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TRCM - Comité permanent

Transports et communications

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Transports et des communications

Fascicule nº 7 - Témoignages du 17 octobre 2016


MONTRÉAL, le lundi 17 octobre 2016

Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd'hui pour étudier l'élaboration d'une stratégie pour faciliter le transport du pétrole brut vers les raffineries de l'Est du Canada et vers les ports situés sur les côtes Atlantique et Pacifique du Canada.

Le sénateur Terry M. Mercer (président suppléant) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président suppléant : Honorables sénateurs, le comité poursuit cet après-midi son étude sur l'élaboration d'une stratégie pour faciliter le transport du pétrole brut vers les raffineries de l'Est du Canada et vers les ports situés sur les côtes Atlantique et Pacifique du Canada.

Notre premier groupe d'experts est constitué de deux membres de la Fédération des chambres de commerce du Québec : David Laureti, directeur, Stratégie et affaires économiques, et Stéphane Forget, président-directeur général.

Veuillez commencer votre exposé. Une fois l'exposé terminé, les sénateurs vous poseront des questions.

[Français]

Stéphane Forget, président-directeur général, Fédération des chambres de commerce du Québec : Merci, monsieur le président. Je me présente, je suis Stéphane Forget, président-directeur général de la fédération. Comme il a été mentionné, je suis accompagné de David Laureti, directeur, Stratégie et affaires économiques de la fédération.

La fédération est le plus important réseau de gens d'affaires du Québec. En plus de fédérer les 143 chambres de commerce sur le territoire québécois. La fédération, à titre de chambre de commerce provinciale, a plus de 1 200 membres corporatifs dans son organisation, des entreprises provenant de tous les secteurs de l'économie et, bien sûr, de toutes les régions du Québec.

Nous sommes heureux de pouvoir participer aux travaux du Comité sénatorial permanent des transports et des communications. Nous faisons du développement économique un enjeu prioritaire. Dans ce contexte, nous nous intéressons au secteur des ressources naturelles depuis de nombreuses années, notamment en ce qui concerne les questions énergétiques.

La question du transport du pétrole fait abondamment jaser depuis quelques années au Québec, et nous participons à tous les travaux qui concernent ce dossier. Nous croyons que le développement d'infrastructures énergétiques sur le territoire québécois, comme ailleurs au pays, est nécessaire. Elles permettent le renforcement de l'expertise québécoise et canadienne en matière de construction et d'entretien, mais facilitent surtout le transport de pétrole d'ici. Nous sommes favorables aux projets d'oléoducs qui permettront d'acheminer du pétrole de l'Ouest canadien au Québec, ce qui aura pour effet de réduire notre dépendance au pétrole que nous importons actuellement. Bon an, mal an, et nous le répétons, souvent le Québec importe de 11 à 15 milliards de dollars de pétrole provenant de l'étranger. L'utilisation d'un pétrole canadien aidera les raffineries québécoises dans leur planification d'investissement et les rendra plus compétitives.

Le soutien gouvernemental à ces projets, sur une base commerciale et dans le respect des règles du marché, consolidera, selon nous, des emplois bien rémunérés pour les années à venir et améliorera notre balance commerciale. Dans ce contexte, nous devons soutenir les projets d'investissement en matière d'infrastructures qui proposent d'acheminer du pétrole vers le Québec et l'Est du pays.

Nous observons, toutefois, que la concrétisation de ce type de projets est de plus en plus complexe. Les projets de pipelines et d'oléoducs font l'objet de vives contestations. Les citoyens sont davantage informés et les moyens de communiquer sont plus nombreux et surtout plus accessibles à l'ensemble des citoyens. L'acceptabilité sociale aussi est devenue une condition nécessaire à la mise en œuvre d'un projet de quelque taille qu'il soit.

Nous devons reconnaître qu'aucun projet ne peut faire l'unanimité. Il y aura toujours des citoyens ou des groupes en désaccord avec des projets. L'acceptabilité sociale ne saurait toutefois se limiter au point de vue d'une seule partie prenante. Les gouvernements ont un rôle à jouer en matière de défense du développement économique dans un contexte où notre économie a un pressant besoin de stimulation. Et, nous considérons qu'il va du devoir des entreprises, certes, mais aussi des gouvernements de démontrer les gains en matière de développement économique.

Pour favoriser l'acceptabilité sociale des projets, nous croyons nécessaire de mieux documenter les aspects économiques de ceux-ci, les aspects environnementaux étant largement diffusés. Plus que tout, cette meilleure connaissance doit s'inscrire dans le cadre d'un processus défini, clair et prévisible, car aucun projet ne saurait voir le jour dans le contexte d'affrontements idéologiques actuel si l'on ne met sur pied des processus consultatifs et décisionnels clairs et transparents dont les règles et les échéances sont équitables, connues et respectées par tous.

Nous n'entendons d'aucune manière limiter les débats sur les grands projets de développement. Nous souhaitons des débats éclairés, alimentés de données factuelles sur les enjeux, les risques, les bénéfices ainsi que les retombées résultant de la réalisation de ces projets.

De la même façon, nous souhaitons également que soient documentées les conséquences de l'abandon ou de la non- réalisation d'un projet ou la cessation d'une importante activité industrielle. Il nous apparaît essentiel d'enrichir et d'élargir le débat public afin d'obtenir un sain équilibre entre les sphères économiques, environnementales et sociales. Nous insistons aussi sur l'importance d'outiller le débat public d'une analyse économique crédible et objective dont l'éclairage nous apparaît, malheureusement, trop faible dans le contexte actuel.

Je vous remercie de votre écoute, et nous sommes maintenant disposés à discuter et à répondre à vos questions.

Le président suppléant : Merci beaucoup, monsieur Forget.

Le sénateur Pratte posera la première question.

Le sénateur Pratte : Bienvenue à notre comité. Vous avez parlé d'acceptabilité sociale et vous avez dit, évidemment, que l'acceptabilité sociale n'est pas synonyme de l'unanimité. Le problème, c'est de définir la zone entre les deux. Qu'est-ce qu'est l'acceptabilité sociale? L'unanimité, on s'entend, il n'y aura jamais l'unanimité. Mais, quelle est la zone d'acceptabilité qui permet à un projet d'aller de l'avant, qui permet à un gouvernement d'aller de l'avant?

Dans le cas du projet Énergie Est qui concerne particulièrement le Québec, on sait qu'actuellement, la grande majorité des groupes écologistes s'opposent au projet. Un très grand nombre de Premières Nations s'opposent au projet. La communauté métropolitaine de Montréal, qui représente une très grande partie de la population urbaine du Québec, s'oppose au projet dans son état actuel.

Donc, il y a beaucoup de monde qui est contre le projet. Dans mon esprit, ce n'est pas l'acceptabilité sociale désirée. Alors, comment faire pour partir de la situation actuelle et pour se rendre à ce qui, selon vous, serait un projet socialement acceptable pour permettre au gouvernement d'aller de l'avant?

M. Forget : Tout d'abord, je vous dirais qu'il y a une responsabilité de toutes les parties. Je pense que la compagnie qui propose le projet, parlons de TransCanada, est à l'écoute et doit entendre ce que la population, ce que les élus ou ce que les parties intéressées disent pour adapter le projet à la réalité d'aujourd'hui. C'est le premier élément.

Le deuxième élément lorsqu'on parle d'acceptabilité sociale, je l'ai mentionné. Nous avons eu une consultation sur l'acceptabilité sociale au Québec récemment où on a répété qu'il faut établir des processus clairs, définis et prévisibles où toutes les parties auront le sentiment de se faire entendre. Et, dans le cas des promoteurs, ils ont besoin de savoir qu'il y a un début et une fin, ce qui leur permettra de savoir exactement ce qu'ils auront à faire.

Je prends le cas d'Énergie Est. On sait qu'il y a l'Office national de l'énergie (ONE). Tout d'un coup, il y a le BAPE qui est arrivé. Donc, il y a différents mouvements dans le processus. Si on veut que l'acceptabilité sociale soit favorisée, je pense qu'il faut établir un processus clair. C'est l'autre élément.

Le troisième élément, pour ma part, c'est que toutes les parties doivent pouvoir se faire entendre convenablement. Vous allez dire que, évidemment, c'est notre secteur, donc que nous y sommes plus sensibles, mais les valeurs ou les retombées économiques des projets, trop souvent, sont méconnues. Sans critiquer, il y a tellement de bruit sur les enjeux environnementaux, à juste titre, que la population qui évalue les projets n'est pas toujours bien consciente de leur valeur économique.

