permanent permet d'abord à l'agent de présenter un rapport, que l'intéressé soit ou non inadmissible pour fausse déclaration. Il peut ensuite faire l'objet d'un ordre de renvoi. Toutefois, il peut contester l'ordre devant la Section d'appel de l'immigration, c'est-à-dire devant un tribunal administratif, par opposition à la Cour fédérale. Il serait donc possible d'invoquer des facteurs d'ordre humanitaire. Le Barreau est cependant d'avis que la Cour fédérale est mieux placée pour prendre une décision et qu'une audience devant elle permet de communiquer davantage de renseignements.

[Français]

M. Langlais : J'aimerais préciser que, dans le cadre d'une procédure de révocation à laquelle j'ai participé récemment, l'ambassade qui signifiait la procédure de révocation à la personne lui a dit qu'une fois sa révocation confirmée par le processus administratif, elle allait réacquérir son droit à la résidence permanente. Il semble y avoir une ambiguïté dans le discours. Je suis d'accord avec ma collègue lorsqu'elle mentionne qu'il a eu cette hypothèse. On semble avoir évolué. À quel moment, je ne saurais le dire, mais il semble y avoir eu une évolution, et je sentais la nécessité de le préciser.

[Traduction]

La sénatrice Jaffer : Je vous remercie de vos exposés. Si j'ai bien compris, il est possible, à l'heure actuelle, d'avoir jusqu'à deux audiences dans les cas portant sur la résidence permanente. Dans le cas des réfugiés, il y a une audience. Toutefois, en vertu du projet de loi, il n'y aurait aucune audience pour un citoyen canadien. Voilà le problème. Pas d'audience. C'est le ministre qui décide. De plus, nous ne savons pas si le ministre tiendra compte des facteurs d'ordre humanitaire.

J'ai cru comprendre qu'avant l'adoption du projet de loi C-24, la personne était avertie, puis l'affaire allait devant la Cour fédérale, qui tenait compte des facteurs d'ordre humanitaire, en même temps que de toute l'affaire. Si la Cour décidait de maintenir la décision de renvoi de la personne, on pouvait dire que celle-ci a été entendue d'une manière équitable.

Je vais peut-être trahir mon âge, mais, quand j'étais jeune avocate, nous poursuivions le gouvernement en justice quand il n'y avait pas d'audience pour les réfugiés. Il y a bien longtemps de cela. Que s'est-il passé depuis? Nous sommes revenus au point de départ.

L'article 7 dit clairement que les Canadiens ont droit à une audience équitable devant un décideur indépendant et impartial. Il n'y aura pas d'audience dans un cas aussi grave que la révocation de la citoyenneté. C'est inconstitutionnel.

Mme Caruso : Je suis d'accord. Si vous recevez une contravention pour stationnement interdit, vous avez droit à une audience, mais un citoyen sur le point de perdre sa citoyenneté n'y a pas droit. Nous avons besoin d'un processus équitable. C'est fondamental au Canada. Notre citoyenneté est basée sur le principe de l'égalité et de l'équité. Nous devons veiller à le faire respecter.

La sénatrice Seidman : Merci beaucoup pour vos exposés. J'ai une question à vous poser, maître Caruso.

La capacité de parler l'une de nos langues officielles est essentielle pour la citoyenneté, pour les droits et obligations qui s'y rattachent et pour l'intégration dans notre société. À titre de citoyen, on a le droit de voter, par exemple. La langue permet aussi à une jeune personne de s'intégrer dans le système scolaire et de se faire des amis. Elle permet à un adulte de s'intégrer dans la population active et parmi ses voisins.

En vertu du projet de loi C-6, les candidats à la citoyenneté âgés de 14 à 17 ans et de 55 à 64 ans n'auront plus à montrer qu'ils ont une connaissance suffisante de l'une de nos langues officielles. Qu'en pensez-vous? Qu'avez-vous à dire de ce changement?

Mme Caruso : En ce qui concerne les jeunes, j'ai eu le privilège, il y a deux semaines, d'assister à un cours de ma fille, qui est en 6e année, à l'école intermédiaire. Quelque 250 enfants étaient présents. Au chapitre du multiculturalisme, c'était vraiment les Nations Unies. Ces enfants font leurs études en anglais à l'école. Je dirais que nous n'avons pas vraiment à nous inquiéter pour les jeunes.

Je suis cependant d'accord avec vous en ce qui concerne les personnes plus âgées. Je crois que l'ABC était en faveur du maintien de l'épreuve de connaissances, mais aurait préféré qu'il ne soit pas obligatoire de l'administrer en français ou en anglais. C'est ce que nous préconisons plutôt qu'un changement de l'âge pour le test de langue. Nous estimions que l'obligation de réussir à l'épreuve de connaissances dans sa deuxième langue constituait une double exigence.

La sénatrice Seidman : J'aimerais avoir une précision. Pensez-vous que l'obligation de prouver la connaissance de l'une des deux langues officielles devrait être maintenue dans le cas des personnes âgées de 55 à 64 ans? Ces personnes pourraient cependant subir dans une langue différente l'épreuve de connaissances destinée à montrer leur compréhension de la culture canadienne.

Mme Caruso : C'est ce que nous aurions préféré.

[Français]

M. Langlais : J'aimerais ajouter une précision. L'exigence linguistique vise essentiellement la catégorie des parents et des grands-parents et ceux qui ont obtenu le statut de réfugié au Canada. Tous ceux qui sont des travailleurs qualifiés ont déjà fait l'objet d'une sélection avec comme critère de base l'une des deux langues officielles du Canada. Donc, on vise et on cible une ou deux catégories de personnes avec ces exigences linguistiques.

[Traduction]

Le sénateur Meredith : Je vous remercie pour vos exposés de cet après-midi. Je voudrais prendre la suite de la sénatrice Frum pour parler de ceux qui sont condamnés pour activités terroristes.

Je pense au projet de loi C-6 et aux critiques dont il a fait l'objet au sujet des personnes condamnées pour crimes de guerre. Pouvez-vous m'expliquer la différence qui existe, au chapitre de la révocation de la citoyenneté, entre les criminels de guerre et les personnes condamnées pour crimes de guerre, d'une part, et les personnes condamnées pour activités terroristes, de l'autre? Quelle est la différence entre les deux catégories? Pouvez-vous me l'expliquer?

Mme Caruso : Je reviens à ce qu'a dit la sénatrice Frum. Si ces personnes peuvent se prévaloir d'une citoyenneté autre que la citoyenneté canadienne, le résultat pour elles est différent de celui d'une personne qui, comme moi, est née au Canada et ne peut pas se prévaloir de la citoyenneté d'un autre pays. Dans mon cas, le Canada est obligé de s'occuper de moi devant ses tribunaux, dans son système carcéral et dans ses programmes de réadaptation.

Nous sommes en train de créer deux classes de citoyens, ce qui est contraire aux valeurs canadiennes. Les citoyens canadiens veulent tous être traités sur un pied d'égalité indépendamment de leur patrimoine génétique.

[Français]

M. Langlais : Les criminels de guerre qui ont été reconnus à ce titre-là au Canada ont obtenu, depuis l'affaire Luitjens en 1990 et 1991, un droit d'appel ultime devant le gouverneur en conseil. Un certain nombre d'entre eux ont obtenu par ce droit d'appel que la révocation de citoyenneté soit annulée. Les tribunaux sont d'avis que le gouverneur en conseil représente toutes les tendances de la société canadienne et est mieux à même de juger de la validité d'une personne et de ses motifs humanitaires que ne l'est un décideur dans son bureau. C'est ce qui a permis à un certain nombre de criminels de guerre, reconnus comme tels, déclarés comme tels à la suite de la Commission Deschênes, d'être reçus comme citoyens du Canada, malgré ce qu'ils avaient fait.

[Traduction]

La sénatrice Lankin : J'aimerais être inscrite sur la liste pour une seconde question parce que je vais aborder un sujet lié à la question précédente plutôt que celui dont j'avais prévu de parler à l'origine.

Je ne sais pas grand-chose de l'historique de la commission que vous venez de mentionner. J'essaie de comprendre un argument avancé par ceux qui critiquent le projet de loi.

Comme le dit Me Caruso, il y a des gens qui craignent que nous soyons en train de créer deux classes de citoyens et que la justice soit appliquée différemment aux criminels en fonction de leur origine ou de leur pays de naissance. Dans ces conditions, pourquoi ne les traitons-nous pas comme les criminels de guerre? Vous avez dit qu'il y avait un autre moyen de faire appel. Pourquoi ne l'étendons-nous pas à ceux qui sont condamnés pour terrorisme afin régler le problème?

Personnellement, je ne crois pas que ce soit la bonne solution. Je préfère celle qui a été proposée, mais je crois que ma collègue a posé une question au sujet du traitement différent. Jusqu'ici, je n'ai pas entendu une réponse qui explique la différence de traitement.

[Français]

M. Langlais : Je n'ai pas indiqué si j'étais d'accord ou non. J'expliquais le processus antérieur en vertu duquel les gens qui étaient dans une situation de révocation pour des crimes ou des situations aussi graves que le terrorisme, et qui étaient des criminels de guerre, ont réussi. Avant l'entrée en vigueur de la loi actuelle, à son adoption en 2014 ou en partie jusqu'à juin 2015, ils avaient un droit d'appel véritable devant le gouverneur en conseil. Ce droit d'appel a disparu.

[Traduction]

La sénatrice Lankin : Je suppose que je n'ai pas droit à des questions complémentaires.

Le président : Voulez-vous demander des précisions?

La sénatrice Lankin : Non.

Le président : Nous allons poursuivre.

La sénatrice Lankin : Je ne comprends pas, mais ça ira.

Le président : Avant de passer au second tour, je voudrais poser moi-même une question.

Maître Caruso, au sujet des exigences linguistiques s'appliquant aux personnes de 55 à 65 ans, j'ai eu l'impression, au cours d'un de vos exposés, que les membres de ce groupe sont qualifiés d'« aînés ». Notre comité a beaucoup étudié les questions sociales. Il a noté qu'à l'heure actuelle, le groupe des 55 à 65 ans constitue en fait le plus important de la population active, considérée décennie par décennie. Il est généralement admis que les membres du groupe sont aujourd'hui loin d'être considérés comme des aînés dans le pays.

