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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie

Fascicule no 43 - Témoignages du 9 mai 2018


OTTAWA, le mercredi 9 mai 2018

Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie, auquel a été renvoyé le projet de loi C-45, Loi concernant le cannabis et modifiant la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, le Code criminel et d’autres lois, se réunit aujourd’hui, à 14 h 46, afin de poursuivre l’étude de ce projet de loi.

Le sénateur Art Eggleton (président) occupe le fauteuil.

Le président : Bienvenue à cette séance du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie.

[Traduction]

Je m’appelle Art Eggleton; je suis un sénateur de Toronto et je suis président du comité. Je vais demander à mes collègues de se présenter eux-mêmes, en commençant par ma collègue à ma gauche.

[Français]

La sénatrice Petitclerc : Chantal Petitclerc, du Québec.

Le sénateur Housakos : Sénateur Leo Housakos, du Québec.

[Traduction]

La sénatrice Lankin : Frances Lankin, de l’Ontario.

La sénatrice Omidvar : Ratna Omidvar, de l’Ontario.

Le sénateur Munson : Jim Munson, de l’Ontario.

La sénatrice Bernard : Wanda Thomas Bernard, de la Nouvelle-Écosse.

[Français]

Le sénateur Maltais : Ghislain Maltais, du Québec.

La sénatrice Poirier : Sénatrice Rose-May Poirier, du Nouveau-Brunswick. Bienvenue.

[Traduction]

La sénatrice Seidman : Judith Seidman, de Montréal, Québec; je suis vice-présidente du comité.

Le président : Nous reprenons aujourd’hui l’examen du projet de loi C-45, Loi concernant le cannabis et modifiant la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, le Code criminel et d’autres lois.

Nous recevons aujourd’hui deux groupes de témoins. Le premier est composé de la présidente et du vice-président du Groupe de travail sur la légalisation et la réglementation du cannabis. Le deuxième groupe de témoins, que nous entendrons à 16 h 45, est composé du ministre de la Santé du Nouveau-Brunswick et de ses collaborateurs.

Je remercie les témoins d’être venus plus tôt que prévu. Nous avons dû en effet modifier notre horaire pour pouvoir finir à 17 h 30, heure à laquelle nous avons un vote au Sénat. Voilà pour les bonnes nouvelles. Maintenant, la mauvaise nouvelle c’est qu’il risque d’y avoir un autre vote qui peut avoir lieu d’un moment à l’autre. Nous allons surveiller cela de près. Je suis désolé des inconvénients que cela pourra causer. La réunion d’aujourd’hui est très importante pour nous, et j’espère que nous pourrons aller jusqu’au bout.

Cela dit, je suis heureux d’accueillir une ancienne collègue et amie de longue date, l’honorable Anne McLellan, qui était présidente du groupe de travail, ainsi que le Dr Mark Ware, qui en était vice-président. Vous avez 10 minutes pour vos déclarations liminaires, soit 5 minutes chacun, à moins que vous n’en décidiez autrement.

L’honorable Anne McLellan, C.P., présidente, Groupe de travail sur la légalisation et la réglementation du cannabis : Art, vous m’interrompiez toujours quand vous présidiez des comités économiques.

Le président : Je vous promets de ne pas le faire aujourd’hui.

Mme McLellan : Nous allons être aussi brefs que possible.

Merci beaucoup. Je suis ravie d’être ici aujourd’hui pour vous parler de notre groupe de travail qui, comme vous le savez, a été mandaté par le gouvernement, en juin 2016, pour mener des consultations et lui soumettre un avis indépendant sur les contours d’un nouveau dispositif législatif et réglementaire.

Profondément inspiré par les nombreuses consultations que nous avons menées, le rapport du groupe de travail, qui a été présenté aux ministres et publié le 13 décembre 2016, contient 85 recommandations. L’avis que nous formulons dans notre rapport est le résultat de plus de cinq mois de travail.

Nous avons sillonné le pays et écouté un grand nombre de Canadiens, y compris des parents, des jeunes et des malades. Nous avons rencontré des spécialistes et des organisations qui nous ont fait part de leurs différents points de vue. Nous avons également invité des Autochtones — des spécialistes, des chefs, des organisations représentatives et des aînés — à participer à diverses activités, notamment une table ronde des peuples autochtones. Toutes ces consultations ont permis au groupe de travail de se faire une bonne idée des points de vue, des intérêts et des préoccupations des communautés inuites, métisses et des Premières Nations. Nous avons rencontré des représentants des gouvernements provinciaux, territoriaux, municipaux et autochtones, qui ont tous souligné la nécessité d’établir une grande collaboration entre tous les ordres de gouvernement.

Nous nous sommes rendus au Colorado et à Washington et avons aussi rencontré des représentants du gouvernement de l’Uruguay, afin de tirer des leçons de la façon dont ils ont légalisé l’accès au cannabis. Nous avons également reçu près de 30 000 réponses de spécialistes, d’organisations et de Canadiens qui ont pris le temps de remplir notre questionnaire en ligne, notamment de grandes associations canadiennes comme l’AMC, l’AIIC, l’Association des pharmaciens du Canada, l’Association canadienne du camionnage, l’Association canadienne des producteurs pétroliers, et j’en passe.

Au cours des audiences de votre comité, vous avez certainement entendu, comme nous, des points de vue très divers. Pour la rédaction de nos recommandations, nous avons essayé de trouver un juste milieu entre la mise en œuvre de restrictions appropriées, afin de minimiser les dangers liés à la consommation de cannabis, et l’accès des adultes à une chaîne d’approvisionnement réglementée, afin de réduire l’ampleur et le champ d’action du marché illicite. Nos recommandations sont marquées sous le sceau de la prudence et préconisent une approche plus restrictive au début, sous réserve d’ajustements par la suite, si les données le justifient.

Cette approche équilibrée nous a amenés à proposer certaines recommandations qui ont généré beaucoup de discussions. Je m’attarderai sur les trois enjeux qui ont suscité un intérêt particulier de la part de votre comité et d’autres comités qui ont été saisis du projet de loi C-45. Mon coprésident, le Dr Mark Ware, abordera les autres questions.

Nous avons entendu des opinions très variées au sujet de l’âge minimum pour acheter du cannabis. Le groupe de travail a longuement examiné les différentes recommandations, qui allaient de 18 à 25 ans. Nous sommes conscients des risques supplémentaires qui sont liés à la consommation de cannabis à un jeune âge, mais nous reconnaissons en même temps que ces risques sont aussi liés à d’autres substances et activités pourtant autorisées par la loi dès l’âge de 18 ans. Dans la société canadienne, 18 ans est généralement considéré comme le début de l’âge adulte. Nous pensons que, en étant bien informés, les jeunes adultes peuvent prendre des décisions éclairées qui ont un impact sur leur vie.

Nous avons également tenu compte des études qui indiquent que les adultes de 18 à 24 ans sont le segment démographique qui est le plus susceptible de consommer du cannabis. Le fait de reculer cette borne d’âge risquerait d’avoir toutes sortes de conséquences négatives, notamment d’encourager les jeunes adultes à continuer d’acheter du cannabis sur le marché illicite, un marché qui n’exerce aucun contrôle de la qualité et n’offre aucune autre garantie.

En proposant une borne d’âge fédérale de 18 ans et en permettant aux provinces et aux territoires de la reculer, s’ils le jugent nécessaire, nous pensons avoir trouvé un juste équilibre entre la nécessité de protéger les mineurs et l’objectif de réduire le commerce illicite.

Le deuxième enjeu qui a suscité beaucoup d’intérêt est celui de la culture à domicile. On nous a parlé des dangers pour la santé et pour la sécurité de la culture à domicile, de la difficulté à faire respecter les dispositions de la loi, et des risques de détournement vers le marché illicite. Nous estimons toutefois que ces préoccupations concernent davantage les installations de culture plus importantes, notamment ceux que l’on appelle les producteurs désignés de cannabis médicinal. C’est la raison pour laquelle nous avons recommandé que le gouvernement fasse immédiatement une étude de cette catégorie de producteurs.

Ceux qui sont favorables à la culture à domicile sont convaincus qu’elle peut se faire de façon sécuritaire et responsable, avec les mesures de protection appropriées. Comme c’est le cas dans d’autres domaines, la technologie est en train de transformer la culture à domicile.

Au final, le groupe de travail recommande d’autoriser la culture limitée du cannabis à domicile, tout en l’assujettissant à plusieurs conditions : interdiction d’utiliser des procédés de fabrication dangereux, mise en œuvre de mesures de sécurité raisonnables, et surveillance par les autorités locales. De cette façon, nous prenons en compte les risques pour la santé et la sécurité tout en proposant un dispositif raisonnable pour la culture du cannabis à petite échelle, à l’intention d’adultes respectueux de la loi, comme cela se fait déjà pour la production d’alcool à domicile.

Le troisième enjeu que nous avons examiné de près concerne la question de savoir s’il faut limiter la quantité de cannabis qu’une personne peut avoir en sa possession, ou sur elle, à tout moment. Beaucoup de représentants des organismes d’exécution de la loi ont recommandé d’imposer des limites à la possession personnelle. Même si la quantité n’est pas en soi une preuve de trafic, elle peut en être un indicateur en présence d’autres facteurs, par exemple, le transport d’une grande quantité d’argent, ce qui peut alors contribuer à justifier une inculpation de trafic.

Le groupe de travail a également entendu un certain nombre de personnes pour qui il ne devrait pas y avoir de limite de possession personnelle puisqu’il n’y en a pas pour l’alcool et le tabac, et que, de surcroît, il serait quasiment impossible de faire respecter une telle limite. Après un examen attentif de tous ces arguments et de l’expérience d’autres pays qui ont légalisé le cannabis, le groupe de travail a recommandé que, dans un espace public, une personne ait le droit d’avoir sur elle jusqu’à 30 grammes de cannabis non médicinal. Nous estimons que c’est une précaution raisonnable, qui clarifie aussi un peu les choses pour les responsables de l’exécution de la loi.

J’ajouterai que, suite aux conversations que nous avons eues avec des responsables de l’exécution de la loi, des spécialistes et d’autres parties prenantes, l’idée d’imposer une limite à la possession personnelle à l’intérieur du domicile serait arbitraire, difficile à faire respecter, et je dirais même paternaliste.

En conclusion, je souhaiterais réitérer l’une des observations que nous faisons dans notre rapport final. Nous aurons beau prendre tout le temps qu’il faut et bien nous préparer, cela ne changera pas le fait que la réglementation du cannabis est une initiative politique complexe et avant-gardiste. Il est évident que nous allons continuer de tirer des enseignements au fur et à mesure de la mise en œuvre de cette initiative, et que nous allons devoir faire preuve de souplesse et d’ouverture d’esprit au cours des mois et des années qui suivront.

Comme nous l’avons entendu partout où nous sommes allés, il y aura des surprises, même si nous avons essayé de penser à tout. Il nous appartiendra alors, face à ces surprises, de faire preuve de sagesse et de modération.

Merci.

Le président : Merci.

Docteur Ware.

[Français]

Dr Mark Ware, vice-président, Groupe de travail sur la légalisation et la réglementation du cannabis : Merci beaucoup. Je suis ici aujourd’hui pour vous présenter mes commentaires sur la légalisation du cannabis, sur la base de mon expérience professionnelle comme médecin qui soulage des douleurs chroniques, comme chercheur clinique qui explore le potentiel thérapeutique des cannabinoïdes, ainsi qu’en tant que vice-président du Groupe de travail sur la légalisation et la réglementation du cannabis.

Je suis très fier de comparaître devant vous aujourd’hui. Je vous remercie de vos délibérations engagées et de me donner l’occasion de vous faire part de mes réflexions sur cette période déterminante de l’histoire canadienne.

[Traduction]

Il est de tradition, lorsqu’un universitaire fait une communication publique, de divulguer toute relation financière qui pourrait être perçue comme un conflit d’intérêts, et c’est dans cet esprit que je déclare que des producteurs de cannabis versent des fonds à mon institution pour des études cliniques, et que je fais actuellement de la consultance pour des entreprises qui sont en train de mettre au point des substances thérapeutiques cannabinoïdes. Pendant près de 20 ans, j’ai étudié les effets du cannabis sur la santé, surtout en ce qui a trait à la gestion de la douleur, grâce à des subventions d’organismes fédéraux et provinciaux et de sociétés pharmaceutiques.

Même s’il y a encore beaucoup de travail à faire dans ce domaine, je suis convaincu du potentiel thérapeutique du cannabis et de ses composantes. Ce n’est pas une posture idéologique de ma part, mais plutôt une conviction basée sur ma connaissance de la plante de cannabis et de ses composantes, sur notre système endocannabinoïde et sur la nécessité de trouver de nouvelles approches pour soigner de nombreuses affections invalidantes, notamment les douleurs chroniques.

Tout au long de ma carrière, j’ai respecté la diversité des opinions au sujet du cannabis, qu’il soit à usage médical ou non, et j’en suis arrivé à penser que la distinction qu’on fait entre utilisation médicale et utilisation non médicale est une distinction artificielle. On consomme du cannabis pour toutes sortes de raisons, qu’elles soient exclusivement thérapeutiques ou purement hédonistes. Un consommateur de cannabis médicinal peut apprécier le sentiment de bien-être que le cannabis peut provoquer, tout comme un consommateur de cannabis non médicinal peut s’automédicamenter pour des troubles comme l’anxiété ou l’insomnie.