À l'opposé, il faut aussi dire quel est l'impact de ne pas faire quelque chose, et ce que cela impose à la société de ne pas réaliser des projets. Donc, je pense qu'il y a ces trois éléments. De toute évidence, on sent actuellement qu'on ne va pas dans ce sens. On le voit, le processus a été amorcé, puis arrêté. Il y a des changements au niveau des commissaires. Il y a un BAPE qui doit arriver. Quand le BAPE arrive, les gens se demandent si le Bureau d'audiences publiques sur l'environnement s'intéresse à cela. Est-ce à dire qu'il y a un enjeu de confiance avec le processus fédéral? Il y a aussi une question de crédibilité des organismes.

Donc, je pense que si on veut arriver à développer un projet qui va recueillir une certaine acceptabilité sociale, il y a la question de la crédibilité des acteurs, et la question d'élaborer un processus clair. L'autre question, évidemment, c'est que toutes les parties prenantes, tous les intérêts soient bien entendus et bien compris, et qu'on puisse évaluer aussi les impacts de ne pas faire quelque chose.

Le sénateur Pratte : Un aspect intéressant dont vous avez parlé et que nous avons moins entendu, ce sont les conséquences de l'abandon d'un projet. Parlez-nous de ce que vous estimez être les conséquences de l'abandon du projet Énergie Est.

M. Forget : Commençons à l'échelle du Québec. Nous coordonnons avec d'autres une coalition en faveur du projet Énergie Est. Cette coalition est composée de gens du milieu des affaires et, évidemment, de gens des milieux syndicaux, des syndicats qui sont essentiellement des employés ou des syndiqués qui travaillent sur de grands projets.

Évidemment, les grands projets au Québec, et c'est vrai aussi à l'échelle canadienne, il n'y en a pas comme on souhaiterait qu'il y en ait. Alors, une des conséquences évidentes de ne pas réaliser un tel projet, c'est l'impact sur les travailleurs de la construction qui travaillent sur de grands projets, voilà le premier élément.

Le deuxième élément, c'est la possibilité de développer une expertise très intéressante au Québec avec des manufactures, des entreprises, des compagnies en génie-conseil et d'autres qui pourraient travailler sur le projet. Il y en a déjà qui le font. Donc, il y a la possibilité de développer une expertise qu'on pourrait utiliser par la suite. Ainsi, il y a les syndiqués, et il y a les entreprises.

Le troisième élément, on l'a vu d'un point de vue national. Nous avons des ressources naturelles importantes au Canada. Nous pensons qu'il y a lieu de les exploiter, de les exporter aussi, de les utiliser au Québec, bien sûr, et ailleurs au Canada, mais de les exporter. Donc, nous pensons que, sur le plan national, de ne pas être en mesure d'exploiter nos ressources naturelles, c'est aussi un impact à considérer.

Le quatrième élément, ce sont toutes les retombées fiscales qui découlent d'un projet de cette ampleur. Il n'y en a pas beaucoup. Et, je terminerais en vous disant ce que nous avons eu l'occasion de dire à plusieurs élus, notamment au premier ministre lui-même : les investisseurs étrangers regardent le Canada, ils observent comment les projets réussissent à se développer au Canada. Les investisseurs étrangers n'ont aucune obligation d'investir ici. Donc, le fait de voir, sur la scène internationale, comment on développe nos projets, comment on les accepte, comment on fait en sorte qu'ils se réalisent, je pense que cela aussi a un impact.

David Laureti, directeur, Stratégie et affaires économiques, Fédération des chambres de commerce du Québec : J'ajouterais aussi qu'autour du projet Énergie Est, au niveau économique, c'est très polarisé en ce qui a trait à la création d'emplois, du moins ici, au Québec. Effectivement, les phases de construction et de planification de ce projet sont très créatrices d'emplois.

Lorsque l'oléoduc sera en construction, le nombre d'emplois attachés à sa mise en service ne sera pas très élevé. Nous avons entendu, à plusieurs reprises, dans le débat public et de la part des élus également, dénoncer le fait que cette infrastructure n'est pas créatrice d'emplois. Or, il faut se souvenir qu'en ce qui concerne les infrastructures, qu'elles soient liées au transport d'hydrocarbures, comme ici, ou lorsqu'il s'agit de construire une autoroute, c'est le cas aussi. C'est-à-dire que, quand on construit une autoroute, des emplois sont créés du moment où on la construit, mais, une fois qu'elle est en service, il n'y a plus autant d'employés qui y sont consacrés. Cependant, il demeure qu'on aura créé, par exemple, un lien entre deux régions qui favorisera le transport de marchandises, le transport des personnes, ainsi de suite, et qui aura une incidence économique essentielle.

Nous évaluons donc sous cet angle le projet dont nous sommes saisis en ce moment, et le projet Énergie Est aussi. Malheureusement, cet aspect semble être un peu évacué du débat actuel.

Le président suppléant : Merci beaucoup.

[Traduction]

Le sénateur Doyle : Vous avez parlé de la nécessité de faire avancer les projets aussi vite que possible. Certains témoins nous ont dit que l'Office national de l'énergie devrait peut-être avoir le dernier mot lorsqu'il s'agit de décider si un projet de pipeline devrait, oui ou non, aller de l'avant. Or, ce qui arrive, c'est que l'Office approuve ou désapprouve le projet, puis le projet passe à l'étape suivante : il est renvoyé au conseil des ministres où il risque de languir pendant des années et des années.

Quelle est votre position à ce sujet? Croyez-vous que le Cabinet devrait avoir son mot à dire là-dedans ou croyez- vous que l'approbation ou la désapprobation d'un projet devrait être la seule priorité de l'Office national de l'énergie?

[Français]

M. Laureti : En ce qui concerne l'Office national de l'énergie, nous faisons confiance à cette instance, ici, bien entendu, dans nos représentations. Il faut toutefois constater qu'au Québec, bien que nous ayons déjà des pipelines sur notre territoire depuis plusieurs années, il reste qu'il y a un déficit de connaissances à l'égard des institutions, nommément l'Office national de l'énergie, qui est le régulateur et qui est cette institution quasi judiciaire qui a le pouvoir de décider et de faire des recommandations à l'égard des projets de pipelines et de transport d'hydrocarbures qui traversent le Canada.

Il est certainement malheureux de voir les éléments des dernières semaines qui concernent le processus de consultation que l'Office national de l'énergie menait à l'égard du projet Énergie Est. Nous étions en voie d'y participer, d'ailleurs. Nous croyons toujours que c'est un forum important et nécessaire pour que toutes les parties prenantes soient entendues. Nous croyons que l'Office national de l'énergie, souverainement, est en mesure de donner une appréciation juste de ces projets, et ainsi, de faire une recommandation éclairée aux décideurs politiques.

M. Forget : Effectivement, on l'a vu, on le sent au Québec, on en a entendu beaucoup parler. Il y a un déficit de crédibilité qui n'est pas insurmontable pour l'Office national de l'énergie. Il y a bien des gens au Québec qui se disent qu'un organisme qui a son siège social à Calgary, qui vient faire une analyse sur un projet d'oléoduc ou de pipeline, a inévitablement un préjugé favorable, alors que ce n'est pas le cas.

Mais, elle a un travail à faire à cet égard au Québec. Tantôt, je parlais de crédibilité, d'un processus clair et crédible, et je pense que ça en fait partie. Cela étant dit, je pense que l'exercice de l'Office national de l'énergie est très important. Je pense qu'il y aura un phénomène, je ne dirais pas d'émulation, mais de compréhension. Il y a un travail à faire au préalable. Je pense qu'avant même que le Cabinet se prononce, l'exercice mené par l'office est extrêmement bénéfique dans la mesure où il est mené d'une façon claire et transparente.

[Traduction]

Le sénateur Doyle : Vous avez parlé des conséquences économiques de ne pas construire de pipelines, mais s'ils sont bel et bien construits, quelle incidence cela aura-t-il sur le transport du pétrole par train au Québec?

[Français]

M. Laureti : Puis-je vous demander de préciser? Autrement dit, si on met de l'avant le projet de l'oléoduc, quel sera l'impact sur le transport ferroviaire. C'est là votre question?

[Traduction]

Le sénateur Doyle : Oui. Quelle incidence cela aurait-il sur les chemins de fer et sur le transport ferroviaire du pétrole brut? Croyez-vous qu'il y aura des conséquences financières pour cette industrie?

[Français]

M. Forget : Tout d'abord, nous ne sommes pas des spécialistes et nous n'avons jamais voulu privilégier un mode de transport par rapport à un autre. Nous pensons que les producteurs sont mieux à même de décider quel est le meilleur moyen de transport pour leurs produits. Ce n'est pas à nous de déterminer cela.

Je ne vois pas, sans être un spécialiste, d'impact majeur. Certains prétendent que le transport par pipeline libère de l'espace pour autre chose sur le secteur du transport par rail. Ce sont certains arguments que nous avons entendus aussi. Mais, définitivement, pour notre part, les entreprises ferroviaires sont aussi membres chez nous. Il n'y a pas eu de membres qui sont venus nous dire, par exemple, que c'était une catastrophe pour eux, sur le plan économique, qu'un nouveau pipeline voie le jour.

