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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie

Fascicule no 54 - Témoignages du 28 février 2019


OTTAWA, le jeudi 28 février 2019

Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie, auquel a été renvoyé le projet de loi S-252, Loi sur les dons de sang volontaires (Loi modifiant le Règlement sur le sang), se réunit aujourd’hui, à 10 h 30, pour étudier le projet de loi.

La sénatrice Chantal Petitclerc (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Bonjour.

Je vous souhaite la bienvenue à cette séance du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie.

[Français]

Je m'appelle Chantal Petitclerc et je suis une sénatrice du Québec. C’est un grand plaisir pour moi de présider la réunion d’aujourd’hui.

[Traduction]

Avant de donner la parole à nos témoins, j’aimerais inviter mes collègues à se présenter, s’ils le veulent bien.

La sénatrice Seidman : Judith Seidman, Québec.

La sénatrice Eaton : Nicky Eaton, Ontario.

Le sénateur Ravalia : Mohamed Ravalia, Terre-Neuve-et-Labrador.

Le sénateur Oh : Victor Oh, Ontario.

[Français]

La sénatrice Mégie : Marie-Françoise Mégie, du Québec.

[Traduction]

La sénatrice Dasko : Donna Dasko, Ontario.

Le sénateur Francis : Brian Francis, Île-du-Prince-Édouard.

La sénatrice Omidvar : Ratna Omidvar, Ontario.

La sénatrice Moodie : Rosemary Moodie, Ontario.

La sénatrice M. Deacon : Marty Deacon, Ontario.

[Français]

La présidente : Merci beaucoup.

Aujourd’hui, nous poursuivons notre étude du projet de loi S-252, Loi sur les dons de sang volontaires (Loi modifiant le Règlement sur le sang).

[Traduction]

Pour commencer, je demanderais à nos témoins de nous présenter leurs exposés. Vous avez sept minutes chacun pour votre exposé, après quoi il y aura une période de questions. Nous avons aujourd’hui un témoin par vidéoconférence.

Nous suspendrons la séance cinq minutes environ à mi-chemin.

[Français]

Nous recevons aujourd’hui Melanie Benard, directrice nationale des Politiques et de la défense des droits à la Coalition canadienne de la santé, Michèle Brill-Edwards, membre du conseil de la Coalition canadienne de la santé, et Curtis Brandell, président de la Société canadienne de l’hémophilie, Section de Colombie-Britannique. Par vidéoconférence, nous accueillons également Biba Tinga, présidente de l’Association d’anémie falciforme du Canada. Madame Tinga, vous avez la parole.

Biba Tinga, présidente, Association d’anémie falciforme du Canada : Merci, madame la présidente. Bonjour à tous. Mon nom est Biba Tinga, je suis présidente de l’Association d’anémie falciforme du Canada (AAFC). Notre organisme comparaît aujourd’hui à titre de membre du Réseau des associations vouées aux troubles sanguins rares (RAVTSR). D’abord, je vous remercie encore de nous avoir invités à participer à ce groupe de témoins et, surtout, de nous donner l’occasion de partager notre point de vue sur le projet de loi S-252.

L’anémie falciforme est une affection génétique du sang qui touche plus de 5 000 personnes au Canada. Cette maladie affecte la production d’hémoglobine et pousse les patients à solliciter des dons de sang totaux pour leur survie. Je peux en attester de façon personnelle, car je suis la mère d’un jeune adulte qui vit avec l’anémie falciforme et dont le traitement et la survie sont exclusivement basés sur le don de sang.

Je dois préciser que notre association n’a aucun conflit d’intérêts. Nous n’avons reçu et ne recevrons aucun financement ou dédommagement de la part de compagnies qui travaillent dans le domaine de la collecte rémunérée de plasma. Nous sommes ici simplement pour vous présenter notre point de vue.

Premièrement, nous estimons que le libellé du projet de loi S-252 prête à confusion, car il insinue que le don de sang est remis en cause, ce qui relève de la désinformation publique. Les dons de sang demeurent sur une base volontaire. Il s’agit ici de dédommagement pour le don de plasma, et nous estimons que ce modèle, déjà mis en œuvre aux États-Unis, vise surtout à atteindre les objectifs de collecte.

Ensuite, nous estimons que ce dédommagement économique ne pose aucun danger pour la population. La suggestion selon laquelle le don rémunéré de plasma peut avoir un impact négatif sur la collecte issue des dons non rémunérés démontre une méconnaissance des motivations de la communauté en général, y compris la jeune génération. Les jeunes et la génération des médias sociaux, épris d’équité et de justice sociale, remettront sûrement en question l’achat et l’utilisation de produits provenant de dons rémunérés aux États-Unis et la réticence à offrir cette option au Canada.

Dans ce contexte, nous devons nous poser la question suivante : s’il est moralement inapproprié d’indemniser les donateurs, serait-il approprié que tous ceux impliqués dans la chaîne de production le soient? Nous gagnerons à adopter les méthodes de collecte de plasma utilisées aux États-Unis, car cela leur a permis de répondre à leurs besoins. Il est important de noter, lorsqu’il s’agit d’indemniser les donneurs pour leur temps ou de couvrir leurs frais de transport, que notre expérience nous permet d’affirmer que l’indemnisation pour les dons de plasma ne représente qu’un moyen d’incitation et ne peut être un obstacle à la collecte générale.

Les obstacles posant un frein à l’atteinte des objectifs de la collecte sont tout autres pour la Société canadienne du sang et Héma-Québec. Au contraire, nous devrions saisir l’occasion d’accueillir ces jeunes dans les centres de don afin de les sensibiliser et de les amener à développer cette culture du bénévolat qui nous est propre.

Nous exhortons le comité à faire opposition au projet de loi S-252 en laissant la porte ouverte à la collecte rémunérée de plasma, afin que le Canada puisse disposer d’une panoplie d’options pour se diriger vers l’autosuffisance de cet ingrédient essentiel aux médicaments dérivés du plasma. Je vous remercie.

[Traduction]

Curtis Brandell, président, Société canadienne de l’hémophilie, Section de la Colombie-Britannique : Bonjour. Je vous remercie de cette invitation à comparaître aujourd’hui. Je suis président de la Société canadienne de l’hémophilie, Section de la Colombie-Britannique, et je vis avec une hémophilie grave depuis ma naissance. Je suis ici pour exprimer notre appui au projet de loi S-252, Loi sur les dons de sang volontaires. Nos membres connaissent tous une personne touchée par la pire catastrophe du sang contaminé au Canada, par laquelle des amis et des membres de nos familles ont contracté le VIH et l’hépatite C. Nous sommes déterminés à ce que cela ne se reproduise jamais plus.

Notre section a beaucoup de réserves à l’idée de permettre l’ouverture de centres de collecte de plasma contre rémunération au Canada. Il est très difficile pour mon organisation de bien comprendre pourquoi Santé Canada a accordé des permis aux centres de Canadian Plasma Resources. Il n’y a pas de pénurie actuellement, pas plus que nous n’en prévoyons dans un avenir rapproché, qui mérite qu’on envisage la privatisation de la collecte de plasma au Canada.

J’ai été déçu d’entendre des groupes de patients sonner l’alarme et prétendre qu’il y aura pénurie imminente de plasma si nous arrêtons les dons rémunérés au Canada. Même le directeur général national de la Société canadienne de l’hémophilie a déclaré en 2013 que :

[...] si l’on arrêtait les dons rémunérés du jour au lendemain, en quelques mois, vous savez, il y aurait des centaines de personnes au Québec, des milliers au Canada et des centaines de milliers dans le monde qui tomberaient malades et en mourraient.

Notre conseil d’administration n’avait pas adopté de politique sur cette question avant que notre directeur général ne prenne cette position publiquement. Quand la SCH a voté sur cette position politique, les votes étaient partagés. Des 12 directeurs, seulement 6 ont voté pour la motion d’appuyer les dons rémunérés de plasma. Les provinces les plus densément peuplées ont voté contre. La Colombie-Britannique, l’Alberta et l’Ontario ont toutes voté contre cette politique, et ce sont les mêmes provinces qui ont depuis adopté des lois pour interdire les dons rémunérés. Comme la vaste majorité des Canadiens ne peuvent pas faire de don à une société privée, où sont donc les pénuries qui semblaient imminentes en 2013?

Je pense qu’il est extrêmement injuste que les patients ne soient pas bien informés du fait que les dons rémunérés de plasma au Canada ne garantiront pas l’approvisionnement national. Je pense que la SCS et Santé Canada devraient s’efforcer davantage de mettre ce fait en lumière.

Quand on m’a demandé de témoigner devant le Comité d’experts sur l’approvisionnement en produits d’immunoglobuline et ses répercussions au Canada, j’y ai comparu avec de nombreux autres groupes de patients. Quand on nous a demandé s’il était déjà arrivé que l’un de nos membres n’ait pas pu avoir accès à sa médication, nous avons unanimement répondu non. Rien de cette discussion ni aucune parcelle de mon témoignage n’ont transpiré dans son ébauche de rapport final. Il ne fait aucunement état du principe de Krever selon lequel on ne devrait envisager de payer pour le plasma que dans des circonstances exceptionnelles rares. J’ai trouvé la démarche de ce comité d’experts gravement déficiente, particulièrement quand les points de vue exprimés ne correspondaient pas à la position de Santé Canada sur les dons rémunérés de plasma.

Les patients de la Colombie-Britannique se soucient au plus haut point de la situation à l’échelon fédéral, comme nous ne sommes pas autosuffisants en sang frais ni en plasma. Nous dépendons des autres provinces pour combler un manque de 10 à 15 p. 100.

Selon notre politique nationale sur les dons rémunérés de plasma, aucune tentative de prélever du plasma de donneurs rémunérés ne doit nuire à l’aptitude de la SCS de répondre à la demande de composants du sang frais.

Quand notre section a exprimé publiquement sa crainte d’une pénurie de sang total et son appui à une interdiction législative en Colombie-Britannique, elle a perdu son financement en guise de punition.

Les groupes de patients sont divisés sur la question. Anne Kingston a révélé dans un article paru dans le magazine Maclean’s que certains groupes de patients avaient travaillé directement avec les lobbyistes de Canadian Plasma Resources pour lui garantir un appui. J’ai trouvé cela extrêmement problématique, parce que la responsabilité de prélever, de gérer et de fournir des produits de sang appartient à la Société canadienne du sang et à Héma-Québec et non aux groupes de patients. Il semble déplacé d’aller chercher l’appui de groupes de patients sous prétexte que les dons rémunérés de plasma au Canada aideraient les patients.

Y a-t-il urgence de nous inquiéter immédiatement de la sûreté des médicaments dérivés du plasma? Non. Nous croyons que les bonnes pratiques en place ont fait leurs preuves, comme en témoigne le bilan de sûreté à long terme depuis la mise en œuvre du rapport Krever. Nous croyons que la SCS est la mieux placée pour atténuer les risques liés aux pathogènes émergents. Cependant, nous croyons que Santé Canada a négligé la question de la sûreté de l’approvisionnement national et nous sommes inquiets que le ministère ne tienne pas compte de la mise en garde de la SCS, qui croit que la seule façon de nous garantir un approvisionnement sûr est de le confier à des organismes publics.

