Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie
Fascicule no 51 - Témoignages du 22 novembre 2018 (séance de l'après-midi)
OTTAWA, le jeudi 22 novembre 2018
Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit, à 14 h 38, pour étudier la teneur des éléments des sections 8, 15, 16 et 21 de la partie 4 du projet de loi C-86, Loi no 2 portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 27 février 2018 et mettant en œuvre d’autres mesures.
La sénatrice Chantal Petitclerc (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Bonjour tout le monde. Bienvenue au Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie. Je m’appelle Chantal Petitclerc.
[Français]
Je suis sénatrice du Québec, et c’est avec plaisir que je préside la réunion aujourd’hui.
[Traduction]
Avant de donner la parole à notre témoin, j’aimerais inviter mes collègues à se présenter.
La sénatrice Seidman : Judith Seidman, de Montréal. Je suis vice-présidente du comité.
La sénatrice Forest-Niesing : Bonjour. Je m’appelle Josée Forest-Niesing, de l’Ontario. Je remplace le sénateur Ravalia.
La sénatrice Dasko : Donna Dasko, de Toronto.
[Français]
La sénatrice Mégie : Marie-Françoise Mégie, du Québec.
La présidente : Nous poursuivons notre étude de la teneur des éléments des sections 8, 15, 16 et 21 de la partie 4 du projet de loi C-86, Loi no 2 portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 27 février 2018 et mettant en œuvre d’autres mesures.
[Traduction]
J’aimerais maintenant présenter notre témoin, M. Phil Benson, de Teamsters Canada. Bienvenue.
[Français]
Bienvenue et merci de votre présence.
[Traduction]
Nous sommes prêts à entendre vos observations liminaires.
Phil Benson, lobbyiste, Teamsters Canada : Merci de me recevoir, madame la présidente, chers membres du comité.
Teamsters Canada est le principal syndicat du secteur privé qui représente des travailleurs relevant de la compétence fédérale — dans les secteurs aérien, ferroviaire, routier, du transport par autobus, de la messagerie et ainsi de suite. Je vais parler brièvement de certains des articles sur lesquels vous vous penchez, mais je vais mettre l’accent sur la partie 3 du Code canadien du travail.
Tout d’abord, Teamsters Canada appuie la position que le Congrès du travail du Canada a présentée ici hier.
Je veux commencer par la section 8 sur les prestations parentales et les congés parentaux. Nous sommes évidemment favorables à ces modifications. Nous pensons qu’elles améliorent le régime actuel.
L’un des problèmes que nous avons soulevés est celui du remplacement du salaire, à savoir que pour un grand nombre de personnes, même si cela représente une formidable possibilité compte tenu des pressions subies dans leur vie pour faire leurs versements hypothécaires et ainsi de suite, le taux n’est pas assez élevé, ce qui signifie qu’elles sont nombreuses à ne pas pouvoir en tirer parti. Nous félicitons toutefois le gouvernement de l’avoir proposé.
À la partie III du code, pour quelqu’un qui a participé à la Commission Arthurs, il sera formidable de voir dorénavant ces dispositions. On les attend depuis longtemps. Nous félicitons le gouvernement d’être passé à l’action. C’est sans aucun doute un pas dans la bonne direction.
La plus importante modification pour Teamsters Canada se rapporte au roulement de contrat. Le nouvel article 189 du projet de loi fera en sorte qu’il sera plus difficile pour les entreprises de présenter des soumissions basses et d’obtenir des contrats fédéraux en s’appuyant sur la réduction des avantages et des prestations des travailleurs prévus dans le code plutôt que sur le recours à leur expérience en gestion pour réaliser des économies.
Les modifications proposées ne règlent pas totalement le problème auquel font face les travailleurs syndiqués aux aéroports, où le roulement de contrats a un effet sur le droit à la négociation, l’indemnisation et les conditions d’emploi.
Teamsters Canada s’est réjoui d’entendre la ministre Hajdu annoncer que le gouvernement recourra à un règlement à la partie I du code pour s’attaquer à ce problème. Teamsters Canada participera à toutes les consultations sur le règlement, et nous encourageons le gouvernement à procéder rapidement pour les présenter.
La mauvaise classification des employés par les employeurs fait en sorte que des travailleurs ne sont plus protégés par le code. Elle crée aussi des règles de jeu inéquitables pour les entreprises. L’interdiction et l’inversion du fardeau de la preuve prévues au nouvel article 167.1 — à la page 449 du projet de loi — amélioreront les lois et la jurisprudence actuelles. C’est une question particulièrement importante dans le secteur du camionnage, et Teamsters Canada se réjouit de ce changement.
Le nouvel article 173.01 — à la page 450 du projet de loi — offre aux travailleurs non syndiqués une protection relativement à leur horaire. Cette protection ne s’applique pas aux travailleurs syndiqués. Si c’était le cas, elle ne s’appliquerait pas aux travailleurs syndiqués assujettis au pouvoir de Transports Canada de réglementer les heures de travail dans les secteurs aérien, ferroviaire et routier. La fatigue est une question de santé et de sécurité tant pour la population que les travailleurs. Le Bureau de la sécurité des transports a d’ailleurs mis la fatigue au premier rang de sa liste de surveillance.
Teamsters Canada exige que tous les travailleurs relevant de la compétence fédérale bénéficient de l’entière protection du Code canadien du travail et que le ministère du Travail s’acquitte de son mandat de protéger les travailleurs du secteur des transports. C’est une question de santé et de sécurité.
La fatigue attribuable à de longues heures de travail peut se traduire par une maladie physique, dont le diabète, une mort prématurée, des dommages cognitifs permanents et un coût social pour les familles. Les employeurs transfèrent ainsi les coûts à la Loi canadienne sur la santé et aux particuliers. Nous avons demandé à Santé Canada de faire une étude et à Travail Canada de quantifier ces coûts pour en tenir compte dans l’évaluation scientifique effectuée au moment d’établir des règles à Transports Canada.
Les heures des travailleurs du secteur des transports sont longues, et l’allongement d’une journée de travail est un irritant majeur qui les force à travailler plutôt que d’assumer leurs responsabilités familiales. Les employés des services de messagerie en ont l’habitude. Les limites imposées au nouvel article 174.1 — à la page 491 du projet de loi —, soit le droit de refuser d’effectuer les heures supplémentaires pour s’acquitter d’obligations familiales, sont progressistes. Cela montre que le gouvernement comprend les pressions exercées sur les travailleurs. On le constate de nouveau au nouvel article 181.1 — à la page 452 du projet de loi — qui porte sur les pauses pour des raisons médicales.
Passons à la protection des salariés. Vous voyez que c’est un gros projet de loi. Nous l’avons tout étalé ici.
Nous nous réjouissons de la hausse de trois à sept semaines. Nous ne savons pas trop quoi penser au sujet des salaires admissibles. Nous croyons que les salaires devraient comprendre l’ensemble des prestations et des indemnités, pas que les salaires proprement dits. Bien entendu, la grande lacune à cet égard, c’est l’absence de mesures pour protéger les pensions. Prenez la situation actuelle de Sears Canada. Cependant, l’un de mes dossiers les plus malheureux est celui des camionneurs mêlés au fiasco de Nortel. Ce ne sont pas les salaires qui préoccupent la plupart des travailleurs dans ces situations, mais c’est une mesure positive.
Je suis très heureux que, pas plus tard qu’aujourd’hui, le gouvernement a annoncé, je crois, qu’il commencera une courte consultation jusqu’à décembre pour examiner la question des pensions, le traitement des pensions et l’insolvabilité. J’en suis extrêmement heureux. Teamsters Canada participera à tous les aspects de cette consultation.
Le dernier passage ayant retenu mon attention est la section 21, soit les deux articles simples qui portent sur la pauvreté. C’est ambitieux. De toute évidence, nous nous en réjouissons, comme tous les Canadiens. Le projet de loi C-87, qui, bien entendu, reprend exactement les deux derniers articles, a retenu mon attention.