Je comprends bien que le mésusage du cannabis puisse être un grave sujet de préoccupation, pour toutes les raisons que vous avez entendues, notamment les effets potentiels du cannabis sur un grand nombre de systèmes physiologiques, à commencer par le cerveau, le cœur et les poumons. Bon nombre de ces effets dépendent de l’âge et de la dose, mais ils sont aussi influencés par d’autres déterminants sociaux de la santé, dont nous ne pouvons pas faire fi.

Dans bien des domaines, on n’a pas une idée précise de l’ampleur de l’effet, de son importance clinique et du lien de causalité. Le système endocannabinoïde est un régulateur important du développement et de l’activité neurologiques. Qu’il me suffise de dire que le cannabis peut atténuer l’anxiété ou au contraire la provoquer, qu’il peut réduire la nausée ou au contraire l’aggraver. Il existe de nombreux exemples d’effets qui sont opposés à première vue, mais qu’on comprend mieux quand on étudie la neurophysiologie cannabinoïde sous-jacente. La plante, notre façon de la consommer et nos réactions individuelles à ses composantes varient énormément d’un cas à l’autre.

Les remarques que je viens de faire ont des répercussions sur la réglementation. Je suis chercheur et je suis parfaitement conscient des efforts qu’on déploie pour considérer le cannabis et les cannabinoïdes comme des produits médicinaux, comme des produits de santé naturels, et même comme des thérapies vétérinaires potentielles. Au cours de mon mandat au groupe de travail, j’ai entendu des gens comparer les règlements sur le cannabis à ceux qui existent pour l’alcool et le tabac, ainsi que les impacts de ces substances sur la santé et sur l’économie, dans notre société.

Comme vous avez dû vous en rendre compte au cours de votre étude, le cannabis se prête difficilement à l’un ou l’autre des dispositifs réglementaires déjà en vigueur. C’est la raison pour laquelle le groupe de travail a recommandé que le cannabis fasse l’objet d’un projet de loi distinct, qui prenne en compte toutes les catégories de cannabis, notamment les utilisations industrielles du chanvre, dont il ne faut pas négliger le potentiel économique, car c’est un aliment, une fibre et une source importante de cannabinoïdes bioactifs.

Je pense que, avec la légalisation et la réglementation du cannabis, nous sommes en train d’opérer un virage fondamental dans notre attitude par rapport à la drogue, qui passe du stade de stupéfiant à celui de produit médicinal. En essayant de nous inspirer d’autres dispositifs de réglementation, nous avons inévitablement constaté des différences fondamentales dans la façon dont les règlements visent à minimiser les risques et à maximiser les avantages.

Il faut bien comprendre que le virage fondamental que nous sommes en train d’opérer s’est amorcé il y a bien longtemps, en 1998 exactement, lorsque le gouvernement a légalisé la production de chanvre industriel, et qu’ensuite, en 2001, il a mis en place un dispositif réglementaire national pour l’utilisation du cannabis à des fins médicinales.

Il faut savoir que la communauté de la recherche scientifique se prépare à ce virage depuis un certain temps. La question de la légalisation a fait apparaître des communautés de chercheurs en sciences naturelles, cliniques et sociales qui s’emploient à élaborer les programmes de recherche et d’éducation nécessaires pour documenter et étayer cette nouvelle politique. Les universités créent des centres d’excellence en recherche sur le cannabis. Les sociétés médicales organisent des communications et des séminaires sur le cannabis. Des réseaux de médecins, de chercheurs, de décideurs et d’industriels se mobilisent. On se rend compte que la légalisation offre l’occasion d’entamer un dialogue, d’élaborer des politiques novatrices, de faire des recherches ciblées, et d’approfondir notre connaissance du cannabis et de ses effets. Le Canada a une occasion en or de devenir un chef de file mondial dans ce domaine.

Mais il y a aussi des défis. L’accès au financement, aux travaux de recherche et aux capacités analytiques est bien sûr limité, mais il y a aussi, et on ne peut pas en faire fi, le stigma qui est associé au cannabis. La simple odeur du cannabis suffit à déclencher de fortes réactions émotives qui sont profondément enracinées dans nos conditionnements sociaux. La légalisation est l’occasion de mieux informer les gens des impacts du cannabis sur la santé. C’est aussi l’occasion d’améliorer nos façons de mesurer la consommation de cannabis et de mieux la doser pour éviter des risques.

Dans le rapport de notre groupe de travail, nous recommandons que la politique qui sera élaborée soit suffisamment flexible pour s’adapter aux nouvelles données et aux enseignements que nous tirerons de notre expérience. La légalisation et la réglementation du cannabis ne sont pas une fin en soi, mais un processus qui doit continuer de se développer au fur et à mesure.

J’ai commencé ma déclaration en divulguant certaines relations et en exprimant un point de vue clinique. Je pense qu’il faut reconnaître et respecter le potentiel thérapeutique du cannabis et des cannabinoïdes, et ne jamais le perdre de vue. Cela stimulera la recherche et l’éducation, dans l’intérêt des malades et des professionnels de la santé, et cela facilitera la prise de décisions éclairées. Avec la légalisation, le cannabis sort du tribunal pour entrer dans le laboratoire.

Nous devons être lucides face à nos opinions, nos convictions intimes et, peut-être, nos a priori afin de les surmonter. Nous devons penser au-delà de la politique. La Loi sur le cannabis est une mesure importante, opportune et nécessaire.

En conclusion, je vous propose ceci pour décrire le virage fondamental que nous sommes en train d’opérer : pensez au cannabis non pas comme une drogue dangereuse qui a des bienfaits potentiels, mais comme une plante utile qui présente des risques potentiels.

Merci.

Le président : Merci beaucoup à tous les deux de nous avoir parlé de votre travail et de votre rapport, et merci aussi pour tout ce que vous avez fait.

Chers collègues, vous aurez, comme d’habitude, cinq minutes pour les questions et les réponses. Plus le préambule et la question seront courts, plus vous aurez de temps pour la réponse. Nous allons commencer par les vice-présidentes.

La sénatrice Seidman : Merci beaucoup à tous les deux de comparaître devant notre comité aujourd’hui, et merci aussi de vos déclarations et de tout le travail que vous avez fait pour préparer ce rapport au gouvernement.

Je vais commencer par vous, madame la ministre. Des professionnels de la santé, notamment des spécialistes issus de pays où le cannabis non médicinal a été légalisé, nous ont dit que la teneur en THC des produits de cannabis disponibles sur le marché licite continue d’augmenter à un rythme alarmant. Par exemple, cette semaine, M. Beau Kilmer a dit à notre comité que, dans l’État de Washington, la teneur en THC du cannabis séché est aujourd’hui de plus de 20 p. 100 en moyenne, et que, pour certains produits à inhaler, ce chiffre peut atteindre 75 p. 100. Ce qui me préoccupe, c’est que, au chapitre intitulé « Teneur en THC », vous dites dans votre rapport : « On constate aussi une reconnaissance d’insuffisance de preuves pour déterminer une limite de la teneur qui soit “sécuritaire” ». M. Kilmer a dit à notre comité que, à l’instar de l’Uruguay, le Canada pourrait limiter cette teneur, jusqu’à ce qu’on en sache plus sur les effets des produits à forte teneur en THC sur la santé. Quels sont les dangers de la légalisation du cannabis si on ne limite pas la teneur en THC du cannabis séché?

Mme McLellan : Merci beaucoup, sénatrice. En fait, nous avons carrément examiné toute la question de savoir si nous devrions fixer une teneur limite, compte tenu de la situation. Les plants qu’on cultive aujourd’hui ne sont pas du tous les mêmes que ceux qu’on cultivait jadis. Nous avons examiné toute une gamme de facteurs.

Il y a un marché pour le cannabis à forte teneur en THC, surtout pour le cannabis médicinal. Avec un cannabis à forte teneur, les malades peuvent utiliser le produit en quantité moindre, donc il y a un marché. Si le marché licite ne répond pas à ce besoin, je peux vous assurer que le marché illicite s’en chargera, ce qui ira à l’encontre de l’un des principaux objectifs de cette nouvelle stratégie.

Nous pensons également que, avec l’éducation du public, et je ne parle pas seulement des règlements sur l’emballage, mais aussi de l’éducation du public en général sur la façon d’utiliser les produits à forte teneur, il vaut mieux, tout compte fait, ne pas fixer de limite parce que, sinon, le marché illicite occupera ce créneau.

La sénatrice Seidman : J’aimerais vous poser une question au sujet d’une de vos recommandations, dans laquelle vous invitez le gouvernement fédéral à « élaborer des stratégies pour encourager la consommation de cannabis moins puissant, y compris un régime de prix et de fiscalité fondé sur la teneur pour décourager l’achat de produits très puissants ».

Mme McLellan : Oui, c’est ce que nous recommandons, notamment parce que nous ne voulons pas que les jeunes commencent à utiliser des produits très puissants. Ce que nous proposons, suite à une conversation que nous avons eue avec M. Kilmer, c’est que notre pays fasse une chose que les États-Unis n’ont pas faite, à savoir taxer le produit en fonction de sa puissance. De cette façon, les jeunes consommateurs, qui ont généralement moins de ressources financières, achèteront un produit moins puissant et, donc, moins cher et moins taxé, de sorte que le produit plus puissant sera davantage utilisé par les patients qui en ont besoin ou par les gens qui ont plus de moyens financiers.

La sénatrice Seidman : Pensez-vous que, en ne donnant pas suite à votre recommandation, le gouvernement manque une occasion de réduire les risques?

Mme McLellan : Je ne dirai pas que c’est une occasion manquée, mais plutôt que c’était une façon novatrice de taxer le cannabis plus puissant. Aucun pays qui l’a légalisé n’en a fait l’expérience. Nous avons simplement proposé cela comme stratégie pour réduire les dangers et pour encourager les jeunes à ne pas consommer de produits puissants, mais je reconnais aisément qu’il serait difficile de définir la structure de cette taxe.

La sénatrice Seidman : Le gouvernement vous a-t-il dit pourquoi il ne retenait pas cette recommandation?

Mme McLellan : Non, en tout cas pas que je sache. C’est sans doute par souci de ne pas compliquer le régime fiscal que le ministre Morneau a opté pour une taxe d’accise plus traditionnelle.

La sénatrice Petitclerc : Merci beaucoup d’être parmi nous aujourd’hui.

Ma première question concerne l’emballage simple dont il est question dans l’une des recommandations du rapport. Nous avons vu en quoi cela allait consister pour le cannabis. On l’appelle emballage simple, mais c’est différent de ce que nous avons pour les produits du tabac. Est-ce ce que vous aviez en tête lorsque vous avez fait cette recommandation, ou bien devrions-nous avoir un emballage qui ressemble davantage à celui du tabac?

Mme McLellan : Mark, je vous laisse la parole.

Dr Ware : Il y a des gens qui s’y connaissent beaucoup mieux que moi, notamment Mme McLellan, en matière de conception d’emballages simples. D’après ce que j’ai vu, et d’après les discussions que j’ai eues par la suite avec des spécialistes du marketing, cela me semble être une approche raisonnable pour bien informer les gens des risques potentiels, car on évite d’utiliser des gadgets promotionnels comme les couleurs, et on s’assure que les gens comprennent bien que ces produits contiennent du THC.

À ce sujet — et cela nous ramène à une question précédente —, il faut que les gens sachent ce que 5 milligrammes, par exemple, de THC représentent, en termes de dose ou de fréquence. Cela ne sera possible que lorsque nous aurons un cadre général dans lequel les différents produits disponibles seront énumérés et dûment étiquetés.

La sénatrice Petitclerc : Je me préoccupe plus particulièrement du groupe des 18 à 25 ans. Un grand nombre de spécialistes et de professionnels de la santé ont insisté sur le fait que le cerveau se développe jusqu’à 25 ans. Or, le projet de loi fixe à 18 ans l’âge légal pour consommer du cannabis, alors que ce groupe d’âge semble être particulièrement vulnérable. Est-ce une question dont vous avez discuté? Devrait-on la régler par voie de règlement ou au moyen d’une campagne de sensibilisation? Devrions-nous cibler et protéger ce groupe d’âge en particulier? De quelle façon devrions-nous le faire?

Mme McLellan : Nous avons longuement discuté de cette question, qui était l’une des plus importantes de toutes celles que nous avons eues à examiner. Toutes sortes de gens nous ont soumis leurs points de vue, comme vous pouvez vous en douter, notamment l’AMC, l’Association des infirmières et infirmiers du Canada, et j’en passe. Tous ces mémoires appartiennent au domaine public.

Toutefois, il a bien fallu qu’au bout du compte nous trouvions un juste équilibre entre plusieurs réalités, si je peux m’exprimer ainsi. Quelles sont ces réalités? La première est qu’au Canada le plus gros groupe de consommateurs est celui des 18 à 25 ans. Si vous reculez la borne d’âge à 21 ou 25 ans, vous neutralisez immédiatement l’un des objectifs de la légalisation et de la réglementation, qui est de dépénaliser et, de façon générale, déjudiciariser les individus qui appartiennent à cet important groupe d’âge.

Nous savons qu’ils vont consommer du cannabis. Il ne faut pas être naïf. Ils en consomment déjà maintenant alors que c’est illégal. Et ils vont continuer à en consommer. Il faut donc accepter cette réalité et prévoir l’approvisionnement sécuritaire d’un produit qui ne sera pas mélangé avec des substances comme le fentanyl. Nous en avons au moins un cas en Ontario, je crois.

