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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie

Fascicule no 33 - Témoignages du 6 décembre 2017


OTTAWA, le mercredi 6 décembre 2017

Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd’hui, à 16 h 15, afin de poursuivre son étude du projet de loi C-36, Loi modifiant la Loi sur la statistique.

Le sénateur Art Eggleton (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Bienvenue au Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie.

[Traduction]

Je m’appelle Art Eggleton. Je suis un sénateur de Toronto et président du comité. Je vais demander aux autres membres du comité de se présenter, en commençant par la sénatrice assise à ma gauche.

[Français]

La sénatrice Petitclerc : Chantal Petitclerc, du Québec.

[Traduction]

La sénatrice Cordy : Jane Cordy, de la Nouvelle-Écosse.

Le sénateur Dean : Tony Dean, de l’Ontario.

La sénatrice Bernard : Wanda Thomas Bernard, de la Nouvelle-Écosse.

Le sénateur Manning : Fabian Manning, de Terre-Neuve-et-Labrador.

[Français]

La sénatrice Mégie : Marie-Françoise Mégie, du Québec.

[Traduction]

La sénatrice Raine : Nancy Greene Raine, de la Colombie-Britannique

La sénatrice Seidman : Judith Seidman, de Montréal, au Québec.

La sénatrice Frum : Linda Frum, de l’Ontario.

Le président : Je vous remercie.

Nous nous penchons aujourd’hui sur le projet de loi C-36, Loi modifiant la Loi sur la statistique. C’est la troisième séance que nous y consacrons. Nous accueillons aujourd’hui deux groupes de témoins. Nous allons auditionner le premier groupe pendant une heure, ce qui nous amènera à 17 h 15.

J’ai le plaisir d’accueillir Ian McKinnon, président du Conseil national de la statistique, organisme dont nous avons beaucoup parlé dans le cadre de notre examen de ce projet de loi. Nous accueillons également Mel Cappe, professeur à l’École de politiques publiques et de gouvernance de l’Université de Toronto. Cet ancien greffier du Conseil privé du Canada a occupé de nombreux autres postes au sein de la fonction publique. Messieurs, soyez les bienvenus devant le comité. Monsieur McKinnon, auriez-vous l’obligeance de commencer?

Ian McKinnon, président, Conseil national de la statistique : Merci, monsieur le président. Je tiens d’abord à remercier le comité de m’avoir invité à comparaître devant lui pour livrer quelques commentaires sur le projet de loi C-36.

Depuis sa création il y a 30 ans, le Conseil national de la statistique, qui a pour rôle de conseiller le statisticien en chef, s’est toujours attaché à promouvoir un système statistique national qui procure, à un éventail aussi large que possible d’utilisateurs, des données et des analyses pertinentes, exactes, ponctuelles et accessibles.

La question de la pertinence revêt une importance particulière et a d’ailleurs été l’un des thèmes sous-jacents de certains des échanges qui ont eu lieu au cours des séances précédentes de votre comité.

La pertinence implique que l’on comprenne les besoins que les Canadiens des diverses régions du pays éprouvent en matière d’information, qu’ils soient décisionnaires, prestataires de services, ONG, petites ou grandes entreprises, communautés d’intérêts, chercheurs ou particuliers.

Le Conseil national de la statistique constate avec satisfaction que l’on entend, dans le cadre de ce projet de loi C-36, renforcer l’indépendance de Statistique Canada sur le plan professionnel, et apporter certains changements au poste de statisticien en chef.

Ce sont là des choses essentielles si l’on veut disposer d’un système statistique rigoureux. Nous sommes notamment favorables aux changements visant à assurer que l’autorité du statisticien en chef en matière de programmes statistiques est exercée « […] uniquement en fonction des normes statistiques professionnelles […] ».

Notre régime parlementaire, basé sur celui de Westminster, confère le pouvoir suprême au Parlement et au Cabinet, et la loi prévoit explicitement que le Cabinet ou le ministre peut émettre des instructions au sujet des opérations et des programmes statistiques de Statistique Canada. La loi assure en outre une meilleure transparence en exigeant que de telles instructions soient déposées devant la Chambre des communes, soit directement, soit à la demande du statisticien en chef.

Au cours des ans, le conseil s’est toujours montré favorable à la transparence du processus de nomination du statisticien en chef, question dont on a d’ailleurs beaucoup discuté au cours des séances précédentes.

Les dispositions du projet de loi sont également en harmonie avec les déclarations faites par le conseil lors des débats sur le recensement à formulaire détaillé. Nous recommandions, en effet, la suppression de la peine d’emprisonnement qui sanctionnait le fait de ne pas remplir ce formulaire.

Je voudrais, enfin, vous entretenir du nouveau Conseil consultatif canadien de la statistique, et de l’évolution des instances consultatives au sein même de Statistique Canada.

Je tiens à remercier Ivan Fellegi et Wayne Smith des propos aimables qu’ils ont, la semaine dernière lors de leur témoignage devant le comité, tenus au sujet du travail accompli depuis des années par le Conseil national de la statistique.

Si je suis un peu triste à l’idée de voir disparaître le CNS, car c’est bien ce que prévoit ce projet de loi, nous avons constaté, au fil des ans, un élargissement et un approfondissement des efforts de consultation au sein de Statistique Canada, ainsi qu’une augmentation du nombre et du professionnalisme de ses comités techniques consultatifs.

Le surcroît d’indépendance que le projet de loi C-36 assure à Statistique Canada et au statisticien en chef veut également dire qu’il sera désormais encore plus important de disposer d’un conseil dont les responsabilités sont officialisées et qui est en mesure de donner des conseils sur un plus grand nombre de questions stratégiques.

Je constate avec une satisfaction particulière que le nouveau conseil consultatif sera chargé de rendre public un rapport annuel sur l’état du système statistique national. Ce sera l’occasion d’évoquer certaines questions et de discuter des besoins en matière de données et de renseignements au-delà de ce qu’exigent les missions et besoins opérationnels du gouvernement fédéral et de Statistique Canada.

À cette époque de « big data », ou données massives, avancée technique qui permet de plus en plus de relier entre eux les dossiers administratifs et les fichiers de données, nous avons non seulement l’occasion, mais un besoin croissant d’assurer l’anonymat et la confidentialité des données.

Prenons, par exemple, les moyens que cela nous donne de mieux comprendre les besoins des populations marginalisées, et d’adapter en conséquence les services qui leur sont assurés. Les données recueillies dans le cadre de recensements et d’enquêtes, ou tirées des dossiers des établissements scolaires, des services sociaux ou du secteur de la santé, nous permettent de mieux comprendre en quoi consisteraient les pratiques exemplaires, de suivre de plus près les progrès effectués et de renforcer l’efficacité de nos politiques publiques.

Or, tout cela ne concerne pas seulement les conseils qui peuvent être fournis à Statistique Canada au sujet de ses opérations, mais intéresse l’ensemble de nos besoins nationaux en matière de statistiques et de systèmes.

Le nouveau conseil consultatif est appelé à se pencher sur ces grandes questions. Il pourra en outre se prononcer sur des questions touchant le développement et l’analyse des données statistiques qui intéressent l’ensemble du gouvernement. C’est peut-être, encore une fois, un moyen d’envisager plus largement les besoins et questions qui surviennent, et de ne pas s’en tenir uniquement aux besoins opérationnels de Statistique Canada.

Plusieurs membres de votre comité ont soulevé la question du caractère représentatif d’un comité qui, outre le statisticien en chef, ne comprend que 10 membres. Nous n’en avons pas longuement discuté au sein du conseil, et je ne peux vous faire part à cet égard que de mon point de vue personnel.

Selon moi, donc, la configuration du nouveau conseil, et notamment sa taille, doit dépendre du rôle qui lui est assigné. Je suis fermement convaincu qu’à un conseil constitué de personnes dont le vécu ne dépasse que rarement le triangle Ottawa-Montréal-Toronto, il manquerait la nécessaire palette de points de vue et de connaissances.

En revanche, dans la mesure où ce nouveau conseil est appelé à jouer un rôle stratégique au niveau de l’évaluation de notre système national statistique, et des conseils qu’il est appelé à fournir à cet égard, ses membres doivent être particulièrement conscients de cet objectif essentiel, et c’est sur lui qu’ils doivent concentrer le gros de leur attention.

Par le passé, lorsque le statisticien en chef sollicitait les conseils du CNS sur les diverses questions que continuera à se poser le nouveau conseil, il était fréquent que le CNS forme des groupes de travail constitués de seulement quelques membres ayant une expérience plus étendue que celle que permettent d’acquérir les seuls travaux de recherche, et avant de prodiguer leurs conseils au statisticien en chef, ces groupes de travail procédaient à une analyse approfondie de la question.

On comprend ainsi combien il est important pour Statistique Canada d’étayer ses mécanismes de consultation. Le système tout entier s’en trouvera renforcé si Statistique Canada acquiert une meilleure compréhension des besoins de l’ensemble des utilisateurs de données statistiques ainsi que des personnes pouvant être affectées par les données recueillies.

Je tiens à dire, pour terminer, que nous voyons d’un très bon œil tout ce qui pourrait renforcer l’indépendance professionnelle de l’organisation, et nous anticipons que les changements actuellement envisagés ne feront qu’améliorer le système statistique du Canada. Je vous remercie.

Le président : Je vous remercie, monsieur McKinnon, tant pour votre exposé que pour les services que vous avez rendus au sein du Conseil national de la statistique.

[Français]

Mel Cappe, professeur à l’École de politiques publiques et de gouvernance de l’Université de Toronto, ancien greffier du Conseil privé, à titre personnel : J’ai témoigné devant l’un des comités de la Chambre des communes, le 6 avril 2017, dans le cadre de l’étude du projet de loi C-36. Avant cette date, la dernière fois que j’avais témoigné devant un comité parlementaire remontait au 27 août 2010, et c’était au sujet de l’abolition du questionnaire détaillé du recensement.

Je vais poursuivre en anglais, mais je suis prêt à réponde à vos questions en français ou en anglais.

[Traduction]

Je tiens d’abord à dire que si j’ai effectivement été greffier du Conseil privé dans le gouvernement Chrétien, j’ai été nommé à mon premier poste de sous-ministre par Brian Mulroney, et j’ai terminé ma carrière sous le gouvernement Harper. Je pense n’être animé d’aucun esprit partisan. La partisanerie n’a d’ailleurs pas sa place dans le domaine des statistiques. Je n’en relève d’ailleurs aucun signe au sein de votre comité, mais je ne saurais en dire autant de la Chambre en 2010.

Je voudrais, essentiellement, insister sur trois choses.

La première est que la statistique est un bien public, un bien collectif. Il s’agit là d’un terme technique dont on se sert en économie, mais il est employé par tout un éventail de personnes au contact de la vie quotidienne, des particuliers, des banques, des organismes caritatifs et des responsables de la santé publique. Il en coûte moins à l’État de recueillir et d’analyser des statistiques qu’il n’en coûterait aux diverses parties intéressées si elles devaient le faire elles-mêmes. Cela veut dire qu’il s’agit effectivement, d’un bien public.

La seconde chose est que la Loi sur la statistique devrait, dans la mesure du possible, éviter les mesures de contrainte. Permettez-moi de rectifier un peu. Je sais que j’ai parlé d’éviter la contrainte, mais je devrais plutôt dire de l’optimiser, car comme vous le verrez dans quelques instants, il convient de minimiser, dans toute la mesure du possible, l’intrusion dans la vie privée et de maximiser la confidentialité des données.

En 2010, j’ai proposé que l’on supprime les peines d’emprisonnement. Il conviendrait de revoir le questionnaire et de minimiser le caractère intrusif de certaines questions. J’ajouterais que, comme l’a dit le Conseil national de la statistique, on pourrait en même temps renforcer les sanctions applicables à la divulgation de données privées.

C’est dans ce sens-là que je voudrais parler d’optimisation et non de minimisation. Minimiser l’intrusion et la coercition, certes, mais ceux qui divulguent des renseignements confidentiels devraient, d’après moi, s’exposer à de très fortes amendes. C’est en cela que je pourrais parler d’optimisation.

Mon dernier point concerne une amélioration de la gouvernance de Statistique Canada. Le principe suprême est la sauvegarde de l’intégrité de l’organisme statistique. Le public et les utilisateurs de statistiques doivent être assurés que la collecte et l’analyse des données ne subissent pas d’ingérence ou d’opposition politiques. Les événements observés en 2010 ont élevé des doutes à l’égard de cette question plus large et, d’après moi, plus importante.

Je considère que le comité devrait prendre en compte les Principes fondamentaux de la statistique officielle entérinés par les Nations Unies. J’ai été moi-même surpris d’en apprendre l’existence, mais il en ressort qu’en matière de méthodologie, la responsabilité devrait être confiée à une personne en particulier, cette personne étant le statisticien en chef.