Cela m’a un peu laissé perplexe, et j’ai pensé à deux ou trois choses. Je me suis, entre autres, dit qu’on voulait peut-être que cela figure au compte rendu. Quand on regarde le calendrier, la campagne électorale qui arrive en juin, on n’a peut-être tout simplement pas assez de temps pour être saisi du projet de loi, mais on veut s’assurer que cela figure au compte rendu.
Je n’ai jamais pensé — comme je plaisante beaucoup — que l’ajout de 12 articles au projet de loi pourrait en faire une longue mesure législative, un projet de loi omnibus, et ce n’est pas ce qu’on veut. Je ne sais pas.
Sur ce, je serai heureux de répondre à toutes vos questions, et j’espère pouvoir le faire. Sinon, je vais vous faire parvenir les réponses le plus rapidement possible.
La présidente : Merci beaucoup. Nous avons des questions.
La sénatrice Seidman : Merci de votre survol de la question. Il y a quatre sections et beaucoup de passages très complexes, notamment sur les codes du travail.
J’essaie de comprendre. Tout d’abord, vous avez dit que vous représentez le principal syndicat d’employés fédéraux, n’est-ce pas?
M. Benson : En effet.
La sénatrice Seidman : Pouvez-vous me donner une idée de ce que cela englobe?
M. Benson : Nous sommes le syndicat des employés chargés du transport dans la chaîne d’approvisionnement, à quelques exceptions près. À titre d’exemple, si un train se déplace, c’est grâce à un de nos membres, qui sont également dans les ports et les aéroports. Nous sommes dans les avions, les camions, et nous comptons environ 65 p. 100 des employés des services de messagerie. D’autres syndicats représentent des travailleurs fédéraux. Cependant, selon ce que j’ai cru comprendre de la part de Travail Canada, nous représentons environ 70 p. 100 de cette main-d’œuvre. Nos membres relèvent donc de la cour fédérale du secteur privé, de la fonction publique, et ils sont assujettis à différentes lois. Donc, dans le monde syndiqué, bien entendu, notre véhicule et nos finances sont blindés. Je pense qu’on trouve de nos membres à chaque section de l’Association des Employeurs des transports et communications de régie fédérale.
La sénatrice Seidman : Je vois. Vous avez donc des membres dans les différentes provinces.
M. Benson : Tout à fait, aux quatre coins du pays.
La sénatrice Seidman : Vous pouvez peut-être m’aider à comprendre. Ces modifications visent les travailleurs fédéraux de partout au pays dans les différentes provinces. Que se passe-t-il dans ces provinces? Doivent-elles également modifier leurs codes pour appliquer ces modifications?
M. Benson : Tout d’abord, ce ne sont pas les employés fédéraux, mais plutôt ceux qui relèvent de la compétence fédérale, en vertu des articles 81 et 86 de la loi de 1967.
Dans ce cas-ci, la réponse ne s’applique qu’aux travailleurs relevant de la compétence fédérale. Nous aimons croire que le gouvernement fédéral fait depuis toujours office de chef de file dans ces domaines, mais on accuse un certain retard. Comme vous le savez, ces modifications se font attendre depuis longtemps. Donc, si la province veut prendre des mesures similaires, elle devra adopter une mesure législative similaire.
C’est très compliqué. Nous n’allons pas aborder la question. Je vais plutôt vous revenir là-dessus. Il existe à cet égard des écarts très importants dans le secteur du transport.
La sénatrice Seidman : Il y a donc dans l’industrie du transport des complications liées au chevauchement des compétences. Est-ce ce que vous avancez, pour ce qui est de vos employés?
M. Benson : Non, le secteur du camionnage serait le meilleur exemple, à l’échelle fédérale ou provinciale, mais le gouvernement fédéral adopte des règlements, et les provinces — le conseil canadien des moyens de transport auquel nous siégeons en tant qu’intervenants réglementés... En général, le gouvernement fédéral réglemente; les provinces intègrent.
La sénatrice Seidman : Qu’est-ce que cela signifie?
M. Benson : Cela signifie qu’elles adoptent les règles fédérales en les intégrant.
La sénatrice Seidman : Juste celles qui fonctionnent.
M. Benson : Oui. Oubliez la partie III du code, à l’exception des dispositions sur les heures de travail, qui sont intégrées. Des aspects comme la taille des véhicules, ce à quoi ils ressemblent, qui peut conduire une voiture, la nécessité de subir un examen médical et ainsi de suite sont généralement réglementés à l’échelle fédérale, mais intégrés par les provinces. Le conseil est toutefois composé des trois : le fédéral, les provinces et les territoires. Par conséquent, lorsqu’une règle est établie, c’est parce que tout le monde est d’accord.
Même chose pour les heures de service. Dans le secteur du camionnage, ces décisions étaient prises par un comité et ensuite intégrées par les provinces.
La sénatrice Seidman : J’étais peut-être distraite, mais nous avez-vous donné le nombre d’employés dans votre syndicat, Teamsters Canada?
M. Benson : Nous avons 125 000 membres.
La sénatrice Seidman : Je vois, 125 000 membres. Merci.
M. Benson : La majorité de ces membres relèvent de la réglementation fédérale.
La sénatrice Seidman : Ils relèvent de la réglementation fédérale. Oui, exactement. C’est utile.
J’aimerais vous poser une question. En fait, nous avons entendu hier le témoignage du représentant des Employeurs des transports et communications de régie fédérale. Il a parlé des conflits qui surviennent actuellement en ce qui a trait aux conventions collectives en vigueur. Il a également parlé de l’incidence des règles et des règlements cumulatifs ainsi que du manque de définition claire de ce qu’on entend par « cumulatifs », lorsque deux conventions collectives prévoient cinq jours de congé, des minimums et des maximums. Il n’était pas clairement indiqué que c’était seulement cinq jours par rapport à cinq jours et plus. Ce n’est qu’un exemple sommaire.
J’aimerais savoir ce que vous avez à dire à propos des conflits liés aux conventions collectives en vigueur et que vous nous disiez si cette mesure législative pose des problèmes.
M. Benson : C’est une question de loi d’application générale et de conventions collectives, et c’est également lié aux règles de Transports Canada.
En général, la partie 3 du code établit des normes qui, dans la plupart des cas, renforceraient les conventions collectives. Je ne comprends pas le problème de ce qui est « cumulatif ». Si c’est une règle d’application générale, cela s’applique. Je crois qu’une période de deux ans est prévue pour les conventions collectives.
Je vais vous donner un exemple. Si les heures de travail changent, c’est d’ailleurs ce qu’on envisage de faire dans le secteur aérien, elles changent indépendamment des conventions. Il est possible qu’une convention soit meilleure que la norme, mais dans le cas contraire, il faut l’améliorer. Ce n’est toutefois pas cumulatif, à ma connaissance. Je n’ai jamais entendu cela avant, de toute façon, depuis que j’évolue dans le milieu. Cela veut seulement dire que, par exemple, si on n’a pas de dispositions sur le congé parental ou le congé pour les femmes allaitantes, la norme s’applique. C’est une règle d’application générale. Elle s’appliquera.
Si la convention prévoit quelque chose de mieux, c’est elle qui s’applique. Pour un travailleur non syndiqué ou sans convention collective qui aborde la question, la règle s’appliquera.
Il y a une question concernant le projet de loi à ce sujet, notamment pour ce qui est des règles relatives aux heures de travail et de transport par rapport à ce que prévoit le Code canadien du travail. On parle de deux ministères distincts qui n’ont pas les mêmes pouvoirs et qui obtiennent des résultats différents.
La sénatrice Seidman : En ce qui a trait à la prestation parentale partagée, vous êtes-vous demandé si le gouvernement fédéral devrait tenter de mesurer le succès de ce programme? « Succès » entre guillemets, bien entendu. Il y a d’autres programmes, par exemple, au Royaume-Uni. Les Britanniques ont essayé cette mesure en 2015, et la participation s’est révélée être très lente. Qu’en pensez-vous?