Comme je vous l'ai dit au début, pour notre part, le producteur est le mieux placé pour déterminer quel est le meilleur moyen de transport pour ses produits. Nous favorisons la libre concurrence chez nous, donc les compétiteurs entre eux auront la responsabilité de démontrer quel est le meilleur moyen de transport.

M. Laureti : Pour conclure, si vous me le permettez, sur ce point, l'oléoduc permet effectivement d'atteindre de nouveaux marchés d'exportation, et donc, à cet égard, on peut certainement le favoriser.

Le sénateur Boisvenu : Bienvenue et merci pour vos exposés. J'ai quelques questions qui vont faire suite à celles du sénateur Pratte. J'étais en entrevue ce matin avec LCN pour parler de la journée de travail que nous organisons à Montréal, et j'ai été surpris par la question de la journaliste qui m'a dit : « Vous faites une étude sur le transport du pétrole par pipeline, cependant, ce projet-là n'est-il pas mort »?

Donc, quelles sont les conditions pour redonner vie à ce projet? Parce que j'ai comme l'impression que, dans la tête de bien des gens, ce projet est mort-né. Alors, j'essaie de comprendre de quelle façon nous pourrions remettre ce projet sur les rails. Excusez l'expression.

M. Forget : Oui. Sans jeu de mots. Tout d'abord, je pense que le malheureux événement qui s'est produit au début des consultations de l'ONE a fait ombrage au projet. Donc, je pense qu'il va falloir rapidement faire réapparaître le processus dans lequel l'ONE va s'engager pour évaluer et étudier ce projet. Pour nous, c'est une condition extrêmement importante. Il faut que nous puissions, le plus rapidement possible, tourner la page sur cet épisode, si je peux le dire ainsi. C'est le premier élément.

Le deuxième élément, c'est que le BAPE se penchera éventuellement sur le sujet. Je pense que ce sera une autre occasion de reparler du projet. C'est le deuxième élément important. Mais, fondamentalement, une fois qu'on aura remis le processus de l'ONE sur les rails, comme vous l'avez mentionné, je crois que le projet recommencera à prendre de la place dans l'espace public.

Ensuite, il faudra que le processus soit clair, comme je le mentionnais plus tôt. Nous le voyons sur le terrain. Il y a des municipalités qui sont contre le projet tel qu'il est présenté aujourd'hui, on en convient. Mais, il faut se promener sur le terrain et aller rencontrer les entreprises. Il y a certaines régions qui attendent ce projet, parce qu'il présente des opportunités d'affaires extrêmement importantes pour elles.

Donc, le projet ne fait pas l'unanimité, comme vous l'avez dit, mais c'est vrai dans les deux sens. Alors, je pense qu'il faut rapidement que l'ONE remette ce processus sur les rails, après avoir bien entendu ce que tout le monde a dit au cours des derniers mois à ce sujet, et je pense que ce sera une opportunité de repartir.

Cependant, il faut aussi voir comment l'entreprise travaille. Peut-être que, pour les médias, ce projet est moins connu. Mais, sur le terrain, les gens continuent de travailler pour améliorer le projet, pour rencontrer les organisations et les entreprises, pour trouver des fournisseurs québécois, et pour discuter et travailler avec les syndicats sur les opportunités. Alors, sur le terrain, le travail se poursuit, mais c'est moins présent dans les médias, vous avez raison.

Le sénateur Boisvenu : C'était ma deuxième question. Je sais que vous participez à la coalition. Il y avait des gens ce matin qui nous en ont parlé aussi, les propriétaires de machinerie lourde. Comme représentant de la Chambre de commerce, quel est votre rôle au sein de cette coalition?

M. Forget : Nous avons choisi de participer et, j'irais jusqu'à dire, de coordonner en partie la coalition. Comme vous le savez, nous avons une double représentativité à la fédération. On est à la fois régional, parce qu'on représente l'ensemble des chambres de commerce du Québec, et sectoriel. Il y a plus de 1 200 entreprises qui sont membres de la fédération, réunies dans 21 comités, qu'il s'agisse de l'énergie, des infrastructures, du transport ou de la logistique. Donc, nous avons des entreprises membres et nous avons décidé, pour toutes les raisons mentionnées précédemment, de donner notre appui à ce projet. Une fois que nous l'avons communiqué, nous avons constaté sur le terrain, comme vous tous, qu'il y avait un certain déséquilibre dans les porte-voix de ce projet.

Nous avons donc décidé de nous réunir, les entreprises patronales et certains syndicats reliés à de grands projets d'infrastructures, pour faire entendre notre voix sur le plan économique et pour communiquer le message selon lequel ce projet présente des retombées ou un potentiel économiques. Il y a des groupes environnementaux qui se sont regroupés pour parler contre le projet, à juste titre, car c'est légitime. Cependant, on trouvait qu'il y avait un manque, non pas de cohésion, mais de collaboration du côté du secteur économique pour faire entendre la voix économique du projet. C'est là notre contribution et notre participation à cette coalition.

M. Laureti : Il y a aussi, je pense qu'il faut le reconnaître, on l'a dit dans notre introduction, une sorte de déficit au niveau des connaissances économiques. Le projet Énergie Est en est un exemple, mais cela se produit dans plusieurs grands projets également. À la fédération, nous travaillons avec plusieurs entreprises dans de grands projets, que ce soit en matière de transport d'énergie, dans le secteur minier ou dans d'autres secteurs. Souvent, nous remarquons que les projets génèrent une forme d'opposition parfois plus importante que d'autres.

Mais, à chaque fois, on remarque que le degré de connaissances en matière d'économie reste très faible. La création de la coalition est liée en partie à ce constat. Il y a les acteurs du monde des affaires, par exemple, comme vous avez entendu ce matin, des gens du Conseil du patronat du Québec. Nous en parlons ensemble et nous comprenons les raisons qui nous animent dans ce dossier.

Quand on élargit un peu la fourchette, on se rend compte qu'il y a des groupes syndicaux qui sont en faveur de ce projet, peut-être pour d'autres raisons que nous; eux, ils représentent des membres. Ils nous indiquent que leurs membres ne travaillent pas et manquent de travail. De grands projets, ils n'en voient pas à brève échéance. Alors, il y aura des problèmes. Il y a des familles qui sont associées à cela.

Alors, nous ne sommes pas les seuls. Autrement dit, plusieurs groupes qui pourraient avoir des intérêts divergents dans la vie de tous les jours se retrouvent, dans un dossier comme celui-ci, à partager une vue d'esprit.

M. Forget : On ne le fait pas toujours, mais, par moments, on pense que les coalitions sont pertinentes. Nous avons participé à une coalition importante cet été. C'est encore le cas aujourd'hui. Nous avons cosigné une lettre ouverte la semaine dernière sur l'enjeu du dossier du bois d'œuvre, par exemple. À certains moments, ces gens qui, en théorie, pourraient être en contradiction, comme les patrons et les syndicats, trouvent qu'il vaut la peine de se réunir pour faire valoir l'importance économique d'un projet.

Nous l'avons fait dans le cas du bois d'œuvre, et nous avons pensé qu'il était pertinent de le faire dans le cas du projet de l'oléoduc Énergie Est. Lorsque nous sentons qu'il y a une pertinence de le faire, nous ne nous gênons pas pour participer à ces coalitions.

Le sénateur Boisvenu : J'ai une dernière question, et elle est peut-être embêtante pour vous. Le maire Coderre, en se prononçant contre le projet, a donné beaucoup de crédibilité aux opposants. Et, nous avons vu d'autres maires aussi de la région de Montréal adhérer à la position du maire Coderre.

Avez-vous une stratégie particulière pour amener les élus à votre comité de concertation pour qu'ils adhèrent au projet?

M. Forget : On n'a pas évalué cette possibilité, bien honnêtement.

Le sénateur Boisvenu : Parce que, vous comprenez que, sans l'adhésion des élus, c'est un projet qui va avoir de la difficulté à traverser Montréal.

M. Forget : Ah! Assurément, et on comprend les considérations des élus de Montréal.

Le sénateur Boisvenu : Mais, est-ce que vous avez une stratégie de communication?

M. Forget : Par rapports aux élus, la réponse est non. Pas à ce moment-ci, non.

[Traduction]

Le président suppléant : Merci d'avoir fait un renvoi à une intervention que j'ai faite aujourd'hui à l'endroit d'autres témoins. À Ottawa, la province de Québec est représentée par 102 personnes, soit 78 députés et 24 sénateurs. Voici ce que je vous suggèrerais : invitez vos membres à s'adresser à ces députés et à ces sénateurs — il y en a trois, ici, cet après- midi —, et donnez-leur des munitions pour qu'ils puissent dire à leurs représentants que les choses qu'ils entendent de certaines sources ne sont pas nécessairement des nouvelles. Vos députés ont tout de même passablement de pouvoir, et l'un d'eux, bien sûr, s'adonne à être le premier ministre.