En permettant à une entreprise privée de s’immiscer dans notre système d’approvisionnement en produits sanguins, nous compromettrons gravement notre pouvoir d’assurer un approvisionnement suffisant de sang frais pour répondre aux besoins des patients canadiens et d’avoir accès à du plasma prélevé au Canada par la SCS pour fractionnement. C’est carrément un risque qu’il ne vaut pas la peine de courir.

En terminant, j’aimerais dire une dernière chose. Des installations de fractionnement privées ouvrent leurs portes au Canada. Il serait naturel ici de chercher des partenariats privé-public pour garder les coûts au plus bas et conserver nos activités au Canada. Krever a très bien souligné que les sociétés du sang ne devraient jamais avoir d’obligation envers une installation de fractionnement canadienne. La SCS et Héma-Québec doivent toujours conserver le pouvoir de confier leurs contrats de fractionnement à l’installation qui a le meilleur bilan et les meilleures mesures pour garantir la sûreté de l’approvisionnement. Cela ne signifie pas qu’elles ne peuvent pas avoir recours à un centre de fractionnement canadien, mais je tiens à préciser que le volet fractionnement de l’industrie n’est pas visé par ce projet de loi et qu’il ne devrait pas entrer en ligne de compte dans l’étude de ce projet de loi.

Je vous somme d’examiner le système d’approvisionnement en produits sanguins dans son ensemble pour votre examen du projet de loi. Je vous prie également de bien vouloir appuyer son adoption rapide. Merci.

Melanie Benard, directrice nationale, Politiques et défense des droits, Coalition canadienne de la santé : Je m’appelle Melanie Benard, et je suis directrice nationale, Politiques et défense des droits, à la Coalition canadienne de la santé. Je suis ici pour aider à répondre aux questions. La Dre Brill-Edwards vous présentera la plus grande partie de notre témoignage aujourd’hui.

Dre Michèle Brill-Edwards, membre du conseil, Coalition canadienne de la santé : Je vous remercie, honorables sénateurs, de nous fournir l’occasion de venir discuter avec vous de cette question cruciale et complexe.

Je suis une membre de longue date du conseil de la Coalition canadienne de la santé. Depuis sa fondation par Tommy Douglas, il y a 40 ans, la coalition lutte pour protéger et améliorer les soins de santé publique au Canada. Nous sommes une coalition nationale regroupant travailleurs de la santé, syndicats, personnes âgées, établissements universitaires, organismes communautaires ou confessionnels, ainsi que des coalitions affiliées dans les provinces et un territoire.

La CCS s’est engagée depuis longtemps à assurer un approvisionnement sûr en produits sanguins au Canada et à appuyer les Canadiens victimes du sang contaminé pendant la commission Krever en mettant à contribution son expertise institutionnelle pour aider les groupes de victimes dans leurs stratégies de communication avec les médias et le public, lors des manifestations publiques, et cetera. Ce dossier n’est pas nouveau pour nous.

Je suis moi-même médecin en médecine d’urgence pédiatrique. J’ai également déjà travaillé pour l’organisme de réglementation en lui fournissant une expertise de fond quant à l’application de la Loi sur les aliments et drogues pour gérer les risques liés à l’innocuité et à l’efficacité des médicaments utilisés au Canada par les médecins canadiens.

Plus tôt dans ma carrière, j’ai passé 15 ans chez Santé Canada, dont quatre, de 1988 à 1992, à titre de médecin-chef responsable de l’approbation et des essais cliniques des nouveaux médicaments d’ordonnance. C’était pendant la crise du sida, et j’ai alors également été conseillère spéciale auprès de l’Organisation mondiale de la Santé sur la gestion du sida et les médicaments contre le sida.

Pendant les travaux de la commission Krever, j’ai été conseillère bénévole pour les Canadiens victimes du sang contaminé et leurs avocats. J’ai ainsi contribué à leur expliquer les problèmes médicaux et réglementaires complexes au cœur de la catastrophe.

Parmi les groupes auxquels je suis venue en aide, je mentionne la Société canadienne de l’hémophilie, la Société de l’hépatite C, le groupe des patients qui ont reçu des transfusions contaminées au VIH et de nombreuses personnes, dont Janet Connors.

Nous avons uni nos forces il y a des années en vue de l’objectif même qui nous anime aujourd’hui, soit celui d’assurer un approvisionnement sûr, suffisant et sécuritaire en produits sanguins et en plasma pour les Canadiens.

La CCS appuie fermement le projet de loi S-252 et s’oppose à toute rémunération des donneurs de sang et de plasma au Canada, pour diverses raisons : pour préserver notre système de collecte de sang total par nécessité, un système non rémunéré et vulnérable à la concurrence du système de collecte de plasma rémunérée; pour offrir un mécanisme sûr destiné à augmenter la collecte de plasma sans pour autant compromettre la collecte non rémunérée de sang total; pour conserver le plasma canadien afin qu’il serve aux Canadiens plutôt que d’être vendu sur les marchés du monde; pour assurer une gestion de crise au Canada en cas de pénurie mondiale de produits dérivés du plasma; pour réduire le risque associé à une forte dépendance du Canada envers les États-Unis, d’où proviennent environ 70 p. 100 des produits dérivés du plasma dans le monde; pour fonder notre système sur les avantages éprouvés sur le plan de la sécurité des dons de plasma non rémunérés; et, enfin, pour protéger notre système des pathogènes émergents qui menacent la sûreté et l’autosuffisance des systèmes de collecte de sang total et de plasma.

Ces éléments présentent un risque important de contamination quand de nouveaux pathogènes indétectables et indestructibles apparaissent, comme la nouvelle maladie à prions, la maladie débilitante chronique.

Il faut éviter toute forme de rémunération pour les dons de plasma, puisqu’elle menace la sécurité, la sûreté et l’autosuffisance dans les systèmes de collecte de sang total et de plasma pour les Canadiens.

Nous appuyons d’ailleurs les plans actuellement mis en œuvre pour augmenter de manière responsable la collecte de plasma sans rémunération afin de répondre aux besoins des Canadiens, puisque la SCS ne prélève actuellement que 17 p. 100 du plasma nécessaire et que nous voudrions atteindre le seuil d’au moins 50 p. 100.

Nous voyons le principe de la précaution comme le fondement d’une gestion responsable et moderne des risques en matière de santé, y compris pour le sang et le plasma. On aurait tort d’attendre des preuves de préjudice pour intervenir, comme le réclament Santé Canada et l’industrie des dons de plasma rémunérés; ce serait irresponsable et irait à l’encontre des principes de gestion du risque bien établis pour la gestion des risques liés à la santé dans le système de santé universel.

Nous rejetons la tactique de peur irresponsable qui consiste à prétendre que cette interdiction obligera le Canada à cesser toute importation de produits du plasma issus de dons rémunérés aux États-Unis.

C’est une calomnie qui effraie les patients. Vous avez d’ailleurs déjà entendu à répétition que des milliers de personnes mourraient si ce projet de loi était adopté. C’est totalement faux.

Nous rejetons la fausse affirmation selon laquelle le plasma obtenu de donneurs non rémunérés ne présenterait aucun avantage sur le plan de la sécurité par rapport au plasma obtenu de donneurs rémunérés. Pour la gestion des risques liés aux futurs pathogènes émergents, il est nettement avantageux de favoriser le plasma obtenu de donneurs non rémunérés puisqu’il affiche un taux inférieur de pathogènes infectieux. On n’en voit pas tous les jours, mais c’est particulièrement pertinent lorsqu’il est impossible de détecter et d’inactiver un nouveau pathogène grave.

Pour terminer, j’espère que nous sommes tous d’accord pour dire qu’il faut protéger les systèmes d’approvisionnement en sang et en plasma du Canada, puisqu’il s’agit de ressources nationales qui sauvent des vies, et qu’il faut augmenter la collecte de plasma. C’est indéniable. Nous devons toutefois veiller à ne pas compromettre la collecte de sang total, un élément tout aussi important dans notre système de santé.

Nous espérons que ce projet de loi sera adopté afin qu’il soit inscrit dans la loi que la stratégie de réduction des risques qui consiste à recueillir du sang et du plasma de donneurs non rémunérés constitue un avantage sur le plan de la sécurité pour gérer la menace inévitable des pathogènes émergents, pour lesquels il n’existe actuellement pas de tests ni de procédés d’inactivation. Nous espérons que nous sommes tous d’accord avec le conseil d’autorités internationales comme l’Organisation mondiale de la Santé, qui recommande à tous les pays de viser l’autosuffisance en produits du sang et du plasma sans rémunération des donneurs.

Pour ces raisons, nous sommons toutes les personnes rassemblées autour de cette table de prendre leurs responsabilités très au sérieux et de voter en faveur d’un projet de loi qui protégera les deux pans de notre système de collecte de sang et de plasma. Dans l’intervalle, avant qu’une décision ne soit rendue, nous recommandons aussi au comité d’insister fortement pour que notre organisme de réglementation en matière de santé, Santé Canada, impose un moratoire sur l’octroi de permis à de nouveaux centres de collecte du plasma de donneurs rémunérés jusqu’à ce qu’on trouve une solution à ce problème de santé publique complexe et grave. Merci.

La présidente : Je vous remercie tous de vos exposés. Nous tiendrons maintenant une période de questions.

Le sénateur Ravalia : Je vous remercie des témoignages très convaincants que vous nous avez présentés ce matin. Comme vous en êtes probablement conscients, il s’agit d’une discussion très émotive, dans laquelle nous entendons des points de vue comme le vôtre et des points de vue opposés au vôtre.

Nous avons entendu que nous obtenons 80 p. 100 de nos produits dérivés du plasma des États-Unis, qui utilisent un modèle de rémunération des donneurs depuis 20 ans, et qu’il n’y a jamais eu de problème d’infections depuis, qu’il y a un degré élevé de sûreté dans le système approuvé par Santé Canada, qui nous permet d’avoir accès à divers produits dérivés du plasma essentiels pour la sécurité d’un grand nombre de Canadiens.

Je vous parle à titre de médecin qui, dans les années 1980, a été confronté à la crise des cryoprécipités et a personnellement géré des patients qui ont contracté le VIH ou l’hépatite C et souffrant de toutes les séquelles horribles qui en découlaient.

J’ai du mal à comprendre comment nous, au Canada, pourrons trouver des moyens concrets d’atteindre l’autosuffisance, ou même 50 p. 100 d’autosuffisance, étant donné que nous n’en sommes actuellement qu’à 17 p. 100? Pouvez-vous m’expliquer, exemples et calendrier à l’appui, comment nous pouvons atteindre l’autosuffisance à l’aide d’un modèle de non-rémunération totalement fondé sur l’altruisme?

Dre Brill-Edwards : J’aimerais revenir à l’idée selon laquelle les deux systèmes seraient parfaitement sûrs. Il y a en jeu un principe important de la gestion des risques. Les systèmes peuvent être administrés de manière sûre au quotidien, mais ce n’est pas suffisant pour gérer les dangers pour la santé. Tout système de santé — le système de dons de sang, le système hospitalier — doit accorder la priorité à la planification et à la préparation en prévision qu’un pathogène inconnu apparaisse.