M. Benson : Je pense que c’est le cas. Je devrais avoir honte de ne pas y avoir consacré beaucoup de temps, mais quand je parle à des particuliers et à des membres, le plus gros problème, c’est carrément qu’il est trop difficile d’en tirer parti. La prestation existe, mais il y a une hypothèque et des voitures à payer. Peu importe s’il s’agit d’un homme ou d’une femme. J’ai vu les deux situations où le principal salarié doit gagner de l’argent.
Je pense que M. Roberts en a parlé hier, qu’il a fait part de sa préoccupation. C’est lié au remplacement du salaire. Quand on y pense, je crois qu’il est question d’un maximum de 545 $ par semaine, de quelque chose du genre. Lorsqu’on vit avec ce montant, on peut prendre le temps. Lorsqu’on est riche, dans la classe moyenne supérieure, on peut se le permettre parce qu’on a les moyens. Quand on est pauvre, il faut pouvoir payer son loyer.
Je pense que lorsque vous parlez de l’étude — pas tant dans la participation —, je crois qu’il serait formidable de voir les raisons pour lesquelles les gens n’en tirent pas parti. S’ils n’en ont pas une, je dirais que c’est plutôt ce genre d’approche qu’il faut adopter.
La sénatrice Seidman : Je vois. Merci.
[Français]
La sénatrice Mégie : Il y a une partie de ma question qui a déjà été posée par la sénatrice Seidman par rapport au congé de maternité. Maintenant, j’aimerais savoir quel est le pourcentage des femmes qui effectuent le transport interprovincial.
[Traduction]
M. Benson : Je n’ai pas ce chiffre, mais je reconnais qu’il est lamentablement faible.
[Français]
La sénatrice Mégie : Mais à peu près?
[Traduction]
M. Benson : Je vais essayer de vous trouver un chiffre. C’est une chose à laquelle nous voulons nous attaquer. Dans tous les domaines à prédominance masculine, nous voulons qu’il y ait plus de femmes. Une femme figure d’ailleurs parmi les dirigeants de l’Independent Truckers’ Association. Nous avons des femmes qui conduisent des camions et qui travaillent pour des services de messagerie. Nous avons beaucoup de femmes membres. C’est un peu différent quand il est question de longues distances.
[Français]
La sénatrice Mégie : J’essayais de voir l’impact des congés de maternité sur le budget de ces transporteurs, parce que je vois que vous étiez très positif quant aux nouvelles propositions du nouveau budget, donc c’est bien. Merci.
[Traduction]
La sénatrice Dasko : Je suis désolée d’y revenir encore une fois, mais pour éclaircir votre réponse à la sénatrice Seidman, je veux juste m’assurer de comprendre parce que je ne suis pas certaine que ce soit le cas. On a déjà abordé la question à quelques reprises, et je veux juste m’assurer de comprendre ce que vous dites.
Lorsque, par exemple, la convention collective d’un travailleur prévoit quatre jours de congé en cas de violence familiale et que le code fédéral dit qu’il est possible d’en avoir cinq, nous comprenons évidemment que ce n’est pas cumulatif. Le travailleur n’obtient pas neuf jours. Je pense que c’est clair.
Par contre, j’aimerais savoir si la norme supérieure est toujours acceptée, ou est-ce plutôt la norme de la convention ou du code? Laquelle l’emporte?
M. Benson : C’est une bonne question.
La sénatrice Dasko : La norme supérieure dans cet exemple hypothétique serait la disposition gouvernementale selon laquelle une période de cinq jours est préférable aux quatre jours prévus dans la convention collective. Vous dites ne pas être certain de savoir laquelle de ces...
M. Benson : C’est une réponse simple et une bonne question. On ne peut pas se soustraire à une loi d’application générale.
La sénatrice Dasko : C’est-à-dire le code.
M. Benson : La loi. C’est donc cinq jours. Je crois qu’on a prévu une période de deux ans ou quelque chose d’autre. Je vais vous donner un exemple.
Récapitulons. Cela serait comme dire que nous voulons l’équité salariale ou une politique d’embauche axée sur l’égalité entre les sexes alors que la convention mentionne le contraire. On ne peut pas se soustraire à une disposition d’application générale. Elle s’applique partout, en tout temps et sur tout, si je me fie à ma connaissance de la loi.
La sénatrice Dasko : Je vois. Donc, si vous prenez l’exemple inverse et que la convention collective est plus généreuse que le code, c’est alors la convention qui s’appliquera, n’est-ce pas?
M. Benson : La convention collective s’applique.
La sénatrice Dasko : Ce que vous dites, c’est que la norme supérieure s’applique dans tous les cas, n’est-ce pas?
M. Benson : Oui. Le rôle d’un syndicat consiste entre autres à se battre pour les personnes non syndiquées, pour tous les travailleurs, à hausser la barre pour tout le monde. Par conséquent, dans les faits, la plupart des conditions ici seront meilleures que ce qu’elles étaient, mais peut-être pas aussi bonnes que celles prévues dans les conventions collectives.
La sénatrice Dasko : Oui. Certaines seront meilleures, d’autres pourraient l’être moins.
M. Benson : Pas trop souvent. Il faut alors hausser la barre pour tout le monde. En tant que syndicat, nous disons que ce que nous avons obtenu pour une personne, nous le voulons pour tout le monde. Pourquoi déployons-nous des efforts pour avoir l’assurance-médicaments ou des soins de santé? Nous avons tous un régime à prestations. Pourquoi déployer des efforts à cette fin?
L’idée, c’est de hausser la barre pour tout le monde. Nous avons parlé des femmes dans le secteur du camionnage. Nous avons saisi la Cour suprême du dossier d’une femme membre qui recevait des prestations pendant son congé de maternité. C’est une mesure coûteuse, mais cela vaut le coup étant donné qu’elle est membre de Teamsters Canada et qu’elle a été traitée de manière injuste. Nous n’avons pas gagné, mais nous avons certainement tenté le coup. C’est pourquoi nous sommes favorables à cette disposition concernant le congé de maternité, même si elle ne porte pas exactement sur le même problème que celui que nous avions. C’est une chose que nous faisons.
La sénatrice Dasko : Merci. C’est plus clair pour moi. Votre conclusion, c’est donc que les normes supérieures s’appliquent, d’après ce que je peux voir.
M. Benson : On ne peut pas se soustraire à la loi.
Vous établissez la loi, et on s’attend évidemment à ce que tout le monde la respecte.
Le sénateur Munson : Je croule presque sous les questions le jeudi après-midi. Il y a beaucoup d’articles.
M. Benson : C’est terrible.
Le sénateur Munson : C’est compliqué, mais intéressant parce qu’il est question de la vie de personnes. Vous êtes généralement favorable à tout ce que vous voyez. Manque-t-il quelque chose?
M. Benson : Oui, absolument. Ce qui manque se rapporte à ce que j’ai dit à propos de la fatigue. Je me suis penché sur la question presque toute ma carrière, et on ne l’aborde pas, surtout pour ce qui est du secteur ferroviaire. Le plus gros problème, c’est qu’à l’époque où les dinosaures régnaient sur terre, Travail Canada a cédé son pouvoir d’établissement des heures de travail à Transports Canada pour ce qui est des travailleurs du secteur des transports. Et le mandat de Transports Canada est d’assurer un système de transport efficace, la sécurité publique et la rentabilité des entreprises.
Nous savons que les longues heures de travail des employés leur empoisonnent l’existence, créent des problèmes sociaux et coûtent cher en soins de santé. Transports Canada ne peut pas se pencher sur la question parce que cela ne relève pas de son mandat. Travail Canada a également les mains liées parce que cela relève du mandat de Transports Canada. Nous avons demandé à maintes reprises que Transports Canada en soit de nouveau responsable. Nous aimerions voir une étude pour quantifier le coût des soins de santé afin de déterminer ce que l’amélioration des heures de travail coûte à une entreprise. Ce dont on ne tient pas compte, c’est le coût des soins de santé nécessaires lorsqu’on n’en tient pas compte davantage. C’est une chose qu’on aurait dû régler à un moment donné — espérons que ce sera fait le plus tôt possible —, car il est tragique de mettre les gens dans cette situation. Je vous propose de remplacer le mot « fatigue » par « amiante » et de vous demander si vous allez étudier la question.
