Aller au contenu
TRCM - Comité permanent

Transports et communications

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Transports et des communications

Fascicule nº 28 - Témoignages du 31 janvier 2018


OTTAWA, le mercredi 31 janvier 2018

Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications, auquel a été renvoyé le projet de loi C-49, Loi apportant des modifications à la Loi sur les transports au Canada et à d’autres lois concernant les transports ainsi que des modifications connexes et corrélatives à d’autres lois, se réunit aujourd’hui, à 18 h 47, pour poursuivre son étude de ce projet de loi.

La sénatrice Patricia Bovey (vice-présidente) occupe le fauteuil.

[Français]

La vice-présidente : Bonsoir, chers collègues. Je suis la sénatrice Bovey, vice-présidente du Comité sénatorial permanent des transports et des communications. Ce soir, le comité poursuit son étude du projet de loi C-49, Loi apportant des modifications à la Loi sur les transports au Canada et à d’autres lois concernant les transports ainsi que des modifications connexes et corrélatives à d’autres lois.

[Traduction]

Nous accueillons deux groupes de témoins aujourd’hui. Nous entendrons tout d’abord le premier groupe. Je souhaite la bienvenue au commissaire à la protection de la vie privée du Canada, M. Daniel Therrien, et au directeur général de la Direction générale des politiques-cadres du marché d’Innovation, Sciences et Développement économique du Canada, M. Mark Schaan.

Nos autres témoins sont en route, dans la neige, et espèrent être des nôtres dans environ 30 minutes. Il s’agit de représentants de la Direction générale des fusions et des pratiques monopolistiques du Bureau de la concurrence du Canada : la sous-commissaire déléguée, Mme Melissa Fisher, et le sous-commissaire adjoint, M. Mike Hollingworth.

Je vous remercie de votre présence. Je crois qu’il convient de laisser nos collègues se présenter avant de vous demander de présenter vos exposés.

Le sénateur MacDonald : Michael MacDonald, Nouvelle-Écosse.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Pierre-Hugues Boisvenu, du Québec.

[Traduction]

Le sénateur Plett : Donald Plett, Manitoba.

[Français]

La sénatrice Galvez : Rosa Galvez, du Québec.

[Traduction]

La sénatrice Griffin : Diane Griffin, Île-du-Prince-Édouard.

[Français]

Le sénateur Dawson : Dennis Dawson, du Québec.

Le sénateur Cormier : René Cormier, du Nouveau-Brunswick.

La sénatrice Gagné : Raymonde Gagné, du Manitoba.

[Traduction]

Le sénateur Mitchell : Grant Mitchell, Alberta.

Le sénateur Mercer : Terry Mercer, Nouvelle-Écosse.

La vice-présidente : Merci beaucoup. J’avais l’intention de demander au commissaire à la protection de la vie privée, M. Daniel Therrien, de commencer son exposé. Par la suite, si Mme Fisher n’est pas arrivée, je demanderai à M. Mark Schaan — et il a accepté de le faire — de présenter son exposé à sa place.

Par la suite, comme d’habitude, mes collègues vous poseront des questions. Je vous demanderais de commencer.

[Français]

Daniel Therrien, commissaire à la protection de la vie privée du Canada, Commissariat à la protection de la vie privée du Canada : Bonsoir. Merci, madame la présidente, mesdames et messieurs, et membres du comité. Je vous remercie de m’avoir invité à vous exprimer aujourd’hui mon point de vue concernant le projet de loi C-49.

Je parlerai expressément des questions liées à la protection de la vie privée se rapportant aux dispositions qui rendent obligatoire l’installation d’appareils d’enregistrement audio et vidéo de locomotive à bord des trains. En plus d’exiger l’installation de ces appareils, le projet de loi prévoit les fins auxquelles les entreprises pourront utiliser les données recueillies. Selon moi, il est raisonnable de recueillir et d’utiliser les données des appareils d’enregistrement à des fins de sécurité, particulièrement quand ces données visent à faire enquête et à déterminer la cause d’un accident ferroviaire ou d’un incident de sécurité qui s’est déjà produit.

La collecte et l’utilisation sont aussi raisonnables lorsqu’il s’agit de cerner en amont les problèmes de sécurité, pourvu que des mécanismes de contrôle appropriés empêchent toute utilisation à des fins incompatibles. Nous suivrons donc de près l’élaboration des règlements établissant les exigences quant à la façon dont se fera l’analyse aléatoire des enregistrements.

Certaines dispositions du projet de loi visent à assurer un juste équilibre entre la sécurité et la protection de la vie privée. Par exemple, l’alinéa 17.91(1)a) indique assez clairement les fins de sécurité auxquelles l’information pourra être analysée en amont. Le projet de loi confirme aussi que les enregistrements de bord demeureront protégés. Ils ne pourront donc pas servir dans le cadre de procédures disciplinaires. Il s’agit de deux protections importantes.

Cela dit, je souhaite vous faire part de deux préoccupations.

[Traduction]

Tout d’abord, le projet de loi C-49 contient une disposition qui crée des exceptions. Ce qui est presque sans précédent et certainement exceptionnel, c’est qu’il créerait une exception à plusieurs obligations énoncées dans la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques, ou LPRPDE, loi fédérale sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé au Canada.

Je parle ici du nouveau paragraphe 17.91(4) de la Loi sur la sécurité ferroviaire qui est proposé. Si ce paragraphe était adopté, les entreprises seraient libérées des obligations que leur impose l’article 7 de la LPRPDE et de celles qui régissent la collecte, l’utilisation, la communication et la conservation de renseignements personnels.

Il semble que les rédacteurs souhaitaient créer un code énonçant toutes les obligations en question dans la Loi sur la sécurité ferroviaire. Ce qui me préoccupe, ce ne sont pas tant les obligations imposées par la loi — c’est-à-dire la Loi sur la sécurité ferroviaire —, mais davantage la difficulté d’interpréter l’interaction entre la Loi sur la sécurité ferroviaire et la LPRPDE et, en particulier, le manque de clarté en ce qui touche le rôle que le commissariat continuerait de jouer en faisant enquête sur les infractions alléguées ou l’application du droit d’accès en vertu des deux lois fédérales sur la protection de la vie privée.

C’est pourquoi je recommande les amendements suivants au projet de loi.

Premièrement, l’exception à la LPRPDE ne devrait pas englober le principe de conservation. Ce principe, selon lequel on ne doit pas conserver les renseignements plus longtemps que nécessaire, est pertinent dans le contexte. L’alinéa 17.95(1)d) de la Loi sur la sécurité ferroviaire, qui prévoit le pouvoir de prendre des règlements, pourrait permettre d’ajouter des détails, mais il ne s’agit pas d’un substitut valable.

Deuxièmement, le projet de loi devrait confirmer que le Commissariat à la protection de la vie privée a compétence pour examiner les plaintes portant sur les infractions alléguées aux principes de la LPRPDE, notamment pour déterminer si les exceptions prévues par la Loi sur la sécurité ferroviaire ont été appliquées comme il se doit.

Troisièmement, en ce qui concerne le privilège relatif aux enregistreurs audio-vidéo de locomotive, ou EAVL, ou aux enregistreurs, le projet de loi devrait également modifier l’article 28 de la Loi sur le Bureau canadien d’enquête sur les accidents de transport et de la sécurité des transports de façon à confirmer, d’une part, le droit d’un individu d’avoir accès à ses renseignements personnels et, d’autre part, le pouvoir du CPVP d’y avoir accès et de les utiliser si ce dernier recevait une plainte en vertu de la LPRPDE.

Quatrièmement, je recommande que les exceptions aux principes de la LPRPDE soient dorénavant définies, ou à tout le moins mentionnées, dans la LPRPDE. Autrement, si la méthode de rédaction du projet de loi dont vous êtes saisis devenait la norme, soit créer une exception sans qu’elle soit explicitement mentionnée dans la LPRPDE, la transparence en souffrirait en ce sens qu’il nous faudrait nous reporter à d’autres lois pour déterminer si la LPRPDE s’applique et, si c’est le cas, dans quelle mesure.

Ma deuxième préoccupation concerne le pouvoir de prendre des règlements — il s’agit de l’alinéa 17.95(1)d) de la Loi sur la sécurité ferroviaire — et la question de savoir si cela pourrait se traduire par l’augmentation du nombre de fins pour lesquelles les EAVL peuvent être utilisés.

À mon avis, le libellé autoriserait la prise de règlements qui feraient accroître le nombre de fins pour lesquelles les enregistrements pourraient être utilisés. Le principe est ailleurs. C’est dans la disposition dont j’ai parlé. Le pouvoir de prendre des règlements pourrait accroître le nombre de fins de sécurité pour lesquelles les enregistrements pourraient être utilisés.

Je recommande donc que cet alinéa soit modifié pour refléter davantage ce que je crois être l’intention énoncée du gouvernement et que son libellé précise clairement que les règlements prévoient des mesures de protection supplémentaires, mais qu’ils n’ajoutent pas de fins à la liste des fins admissibles pour ces activités.

