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TRCM - Comité permanent

Transports et communications

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Transports et des communications

Fascicule nº 21 - Témoignages du 19 septembre 2017


OTTAWA, le mardi 19 septembre 2017

Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd'hui, à 9 h 30, en séance publique et à huis clos, afin de poursuivre son étude sur les questions techniques et réglementaires liées à l'arrivée des véhicules branchés et automatisés et d'examiner un projet d'ordre du jour (travaux futurs).

Le sénateur Dennis Dawson (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Honorables sénateurs et sénatrices, je vous souhaite bon retour. J'espère que vous avez bien profité de votre congé estival. Ce matin, le comité poursuit son étude sur les véhicules branchés et automatisés.

[Traduction]

Je suis heureux de vous présenter notre groupe de témoins. Nous accueillons aujourd'hui M. Patrick Leclerc, président-directeur général et chef de la direction de l'Association canadienne du transport urbain, et Dominique Lemay, chef de la direction de Transdev Canada.

[Français]

Merci à vous deux. Je donne d'abord la parole à M. Leclerc.

Patrick Leclerc, président-directeur général, Association canadienne du transport urbain : Monsieur le président et honorables sénateurs, je tiens d'abord à vous remercier de l'invitation à comparaître devant le Comité sénatorial permanent des transports et des communications dans le cadre de l'étude sur les questions techniques et réglementaires liées à l'arrivée des véhicules branchés et automatisés. Je m'appelle Patrick Leclerc et je suis président-directeur général de l'Association canadienne du transport urbain, communément appelée l'ACTU. L'étude que vous menez est d'une grande importance alors que le gouvernement canadien a entamé un plan d'investissement sans précédent dans les infrastructures de transport urbain. En effet, au cours de la prochaine décennie, le gouvernement du Canada investira environ 30 milliards de dollars dans les infrastructures de transport en commun.

[Traduction]

Ces investissements transformeront complètement nos collectivités pour les générations à venir. Comme nous aimons le répéter, l'objectif ultime n'est pas de bâtir le transport en commun, mais de bâtir des collectivités durables. Dans cette optique, le transport en commun représente la pierre angulaire sur laquelle le transport actif et la mobilité partagée forment un vaste réseau d'options de mobilité efficace et durable.

L'Association canadienne du transport urbain se penche sur l'impact des véhicules autonomes depuis plusieurs années. S'ils sont mis en œuvre de la bonne façon, les véhicules autonomes contribueront énormément à l'amélioration de la mobilité à l'échelle du pays. Toutefois, ils peuvent également avoir des effets négatifs si nous les utilisons comme solution universelle pour régler tous les problèmes en matière de mobilité urbaine.

[Français]

Commençons d'abord avec les aspects positifs. Nous croyons que l'avènement des véhicules autonomes représente une belle occasion de compléter et d'améliorer l'offre de services en matière de transport collectif, notamment là où le transport en commun à grande échelle n'est pas optimal, c'est-à-dire dans les zones à faible densité ou à faible demande. Dans ces cas, les petits véhicules autonomes pourront transporter les résidents, selon un horaire fixe ou à la demande, et les conduire à un axe principal de transport en commun rapide et efficace. Une telle approche permettra d'améliorer l'efficience du système et une utilisation optimale des ressources.

[Traduction]

Le débat sur les véhicules autonomes n'a pas encore abordé certains éléments. Souvenez-vous que j'ai précisé que l'objectif ultime n'était pas de bâtir le transport urbain, mais de bâtir des collectivités durables. C'est la même chose dans ce cas-ci. L'objectif n'est pas de déployer des véhicules autonomes, mais de les utiliser de façon à améliorer nos réseaux de transport et bâtir des collectivités durables.

Si nous axons le développement et le lancement des véhicules autonomes sur l'usage privé ou le transport d'une ou deux personnes à la fois, par exemple comme dans le cas des taxis, nous n'atteindrons certainement pas l'objectif lié à la durabilité.

Cela signifie que la transformation de nos véhicules personnels en véhicules autonomes ne réglera pas l'un des problèmes principaux auxquels nous faisons face dans les villes, c'est-à-dire le manque d'espace urbain. En effet, un véhicule autonome dans lequel se trouve seulement une personne ne prend pas moins d'espace urbain qu'un véhicule traditionnel dans lequel se trouve un conducteur. Les problèmes liés à la congestion routière, à la capacité de la route et aux embouteillages demeureront les mêmes.

Même si certaines personnes affirment que les véhicules autonomes réduiront la congestion routière en rendant la circulation plus efficace, plusieurs études indiquent que les véhicules autonomes augmenteront plutôt la circulation quotidienne dans son ensemble, par exemple s'ils sont programmés pour retourner à la maison pour économiser le stationnement ou s'ils vont chercher d'autres passagers. Cela créerait un nouveau type de circulation composée de véhicules sans occupants. Dans ces cas, le nombre de kilomètres parcouru par ces véhicules et la circulation dans les deux sens augmenteront.

Cela soulève la question de la durabilité. Actuellement, la plupart des discussions et des analyses liées à la durabilité environnementale sont axées sur les émissions de GES et le changement climatique. Toutefois, pour évaluer les effets globaux des véhicules électriques autonomes sur l'environnement, nous devons mener une évaluation complète du cycle de vie environnemental.

Les véhicules autonomes sont essentiellement des ordinateurs sur roues. Ils ne ressemblent pas beaucoup aux véhicules traditionnels. Pensez à l'espérance de vie de votre téléphone cellulaire et imaginez ce que cela signifie pour un véhicule autonome.

Dans un rapport intitulé Rethinking Mobility publié par Goldman Sachs plus tôt cette année, les auteurs indiquent qu'un véhicule autonome privé coûterait environ 50 000 $. Toutefois, l'espérance de vie du véhicule — toujours selon le rapport — serait seulement de trois ans, et ce dernier aurait une valeur résiduelle nulle après ces trois ans.

Lorsqu'on pense à la quantité de minéraux non renouvelables qu'exige la fabrication d'un ordinateur, il est difficile d'imaginer comment les véhicules autonomes privés pourraient accroître la durabilité environnementale du secteur de l'automobile.

[Français]

En conclusion, le gouvernement doit faire preuve de leadership et tirer profit des nombreux programmes fédéraux afin de soutenir la réalisation de projets de démonstration de véhicules autonomes en matière de transport en commun. Enfin, le gouvernement fédéral devra également s'assurer, en collaboration avec les provinces, que la réglementation encadrant l'utilisation des véhicules autonomes soit harmonisée à travers le pays et qu'elle reflète la réalité des réseaux de transport en commun.

Le président : Monsieur Lemay, la parole est à vous.

Dominique Lemay, chef de la direction, Transdev Canada : Merci, monsieur le président. Honorables sénateurs, je vous remercie de nous avoir invités dans le cadre de votre étude portant sur l'arrivée des véhicules automatisés. Je m'appelle Dominique Lemay et je suis chef de la direction de Transdev Canada. Je suis heureux de vous rencontrer ce matin pour aborder la question des véhicules automatisés, plus spécifiquement dans le cadre de vos travaux portant sur les transports collectifs.