Le sénateur Munson : Ce serait une de vos recommandations pour notre rapport.
M. Benson : Malheureusement, cela renvoie partiellement à la partie III, à la partie I, à Transports Canada et plus haut dans la chaîne alimentaire.
Si vous voulez faire une recommandation, je m’en réjouirais, mais je crois que cela dépasse la portée du projet de loi, même si j’aimerais qu’il en soit question.
Je ne rate jamais une occasion d’en parler, car c’est triste lorsque le Bureau de la sécurité des transports dit que c’est le principal problème, mais qu’on ne regarde pas à Transports Canada s’il y a une incidence sur la santé et la sécurité, ce que cela fait aux gens. C’est le minimum pour garantir la sécurité du public et un revenu pour les travailleurs, sans parler du risque qu’ils vivent moins vieux, qu’ils souffrent du diabète ou de dommages cognitifs. On ne se penche pas sur ces choses, encore moins sur les coûts sociaux attribuables au fait d’être loin de chez eux, aux divorces et à toutes les autres choses qui en découlent. Nous aimons notamment le préavis de 96 heures et les autres questions d’horaire parce que cela devrait s’appliquer à nous, du moins en partie. Merci. C’était une bonne question.
Le sénateur Munson : Je vous remercie de la réponse. J’ai juste une autre observation. Au cours des quelques derniers jours, nous avons vu les gens d’affaires indépendants — ils ne le disent pas, mais je crois qu’ils ont l’impression que le gouvernement s’ingère dans toutes les pratiques exemplaires auxquelles on se livre dans le secteur privé et dans les petites entreprises. Pourtant, vous vous en réjouissez du point de vue des travailleurs. Je ne crois pas que la partie adverse dans tout cela serait du même avis. Quelle est l’explication?
M. Benson : Je dirais que la sphère de compétence fédérale est dominée par d’énormes entreprises que vous connaissez, pour lesquelles beaucoup de nos membres travaillent. On ne parle donc pas de petites entreprises de camionnage, qui sont déjà visées par une grande partie des règles qui sont établies. Cela ne s’appliquerait certainement pas à une petite entreprise familiale à Orleans.
Je compatis donc avec les gens quand ils disent que j’ai peut-être un problème. Nous ressentons un certain degré d’équité et de justice pour eux. Nous éprouvons de la compassion pour les gens, pas juste pour les syndiqués, mais aussi pour les gens au gouvernement et ainsi de suite. Ce que je veux dire, c’est que j’aurai le droit de ne pas souscrire à un mauvais ou à un bon comportement ou à un comportement différent, de l’excuser. Je pense que la façon dont je traite mes travailleurs est parfaitement acceptable, et lorsque nous nous organisons, nous aimons entendre une entreprise dire qu’elle sait ce qui est le mieux pour ses employés.
Je pense que dans la sphère de compétence fédérale, il faut établir les normes pour les banques, le secteur ferroviaire, le secteur aérien, les WestJet, les Air Canada, CNCP et les autres pour qui nous travaillons, et pour une grande partie des entreprises de camionnage et des entrepreneurs privés qu’on voit sur la route. Ce sont tous des Teamsters, et c’est donc peut-être un peu ingénieux, mais je ne pense pas que beaucoup d’employés de petite entreprise sont à ce niveau. Il y en a peut-être, mais je ne sais pas de qui il s’agit.
La présidente : Nous avons le temps de poser d’autres questions, de faire un deuxième tour.
Je crois que je vais en poser une brève. Vous avez mentionné que les gens ont besoin du préavis de 96 heures, et je voulais que vous parliez peut-être un peu plus de l’incidence de cette mesure. Je suppose que c’est positif dans le secteur des transports.
M. Benson : Je ne crois pas que cette mesure s’appliquerait dans le secteur des transports, compte tenu de l’écart entre Travail Canada et Transports Canada. La majorité du secteur a des règles de redressement. Je ne sais pas s’il est toujours question de 96 heures. Je pense que c’est moins dans le secteur du camionnage, où les horaires diffèrent en fonction des conventions collectives et de la loi, surtout de la loi.
Ce qu’il faut surtout retenir de ce que j’ai dit sur la fatigue et Transports Canada, c’est que lorsqu’on joue avec les rythmes circadiens des gens et qu’on veut changer les quarts de travail, cela demande du temps. Chaque changement de quart de travail demande du temps, car pour chaque heure différente, il faut prévoir une journée. La façon d’organiser ces horaires est donc très importante. Du point de vue de la santé — c’est une question de sécurité publique —, on ne veut pas de conducteurs d’autobus, de camionneurs ou de pilotes fatigués, même s’ils le sont à cause des règles. Faites-moi confiance : ils sont épuisés. Le préavis de 96 heures leur donne non seulement le temps d’adapter leur horaire, mais aussi, par exemple dans le cas d’un père monoparental, de trouver quelqu’un pour garder son enfant. Il a peut-être une série de rendez-vous chez le médecin pendant la semaine auxquels il ne pourra se rendre si ce n’est des dispositions relatives aux congés qui pourraient se révéler utiles.
L’autre problème, ce sont les heures supplémentaires inattendues. L’employé peut dire qu’il a des responsabilités familiales et qu’il ne peut pas faire d’heures supplémentaires, et on lui répond qu’il n’a pas le choix. Eh bien, à partir de maintenant, il pourra peut-être refuser. Je ne sais pas comment cela se concrétisera, mais ce n’est pas déraisonnable.
La sénatrice Seidman : J’aimerais revenir à vos observations sur le Programme de protection des salariés. Vous avez mentionné que, malheureusement, les régimes de pension ne sont pas visés. Vous dites que cela fera maintenant l’objet d’une discussion.
M. Benson : Pas plus tard qu’aujourd’hui.
La sénatrice Seidman : Pas plus tard qu’aujourd’hui.
M. Benson : L’annonce a été faite aujourd’hui.
La sénatrice Seidman : Vraiment? À l’heure actuelle, existe-t-il des programmes fédéraux qui s’attaquent à la perte de pension?
M. Benson : Je pense que j’ai témoigné cinq fois devant un comité quand Nortel faisait faillite. Le problème du régime canadien par rapport à d’autres régimes, c’est que les autres régimes sont financés autrement. Dans le cas de Sears aux États-Unis, on a été forcé de vendre Craftsman et de verser l’argent dans le régime de pension.
Ici, de toute évidence, on a remis les dividendes aux actionnaires.
À d’autres endroits — c’est ce que nous aimerions voir —, la priorité est accordée aux travailleurs. Autrement dit, les régimes de pension ne sont pas une priorité pour d’autres créanciers. Ce sont les premiers à être payés.
Le plus important, c’est d’avoir les bonnes règles pour que l’argent soit versé dans le régime. Nous entendons souvent dire : « Eh bien, préféreriez-vous avoir un emploi ou une pension? » Je pense que c’est une chose ridicule à demander. Les pensions sont des salaires reportés. En ce qui nous concerne, nous étions d’avis que c’était un vol de salaire. Pour protéger les salaires, il faut protéger les pensions, qui ne sont pas un cadeau de l’employeur. Je ne sais pas si les sénateurs reçoivent une pension — peut-être; je ne sais pas —, mais c’est votre argent et votre salaire. C’est votre salaire, et il doit être entièrement protégé. Au Canada, malheureusement, à chaque ronde de négociations, les créanciers se présentent et annoncent la fin du monde. Pourtant, c’est ce qu’on fait dans d’autres pays et ce n’est pas la fin du monde. C’est une lacune importante et cela se produit régulièrement. Ce n’est que lorsqu’une entreprise comme Sears ou Nortel est impliquée que cela fait les manchettes, pendant un certain temps.
Nous félicitons le gouvernement. Je pense que c’est une courte étude qui prendra fin en décembre à un moment donné. Espérons que cela fera avancer les choses — au moins la discussion. Cela ne fera rien pour les gens qui ont perdu leur pension. Certaines des personnes avec qui je faisais affaire à l’époque recevaient 25 cents par dollar. Cela fait mal.