Notre comité a réalisé des études sur les démunis des villes et les problèmes que doivent y affronter les pauvres. Nous avons abouti à la conclusion que l'incapacité de parler l'une de nos langues officielles constitue un des plus importants obstacles — sinon le plus important — à l'entrée dans la population active et à l'avancement dans la société.

Pouvez-vous nous en dire davantage sur les arguments que vous avez avancés contre l'exigence relative à la connaissance de l'une de nos langues officielles?

Mme Caruso : Comme mon collègue l'a signalé, de nombreux immigrants qui viennent au Canada ont déjà subi un test de langue, de sorte que nous parlons d'un petit groupe. Celui-ci peut être composé de personnes parrainées à titre de membre de la famille ou encore de réfugiés.

Je ne m'opposerai sûrement pas aux déclarations et aux recherches selon lesquelles la langue constitue un indicateur clé de succès. Cela dit, ce n'est pas le seul indicateur de succès. Je représente de nombreuses sociétés, grandes et petites. Beaucoup d'entre elles ont des travailleurs dont la connaissance de l'anglais est plus qu'élémentaire. Ces gens arrivent quand même à gagner leur vie.

Je dirais encore une fois que pour le Barreau, le plus important, c'est le test. Il est toujours difficile pour quiconque de subir un test dans une langue autre que sa première langue. C'est là que les gens font souvent des erreurs.

Pour ce qui est des autres exigences, comme je l'ai dit, nous parlons d'un petit segment de la population.

Le président : Collègues, je voudrais vous demander de garder vos places lorsque cette séance prendra fin au plus tard à 17 h 15. La confusion qu'il y aurait si chacun se levait et circulait nous retarderait lorsque nous aurons à poser des questions au groupe suivant de témoins. Je vous prie donc de rester à votre place. Nous voulons poser autant de questions que possible aujourd'hui.

La sénatrice Omidvar : Monsieur le président, vous en demandez beaucoup à des fins d'efficacité. Je vais essayer de poursuivre dans la même veine.

Je soupçonne que si des Canadiens se soumettaient au test de connaissances, beaucoup d'entre eux ne réussiraient pas. Maître Langlais, je vous remercie de vos précisions. Vous avez bien fait ça. Mais nous parlons en réalité du test de langue, et non de la grande cohorte d'immigrants qualifiés avec leur famille. Nous parlons d'un sous-groupe constitué des réfugiés, des parents et des grands-parents.

Pouvez-vous nous parler des répercussions sur ces gens lorsqu'ils ne font pas partie de la famille canadienne? Imaginez une famille dans laquelle le mari, la femme, le fils, la fille et les petits-enfants ont tous la citoyenneté, mais où la grand-mère ne l'a pas. Que pensez-vous d'une telle situation?

[Français]

M. Langlais : Je pense que le langage des signes peut répondre à la question. Les parents et les grands-parents qui ne parlent pas l'une des deux langues officielles ne sont pas exclus de la société canadienne de ce simple fait. À ce moment- là, ce sont les autres membres de la famille qui serviront de traducteurs ou d'interprètes et qui s'occuperont de leur montrer comment faire face aux réalités de la vie quotidienne. Lorsqu'on arrive à un certain âge — que personne n'a encore atteint ici dans cette salle —, l'apprentissage d'une autre langue est difficile. Plus on avance, plus c'est difficile. Si on n'a pas eu la chance dans son pays d'origine d'avoir bénéficié d'une éducation ou d'une instruction à un certain niveau, il est vraisemblable que l'apprentissage d'une langue, quelle qu'elle soit, sera difficile. Il faut alors s'en remettre à la famille, qui aidera à l'insertion dans la vie sociale et professionnelle.

[Traduction]

Mme Caruso : J'aimerais ajouter un commentaire personnel en réponse à la question. Mes grands-parents paternels sont venus d'Italie, ce qui explique le nom de Caruso. Ils avaient 10 enfants, mais aucun ne parlait l'italien. C'était la seule famille italienne de Brampton, qui était la circonscription de Bill Davis. Les grands-parents ne laissaient pas leurs enfants parler l'italien, ce qui fait que la langue ne s'est pas transmise. Par conséquent, ni moi ni mon père ne parlons l'italien. J'ai cependant un regret : tout le long de mes études et dans mes relations quotidiennes avec des immigrants, j'ai regretté de ne pas avoir une langue seconde, pas même le français.

Je crois que les grands-parents enrichissent notre culture et ont une influence positive sur l'environnement familial, qu'ils connaissent ou non l'anglais ou le français.

La sénatrice Frum : Pour revenir à votre mémoire, l'ABC dit qu'on ne devrait révoquer la citoyenneté que « dans les cas les plus exceptionnels ». J'aimerais comprendre ce que l'ABC entend par « cas exceptionnels ».

Comme on l'a mentionné, la citoyenneté des criminels de guerre condamnés peut être révoquée. Cela n'a pas changé. Cette disposition existe depuis des dizaines d'années. Ils peuvent faire appel, mais ils peuvent aussi être privés de leur citoyenneté. Nous avons voulu ajouter les terroristes à ce groupe de citoyens qui se sont rendus coupables de trahison et de crimes de guerre. Maintenant, nous disons que cela peut aller en cas de trahison ou de crimes de guerre, mais pas dans le cas du terrorisme. À votre avis, le terrorisme ne constitue-t-il pas « un cas exceptionnel »?

Mme Caruso : L'ABC est d'avis que la révocation devrait être limitée aux cas de fausse déclaration. L'ABC considère qu'il y a un cas exceptionnel si une personne a fait quelque chose à l'étranger, puis a menti au sujet de son passé et de ses activités au cours de notre processus de contrôle. Si, par la suite, des faits sont découverts, que la personne ait la possibilité de répondre aux allégations, mais que les autorités déterminent qu'elle a menti, c'est un cas exceptionnel.

La sénatrice Frum : Ainsi, la trahison n'implique pas nécessairement une fausse déclaration. La citoyenneté peut cependant être révoquée en cas de trahison. En convenez-vous?

Mme Caruso : Oui. Cela s'applique en cas de trahison. Si des faits ont été cachés lorsque la personne a présenté sa demande de résidence permanente et que ces faits sont révélés des années plus tard, c'est un motif de révocation.

Le sénateur Eggleton : Dans ce contexte, je dirais qu'à ma connaissance, les criminels de guerre du passé ne perdaient pas nécessairement leur citoyenneté parce qu'ils avaient été accusés de crimes de guerre. C'était plutôt parce qu'ils avaient menti en arrivant dans le pays. Ils avaient fait de fausses déclarations concernant leur situation. De toute évidence, ils n'avaient pas dit qu'ils avaient commis des crimes dans un autre pays.

Pour ce qui est du terrorisme, je me demande si vous voulez bien nous dire ce que vous pensez de cela. Il est clair que d'autres crimes haineux sont commis dans le pays. Nous parlons de gens qui pourraient être condamnés pour avoir tenté de commettre des actes terroristes et dont la citoyenneté pourrait être révoquée. En même temps, personne ne songerait à révoquer la citoyenneté de Robert Pickton qui a assassiné beaucoup de gens. Les tueurs en série devraient peut-être être inclus dans cette catégorie. Où faut-il tirer la ligne quand on décide des motifs pouvant servir de base à la révocation de la citoyenneté et peut-être au renvoi?

Comme vous l'avez dit au début, maître Caruso, le système de justice pénale se base sur la loi et vise à traiter également tout le monde. Si une personne est condamnée, elle doit purger sa peine. Toutefois, la citoyenneté n'est pas un élément à inclure dans ce genre d'équation comme punition secondaire. Qu'avez-vous à dire à ce sujet?

Mme Caruso : Je conviens de ce que vous avez dit, surtout en ce qui concerne votre dernier point : la révocation de la citoyenneté est une conséquence pénale supplémentaire. Cela n'a jamais fait partie de notre système de justice pénale : oui pour certains, mais non pour ceux qui sont nés au Canada et qui n'ont pas une autre nationalité.

C'est difficile à comprendre. Si nous devions emprunter cette voie et que d'autres pays nous emboîtaient le pas, où enverrions-nous tous ces gens? Je crois à un système de réadaptation. Je ne crois pas à la peine capitale. C'est un point de vue personnel. L'ABC n'a pas suivi cette voie. Voilà le genre de questions qui découlent de tout cela. Que faire de ces gens qui ont commis des crimes qu'il est même difficile d'imaginer?

Le Barreau estime que nous avons un système de justice pénale très équitable et très démocratique. Ceux qui sont soumis à ce système ont des droits. Est-il parfait? Probablement pas, mais des règles sont en place pour permettre aux gens d'invoquer la protection de la loi. Pour nous, c'est ainsi que les choses devraient se faire plutôt qu'en établissant des règles différentes fondées sur le pays d'origine des gens.

[Français]

M. Langlais : Malgré le vocabulaire utilisé, nous sommes essentiellement et exclusivement en droit administratif, ce qui veut dire que nous ne sommes pas dans une situation de preuve hors de tout doute. En matière de terrorisme ou d'infraction, comme le prévoit la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, nous nous en tenons à des motifs raisonnables de croire. C'est ce qui est prévu à l'article 33 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés.

Sur une échelle de 100 motifs raisonnables de croire, cela représente à peu près 25 p. 100. Nous sommes loin des 99,9 p. 100 du concept « hors de tout doute raisonnable ». Les décisions qu'on s'apprête à prendre visent des gens qui n'ont jamais été véritablement condamnés en vertu du système criminel canadien que nous connaissons, qui représente des valeurs chères à tous.

L'autre élément, c'est qu'il n'y a pas de prescription en matière de droit administratif. Qu'est-ce qui a fait que les Luitjens et autres ont pu être attaqués en justice? C'est effectivement parce qu'ils ont fait de fausses représentations au moment de leur demande d'immigration dans les années 1940. Il faut remettre les choses en perspective. On n'est pas dans un système criminel ici, mais bien dans un système administratif.

[Traduction]

La sénatrice Jaffer : Ma question s'adresse au Barreau. Je ne crois pas que nous ayons beaucoup parlé de ce point, mais vous avez évoqué les effets négatifs sur les couples homosexuels. Dans votre mémoire, vous avez mentionné l'alinéa 3(1)b) de la Loi sur la citoyenneté, d'après lequel a qualité de citoyen toute personne née à l'étranger d'un père ou d'une mère ayant qualité de citoyen, à l'exclusion des parents adoptifs.