Permettez-moi de commencer en dressant le portrait de Transdev au Canada. Transdev est une multinationale créée en France en 1954 et elle est leader dans le domaine de la mobilité des personnes à l'échelle mondiale. Implantée dans 19 pays, en quatre zones géographiques, elle emploie 83 000 salariés à l'échelle mondiale et génère un chiffre d'affaires de 10 milliards de dollars canadiens. Nous exploitons tous les types de mobilité des personnes, dont le vélo-partage, les trains régionaux, les systèmes légers sur rail (SLR), les métros, les autobus, les traversiers, et le développement d'applications mobiles servant à la mobilité.

Transdev Canada conçoit, met en œuvre et exploite des dispositifs de transport qui combinent plusieurs modes de déplacement en y associant des services qui facilitent la vie des voyageurs au quotidien. À travers ses opérations directes et celles découlant de ses 83 000 collaborateurs, Transdev Canada gère 43 000 véhicules. Donc, l'arrivée des véhicules automatisés a un impact majeur sur une organisation comme la nôtre en nous permettant de faire de la mobilité des personnes un levier de la qualité de vie et du développement des territoires.

Le domaine des transports collectifs est constamment appelé à innover dans la gestion de l'offre de services de mobilité des personnes. C'est pourquoi Transdev Canada s'est grandement investie afin de toujours être à l'affût des occasions d'innovation qui se présentent. Convaincus que la mobilité de demain sera personnalisée, autonome, connectée et électrique, nous profitons de la révolution numérique pour développer et proposer à nos utilisateurs une expérience de voyage toujours plus simple, plus souple et au meilleur coût.

Fort de ses nombreuses filiales partout dans le monde, Transdev Canada détient depuis plusieurs années des points d'opération au Canada et a procédé à de nombreuses acquisitions au cours des dernières années, surtout dans l'Est du pays. Au Québec, l'équipe compte près de 1 000 employés, 550 véhicules offrant 700 000 heures de service à plus de 100 collectivités. À York, en Ontario, nous opérons 130 véhicules — bientôt 160 — avec une équipe de plus de 300 employés. Il est clair que nous avons été impliqués de façon importante au chapitre de l'innovation dans la région de York. En Alberta, Transdev Canada fournit l'expertise d'une équipe de gestion qui exploitera le prolongement du système léger sur rail, le Valley Line, une expansion du circuit déjà impressionnant à Edmonton.

Transdev Canada combine l'expertise d'une équipe internationale qui a pour mission de développer la mobilité des personnes par l'entremise de véhicules de transport collectif autonomes. Le Canada ne fait pas exception. Nous avons eu la chance depuis mai dernier de pouvoir présenter le véhicule dans un environnement réel dans la grande région de Montréal. Ce type de navette n'a pas comme objectif de remplacer le transport collectif actuel, mais d'offrir de nouvelles occasions de desservir les collectivités. La mise en place de navettes autonomes permettra de faire du rabattement à des endroits plus achalandés au sein d'une collectivité. Ces navettes pourront être utilisées dans des endroits moins accessibles avec des transports collectifs dits réguliers, ou encore pourront être une alternative intéressante à la création de circuits fixes dans des endroits peu achalandés, par exemple en banlieue, mais qui demanderont une desserte pour la population.

Nous avons tenu un projet de démonstration de quatre jours au Parc olympique ainsi qu'un essai de trois jours dans le cadre du Sommet mondial des transports publics de l'Union internationale des transports publics à Montréal, et nous serons à York en novembre prochain. Les différentes démonstrations que nous avons tenues se sont révélées un modèle fidèle du potentiel des technologies de mobilité que représentent actuellement les projets de Transdev au pays.

Je tiens à préciser que Transdev Canada n'est pas un manufacturier, mais un opérateur de mobilité. Le Comité des transports et des communications dont vous faites partie étudie les questions réglementaires et techniques liées au déploiement de véhicules branchés et automatisés. Les autobus de ce type ont d'ailleurs été développés dans les systèmes de transport collectif en Suisse et en France, et le seront sous peu aux États-Unis. Pour le moment, on parle d'un environnement contrôlé. On ne parle pas de déplacements dans les rues avec la circulation et les piétons, mais plutôt de déplacements dans des environnements contrôlés. Aux États-Unis, des essais seront tenus sous peu dans un environnement urbain, mais restreint et contrôlé. Nous sommes d'avis qu'il est important de permettre le déploiement de ces véhicules au Canada et, pour ce faire, nous avons besoin d'appuis.

La clé de la compréhension de cette technologie demeure toutefois de la voir en action. Grâce à la démonstration d'une navette autonome sur la Colline du Parlement, vous pourrez comprendre le niveau de préparation de cette nouvelle technologie et évaluer ses utilisations et ses impacts potentiels sur les communautés canadiennes. Le trajet proposé se déploiera sur une boucle autour de la Colline du Parlement. Il passera devant l'édifice de l'Est, l'édifice du Centre, l'édifice de l'Ouest et la Flamme du centenaire. La navette autonome se trouvera dans un environnement réel, il y aura des piétons et des véhicules le long du parcours, mais cela demeure quand même un environnement contrôlé comparativement aux rues. Transdev Canada, membre de l'Association canadienne du transport urbain, présentera son véhicule autonome demain, le 20 septembre, en avant-midi. La démonstration commencera à 9 h 30 pour une séance privée d'essai d'une durée d'environ une heure devant le Comité sénatorial permanent des transports et des communications.

Il n'y a pas de doute que le Canada représente un véritable marché de l'avenir pour Transdev Canada. À cet égard, la division canadienne est reconnue pour son dynamisme. Ses possibilités et ses perspectives de développement sont à l'image de la taille du pays ± immenses.

Honorables sénateurs et membres du comité, je vous remercie de votre attention. C'est avec plaisir que je répondrai à vos questions.

Le président : Nous vous remercions.

Le sénateur Boisvenu : Merci beaucoup pour votre présentation que j'ai trouvée très instructive et encourageante. Quelques-unes de mes questions concernent l'adaptabilité de ces nouvelles technologies à l'état de nos infrastructures qui sont, à certains égards, désuètes. Ce n'est pas pour rien que le gouvernement investit des milliards de dollars dans ce domaine.

Ma deuxième inquiétude concerne notre climat. Pendant presque six mois de l'année, nos routes sont presque invisibles, sinon entretenues par du sel et du gravier. Donc, comment ces technologies pourront-elles gérer ces éléments sans réduire le niveau de sécurité?

M. Leclerc : D'abord, en ce qui concerne les infrastructures, on sait que le gouvernement fédéral fait des investissements sans précédent, de l'ordre de 30 milliards de dollars, dans les infrastructures de transport en commun. La question des investissements en transport en commun dans des infrastructures d'avenir est primordiale. Le gouvernement nous demande souvent comment nous faisons pour planifier alors qu'on ne sait pas à quoi ressemblera le secteur de la mobilité urbaine en 2030. C'est un enjeu. Voilà pourquoi nous travaillons depuis 2012 sur la question des véhicules autonomes.

