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TRCM - Comité permanent

Transports et communications

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Transports et des communications

Fascicule nº 34 - Témoignages du 1er mai 2018


OTTAWA, le mardi 1er mai 2018

Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications auquel a été renvoyé le projet de loi S-245, Loi prévoyant que le projet de pipeline Trans Mountain et les ouvrages connexes sont déclarés d’intérêt général pour le Canada, se réunit aujourd’hui, à 9 h 30, pour étudier le projet de loi, et à huis clos, pour examiner un projet d’ordre du jour (travaux futurs) concernant son étude sur les nouvelles questions liées à son mandat et les lettres de mandats ministériels.

Le sénateur David Tkachuk (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Ce matin, le comité étudie le projet de loi S-245, Loi prévoyant que le projet de pipeline Trans Mountain et les ouvrages connexes sont déclarés d’intérêt général pour le Canada.

J’ai le plaisir d’accueillir notre premier témoin pour cette étude, l’honorable sénateur Douglas Black, président du Comité des banques et parrain du projet de loi. Le sénateur Black a également été membre du Comité des transports par le passé et a participé à son étude sur les pipelines en 2016.

Merci, sénateur, de participer à cette réunion. Je vous invite d’abord à faire votre exposé, après quoi les sénateurs pourront vous interroger. Vous avez la parole, sénateur Black.

L’honorable Douglas Black, parrain du projet de loi : Merci, chers collègues. Je vous demande d’abord d’être indulgents pour ma voix, parce que j’ai attrapé le rhume de ma nouvelle petite-fille. J’espère qu’elle me fera d’autres cadeaux que celui-là dans les années à venir. Je vous demande votre indulgence, parce que je sais que je serai difficile à écouter. J’essaierai cependant d’être aussi bref et aussi pertinent que possible.

Je m’adresse à vous ce matin en qualité de parrain du projet de loi S-245, Loi prévoyant que le projet de pipeline Trans Mountain et les ouvrages connexes sont déclarés d’intérêt général pour le Canada. Je sais que vous avez tous lu le projet de loi, qui est très simple. Son objectif est exprimé par son titre, et sa disposition essentielle stipule que le projet de pipeline et ses ouvrages connexes sont déclarés d’intérêt général pour le Canada.

La question qui nous intéresse aujourd’hui, et qui est celle sur laquelle je vais axer mon intervention, est l’intérêt national. Pourquoi ce projet de loi est-il dans l’intérêt national? Pourquoi ce projet doit-il être mené à bien? Avant d’aborder ce sujet, permettez-moi de dire rapidement quelques mots sur diverses questions d’ordre constitutionnel qui ont été soulevées.

D’aucuns prétendent, et je respecte ce point de vue, que ce projet n’est peut-être pas nécessaire parce que le gouvernement du Canada possède déjà le pouvoir de réglementer les pipelines traversant les frontières, ce qui est évidemment exact.

Si vous me le permettez, je voudrais souligner le génie de l’article 92 de la Loi constitutionnelle.

Il contient trois choses. D’abord, une liste de pouvoirs fédéraux et ensuite une liste de pouvoirs provinciaux. Toutefois, le génie de cet article, c’est qu’il dispose que, au cas où le pouvoir fédéral serait entravé par le pouvoir provincial, le gouvernement du Canada pourrait intervenir au moyen d’une déclaration pour assurer le succès de ses objectifs. Cela témoigne de la vision extraordinaire ou du génie des pères de la Constitution, car telle est la situation dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui.

Comme j’ai exercé le droit pendant 35 ans et que j’ai dirigé de grands cabinets juridiques, je sais aussi que, si vous réunissez trois avocats dans la même pièce, vous obtiendrez au moins cinq avis différents. C’est comme cela que fonctionnent les avocats. Je ne suis donc pas du tout surpris d’entendre des constitutionnalistes contester mon interprétation. Je crois cependant que j’ai raison. Je crois que le gouvernement du Canada se doit de faire une déclaration. Elle doit être explicite, et le droit constitutionnel du Canada est parfaitement clair sur ce point. Le gouvernement peut déclarer que tel ou tel projet est dans l’intérêt national du pays.

Il doit énoncer clairement le but qu’il veut atteindre, et le but que l’on veut atteindre ici est d’empêcher le gouvernement de la Colombie-Britannique et les municipalités de la province d’entraver l’objectif visé par le gouvernement du Canada, ce qui est précisément ce qui se passe aujourd’hui. Voilà, malheureusement, le problème qu’il faut résoudre.

Un ou deux de mes collègues ont affirmé que, non, cette solution est trop brutale et nous devons plus nous fier au fédéralisme de coopération. Je conviens qu’à quelques rares exceptions près, c’est ce que nous avons réussi pendant les 30 ou 40 dernières années. C’est ainsi que nous avons réglé des différends au Canada.