N’oublions pas, comme je l’ai dit dans mes remarques liminaires, que la société dans laquelle nous vivons fixe à 18 ans le début de l’âge adulte. Nous savions que des provinces souhaitaient fixer le même âge que pour la consommation d’alcool. Dans ma province, c’est 18 ans. Au Québec, c’est 18 ans. Dans d’autres provinces, c’est 19 ans. De façon générale, 18 ans correspond au début de l’âge adulte dans notre société. C’est à partir de cet âge-là qu’on accorde le droit de vote, qu’on enrôle dans l’armée des jeunes prêts à se sacrifier pour leur pays, sans le consentement de leurs parents. Nous pensons donc que, s’il est bien informé, ce jeune adulte de 18 ans est en mesure de décider s’il veut consommer du cannabis et sous quelle forme.

Le sénateur Munson : Je vous ai toujours appelée ministre, Anne, et je vais continuer.

J’ai une question à deux volets. Le Sénat est divisé sur la question, les points de vue divergent, et il y aura des amendements.

Mme McLellan : Certes.

Le sénateur Munson : Le Comité des peuples autochtones a recommandé un report de un an. Certains sénateurs estiment que ce sont les provinces qui devraient fixer le nombre de plants autorisés. Personnellement, j’aimerais aborder deux questions avec vous.

Au Comité des peuples autochtones, ils ont dit qu’il n’y avait pas eu de consultations avec les Premières Nations. Et pourtant, vous avez dit dans votre déclaration liminaire que vous aviez consulté 30 groupes autochtones. Quand vous avez rencontré ces 30 groupes, ce qui me semble assez représentatif de la population autochtone, que vous ont-ils dit? Je me demande pourquoi, après avoir entendu des témoignages, le Comité des peuples autochtones a décidé de demander un report de un an.

Pour ce qui est des quatre plants, je ne comprends pas vraiment pourquoi on le prévoit dans la loi, plutôt que d’en laisser la responsabilité aux provinces. Nous sommes quand même au Canada.

Mme McLellan : Je vais vous parler des consultations que nous avons eues avec les Autochtones. Mark pourra vous répondre au sujet des quatre plants.

S’agissant de nos consultations avec les Autochtones, nous savions dès le départ que nous avions besoin de connaître le point de vue de ce segment important de la population. C’est la raison pour laquelle nous avons organisé une table ronde exclusivement sur les enjeux et les points de vue autochtones. Nous avons invité un vaste éventail d’organisations nationales, notamment des communautés locales, des services de santé autochtones, et cetera. En fait, dans toutes les tables rondes que nous avons organisées dans le pays, nous nous sommes assurés que des Autochtones avaient été invités. Certes, tous ceux qui ont été invités ne sont pas venus à nos tables rondes ni même à notre table ronde sur les Autochtones, mais je peux vous assurer qu’ils ont été invités parce que nous savions qu’ils représentaient un groupe important que nous devions écouter.

À l’instar du Comité des peuples autochtones, nous avons entendu une grande variété de points de vue. Nous avons entendu des chefs très éloquents, des représentants des provinces et des groupes autochtones de la Saskatchewan. Par exemple, ils nous ont présenté une matrice très aboutie de ce que pourrait être le rôle des Autochtones dans la légalisation du cannabis. Le groupe à l’origine de cette matrice sur le rôle des Autochtones y a beaucoup réfléchi avant de la présenter au gouvernement et à notre groupe de travail. Est-ce que tous les chefs en ont fait autant? Est-ce que toutes les communautés en ont fait autant? Absolument pas.

Nous avons aussi entendu les points de vue des aînés. Bien sûr, certains d’entre eux sont préoccupés par les problèmes de toxicomanie des jeunes de leur communauté et par leur impact social et économique. Nous devons en faire une priorité. Les aînés nous ont parlé avec beaucoup d’émotion de l’impact de ce problème dans leur communauté.

La question qu’il faut se poser est la suivante : la légalisation aggrave-t-elle le problème ou offre-t-elle au contraire une piste de solution puisque, comme Mark vous l’a dit tout à l’heure à propos des recherches actuelles et des nouvelles interventions, elle permettra de mieux venir en aide aux communautés? Le gouvernement du Canada et la plupart des provinces se sont engagés à réinvestir une bonne partie de leurs recettes fiscales dans des programmes de santé mentale, dans des programmes de lutte contre la toxicomanie, et dans les programmes d’aide que le gouvernement fédéral offre aux Premières Nations et aux autres communautés autochtones.

Tous les Autochtones ne sont pas venus témoigner, et cela vaut pour n’importe quel autre segment de notre société, mais notre groupe de travail s’est beaucoup intéressé, dès le départ, aux débouchés économiques que cela présentait. Des jeunes chefs particulièrement éloquents sont venus nous dire qu’à leur avis cela pouvait représenter, à condition de bien faire les choses, une activité économique durable pour leur communauté. En revanche, des aînés se sont dits inquiets des répercussions que cela aurait sur les jeunes de leur communauté. Somme toute, nous avons entendu une aussi grande variété de points de vue que vous, et c’est la raison pour laquelle nous avons recommandé au gouvernement du Canada de poursuivre les consultations et la collaboration.

Comme l’a dit Mark, la légalisation n’est pas une fin en soi, c’est un processus qui se poursuit. Les consultations et la collaboration dont je viens de parler peuvent avoir lieu avant, pendant et après la légalisation.

Dr Ware : Le niveau de préparation n’est pas le même partout. Certaines communautés commencent tout juste à se mobiliser, alors que d’autres y réfléchissent déjà depuis longtemps. Cela ne veut pas dire que nous devrions reporter la mise en œuvre de la loi sur la légalisation, car cela n’empêchera pas certains problèmes de surgir. C’est déjà ce qui se passe dans les communautés du pays, y compris les communautés autochtones. Retarder le processus ne servira qu’à nous empêcher de nous mobiliser pour régler les problèmes d’une façon plus ouverte et plus transparente.

La sénatrice Poirier : Merci à tous les deux d’être venus et de nous avoir présenté des exposés intéressants.

C’est à vous que je vais adresser ma première question, madame la ministre. Vous avez dit il y a quelques instants qu’il était important de bien informer la population au sujet de la loi sur la légalisation du cannabis. Le groupe de travail a recommandé que la ministre fournisse aux Canadiens les informations nécessaires pour qu’ils comprennent bien le dispositif réglementaire. Or, l’Association du Barreau canadien et d’autres témoins nous ont dit la semaine dernière que dans l’esprit d’un grand nombre de Canadiens, le cannabis sera bientôt complètement licite. Ce n’est pas le cas, puisque le projet de loi maintient des peines sévères pour de nombreux aspects de la possession, de la distribution et de la culture du cannabis. Depuis que vous avez présenté votre rapport en 2016, le gouvernement ne s’est manifestement pas donné la peine d’informer correctement les Canadiens. Si nous voulons nous assurer que les Canadiens sont bien informés de toutes les conséquences possibles, au niveau de la santé et de la loi, entre autres, le gouvernement devrait-il à votre avis reporter la mise en œuvre du projet de loi pour qu’il ait le temps d’informer correctement la population?

Mme McLellan : Non, mon collègue vient de vous dire que, pour d’autres raisons, ce projet de loi ne devrait pas être reporté.

Lorsque nous avons commencé nos tables rondes dans tout le pays, il était clair que l’engagement pris par le gouvernement du Canada, et le mandat que nous avions reçu, consistait à mobiliser les gens au sujet de la légalisation, de la réglementation et de la restriction d’accès. Malheureusement, un certain groupe de personnes — dont les médias, mais pas seulement — ont focalisé leur attention sur la légalisation et ont négligé le reste du mandat. En fait, notre rapport porte essentiellement sur la réglementation et la restriction d’accès, notamment pour les jeunes qui, aujourd’hui, ont un accès très facile à un produit dont personne ne connaît la qualité. C’est vrai que, pour une raison ou pour une autre, les gens ont choisi de focaliser leur attention sur un seul terme de notre mandat. La réalité, c’est que notre rapport s’arc-boute sur les deux autres termes : restriction et réglementation.

L’information du public sera cruciale. C’est la raison pour laquelle nous en faisons la recommandation. À maintes reprises dans notre rapport, nous soulignons combien il est important de bien informer la population. L’éducation du public a déjà commencé. Un comité de travail a déjà été constitué avec des fonctionnaires fédéraux et provinciaux, qui est chargé de coordonner les messages de la campagne d’éducation du public. Sur les réseaux sociaux, de plus en plus de messages ciblent les jeunes. Les représentants de l’État de Washington nous ont dit de ne pas communiquer ces messages sur support papier, car les jeunes ne les liront pas, ni à la télévision, car ils ne la regardent pas, ce n’est plus ainsi qu’ils vivent. Ils nous ont conseillé d’utiliser les médias sociaux. Cet État américain a dû ainsi mettre au rebut, après y avoir investi des millions de dollars, une campagne d’éducation qui ciblait les jeunes, mais qui utilisait le mauvais support. Ils ont ensuite décidé de parler à des jeunes pour savoir comment rejoindre les jeunes de ce groupe d’âge. De nos jours, il faut passer par les médias sociaux. Si vous allez sur les médias sociaux, vous verrez qu’on y fait beaucoup d’éducation du public.

Est-ce suffisant? Doit-on faire plus? Bien sûr, car l’éducation du public est un processus évolutif, et tous les gouvernements d’une société civile se doivent de faire plus.

La sénatrice Poirier : Je poursuis dans la même veine, et le Dr Ware pourra intervenir s’il le souhaite. Nous savons que, malgré les millions de dollars que le gouvernement a annoncés dans le budget, Santé Canada n’a dépensé que 295 000 $ de la dotation qu’elle a reçue pour sa campagne d’éducation du public sur la légalisation du cannabis. La campagne qui ciblait particulièrement les jeunes n’a commencé qu’en mars 2018. L’an dernier, ils avaient dit que le Canada devrait augmenter le financement d’une campagne intensive d’éducation du public, afin de stimuler la recherche sur l’impact de la marijuana, plutôt que d’attendre 2018. Quelles sont les conséquences de la légalisation du cannabis, si les jeunes n’en comprennent pas vraiment les risques? D’après ce que nous avons pu voir, peu de fonds ont été débloqués jusqu’à présent, et ceux qui ont été débloqués ne l’ont été qu’à partir de mars 2018.

Dr Ware : Premièrement, je ne dirai pas que les jeunes ne comprennent pas ce qui se passe au sujet du cannabis. Je crois qu’ils sont très mobilisés. Et comme l’a dit Mme McLellan, cette mobilisation se fait surtout sur les médias sociaux. C’est un sujet dont on parle dans la presse pratiquement tous les jours. Dans les médias, c’est tous les jours. Sur Twitter et sur les autres médias sociaux, c’est ce dont on parle le plus. Les jeunes sont mobilisés. Ils sont parfaitement conscients des risques auxquels ils s’exposent. Depuis des décennies, et déjà quand nous étions jeunes, on leur rebat les oreilles des dangers du cannabis, mais ils continuent quand même de consommer abondamment cette drogue, et ce, de façon illicite. Si nous réussissons à leur faire parvenir nos messages et qu’ils les lisent ou participent à des discussions sur les réseaux sociaux, c’est une façon pour nous de les informer. Tous les messages que nous leur ferons parvenir sur les réseaux sociaux seront lus par les jeunes.

Il faut leur dire que la consommation de cannabis est une activité d’adulte, que plus ils retarderont le moment de commencer, mieux ce sera pour leur cerveau, et que le cannabis peut être plus ou moins puissant. Ce sont là des messages simples. Le CTSM a publié des Directives canadiennes d’usage de cannabis à faible risque qui ont été endossées par un grand nombre d’associations médicales. Ces directives contiennent des recommandations très concrètes sur la consommation de cannabis par les jeunes et leur montrent comment réduire leur consommation. Ces documents ont été publiés et diffusés, et ils ont été endossés par l’Association médicale canadienne. L’information est disponible, c’est à nous, y compris les parents, les enseignants et les professionnels, qu’il appartient de faire connaître cette information chaque fois que l’occasion se présente.

La sénatrice Lankin : Merci à tous les deux de comparaître devant notre comité aujourd’hui.

J’aimerais commencer par vous remercier, madame McLellan, de nous avoir présenté les trois enjeux que votre groupe de travail a étudiés et qui font partie de ceux dont on entend beaucoup parler. J’ai assisté à la séance d’information que vous avez donnée aux sénateurs il y a plusieurs mois. Je suis heureuse que notre comité ait lui-même accordé une grande attention à ces trois enjeux, et je me réjouis que le gouvernement ait donné suite à bon nombre de nos réflexions. Si j’étais ministre, c’est ce que j’aurais fait moi aussi. Car dans un dossier aussi délicat que celui-ci, il vaut mieux pouvoir dire que vous n’êtes pas le seul à avoir examiné la question.

J’aimerais aborder quelque chose dont vous n’avez pas parlé, c’est le groupe d’âge des 12 à 18 ans. La Criminal Lawyers’ Association a comparu, ainsi que l’Association du Barreau canadien, et elles ont toutes les deux parlé de l’iniquité dont sont victimes les jeunes dans la façon dont ils sont traités en vertu de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents. Selon ces deux associations, un mineur de moins de 18 ans qui se retrouve assujetti à un mécanisme de contravention peut se voir imposer toutes sortes de conditions, et s’il viole l’une d’entre elles, il est alors ramené devant le tribunal où il risque des sanctions beaucoup plus sévères qu’un adulte dans la même situation. Je ne m’exprime peut-être pas très clairement, mais comme vous êtes une ancienne ministre de la Justice, je suis sûre que vous comprenez ce que je veux dire. Pouvez-vous me dire si, à votre avis, il s’agit d’un manque d’équité au titre de la Charte des droits, ou simplement d’un effet disproportionné sur les jeunes? Est-ce différent dans les autres projets de loi? C’est cela que je voudrais savoir.