Pour ce qui est des infrastructures, les premiers essais se feront dans des environnements contrôlés. Par la suite, on peut imaginer un système rapide par bus, comme le Transit Way, ici à Ottawa, dans un environnement complètement contrôlé. Là, on peut imaginer que le développement va se faire, car il y a déjà des investissements. Nous devons donc penser en fonction de cette optique.

En ce qui concerne le climat, vous avez tout à fait raison. On a beaucoup parlé de la question de la mise en service des autobus électriques. Il y a deux ans, tout le monde se demandait s'il était possible de circuler dans un climat froid. La ville d'Edmonton achètera 40 autobus électriques cette année, et on peut dire que le climat à Edmonton n'est pas particulièrement clément en hiver. La technologie évolue extrêmement rapidement, et j'imagine que ce sera le cas pour les véhicules autonomes.

M. Lemay : À l'heure actuelle, en ce qui concerne les infrastructures, le design des véhicules autonomes permet d'intégrer tous les équipements sur les véhicules. Donc, cela ne requiert pas d'infrastructures supplémentaires.

Il y a six niveaux d'évolution de véhicules autonomes : de zéro à cinq, zéro étant la voiture ou l'autobus traditionnel, cinq étant le véhicule entièrement autonome dans toutes conditions. Le développement de la technologie entre 2009 et aujourd'hui a atteint le niveau quatre. Au niveau quatre, on obtient une autonomie, mais pas dans toutes les conditions, seulement dans des conditions particulières. Seulement certaines compagnies, comme Google, atteignent le niveau quatre. Pratiquement tous les constructeurs automobiles visent cet objectif. C'est aussi le cas aussi pour les autobus.

Le véhicule qui sera utilisé demain pour la démonstration est de niveau trois. Il y a donc un opérateur à l'intérieur pour prêter assistance au système en cas d'urgence. La prochaine génération d'autobus autonomes qui arrivera sur le marché sera sans conducteur. Les autobus seront reliés à un centre de contrôle. Au niveau des infrastructures, le véhicule que vous pourrez tester ou essayer demain est arrivé ici dimanche soir ou hier matin. Il a roulé sur le circuit, il a enregistré les données du circuit, et il fonctionne. Il n'y a aucun équipement à installer. Quant aux infrastructures spécifiques, lorsqu'on voudra atteindre l'autonomie de niveau cinq, soit l'entière autonomie dans toutes les conditions, peut-être que certaines infrastructures devront être installées dans les villes pour permettre aux véhicules de communiquer avec ces équipements qui pourront fournir de l'information sur les trajets. On n'est pas encore rendu là.

Au chapitre de la sécurité à l'échelle internationale, environ 1 000 décès par jour sont causés par l'automobile. Nous sommes actuellement à l'ère de l'entrée sur le marché des véhicules autonomes. Lorsqu'un événement se produit sur la planète, c'est normal, on en entend parler.

Les véhicules autonomes sont équipés de multiples lasers, de systèmes de détection, de caméras et d'un ordinateur. Ils pourront aussi communiquer avec un centre de contrôle, avec d'autres véhicules, avec d'autres équipements. La sécurité est vraiment assurée. Le véhicule que vous allez essayer demain a un laser sur le toit, qui permet de voir à 200 mètres. Il y a une caméra à l'avant qui permet d'évaluer ce qui se passe à proximité du véhicule. Il y a un laser devant et derrière, sur 16 couches, qui permet de voir les obstacles ou de voir s'il y a des choses en mouvement. De plus, à 30 centimètres du sol se trouve un laser qui fait 40 mètres autour du véhicule pour détecter tout obstacle ou tout objet en mouvement autour du véhicule.

Donc, en termes de sécurité, dès qu'il y a un problème, les véhicules ralentissent ou même arrêtent, d'où la nécessité de les utiliser à l'heure actuelle dans un environnement contrôlé, parce que dans une circulation achalandée, ils seraient toujours au ralenti ou arrêtés.

Le système assure une sécurité sans précédent et sans commune mesure avec les voitures. C'est difficile de prévoir le comportement d'un humain. Une machine a des paramètres avec lesquels elle peut communiquer. Ce sera beaucoup plus facile et sécuritaire. Il est clair que les véhicules autonomes permettront de sauver des vies. Nous devrons passer par une transition, par une adaptation. Pour les utiliser à leur plein potentiel sur les routes, il faudra que les autres véhicules soient également équipés, qu'ils soient connectés pour pouvoir communiquer de l'information et permettre aux véhicules autonomes de bien fonctionner.

Le sénateur Boisvenu : Dans votre présentation, vous avez traité de l'accessibilité à ces nouvelles technologies. Les gens dans les centres urbains vont profiter d'une économie d'échelle à partir du transport en commun. Le Canada est un très grand pays et nous ne voulons pas dégarnir les régions. Les gens veulent rester en région. Comment les régions éloignées pourront-elles avoir accès à ces technologies, sachant que les services de transport en commun y sont quasi inexistants? On parle d'un coût d'acquisition de 50 000 $ par véhicule, alors qu'un véhicule à essence peut valoir moins de 10 000 $. La population des régions sera-t-elle pénalisée quant à l'accessibilité à ces nouvelles technologies?

M. Lemay : Je ne crois pas. On parle de 50 000 $ pour de nouveaux produits. Si on les compare avec d'autres éléments de technologie qui arrivent sur le marché, les téléviseurs à écran plat par exemple...

Le sénateur Boisvenu : On parle d'une marge d'accessibilité de 20, 30 ans, mais à court terme, ces gens ne seront-ils pas pénalisés? Ce seront plutôt les centres urbains qui profiteront de tout cela, non?

M. Lemay : Il y a deux éléments dont il faut tenir compte. D'abord, pour les véhicules individuels comme l'auto solo, il est clair que le produit sera cher au départ, donc plus onéreux à acquérir. En même temps, c'est à ce moment-là qu'il faut se préparer pour le transport en commun. Le transport en commun est une acquisition de société. Les équipements seront aussi peut-être un peu plus chers au départ, mais les compagnies qui préparent ces véhicules visent des marchés qui sont, à l'heure actuelle, nouveaux.

Si nous ne sommes pas préparés par rapport au transport collectif pour la mobilité autonome, il y aura de l'auto solo. Toutefois, de nouveaux marchés seront créés avec l'auto solo et cela contribuera à une augmentation du nombre de voitures. C'est la réalité. Si vous regardez la nouvelle vidéo de la société Google faisant l'annonce des voitures, vous constaterez que les populations ciblées sont celles à mobilité réduite et les enfants. On laisse nos enfants monter à bord du véhicule pour se rendre à leur match de soccer, et ainsi de suite. Parmi les populations ciblées, on retrouve également les personnes âgées, notamment celles qui n'ont plus la capacité de conduire, mais qui peuvent tout à fait se déplacer. Elles désireront acquérir un véhicule autonome pour être encore en mesure de se déplacer. Mon père l'a vécu. À 85 ans, il a dû arrêter de conduire. Il a aujourd'hui 91 ans et il pourrait encore se déplacer à l'aide d'un véhicule autonome. Ces marchés ciblés créeront une augmentation du parc des voitures.