La sénatrice Seidman : Je suppose que vous avez participé à la consultation ou présenté un mémoire.
M. Benson : La consultation vient tout juste de commencer aujourd’hui.
La sénatrice Seidman : Non, pas celle qui porte là-dessus, mais plutôt celle sur la mesure législative que nous avons sous les yeux.
M. Benson : Non, et la simple raison, c’est qu’elle a été déposée le 29 octobre. On nous a demandé de comparaître une semaine et demie plus tard — vous parlez du projet de loi C-86.
La sénatrice Seidman : Je parle de la période qui a précédé le dépôt du projet de loi C-86. Il y a eu une consultation, apparemment, avant que le document soit rédigé.
M. Benson : Vous pouvez prendre les mémoires du Congrès du travail du Canada. Dans le milieu syndical, nous collaborons et avons une position commune. Les quelques points que nous avons soulevés avec vous représentent les positions uniques de Teamsters Canada que le congrès n’a pas à inscrire dans son document. C’est la raison simple pour laquelle nous disons que nous appuyons le document. En matière d’équité salariale, nous avons souvent une position commune, car nous nous sommes penchés ensemble sur le dossier pendant 10 années — 7, 5 ou peu importe.
La sénatrice Seidman : Voyez-vous des problèmes dans ce projet de loi? Essentiellement, vous estimez que c’est positif.
M. Benson : C’est positif. Pourrait-il être mieux? Bien sûr, car tout peut être mieux. Par exemple, le cas dont j’ai parlé concernait le retrait préventif d’une membre de Teamsters Canada. Le problème n’était pas le retrait préventif, mais le remplacement du salaire. Nous réclamions un meilleur remplacement du salaire, et on nous a refusé le droit d’appel. Nous avons fait de notre mieux pour obtenir une indemnisation pour ce congé préventif. Il est difficile de vivre avec 455 $ par semaine quand on gagne habituellement 1 000 ou 1 500 $. Même lorsqu’il est question d’un congé préventif et de ce genre de choses, nous n’examinons pas le coût réel du remplacement du salaire pour déterminer si la personne peut subvenir à ses besoins.
La vie est chère pour une mère monoparentale ou deux personnes qui habitent une grande maison.
[Français]
La sénatrice Mégie : Vous avez dit plus tôt qu’on se préoccupait très peu de la santé de ces employés dans l’industrie du transport. Qu’est-ce qu’on pourrait ajouter pour mieux surveiller leur état de santé?
[Traduction]
M. Benson : C’est une excellente question. Malheureusement, c’est l’impasse dans laquelle nous nous trouvons, à savoir que rien dans le Code canadien du travail n’a une incidence sur le pouvoir de Transports Canada d’établir des règles à cet égard. Cela ne s’applique tout simplement pas.
Travail Canada, qui a le mandat d’assurer la santé et la sécurité des travailleurs, ne l’autoriserait probablement pas. Transports Canada n’a pas à en tenir compte.
Vous comprenez l’impasse — cela part de plus haut. D’ici à ce qu’un gouvernement dise que cela suffit, qu’il ne faut plus procéder en vases clos, qu’il faut faire les études et s’assurer que c’est sécuritaire, c’est impossible dans le régime que nous avons actuellement. Cela ne s’applique pas. Vous pouvez changer le Code canadien du travail comme vous le voulez, mais cela n’aura pas d’importance tant qu’on procède encore en vases clos.
[Français]
La sénatrice Mégie : Croyez-vous qu’il serait réaliste d’exiger un bilan de santé annuel des employés par l’intermédiaire d’assurances privées?
[Traduction]
M. Benson : En vertu de la loi, un routier qui travaille pendant un certain temps doit faire un examen médical annuel. Nous avons de formidables régimes à prestations qui payent pour les médicaments et pour enterrer les gens, mais cela ne règle pas le problème. Quand le médecin dit qu’on a le diabète ou des problèmes cognitifs, ou qu’on est obèse et que cela entraîne des problèmes cardiaques, des infarctus, nous savons qu’il y a un lien avec la fatigue. On n’en tient pas compte. Tout ce qu’on veut savoir, c’est si la personne est apte à utiliser la machinerie et ne pose pas de danger pour le public. Dans l’affirmative, elle rentre chez elle.
C’est une excellente question.
La présidente : Je vais vous poser une question à caractère idéaliste. Que pensez-vous de l’effet de ce genre de mesures? Vous m’avez fait penser à la question compte tenu de ce que vous avez dit, soit que si c’est bon pour une personne, ce l’est pour tout le monde. D’après votre point de vue et votre expérience — vous œuvrez dans le domaine depuis longtemps —, même si ces mesures ne s’appliquent pas à tout le monde dans tous les secteurs, créent-elles une sorte de norme ou inspirent-elles un changement de culture? Ont-elles ce genre d’effet secondaire selon vous? Je sais que c’est difficile à quantifier.
M. Benson : En général, si l’on regarde la portée générale du projet de loi, on voit qu’il a des visées pratiques autant que souhaitables. Il est également important pour le gouvernement fédéral de donner l’exemple et je crois qu’il a ici l’occasion et l’obligation de fixer des normes décentes, que ce soit dans ce dossier, dans celui de l’équité salariale ou celui de la santé et de la sécurité, et de donner des exemples positifs, non pas fixer un seuil minimal, mais plutôt monter la barre pour que d’autres intervenants dans d’autres provinces puissent faire évoluer les choses. Il faut monter la barre. Cela peut avoir une incidence. Ce qui est encore plus important, c’est que tous ces changements n’auront peut-être pas une incidence énorme sur un grand nombre de personnes, mais si vous faites partie des gens ou du groupe concernés, l’effet sera bien ressenti, qu’il s’agisse du partage du congé parental, de l’avis de 96 heures ou du droit de refus des heures supplémentaires. Si le travailleur est habilité et peut exercer son droit, sa vie changera grandement. C’est ce que nous voulons, ce que nous voulons tous.
La présidente : Merci beaucoup.
La sénatrice Omidvar : Je m’excuse auprès de notre témoin de mon retard. J’ai eu une journée chaotique avec beaucoup de va-et-vient.
J’ai examiné rapidement votre mémoire, et j’aimerais vous poser une question générale. Il s’agit de la première fois que l’on effectue une mise à jour du Code canadien du travail depuis des décennies. Pensez-vous que les changements proposés dans le projet de loi nous rapprochent de la réalité de la main-d’œuvre d’aujourd’hui, laquelle, comme nous le savons, est marquée davantage par les contrats, le temps partiel et la précarité? Il y a également l’optique sexospécifique. Pouvez-vous nous parler des changements sexospécifiques?
M. Benson : C’est une excellente question. Il y a une section importante, la section 8. Le fait que le projet de loi en parle et contient des dispositions qui visent cet aspect veut dire que le monde du travail évolue.
Pour les dinosaures comme moi, cet aspect ne s’applique pas, mais pour la jeune génération, comme celle de ma fille et de ses amis, le monde est complètement différent. Nous devons toujours respecter le modèle traditionnel du travail, le milieu de travail traditionnel, mais j’irai encore plus loin que vous. Il faut protéger le travailleur précaire, celui qui fait des quarts, qui cumule les contrats, les chauffeurs Uber du monde, ainsi que les femmes, les personnes LGBTQ2, les Premières Nations et les réfugiés, de façon à empêcher non seulement les abus, mais également à aider les gens à comprendre leurs droits et leur donner les moyens de les faire respecter.
Bien souvent, on ne peut pas tout simplement dire : « Chef, vous me devez quatre heures de travail. » On a plutôt peur de se faire congédier. Le projet de loi ne parle pas des contrats zéro heure. Or, c’est un problème énorme dans cette économie de petits contrats et de travail à temps partiel. Lorsque j’étais plus jeune et j’avais besoin d’argent, je pouvais me trouver trois boulots à temps partiel et travailler 48 heures par semaine. De nos jours, une entreprise dira : « Je t’embauche à temps partiel pour que tu travailles le lundi, le mardi et le mercredi. Je peux t’appeler n’importe quand et tu dois venir, mais je ne suis nullement obligé de t’offrir des heures ces jours-là. Et si je t’appelle et tu ne viens pas, tu seras viré. »
Les ouvriers se retrouvent les mains liées. Sur papier, ils ont droit à 48 heures par semaine, mais d’une semaine à l’autre, ils pourraient en travailler 16 ou encore perdre leur emploi parce qu’ils ont choisi de travailler pour un autre employeur.