Je dirais en terminant que les représentants du gouvernement se disent déterminés à respecter le droit à la vie privée des employés tout en poursuivant les importants objectifs de sécurité des systèmes d’EAVL. À mon avis, le projet de loi cadre en grande partie avec cette intention, mais il semble permettre des écarts sur deux aspects — l’exception et le pouvoir de réglementation. Les amendements que je propose garantiraient davantage le respect des principes de protection de la vie privée.

Merci. Je serai ravi de répondre à vos questions.

La vice-présidente : Merci beaucoup.

Nous passons maintenant à M. Schaan, qui présentera l’exposé de Mme Fisher.

Mark Schaan, directeur général, Direction générale des politiques-cadres du marché, Innovation, Sciences et Développement économique Canada : Tout d’abord, le moins que l’on puisse dire, c’est que c’est extraordinaire que je sois chargé des politiques en matière de concurrence au Canada, de l’organisme d’application de la loi indépendant qu’est le bureau. Mes collègues ne sont pas ici, mais nous avons un centre d’intérêt commun et je suis ravi de présenter leur exposé en leur nom.

Merci, madame la présidente. Je ne m’appelle pas Melissa Fisher, mais plutôt Mark Schaan. Je suis directeur général de la Direction générale des politiques-cadres du marché d’Innovation, Sciences et Développement économique Canada. Je suis responsable, entre autres, des politiques en matière de concurrence. J’espère que mes collègues de la Direction générale des fusions et des pratiques monopolistiques du Bureau de la concurrence du Canada se joindront à moi bientôt.

Le Bureau de la concurrence est un organisme d’application de la loi indépendant qui est dirigé par le commissaire de la concurrence et qui veille à ce que les entreprises et les consommateurs canadiens prospèrent dans un marché concurrentiel et innovateur. Le bureau est responsable de l’administration et de l’application de la Loi sur la concurrence et de trois lois canadiennes sur l’étiquetage.

Je vais parler du rôle du bureau en ce qui concerne l’examen des ententes entre les transporteurs aériens et de la manière dont ce rôle changera si le projet de loi C-49 est adopté. Plus précisément, je parlerai du rôle du bureau en tant qu’organisme d’application de la loi, étant donné qu’il n’exerce pas de rôle d’élaboration de politiques. C’est ma responsabilité à Innovation, Sciences et Développement économique Canada.

Le bureau a une grande expérience de l’examen de diverses ententes, y compris les fusions et les coentreprises, dans le secteur du transport aérien. Il examine généralement ces types d’ententes en vertu des dispositions de la loi portant sur les fusions ou de celles touchant la collaboration entre concurrents, en fonction de la structure de l’entente.

Ces ententes peuvent avoir des effets positifs, notamment renforcer l’efficacité et le caractère concurrentiel. Cependant, elles peuvent également soulever des préoccupations sur le plan de la concurrence. Si le commissaire établit qu’une entente aura vraisemblablement pour effet de diminuer sensiblement ou d’empêcher la concurrence, il peut la contester devant le Tribunal de la concurrence, sous réserve d’une exception s’appliquant aux coentreprises considérées comme des fusions devant faire l’objet d’un avis en vertu de la loi. Il peut aussi chercher une solution consensuelle avec les parties afin de calmer ces préoccupations.

Dans le cadre de l’examen des fusions ou des ententes entre concurrents, le bureau mène un examen exhaustif, tributaire des faits et fondé sur des données probantes, en mettant l’accent sur les liaisons où les services offerts par les parties se chevauchent ou sont susceptibles de se chevaucher. Le bureau examine habituellement si les partenaires de la coentreprise fournissent des services concurrents aux passagers aériens entre une paire donnée de villes de départ et d’arrivée. Il établit si les consommateurs considèrent que le service sans escale et le service avec une escale se substituent l’un l’autre.

Le bureau examine également si des concurrents desservent les liaisons qui se chevauchent, s’il y a des obstacles à l’entrée ou si les concurrents actuels ou potentiels peuvent limiter la capacité de hausser les prix des parties à l’entente. Une coentreprise qui réduit le nombre de concurrents ou de concurrents potentiels dans un marché déjà concentré soulèvera des préoccupations.

Le projet de loi C-49 établit un nouveau processus pour l’examen et l’autorisation d’ententes entre au moins deux entreprises de transport offrant des services aériens. Ce processus couvrira tous les types d’ententes entre des transporteurs aériens, à l’exception des ententes pouvant être considérées comme des fusions devant faire l’objet d’un avis en vertu de la loi.

Les fusions devant faire l’objet d’un avis sont des fusions qui atteignent des seuils financiers précis et qui ne peuvent pas être effectuées jusqu’à ce que le commissaire ait eu la possibilité de procéder à un examen. Le ministre des Transports a la possibilité de procéder à un examen de l’intérêt public de ces fusions depuis l’an 2000.

Au titre du nouveau processus, les transporteurs aériens pourront volontairement demander au ministre des Transports d’autoriser une entente proposée. Le commissaire recevra une copie de tout avis concernant une entente qui est donné au ministre, accompagnée de toute information prescrite dans les lignes directrices.

Si le ministre détermine que le projet d’entente soulève des préoccupations importantes concernant l’intérêt public, le commissaire doit alors, dans les 120 jours suivant le premier avis, élaborer un rapport à l’intention du ministre et des parties portant sur toute inquiétude liée à la possibilité que l’entente proposée empêche ou diminue la concurrence. Même si le bureau collaborera avec le ministre en échangeant des renseignements avec lui, l’examen des ententes réalisé par le bureau demeurera distinct et indépendant de l’examen de l’intérêt public effectué par le ministre.

Le bureau continuera d’effectuer son analyse concurrentielle habituelle, mais si l’entente soulève des préoccupations en matière de concurrence, le commissaire n’aura pas la possibilité de résoudre ces préoccupations directement avec les parties en négociant des mesures correctives ou en cherchant à obtenir une ordonnance corrective auprès du tribunal. La décision finale dans de tels cas sera prise par le ministre des Transports, qui consultera le commissaire en ce qui concerne toute mesure corrective.

Dans les cas pour lesquels les parties ne demandent pas une autorisation au ministre et le ministre ne lance pas d’examen de l’intérêt public, le bureau évaluera les ententes en vertu de la loi, selon la procédure habituelle en vigueur, qui reste inchangée.

Le bureau s’engage à collaborer avec Transports Canada en élaborant des lignes directrices exigées par le projet de loi et en prenant des mesures pour veiller à ce que ces lignes directrices obligent les parties à fournir l’information nécessaire pour réaliser une analyse de la concurrence de manière éclairée.

Comme le temps est compté, je vais terminer ici mes observations. C’est avec plaisir que je répondrai à vos questions. Merci.

La vice-présidente : Je vous remercie tous les deux de vos exposés. Nous passons aux questions.

[Français]

Le sénateur Dawson : Merci, madame la vice-présidente.

[Traduction]

J’ai remarqué que votre collègue — et je sais que ce n’est pas votre texte — faisait des recommandations sur les changements, et je lui poserai des questions à ce sujet dans quelques minutes. Parlons de l’éléphant dans la pièce : il s’agit, en grande partie, d’examiner la situation d’Air Canada.

Concernant la possibilité de demander volontairement la collaboration du ministre, il faut dire que ce n’était pas volontaire auparavant. Il fallait passer par le Bureau de la concurrence.

Ne recommanderiez-vous pas que nous trouvions une façon de restreindre la possibilité de devoir demander au bureau de jouer un rôle proactif dans cette situation?

[Français]

Nous allons manquer de temps, car madame la présidente a beaucoup de questions à poser, j’en suis sûr.

Monsieur Therrien, depuis trois jours on parle de vous. Madame la sénatrice Bovey, le sénateur Boisvenu et moi parlons des véhicules intelligents et nous espérons que vous mènerez vos travaux en amont et que vous examinerez non seulement les problèmes du passé dans le domaine de la protection de la vie privée, mais aussi les changements apportés à la suite de l’arrivée de la collecte des données faite par les véhicules intelligents. Je sais que vous proposez des amendements, et nous aurons l’occasion de poser la question aux représentants du ministère et aux gens qui comparaîtront devant nous.

Est-ce que vous collaborez avec le ministère des Transports dans l’élaboration du projet de loi C-49 en ce qui concerne les enregistreurs audio-vidéo de locomotive (EAVl)? Est-ce qu’il y a eu des consultations préalables?

Pour ce qui est de l’analyse des enregistrements visuels et sonores des employés dans un environnement de travail, est-ce que cela existe dans d’autres domaines? Avez-vous des recommandations quant à la façon de traiter les chemins de fer de la même façon que d’autres organisations?

M. Therrien : D’abord, je dois dire que j’ai lu avec intérêt le rapport du comité sur les véhicules branchés, et je vous remercie de vos recommandations.

Pour ce qui est des consultations sur le projet de loi C-49 menées par le ministère des Transports et de ce qui s’est dit par le passé, je peux vous dire que les questions de sécurité peuvent justifier la collecte et le partage de renseignements au sujet des enregistrements dont il est question dans le projet de loi C-49.

