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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie

Fascicule no 53 - Témoignages du 20 février 2019


OTTAWA, le mercredi 20 février 2019

Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd’hui, à 16 h 16, pour étudier le projet de loi S-252, Loi sur les dons de sang volontaires (Loi modifiant le Règlement sur le sang).

La sénatrice Chantal Petitclerc (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Bonjour à tous. Soyez les bienvenus au Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie.

[Français]

Je m’appelle Chantal Petitclerc, sénatrice du Québec. C’est avec plaisir que je préside la réunion d’aujourd’hui.

[Traduction]

Avant de donner la parole à nos témoins, j’inviterais tous mes collègues à se présenter, en commençant par notre vice-présidente.

La sénatrice Seidman : Judith Seidman, du Québec.

[Français]

La sénatrice Forest-Niesing : Bonjour et bienvenue. Josée Forest-Niesing, de l’Ontario.

[Traduction]

Le sénateur Ravalia : Mohamed-Iqbal Ravalia, de Terre-Neuve-et-Labrador.

Le sénateur Manning : Fabian Manning, de Terre-Neuve-et-Labrador.

La sénatrice Dasko : Donna Dasko, de l’Ontario.

Le sénateur Munson : Jim Munson, de l’Ontario.

La sénatrice Omidvar : Ratna Omidvar, de l’Ontario.

Le sénateur Tannas : Scott Tannas, de l’Alberta.

La sénatrice M. Deacon : Marty Deacon, de l’Ontario.

[Français]

La présidente : Merci. Avant de présenter nos témoins, j’aimerais brièvement soulever deux points. Aujourd’hui, nous tenons notre première réunion dans nos nouveaux locaux, que nous aimons déjà. Je tiens à remercier tous ceux et celles qui ont contribué aux efforts dans le cadre des nouvelles installations et qui ont participé aux multiples essais qui nous ont permis de tester l’équipement de cette pièce et de nous assurer de son bon fonctionnement.

[Traduction]

En deuxième lieu, j’aimerais vous faire part d’une information qui témoigne du bon travail que fait notre comité. Vous vous souviendrez peut-être du documentaire intitulé Mum’s the Word qui est sorti l’été dernier et qui cherchait à faire la lumière sur les adoptions forcées au Canada. Le sénateur Eggleton et moi y faisions une brève apparition. Le but était d’attirer l’attention sur les adoptions forcées et sur l’étude que nous avons faite.

Eh bien, je suis heureuse de vous signaler que le producteur de Mum’s the Word a reçu du financement à la fois du Conseil des arts de l’Ontario et du Conseil des arts du Canada pour créer une plateforme pédagogique en ligne sur l’adoption forcée, qui s’appuiera sur le vécu des mères et des enfants adoptés.

J’ai cru qu’il serait bon de vous relayer la nouvelle. J’ai moi-même été très heureuse de l’apprendre. Comme vous pouvez le constater, cela fonctionne très bien avec la recommandation que nous avons mise dans notre rapport.

[Français]

Aujourd’hui, nous poursuivons notre étude du projet de loi S-252, Loi sur les dons de sang volontaires (Loi modifiant le Règlement sur le sang).

[Traduction]

Je veux remercier nos témoins de leur présence. Veuillez vous présenter et nous dire au nom de quel organisme vous êtes ici aujourd’hui.

Joshua Penrod, vice-président directeur, Source et affaires internationales, Plasma Protein Therapeutics Association : Bonjour à tous et merci. Madame la présidente, distingués sénateurs, je m’appelle Joshua Penrod, et je suis vice-président de la division Source et affaires internationales de la Plasma Protein Therapeutics Association, la PPTA. Notre association professionnelle représente plus de 700 centres de collecte de plasma par aphérèse — centres qui sont situés en Amérique du Nord, dont certains, ici, au Canada, et en Europe — ainsi que les fabricants des thérapies cibles.

David Page, membre, conseil d’administration, Réseau des associations vouées aux troubles sanguins rares : Je représente le Réseau des associations vouées aux troubles sanguins rares, qui est une coalition d’associations de patients dont les membres souffrent de troubles sanguins rares. Les personnes touchées par ces troubles ont besoin de produits sanguins ou plasmatiques pour rester en santé et pour survivre.

Whitney Goulstone, directrice générale, Organisation canadienne des personnes immunodéficientes : Bonjour. Je suis directrice générale de l’Organisation canadienne des personnes immunodéficientes. Je suis ici pour représenter les Canadiens qui souffrent d’un déficit immunitaire primaire.

La présidente : Soyez les bienvenus. Je vous rappelle que vous disposez de sept minutes pour votre déclaration liminaire, et que les déclarations seront suivies des questions des membres du comité. Nous allons commencer par vous, monsieur Penrod. Nous entendrons ensuite M. Page, puis Mme Goulstone.

M. Penrod : Madame la présidente, distingués membres du comité, encore une fois, merci.

J’aimerais commencer en soulignant ce qui est le plus important : le plasma est le principal élément de base de nombreuses thérapies qui sauvent des vies et qui traitent des patients atteints de maladies chroniques et rares, y compris les immunodéficiences, le syndrome de Guillain-Barré, la polyneuropathie inflammatoire démyélinisante chronique ou PIDC, le déficit en alpha-1 antitrypsine, l’angioœdème héréditaire, ainsi que les troubles de coagulation comme l’hémophilie et la maladie de von Willebrand. Le Canada est un chef de file mondial dans le traitement de ces maladies et pour ce qui est de l’ampleur de l’accès qu’il offre aux patients qui ont besoin d’être traités aux protéines plasmatiques.

Lorsque vous vous penchez sur les politiques, nous vous prions instamment d’adopter celles qui maintiendront ou amélioreront les normes de soins appréciables dont bénéficient déjà les patients canadiens.

Par conséquent, nous estimons qu’il n’a jamais été aussi important que maintenant de mettre en place un système de collecte du plasma afin d’alimenter la production des traitements vitaux destinés aux patients du Canada et du monde entier. Le plasma est prélevé chez les donneurs humains par un processus appelé plasmaphérèse, qui permet de ne recueillir que le plasma sans toucher aux autres composants du sang. C’est ce que l’on appelle habituellement le plasma destiné au fractionnement ou plasma par aphérèse, qui n’est utilisé que comme matière première pour la mise au point d’un grand nombre de thérapies. Il est par ailleurs impératif de souligner que ce plasma n’est jamais utilisé pour la transfusion.

Environ 75 p. 100 du plasma par aphérèse recueilli dans le monde provient de donneurs rémunérés. Ici, il convient de souligner que le processus de collecte en question est complètement différent de celui qui sert aux collectes de sang. Un don de sang prend environ 20 minutes, et les dons ne peuvent se faire plus souvent qu’une fois aux huit semaines. Personne ici ne parle de payer les donneurs de sang total. Je tiens à être très clair sur ce point.

Le don de plasma rémunéré et le don de sang total non rémunéré coexistent et devraient coexister en un système à deux volets.

Dans les conclusions qu’il a publié en 2018, le Comité d’experts de Santé Canada sur l’approvisionnement en produits d’immunoglobuline et ses répercussions au Canada indique que le don de plasma rémunéré est nécessaire pour répondre aux besoins des patients. Voici d’ailleurs un extrait de son rapport :

Les administrations qui ont autorisé la rémunération des donneurs de plasma par aphérèse ont une capacité de collecte par habitant beaucoup plus élevée que celles qui l’ont interdite.

Les promoteurs de ce projet de loi vous diront que les collecteurs privés de plasma profitent des donneurs ou qu’ils ont des pratiques contraires à l’éthique. Ces préoccupations ne sont pas justifiées. Une personne peut continuer à être motivée de donner son plasma pour aider son prochain même si elle reçoit une compensation juste et modeste pour son temps. J’ai en main une lettre signée par 31 déontologues et économistes, dont deux prix Nobel et plusieurs intellectuels canadiens, où l’on souligne la compatibilité qui existe sur le plan éthique entre le don de plasma et la rémunération. La lettre, que vous avez déjà reçue, je crois, explique que les sommes d’argent dont il est question peuvent avoir une grande incidence sur le budget d’un ménage, mais qu’elles ne sont pas suffisantes pour convaincre un donneur de façon indue de passer à l’acte.

De plus, en 2011, le Nuffield Council on Bioethics du Royaume-Uni a déclaré que la collecte de plasma rémunéré était acceptable sur le plan éthique, compte tenu de la rareté des maladies, de l’importance du traitement et des quantités de plasma nécessaires pour créer des produits finis.

Le fait de priver un donneur d’un moyen sûr et légal d’augmenter son revenu tout en aidant les patients ne semble pas être une position plus défendable que l’autre sur le plan éthique.

Vous avez entendu parler du concept d’autosuffisance ou de l’idée qu’un pays devrait être en mesure, à lui seul, de recueillir l’énorme quantité de plasma nécessaire pour traiter les patients. Jusqu’à présent, les seuls pays au monde qui ont atteint l’autosuffisance sont ceux qui indemnisent les donneurs. Certains pays se prétendent presque autosuffisants, mais cela est souvent attribuable au fait qu’ils utilisent moins de produits en raison de restrictions en matière d’accès ou d’une prestation de soins de moindre ampleur. Ce sont là des obstacles auxquels les patients canadiens ne sont pas confrontés.

Je dirais que l’autosuffisance n’a pas du tout besoin d’être un objectif. Les patients qui dépendent de l’accès aux thérapies aux protéines plasmatiques dépendent en fin de compte des pays pour faciliter la collecte sûre et abondante de plasma. Plus il y aura de plasma disponible dans le monde entier pour la fabrication de ces thérapies, plus les patients canadiens pourront en obtenir.

Au cours de la dernière décennie, notre industrie a recueilli plus de 300 millions de dons de donneurs sains et admissibles, une entreprise colossale qui génère la grande majorité du plasma utilisé dans l’élaboration de ces thérapies et qui n’aurait pu arriver à ces résultats sans l’indemnisation des donneurs. Pour mettre les choses en contexte, sachez que le traitement pendant un an d’un patient atteint d’hémophilie alpha-1 demande 900 dons de plasma et qu’il en faut 1 200 pour traiter un patient atteint d’hémophilie A. Selon des estimations de tiers, il faudrait recueillir environ 75 millions de litres de plasma par année d’ici 2024 pour répondre aux besoins cliniques. C’est une augmentation d’environ 50 p. 100 par rapport à maintenant. Ce n’est donc pas le moment de limiter les options disponibles pour répondre à ce besoin.

Dans son témoignage, la sénatrice Wallin a évoqué la commission Krever, qui avait été chargée d’enquêter sur le scandale du sang contaminé au Canada. Nous sommes conscients du rôle important que les conclusions de cette commission ont joué dans la modernisation du système d’approvisionnement en sang. Cela dit, le rapport a été rédigé à partir des faits de l’époque, à partir de ce qui se passait il y a plus de 20 ans. L’industrie a radicalement changé depuis ce temps-là. Les processus de sécurité qui commençaient à peine à être compris à l’époque sont aujourd’hui monnaie courante. Qu’il soit rémunéré ou non, le don de plasma est fortement réglementé. Et il faut ajouter à cela les normes volontaires de l’industrie auxquelles adhèrent toutes les entreprises membres de la PPTA.

Les mesures que le Canada utilise actuellement pour contrôler la qualité et assurer la sécurité sont rigoureuses et efficaces. Par conséquent, il n’y a eu aucune transmission virale d’aucune sorte par un produit homologué par Santé Canada ou la Food and Drug Administration des États-Unis depuis plus d’un quart de siècle.

On a évoqué devant votre comité la possibilité que les dons rémunérés aient une incidence sur les collectes non rémunérées. Pourtant, rien ne prouve que l’utilisation de sources rémunérées puisse évincer le don volontaire. L’Allemagne a connu un grand succès dans la collecte de plasma auprès de donneurs indemnisés sans que cela ait une incidence sur les collectes non indemnisées. Il y a tout juste deux semaines, lors d’une réunion de la Direction européenne de la qualité du médicament, des experts allemands en transfusion sanguine ont présenté des données qui illustrent encore davantage le fait que les donneurs de plasma et les donneurs de sang sont deux populations distinctes et qu’il y a très peu de recoupement entre les deux.

Dans un autre exemple, il convient de signaler que les États-Unis prélèvent la majorité du plasma destiné au fractionnement dans le monde auprès de donneurs rémunérés, tout en maintenant un approvisionnement exemplaire en sang total.