L'affaire Kandola avait établi qu'un couple infertile ne pouvait pas transmettre la citoyenneté canadienne à l'enfant conçu à cause de l'absence d'un lien génétique avec les parents. Vous affirmez que cette décision constitue un traitement discriminatoire de l'enfant, qui ne bénéficie pas du même traitement que n'importe quel autre enfant canadien. Cette situation touche les gens qui ont décidé d'avoir des enfants par d'autres moyens.

Pouvez-vous nous en dire davantage à ce sujet et nous expliquer de quelle façon le projet de loi toucherait cet enfant? Est-ce constitutionnel?

[Français]

M. Langlais : Le juge Mainville, dans sa décision, l'a très bien exposé. Évidemment, il est dissident, mais ce n'est pas pour cela qu'on ne peut pas avoir raison. Il dit ce qui suit :

Je crois plutôt que le législateur, à l'alinéa 3(1)b), avait l'intention d'utiliser la notion juridique de père ou de mère. Ainsi, la citoyenneté canadienne peut être conférée par filiation à un enfant qui a un père ou une mère de citoyenneté canadienne et qui est né à la suite d'une technique de fécondation, et ce, peu importe la nationalité des donneurs de matière génétique.

Il faut arriver en 2017 avec cette loi qui ne sera probablement jamais modifiée avant 2057.

[Traduction]

Le sénateur Meredith : Maître Hawi, vous avez dit que vous accueillez avec enthousiasme le projet de loi C-6. Je veux parler du nombre de cas touchés par le projet de loi C-24. Si le projet de loi C-6 est adopté, que deviennent ces cas? Pouvez-vous nous dire combien d'entre eux sont actuellement devant les tribunaux, attendant une décision? Qu'adviendra-t-il de ces décisions?

Mme Hawi : Me Langlais a déjà parlé de cette question, dans le contexte de la décision de la Cour fédérale. Je vais donc le laisser répondre.

[Français]

M. Langlais : Il y a présentement environ 200 dossiers devant la Cour fédérale. Un certain nombre de dossiers font l'objet d'un sursis, parce qu'ils ont réussi à joindre la procédure initiale. Il y a une ordonnance spéciale du juge Zinn qui met en perspective une catégorie A et une catégorie B, qui inclut les dossiers arrivés après le début des procédures. Une troisième procédure entreprise par la British Columbia Civil Liberties Association a demandé l'injonction et, par la suite, de nouveaux cas se sont ajoutés. Je n'ai pas les derniers chiffres, le ministère de la Justice pourrait davantage vous informer à ce sujet, mais il y a trop peu de gens qui sont véritablement au courant de cette mécanique proposée par les tribunaux pour freiner le mécanisme de révocation.

[Traduction]

La sénatrice Lankin : Pendant la période qui a précédé le débat de deuxième lecture de ce projet de loi, les sénateurs ont reçu de nombreuses lettres de Canadiens qui appuyaient cette mesure ou s'y opposaient. J'en ai reçu un certain nombre de personnes qui voulaient me mettre au courant de leur expérience personnelle relativement à l'intention de résider au Canada.

Au cours de mes discussions avec des adversaires du projet de loi C-6, j'ai entendu des gens dire qu'il s'agit essentiellement d'une expression symbolique et que si quelqu'un ne peut même pas dire qu'il a l'intention de résider dans le pays, pourquoi devrions-nous lui accorder la citoyenneté? Si c'est essentiellement symbolique et que la disposition n'a pas d'effet sur la vie des gens, je comprendrais l'argument. J'ai cependant entendu dire que les conséquences imprévues peuvent bouleverser la vie de quelqu'un.

Pouvez-vous nous parler des conséquences juridiques de la disposition sur l'intention de résider au Canada? Qu'avez-vous pu constater? Quels genres de plaintes ou d'affaires avez-vous vues? Appuyez-vous cette disposition du projet de loi C-6 et, si oui, pourquoi?

Maître Caruso, je voudrais vous demander de commencer. Si d'autres souhaitent répondre, je les prie de le faire.

Mme Caruso : Je vois régulièrement des cas de ce genre. Je suis toujours mal à l'aise quand je dois conseiller des clients sur cette disposition. Lorsqu'ils signent leur formulaire de demande, que nous les avons parfois aidés à remplir, et qu'ils cochent cette case, il se peut fort bien qu'ils aient vraiment cette intention.

Le Barreau s'inquiète des cas où, après avoir signé leur demande, des gens qui travaillent pour une multinationale sont mutés dans un autre pays. Comment peuvent-ils prouver qu'au moment où ils ont signé leur demande, ils avaient bel et bien intention de résider au Canada? Compte tenu des dispositions sur les fausses déclarations et le fait que celles- ci peuvent entraîner la révocation de la citoyenneté sans audience, il était nécessaire d'expliquer aux clients les graves conséquences possibles. Il est donc très difficile de donner aux gens une idée claire de l'engagement qu'on leur demande de prendre en signant leur demande et des conséquences possibles de cet engagement.

Nous représentons souvent des sociétés multinationales. Pour une raison ou une autre, leurs cadres peuvent ne pas avoir présenté une demande de citoyenneté. Ils savent qu'une mutation à l'étranger est possible et qu'il est préférable pour eux d'être citoyens pour représenter le Canada à l'étranger. Ils vont donc présenter leur demande tout en sachant qu'ils peuvent être mutés à tout moment.

Bref, cela met les gens dans une situation où ils ne sont peut-être pas très honnêtes en remplissant leur demande de citoyenneté, mais cela n'empêche pas qu'ils satisfont aux critères de résidence, qu'ils parlent l'une des langues officielles et répondent aux exigences linguistiques.

Le président : Je n'ai pas le temps de donner au parrain et aux porte-parole une dernière occasion de participer, mais nous avons déjà fait deux tours complets de questions. Je crois que mes collègues ont posé des questions très claires et très importantes. Les deux groupes de témoins ont donné des réponses que nous avons clairement comprises. Je tiens à les remercier de leur participation à nos délibérations d'aujourd'hui.

Nous allons maintenant entendre Audrey Macklin, professeure de droit à l'Université de Toronto, qui comparait à titre personnel, ainsi que Noah Shack, directeur des politiques au Centre consultatif des relations juives et israéliennes. J'invite Me Macklin à présenter son exposé en premier. Nous commençons toujours par les témoins qui comparaissent par vidéoconférence parce que nous craignons d'avoir des difficultés techniques. À vous, maître Macklin.

Audrey Macklin, professeure de droit, Université de Toronto, à titre personnel : Merci beaucoup.

[Français]

Je vous remercie de cette occasion de me présenter devant vous aujourd'hui.

[Traduction]

Je vais concentrer mes propos sur la légalité de la révocation de la citoyenneté à cause d'infractions touchant la sécurité nationale commises après l'accession à la citoyenneté.

Je crois qu'il convient tout d'abord de se demander si une loi permettant de révoquer la citoyenneté pour des infractions liées, par exemple, au terrorisme, à la trahison ou à la sécurité nationale commise après l'obtention de la citoyenneté peut résister à un examen constitutionnel. Je dirais, en me basant sur la jurisprudence, que la réponse est non.

L'affaire Sauvé, qui a fait l'objet d'un arrêt de la Cour suprême en 2003, est un bon point de départ à cet égard. Elle concernait le fait que les personnes détenues dans un établissement fédéral sont privées du droit de vote. Cette disposition de la Loi électorale a été contestée à titre de violation du droit de vote prévu dans la Charte. La Cour a rapidement convenu qu'il s'agissait clairement d'une violation et a cherché à déterminer si cette violation peut être justifiée dans une société libre et démocratique.

Le point de départ de la comparaison consiste à reconnaître que la révocation de la citoyenneté ne prive pas seulement l'intéressé d'un droit que confère la citoyenneté : elle le prive de la totalité des droits liés à la citoyenneté.

Dans l'affaire Sauvé, la Cour a statué que la privation du droit de vote ne peut pas être justifiée en vertu de l'article 1er de la Charte. Elle constitue une punition. Autrement dit, elle punit l'intéressé pour une infraction à l'égard de laquelle il a déjà été jugé et condamné à une peine de prison. Elle est arbitraire à titre de punition et ne sert à aucune fin utile de dissuasion ou de réadaptation.

On peut supposer, si la privation du droit de vote est inconstitutionnelle, que la révocation de la citoyenneté l'est aussi pour une raison qui est essentiellement la même. Je crois qu'en un sens, on n'a presque pas besoin d'aller plus loin, même si on peut le faire et si on peut parler d'autres motifs pour lesquels la révocation de la citoyenneté est une violation de la Constitution.

À part ce que je viens d'expliquer — c'est-à-dire le raisonnement fondé sur l'article 7 de la Charte —, on peut aussi penser à l'article 12 de la Charte. La révocation de la citoyenneté pour des actes commis après son obtention constitue- t-elle un traitement ou un châtiment cruel et inusité? D'après la jurisprudence de la Cour fédérale, une peine, pour être jugée légitime, doit viser un objectif légitime et constituer la seule solution adéquate qu'on puisse envisager.

Quel serait l'objectif légitime allégué d'une révocation de la citoyenneté? Si l'objectif légitime est de protéger la sécurité nationale en privant la personne de sa citoyenneté, ce qui permet de l'expulser, il existe de nombreux arguments — je suis sûre que vous les connaissez déjà — tendant à prouver que le renvoi dans un autre pays de personnes considérées comme une menace pour la sécurité nationale ne favorise pas du tout la sécurité nationale ou mondiale. Premièrement, cela déplacerait purement et simplement le problème d'un endroit à un autre. Deuxièmement, si la personne va dans un État qui ferme les yeux sur les questions de sécurité nationale, elle sera simplement libre d'y poursuivre ses activités.

Comme beaucoup d'autres États, le Canada considère le terrorisme comme un problème aussi bien national que mondial. Cela étant, il serait insensé de déplacer une personne que nous croyons coupable d'actes terroristes parce que cela ne renforcerait en rien notre sécurité. De plus, nous ne ferions que la retirer d'un endroit où nous pouvons la contrôler grâce à notre système de justice pénale pour l'envoyer à un autre endroit où elle risque de ne pas être contrôlée du tout.