En ce qui a trait au transport et à la mobilité des personnes, il faut se préparer. Le coût pourra être absorbé par la société et le prix des véhicules baissera rapidement. C'est maintenant qu'il faut s'organiser, et ce, même pour les collectivités éloignées. Il faut se demander s'il est possible de se procurer ce genre de navettes autonomes qui roulent dans nos secteurs et qui peuvent être appelées sur demande pour aller chercher les gens et faciliter leur mobilité. Cela permettrait d'éviter qu'une troisième voiture soit garée dans l'entrée des résidences en banlieue, entre autres. A-t-on besoin d'un troisième véhicule dans l'entrée qui roulera sur l'autoroute et qui contribuera à la congestion des routes? Il est clair que l'auto solo sera plus coûteuse au départ, comme toute nouvelle technologie. Toutefois, pour ce qui est du transport en commun, je crois que nous disposerons rapidement de solutions efficaces.

Le sénateur Boisvenu : Merci.

Le président : J'ai une très longue liste de sénateurs qui veulent poser des questions. Veuillez être brefs et répondre de façon plus succincte.

[Traduction]

La sénatrice Bovey : Merci beaucoup. C'est un sujet qui m'intéresse énormément. J'ai aimé lorsque vous avez dit que nous bâtissions des collectivités durables et que nous améliorions les réseaux de transport.

Ma question est simple. Je reviens tout juste de France, et d'après ce que je comprends, Transdev participe à plusieurs projets pilotes dans ce pays, ainsi qu'au premier service de transport commercial sans conducteur.

Étant donné que j'ai passé un certain temps avec des collègues dans une fourgonnette sur les autoroutes de France — où la circulation est très dense, et où les véhicules se suivent à de très courtes distances, les motocyclistes conduisent sur la ligne blanche et, comme vous pouvez l'imaginer, tous les passagers de la voiture ont les nerfs à fleur de peau —, je me demande comment on intégrera le service de transport commercial sans conducteur à cette équation. Je pense que la limite de vitesse est de 130 kilomètres, à moins que les routes soient mouillées, et elle baisse alors à 110 kilomètres — une situation assez différente de celle que nous vivons au Canada. Lorsque j'étais dans la fourgonnette, je me demandais comment un convoi de camions sans conducteur pourrait fonctionner.

M. Lemay : Nous ne travaillons pas avec ce type de véhicule autonome. Tout d'abord, il y aura des autobus et des navettes autonomes dans de petits environnements contrôlés. Ensuite, ils seront utilisés dans les villes à vitesse réduite. D'ici un an, la technologie nous permettra probablement d'atteindre des vitesses élevées sur les autoroutes, mais nous n'en sommes pas là et nous ne travaillons pas là-dessus. Nous pouvons mener des recherches et obtenir des informations supplémentaires, mais nous ne cherchons pas à envoyer des convois d'autobus remplis de gens sur les autoroutes à haute vitesse.

La sénatrice Bovey : Dans ce cas, sur quels types de projets pilotes liés aux services commerciaux sans conducteur travaillez-vous?

M. Lemay : Ces projets se déroulent tous dans des régions urbaines plus densément peuplées et dans des zones contrôlées. L'un de ces projets — il sera annoncé dans quelques semaines — sera lancé aux États-Unis dans un quartier privé et clôturé, car c'est la façon de fonctionner dans ce pays. Ces véhicules transporteront des gens entre leur logement et les systèmes de transport public à grande capacité, mais ne les amèneront pas à leur destination finale. Ils seront utilisés pour alimenter les grands réseaux, mais dans un environnement urbain ou dans un petit quartier.

La sénatrice Bovey : La formulation m'avait laissée perplexe. Merci.

La sénatrice Griffin : J'aimerais vous poser quelques brèves questions. Tout d'abord, vous avez mentionné l'importance de collaborer avec les provinces, afin que les règlements appropriés soient en œuvre. Votre organisme a-t- il mené des consultations auprès des provinces? Ou l'avez-vous fait vous-même?

M. Leclerc : L'ACTU compte environ sept provinces parmi ses membres. Nous avons ces discussions, et l'une d'entre elles porte sur la situation aux États-Unis et au Canada. Nous collaborons étroitement avec Transports Canada au sujet de ces règlements. Le défi qui se pose, c'est que lorsqu'on met en œuvre un service de transport en commun ou un service de navettes, il s'agit d'un service local et dans certains cas, on utilise des routes qui sont assujetties à une réglementation provinciale ou qui sont directement reliées à la ville. Ensuite, il faut composer avec le cadre réglementaire en vigueur au Canada.

Si nous souhaitons attirer des investisseurs et lancer cette technologie, nous devons veiller à harmoniser tous ces éléments, et selon nos observations, ce n'est pas nécessairement le cas en ce moment. Actuellement, l'Ontario est la seule province qui a permis l'essai d'un véhicule autonome. Quelle est la situation dans les autres provinces? Comment pouvons-nous mener des projets pilotes dans différents types de milieux? Si nous souhaitons tester ce véhicule à Edmonton, nous devons veiller à ce que les règlements nécessaires soient en œuvre.

La sénatrice Griffin : Vous avez mentionné quelques mesures que le gouvernement fédéral pourrait prendre pour faire preuve de leadership à cet égard. À votre avis, à quel règlement ou à quel instrument financier devrions-nous accorder la priorité pour faire progresser le dossier des véhicules autonomes?

M. Leclerc : À mon avis, il vous faudrait examiner la possibilité de mener des projets pilotes dans différents types de milieux. En ce moment, nous testons les véhicules autonomes privés. Le gouvernement fédéral devrait se pencher sur les programmes qu'il a mis en œuvre et les utiliser pour appuyer le développement de cette industrie, et nous devons préparer le terrain. Par exemple, nous pourrions commencer avec les navettes, comme M. Lemay l'a mentionné. Il existe divers modèles et certains d'entre eux sont dotés d'une intelligence artificielle. Des navettes sont également produites par l'entremise de l'impression 3D, ce qui est intéressant. Chaque produit amène différents éléments, et nous devons les tester. Nous devons également réfléchir à la situation à long terme.

Daimler a créé un autobus, le Future Bus. Il a été déployé à Amsterdam, par exemple, sur un corridor de transport en commun rapide. Je pense qu'il assure un lien vers l'aéroport. Les réseaux de service rapide par bus utilisent des voies distinctes, de sorte que c'est un environnement contrôlé. On parle d'un autobus mesurant 12 mètres qui transporte un grand nombre de passagers à la fois.

Nous devons examiner les différentes technologies et déterminer où elles peuvent être appliquées. Le gouvernement fédéral peut lancer le déploiement de projets, recueillir les leçons apprises et déterminer comment ils peuvent être déployés partout au Canada. Par ailleurs, il faut soutenir l'innovation et la recherche-développement.