Enfin, le groupe d’experts de Santé Canada n’a trouvé aucune preuve d’un tel effet négatif sur les dons non rémunérés.

Je comprends pourquoi certains pourraient, au premier abord, être enclins à appuyer ce projet de loi. Selon eux, ce serait une question d’altruisme. Pourtant, ce raisonnement n’est pas fondé sur des preuves. Certaines provinces sont tombées dans ce piège. Nous exhortons le gouvernement fédéral à ne pas faire de même. En tant que sénateurs, vous avez une occasion unique d’examiner ce projet de loi à la lumière des faits. S’il vous plaît, faites-le, parce que les données probantes montrent que le système actuel permet de maintenir les patients en vie et en bonne santé, voire de leur donner une qualité de vie supérieure. Je vous remercie. Sachez que je serai heureux de répondre à toutes vos questions.

La présidente : Merci. Monsieur Page, nous vous écoutons.

M. Page : Merci encore, madame la présidente. Je pourrais peut-être vous donner un peu plus d’information sur moi. J’étais président de la Société canadienne de l’hémophilie pendant la commission Krever. Comme vous le savez, la communauté hémophile a été décimée par le VIH et l’hépatite C par le biais du sang contaminé. J’ai moi-même été infecté par le virus de l’hépatite C, mais je vais bien maintenant. J’ai des quantités d’amis et de collègues qui n’ont pas eu cette chance.

Je travaille dans le domaine de l’hémovigilance pour la Société canadienne de l’hémophilie depuis les années 1980. Pendant 16 des 18 dernières années, j’ai présidé le Comité sur la sécurité, l’approvisionnement et l’accès aux produits thérapeutiques de la Fédération mondiale de l’hémophilie. Au début des années 2000, j’étais président du Comité d’hémovigilance du Québec, qui conseillait directement le ministre de la Santé du Québec en matière de sécurité du sang. Je suis membre du Comité de la sécurité d’Héma-Québec depuis 1998. J’y représente le public et j’y occupe présentement le poste de président.

J’ai participé à tous les colloques entourant le consensus de Dublin, et je vous ai fait part de certaines des conclusions de ces colloques.

Enfin, je suis l’un des membres fondateurs du Réseau des associations vouées aux troubles sanguins rares, le RAVTSR. Je siège à son conseil d’administration et c’est en son nom que je m’adresse à vous aujourd’hui.

Je dois également préciser que le RAVTSR et ses organisations membres n’ont aucun lien, financier ou autre, avec Canadian Plasma Resources. Le RAVTSR et certaines de ses organisations membres ont toutefois des relations avec un certain nombre d’autres compagnies pharmaceutiques, dont certaines fabriquent des produits plasmatiques. Nous sommes fiers de ces relations transparentes et éthiques.

On a laissé entendre que les commandites financières pourraient nous aveugler et nous faire perdre de vue les besoins des patients en matière de santé et de sécurité. Pourtant, il n’y a aucune preuve de cela. En fait, je vous dirais que je considère cette assertion comme une véritable insulte.

Si vous avez lu les exposés de principe que nous avons présentés, vous avez peut-être pu constater, à votre grande surprise, que nous sommes en grande partie d’accord avec l’essentiel de votre avant-projet de loi. En effet, on peut y lire « qu’un établissement autre que la Société canadienne du sang » — et je pense que vous avez oublié Héma-Québec — « ne peut prélever du sang d’un donneur faisant un don allogénique contre rémunération ou indemnisation [...] ».

Le RAVTSR, ses associations membres et moi — en fait, tous les regroupements de patients que je connais dans le monde entier — convenons qu’il ne devrait y avoir aucune rémunération pour le don de sang total, de plaquettes et de plasma allogéniques destinés à la transfusion à titre de composants frais. Cet approvisionnement devrait rester une ressource publique. La collecte devrait se faire sans paiement en espèces et elle devrait être offerte gratuitement par la Société canadienne du sang et Héma-Québec.

Nous convenons également que la Société canadienne du sang et Héma-Québec devraient faire tout ce qu’ils peuvent pour recueillir davantage de plasma destiné au fractionnement auprès de donneurs non rémunérés. Nous ne croyons tout simplement pas que ces efforts permettront d’atteindre l’objectif d’une autosuffisance, même limitée.

Là où nous ne sommes pas d’accord, c’est sur l’inclusion dans le projet de loi — si c’est bien ce que vous aviez l’intention de faire — du plasma destiné à la fabrication de produits plasmatiques. Les secteurs du sang et du plasma sont deux entités complètement distinctes en ce qui concerne les produits qu’ils fabriquent, leurs pratiques en matière de collecte, leurs réalités de recrutement et leur chaîne d’approvisionnement. Même les procédures de sécurité diffèrent. La sécurité est le prochain sujet que je souhaite aborder.

Les partisans du projet de loi ont souvent évoqué le spectre de la tragédie du sang contaminé. Le fait de dire que les produits plasmatiques fabriqués à partir du plasma de donneurs rémunérés sont moins sécuritaires que ceux fabriqués à partir de donneurs non rémunérés est non seulement faux, mais c’est aussi dangereux et irresponsable. Une affirmation de la sorte est susceptible d’attiser la peur chez les personnes vulnérables qui auront besoin de ces produits pour le reste de leur vie. Le risque est qu’elles se mettent à refuser de s’astreindre à des traitements essentiels pour leur survie. Toutefois, au chapitre de la sécurité, ne vous fiez pas qu’à moi. Adressez-vous aux organismes de réglementation comme Santé Canada, la FDA ou l’Agence européenne des médicaments, et vous obtiendrez la même réponse. D’après des données recueillies sur 25 ans, le fait qu’un produit plasmatique ait été élaboré à partir de dons rémunérés ou non rémunérés n’a aucune incidence sur sa sécurité et sa qualité.

En fait, les mesures de sécurité mises en place par l’industrie des produits plasmatiques depuis les tragédies des années 1970 et 1980 dépassent celles qui s’appliquent aux composants frais. Comment cela se fait-il? En premier lieu, les donneurs doivent remplir les mêmes critères d’admissibilité. Toutes les unités de don, qu’il s’agisse de sang total ou de plasma destiné au fractionnement, sont soumises à des tests de dépistage des mêmes agents pathogènes, au moyen de la technique ELISA pour la détection des anticorps et du test d’amplification des acides nucléiques. Maintenant, voici ce qui n’a pas été dit dans certains des témoignages devant le Sénat. Le plasma destiné au fractionnement subit une deuxième série de tests identiques avant d’être intégré aux grands bassins de production. De plus, après chaque don, le plasma est congelé et mis de côté pendant un certain temps, au cas où une personne ne remplirait plus les critères d’admissibilité pour faire un don.

Enfin, et surtout, les produits plasmatiques sont soumis à des procédures très efficaces de réduction des agents pathogènes à l’étape de la fabrication : solvant-détergent, traitement thermique, nanofiltration. Pour le moment, il est impossible d’appliquer de telles mesures de sécurité aux composants frais, mais lorsqu’on décèle un agent pathogène émergent — par exemple, le virus du Nil occidental ou le virus Zika, pour n’en nommer que deux —, les procédures de réduction des agents pathogènes font l’objet d’une vérification pour en garantir l’efficacité.

Au bout du compte, toutefois, les faits parlent d’eux-mêmes. Les milliers de receveurs de produits sanguins subissent des tests de dépistage des agents pathogènes connus, et aucun cas de transmission de maladie infectieuse par les produits plasmatiques — comme le VIH, l’hépatite C, l’hépatite B, le virus du Nil occidental, le virus Zika, et cetera — n’a été signalé au cours des 25 dernières années.

En ce qui a trait aux agents pathogènes émergents pour lesquels il n’y a pas de test, ils sont beaucoup plus susceptibles d’infecter les receveurs de composants frais, qui ne sont pas soumis aux mêmes procédures rigoureuses d’inactivation des pathogènes comparativement aux receveurs de produits plasmatiques. Je suis très heureux de vous dire que 2019 n’est pas 1984. Le projet de loi dont vous êtes saisis aurait pu favoriser la sécurité de l’approvisionnement en sang il y a 35 ans. Ce n’est pas le cas aujourd’hui.

Si l’objectif du projet de loi est de veiller à ce que les Canadiens reçoivent des produits plasmatiques provenant de donneurs non rémunérés au nom de la sécurité, de l’éthique ou de la protection du système public de collecte de sang, c’est voué à l’échec. La Société canadienne du sang et Héma-Québec distribuent plus de 40 différents produits médicaux dérivés du plasma aux hôpitaux et patients canadiens. À l’heure actuelle, le plasma prélevé par ces organismes est envoyé à deux ou trois multinationales pharmaceutiques aux États-Unis et en Europe aux fins de fractionnement. Seuls quatre produits finis — l’immunoglobuline, l’albumine, le facteur VIII lié au facteur de von Willebrand et le fibrinogène — sont retournés. La quarantaine d’autres produits continueront d’être fabriqués par d’autres entreprises ou sur différentes chaînes de production, et le tout proviendra des donneurs rémunérés aux États-Unis.

Alors, oui, prélevons plus de plasma canadien. Cependant, ne nous leurrons pas : l’autosuffisance totale n’est ni réalisable ni souhaitable. Il s’agit d’une industrie mondiale.

Je constate que le projet de loi permet la rémunération des donneurs de phénotypes rares. Je suppose que c’est pour exempter Emergent BioSolutions — maintenant ProMetic Plasma Resources —, une entreprise située à Winnipeg, qui, depuis 30 ans, rémunère ses donneurs de plasma pour fabriquer du WinRho pour les mères dont le sang est Rh négatif. Je n’arrive pas à comprendre pourquoi il est acceptable de rémunérer ces donneurs, mais pas tous les autres dont le plasma contient différentes protéines pouvant sauver des vies.

Dans les années 1980 — à une époque où il n’y avait pratiquement aucun mécanisme de contrôle des dons —, l’importation de produits dérivés du plasma de donneurs rémunérés des États-Unis avait certes augmenté le risque de transmission du VIH et du virus de l’hépatite C pour les patients hémophiles, mais tous ceux qui ont lu le rapport Krever savent que les causes profondes de la tragédie étaient plutôt l’existence de règlements peu sévères, la prise de décisions en vue d’économiser de l’argent ou de satisfaire des considérations idéologiques, l’autosuffisance surtout à l’échelle canadienne et l’ingérence politique.

Le projet de loi S-252 est un bon exemple de mesure législative assortie d’objectifs louables. Toutefois, sachez qu’il repose sur une prémisse erronée et qu’il aura des conséquences négatives imprévues, notamment le fait de laisser le Canada à la merci du plasma en provenance des États-Unis et d’exacerber le problème lié à l’approvisionnement mondial inadéquat en médicaments essentiels, comme les immunoglobulines. Je vous encourage vivement à laisser le projet de loi mourir au Feuilleton. Des milliers de patients au Canada et beaucoup d’autres ailleurs dans le monde comptent sur un approvisionnement adéquat en plasma.

J’ai remis un certain nombre de documents au comité. Je serai heureux de répondre à vos questions.

La présidente : Merci.

Whitney Goulstone, directrice générale, Organisation canadienne des personnes immunodéficientes : Merci, distingués membres du comité, de me permettre de témoigner aujourd’hui. Je tiens à vous remercier de prendre le temps d’étudier ce projet de loi, d’écouter l’opinion des experts et de chercher à comprendre ce qui se passe réellement. Je ne suis ni une professionnelle de la santé ni une scientifique, alors je vais laisser les aspects médicaux et scientifiques de ce débat aux gens qui sont plus qualifiés que moi pour en parler.

Au nom de l’Organisation canadienne des personnes immunodéficientes, je suis ici aujourd’hui pour représenter les 30 000 Canadiens atteints d’un déficit immunitaire primaire. Comme je suis une patiente, je dépends d’un produit dérivé du plasma pour survivre.

Notre organisation n’est affiliée à aucune entreprise qui rémunère actuellement les donneurs au Canada. Elle reçoit du financement de l’industrie, chose que nous divulguons publiquement. Il est donc faux d’insinuer ou de présumer qu’un bailleur de fonds particulier ou qu’une source de financement risque d’influencer notre organisation ou d’éloigner ses administrateurs ou son personnel de son mandat. En tant que patiente, directrice générale et personne ayant consacré les 15 dernières années à la défense des intérêts des patients, je trouve toute allégation de ce genre non seulement blessante, mais aussi mesquine.