Le groupe que nous avons reçu ce matin était très ouvert. Nous avions invité beaucoup de gens. Nous avions invité des représentants de la communauté autochtone, mais ils ont décliné notre invitation. Pour le dire bien franchement, j'ai été très impressionné par la qualité des exposés et par l'appui important que nous avons reçu des témoins que nous avons invités.

Nous qui sommes autour de cette table devons traduire cet appui en gestes concrets. Voilà une façon pour vous de contribuer à cela : vous devez interpeler les 102 hommes et femmes qui représentent la province de Québec à Ottawa et leur dire que ce projet est une bonne chose pour la province, pour Montréal et pour le Québec des régions. C'est une bonne façon de créer des emplois à court et à long terme au Québec. C'est quelque chose qui me tient particulièrement à cœur puisque j'ai passé toute ma vie à essayer d'inciter les gens à participer au processus politique.

Vous seriez très étonnés de voir l'ampleur de l'effet que les représentations des députés peuvent avoir sur nous. Nous sommes des sénateurs. Nous n'avons pas à nous soucier de nous faire élire. Le sénateur Doyle a été député pendant des années avant d'être nommé au Sénat. Il pourra vous parler de l'effet que peut avoir l'appel d'une personne de sa circonscription, de quelqu'un qui vous dit : « Nous aimons ce projet. Nous vous invitons à y réfléchir. »

[Français]

M. Forget : Nous retenons cela avec beaucoup d'intérêt. Vous avez absolument raison, et nous retenons bien ce que vous venez de mentionner. Il y aurait peut-être deux choses que j'aimerais ajouter, si vous le permettez.

Tout d'abord, dans le projet aussi, il faut distinguer les choses, parce que pour certains, c'est l'enjeu d'une infrastructure qui va passer sur leur territoire, et il y a les enjeux de sécurité qui l'accompagne. Pour d'autres, c'est le type de produit qu'on va faire circuler dans le pipeline qui est un enjeu. Si c'était un autre genre de produit, peut-être que le refus serait moins important. Je pense qu'il y a beaucoup de débats distincts actuellement autour du projet.

L'usage des hydrocarbures, la réduction des GES en est un autre. Je pense que nous avons une responsabilité, et nous tentons d'en tenir compte. Évidemment, il y a la valeur économique du projet, mais il faut séparer les choses. Nous le répétons, nous le disons : on est tous d'accord pour réduire les GES. Nous y travaillons avec nos membres. Les entreprises font des efforts considérables. Cela dit, nous aurons besoin d'hydrocarbures pour de nombreuses années encore. Quel hydrocarbure veut-on utiliser et en faire profiter aux Canadiens? Alors, c'est un élément. Donc, il y a tout cela qu'il faut séparer, et je pense que c'est un grand défi.

Le deuxième élément — j'imagine que c'est une question que vous allez vous poser —, c'est qu'il y a beaucoup de gens qui se tournent vers les pouvoirs publics à cet égard, ce sont les grands projets entre le pouvoir national et les pouvoirs locaux. Qui a le dernier mot sur la réalisation des grands projets? On le voit actuellement au Québec. Il y a une réflexion sur le fait de donner davantage de pouvoir au monde municipal, dont nous faisons partie. On veut en faire un ordre de gouvernement. C'est une réflexion intéressante et assurément pertinente. Mais, il faut qu'à terme, on puisse faire la distinction entre l'autorisation qui est donnée à de grands projets et le pouvoir ultime donné aux élus municipaux, qui, en même temps, sont le plus près de leurs citoyens et qui répondent aux préoccupations quotidiennes de leurs citoyens sur le terrain.

J'aimerais pouvoir vous donner une réponse à cet enjeu, mais je n'en ai pas. De toute évidence, c'est un enjeu fondamental.

[Traduction]

Le président suppléant : C'est ce dont tout le monde présume, mais tout le monde veut qu'il y ait plus d'emplois pour les Québécois. Si je devais concevoir comment il faut vendre ce projet, je miserais sur le fait que la construction va créer des emplois pour les Québécois, qu'il y aura plus d'emplois pour les Québécois après la construction et sur le fait que le pipeline procurera à long terme un meilleur produit et un produit plus sécuritaire pour l'industrie québécoise.

Y a-t-il d'autres questions?

[Français]

Le sénateur Smith : Pour continuer la discussion initiée par le sénateur Pratte et le sénateur Boisvenu, vous avez mentionné une meilleure information, une meilleure transparence, une meilleure organisation, les risques, les avantages, l'analyse et les trois éléments, soit le social, l'environnemental et l'économique. Maintenant, si nous sommes dans une situation où nous réunissons les gens intéressés tous les jours, stratégiquement, quels sont les deux ou trois éléments essentiels pour faire avancer ce projet?

Je comprends comment vous pouvez analyser chacun des points, mais en fin de compte, quelle est la stratégie clé de deux aspects qui vont vraiment faire avancer ce projet? Parce qu'il faut que le Québec puisse bénéficier d'une réduction de l'importation du pétrole et économiser une partie du montant d'argent que vous avez mentionné, soit quelque 11 à 15 milliards de dollars dépensés pour importer cette ressource.

Il faut développer notre capacité au Canada, et les partages vont augmenter, parce que ce n'est pas juste l'Ouest qui va en bénéficier, mais le Québec aussi. Et quand nous parlons des transferts, le partage des transferts va augmenter à cause de ce projet. Alors, quels sont les deux ou trois éléments clés pour arriver à conclure cette transaction, d'après vous?

Vous avez vos membres. Vous tenez compte de l'opinion de tous les intervenants, les pour et les contre. Vous avez un sentiment. Vous avez de l'expérience. Vous recevez des commentaires. Maintenant, quels sont les deux éléments? S'il y avait d'autres aspects de leadership, qui devrait prendre le leadership pour faire avancer le projet?

M. Forget : Tout d'abord, je vous dirais que, lorsqu'on regarde le parcours de ce projet en particulier, la situation au Québec est un peu différente de celle du Nord de l'Ontario, parce que le pipeline passe dans une région plus peuplée au Québec. Les enjeux sont évidemment un peu différents.

Comme je vous l'ai mentionné tantôt, je pense qu'il y a une lourde responsabilité sur les épaules de l'Office national de l'énergie, qui doit rapidement et stratégiquement faire la démonstration du processus qu'elle va lancer et du fait que, à la fin, dans le rapport qu'elle va déposer, elle aura fait le tour de toute la question et que la décision sera prise sans parti pris. Je n'ai aucun doute que l'ONE ne prend pas de décisions en ayant un parti pris, mais il va falloir que les gens, les citoyens du Québec aient le sentiment et la garantie que le processus dans lequel l'ONE nous amène est un processus qui, à terme, arrivera avec des propositions claires et précises pour ce projet. C'est le premier élément.

Le deuxième, ils en sont conscients, ce sera la responsabilité des promoteurs de bien écouter ce qui va se dire soit à l'ONE ou au BAPE, ou ailleurs. Je pense qu'ils le font déjà, car le projet est en constante évolution. Mais, les gens, en fin de compte, doivent avoir aussi le sentiment que le promoteur les a entendus et que dans la mesure de ses capacités, évidemment, il fera les ajustements nécessaires pour que ce soit un projet gagnant-gagnant.

Le troisième élément, c'est qu'il faudra qu'on sente aussi de la part de nos gouvernements qu'ils croient encore à la réalisation, au Canada, de projets d'envergure.

Le sénateur Smith : Est-ce que ce sera un partage entre la province du Québec et le gouvernement fédéral, ou est-ce que ce sera entre les trois parties, soit Montréal, Québec et Ottawa? Quelle serait la répartition, d'après vous?

M. Forget : La répartition, évidemment, la décision ultime viendra du gouvernement fédéral. Mais si le gouvernement du Québec ne prend pas une position plus favorable, de même que les élus municipaux, il est évident que ce sera plus compliqué.

Cependant, je pense que si les deux premiers éléments que je vous ai mentionnés sont réunis, en termes de processus et de décision éclairée, ensuite, cela permettra aux élus de prendre une position qui sera plus claire et qui sera appuyée sur des faits très concrets.

Le sénateur Smith : La raison pour laquelle je mentionne le Québec en ce qui a trait au rôle clé, c'est qu'avec des projets d'infrastructures, chez Infrastructure Canada, beaucoup de projets sont acheminés maintenant vers le domaine municipal et la Fédération canadienne des municipalités. Mais, au Québec, c'est différent, c'est la province qui domine, c'est elle le décideur. C'est pourquoi je mentionne l'approche tripartite, par rapport à la répartition. Parce que si la province de Québec n'est pas stimulée, ce sera difficile d'influencer M. Coderre. Alors, il faudrait une espèce de comité tripartite dans cette situation-ci, qui pourrait jouer un rôle d'observateur.