En tant que médecin qui a vécu la crise du sida, tout comme vous, je pense comprendre que les catastrophes surviennent quand nous fermons les yeux sur l’émergence de nouveaux pathogènes. C’est l’histoire du sida : notre lenteur à réagir, l’absence de toute planification à l’égard de tout ce qui pouvait nous frapper. Il ne suffit pas d’assurer la sûreté des produits au quotidien. Il faut intégrer au système un plan de gestion des pathogènes émergents. C’est la raison pour laquelle, selon moi, il est acquis que le plasma obtenu de donneurs rémunérés, aux États-Unis, et le plasma obtenu de donneurs non rémunérés, au Canada, après le fractionnement et les tests nécessaires pour en exclure le VIH et l’hépatite C et après l’inactivation au moyen du traitement thermique, de détergents à base de solvants et la nanofiltration, après tout cela, on peut dire que le plasma obtenu de donneurs rémunérés est aussi sûr que le plasma obtenu de donneurs non rémunérés au quotidien. C’est ce que nous retenons de notre bilan de sûreté des 20 dernières années.

En fait, Krever — et j’ai apporté un exemplaire du rapport Krever — parlait de tous les mécanismes qu’on utilise tous les jours pour inactiver les virus qui réussissent à se rendre dans le plasma. Il a exposé chacun de ces mécanismes, tout comme je viens de le faire. En 1997, il citait la littérature pour dire que ces mécanismes fonctionneraient presque sûrement, et c’est le cas.

Pourquoi, alors, n’a-t-il pas préconisé l’adoption d’un système de donneurs rémunérés? La raison à cela — et elle est très explicite ici —, c’est que dans tout bon système de santé responsable, y compris dans le système des produits sanguins, il faut nous préparer au jour où nous serons confrontés à l’inconnu. Quand l’inconnu survient, quand un nouvel agent infectieux apparaît, nous n’avons aucun moyen de tester le sang pour en retirer l’agent infectieux au centre de dons. Nous n’avons aucun moyen de l’inactiver.

La troisième étape pour garantir la sûreté du plasma est l’inactivation, un procédé qui ne s’applique pas au sang total. Je dois le souligner. Quand de nouveaux pathogènes apparaissent, nous ne pouvons nous fier à rien d’autre qu’à l’intégrité des donneurs pour nous dire s’ils ont des facteurs de risque. C’est tout, il n’y a rien d’autre.

Le Canada a toujours l’occasion de conserver son système de donneurs non rémunérés. C’est vrai qu’il ne permet à l’heure actuelle de recueillir que 17 p. 100 de notre plasma. En période de crise, ce pourrait être suffisant pour venir en aide aux patients qui en ont vraiment besoin, comme les patients souffrant d’immunodéficience primaire.

À juste titre, nous devons viser le seuil de 50 p. 100 pour vraiment être en mesure d’aider les patients dans un état critique, qui risquent de mourir en temps de crise sans immunoglobulines. Combien nous faudra-t-il de temps pour y arriver? C’est impossible à prévoir. Ce devrait être notre objectif. Si nous n’adoptons pas ce projet de loi, nous n’avons aucun espoir de l’atteindre.

Entre-temps, s’il nous faut 2 ans pour cela, 5 ans, 10 ans, nous prions pour qu’aucun nouveau pathogène n’apparaisse qui rende inopérants les systèmes américains dont nous dépendons à l’heure actuelle. C’est ce qui se passe. Il n’y a personne, nulle part, qui dit que si l’on adopte ce projet de loi, nous ne pourrons plus rien importer des États-Unis. C’est absolument faux. Vous avez déjà entendu des groupes de patients vous le dire. Vous avez entendu que cela les effraie épouvantablement. C’est une bonne stratégie que de miser sur cet argument si l’on travaille dans l’industrie et qu’on veut enrichir sa banque privée.

[Français]

Mme Tinga : J’aimerais faire suite à la réponse précédente. Je suis surprise d’entendre certains propos. Pour répondre à la question du sénateur, il est clair que, lorsque la Dre Brill-Edwards affirme qu’on ne sait pas à quel moment on pourra atteindre cet objectif, cela nous inquiète en tant qu’association de patients. Il y a des Canadiennes et des Canadiens dont la survie dépend de ces produits. Or, nous ne pouvons attendre 20 ans. Ce comité a entendu le témoignage de M. David Page, et il a été clair à ce sujet.

J’ajouterais qu’il n’est pas question d’interdire l’importation de produits des États-Unis. Notre question est la suivante : pourquoi ne pas mettre le même système en place et être autosuffisant en tant que Canadiens? Je pense que Whitney Goulstone, de l’Organisation canadienne des personnes immunodéficientes, l’a indiqué ici. Elle a rapporté les témoignages de patients qui disent n’avoir aucun problème à bénéficier du plasma rémunéré provenant de Canadiens plutôt que des États-Unis.

Nous sommes des associations de patients. Nous travaillons sur le terrain avec Héma-Québec et la SCS, et nous savons que l’atteinte de cet objectif prendra beaucoup de temps. Nous ne sommes pas très optimistes quant à son succès. Nous comparaissons ici aujourd’hui pour demander au comité de tenir compte de cet aspect et pour qu’il sache que la vie de Canadiens et de Canadiennes est en danger. Nous devons augmenter notre collecte et atteindre l’autosuffisance canadienne en utilisant le système compensatoire.

[Traduction]

M. Brandell : Comme je l’indiquais dans mes observations préliminaires, la Colombie-Britannique n’est pas autosuffisante pour ce qui est du plasma et du sang frais. C’est un constat d’autant plus important que ces composantes ne peuvent pas être soumises à des procédés d’inactivation virale comme le traitement par la chaleur ou par solvant-détergent comme c’est le cas pour le plasma fractionné.

C’est une situation qui nous préoccupe tout particulièrement. Lorsque Canadian Plasma Resources a ouvert ses portes à Saskatoon, certains de ceux dont nous venons tout juste de parler ont indiqué que les régimes public et privé pourraient coexister sans problème. En décembre de la même année, un reportage de CBC révélait que la Société canadienne du sang avait noté une chute marquée des dons de sang frais. L’organisation demandait à Santé Canada de décréter un moratoire sur l’octroi de nouvelles licences à Canadian Plasma Resources.

Étant donné que la Colombie-Britannique doit compter sur ses voisins pour la part de 10 à 15 p. 100 qui lui manque pour compléter son approvisionnement, on peut se demander à partir de quel moment la cannibalisation du régime public par le privé va commencer à causer des pénuries de sang frais. Il faut savoir qu’une pénurie de sang frais est beaucoup plus dommageable qu’une pénurie de plasma. Lorsqu’on manque de plasma, on peut trouver sur de nombreux marchés un peu partout dans le monde les médicaments dont on a besoin pour sauver des vies. Lorsqu’il y a pénurie de sang frais, les options sont limitées, voire inexistantes.

La présidente : Merci.

Docteure?

Dre Brill-Edwards : Il faut bien comprendre que le traitement de l’anémie falciforme est principalement tributaire du réseau de collecte de sang entier aux fins de la transfusion de produits sanguins frais. Il est donc d’autant plus important pour les personnes souffrant d’anémie falciforme que cet approvisionnement ne soit pas mis en péril. Il ne faut pas mettre à risque ce système d’approvisionnement pour permettre à des entreprises étrangères de venir mener leurs activités commerciales au Canada.

La présidente : Madame Tinga, vous vouliez ajouter quelque chose? Je vous demanderais d’être brève, car je veux permettre aux autres sénateurs de poser également leurs questions.

[Français]

Mme Tinga : Très brièvement, j’aimerais ajouter aux propos de la Dre Brill-Edwards. Les patients souffrant d’anémie falciforme dépendent des dons de sang frais. Les dons rémunérés de plasma ne mettent pas en danger notre population. Au contraire, nous n’y voyons aucun problème. Le recul dans la collecte qu’accusent Héma-Québec et la Société canadienne du sang n’a rien à voir avec la rémunération des dons de plasma. Ce sont plutôt d’autres facteurs qui entrent en jeu, comme les critères de qualification. Par exemple, dans notre cas, les communautés visées par les collectes de sang sont toutes éliminées à cause de la malaria ou d’autres virus. C’est ce genre de chose qui met un frein à la collecte. Le cas d’un homme qui a un rapport sexuel avec un homme est un autre exemple. Ces gens ne sont pas admissibles à donner du sang. Toutefois, cela n’a rien à voir avec le système compensatoire et ne nous touche en rien.

[Traduction]

La sénatrice M. Deacon : Merci à tous de votre participation à notre séance d’aujourd’hui. Nous avons tous appris tellement de choses au sujet du plasma au cours de ces deux dernières semaines — bien plus que ce que je n’aurais jamais pensé pouvoir apprendre à ce sujet. L’une des principales choses que j’ai retenues en lien avec ce projet de loi est le fait que le plasma est beaucoup plus difficile à recueillir que le sang. La collecte de plasma exige un engagement beaucoup plus soutenu de la part du donneur qui doit se prêter à des tests de dépistage, à des procédures de prélèvement plus longues et à des visites plus fréquentes, question d’établir une relation continue. Il ne suffit pas de stationner un camion devant un édifice comme on le voit souvent pour les cliniques de sang qui ciblent une entreprise à l’heure du lunch ou pendant une journée entière.

Lorsque j’entends des témoignages comme ceux de ce matin, je me demande si l’on ne devrait pas confier uniquement à la Société canadienne du sang le soin de recueillir notre plasma. Cela dit, je demeure d’avis qu’il convient sans doute de miser sur la rémunération des donneurs. Il m’apparaît plutôt irréaliste de tabler uniquement sur l’altruisme pour viser des objectifs aussi ambitieux que ceux que l’on entend sans cesse répéter quant aux échéanciers à respecter et aux quantités à atteindre.

Nous avons effectivement eu la chance de rencontrer hier des représentants d’entreprises du secteur à but lucratif. J’ai eu l’impression que cette industrie privée émergente pourrait avoir la capacité voulue pour répondre à nos besoins, pour autant qu’on lui permette de le faire. Nous nous en remettons aux entreprises privées pour le développement de solutions pharmaceutiques. Je sais que l’on parle beaucoup de sécurité. Je continue de me demander pourquoi nous ne devrions pas permettre à cette industrie canadienne de combler ou de contribuer à combler nos besoins en approvisionnement, plutôt que d’importer du plasma.

Cela me laisse encore fort perplexe. J’aimerais bien que vous puissiez m’aider à y voir plus clair.

M. Brandell : C’était une question plutôt longue. Il y avait en fait deux questions. Devrions-nous permettre à la Société canadienne du sang de rémunérer les gens pour leurs dons de plasma? C’était la première question. La deuxième était la suivante : « Pourquoi ne devrions-nous pas permettre à cette entreprise de venir s’installer au Canada et de contribuer ainsi à combler les pénuries qui nous touchent? »

Je vais d’abord répondre à la seconde question. Canadian Plasma Resources est une filiale ou une entreprise partenaire, si l’on peut dire, de Biotest AG. Cette dernière est située en Allemagne. Par conséquent, 100 p. 100 du plasma recueilli est expédié en Allemagne où l’on en fait le fractionnement pour la production de médicaments vitaux. Le hic, c’est que la Société canadienne du sang n’a pas de contrat avec Biotest. C’est ce qui arrive jusqu’à maintenant avec 100 p. 100 du plasma provenant des dons de Canadiens. Alors que bien des gens ont affirmé que cela était bénéfique pour la population canadienne, c’est en fait l’inverse qui se produit. Nous devenons ainsi moins aptes à recueillir du plasma pour répondre à nos besoins au Canada.