Le sénateur Eggleton : Monsieur Leclerc, certains de nos témoins ont vanté les avantages des véhicules autonomes : réduction de l'encombrement des routes, diminution du nombre de stationnements utilisés, amélioration de la sécurité, et cetera. Or, vous êtes d'avis qu'ils pourraient bien empirer les choses, en fait. Vous dites que si l'on mettait simplement les véhicules autonomes sur la route avec les véhicules actuels, et qu'ils ne comprenaient qu'un passager, la situation ne changerait pas; les mêmes problèmes subsisteraient. En fait, vous dites que la situation pourrait même être pire si l'on ne stationnait pas les véhicules, par exemple, au centre-ville, et que le véhicule retournait à la maison; puisqu'un plus grand nombre de véhicules circuleraient, cela alourdirait la circulation.

De plus, vous avez comparé le véhicule autonome au téléphone intelligent sur le plan de la technologie. Vous dites que dans son rapport, Goldman Sachs affirme que le coût initial d'un tel véhicule est de 50 000 $, mais qu'en raison des avantages de la technologie, il deviendra probablement dépassé et n'aura pas la valeur de reprise qu'ont bon nombre de véhicules actuellement. Que faisons-nous à cet égard quant à la culture de la voiture? Il ne semble pas que les améliorations dont les gens parlent se réaliseront.

M. Leclerc : Je vous remercie de la question. Je suis très heureux que le comité examine toutes les options, car il accomplit la tâche importante de conseiller le gouvernement, et c'est essentiel. On examine cet aspect maintenant. Il y a un mythe et c'est pourquoi il nous faut éviter d'adopter une démarche visant à trouver une solution miracle qui ferait en sorte que le véhicule autonome réglerait tout. Nous devons déployer la technologie ou la solution qui correspond le mieux au problème. C'est essentiel.

Vous avez parlé des embouteillages, du stationnement et de la sécurité. Concernant la sécurité, c'est tout à fait vrai. Les véhicules autonomes ou même les voitures privées sont plus sécuritaires que les voitures avec conducteur, car il n'y a aucune distraction. L'ordinateur ne textera pas au volant.

Pour ce qui est du stationnement et de l'encombrement des routes, en effet, il y a plus espaces de stationnement dans les rues, mais tout dépend de la façon dont on les utilise. On ne règle pas nécessairement les problèmes d'embouteillage.

Lorsque nous voyons des rapports qui indiquent qu'on réglera les problèmes d'embouteillage ou qu'on améliorera la situation, on peut s'imaginer un environnement dans lequel tous les véhicules sont complètement automatisés — niveau d'automatisation cinq —, et il n'y a pas de conducteurs. On optimise la fluidité de la circulation et la distance entre les véhicules parce qu'ils communiquent entre eux et échangent de l'information. Ils savent à quel moment ils peuvent freiner et se suivent de près.

Dans le secteur ferroviaire, par exemple, les réseaux SkyTrain et TransLink sont complètement automatisés depuis 1986. L'utilisation de systèmes automatisés de télécommande de train se traduit par des gains en efficacité. C'est la même chose dans ce cas, mais tous les véhicules doivent être complètement automatisés. Dans ce processus, on augmentera la congestion routière.

Avec des embouteillages dans les deux sens, avec des véhicules inoccupés, c'est un problème. À l'heure actuelle, nous essayons de régler un problème concernant les véhicules à occupant unique en amenant plus de personnes dans les véhicules, pour renforcer le modèle de mobilité partagée. En optant pour des véhicules à occupant unique, nous sommes perdants sur le plan de l'efficacité. Si une personne a les moyens de s'acheter une voiture de 50 000 $ qui retournera à la maison et reviendra, on peut s'imaginer les problèmes de circulation qui seront causés entre Laval et Montréal, dans les deux sens. À l'heure actuelle, le matin, il y a des problèmes de circulation dans un sens, et au retour à la maison, c'est dans le sens contraire.

C'est une question de durabilité. Nous ne nous penchons que sur les émissions de GES. Lorsqu'on songe à la quantité de GES qui doit être émise pour extraire les minéraux nécessaires à la production des systèmes électroniques que nous utilisons tous les jours, si nous augmentons la production de véhicules autonomes, nous ne favorisons pas une plus grande durabilité de quelque façon que ce soit. Il nous faut éviter cela et examiner toutes les options, dont le transport en commun conventionnel, pour régler certains des problèmes qui se posent sur nos routes. Je ne crois pas que les véhicules autonomes régleront le problème. Nous le réglerons en adoptant des solutions de transport en commun rapide et en retirant des voitures des routes. Il nous faut un ensemble de solutions.

Le sénateur Eggleton : Monsieur Lemay, vous semblez souligner que les véhicules de votre réseau — et vous avez parlé en particulier de la Suisse et de la France — sont tous utilisés sur des routes privées. Pourquoi? Est-ce qu'un règlement vous interdit de les utiliser sur les routes publiques? N'avez-vous pas la confiance envers la technologie à ce moment-ci vous permettant de les faire circuler sur une route publique?

M. Lemay : Il y a deux raisons. Ce n'est pas une question de confiance. Partout dans le monde, il est difficile d'adapter les règlements à la technologie. Premièrement, de grandes entreprises et des producteurs ont commencé à produire des véhicules autonomes de niveau zéro en 2009, soit il y a huit ans. En huit ans, ils ont atteint le quatrième niveau, et le cinquième sera atteint rapidement également.

Habituellement, lorsque nous discutons avec des spécialistes, ils avancent un certain nombre d'années, que nous pouvons diviser par deux. Les choses vont donc très vite. Les lois ont du mal à suivre. C'est la même situation partout. Il faut que des mesures législatives soient adoptées pour que nous puissions le faire.

Deuxièmement, le véhicule que nous utilisons est un véhicule de niveau trois. Il faut un conducteur, et lorsqu'il aperçoit des gens, il ralentit. Lorsqu'il aperçoit des voitures, il ralentit. Dans un trafic ordinaire, il sera toujours très lent. Pour cette raison, et en raison de l'état des connaissances techniques pour ces véhicules, nous devons être dans un environnement contrôlé.

Les véhicules du prochain niveau s'en viennent, et nous serons en mesure de mener un plus grand nombre de tests sur la route. Nous devons néanmoins être prudents, car un seul événement est perçu comme étant une grande affaire.

Le sénateur Eggleton : Comme dans le cas de Tesla.

M. Lemay : Oui.

La même chose s'est produite dans le cas des ascenseurs dans les immeubles. Ils peuvent être automatisés depuis l'année 1900. Il a fallu des années avant qu'ils soient acceptés parce que les gens ne voulaient pas utiliser un ascenseur automatique. De nos jours, lorsque nous entrons dans un ascenseur qui comprend un opérateur, nous nous demandons s'il y a un problème.