Plusieurs des principes adoptés en ce domaine par les Nations Unies concernent l’indépendance, l’intégrité des méthodes de collecte et d’analyse, ainsi que le rôle de la politique en ce domaine. Il serait bon que ces principes soient observés.

En 2010, j’avais dit, devant un comité de la Chambre, qu’il conviendrait peut-être de modifier la Loi sur la statistique afin de bien préciser que le statisticien en chef, qui est le haut responsable désigné dans la Loi sur la statistique et nommé par le gouverneur en conseil est, en matière de méthodologie et de questions techniques, l’unique responsable. C’est ce que le projet de loi C-36 fait effectivement, et cela me semble être une amélioration par rapport à la situation antérieure.

Cela dit, la politique a, en matière statistique, un rôle légitime à jouer. Je ne veux pas dire, bien sûr, sur le plan de la méthodologie, mais au niveau de la définition des questions sur lesquelles nous devons nous pencher. Cet aspect du problème est naturellement du domaine de la politique. Quelles sont, en effet, les grandes questions auxquelles le Canada va devoir faire face au cours des 10 prochaines années, voire au cours du prochain millénaire?

En tant que branche du gouvernement, Statistique Canada rend compte de son action devant le ministre, et il est vrai que le choix des questions figurant dans le questionnaire de recensement a effectivement un aspect politique. L’origine ethnique, par exemple, a naturellement un aspect politique. Les normes en matière d’identité sexuelle, en pleine évolution, ont en soi un caractère politique. L’influence du politique n’est donc pas nécessairement une mauvaise chose.

Cela dit, je n’ai pas le moindre doute que le statisticien en chef devrait être le seul responsable gouvernemental à se prononcer sur des questions de méthodologie et qu’il devrait à cet égard être tenu de faire publiquement valoir son point de vue à la présidence d’un comité parlementaire ou dans une autre instance publique. S’agissant de la gouvernance d’une institution importante telle que Statistique Canada, j’invite les membres du comité à éviter tout esprit de parti. J’estime pour ma part que le projet de loi C-36 répond aux objectifs qu’avaient retenus les comités précédents.

Ce que j’ai dit en 2010 et ce que j’ai dit plus tôt cette année demeure valable.

La statistique est effectivement un bien public. La collecte et l’analyse des statistiques font partie de la mission naturelle de l’État. Je souscris aux objectifs de ce projet de loi qui confirme la légitimité des fonctions de collecte et d’analyse confiées à cet organisme en charge de la statistique officielle.

S’agissant d’optimiser les mesures de coercition et de réduire les sanctions applicables en cas d’infraction aux dispositions de la loi, il serait sans doute bon de supprimer les poursuites pénales et les peines d’emprisonnement, mais si l’on veut effectivement optimiser la coercition, il nous faut néanmoins, je pense, conserver certaines sanctions.

Et enfin, les changements apportés à la gouvernance de l’agence me semblent se justifier. Il s’agit, en effet, d’instaurer, par une disposition législative, un conseil consultatif, et de préciser, dans la loi même, l’indépendance et les responsabilités du statisticien en chef en matière de méthodologie.

Il s’agit donc d’une mesure législative tout à fait indiquée qui a pour effet de moderniser la Loi sur la statistique. C’est très volontiers que je répondrai aux questions qu’on voudra me poser, même si j’imagine mal qu’il puisse y en avoir.

Le président : Je ne savais pas que l’optimisation de la coercition était une bonne chose. Ne devrait-on pas plutôt parler d’optimisation du respect des dispositions applicables?

M. Cappe : La question est de savoir comment favoriser le respect des règles, et à partir de quand il convient d’envisager des mesures de coercition.

Le président : Nous allons devoir laisser cela à l’appréciation des gens.

Je vous remercie de votre intervention, et de nous avoir fait profiter, monsieur Cappe, de l’expérience que vous avez accumulée au cours de votre carrière fédérale.

La tradition veut que, lors de l’examen d’un projet de loi, la première question soit posée par le parrain du texte, la seconde par un critique du projet de loi, suivi par les deux vice-présidents.

Je vais donc d’abord passer la parole à la marraine du projet de loi, la sénatrice Cordy.

La sénatrice Cordy : Ai-je droit de poser une question, ou deux?

Le président : Deux questions, mais, si vous le voulez bien, assez concises.

La sénatrice Cordy : Je serai concise. Je vous remercie.

Je tiens à vous remercier tous deux d’avoir répondu à notre invitation. Comme vient de le dire le président, l’expérience que vous avez acquise au cours de votre carrière dans l’administration publique nous est très utile en l’occurrence. Monsieur McKinnon, je vous remercie de tout ce que vous avez fait au sein du Conseil national de la statistique. Le ministre a lui-même évoqué le travail très utile accompli par les membres de ce conseil.

Il a été dit, tant dans la presse qu’à l’occasion de l’examen du projet de loi en deuxième lecture, qu’un amendement prévoirait éventuellement que la nomination du statisticien en chef soit soumise à l’approbation des deux Chambres du Parlement.

Lundi, au Sénat, nous avons reçu en comité plénier un candidat au poste de commissaire aux langues officielles, et vendredi, nous allons auditionner un candidat au poste de commissaire au lobbying. Ces commissaires, ainsi que les autres mandataires du Parlement, relèvent directement du Parlement et je comprends donc fort bien pourquoi ils se présentent devant les deux Chambres.

Le statisticien en chef relève, lui, directement du ministre, et non des Chambres du Parlement, et la question est donc de savoir si, avant de se présenter devant les Chambres du Parlement, le statisticien en chef devra obtenir l’autorisation de le faire. Cela vaudrait-il aussi pour les sous-ministres, et tous ceux qui relèvent directement du ministre? Pourriez-vous nous dire ce qu’il en est d’après vous?

M. Cappe : Je vais vous répondre, mais j’aimerais également connaître l’avis de M. McKinnon sur ce point.

Il est clair que Statistique Canada relève de l’exécutif. C’est bien, en effet, une agence du pouvoir exécutif et non du pouvoir législatif. Ainsi que la sénatrice Cordy l’a fait remarquer, contrairement aux mandataires du Parlement, l’agence des statistiques fait partie du gouvernement, et il existe donc un risque de politisation.

Or, j’ai déjà eu l’occasion de dire, et je l’ai redit dans le cadre de mes remarques liminaires, que la politique a un rôle à jouer lorsqu’il s’agit de décider des questions à poser, et des sujets à aborder, non pas donc de la manière dont la question est présentée, mais bien des sujets qui sont abordés. C’est l’exemple même d’une fonction exécutive, et c’est pour cela que, d’après moi, c’est au gouvernement, et non au Parlement, qu’il appartient de nommer au poste de statisticien en chef la personne la mieux apte à en exercer les fonctions.

C’est, en définitive, une question de responsabilité. Le gouvernement doit répondre de ses choix en matière de nomination. Le gouvernement doit répondre de l’action des personnes qu’il nomme à la tête de ses agences. C’est ce qui se passe effectivement lorsque le ministre comparaît devant un comité parlementaire ou devant la Chambre, en cas, Dieu nous en garde, de nomination regrettable. Il faut que chacun réponde de son action, et si le gouvernement se décharge de cette fonction sur un comité parlementaire, il n’assume pas ses responsabilités.

M. McKinnon : C’est aussi mon avis, mais pas pour la même raison.

Pour qu’un système statistique fonctionne correctement, il est essentiel que le public ait confiance en la transparence, l’équité et le caractère non partisan de ses opérations.

Je ne peux pas oublier le tollé qui a accompagné la démission de M. Munir Sheikh du poste de statisticien en chef. Si la nomination de son remplaçant avait été soumise à l’approbation du Parlement, ou de comités parlementaires et sénatoriaux, j’ai de bonnes raisons de croire que la nomination aurait suscité un âpre débat politique. Pourquoi pas, après tout, mais si ce débat devait porter atteinte à l’indépendance et au professionnalisme apparents de Statistique Canada, tout cela aurait rejailli sur nos systèmes statistiques et sur l’attitude de nombreuses personnes qui, jusque-là, étaient parfaitement disposées à remplir honnêtement le questionnaire du recensement.

Ce serait bien sûr dans le pire des cas, mais d’après moi, en exigeant que la nomination du statisticien en chef soit soumise à l’approbation du Parlement, on créerait des problèmes pour l’agence. Ce n’est pas parce qu’on risquerait de se retrouver avec une mauvaise nomination, mais parce que cela donnerait à certains l’impression d’un manque de neutralité et de professionnalisme de la part de l’agence des statistiques.

La sénatrice Cordy : Je trouve vos observations très utiles. Je vous remercie tous les deux.

Nous avons, la semaine dernière, auditionné M. Fellegi, l’ancien statisticien en chef. Il nous a dit que, d’après lui, la loi devrait prévoir un comité consultatif de trois personnes chargé d’identifier et de présenter au ministre des candidats au poste de statisticien en chef.

Je me demande donc si, d’après vous, cela serait invariablement nécessaire. La loi devrait-elle lier les ministres pour l’avenir, et prévoir que, dans tous les cas, un comité consultatif de trois personnes interviendra dans les nominations? Ou pensez-vous que la question devrait être laissée à l’appréciation du ministre. Si la législation prévoit un processus de planification de la relève, il resterait tout de même à nommer ce comité de trois personnes chargé de trouver un nouveau statisticien en chef.

M. Cappe : Monsieur le président, d’après vous, les candidats au Sénat devraient-ils être examinés au préalable par un comité de sélection? Cela pourrait éventuellement se faire, et l’actuel premier ministre a de fait procédé ainsi et cela a donné d’excellents résultats. Toutefois, ce n’est pas quelque chose qui était prévu dans la loi. Je ne pense pas qu’il serait particulièrement utile d’inscrire une telle obligation dans la loi alors qu’un premier ministre judicieux qui envisage la nomination d’un nouveau statisticien en chef, va réfléchir aux qualités que devrait posséder tout candidat à ce poste, et consulter le greffier du Conseil privé, j’imagine, et peut-être d’autres personnes encore, tels que les membres du Conseil consultatif canadien de la statistique.

M. McKinnon : Je rappelle, en abordant la question sous un angle légèrement différent, qu’on a vu un excellent exemple de cela lorsque, vers la fin des années 1960 et le début des années 1970, Statistique Canada se trouvait dans un état un peu chaotique. Un comité constitué de personnes chevronnées a, à l’issue de longues recherches, trouvé Martin Wilk, à qui l’on doit, à bien des égards, le Statistique Canada que nous connaissons aujourd’hui. Il a résolu bon nombre des problèmes dont l’institution souffrait à l’époque. C’est dire qu’un tel processus est parfois extrêmement utile.

Dans d’autres pays, on lance un appel à candidatures. C’est ce que font l’Australie et la Nouvelle-Zélande, qui ont un régime proche du nôtre. Mais, d’après moi, cela n’est pas nécessaire et risque en fait de limiter les nominations possibles dans des cas où la succession est pourtant assez évidente.

Cela dit, c’est une solution à laquelle un gouvernement ou un premier ministre devrait pouvoir recourir. La possibilité mérite d’être envisagée sérieusement.

La sénatrice Cordy : Je vous remercie.

Le président : La sénatrice Frum, critique du projet de loi.

La sénatrice Frum : Monsieur Cappe, je vais m’adresser d’abord à vous. Nous sommes tous d’accord, je pense, pour dire qu’il s’agit, par ce projet de loi, d’améliorer et d’accroître l’indépendance du statisticien en chef. Je voudrais savoir si cela sera effectivement le résultat obtenu.

J’aurais également une question concernant le changement de statut du statisticien en chef. À l’heure actuelle, le statisticien en chef est un sous-ministre relevant du ministre de l’Industrie, alors qu’aux termes du projet de loi C-36, le ou la titulaire de cette fonction devient administrateur général de Statistique Canada. Pourriez-vous nous expliquer la différence entre les deux statuts?

M. Cappe : Plusieurs organismes gouvernementaux sont dirigés par un administrateur général, alors que d’autres le sont par des sous-ministres, qui peuvent d’ailleurs porter un titre différent. C’est ainsi que Revenu Canada relève d’un commissaire du revenu, qui est sous-ministre de l’Agence du revenu du Canada, ancien ministère du Revenu national. Le titre de la fonction a évolué, mais non la nature ou la fonction de l’organisme en question. J’estime que les deux cas sont à certains égards comparables.

Selon moi, l’important en l’occurrence est la durée du mandat. Si j’ai bonne mémoire, celui-ci est de cinq ans. Cela, me semble-t-il, contribue à une indépendance qui, d’après moi, n’existait pas jusque-là. Il en va de même du gouverneur de la Banque du Canada qui occupe son poste pour un mandat de sept ans, mais qui n’est pas sous-ministre du gouvernement étant donné que la banque est un organisme entièrement indépendant. Mais ce serait une innovation supplémentaire sur le plan de la gouvernance.