Ces derniers temps, il a beaucoup été question, dans les médias, des éclosions de rougeole. Comme la plupart des gens, j’ai été vaccinée quand j’étais petite. Toutefois, contrairement à la plupart des gens, je n’y ai pas réagi. Les simples activités de la vie quotidienne, comme aller faire l’épicerie ou amener son enfant à la piscine, deviennent alors des tâches effrayantes et potentiellement mortelles. Hélas, c’est le monde dans lequel vivent les patients atteints d’un déficit immunitaire primaire.

Notre seul espoir, c’est le recours à vie à un traitement substitutif au moyen d’un produit médical à base de plasma : l’immunoglobuline. Ainsi, 35 p. 100 de l’approvisionnement mondial en plasma sert à traiter les patients atteints d’un déficit immunitaire primaire. Le traitement par immunoglobulines constitue le seul traitement pour la plupart des patients atteints d’un déficit immunitaire primaire. Il n’y a pas d’autre solution. Rien n’est prévu pour nous dans le domaine des sciences et de la technologie. Aucun produit de remplacement biologique, générique ou recombinant n’est à venir.

Les recherches scientifiques nous ont permis d’en arriver là. Qu’il s’agisse d’immunoglobuline intraveineuse administrée à l’hôpital toutes les trois ou quatre semaines ou d’immunoglobuline sous-cutanée administrée à domicile, une à quatre fois par semaine, les patients atteints d’un déficit immunitaire primaire partout au Canada comptent sur ce traitement pour un certain nombre raisons. Mentionnons, entre autres, la réduction du nombre d’infections ou l’atténuation de leur gravité, la réduction du nombre d’hospitalisations ou l’augmentation de la qualité de vie ou de l’espérance de vie.

À l’heure actuelle, au Canada, seule la Société canadienne du sang recueille assez de plasma pour répondre à 14 p. 100 de nos besoins. Si aucun changement n’est apporté au mode de collecte, ce taux chutera à 10 p. 100 d’ici 2021.

Comme vous le savez, le Canada comble ses besoins en plasma, en grande partie, grâce au marché mondial, le tout caractérisé par une forte dépendance envers les États-Unis. Le Canada achète actuellement 45 marques, ce qui coûte aux provinces un total de plus de 600 millions de dollars par année, et ce montant ne cesse d’augmenter. Ces produits sont fabriqués à partir du plasma recueilli auprès de donneurs rémunérés.

D’après son plan d’activités actuel — qui n’a pas encore été approuvé par les provinces —, la Société canadienne du sang espère accroître l’approvisionnement en plasma au Canada pour atteindre une suffisance de 50 p. 100 en ce qui concerne les besoins en immunoglobulines sur une période de cinq à huit ans. La Société canadienne du sang a exprimé son engagement à l’égard d’un modèle de dons volontaires non rémunérés. Pour atteindre cet objectif, elle devra recruter entre 200 000 et 600 000 nouveaux donneurs de plasma. C’est sans compter la nécessité de recruter en permanence 100 000 donneurs de sang total chaque année.

Nous savons qu’aux termes du projet de loi, la Société canadienne du sang a droit à une exemption lui permettant de rémunérer des donneurs dans des circonstances particulières. Toutefois, il est vital que le comité comprenne que nous n’avons pas affaire ici à une situation d’urgence ponctuelle. Nous entendons des termes comme « défi », « pression » et « interruption » lorsqu’il est question de l’approvisionnement en immunoglobulines, et cela fait peur. Personne ne veut utiliser le mot « pénurie » et faire paniquer tout le monde. Cependant, l’imminence d’une crise de l’approvisionnement en immunoglobulines fait consensus. La demande en immunoglobulines continue de dépasser la capacité de collecte et de fractionnement.

Contrairement aux médicaments conventionnels, il faut environ 18 mois, depuis la collecte jusqu’au fractionnement, pour obtenir un produit fini.

En cas de pénurie, il n’y a aucun moyen de produire rapidement un nouveau lot. La demande d’immunoglobulines au Canada augmente à un rythme annuel moyen de 10 p. 100 au cours des cinq dernières années.

Nous voulons que le plan de la Société canadienne du sang soit couronné de succès. Nous ferons tout notre possible pour collaborer avec elle et pour l’appuyer dans ses démarches. Toutefois, nous estimons que son plan est actuellement trop ambitieux, inefficace sur le plan des coûts et peu susceptible de donner de bons résultats sans une forme quelconque de rémunération.

L’idée d’indemniser les donneurs n’a rien de nouveau, et cette pratique existe au Canada et ailleurs dans le monde, même dans les pays qui ont interdit les dons rémunérés.

La Commission européenne du Parlement européen a jugé important de faire la distinction entre une indemnisation et un incitatif dans le cadre des discussions portant sur les donneurs de sang et de plasma.

Au regard de cette distinction quelque peu arbitraire et floue, plus de la moitié des États membres de l’Union européenne dédommagent les donneurs pour le temps perdu au travail et les frais de déplacement. Même si le montant varie, selon le pays, de 25 à 40 euros, tout comme le nombre d’heures d’absence accordées, allant d’une demi-journée à deux journées complètes, le principe d’indemnisation demeure le même.

Une autre forme populaire d’indemnisation parmi les 24 États membres de l’Union européenne consiste à offrir un petit cadeau de remerciement d’une valeur de 1 à 10 euros pour le don. Il peut s’agir notamment de billets de cinéma, de laissez-passer pour des festivals, d’événements gratuits, de t-shirts, de tasses, de serviettes, de bons de repas ou de laissez-passer pour des musées. Dans un des pays, on signale également l’octroi d’une légère déduction d’impôt égale à 10 euros par don, jusqu’à concurrence de 50 euros par année.

En tant que Canadiens, nous nous targuons de nos dons altruistes. En réalité, à peine 3 p. 100 de la population adulte font des dons de sang.

La vérité, c’est qu’au Canada, les mots « dons de plasma rémunérés » évoquent une façon de faire les choses à l’américaine, c’est-à-dire une transaction d’argent en échange de sang. Rien n’est plus faux.

À l’instar du modèle de l’Union européenne, les donneurs sont indemnisés pour leur temps. La plupart du temps, ils reçoivent un remboursement sous forme de cartes de débit spéciales ou de cartes privilèges d’une valeur de 20 à 50 $. Ce paiement direct de la part de la clinique, plutôt qu’un remboursement par l’entremise de l’employeur ou de la compagnie d’assurance-maladie comme dans le modèle de l’Union européenne, est justement la cause du tollé provoqué par la rémunération des donneurs de sang. Ces indemnisations servent à rembourser les donneurs pour leur temps, car il s’agit d’une procédure qui exige beaucoup de temps. Il faut jusqu’à deux heures pour faire un don de plasma.

À l’heure actuelle, les États-Unis fournissent plus de 70 p. 100 de l’approvisionnement mondial en plasma, mais cela met à rude épreuve leur système. Les marchés émergents de l’Asie et la croissance de la demande mondiale permettent d’alléger la pression.

À compter de 2018, certains patients ont déclaré que le produit n’était pas disponible à la date prévue. C’est ce qui arrive aux États-Unis, au Royaume-Uni, en Roumanie, en Afrique du Sud, et cela pourrait bientôt se produire ici.

Il a fallu 20 ans à la Société canadienne du sang pour établir son bassin de donneurs de sang total. Nous ne pouvons pas attendre encore 20 ans pour qu’elle crée son bassin de donneurs de plasma.

Nous exhortons le comité à tenir compte des ramifications à long terme pour les patients qui dépendent de produits plasmatiques si le projet de loi est adopté. Nous espérons que le comité fera tout son possible pour prévenir les graves complications de santé et pour éviter d’autres pertes de vie. Nous vous prions donc de vous opposer au projet de loi.

La sénatrice Seidman : Merci beaucoup de vos exposés.

Monsieur Page, vous avez énormément d’expérience et d’expertise en la matière. C’est sûrement un sujet chargé d’émotion pour vous. Merci d’avoir pris la peine de venir témoigner devant nous. Je vous en suis vraiment reconnaissante. Bien entendu, cela vaut aussi pour vous, madame Goulstone et monsieur Penrod. Il s’agit d’une question difficile. Nous voulons faire ce qui s’impose.

J’aimerais passer en revue quelques points importants tirés du rapport final publié en 2018 par le Comité d’experts sur l’approvisionnement en produits d’immunoglobuline et ses répercussions au Canada, intitulé Protéger l’accès des Canadiens aux immunoglobulines, et je rappelle qu’il s’agit du groupe consultatif d’experts de Santé Canada.

Ce comité d’experts a mené de vastes consultations partout au pays auprès des patients, des groupes de patients, des fournisseurs de soins de santé, des décideurs et des organismes canadiens de services transfusionnels. J’aimerais lire quelques-uns des points soulevés dans le rapport. Je vais me reporter au résumé et, si vous me le permettez, j’aimerais savoir ce que vous en pensez.

Tout d’abord, le comité d’experts affirme qu’un approvisionnement continu et sécuritaire en sang et en ses produits dérivés est un des piliers du système de soins de santé. En 2016-2017, le volume combiné de plasma recueilli par la Société canadienne du sang et Héma-Québec ne représentait que 16,7 p. 100 du plasma nécessaire pour répondre aux besoins des Canadiens en immunoglobulines et autres produits dérivés du plasma. Le reste du plasma nécessaire à la fabrication de ces produits utilisés par les Canadiens provient de donneurs rémunérés aux États-Unis.

Le comité d’experts fait ensuite valoir ses deux principaux arguments concernant deux grandes questions, à savoir la sécurité et l’approvisionnement. Il affirme que, compte tenu du remarquable dossier de sécurité des immunoglobulines et des produits dérivés du plasma au cours des 20 dernières années, la principale préoccupation des patients et des organismes qui les représentent n’est pas la question de l’utilisation de donneurs rémunérés, mais d’assurer un approvisionnement adéquat en plasma pour les besoins des patients, qui est pour eux le plus grand risque en matière de sécurité. Ils estiment que les donneurs rémunérés et non rémunérés sont nécessaires pour assurer un approvisionnement adéquat en immunoglobulines et autres produits dérivés du plasma pour les patients.

Le comité d’experts ajoute que, en Europe, en Australie et en Amérique du Nord, les seules administrations qui ont atteint l’autosuffisance à 100 p. 100 pour la collecte du plasma sont celles qui ont autorisé la rémunération des donneurs de plasma. Les administrations qui ont autorisé la rémunération des donneurs de plasma par aphérèse ont une capacité de collecte par habitant beaucoup plus élevée que celles qui l’ont interdite.

En gros, le comité d’experts se penche sur les questions de sécurité et d’approvisionnement. Je sais que vous avez tous fait allusion à ce rapport. Il s’agit d’un élément de preuve très important dont nous devons tenir compte. J’aimerais que vous nous parliez de ces deux points, si vous le voulez bien.

M. Penrod : Nous souscrivons à ces conclusions. C’est quelque chose dont nous parlons, au sein de l’industrie, depuis un bon bout de temps. Au cours des dernières années, nous avons répété le même refrain, à savoir que le monde a besoin de plus de plasma. Nous appuyons fermement l’idée qu’il faut un plus grand nombre de donneurs de plasma. Bien entendu, notre industrie ne fait pas la distinction entre un don rémunéré et un don non rémunéré. Nous voulons nous assurer que les donneurs sont en santé, que le plasma est sécuritaire et qu’il peut être converti en produits finis pour les patients. Les conclusions du rapport sont, à mon avis, d’une importance cruciale.

M. Page : Parmi les coauteurs du rapport, mentionnons Francine Décary, ancienne présidente et chef de la direction d’Héma-Québec, qui a œuvré toute sa vie dans le système de dons volontaires sans but lucratif. Pourtant, dans le rapport, elle conclut que la Société canadienne du sang et Héma-Québec ne pourront même pas recueillir 30 ou 40 p. 100 du plasma nécessaire pour répondre aux besoins en immunoglobulines, au regard de leurs plans actuels. Nous devons être ouverts à des solutions de rechange.

Nous pourrons peut-être parler tout à l’heure de ces solutions de rechange parce qu’il ne s’agit pas de faire un choix entre le don volontaire ou le don rémunéré; ainsi, il est possible d’envisager des partenariats public-privé entre la Société canadienne du sang, Héma-Québec et certaines entreprises de fractionnement.

La sénatrice Seidman : Madame Goulstone, vous avez un besoin criant de ce produit.

Mme Goulstone : Absolument. Nous appuyons sans réserve le rapport de Santé Canada, qui indique ce qui suit :

[...] il serait approprié que celui-ci soit en mesure de fournir, au minimum, assez de plasma pour répondre aux besoins du groupe dont la vie dépend réellement des IG, soit les patients atteints d’un déficit immunitaire primaire.