Le sénateur Eggleton : Il est question ici de différents niveaux d'automatisation. Le niveau cinq est le plus élevé. Il s'agit de l'automatisation complète d'un véhicule, qui n'a pas à être conduit par un humain du tout. Dans combien de temps seront-ils utilisés? Croyez-vous que nous nous approchons de ce moment?

M. Lemay : Certains spécialistes disent qu'il faudra encore des décennies. Je répondrai en donnant un exemple de quelque chose que nous avons vécu.

Il y a deux ans, nous étions avec un groupe de spécialistes et nous essayions de déterminer la valeur de ces technologies. Je ne suis pas un spécialiste; je suis davantage un gestionnaire. Des techniciens étaient avec nous et ont conclu que dans cinq ans, nous serions capables d'avoir des véhicules autonomes commerciaux. C'était il y a deux ans. C'est le cas maintenant.

Si l'on examine les cinq niveaux, le premier a été atteint en un an, le deuxième, en deux ans, le troisième, en trois ans et le quatrième, en quatre ans. Nous en sommes donc à 10 ans, et nous avons atteint le niveau quatre en sept ans. D'ici à environ cinq ans, nous aurons atteint le niveau cinq et conduirons prudemment et lentement. Certains spécialistes vous parleront de décennies, mais si nous nous fions au passé, c'est à peu près ce que cela donne. Il faut également que des règlements soient adoptés en fonction de cette évolution rapide.

M. Leclerc : Dominique a eu le courage de dire que cela prendrait cinq ans, ce que je ne ferai pas. Les spécialistes ont des opinions différentes à ce sujet.

Je ne suis pas un spécialiste de la technologie. Ce qui m'intéresse, c'est de m'assurer que la technologie évoluera. Il faut que les bons règlements soient mis en place. La dernière chose que nous voulons, c'est de ne pas avoir les règlements qui conviennent. Si la technologie est prête dans 5, 10, 15 ou 30 ans, il y aura des répercussions. Si nous attendons que la technologie soit prête pour élaborer les règlements qu'il faut, et que la technologie est prête dans cinq ans, nous serons coincés. Si nous élaborons les règlements maintenant et que la technologie est prête dans 30 ans, nous serons aussi coincés, car nous devrons réviser les règlements.

Le président : Nous pouvons prévoir dès maintenant une réunion en octobre 2022, de sorte que vous puissiez comparaître devant nous à ce sujet.

M. Lemay : Je ne vous ai pas fait de promesse.

Le président : Nous sommes des politiciens; nous tenons nos promesses.

Le sénateur Mercer : Je serai ici dans cinq ans. Peut-être que le sénateur Dawson et moi pouvons nous engager à veiller à ce qu'on vous fasse comparaître devant nous pour que vous nous expliquiez pourquoi les choses ont ou n'ont pas fonctionné.

L'une des préoccupations que j'ai par rapport à toute cette technologie, c'est que c'est basé sur le milieu urbain. On ne tient pas compte de la situation du Canada rural. Les Canadiens qui vivent en région rurale sont isolés, vivent loin des services, ce qui pose problème en raison de leur incapacité à se rendre aux endroits qui offrent des services. À mesure que la population vieillit, bon nombre de ces gens sont de plus en plus isolés parce qu'ils perdent leur capacité de conduire et de se rendre dans les collectivités qui offrent les services.

Comme le savent les sénateurs qui siègent au comité depuis un certain nombre d'années, sauf erreur, il n'existe qu'un réseau de transport en commun rural au pays et il s'agit du réseau Kings Transit dans la vallée de l'Annapolis, en Nouvelle-Écosse. Cela présente un avantage parce qu'une seule route principale traverse chaque collectivité.

Est-ce que cela pourra régler le problème lié à l'isolement des Canadiens qui vivent en milieu rural? Ils ont besoin de recevoir des services et d'aller consulter leur médecin dans un centre urbain. Il leur faut peut-être avoir accès à d'autres services auxquels ils ne peuvent accéder ou auxquels ils ont de la difficulté à accéder présentement. Avec le vieillissement de notre population, la demande à cet égard augmentera. Ou bien il s'agit alors de forcer des Canadiens qui vivent dans des régions rurales à déménager dans un milieu urbain achalandé dans lequel ils ne se sentent pas à l'aise ou qui n'est pas aussi adapté à leur situation. En quoi cela sera-t-il utile?

M. Lemay : Je vais dire quelques mots à ce sujet. Je pense qu'avec ce que nous considérons comme des véhicules personnalisés, autonomes, connectés et électriques, avec les outils que nous avons maintenant, qui nous permettent de partager une bonne partie de notre infrastructure, bon nombre de choses, cela change l'industrie.

Les véhicules autonomes ne pourront pas tout changer à eux seuls. Des navettes autonomes bien connectées au réseau feront en sorte qu'il y aura des véhicules partagés dans les collectivités. Une personne pourrait appeler une navette partagée lorsqu'elle en a besoin, qui se rendrait dans la ville, passerait prendre des gens et les amènerait à destination. C'est dans cette direction que nous allons pour ces véhicules, mais il faudra que cela soit jumelé au reste de la technologie.

Le sénateur Mercer : Le grand problème, c'est ce qu'il en coûtera à la municipalité. Si l'on parle de transport en commun, quelles municipalités auront les moyens d'offrir ce service? Dans les municipalités rurales, la population est faible et cela pose problème pour ce qui est de l'assiette fiscale. C'est un problème réel qui doit être réglé. Si les services devaient être offerts, nous devons nous assurer que les Canadiens des régions rurales y ont accès, en particulier les Canadiens âgés, car c'est la population qui en aura besoin. Je le dis en tant qu'homme qui est en train de devenir un Canadien âgé.

M. Leclerc : Sénateur, vous avez soulevé le point qui, à mon avis, représente l'un des plus importants défis auxquels non seulement le Canada, mais aussi l'Amérique du Nord et l'Europe, sont confrontés, soit le vieillissement de la population. Lorsqu'on parle d'isolement, c'est ce à quoi nous devons réfléchir. Les gens vieillissent; s'ils ne peuvent pas conduire dans le Canada rural ou ailleurs, ils seront isolés davantage si nous ne leur offrons pas un meilleur service, peu importe la forme, mais c'est un service qui les rapproche de la collectivité. Il nous faut trouver des solutions qui sont axées sur les gens et adaptées aux problèmes que nous essayons de résoudre.

Vous avez parlé du réseau Kings Transit. C'est l'un de nos membres. Basé à Miramichi, qui a une population de 18 000 habitants, il offre un service exceptionnel à ses collectivités, ce qui est absolument essentiel pour les gens qui l'utilisent. À l'heure actuelle, ces gens ont accès à un autobus de 40 pieds qui passe une fois l'heure. Si une personne a un rendez-vous médical à 12 h 35 et que l'autobus passe à midi et qu'il faut 15 minutes pour se rendre à destination, il faudra qu'elle prenne l'autobus à midi. S'il se passe quelque chose et qu'elle manque son rendez-vous ou qu'elle doit prendre un taxi et qu'elle a un revenu fixe, cela a des répercussions sur son budget.