La sénatrice Frum : Mais n’est-ce pas là une distinction qui ne fait aucune différence?

M. Cappe : À supposer que le gouvernement en place tente de faire pression sur le statisticien en chef, celui-ci serait en position de force pour dicter ses conditions.

La sénatrice Frum : En raison de son titre?

M. Cappe : Non, en raison de son indépendance.

La sénatrice Frum : Mais, s’ils sont si inamovibles, c’est sous réserve de révocation. C’est pour cela, et non en raison de leur titre, qui est plutôt une question d’apparat.

M. Cappe : Mais tout le monde est révocable pour motif valable, même les sous-ministres.

La sénatrice Frum : Mais n’est-ce pas justement le changement essentiel proposé par ce texte? Je m’attache à comprendre quel sera en fait l’effet du projet de loi C-36, la différence qu’il apporte. Je ne pense pas que ce soit actuellement le cas. À l’heure actuelle, en effet, le statisticien en chef est révocable au gré du ministre.

M. Cappe : C’est exact. Au gré du gouverneur en conseil, c’est-à-dire au gré du premier ministre.

La sénatrice Frum : Il serait donc maintenant assuré de demeurer en fonction sous réserve de révocation pour motif valable?

M. Cappe : C’est exact. La révocation pour motif valable fixe la barre très haute. J’ajoute que le titulaire peut d’ailleurs être reconduit dans ses fonctions.

La question de la reconduction du mandat me paraît intéressante. Si je ne m’abuse, nous n’avons jamais reconduit dans ses fonctions un gouverneur de la Banque du Canada. Ce simple fait confirme son indépendance. J’estime, en effet, que la possibilité d’être reconduit dans ses fonctions crée une certaine dépendance par rapport au gouvernement en place. Si c’est ce que vous voulez entendre, je comprends fort bien le sens de votre argument.

La sénatrice Frum : Ce n’est pas en fait à cela que je pensais, mais je suis contente que vous en parliez, car c’est un point important. Peut-être ne devrait-on pas prévoir la reconduction du mandat. Peut-être devrait-on simplement prévoir dès le départ deux mandats.

S’il s’agit d’accroître l’indépendance du statisticien en chef, je ne vois pas très bien pourquoi nous aurions besoin du projet de loi C-36. Nous venons de voir que le changement de titre n’a guère de pertinence puisque, dans les deux cas, le titulaire a le statut de sous-ministre. Son statut ne change donc pas. Selon vous, si le titulaire pouvait être reconduit dans ses fonctions, toujours sous réserve de révocation pour motif valable, la sécurité de l’emploi qu’est censée assurer la possibilité de reconduction sape en fait l’indépendance du titulaire.

M. Cappe : Ivan Fellegi, qui a été auditionné par votre comité, a occupé le poste de statisticien en chef pendant presque 20 ans. La continuité dans ce poste me paraît souhaitable.

La sénatrice Frum : Mais la possibilité de reconduction ne va-t-elle pas à l’encontre de l’indépendance?

M. Cappe : Je suis d’accord. C’est effectivement le cas. Il s’agit donc de créer le meilleur équilibre possible entre des objectifs divergents. Le texte envisagé me semble parvenir à un équilibre raisonnable. D’après moi, un mandat de sept ans serait trop long, mais un mandat de trois ans serait trop court. Un mandat de cinq ans me semble constituer un juste milieu.

La sénatrice Frum : Mais le juste milieu serait qu’il ne puisse pas être reconduit dans ses fonctions.

M. Cappe : Non. D’après moi, dans la mesure où on a nommé à ses fonctions la personne qui convient, qu’elle n’est pas en fin de carrière et que l’organisation est en pleine transformation, il pourrait être au contraire souhaitable de la reconduire dans ses fonctions. La continuité est en effet un élément important. Il y a donc un choix à faire. Mais je pense qu’il s’agit en l’occurrence d’un changement fondamental. D’après ce que je peux savoir, ce serait en effet, parmi les personnes ayant à rendre compte au sous-ministre, la seule qui soit nommée pour un mandat défini.

Le président : Monsieur McKinnon, quel est votre avis à cet égard?

La sénatrice Frum : Puis-je poser une dernière question?

Le président : Vous avez posé, me semble-t-il, l’équivalent de deux questions.

La sénatrice Frum : Mais sur un seul sujet.

Le président : Une dernière question très rapide, alors, mais je voudrais donner à M. McKinnon l’occasion de répondre.

La sénatrice Frum : Je vais donc adresser ma question à M. McKinnon, mais sur un sujet différent.

Je voudrais, en effet, aborder très rapidement cette science pure qu’est la statistique. Je crois avoir compris que vous êtes vous-même statisticien. La méthodologie relève donc de la science pure et la politique ne devrait, par conséquent, intervenir que pour orienter les travaux. Or, d’après ce que nous a dit M. Cappe, en ce qui concerne, par exemple, l’origine ethnique ou l’orientation sexuelle, le choix des questions revêt lui-même un caractère politique. Mais, le choix des questions n’est-il pas justement l’élément essentiel de la méthodologie?

M. McKinnon : Je vais vous répondre de manière un peu équivoque. Voici ma réponse : les sujets abordés dans le questionnaire ont un rapport avec la politique gouvernementale et les questions politiques au sens général du terme. Que le gouvernement cherche-t-il avant tout à apprendre au moyen d’un recensement ou autre type de sondage? Une question, à laquelle il n’existe pas nécessairement de réponse mathématique, doit néanmoins se prêter à certaines vérifications. Et il peut être préférable de poser une question sous une forme plutôt que sous une autre. La méthodologie en ce domaine consiste à mettre les questions à l’essai afin de voir si elles permettent d’obtenir des réponses précises et si elles sont facilement compréhensibles. Tout cela est effectivement une question de méthodologie.

La sénatrice Frum : D’après vous, la statistique est-elle une science objective?

M. McKinnon : La statistique l’est, effectivement. La statistique a en effet un côté purement mathématique. Les sondages sont un exercice scientifique d’évaluation et de révision en vue d’une amélioration constante des méthodes employées. Ce n’est pas cependant la même chose que la statistique envisagée sous son angle de pure abstraction mathématique.

Le président : Bon. Nous allons devoir passer à autre chose.

La sénatrice Petitclerc : Je tiens à vous remercier tous les deux des exposés que vous nous avez présentés.

Monsieur McKinnon, je voudrais obtenir de vous quelques précisions. Vous avez évoqué le nouveau conseil consultatif, nous disant que son existence est prévue dans le projet de loi. Importe-t-il qu’il soit effectivement prévu dans le texte, alors que la version antérieure de la loi n’en faisait pas mention?

Vous nous en avez parlé brièvement, mais je voudrais obtenir certaines précisions au sujet du nombre de personnes qui y siégeront. Le conseil devrait-il effectivement comprendre 10 membres? Êtes-vous sûr que ce nombre lui permettra de mener à bien sa mission?

M. McKinnon : Il y a deux aspects à la question. Je pense, effectivement, qu’il importe que le conseil soit prévu dans le projet de loi. Le Conseil national de la statistique avait pour mission de conseiller le statisticien en chef. Or, cela n’était prévu ni dans un règlement ni dans la loi. Cela veut dire que, sauf dans des cas extrêmes, nous ne nous prononcions jamais publiquement sur les questions du jour. On nous a consultés au sujet de l’élimination du questionnaire détaillé du recensement, et c’est en privé que nous avons offert à cet égard nos conseils au statisticien en chef.

Un des principaux changements prévus dans le projet de loi est qu’il y aura, chaque année, un rapport sur l’état de notre système statistique, le groupe chargé de remettre ce rapport étant prévu dans la loi même, ce qui lui confère la responsabilité et l’autorité nécessaire pour effectuer d’une année à l’autre ce travail important. C’est, d’après moi, une grande différence par rapport à ce qu’il en est actuellement.

Mais vous m’avez également posé une question au sujet du nombre de personnes impliquées. D’après mon expérience, tant dans le secteur privé que dans l’administration publique et au sein d’organisations bénévoles telles que le Conseil national de la statistique, le nombre voulu dépend de la nature du problème à traiter, c’est un premier point, et deuxièmement, cela dépend aussi des responsabilités qui vous sont confiées. Le nouveau conseil va devoir concentrer son attention sur un champ plus précis que ce n’était le cas du Conseil national de la statistique, qui regroupait des experts issus d’un large éventail de domaines. Cela étant, il n’était guère adapté à la fonction que le projet de loi C-36 envisage de confier au nouveau conseil.

Je vais à cet égard citer deux anciens statisticiens en chef. Le conseil comporte actuellement des personnes ayant toutes les qualités requises pour faire partie de ce nouveau conseil, mais cela ne vaut pas pour tous les membres de l’ancien conseil, car les deux organismes n’ont pas les mêmes fonctions.

En ce qui concerne le nombre de membres, il est clair qu’il faut disposer d’un éventail de spécialités, mais aussi, ainsi que l’a dit l’autre jour l’ancien statisticien en chef, de tout un éventail de vécus. Il faut en outre assurer la cohérence de l’action du nouvel organisme qui va, par conséquent, devoir être beaucoup plus restreint que le conseil actuel.

La sénatrice Petitclerc : Vous avez opposé la statistique pure aux considérations politiques qui peuvent intervenir. Depuis le début de notre étude de ce projet de loi — et M. Cappe souhaitera peut-être intervenir sur ce point —, nous avons beaucoup parlé d’autonomie, de transparence et d’indépendance. J’ai un peu de mal à saisir de quoi il s’agit au juste. Allons-nous obtenir les résultats voulus, et parvenir notamment à l’indépendance du statisticien en chef, compte tenu des rôles respectifs de la politique et de la science pure dans le choix des questions?

Si l’on tient compte en outre d’un certain pouvoir discrétionnaire reconnu au ministre, quelle importance le statisticien en chef attache-t-il à la pureté des statistiques? Ce projet de loi va-t-il nous permettre de faire primer son point de vue?

M. Cappe : D’après moi, le texte va beaucoup y contribuer.

On ne peut pas tout prévoir dans un texte de loi, et tout texte législatif comporte donc une certaine part de flou, qui me paraît d’ailleurs souhaitable. Le texte du projet de loi est cependant très précis quant aux questions de méthodologie qui relèvent en propre du statisticien en chef. À cet égard, la situation me paraît claire. Ainsi que je l’ai dit en réponse à une question que me posait la sénatrice Cordy, le texte place le statisticien en chef en position de force dans l’hypothèse où il ferait l’objet de pressions politiques.

Son indépendance est en effet clairement assurée.

Il ne faut pas, par contre, oublier que toute action politique comporte des conséquences, elles aussi politiques. On ne peut pas tout prévoir dans le projet de loi, mais si l’on indique clairement que la publication d’une directive émise par le ministre entraîne des conséquences politiques, ce fait même est de nature à tempérer l’exercice du pouvoir discrétionnaire du gouvernement au pouvoir.

La sénatrice Seidman : J’aurais, monsieur McKinnon, une question à vous poser.

Plusieurs témoins nous ont dit que les problèmes techniques que Statistique Canada a éprouvés avec Services partagés Canada nuisent considérablement à son indépendance.

Dans les observations que vous avez présentées devant le Comité de l’industrie de la Chambre des communes au sujet de ce projet de loi, vous avez dit qu’un groupe de travail auquel vous siégiez avait pris contact avec les anciens dirigeants des offices statistiques de Grande-Bretagne, d’Australie et de Nouvelle-Zélande, et qu’ils vous auraient fait savoir que leur indépendance dépendait en grande partie du contrôle qu’ils exercent sur leurs systèmes informatiques.

Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur ce point? Quels sont, notamment, les enseignements qu’en ont tirés d’autres pays?

M. McKinnon : Je n’ai pas d’exemple précis en tête, mais je peux vous dire que nous nous sommes entretenus en direct avec les homologues britanniques, australiens et néo-zélandais de notre statisticien en chef. Tous estimaient qu’il s’agit là de quelque chose de très important, même s’ils ne sont pas à cet égard entrés dans beaucoup de détails techniques.

Je voudrais, sur ce point, faire une distinction. Lors d’un témoignage antérieur, les représentants de Services partagés ont fait valoir leur expertise technique. Cela concernait la sécurité des données et c’est effectivement quelque chose de très important.