Or, nous sommes incapables de le faire actuellement. Le rapport de Santé Canada revêt une importance cruciale pour nous et nos patients. Nous l’appuyons donc entièrement.

Comme M. Page l’a indiqué, tout n’est pas blanc ou noir; il existe des solutions de rechange.

Le sénateur Ravalia : Je vous remercie tous les trois de ces exposés convaincants. Je viens de prendre ma retraite à titre de médecin; je vivais et travaillais dans une communauté rurale de Terre-Neuve, où nous dépendions considérablement de ces produits en raison de la présence d’une importante cohorte d’hémophiles et de personnes atteintes des maladies que vous avez énumérées. À titre de fournisseurs, nous craignions toujours l’alerte rouge, quand l’approvisionnement en immunoglobuline était insuffisant.

Pour poursuivre dans la même voie que la sénatrice Seidman, je vous demanderais de nous en dire plus sur les possibilités de partenariats qui pourraient permettre au Canada de continuer d’avoir un approvisionnement solide. Ce faisant, pourriez-vous nous parler des maladies pour lesquelles ces produits sont conçus afin que nous ayons une meilleure idée de la vulnérabilité qui existe?

Je pense que chacun d’entre vous peut répondre.

M. Page : Je ne pense pas que la Société canadienne du sang et Héma-Québec aient de l’expertise dans les centres de collecte de plasma; ces organismes se spécialisent dans la collecte de sang et la fabrication de composants frais. Ils accomplissent un travail formidable, mais ce sont en fait les compagnies de fractionnement à but lucratif comme Shire/Takeda, Grifols et CSL Behring qui fractionnent le plasma canadien actuellement et qui possèdent l’expertise en collecte. J’imagine, et c’est ma propre idée, que la Société canadienne du sang s’est penchée sur la question avec certaines compagnies de fractionnement par la passé. J’aimerais que cet établissement de transfusion décide d’accorder des contrats de sous-traitance à ces compagnies qui savent faire le travail et savent comment instaurer des centres de collecte de plasma. Elles agiraient au nom de nos établissements publics; le plasma serait fractionné par ces compagnies et reviendrait pour être transfusé aux patients canadiens.

À l’instar d’autres intervenants, nous ne voulons pas que le plasma canadien soit perdu à jamais. Nous voulons contribuer à l’approvisionnement mondial, mais nous voulons aussi être autosuffisants et assurer notre propre approvisionnement. C’est, selon moi, le genre de partenariat public-privé qui pourrait fonctionner très bien au Canada.

Mme Goulstone : Vous avez indiqué que vous avez travaillé dans une région rurale du Canada. Je pense que c’est un groupe très important pour nous aussi. Nous nous préoccupons grandement de la population rurale, particulièrement dans le domaine du déficit immunitaire primaire, une maladie non diagnostiquée dans 70 à 90 p. 100 des cas au Canada. Nous devons comprendre que le Canada compte une importante population de patients sous-desservis dans les régions rurales. Les besoins en immunoglobuline augmentent en moyenne de 10 p. 100 annuellement, soit entre 8 et 12 p. 100 par année, et si nous pouvons mieux traiter les patients et diagnostiquer davantage de cas... Nous savons tous qu’un manque criant d’omnipraticiens sévit au Canada. Si nous pouvons traiter convenablement les patients, nos besoins en immunoglobuline continueront de croître.

Nous devons chercher à augmenter l’approvisionnement et notre autosuffisance. Quelqu’un à côté de moi a fait remarquer que la Société canadienne du sang n’a pas montré qu’elle possédait la capacité d’accroître l’offre, mais d’autres personnes et d’autres compagnies le peuvent. Comment pouvons-nous conclure un partenariat public-privé dans le cadre duquel nous conserverions le contrôle? Santé Canada, la Société canadienne du sang et Héma-Québec assurent la surveillance et le contrôle, mais nous sommes encore capables d’augmenter l’approvisionnement et notre autosuffisance, et de garder le plasma au pays pour satisfaire les besoins de la population canadienne.

M. Penrod : Je dois faire attention, car j’appartiens à une association professionnelle; je ne peux donc pas prédire ce que ses membres pourraient faire sur le plan d’un accord commercial. Je peux toutefois dire que la Société canadienne du sang et Héma-Québec sont deux organismes de calibre mondial. David et Whitney ont tous les deux indiqué que plusieurs membres de la Plasma Protein Therapeutics Association travaillent déjà activement avec la Société canadienne du sang et approvisionnent le marché canadien. Notre industrie est profondément déterminée à faire en sorte que les besoins des patients atteints de maladies graves et rares soient comblés. Bien entendu, je ne veux pas non plus parler au nom de la Société canadienne du sang. Je pense qu’il conviendrait de poser la question au Dr Sher, de la Société canadienne du sang, pour voir ce qu’il en pense, car c’est lui qui est le mieux placé pour répondre à cette question.

M. Page : Nous avons un modèle au Québec. De plus, le Québec a soutenu Green Cross afin d’établir une usine de fractionnement, qui ouvrira ses portes en 2020, il me semble. C’est un peu ironique. Cette compagnie importera 500 000 litres de plasma des États-Unis parce que le Québec interdit la rémunération des donneurs de plasma. La province ne pourra recueillir de grandes quantités de plasma à moins de modifier la loi. Il s’agit toutefois d’un exemple de partenariat qui pourrait aller un peu plus loin. Les centres de plasma du Québec peinent à recueillir les quantités de plasma qu’ils voudraient recevoir parce qu’ils ne rémunèrent pas les donneurs.

La présidente : Merci beaucoup.

[Français]

La sénatrice Mégie : Je vais poser ma question en français. Vous avez dit que le Québec se préparait à aménager un centre de fractionnement de plasma d’ici 2020. A-t-on pensé à la production d’immunoglobulines? Comment le Québec se prépare-t-il à faire venir le sang des États-Unis, à effectuer le fractionnement et à le renvoyer pour préparer l’immunoglobuline?

M. Page : Le centre de plasma produira les immunoglobulines, le facteur VIII, l’albumine et le fibrinogène. Cela ne retourne pas aux États-Unis. Le centre de fractionnement les produira.

La sénatrice Mégie : Je sais qu’il y a un partenariat public et privé, ce qui est très bien. Qui sera responsable du contrôle de la qualité du plasma qui provient des États-Unis? Au Canada, je crois qu’on dispose de suffisamment de lignes directrices pour gérer cela. Toutefois, comment pourra-t-on exercer le contrôle de la qualité du plasma qui provient des États-Unis?

M. Page : C’est la FDA des États-Unis et Santé Canada qui sont tous les deux responsables. Santé Canada fera l’inspection de ces centres et s’assurera que le plasma est produit conformément aux règlements.

La sénatrice Mégie : Comme vous le savez, les détracteurs parlent toujours de la qualité du sang, là où l’usine installe sa clinique pour faire les prélèvements de sang. Cela se fait toujours dans les milieux défavorisés. Les gens viennent donner du sang et utilisent l’argent pour acheter de la drogue. C’est pourquoi je vous ai parlé du contrôle de la qualité, compte tenu du fait que les gens sont rémunérés. C’est parce qu’ils ont besoin de sous.

M. Page : Les gens ont toutes sortes de raisons pour donner du sang ou du plasma. L’argent est l’une des raisons. Tout le monde est assujetti aux mêmes critères. Si vous voulez donner du sang, que ce soit dans un centre de plasma, à Héma-Québec ou à la Société canadienne du sang, les critères sont les mêmes. Les cliniques sont inspectées de la même façon par la FDA que par Santé Canada. Il n’y a pas de différence. Les gens qui veulent vendre leur sang pour acheter de la drogue ne peuvent pas donner du sang. Ils seront refusés.

[Traduction]

M. Penrod : J’aimerais brièvement ajouter une observation à ce que M. Page vient de dire sur la nature du plasma recueilli par les centres de plasma des États-Unis. Chacun de ces centres a au moins reçu un permis de la Food and Drug Administration. Ils font fréquemment l’objet d’inspections de la part d’organismes de réglementation. En outre, il n’y a pas que de simples inspections ponctuelles; ils subissent des inspections périodiques aux deux ans environ. Qui plus est, le programme de normes volontaires de l’industrie, appelé International Quality Plasma Program, effectue des vérifications indépendantes des centres à titre de tiers. Ces vérifications comportent des exigences supplémentaires qui s’ajoutent à celles, déjà strictes, de la réglementation au sujet de la sélection, de l’aptitude et de la sécurité des donneurs.

La présidente : Je suis certaine qu’il y aura d’autres questions sur la réglementation, car c’est un point qui préoccupe un grand nombre d’entre nous, je suppose.

La sénatrice Poirier : Merci à tous de témoigner et de nous faire part de vos préoccupations. Nous vous en sommes reconnaissants. J’ai quelques questions. Je suis originaire du Nouveau-Brunswick, une province où, vous le savez, la vente de plasma est autorisée depuis un certain temps.

Certains Néo-Brunswickois, ou des personnes qui partagent des préoccupations, m’ont indiqué que les donneurs que nous attirons avec la rémunération sont des jeunes, des membres de la jeune génération. Or, on craint que cette génération ne finisse par perdre l’habitude de se présenter bénévolement à la Société canadienne du sang et ira plus ou moins vers les services rémunérés, où il n’est pas certain que le sang ou le plasma sera utilisé au Canada.

C’est une des principales préoccupations que nous entendons. J’aimerais avoir votre avis à ce sujet.

En outre, est-il garanti que le plasma payé recueilli au Canada sera utilisé par des Canadiens? C’est une des questions que nous entendons. On se demande également quelle quantité de plasma actuellement recueilli en échange d’une rémunération au Canada est utilisée par des Canadiens.

M. Penrod : Je répondrai en premier. Je sais que les propriétaires et les exploitants de Canadian Plasma Resources actuellement en activité au Nouveau-Brunswick témoigneront la semaine prochaine. Je pense que la question portant sur les caractéristiques démographiques des donneurs ou d’autres questions semblables s’adresseraient davantage à eux ou au fournisseur contractuel.

Pour ce qui est des jeunes donneurs ou des données démographiques sur les donneurs, sachez que, bien franchement, c’est quelque chose qui aide l’industrie à compenser les difficultés à attirer des donneurs, car les normes et les tendances démographiques sociales changent. Je sais qu’un certain nombre de nos compagnies membres ont réalisé des études approfondies pour savoir comment attirer des donneurs. David a fait remarquer plus tôt que les gens ne sont pas attirés que par la rémunération; ils s’intéressent aussi à l’expérience. On ne gardera pas longtemps un donneur si on le maltraite. Les gens voteront avec leurs pieds et iront ailleurs.

La question est plus complexe, aussi complexe que le comportement humain lui-même. Nous peinons à trouver de jeunes donneurs dans bien des régions, cherchant à les attirer avec le médium et le message adéquats. Ce n’est pas en les appelant pour les inviter à souper qu’on convaincra les jeunes d’aujourd’hui.

Nous sommes constamment à l’affût de nouveaux moyens de les attirer.

Pour ce qui est de dire si nous pensons perdre les jeunes donneurs, sachez que nos données nous ont permis d’établir deux populations de donneurs assez distinctes. Nos donneurs tendent à être des jeunes et des étudiants de collège. Bien que pour l’instant, les données soient empiriques et que nous examinions la question, nous pensons que les gens passent à autre chose en vieillissant. Ils ne fréquentent plus le collège et occupent leur temps autrement. Nous pensons que les donneurs de plasma finissent par devenir des donneurs de sang avec le temps. C’est une tendance que nous devons surveiller. Ce ne sont que des données empiriques pour le moment, mais nous serions curieux de savoir ce qu’il en est.

Sachez, en outre, que l’Université de Georgetown effectue actuellement une étude comparative entre les donneurs de plasma et l’ensemble des donneurs de sang. Il s’agit de la plus vaste étude jamais entreprise à ce sujet. Cette étude, réalisée dans six villes américaines, pendra fin bientôt. Il faut notamment réunir des renseignements sur un certain nombre de points de données et répondre à bien des questions qui se posent. À l’heure actuelle, selon les recherches menées dans certaines régions assez saturées, comme des villes où les donneurs de sang et de plasma sont nombreux, il ne semble pas y avoir beaucoup de chevauchement. Il semble que ce soit des groupes indépendants qui ne s’influencent pas mutuellement. Bien entendu, nous étudierons soigneusement les conclusions de ces travaux une fois qu’ils auront été publiés et qu’on en saura plus sur la question.