Pour revenir à votre première question, je crois que la loi — et j’ai moi-même contribué à son adoption en Colombie-Britannique — prévoit une exemption pour le cas où la Société canadienne du sang se retrouverait dans l’incapacité d’atteindre l’objectif de 50 p. 100 pour l’autosuffisance en plasma ou dans l’éventualité d’une situation exceptionnelle comme celle qui a mené à la commission Krever. On aurait alors l’option de rémunérer les gens pour leurs dons de plasma, mais il s’agirait là d’une solution de dernier recours.

Dre Brill-Edwards : Je vais moi aussi répondre d’abord à votre seconde question. Pourquoi ne pas nous en remettre à des entreprises qui rémunèrent les donneurs si la sécurité n’est pas en cause? La sécurité est bel et bien en cause, et ce, sous deux aspects. La sécurité est en cause dans les périodes où les risques sont élevés. Comme je l’indiquais, nous devons nous préparer à vivre des périodes où il y aura contamination, non seulement dans notre réseau mais dans d’autres également.

Partout dans le monde, les autorités s’inquiètent d’une éventuelle contamination du système américain basé sur la rémunération qui assure, pour ainsi dire, l’approvisionnement de toute la planète. Selon les sources, on parle de 70, 75 ou 80 p. 100, mais on peut dire que c’est environ les trois quarts.

Pour de telles périodes de crise, il nous faut un système sous contrôle canadien. Si l’on compte uniquement sur un ensemble d’entreprises commerciales qui recueillent du plasma en étant totalement libres de le vendre dans le pays de leur choix, alors les autorités sanitaires canadiennes n’auront aucun moyen à leur disposition pour gérer une crise semblable.

En revanche, si vous mettez sur pied un système permettant la collecte de plasma sans rémunération, et surtout si les quantités sont suffisantes pour répondre aux besoins des Canadiens en situation de crise — il ne s’agit pas de traiter tout le monde, mais assurément ceux qui vont mourir s’ils ne reçoivent pas des immunoglobulines par exemple —, alors vous pouvez compter sur un système qui est résilient en situation de crise.

Est-ce que la sécurité est problématique au quotidien? Non. Toutefois, dans une situation de crise où il est impossible d’effectuer les tests appropriés ou d’inactiver un nouvel agent infectieux, il est vraiment nécessaire de pouvoir contrôler notre approvisionnement canadien en plasma avec l’avantage supplémentaire du point de vue de la sécurité qu’il provient de donneurs non rémunérés.

Quelqu’un a indiqué précédemment que les sources rémunérées et non rémunérées sont équivalentes, surtout pour quelqu’un qui a besoin de sang entier. C’est tout simplement faux. Les écrits spécialisés regorgent d’exemples d’études révélant que le sang provenant de donneurs non rémunérés, le point de départ du système, a un taux d’infection inférieur à celui du sang ou du plasma provenant de vendeurs rémunérés.

Ce n’est pas juste moi qui affirme une telle chose. On vous a induit en erreur à maintes reprises en soutenant qu’il n’y avait aucune différence. En période de crise, cette différence est même cruciale. C’est la raison pour laquelle nous préconisons le maintien d’un système canadien pour la collecte de plasma sans rémunération. Il y a une autre affirmation que je souhaiterais rectifier. Quelqu’un a dit qu’il serait tout à fait approprié de payer pour du sang frais.

C’est, encore là, complètement faux. Il n’y a pas une autorité sur la planète qui dirait que c’est acceptable. Tous les pays développés rejettent l’idée de payer pour du sang entier. Il faut que ce soit bien clair. C’est la raison pour laquelle nous avons un régime fondé sur des dons non rémunérés. Il ne faut pas qu’une collecte misant sur la rémunération des donneurs entre en concurrence avec notre système d’approvisionnement en sang entier qui doit demeurer sans rémunération.

La présidente : Merci.

[Français]

Mme Tinga : J’aimerais simplement ajouter un détail au sujet de la vente du plasma canadien à l’étranger. Au début, je pense que l’organisme Canadian Plasma Resources (CPR) a proposé son plasma à la Société canadienne du sang en lui offrant, de plus, un rabais d’environ 20 p. 100 par rapport au plasma américain. Cependant, la Société canadienne du sang a choisi de ne pas l’acheter. C’est à la suite de cela que CPR a demandé une licence pour vendre ses produits à l’étranger. Dans ce cas, je pense que l’utilisation de ce plasma nous aiderait à atteindre les objectifs d’autosuffisance que nous nous sommes fixés. Le problème ne se poserait plus.

La sénatrice Mégie : Ma première question s’adresse à M. Brandell. Vous représentez la Section de la Colombie-Britannique de la Société canadienne de l’hémophilie. Vous êtes en faveur du projet de loi et du fait qu’on arrête d’accepter les dons rémunérés. Cependant, je lis que, en février 2016, il y a eu distorsion entre ce que proposent la Section de la Colombie-Britannique et la section nationale de la Société canadienne de l’hémophilie. Êtes-vous arrivés à un accord ou avez-vous toujours deux opinions différentes?

[Traduction]

M. Brandell : Nous avons encore chacun notre opinion. Comme je l’ai indiqué, nous avons toutefois perdu notre financement en provenance de l’agence nationale du fait que nous sommes demeurés campés sur nos positions. Deux de nos patients qui sont malheureusement décédés des suites d’une infection par le VIH et l’hépatite C ont légué la totalité de leurs actifs à notre section provinciale, ce qui nous place dans une position avantageuse du point de vue financier.

En évitant de formuler quelque allégation que ce soit quant aux motifs qui ont incité certaines organisations à en arriver aux conclusions qu’elles ont mises de l’avant, je peux vous dire que nous jouissons maintenant de l’autonomie financière nous permettant d’analyser la situation et de dire franchement ce que nous en pensons.

Cet apport financier ne nous empêche pas de compter sur les entreprises pharmaceutiques pour envoyer nos enfants dans des camps et réaliser différents autres projets. Si l’on compare notre budget annuel d’environ 80 000 $ à celui de la Société canadienne de l’hémophilie à l’échelle nationale avec ses effectifs rémunérés à hauteur de plus de 2 millions de dollars, on peut comprendre que certains autres enjeux puissent inciter notre instance nationale à agir de telle ou telle manière.

Je n’ai reçu aucune communication interne en provenance de la Société canadienne d’hémophilie qui m’aurait aidé à comprendre les raisons pour lesquelles on s’en tient à cette vision des choses. J’ai posé la question à maintes reprises. J’ai envoyé des courriels et les réponses ne sont jamais les mêmes. On m’a d’abord indiqué que cela allait aider les patients canadiens. Puis, lorsque j’ai découvert que Canadian Plasma Resources avait un partenariat avec Biotest AG et que les Canadiens n’allaient bénéficier aucunement du plasma ainsi recueilli, on a commencé à me dire qu’il était louable que le Canada devienne un meilleur citoyen du monde en augmentant l’apport planétaire en plasma de telle sorte que davantage de patients puissent en bénéficier.

J’ai signalé qu’il y avait actuellement en fait un surplus de plasma. Le plasma est disponible en plus grande quantité et les coûts ont diminué. En recueillant davantage de plasma canadien, nous n’améliorons donc pas le sort d’un plus grand nombre de patients à l’échelle planétaire. Le plasma ne se transforme pas comme par magie en médicaments. Il faut du financement. Il faut une volonté du secteur privé ainsi que le soutien du gouvernement et des organismes sans but lucratif pour rassembler les sommes nécessaires à la production de médicaments qui vont aider les citoyens des pays du tiers monde.

Lorsque j’ai dissipé ce mythe, on a seulement pu me répondre qu’il était hypocrite d’accepter le plasma en provenance des États-Unis alors que nous n’acceptons pas celui qui est recueilli au Canada. Leur version des faits n’a donc pas cessé d’évoluer au fur et à mesure que de nouvelles vérités étaient mises au jour.

[Français]

La sénatrice Mégie : Ma prochaine question s’adresse à n’importe lequel d’entre vous qui pourra y répondre. Dans le préambule du projet de loi S-252, il est mentionné qu’il faut assurer la durabilité du système d’approvisionnement en sang au Canada. À votre avis, est-ce que c’est justifié? Croyez-vous que le projet de loi permettra d’assurer la durabilité du système d’approvisionnement? Sinon, avez-vous pensé à d’autres moyens possibles pour assurer cette durabilité?

[Traduction]

Dre Brill-Edwards : Je suis d’accord avec le préambule. Il est non seulement recommandable, mais aussi essentiel que le Canada s’emploie en priorité à assurer la viabilité à long terme de son approvisionnement en sang et en plasma. Je crois que l’on peut parvenir, dans les deux cas, à un approvisionnement suffisant en tablant uniquement sur les dons non rémunérés de sang et de plasma au Canada.

Ce n’est pas un objectif irréaliste. Comme je l’indiquais précédemment, nous n’avons pas à viser une autosuffisance à 100 p. 100. Ce n’est d’ailleurs pas la solution optimale dans un contexte de gestion du risque. Une gestion saine du système exige en fait d’avoir accès en tout temps à d’autres sources d’approvisionnement ailleurs dans le monde. Un système viable à long terme doit pouvoir continuer de fonctionner même lorsqu’une crise éclate. C’est une question de résilience du système.

Je vais vous donner un exemple en essayant d’être brève. Récemment à Ottawa, un autobus à deux étages a percuté un abribus d’OC Transpo. À la suite de cet imprévu dans le fonctionnement du système, une foule d’intervenants très compétents ont porté assistance aux nombreux blessés qui ont été dirigés vers différents hôpitaux de la ville. Le centre d’intervention en cas de crise a déployé huit équipes différentes, alors qu’une seule suffit normalement à la tâche.

Les opérations se sont déroulées rapidement et efficacement. Pourquoi donc? Parce que le système est géré de manière à pouvoir réagir dans toute situation mettant la santé des gens en péril. On avait planifié avec soin les mesures à prendre en différentes situations et mené les exercices nécessaires à cette fin. C’est ainsi que ces gens-là ont pu intervenir aussi rapidement et gérer la situation de façon aussi efficace.

C’est exactement ce dont je parle dans le cas qui nous intéresse. Si nous avons un système d’approvisionnement en plasma fondé sur les dons non rémunérés, nous allons pouvoir gérer beaucoup plus efficacement la prochaine crise qui éclatera. Nous ne pourrons pas fournir à tous les patients l’immunoglobuline dont ils ont besoin, mais nous pourrons le faire pour ceux dont la vie en dépend.

Environ le quart de l’approvisionnement en immunoglobulines est utilisé pour les patients souffrant d’immunodéficit primaire pour lesquels c’est une question de vie ou de mort. À peu près un autre quart sert à combler des besoins neurologiques parfaitement légitimes. Cela nous amène à 50 p. 100 de l’approvisionnement. On considère toutefois que le 50 p. 100 qui reste à l’échelle planétaire n’est pas utilisé adéquatement. N’importe quel médecin s’étant penché sur la question vous le confirmera. C’est très bien documenté dans les ouvrages spécialisés.

J’essaie de vous faire comprendre qu’un approvisionnement adéquat ne veut pas dire que les produits canadiens nous offrent une autosuffisance à 100 p. 100. C’est simplement qu’un tel approvisionnement nous permet de réagir efficacement pour sauver des vies dans une situation d’urgence.