M. Forget : Oui, absolument. Vous me corrigerez, mais c'est un projet qui émane entièrement du secteur privé, dans un premier temps. Donc, il n'y a pas d'argent public ou d'argent qui provient des programmes d'Infrastructure Canada pour ce projet. Ensuite, on est très sensible aux préoccupations que le maire Coderre a exprimées de la part de ses citoyens. Je pense que le dialogue doit être plus constructif entre le promoteur et la Ville de Montréal, dans le présent cas, pour essayer de trouver des terrains d'entente qui permettront de rassurer les gens sur les préoccupations légitimes de leurs concitoyens.

Le sénateur Smith : Est-ce qu'il pourrait y avoir un intermédiaire qui pourrait jouer le rôle de mettre en rapport le promoteur et M. Coderre? Est-ce que vous pensez qu'il faudrait un tiers de confiance pour rapprocher les deux parties? C'est juste une question, parce que, dans les ententes, vous savez, parfois, il faut un élément essentiel pour rapprocher les gens.

M. Forget : Peut-être, mais je ne suis vraiment pas à même de répondre à cette question.

Le sénateur Smith : Ce fut le cas quand nous avons fait l'expansion du Stade Percival-Molson. Vous y étiez.

M. Forget : Oui, absolument. Je peux difficilement vous répondre, mais tout ce qui va permettre un rapprochement des parties dans le contexte d'un projet comme celui-ci sera favorable, ça va de soi.

Le sénateur Smith : Merci.

Le sénateur Pratte : Je voudrais revenir sur la question économique, parce que vous avez parlé à la fois de la nécessité de mieux documenter les impacts économiques d'un tel projet. Vous avez aussi parlé ensuite du fait que les gens n'ont peut-être pas toujours les connaissances économiques nécessaires. Cependant, il y a quelque chose qui m'échappe.

C'est que j'ai l'impression que, par exemple, pour le projet d'Énergie Est, les grandes données économiques ont souvent été mentionnées, 3 000 emplois sur neuf ans, et ainsi de suite, pour la phase de la construction. Ces grandes données ont souvent été exposées, mais nous avons l'impression que les gens ne leur accordent tout simplement pas d'importance. Ou bien, nous avons l'impression que, en mesurant l'importance de ces chiffres par rapport aux risques perçus, ces données ne comptent tout simplement pas.

Alors, j'aimerais avoir votre interprétation de cela. Premièrement, est-ce que ce projet est aussi important que cela? Et pourquoi est-ce que les gens minimisent l'importance de ces données?

M. Forget : Je vais vous donner un exemple. Depuis plus d'une dizaine d'années, la Fédération des chambres de commerce du Québec milite pour une agence d'analyse économique des projets au Québec. Cette réflexion a été amorcée au moment où on a voulu déménager le Casino de Montréal. Il y avait un certain nombre de projets, à ce moment-là, qui tombaient, parce que les vents contraires étaient assez puissants.

À la fédération, nous avions réfléchi à cette question et conclu que ce qui permettrait probablement d'aider à la réalisation des projets, ce serait la création d'une agence d'analyse économique qui aurait une certaine neutralité dans l'analyse des retombées économiques des projets.

Lorsque nous avons tenu un débat l'an dernier sur la réflexion, au sein du gouvernement du Québec, portant sur l'acceptabilité sociale, je pense que nous avons réussi à convaincre le gouvernement de l'importance de mettre en place une agence comme celle-là. Nous avons un Bureau d'audiences publiques sur l'environnement qui fait une réflexion qui se veut plus neutre sur les enjeux environnementaux. Les données proviennent de cet organisme. Mais, les données économiques, de façon générale, proviennent des entreprises elles-mêmes. Et là, on le voit, on sent qu'il y a un déficit de crédibilité quant aux données pertinentes.

Alors, nous croyons, dans le cas du Québec, que cette agence serait capable de faire un travail et de mettre sur la table et sur la place publique des données qui auront un certain poids. Je ne dis pas que les études économiques faites par les entreprises ne sont pas bien faites ou ne sont pas crédibles, mais il y a une question de perception. Ainsi, selon nous, cette agence permettrait d'améliorer la place qu'occupe le dossier économique.

En outre, nous savons qu'il y a des études qui se font sur la valeur du projet Énergie Est. Lorsqu'il y a des données tirées des études très précises sur les retombées fiscales menées par le ministère des Finances, cela ajoute à la crédibilité. Ainsi, nous pensons que le déficit en ce qui a trait à l'espace économique et aux retombées ou aux données économiques des projets pourrait être en partie comblé par la perception de crédibilité des données qui pourraient provenir d'une agence, par exemple. À notre avis, cela pourrait faire une certaine différence.

M. Laureti : À l'égard des données sur Énergie Est que vous avez mentionnées, vous avez raison. Les 3 000 emplois font l'objet de discussions. Pour certains, c'est trop peu et ça n'en vaut pas la peine.

J'ajouterais à ce que mon confrère vient tout juste de dire qu'une agence économique pourrait aller au-delà de ces données. À titre personnel, je reviens d'une petite tournée dans l'Ouest canadien, où j'ai été à même de voir, en Alberta, certaines installations liées à l'exploitation du pétrole.

J'ai été surpris d'apprendre tout cela. C'est fantastique de constater la quantité d'employés québécois qui y travaillent, même si c'est dans une moindre mesure aujourd'hui, bien entendu, compte tenu du contexte un peu plus défavorable actuellement. Les emplois, c'est une chose, mais il y a également des ressources et des infrastructures québécoises qui sont utilisées dans ces installations. Or, je pense que, dans la discussion des données liées au projet Énergie Est, cet aspect n'en fait pas partie. Alors, il y aurait tout lieu, à notre avis, de faire connaître ces données, mais encore faut-il les produire.

Comme Stéphane Forget le disait, TransCanada présente ses propres études en ce qui concerne la création d'emplois. Mais, je ne pense pas me tromper en affirmant que ça irait beaucoup plus loin.

M. Forget : Je ne vous cacherai pas que nous avons tendance, dans le monde des affaires, à être plus timides pour défendre certains dossiers. Alors, l'idée de la coalition vient aussi un peu de cela. Il faut être moins timide, peut-être, et être plus présent sur la scène publique.

[Traduction]

Le président suppléant : L'une des constantes qu'il faut retenir de la journée d'aujourd'hui, c'est la nécessité pour nous tous de continuer à apprendre ce qu'il y a lieu d'apprendre sur les chiffres et les enjeux, sur l'absence d'argent gouvernemental et sur le nombre de Québécois qui travaillent en Alberta.

Je suis de la Nouvelle-Écosse. Je sais qu'il y a des milliers de jeunes de ma province qui travaillent en Alberta. Étant donné le ralentissement économique qui sévit là-bas, il n'est pas rare ces temps-ci de voir des voitures avec des plaques de l'Alberta en Nouvelle-Écosse, et ce ne sont pas des touristes. Ce sont des Néo-Écossais qui, faute de travail, reviennent de l'Alberta. Ces chiffres en disent long à d'autres lorsqu'ils savent combien de Québécois travaillent dans l'industrie en Alberta et font la navette entre les deux provinces. Un projet ne reçoit pas d'argent gouvernemental. Il s'agit d'un énorme projet « éducatif » pour nous tous, pour ceux d'entre nous qui aimeraient voir le processus aller de l'avant.

Messieurs, merci beaucoup de votre exposé. Nous avons appris beaucoup de choses. Les questions et les réponses qui ont suivi ont été très instructives. J'en reviens à mon observation de tout à l'heure : n'oubliez pas les 102 députés et sénateurs qui représentent cette province à Ottawa. Envoyez-leur des messages et faites-leur part de ce que pensent vos membres. Incitez vos membres à les appeler et à leur faire savoir ce qu'ils pensent. Lorsque nous arriverons au moment critique où le projet ira au-delà de l'Office national de l'énergie et se retrouvera dans la ligne de mire du Cabinet, il est possible qu'un ministre du Cabinet en provenance du Québec ait une incidence sur la décision qui sera prise. C'est ce que je vous propose.

J'aimerais maintenant souhaiter la bienvenue à notre groupe d'experts de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain : Michel Leblanc, président et chef de la direction, et Michelle LLambia Meunier, directrice, Affaires corporatives et relations gouvernementales.

Veuillez commencer votre exposé. Nous vous poserons des questions ensuite.

[Français]

Michel Leblanc, président et chef de la direction, Chambre de commerce du grand Montréal : Je vous remercie de nous avoir invités. Quelques brefs mots d'introduction sur la Chambre de commerce du grand Montréal.