Y a-t-il d'autres solutions adéquates? Il y en a de toute évidence puisque dans le cas des personnes qui n'ont pas la double nationalité et dont nous ne pouvons par conséquent pas révoquer la citoyenneté, notre système de justice pénale agit tout seul. Et s'il peut s'occuper adéquatement de citoyens qui n'ont pas une double nationalité, il n'y a aucune raison de croire qu'il ne le serait pas autant pour ceux qui l'ont.

Je vais maintenant consacrer quelques instants à une autre préoccupation qui a été exprimée au comité : c'est la disposition concernant l'intention de résider dans le pays.

Si on exige des futurs citoyens en voie d'être naturalisés d'avoir l'intention de résider dans le pays, on leur impose des restrictions sur l'exercice de leur droit, comme citoyens, de quitter le Canada ou d'y revenir en toute liberté. Autrement dit, les citoyens naturalisés qui vont dans un autre pays s'exposent à ce qu'un responsable du ministère de l'Immigration les accuse de ne pas avoir respecté leur engagement à résider au Canada et ont donc fait une fausse déclaration les rendant passibles de la révocation de leur citoyenneté. Les Canadiens de naissance n'ont pas à assumer ce fardeau.

Nous pouvons ensuite parler de la révocation de la citoyenneté comme violation possible des dispositions d'égalité de l'article 15 de la Charte. Comme vous le savez, la révocation de la citoyenneté s'appliquerait uniquement à ceux qui ont une double nationalité. De toute évidence, il y aurait donc discrimination entre des catégories différentes de citoyens. Comme toute autre démocratie libérale, le Canada croit à l'idée qu'il n'y a pas de citoyens de seconde zone. Une fois qu'on est devenu citoyen, on est l'égal de tous les autres citoyens. Si on fait peser la menace de la révocation sur une catégorie de citoyens et pas sur un autre, c'est évidemment de la discrimination fondée sur la question de savoir si on est ressortissant d'un ou de plusieurs pays.

La disposition concernant l'intention de résider au Canada impose une discrimination d'un autre genre : elle s'exerce contre les citoyens naturalisés qui risquent la révocation pour fausse déclaration quant à l'intention future de résider au Canada, alors que les citoyens de naissance ne courent pas le même risque. Nous avons donc dans ce cas une discrimination fondée sur des facteurs différents.

À part tout cela, l'absence dans la version actuelle du projet de loi C-6 d'une procédure équitable régissant la révocation de la citoyenneté pour fraude ou fausse déclaration risque de la rendre inconstitutionnelle en vertu de l'article 7 de la Charte. Cela n'est pas conforme aux principes de justice fondamentale. En fin de compte, on bénéficie d'une plus grande protection procédurale quand on conteste une contravention pour excès de vitesse que si on conteste la révocation de sa citoyenneté.

Enfin, le projet de loi actuel ne prévoit pas une notification appropriée des personnes qui risquent une révocation de leur citoyenneté. À mon avis, ces personnes devraient être informées en personne que le gouvernement envisage de révoquer leur citoyenneté. Il ne suffit pas d'envoyer un avis à leur dernière adresse connue.

Je vois que mon temps de parole est écoulé. Je vais donc m'arrêter et vous inviter à me poser des questions.

Le président : Merci beaucoup.

Noah Shack, directeur, Politiques, Centre consultatif des relations juives et israéliennes : Je vous remercie, monsieur le président et honorables sénateurs, de m'avoir donné l'occasion de parler du projet de loi C-6 au nom du CIJA, ou Centre consultatif des relations juives et israéliennes, qui est l'organe de défense d'intérêts des Fédérations juives du Canada.

La citoyenneté canadienne est l'une des plus recherchées et des plus respectées du monde, mais ce n'est pas seulement un statut prestigieux qu'on acquiert. Elle se base sur un ensemble de valeurs fondamentales comprenant la dignité, la liberté et l'égalité pour tous et sur un ensemble soigneusement équilibré de droits et responsabilités que nous chérissons tous.

Malgré la politique « aucun, c'est encore trop » des années 1930 et 1940, qui a empêché ceux qui fuyaient l'Holocauste de trouver refuge au Canada, les juifs ont fait une importante contribution positive pendant toute l'histoire du pays, comme tant d'autres groupes auxquels nous nous joignons aujourd'hui afin d'exprimer notre profonde reconnaissance pour le privilège que nous avons d'être Canadiens.

Comme certains d'entre vous le savent sans doute, février est le Mois juif de sensibilisation et d'intégration des personnes handicapées, initiative mondiale destinée à mettre en évidence l'importance de l'intégration des personnes handicapées dans la vie communautaire juive. C'est aussi un point de convergence qui permet de montrer le leadership juif dans cette importante cause au-delà de notre propre communauté. Dans ce contexte, je voudrais exprimer notre appui à la modification apportée par le projet de loi C-6, qui modernise l'article 5 de la Loi sur la citoyenneté en conférant au ministre des pouvoirs discrétionnaires permettant de tenir compte des besoins des personnes handicapées qui présentent une demande de citoyenneté.

Malheureusement, il reste encore dans la législation canadienne sur l'immigration des obstacles qui font qu'il est difficile pour les personnes handicapées de venir résider au Canada. À l'heure actuelle, l'article 38 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés permet de rendre inadmissibles les ressortissants étrangers pour des raisons de santé risquant d'entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux et de santé. Cette disposition a été injustement appliquée à des personnes handicapées sans tenir compte des innombrables façons positives dont elles contribuent à la vie canadienne.

Pour maximiser les effets de la modification apportée à l'article 5 de la Loi sur la citoyenneté dans le projet de loi à l'étude, l'article 38 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés devrait faire l'objet d'une modification parallèle.

Le maintien d'une norme de présence effective pour établir la conformité aux exigences de résidence aux fins de la citoyenneté est un important principe que confirme le projet de loi C-6, ce qui favorise l'intégration et réduit les chances de marginalisation des nouveaux immigrants. Comme l'avait mentionné l'ancien ministre McCallum, cette norme peut contribuer à la lutte contre le problème de la citoyenneté de complaisance.

Le CIJA appuie également le maintien des épreuves linguistiques et de connaissances de base dans le projet de loi C- 6, parallèlement aux exigences de présence effective. Cela peut avoir d'importants effets sur la lutte contre l'antisémitisme et d'autres points de vue extrémistes qui sont à juste titre maintenus en marge de la société canadienne, mais qui restent malheureusement courants dans d'autres régions du monde. Nous avons procédé à d'importants sondages nationaux sur les attitudes qui prévalent au Canada. Je serai heureux de discuter des résultats avec vous.

Toutefois, en ce qui concerne les épreuves, il y a des problèmes liés aux accommodements religieux. Beaucoup de juifs canadiens pratiquants ne sont pas en mesure de se présenter aux épreuves pendant le sabbat, qui va du coucher du soleil le vendredi au crépuscule le samedi. Or, il semble que de nombreux établissements qui administrent les épreuves linguistiques n'en organisent que le samedi. Dans certains cas, des groupes ou des particuliers ont réussi à négocier des accommodements avec certains établissements, mais ce n'est pas toujours le cas. Ici, à Ottawa, par exemple, il n'y a que deux organismes qui administrent les épreuves. Les deux le font le samedi.

Un couple local qui aspire à la citoyenneté canadienne s'est fait dire par l'une des organisations qu'il lui faudrait attendre plusieurs mois pour subir l'épreuve un jour autre qu'un samedi et qu'il ferait mieux de présenter sa demande dans une autre ville. L'autre organisation n'avait à offrir qu'une seule épreuve organisée le jeudi au mois d'août, huit mois plus tard.

Après une intervention du cabinet du ministre, le couple a réussi à s'inscrire à une épreuve devant avoir lieu un peu plus tôt au printemps. Tout en étant reconnaissants de l'intervention et de l'aide du personnel du ministre, nous croyons qu'il y a un problème à régler au niveau systémique. Un accès insuffisant aux épreuves ne devrait pas faire obstacle à l'obtention de la citoyenneté.

Les immigrants comptent parmi les éléments les plus dévoués du pays. Ils constituent une source de vitalité culturelle et de force économique. Les juifs canadiens sont fiers de faire leur part dans l'histoire de l'immigration du pays, étant arrivés au Canada de tous les coins du monde depuis plus de 200 ans. Nous sommes heureux que le projet de loi C-6 permette une fois de plus de compter le temps passé au Canada à titre de résident provisoire dans les exigences de résidence auxquelles il faut satisfaire pour accéder à la citoyenneté, surtout dans le cas des étudiants étrangers. Ceux qui viennent au Canada pour faire des études et acquérir des connaissances et des compétences tout en se liant avec leurs pairs canadiens semblent être des candidats idéaux à la citoyenneté. Nous ne devrions donc pas les encombrer d'obstacles inutiles.

Nous sommes également heureux de constater que le gouvernement n'a pas cherché, dans le projet de loi C-6, à abroger les dispositions rationalisées du projet de loi C-24 prévoyant la révocation de la citoyenneté de ceux qui l'avaient obtenue par des moyens frauduleux ou en faisant de fausses déclarations. Ces dispositions consolident un processus dont avaient souvent abusé ceux qui sont venus s'établir au Canada en cachant leur passé nazi. L'affaire en cours de Helmut Oberlander en est un bon exemple. Il était membre d'un commando de meurtre nazi. Il n'a ni nié le fait ni présenté des excuses. Il est responsable du meurtre de plus de 90 000 hommes, femmes et enfants juifs. Lorsqu'il avait demandé à s'établir au Canada en 1954, il avait menti au sujet de son passé et obtenu frauduleusement la citoyenneté canadienne. Il a réussi depuis plus de 20 ans à éviter la révocation finale de sa citoyenneté et son renvoi du Canada à cause des faiblesses de notre système.

Ces événements montrent qu'il est nécessaire de rationaliser la procédure de révocation pour fraude et fausse déclaration pour que les cas puissent être traités d'une manière plus efficace. Notre communauté a beaucoup apprécié l'engagement des gouvernements successifs à révoquer la citoyenneté de cet homme et à l'expulser du Canada, même si les efforts déployés n'ont pas été couronnés de succès jusqu'ici, y compris l'initiative la plus récente du présent gouvernement auprès de la Cour suprême. Bien que cette mesure ait également échoué, nous espérons que le ministre poursuivra ses efforts pour que justice soit faite après tout ce temps.