[Français]

La présidente : Madame Tinga, je suis désolée, je ne vous vois pas très bien à l’écran, mais veuillez lever la main bien haut si vous voulez prendre la parole.

Mme Tinga : J’aimerais ajouter à cela que, lorsqu’on parle d’autosuffisance en période de crise pour les Canadiens et les Canadiennes, une personne qui vit avec une maladie chronique génétique, du sang ou autre, vit constamment en période de crise. Cela explique peut-être notre sentiment d’urgence ou notre comportement. Nous n’avons pas le temps d’attendre qu’une crise se produise pour assurer l’autosuffisance canadienne. C’est pour cela que nous croyons que le fait de mettre en place un système qui nous donnerait cette tranquillité ne devrait poser aucun problème.

La présidente : Merci de votre commentaire. Effectivement, on entend des témoignages assez polarisés. Merci beaucoup.

[Traduction]

Le sénateur Francis : C’est une question que voulait vous poser la sénatrice Omidvar, qui a dû partir.

Docteure Brill-Edwards, je note que vous indiquez dans votre mémoire :

Si les gens veulent ou ont besoin d’argent en échange de leur plasma, ils sont plus susceptibles de le fournir même s’ils présentent des facteurs de risque. Les recherches le démontrent : le sang et le plasma provenant de fournisseurs rémunérés ont un taux plus élevé d’agents pathogènes infectieux que le sang et le plasma provenant de donneurs non rémunérés.

Ce projet de loi interdit la vente de sang, mais la sénatrice aimerait savoir s’il y a des changements que vous souhaiteriez y voir apporter dans le sens de ce que vous indiquez dans cet extrait.

Dre Brill-Edwards : Je pense que tout cela est plutôt cohérent.

Le sénateur Francis : D’accord.

Dre Brill-Edwards : Peut-être devriez-vous reformuler la question. Je ne suis pas certaine de bien voir où vous voulez en venir.

Le sénateur Francis : Comme je l’indiquais, c’est une question que je pose pour la sénatrice Omidvar. Elle a souligné que le projet de loi interdit la vente de sang, mais il est plutôt question ici de dons de plasma rémunérés. Qu’en pensez-vous?

La présidente : Si vous me le permettez, je vais essayer de vous aider à y voir plus clair. Je crois que la sénatrice Omidvar faisait référence à l’exception prévue dans le projet de loi pour la rémunération de donneurs par la Société canadienne du sang.

Le sénateur Francis : Oui, tout à fait.

La présidente : C’est ce que j’ai cru comprendre des réserves qu’elle exprimait.

Dre Brill-Edwards : D’accord. Je crois que l’on voulait prévoir toutes les circonstances possibles, notamment quant aux phénotypes rares comme ceux qui sont traités à Winnipeg, bien que la gamme de leurs produits se soit considérablement étendue par rapport à ce qu’elle était au départ. On veut donc s’assurer que la rémunération ne soit pas interdite lorsque des circonstances particulières l’exigent. Cependant, c’est une exception qui ne devrait que rarement s’appliquer étant donné que la Société canadienne du sang est un service de dons volontaires de sang et de plasma.

Le sénateur Francis : Merci.

[Français]

Mme Tinga : Ce commentaire me fait un peu sourire parce que, quand on parle de phénotype rare, par exemple, il s’agit de rémunérer ces personnes. Dans le cas de la personne qui donne son plasma régulièrement, qui sauve des vies et qui contribue à nous mener vers cette autosuffisance, on ne veut pas lui offrir ce système compensatoire; cependant, dans le cas de la personne dont on a besoin du plasma moins fréquemment, on y tient. N’est-ce pas un peu inéquitable?

[Traduction]

Le sénateur Oh : Merci à nos témoins. J’entends bien des opinions différentes et des messages contradictoires de part et d’autre. Vous dites que nous ne devrions pas adopter un système de dons rémunérés, mais le sang que nous importons des États-Unis provient de donneurs qui sont tous indemnisés.

Quel genre de garanties obtenons-nous des États-Unis pour nous assurer que ce sang n’est pas contaminé, comme ce fut le cas pendant la crise que nous avons connue? Comment les Américains peuvent-ils nous garantir que le sang que nous importons est sûr? Qui dit que nous n’aurons pas droit demain à un véritable coup de théâtre alors qu’on nous annoncera que ce sang est contaminé?

Dre Brill-Edwards : Je vais répondre. Encore là, je ne suis pas trop sûre d’avoir bien saisi la question.

Le sénateur Oh : Je parle du plasma que nous importons des États-Unis. Dans quelle mesure les Américains peuvent-ils nous garantir qu’il n’est pas contaminé?

Dre Brill-Edwards : Quelles garanties avons-nous que le produit importé des États-Unis à même les dons de plasma rémunérés est sûr? Il n’y a jamais de véritable garantie. Nous devons toutefois nous en remettre à la FDA, l’agence américaine de réglementation des produits alimentaires et pharmaceutiques, qui oblige toutes les entreprises américaines de fractionnement du plasma à se livrer à un processus de purification du produit en trois grandes étapes.

Il faut d’abord poser aux donneurs différentes questions au sujet de leurs facteurs de risque à l’égard des maladies infectieuses. C’est la première étape.

La deuxième consiste à tester en laboratoire le sang ou le plasma recueilli pour détecter la présence de différents virus, comme le VIH et l’hépatite C.

En troisième lieu vient une étape importante pour le plasma qui n’existe pas pour le sang entier. Il s’agit d’un traitement intensif via différents mécanismes d’inactivation pour assurer la destruction de tous les virus susceptibles de se retrouver dans les stocks de plasma destiné au fractionnement. On peut donc être fondamentalement assuré de l’innocuité du système au quotidien compte tenu des résultats anticipés par Krever avec l’utilisation de tous ces mécanismes qui prennent de l’âge — mais qui ont bénéficié d’améliorations.

La situation devient plus problématique avec l’émergence d’un nouveau pathogène pour lequel il n’existe pas de tests de dépistage, ce qui nous prive de l’étape deux. Nous ne pouvons pas non plus le détruire, si bien que l’étape trois devient elle aussi impossible. Il ne nous reste que la première étape qui consiste à interroger les donneurs au sujet de leurs facteurs de risque.

Si ce nouveau prion de la maladie débilitante chronique en vient à se propager à grande échelle, la seule mesure de précaution à notre disposition consistera à demander aux donneurs de nous dévoiler en toute franchise leurs facteurs de risque. S’ils ont besoin de l’argent qui leur est versé pour leur plasma, il est possible qu’ils décident de ne pas déclarer ces facteurs de risque. En l’absence des étapes deux et trois, nous perdrions ainsi la seule qu’il nous resterait, soit la première.

Pour que les choses soient bien claires, disons que nous pouvons pleinement compter sur notre système au quotidien. Il n’a rien à envier à ce qui se fait ailleurs dans le monde industrialisé pour ce qui est des produits dérivés des dons de plasma rémunérés ou non. Si une crise éclate, nous nous retrouvons toutefois dans le pétrin.

Le sénateur Oh : Êtes-vous en train de me dire que le système américain n’est pas sûr lui non plus?

Dre Brill-Edwards : Aucun système n’est parfaitement sûr, et aucun ne l’est vraiment en présence d’un pathogène inconnu. Dans une situation de crise semblable, le mieux que l’on puisse faire est d’atténuer les risques.

Face à l’inconnu, nous ne pouvons pas éliminer tous les risques. Lorsqu’un nouveau pathogène se présente, nous ne savons même pas à quoi exactement nous avons affaire. Nous ne pouvons pas faire de tests de dépistage, et nous ne pouvons pas non plus utiliser les mécanismes d’inactivation. Les seules mesures que nous pouvons prendre nous permettent d’atténuer les risques, et non de les éliminer.

La présidente : Merci. Monsieur Brandell?

M. Brandell : J’aimerais juste préciser aux sénateurs qu’en 1995, j’ai reçu du sang contaminé d’un homme qui est décédé plus tard de la maladie de Creutzfeldt-Jakob, une maladie à prions. Ce qui est intéressant, c’est que le lot de plasma qui m’a infecté provenait des États-Unis. Il venait d’un donneur de l’Utah. C’était du plasma récupéré, ce qui signifie qu’il s’agissait de sang provenant d’une collecte non rémunérée aux États-Unis. Ce sang est arrivé au Canada, et la Société canadienne du sang l’a transformé en médicament d’importance vitale pour moi, et je le prends depuis ce temps-là. La période d’incubation de cette maladie à prions peut être de 15, 20 ou 40 ans. J’ai des troubles neurologiques inexpliqués que mon neurologue n’a pas été en mesure d’attribuer à aucune autre cause.

Si je le mentionne, c’est parce que j’ai suivi ce dossier très attentivement, et j’ai été en communication avec l’Unité de surveillance de la MCJ à Édimbourg, en Écosse. J’ai parlé à certains des meilleurs neurologues de la possibilité que je meure de cette maladie qui affecte le cerveau. Manifestement, lorsqu’on examine cette question, il faut savoir que lorsque la maladie de Creutzfeldt-Jakob s’est déclarée au Royaume-Uni, le système d’approvisionnement en sang du pays a été fermé du jour au lendemain. Les Britanniques ont dû compter sur l’aide d’autres pays, car ils étaient aux prises avec ce nouveau pathogène émergent qu’ils ne savaient pas comment traiter.

Je crois que lorsque nous parlons — et la Dre Michèle Brill-Edwards parle de tenter d’atteindre une autosuffisance de 50 p. 100, mais de ne pas tenter d’atteindre une autosuffisance de 100 p. 100, et je crois que c’est important, car s’il y a une éclosion d’un certain type de prions ou d’un autre pathogène émergent en provenance des États-Unis que nous ne pouvons pas contrôler, nous devons avoir l’approvisionnement nécessaire au Canada pour nous suffire à nous-mêmes. Si une éclosion se produit au Canada, nous pouvons nous adresser aux États-Unis ou à d’autres pays pour combler l’écart.

Encore une fois, je reviens au fait qu’actuellement Canadian Plasma Resources ne vend qu’à Biotest, et que rien ne revient au Canada. Les gens n’arrêtent pas de dire que Canadian Plasma Resources nous aidera à devenir autosuffisants. Toutefois, si 100 p. 100 du plasma que cet organisme collecte quitte le pays pour ne jamais revenir, je ne vois pas comment cela nous aidera à devenir autosuffisants en matière de plasma. Et lorsque nous ferons face à ce type de crise, cette entreprise pourra vendre le produit au plus offrant. Si la Société canadienne du sang contrôle ce produit — je déteste l’appeler une marchandise —, elle peut veiller à ce qu’il soit accessible au pays pour aider les Canadiens qui sont les plus touchés.