Mme McLellan : Très franchement, le projet de loi n’aura pas un effet disproportionné sur le groupe d’âge des 12 à 18 ans. Dans notre rapport, nous indiquons très clairement qu’à notre avis le droit pénal n’est pas l’outil approprié pour sanctionner les jeunes qui sont pris avec de petites quantités de cannabis sur eux, pour leur consommation personnelle. C’est la raison pour laquelle le projet de loi autorise 5 grammes de cannabis. Cela montre que nous ne voulons pas qu’un mineur de moins de 18 ans en consomme. C’est clair. Le rapport est clair, mais nous savons bien que, dans ce groupe d’âge, il y en a qui en consommeront quand même, et nous ne pensons pas pour autant qu’ils devraient être renvoyés dans le système de justice pénale. Ce sera donc aux provinces et aux territoires de prendre une décision pour combler ce vide. C’était donc tout à fait délibéré, ce n’était pas un accident. Et que je sache, c’est ce qu’ils ont tous fait.

La sénatrice Lankin : Vous ne pensez pas qu’il y a là un manque d’équité?

Mme McLellan : Non, je ne crois pas. Dans la plupart des cas, l’agent de police confisquera ce que le jeune a en sa possession et lui dira : « rentre chez toi, c’est un avertissement ». Dans certains cas, il lui donnera peut-être une contravention et une amende. Certes, ce n’est pas rien, mais cela vaut quand même beaucoup mieux que de faire entrer le jeune dans le système de justice pénale. C’est la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents qui s’appliquera.

La sénatrice Lankin : De nombreux témoins nous ont conseillé d’éviter d’infliger une sanction pénale aux adolescents, ce qui est aussi mon avis. Ma question portait plus sur l’aspect technique et juridique…

Mme McLellan : Franchement, je ne crois pas que le problème risque de se poser.

La sénatrice Lankin : Permettez-moi de soulever une autre question. Il s’agit du libellé même de la loi et de l’interaction entre le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux. Vous avez dit que la loi a été délibérément rédigée dans un esprit de fédéralisme coopératif, afin de laisser les provinces jouer leur rôle.

S’agissant de la culture à domicile, c’est très différent. Le Québec et le Manitoba ont pris une position différente consistant à l’interdire, alors que le gouvernement fédéral a dit : « Nous n’allons pas vous traîner devant les tribunaux, mais, si un citoyen décide de vous poursuivre, ce qui arrivera inévitablement, nous défendrons la position fédérale, à savoir, comme il s’agit ici d’une loi d’application générale, que c’est la règle de la prépondérance fédérale qui s’applique ».

Je ne comprends pas bien la raison de cette position. Je ne vois pas pourquoi l’existence de règlements provinciaux différents en ce qui concerne le nombre de plants devrait poser un problème. Je ne vois pas pourquoi on ne peut pas laisser les provinces décider, puisque ce sont elles qui devront de toute façon régler la question des immeubles en copropriété et des autres situations de ce genre. Y a-t-il une raison valable de ne pas préciser dans la loi que les provinces auront la possibilité, comme pour le traitement des jeunes de 12 à 18 ans, de fixer une limite inférieure à quatre plants, en descendant même à zéro si elles le souhaitent?

Mme McLellan : Je ne veux pas engager un débat sur la Constitution ici. Je dirai que cela relèvera des procureurs généraux du Québec et du Canada.

Tout ce que je peux dire, c’est que, après avoir entendu tous les témoignages, nous avons considéré que, si le cannabis devient légal, la plante le devient aussi. C’est comme pour le vin, par exemple; nous autorisons les gens à produire leur propre vin. Les gens ont le droit de cultiver du tabac, n’est-ce pas? Si on décide de légaliser, serait-il raisonnable d’interdire totalement la culture d’une plante qui produit une substance qui est légale?

Nous avons étudié l’expérience d’États qui ont déjà légalisé le cannabis, et tous, sauf l’État de Washington, autorisent la culture à domicile d’un certain nombre de plants. En fait, certains d’entre eux, comme l’Oregon, autorisent la culture à domicile d’un plus grand nombre de plants que ce qui est prévu chez nous. Nous avons pensé, par souci de précaution et de santé publique, qu’il était préférable de limiter la culture à domicile à quatre plants. En réalité, nous ne croyons pas que beaucoup de gens cultiveront leurs propres plants chez eux. Très peu de gens produisent leur propre vin.

La sénatrice Lankin : Venez voir dans mon coin de province. Je suis sérieuse. Franchement, c’est très répandu.

Mme McLellan : C’est parce que la qualité souhaitée n’était pas assurée dans les magasins de détail, n’est-ce pas? On a trouvé beaucoup d’alambics à la fin de la prohibition. On a vérifié.

La sénatrice Lankin : Venez dans mon coin de province, ils sont encore là.

Mme McLellan : À mesure que le marché s’est rétabli et que les magasins ont rouvert leurs portes, très peu de gens ont continué à produire leur propre vin ou leur propre alcool.

[Français]

Le sénateur Maltais : Madame McLellan, comme l’a souligné ma collègue, les citoyens du Québec seront pris dans un cul-de-sac. L’Assemblée nationale dépose cette semaine le projet de loi no 157 qui interdira la culture de quatre plants alors que la loi fédérale le permettra. À partir du 1er juillet, est-ce qu’on verra la Sûreté du Québec sortir quatre plants d’un logement, puis la GRC les rentrer à nouveau? Qu’arrivera-t-il aux citoyens?

[Traduction]

Mme McLellan : Écoutez, je ne suis pas ministre de la Justice. Je l’ai été, mais je ne le suis plus. Je ne fais pas non plus partie du gouvernement du Canada. Nous étions un groupe de travail indépendant. Nous avons recueilli des témoignages sur le fait de permettre aux gens de cultiver un certain nombre de plants chez eux et, après mûre réflexion, le principe de précaution nous a fait conclure qu’une limite de quatre plants serait raisonnable. Ne soyons pas trop paternalistes à l’égard d’une plante qui est désormais légale.

Si le Québec préfère interdire la culture à domicile et que le gouvernement fédéral accepte qu’on puisse cultiver quatre plants chez soi, je ne pense pas que la ministre de la Justice ira contester cela devant les tribunaux, mais il se pourrait bien qu’un citoyen décide de le faire, et dans ce cas, la question finira par être réglée, probablement par la Cour suprême du Canada. C’est tout ce que je peux vous dire parce que je ne fais pas partie du gouvernement du Canada.

[Français]

Le sénateur Maltais : Docteur Ware, qu’est-ce qu’on peut trouver dans le cannabis?

Dr Ware : On peut trouver plusieurs éléments, plusieurs composants chimiques, des cannabinoïdes, le THC, le CBD, des acides sous plusieurs autres formes, les terpènes, qui sont responsables de l’odeur du cannabis.

Le sénateur Maltais : Est-ce qu’on peut trouver du plomb ou du mercure?

Dr Ware : Peut-être?

Le sénateur Maltais : De l’arsenic?

Dr Ware : Si le cannabis est cultivé de façon illégale, on peut détecter d’autres éléments, des pesticides, et cetera.

Le sénateur Maltais : Les tests ont été faits sur le cannabis médical. Qu’est-ce qu’on y retrouve?

Dr Ware : Vous parlez de quelle quantité, sénateur? Ce sont de très petites quantités en fonction des limites européennes.

Le sénateur Maltais : Le seul laboratoire autorisé par le gouvernement du Québec s’appelle PhytoChemia. Il regroupe des chercheurs et des chimistes universitaires.

Dr Ware : Je ne connais pas le laboratoire.

Le sénateur Maltais : Vous ne le connaissez pas. Moi non plus.

Dr Ware : Les statistiques sont-elles disponibles?

Le sénateur Maltais : Oui, vous n’avez qu’à lire les journaux. Un article est paru dans La Presse d’aujourd’hui.

Dr Ware : Dans La Presse, c’est une chose. Y en a-t-il dans les journaux scientifiques?

Le sénateur Maltais : Non, c’est dans un article publié dans La Presse d’aujourd’hui intitulé « Dans les coulisses d’un labo de pot ».

Dr Ware : Il y a beaucoup de choses dans La Presse, mais je lis les articles scientifiques. Merci.

Le sénateur Maltais : Je croyais que vous connaissiez ce laboratoire.

Dr Ware : À une certaine époque, plusieurs personnes croyaient que le cannabis contenait du mercure, et cetera.

Le sénateur Maltais : Ce sont vos compétiteurs. Ce sont des médecins, des chimistes et des chercheurs universitaires. Ce sont des gens qui ont les mêmes diplômes que vous.

Dr Ware : Je comprends.

Le sénateur Maltais : Ils ne reçoivent pas de subventions des compagnies de cannabis. C’est un laboratoire privé. Le gouvernement du Québec lui a confié le mandat d’analyser le cannabis médical. C’est à peu près ce que vous faites en ce moment. Si vous analysez du cannabis produit à des fins de consommation non médicale, vous commettez un acte illégal. La loi n’a pas encore été adoptée. Si vous en analysez, vous êtes hors-la-loi. On dit qu’on trouve 96 pesticides dans le cannabis. Est-ce vrai?

Dr Ware : Je ne sais pas. Je ne suis pas du tout au courant de cette étude.

Le sénateur Maltais : Avez-vous analysé du cannabis?

Dr Ware : Personnellement, non.

Le sénateur Maltais : Ah! Merci.

Dr Ware : Franchement, je ne saisis pas exactement la question moi-même.

Le sénateur Maltais : Vous n’avez pas analysé de cannabis.

[Traduction]

Mme McLellan : Permettez-moi d’apporter des précisions. Je regrette, mais si vous voulez dire que le Dr Ware fait actuellement quelque chose d’illégal, je vous réponds qu’il est tout à fait légitime d’analyser le produit, lequel se trouve dans des laboratoires depuis longtemps pour des recherches à des fins médicinales, pour savoir s’il contient des pesticides ou d’autres produits chimiques. N’oubliez pas qu’il faut faire une distinction entre le marché récréatif, qui ne sera pas légal tant que la loi n’aura pas été adoptée et promulguée, et le marché médicinal, pour lequel des recherches se font dans des laboratoires partout au Canada afin de certifier que le produit ne contient pas de pesticides ou d’autres produits chimiques, sauf ceux qui sont autorisés.

La sénatrice Bernard : Merci à vous deux d’être ici aujourd’hui. J’ai deux questions à vous poser.

Premièrement, je voudrais revenir sur une question de la sénatrice Lankin au sujet de la limite d’âge. Très franchement, je ne suis pas rassurée quand j’entends dire que les agents de police auront une certaine latitude et que des jeunes pourront être simplement renvoyés chez eux avec un avertissement, car je pense que la plupart des gens savent que ce ne sera pas le cas de tous les jeunes. Les jeunes racialisés et les jeunes Autochtones ne seront probablement pas simplement renvoyés chez eux avec un avertissement. Que pourriez-vous donc recommander à ce sujet? Je vous demande cela parce que je ne pense pas que le régime actuellement envisagé sera satisfaisant à cet égard.

Mme McLellan : Nous avons clairement dit dans notre rapport que nous ne voulons pas que les jeunes consommateurs de moins de 18 ans, s’ils ne se livrent pas à du trafic pour faire du profit — auquel cas ils seront probablement traduits devant un tribunal pénal pour adolescents — qui sont simplement trouvés en possession d’une petite quantité pour leur usage personnel, soient traduits devant un tribunal pénal, notamment pour les raisons que vous avez mentionnées. Toutefois, nous ne voulons pas qu’ils consomment. L’âge limite est de 18 ans et, si vous consommez et que vous avez moins de 18 ans, vous commettez une infraction au titre du nouveau régime fédéral.

Il était clair dès le départ que le gouvernement fédéral souhaite que les provinces utilisent ce qu’on appelle des sanctions administratives à l’égard des jeunes de moins de 18 ans qui enfreignent le nouveau régime. Et les lois provinciales pertinentes prévoient dans ce cas des avertissements, des contraventions et d’autres mesures de ce genre, mais pas des sanctions pénales, pas des procès ni des casiers judiciaires.

Nous avons beaucoup réfléchi à l’application racialisée des interdictions existantes, et avons recueilli beaucoup de témoignages à ce sujet; c’est en fait l’une des raisons pour lesquelles la légalisation, espérons-nous, produira une situation plus équitable en matière d’application de la loi. Veuillez m’excuser, je ne me suis pas exprimée de manière très élégante à ce sujet.

Tout ça pour dire qu’il faut un système de sanction particulier pour les moins de 18 ans. Comme nous n’allons pas légaliser la consommation de cannabis pour cette catégorie de personnes, il faut prévoir un certain type de sanction dans leur cas. Ce sera peut-être une contravention ou un avertissement, mais guère plus.

La sénatrice Bernard : Ce que je veux savoir, c’est comment nous pouvons garantir que ce régime sera appliqué de manière juste et équitable.

Mme McLellan : Selon moi, par l’éducation publique et la formation. Je ne suis pas naïve. Je pense que nous connaissons tous des situations où il a pu y avoir au moins une apparence d’injustice ou d’iniquité dans l’application de la loi. Je pense qu’on fait face à ce problème en améliorant la formation des agents d’exécution de la loi, en faisant plus d’éducation du public et aussi en aidant les familles de ces jeunes de moins de 18 ans à bien saisir le message fondamental qu’elles ne doivent pas laisser ces jeunes consommer du cannabis parce que ce n’est pas une bonne chose et que c’est illégal.