Par le passé, nous avons dû nous prononcer dans le cadre de certaines enquêtes. Par exemple, nous avons reconnu qu’en matière de sécurité, la collecte était justifiable. Cependant, cela devait se faire avec le consentement implicite des employés. Ceux-ci devaient être avisés du fait que leurs paroles ou leurs actes pouvaient être enregistrés à des fins de sécurité. Lors de ces enquêtes, nous avons également reconnu que, dans des circonstances semblables, les actes des employés pouvaient être enregistrés.

Toutefois, le projet de loi C-49 met de côté le principe du consentement. Ce n’est pas cela qui pose problème en tant que tel, mais je conçois mal que les enregistrements ne se fassent pas parce qu’un employé s’y est opposé. Nos difficultés ne tiennent pas au fait que le consentement est écarté, mais bien à la façon dont, techniquement, le projet de loi est rédigé. Non seulement nous croyons que le principe du consentement est mis de côté, mais aussi que plusieurs autres principes applicables en vertu de la loi générale en matière de protection de la vie privée le sont. C’est ce qui pose problème, et certaines recommandations sont issues de cette préoccupation. Nous avons constaté cette façon de procéder lors de l’examen du projet de loi et nous n’avons pas consulté le ministère des Transports quant à la formulation du projet de loi. S’il y avait eu des consultations, on se serait dit d’accord avec le principe, mais la façon de rédiger les dispositions aurait peut-être été différente.

M. Schaan : Je vous remercie pour les questions.

[Traduction]

Je veux expliquer clairement ce qui fonctionne dans le cadre du régime actuel et ce qui changera.

Dans le régime actuel, les fusions qui atteignent certains seuils financiers doivent être signalées au Bureau de la concurrence, ce qui ne changera pas après l’adoption du projet de loi C-49.

En vertu des règles actuelles de la Loi sur la concurrence et de la Loi sur les transports du Canada, le ministre des Transports fait déjà un examen de l’intérêt public des fusions devant faire l’objet d’un avis. Le problème que nous essayons de régler dans le cadre du projet de loi C-49, c’est qu’à l’heure actuelle, les collaborations commerciales — coentreprises —, qui sont de plus en plus courantes dans le secteur du transport aérien dans le monde et pour lesquelles il y a des considérations d’intérêt public dans nos principales économies concurrentes, dont les États-Unis, l’Australie et le Royaume-Uni, ne sont assujetties qu’à l’article 90.1 de la loi, et il n’y a pas avis, et le processus par lequel le commissaire fait un examen peut être entrepris à n’importe quel moment.

Donc, pour l’essentiel, des parties peuvent former une coentreprise, et à un moment donné, il est possible que le commissaire de la concurrence détermine que cette entente entraînera ou pourrait entraîner une diminution importante de la concurrence et qu’il entreprenne un examen qui pourrait forcer les parties à mettre fin à l’entente.

Ce que le projet de loi C-49 prévoit, c’est donner la possibilité aux entreprises de signaler une coentreprise qui, selon elles, crée des avantages en matière d’intérêt public, de la soumettre à un examen indépendant et complet de la concurrence réalisé par le bureau et à un examen de l’intérêt public effectué par le ministre des Transports. La principale possibilité qu’elles auraient, ce serait d’aller de l’avant avec l’autorisation donnée au préalable par le bureau en raison des avantages en matière d’intérêt public qu’elles créeront.

Donc, essentiellement, pour une personne qui choisit de ne pas signaler l’entente, c’est un régime volontaire. Une personne qui décide de ne pas le faire est visée par l’article 90.1, ce qui veut dire que le bureau peut, à tout moment, examiner si la transaction a des effets anticoncurrentiels.

Ce que nous essayons de faire, en gros, c’est reprendre le processus concernant les fusions pour cette nouvelle forme de collaboration de plus en plus courante tout en permettant toujours la réalisation d’une analyse complète de la concurrence, mais en tenant compte des questions d’intérêt public également.

Le sénateur Dawson : J’ai une autre question, mais je continuerai au second tour, car je sais que bien d’autres membres du comité ont des questions.

Le sénateur Mercer : Messieurs, je vous remercie de votre présence.

Monsieur Therrien, je suis un peu étonné que, à titre de commissaire à la protection de la vie privée, vous acceptiez des exceptions à la LPRPDE. Si nous revenons à la genèse de sa création, les commissaires étaient habituellement assez fermes et il n’y avait pas d’exception. Cela m’a donc un peu surpris.

Je veux parler de certaines recommandations contenues dans le projet de loi C-49, comme l’utilisation d’EAVL dans des situations qui touchent les chemins de fer.

L’utilisation des données est une question qui touche la vie privée. Dans ces situations, les hommes et les femmes travaillent de longues heures. Dans le cadre de ce régime, il y aurait des enregistrements vidéo et audio de ce qui se passe, mais les travailleurs ne seraient pas protégés. Même si les compagnies de chemin de fer disent qu’elles n’utiliseront pas ces données à des fins disciplinaires, il n’y a aucune mesure de protection contre cela.

Qu’en pensez-vous?

M. Therrien : Tout d’abord, je reconnais que le fait d’être enregistré pendant de longues périodes de temps peut être très intrusif et qu’un tel enregistrement ne devrait se faire qu’avec de très bonnes raisons. Il s’agit visiblement d’une activité qui porte atteinte à la vie privée des employés. Il n’y a pas de doute là-dessus. Cependant, la LPRPDE prévoit une vingtaine d’exceptions à l’obligation de divulgation. Parfois, l’intérêt public va l’emporter sur la protection de la vie privée, notamment la sécurité du public, pourvu que l’information soit utilisée uniquement dans le but d’assurer la sécurité ferroviaire. Cela poserait problème si on se servait de cette information à des fins disciplinaires, par exemple, mais je pense qu’il y a des mesures de protection dans la législation actuelle, y compris le concept de la nature confidentielle des enregistrements de bord, prévu à l’article 28 d’une loi ayant un très long titre, qui établit la compétence d’un comité d’enquête sur les accidents. Par conséquent, les enregistrements de bord sont des renseignements protégés, ce qui signifie qu’en vertu de l’article 28 de la loi, ils ne peuvent être communiqués à quiconque et, plus précisément, ils ne peuvent être exigés pour des raisons disciplinaires. C’est donc une bonne mesure de protection.

N’empêche que le projet de loi prévoit également des exceptions à d’autres principes de la LPRPDE, dont le principe de la conservation des données, par exemple, et je ne vois aucune raison pour laquelle ce principe de la LPRPDE ne devrait pas s’appliquer puisqu’on exige que les entreprises ne conservent les données que pour la durée nécessaire et pour les fins auxquelles elles ont été recueillies. Par conséquent, si on a besoin de renseignements dans le cadre d’une enquête, on peut les conserver pendant cette période, mais dès qu’on n’en a plus besoin, conformément à la LPRPDE, on doit s’en débarrasser. Je ne vois pas pourquoi on devrait mettre de côté ce principe, mais c’est pourtant ce que fait l’une des dispositions du projet de loi C-49.

Le sénateur Mercer : Cela m’étonne qu’on ne parle pas de conserver les renseignements à des fins historiques, pour éviter de reproduire les mêmes erreurs.

J’aimerais parler d’une situation en particulier. De nos jours, les trains des sociétés ferroviaires canadiennes traversent très fréquemment la frontière américaine. Une fois qu’ils ont franchi une certaine distance de l’autre côté, ils doivent changer d’équipage. On se retrouve donc avec un équipage américain dans un train canadien aux États-Unis. Il y a des enregistreurs audio-vidéo de locomotives à bord de la cabine. À ce moment-là, à qui appartiennent les données? Quelles règles s’appliquent? Qu’en est-il des règles sur la protection de la vie privée et la communication des données? D’un pays à l’autre, la situation peut être très différente. Qu’en pensez-vous?

M. Therrien : Bien entendu, le projet de loi dont vous êtes saisis porte sur la collecte de données au Canada, mais il établit un mécanisme qui pourrait fonctionner du côté des États-Unis. Une fois de l’autre côté, la loi américaine s’applique, et ce sont les États-Unis qui réglementent l’activité en question. Il y a donc un risque que les données recueillies au Canada au moyen de cet appareil d’enregistrement soient assujetties aux demandes de renseignements ou aux lois américaines une fois aux États-Unis. Le risque existe, mais le projet de loi, évidemment, concerne la réglementation de ces activités au Canada.

Le sénateur Mercer : Dans ce cas, il me semble que c’est quelque chose dont il faudrait se soucier. Il faudrait éliminer tous les risques auxquels s’exposent les travailleurs canadiens face aux lois américaines et vice versa.

M. Therrien : Nous devrions certainement nous pencher sur cette question. D’ailleurs, elle devrait sans doute faire l’objet de discussions et de négociations entre les gouvernements canadien et américain. Il n’en demeure pas moins que le projet de loi a une application territoriale limitée.

Le sénateur Mercer : Enfin, madame la présidente, comme je l’ai dit tout à l’heure, nous sommes au milieu des renégociations de l’ALENA, alors nous ne devrions pas concéder ce genre de liberté d’accès aux États-Unis sans réciprocité. Je vais y revenir au deuxième tour, madame la présidente.

[Français]

La sénatrice Gagné : Ma question s’adresse à M. Therrien. Vous avez mentionné dans votre présentation un amendement qui confirmerait votre pouvoir d’enquêter dans des cas de violation de la protection de la vie privée. Quel autre rôle votre bureau peut-il jouer dans l’application du projet de loi C-49?