[Français]

Mme Tinga : J’aimerais ajouter qu’il est sûr que le risque existe en tout temps et qu’il est partout. Selon mon expérience, au Canada, nous avons des systèmes de contrôle de qualité. Nous pouvons avoir confiance en ce qui nous est proposé par la Société canadienne du sang ou Héma-Québec, pour les patients souffrant d’anémie falciforme, ou par exemple, au Québec, dans les cliniques de Plasmavie. Je peux faire confiance à des organismes comme la Direction des produits biologiques et des thérapies génétiques et les associations de l’industrie de fractionnement, qui pourront venir expliquer les processus mis en place pour garantir la sécurité des Canadiens. Je ne veux pas me baser sur des affirmations gratuites pour dire que, s’il y a des donneurs rémunérés, cela pourrait nuire. Comme l’a dit l’un des témoins, même les produits des États-Unis ne sont pas sûrs. Je préfère prendre un risque chez moi plutôt que d’utiliser un produit étranger qui ne vaut pas la peine. Je ne vois pas le bien-fondé de cette logique. Je ne la comprends pas.

[Traduction]

La sénatrice Eaton : Docteure Brill-Edwards, vous avez dit à plusieurs reprises aujourd’hui que nous n’avions rien à craindre au quotidien. Ce sont les nouveaux pathogènes inconnus que nous ne pouvons pas prévoir. Nous avons entendu des témoignages selon lesquels, par exemple, les pays de l’Union européenne, ainsi que les États-Unis, paient leurs donneurs de plasma. Pourquoi sommes-nous un cas spécial? Autrement dit, ces pays ne semblent pas craindre les crises et les pathogènes inconnus. Je présume qu’ils ne pensent pas que c’est possible. Nous engageons-nous en territoire inconnu dans ce cas-ci?

Dre Brill-Edwards : Non. Ce qu’on vous a amenés à croire sur l’Europe est faux. Je vous encourage à inviter des intervenants européens à comparaître, car il y a de nombreuses histoires de réussites en Europe. Je suis sûre que le comité n’apprécie pas qu’il y ait un malaise croissant en Europe...

La sénatrice Eaton : Pouvez-vous nous suggérer des pays précis pour lesquels nous devrions inviter des représentants à comparaître?

Dre Brill-Edwards : Je vous suggère de communiquer avec l’association des collecteurs publics de sang et de plasma d’Europe, c’est-à-dire l’Alliance européenne du sang. Elle a de nombreux documents très informatifs.

La sénatrice Eaton : D’autres pays comme l’Allemagne, la Grande-Bretagne ou la France ont-ils les mêmes inquiétudes que vous?

Dre Brill-Edwards : Vous avez mentionné la Grande-Bretagne. Il y a 21 ans, en 1998, le Royaume-Uni a perdu tout son approvisionnement en plasma à cause du type de menace dont nous parlons, c’est-à-dire un nouveau pathogène émergent dans le système, qui s’est d’abord transmis de la maladie de la vache folle dont souffrait le bétail aux humains pour ensuite contaminer les réserves de sang. Aujourd’hui, le Royaume-Uni ne collecte plus de plasma. Il a perdu son système de plasma, car il n’a pas pu refouler la contamination. Ce que j’essaie de dire, c’est que nous avons besoin de...

La sénatrice Eaton : Le Royaume-Uni achète-t-il son plasma d’autres pays qui offrent une rémunération à leurs donneurs?

Dre Brill-Edwards : Absolument. Non seulement il l’achète d’autres pays qui font la collecte rémunérée, mais il a acheté un collecteur de plasma américain qui pratique la collecte rémunérée. C’est le point que je tente de faire valoir. Une fois que vous êtes engagés dans cette voie, vous n’avez plus le choix. Lorsque vous commencez à acheter du plasma provenant de collectes rémunérées et que vous décidez d’acheter celui d’autres grands systèmes du monde — il y a un grand système dans le monde : celui des États-Unis. Une fois que vous êtes engagés dans cette voie, vous ne pouvez plus reculer.

L’Alliance européenne du sang a publié — je crois que c’était en 2014 — un document dans lequel l’organisme indique très clairement les risques que présente la collecte de plasma rémunérée, car elle nuit à la collecte de sang non rémunérée. Dans ce scénario, lorsqu’un système de collecte de plasma rémunérée est en œuvre dans un pays, l’ensemble du système de collecte de sang est réduit. Ensuite, même si la collecte de plasma rémunérée s’arrête, seul un donneur sur six retournera donner du sang dans le système non rémunéré. Nous avons maintenant l’occasion d’éviter de nous engager dans cette voie.

La sénatrice Eaton : Ce que j’essaie de comprendre — et nous devrons peut-être mener des recherches à cet égard —, c’est que vous parlez d’une association, mais des pays comme la France, l’Allemagne, la Suisse et l’Italie ont-ils adopté ses recommandations ou continuent-ils de pratiquer une collecte rémunérée?

Dre Brill-Edwards : Non. Nous pouvons vous parler du cas de l’Italie. C’est assez long, mais essentiellement, ce pays est revenu à un système de collecte non rémunérée.

La sénatrice Eaton : Pour le plasma et le sang?

Dre Brill-Edwards : Oui. Selon ce que nous avons entendu jusqu’ici, je crois qu’on a essentiellement dit à votre comité qu’ailleurs dans le monde, on avait recours aux collectes rémunérées et que cela n’inquiétait personne. C’est tout simplement faux. Je vous encourage à écouter d’autres responsables de la collecte de sang. Vous avez mentionné la France. Selon ce que je comprends, le responsable de l’organisme de collecte de sang de la France s’exprime haut et fort et il est prêt à témoigner pour indiquer que l’absence de rémunération est un enjeu très important pour la France.

Lorsque vous entendez différents témoins qui ont différents points de vue, il devient difficile de séparer le bon grain de l’ivraie.

La sénatrice Eaton : Vous avez raison, surtout lorsqu’on n’est pas un expert dans le domaine, et il y a eu des questions au sujet des dons rémunérés et non rémunérés.

Dre Brill-Edwards : Oui.

La sénatrice Eaton : Est-ce une question de démographie? Car on nous a dit que chaque témoignage était subjectif, et qu’il n’y a aucune différence. Aujourd’hui, dans votre exposé, vous avez dit que des documents indiquent que les dons non rémunérés sont plus propres et qu’ils causent moins de maladies infectieuses. Ces renseignements sont-ils à jour?

Dre Brill-Edwards : Oui.

La sénatrice Eaton : La situation a-t-elle changé?

Dre Brill-Edwards : Non, elle n’a pas changé. Depuis environ deux décennies, l’Organisation mondiale de la Santé recommande à tous ses États membres de viser l’autosuffisance et les collectes de sang et de plasma non rémunérées, mais elle réévalue constamment cette position.

Il est important de comprendre la stratégie des arguments. Pour faire valoir que le Canada devrait adopter un système de collecte de sang rémunérée, il n’y a pas d’avantages sur le plan de la sécurité. En disant qu’il n’y a pas d’avantages sur le plan de la sécurité, on a fait un choix — eh bien, allons-y.

On s’efforce énormément, par exemple, de réfuter les arguments de Krever et de dire qu’il n’était pas à jour. Ce n’est pas le cas. Tous ces systèmes étaient en place lorsqu’il a formulé sa recommandation pour une collecte de sang et de plasma non rémunérée.

Ensuite, on fait valoir que personne, ailleurs dans le monde, ne s’inquiète au sujet de la collecte de plasma rémunérée. Pardon? L’Union européenne est préoccupée par cet enjeu. De nombreux pays sont de plus en plus préoccupés par les risques que pose pour la santé le fait de ne pas avoir accès à cet énorme approvisionnement de produits de plasma, même s’ils proviennent de collectes rémunérées.

Si quelque chose arrive aux États-Unis — et n’oubliez pas que la MDC est endémique dans l’ouest de ce pays. Si ce prion fait le saut chez les humains, tout l’approvisionnement de plasma américain sera à risque. Cela provoquera une crise mondiale. Personne n’en parle, car c’est terrifiant. Par exemple, il est important que le comité réfléchisse à ce qui arriverait si le monde perdait le système américain.

La sénatrice Eaton : Nous ne pourrions pas fabriquer notre propre plasma maintenant, n’est-ce pas?

Dre Brill-Edwards : Si vous avez le contrôle de votre propre approvisionnement et si vous avez un organisme national financé par les fonds publics pour collecter du plasma, vous pouvez conclure des contrats avec des entreprises de fractionnement pour qu’elles acceptent de fractionner vos produits séparément des autres produits.

Une autre recommandation de Krever — il ne faut pas permettre aux lots de plasma de contenir un mélange de plasma canadien et de plasma étranger d’une source inconnue. En effet, c’est dangereux pour le système.

Si vous avez un instrument de contrôle national, vous êtes en mesure d’utiliser cet actif de manière judicieuse pour établir les priorités relatives à son utilisation et veiller à ce que les provinces et l’ensemble du pays ne dépendent pas d’exploitants commerciaux qui ne sont pas obligés de nous vendre leurs produits.

La sénatrice Eaton : Nous pourrions faire cela, mais tout de même autoriser les dons rémunérés.

Dre Brill-Edwards : Je ne m’exprime peut-être pas clairement.

La sénatrice Eaton : Non, vous vous exprimez très clairement. Nous pourrions accepter les dons rémunérés et le sang canadien pourrait être conservé séparément lorsqu’il est envoyé en Allemagne pour être fractionné et il pourrait être ensuite renvoyé au Canada.

Dre Brill-Edwards : Ce n’est même pas imaginable. Lorsque vous avez une série d’exploitants dans la même région géographique d’un pays, vous avez plusieurs entreprises qui, comme l’a dit M. Bahardoust hier, sont des entités commerciales. Ces entreprises n’ont aucune intention d’agir à titre de service de santé — et elles n’ont aucun besoin ou mandat à cet égard. Lorsqu’elles entrent dans le système, la quantité de plasma collectée par la Société canadienne du sang n’augmentera pas, mais elle diminuera, car la concurrence sera féroce.

Hier, vous avez entendu dire que la taille de l’industrie avait quadruplé, à l’échelle mondiale, au cours des 10 ou 15 dernières années. Il y aura une concurrence féroce pour les donneurs. Il n’est pas réaliste de croire que la Société canadienne du sang sera en mesure d’accroître sa collecte de plasma.

[Français]

Mme Tinga : J’aimerais ajouter quelque chose à tout ce qui vient d’être dit. Dans une vidéo mise en ligne sur YouTube par la Société canadienne du sang, le 25 juillet 2018, le Dr Graham Sher affirme ce qui suit :

Il est catégoriquement faux de dire, en 2015 ou 2016, que les protéines plasmatiques données en échange d’une compensation sont dangereuses ou qu’elles sont moins sécuritaires. Elles ne le sont pas. Elles sont aussi sécuritaires que celles manufacturées à partir du plasma donné gratuitement.

C’est assez clair pour nous. Je pense qu’il y a, ici, une volonté de semer la confusion dans l’esprit des gens pour laisser croire que, une fois rémunérés, les donneurs pourraient être moins honnêtes. Je trouve cette façon de penser carrément insultante pour la population canadienne qui donne volontairement, depuis des années. Nous participons à beaucoup de collectes de sang, et nous — particulièrement la communauté noire, qui souffre d’anémie falciforme — passons par un processus de sélection très rigoureux. En outre, beaucoup de gens sont disqualifiés en raison des critères existants.

Je comprends qu’on n’ira pas volontairement donner du sang lorsqu’on a vécu dans une région où on est à risque d’attraper la malaria. Je pense donc que c’est mettre en doute l’honnêteté des gens. De plus, la rémunération offerte est tellement minime que je ne vois personne courir le risque de se faire rejeter, d’autant plus qu’une fois qu’on a été évalué et qu’on sait qu’on ne peut donner du sang, l’information se retrouve dans un système à travers le Canada. On ne peut passer outre ce système de sélection.