Mais il existe en outre, entre les deux organismes, une profonde différence de culture. À Statistique Canada, le principe de la confidentialité est bien ancré. Je ne suis pas en mesure de me prononcer sur ce qu’il en est à cet égard à Services partagés, car je crois savoir qu’ils sont hautement compétents sur le plan technique. Or, les deux cultures vont devoir avec le temps s’harmoniser. Cela dit, je ne peux pas vous parler en connaissance de cause de ce qu’il en est actuellement à Statistique Canada, et de la nature de ses rapports avec Services partagés.

La sénatrice Seidman : Y a-t-il d’autres domaines dans lesquels l’approche canadienne se différencie de celle d’autres pays?

M. McKinnon : La principale différence ne se situe pas au plan de la sécurité. Nous avons, au Canada, un système centralisé. Les États-Unis et le Royaume-Uni ont, eux, des systèmes diversifiés et segmentés, la collecte des données étant assurée par divers organismes. C’est ainsi qu’il y a, par exemple, un office des statistiques du travail, un office des statistiques agricoles, et cetera.

Or, notre système se révèle beaucoup plus efficace et, selon moi, meilleur et plus avancé. C’est, je crois, la plus grande différence par rapport à d’autres pays. Le Canada est d’ailleurs souvent cité en exemple dans le reste du monde, car on reconnaît la supériorité de son modèle organisationnel.

La sénatrice Seidman : Je suis heureuse de vous l’entendre dire.

La sénatrice Bernard : Ma première question s’inscrit dans la ligne de ce que la sénatrice Petitclerc vous a demandé au sujet du conseil et du nombre de personnes qu’il comporte.

Je songe en cela à la manière dont nous envisageons désormais l’ensemble de nos activités au regard de l’analyse comparative entre les sexes. À supposer que l’on applique une telle analyse aux travaux du conseil, quel serait, selon vous, l’impact ou l’influence des facteurs dont vous avez fait état, au plan notamment de l’éventail des connaissances et des vécus?

M. McKinnon : Vous vous apercevrez, je pense, dans le cadre du processus de nomination, qu’un grand nombre de personnes pourraient servir utilement au sein d’un conseil tel que celui envisagé dans le projet de loi.

La diversité des compétences et des personnalités dépend en effet non seulement des régions, mais également du sexe des personnes concernées. C’est un élément important de l’équation et, au sein de notre propre conseil, nous nous sommes attachés à prendre en compte les différences régionales, raciales, ethniques et linguistiques.

Mais le facteur déterminant doit, par la force des choses, être le caractère très précis et très technique des fonctions en question. Cela dit, on peut intégrer d’autres considérations afin de ne pas compter uniquement des personnes ayant tel ou tel type d’expérience ou tel ou tel type de connaissances.

La sénatrice Bernard : Cela nous ramène un peu à ce qui a été dit au sujet de l’optimisation des mesures coercitives. Les membres de certaines communautés estiment faire l’objet d’une surveillance renforcée et il se peut qu’en tant que membres de populations particulièrement vulnérables, ils choisissent de ne pas participer.

Avez-vous des idées quant aux moyens qui permettraient de collecter les données de manière moins intrusive afin, justement, de protéger les droits de ces populations vulnérables?

Le président : Vous souhaiterez peut-être intervenir tous les deux sur ce point.

M. McKinnon : C’est un sujet qui m’importe beaucoup. Certaines de nos communautés autochtones n’ont effectivement pas pris part au recensement. Il s’agit essentiellement de personnes marginalisées, de personnes sans-abri qu’il est difficile de recenser. J’estime qu’en ne les recensant pas, on leur fait du tort. Statistique Canada fait déjà un effort considérable pour les contacter. Là, le problème ne se situe pas au niveau de la coercition ou des éventuelles sanctions. Il est clair que si, le jour du recensement, vous ne pouvez pas contacter une personne sans-abri, qui dort sous les ponts de Victoria, ce n’est pas parce qu’elle refuse d’être comptée ou qu’elle craint de se voir imposer une amende.

Il serait important de recenser ces personnes et d’obtenir d’elles certains renseignements afin de mieux adapter à leurs besoins particuliers les politiques publiques. Ce sont exactement les secteurs de la population que vous venez d’évoquer. Je leur attache la plus grande importance, mais, d’après moi, l’aspect coercition, les amendes éventuelles ne nous aideront guère à recueillir auprès d’eux les renseignements voulus.

La sénatrice Bernard : Que proposez-vous alors?

M. McKinnon : Des choses très simples auxquelles nous avons déjà beaucoup recouru : en collaborant avec les défenseurs des sans-abri, avec les lieux d’hébergement et aussi en nous rendant, comme le fait Statistique Canada, dans les communautés autochtones par leur faire comprendre l’intérêt que le recensement présente pour la communauté. Une meilleure connaissance de la communauté encourage les gens à participer davantage. C’est alors que les gens prennent conscience de la situation et de l’importance que cela revêt pour la communauté qu’ils représentent ou à laquelle ils appartiennent.

M. Cappe : Je voudrais simplement ajouter que je suis d’accord avec tout ce qu’a dit M. McKinnon. Le « comment » est important. Pour certaines personnes malvoyantes, on aura sans doute besoin de quelqu’un pour faire une interview. Pour d’autres personnes malentendantes, il faudra peut-être réunir les données autrement, mais la question n’est pas de savoir s’il faut réunir les données.

La sénatrice Poirier : J’ai juste une question. Quand nous avons rencontré le ministre, il y a une semaine ou deux ou la semaine dernière, je l’ai interrogé sur la représentation au comité si on passe de 40 à 10 membres, et je lui ai demandé s’il y aurait une représentation régionale. En fait, il m’a répondu qu’il n’y aurait pas de représentation régionale, que sur les 10 membres, quatre ou cinq pourraient venir de l’Île-du-Prince-Édouard ou que tous pourraient venir d’une même province.

J’aimerais savoir ce que vous en pensez, si cela vous inquiète ou si vous êtes d’avis que tout le Canada devrait être représenté. Là encore, quand on parle de 10 seulement, au lieu de ne pas avoir un représentant par province, je me pose des questions, surtout par rapport aux provinces maritimes ou aux petites provinces. Je me demandais si une des provinces maritimes allait même être représentée. À ce stade, on ne dirait pas qu’il leur paraisse important d’avoir une représentation régionale. Je voulais juste savoir ce que vous en pensez.

M. McKinnon : Voilà ce qui se passe : quand on a un petit conseil, c’est difficile — si on commence à dire que toutes les régions doivent être représentées, on n’arrivera peut-être pas à constituer le meilleur conseil.

De même, comme je le mentionnais dans mes observations préliminaires, avoir un conseil entièrement composé de personnes qui ont passé leur carrière dans le triangle ne pose pas seulement un problème de représentation. C’est un problème de compétences et de connaissances. L’expérience vécue, la connaissance locale de problèmes économiques et sociaux seront fondamentalement différentes.

Avoir la meilleure représentation possible, ce serait, entre autres, avoir une réelle diversité et de grandes compétences techniques. J’en resterai là.

M. Cappe : Là encore, je suis d’accord, mais j’ajouterai que ce ne sera pas le seul mécanisme consultatif que l’organisme utilisera.

M. McKinnon : Je devrais ajouter qu’au fil des ans, Statistique Canada a considérablement approfondi ses consultations continues avec les organisations provinciales et territoriales. Je crois qu’un des prochains grands objectifs sera de faire en sorte que les villes deviennent des utilisateurs beaucoup plus avertis.

Nous avons un vrai problème à présent. Une demi-douzaine de régions très averties font réellement bon usage des données, alors qu’ailleurs, on manque totalement de compétences. Il faut donc à la fois éduquer et consulter.

La sénatrice Griffin : Je remercie le groupe d’experts de sa présence aujourd’hui.

Je crains que 92 ans après le recensement de 2016, on ne manque de données parce que les gens auront ou pas coché la case. Je crains que, dans bien des cas, me semble-t-il, le consentement ou l’absence de consentement n’aient pas été très éclairés. Le tout est de savoir comment y remédier.

Un représentant du ministère nous a dit que les citoyens peuvent choisir rétroactivement d’autoriser la publication de leurs données. Au prochain recensement, quel libellé Statistique Canada devrait-il utiliser, selon vous, par rapport au consentement pour permettre aux Canadiens d’autoriser la publication des données les concernant provenant des recensements de 2006 à 2016, ainsi que des prochains recensements? Il est possible qu’ils n’aient jamais remarqué la case à cocher auparavant. Alors, comment libeller la question? Que va-t-on faire pour attirer leur attention?

M. McKinnon : Il s’agit, en fait, à bien des égards, d’une question méthodologique. Je répondrai qu’on se fait bien conseiller et qu’on essaie la formule. Je suis la dernière personne qui essaierait de répondre sur-le-champ parce qu’il existe une réponse précise à cette question.

La sénatrice Griffin : Très bien. Cette réponse me satisfait. Autrement, on pourrait aussi, évidemment, à un moment donné, légiférer rétroactivement pour que ces données soient disponibles. Je ne pense pas que cette solution tente le gouvernement actuel. C’est pourquoi j’essaie de renforcer l’aspect volontaire.

M. McKinnon : Je ferai observer qu’il semblerait que rien ou presque ne permette de dire que la perspective d’une publication dans 92 ans, ou dans un avenir lointain, influe beaucoup sur la volonté de la plupart des gens de répondre, parce qu’il en est ainsi depuis des décennies.

En revanche, Statistique Canada, et c’est profondément ancré dans sa culture, respecte sérieusement les engagements qu’il prend en matière de confidentialité. Je sais donc qu’une partie de ses qualités les plus admirables, le respect de la confidentialité des réponses, ferait qu’il lui serait très difficile, d’un point de vue culturel, de dire : « Vous vous souvenez, il y a 10 ans, nous vous avons dit que vous ne seriez jamais obligé de répondre? Eh bien, nous n’en sommes plus si sûrs. »

Il se pose une question très sérieuse de résultat. Si les Canadiens nous répondent : « Mais vous avez promis, et 5 ou 10 ans plus tard, vous revenez sur votre promesse. Comment est-ce qu’on pourra vous croire quand vous nous jurez que des données seront confidentielles et qu’elles ne seront pas vendues ou rendues publiques dans le futur? » Là est le problème.

J’ai examiné des données de recensement historiques. Je les trouve fascinantes. Personnellement, je préférerais que tout le monde puisse toutes les consulter 92 ans après le recensement en question, mais je crains pour l’image de l’institution et la volonté de répondre des citoyens.

[Français]

La sénatrice Mégie : Merci de vos exposés.

Monsieur Cappe, je crois que vous avez dit tout à l’heure que le statisticien en chef a beaucoup de pouvoir. A-t-il ce pouvoir maintenant, ou est-ce après l’adoption du projet de loi C-36 qu’il aura tout ce pouvoir?

M. Cappe : J’ai parlé du pouvoir du statisticien en chef après l’adoption du projet de loi C-36. Auparavant, il avait un pouvoir plus ou moins efficace, comme M. Sheikh l’a démontré. Grâce à ce projet de loi, ce pouvoir sera beaucoup plus important.

La sénatrice Mégie : La raison pour laquelle je vous ai posé la question, c’est justement parce que l’un des statisticiens en chef démissionnaires s’était plaint de la perception qu’il se sentait envahi par Services partagés Canada quant à son indépendance. Vous voyez la situation de l’extérieur. Nous avons rencontré les principaux intéressés.

M. Cappe : C’est arrivé après que j’ai quitté le gouvernement. Je ne suis pas tout à fait d’accord avec M. Smith ni sur la raison pour laquelle il a démissionné.

[Traduction]

La sénatrice Raine : Merci beaucoup. En fait, vous avez déjà répondu à mes questions.

J’en ai une autre, mais elle ne concerne pas vraiment le projet de loi. Les citoyens ont-ils un moyen de contacter Statistique Canada s’ils estiment qu’on les a oubliés à un des recensements? Je n’ai rien vu à ce sujet et je me le demande.

M. McKinnon : Pendant la période du recensement, Statistique Canada fait beaucoup de publicité pour, entre autres choses, dire aux gens que, si on ne les a pas contactés, ils ont des numéros de téléphone à leur disposition, et cetera. À ma connaissance, si quelqu’un disait : « On m’a oublié il y a 10 ans et voilà ce que j’aurais répondu si j’avais reçu le questionnaire », je serais surpris qu’on en tienne compte. Je n’ai jamais entendu parler de pareil cas.

La sénatrice Raine : Je vous remercie.

Le président : Le projet de loi vise à renforcer l’indépendance du statisticien en chef. Il prévoit aussi qu’un certain nombre d’analyses statistiques relevant du ministre seront éliminées. Mais il maintient que le gouverneur en conseil prescrira par ordonnance les questions à poser dans le recensement de la population et dans le recensement agricole. Voyez-vous une incohérence ou un danger dans le fait qu’une partie des changements sont apportés pour garantir l’indépendance, mais qu’une autre partie reste sous le contrôle du gouvernement?