M. Page : Puis-je intervenir à propos de votre question sur le plasma canadien transfusé aux patients canadiens? Je pense qu’il faut qu’il y ait plus de plasma canadien pour les patients ayant besoin d’immunoglobuline. Or, ProMetic Plasma Resources, une entreprise de Winnipeg qui recueille du plasma canadien, expédie ses produits aux quatre coins du monde. Les produits ne restent pas tous au pays, car l’entreprise en fournit trop pour les patients canadiens. Il s’agit d’une industrie mondiale. Les compagnies qui produisent du plasma vendront leurs produits dans diverses régions du monde.

Mme Goulstone : Nous avons aussi eu vent de craintes concernant la possibilité qu’un centre rémunérant les donneurs ouvre ses portes à proximité d’un centre de la Société canadienne du sang. Sachez que le Réseau des associations vouées aux troubles sanguins rares, l’Organisation canadienne des personnes immunodéficientes et la Société canadienne de l’hémophilie collaborent étroitement avec la Société canadienne du sang. Nous sommes tous des parties prenantes et nous sommes tous membres du comité de liaison national. Nous travaillons en partenariat avec la Société canadienne du sang depuis 20 ans. Chacun a son mot à dire et nous travaillons constamment avec ces entités.

Les données sur la perte de donneurs sont pour le moment empiriques. Si le problème s’avère réel, si Héma-Québec, qui n’a pas vraiment de difficultés à cet égard, ou la Société canadienne du sang veulent entreprendre une étude pour déterminer si la situation a une incidence sur leurs bassins de donneurs, tous les groupes de patients pourraient faire partie de cette étude. Je pense qu’il faut vérifier si la situation a une véritable conséquence.

La sénatrice Dasko : Je vous remercie des témoignages que vous avez présentés aujourd’hui. Les propos que vous avez tenus m’ont fortement impressionnée. Vos arguments sont solides. En sept minutes, vous avez tous présenté un plaidoyer probant. Je suis impressionnée par vos arguments.

Je m’intéresse à la facette fédérale-provinciale de la question. Vous nous avez indiqué que trois provinces interdisent la rémunération des donneurs. Il y a le Québec, mais quelles sont les autres?

Mme Goulstone : L’Ontario, la Colombie-Britannique et l’Alberta.

La sénatrice Dasko : D’accord. Ce sont d’importantes provinces qui interdisent cette pratique.

Je présume que, si ce projet de loi est adopté, la rémunération sera interdite à l’échelle du pays.

M. Page : Sauf pour la Société canadienne du sang.

Mme Goulstone : Dans des circonstances exceptionnelles.

La sénatrice Dasko : Je vois. D’accord. Si le projet de loi entrait en vigueur, une province pourrait-elle décider d’aller à l’encontre de ses dispositions en permettant la rémunération sur son territoire? Je déteste employer cette expression, mais qui l’emporte dans les questions de sphères de compétences?

Mme Goulstone : N’étant pas experte du droit constitutionnel, je l’ignore. David?

M. Page : Je ne le sais pas non plus. Je suppose qu’une entreprise établie depuis 30 ans — comme Emergent Biosolutions, qui s’appelle maintenant ProMetic Plasma Resources et qui accomplit un travail formidable à Winnipeg — ne serait pas enchantée si on lui annonçait qu’elle ne peut pas poursuivre ses activités.

La sénatrice Dasko : Ses patients ne seraient probablement pas contents non plus.

La présidente : Santé Canada sera probablement en mesure de répondre à cette question lors de sa comparution.

La sénatrice Dasko : Est-ce que certains d’entre vous ont présenté des exposés quand les quatre provinces ont promulgué leurs projets de loi? Ces projets de loi sont-ils récents?

Mme Goulstone : Oui. Le Québec est le premier à avoir adopté une telle mesure.

M. Page : Le projet de loi du Québec a été adopté quand la province a revu son code civil dans les années 1990. Le plasma n’était pas visé par la mesure. Je pense que la province a interdit la vente de parties du corps et d’organes, sans jamais se rendre compte que le plasma poserait un problème. Le Québec était légèrement différent.

Mme Goulstone : L’Ontario a adopté son projet de loi il y a quatre ans en réaction à l’arrivée de Canadian Plasma Resources. C’était une mesure très réactionnaire prise en raison de l’arrivée de Canadian Plasma Resources.

M. Page : Les deux autres ont été adoptés au cours des deux dernières années.

Mme Goulstone : Oui. La Colombie-Britannique et l’Alberta ont adopté leur projet de loi en 2017.

La sénatrice Dasko : Vous n’êtes pas exactement sûrs de la manière dont les choses fonctionneraient si un ordre de gouvernement disait une chose et un autre disait autre chose.

M. Page : Nous savons que Santé Canada a indiqué que cette décision n’est pas du ressort du gouvernement fédéral; c’est une question de compétences provinciales-territoriales.

La sénatrice Dasko : D’accord. Merci.

Le sénateur Munson : Puis-je poser une question complémentaire, juste pour faire suite à vos questions? Selon vous, le gouvernement fédéral a-t-il le pouvoir d’interdire la rémunération des donneurs de sang?

M. Page : Je ne suis pas avocat. Santé Canada a indiqué à tout le monde qu’il pense qu’il n’en a pas le pouvoir.

La sénatrice Omidvar : J’ai un certain nombre de questions. Je pense que vous pouvez tous y répondre. Comme le temps m’est compté, je n’ai pas besoin de trois réponses. Vous vous êtes montrés fort convaincants, comme ma collègue l’a fait remarquer. Je me dois de souligner également que les témoins que nous avons entendus avant la pause l’étaient aussi. Notre travail consiste à démêler tout cela.

Je veux commencer avec un simple fait que je ne connais pas. Combien les donneurs sont-ils rémunérés pour vendre du plasma si, disons, ils en vendent un litre? Je ne le sais même pas. Quelle somme recevraient-ils?

Mme Goulstone : De quel pays parlons-nous?

La sénatrice Omidvar : Parlons du Canada. Parlons du Nouveau-Brunswick, car on peut y faire des dons.

Mme Goulstone : Les gens reçoivent une carte-cadeau d’une trentaine de dollars, il me semble.

La sénatrice Omidvar : La rémunération varie-t-elle beaucoup entre les provinces qui l’autorisent?

Mme Goulstone : Je n’en suis pas certaine, car nous ne sommes pas affiliés ou nous n’avons rien à voir avec la compagnie. Selon ce qu’on m’a indiqué, toutefois, la rémunération est de 30 $ par don sous forme de carte-cadeau.

La sénatrice Omidvar : Dans les trois provinces ayant interdit la vente de plasma, soit la Colombie-Britannique, l’Alberta et l’Ontario, avez-vous observé une augmentation ou une diminution des donneurs de sang? Disposons-nous de cette information?

Mme Goulstone : Pour ce qui est de la collecte de globules rouges, le Canada répond entièrement à la demande, qui diminue chaque année à cause de gains d’efficience en médecine. Nous en avons besoin de moins en moins d’une année à l’autre, et nous répondons donc entièrement à la demande.

La sénatrice Omidvar : J’essaie de comprendre la corrélation entre la vente et le simple fait de faire un don. On nous a présenté de solides arguments selon lesquels on devrait élargir l’interdiction visant la vente de sang dans l’ensemble du système. Je ne suis pas certaine; nous pourrions peut-être regarder à l’extérieur du Canada. Dans les pays où le sang est vendu ou qui interdisent la vente, y a-t-il une corrélation dans le nombre de personnes qui donnent du sang?

Mme Goulstone : Même dans les pays où il est illégal de vendre son plasma et son sang, on peut encore être dédommagé pour son temps et ses frais de déplacement. En Europe, 27 pays membres de l’Union européenne remboursent jusqu’à 40 euros, selon le pays. Même en France, où on a interdit la vente de sang et de plasma, on peut encore dédommager les gens pour le temps perdu au travail et les frais de déplacement jusqu’à la clinique pour donner du sang et du plasma.

M. Page : C’est peut-être plus que ce qui est payé ici au Canada ou aux États-Unis au moyen d’une carte de paiement.

La sénatrice Omidvar : Cette réponse était très utile. Vous avez dit qu’il faut torpiller le projet de loi. Je siège au comité depuis longtemps, et nous entendons toujours qu’il faut amender le projet de loi. C’est la première fois que j’entends dire qu’il faut le torpiller. C’est une image forte. Envisageriez-vous un amendement au projet de loi pour augmenter les réserves de plasma au moyen de l’adoption de pratiques, comme celle de l’Union européenne sur laquelle vous avez attiré l’attention et qui consiste à payer les frais de déplacement plutôt que le plasma? Pouvez-vous nous aider un peu?

M. Page : Je ne sais pas si vous pouvez l’intégrer au projet de loi, mais je pense que nous devrions être disposés à chercher des mesures qui encouragent les dons de plasma. Comme Whitney l’a dit, ce que nous essayons de faire pour la collecte de plasma, c’est trouver des gens qui viennent toutes les semaines, car il faut des donneurs réguliers et dignes de confiance. Ils viennent chaque semaine, et ce n’est pas une chose qu’on fait sans dédommagement, du moins pour ce qui est de leur temps et de leur déplacement.

La sénatrice Omidvar : J’ai une dernière question qui nous ramène au Canada. La Colombie-Britannique, l’Alberta et l’Ontario ont tous interdit la rémunération des donneurs. Au Québec, l’interdiction est générale. Une proportion de 86 p. 100 de la population du Canada ne peut déjà pas vendre son sang. Ce projet de loi va donc toucher 14 p. 100 de la population, n’est-ce pas?

M. Page : Oui, et non.

La sénatrice Omidvar : Aidez-moi à comprendre.

M. Page : Comme je l’ai dit, il y a peut-être un juste équilibre. Si la Société canadienne du sang et Héma-Québec — ils sont exemptés dans votre projet de loi — sont les organismes qui payent et qui ont recours à des sous-traitants compétents pour faire la collecte, à des fractionneurs qui mettent sur pied les centres de collecte, vous pourriez peut-être contourner l’interdiction étant donné que l’Ontario, la Colombie-Britannique et l’Alberta exemptent tous la Société canadienne du sang dans leur projet de loi.

La sénatrice Omidvar : Dites-vous qu’il serait possible d’amender le projet de loi à cette fin?

M. Page : À mon avis, ce qui pose problème dans le projet de loi, c’est que son objectif n’est pas de rémunérer les gens, et ce n’est pas la solution.

La sénatrice Omidvar : Le principe du projet de loi. Merci.

M. Penrod : Je veux juste ajouter deux ou trois choses. Prenons l’exemple de la France, qui a un fractionneur d’État, le Laboratoire français du fractionnement et des biotechnologies, le LFB. Le LFB obtient du plasma auprès de l’organisation française des donneurs de sang. On a toutefois aussi ouvert et fait l’acquisition de centres de dons de plasma en Autriche et aux États-Unis, où les donneurs sont rémunérés. Les « donneurs non rémunérés » en France ne suffisaient pas à répondre à la demande, et on s’est donc tourné vers les États-Unis et l’Autriche.

La sénatrice Forest-Niesing : Je vais commencer par ma question la plus courte et peut-être la réponse la plus courte. J’aimerais savoir si vous êtes au courant de travaux de recherche qui révèlent les autres motivations des donneurs de plasma. Je vous ai tous entendus dire que la rémunération n’est pas leur seule motivation. Que savez-vous sur les autres facteurs?

M. Penrod : Je peux mentionner certaines choses. Nos entreprises membres ont fait de la recherche en marketing. La rémunération est sans aucun doute un aspect important. C’est en grande partie attribuable à de nombreux facteurs que David a mentionnés plus tôt, pour que les gens fassent régulièrement des dons. C’est extrêmement utile et cela permet d’éliminer un obstacle aux dons.

Les donneurs sont également motivés par un certain nombre d’autres facteurs. Beaucoup de centres de prélèvement de plasma existent depuis très longtemps. Dans bien des cas, on y observe des liens sociaux entre les donneurs. C’est certainement un facteur.

Il ne faut jamais oublier qu’un donneur sensibilisé qui se rend à un centre obtient sans tarder des renseignements qui montrent qu’il aide des gens. Cette notion voulant que ce soit l’un ou l’autre, soit noir ou blanc, que les gens ne peuvent pas avoir plusieurs motivations pour faire quelque chose ne fait que porter préjudice à la nature humaine.