Je ne vois donc pas le problème. Je crois que le fait d’être alarmiste en ce qui concerne la sécurité ne sert qu’à créer de la confusion et à semer un climat de terreur dans l’esprit des gens. Il faut dissocier les choses; on parle, ici, de dons de plasma et non de dons de sang. Le don de sang total se fera toujours de façon volontaire au Canada.

La présidente : Merci, madame Tinga. Nous comprenons que les points de vue sont opposés et que chacun d’entre vous est très engagé dans ses convictions. Les sénateurs auront beaucoup de travail à faire pour trier les chiffres et les renseignements qu’ils reçoivent. Nous pouvons vous assurer que nous allons faire notre travail en tenant compte de nos responsabilités, et nous apprécions tous les points de vue que vous avez partagés avec nous aujourd’hui.

[Traduction]

La sénatrice Moodie : Je vous remercie d’être ici aujourd’hui et de nous aider à mieux comprendre la situation très complexe de la collecte du plasma.

Depuis hier, je tente de comprendre le nœud du problème. Hier, je pensais qu’il s’agissait d’éthique. J’ai maintenant dépassé cela. Aujourd’hui, j’ai l’impression que nous nous concentrons sur le contrôle d’un système d’accès à l’approvisionnement en plasma.

Dans le milieu de la santé publique, il est important de gérer et de contrôler les infections et les pathogènes émergents, et d’être en mesure de détourner, d’arrêter et d’éliminer un produit dont la circulation pourrait potentiellement nuire à notre population, et le faire rapidement avec un contrôle absolu. Je comprends cela.

Ce que je tente de comprendre, c’est la raison pour laquelle la provenance de ce produit est importante. Et pouvons-nous faire valoir que d’une certaine façon, une source commerciale de plasma est moins facile à contrôler que du plasma qui provient d’un système sous le contrôle, par exemple, de la Société canadienne du sang? Y a-t-il des contrats, des exigences, des accords ou des exigences réglementaires en matière de contrôle de la qualité qui pourraient exiger ou maintenir qu’un certain niveau de contrôle soit accordé aux personnes qui contrôleront l’infection et qui devront gérer les éclosions, afin de pouvoir utiliser le produit ici au Canada, qu’il provienne d’une collecte rémunérée ou non?

Je parle du contrôle. Le contrôle du système, le contrôle efficace d’une crise. C’est parce que j’ai entendu dire que c’était un problème. Y a-t-il une raison pour laquelle l’entité commerciale a un différent niveau de contrôle?

[Français]

La présidente : Madame Tinga, comme vous êtes en vidéoconférence, on vous oublie parfois. Voudriez-vous offrir la première réponse?

Mme Tinga : D’abord, nous n’avons jamais mis en doute le produit ou suggéré qu’il y avait un problème selon que l’origine soit commerciale ou publique. Si la Société canadienne du sang achète le plasma américain, cela signifie qu’elle est en mesure de garantir la sécurité des Canadiens. Selon nous, on n’a pas à douter du produit qu’elle offre aux Canadiens normalement.

Notre problème est lié au fait que nous ne puissions pas atteindre l’autosuffisance nous-mêmes comme Canadiens. Nous avons la capacité, des gens sont là pour pouvoir le faire, alors pourquoi ne pas mettre en place le même système que les Américains afin de pouvoir atteindre cet objectif de collecte?

Si j’ai bien compris votre question, on se demande pourquoi la source commerciale est moins sûre que la source publique. Or, je ne pense pas que ce soit vrai, parce que, de toute façon, cela passe par un système rigoureux au Canada.

[Traduction]

La sénatrice Moodie : J’aimerais poser une question à la Dre Brill-Edwards, car cela concerne ce que vous disiez au sujet du contrôle de la crise et de la nécessité d’être en mesure de gérer l’attribution des ressources et si cela pose problème pour obtenir le produit. Comment est-ce un problème? Pourquoi n’avons-nous pas le contrôle? Pourquoi ne pouvons-nous pas compter sur les fournisseurs commerciaux? Y a-t-il un problème de ce côté?

Dre Brill-Edwards : Actuellement, nous comptons sur les fournisseurs commerciaux. Comme je l’ai dit, au quotidien, cela ne pose pas de problème. Ce dont nous avons besoin lorsque le système est en crise, c’est de la capacité de prendre des décisions nationales qui répondent aux besoins des diverses régions du Canada. C’est un volet obligatoire de notre système de gouvernance de la santé. C’est prévu dans la loi fédérale qui établit le rôle du ministre de la Santé. Si nous avons une série d’exploitants commerciaux, nous n’avons aucun contrôle sur leur décision d’envoyer ailleurs des produits dont nous avons grandement besoin ici. S’il y a, par exemple, une pénurie mondiale, si quelque chose arrive au système des États-Unis et que nous ne pouvons pas obtenir une quantité suffisante du produit, si nous faisons affaire avec une série de collecteurs de plasma commerciaux, ils peuvent envoyer ce plasma où bon leur semble. Nous ne pouvons pas les en empêcher. Si, au contraire, nous avons un système national unique et administré par l’État, nous avons le contrôle nécessaire. Par exemple, le ministère de la Santé peut collaborer avec la Société canadienne du sang pour veiller à combler les besoins de certains domaines de santé.

Lorsque nous avons affaire à une série d’exploitants commerciaux — comme l’a dit M. Bahardoust hier : « [...] nous sommes des entités commerciales et nous n’avons pas le mandat de fournir des services de santé ». C’est le point que je tente de faire valoir. Nous devons avoir un système qui peut faire face à toutes sortes de crises imprévues.

La sénatrice Moodie : Ce que j’entends, c’est qu’il faut non seulement garder le contrôle pour gérer la situation en cas de crise, car on conserve les ressources, mais vous dites aussi que la bonne gestion du risque n’exige pas que la totalité du produit provienne de la même source.

Dre Brill-Edwards : C’est exact.

La sénatrice Moodie : Il faut diversifier. Je vous ai entendu dire cela.

Dre Brill-Edwards : Oui.

La sénatrice Moodie : Encore une fois, nous nous demandons pourquoi il ne pourrait pas s’agir d’une source canadienne. Je crois que c’est essentiellement ce que se demandent les gens dans la salle. Pourquoi avoir recours à une source américaine? Pourquoi pas une source canadienne? Pourquoi acceptons-nous que ce soit rémunéré aux États-Unis, mais pas ici? Si nous disons que nous voulons un système public solide, que nous voulons être en mesure de le gérer, alors aidez-nous à faire cela en contrôlant le marché. Ce que j’entends également, c’est que nous devons avoir la capacité et la souplesse nécessaires pour trouver le produit si nous en avons besoin — si notre système est contaminé, par exemple. C’est ce que j’entends. Je suis maintenant préoccupée par le choix de la source utilisée, c’est-à-dire les États-Unis ou le Canada. Ces derniers jours, le comité s’est penché sur cette question. Pourquoi pas une source canadienne?

M. Brandell : Je crois que nous négligeons de dire que nous prenons cela d’un système public pour le mettre dans un système privé. Je pense que cette façon de décrire la situation est très polie. Nous devrions plutôt dire que nous commercialisons le plasma et que nous le transformons en marchandise.

Je crois que toute personne qui a suivi les événements récents concernant les travailleurs de GM au Canada — je ne veux pas m’écarter du sujet, mais le gouvernement canadien a sorti cette industrie du pétrin avec 7 milliards de dollars en prévoyant que ces emplois demeureraient au Canada. Le gouvernement a de très mauvais antécédents lorsqu’il s’agit de réglementer les entreprises et de les garder au Canada, car les entreprises peuvent faire ce qu’elles veulent lorsque nous avons perdu le contrôle de la situation. C’est la raison pour laquelle nous devons garder cela dans le système public. Dès que cela sort du système public, nous pouvons prendre tous les règlements imaginables, mais les entreprises ont énormément d’argent et elles trouveront des façons de contourner ces règlements et de faire appel à des sous-traitants. Nous tentons donc de veiller à contrôler la ressource de notre mieux pour les patients canadiens. La seule façon d’y arriver, c’est de conserver un système entièrement public au Canada.

La présidente : Merci. J’enchaîne par une question à laquelle on peut simplement répondre par oui ou par non, parce que c’est une énigme. J’entends bien tout ce qui se dit. Se peut-il qu’il y ait plusieurs bonnes réponses? N’est-il pas possible que la Société canadienne du sang atteigne son objectif de 50 p. 100, que nous continuions d’avoir des fournisseurs américains et, parce que c’est possible, que Canadian Plasma Resources s’engage par contrat à être le fournisseur de la SCS? Accepteriez-vous ou refuseriez-vous une telle éventualité? Diriez-vous non?

M. Brandell : Absolument. En Colombie-Britannique, il était prévu, si nous nous retrouvions dans cette situation, que la Société canadienne du sang pourrait chercher un fractionneur privé qui deviendrait son sous-traitant et qu’elle exercerait le contrôle sur ce contrat privé. C’est complètement différent de l’arrivée d’une multinationale au Canada pour y récolter du plasma et le vendre à l’étranger. Ces entreprises affirment sans cesse, dans leur documentation, que c’est du plasma de Canadiens destiné à des Canadiens. On ne les oblige pas à retourner de ce produit au Canada.

Je tiens notamment à signaler les pratiques douteuses de l’entreprise Canadian Plasma Resources qui, par exemple, quand elle essayait d’ouvrir un centre en Ontario, avant d’y être obligée de fermer boutique, cherchait à s’installer tout près d’une clinique de traitement à la méthadone et d’une maison d’hébergement pour les sans-abri. Elle essayait de profiter des plus pauvres parmi les Canadiens.

Si elle cherchait vraiment la meilleure qualité... Je ne veux pas ici dénigrer les pauvres, mais, disons-le franchement, leur alimentation n’est pas d’aussi bonne qualité. Malheureusement, ils souffrent d’une plus forte incidence de toxicomanies et d’autres causes possibles de problèmes pour le système de collecte et de distribution du sang.

Je pense que si Canadian Plasma Resources était vraiment sérieuse dans son intention de s’implanter au Canada pour créer un produit canadien destiné aux consommateurs canadiens, elle ouvrirait peut-être un centre de collecte sur la rue Oak, au milieu du quartier de Shaughnessy, à Vancouver, d’où je viens, et non dans un endroit comme le Downtown Eastside.

La présidente : Merci d’avoir précisé votre position.

La sénatrice Seidman : J’ai une question pour vous, docteure Brill-Edwards. C’est vraiment difficile. Comme nous l’avons laissé entendre hier, il est très difficile de comprendre comment nous voulons employer du plasma dont les donneurs, à l’étranger, ont été rémunérés, tout en ne voulant pas rémunérer les Canadiens, du moins pour le temps qu’ils ont pris pour donner du plasma.

Je vous ai entendu laisser entendre que, d’une façon ou d’une autre, le bénévolat, par exemple par l’entremise de la Société canadienne du sang, est mieux en mesure de répondre à une situation d’urgence causée par un pathogène que le système qui rémunère ses donneurs. Qu’est-ce qui vous le fait dire?