Pour ce qui est de la révocation de la citoyenneté en général, le CIJA avait exprimé son appui aux dispositions du projet de loi C-24 traitant de la révocation de la citoyenneté de ceux qui se sont rendus coupables de certaines infractions, comme le terrorisme. Nous l'avons fait parce que nous croyons que, dans le cas de certains crimes particulièrement graves, l'auteur est coupable d'une trahison fondamentale des valeurs de base de la citoyenneté canadienne, en sus du crime pour lequel il a été condamné. Notre soutien de ces dispositions reflète notre désir de combattre non seulement le crime commis, mais aussi l'infraction commise contre le Canada et l'identité canadienne. C'est pour cette raison que nous avons préconisé d'étendre aussi les dispositions de révocation à ceux qui sont condamnés pour crimes de guerre, crimes contre l'humanité et génocide.

Le gouvernement a adopté une position différente à cet égard. Nous respectons le mandat qu'il a reçu pour le faire et les arguments selon lesquels la loi ne devrait pas faire de distinction entre les Canadiens ayant une double nationalité et les autres. Toutefois, nous encourageons les membres du comité à réfléchir à la gravité de l'infraction commise par des Canadiens qui se rendent coupables de ces crimes haineux envers l'institution même de la citoyenneté et à penser à la façon dont notre société peut le mieux répondre à cette attaque contre nos valeurs et notre identité.

Le président : Membres du comité, je dois préciser une chose avant d'entreprendre ce tour de questions. Comme l'un des témoins comparaît par vidéoconférence, il est essentiel de dire clairement à qui vous adressez votre question. Si vous voulez que les deux témoins répondent, je vous prie de préciser qui doit le faire en premier puisque la personne avec qui nous sommes en vidéoconférence ne peut pas voir ce qui se passe dans la salle. Veuillez donc indiquer à qui vous adressez votre question, même si les deux témoins ont la possibilité de répondre. Je voudrais également vous rappeler de vous limiter à une seule question par tour.

La sénatrice Omidvar : Ma question s'adresse à Me Macklin. Vous avez beaucoup écrit au sujet de la citoyenneté. Au cours du débat de deuxième lecture que nous avons eu au Sénat, nous avons essayé de déterminer si la citoyenneté est un droit ou un privilège. Pouvez-vous nous en dire davantage sur les conséquences juridiques de ces différents concepts de la citoyenneté?

Mme Macklin : Beaucoup de gens disent que la citoyenneté est un privilège plutôt qu'un droit. À mon avis, les gens entendent par là qu'ils se sentent privilégiés d'être citoyens canadiens. Ils trouvent qu'ils ont de la chance d'être nés ici ou d'avoir été naturalisés. Ils témoignent donc de leur reconnaissance en faisant différentes choses destinées à montrer leur engagement à titre de citoyens. Cela est très louable, mais en droit, un privilège, c'est vraiment autre chose.

En droit, un privilège est l'octroi d'un avantage discrétionnaire à une personne. Le privilège appartient non à la personne qui le détient, mais à l'autorité qui le confère. De ce fait, il peut être retiré. Lorsque nous disons que la citoyenneté est un privilège et non un droit, nous entendons par là qu'elle appartient au gouvernement, et que celui-ci peut octroyer et retirer la citoyenneté à son gré. Je ne suis pas sûre que nous soyons disposés à accepter ce concept.

En droit, la citoyenneté est un droit. Une fois qu'on l'a obtenu, on le garde. Il est important de ne pas laisser le sens théorique ou populaire de « privilège » obscurcir son sens juridique. Bref, légalement parlant, la citoyenneté est un droit et non un privilège.

La sénatrice Omidvar : J'aimerais juste avoir une petite précision. Avons-nous jamais révoqué la citoyenneté de Canadiens de naissance?

Mme Macklin : Je ne sais pas vraiment si nous l'avons jamais fait, mais nous avons révoqué la citoyenneté de Canadiens naturalisés.

Je suis sûre que mon collègue du CIJA sait que le dernier cas de révocation de la citoyenneté pour trahison concernait un juif canadien, Fred Rose, qui avait été accusé à l'époque d'avoir trahi ce qu'on appelait les valeurs de base du Canada. Il était communiste et avait été condamné pour conspiration visant à divulguer des secrets à l'Union soviétique. Il n'avait pas effectivement divulgué des secrets, mais il a été condamné pour avoir conspiré dans le but de le faire. Sa citoyenneté avait été révoquée. C'est le gouvernement conservateur du premier ministre John Diefenbaker qui avait introduit en 1958 ce qu'on avait alors appelé « l'amendement Fred Rose » afin que cela ne se reproduise plus jamais.

Le président : Monsieur Shack, avez-vous quelque chose à ajouter?

M. Shack : Au sujet de la question de savoir si la citoyenneté est un droit, Me Macklin a cité l'affaire Sauvé, qui était justement axée sur le droit de vote : ce droit peut-il être retiré aux personnes incarcérées dans les prisons canadiennes pour purger une peine de plus de deux ans? Bien sûr, le droit de vote est explicitement inscrit dans la Charte. À ma connaissance, ce n'est pas le cas du droit à la citoyenneté.

Nous devons être prudents lorsque nous parlons du droit à la citoyenneté canadienne afin de ne pas le confondre avec quelques-uns des autres droits qui sont clairement inscrits dans la Charte et de comprendre qu'il peut en fait être révoqué. Comme en témoigne le cas des gens qui ont fait de fausses déclarations dans leur demande de citoyenneté, je ne crois pas que ce soit là un exemple controversé. Nous pouvons tous convenir que ce droit peut être retiré s'il existait au départ.

La sénatrice Frum : Maître Macklin, vous avez dit en substance que le Canada, comme d'autres démocraties occidentales, croit au principe de l'égalité. C'était dans le contexte de la révocation de la citoyenneté et de ce que vous considérez comme deux catégories différentes de citoyens.

Bien qu'il soit vrai que le Canada croit au principe de l'égalité, comme les autres démocraties occidentales, il y a 22 autres démocraties occidentales qui ont actuellement des lois permettant la révocation de la citoyenneté en cas de terrorisme. En fait, le Canada fait actuellement partie de ces pays occidentaux. Toutefois, si le projet de loi C-6 est adopté, nous nous dissocierons de ces 22 autres démocraties occidentales, qui comprennent la Grande-Bretagne, la Suisse et la Nouvelle-Zélande.

Je veux juste préciser. Vous avez dit que, dans ces cas, nous renverrions ces personnes dans d'autres pays. Ce n'est pas exact. Nous leur enlèverions leur seconde citoyenneté qu'ils ont obtenue frauduleusement en faisant de fausses déclarations, et nous les rétablirions dans leur première citoyenneté qu'ils avaient à l'origine. Il ne s'agit donc pas d'expulser des gens arbitrairement pour les envoyer dans un autre pays. Dans le cas des personnes condamnées pour activités terroristes qui ont une double nationalité, nous leur retirerions simplement leur citoyenneté canadienne en leur laissant leur citoyenneté d'origine. N'est-ce pas exact? N'est-ce pas ce que dit la loi dans sa forme actuelle?

Mme Macklin : En ce qui concerne les 22 autres pays, la plupart n'ont pas une charte des droits bien établie, de sorte qu'ils se distinguent du Canada à cet égard. Les États-Unis, qui n'ont pas une charte des droits, ont renoncé dans une grande mesure à la révocation de la citoyenneté.

Je dirais qu'après les attentats de septembre 2001, le Royaume-Uni est le seul pays qui ait beaucoup recouru à la révocation de la citoyenneté pour terrorisme. Le Royaume-Uni se distingue fortement, mais il n'y a pas de doute qu'il a recouru assez souvent à la révocation.

Quant à votre question concernant le renvoi pour terrorisme, permettez-moi de vous dire ceci si vous croyez que c'est une si bonne idée. Prenons le Canada et le Royaume-Uni. Les deux pays peuvent recourir à la révocation de la citoyenneté si un citoyen se rend coupable d'actes terroristes. Si nous pensons que c'est une bonne idée, pensons à une personne qui aurait la double nationalité canadienne-britannique. Imaginons que cette personne est condamnée pour avoir commis un acte terroriste au Canada. Qu'arrive-t-il alors? Je dirais qu'il y aurait une course contre la montre entre les deux pays pour voir lequel des deux révoquerait sa citoyenneté en premier. Si c'est le Royaume-Uni qui gagne, le Canada serait obligé de garder la personne. Si c'est le Canada qui arrive en premier, c'est le Royaume-Uni qui serait pris. Est-ce que cela vous semble rationnel comme moyen de combattre le terrorisme? C'est juste une espèce de course bizarre entre États qui veulent se débarrasser d'un indésirable.

Comme stratégie de réaction à une sérieuse préoccupation relative au terrorisme mondial, cela revient finalement à se renvoyer la balle. Pour moi, ce n'est ni rationnel ni éthique. De plus, cela ne permet en aucune façon de réduire l'incidence du terrorisme.

M. Shack : Il s'agit là d'un exemple précis de deux pays ayant les mêmes lois qui chercheraient à les appliquer simultanément, mais cela ne nie pas nécessairement la valeur du principe général. Je crois qu'il y a de bonnes raisons de réfléchir soigneusement à la question de savoir si c'est un moyen approprié de punir l'affront à la citoyenneté et à l'identité canadienne qui est inhérent à certains de ces crimes haineux que des gens commettent et pour lesquels ils sont condamnés.

Le sénateur Eggleton : Maître Macklin, je vous remercie pour ces observations aussi concises que convaincantes. Je vais cependant poser ma question à M. Shack.

Vous avez dit dans votre exposé que le CIJA avait appuyé les dispositions du projet de loi C-24 concernant la révocation de la citoyenneté des Canadiens ayant une double nationalité. Vous avez également dit que vous appuyez la rationalisation du processus qui avait alors été établi. Voulez-vous dire par là que vous n'êtes pas en faveur d'un mécanisme d'appel qui permettrait aux intéressés de demander une audience? C'est le résultat du processus de rationalisation. Il enlève aux gens certains droits.