M. McKinnon : De quel article s’agit-il?

Le président : Il porte sur le recensement de la population et le recensement agricole.

M. McKinnon : Le libellé des questions est toujours approuvé par le Cabinet. Un des changements — et il renforce effectivement l’indépendance de Statistique Canada — prévoit que toute modification apportée à la méthode ou aux questions soit rendue publique. De cette manière, les Canadiens sauront qui a pris la décision, ce qui renvoie à une des principales raisons de la démission de Munir Sheikh, qui ne pouvait pas protéger l’intégrité professionnelle de l’institution.

M. Cappe : J’ajouterais qu’il y a des questions. Par exemple, les cases à cocher qui sont proposées en ce qui concerne l’ethnicité relèveraient bien d’une décision que le gouvernement devrait approuver à un moment donné.

Le président : C’est tout. Nous n’avons plus de temps. Je vous remercie tous les deux de votre présence.

Nous passons maintenant au deuxième groupe jusqu’à 18 h 15.

Nous avons dans ce groupe, dans la salle, Philip Cross, agrégé supérieur, de l’Institut Macdonald Laurier, et Chad Gaffield, professeur distingué d’université, de l’Université d’Ottawa. Par vidéo, nous souhaitons la bienvenue à Bill Waiser, professeur distingué émérite, de l’Université de la Saskatchewan.

Messieurs, je commencerai, si vous le permettez, par M. Waiser, qui est des nôtres par vidéoconférence, juste pour m’assurer que la liaison est bonne.

Bill Waiser, professeur distingué émérite, Université de la Saskatchewan, à titre personnel : Je vous remercie. C’est très gentil. Je suis dans les W, alors, en général, je passe en dernier.

Il y avait une colonne supplémentaire dans le recensement de 1916. Pour la première fois dans l’histoire des recensements canadiens, les recenseurs interrogeaient sur le service militaire. Si quelqu’un se trouvait outre-mer, le recenseur inscrivait un « O » dans la colonne du service militaire. En revanche, si la personne était encore au Canada, il écrivait « C » et précisait le nom du camp dans la colonne de la résidence. Ce renseignement peut sembler insignifiant — un « O » ici et un « C » là —, mais il a aidé à mieux prendre la mesure de la participation canadienne à la Grande Guerre.

On peut aussi comparer les données de recensement avec les renseignements fournis par les personnes sur leurs documents d’attestation. La race ou la nationalité, par exemple, n’étaient pas enregistrées au moment de l’enrôlement, et les données de recensement comblent ce vide. Ce type de détail individuel est un merveilleux cadeau pour les descendants des soldats canadiens et des religieuses infirmières, tout particulièrement au moment du centenaire de la Grande Guerre.

Mais il se peut qu’on ne dispose plus de ces données à l’avenir. En 2006, pour la première fois dans l’histoire canadienne, on a demandé aux participants au recensement d’indiquer en cochant une case si on pouvait rendre publiques leurs réponses aux fins de recherche après 92 ans. Rien n’expliquait sur le formulaire l’importance des données de recensement pour les recherches historiques et familiales futures ni les conséquences d’un non. On n’avait jamais posé cette question aux Canadiens aux recensements précédents. En fait, les données de recensement nominales devenaient publiques après un délai d’attente minimal de 92 ans, sans que personne ne se plaigne jamais. Mais à cause de la soi-disant question sur le consentement éclairé, les Canadiens devaient maintenant consentir à ce que des générations futures aient accès à leurs données de recensement.

Seuls 55 p. 100 ont répondu par l’affirmative en 2006, puis 66 p. 100 en 2011 et, enfin, 81 p. 100 en 2016. Il se peut que le taux de consentement augmente, mais en 2016, un Canadien sur cinq, soit environ 7 millions de nos concitoyens, disait encore non. Si tel avait été le cas en 1916, le public n’aurait jamais eu accès à l’abondance de données aujourd’hui disponibles.

La question sur le consentement, d’abord introduite dans le recensement de 2006, faisait partie d’un compromis législatif. Au début du XXIe siècle, Statistique Canada et Bibliothèque et Archives Canada se sont trouvés dans une impasse au sujet de l’accès du public aux données de recensement historiques nominatives. Statistique Canada insistait sur le fait que le gouvernement Wilfrid Laurier avait promis que ces données resteraient à jamais confidentielles. Bibliothèque et Archives Canada répliquait que la disposition relative à la confidentialité ne s’appliquait qu’aux recenseurs et que les données de recensement nominatives pouvaient être publiées 92 ans après le recensement. Le ministère de la Justice convenait que le gouvernement Laurier n’avait pas promis de confidentialité perpétuelle.

En 2005, l’heure est venue de trouver une solution globale qui permettrait de sortir de l’impasse. Je fournis une note de bas de page qui présente l’historique de cette question, si des membres du comité souhaitent l’étudier plus en détail.

Aux termes du compromis de 2005, Statistique Canada a accepté de publier tous les recensements nominatifs postérieurs à 1911 après le délai d’attente de 92 ans. La réaction du public a été tout simplement époustouflante. Quand le recensement nominatif de 1911 a été publié en ligne, le site a été interrogé 17 fois par seconde, pas par minute, les tout premiers mois.

L’autre partie du compromis était une question sur le consentement. Elle allait être mise à l’essai aux recensements de 2006 et 2011, puis examinée. Cet examen n’était pas facultatif, mais prévu par la loi. L’article 2.1 de la loi de 2005 stipule qu’un comité du Sénat, de la Chambre des communes ou des deux Chambres du Parlement désigné ou constitué à cette fin doit procéder à un examen de la question sur le consentement éclairé au plus tard deux ans avant le troisième recensement de la population, autrement dit celui de 2016. L’article 2.2 demande qu’un rapport en soit présenté.

À l’époque, historiens, archivistes et généalogistes redoutaient que la question sur le consentement ne compromette l’intégrité du recensement national comme source d’information complète sur les Canadiens et leur vie.

Les Canadiens existent dans l’histoire et dans le temps parce qu’ils participent au recensement. Ils ont également souligné que les recensements américains et britanniques ne comportent pas de question sur le consentement. Ils ont, de plus, averti qu’il est impossible aujourd’hui de savoir ce qui pourrait être important demain d’un point de vue historique et que les Canadiens des générations à venir risquaient d’être privés de données familiales impossibles à obtenir autrement.

Surtout, avec la question sur le consentement, les personnes qui remplissaient le questionnaire de recensement prenaient la décision pour tous les membres de la famille. S’ils répondaient non à cette question, la réponse valait aussi pour les données concernant leurs enfants. Face à ces craintes légitimes, Statistique Canada a promis de mener une campagne médiatique vigoureuse pour convaincre les Canadiens à répondre par l’affirmative à la question sur le consentement éclairé.

Alors, que s’est-il passé? On n’explique nulle part dans le questionnaire l’importance des données de recensement pour de futures recherches généalogiques ou pour comprendre la société canadienne, et il n’y a pas eu non plus de vaste campagne médiatique. Rien n’est dit sur les conséquences d’une réponse négative. Au lieu de cela, cette section commence par un avertissement assez inquiétant sur la confidentialité du recensement, après quoi on demande simplement aux répondants s’ils souhaitent que leurs données de recensement soient rendues publiques dans 92 ans pour des recherches historiques et généalogiques importantes. Ce n’est pas le consentement éclairé exigé par la loi.

Le projet de loi C-36 ne précise pas si la question sur le consentement continuera de figurer dans le questionnaire abrégé ou dans l’Enquête nationale auprès des ménages. Il ne parle pas non plus de l’examen obligatoire de la question sur le consentement, dont Statistique Canada a laissé passer la date butoir. Cet examen prévu par la loi doit avoir lieu avant un autre cycle de recensement. Il devrait être ouvert, transparent et détaillé, et il devrait déboucher sur un rapport au Parlement officiel et documenté. À défaut de cet examen et du retrait de la clause de consentement, des centaines de milliers de Canadiens seront absents de notre histoire. Chacun mérite qu’on se souvienne de lui et d’avoir une place dans les archives du Canada, surtout en cette année du cent cinquantenaire de notre pays. Ce serait un beau cadeau d’anniversaire. Merci.

Le président : Merci beaucoup, professeur. Je comprends bien mieux maintenant les points soulevés au comité par la sénatrice Griffin. Je vous remercie infiniment de votre exposé.

Philip Cross, agrégé supérieur, Institut Macdonald Laurier, à titre personnel : En-dehors de mon travail à l’Institut Macdonald Laurier, j’imagine que la vraie raison de ma présence ici, ce sont mes 36 années à Statistique Canada. Je vais essayer de présenter un point de vue d’initié sur beaucoup de ces questions.

La plupart des commentaires sur ce projet de loi portent sur le yin et le yang de l’indépendance et de la responsabilité de Statistique Canada. Ce compromis existe certainement. Aucune organisation n’est véritablement indépendante, à moins de contrôler son propre budget, mais cela ferait disparaître toute obligation de rendre des comptes au contribuable.

Cependant, pour avoir travaillé 36 ans à Statistique Canada, je dirais qu’on insiste trop sur les vertus de l’indépendance et pas assez sur l’importance de la reddition de comptes.

Tout d’abord, c’est une erreur de formuler la question de l’indépendance de Statistique Canada uniquement par rapport à des facteurs extérieurs. Préconiser une plus grande indépendance valide le mythe selon lequel Statistique Canada est une victime passive et sans défense de forces qui échappent à son contrôle. Statistique Canada contrôle, dans une très large mesure, sa propre réputation et sa propre destinée, chose dont on ne parle pas assez à l’interne ou dans les instances externes, comme cette audience, ou encore dans les médias. Ce sont des processus internes qui font que Statistique Canada est réputé pour sa précision, son impartialité et son respect de la confidentialité, et sans ces qualités, il serait permis de douter de sa pertinence et de son indépendance.

Bien des menaces existentielles qui pèsent sur Statistique Canada n’ont rien à voir avec son indépendance. J’ai par exemple à l’esprit des choses qui auraient compromis sa réputation davantage qu’une prolifération du type d’erreurs qui ont fait grand bruit dernièrement, comme dans l’Enquête sur la population active en 2014 et le Recensement en 2017. Si le public ou les utilisateurs venaient à perdre confiance dans l’exactitude des données de Statistique Canada, il faudrait des années pour la regagner. Comme disent les Hollandais, la confiance arrive au pas et disparaît au galop.

La neutralité politique est encore plus importante. Si on s’apercevait un jour que Statistique Canada manipule ses données ou ses analyses à l’avantage d’un parti politique par rapport à un autre, le coup serait fatal pour sa réputation. Une fuite de données confidentielles, par exemple sur des déclarations fiscales, ébranlerait sérieusement la confiance des Canadiens qui hésiteraient donc à communiquer des données à Statistique Canada.

Il n’est pas inimaginable que Statistique Canada se mêle de l’élaboration de politiques. C’est déjà arrivé lorsqu’il a approuvé publiquement l’élaboration des politiques sur la base d’éléments concrets, exemple flagrant de la défense de ses propres intérêts. Statistique Canada n’a pas plus à se prononcer sur la façon dont les politiques sont élaborées que sur leur contenu. Si l’électorat veut des politiques fondées sur l’intuition, la tradition, des croyances religieuses ou même les phases de la lune, c’est sans rapport avec la fonction élémentaire de Statistique Canada, qui est de fournir les meilleures données possibles. Par ailleurs, Statistique Canada n’affronte pas tout seul le monde extérieur. Quand il s’est trouvé confronté à des problèmes budgétaires ou autres, il s’est montré tout à fait capable de nouer des alliances avec d’autres ministères fédéraux, de même que des alliances extérieures avec tout un éventail de gouvernements, de médias, d’universitaires et d’autres utilisateurs de données. L’étendue de ces alliances extérieures a été exposée dans la controverse de 2010. La liste des organisations favorables à un recensement obligatoire comptait des centaines de noms.

Le dernier recours pour préserver l’intégrité et l’indépendance de Statistique Canada consiste à aller parler aux médias de tentatives d’ingérence dans ses activités, y compris de la démission du statisticien en chef. Cette dernière carte n’a pas toujours été bien jouée, mais elle reste utile si on n’en abuse pas.

Il y a un autre risque à trop insister sur l’indépendance de Statistique Canada. Certains pensent que prendre systématiquement le contre-pied du gouvernement en place est une preuve d’indépendance — erreur commise par le premier directeur parlementaire du budget. Adopter automatiquement un point de vue particulier indépendamment des faits révèle un attachement servile au dogme et à la doctrine, ce qui est le contraire même de l’indépendance. La Banque du Canada est un bon exemple de la façon dont une institution peut être indépendante, tout en travaillant en étroite collaboration avec le gouvernement en place.