Je n’ai pas de réponse magique, sénatrice, à mon grand regret. J’aimerais bien que nous ayons un système de justice pénale totalement équitable et objectif, eu égard à la couleur de la peau ou à l’origine ethnique, mais ce n’est pas le cas. À nous, par conséquent, de redoubler d’efforts pour atteindre cette objectivité.

La sénatrice Bernard : Bien. J’ai entendu beaucoup d’Afro-Canadiens dire qu’ils n’ont pas été consultés et que leur point de vue n’a pas été pris en compte. Nous savons que, comme aux États-Unis, la lutte contre la drogue au Canada a entraîné une incarcération disproportionnée, notamment pour possession d’une petite quantité à usage personnel. Quatre municipalités californiennes ont mis sur pied des programmes d’équité à l’intention des victimes, afin de les aider à s’établir rapidement dans le commerce légal du cannabis. Que diriez-vous d’une initiative semblable au Canada?

Mme McLellan : Nous ne nous sommes pas penchés directement sur cette question. Comme vous le savez, dans son rapport, notre groupe de travail a traité cette question du point de vue des Canadiens autochtones, et nous avons recommandé la poursuite des consultations avec le gouvernement ainsi que l’examen des débouchés économiques que cela ouvre aux Canadiens autochtones. Votre suggestion devrait être examinée par le gouvernement du Canada parce qu’il y a des communautés — comme les Afro-Canadiens, si l’on en croit non seulement l’expérience concrète, mais aussi les statistiques pénales — qui sont touchées de manière disproportionnée par les interdictions existantes. Donc, je vous réponds que c’est une idée que j’encouragerais le gouvernement à examiner très sérieusement.

[Français]

La sénatrice Mégie : Ma question s’adresse au Dr Ware.

L’un des arguments favorables est qu’on permettra aux gens qui utilisent le cannabis à des fins médicales d’en faire la culture à domicile. Dans vos recherches, est-ce qu’il y a eu un sondage mené auprès de patients qui le cultivent déjà, et est-ce que le nombre est assez important pour qu’on puisse s’appuyer sur cet argument?

Est-ce que les gens qui sont malades ont la capacité de s’occuper de plants à domicile ou préféreraient-ils les acheter à un prix abordable, quand ce sera légalisé?

Dr Ware : À part la possibilité d’acheter du cannabis d’un producteur licencié, il y a deux façons de cultiver le cannabis : la culture faite par le patient lui-même ou par une personne désignée. Je ne connais pas les chiffres exacts pour chacun de ces groupes, mais il y a 10 000 personnes ou plus qui ont le droit de cultiver ou de désigner quelqu’un pour cultiver le cannabis pour eux.

Comme Mme McLellan l’a dit, la problématique la plus importante concerne les personnes désignées, parce que quelqu’un peut désigner une personne pour une personne, et pour une autre personne, ainsi de suite. Et de cette façon, ils peuvent avoir une culture assez importante, ce qui comporte un risque de détournement.

Personnellement, je ne connais pas beaucoup de patients qui cultivent eux-mêmes leurs plants de cannabis, mais il y a certains patients pour qui cultiver leur propre cannabis médicinal est une approche thérapeutique. C’est une approche importante pour les personnes qui souffrent de cancer et qui suivent des traitements de chimiothérapie. Cependant, je n’ai pas le nombre exact de personnes. Je pense que le problème concerne plutôt les personnes désignées pour cultiver le cannabis pour les patients.

La sénatrice Mégie : Quand on a reçu le représentant de l’Association médicale canadienne, l’AMC, il suggérait que, au lieu d’avoir deux systèmes de réglementation, soit un médical et un récréatif, on n’en ait qu’un seul. Quelle est votre opinion à ce sujet?

Dr Ware : On avait eu une petite discussion avec l’AMC à ce sujet. Ce n’est pas une surprise. Des 90 000 médecins que compte l’AMC, il y a en 11 000, à l’heure actuelle, qui prescrivent à au moins un patient la possession ou l’utilisation du cannabis à des fins thérapeutiques.

Au moins 10 p. 100 des médecins ont accepté le rôle de prescrire du cannabis à leurs patients. Je crois que l’AMC doit reconnaître qu’il y a nombre de médecins qui sont prêts à le faire, qu’il faut développer un volet lié à l’éducation pour les médecins, et éviter de regrouper tous les cas sous le vocable « récréatif ». Cela ne reconnaît pas le droit aux patients d’avoir une discussion avec les médecins, de choisir les doses et de discuter des résultats de la thérapie. Selon moi, c’est une occasion pour les médecins de discuter avec leurs patients du choix des traitements.

Je préfère donc garder un programme médical, au moins pour cinq ans. Le comité de gestion a recommandé de garder le programme médical pour cinq ans et de voir, à la fin, si c’est vraiment nécessaire de continuer sur cette voie.

[Traduction]

La sénatrice Omidvar : J’ai trois questions. Si je peux les poser tout de suite, très bien. Sinon, j’aimerais avoir un deuxième tour.

Les deux premières s’adressent à la ministre. La première concerne la restriction de l’accès. Je vois, dans le projet de loi que j’ai sous les yeux, des peines très sévères pouvant aller jusqu’à 14 ans de prison, à quiconque fournit du cannabis à un jeune. Nous avons entendu des témoignages sur le partage dans un contexte social, le partage entre un jeune adulte et un mineur. Qu’avez-vous entendu dans vos consultations au sujet du partage dans un contexte social? Croyez-vous que cette sanction soit adéquate dans ce genre de situation, et comment la distingue-t-on des aspects criminels du partage?

Mme McLellan : Tout d’abord, le partage en contexte social est légal, et continuera de l’être en vertu de ce projet de loi. C’est d’ailleurs ce qui prévaut aujourd’hui dans le cas de l’alcool, entre autres. C’est une substance légale. Quelqu’un peut acheter une bouteille de vin et l’apporter chez moi ou je peux en acheter une pour l’offrir à quelqu’un d’autre. C’est la même chose si j’achète 30 grammes de cannabis. Si quelqu’un vient chez moi pour souper un vendredi, je partage. C’est du partage en contexte social et ce n’est pas une infraction au Code criminel.

En revanche, vous ne pouvez pas revendre pour faire un profit, on s’entend? Si je vais acheter 30 grammes chez le détaillant et que je les revends ensuite à Mark pour faire un profit, c’est ce qu’on appelle du trafic. Vais-je être poursuivie pour autant? Peut-être. Mais est-ce que le tribunal me condamnera à 14 ans de prison? Non. À moins qu’on me soupçonne de faire partie d’une organisation criminelle et de gagner régulièrement ma vie en faisant ce trafic. Je ne vais pas commencer à vous dire ce que je pense des trafiquants, qu’il s’agisse de trafiquants de drogue, d’êtres humains ou de n’importe quoi d’autre. Ils n’ont qu’un seul objectif, exploiter les personnes vulnérables pour en tirer profit. Eux, oui, ils pourraient être passibles de 14 ans de prison en vertu de ce projet de loi. Ce serait le maximum applicable à quelqu’un qui fait partie d’une organisation criminelle, qui fait du trafic et qui exploite non seulement les consommateurs, mais aussi des mules et des passeurs pendant très longtemps.

La plupart des procureurs de la couronne ne réclameront pas 14 ans. Le partage en contexte social est légal. C’est le trafic qui est passible de 14 ans de prison.

La sénatrice Omidvar : Merci. Je trouve cela intéressant. Ce n’est pas une interprétation que nous avons entendue, et votre opinion est utile.

Mme McLellan : On nous a beaucoup parlé de partage en contexte social, n’est-ce pas, Mark? C’est comme pour une bouteille de vin ou n’importe quoi d’autre. Tant que vous ne faites pas ça pour faire un profit en la revendant, ça fait partie de la vie sociale, et tant qu’il s’agit d’une substance légale, ce qui sera le cas de mes 30 grammes, une fois que ce projet de loi aura été promulgué.

La sénatrice Omidvar : Je voudrais revenir sur la restriction de l’accès aux jeunes. On dit dans le projet de loi que les jeunes en possession de plus de 5 grammes seront traduits devant un tribunal pénal.

Mme McLellan : Non, pas les moins de 18 ans, non. On n’appliquera pas le Code criminel aux jeunes de moins de 18 ans s’ils n’ont que 5 grammes sur eux.

La sénatrice Omidvar : Je parle de plus de 5 grammes. Que pensez-vous de cette limite de 5 grammes? Est-ce trop bas, trop élevé ou juste bien?

Mme McLellan : Mark, qui est médecin, a probablement un avis sur la question. Nous avons parlé à beaucoup de spécialistes au sujet d’une limite, mais pas précisément de 5 grammes. Nous avons réfléchi à une limite d’une trentaine de grammes en nous demandant si ce serait suffisant et ce que ça signifierait. Cinq grammes, selon la manière dont c’est utilisé, c’est plus que suffisant. Toutefois, je ne veux même pas parler des jeunes de moins de 18 ans qui consomment du cannabis, puisque c’est illégal. Nous savons que certains jeunes de moins de 18 ans en consommeront quand même, mais nous ne voulons pas qu’ils soient traduits devant un tribunal pénal et qu’ils en subissent les conséquences pendant toute leur vie. Le gouvernement a choisi 5 grammes et c’est suffisant pour n’importe quel jeune de moins de 18 ans qui veut en consommer.

Mark, voulez-vous ajouter quelque chose?

Le président : Je dois vous interrompre, mais je vous inscris pour le second tour.

Le sénateur Housakos : J’avais déjà beaucoup de réserves au sujet de ce projet de loi, mais, après ce que j’ai entendu cet après-midi, très franchement, j’en ai encore plus.

Quand vous dites, madame McLellan, que les trafiquants sont des gens que nous ne voulons pas encourager, je suis parfaitement d’accord avec vous. Cependant, si je reprends l’exemple de la prohibition, les gens les plus heureux, lorsqu’elle s’est terminée, furent les trafiquants d’alcool. Ce sont eux qui récoltèrent la manne à la fin de la prohibition. L’alcool, qui était illégal, devenait d’un seul coup légal. Aujourd’hui, la plupart des trafiquants de drogue se sont très bien préparés en vue de l’adoption de ce projet de loi et ils sont tout à fait prêts à tirer profit d’un marché légal, mais c’est une autre histoire.

Mon inquiétude, qui a été évoquée en partie par les sénatrices Petitclerc et Bernard, concerne l’âge minimum de 18 ans. Et c’est une énorme inquiétude, que le produit soit légal ou non. Malgré ce que nous a dit le Dr Ware, si j’écoute l’Association médicale canadienne, si j’écoute l’Association des infirmières et infirmiers du Canada, si j’écoute l’Association canadienne des pédiatres, si j’écoute les administrateurs d’établissements d’enseignement secondaire et postsecondaire de ma province — je les ai presque tous rencontrés, ils m’ont écrit et j’ai lu leurs études et leurs rapports —, aucune des personnes qui s’occupent d’adolescents ayant entre 18 et 21 ans, dans les cégeps du Québec, ne pense que c’est une bonne idée.

Je trouve incroyable qu’on ne tienne pas compte au minimum de ce que disent toutes les personnes qui travaillent dans le domaine — et cessons l’amalgame entre la consommation médicale de marijuana et la consommation récréative, parce que plusieurs des questions posées aujourd’hui concernaient la consommation médicale, qui est légale depuis longtemps au Canada. Les spécialistes médicaux du pays savent parfaitement bien que la consommation récréative par des jeunes de moins de 24 ans nuit à leur développement mental. J’ai donc beaucoup de mal, en tant que parlementaire, à accepter l’idée que je vais encourager les jeunes de ce groupe d’âge à consommer de la marijuana, en sachant très bien que ce sera complètement à leur détriment.

Malgré tout le respect que je vous dois, si un agent de police arrêtait mon fils de 17 ans dans un parc avec un joint, je ne trouverais pas acceptable qu’il lui dise : « Range ça dans ta chambre, tu pourras le fumer quand tu auras 18 ans. » Si cela lui nuit à 17 ans, cela lui nuira à 18 ans et lui nuira aussi à 20 ans. J’estime que, en tant que législateurs et en tant que gouvernement, le moins que nous puissions faire, c’est ce qui est raisonnable. Je comprends bien tous les autres objectifs visés par ce projet de loi, et on pourrait en discuter longtemps, mais je trouve complètement aberrant qu’on puisse penser que 18 ans est un âge acceptable pour commencer, et qu’on puisse comparer cela au tabac et à l’alcool ou au fait de s’enrôler dans l’armée pour aller défendre le pays. Il s’agit ici d’un stupéfiant psychotrope.

Mme McLellan : Ce que sont aussi l’alcool et le tabac.

Le sénateur Housakos : Non, ce ne sont pas des psychotropes. Pas du tout. Les médecins qui ont témoigné devant les comités parlementaires sur cette question l’ont clairement expliqué. Évidemment, il y a des exceptions mineures.

Le président : Veuillez laisser le témoin répondre, s’il vous plaît.

Dr Ware : Je ne suis pas sûr d’avoir entendu une question, mais plutôt une diatribe.

Le sénateur Housakos : Ma question concerne les jeunes de 18 ans.

Dr Ware : Pourquoi cela devrait-il être autorisé à partir de 18 ans? Pour plusieurs raisons. Fixer la limite à 18 ans n’encourage pas les gens de plus de 18 ans à consommer du cannabis. Ce n’est certainement pas l’objectif. C’est parce que c’est un âge auquel un individu informé peut prendre la décision de faire ce qu’il veut, ce qui est parfaitement son droit.