Vous avez ensuite dit que vous avez adopté cette position parce que vous croyez que, dans le cas de certains crimes particulièrement graves, l'auteur est coupable, en sus du crime pour lequel il a été condamné, d'une trahison fondamentale des valeurs de base sur lesquelles se fonde la citoyenneté canadienne. Mon Dieu, cela pourrait s'appliquer à beaucoup de gens au Canada. Cela pourrait s'appliquer par exemple à quiconque commet un meurtre. Il n'y a pas de doute qu'un meurtrier en série comme Robert Pickton serait inclus.

Je ne comprends pas comment vous trouvez rationnel de priver des gens de certains droits, comme le droit à une audience ou à un appel. Je ne sais pas où vous tirez la ligne entre ceux que vous considérez comme des terroristes et des personnes qui ont commis d'autres crimes odieux.

M. Shack : En ce qui concerne votre première question — les fausses déclarations et la rationalisation du processus —, la question s'était posée au cours des audiences de la Chambre. Nous avions dit que nous étions favorables à l'ajout d'un élément supplémentaire, qu'il s'agisse d'une audience d'appel ou d'une comparution en personne devant les responsables, pourvu que soit maintenu le principe de base de notre position, c'est-à-dire que le processus n'enclenchera pas une démarche de révocation pouvant durer 20 ans. C'est la base de notre position.

S'il y a un problème et que quelqu'un a besoin d'un recours lui permettant de donner d'autres précisions sur ses circonstances ou d'expliquer que c'est accidentellement qu'il a donné de faux renseignements sur son pays d'origine, par exemple, il devrait avoir la possibilité de présenter ses arguments. Toutefois, l'affaire ne devrait pas traîner pendant 20 ans.

Nous avons appuyé la rationalisation du processus. Peut-il être corrigé et devenir plus équitable sans pour autant traîner pendant 20 ans? Nous serions favorables à cela. Pour nous, le plus important, c'est le principe.

En ce qui concerne votre second point sur la distinction à faire pour pouvoir dire que certains crimes sont plus odieux que d'autres, la loi le prévoit déjà dans une certaine mesure. Je vais essayer de m'expliquer. Il y a une raison pour laquelle le terrorisme et le génocide constituent des infractions particulières, par opposition au meurtre. Toutes ces infractions aboutissent au même résultat : des gens sont délibérément tués dans des circonstances tragiques, mais il y a un certain élément, qu'il s'agisse d'une motivation politique ou d'une qualité particulière du crime perpétré, qui fait que l'infraction est suffisamment odieuse pour être considérée distinctement dans notre système. Nous estimons que cette approche est sensée. Nous conviendrons tous que les activités terroristes, les crimes de guerre, les crimes contre l'humanité, le génocide et les choses de même nature se distinguent du meurtre, même si le résultat final n'est pas moins tragique. Le meurtre d'une seule personne n'est pas moins tragique que de multiples assassinats.

Je ne suis pas avocat criminaliste, mais si le meurtre en série était un crime spécifique pour lequel on pourrait être condamné, comme dans le cas de Robert Pickton, j'imagine qu'il pourrait aussi faire partie de cette catégorie. Je parle ici de crimes qualitativement différents... Je déteste l'expression « crime ordinaire », mais je crois que vous comprenez ce que je veux dire.

Mme Macklin : J'ai mentionné tout à l'heure le cas de Fred Rose, dont la citoyenneté avait été révoquée, parce que je veux rappeler que chaque génération forme son propre point de vue sur ce que sont les crimes les plus haineux. Nous devons être conscients du fait que ce point de vue change avec le temps. Chaque génération croit qu'elle connaît vraiment les pires crimes qui méritent une punition distincte. Il vaut la peine de réfléchir à la question de savoir si Fred Rose méritait d'être exilé parce qu'il était un conspirateur communiste.

Quant à la question de la punition, il est évident que différents crimes méritent d'être nommés et punis différemment. Il ne faut cependant pas perdre de vue que la punition est la responsabilité des juges et non celle d'un ministre. En fait, du point de vue constitutionnel, il est interdit à la branche exécutive du gouvernement d'intervenir à cet égard. Le ministre de la Justice n'a pas à décider de la peine à infliger à quelqu'un. Et le ministre de l'Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté n'a pas à décider s'il convient ou non de punir quelqu'un en révoquant sa citoyenneté. La punition est laissée aux juges. Elle ne relève pas des ministres.

La sénatrice Jaffer : Je vous remercie tous les deux de vos exposés. Ma question s'adresse à Me Macklin.

Aux étapes de la première et de la deuxième lecture, au Sénat, nous avons beaucoup discuté de la double nationalité. Nous avions dit qu'un enfant pouvait être né au Canada, comme l'un des membres du groupe des 18 de Toronto, dont la citoyenneté pourrait être révoquée. Toutefois, parce que ses parents venaient de l'Iran ou du Pakistan, ils étaient tous ressortissants iraniens ou pakistanais. C'était un exemple.

J'ai cru comprendre que dans le cas du groupe des 18 de Toronto, ces gens n'avaient pas choisi d'être citoyens pakistanais, mais, étant nés au Pakistan, ils auront toujours la citoyenneté pakistanaise. Cela peut donner lieu à une situation où on croit qu'on est citoyen canadien parce qu'on n'a connu aucun autre pays. Tout à coup, à cause des lois régissant la double nationalité et quelque chose qu'on a fait au Canada — le Canada étant le pays où on est né et où on a fait ses études, et étant le seul pays qu'on connaisse —, voilà qu'on peut être renvoyé dans un pays dont on ne connaît rien.

Dans votre étude intitulée « Citizenship Revocation, the Privilege to Have Rights and the Production of the Alien », vous dites que « ceux qui commettent des infractions graves ne sont plus considérés comme des membres de la communauté, mais... sont plutôt temporairement bannis de notre système de droits et de démocratie ». Pouvez-vous nous en dire davantage à ce sujet?

Mme Macklin : Je voudrais commencer par vous rappeler ce qui, dans le passé, constituait un cas type de révocation de la citoyenneté et de bannissement. C'était la trahison : une personne agissait d'une manière déloyale envers son pays de citoyenneté et faisait plutôt preuve de son allégeance à une puissance étrangère. L'idée de retirer la citoyenneté et de renvoyer la personne dans le pays étranger témoignait d'une certaine logique. Je ne la défends pas, mais le principe était de renvoyer la personne dans le pays auquel elle avait donné sa loyauté.

La façon dont nous considérons le terrorisme est différente. Pour nous, le terroriste n'est loyal envers aucun pays. En fait, il ne serait pas particulièrement rationnel de dire qu'une personne condamnée pour une infraction relevant de la sécurité nationale appartient davantage à un autre pays dont elle a acquis la citoyenneté par ses parents et qu'elle n'a jamais vu plutôt qu'au pays où elle est née et a été élevée et dont elle a acquis la culture. Cette personne peut être un bon ou un mauvais citoyen du Canada, mais elle appartient au Canada, quelle que soit la norme qu'on veuille appliquer. Aucune norme sensée ne nous permettrait de dire que cette personne appartient davantage à l'autre pays. Ai-je répondu à votre question?

La sénatrice Jaffer : Oui.

M. Shack : En réponse à votre question concernant les gens qui ne peuvent pas renoncer à une seconde citoyenneté, ce qui se produit dans le cas d'un petit nombre de pays, je dirais qu'il y a des témoignages présentés au cours des audiences concernant ce projet de loi ainsi que le projet de loi C-24, que je recommande à chacun d'examiner.

Je crois que c'était Sheryl Saperia, de la Fondation pour la défense des démocraties, qui avait proposé un principe intéressant selon lequel il fallait, pour justifier le fait qu'on ne peut pas renoncer à la citoyenneté d'un pays, démontrer l'existence d'un lien sérieux avec ce pays.

Ainsi, on peut dire d'une personne qui voyage fréquemment avec un passeport iranien ou qui réside en Iran pendant une bonne partie de l'année, qu'elle a un lien sérieux avec l'Iran. Dans ce cas, la capacité de renoncer à la citoyenneté iranienne ne serait pas vraiment applicable.

Par ailleurs, si une personne a sévèrement critiqué le régime iranien, a renoncé officieusement à sa citoyenneté ou n'a jamais mis les pieds en Iran, on pourrait dire qu'il conviendrait de prévoir des pouvoirs discrétionnaires pour traiter les cas où une telle personne a une double nationalité sans vraiment l'avoir.

Le sénateur Meredith : Je vous remercie tous les deux des exposés que vous avez présentés cet après-midi. Ma question s'adresse à M. Shack, mais j'aimerais que Me Macklin y réponde aussi.

Selon des experts canadiens en sécurité nationale, tels que Ray Boisvert et Phil Gurski, l'analyse de l'Indice du terrorisme mondial 2016 révèle que tous les cas de radicalisation survenus dans des pays occidentaux présentent le caractère commun de l'identité et de l'appartenance, aux niveaux tant communautaire qu'individuel, et suggère d'utiliser la citoyenneté comme moyen de combattre la radicalisation.

Maître Macklin et monsieur Shack, c'est ce qui se dit un peu partout concernant l'identité et les gens au Canada. Si le problème en soi réside dans l'identité et l'appartenance, en vertu de quelle logique révoque-t-on la citoyenneté sur la base de l'identité?

M. Shack : Nous ne parlons pas de lutte contre la radicalisation une fois qu'une personne a été condamnée pour activités terroristes. Cette personne a en fait commis cette infraction contre l'institution de la citoyenneté canadienne et l'identité canadienne. C'est l'anathème contre notre identité.

La semaine dernière, je comparaissais devant le Comité de la sécurité publique et nationale de la Chambre des communes pour parler de la radicalisation et de ce qu'il est possible de faire pour la combattre. La question de l'identité est importante, et cela s'applique à toutes les communautés susceptibles de radicalisation, et non à une seule.

Le sénateur Meredith : Pouvez-vous m'en dire davantage?

M. Shack : Au sujet de la lutte contre la haine? La haine est souvent le fondement du processus de radicalisation. Un projet pilote est actuellement en cours en Allemagne. Il a pour but de placer les enseignants en première ligne afin de déceler parmi les étudiants certaines attitudes telles que l'antisémitisme et la misogynie. Nous avons recommandé que cette liste soit étendue, dans le cadre des efforts anti-radicalisation du gouvernement, afin d'inclure toute forme de haine, qu'elle soit dirigée contre les Noirs canadiens, les Canadiens LGBTQ, les femmes ou tout autre groupe identifiable. C'est l'endroit où nous pouvons avoir le plus grand impact pour contrer la radicalisation avant qu'elle ne se manifeste.