C’est le travail le plus précaire, et il devient la norme. Cette situation n’est pas du tout inhabituelle.
Si vous travaillez à votre compte comme camionneur ou comme entrepreneur, en théorie, vous pouvez travailler où vous voulez. Si vous êtes travailleur autonome, vous pouvez prendre le contrat qui vous intéresse. Voilà la section sur la classification erronée et la raison pour laquelle elle est tellement importante. C’est la raison pour laquelle ces employeurs disent que ce sont des travailleurs autonomes, mais ce sont en fait des employés. Ce faisant, les employeurs lient les mains des gens en ne leur permettant pas de travailler ailleurs au risque de se faire congédier, mais parallèlement, ces travailleurs ne peuvent invoquer le code.
Les Teamsters ont eu gain de cause en cour. Aux termes du Code canadien du travail, nous pouvons recruter des gens à titre de membres du syndicat, mais cette classification erronée aura une incidence.
Bien des éléments du projet de loi réunis offrent des amorces de solution à ces problèmes.
La sénatrice Omidvar : Lors de l’audition du dernier groupe de témoins, la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante nous a parlé du besoin de souplesse. On a discuté des mérites de la souplesse et de la normalisation. La fédération a indiqué que le projet de loi, qui apporte bien des changements avec un effet cumulatif, réduirait le nombre d’emplois plutôt que de créer la main-d’œuvre et le marché du travail dont nous avons besoin. Avez-vous un avis là-dessus?
M. Benson : La plupart des membres de la FCEI ne relèvent pas de la compétence du gouvernement fédéral, et je crois qu’ils sont préoccupés par le cadre provincial.
Là où ce genre de loi est entré en vigueur aux États-Unis et au Canada, on assiste à une croissance foudroyante au chapitre des emplois et des salaires. Cela revient à ce que j’ai dit plus tôt lorsque vous n’étiez pas là. C’est la même rengaine : « J’ai toujours eu des préjugés à l’égard des femmes. Il me faut de la souplesse pour que je garde mes préjugés. Vous allez modifier la loi pour m’enlever cette souplesse, et cela va faire du tort à mon entreprise. » On pourrait également dire : « Je donne toujours des contrats zéro heure à mes employés. Je fais de l’argent, mais mes employés ont un salaire de crève-faim, et je veux continuer de la sorte parce que j’ai besoin de souplesse. »
La souplesse est un phénomène merveilleux lorsqu’elle est accordée avec équité, mais d’après notre expérience, ce n’est pas le cas. Il faut des normes pour protéger les gens.
Lorsque les entreprises disent : « Je ne peux faire affaire à moins d’avoir les conditions suivantes », je leur réponds que votre capital serait peut-être mieux dépensé ailleurs. Voilà l’économiste qui parle. Parfois, lorsqu’on fixe des normes... Prenons le cas du salaire minimum. Tout le monde dit : « C’est pour protéger les travailleurs. » Un salaire minimum établit également la productivité marginale. Nous sommes essentiellement un pays capitaliste. Si on n’obtient pas cette productivité marginale de la main-d’œuvre à 14 ou à 15 $ l’heure, on gaspille le capital.
Il faut parfois avancer pour réaliser des gains d’efficacité. Je regrette si certaines personnes en souffrent, mais il faut protéger les travailleurs, les gens qui sont vulnérables, qui sont impuissants, qui n’ont aucun levier pour négocier et aucune occasion de dire qu’ils iront ailleurs. Il est difficile de se trouver un emploi, même si le taux de chômage est bas. Les gens ont du mal à trouver du travail.
Parfois, il faut mettre ses culottes et dire : « Voilà les normes. Assume-les et fais avec. » Des études montrent que lorsque de telles normes sont en vigueur, par exemple en Ontario qui a des lois semblables, il y a eu une énorme croissance du nombre d’emplois. Lorsque les gens ont des boulots précaires mal rémunérés et reçoivent leur chèque de paye, ils doivent le dépenser, au contraire des riches. Cela fait l’affaire des entreprises à long terme. C’est l’occasion de générer davantage d’affaires.
Comme vous le voyez, je compatis, mais pas tant que ça.
La présidente : Sur ce, je vous remercie de votre comparution, monsieur Benson. Nous vous sommes reconnaissants.
[Français]
Nous poursuivons notre étude de la teneur des éléments des sections 8, 15, 16 et 21 de la partie 4 du projet de loi C-86, Loi no 2 portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 27 février 2018 et mettant en œuvre d’autres mesures.
[Traduction]
J’aimerais maintenant présenter notre prochain témoin. Mme Nora Spinks, directrice générale de l’Institut Vanier de la famille, témoignera par vidéoconférence. Soyez la bienvenue. Vous disposez de sept minutes pour faire votre déclaration et les sénateurs vous poseront ensuite des questions. Allez-y.
Nora Spinks, directrice générale, Institut Vanier de la famille : Merci beaucoup. Je suis ravie de pouvoir témoigner et je m’excuse de ne pas pouvoir le faire en personne.
Certains d’entre vous me connaissent et connaissent certainement l’Institut Vanier, mais pour ceux qui ne le savent pas, notre institut est un organisme de recherche établi ici à Ottawa par le gouverneur général à l’époque, Georges Vanier, en 1965. Il a créé l’institut au titre d’une commission royale permanente qui ne serait jamais dissoute. Nous avons comme fonction de comprendre les familles dans toute leur complexité et leur diversité, y compris les aspects qui concernent l’emploi et les finances familiales. C’est donc dans cette optique que je vous parlerai aujourd’hui.
Je m’appelle Nora Spinks, comme l’a dit la présidente, et je suis actuellement la directrice générale de l’Institut Vanier. Avant d’arriver à l’institut, j’ai travaillé sur des dossiers qui touchaient au Code canadien du travail et aux normes en matière d’emploi, dont certains qui nous concernent aujourd’hui.
Pour vous donner un peu de contexte, sachez que nos familles d’aujourd’hui sont plus diverses que jamais. Leur vie est complexe. Parfois, les relations s’embrouillent. Un nombre plus élevé d’adultes travaillent et doivent quand même s’occuper de membres de la famille. Bon nombre d’entre eux ont des emplois précaires ou hors normes. On peut aborder la question de différentes façons, mais pour bien comprendre les congés, il faut savoir qu’ils servent à s’occuper de soi-même ou d’autres personnes. On parle donc de tout congé ou absence pour s’occuper de soi-même ou d’autres personnes tout en conservant des liens avec le marché du travail et ne pas être désavantagé à cause de ses responsabilités familiales.
La sécurité du revenu des particuliers et de leur famille, le besoin de stabilité et de prévisibilité des finances familiales, le revenu familial, la possibilité de participer à des activités, d’établir un budget, de planifier et de gérer les flux d’argent deviennent des défis de taille pour les personnes qui occupent des emplois précaires ou hors normes.
Lorsque nous nous penchons sur les initiatives visant le lien travail-famille, à la fois dans le secteur privé et dans le secteur public élargi, nous parlions autrefois d’une semaine de travail standard et d’un lien avec le travail standard. C’était un emploi permanent à temps plein ou à temps partiel, bien encadré, du lundi au vendredi, avec parfois des heures supplémentaires, mais pas les horaires et les milieux de travail 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, que nous retrouvons de plus en plus.