Dans votre lettre au comité de la Chambre des communes, vous avez indiqué que vous vous attendez à ce que les mesures d’enregistrement et d’utilisation de ces enregistrements, et je cite :

[…] soient réévaluées continuellement afin de s’assurer que l’utilisation des renseignements recueillis demeure valide et raisonnable.

Les compagnies devraient évaluer, entre autres, si l’enregistrement demeure nécessaire ou efficace, si l’invasion de la vie privée est proportionnelle à l’avantage obtenu et s’il existe un autre moyen moins envahissant pour atteindre le même objectif.

Doit-on s’en remettre aux compagnies pour contrôler les pouvoirs que le gouvernement s’apprête à leur donner? Votre bureau pourrait-il s’occuper de faire ce genre de suivi, ou seriez-vous appelé à faire enquête à la suite d’une plainte?

M. Therrien : Nous avons plusieurs rôles. L’un d’eux est de faire enquête à la suite d’une plainte. Ce rôle n’est pas proactif, mais réactif. Le genre d’examen ou d’analyse auquel vous faites référence, et dont il est question dans notre lettre, vise à vérifier l’efficacité de la mesure en question, soit des enregistrements. On pourrait jouer ce rôle à au moins deux moments : premièrement, dans l’élaboration des règlements. Des règlements devront prévoir, entre autres, comment se fera l’examen aléatoire des enregistrements pour trouver s’il y a des problèmes de sécurité. On pourrait jouer un rôle quant à la formulation de ce règlement et à la façon dont va se faire cet examen aléatoire, si l’on nous consulte sur le libellé du règlement.

Il y a aussi le mécanisme qu’on appelle l’évaluation des risques et facteurs liés à la vie privée. On parle alors des mesures opérationnelles mises en place par le gouvernement ou par les compagnies, au-delà du règlement. Nous pourrions, effectivement, si consultés, donner notre avis sur ces questions. Tous nos rôles font suite à une demande qui nous est faite, soit une plainte de la part d’un individu qui pense que sa vie privée a été violée, ou de la part d’institutions publiques ou privées qui désirent avoir notre point de vue sur la formulation d’un règlement ou la mise en place d’un programme.

La sénatrice Gagné : Aurait-il lieu de demander au ministère des Transports d’analyser la plus-value apportée par ces enregistrements?

M. Therrien : Je crois que oui.

[Traduction]

Le sénateur Mitchell : Merci à vous deux d’être ici aujourd’hui.

Monsieur Therrien, dans une lettre que vous avez écrite le 12 septembre 2017 à l’intention du Comité permanent des transports de la Chambre des communes, vous avez indiqué que pour évaluer le projet de loi et son efficacité, il fallait prendre en considération certaines questions clés. L’une d’entre elles, qui est fondamentale — et je crois que vous y avez pratiquement répondu ici, mais j’aimerais la répéter — se lit comme suit : est-ce que l’enregistrement audio et vidéo sera susceptible d’être efficace pour répondre au besoin?

La présidente du Bureau de la sécurité des transports, Mme Fox, a été très claire hier à ce sujet. Vous ne contestez pas le fait que ce projet de loi permettra d’améliorer la sécurité du transport ferroviaire?

M. Therrien : Je ne suis pas un expert dans ce domaine, alors je vais m’en remettre à l’opinion des experts.

Le sénateur Mitchell : C’est excellent. Merci beaucoup.

Je m’intéresse à ce que vous avez dit au sujet du paragraphe 17.95(1) du projet de loi, qui permet de prendre des règlements portant, entre autres, sur la collecte, la conservation, l’utilisation et la communication des renseignements enregistrés au moyen des appareils d’enregistrement.

Toutefois, malgré le fait qu’il est question de chiffrement et ainsi de suite, vous êtes d’avis que le libellé n’est pas assez limité et qu’il pourrait accroître le nombre de fins prévues par la loi.

Si je peux me permettre, contrairement à vous, je considère que le projet de loi établit clairement des limites quant à l’utilisation de l’information. Par ailleurs, vous avez invoqué le paragraphe 28(7) de la Loi sur le Bureau canadien d’enquête sur les accidents de transport et de la sécurité des transports, en vertu duquel il ne peut être fait usage des renseignements protégés tels que ceux-ci dans le cadre de procédures disciplinaires ou judiciaires à l’endroit d’un employé. On prévoit ensuite une exception, dans le cas d’un comportement grave, et cela ne pourrait être constaté que de façon aléatoire ou après un accident.

Je ne vois pas en quoi le libellé de l’alinéa 17.95(1)d) du projet de loi pourrait mener à des abus, car en fait, il précise clairement comment la réglementation devra être mise en œuvre afin de renforcer, de maintenir et de respecter ce que je considère être des mesures de protection rigoureuses visant à concilier la sécurité publique et le droit à la protection de la vie privée.

M. Therrien : Je vais commencer par une disposition que je connais très bien, et c’est le paragraphe 17.91(1), qui définit les fins pour lesquelles les enregistrements peuvent être normalement utilisés. Ensuite, lorsqu’il est question du pouvoir de prendre des règlements, au titre de l’alinéa 17.95(1)d), le gouverneur en conseil peut prendre des règlements relativement à l’information que les entreprises enregistrent, y compris sa collecte, sa conservation, son utilisation et sa communication.

Ce sont des termes généraux. Je considère que le principe est bon. Les utilisations figurent dans l’autre disposition. Cependant, en ce qui a trait au pouvoir de prendre des règlements, lorsque je lis : « des règlements portant, entre autres, sur la collecte, la conservation, l’utilisation et la communication des renseignements enregistrés », il me semble qu’on accorde au gouverneur en conseil le vaste pouvoir de réglementer tout ce qui touche ces activités, y compris les fins auxquelles l’information est utilisée.

Je comprends l’intention du gouvernement. C’est bien beau de vouloir ajouter des mesures de protection, mais j’estime que ces mots sont beaucoup trop vagues.

Le sénateur Mitchell : Mais ils précisent assurément les catégories de règlements, et lorsque les règlements seront publiés, nous verrons s’ils sont rédigés d’une manière qui correspond à ce que vous craignez. Toutefois, il n’y a rien dans cette mesure législative qui indique que ce sera le cas. En fait, le projet de loi précise les circonstances dans lesquelles des règlements devront être pris, notamment en ce qui concerne la préservation, la durée de conservation des données, et ainsi de suite.

Avez-vous pris connaissance du témoignage d’hier de Mme Fox, lorsqu’elle a affirmé qu’ils attachaient beaucoup d’importance à la conservation et qu’ils voulaient qu’on définisse les exigences relatives à la conservation? Avez-vous des raisons de croire qu’ils abuseraient de cette disposition en particulier? Ou est-ce que vous dites simplement que ce serait une possibilité?

M. Therrien : Je ne parle pas d’abus ni de situations hypothétiques.

Ce que je dis, en ce qui concerne l’interaction de la Loi sur la sécurité ferroviaire et la LPRPDE, c’est que la LPRPDE est la loi générale qui régit le secteur privé en ce qui a trait aux renseignements personnels et que cette mesure législative prévoit des exceptions à certains principes de la loi, ce qui favorise la transparence pour quelqu’un qui veut connaître les règles.

Le projet de loi ajouterait une troisième exception aux principes de la LPRPDE. Il y a donc de nombreuses exceptions. Il s’agirait de la troisième, et elle est de loin la plus vaste lorsqu’on la compare aux deux autres.

Lorsqu’il s’agit d’établir des lois et la relation entre une loi portant sur un sujet précis et la loi générale qui régit la protection des renseignements personnels, c’est loin d’être idéal. Je ne dis pas que le gouvernement va en abuser. Je pense toutefois qu’il y a une possibilité de prendre des règlements qui élargiraient son utilisation. Je considère que c’est exceptionnel, et je ne vois pas pourquoi on a rédigé le projet de loi de cette façon.

La vice-présidente : Je suis désolée, mais nous allons devoir passer au prochain intervenant.

Je profite de l’occasion pour souhaiter la bienvenue à Melissa Fisher et à Mike Hollingworth. Je suis désolée que vous ayez été pris dans la neige. J’aimerais féliciter M. Schaan d’avoir présenté votre mémoire à votre place. Quoi qu’il en soit, nous sommes ici pour vous poser des questions, alors nous allons poursuivre sans plus tarder.

Je suis consciente du temps qui passe et du fait qu’il reste à peine 20 minutes, alors je demanderais aux membres du comité de poser des questions succinctes et j’encouragerais également les témoins à donner des réponses brèves.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Bienvenue à nos témoins. J’ai quelques questions à poser. Monsieur Therrien, une locomotive ou un train est considéré comme un lieu public, n’est-ce pas?

M. Therrien : Oui.

Le sénateur Boisvenu : Donc, la prise de photos ou d’enregistrements est normalement reconnue dans un lieu public. Ce n’est pas un événement qui transgresse la vie privée, n’est-ce pas?

M. Therrien : Non. En principe, les gens s’attendent à ne pas être filmés dans différents lieux.

Le sénateur Boisvenu : Même à des fins de sécurité?