En fin de compte, une totale indépendance n’est ni possible ni même souhaitable. Même Statistique Canada ne veut pas de l’indépendance absolue que prônent certains, car elle lui ferait perdre sa place à la table lorsque les hauts fonctionnaires discutent de leurs plans et priorités.

Avant d’accorder plus d’indépendance, Statistique Canada doit montrer qu’on peut être assuré qu’elle fera passer l’obligation de rendre des comptes au public avant ses propres intérêts. Son bilan à cet égard est mitigé, au mieux. Il cherche régulièrement à s’attirer les faveurs de certains médias aux dépens des autres, ce qu’aucune institution publique ne devrait faire, car tout le monde paie des impôts et tous les médias devraient être traités sur un pied d’égalité, indépendamment de leurs opinions politiques.

Exemple récent de la manipulation de l’opinion publique à laquelle se livre parfois Statistique Canada : l’organisme a demandé aux cadres supérieurs de mettre par écrit leurs plaintes à propos des TI, puis il a demandé à un journaliste ami de faire une demande d’accès à l’information. On a ainsi l’illusion de renseignements donnés involontairement, alors qu’en fait, des informations servant ses propres intérêts ont été délibérément lâchées.

Cela revenait à faire passer ses propres intérêts avant l’obligation de rendre des comptes au public. La tentative d’intimidation du public à laquelle s’est livré en 2016 le statisticien en chef en menaçant de démissionner si le soutien informatique n’était pas rapatrié revenait aussi à faire passer les intérêts de Statistique Canada avant ceux du public en la personne du gouvernement. Voilà autant d’actes d’une organisation qui doit rendre des comptes et non pas être récompensée par une plus grande indépendance.

Un risque potentiel à l’avenir est que Statistique Canada néglige la prolifération de données dans le secteur privé, comme l’arrivée, le mois dernier, des données d’ADP sur la rémunération, qui pourrait réduire le nombre d’enquêtes. Ce n’est qu’en obligeant Statistique Canada à rendre des comptes aux contribuables qu’on peut s’assurer qu’il ne continuera tout simplement pas à réaliser des enquêtes par pure habitude ou pour servir ses propres intérêts.

Il y a eu tout un débat sur le processus de nomination du statisticien en chef, mais on n’a pas assez parlé de son remplacement qui, dans les faits, est le problème plus courant. Si on repense aux huit derniers statisticiens en chef, il est évident que certains ont bien joué leur rôle et que d’autres se sont révélés médiocres. On oublie généralement que l’organisation que j’ai rejointe à la fin des années 1970 était dans un piètre état, faisait l’objet d’enquêtes et refondait ses pratiques de gestion afin de rebâtir sa réputation. Le défi qui se révèle difficile à relever, voire impossible, est de prédire qui fera un bon statisticien en chef, parce que les circonstances et les qualités nécessaires évoluent rapidement. Il est peu probable qu’une brève comparution devant des comités de la Chambre et du Sénat produise de meilleurs résultats.

Inévitablement, on nommera un statisticien en chef dont les compétences ne sont pas celles requises pendant son mandat. Ce n’est pas forcément très inquiétant, surtout avec un mandat limité à cinq ans. Quantité d’organisations à Ottawa doivent supporter un piètre leadership pendant des mandats de même durée ou plus longs, et seules celles dont la culture interne n’est pas solide, ce qui n’est certainement pas le cas de Statistique Canada, subissent des dommages durables.

En fait, les organisations ressortent souvent des périodes de stress, positif ou négatif, plus fortes et plus concentrées. Je pense à quatre cas où cela a été vrai à Statistique Canada, à ma connaissance : les turbulences des années 1970, les compressions budgétaires qui ont suivi l’annulation puis le rétablissement du recensement de 1986, l’expansion dans les années 1990 des statistiques économiques provinciales, et le changement de statisticien en chef dans la tourmente qui a entouré le recensement de 2011. Tous ces événements étaient traumatisants pour ceux qui les ont vécus, mais ils ont permis au bout du compte de renforcer l’organisation.

Le président : Je vous remercie. Notre prochain témoin est Chad Gaffield.

[Français]

Chad Gaffield, professeur distingué d’université, Université d’Ottawa, à titre personnel : Bonsoir. Je vous remercie de m’avoir invité à comparaître devant vous afin de contribuer à vos discussions.

[Traduction]

Je comparais devant vous aujourd’hui en qualité d’historien motivé avant tout par l’importance de la recherche d’un avenir meilleur. Au fil des années, les données recueillies par Statistique Canada sur des décennies — en fait, des siècles — ont certainement nourri ma carrière, mais j’ai également eu l’occasion d’essayer de les utiliser pour alimenter le débat sur les politiques publiques.

Je ne suis pas le seul. J’en veux pour preuve mon collègue Bill Waiser. De plus en plus de chercheurs étudient systématiquement les données de Statistique Canada. C’est probablement un des principaux aspects de l’éclosion d’une culture canadienne de la recherche dans les 50 dernières années.

On dit souvent que le recensement se distingue comme étant la plus grande opération canadienne en temps de paix. Il n’est donc pas surprenant, à mon sens, que les résultats de cette opération soient maintenant considérés comme une source de données majeure pour l’avancement de la connaissance et de la compréhension du passé. C’est logique. En fait, et je pense que Bill y faisait allusion, il est plus probable que des données sur une personne au Canada à quelque époque que ce soit depuis le milieu du XIXe siècle se trouvent dans les dossiers de Statistique Canada que dans tout autre type de document historique. Il s’agit d’une base de données plutôt démocratique.

On n’y trouve pas tout, et nous le savons tous, mais, somme toute, c’est la plus complète.

La réalité est tellement importante, car nous nous apercevons de plus en plus qu’il est nécessaire de rendre justice au rôle historique des générations passées, pas seulement des élites officielles ou pas. Les documents que crée Statistique Canada nous aident non seulement par le passé, mais aussi dans le présent.

L’autre chose — et j’y faisais allusion — en ce qui concerne ce sur quoi il se concentre, les documents comme le recensement posent les mêmes questions à tout le monde. Le questionnaire ne fait pas de discrimination fondée sur qui vous êtes. Il pose les mêmes questions. Cette donnée, comme toutes les données historiques, doit être utilisée de façon critique et appropriée, mais elle est extrêmement importante pour notre connaissance du passé et du présent, et pour l’horizon des possibilités qui s’offrent à nous.

Mon point de vue est, comme je l’ai dit, celui d’un historien, mais au fil des ans, j’ai eu l’occasion de contribuer à des questions de politique publique importantes. Au début des années 1990, je faisais partie d’un groupe appelé l’Armée de libération des données qui a monté une initiative appelée Initiative de démocratisation des données dont le but était que nos écoles et nos campus universitaires dans tout le pays aient accès aux données sur le Canada et les Canadiens recueillies par Statistique Canada. Beaucoup de nos cours sont passés de cours assez coloniaux, en ceci que les données étudiées venaient d’ailleurs, en des cours où on étudiait des données sur nous-mêmes, sur le Canada. Ce qui continue aujourd’hui.

Ensuite, à la fin des années 1990, j’ai fait partie du Comité d’experts sur l’accès aux dossiers historiques de recensement chargé par le ministre d’étudier plus particulièrement la question de la règle des 92 ans. La conclusion de ce groupe d’experts indépendants, qui était également sa recommandation fondamentale, était que les données de recensement devraient être rendues publiques dans le cadre des archives nationales 92 ans après le recensement au cours duquel elles ont été recueillies. Nous avons examiné minutieusement l’historique de cette règle et longuement réfléchi à la suite.

Plus récemment, j’ai eu l’occasion de diriger un grand projet de recherche sur la construction de l’Infrastructure de recherche sur le Canada au XXe siècle, sur la première moitié de ce siècle, pour être plus précis, dont le but était de permettre des recherches sans précédent sur la construction du Canada moderne. Ce projet a été réalisé en collaboration avec Statistique Canada et des universités de tout le pays. Il nous a permis d’enrichir immensément notre connaissance de nous-mêmes — de comprendre véritablement de l’intérieur qui sont les Canadiens.

J’ai aussi été président du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada de 2006 à 2014. J’ai eu l’occasion de me pencher sur ce dossier, entre autres, et aussi de voir l’intérêt du type de données que produit Statistique Canada pour la recherche dans quantité de domaines, et de manières très novatrices et utiles.

Ce que je tiens surtout à dire aujourd’hui, c’est que les Canadiens ont toujours soutenu Statistique Canada, et continuent de le faire, non seulement parce qu’il nous aide beaucoup à nous connaître nous-mêmes en tant que Canadiens, mais aussi parce qu’il contribue au processus décisionnel au gouvernement, dans les entreprises, les institutions, y compris religieuses, et les collectivités, à la fois officiel et officieux, ainsi qu’à des méthodes et à des concepts internationaux dans des offices nationaux de la statistique.

Les dossiers historiques montrent, je crois, que ces réalisations ont pour fondement un pacte informel entre Statistique Canada et les Canadiens. Ce pacte repose sur la confiance, l’authenticité, la crédibilité et la légitimité. Le résultat en est, par exemple, que les Canadiens remplissent les questionnaires de recensement, répondent de leur mieux aux différentes questions et traitent, de façon assez constante, tout le processus avec respect et rigueur. En échange, Statistique Canada s’assure que toutes les parties intéressées puissent bénéficier des formulaires de recensement collectés, tout en appliquant des méthodes efficaces pour protéger la confidentialité et l’intégrité totale de l’administration du recensement.

C’est une bonne nouvelle et ce qui y contribue notamment, somme toute, c’est que la société canadienne est une des sociétés où on souhaiterait le plus vivre dans le monde et qu’elle est souvent considérée comme une des plus prospères. Notre tâche est immense et tous les historiens vous le diront — en tout cas, moi je vous le dirai. Cependant, toutes proportions gardées, la plupart d’entre nous se sentent, si je puis dire, chanceux de vivre ici.

Heureusement, les changements législatifs proposés consolident les bases du pacte entre Statistique Canada et les Canadiens en officialisant l’engagement envers différentes pratiques exemplaires que Statistique Canada a mises au point au fil des ans et qu’il continue de renforcer selon l’évolution du contexte.

Il est essentiel d’être bien clair au sujet de la règle des 92 ans, car je ne pense pas qu’il soit utile de maintenir l’ambiguïté et la confusion qui se sont installées.

Je crois que, s’il est approuvé et que nous pouvons être bien clairs sur ce point, le projet de loi sera salué comme marquant une étape importante et qu’il sera cité à l’étranger, comme le veut l’admiration que le monde a pour le leadership continu du Canada dans l’étude de la société en vue de préparer un avenir meilleur.

En même temps, je comprends bien pourquoi différents témoins ont proposé des idées pour améliorer encore le projet de loi. J’apprécie l’attention que vous portez à ces propositions. Vous ne serez pas surpris d’apprendre que j’ai un avis sur chacune d’elles et, pour tout dire, souvent fondé sur des exemples historiques. Je serais heureux d’en parler avec vous, du choix et de la nomination du statisticien en chef à la description des qualifications, en passant par l’utilisation des directives de l’ONU, le déroulement des recensements, les recensements mêmes et ainsi de suite. Nous pouvons nous y arrêter, si vous voulez.

Je terminerai en insistant sur ma conviction que rien ne devrait être fait à ce stade pour compromettre l’adoption du projet de loi — là encore, en étant très clair au sujet de la règle des 92 ans. Comme nous le savons tous, le mieux ne devrait jamais devenir l’ennemi du bien.

Encore merci du bon travail que vous faites. Je répondrai volontiers à vos questions et commentaires.

Le président : Je vous remercie, monsieur Gaffield, et je vous remercie tous de vos exposés.

Étant donné la longueur de la liste, nous pourrions commencer avec deux questions par personne. Comme nous avons deux témoins parmi nous et un par vidéoconférence, je vous demanderai de préciser à qui vous voulez poser la question et si quelqu’un d’autre veut intervenir après que cette première personne aura répondu, ce sera possible.

Nous allons commencer par la marraine du projet de loi, la sénatrice Cordy.

La sénatrice Cordy : Je vous remercie tous les deux. Vos exposés étaient fort intéressants et utiles.

Monsieur Waiser, le paragraphe 18.1(1), « Recensements — divulgation après quatre-vingt-douze ans », dit que, lorsque ce projet de loi sera adopté, il n’y aura pas de question sur le consentement dans le formulaire de recensement et que les renseignements seront rendus publics après 92 ans. Il me semble que c’est positif.

La crainte, évidemment — et je laisserai la sénatrice Griffin poser les questions à ce sujet —, c’est ce qu’il advient des renseignements recueillis en 2006, 2016 et 2011. Sont-ils perdus à jamais? La sénatrice Griffin pose la question à tous les groupes d’experts, je la laisse donc vous la poser.