Dre Brill-Edwards : Désolée. Pourriez-vous répéter? Qu’est-ce qui est bénévole?

La sénatrice Seidman : Vous laissez entendre aujourd’hui que le système de dons bénévoles est mieux en mesure de répondre à une urgence causée par un pathogène que le système qui rémunère ses donneurs. Qu’est-ce qui vous permet de l’affirmer?

Dre Brill-Edwards : Le principal avantage, sur le plan de la sécurité, au moment où il faut réagir, est de disposer d’un produit brut dont le taux probable d’infection est minimal. C’est fondamental, n’est-ce pas? Si vous aviez le choix entre...

La sénatrice Seidman : Excusez-moi. Je ne veux pas vous interrompre, mais j’essaie vraiment de comprendre. Pourquoi, alors, le système fondé sur le bénévolat est-il meilleur que celui qui rémunère les donneurs? Si vous tenez à la sécurité et si vous vous inquiétez pour...

Dre Brill-Edwards : En raison de la plus grande sécurité qu’il offre.

La sénatrice Seidman : Oui, mais pourquoi?

Dre Brill-Edwards : Cette sécurité provient du fait que, au départ, le taux d’infection du produit brut, sang ou plasma, est inférieur à celui des produits homologues du système rémunérant les donneurs.

La sénatrice Seidman : Mais pourquoi l’affirmez-vous? Aucun des témoignages d’hier n’inciterait à le croire. Ils laissaient entendre que...

Dre Brill-Edwards : Je sais; j’y arrive. Il est naturel d’être désorienté par des renseignements contradictoires. Le mieux, pour nous, est de montrer le...

La sénatrice Seidman : Vous laissez entendre que les organismes de réglementation de Santé Canada, la Food and Drug Administration, les organismes de réglementation de l’Union européenne ne contrôlent pas autant les dons privés et les entreprises dites commerciales que le système public. Je pense que des décennies de témoignages et, certainement, les faits qui ont conduit au rapport Krever montreraient le contraire. Quelque chose m’échappe.

Dre Brill-Edwards : Il ne s’agit pas de contrôle du produit, mais de qualité. Santé Canada exerce le contrôle sur les tests à faire et les systèmes d’inactivation à employer. La FDA exerce des contrôles et applique des normes semblables. Là n’est pas la question. La question est qu’il existe différents niveaux d’agents infectieux dans le produit brut. Par chance, nous sommes maintenant à un point où ce n’est pas vraiment si important, grâce à l’inactivation, à la purification, à la séparation — peu importe le terme que vous préférez. Sans entrer dans les détails techniques, je peux dire qu’on peut très bien débarrasser le système de ces virus.

Que le degré d’infection du plasma soit faible ou élevé au départ, cela se règle à cette troisième étape de l’inactivation. Le bénévolat que nous voulons conserver offre une possibilité unique en son genre, et il ne prédomine pas dans tous les pays. L’avantage de ce système, qui n’est pas évident en temps ordinaire, se révèle en temps de crise, quand il faut le gérer pour favoriser le produit de la meilleure qualité possible.

La sénatrice Seidman : Je ne comprends toujours pas. Si un nouveau pathogène devait faire intrusion dans le système, rien ne permet de croire qu’il serait aussi présent dans le système à donneurs bénévoles que dans celui qui rémunère ses donneurs.

Dre Brill-Edwards : Merci, merci! C’est exactement ce que je voulais dire. D’où vient ce point de vue? Si nous savons que, au fil du temps et pour de nombreux types différents de pathogènes, la collecte non rémunérée correspond à une incidence moindre et la collecte rémunérée, à une plus forte...

La sénatrice Seidman : Nous l’ignorons.

Dre Brill-Edwards : Nous le savons. Je suis désolée; je sais qu’on vous a répété le contraire, mais nous savons.

La sénatrice Seidman : Seulement dans le sang entier. Nous ne savons rien...

Dre Brill-Edwards : En fait, c’est aussi dans le plasma. Il est intéressant d’observer comment la méthode de recherche dans les publications...

La sénatrice Seidman : Êtes-vous en mesure de nous communiquer ces renseignements?

Dre Brill-Edwards : C’est dans notre mémoire, avec la bibliographie. Je vois d’où provient la confusion. En toute probabilité, le nouveau pathogène aura une répartition semblable à celle des pathogènes antérieurs. Pour le gestionnaire de risques, c’est une hypothèse raisonnable. Rappelez-vous, en temps de crise, on n’attend pas de preuve de préjudice. On ne peut pas faire de test. On emploie les meilleurs éléments de preuve, même si ce n’est pas suffisant. À ce moment-là, les deux systèmes seront à risque. Vous avez absolument raison.

Nous ne prétendons pas que le système fondé sur le bénévolat sera sans reproche et que le système qui rémunère ses donneurs sera absolument contaminé, loin de là. Je vous suis reconnaissante de votre question. Nous nous attendons, dans le système à donneurs bénévoles, dans son produit brut, à un taux inférieur d’infection et, quand nous ne disposons d’aucun moyen pour purifier le produit, l’avantage réside, en partant, dans un produit moins infecté.

La sénatrice Seidman : Je suppose que je ne suis pas d’accord avec votre prémisse de base. Je ne vois pas le lien entre un nouveau pathogène et la nécessité de disposer, au départ, d’un produit moins infecté. Il ne s’agit pas d’un taux inférieur d’infection; c’est une infection du système par un pathogène particulier. Un taux inférieur d’infection — cela n’a aucun sens pour moi. Scientifiquement, cette déclaration est absurde.

Dre Brill-Edwards : En ma qualité de gestionnaire des risques qui a exercé de nombreuses années et a affronté des situations d’urgence causées par des médicaments partout au Canada, c’est la façon normale de faire — chercher les avantages ou les interventions possibles pour éviter des incidences négatives. Si nous savons que d’autres pathogènes sont présents régulièrement et à plus forte concentration, au fil du temps, et par rapport à de nombreux pathogènes, c’est une hypothèse raisonnable de travail. D’accord, il y a de l’incertitude, et c’est ce que fait la gestion des risques, gérer l’incertitude dans l’intérêt du public.

Pour revenir à votre question sur le secteur commercial, il n’a pas le mandat de réagir à une crise sanitaire.

La sénatrice Seidman : Connaissez-vous le rapport qu’un comité d’experts de Santé Canada a publié en mai 2018, intitulé Protéger l’accès des Canadiens aux immunoglobulines?

Dre Brill-Edwards : J’étais l’un des experts qu’on a consultés.

La sénatrice Seidman : Parfait. Dans ce cas, on peut lire dans le rapport que les données recueillies ne démontrent pas que l’intensification de la collecte de plasma par aphérèse, provenant de donneurs rémunérés ou non, a une incidence négative sur l’approvisionnement en sang total.

Dre Brill-Edwards : À mon avis, c’est l’une des affirmations qui discréditent le rapport, en raison de preuves évidentes du contraire. Nous vous avons communiqué ces preuves.

Permettez-moi seulement de lire un passage du document de l’Alliance européenne du sang daté d’octobre 2016, qui est antérieur à ce rapport de mai 2018.

Dans les pays où coexistent les deux systèmes (donneurs rémunérés ou non), les centres de collecte des composants éprouvent de plus en plus de difficulté à recruter et à conserver les donneurs bénévoles.

Dans ce document, « composants » signifie le sang entier frais destiné à la transfusion.

Le système rémunérant les donneurs érode l’autre système. On le constate dans divers pays, et, à mon avis, le comité consultatif a failli à la tâche en faisant croire que ce n’était pas le cas.

La sénatrice Seidman : Vous contestez donc le témoignage d’hier de Canadian Plasma Resources qui affirme, en termes on ne peut plus clairs, que même la Société canadienne du sang déclare, dans son dernier rapport, avoir observé une augmentation de 35,8 p. 100 du nombre de ses donneurs bénévoles de sang entier à Saskatoon depuis qu’elle-même a commencé à y exploiter un centre et que ce taux est plus de deux fois plus élevé que le taux d’augmentation observé dans le reste de la province. Elle assiste donc plutôt à une cohue de nouveaux donneurs bénévoles.

Dre Brill-Edwards : J’ai entendu ce témoignage, et il contredit celui que la Société canadienne du sang nous a livré. Je vous incite vivement, quand elle viendra témoigner, à lui poser les bonnes questions, qui ne l’amèneront pas à comparer une année à une autre. En médecine, il faut examiner un faisceau de preuves. Il aurait fallu discuter des pourcentages de collecte et non de systèmes de sang entier et non sur deux ans, mais de composants individuels et d’un ensemble d’années. Qui sait ce qui arrivait d’autre dans ces années particulières? Cependant, il est sûr que ce témoignage contredit celui de la Société canadienne du sang.

La sénatrice Seidman : Voici celui de la Société canadienne du sang. Évidemment, nous lui poserons la question. Voici son rapport cité le plus récent.

Dre Brill-Edwards : J’affirme que nous avons besoin d’en savoir davantage. Le peu qui a été cité n’était certainement pas suffisant pour arriver à une conclusion complète.

La sénatrice Seidman : C’était depuis le début de l’exploitation de son centre par Canadian Plasma Resources. C’est tout ce que nous avions comme point de comparaison.

Dre Brill-Edwards : J’affirme qu’on ne peut pas comparer les années une à une. On compare les années antérieures. D’accord, les opérations remontent peut-être à trois ans à peine, mais la comparaison doit porter sur cette période.

La sénatrice Seidman : D’accord. Nous allons donc poser directement la question.

La présidente : Nous n’avons plus de questions. Madame Tinga, voulez-vous ajouter quelque chose, une courte observation, avant que nous ne levions la séance?

[Français]

C’est toujours plus difficile lorsqu’on n’est pas sur place, alors je voulais vous donner la chance de vous exprimer rapidement. Nous sommes à quelques minutes de la conclusion de la réunion.

Mme Tinga : Écoutez, je vous remercie encore une fois d’avoir pris le temps de nous écouter avec beaucoup de patience et d’avoir posé des questions qui nous ont permis de vous expliquer notre point de vue.

Je vais terminer en disant que je trouve les fins de ce débat très intéressantes, surtout lorsque des experts contredisent un travail auquel ils ont collaboré. Cela montre toute l’ampleur et l’importance de ces débats que nous avons tenus aujourd’hui. J’espère que vous allez continuer d’écouter d’autres experts et prendre une décision éclairée pour les Canadiens et les Canadiennes qui dépendent des produits plasmatiques. Encore une fois, nous sommes ici pour vous soutenir. Nous sommes tous dépendants des produits dérivés du sang. Je pense que le Canada gagnerait à regarder ce qui se passe ailleurs et à mettre en œuvre des modèles de collecte qui permettraient de créer une autosuffisance et d’assurer le bien-être des citoyens. Je vous remercie.

La présidente : Merci à vous.

[Traduction]

Nous vous remercions de vos témoignages. Vous pouvez constater que nous avons encore beaucoup de matière à creuser et d’indices à rassembler. Je vous assure que nous prenons cette responsabilité très au sérieux et nous poursuivrons nos travaux dans les semaines à venir. L’examen du projet de loi S-252 reprendra à notre prochaine séance, le 20 mars.

[Français]

Alors, s’il n’y a pas autre chose, je vais mettre fin à cette réunion en vous remerciant beaucoup de votre présence. Merci.

(La séance est levée.)

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