M. Therrien : Ce genre d’enregistrement a un impact sur la vie privée des gens. Est-ce que c’est justifiable pour un motif de sécurité? Ma réponse est oui, dans la mesure où l’information est diffusée à des fins de sécurité.

Le sénateur Boisvenu : Dans votre mémoire, vous mentionnez que des renseignements ne doivent pas être retenus trop longtemps. Vous ne précisez pas de délai. Dans la loi québécoise, en ce qui concerne la prise de vidéos, le délai est précisé. Après sept jours, l’entreprise publique ou la ville doit détruire les images s’il n’y a pas d’événements criminels ou autres. Dans votre mémoire, vous ne précisez pas le nombre de jours ou le délai.

M. Therrien : Non. Selon la loi fédérale, les renseignements doivent être conservés seulement pendant la période où c’est nécessaire. Donc, il y a une grande marge de manœuvre. Les circonstances viennent dicter la durée exacte de la période. Il faudrait parler à des experts pour savoir quelle devrait être la période raisonnable pour garder les renseignements aux fins d’enquêtes. C’est un peu le mode de fonctionnement de la loi. La norme est exprimée en termes généraux et peut comporter différentes applications selon le contexte.

Le sénateur Boisvenu : Pour éviter ce problème, n’y a-t-il pas lieu de préciser un délai? Par exemple, après sept jours, les informations seraient détruites.

M. Therrien : Ce serait un bon sujet pour les règlements qui peuvent être pris en vertu du projet de loi C-49. Idéalement, la norme serait celle de la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques, et on pourrait y suppléer en accordant une période dans les règlements pris en vertu du projet de loi C-49.

Le sénateur Boisvenu : Mon autre question s’adresse à Mme Fisher et à M. Hollingworth. On connaît votre champ d’expertise, soit la concurrence. Les sénateurs sont comme des oiseaux ambulants. Nous voyageons beaucoup. Lors de mes derniers déplacements, j’ai observé la coexistence entre de grandes entreprises comme Air Canada et Lufthansa. Vous arrivez en Allemagne. Vous prenez un vol et tout est intégré. On a parfois l’impression qu’Air Canada est fusionnée avec Lufthansa. Est-ce que ce genre de fusions qui, entre guillemets, ne sont pas des fusions, ne met pas en péril de petites entreprises — je pense à Air Transat, entre autres — qui empruntent les mêmes trajets, mais qui n’auront jamais le même volume qu’Air Canada et Lufthansa ont grâce à cette fusion? N’y a-t-il pas danger qu’il y ait une fausse concurrence qui mettrait en péril les entreprises canadiennes, plus petites, qui offrent des services sur les mêmes lignes, mais pas avec la même envergure d’intégration?

[Traduction]

Melissa Fisher, sous-commissaire déléguée, Direction générale des fusions et des pratiques monopolistiques, Bureau de la concurrence du Canada : Les compagnies aériennes ont des accords intercompagnies qui leur permettent d’offrir des vols de correspondance aux passagers afin qu’ils aient une expérience de voyage sans heurt tout au long de leur itinéraire, et c’est important.

Dans le cadre de son examen, le bureau examine les services concurrents offerts aux passagers aériens entre une paire donnée de villes de départ et d’arrivée — de Toronto à Washington, ou de Toronto à Munich, comme dans l’exemple que vous avez donné. Il se penche sur les liaisons, les obstacles à l’entrée, y compris l’accès aux portes et aux créneaux de décollage et d’atterrissage, et cetera, qui peuvent nuire aux petits transporteurs aériens.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Mais si vous receviez une plainte de WestJet ou d’Air Transat quant à de la concurrence déloyale faite par ces coentreprises, qui sont indépendantes, ce que je comprends du projet de loi, c’est que ce ne serait plus votre organisation qui prendrait la décision finale. Est-ce que ce serait bien le bureau du ministre?

[Traduction]

Mme Fisher : Oui. En vertu du projet de loi, qui s’applique aux ententes ou aux accords, si les parties ont recours à ce processus volontaire, le ministre des Transports procède à un examen des questions d’intérêt public, mais s’il y a des préoccupations en matière de concurrence, effectivement, le commissaire n’aura pas la possibilité de s’adresser au Tribunal de la concurrence et négocier des solutions directement avec les parties en cause. Dans la mesure où il y a des préoccupations en matière de concurrence, le ministre, en consultation avec le commissaire, déterminera comment y remédier.

Dans le contexte d’une fusion, cela devient un peu plus technique. Lorsqu’on parle d’une fusion devant faire l’objet d’un avis au titre de la Loi sur la concurrence — il pourrait s’agir d’une entente comme celle-ci, mais il faut atteindre des seuils financiers précis —, sachez qu’il y a un régime qui a été adopté en 2000 dans la Loi sur la concurrence, à la suite de la fusion d’Air Canada et de Canadian Airlines, dans le cadre duquel le ministre des Transports procède à un examen de l’intérêt public et que le gouverneur en conseil prend la décision finale.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Est-ce que, en politisant le processus d’arbitrage, on n’enlève pas une forme d’indépendance lorsqu’une décision administrative est prise?

[Traduction]

Mme Fisher : Pour ce qui est de l’aspect de la concurrence, le commissaire continuera d’effectuer son examen de façon indépendante, comme il le fait en vertu de la loi. Par conséquent, nous continuerons de réaliser notre évaluation comme nous l’avons fait par le passé — en consultant diverses ressources, en interrogeant des témoins et en recueillant de l’information — et de mener nos analyses de fond comme nous l’avons toujours fait. Pour ce qui est de l’aspect de cette décision lié à la concurrence, cela se fera indépendamment par le commissaire, qui publiera son rapport ainsi que ses conclusions.

La sénatrice Galvez : Je suis inquiète à ce sujet. Je pense que, pour les gens qui viennent du Québec ou de l’Ouest, l’histoire des petites compagnies aériennes par opposition aux gros transporteurs, de même que la situation des fusions sans fusion sont inquiétantes. Que pensez-vous du fait que ce soit le ministre qui, au bout du compte, prend la décision finale, et pas vous? Avez-vous l’impression qu’on vous retire vos pouvoirs?

Mme Fisher : En tant que représentante du bureau, je peux uniquement me prononcer sur la loi et sur la façon dont nous l’appliquons. Pour ce qui est des politiques en matière de concurrence qui se rapportent au projet de loi, je vais devoir m’en remettre à M. Schaan.

M. Schaan : Ce qui nous plaît à propos de ce projet de loi, c’est que les considérations liées à la concurrence seront principalement et pleinement prises en compte, de même que les considérations liées à l’intérêt public, et qu’il reflète le processus que nous avons déjà dans le cadre du régime actuel d’examen des fusions, mis à part quelques modifications aux échéanciers.

En gros, pour ce qui est du concept des petites compagnies aériennes et de vos préoccupations relatives aux fusions sans fusion, sachez qu’il y a un degré de collaboration dans le secteur du transport aérien, des coentreprises jusqu’aux fusions. À l’heure actuelle, nous avons une disposition sur les fusions qui soulèvent des considérations liées à l’intérêt public, et tout ce qui se trouve en dessous est essentiellement assujetti à l’article 90.1, dans la partie sur la collaboration commerciale de la loi, ce qui signifie qu’on tiendrait uniquement compte des considérations en matière de concurrence.

L’un des objectifs du projet de loi C-49 est d’envisager la possibilité que les questions d’intérêt public soulevées par une transaction puissent l’emporter sur une diminution potentielle de la concurrence, de façon à faciliter la vie aux voyageurs, à accroître leur sécurité, à leur offrir davantage d’options et à faire en sorte qu’il soit plus facile pour eux de parvenir à destination ou de se rendre à différentes destinations qu’auparavant, en vertu d’une collaboration commerciale.

La sénatrice Galvez : Nous avons des trains partout dans le monde. Que fait-on en Europe? A-t-on des caméras qui filment les chauffeurs, dans les cabines des locomotives? Qu’advient-il des enregistrements vidéo?

M. Therrien : Je ne connais pas la situation en Europe. Il faudrait poser la question au ministère.

La sénatrice Galvez : Vous ne vous êtes pas penchés sur ce qui se fait ailleurs dans le monde?

M. Therrien : Nous réagissons au projet de loi qui nous est présenté et dont vous êtes saisis. Encore une fois, nous estimons que les considérations liées à la sécurité sont importantes. En fait, nos recommandations visent à renforcer la sécurité au moyen des enregistrements de bord, tout en veillant à ce que cela ne se fasse pas au détriment de la protection de la vie privée. Cependant, nous acceptons le principe général voulant que la sécurité soit un bon motif pour permettre ces enregistrements et les utiliser.

Le sénateur MacDonald : Ma question s’adresse au commissaire à la protection de la vie privée. Monsieur, vous avez indiqué que cette exception était très large et qu’elle constituait en fait la troisième exception à la LPRPDE. Pourriez-vous nous dire quelles sont les deux autres? N’y a-t-il pas tellement d’exceptions à la LPRPDE que cela ne veut plus rien dire?