Nous sommes nous aussi préoccupés par ce que vous avez dit au sujet des effets nocifs. Oui, il y a des jeunes qui seront affectés par une consommation précoce de cannabis, surtout ceux qui ont entre 12 et 15 ans. Il est parfaitement clair que, plus on est jeune, plus les risques pour le cerveau sont élevés. Ces risques commencent à s’atténuer avec l’âge, et à partir d’un certain point, ils deviennent de moins en moins sérieux. Que l’on choisisse 18, 19, 21 ou 25 ans, on est déjà sur la courbe descendante en matière de risques. C’est à l’âge très délicat de 12 à 16 ans que le risque est maximum, et ce groupe sera bien protégé avec ce projet de loi.

Le sénateur Housakos : Pourquoi ne pas porter la limite à 24 ans?

Dr Ware : Comme l’a dit Mme McLellan, nous avons une autre priorité qui est d’éviter de poursuivre pénalement ceux qui consomment du cannabis à cet âge.

Mme McLellan : Et qui constituent le plus gros groupe de consommateurs. Or, nous savons qu’ils en consommeront de toute façon. Ils seront alors passibles de sanctions pénales et verront leur vie affectée par toute une série de situations regrettables. Ils continueront à acheter du produit coupé avec on ne sait quoi. Ils entretiendront le marché noir.

Si nous vivions dans un monde idéal, nous nous efforcerions de l’éviter, mais ce n’est pas le cas. En qualité de législateurs, il nous incombe de trouver un juste équilibre entre les divers objectifs des politiques publiques et de trouver la solution qui permettra d’atteindre les objectifs que nous estimons primordiaux. C’est ce que nous avons fait dans ce rapport.

Pour revenir à ce que disait Mark, personne n’encourage la consommation. Si vous voulez mon avis personnel, je préférerais que personne n’en consomme jamais. Je préférerais probablement aussi que personne ne boive jamais d’alcool ou ne fume de tabac, mais ce n’est pas le monde dans lequel nous vivons. Nous devons donc agir équitablement à l’égard de cette substance, à la lumière des réalités sociales, économiques et pénales auxquelles nous somment confrontés comme société.

Le sénateur Patterson : J’aimerais revenir sur les consultations avec les Autochtones dont a parlé le sénateur Munson. Vous avez dit que les Autochtones étaient des groupes importants à entendre sur ce sujet et que certains s’étaient exprimés avec éloquence sur le rôle qu’ils pouvaient jouer et les revenus qu’ils pouvaient tirer de ce nouveau contexte.

Au Comité des peuples autochtones, nous avons entendu la Commission de la fiscalité des premières nations dire que ces dernières sont des gouvernements comme les provinces et les territoires. Qu’elles devront faire face aux répercussions sur la santé mentale et sur les besoins éducatifs et récréatifs. On les sollicite pour créer des installations de production dans les réserves et, comme vous dites, elles ont besoin d’être impliquées et d’en tirer des revenus. Pourtant, elles sont laissées en dehors du régime de la taxe d’accise. Les provinces et territoires se sont partagé ce secteur.

Compte tenu de vos préoccupations et de vos commentaires, que pensez-vous de la recommandation de la Commission de la fiscalité des premières nations selon laquelle 20 p. 100 des permis de production devraient être attribués aux gouvernements des Premières Nations et celles-ci devraient recevoir une part des recettes de la taxe d’accise?

Mme McLellan : Notre groupe de travail n’a pas fait de recommandations particulières à ce sujet. On nous a dit qu’il y avait là un potentiel économique pour les communautés autochtones et aussi des risques, en termes d’assuétude et autres, pour les jeunes. C’est pourquoi nous avons dit au gouvernement du Canada — et, très franchement, aux autres gouvernements aussi — qu’il importe de consulter plus largement les Canadiens autochtones et, après consultation d’autorités fiscales comme la Commission de la fiscalité des premières nations, de trouver un système qui tienne debout, eu égard à la diversité des voix autochtones que nous avons entendues. Il ne faudrait pas croire qu’il n’y a qu’une seule opinion dans le monde autochtone. C’est un monde aussi divers que tous les autres qui existent dans notre beau pays. Voilà pourquoi, après avoir recueilli ces multiples opinions, nous recommandons — et c’est clairement dit dans notre rapport — que le gouvernement du Canada et les gouvernements provinciaux aient d’autres consultations avec les communautés autochtones afin de déterminer quel sera leur rôle. Quant à savoir si la Commission de la fiscalité des premières nations sera impliquée, cela, très franchement, sénateur, ne relevait pas de notre mandat. Par contre, nous avons bien constaté qu’il y a dans cette affaire d’importantes questions de débouchés potentiels et peut-être de risques que les communautés autochtones et tous les ordres de gouvernement se doivent de prendre en considération.

Le sénateur Patterson : Mais la Commission de la fiscalité des premières nations craint que, en adoptant ce projet de loi dès maintenant, toutes les décisions soient prises sans qu’on ait examiné ces questions. Manny Jules a dit : « Vous allez rencontrer le même problème que celui que nous avons dans les réserves avec le tabac, c’est-à-dire de la contrebande et des pertes de recettes fiscales. » Si nous voulons traiter les gouvernements autochtones avec respect, ne devrions-nous pas, avant d’adopter ce projet de loi, prendre le temps de réflexion recommandé par le Comité des peuples autochtones pour éviter de placer ces communautés devant un fait accompli quand on entamera les consultations?

Mme McLellan : Non, car je ne crois pas qu’on va leur présenter un fait accompli. Je pense que la légalisation et la réglementation doivent avancer selon l’échéancier approprié établi, mais que ces discussions doivent continuer, et qu’elles continueront avec le ministère des Affaires autochtones au sujet des programmes économiques mis en place pour aider les communautés autochtones au moyen de coentreprises et autres initiatives.

Pour revenir sur ce que disait mon collègue, Mark Ware, tout ne va pas s’arrêter à un point donné. C’est un processus. C’est une question dont on va continuer de s’occuper pendant des années. Je suis d’accord avec vous sur une chose : ce travail doit se faire. Il doit continuer. Toutefois, il n’est pas obligatoire qu’il soit totalement achevé, et il ne le sera pas, avant la promulgation de la loi.

Le sénateur Patterson : Selon le rapport de vos consultations, vous avez rencontré l’Inuit Tapiriit Kanatami.

Mme McLellan : Ils ont été invités à témoigner.

Le sénateur Patterson : Le président a dit à notre comité que consulter l’ITK, qui est essentiellement une organisation nationale de lobbying, ce n’est pas consulter les Inuits. Avez-vous entendu d’autres points de vue des Inuits, comme l’exigent leurs ententes sur les revendications territoriales?

Mme McLellan : Je ne m’en souviens pas précisément. Et vous, Mark? Je me souviens que nous avons reçu des mémoires de certaines organisations inuites. Si vous regardez les annexes — je n’ai pas le temps de le faire maintenant —, vous trouverez la liste de toutes les personnes que nous avons entendues, à l’exception de celles qui venaient de tous les coins du pays. Il y a eu un petit nombre de personnes du Nunavut, par exemple, qui ont envoyé des mémoires, mais c’est un très petit nombre.

Le sénateur Patterson : Merci.

Le président : Avant d’entamer le deuxième tour, le président va se prévaloir de son droit de poser quelques questions. Je me limiterai, bien sûr, à cinq minutes.

La semaine dernière, nous avons accueilli des représentants de trois associations juridiques, l’Association du Barreau canadien, la Canadian Criminal Lawyers’ Association et le Barreau du Québec. Ils nous ont dit qu’à leur avis le projet de loi C-45 est encore trop axé sur des sanctions pénales. Certains de mes collègues ont mentionné le partage en contexte social, par exemple.

Il y a aussi la question des jeunes proches de l’âge limite. Autrement dit, si un jeune de 18 ans donne du produit à un jeune de 17 ans, il pourrait être passible d’une sanction pénale. Pourtant, il est encore jeune. Ce que nous ont dit ces témoins, c’est qu’il ne faut pas faire tomber nos jeunes dans le champ des sanctions pénales. Les jeunes, ce ne sont pas seulement les personnes de moins de 18 ans, mais aussi les personnes au-dessus de cet âge, même jusque dans la vingtaine. On nous a dit aussi qu’un jeune de 15 ans trouvé en possession de 15 grammes au lieu de 5 pourrait être poursuivi au titre de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents.

Ces témoins nous ont dit que, certes, la peine de 14 ans ne sera probablement pas infligée dans beaucoup de cas, mais si un jeune qui se trouve être immigrant reçu ou réfugié se voit imposer une peine même beaucoup moins lourde, cela risque de lui causer beaucoup de difficultés. Si c’est une personne qui n’a pas encore obtenu la citoyenneté, elle risque d’être expulsée du pays, ce qui serait une peine supplémentaire — une peine terrible — même sans avoir reçu une peine de 14 ans, mais en ayant été accusée d’avoir commis un acte criminel. Voilà pour ma première question.

Nous avons aussi parlé du trafic. Je pense que nous convenons tous qu’il faut s’attaquer aux grandes organisations criminelles. Nous voulons sérieusement lutter contre elles, mais il y a aussi dans ce secteur de plus petits acteurs qui, pour une raison ou une autre — la pauvreté, par exemple —, se font embringuer dans ce genre d’activité, mais ne méritent peut-être pas d’avoir un lourd casier judiciaire. Si l’on commence à faire des comparaisons avec l’alcool et le tabac, on voit que les peines sont loin d’être aussi sévères pour ces produits-là. Qu’en pensez-vous?

Mme McLellan : Je précise que notre groupe de travail n’a fait aucune recommandation sur d’éventuelles peines maximums.

Cela dit, je pense que ce que voulait faire le gouvernement, c’était faire comprendre aux organisations criminelles que, en se livrant au trafic de cannabis, spécialement auprès des jeunes, et en profitant des plus jeunes, des plus pauvres et des plus vulnérables, pour quelque raison que ce soit, elles risquaient non seulement d’être inculpées, mais aussi d’avoir un casier judiciaire et de purger une longue peine de prison.

S’agissant des longues peines de prison, sénateur, me demandez-vous de garantir, comme je le disais tout à l’heure, qu’elles ne seront infligées qu’à ceux qui sont membres d’organisations criminelles dont les agissements sont parfaitement connus de tous les agents de police du pays, sans parler de la misère qu’elles causent dans leurs communautés? Non, je ne peux pas le garantir, mais c’est déjà le cas avec notre système de justice actuel.

Je sais bien, comme je le disais à la sénatrice Bernard, que notre système n’est pas parfait, et les situations que vous venez d’évoquer le montrent bien. Nous devons compter sur le bon sens des procureurs de la Couronne et des responsables de l’application des lois, comme nous le faisons déjà aujourd’hui. On constate d’ailleurs une baisse constante et continue du nombre de poursuites pour possession d’une petite quantité pour usage personnel, parce que la police se dit : « Très franchement, ça n’en vaut pas la peine, nous avons d’autres chats à fouetter, bien plus importants ».

Le président : Ne devrions-nous pas plutôt envisager des amendes, des peines de service communautaire ou des mesures de justice réparatrice pour les jeunes qui se feront prendre? Ce sont les gros poissons que nous voulons attraper, pas le menu fretin.

Mme McLellan : Je suis d’accord. Je sais que ce serait trop demander à certaines personnes d’admettre que le système de justice pénale fonctionne bien pour la plupart des gens.

S’agissant de la déjudiciarisation dont vous venez de parler, c’est exactement la raison d’être de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents. C’est moi qui l’ai fait adopter. Vous et moi faisions partie du gouvernement qui a fait adopter la nouvelle Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents parce que nous voulions mettre l’accent sur la déjudiciarisation et éviter que les jeunes soient traînés devant les tribunaux pénaux pour avoir commis une infraction mineure à une loi quelconque. C’est en fait ce que nous espérons pour un moins de 18 ans qui se fait prendre en train de vendre du cannabis à un jeune de 16 ans, c’est-à-dire que, dans la plupart des cas, il ne sera pas traîné devant les tribunaux pénaux, mais sera sanctionné en vertu de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, ce qui sera beaucoup mieux pour lui et pour sa famille.

Suis-je en train de vous demander de croire que le système fonctionne généralement — pas toujours — de façon sensée, raisonnable et proportionnée? Oui, absolument.

Le président : Merci, mon temps de parole est écoulé. Nous allons maintenant entamer le deuxième tour, mais, tout d’abord, je vous signale que les lumières clignotent, ce qui signifie que nous allons être appelés à aller voter à 17 h 9 sur le projet de loi C-49, modifiant la Loi sur les transports. Je vous rappelle que nous devrons aussi aller voter à 17 h 30 sur le projet de loi S-219. Autrement dit, nous sommes arrivés à la fin de cette première partie de la séance et nous ne pouvons pas avoir de deuxième tour.

Le moment est venu de passer aux témoins suivants et d’accueillir la délégation du ministre de la Santé du Nouveau-Brunswick. Il ne nous reste pas beaucoup de temps. Nous aurons probablement une demi-heure, mais nous pourrons revenir après les votes.

Je remercie beaucoup l’honorable Anne McLellan et le Dr Mark Ware. Merci beaucoup de tout ce que vous avez fait.