Les gens font des dons pour plusieurs raisons, et l’approche est plutôt axée sur le marketing pour attirer des donneurs dans les centres de prélèvement de plasma. Cela dit, ce sont les trois principaux facteurs.

La sénatrice Forest-Niesing : Merci. Savons-nous à quel rang se situe la rémunération, à quel point c’est important? Est-ce la principale et la plus influente source de motivation?

M. Penrod : Je pense que la question de la rémunération est très importante pour que nous parvenions à la fréquence nécessaire de dons. Je soupçonne qu’il y a de nombreux donneurs pour qui ce n’est pas important, un peu important, très important ou extrêmement important. Cela dépend du moment de leur vie, de nombreux facteurs différents.

Cela dépend aussi, en toute honnêteté, de l’endroit où se situe le centre, et d’une multitude d’autres facteurs. En général, je dirais que la rémunération est très importante, mais que ce n’est pas nécessairement quelque chose qui motive quelqu’un à y retourner à maintes reprises.

Il est important d’offrir une rémunération, mais une fois que quelqu’un est mis au courant et sait à quoi servent les dons, toutes sortes de choses contribuent à le faire revenir.

La sénatrice Forest-Niesing : Il y a des centres de prélèvement de plasma au Canada. Je crois qu’il y en a un à Saskatoon, à Winnipeg et au Nouveau-Brunswick. Avons-nous des preuves concrètes que la rémunération en échange d’un don de plasma dans ces provinces a eu ou non une incidence sur les dons volontaires de sang total?

Mme Goulstone : Il n’y a pas de données.

M. Page : Il n’y a pas d’étude officielle, d’étude scientifique.

M. Penrod : La semaine prochaine, quand vous entendrez les témoins, ce serait de bonnes questions à leur poser. Je sais que M. Bees dirige à Winnipeg le centre de prélèvement de plasma depuis très longtemps, depuis des dizaines d’années. C’est le grand spécialiste de la dynamique associée aux dons dans la région.

M. Page : Nous ne devons pas oublier que seuls 3 p. 100 des Canadiens admissibles donnent du sang à la Société canadienne du sang et à Héma-Québec. Nous pouvons demander à 97 p. 100 de la population d’en faire autant.

Mme Goulstone : Je pense que c’est une excellente observation.

La sénatrice Forest-Niesing : Cela met les choses en perspective, monsieur Page. Merci.

La sénatrice M. Deacon : J’ai trouvé intéressant ce que vous avez dit en comparant les donneurs, à propos d’une corrélation entre les donneurs de plasma total et les donneurs de sang, à laquelle je crois que nous allons revenir.

Je n’étais pas certaine si quelqu’un voulait ajouter quelque chose à l’autre point que vous avez soulevé plus tôt, monsieur Penrod. J’essayais de me faire une idée des chiffres au pays et à l’étranger. Vous nous avez donné l’exemple du 3 p. 100, mais il y a les chiffres sur les donneurs de plasma total et les donneurs de sang, ou les deux. La sénatrice Omidvar a terminé en parlant d’amendements. Vous avez été très bref à ce sujet. J’ai l’impression qu’à moins que vous ayez quelque chose à ajouter sur ces aspects, j’ai obtenu mes réponses.

Mme Goulstone : Ce n’est vraiment pas une mince affaire. Il faut connaître la demande actuelle de plasma au Canada, où nous en sommes, à quel point la situation est critique, à quelle vitesse nous perdrons du terrain et combien de donneurs il nous faut. Le Canada possède présentement un bassin de donneurs de sang total, et nous nous en sortons à merveille. Nous subvenons entièrement à nos besoins. Chaque année, nous devons encore trouver 100 000 nouveaux donneurs de sang neuf, pour remplacer les personnes qui n’en donnent plus ou celles qui sont décédées. Cela nécessite un énorme effort de recrutement.

Afin que le plan pour le plasma soit couronné de succès, nous avons besoin de 200 000 à 600 000 nouveaux donneurs, ce qui s’ajoute au chiffre de 100 000. Il y a alors des personnes qui cesseront de donner du plasma. Dans le cas du plasma, il faut des gens qui font des dons régulièrement des dons, pas une fois tous les trois mois ou par année. Il faut des gens qui font un don toutes les semaines ou toutes les deux semaines. Ils doivent le faire de manière continue. On parle d’un grand nombre de donneurs à trouver dans une courte période de temps pour exécuter notre plan et répondre ainsi à la demande de plasma au cours des cinq à huit prochaines années. Si seulement 3 p. 100 de notre population donnent du sang, quelle proportion donnera du plasma?

M. Page : Juste pour donner une idée du chemin que nous avons parcouru, la Société canadienne du sang et Héma-Québec en parlent depuis 10 ou 15 ans. Ils se sont rendu compte que c’est problématique. Il y a 10 ans, ils répondaient tous les deux à 30 p. 100 de la demande d’immunoglobulines. Ils en sont maintenant à 14, 15 ou 17 p. 100. C’est une bataille perdue. À mesure que la demande a augmenté, ils n’ont pas su y répondre. Je leur souhaite bonne chance, mais je ne suis pas optimiste.

La sénatrice M. Deacon : Vous avez dit que la demande est grande et vous avez décrit la fréquence, à savoir un engagement à faire un don toutes les semaines ou aux deux semaines. Vous avez aussi décrit ce que nous voulons — je pense que nous savons ce que vous ne voulez pas voir. Avez-vous d’autres pensées aujourd’hui sur la façon dont nous pouvons rendre cela attrayant et faire passer la proportion de donneurs au-delà de ce que nous avons entendu?

Mme Goulstone : Oui. Je pense à un partenariat public-privé avec la Société canadienne du sang, Santé Canada et Héma-Québec à la barre pour superviser, mais je ne vois pas comment cela pourrait être possible sans rémunération ou incitatif. Nous devons motiver les Canadiens et nous rendre compte que c’est une crise. Le besoin est urgent. Certaines personnes ne savent même pas ce qu’est le plasma. Elles ne se rendent pas compte que c’est ce qui constitue 55 p. 100 de notre sang.

À l’heure actuelle, la seule fois que les gens entendent parler de plasma, c’est de façon négative compte tenu du prix payé, parce qu’on dit que c’est de l’argent en échange de sang, et c’est tout. Les gens ne voient pas le visage des patients. On entend tout le temps dire que les patients à qui l’on donne du plasma semblent bien se porter. On ne comprend pas que des personnes meurent à défaut d’en avoir.

La sénatrice M. Deacon : La sensibilisation est une grande partie de l’équation, même dans notre propre foyer.

M. Penrod : Je veux vous donner plus de contexte pour vous répondre, madame la sénatrice. En 2017, nous avons eu 43 millions de dons de plasma destiné au fractionnement. C’était notre meilleure année enregistrée. En moyenne, les donneurs font un don de 17 à 20 fois par année. Vous pouvez calculer à combien de donneurs cela correspond.

La seule chose que j’ajouterais au sujet du modèle européen, pour revenir à la question sur les amendements qui pourraient fonctionner, c’est qu’en Europe, même dans des pays ayant de bons mécanismes de rémunération, comme l’Allemagne et l’Autriche, les dons ont stagné pendant un certain nombre d’années. On était incapable de trouver des donneurs.

Les autres idées, comme les remboursements de taxe et des mesures de ce genre ont eu, je dirais, un succès mitigé, au mieux. Comme je l’ai dit d’emblée, nous avons souvent de la difficulté à attirer des donneurs. Il n’y a pas de remède miracle; il faut juste prendre beaucoup de mesures. Nos entreprises sont très douées pour attirer et gérer des donneurs. Cela peut être difficile. Cela ne fait aucun doute.

Le sénateur Tannas : Je voulais revenir à ces chiffres. Vous venez de parler de 43 millions de dons. Était-ce pour les États-Unis seulement ou pour l’ensemble de l’Amérique du Nord?

M. Penrod : C’était pour les États-Unis, mais cela inclut sans doute également le centre de Winnipeg.

Le sénateur Tannas : J’essayais de mieux comprendre. Cela équivaut à environ 2 millions de personnes qui ont fait des dons, n’est-ce pas?

M. Penrod : Probablement.

Le sénateur Tannas : Plus ou moins 1 million de personnes. Si les dons atteignaient un niveau équivalent au Canada, nous aurions 210 000 donneurs parce que notre pays est 10 fois moins peuplé, mais nous en avons 100 000 actuellement. Est-ce bien cela?

Mme Goulstone : Non. Je crois que les dons directs de plasma totalisaient à peine 170 000 litres l’an dernier, une quantité négligeable.

M. Page : Il faut faire attention de bien faire la distinction entre le prélèvement de sang entier et la collecte de plasma. Notre collecte de plasma est presque nulle.

Le sénateur Tannas : Combien d’unités par semaine?

M. Page : Ces unités que j’ai mentionnées ne proviennent pas de la collecte de plasma. Il s’agit plutôt de plasma récupéré lors du prélèvement de sang entier. Vous procédez à la séparation du sang, et si vous n’avez pas besoin du surplus de plasma, vous l’envoyez au fractionnement. C’est un processus distinct. Quant à la collecte directe de plasma, elle est presque nulle.

Mme Goulstone : Je crois qu’elle se situait entre 120 000 et 170 000 litres.

M. Page : Ces chiffres sont pour le plasma récupéré, et non pour le plasma collecté directement.

Mme Goulstone : L’an dernier, nous avons comblé 14 p. 100 de nos besoins en plasma.

Le sénateur Tannas : N’est-il pas vrai que la plus grande partie de votre plasma vous vient notamment de gens qui ont subi une phlébotomie et qui ne peuvent faire des dons tous les trois mois?

M. Page : Oui.

Le sénateur Tannas : Mais il faut donner du sang plus fréquemment. Je fais partie de ces gens-là. Le sénateur Wells également. Je ne me souviens pas du nom exact, mais c’est une trop grande quantité de fer dans le sang.

M. Page : Nous ne faisons plus beaucoup de transfusions de plasma. La plus grande partie du plasma récupéré à même les dons de sang entier est dirigée vers le fractionnement. Ce sont les 170 000 à 200 000 litres dont nous parlions. Cela n’est pas appelé à changer, car la quantité de globules rouges ne va pas augmenter. Il n’y a pour ainsi dire aucune collecte directe de plasma.

Le sénateur Tannas : Combien de gens au Canada ont besoin de plasma régulièrement?

Mme Goulstone : Le nombre varie suivant les maladies. Il peut être utilisé pour certaines formes d’hémophilie. Il y a les quelque 30 000 personnes aux prises avec un immunodéficit primaire. Il y a aussi ceux qui souffrent d’un déficit en alpha-1 — et je ne sais pas combien ils sont au Canada — ou d’un angiooedème héréditaire, soit de 700 à 800 patients. On peut ajouter le syndrome de Guillain-Barré, la maladie de Machado-Joseph et le purpura thrombopénique idiopathique (PTI).

M. Page : Il y a 50 produits différents.

Le sénateur Tannas : Soixante-quinze mille personnes au total?

Mme Goulstone : Il y a aussi l’albumine pour les grands brûlés. Peut-être 150 000 personnes en tout.

Le sénateur Tannas : Tout le monde a des oncles, des tantes, des cousins, des frères, des sœurs.

Mme Goulstone : Ce sont toutes des maladies rares.

Le sénateur Tannas : Qu’est-ce qui fait en sorte qu’il n’y a pas de dons directs de plasma? Personne ne veut le faire?

Mme Goulstone : Il y a deux ans, la Société canadienne du sang a soumis au gouvernement un plan qui n’a toujours pas été approuvé.

Le sénateur Tannas : En dehors du privé, il n’y a pas de mécanisme public?

Mme Goulstone : Il n’y a aucune façon de donner du plasma au Canada.

M. Page : Sauf au Québec. On y trouve quatre ou cinq centres Plasmavie où l’on prélève de petites quantités de plasma destiné au fractionnement. C’est le cas à Winnipeg également.

M. Penrod : Sans vouloir vous perdre dans les explications techniques, j’aimerais vous aider à mieux comprendre en quoi consiste exactement un don de plasma. Je suis persuadé que certains d’entre vous donnent du sang de temps à autre. Pour un don de plasma, il faut prévoir environ deux heures sans compter le temps requis pour tous les contrôles nécessaires avant qu’une personne puisse se retrouver au lit, reliée à une machine via cette grosse aiguille. Cette personne doit en outre se prêter à l’expérience au moins une fois par semaine à 20 occasions durant l’année. C’est une démarche qui nécessite un engagement véritable.