Nous avions des normes en milieu de travail établies par le Code canadien du travail et d’autres lois régissant l’emploi qui aidaient à définir les normes. Lors des derniers changements apportés au Code canadien du travail, nous avons vu plus de dispositions sur la souplesse et les modalités de travail différentes et de nouveaux cheminements de carrière. Le modèle standard s’est assoupli et diversifié quelque peu. Maintenant, nous voyons plus de modèles taillés sur mesure. Nous le voyons non seulement dans les liens avec la main-d’œuvre, mais également de façon élargie dans nos sociétés et dans nos collectivités. On personnalise et on taille sur mesure. Il y a plus d’arrangements de travail personnalisés, de cheminement de carrière personnalisé, voire même de formation personnalisée.
Lorsque nous examinons les dispositions dont nous sommes saisis aujourd’hui, nous parlons en fait de familles et d’employés et, au final, de leurs employeurs et de leurs collègues, afin de définir le nouveau milieu du travail et nos nouveaux liens avec la main-d’œuvre d’une façon qui est beaucoup plus représentative des vies des gens aujourd’hui. Il y a plus d’adaptabilité, d’autonomie et de marge de manœuvre. Parfois, ce qui en résulte est en fait le contraire : moins de choix, moins d’autonomie, moins de marge de manœuvre lorsque ce sont les employeurs qui sont les décideurs, comme vous en avez discuté lors de votre dernière réunion.
La section 15 qui prévoit des congés payés pour les victimes de violence est très importante. C’est une mesure positive qui vise un petit groupe de personnes, certes, mais le soutien accordé à ce petit groupe est énorme. Il donne l’occasion aux personnes qui sont victimes de violence de se mettre à l’abri. Lorsqu’elles ont le courage de quitter une situation dangereuse, elles savent qu’elles n’ont pas forcément besoin de mettre en péril leur lien avec la main-d’œuvre.
Lorsque nous parlons de congés personnels et de congés pour des choses comme les comparutions en cour et la participation à un jury, c’est très important, car de plus en plus de gens doivent aller en cours pour régler des questions familiales, sont témoins d’incidents ou de crimes, ou encore y vont pour appuyer quelqu’un qui se trouve dans le système judiciaire ou être membre d’un jury.
Sur le plan familial, les vacances sont importantes pour l’unité de la famille et donnent l’occasion de passer du temps ensemble. C’est également une occasion pour de nombreuses familles de ne pas avoir à assumer le coût de la garde des enfants. Dans certains cas, si les familles prennent des vacances, elles ne paient pas de frais de garde pendant cette période.
Nous savons que la plupart des parents n’utilisent pas tous leurs jours de congé, car les gens en conservent comme police d’assurance pour s’occuper de leurs aînés ou des enfants, prendre un jour de maladie ou encore prendre congé les jours où la gardienne n’est pas disponible, ce qui fait que dans bien des cas, ces jours de congé ne sont malheureusement pas utilisés d’une façon qui favorise la santé et le bien-être comme c’était prévu à l’origine.
Puisque l’accessibilité et la disponibilité de ces avantages sont fonction de la durée du service, les personnes qui occupent des postes précaires, contractuels ou à temps partiel ne peuvent en bénéficier.
En ce qui concerne cette section particulière et la souplesse accordée, il faut se souvenir de la réalité que connaissent les familles et celle à laquelle les collectivités et les employeurs s’adaptent. Nous avons de très bons exemples d’employeurs qui parviennent fort bien à offrir ce type de congé et à soutenir leurs employés sans conséquence négative. Le défi, pour ce qui est du Code canadien du travail, c’est de s’assurer que le reste des employés qui ne sont pas aussi chanceux puissent également bénéficier du même soutien.
Je me ferai un plaisir de répondre à vos questions et de vous donner d’autres exemples, si telle est votre volonté.
La présidente : Merci beaucoup.
La sénatrice Seidman : Merci beaucoup pour votre exposé aujourd’hui. Nous sommes très reconnaissants. J’ai une question sur le programme de prestation parentale partagée. Vous représentez l’Institut Vanier de la famille, et j’aimerais savoir ce que vous pensez des motifs qui ont donné lieu à la création de ce nouveau programme.
Mme Spinks : Il faut savoir certaines choses sur les prestations de maternité ou parentales qui sont normalement utilisées par les femmes. Historiquement, c’est un avantage social sexospécifique et plus de femmes s’en prévalent que d’hommes. Donc s’il y a des désavantages, comme le fait d’interrompre son parcours professionnel ou ses années de service, ce sont les femmes qui doivent les assumer. C’est un fait reconnu à l’échelle mondiale, et non seulement au Canada.
Deux phénomènes se manifestent de façon simultanée et font que les hommes s’intéressent aux prestations parentales. Tout d’abord, dans le passé, c’étaient les grand-mères, paternelles ou maternelles, qui s’occupaient de la mère après l’accouchement. De nos jours, ces grand-mères font partie de la génération des baby-boomers qui en grande partie travaillent toujours lorsqu’elles deviennent grand-mères et qui ne sont pas forcément libres d’offrir ce soutien, et ne sont pas forcément disponibles non plus pour offrir des services de garde en cas d’urgence ou un soutien quelconque pendant les deux premières années, si importantes, de l’enfant.
Le deuxième phénomène qui est d’une importance critique, ce sont les pères, les pères qui participent beaucoup plus à la grossesse. Ils accompagnent leurs conjointes aux rendez-vous médicaux. Ils participent plus aux cours de préparation à la naissance. Ils sont présents lors du travail et de l’accouchement. Bon nombre d’entre eux s’occupent de leurs conjointes après l’accouchement lorsque les grand-mères ne sont pas disponibles.
C’est l’occasion de reconnaître cette nouvelle réalité pour la plupart des familles, mais c’est également l’occasion de fournir le soutien nécessaire aux pères afin qu’ils puissent profiter pleinement de ces avantages. En permettant le partage et des possibilités de périodes de temps flexibles, on accorde plus de souplesse aux familles. On permet aux pères de partager leur temps afin d’être à la maison après la naissance. Les pères peuvent aussi être présents à la fin du congé. Les dispositions proposées dans cette version du projet de loi ou dans les amendements reconnaissent cette réalité.
Autrefois, on entendait les hommes dirent que leur femme attendait un enfant, et ensuite on a commencé à entendre : « Nous attendons un bébé. » Maintenant, les jeunes hommes parlent de leur accouchement et ils participent activement à titre de parent. Qu’ils soient mariés ou en union libre ou encore vivent à part, ils sont papas à part entière. Les prestations leur donnent l’occasion de le faire. Ce faisant, on réduit la pression sur les femmes qui devaient assumer le poids entier de toute conséquence négative en raison d’une perte de revenu ou de revenu à des fins de pension dans l’avenir.
La sénatrice Seidman : Merci beaucoup d’avoir fourni le contexte historique. Nous comprenons tous dans une certaine mesure l’histoire stéréotypique de ces programmes et l’évolution des choses.
Pensez-vous que ces changements sont ceux qu’il faut? Pensez-vous qu’ils auront l’effet recherché? Il y a des facteurs culturels, bien sûr, ainsi que la réalité financière des familles, et j’aimerais savoir si c’est l’approche à retenir. Allons-nous pouvoir atteindre les objectifs visés?
Mme Spinks : J’ai quelques réponses. Du point de vue de la famille, chaque fois qu’il y a un congé, il y a les facteurs temps et argent. On veut passer du temps avec un être bien-aimé pour s’occuper d’un parent ou d’un enfant, et on voudrait avoir les ressources financières nécessaires pour le faire sans subir de conséquences négatives. Avec le régime proposé, il y a plus de temps, mais il n’y a pas plus d’argent. Les familles nous disent que c’est formidable de disposer de plus de temps, mais il faut tenir compte de l’aspect financier.
Pour certaines familles, la réduction des frais de garde externes pour les programmes d’apprentissage en bas âge et de soins de garde compense la perte de revenu. Ce que les familles recherchent et revendiquent haut et fort, c’est le taux de remplacement. Certains pays, pour accorder du temps et de la souplesse pendant les deux à trois premières années de l’enfant, octroient un montant dont les gens peuvent se servir comme ils l’entendent, c’est-à-dire pour compenser une perte de revenu ou prendre un congé. D’autres pays proposent d’autres formules.