Il s'agit d'une chambre qui a près de deux cents ans d'histoire, 194 ans, pour être plus précis. Cette chambre regroupe 7 000 membres issus de la communauté d'affaires métropolitaine. Notre mission, depuis nos tout débuts, c'est de nous assurer que les conditions et le milieu des affaires sont propices à la création d'emplois, ainsi qu'à la création d'entreprises et leur croissance.

Au fil du temps, la Chambre s'est penchée sur plusieurs dossiers d'importance tels que le Port de Montréal, le déploiement de lignes de chemin de fer autour de Montréal, l'aéroport et l'approvisionnement en énergie.

Au cours des dernières années, nous avons eu à nous positionner sur les dossiers Enbridge et Énergie Est, et sur des questions plus générales d'approvisionnement en gaz naturel, de déploiement du réseau d'hydroélectricité. Récemment, nous avons discuté de la transition vers les énergies propres, dans le cadre de la lutte aux changements climatiques.

Depuis le début, c'est clair dans notre esprit que le dossier de l'approvisionnement en énergie pour la région de Montréal est fondamental. Mais du point de vue de la communauté d'affaires, cela va bien au-delà. On nous demande souvent comment nous pouvons faire en sorte qu'une richesse naturelle, en l'occurrence le pétrole, soit acheminée vers les marchés de cette ressource canadienne et que, dans le cadre de nos échanges, on puisse obtenir le meilleur prix pour le Canada?

Les entreprises de la région de Montréal qui s'informent au sujet de la vente de notre pétrole savent que lorsque nous sommes limités dans nos actions au marché étranger, nous sommes soumis parfois à des pressions sur les prix. Dans le cas où nous devrions vendre, par exemple uniquement au marché américain, nous nous priverions du juste prix, nous nous priverions de revenus à la fois au niveau de nos entreprises, mais éventuellement au niveau du Canada, au niveau du gouvernement via ses prélèvements fiscaux. Bref, que nous ne sortions pas gagnants si nous avons une ressource que nous n'arrivons pas à distribuer vers les marchés, pour avoir le juste prix.

Une fois que nous avons dit cela, la communauté d'affaires est sensible aussi à l'enjeu, soit que les projets de pipelines dans le cas présent, doivent avoir un large appui populaire. Donc, la communauté d'affaires a été sensible aussi à la façon dont ces projets sont présentés à la population.

Dans le cas d'Énergie Est, nous avons remarqué des faiblesses au niveau de la présentation de ce projet. Nous avons fait nous-mêmes une analyse de la situation, et je formulerai quelques recommandations plus tard. Ce que nous pouvons affirmer, c'est qu'à l'heure actuelle, il y a une opinion publique extrêmement fracturée, qui craint ce projet, qui ne le comprend pas nécessairement bien.

En même temps, le milieu des affaires hésite à se prononcer ouvertement en faveur d'Énergie Est, parce que ce projet a mauvaise presse et est mal perçu par une partie de la population. Les entreprises sont inquiètes des retombées sur leur réputation de s'associer à ce projet. Il y a une fébrilité chez les entreprises, même si elles appuient ce projet, de le dire publiquement. Elles se fient à des organisations comme la Fédération des chambres de commerce ou la Chambre de commerce afin que le message soit transmis.

Le dernier point que j'aimerais soulever, c'est que les entreprises sont sensibles au fait que nous ne devrions pas regarder les projets à la pièce uniquement, mais dans une logique plus globale. Il y a deux dimensions à cela. J'ai dit aux gens d'Énergie Est et de Trans-Canada que le Québec ne peut pas être un ami juste quand nous voulons lui faire passer un pipeline. Le Québec ne peut pas soudainement être un lieu d'intérêt juste quand vient le temps de faire passer un pipeline.

L'Office national de l'énergie ne peut pas être présent sur le territoire, uniquement quand vient le temps d'évaluer un projet de cette envergure. S'il n'y a pas de stratégie à long terme, de présence au niveau des institutions comme l'Office national de l'énergie, ni de stratégie de déploiement des retombées de la part des entreprises pétrolières et de distribution du pétrole sur tout le territoire canadien, y compris le Québec, il ne faut pas s'étonner qu'il y ait de la résistance le jour où nous voudrons demander aux gens d'accepter un projet qui les préoccupe. Donc, il y a un premier message qui est dans la durée, soit d'avoir une approche globale et non uniquement à un moment déterminé.

Le deuxième message, c'est qu'il doit y avoir une approche intégrée de l'accessibilité ou de la distribution du pétrole et de l'ensemble des sources énergétiques.

Dans le cas d'Énergie Est, nous avons perdu un an et demi sur la question de l'accessibilité au gaz naturel pour le Québec. Au départ, Énergie Est prévoyait construire un gazoduc plus étroit que le gazoduc existant, qui allait servir au transport du pétrole. Il y a eu des discussions sur l'accès au gaz naturel, Trans-Canada a expliqué sa position, des entreprises du Québec ont fait part de leurs inquiétudes. Tout cela a pris du temps avant de se résoudre.

Si nous avions une stratégie nationale plus claire, qui identifie les besoins futurs en énergie et les sources d'approvisionnement futures en énergie, il y aurait une discussion beaucoup plus éclairée sur la nécessité de construire de nouvelles infrastructures, et sur les implications quand nous en construisons pour les autres sources d'approvisionnement énergétique.

Donc, de ce point de vue, il y a deux recommandations qui en découlent : la première c'est une recommandation de visibilité de déploiement sur l'ensemble du territoire, dans le temps, et non uniquement au moment où nous avons besoin de l'appui des populations. Deuxièmement, il faut adopter une approche plus intégrée de l'approvisionnement en énergie, toutes sources d'énergie confondues.

Voilà mon mot d'entrée. Nous pourrions maintenant échanger sur ce sujet. Si vous le voulez, nous pouvons passer à la période des questions. Cela me permettra de préciser certains points.

Le président suppléant : Merci beaucoup, monsieur Leblanc.

Pour la première question, sénateur Boisvenu, vous avez la parole.

Le sénateur Boisvenu : Merci pour votre exposé.

Votre perception des choses semble très juste sur le plan social. Ce clivage qui s'est produit au Québec, pour différentes raisons, mauvaise préparation, mauvaise information, et après cela tout le mouvement antipétrole qui, à mon avis, a créé l'espèce d'alarme dans la société, puis l'accident à Lac-Mégantic qui a ajouté à cela. On voit le portrait derrière tout cela. C'est assez diabolique.

Ce projet ne peut pas se réaliser sans l'adhésion des politiciens. L'un des nœuds du problème ou, du moins, l'un des éléments qui a accentué la crise, c'est évidemment la prise de position du maire Coderre.

Selon vous, ces positions sont-elles irréconciliables? Parce que ça me semble être tout un défi.

M. Leblanc : Alors, écoutez, si vous voulez poser des questions directement au maire Coderre, ne vous gênez pas.

Ce que je dis, c'est tout simple : j'ai beaucoup de respect pour les politiciens qui écoutent l'opinion publique. Dans ce contexte, je ne pense pas que le maire Coderre est en porte-à-faux avec l'opinion publique. Vous en arrivez à vous demander si le maire Coderre devrait exercer un leadership, prendre le risque de s'isoler de l'opinion publique. Je vais laisser au jeu politique le soin de s'exercer.

Ce que je pense être important dans ce cas, c'est d'agir sur l'opinion publique, et ne pas penser qu'il y ait un politicien qui, dans sa poche arrière, a la position qui ferait en sorte que la population se rallie.

Dans le cas du projet Énergie Est, chez Trans-Canada, nous discutons depuis quatre ans. Je leur ai demandé officiellement à six ou sept reprises : pourquoi il n'envisageait pas d'investir dans un fonds de capital de risque pour les technologies vertes appliquées à l'énergie? Pas seulement Énergie Est. Allez voir Suncorp et d'autres entreprises en Alberta, et dites-leur que vous allez créer un fonds d'investissement dans les technologies vertes appliquées à l'énergie, et que vous allez localiser ce fonds à Montréal. N'allons pas nous écoblanchir. Il faut seulement démontrer qu'il existe une stratégie nationale à la fois pour exploiter des ressources naturelles, produire et distribuer du pétrole, mais aussi investir dans des technologies qui amélioreraient la performance du secteur, ou des technologies de remplacement.

Bref, il importe d'avoir une stratégie qui renforce l'économie du Québec et de Montréal, à même les revenus et les profits réalisés dans le domaine énergétique. Cela fait quatre ans que l'on me dit que c'est une excellente idée et que ce sera fait. Pourtant, rien n'a été fait depuis.

Ce que cela donne comme impression, c'est que dans le milieu pétrolier, nous hésitons à faire des investissements qui auraient des retombées positives ailleurs, dans le reste du Canada. Nous réalisons des exercices de presse, mais ce n'est pas cela qui convainc les gens, en général.