J’ai le grand plaisir de souhaiter la bienvenue à la délégation du Nouveau-Brunswick, menée par l’honorable Benoît Bourque, ministre de la Santé. Il est accompagné de la Dre Jennifer Russell, médecin-hygiéniste en chef, de Neill McKay, conseiller principal en matière de politiques de la santé, et de Patricia Steeves, chef des opérations, Finances. Voilà, j’ai présenté tout le monde et je vous souhaite à tous la bienvenue devant le comité.

Permettez-moi tout d’abord de vous remercier d’être arrivés un peu plus tôt, parce que nous avons un vote à 17 h 30 et que, comme nous venons juste de l’apprendre il y a quelques minutes, nous en aurons un autre à 17 h 9. Nous devrons donc suspendre la séance cinq minutes avant 17 heures. Est-ce que cela suffira à tout le monde d’avoir 14 minutes pour traverser la rue?

Des voix : Absolument.

Le président : Ce sera juste, mais ça ira.

Si, en attendant, nous pouvons terminer notre dialogue avec nos invités, très bien, mais si ce n’est pas possible, nous pourrons revenir après les votes. Cela veut dire que nous pourrions revenir environ 10 minutes avant 18 heures, pour siéger jusqu’à 18 h 15.

D’abord, j’aimerais savoir si cela vous convient.

L’honorable Benoît Bourque, député, ministre de la Santé, gouvernement du Nouveau-Brunswick : Oui.

Le président : Très bien. Qu’en dites-vous, sénateurs? Pensez-vous pouvoir revenir? En revanche, si vous pouvez poser toutes vos questions d’ici 16 h 55, nous en aurons fini pour la journée et nous nous reverrons demain matin.

Je vous propose de nous limiter à trois minutes au lieu des cinq habituelles, qu’en dites-vous? Il vous suffira de parler un peu plus vite que d’habitude. De courtes questions et de courtes réponses nous permettront de finir à 16 h 55. Cela dit, je me tais et j’invite le ministre à faire sa déclaration liminaire.

M. Bourque : Merci beaucoup, monsieur le président, et merci à vous tous. Nous vous remercions de nous avoir invités à vous exposer notre point de vue et à vous faire part de notre expérience sur cette importante question.

Comme vous le savez, je m’appelle Benoît Bourque. Je suis ministre de la Santé du Nouveau-Brunswick. Je suis accompagné de la Dre Jennifer Russell, de M. Neill McKay et de Mme Patricia Steeves.

J’ai préparé un bref exposé que je vais maintenant vous présenter.

Le gouvernement du Nouveau-Brunswick est résolu à mettre en œuvre une politique homogène pour faire en sorte que la légalisation de la consommation de cannabis par les adultes soit axée en priorité sur la santé publique et la sécurité, tout en permettant à la province d’exploiter au maximum les débouchés économiques qu’offre ce secteur émergent.

J’ai eu le plaisir, à l’été 2017, de présider le comité spécial du Nouveau-Brunswick sur le cannabis. En septembre de cette année-là, le comité a publié un rapport intitulé Consultations auprès des gens du Nouveau-Brunswick : la légalisation du cannabis à des fins récréatives au Nouveau-Brunswick.

[Français]

Ces consultations ont permis de dégager plusieurs points qui font consensus : assurer la mise en œuvre d’un modèle adéquat, car n’y aura qu’une seule occasion de le faire; tenir le cannabis hors de portée des jeunes; faire obstacle au crime organisé; investir dans des programmes ciblés d’information et de sensibilisation; répondre aux préoccupations liées à la santé et assurer la sécurité du public.

Grâce aux mémoires et aux commentaires recueillis lors des consultations publiques, nous avons pu dresser un portrait fidèle des opinions et des sentiments des Néo-Brunswickois concernant cette importante question.

[Traduction]

Ensuite, l’assemblée législative a examiné et adopté un dispositif législatif exhaustif en vue de la légalisation de la consommation de cannabis par les adultes dans la province. Ce dispositif comprend la Loi sur la réglementation du cannabis, qui régit l’achat, la consommation et la culture de cannabis dans la province, la Loi constituant la Société de gestion du cannabis, qui régit la nouvelle société d’État chargée de la vente au détail de cannabis aux adultes dans la province, et la Loi sur le Fonds d’éducation et de sensibilisation en matière de cannabis, qui garantit que les recettes issues de la vente de cannabis seront employées de manière responsable pour prévenir l’assuétude et promouvoir la consommation responsable du produit.

Monsieur le président, le Nouveau-Brunswick est prêt pour la date butoir initiale de juillet 2018. Comme je l’ai dit, nous avons mis en place le dispositif législatif nécessaire pour protéger la santé et la sécurité de la population et pour organiser la vente de cannabis dans des magasins de la société d’État.

[Français]

Réaliser des recettes grâce à la vente du cannabis n’a jamais été notre premier objectif; néanmoins, le fait de reporter la date d’entrée en vigueur, prévue pour juillet 2018, aura des conséquences financières négatives sur la province du Nouveau-Brunswick.

Deux éléments aideraient la province alors que la date d’entrée en vigueur du projet de loi sur le cannabis arrive à grands pas. D’abord, nous devons établir une date de mise en œuvre, de manière à pouvoir continuer notre travail de planification, à procéder à l’embauche du personnel requis dans nos magasins de vente au détail, et à offrir la formation nécessaire aux employés.

[Traduction]

Nous avons aussi exprimé la nécessité que le dispositif législatif fédéral prévoie une période de transition, afin que le produit puisse être transporté légalement des producteurs jusqu’aux magasins de détail avant d’être vendu au public.

Le gouvernement du Nouveau-Brunswick se pose également des questions au sujet de la production commerciale de cannabis en plein air, car cela risque de provoquer le détournement d’une partie de cette production vers le marché illicite; de perturber les collectivités voisines, notamment en raison de l’odeur dégagée par la plante en période de floraison; d’accroître l’exposition à des pathogènes aéroportés, comme des matières fécales, des pesticides et des herbicides provenant de grandes exploitations de culture du cannabis; et de provoquer le remplacement de la production alimentaire par la production de cannabis sur de vastes superficies agricoles.

[Français]

Le gouvernement du Nouveau-Brunswick est d’avis que le fait de limiter la culture du cannabis aux installations intérieures, c’est-à-dire les serres et les bâtiments, optimisera à la fois l’efficacité réglementaire du projet de loi C-45 et les avantages économiques potentiels de cette légalisation. Nous croyons que la culture à l’intérieur permettra à toutes les régions du Canada, y compris le Nouveau-Brunswick, de bénéficier des investissements dans les installations de culture de cannabis, et non seulement à celles situées dans les régions du pays qui jouissent d’un climat favorable pour obtenir une bonne récolte à l’extérieur.

[Traduction]

Je vous remercie de votre attention. Nous répondrons maintenant avec plaisir à vos questions.

Le président : Merci beaucoup.

Je vais donner trois minutes à chacun, et je prendrai les noms pour un deuxième tour si c’est nécessaire. Nous commençons par les vice-présidentes.

[Français]

La sénatrice Petitclerc : Merci beaucoup de votre présence.

[Traduction]

Je trouve l’idée du fonds très intéressante. Les recettes de la vente seront versées dans un fonds. Pouvez-vous nous donner des détails et préciser le pourcentage? Comment est-il structuré pour le moment et qu’avez-vous l’intention de faire de cet argent?

M. Bourque : Oui, nous aurons un fonds consacré à la sensibilisation et à l’éducation. L’argent viendra d’une partie des ventes. Je vais laisser la parole à mes collègues, qui savent mieux que moi comment le fonds fonctionnera et comment l’argent sera perçu.

Le Fonds d’éducation et de sensibilisation en matière de cannabis permettra à la province de mettre en œuvre des politiques sur l’utilisation responsable du cannabis et la responsabilité sociale des entreprises, en l’aidant à financer des travaux de recherche et le développement de programmes destinés notamment aux écoles et à l’information des consommateurs, ainsi que des mesures de prévention et d’atténuation des risques. Le fonds servira à financer des programmes d’éducation et de sensibilisation favorisant une utilisation responsable du cannabis, y compris le développement et la mise en œuvre de politiques et de programmes d’atténuation des risques, de projets de recherche sur le cannabis et son utilisation responsable afin de prévenir l’usage abusif qui peut en être fait.

Le fonds sera alimenté par les producteurs autorisés, qui, pour contribuer aux objectifs du fonds, se sont engagés à verser 2 p. 100 du montant brut de leurs ventes. J’ajoute que pour l’année financière 2018-2019, le gouvernement a prévu un crédit de 250 000 $ comme mise de fonds initiale afin d’assurer que les programmes pourront débuter avant le mois de juillet 2018. Étant donné que la contribution des producteurs ne sera versée qu’après la date de légalisation, nous nous sommes pour notre part engagés à verser ces 250 000 $ au fonds afin de pouvoir prendre sans attendre les mesures que j’évoquais il y a un instant.

Les fonds en question seront attribués à des destinataires très divers, y compris des chercheurs, des organisations non gouvernementales, des ministères et autres organismes officiels. Dès l’entrée en vigueur de la nouvelle loi, le ministre des Finances nommera un comité consultatif qui, chaque année, recommandera les projets pouvant bénéficier d’un financement. Ce comité comprendra sept personnes et, si vous le souhaitez, je peux dès maintenant vous en fournir la liste. Le comité aidera à définir les critères d’admissibilité, et formulera des recommandations touchant l’attribution des crédits aux divers candidats.

Ce sera l’occasion de mettre dès le départ l’accent sur l’importance du rôle de la responsabilité sociale des entreprises dans la culture de ce nouveau secteur réglementé. Les producteurs autorisés de notre province ont, heureusement, exprimé la volonté de collaborer avec les autorités. C’est avec eux que nous nous sommes entendus en premier, mais nous avons bon espoir de pouvoir parvenir à un même type d’accord avec les producteurs autorisés d’autres provinces.

Le président : Nous allons maintenant passer la parole à la sénatrice Seidman.

La sénatrice Seidman : Je vous remercie, monsieur le ministre, d’avoir accepté notre invitation.

J’aurais une question à vous poser au sujet de la culture à domicile. Certaines provinces entendent en effet autoriser la culture à domicile, aux conditions prévues dans le projet de loi C-45, mais le Nouveau-Brunswick se propose d’imposer des restrictions supplémentaires, en exigeant notamment que les plantes cultivées à l’intérieur le soient dans un espace à part qui devra être fermé à clé, et que les plantes cultivées à l’extérieur le soient dans un bout de terrain entouré d’une clôture d’au moins 1,52 mètre de haut pouvant être fermée à clé. Pourquoi le Nouveau-Brunswick a-t-il estimé devoir prendre ces précautions supplémentaires au regard des dispositions du projet de loi C-45 touchant la culture à domicile?

M. Bourque : Je suis heureux que vous me posiez la question.

Vous n’ignorez pas que certaines provinces entendent imposer des restrictions encore plus sévères et interdire toute culture à domicile. Or, pour l’instant, nous sommes à l’aise avec les dispositions fédérales qui interdisent simplement de cultiver plus de quatre plantes. Cela nous paraît acceptable, même si nous avons souhaité ajouter quelques restrictions supplémentaires.

L’idée, je pense, était de souligner qu’il s’agit néanmoins d’un produit réglementé et contrôlé. Tirons une parallèle avec les armes à feu, par exemple, qui, elles aussi, doivent être conservées sous clé dans un endroit désigné. La situation est analogue. Nous ne voulons pas, par exemple, que les enfants, ou les mineurs y aient accès. Les mesures que nous envisageons devraient aider en cela.

Ainsi, le propriétaire ou l’occupant d’un local pourra effectivement faire pousser du cannabis, mais nous voulons que chacun sache qu’on ne peut pas faire n’importe quoi. Nous voulons que chacun comprenne qu’il ne s’agit pas d’un produit comme les autres, et que sa culture doit être soumise à des contrôles.

La sénatrice Seidman : Vous venez de nous dire que d’autres provinces, telles que le Québec et le Manitoba, ont opté pour une approche encore plus restrictive, car elles entendent interdire purement et simplement la culture à domicile.

M. Bourque : En effet.

La sénatrice Seidman : Vous estimez, j’imagine, que les provinces devraient avoir le droit de prendre ce genre de décisions selon ce que semble appeler leur situation particulière.

M. Bourque : Je ne peux guère me prononcer sur les mesures que les autres provinces estiment devoir prendre. Je peux dire, cependant, qu’au Nouveau-Brunswick nous n’avons rien à redire aux dispositions du projet de loi C-45 touchant la culture à domicile, mais nous estimons être en droit d’apporter les quelques restrictions supplémentaires qui nous paraissent indiquées.

La sénatrice Seidman : Vous estimez donc que les provinces devraient être en droit de décider pour elles-mêmes?

M. Bourque : Je pense, en effet, que les provinces devraient avoir une certaine latitude quant à la manière d’appliquer les dispositions du projet de loi.

[Français]

La sénatrice Poirier : Bienvenue, monsieur le ministre.

Plusieurs des témoins que nous avons entendus nous ont fait part de leurs inquiétudes concernant la culture à domicile. La GRC s’inquiète de ne pas avoir une main-d’œuvre suffisante. Les municipalités se demandent si elles auront les ressources financières nécessaires. Les experts en santé craignent que cette politique ne soit pas conforme aux objectifs de santé publique du projet de loi. Les agents immobiliers sont inquiets pour la sécurité et la salubrité des logements. De plus, on sait que des provinces ont décidé tout simplement de ne pas autoriser la culture des plants à domicile.

Sur quelles données votre gouvernement s’est-il appuyé afin de permettre la culture non seulement à l’intérieur, mais également à l’extérieur? Je pense que le Nouveau-Brunswick est, à ce jour, la seule province qui prévoit d’autoriser la culture à l’extérieur.