La présidente : Sauf erreur de ma part, l’aiguille est plus grosse.

M. Penrod : Oui.

La présidente : Pour bon nombre d’entre nous, il est difficile de voir les différences entre les deux processus. Je vous remercie donc de ces précisions.

Il nous reste du temps pour un second tour de questions.

J’en aurais moi-même une à poser à nos témoins. Vous avez été plusieurs à y répondre déjà partiellement sous des angles différents, mais j’aimerais que les choses soient bien claires pour la gouverne de notre comité et de mes collègues. Je veux parler des dons de plasma rémunérés. Il faut garder à l’esprit que le Sénat a la responsabilité de protéger les plus vulnérables. Je veux m’assurer que les donneurs sont bel et bien en sécurité grâce à l’application des mêmes règles et mesures de contrôle et de surveillance que pour les dons à titre gratuit.

Je ne me souviens plus où j’ai vu cela exactement, mais on parlait d’un individu qui s’était arrangé pour faire plus d’un don par semaine — parce qu’il voulait bien sûr toucher la rémunération prévue. Je veux m’assurer qu’une telle chose ne puisse pas se produire au Canada et que des donneurs ne puissent pas quitter une clinique sans qu’on leur ait conseillé de se réhydrater suffisamment.

Pouvez-vous nous dire brièvement ce que vous en pensez?

M. Penrod : Je vais m’efforcer d’être le plus bref possible, mais c’est un processus plutôt long et complexe. Si je ne suis pas clair, indiquez-le-moi tout de suite et je reviendrai en arrière.

Les donneurs potentiels doivent se prêter à un processus des plus rigoureux visant à déterminer s’ils sont effectivement en mesure de faire un don. À sa première visite, le donneur doit remplir un questionnaire de présélection et subir différents tests de dépistage : protéines, hématocrite, pouls, pression artérielle. On lui fait également subir un examen physique sommaire pour s’assurer qu’il est apte à faire un don.

Tous les moyens sont pris pour s’assurer que les donneurs font l’objet d’un contrôle serré.

Pour répondre à votre question, madame la présidente, nous avons un système de surveillance pour ce qui est des dons excédentaires ou des dons dans plusieurs centres. Cela fait partie des normes d’application facultative de notre industrie. C’est un système de surveillance en temps quasi réel utilisé dans l’ensemble de notre secteur pour veiller à ce que chaque donneur ne dépasse pas le nombre de dons autorisé. Je vous fais grâce des détails de l’élaboration des algorithmes informatiques nécessaires, mais je peux vous dire que cela fonctionne.

Nous avons aussi un registre national des donneurs exclus. On s’assure ainsi qu’un donneur ayant reçu un résultat positif pour un test de VIH ou du virus de l’hépatite C ou B est exclu dans l’ensemble du réseau. Si j’obtiens un résultat positif à un test pour le virus de l’hépatite C — que je dois absolument subir si je veux faire un don de plasma —, mon nom se retrouve dans la base de données. Comme celle-ci est accessible à l’ensemble du secteur, je ne pourrai pas faire de don dans un autre centre au pays.

Nous avons donc différentes couches de sécurité permettant d’assurer la qualité du plasma tout en protégeant la santé du donneur.

Nous avons aussi mis en place un nouveau système de contrôle scientifique et médical à long terme que nous appelons Plasma Vigilance. Nous procédons à différentes études pour le suivi à long terme de la santé de nos donneurs. Comme nous l’avons encore une fois bien établi aujourd’hui, les dons revêtent une importance capitale. Nous ne voulons surtout pas causer quelque préjudice que ce soit aux donneurs. Nous avons besoin qu’ils reviennent faire des dons pour que tous ces patients puissent être traités.

La sénatrice Seidman : Vous avez répondu à de très importantes questions posées par les membres du comité.

J’aimerais que nous nous intéressions au projet de loi lui-même. Vous parlez de partenariats public-privé. J’ai quelques questions à ce sujet. Est-ce que la voie législative est la seule façon de parvenir à nos fins, ou est-ce que nous pourrions y arriver dans le cadre du système en place, soit sans l’aide d’un projet de loi?

C’est un très court projet de loi qui vise seulement à modifier l’article 4 du Règlement. Voici ce que dit notamment le préambule :

que le sang humain est une ressource publique au Canada;

qu’il faut assurer la durabilité du système d’approvisionnement en sang au Canada,

On trouve ensuite cette modification visant à faire en sorte que tout établissement, autre que la Société canadienne du sang, ne puisse prélever du sang d’un donneur faisant un don allogénique contre rémunération, sauf s’il s’agit de sang de phénotype rare.

C’est une question de viabilité à long terme. Je pense que certains de mes collègues ont déjà posé des questions en ce sens pour déterminer si la viabilité à long terme de notre système d’approvisionnement en sang serait mise en péril par la rémunération des donneurs.

J’aimerais savoir si vous pensez que le projet de loi pourra nous permettre d’atteindre cet objectif d’assurer la durabilité du système d’approvisionnement en sang du Canada, comme l’indique son préambule. Je ne sais pas qui peut me répondre à ce sujet.

M. Page : Il fait tout à fait le contraire. Il crée de nouveaux obstacles.

La sénatrice Seidman : D’accord. Je crois que c’est ce que vous avez essayé de nous faire valoir, mais c’est bel et bien ce qu’on peut lire dans le préambule qui nous indique l’objectif visé par le projet de loi. Vous nous dites donc qu’on obtiendrait un résultat contraire en créant de nouveaux obstacles?

Mme Goulstone : Je suis d’accord avec David. Il y a aussi le fait que l’on néglige de mentionner Héma-Québec. Je sais que cela a déjà été souligné, mais il vaut la peine qu’on le répète.

Rien n’est prévu pour accroître l’approvisionnement ou rendre le système plus autonome, ce qui permettrait d’assurer sa viabilité à long terme au Canada.

La sénatrice Seidman : Vous nous dites qu’il y a d’autres façons de maintenir la viabilité du système.

Mme Goulstone : Et l’accès à l’approvisionnement.

La sénatrice Seidman : Et l’accès à l’approvisionnement. Vous avez abordé certains de ces éléments. En réponse à une de mes questions, vous avez proposé que nous en discutions plus à fond ultérieurement. C’est d’ailleurs ce que vous avez fait en répondant à la question très pointue du sénateur Ravalia quant aux autres moyens à notre disposition pour assurer la viabilité de notre système d’approvisionnement en sang. Est-ce que vous proposez d’abord et avant tout à cette fin un partenariat public-privé?

M. Page : C’est l’une des options possibles, mais il peut y en avoir d’autres. On peut penser au modèle américain qui mise sur un système de prélèvement privé complètement indépendant. Il y a celui de Green Cross au Québec qui témoigne d’une certaine hypocrisie. Le Québec a offert du financement à Green Cross pour que l’entreprise s’installe là-bas. Des contrats ont été conclus pour l’achat des principaux produits de Green Cross qui va écouler le reste de sa production sur les marchés internationaux. Je dis que c’est hypocrite parce que l’on se sert des deniers publics pour attirer une entreprise qui va faire du fractionnement au Québec tout en maintenant l’interdiction de rémunération alors même que l’entreprise en question est autorisée à rémunérer les donneurs américains. C’est de l’hypocrisie poussée à l’extrême. Des changements pourraient être apportés, mais c’est un modèle à considérer.

Si l’on pouvait laisser tomber l’interdiction, on aurait accès à l’entreprise qui s’occupe de la collecte et du fractionnement en plus de bénéficier d’un contrat pour obtenir les produits sanguins.

Je ne crois pas que c’est la voie législative qui nous permettra d’y arriver.

La sénatrice Seidman : D’accord. Je vois où vous voulez en venir. Merci beaucoup.

[Français]

La sénatrice Mégie : J’ai une question au sujet de l’entreprise Emergent, à Winnipeg. Vous avez dit qu’elle pouvait collecter une bonne quantité de plasma et qu’elle le vend à l’extérieur. Ai-je bien compris?

M. Page : Non, ce n’est pas tout à fait cela. Je crois que c’est une assez petite entreprise. Ce n’est pas un grand collecteur de plasma. Elle fait des produits très spécialisés, comme le WinRho pour les femmes. Il s’agit d’un produit pour contrer leur incompatibilité au Rh négatif. L’entreprise fait également d’autres produits d’hyperimmunité qui sont efficaces, je crois, contre les attaques terroristes et bactériologiques. Je ne sais pas combien elle a de donneurs. Elle a suffisamment de produits pour les vendre sur le marché international.

La sénatrice Mégie : Je croyais qu’elle avait suffisamment de donneurs pour la collecte. C’est pourquoi je me demandais pourquoi elle ne les gardait pas pour le Canada.

M. Page : Elle vend des produits au Canada, mais ailleurs aussi.

La sénatrice Mégie : D’accord, j’avais mal compris, merci.

[Traduction]

La sénatrice Omidvar : Je crois qu’il y a dans le droit canadien un parti pris à l’encontre de toute commercialisation de composantes du corps humain. Nous avons une interdiction sur la vente de sang. La vente d’organes humains est également interdite. Notre comité a récemment approuvé un projet de loi, lequel a aussi été entériné par le Sénat, qui pénaliserait les Canadiens qui achètent des organes à l’étranger. Ce parti pris se reflète dans nos lois. Nous nous retrouvons donc avec ce projet de loi et vous nous avez présenté d’excellents arguments en faveur du maintien d’un niveau d’approvisionnement suffisant en produits sûrs pour nos patients. D’autres pays prennent également des mesures pour assurer la durabilité de leur approvisionnement. Je me demandais si vous ne voudriez pas essayer de répondre à la question d’ordre davantage philosophique qui consiste à se demander si nous devrions vendre quelque composante que ce soit du corps humain. C’est l’aspect qui m’embête particulièrement.

M. Page : Nous vendons sans cesse nos services, notre temps et nos efforts.

La sénatrice Omidvar : Oui, c’est ce qu’on appelle le travail. Je comprends parfaitement.

Mme Goulstone : Voilà déjà plusieurs années que nous discutons de ces questions avec nos différents groupes de patients. Chaque semaine, je reçois par perfusion un produit provenant de donneurs rémunérés aux États-Unis. Un grand nombre des patients que nous desservons ont indiqué qu’ils préféreraient nettement utiliser un produit provenant de Canadiens rémunérés, plutôt qu’un autre qui vient d’Américains rémunérés. C’est l’un des éléments de l’équation. Il y a aussi le fait que je ne considère pas nécessairement qu’il y a vente de sang ou de produits sanguins. Comme je l’indiquais dans ma déclaration préliminaire, la Commission européenne a établi la distinction entre une rémunération et un incitatif versé à une personne afin de l’indemniser pour les deux heures qu’elle a prises pour donner du plasma de façon régulière. Il faut à peine 10 minutes pour faire un don de sang. C’est le temps requis pour ceux qui en donnent régulièrement. Ils ressortent presque aussitôt entrés. Peu importe le nombre de dons de plasma que vous avez déjà faits, il faut compter deux heures à chaque fois. Et il faut ajouter à cela le temps nécessaire pour se rendre à la clinique et en revenir pour juger du genre d’engagement que cela exige.

L’indemnisation pourrait prendre la forme de congés rémunérés ou d’un allégement fiscal. Il y a même eu un débat radiophonique où l’on a parlé de manuels scolaires pour des étudiants universitaires. Il s’agit d’offrir un incitatif quelconque et différentes options sont envisageables. Je ne pense pas que l’on puisse parler de vente d’une partie du corps humain lorsque cela permet de sauver la vie de quelqu’un. Sans ce produit, je serais morte aujourd’hui, et je suis loin d’être la seule.

Lorsqu’on parle de produits qui sauvent des vies humaines et d’un incitatif visant à indemniser les gens pour le temps qu’il consacre à leurs dons, je ne vois pas cela comme la vente de sang en échange d’une rémunération.

M. Page : On peut envisager les choses de la manière suivante. On peut verser 25 $ ou 30 $ à une personne pour une ressource renouvelable. Le plasma est renouvelable, comme on vient de nous le dire. Vous faites valoir que c’est contraire à l’éthique. Si vous voulez être logique, vous ne devriez pas non plus utiliser du plasma américain. Les morts se compteraient alors par milliers. C’est véritablement l’option qui s’offre à vous, car un tel résultat serait inévitable.