J'ai donné un exemple concret d'une initiative qui pourrait amener un certain repositionnement du débat, non pas entièrement. Je pense que c'est ainsi que nous allons gagner les petites entreprises, la population générale. Cela ne veut pas dire qu'à la fin, il n'y aura pas de nervosité. Nous démontrerons qu'il y a une volonté de la part du secteur de l'énergie d'agir sur l'ensemble du pays, pour créer de la valeur.

Avant de lancer la pierre à n'importe lequel politicien, qui en ce moment fait preuve de prudence, il faut d'abord rassurer la population. Par la suite, les politiciens pourront exercer leur leadership.

Le sénateur Boisvenu : Donc, je comprends que c'est l'une de vos quatre propositions?

M. Leblanc : C'est l'une de mes quatre propositions. La plus formelle, c'est celle de dire qu'il doit y avoir, du point de vue du secteur de l'énergie au Canada, une stratégie concertée pour faire en sorte qu'il y ait des retombées ailleurs au pays. Eux doivent investir, eux doivent le faire dans ce qui est structurant, là où l'économie se trouve. Et dans le cas du Québec, mettez des technologies vertes, mettez du capital de risque, vous avez là une recette gagnante.

Je l'ai dit précédemment, c'est aussi de travailler à long terme et non uniquement dans le présent et, ensuite se retirer dans deux ans, si aucun résultat n'est visible.

Le sénateur Pratte : Je poursuivrais dans la même lignée. Vous avez parlé d'une stratégie non seulement du secteur privé de l'énergie, mais aussi du secteur institutionnel, par exemple l'Office national de l'énergie. J'aimerais vous entendre davantage à ce sujet. Vous envisagez quoi? Il est évident que l'un des problèmes actuels, c'est la crédibilité de l'Office national de l'énergie. Qu'est-ce qui ferait en sorte que l'office gagnerait en crédibilité, en particulier au Québec?

M. Leblanc : Pour le rappel des faits, je vais simplement mentionner que je suis cité parmi les personnes que l'office a rencontrées. Je les avais rencontrés, je pense, la veille de la rencontre d'un certain politicien, et c'était exactement dans cette optique. L'office nous disait : « Nous allons déployer un exercice de consultation publique sur un projet majeur. Nous voulons être plus présents au Québec, comment sommes-nous perçus au Québec »?

Je leur ai répondu, comme premier élément, que c'est le BAPE qui est l'outil provincial dont nous entendons parler continuellement, en bien ou en mal, mais nous en entendons parler. Nous savons qu'il s'implique constamment dans l'évaluation des projets.

Nous entendons parler très rarement de l'Office national de l'énergie. Il y a une perception, de la part des gens, que ce soit une institution qui est proche de l'industrie qu'elle devrait normalement réglementer ou du moins analyser.

Tout d'abord, je leur ai dit qu'ils doivent avoir des personnes compétentes, francophones, dans un bureau au Québec, qui expliqueront le fonctionnement et, au fur et à mesure que des évaluations seront faites ici ou ailleurs, qui témoigneront du travail qui est fait par l'office. Ils doivent trouver des gens qui ont du charisme, des gens qui seront invités sur les plateaux de télé, des personnes qui expliqueront le travail qui est fait par l'office. C'est la première des choses.

Deuxièmement, c'est d'aller, en toute transparence, expliquer bien à l'avance comment le processus se déroulera sur un projet en particulier, évidemment Énergie Est. Et je n'avais personnellement pas anticipé qu'en les rencontrant, cela pouvait donner l'impression que nous allions influencer ce qu'ils allaient conclure. D'autant plus qu'à la fin, ils m'ont demandé à qui d'autre ils pouvaient s'adresser. Je leur ai suggéré de rencontrer Steven Guilbeault et Yves-Thomas Dorval, qui œuvrent au sein d'un groupe, afin de rapprocher les milieux d'affaires et les milieux environnementaux. Je pense qu'ils pourraient les aider.

Bref, j'ai l'impression que l'Office national de l'énergie doit être dans le trafic ici, de façon durable, en présentant sa méthodologie, en expliquant ce qu'elle fait et éventuellement en nommant des personnes, que ce soient des gens qui seraient les commissaires ou les dirigeants, qui incarnent l'intégrité et qui sont connus. Il y a un exercice de relations publiques à faire et la nomination même de ces individus fait partie de l'exercice de relations publiques.

Le sénateur Pratte : Cela vaut pour le Québec, mais cela vaudrait aussi pour d'autres régions, évidemment, du Canada.

M. Leblanc : Sûrement, je ne les connais pas.

Le sénateur Pratte : Avez-vous l'impression que si on agissait de façon peut-être plus intelligente vis-à-vis de l'opinion publique qu'on ne l'a fait jusqu'à maintenant, parce qu'il est beaucoup question de sécurité, d'environnement et d'économie, que les gens feraient la part des choses?

Parce que les intervenants précédents nous ont parlé du fait que peut-être le message économique passait moins bien, que les questions de sécurité étaient mieux perçues. D'autres intervenants ont dit que les mauvaises nouvelles font toujours plus la presse que les bonnes nouvelles.

Les gens sont-ils en mesure de faire la part des choses et qu'il est possible de rassurer l'opinion publique?

M. Leblanc : J'ai l'impression que c'est un travail qui nécessitera du temps. On aimerait que l'opinion publique se cristallise très rapidement, en découvrant la vérité, ce qui n'arrivera pas, selon moi.

C'est pour cette raison que je parlais du fonds, tout à l'heure. Je pense que c'est une occasion d'aller chercher une partie du secteur privé de la PME et d'investir pour faire en sorte que nous transmettions un message. Même si nous sommes dans l'industrie pétrolière, nous sommes conscients que nous devons nous améliorer et faire savoir que les technologies vertes sont positives et que nous voulons soutenir l'essor de telles entreprises.

Comme ce qui s'est produit avec le gaz de schiste, j'ai l'impression que lorsque les gens ont peur, il est difficile d'arriver avec des arguments rationnels pour les rassurer et pour leur dire que ce n'est pas dangereux.

Je pense qu'il y a un énorme paradoxe. Avec l'accident à Lac-Mégantic — dans un univers où nous aurions eu une entreprise habile dans ses communications, où nous aurions suffisamment de gens compétents pour bien expliquer la situation — nous aurions pu les aviser d'arrêter de faire circuler une matière dangereuse par train, de la faire traverser plutôt par un tuyau, neuf. Ce tuyau serait installé dans le sol. Nous saurions exactement où il se trouve et il serait bien surveillé.

Il me semble que cela tombe sous le sens. Nous aurions pu rassurer la population. Au contraire, nous leur avons dit qu'un tuyau ne fonctionnerait pas adéquatement, que nous aurions peut-être un fonds de prévoyance qui ne serait peut-être pas à la hauteur, que nous aurions peut-être des assurances qui seraient déficientes, puis que nous aurions peut-être un organisme réglementaire qui serait de mèche avec des gens qui font la promotion de ce projet.

Alors, plutôt que de rassurer la population nous avons semé le doute. Il faut s'attaquer à chacun des éléments. Il faut montrer que le tuyau est à la fine pointe. Il faut expliquer qu'ailleurs dans le monde, ce type de tuyau coule rarement et que si cela se produisait, des mesures efficaces permettraient de détecter rapidement une fuite. Il faut leur dire que des fonds de prévoyance seront prévus pour faire face à n'importe quelle situation, puis qu'éventuellement il y aura des assurances.

Nous commençons ainsi. Ensuite nous allons peut-être vers des retombées économiques. La construction, c'est majeur pour l'industrie de la construction. Mais il est certain que si la population a peur, elle ne sera pas sensible à l'argument des retombées économiques. Si nous parlons des retombées économiques pour enlever la peur, cela ne fonctionnera pas.

Le sénateur Pratte : Compte tenu du niveau d'opposition qu'il y a actuellement — tout en étant d'accord avec le portrait que vous dressez et l'état actuel de l'opinion — et les efforts considérables à déployer pour convaincre l'opinion de changer d'idée, les investissements en termes d'énergie, et même les importants investissements financiers, croyez-vous que ce projet en vaut la peine?

M. Leblanc : Les retombées pour le pays seraient tellement élevées si on vendait au prix courant. Imaginez ce que nous pourrions faire de cet argent, non seulement dans les entreprises, mais dans les recettes publiques. À mon avis, nous devons essayer de trouver une façon de vendre notre pétrole au prix courant.

J'ai l'impression que ce ne sera pas immédiat et que cela prendra du temps. Je pense qu'éventuellement il faut que nous le réalisions. Il faut que nous le fassions. Je ne suis pas sûr que nous réussissions.

La peur, elle est vraiment là. La méfiance dans la population elle est vraiment présente. Il y a une confusion entre le fait de produire du pétrole et de consommer du pétrole. C'est l'équivalent au niveau des effets nocifs sur l'environnement.