En ce qui concerne les personnes condamnées pour terrorisme, je ne suis pas sûr que la révocation de la citoyenneté puisse avoir un impact évident sur la radicalisation au Canada.

Mme Macklin : Je conviens que la perspective de perdre sa citoyenneté est peu susceptible d'avoir un effet dissuasif ou autre sur des personnes mécontentes ou, si l'on veut, radicalisées.

Il est facile de prétendre qu'il y a un processus uniforme, un ensemble uniforme d'idées auxquel se conforment les gens que nous qualifions de terroristes. En fait, toutes les preuves recueillies établissent le contraire. Toutes les données que nous avons accumulées jusqu'ici, particulièrement au sujet des incidents survenus en Amérique du Nord et en Europe, aboutissent à des résultats incohérents. Le phénomène est beaucoup trop individuel. Surtout au Canada, il me semble que ce qu'on appelle la radicalisation couvre un vaste éventail allant de l'engagement délibéré aux troubles mentaux et peut même comprendre des criminels de droit commun. Peut-on être certain de n'importe quoi dans ce domaine?

J'essaie de dire que nous ne devrions pas essayer de trouver des caractéristiques homogènes parmi les gens qu'englobe cette étiquette. Par conséquent, nous ne pouvons pas supposer qu'il existe une solution uniforme quelconque, et encore moins une solution qui passe par la révocation de la citoyenneté.

La sénatrice Lankin : Maître Macklin, je dois dire que je suis tout à fait d'accord avec vous au sujet de vos dernières observations, en fonction de ce que j'ai appris comme membre du Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité. Nous ne connaissons pas grand-chose du processus de radicalisation et devons donc nous assurer d'utiliser cette étiquette à bon escient. Autrement, nous ne trouverons pas de solutions utiles. Je vous remercie donc de vos observations.

J'aimerais vous poser une question, ainsi qu'à M. Shack. Nous avons parlé de la révocation de la citoyenneté d'une personne condamnée pour terrorisme ainsi que du traitement des criminels de guerre. Maître Macklin, je vous ai bien écoutée et j'ai clairement compris que, dans le cas d'un citoyen canadien condamné pour terrorisme, vous avez parlé en particulier de la révocation fondée sur des activités postérieures à l'obtention de la citoyenneté. Vous vous fondez sur différentes dispositions de la Constitution et de la Charte concernant l'égalité et d'autres facteurs pour suggérer que la révocation serait inconstitutionnelle.

Je comprends les raisons pour lesquelles le CIJA peut nous en dire long sur les condamnations pour crimes de guerre, crimes contre l'humanité et génocide. Vous proposez que ces infractions soient ajoutées aux motifs de révocation.

Il y a un ensemble de facteurs qui jouent en cas de révocation basée sur des activités postérieures à la citoyenneté et un autre ensemble pour la révocation basée sur des activités antérieures. Il y a déjà un mécanisme de révocation fondé sur les fausses déclarations.

J'essaie de me faire une idée très claire. Lors de l'audition du groupe précédent de témoins, j'étais une peu confuse parce que nous avons commencé à parler de révocation concernant des criminels de guerre, de l'intervention du gouverneur en conseil et d'un processus différent. Tout cela reste un peu vague dans mon esprit. Je voudrais donc vous demander de m'aider à y voir clair.

Je comprends, monsieur Shack, que vous nous présentez un point de vue différent, mais ma question est la suivante : ne parlons-nous pas de deux choses différentes? Le résultat de vos arguments peut être équitable, et nous pouvons en parler, mais il y a, d'une part, le cas des activités postérieures à la citoyenneté et, de l'autre, les activités antérieures à la citoyenneté et les fausses déclarations.

Mme Macklin : Je vais commencer par établir une nette distinction entre la révocation de la citoyenneté pour fraude et fausse déclaration et la révocation pour des activités postérieures à la citoyenneté, que je désignerai par l'appellation générique de crimes contre la citoyenneté.

La révocation de la citoyenneté pour fraude ou fausse déclaration s'explique de la façon suivante : vous ne nous avez pas dit une chose qui pouvait influencer notre décision de vous accorder la citoyenneté. Si nous avions été au courant des faits à ce moment-là, nous ne vous aurions pas accordé la citoyenneté. Maintenant que nous connaissons ces faits, nous allons rétablir la situation comme si nous avions été au courant des faits à ce moment-là. Voilà pourquoi nous vous retirons votre citoyenneté. Nous ramenons la situation à ce qu'elle aurait été si les faits nous avaient été connus à l'époque.

La logique de la révocation pour activités postérieures à la citoyenneté est tout à fait différente. C'est une punition pour ce que j'ai appelé les crimes contre la citoyenneté. C'est la différence. Les deux situations ne sont pas pareilles. Elles ne peuvent pas se ramener l'une à l'autre même s'il avait été possible de mentir au sujet de son travail ou de nier avoir commis un acte terroriste, puis qu'on découvre que vous l'aviez fait avant d'arriver au Canada. Ce serait un motif suffisant pour procéder à la révocation pour fraude ou fausse déclaration. Cela n'a rien à voir avec la révocation après coup à cause d'actes commis après l'obtention de la citoyenneté. Il est vraiment important de faire la distinction entre les deux.

En ce qui concerne la procédure, je vais expliquer ce qui se fait actuellement en cas de fraude ou de fausse déclaration. Le projet de loi C-24 modifiait la loi précédente, et le projet de loi C-6 maintient cette modification. Nous passons donc à un système de procédures minimales. Le système antérieur était très lourd. Sur ce point, je suis bien d'accord avec M. Shack. La procédure était lourde et compliquée. C'était un système difficile à manier qui appartenait à une époque révolue. Il y avait de bonnes raisons de le changer.

Cela ne veut pas dire qu'il a été changé pour le mieux. En effet, il a été remplacé par un processus dans lequel le gouvernement vous envoie une lettre vous disant : « Nous envisageons de révoquer votre citoyenneté. Qu'avez-vous à dire à ce sujet? Vous avez 30 jours pour répondre. » Vous envoyez une réponse, puis une décision est prise. Vous n'avez pas du tout l'occasion de participer en personne. Il n'y a pas d'audience. Il n'y a pas de divulgation des preuves retenues contre vous, ce qui pose un problème. Ce problème existe encore dans le projet de loi l'étude. Par conséquent, c'est un processus injuste, même s'il y a de bonnes raisons de révoquer la citoyenneté. Je crois qu'il est extrêmement important que ce problème soit réglé.

Je vais vous donner un exemple particulier de défaut. Vous êtes notifié au moyen d'une lettre qui est mise à la poste. L'une des difficultés à cet égard, comme nous l'avons vu au Royaume-Uni, qui recourt fréquemment à la révocation de la citoyenneté, c'est que les intéressés se trouvent souvent à l'étranger. La lettre de notification est postée à leur dernière adresse connue en Grande-Bretagne. Bien sûr, il n'y a pas de réponse. La citoyenneté est donc révoquée. L'intéressé peut le découvrir plus tard, mais n'a pas la possibilité de rentrer au Royaume-Uni pour contester la décision. Pourquoi? Parce qu'il n'est plus citoyen et ne peut donc pas être admis dans le pays.

Il conviendrait de s'assurer qu'une personne exposée à perdre sa citoyenneté soit adéquatement avertie et ait la possibilité de présenter ses arguments. Elle ne réussira peut-être pas, mais cela n'empêche pas qu'elle a le droit de se faire entendre. C'est la raison pour laquelle il est essentiel d'avoir un processus équitable et, entre autres, une notification en personne. Je vous remercie.

M. Shack : Pour répondre à votre question, je dirais qu'il y a une distinction à faire entre la révocation pour fraude ou fausse déclaration et la révocation pour des actes commis après l'obtention de la citoyenneté.

Ce que j'ai dit n'était peut-être pas très clair. Nous avons demandé à inclure les crimes de guerre, le génocide et les crimes contre l'humanité dans les motifs de révocation, mais seulement dans le cas de ceux qui commettent ces crimes après être devenus citoyens canadiens. Nous ne parlons pas des gens qui ont menti au sujet de leurs activités passées. Cette situation est déjà couverte. Notre demande s'appliquait aux citoyens canadiens qui ont commis des crimes de ce genre pendant qu'ils étaient citoyens canadiens.

Je suis d'accord qu'il vaut la peine d'améliorer le système rationalisé qui est en place. Il n'est pas parfait, mais il vaut mieux privilégier l'efficacité. Le système doit être équitable, mais il ne serait pas tolérable de revenir à ce qui existait auparavant.

La sénatrice Raine : Merci beaucoup. J'ai trouvé intéressant d'écouter tous vos points de vue.

Je voudrais vous poser une question au sujet de la révocation de la citoyenneté en cas de condamnation pour un acte terroriste. Une fois que les lois canadiennes ont été appliquées et qu'une personne a été condamnée à une peine de prison, ne serait-il pas possible de révoquer sa citoyenneté et de la ramener à son statut antérieur de résident permanent? L'intéressé pourrait alors purger sa peine au Canada et, une fois libéré, il ne bénéficierait plus du plein privilège de la citoyenneté. Autrement dit, il ne pourrait pas voter et serait privé d'autres droits conférés par la citoyenneté, comme celui d'avoir un passeport et de l'utiliser pour se déplacer. Peut-on le faire de façon à lui permettre de présenter une nouvelle demande de citoyenneté après une certaine période? Est-ce envisageable? Je crois que beaucoup de Canadiens s'inquiètent des gens qui commettent des actes très préjudiciables contre toutes nos valeurs et semblent conserver l'honneur et le privilège d'être citoyens.

Mme Macklin : Vous proposez donc que ces gens redeviennent résidents permanents, mais le crime pour lequel ils ont été condamnés constitue aussi un motif suffisant de révocation du statut de résident permanent. En effet, on peut perdre ce statut si on se rend coupable d'une infraction grave. Il est donc difficile de savoir quel crime serait suffisant pour leur faire perdre leur citoyenneté sans qu'ils perdent en même temps leur statut de résident permanent.