M. Penrod : Les États-Unis ont adopté leur loi nationale sur la transplantation d’organe en 1984. On mettait ainsi en place un régime législatif et réglementaire assez semblable au nôtre pour empêcher la vente, l’achat et le commerce d’organes humains. Il y a toutefois une distinction cruciale à faire avec le cas qui nous intéresse. Il y a une différence énorme entre un produit renouvelable que le corps humain va reconstituer et l’ablation d’un organe qui entraîne une transformation physiologique permanente. Le caractère renouvelable de ces produits fait en sorte que les considérations éthiques doivent être évaluées différemment.

La sénatrice Omidvar : Merci, monsieur Penrod, ces précisions sont très utiles.

Avez-vous bien dit, monsieur Page, que si je voulais donner du plasma aujourd’hui, ce ne serait pas possible au Canada?

M. Page : La Société canadienne du sang a fermé ses centres de plasmaphérèse il y a quelques années en raison de la diminution des besoins de plasma pour les transfusions. Je ne crois pas qu’il y ait encore de centres qui sont ouverts. Vous pourriez aller au Québec. Il y a quatre ou cinq centres de plasmaphérèse dans des villes québécoises de moyenne taille. C’est ce que le Québec a décidé de faire pour accroître son approvisionnement en plasma.

La sénatrice Omidvar : Est-ce uniquement du plasma provenant de donneurs?

M. Page : De donneurs non rémunérés.

La sénatrice Omidvar : À quoi sert ce plasma?

M. Page : Au fractionnement. Le Dr Sher, de la Société canadienne du sang, pourrait certes mieux vous en parler, mais je serais étonné que les centres de prélèvement ne disposent pas d’une certaine capacité en la matière, étant donné qu’on utilise pour les transfusions la thrompaphérèse et d’autres mécanismes d’aphérèse. Il y a sans doute une installation de base que l’on peut utiliser. Il reste quand même — comme David l’a indiqué à quelques reprises — qu’il s’agit en fait d’un problème d’échelle, de volume et de fréquence des dons.

La présidente : Sénatrice Omidvar, concernant votre première question, je peux vous dire que nous allons accueillir comme témoin un bioéthicien lors de l’une de nos prochaines séances. Vous pouvez alors approfondir cette excellente question.

Le sénateur Kutcher : Merci de vos témoignages. Vous nous avez rappelé certaines distinctions subtiles à faire entre le plasma provenant de dons directs et les autres sortes de plasma. Merci de nous aider à mieux comprendre tous ces éléments importants.

Si j’ai bien compris, vous craignez que ce projet de loi fasse en sorte qu’il soit beaucoup plus difficile pour le Canada de s’assurer un approvisionnement durable en plasma, cette ressource renouvelable vitale pour certains patients. Vous nous avez indiqué que notre approvisionnement diminue pendant que la demande augmente. Sans être économiste, je peux vous dire que cette situation me semble problématique.

La sénatrice Omidvar : C’est un marché favorable aux vendeurs.

Le sénateur Kutcher : Oui, tout à fait. Nous n’avons pas à notre disposition l’infrastructure nécessaire pour augmenter la production lorsque le besoin s’en fait sentir. Le plus gros défi n’est pas celui auquel nous sommes confrontés actuellement, mais celui que nous aurons peut-être à relever à l’avenir si l’approvisionnement continue de diminuer pendant que la demande continue de s’accroître. Nous ne pourrons plus alors assurer l’accès à cette ressource vitale. Est-ce que je vous ai bien compris?

M. Page : Je n’aurais pas su mieux dire. Mon discours aurait sans doute été différent il y a trois ans, mais on peut se demander ce qui arriverait si les produits étaient arrêtés à la frontière, si des droits tarifaires étaient imposés.

Le sénateur Kutcher : Je ne veux même pas évoquer cette possibilité. La sénatrice Omidvar l’a déjà fait.

Mme Goulstone : Il y a trois ans, la Société canadienne du sang assurait un approvisionnement répondant à environ 17 p. 100 de la demande au pays. Cette proportion atteint maintenant 14 p. 100. Selon les projections actuelles, elle sera de 10 p. 100 en 2021. La demande continue d’augmenter à un taux d’environ 10 p. 100 par année. La croissance annuelle varie de 8 p. 100 à 12 p. 100.

Le sénateur Kutcher : J’aimerais savoir ce que vous pensez de l’un des arguments avancés par la sénatrice du Nouveau-Brunswick ici présente. Si les jeunes reçoivent une rémunération, une indemnisation ou des incitatifs pour faire des dons, ils vont cesser de le faire une fois rendus à l’âge adulte. Je trouve que c’est un argument assez fascinant et pour le moins spécieux, car nous récompensons les jeunes lorsqu’ils font différentes choses pour nous et nous arrêtons de le faire une fois qu’ils sont adultes.

J’aimerais savoir ce que vous pensez des divers éléments de cette argumentation.

M. Page : Je crois que le fait d’habituer les jeunes à faire des dons, quels qu’ils soient, ne peut être qu’une bonne chose à long terme. Lorsqu’ils sont plus vieux et mieux nantis, ils ne sont sans doute plus intéressés à aller faire un don de plasma une fois par semaine pour 30 $. Cependant, comme ils se sont rendu compte que c’était utile pour certains de leurs concitoyens, ils voudront peut-être tout de même aller donner du sang trois ou quatre fois par année.

Le sénateur Kutcher : L’incitatif ne sera peut-être plus le même, mais la volonté de donner demeurera. Merci beaucoup.

Le sénateur Tannas : Avez-vous bien dit que dans un litre de sang, il y a environ 50 p. 100 de plasma? Vous pouvez prendre du sang entier et en extraire du plasma, n’est-ce pas?

M. Penrod : C’est ce qu’on appelle la plasmaphérèse. La quantité maximale pour un don de sang entier est de 250 millilitres, si je ne m’abuse...

M. Page : Je crois que c’est 500 millilitres de sang entier et l’on en extrait 250 millilitres de plasma. C’est la partie qui va au fractionnement.

Le sénateur Tannas : Nous venons tout juste d’établir que nous avons besoin de 150 000 donneurs de plasma. Si 75 000 personnes en ont besoin, il faut un donneur pour chacune d’entre elles. Il en faut deux si 150 000 patients en ont besoin. Madame Goulstone, vous avez indiqué avoir entendu des gens dire des choses comme : « Si seulement je pouvais donner du plasma. »

Serait-il envisageable de permettre aux gens qui se présentent à une clinique de prélèvement sanguin de demander que leur sang serve à produire du plasma? Est-ce que cela pourrait être utile?

Mme Goulstone : Ce serait formidable. Nous avons travaillé en partenariat avec la Société canadienne du sang à plusieurs reprises. Ils participent à nos journées d’information pour les patients. Nous avons collaboré avec eux à l’occasion des journées Mardi je donne. Nous sommes allés travailler bénévolement dans leurs cliniques pour remettre des documents d’information et sensibiliser les gens. Il est un peu problématique de vouloir inciter les gens à faire des dons de sang et de plasma à l’intérieur de nos propres groupes, car la plupart de nos maladies sont héréditaires et génétiques. Nos proches ne peuvent donc pas faire des dons de sang ou de plasma.

Je pense que nous devons tous mobiliser nos forces pour inciter nos concitoyens à donner plus fréquemment du sang et du plasma. Dans le cadre des efforts de la Société canadienne du sang en ce sens, vous avez sans doute vu leur nouvelle image de marque indiquant qu’il n’y a pas seulement le sang, mais aussi le plasma, les organes et les tissus. Nous nous en réjouissons grandement. Nous allons nous assurer de tout mettre en œuvre, de concert avec les autres groupes ayant besoin de plasma, pour aider la Société canadienne du sang à atteindre son objectif d’augmenter la collecte de plasma.

M. Penrod : J’aimerais apporter des précisions quant au nombre de dons dont nous avons besoin pour le traitement de ces maladies rares. Le ratio n’est pas simplement un donneur pour un patient. Pour la plasmaphérèse, il faut plusieurs centaines de donneurs pour chaque patient, soit par exemple 1 200 pour l’hémophilie et 120 pour l’atteinte inflammatoire pelvienne. Pour d’autres maladies, ce chiffre varie entre 500 et 800. C’est le nombre requis pour les dons directs de plasma qui sont d’environ 700 à 800 millilitres, et non de 250 millilitres. Si on se limite au plasma tiré des dons de sang entier, il faut quatre fois plus de donneurs.

M. Page : Et nous n’avons pas besoin de plus grandes quantités de sang entier. On se retrouverait coincés avec des globules rouges en trop.

La présidente : Merci de cette précision.

La sénatrice Seidman : J’ai encore une brève question. Chacun de vous est ici à titre de représentant d’une organisation, soit le Réseau des associations vouées aux troubles sanguins rares, l’Organisation canadienne des personnes immunodéficientes et, dans le cas de M. Penrod, la Plasma Protein Therapeutics Association.

Pour l’élaboration d’un projet de loi, on consulte généralement les diverses associations actives au sein de la communauté. Avez-vous été consultés par la marraine de ce projet de loi?

M. Page : Non.

La sénatrice Seidman : Aucun groupe de patients n’a été consulté. Merci pour cette réponse.

La sénatrice Omidvar : Je vais m’en tenir aux considérations d’ordre éthique. Ma question s’adresse à M. Page.

J’ai reçu une lettre de votre organisation. Je présume que tout le monde a eu la même. Vous y faites un énoncé qu’il me serait difficile de résumer et que je vais donc lire :

Le plasma est utilisé par des sociétés pharmaceutiques à but lucratif pour concevoir des produits qui sont ensuite vendus. La fabrication et la vente de produits du plasma relèvent presque entièrement d’entreprises privées en quête de bénéfices pour lesquelles le plasma est la principale matière première. Il est exagéré, c’est le moins que l’on puisse dire, d’affirmer que la collecte de cette matière première contre rémunération met en péril notre système de santé publique ou, comme la sénatrice Wallin l’a laissé entendre, pourrait causer un problème de sécurité nationale. Dans la conjoncture actuelle, on pourrait plutôt soutenir que le fait de ne pas rémunérer les donneurs de plasma est en soi contraire à l’éthique.

Pouvez-vous nous en dire plus long au sujet de cette dernière affirmation. Il serait contraire à l’éthique de ne pas rémunérer les donneurs?

M. Page : Il y a des profits qui sont réalisés tout au long du processus. Il y en a pour l’entreprise qui fait la collecte tout comme pour celle qui fait la fragmentation et revend les produits avec un bénéfice aux différents gouvernements provinciaux et territoriaux du Canada. Pourquoi alors le donneur n’est-il pas rémunéré? Pourquoi laisse-t-il aller gratuitement cette ressource que l’on sait renouvelable? Il me semble que...

La sénatrice Omidvar : C’est un élément de la chaîne d’approvisionnement.

M. Page : Ce qui est bien au Canada, c’est que le patient a accès à ces produits sans devoir débourser quoi que ce soit. C’est une autre des raisons pour lesquelles notre système de santé publique ne peut pas être touché. Les produits du sang sont fournis tout à fait gratuitement à l’ensemble des patients par la Société canadienne du sang et Héma-Québec.

La sénatrice Omidvar : Mais les contribuables paient la note.

M. Page : Ce sont évidemment les contribuables qui paient. C’est différent de bien des médicaments vendus au Canada qui sont remboursés par une assurance publique ou privée ou dans le cadre d’un régime de partage des coûts. Par bonheur, même si c’est un système fortement axé sur la recherche de bénéfices par les multinationales pharmaceutiques, les patients obtiennent ces produits sans frais. C’est vraiment fondamental.

La sénatrice Omidvar : Merci.

La présidente : Il ne semble pas y avoir d’autres questions. Je tiens à vous remercier très chaleureusement. Je crois que mes collègues seront d’accord avec moi pour souligner à quel point votre contribution a été précieuse dans le cadre de notre étude de ce projet de loi complexe, mais très important. Un grand merci encore une fois.

Nous poursuivrons demain notre étude du projet de loi S-252. Nous recevrons alors les représentants de Médecins canadiens pour le régime public, de la Fédération canadienne des syndicats d’infirmières/infirmiers et du Syndicat canadien de la fonction publique.

Je dois maintenant vous demander, chers collègues, si vous êtes d’accord pour que nous poursuivions brièvement à huis clos afin de discuter de certaines questions touchant les travaux du comité. Tout le monde est d’accord?

Des voix : D’accord.

La présidente : Nous allons suspendre la séance quelques instants, le temps de passer à huis clos.

(La séance se poursuit à huis clos.)

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