Donc nous pouvons agir sur la consommation de pétrole, mais aussi être producteurs du pétrole que nous consommons et, éventuellement, être un producteur peut-être meilleur que d'autres à l'échelle internationale. Il y a des matins où je me lève et je me dis que je n'aimerais pas être chargé des ventes. D'autres matins je me dis que si on réussit à vendre ce projet, ce sera bénéfique pour l'ensemble de la société.

Le président suppléant : Merci beaucoup.

Sénateur Smith, vous avez la parole.

Le sénateur Smith : Bonjour Michel.

M. Leblanc: Bonjour.

Le sénateur Smith : Félicitations! Vous êtes la vedette qui relancera le projet avec Énergie Est.

Alors vous avez étudié, vous avez parlé, vous avez vraiment créé dans votre imagination un plan d'action. Et quelle sera la première étape clé pour relancer ce projet?

M. Leblanc : J'irais voir tous les producteurs de pétrole en Alberta et je leur dirais :

[Traduction]

« Combien êtes-vous prêts à investir dans vos collectivités? Combien de millions ou de centaines de millions de dollars investirez-vous pour que nous puissions faire cheminer votre pétrole dans ce pipeline? » Je vais aller là-bas, sur le terrain, et je vais leur faire valoir que cet argent pourra faire une différence dans leur vie.

[Français]

Par la suite, j'irais voir les communautés et je leur demanderais ce que l'on peut faire comme investissement?

Je vais faire un aparté. Mon frère a travaillé au Guatemala pour le Centre d'étude et de coopération internationale (CECI) dans le cadre de la signature des accords de paix. Il se rendait dans les zones où il y avait eu des guérilleros. Là- bas on leur demandait : « Quel projet pourrait faire une différence dans votre communauté? Un centre communautaire? Réparer un pont? Construire une école? Avoir un hôpital »? Et c'est de cette manière que les communautés ont enterré la hache de guerre et c'est ainsi qu'elles ont accepté la paix.

Je ne sais pas si cela va perdurer, mais à mon avis, quand nous voulons convaincre les gens qui sont inquiets, il faut se rendre sur place pour leur dire que nous allons investir et que nous allons être présents. Nous allons sans doute nous faire accuser de vouloir acheter des communautés. Mais selon moi, c'est la solution.

Ce projet demandera de gros sous, mais comme je le disais précédemment, ce sera très payant pour les sociétés albertaines, qui pourront vendre leur pétrole au prix courant. Il faut que cela profite aux communautés qui sont là. Peut-être que le prix à payer ou l'investissement à faire aurait été bien moins élevé si nous avions mieux fait le travail il y a quatre ans. Maintenant, il est difficile de convaincre les gens que nous sommes sérieux et que c'est sécuritaire. Voilà.

Le sénateur Smith : Énergie Est détient-elle la super étoile pour réaliser un tel projet ou devrait-elle chercher une super étoile?

[Traduction]

M. Leblanc : Ils ne m'ont pas engagé. Je ne sais pas.

[Français]

Je ne lance la pierre à personne, mais j'ai constaté au début de l'incompétence sur le plan des communications. J'ai remarqué de la maladresse dans les relations humaines avec les communautés et bien avant ceux que nous avons vus sur Énergie Est. Je dirais aux sociétés de l'Alberta :

[Traduction]

« Où étiez-vous? Où étiez-vous quand vous gagniez tout cet argent et que vous n'aviez pas besoin de nous? Quand vous êtes-vous préoccupés le moins du monde du Québec? Quand avez-vous dit qu'il était nécessaire d'investir dans d'autres régions du pays pour veiller à ce qu'elles soient réceptives au moment où vous auriez besoin d'elles, au moment où il vous faudrait passer là?

[Français]

Le sénateur Smith : En vous écoutant, cela me porte à croire que c'est une personne de l'Alberta qui serait apte à communiquer avec les Québécois, parce qu'elle doit convaincre les gens de l'Alberta de prendre cette avenue...

M. Leblanc : Je n'ai pas dit que cela prendrait quelqu'un de l'Alberta. Selon moi, cela prendrait quelqu'un d'ici, qui ira en Alberta et qui dira :

[Traduction]

« Signez de votre sang, car c'est quelque chose que je vais vendre. Signez de votre sang. »

Le sénateur Smith : C'est ce que je cherchais à savoir. Merci.

Le président suppléant : Monsieur Leblanc, je ne sais pas si vous avez réamorcé le débat à vous seul, mais j'avoue que vous venez d'apporter beaucoup d'eau au moulin. Vous êtes venu ici avec une attitude positive. Si les oreilles ne chauffent à personne à Calgary aujourd'hui, il y a quelque chose qui cloche, car vous avez soulevé de nombreux points cruciaux.

Vous êtes un peu en retard, les enfants, pour venir demander à n'importe quelle région du pays de vous épauler de manière inconditionnelle. Je suis un ardent défenseur du projet Énergie, mais vous devez faire vos devoirs. Comme le disait le sénateur Smith, vous nous avez fait part de quelques idées très intéressantes.

Selon vous, d'où devrait venir le capital de risque pour les énergies vertes? Vous avez dit que cela devrait être centré à Montréal. J'aime l'idée d'un capital de risque pour les énergies vertes. Je ne suis pas convaincu qu'ils seront particulièrement réceptifs à l'idée de baser cela à Montréal. La première chose est de les convaincre. Le choix de l'endroit arrive en deuxième lieu. Comment envisagez-vous la gestion de ce fonds?

M. Leblanc : Je crois qu'il y a deux ou trois éléments à prendre en considération. Si l'on choisit l'Alberta, on va à l'encontre du but recherché.

Le président suppléant : Oui, je suis d'accord avec cela.

M. Leblanc : Je préconiserais une approche bicéphale, avec une maison-mère à Vancouver et une autre à Montréal. Voilà ma recommandation phare.

Le président suppléant : Je choisirais Halifax.

M. Leblanc : Peut-être une troisième. C'était ma réponse. Vous devez montrer que vous êtes là — pas que vous êtes là-bas — et que c'est important pour vous d'y être. Voilà un élément.

Deuxièmement, vous pourriez les inviter si vous n'y allez pas. À Montréal, il y a une grappe de technologies vertes. Denis Leclerc — le directeur de cette grappe — et moi avons discuté de cette possibilité.

De toute évidence, il y a déjà des gens qui se soucient de l'accessibilité du capital de risque pour les technologies propres, les technologies vertes. Ils y pensent. Ils ont approché d'autres bailleurs de fonds potentiels. Ils pourraient facilement dire comment la chose pourrait être édifiée ou financée. Il faudra procéder par rondes. Dans la première ronde pour ce montant, voilà comment le fonds pourrait être administré. Lorsque je dis que le centre devrait être ici, cela ne veut pas dire que le financement doit être réservé à des entreprises québécoises.

Le président suppléant : Non. J'avais compris cela.

M. Leclerc : Il est question de technologies propres canadiennes appliquées au secteur de l'énergie. C'est une approche en plusieurs rondes. Vous en faites une maintenant. Combien faut-il? Trente millions de dollars? Trente-cinq millions de dollars? Faudra-t-il deux ou trois ans pour dépenser ou investir ce montant?

Vient ensuite une troisième ronde. Si le prix de l'énergie augmente, l'investissement pourrait augmenter lui aussi. Puis, vous travaillez à l'édification de la crédibilité du secteur. Le secteur ne concerne pas seulement l'extraction ou la production de pétrole; il importe aussi d'améliorer les technologies et d'atténuer les répercussions sur l'environnement. Voilà comment le secteur doit être édifié. Voilà ce qu'il faut faire.

Je pourrais vous fournir des détails sur la gouvernance et le cofinancement. Cependant, je pense que Denis Leclerc est probablement la personne à qui vous devriez vous adresser puisqu'il travaille en très étroite collaboration avec les entreprises de technologies propres. Il est constamment en train de leur chercher du financement, alors c'est la personne qu'il vous faut.

Le président suppléant : Cette séance a été des plus instructives, monsieur Leblanc, et nous tenons à vous en remercier. Merci aussi d'avoir réamorcé le processus. Vous avez fourni du carburant à ce projet d'énergie. Je vous en suis reconnaissant et j'espère que nous pourrons intégrer ces idées à notre rapport lorsque nous serons rendus là. Merci aussi de votre participation.

Distingués collègues, comme vous le savez, j'ai lancé une invitation ouverte à tous ceux qui ont chahuté l'Office national de l'énergie, précisant que j'allais leur permettre de se faire entendre au cours de la séance de cet après-midi, mais nous venons tout juste de vérifier et il semble que nous n'avons pas trouvé preneur. Le grand méchant Sénat était en ville. Je plaisante. Nous ne leur avons pas fait peur, mais une invitation ouverte avait bel et bien été lancée.

Merci encore.

(La séance est levée.)

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