M. Therrien : Merci. Lorsque je dis qu’il y a trois exceptions de ce genre, sachez que ce sont des exceptions que l’on trouve dans des lois autres que la LPRPDE. La LPRPDE, quant à elle, prévoit une vingtaine d’exceptions aux principes, ce qui signifie que lorsque vous voulez savoir à quel moment le consentement est requis pour une activité commerciale, vous n’avez qu’à consulter cette loi pour connaître les quelque 20 exceptions qui s’appliquent.

Ici, on parle d’exceptions à l’extérieur de la LPRPDE. D’ailleurs, on n’en parle pas dans cette loi. Selon nous, cette méthode de rédaction pose problème, étant donné que nous aurions encore compétence pour mener enquête; cependant, on risque qu’une entreprise dise : « La LPRPDE ne s’applique pas à certains principes. C’est ce que dit le projet de loi C-49. Par conséquent, le Commissariat à la protection de la vie privée n’a pas compétence pour déterminer si les exceptions ont été adéquatement appliquées. » Nous maintiendrions notre compétence, mais cette façon de rédiger l’exception ouvre la porte à cette possibilité.

Je vais maintenant parler des deux autres exceptions. La première se trouve dans la Loi sur l’aéronautique, qui est une autre loi sur les transports. Cependant, l’exception dans cette loi ne vise pas la sécurité des transports, mais plutôt la communication de renseignements à un autre État qui pourrait en avoir besoin. C’est essentiellement pour des raisons de sécurité nationale que l’exception existe.

Cela dit, l’exception dans la Loi sur l’aéronautique se limite à la divulgation, non pas aux principes; elle est donc plus limitée. Il y a une autre loi qui porte sur les services publics, mais cette autre exception est également très restreinte. Je peux vous donner la référence exacte. Il y a deux autres exceptions.

Quoi qu’il en soit, celle-ci est de loin la plus vaste.

Le sénateur MacDonald : Vous dites qu’il est raisonnable de recueillir et d’utiliser les données fournies par les EAVL lorsqu’il s’agit d’assurer la sécurité ferroviaire. Évidemment, cela semble raisonnable à première vue. Les travailleurs des chemins de fer ont clairement indiqué qu’ils étaient tout à fait disposés à être surveillés au même titre qu’un pilote d’avion dans un poste de pilotage ou un capitaine de navire dans la timonerie. Cela me semble raisonnable.

Ce qui m’a étonné, c’est l’imposition de cette qualification ou de cette condition aux ingénieurs des cabines des locomotives. Selon moi, c’est une préoccupation de cols blancs imposée aux cols bleus.

Pourquoi n’impose-t-on pas les mêmes conditions, à ce moment-là, aux pilotes d’avion et aux capitaines de navire?

M. Therrien : C’est une bonne question. Cependant, je ne suis pas un expert en matière de sécurité. Comme vous le savez, un enregistrement, qu’il soit audio ou vidéo, est intrusif. Par conséquent, il doit y avoir de bons motifs pour l’utiliser.

Je me tourne donc vers les experts, car l’intérêt public en jeu ici est la sécurité. Selon les experts, ces enregistrements sont-ils nécessaires à la tenue d’une enquête après coup ou pour prévenir un incident?

Par conséquent, si un comité d’experts est d’avis que les enregistrements audio et vidéo seraient utiles et peut-être nécessaires, dans ce cas, cela devrait être pris en considération. Toutefois, je ne suis pas un expert pour établir le lien entre ce qui est nécessaire pour des raisons de sécurité et la nécessité de réaliser cet enregistrement. Je vais donc m’en remettre au témoignage du Bureau de la sécurité des transports pour ce qui est de l’efficacité de ce type d’enregistrement.

La vice-présidente : Il vous reste deux minutes.

La sénatrice Griffin : D’accord, je serai brève.

Vous avez proposé cinq amendements. Les avez-vous présentés au comité de la Chambre des communes?

M. Therrien : Non. À vrai dire, tout découle de l’exception. Il s’agit d’un gros projet de loi. Nous en avons pris connaissance après avoir entendu les témoignages et les débats parlementaires, principalement grâce à la sénatrice Lankin qui a soulevé la question. C’est donc à ce moment-là que nous avons pris conscience du problème, et c’est la raison pour laquelle nous avons formulé ces recommandations.

La sénatrice Griffin : Merci.

La vice-présidente : Je tiens à remercier nos témoins de leur témoignage. Comme vous pouvez le constater, nous sommes saisis de dossiers très importants, et je suis sûre que d’autres questions continueront d’être soulevées. Je suis désolée qu’on n’ait pas eu le temps de faire un deuxième tour. Si vous avez d’autres observations, n’hésitez pas à en faire part à notre greffier. Cela dit, je vous remercie et je vous souhaite un bon retour à la maison en dépit de la neige.

Nous allons poursuivre notre étude sur le projet de loi C-49. Je tiens à souhaiter la bienvenue aux représentants d’Agriculture et Agroalimentaire Canada : Mme Katherine MacDonald, directrice exécutive, Direction de l’élaboration et de l’analyse des politiques, et M. Tom Rosser, sous-ministre adjoint, Direction générale des politiques stratégiques.

Je vous remercie de votre présence. Sans plus tarder, j’invite M. Rosser à prendre la parole, après quoi nous enchaînerons avec une période de questions.

[Français]

Tom Rosser, sous-ministre adjoint, Direction générale des politiques stratégiques, Agriculture et Agroalimentaire Canada : J’aimerais commencer par vous remercier de nous avoir invités. Je m’appelle Tom Rosser, je suis sous-ministre adjoint de la direction générale des politiques stratégiques à Agriculture et Agroalimentaire Canada. Je suis heureux d’être ici aujourd’hui pour vous parler du projet de loi C-49, Loi sur la modernisation des transports. J’ai avec moi aujourd’hui Katherine MacDonald, notre directrice exécutive. Elle dirige l’équipe des politiques, au sein de notre ministère, chargée d’examiner les questions relatives au transport des grains. Mon allocution d’ouverture sera brève. Avant d’aborder directement le projet de loi C-49, j’aimerais parler du secteur des grains et de son importance pour le Canada.

Les céréales et les oléagineux sont les deux principales exportations agricoles du Canada. Bien que ces produits soient cultivés dans l’ensemble du pays, leur production est surtout concentrée dans l’Ouest canadien. En 2017, les agriculteurs de l’Ouest étaient responsables de 77 p. 100 de la production des principales grandes cultures au Canada. Les recettes de ces cultures s’élevaient à plus de 21 milliards de dollars et représentaient plus de la moitié des recettes monétaires agricoles de l’Ouest. Étant donné son ampleur et son importance, le secteur des grains de l’Ouest jouera un rôle essentiel dans l’atteinte de l’objectif fixé par le gouvernement, notamment celui de faire passer les exportations agroalimentaires à 75 milliards de dollars d’ici 2025.

Le secteur des grains de l’Ouest dépend du transport ferroviaire pour atteindre les marchés nationaux et internationaux. Des dizaines de milliers d’agriculteurs de l’Ouest canadien expédient leur grain à près de 400 silos-élévateurs dans les Prairies. Ces grains sont expédiés en grande quantité et le transport ferroviaire est le seul moyen pratique et économique de les déplacer sur de longues distances, depuis les silos-élévateurs jusqu’aux marchés et aux ports. Dans les Prairies, les grains sont transportés en moyenne sur 1 500 kilomètres avant d’arriver à un port.

[Traduction]

Pour toutes ces raisons, les agriculteurs de l’Ouest canadien ont besoin d’un système de transport fonctionnel afin de rester compétitifs. Notre système de manutention et de transport du grain est reconnu à l’échelle mondiale, puisque le CN et le CP sont parmi les compagnies de chemin de fer les plus efficaces au monde. Ensemble, les compagnies de chemin de fer, les compagnies céréalières et les agriculteurs ont investi des milliards de dollars dans la chaîne d’approvisionnement au cours de la dernière décennie.

Cependant, le secteur des grains a depuis longtemps des préoccupations concernant le rendement du secteur ferroviaire. L’exemple le plus frappant est la récolte sans précédent et l’hiver rigoureux de 2013-2014, qui ont provoqué un examen accéléré de la Loi sur les transports au Canada et l’élaboration du projet de loi C-49.

Le projet de loi C-49 répond à ces préoccupations. Il assurera que le Canada dispose d’un système de transport ferroviaire sécuritaire, efficace et fiable. Il tient compte des besoins des expéditeurs et des compagnies de chemin de fer de façon équilibrée et, s’il est adopté, procurera de nombreux avantages au secteur des grains.

Je ne les mentionnerai pas tous, mais voici quelques-uns des principaux avantages pour le secteur. Les expéditeurs de grains auront la possibilité d’inclure des sanctions réciproques dans les ententes de service arbitrales. Il s’agit d’une des principales demandes des expéditeurs, y compris les compagnies céréalières.

Le revenu admissible maximal sera modernisé afin d’encourager les compagnies de chemin de fer à accroître leurs investissements. Cela aidera les agriculteurs en limitant les frais de transport, tout en reconnaissant à juste titre les investissements des compagnies de chemin de fer.