M. Waiser : Sénatrice Cordy, la question sur le consentement ne figurera plus dans les futurs recensements, qu’il s’agisse de la forme abrégée ou de l’enquête détaillée auprès des ménages?

La sénatrice Cordy : C’est exact. C’est ce que dit le paragraphe 18.1(1).

Il me semble que vous avez expliqué clairement les difficultés qu’elle entraîne pour les historiens et les personnes qui souhaitent réunir les renseignements correspondant à ces années perdues. Je ne vois pas très bien comment nous pouvons récupérer ces renseignements parce que, comme quelqu’un l’a fait remarquer plus tôt, Statistique Canada ne peut pas revenir sur sa parole et divulguer des données.

M. Waiser : Non.

La sénatrice Cordy : La prochaine question est pour tous les témoins.

Je crois que vous avez très bien exposé votre point de vue sur l’intégrité de Statistique Canada et sur le fait que nous ne devons rien y changer. Selon moi, pour les Canadiens, les statistiques qui viennent de Statistique Canada sont valides et pas politiques. Autrement dit, l’information qu’ils obtiennent est exacte. Cependant, cette confiance peut se perdre rapidement. À mon avis, vous avez bien raison de dire que la confiance arrive au pas, mais disparaît au galop.

Est-ce que le projet de loi va renforcer Statistique Canada? Est-ce que nous nous porterons mieux s’il est adopté?

M. Cross : Tout d’abord, ce sont deux sujets distincts. L’intégrité et l’impartialité sont deux choses séparées. L’exactitude des chiffres et leur éventuelle motivation politique sont deux choses légèrement différentes.

Cela dépend des chiffres qu’on regarde. Certains chiffres de Statistique Canada sont très précis, d’autres rendent fous les analystes. La variabilité notamment des chiffres de l’emploi, du commerce, des exportations et des importations, qui peuvent faire l’objet de toutes sortes de révisions. Il peut y avoir de gros ratés sur ce plan. Il y a un vrai problème dans le traitement statistique du secteur de l’énergie.

Dans d’autres domaines, comme l’IPC, il n’y a jamais de révision. Les chiffres sont d’une grande précision. Il le faut parce que tout le système fiscal et de transfert est indexé sur l’IPC.

Je voudrais dire aussi que le débat porte beaucoup sur le recensement. Je viens des statistiques économiques. Ce qui me préoccupait, c’était l’IPC, le chômage et le PIB. C’est notre pain quotidien en économie. Nous ne nous servions pas du tout du recensement. À mon avis, tout le débat sur le recensement phagocyte notre examen de Statistique Canada. Comme je l’ai dit, il y a tout un autre côté à Statistique Canada — en 36 ans, je n’ai jamais ou presque utilisé de données de recensement. Nous devrions donc veiller à ne pas mélanger les deux.

Nous avons eu un exemple déroutant de cette différence lors de la controverse de 2010. Il y avait une révolte dans un secteur très visible et important de l’organisation et nous n’en avons pas ressenti de conséquences. Nous continuions de travailler comme si de rien n’était. Il s’y passait quelque chose d’intéressant, mais sans incidence directe sur nous. Je voudrais juste qu’on se rappelle que Statistique Canada, c’est bien plus que le recensement et qu’on ne le perdre pas de vue.

Est-ce que le projet de loi renforce l’intégrité? Pour ce qui est de l’exactitude des chiffres, je ne crois pas qu’il ait une quelconque incidence. Il est possible que l’impartialité soit un peu renforcée, mais la culture interne de Statistique Canada est solide à ces égards.

M. Gaffield : J’aimerais ajouter quelque chose. À mon sens, il peut être déstabilisant dans le débat public qu’on laisse entendre que le pacte qui n’avait pas été remis en question au plus haut niveau pendant des décennies fait soudain l’objet de débats.

J’imagine que ce projet de loi est très utile du point de vue de la transparence, de la production de rapports, au fond, du renouvellement de la promesse faite au public qu’il y aura une discussion très franche sur ce qui s’est passé et pourquoi. Je la lierais aussi à l’intérêt de la règle des 92 ans parce qu’elle dit, en gros, que oui, nous aurons la confidentialité et ainsi de suite, mais que dans 92 ans, les projecteurs seront sur tout ce que nous avons fait et qu’on fera les comptes à un niveau ou à un autre. Ce sera 92 ans plus tard, mais il n’y aura pas d’échappatoire. C’est important, à mon sens. La règle des 92 ans fonctionne très bien, selon moi.

Mon troisième point est que tout ce qui s’y rapporte est une activité humaine. Les statistiques sont des créations humaines. Elles changent. Je siège au conseil d’administration de l’Institut canadien des sciences statistiques et nous savons pertinemment que les statistiques évoluent au fil du temps. Ce sont des créations humaines. Il est évident que nous essayons de mieux faire, et nous en apprenons plus à leur sujet, mais je ne crois pas un instant à l’idée de quelque chose de pur, et cetera. Nous sommes humains. C’est notre création. Je ne crois donc pas que nous devions répéter de vieux mythes. Nous devrions plutôt dire que nous essayons toujours de faire les choses de mieux en mieux. Je pense, sénatrice, que le projet de loi va dans ce sens.

Le président : Monsieur Waiser, voulez-vous ajouter quelque chose à propos de la deuxième question?

M. Waiser : J’ai une petite remarque de suivi seulement. M. Cross a parlé de la présentation par Statistique Canada des meilleures données possible. Le retrait de la question sur le consentement contribuera de façon spectaculaire à cela, et aidera à rehausser en partie la réputation entachée de Statistique Canada pour ce qui est de l’administration du recensement.

La sénatrice Frum : Monsieur Cross, je vais commencer par vous. Le projet de loi a pour but d’augmenter l’indépendance du statisticien en chef. Dans votre analyse des possibilités d’amélioration de Statistique Canada, ce n’est pas sur ce plan que vous vous inquiétiez.

Supposons que c’était le cas. Entrevoyez-vous des façons dont le projet de loi C-36 améliore effectivement l’indépendance de façon significative?

M. Cross : Tout dépend de la façon dont c’est mis en œuvre et interprété. Par exemple, M. McKinnon a parlé, lors d’un témoignage précédent, d’un examen annuel par le Conseil national de la statistique du rendement du système statistique. C’est une intention louable, mais je me demande comment le Conseil national de la statistique fera cela. Il risque fort de se voir avaler par Statistique Canada ce faisant. Comment pourra-t-il évaluer de façon indépendante ce que Statistique Canada lui dira? Je ne vois pas comment il pourrait le faire. De toute évidence, c’est une chose à laquelle nous nous intéressons beaucoup.

C’est une question que je poserais. Il y aurait tous les ans une révision importante du PIB. Il semble qu’il y aurait, une fois par an, une occasion de demander quelle est la performance du système statistique. Je poserais cette question tous les ans au directeur général, et nous aurions une très intense et intéressante… mais je ne sais pas comment quelqu’un de l’extérieur pourrait avoir accès à ces renseignements.

Par conséquent, je m’inquiète un peu du fait que, oui, nous semblons accorder davantage de pouvoir de surveillance au Conseil national de la statistique et cela pourrait renforcer son indépendance, mais je m’inquiète beaucoup de la possibilité que Statistique Canada raconte simplement une histoire au Conseil national de la statistique et que celui-ci tombe dans le panneau.

Par exemple, quand le budget de Statistique Canada augmente, tout va bien. Quand le budget de Statistique Canada est réduit, oh, mon Dieu, le système statistique est mis à rude épreuve, et ainsi de suite. Il serait très intéressant de voir si le CNS peut produire autre chose que ce que Statistique Canada lui dit.

La sénatrice Frum : Vous avez commencé en faisant allusion à ce dont parlait le groupe de témoins précédent au sujet du caractère chimérique de l’objectivité de la collecte de données statistiques sur les gens. Vous en avez vous-même un peu parlé il y a un moment, la mesure dans laquelle ceci est une science pure et l’idée que l’on puisse séparer la méthodologie de la politique.

M. Gaffield : Tout d’abord, laissez-moi vous dire que la science pure n’existe pas. La chimie n’est pas une science pure. Nous savons tous, je crois, que ce que nous faisons est une activité humaine.

Ceci étant dit, il y a tout un monde de différence entre une activité humaine évaluée par les pairs systématiquement et ce qui est une croyance, une perspective plutôt qu’une interprétation fondée sur l’épreuve. Je crois fermement à l’importance des méthodes scientifiques rigoureuses et savantes, mais j’espère bien que nous reconnaissons tous que la façon dont nous faisons cela maintenant n’est pas la façon dont nous le faisions en 1800 ou en 1900, par exemple.

Nous visons tous, je crois, une méthode de plus en plus perfectionnée et appropriée dans tout ce que nous faisons.

La sénatrice Seidman : Je vous remercie tous deux de vos exposés. Ma question s’adresse à M. Cross.

Vous dites dans votre exposé que de nombreuses menaces existentielles s’exercent sur Statistique Canada, et notamment l’éventualité que les utilisateurs perdent confiance en l’exactitude de ses données. Mais vous poursuivez en disant que la neutralité politique est encore plus importante, et si Statistique Canada était surpris à manipuler ses données ou ses analyses pour un parti politique donné, sa réputation subirait un coup fatal. Je suis d’accord avec vous, bien sûr.

Donc, la question que je vous pose est la suivante : pensez-vous que le projet de loi C-36 pourrait protéger davantage Statistique Canada de toute ingérence politique?

M. Cross : Non. La question de la protection contre l’ingérence politique ne m’inquiète pas trop, parce que cela relève grandement d’une culture interne. La culture interne à Statistique Canada à cet égard est profondément ancrée. C’est une chose que je ne conçois pas du tout, même s’il n’y avait pas les changements proposés dans ce projet de loi.

Quand je suis arrivé à Statistique Canada, je demandais à mes patrons : « Si le gouvernement tentait d’imposer un résultat en demandant un résultat précis pour l’indice des prix à la consommation ou pour le taux de chômage, que feriez-vous? » Ils me répondaient simplement : « Nous tiendrions une conférence de presse et ce serait la fin de ce gouvernement. »

Et c’est ça l’autre aspect. L’organisation est consciente. Elle dispose d’outils qu’elle peut utiliser. Si l’on pense qu’elle a besoin d’un grand défenseur qui vienne la protéger contre l’intimidation, eh bien non, elle sait très bien comment se défendre toute seule.

La sénatrice Seidman : Si vous le permettez, j’aimerais vous poser des questions au sujet du statisticien en chef et des critères de sélection de cette personne. Je sais bien que vous ne vous intéressez pas particulièrement à cet aspect précis, mais dans son témoignage devant le Comité de l’industrie de la Chambre des communes, l’OCDE a déclaré que le processus de sélection d’un statisticien en chef devrait être décrit clairement dans une loi précisant que sa nomination est seulement fondée sur les compétences professionnelles.

Pensez-vous que cette spécificité serait une bonne chose? Cela aurait-il un impact sur les menaces extérieures s’exerçant sur la neutralité politique de Statistique Canada?

M. Cross : Non, je ne le crois pas. Je ne crois pas que cela ait une grande influence. Par exemple, prenons Statistique Canada au cours des années 1970. C’était un désastre. Un véritable désastre. Dans son témoignage devant la Chambre, Ivan Fellegi a parlé de ça. Quiconque l’a vécu s’en souvient. Aujourd’hui, Statistique Canada a une très bonne réputation que cet organisme n’avait pas au cours des années 1970. C’était un des ministères les moins performants du gouvernement.

Et cela n’avait rien à voir avec le processus de sélection du statisticien en chef. Sylvia Ostry a été un des statisticiens en chef des années 1970.Elle était une universitaire bien connue, avec un bon réseau. De prime abord, en la regardant, on se dirait : « Elle devrait être une excellente statisticienne en chef. » Mais elle ne convenait pas au contexte de l’époque.

À l’époque, cet organisme était confronté à une grande variété de problèmes dont, notamment, un taux d’inflation très élevé. Un autre statisticien en chef aurait-il eu une meilleure performance compte tenu du fait que l’organisme n’avait jamais été confronté à un tel défi auparavant? Le taux d’inflation des années 1950, 1960 et du début des années 1970 était très bas et, brusquement, tout accusait une augmentation de 10 ou 12 p. 100, ce qui dépassait de loin les taux publiés auparavant, et on se disait : « Oh là là, cela semble très élevé », et il se trouve que le taux publié aurait dû se chiffrer à 14 ou 15 p. 100.

C’était un monde très différent auquel le système statistique avait beaucoup de mal à s’adapter.