Vous envisagez quand même que, d'une façon ou d'une autre, ces gens pourraient ne pas être renvoyés du Canada. L'idée est donc qu'ils resteraient dans le pays. C'est un but différent de celui que recherchent la plupart des gens en cas de révocation de la citoyenneté, c'est-à-dire l'expulsion. Votre suggestion ferait l'inverse. Vous les forceriez en fait à demeurer au Canada parce qu'ils n'auraient pas de passeport. S'ils allaient à l'étranger, ils ne seraient pas en mesure de revenir dans le pays. Vous les obligeriez à rester au Canada, tout en les privant du droit de vote.

En premier, vous leur imposeriez de rester au Canada. C'est intéressant parce que ce serait l'effet inverse de ce que vous voulez. Je ne suis pas sûre que ce soit une très bonne idée. Puisque vous envisagez en même temps de les priver du droit de vote, comme je l'ai dit, l'arrêt de la Cour suprême dans l'affaire Sauvé semble être fortement opposé à l'utilisation de cette privation comme punition d'une condamnation aux criminels. À mon avis, cela serait probablement inconstitutionnel.

M. Shack : Une fois qu'une personne est condamnée pour un acte terroriste, elle n'aurait plus la possibilité de présenter une demande de citoyenneté. Je crois que c'est une bonne chose. Je ne crois pas qu'il faille changer les choses comme dans le scénario que vous proposez.

La sénatrice Omidvar : Je voudrais parler encore de la révocation de la citoyenneté de personnes ayant la double nationalité pour trahison. Il est intéressant d'évoquer ce sujet aujourd'hui parce qu'Inderjit Singh Reyat, qui est le seul à avoir été condamné pour le plus grave attentat terroriste commis contre des Canadiens, attentat qui avait fait 329 morts lors de l'écrasement du vol 182 d'Air India, vient d'être remis en liberté après avoir passé 25 ans en prison.

Je suppose qu'il a obtenu une libération conditionnelle et qu'il sera tenu de rester chez lui. J'imagine que si nous l'avions renvoyé en Inde, il n'aurait probablement jamais été emprisonné ni réadapté, comme il semble l'avoir été.

M. Shack a parlé de l'opinion publique. D'après certains sondages, beaucoup de Canadiens appuient la révocation de la citoyenneté de ceux qui ont une double nationalité et qui se sont rendus coupables de trahison. Maître Macklin, croyez-vous que l'opinion publique constitue un but politique légitime dans ce contexte?

Mme Macklin : Je ne voudrais pas que l'opinion publique détermine d'une manière directe le contenu de nos lois. Je ne crois pas nécessairement à la gouvernance par référendum.

Toutefois, je dois vraiment revenir au point précédent : j'estime que la révocation pour des activités postérieures à l'obtention de la citoyenneté est tout simplement inconstitutionnelle. C'est illégal. Certains pourraient trouver l'idée attrayante, certains pourraient penser que c'est une bonne idée, mais je n'ai jamais entendu personne expliquer de quelle façon une telle démarche serait légale.

J'ai aussi quelque chose à dire au sujet de la réadaptation. Certains pensent qu'une fois un terroriste catégorisé comme tel, il se transforme en un genre différent d'être humain et qu'il échappe aux attentes et aspirations normales que nous avons à l'égard des gens qui ont commis des crimes, même particulièrement odieux. Autrement dit, nous écartons simplement toute possibilité de réadaptation. Une fois que nous avons étiqueté un terroriste, nous avons l'impression qu'il devient irrécupérable, qu'il n'est plus tout à fait humain, qu'il est incapable de réfléchir à sa conduite et peut-être de changer.

Pour moi, c'est comme toutes les autres personnes condamnées pour des activités criminelles. Certains ne changeront jamais, mais beaucoup sont susceptibles de réadaptation. Les choses arrivent. Il n'y a aucune raison de penser qu'avec l'étiquette de terroriste, une personne cesse d'être un être humain complexe comme nous tous et comme les gens condamnés pour des infractions criminelles, et n'est plus susceptible de réagir aux effets potentiellement positifs de la réadaptation.

M. Shack : Je noterais juste que le terroriste particulier que vous avez mentionné n'a manifesté aucun repentir et continue à garder pour lui des preuves essentielles concernant les autres personnes qui ont participé à l'attentat. Je crois que c'est un facteur à considérer.

Pour ce qui est de la période qu'il a passée en prison, rien ne permet de penser que la révocation et le renvoi peuvent avoir lieu avant que la personne ait purgé sa peine pour le crime qu'elle a commis au Canada. Je ne crois pas que nous ayons à nous soucier de cela.

En ce qui concerne l'opinion publique, je pensais en particulier à certains sondages que nous avons réalisés au sujet des attitudes envers l'ensemble des juifs qui font partie de la société canadienne. Nous avons quelques données qui permettent de comparer les Canadiens de première génération aux autres Canadiens. Je parlais de cela dans le contexte des exigences relatives à la période de résidence, à la langue et à la connaissance du Canada, dans la mesure où ces exigences peuvent constituer des moyens utiles de changer certaines choses que nous avons découvertes.

Cela dit, pour revenir à l'opinion publique, le présent gouvernement a été élu sur la base d'une plate-forme comprenant la modification de ces dispositions. La population lui a donc donné un mandat pour présenter ces propositions, ce que nous respectons. Il est important de reconnaître que c'est un important principe : la citoyenneté devrait être révoquée dans le contexte de ces crimes particuliers pour beaucoup de gens dans le pays. Je ne crois pas que ce soit sans importance.

Quant à la viabilité légale de ce principe, une fois inscrit dans la loi, je ne suis pas nécessairement convaincu du fait qu'une disposition uniquement applicable aux citoyens ayant la double nationalité constitue intrinsèquement une violation de l'article 15 ou soit nécessairement discriminatoire. Il n'y a là rien qui vise une catégorie particulière de citoyens. La disposition cible tous les citoyens condamnés pour certains crimes. Toutefois, comme nous sommes signataires de la Convention sur l'apatridie, la disposition ne peut pas s'appliquer aux Canadiens qui n'ont pas une autre nationalité.

Les distinctions ne sont pas toutes nécessairement discriminatoires. La raison de la distinction, dans ce cas, est importante. Comme la Convention sur l'apatridie est universellement et uniformément appliquée à tout le monde, l'autre loi ne peut pas s'appliquer de la même façon. C'est un peu plus compliqué que de dire simplement : « Cela s'applique uniquement aux personnes à double nationalité. » Ce n'est pas le cas. L'intention de la disposition vise tous les Canadiens. Il y a une autre loi qui empêche la disposition d'être appliquée de cette façon, plutôt que de viser justement les personnes à double nationalité.

La sénatrice Frum : Ma question s'adresse à M. Shack. Je tiens à dire que j'espère qu'aucun proche des 329 victimes de l'écrasement du vol d'Air India ne suit nos délibérations et n'a entendu dire que M. Reyat n'est qu'une personne complexe. Il est scandaleux de dire cela d'un homme qui a assassiné 329 personnes. Les terroristes sont souvent des gens compliqués.

Le président : Sénatrice Frum.

La sénatrice Frum : Ma question à M. Shack est la suivante. Nous nous attendons à ce que des amendements soient proposés au projet de loi C-6 pour ajouter un processus d'appel contre la révocation de la citoyenneté en cas de fausse déclaration. Nous avons exprimé nos préoccupations, mais vous avez dit qu'il y a un moyen d'arranger les choses. Avez-vous une proposition précise à nous présenter au sujet de ce que vous voudriez voir dans un tel amendement ou des aspects qui vous préoccupent relativement aux cas très graves que vous avez mentionnés?

M. Shack : Je m'inquiéterais d'un processus susceptible de se prolonger à l'infini comme dans le cas du précédent. S'il est possible de permettre à quelqu'un d'avoir une audience pour présenter des arguments ou d'obtenir des renseignements supplémentaires lui permettant de préparer ses arguments dans un délai raisonnable prescrit, je trouverais cela sensé à première vue. Toutefois, nous ne pouvons pas revenir à un processus comme celui qui existait auparavant et qui pouvait traîner pendant des dizaines d'années.

La sénatrice Frum : Vous vous inquiéteriez donc d'un processus d'appel qui ne prescrirait pas un délai précis?

M. Shack : Si c'est un processus d'appel qui ne mène pas à d'innombrables autres appels, je crois que ça irait. Nous souhaitons que le processus se termine dans un délai raisonnable prescrit et ne puisse pas se prolonger à l'infini, permettant aux gens de tourner en rond et de ne jamais avoir à affronter les conséquences des fausses déclarations qu'ils ont faites.

Le président : Merci, monsieur Shack. Maître Macklin?

Mme Macklin : Un moment, je vous prie. Je regrette, mais j'ai cru comprendre que la sénatrice s'est attaquée à moi...

La sénatrice Frum : Je n'ai fait que vous citer.

Mme Macklin : ... en prétendant que j'ai qualifié M. Reyat de personne complexe. Je dois dire que c'est une fausse interprétation délibérée de ce que j'ai dit.

La sénatrice Frum : Non, nous avons un compte rendu.

Mme Macklin : Je suis ici à titre d'universitaire. Je comparais parce que j'attribue une certaine importance au processus d'élaboration des lois. Je comprends que certains veulent utiliser nos propos pour atteindre des objectifs politiques. Je ne veux pas me prêter à cela. Je crois que cela revient à manquer de respect envers ceux d'entre nous qui prennent le temps de venir parce qu'ils se soucient du droit, de la politique et de la Constitution du Canada. Je veux simplement dire, pour le cas où le compte rendu de mes propos n'est pas corrigé, que je n'accepte pas cette interprétation de ce que j'ai dit. Je tiens à ce que cela figure dans le compte rendu. Je vous remercie.

Le président : Merci, maître Macklin. Cela figure au compte rendu, comme tout le reste de la réunion d'aujourd'hui.

Cela dit, je voudrais, une fois de plus, remercier mes collègues pour les questions qu'ils ont posées. Je crois que nous avons eu une très importante discussion cet après-midi. Je tiens à remercier nos deux témoins qui se sont montrés pleinement disposés à répondre à toutes les questions et à donner des précisions sur les points soulevés. Cela met fin à la réunion.

(La séance est levée.)

Haut de page