Ces véhicules peuvent être déployés soit selon un itinéraire fixe — c'est le cas dans les zones urbaines —, soit sur demande. Je crois que si nous voulons améliorer la mobilité des gens, nous devons examiner les solutions. Donc, pour ce qui est des véhicules déployés sur demande, on peut faire venir une navette dans les 15 minutes, par exemple.

Du côté des coûts, les coûts principaux pour les organismes de transport sont liés à deux éléments — la main- d'œuvre et le carburant. Un véhicule autonome électrique élimine cette composante.

Les coûts liés au système opérationnel pour certaines navettes — je n'entrerai pas dans les détails — pourraient être de 10 000 à 15 000 $ par mois. Quand on pense aux coûts d'exploitation d'un réseau de transport traditionnel, c'est beaucoup plus élevé.

Je crois qu'il faut que ce soit là notre objectif, ce que nous voulons accomplir. Prendre des mesures axées sur les gens, examiner les solutions qui conviennent à la collectivité et investir dans le déploiement. Je pense que nous pouvons offrir un meilleur service aux gens du Canada rural.

Le sénateur Mercer : Je terminerai en disant qu'il faut éliminer de votre pensée l'idée que l'option, c'est de prendre un taxi parce que dans le Canada rural, il n'y en a pas. Si l'on embauche une personne pour qu'elle nous amène à destination, on prend alors un véhicule sans plaque, comme les taxis, un véhicule non réglementé, ce qui coûte probablement beaucoup plus cher. Il nous faut également analyser les coûts pour les municipalités; les petites municipalités n'en ont pas les moyens.

Merci, monsieur le président.

[Français]

La sénatrice Saint-Germain : Merci de votre présence et de l'intérêt que suscitent vos présentations. Je m'intéresse au volet de l'adaptation des politiques publiques et des programmes de soutien conséquents, à l'échelle fédérale, provinciale ou municipale.

Un certain nombre de contradictions nous apparaissent évidentes depuis le début de notre étude. La première, c'est le fabricant d'automobiles qui a intérêt à en vendre le plus possible, en mode solo, notamment à des transporteurs publics. C'est une contradiction dans le sens où plus l'individu achètera la voiture électrique, moins le transporteur public aura l'occasion d'avoir une clientèle.

Au Canada, étant donné les régions éloignées, l'enjeu est d'avoir une cohabitation entre le transport dans les grands centres, avec des véhicules à grande capacité, et le transport en région, avec des véhicules de plus petite capacité. Il faut aussi tenir compte de la cohabitation entre le transport public collectif et le transport privé commercial.

Dans un tel contexte, le grand défi pour les acteurs des politiques publiques et des programmes qui en découlent, c'est d'avoir des politiques cohérentes. Il faut s'assurer qu'il n'y aura pas de contradiction entre la subvention accordée à la personne qui achète un véhicule solo et qui bénéficie d'un rabais au titre de la protection de l'environnement, et le fait que l'on vienne faire concurrence au transporteur public.

Ma question est la suivante : croyez-vous que les conditions sont réunies en ce moment pour que les développeurs de politiques publiques des trois ordres de gouvernement puissent travailler ensemble à élaborer des politiques intégrées qui associeront les transporteurs publics canadiens avec les transporteurs privés commerciaux? Croyez-vous que vous serez présents dans un échéancier qui vous permettra d'arriver avant que trop de véhicules privés aient été achetés?

M. Leclerc : Je vous remercie de la question. Pour ce qui est de l'harmonisation et du développement des politiques publiques, il faut devenir agnostique par rapport aux faits dictés au niveau politique, par exemple dans le choix d'une technologie par rapport à une autre. C'est quelque chose qu'on voit.

Il y a l'exemple des crédits d'impôt pour l'achat d'un véhicule électrique. Si on offre un crédit d'impôt pour un véhicule électrique à 100 000 $, il y a une question d'équité sociale à se poser, à savoir si cela a vraiment un impact sur la réduction des gaz à effet de serre. Si l'objectif de la politique publique est de réduire les gaz à effet de serre, les meilleures solutions résident dans le transport en commun, ce qu'on appelle le prix à la mobilité, pour inciter un transfert modal de l'option de transport le moins durable à l'option de transport le plus durable. L'option de transport le plus durable, ce n'est pas le transport en commun. C'est la marche, c'est le vélo, puis c'est le transport de masse ou le transport dans les collectivités.

En somme, les politiques publiques devraient s'aligner sur l'objectif qu'on essaie d'atteindre et, actuellement, ce n'est pas nécessairement ce qu'on voit. Pour nous, cela est important. Aussi, il faut élaborer les politiques publiques sur la base de données probantes et d'études de cas à l'étranger. En ce moment, on parle beaucoup de données probantes. Cependant, on voit encore des politiques qui sont élaborées et qui ne sont pas basées sur les données probantes, ce qui contribue très peu à l'atteinte de l'objectif. Je ne dirais pas qu'il y a un acharnement, mais il y a une continuité idéologique de poursuivre avec les politiques en place. Si on veut faire cela, on doit regarder les analyses, établir les objectifs à atteindre, voir les mesures de performance, suivre l'évolution et adapter les politiques publiques en fonction des objectifs à atteindre.

La sénatrice Saint-Germain : Ce que vous nous dites, c'est que, à l'heure actuelle, il n'y a pas de travail de concertation, d'intégration des différents acteurs des politiques publiques pour préparer l'arrivée du véhicule autonome à tous les niveaux.

M. Leclerc : Au-delà de cela, il y a très peu de réflexion, à mon avis, sur la façon d'adapter tout ce qui sera automatisé, pas seulement en ce qui concerne les véhicules, mais en ce qui a trait à l'industrie des services. À la radio ce matin, il était question de l'industrie des services, que ce soit au restaurant ou ailleurs. Au cours des 10, 20 ou 30 prochaines années, il y a toute une tranche de la société où les travailleurs risquent de perdre leur emploi. En tant que société, il faudra se préparer à cette transition. Par exemple, pour ce qui est de l'électrification des véhicules dans les transports collectifs, tous les mécaniciens devront se reconvertir. Ils ne seront plus des mécaniciens, mais ils deviendront des techniciens électroniques. Sommes-nous prêts à faire ce virage? Comment devons-nous nous préparer en tant que société? Actuellement, il y a beaucoup de débats sur la technologie. Cette technologie évoluera parce qu'elle est une force du marché. Pour ce qui est des politiques publiques, on doit réfléchir aux conséquences sociales de ces changements technologiques.

La sénatrice Saint-Germain : Y compris la planification de la main-d'œuvre.