Tout est une question de concessions. Ces concessions se font en partie par choix. On peut vouloir être à la maison ou être sur le marché du travail. On peut être le principal soutien de famille, notre conjoint peut être le deuxième soutien ou c’est peut-être égal. Il peut y avoir des circonstances qui font qu’on n’a pas le choix. On peut avoir un enfant qui a des besoins particuliers ou bien des jumeaux, et cela fait en sorte qu’on doit être plus longtemps à la maison, ou bien, dans votre culture, on s’attend à cela de vous, c’est votre devoir, votre rôle. C’est donc toujours une question de choix, de culture et de circonstances.
Il faut faire des concessions sur le plan du temps et de l’argent. Pour certains, c’est pour une courte période. On veut du temps maintenant parce qu’on sait qu’on aura seulement un enfant. D’autres personnes ont un deuxième enfant et souhaitent rester un peu plus longtemps à la maison pour offrir à la famille le soutien dont elle a besoin.
Le problème, c’est que de nombreuses familles n’ont pas accès aux congés ou aux prestations. Si elles n’ont pas accès à des prestations, alors qu’en est-il des congés? Il faut toujours harmoniser les dispositions sur les congés dans les lois sur l’emploi avec les prestations qu’offre le programme d’assurance-emploi et avec les politiques et les pratiques des employeurs. Ces trois éléments sont essentiels lorsqu’il est question des congés offerts pour prendre soin de soi-même ou d’autres personnes.
La sénatrice Seidman : Je vous remercie beaucoup.
La présidente : Vous avez parlé du congé parental, et je crois qu’il y a davantage de souplesse quant aux heures de travail qu’il faut accumuler pour avoir droit à des congés.
J’ai vu aussi qu’il y avait des dispositions concernant des pauses non payées pour l’allaitement ou pour des raisons médicales. Est-ce que ces dispositions auront une incidence positive sur l’égalité des sexes sur le marché du travail de façon générale?
Mme Spinks : Lorsque les hommes bénéficient de ressources, de congés et de prestations, nous observons que l’écart entre les sexes rétrécit, car les avantages sont les mêmes pour les deux sexes, alors je dirais qu’il y a effectivement une incidence positive.
Pour ce qui est de l’admissibilité et de l’accès à ces types de programmes, de congés et de soutien, il est certain qu’une partie de la population active n’a pas encore accès aux prestations ou aux congés. On contribue à réduire le stress que vivent les familles en diminuant les critères d’admissibilité et en favorisant un accès plus rapide.
Lorsque nous parlons du stress que vivent les familles, on ne parle pas seulement du stress associé à la situation à laquelle elles doivent faire face dans l’immédiat, mais aussi du stress lié à l’avenir. Les familles nous disent souvent que, ce qui est important, ce n’est pas seulement de pouvoir bénéficier des prestations ou des congés, mais aussi de savoir que ces mesures existent advenant le cas où elles en auraient besoin. C’est un soulagement en soi.
Nous devons penser non seulement aux personnes qui en bénéficieront, mais aussi aux personnes qui veulent savoir que ces mesures existent en cas de besoin. Vous comprenez?
La présidente : Oui, tout à fait. J’ai une dernière question pour vous.
Vous avez parlé d’autres pays. Je sais que votre institut mène beaucoup de recherches et qu’il examine beaucoup de recherches menées ailleurs. Comment se comparent ces mesures de soutien aux familles que nous proposons à celles en vigueur dans d’autres pays? Est-ce qu’elles font du Canada un chef de file ou de quels pays devrions-nous nous inspirer?
Mme Spinks : Ces mesures nous font certes monter dans le classement. Nous nous classons déjà très bien pour ce qui est de ce genre de programmes et du fait que nous reconnaissons l’importance d’investir des fonds publics pour le bien de la population dans des mesures pour les familles. Nous devançons largement les États-Unis. Nos mesures sont comparables à celles mises en place dans certains pays de l’Union européenne. Nous devançons également l’Australie et la Nouvelle-Zélande, mais il y aura encore des améliorations à apporter dans l’avenir.
On pourrait notamment offrir une plus grande souplesse en ce qui concerne l’accès aux congés. Certains grands-parents nous ont dit qu’ils aimeraient bien pouvoir bénéficier des prestations parentales à l’instar des parents. Ils souhaitent davantage de souplesse, moins de rigidité.
Le revenu est toujours un aspect important pour les familles, particulièrement les familles à faible revenu. Un taux de remplacement du salaire de 55 p. 100 est insuffisant, alors ces familles demandent un meilleur taux, mais c’est un élément qui concerne le programme d’assurance-emploi et non le Code du travail.
En ce qui concerne les nouvelles dispositions du Code du travail, je peux vous dire que de nombreuses familles pourront bénéficier d’avantages auxquels elles n’avaient pas droit, c’est-à-dire des familles qui vivent dans la précarité, qui font partie de cette tranche de la population qui n’a pas encore accès à ces mesures de soutien, qui sont les plus vulnérables et les plus susceptibles d’être exploitées par un employeur et qui ont du mal à se faire entendre lorsqu’elles veulent se défendre individuellement ou collectivement.
Nous sommes sur la bonne voie. Y a-t-il d’autres progrès à faire? Tout à fait.
La présidente : Je vous remercie.
Le sénateur Munson : Je vous remercie beaucoup pour votre témoignage aujourd’hui. Combien de familles seraient touchées par ces mesures? Vous avez dit qu’il y aurait de nombreuses familles. Quelle serait l’incidence pour ces familles et pour le pays sur le plan économique?
Mme Spinks : Je détiens ces chiffres et je serais plus que ravie de les fournir au comité. Je ne les ai pas avec moi, mais nous avons fait les calculs, alors je serais heureuse de vous les transmettre.
La présidente : Nous vous en serions reconnaissants.
Mme Spinks : Lorsqu’on parle des familles qui bénéficieront de ces mesures, on parle des familles de l’ensemble du spectre économique qui en bénéficieront de différentes façons. Certaines en bénéficieront directement grâce aux congés et à la protection de leur emploi. Pour d’autres, ces mesures fourniront l’occasion d’avoir une conversation avec leur employeur. Lorsque ces mesures entreront en vigueur, particulièrement celles concernant le Code canadien du travail, il est certain qu’elles auront une incidence sur les normes du travail provinciales. On se trouve à rehausser les normes.
C’est ce qui s’est produit lorsque le gouvernement fédéral a mis en place des congés pour soins de compassion. À la suite de l’entrée en vigueur des nouvelles prestations et des nouveaux congés, des dispositions similaires ont été ajoutées dans des lois provinciales et des conventions collectives.
Ceux qui risquent le plus d’être laissés de côté sont ceux qui sont marginalisés au sein de la population active, ceux dont on ne tient pas compte, qui font partie du bassin du marché noir et qui sont exploités et ne bénéficient pas des mesures comme elles le devraient. Comme je l’ai dit, c’est une situation à laquelle il faut remédier. On ne pourra pas le faire par l’entremise du Code canadien du travail, mais nous avons l’occasion d’entamer une discussion à propos des conditions de travail et de la participation au marché du travail de l’ensemble des Canadiens.
Le sénateur Munson : Selon vous, il s’agit donc d’une question qui touche les droits de la personne, la dignité ou le respect?
Mme Spinks : Je crois que la dignité est un aspect qui est lié à tous les types d’emploi, tout comme le respect et le sens de l’honneur. Les gens doivent pouvoir s’occuper d’eux et des autres, et la plupart d’entre eux obtiennent leur revenu grâce à leur emploi ou à leur participation au marché du travail. Il s’agit de façon générale de traiter les gens avec humanité, respect et dignité et de s’assurer que ceux qui sont les plus susceptibles d’être exploités bénéficient de mesures de protection comme celles prévues dans le Code du travail et les lois sur les normes en matière d’emploi.
La présidente : Je vous remercie beaucoup, madame Spinks, pour le temps que vous nous avez accordé et l’éclairage que vous avez jeté sur notre étude de ces sections du projet de loi.
(La séance est levée.)