M. Bourque : Je ne suis pas au courant de ce que les autres provinces ont fait ou pas par rapport à cette question. Ce que vous dites est tout à fait possible, sénatrice. En ce qui nous concerne, nous sommes à l’aise, en tant que gouvernement, d’appliquer ce qui a été proposé dans le cadre du projet de loi C-45 pour ce qui est de la culture à domicile.

Cela dit, nous avons ajouté des réglementations assez strictes. Je vais répéter un peu ce que j’ai dit dans ma réponse précédente : nous mettons en place des réglementations beaucoup plus strictes, qui vont au-delà de ce qui est présenté dans le projet de loi, pour démontrer clairement que c’est un produit qui est réglementé et avec lequel on doit procéder d’une façon plutôt sensible. C’est pour cette raison que nous pensons que, grâce à ces mesures, nous donnerons un signal clair, soit que nous pouvons quand même exercer un contrôle.

Une chose importante également, et je pense que cela fait partie de nos règlements, c’est que toute culture doit être approuvée par le propriétaire. Le propriétaire d’un immeuble à logements ou le propriétaire de n’importe quel logement locatif doit donner son approbation. S’il ne la donne pas, il sera interdit de cultiver ces plants.

La sénatrice Poirier : Votre gouvernement est celui qui a été le plus prompt au Canada à présenter un projet de loi pour réglementer le cannabis. Or, depuis que vous l’avez fait, nombre de comités ont entendu beaucoup de témoins qui ont exprimé de nombreuses inquiétudes. Aussi, on se demande si vous n’avez pas été peut-être un peu trop rapides. Avez-vous été aussi prompts pour accorder des budgets à une possible campagne d’éducation, dans les écoles, pour les parents et les jeunes?

M. Bourque : Je dirais que oui. Nous avons rapidement créé un fonds en y mettant une somme initiale de 250 000 $.

La sénatrice Poirier : Cela a été annoncé seulement récemment, n’est-ce pas?

M. Bourque : Nous faisons preuve de leadership. C’est quand même un engagement prévu au budget actuel, cette somme de 250 000 $, donc à compter du 1er avril.

Je pense que nous nous y prenons de façon responsable.

[Traduction]

Le sénateur Munson : Je tiens à vous remercier de votre présence ici. Je suis heureux d’entendre qu’un gouvernement est à l’aise — c’est le mot que vous avez employé — avec le calendrier prévu, malgré les préoccupations exprimées à cet égard.

Je voudrais, monsieur le ministre, demander à la Dre Russell de nous dire comment, dans l’optique d’un médecin-hygiéniste, le Nouveau-Brunswick entend approcher la question, et si vous avez, par le passé, recueilli des statistiques sur la consommation de marijuana dans la population de votre province ou chez une certaine partie de la population.

Dre Jennifer Russell, médecin-hygiéniste en chef, Santé, gouvernement du Nouveau-Brunswick : Le fait que des considérations de santé publique aient été prises en compte tout au long des discussions aboutissant à la légalisation du cannabis, et à la rédaction du projet de loi a beaucoup facilité nos efforts en ce domaine. Nous avons, ainsi, pris contact avec nos partenaires au Colorado afin de nous inspirer des enseignements qu’ils ont tirés de la situation dans leur État.

Nous avons œuvré de concert avec le Centre canadien sur les dépendances et l’usage de substances, ainsi qu’avec nos partenaires canadiens, et nous nous sommes à maintes reprises entretenus avec les membres du Groupe de travail FPT sur la légalisation et la réglementation du cannabis. Nous avons ainsi pu recueillir des renseignements fondés sur des données probantes quant aux questions qui devraient être prioritaires du point de vue de la santé publique. Il s’agit de protéger les secteurs vulnérables de la population, la jeunesse notamment, et d’atténuer les risques.

Voilà, donc, certains des efforts que nous avons menés dans l’optique des dispositions actuellement envisagées.

Le sénateur Munson : Le problème est que nous allons devoir, au Sénat, nous prononcer sur la question d’ici le 7 juin, alors que, aux yeux de certains, l’adoption du projet de loi devrait être retardée. Or, monsieur le ministre, cela n’est pas votre avis. Estimez-vous être prêts?

M. Bourque : Oui, j’estime que nous sommes prêts. En fait, nous préférerions que les nouvelles dispositions entrent en vigueur le 1er juillet. Nous avons pris les mesures nécessaires. J’en discutais avec les membres de notre équipe, et il nous faudra environ 10 semaines pour nous préparer et, par exemple, recruter le personnel nécessaire afin que tout soit en place à la date prévue. Nous allons, dès le mois prochain, louer des locaux et, si un retard d’un mois ou deux ne faisait pas une grande différence, un retard plus long occasionnerait au gouvernement des dépenses considérables. Nous estimons avoir pris des mesures raisonnables — et là c’est le ministre de la Santé qui parle — afin de garantir la sécurité et la santé publiques. Donc, je peux vous répondre que oui, nous estimons être prêts et nous souhaiterions pouvoir, après le 1er juillet, commencer le plus tôt possible.

La sénatrice Raine : Comme beaucoup d’autres, je m’inquiète des effets que la consommation de cannabis peut avoir sur le processus de développement cérébral. D’après les travaux de recherche portés à l’attention de notre comité, en matière de consommation, l’âge minimum devrait se situer entre 21 et 25 ans. Quelles sont, dans votre province, les discussions qui vous ont portés à opter pour un âge minimum sensiblement plus bas, en l’occurrence 19 ans. Pourriez-vous nous dire un peu comment cela s’est fait?

M. Bourque : Je tenterai d’être bref, car l’été dernier, alors que je présidais le comité spécial chargé de la question, nous en avons longuement débattu.

Nous sommes au courant, comme vous l’êtes sans doute vous-mêmes, des données touchant le développement cérébral, qui peut, selon l’individu, se prolonger jusqu’à 25 ans. Il s’agit donc de chercher à équilibrer les risques que la consommation de cannabis peut poser pour la santé, et ce qui se passe effectivement sur le terrain. C’est un fait que la consommation commence bien avant l’âge de 25 ans. Cela fait une éternité que nous interdisons la consommation, depuis des décennies au moins, et peut-être même depuis un siècle ou deux. Or, les résultats de cette interdiction ne sont guère concluants.

Nous avons, dans un souci d’équilibre, opté pour l’âge de 19 ans, car l’âge auquel on accède normalement aux études supérieures nous a paru marquer une étape importante. Nous voulions au moins interdire la consommation aux mineurs, et nous avons surtout insisté sur cela. Cela dit, la limite d’âge nous paraît moins importante que la pédagogie et les campagnes de sensibilisation. Nous avons donc mis l’accent sur ces types de mesures, plutôt que sur l’interdiction aux personnes n’ayant pas l’âge voulu.

La sénatrice Raine : D’après vous, la limite d’âge devrait-elle être la même dans tout le Canada?

M. Bourque : On peut en effet se poser la question, mais je ne peux pas, pour ma part, vous répondre sur ce point. Selon moi, il faudrait toutefois éviter un écart trop important.

La sénatrice Raine : Je ne comprends pas pourquoi les gouvernements provinciaux ne se concertent pas sur ce point, en particulier au niveau des ministères de la Santé qui sont déjà en contact les uns avec les autres.

Vous avez tous sans doute entendu parler du syndrome amotivationnel, un syndrome clinique reconnu aux États-Unis. Pour comprendre de quoi il s’agit, il n’y a qu’à taper « Syndrome amotivationnel » sur Google. Tout le monde devrait voir de quoi il s’agit au juste.

Je sais que les responsables de la santé publique vont faire un gros effort de pédagogie, et cela me paraît en effet essentiel. Cela dit, nous sommes sur le point de normaliser la consommation d’un produit qui est nocif. Cet aspect de la question a été largement évoqué ici. Pourriez-vous me dire, dans l’optique de la santé publique, si vous êtes prêts à faire face aux problèmes de santé mentale qui semblent accompagner l’usage de cette substance?

Dre Russell : Pour ce qui est de la normalisation, je dois dire que, hélas, le taux d’utilisation du cannabis chez les jeunes est, dans l’Est du pays, y compris au Nouveau-Brunswick, un des plus élevés du pays. C’est regrettable, mais l’on peut dire que la normalisation a donc déjà eu lieu.

Nous souhaiterions employer les 250 000 $ qui ont été dégagés, pour lancer une campagne d’information. Nous allons bientôt lancer, dans les médias sociaux, des initiatives pédagogiques comportant deux volets, un à l’intention de la population en général, et l’autre visant plus particulièrement les populations à risque. Or, il faut que l’information diffusée n’ait pas pour effet d’accroître chez les gens le désir de s’adonner au cannabis. Nous espérons que le taux d’utilisation n’augmentera pas parmi les gens de ces deux catégories, et nous voudrions même le voir baisser. Les revenus tirés de la vente vont nous permettre de financer ces campagnes d’information et de sensibilisation.

Nous sommes préoccupés, cependant, mais la normalisation va créer un autre problème, car les personnes qui vont commencer à fumer du cannabis risquent également de se mettre à fumer du tabac. Nos efforts en vue de décourager l’usage du tabac ont permis d’abaisser le taux de consommation et nous ne voudrions pas voir ce taux à nouveau augmenter. C’est pourquoi nous allons, par des mesures énergiques, nous efforcer d’atténuer l’effet de normalisation.

La sénatrice Omidvar : Je vous remercie de votre présence parmi nous. Je constate que non seulement vous êtes prêts, mais vous me semblez être archi-prêts.

Je voudrais cependant vous demander si les collectivités des Premières Nations sont prêtes, elles aussi. Pourriez-vous nous dire en outre, le rôle qu’elles jouent dans tout cela et la manière dont elles réagissent à vos initiatives. Selon le Comité des peuples autochtones, la date d’entrée en vigueur de ces nouvelles dispositions devrait être retardée, peut-être d’un an. Quel est votre avis à cet égard?

M. Bourque : Le comité que je présidais l’été dernier a accueilli les représentants d’une communauté autochtone. Son chef a déclaré qu’ils étaient prêts et qu’ils souhaitaient œuvrer aux côtés du gouvernement et contribuer à la mise en œuvre des nouvelles dispositions. Ils avaient même hâte de s’y mettre. Cette Première Nation a conclu un accord avec un producteur autorisé du Nord de la province, qui s’est engagé à recruter pour travailler dans son installation des membres de cette Première Nation. Cela dit, il semblerait que, du moins au Nouveau-Brunswick, toutes les communautés autochtones ne soient pas ainsi disposées. Il en existe, au Nouveau-Brunswick, un grand nombre, et si toutes ne nous ont pas encore contactés à cet égard, l’exemple que je vous ai cité m’est resté en mémoire.

La sénatrice Omidvar : Quel est leur point de vue au sujet des incidences sociales et des problèmes de santé mentale liés à l’usage du cannabis, en particulier parmi les membres d’une communauté qui, au niveau des démêlés avec la justice, est surreprésentée?

M. Bourque : Ce n’est pas un aspect de la question qu’ils ont vraiment choisi d’évoquer. Ils ont surtout parlé du manque de perspectives économiques au sein de leur communauté. Ils estiment que de nouvelles possibilités économiques vont permettre de créer des emplois, et renforcer, au sein de la population, le sentiment d’estime de soi. Cela devrait peser sur les chiffres de la criminalité. Ce n’est toutefois pas mon avis.

La sénatrice Bernard : Je suis sur la même longueur d’onde que la sénatrice Omidvar. Je me demandais, moi aussi, ce qu’il en est des populations autochtones. Dans une note d’information sur les efforts que vous avez engagés en ce domaine, je remarque qu’une Première Nation micmaque a monté une entreprise. Y en a-t-il d’autres? Il y a en effet, au Nouveau-Brunswick, de nombreuses communautés micmaques et malécites.

M. Bourque : En effet. Une des communautés micmaques semble s’être engagée à fond dans cette voie. Je ne sais pas vraiment ce qu’il en est, donc je ne peux pas vous en dire plus à cet égard. Ce sont les seuls représentants d’une Première Nation qui aient comparu devant notre comité. Je ne peux pas vous en dire davantage, d’un côté comme de l’autre.

La sénatrice Bernard : Vous venez de dire que les autres communautés n’ont pas comparu devant votre comité, mais êtes-vous, de votre côté, allés à leur rencontre?

M. Bourque : Nous avons fait une présentation dans sept collectivités de la province, et nous avons pris contact avec de nombreuses communautés autochtones. Je sais également que plusieurs d’entre elles se sont dites intéressées par Opportunités Nouveau-Brunswick, l’agence de développement économique de notre gouvernement. Elles ont pris contact avec cet organisme, car elles veulent, elles aussi, pouvoir profiter des possibilités économiques que cela représente, ainsi que des autres occasions qui leur seront offertes.

La sénatrice Bernard : Au Nouveau-Brunswick, y voit-on en quelque sorte un boum économique?

M. Bourque : Pas vraiment un boum, mais il est clair que cela présente de nouvelles possibilités économiques.

Le président : Je suis arrivé au bout de ma liste. Nous avons mené bon train, et nous n’aurons donc pas à nous réunir à nouveau demain à 18 heures. Il nous reste maintenant presque 20 minutes pour nous rendre à la Chambre et voter.

Je tiens à vous remercier, monsieur le ministre, et les collaborateurs qui vous accompagnent. Nous vous savons gré de nous avoir exposé le point de vue des autorités provinciales.

(La séance est levée.)

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