Un plus grand nombre d’expéditeurs jouiront d’un accès concurrentiel grâce à une nouvelle disposition sur l’interconnexion pour le transport à distance. Cela est important puisque la plupart des silos-élévateurs sont desservis par une seule compagnie de chemin de fer.

Une définition claire de service ferroviaire « convenable » sera établie pour confirmer que les compagnies de chemin de fer doivent fournir aux expéditeurs le niveau de service le plus élevé pouvant être raisonnablement offert dans les circonstances. Enfin, l’accès aux décisions de l’Office des transports du Canada sera élargi et simplifié.

Ensemble, ces modifications aideront à régler les problèmes de longue date touchant le système de transport ferroviaire. Elles auront pour effet d’accroître la concurrence et la reddition de comptes, d’améliorer la visibilité des données et d’aider à uniformiser les règles du jeu entre les compagnies de chemin de fer et les expéditeurs.

Le secteur des grains a réagi favorablement au projet de loi. Les membres du secteur collaborent dans le cadre de forums tels que le Groupe de travail sur la logistique du transport des récoltes afin de mieux comprendre les répercussions du projet de loi sur le secteur.

Je tiens à vous remercier, madame la présidente et membres du comité, de nous avoir donné l’occasion de vous entretenir aujourd’hui de ce dossier. C’est avec plaisir que je répondrai maintenant à vos questions.

La sénatrice Griffin : Ma question est peut-être courte, mais je la pose avec plaisir.

Je préside le Comité de l’agriculture et des forêts. Voilà mes gros sabots. Pour le transport des grains, j’espérais que le projet de loi nous arriverait plus tôt et que nous aurions pu le séparer, ce qui nous aurait permis de nous occuper séparément de cette partie-là. Mais voilà.

Que savez-vous, de l’état du transport des grains cette année? Je crois que, ce printemps, à cause des pluies, la récolte s’annonçait moins abondante. Elle a fini par être bonne. Comment va le transport?

M. Rosser : D’abord, je vous remercie de votre question. Je jette un bref coup d’œil à ma collègue, pour m’assurer qu’elle pourra compléter ma réponse.

Il est vrai que la récolte céréalière a été beaucoup plus abondante que ce qu’on prévoyait au milieu de l’été. Malgré la sécheresse dans le Sud de la Saskatchewan et de l’Alberta, la récolte de 2017 ou de la campagne 2017-2018 est arrivée officiellement au troisième rang, je crois, pour son abondance et elle suit de très près celle de l’année précédente. Il y a donc beaucoup de grain à transporter dans le réseau.

Je pense, comme je l’ai dit au début, que le secteur céréalier, certainement, et les entreprises de chemin de fer aussi appréhendaient la répétition des difficultés de 2013-2014. D’après nos indices, que nous surveillons de près, elles ne devraient pas revenir. L’économie, bien sûr, est vigoureuse, et les chemins de fer ont constaté une augmentation notable non seulement de la demande de transport céréalier, mais, de celle, aussi, du transport d’autres produits agricoles. Le réseau est donc fortement sollicité. Des problèmes d’origine météorologique ont causé des déraillements au début de la moisson. Ce n’est donc pas comme si la campagne s’était déroulée sans difficulté ni problème, mais il est sûr que, jusqu’ici, l’Ouest n’a pas connu les longues périodes de froid extrême qui ont caractérisé l’hiver 2013-2014. Le réseau, donc, d’après ce que nous avons constaté, a été en mesure de bien fonctionner.

Il y a eu des difficultés et il y a toujours des incertitudes quand il est question de transport longue distance et de conditions météorologiques inclémentes. À tout moment peuvent survenir des surprises et des reculs, et il y en a eu quelques-uns, mais nous avons réussi, jusqu’ici, à les maîtriser. Voilà comment j’évaluerais la situation.

Katherine?

Katherine MacDonald, directrice exécutive, Direction de l’élaboration et de l’analyse des politiques, Agriculture et Agroalimentaire Canada : Je vous remercie de la question. J’ajouterai seulement que la chaîne logistique continue de déplacer des quantités immenses de grain pendant l’actuelle campagne agricole, et qu’on s’efforce de relever le défi. Les joueurs de la chaîne logistique communiquent beaucoup entre eux, et Agriculture Canada collabore très étroitement avec Transports Canada pour surveiller de près la situation. Nous nous efforcerons de nous attaquer à tout problème.

Le sénateur Mitchell : Soyez les bienvenus. Merci

Si les dispositions du projet de loi étaient en vigueur, sous les pressions dont vous venez de parler — récolte abondante et ainsi de suite et les difficultés —, comment auraient-elles amélioré la situation? Quand elles le seront, à quel point le sort des agriculteurs sera-t-il meilleur? Pourriez-vous nous en donner des indications chiffrées ou nuancées?

M. Rosser : Le point de vue du secteur des grains, unanime à ce que je sache, préconiserait l’adoption la plus rapide possible du projet de loi. Je sais que les ministres Garneau et MacAulay ont demandé aux parlementaires d’accélérer son étude. Ça correspond beaucoup au souhait sincère des transporteurs de grains. Si j’ai bien compris la question, la loi aurait-elle permis de soulager certaines pressions? Il est sûr que certains joueurs du secteur diraient qu’elle leur aurait offert des choix supplémentaires, dans certains cas, mais je ne le croirais pas, à cause des tonnages de grain à transporter et d’un certain nombre de risques et de défis à affronter. D’après nous, le projet de loi aura des effets positifs à long terme sur l’ensemble du réseau, mais je ne pourrais pas affirmer avec certitude, en ce moment de la campagne agricole, que les choses se seraient déroulées très différemment si la loi avait été adoptée. C’est ce que je pense.

Le sénateur Mitchell : Le projet de loi leur procure un accès équilibré à des prix concurrentiels et il compense certains déséquilibres. Par exemple, les compagnies de chemin de fer pouvaient pénaliser les expéditeurs qui ne livraient pas à l’heure convenue le grain au point de chargement, mais le contraire ne se pouvait pas.

M. Rosser : Oui. Le secteur des grains constate effectivement, entre autres avantages, la correction, réclamée depuis très longtemps, de certains abus.

C’est une bonne description du projet de loi.

Le sénateur Mitchell : On applique à l’interconnexion de longue distance la notion de « direction la plus judicieuse ». C’est une exigence. Mais elle ne s’applique pas à l’interconnexion ordinaire. Pouvez-vous expliquer pourquoi, en 25 mots ou moins? C’est très technique, mais, manifestement, ça concerne, dans le premier cas, les clients captifs, qui ont besoin d’un accès à la concurrence. Dans le deuxième, c’est autre chose. Ils ne sont pas captifs et ils ont accès à la concurrence.

M. Rosser : Je crois que l’intention du projet de loi et sa raison d’être étaient sûrement d’assurer au plus d’expéditeurs possible l’accès à un mécanisme au moins d’interconnexion. Les expéditeurs éloignés de 30 kilomètres qui avaient accès à l’interconnexion ne se feraient pas accorder en plus l’accès à l’interconnexion de longue distance. Je pense que c’est la logique qui a présidé à la rédaction du projet de loi. C’est ainsi que je le comprends. Encore une fois, j’invite Katherine à apporter les précisions nécessaires, en cinq mots ou moins.

Mme MacDonald : Je n’ai rien à ajouter.

Le sénateur Mercer : Merci d’être ici. Je dois me présenter tout comme le sénateur Griffin l’a fait. Je suis le plus ancien des membres du Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts, dont s’inspirent mes questions.

Le feu vert donné par Agriculture Canada au projet de loi et l’obligation de desservir le secteur agricole qu’on intègre dans un projet de loi englobant diverses mesures piquent ma curiosité. Le projet de loi antérieur qui visait à corriger les problèmes survenus en 2013-2014 a joué son rôle, puis sa mise en vigueur ayant été prolongée, il a continué à aider à corriger le problème. Pourquoi ne pas avoir déposé un projet de loi séparé pour corriger le problème à long terme et, en même temps, conserver ce qui donne déjà de bons résultats? Maintenant, c’est bloqué dans un projet de loi omnibus. Heureusement, tout se déroule bien jusqu’ici.

Mais je reste étonné. Le projet de loi, qui remonte au gouvernement antérieur, a été maintenu par le gouvernement actuel. Il n’y a donc pas de machination politique. Mais nous n’entendons pas Agriculture Canada — son ministre ou ses fonctionnaires — dire qu’il aurait été mieux de prolonger la durée des dispositions et de les insérer dans un projet de loi séparé. Puis, peut-être avec la collaboration de tous les joueurs, nous pourrions faire adopter le projet de loi, l’appliquer, pour le service et la protection des agriculteurs canadiens.

M. Rosser : Madame la présidente, pour comprendre la trajectoire du projet de loi jusqu’ici, il provient, d’après moi et comme le sénateur l’a fait remarquer, de Transports Canada. Quant à la Loi précitée sur le transport ferroviaire équitable pour les producteurs de grain, ce devait être une mesure temporaire contre la crise de 2013-2014. Mes homologues de Transports Canada pourraient l’expliquer mieux que moi, mais le projet de loi C-49 se voulait plus durable et davantage tourné vers l’avenir.