Il ne faut pas s’attendre à ce que les statisticiens en chef aient un énorme impact. Il y a une limite à ce qu’une seule personne peut contrôler. Un statisticien en chef… J’ai vu cela avec Munir quand il est arrivé. Quand il a pris les rênes, il n’a pas essayé de changer les choses à gauche et à droite. Il a annoncé son intention de se concentrer sur une ou deux choses. Réduire le taux d’erreur était une de ces choses. Il estimait qu’une erreur de 10 p. 100 dans tout ce que nous publiions dans le quotidien était aberrante. Par conséquent, il ouvrait toutes les réunions en demandant ce que nous faisions au sujet du contrôle de la qualité pour réduire ce taux d’erreur. Il s’est concentré là-dessus et, en six mois, il avait fait baisser le taux d’erreur à moins de 1 p. 100.

Et c’est ça, justement; il concentrait son attention. On ne peut changer qu’une ou deux choses à la fois; si l’on tente de tout changer, on n’accomplit rien.

La sénatrice Petitclerc : Je vous remercie de vos exposés. J’aimerais poser ma question à M. Gaffield. Tous les témoins ont fait entendre clairement la mesure dans laquelle ce qu’on obtient est important et pertinent… Et, à mon avis, c’est la priorité ultime de ce que nous obtenons en tant que société, en tant que pays, et ce sont les historiens et les professeurs qui sont les mieux placés pour nous informer de la valeur de toutes les données que nous tentons de recueillir.

Nous comprenons que le ministre décide de la nature des données à recueillir, et le statisticien en chef détermine principalement la façon de les recueillir, la méthodologie.

Je vous demande donc dans quelle mesure, de votre point de vue et dans la perspective des données que vous tentez d’obtenir, ce projet de loi satisfait cet équilibre entre la nature et la qualité des données que nous devons recueillir en tant que pays et l’indépendance de cette démarche?

M. Gaffield : Je vous remercie beaucoup de cette question. Je crois qu’elle est très importante. Je suis un historien qui étudie le changement du bas vers le haut, comme on dit, et du haut vers le bas. C’est très complexe. Mais j’ai un profond respect à l’endroit de la direction, et je crois que l’identité du statisticien en chef est cruciale. Nous avons des exemples où des statisticiens en chef ont eu une énorme influence.

En ce qui concerne ce projet de loi, ce que j’aime se rapporte à ma propre expérience. Quand j’ai été nommé président du Conseil de recherche en sciences humaines du Canada, c’était une nomination par le gouverneur en conseil. C’était très semblable à ce dont nous parlons; en effet, j’avais pour mission une responsabilité totalement indépendante de la façon dont les demandes de subvention étaient financées, du fonctionnement de tout cela. Mais mon mandat en ce qui concerne les raisons pour lesquelles je finançais des recherches et ce que je tentais de faire, et ainsi de suite, relevait de la responsabilité du gouvernement. Par conséquent, je crois que ce projet de loi solidifie cela effectivement pour Statistique Canada de diverses façons très importantes.

L’autre chose à laquelle Mel Cappe a fait allusion, c’est le fait qu’une nomination par le gouverneur en conseil signifie clairement que le poste ne relève pas d’un ministère particulier, mais plutôt du gouvernement entier. C’est le lien vers le pacte avec la société canadienne, le peuple canadien. C’est le bien commun. Ce projet de loi renforce cela de diverses façons très importantes.

Assurément, quand j’ai été nommé au CRSH, je ne l’ai certainement pas été seulement pour ma réputation d’érudit. Quelqu’un quelque part a dû penser que j’avais ce fondement. Mais c’est une grande organisation complexe. Par exemple, encourager la culture de Statistique Canada est un véritable défi en matière de direction. Cela s’accompagne de toutes sortes de compétences en administration et gestion, et trouver la bonne personne requiert beaucoup de jugement.

L’aspect positif, c’est que le peuple canadien déterminera cela. C’est ce à quoi il a été fait allusion un peu plus tôt. Je crois que les pressions exercées sur le choix de la bonne personne détenant cette combinaison de talents et ainsi de suite, sont réellement cruciales. J’ai été content de voir la façon dont cela a été présenté dans ce document.

Le président : Monsieur Waiser, vous vouliez dire quelque chose à ce sujet?

M. Waiser : J’aimerais simplement faire écho à ce que M. Gaffield a dit au sujet de l’importance de la confiance ou du pacte. Par exemple, la tenue du recensement ne devrait pas être coûteuse; ce devrait être une chose positive, par exemple, un bout d’histoire. Il nous faut cultiver cette relation entre Statistique Canada et le peuple canadien en général, et la renforcer.

Le président : Sénatrice Griffin, la question des 92 ans s’annonce.

La sénatrice Griffin : Ma question porte sur les lacunes de données et, bien sûr, sur la période des 92 ans quand un certain nombre de personnes choisissent de ne pas autoriser la diffusion de leurs données personnelles. Quel impact cela aura-t-il sur les collectivités autochtones? En particulier, je pense aux personnes qui pourraient un jour tenter de reprendre ou d’acquérir leur statut d’indien au titre de la Loi sur les Indiens.

M. Waiser : Très bonne question, et je ne sais pas. Quand on donne des renseignements dans le cadre du recensement, on reçoit la promesse que le caractère confidentiel de ceux-ci sera respecté. Ces renseignements ne sont pas détruits, et c’est là un aspect important. Les données fournies ne sont pas détruites, mais on reçoit la promesse de confidentialité quand on n’en autorise pas la divulgation. J’ignore donc quelle est la réponse.

La sénatrice Griffin : Quelqu’un d’autre?

M. Waiser : Mais la bonne nouvelle, c’est que les données sont là.

Le président : Un de vous deux souhaiterait-il commenter cela?

M. Gaffield : Je crois que c’est vraiment malheureux sur plusieurs plans. Le seul petit aspect positif, c’est que cela se révélera être un avertissement. On pourra donc toujours rappeler aux historiens, planificateurs urbains, dirigeants religieux, et cetera, de ne pas tenir cela pour acquis. De fait, s’il n’y a pas la volonté de collaborer pour bâtir un meilleur avenir, il faut être très attentifs au genre de répercussions que de telles décisions pourraient avoir.

La sénatrice Raine : Je vous remercie tous beaucoup. Ma question s’adresse à M. Cross.

Ça m’a un peu inquiétée de vous entendre mentionner un exemple récent de la manipulation de l’opinion publique par Statistique Canada en ce qui a trait aux plaintes concernant sa TI. Ça m’a rappelé le témoignage que nous avons entendu de Services partagés Canada, et, bien sûr, nous savons tous ce qui se passe avec Phénix.

Je suppose que la question revient à se demander comment la qualité des services de technologie informatique fournis à Statistique Canada par Services partagés Canada peut être évaluée?

M. Cross : Je ne suis pas vraiment à l’aise de répondre à cette question. Toute la situation avec Services partagés a commencé après mon départ; j’ai entendu quelques histoires de Statistique Canada, mais ce n’est pas quelque chose dont j’ai eu directement connaissance.

Comment l’évaluer? Ma plus grande inquiétude porterait sur le caractère confidentiel. D’autres personnes avant moi l’ont mentionné. Je ne m’inquiéterais pas du caractère confidentiel. Statistique Canada a accès à une foule de documents fiscaux et de données confidentielles. La confidentialité ne m’inquiète pas. Là encore, cela revient à la culture interne qui est extrêmement forte dans ce domaine.

Services partagés Canada accorderait-il le même degré d’importance à cela que Statistique Canada? Je n’en suis pas sûr. Cependant, je suis certain que Statistique Canada mettrait en place des contrôles visant à préserver la confidentialité. Comme je l’ai déjà dit, Statistique Canada sait bien que, quel que soit l’auteur d’une erreur, s’il y a erreur, c’est Statistique Canada qui en assumera le fardeau dans ses relations avec le public; par conséquent, l’organisme sera fortement motivé à faire en sorte que le caractère confidentiel soit protégé. C’est une chose que je surveillerais.

La sénatrice Raine : C’est une période de transition d’une situation où Statistique Canada contrôle techniquement toutes les données, ainsi que le matériel et les logiciels. Maintenant, il faudra dépendre d’un organisme extérieur. Le projet de loi ne porte pas du tout sur cet aspect, mais ce serait une chose dont le statisticien en chef devrait être vraiment conscient.

M. Cross : Nous avons parlé des statisticiens en chef, et cela dépend des circonstances. Certaines personnes arrivent avec une foule de titres de compétence, mais elles peuvent être tout simplement la mauvaise personne au mauvais moment.

Le statisticien en chef précédent a fait un excellent travail. C’était une organisation en plein bouleversement quand j’ai quitté. Il a fait un excellent travail en calmant tout le monde, déclarant « Concentrez-vous sur votre travail, retournez à vos postes, faisons notre travail. » C’est ce dont avait besoin l’organisation à ce moment-là.

Maintenant, elle a besoin de quelqu’un qui pourrait travailler avec un autre ministère. Ce statisticien en chef est venu initialement de Statistique Canada. Il a travaillé dans d’autres ministères, puis il est revenu. Il est probablement plus capable de travailler avec d’autres ministères que le statisticien en chef précédent. On peut espérer que les choses tourneront bien. Mais c’est nettement le défi le plus important qui se pose à lui.

Le président : Monsieur Waiser, avez-vous quelque chose à dire à ce sujet?

M. Waiser : Non, rien.

M. Gaffield : Sénatrice Raine, nous vivons tous dans nos maisons et ailleurs, le problème de savoir comment bénéficier des aspects positifs des technologies numériques et en éviter les aspects négatifs. C’est une énorme difficulté que nous n’avons pas encore conquise, et je ne crois pas que nous le ferons de sitôt. C’est vraiment une progression. Nous apprenons de plus en plus et faisons les choses de mieux en mieux. Mon collègue a fait allusion à cela. Nous devons vraiment faire attention à cet aspect, concentrer véritablement notre attention là-dessus et ne pas sous-estimer les dommages qui pourraient arriver de la même façon qu’au niveau de nos propres contextes et de nos propres vies.

Le président : Nous passons au deuxième tour.

La sénatrice Frum : Monsieur Gaffield, j’aimerais quelques précisions sur le processus de sélection. Vous dites que vous êtes en faveur d’un certain processus. Puis-je vous demander de développer davantage cet aspect et de nous expliquer comment cela fonctionnerait?

M. Gaffield : J’ai l’impression que, à juste titre, le projet de loi ne va pas trop loin. Quels sont les critères très précis applicables à cet emploi?

Nous avons tous déclaré, je crois bien, que c’est une constellation très complexe, et que nous devons poser les jalons de la réussite sur le plan du comité de sélection, et cetera. En fin de compte, je crois que c’est le peuple canadien qui jugera de cela dans le cadre du pacte. C’est une véritable garantie, en quelque sorte, que cet aspect sera traité avec toute l’attention requise par une institution solide que nous tentons réellement de maintenir à un niveau des plus élevés.

La sénatrice Frum : Toutefois, étant donné que, quel que soit le candidat choisi, celui-ci est en poste en fonction d’un bon comportement, et non pas à titre amovible, c’est là où je pense qu’il devrait y avoir un certain équilibre, parce qu’une fois en poste, cette personne est là pendant cinq ans sauf si elle commet une erreur spectaculaire, n’est-ce pas?

M. Gaffield : En effet, quand j’étais au Conseil de recherches en sciences humaines du Canada, j’avais parfois l’impression que nous financions des choses que pas tout le monde voyait d’un bon œil. Je donnais l’exemple que tout au long des années 1990, le conseil de recherches a financé une grande quantité de travail sur la culture islamique du XIVe siècle, et ainsi de suite. Certaines personnes demandaient pourquoi la société canadienne faisait cela. Eh bien, peu après les événements du 11 septembre, c’est devenu essentiel pour nous aider à comprendre ce que nous lisions, entendions et tentions d’assimiler.

Je conviens qu’il est très important de sélectionner une personne qu’on pourra remercier cinq ans plus tard si les choses ne vont pas bien. Je comprends tout à fait. Mais je crois aussi que, en cours de route, ponctuellement, la compétence de cette personne devrait réellement être mise à l’épreuve.

Le président : D’autres témoins ont-ils des remarques à ajouter sur ce sujet? Voyant que personne n’en a, je mets fin à la séance. Je remercie les trois témoins. Votre témoignage nous a bien informés et préparés à aborder demain le projet de loi C-36 à 10 h 30.

Demain, nous accueillerons le statisticien en chef du Royaume-Uni par vidéoconférence, ce qui nous permettra d’acquérir une perspective internationale. Ce sera au cours de la première moitié de la séance. La seconde moitié de la séance de demain sera l’étude article par article du projet de loi C-36, puis le rapport au Sénat.

(La séance est levée.)

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