M. Leclerc : Absolument.

M. Lemay : Lorsque l'industrie des technologies de l'information s'implique dans une autre industrie, le cycle d'innovation est bouleversé. On l'a vu avec l'industrie de l'hôtellerie, celle du taxi et celle du commerce au détail. On le voit avec toutes les industries où l'industrie des technologies s'implique et développe des services personnalisés et connectés. Cela arrive maintenant dans le domaine des transports. Donc, l'industrie n'attendra pas pour amener ces produits. Il y aura des cibles de croissance au départ. Par exemple, lorsque l'informatique est apparue, on a dit que le papier allait disparaître. Il y a eu une croissance de l'industrie du papier et, ensuite, une diminution. Donc, il y a ce même risque.

Je retournerais un peu la question. Si nous ne sommes pas prêts, je crois qu'il y a urgence de mettre en place des mécanismes de préparation et de concertation pour bien accueillir ces changements qui peuvent arriver à moyen et à long terme.

Le sénateur Cormier : La plupart des questions que je souhaitais poser l'ont été et la plupart des réponses ont été données. Je vais essayer de faire une synthèse. L'arrimage entre les politiques publiques, le gouvernement fédéral, les gouvernements provinciaux et les gouvernements municipaux me semble un enjeu majeur. C'est le cas dans le domaine du transport comme dans plusieurs domaines.

Je suis originaire d'une région rurale. Je suis préoccupé par l'impact de ces changements et surtout par l'appui que le gouvernement fédéral peut apporter pour aider les régions, les municipalités à s'y préparer.

Vous avez beaucoup parlé de préparation. Vous n'oeuvrez pas au sein du gouvernement fédéral, mais si c'était le cas, quelles seraient les priorités de départ? Vous avez parlé de projet pilote, notamment pour aider à la préparation, mais quels seraient les mécanismes principaux qui devraient rapidement être mis en place pour qu'on puisse préparer les régions, particulièrement les régions rurales, à l'arrivée des véhicules autonomes?

M. Lemay : Votre question s'adresse à un opérateur et elle est plutôt difficile. Je vous dirais de favoriser les projets de démonstration, les essais et les erreurs et de démystifier cette technologie pour permettre aux populations d'apprivoiser ce genre de véhicules. Ce sont les éléments à mettre en priorité. On procédera par tâtonnement parce que ce qu'on voit et ce qui va arriver sont certainement deux choses différentes. C'est probablement la seule certitude. Il faut permettre de mettre en place des programmes d'essai et se permettre de faire des erreurs. Il faudra travailler avec les sociétés publiques dans les grandes villes. On l'a entendu à plusieurs reprises dans les milieux ruraux et les régions plus éloignées. Il faudra commencer tout de suite à organiser des démonstrations pour en tirer le maximum dans l'ajustement des lois au cours des prochaines années. En ce qui a trait aux programmes, je ne suis pas très impliqué dans les rouages, alors je vais laisser la parole à mon collègue.

M. Leclerc : Pour ma part, l'une des étapes importantes a déjà été franchie lorsque le comité a entrepris cette étude. On ne peut pas simplement attendre que les États-Unis fassent toutes les études, notamment au Michigan, créer des projets pilotes, des tests et se dire que lorsqu'ils auront élaboré leur réglementation, on harmonisera la nôtre, parce que les objectifs peuvent être différents. Le gouvernement pourrait, en parallèle ou de façon subséquente à la conclusion de votre rapport, entamer un grand chantier de réflexion sur les politiques publiques où les municipalités, les provinces et le gouvernement fédéral pourraient se pencher sur les questions de main-d'oeuvre et économiques et sur la façon d'attirer les investisseurs. Les investisseurs vont-ils venir au Canada dans un climat très peu favorable à l'investissement? Je parle du transport collectif. Il y a une règle aux États-Unis qu'on nomme « Buy America ». Les véhicules doivent être assemblés aux États-Unis, jusqu'à l'assemblage final. Donc, si on veut attirer les investisseurs et toute l'économie qui viendra du secteur technologique au Canada, je crois vraiment qu'un grand chantier s'imposerait où différentes questions pourraient être analysées. L'avantage est que, même si l'horizon n'est que de cinq ans, il faut se mettre au travail tout de suite en ce qui a trait à la technologie. Il est donc possible que la technologie soit prête dans cinq ans, mais le déploiement à grande échelle ± même si cela démarrait dans cinq ans ± prendrait un certain temps. Ce chantier devra donc tenir compte de toutes les options possibles et du travail à entreprendre.

Le sénateur Cormier : Merci beaucoup.

[Traduction]

Le sénateur MacDonald : Monsieur Lemay, dans votre exposé, vous avez mentionné que votre entreprise avait tenu deux ou trois projets de démonstration à Montréal dernièrement. Pourriez-vous nous dire ce que vous ont appris les démonstrations, et s'il y a eu des surprises?

M. Lemay : La chose la plus importante que nous avons apprise concerne la réaction du public. Les tests que nous avons menés pendant quatre jours au Stade olympique ont été menés à proximité d'une station de métro située près du Biodôme de sorte que les gens puissent l'utiliser pour s'y rendre. En ce qui concerne l'ouverture du public là-bas, tout le monde se demandait si c'était sécuritaire, et nous avons dû expliquer que c'était sécuritaire, que si un humain se trouvait trop près du véhicule, il s'arrêterait. Les gens se plaçaient devant le véhicule pour vérifier. Nous nous sommes rendu compte qu'il sera probablement plus facile que nous le pensions de faire accepter ces véhicules par la société, car les gens voulaient l'essayer. Les gens voulaient s'asseoir à l'intérieur.

Nous nous sommes également rendu compte qu'avec l'état des connaissances techniques actuel, si quelque chose changeait sur le circuit entre le premier et le deuxième jour, le véhicule ralentissait et nous devions l'adapter. Le niveau trois, ce n'est pas le niveau cinq, et il nous reste du travail à faire. C'est pourquoi des spécialistes ont parlé de décennies, mais si nous regardons en arrière, nous pouvons dire qu'il faudra cinq ans. Or, il reste du travail à faire avant que la technologie soit prête.

Le véhicule s'est arrêté simplement à cause de la présence de poussière. Le véhicule a détecté un nuage de poussière et s'est arrêté; les détecteurs sont donc très sensibles. Il faudra que l'efficacité du véhicule et tous les logiciels soient améliorés. Sur le plan technique, il reste du travail à faire.

Sur le plan social, depuis que nous avons fait des tests en présence du public, nous croyons que les gens accepteront la technologie beaucoup plus rapidement que nous le pensions. Dans les deux cas, la réaction de gens nous a beaucoup impressionnés.

Le sénateur MacDonald : Merci.

Le président : Merci, sénateur MacDonald. Je vous proposerai comme volontaire; vous serez celui qui se tiendra devant l'autobus demain matin.

[Français]

Le président : J'aimerais remercier M. Leclerc et M. Lemay.

[Traduction]

Nous attendons avec impatience la démonstration du véhicule automatisé qui aura lieu demain matin. J'aimerais rappeler aux honorables sénateurs que nous nous rencontrerons demain, à 9 h 30, dans l'entrée principale de l'édifice de l'Est.

Nous allons suspendre la séance quelques minutes avant de reprendre la séance à huis clos pour discuter de nos travaux futurs.

(La séance se poursuit à huis clos.)

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