Encore une fois, je m’égare peut-être en ce qui concerne le projet de loi en général, mais pour ce qui est de rendre plus transparent le système de transport, beaucoup de mesures qu’il tente d’appliquer au réseau de transport des grains et au réseau de transport ferroviaire de marchandises sont en principe transposables à d’autres mailles de notre réseau de transport. C’est certainement cohérent, du point de vue d’un ministère. L’important, pour nous, est que le réseau fonctionne le mieux possible pour les transporteurs de grains, le plus justement et équitablement possible, et le projet de loi C-49 y parvient d’un certain nombre de façons importantes.

Le sénateur Mercer : Encore une fois, je ne suis pas nécessairement convaincu, mais le projet de loi est là.

L’autre disposition de la loi est l’extension de l’interconnexion. Je suis curieux de savoir d’où les chiffres proviennent. D’Agriculture Canada ou de Transports Canada? Pour corriger le problème qui existait, l’extension m’aurait semblé logique, mais en l’étendant sur la distance prévue dans le projet de loi, nous nous exposons à de nouveaux concurrents, des compagnies de chemin de fer américaines qui arrivent au Canada et font le plein de clients. Peut-être aident-elles à transporter le produit jusqu’au marché, mais lequel? Pas vers les ports canadiens, mais les ports américains. Non seulement avons-nous perdu le transport ferroviaire des grains, nous l’avons aussi perdu par l’entremise des ports. Les grains passent désormais par les ports américains.

Ce qui m’étonne ici, c’est que, au beau milieu des renégociations de l’ALENA, nous autorisons, sans compensations, la concurrence de quelqu’un qui, avant, n’était pas un concurrent. Nous essayons de susciter la concurrence entre les chemins de fer canadiens, puis nous nous exposons nous-mêmes à celle des chemins de fer américains. Pouvez-vous l’expliquer? Est-ce une idée d’Agriculture Canada ou de Transports Canada?

M. Rosser : Pour répondre à la question et aux remarques, je ferai observer que, certainement du point de vue de notre ministère — et du secteur céréalier, faut-il le préciser —, un objectif important était d’offrir l’interconnexion comme option concurrentielle, au plus d’expéditeurs possible. En l’occurrence, les expéditeurs de grains.

J’ai remarqué, au début, que 400 terminaux céréaliers parsèment l’Ouest. Contrairement aux autres matières premières importantes — bois, potasse ou autres — qui transitent dans l’Ouest et qu’on extrait d’endroits plus rapprochés les uns des autres, les céréales, en raison de la nature du secteur, ont une provenance beaucoup plus diffuse. Les circonstances varient.

Je ferai aussi remarquer qu’on a tout à fait raison de dire qu’une très forte proportion de nos grains sont exportés, en grande partie via de grands ports canadiens, mais aussi de ports des États-Unis et, dans une moindre mesure, du Mexique, qui sont des marchés importants pour les grains. Beaucoup de différents types de grains sont expédiés non seulement par bateau, outre-mer, mais on achemine aussi à des clients américains et pas seulement par des chemins de fer américains, mais, aussi, par les deux grands chemins de fer canadiens, qui possèdent de grands réseaux traversant les États-Unis.

Le sénateur Plett : Je suis le filon du sénateur Mercer, mais je poserai la question un peu différemment.

Le sénateur Mercer a tout à fait raison. Le projet de loi C-30 était excellent, et les producteurs de grains en étaient extrêmement heureux. À mon avis, on n’essaie pas de réparer ce qui n’est pas défectueux. Le ministère des Transports veut faire adopter le projet de loi C-49. Comme mon collègue l’a justement fait remarquer, je pense, et je fais peut-être erreur, qu’il y a eu deux prolongements. Peut-être que non, mais ça n’a pas vraiment d’importance. Il y en a eu un, et les agriculteurs en étaient extrêmement heureux. Et ils en ont redemandé.

Juste avant Noël, le ministre est monté au créneau, nous l’avons entendu au téléphone et vu à la télévision qui exigeait, presque d’un ton menaçant, l’adoption sans délai du projet de loi. Il m’a appelé pour m’annoncer que les agriculteurs de l’Ouest allaient tous périr de faim si nous n’adoptions pas immédiatement le projet de loi. Et nous voici, maintenant.

Bien sûr, ces agriculteurs sont venus me voir. Ils se seraient très bien contentés d’un autre prolongement, que, cependant, le ministre a refusé de leur accorder.

Monsieur Rosser, en faisant abstraction du projet de loi C-49, la prolongation de la durée d’application du projet de loi C-30 aurait-elle répondu, d’après vous, à ces attentes des producteurs canadiens de grains?

M. Rosser : Quelques précisions pour commencer. D’abord, comme on l’a fait observer, la Loi sur le transport ferroviaire équitable pour les producteurs de grain a toujours été vue comme une réponse temporaire à une crise. Sa durée d’application a été prolongée d’un an, en 2016, et le sénateur a justement fait observer que, s’il n’en tenait qu’à beaucoup de joueurs du secteur céréalier, ça aurait pu se produire. Une autre prolongation avait certainement des partisans.

Je ferai aussi remarquer que, même si des choix difficiles ou des compromis sont inhérents à toute politique formulée dans ce secteur, sa réaction générale au projet de loi C-49 a été très positive, et toutes les voix du secteur que j’ai entendues sont celles de ministres qui réclament la sanction royale le plus rapidement possible.

Le projet de loi procure d’importants avantages au secteur céréalier, mais beaucoup sont à long terme, et il était conçu non pas comme une solution à des problèmes à court terme, mais comme facteur d’un équilibre qui assurerait à tous les joueurs une position soutenable et économiquement rentable à long terme. C’était l’objectif.

Le sénateur Plett : Vous avez raison, c’était l’objectif, mais beaucoup de producteurs diraient encore que nous sommes en situation de crise. Encore une fois, ça n’a certainement pas répondu à la question sur la résolution ou non de ce problème.

Permettez-moi de passer à la prochaine question — et, encore une fois, en m’inspirant du sénateur Mercer. Ces mêmes producteurs n’ont-ils pas demandé — peut-être n’êtes-vous pas au courant — d’amender les dispositions mêmes du projet de loi concernant l’interconnexion? Bien sûr qu’ils sont malheureux. Ils disent qu’il faut se contenter de ce mieux que rien, si tout espoir est interdit, mais ils implorent un amendement.

M. Rosser : Je dois d’abord préciser que je ne prétends pas parler au nom du secteur céréalier, mais je collabore étroitement avec lui et j’ai écouté tous les points de vue émis sur ses problèmes, comme je l’ai fait avec d’autres joueurs, en cours de route. Il est sûr que tous ceux que j’ai entendus récemment sur le projet de loi C-49 préconisaient son adoption rapide, en ajoutant souvent, si le Sénat choisissait de l’amender, des dossiers qu’on voulait soumettre à son examen.

Il est vrai que si le Sénat a l’intention de réviser certaines parties du projet de loi, ils ont des idées qu’ils voudraient que votre comité et que le Sénat examinent dans le cadre de ce processus.

Encore une fois, tous les joueurs que j’ai entendus ont d’abord déclaré, sur la question, qu’ils favorisaient beaucoup l’adoption rapide du projet de loi.

Le sénateur Mitchell : Je voudrais répondre à l’opinion du sénateur Mercer sur la concurrence des États-Unis et les déséquilibres. Même s’il a fait partie du Comité de l’agriculture beaucoup plus longtemps que moi, je ne partage pas son opinion.

Pourriez-vous confirmer que les compagnies canadiennes de chemins de fer possèdent et exploitent plus de 17 000 kilomètres de voies aux États-Unis, tandis que leurs homologues des États-Unis en possèdent et en exploitent moins de 1 000 au Canada?

M. Rosser : Je repasse ces chiffres dans ma mémoire. Ils me semblent justes ou très justes.

Le sénateur Mitchell : C’est donc 17 fois plus de présence canadienne aux États-Unis que l’inverse au Canada.

Ensuite, n’est-il pas avantageux pour les producteurs de grains de l’Ouest, d’autres producteurs agricoles et des producteurs d’autres marchandises de la région que nous ayons autorisé les chemins de fer américains à y pénétrer particulièrement, sur une distance de 300 kilomètres, parce que ça optimise la concurrence nécessaire au maintien d’un régime de prix concurrentiels, déterminés par les forces du marché?

M. Rosser : À ce que je sache, le point de vue du secteur céréalier sur la concurrence est favorable. Qu’elle le fait de fournisseurs canadiens ou américains est peut-être secondaire pour les expéditeurs.

La vice-présidente : Comme il n’y a pas d’autres questions, je tiens à vous remercier tous les deux pour votre témoignage, vos idées, vos réflexions. Je remercie mes collègues pour leurs questions. Vous voyez, nous prenons très au sérieux ce projet de loi et nous l’étudions sérieusement pour tous les intéressés.

Honorables sénateurs, nous accueillerons mardi la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, l’Association des chemins de fer du Canada, la Western Canadian Short Line Railway Association, l’Association canadienne des fournisseurs de chemins de fer, l’Association canadienne de l’industrie de la chimie, l’Association canadienne de gestion du fret et la Western Canadian Shippers’ Coalition.

(La séance est levée.)

Haut de page