Cette fois, par contre, le différend ne peut être réglé par la coopération. Nous venons juste de voir, pendant les deux dernières semaines, le gouvernement de l’Alberta présenter un projet de loi visant à cesser toute fourniture de pétrole à la Colombie-Britannique. La semaine dernière, le gouvernement de la Colombie-Britannique a renvoyé trois questions devant la Cour d’appel. Ces trois questions sont très clairement destinées à mettre fin au transport de bitume vers la province.

Cette question ne peut pas se régler par les méthodes traditionnelles, ce que nous regrettons tous, mais c’est là que nous en sommes aujourd’hui. Voilà pourquoi, comme base et comme fondement de l’action fédérale, il est nécessaire de placer cet instrument dans la boîte à outils du gouvernement du Canada, ce qui est précisément ce que je propose.

Il est très important de garder à l’esprit une cause récente concernant le pouvoir déclaratoire du gouvernement du Canada — pouvoir qui, je le précise, a été invoqué plus de 400 fois depuis la Confédération, ce qui est peu — pour ce qui est des centrales atomiques en Ontario. La question qui se posait était de savoir si les relations de travail dans les centrales atomiques doivent être réglementées par le gouvernement du Canada ou par celui de l’Ontario.

Traditionnellement, bien sûr, les relations de travail relèvent du pouvoir provincial. Dans ce cas particulier, toutefois, le gouvernement a déclaré que, comme l’exploitation des centrales atomiques se fait dans l’intérêt général du Canada, cela englobe les relations de travail correspondantes, et il a gagné.

L’un de nos collègues au Sénat a cité de larges extraits de cet arrêt concernant les centrales d’énergie atomique, mais, malheureusement, ses extraits provenaient tous de l’opinion dissidente. Or, l’opinion dissidente est celle de la partie qui a contesté l’arrêt, c’est-à-dire la partie qui a perdu.

Très simplement, le cœur de l’affaire était le suivant, et je cite le juge La Forest, qui a rédigé l’opinion majoritaire :

Le pouvoir déclaratoire ne devrait pas être interprété restrictivement de manière à être conforme aux principes théoriques du fédéralisme.

Le pouvoir déclaratoire est ce dont il s’agit ici. La citation porte exactement là-dessus. Le pouvoir déclaratoire ne doit pas être interprété restrictivement de manière à être conforme aux principes théoriques du fédéralisme. La Constitution doit être interprétée telle qu’elle est écrite, et elle prévoit expressément le transfert des pouvoirs provinciaux au Parlement fédéral lorsque des ouvrages sont déclarés être à l’avantage général du Canada.

L’argument que je présente aux honorables sénateurs est que la loi est parfaitement claire sur ce point.

S’agissant maintenant des raisons pour lesquelles nous avons besoin de ce projet de loi, il y en a deux fondamentales. La première est que nous avons prêté le serment de préserver l’État de droit. Or, l’État de droit est actuellement transgressé au sujet de la construction du projet Trans Mountain. Vous savez comme moi ce qui se passe. Le gouvernement de la Colombie-Britannique, cela ne fait aucun doute, utilise les tribunaux pour essayer de bloquer ou de retarder le projet afin d’aboutir exactement au scénario actuel, dans lequel Kinder Morgan jette l’éponge en disant que la situation devient tout simplement impossible pour un entrepreneur du secteur privé.

Je vais être honnête, la stratégie fonctionne. Des injonctions prises pour protéger les travailleurs et protéger le projet sont régulièrement transgressées, et des gens sont arrêtés. Des agents de la GRC sont blessés. La municipalité de Burnaby refuse de payer des heures supplémentaires aux policiers chargés d’assurer la sécurité du projet au-delà de 40 heures par semaine. S’agissant de ce projet, nous sommes à la veille d’un effondrement de l’État de droit, ce que nous, sénateurs, ne saurions tolérer. Nous ne pouvons pas tolérer cela.

La deuxième raison est que tout cela touche la position concurrentielle du Canada. Évidemment, si l’expansion du pipeline Trans Mountain est importante en soi, elle est aussi cruciale pour transporter notre énergie à l’extérieur du continent américain afin d’éviter ce que nous coûte actuellement la différence de prix. Elle est également importante comme symbole, parce que le message que nous envoyons au monde est que le Canada ferme ses portes aux investisseurs. C’est comme si nous avions mis un panneau sur la porte disant : « Nous sommes fermés », ce qui est très dommageable.

Je vous ai remis un article de The Economist de cette semaine disant que c’est vraiment le cirque au Canada. Cela résume très simplement ce que pense aujourd’hui la communauté internationale : on ne peut plus rien faire dans ce pays, et c’est vrai. On n’a pas pu réaliser le projet Gateway, on n’a pas pu réaliser le projet Énergie Est, Petronas n’a pas pu réaliser son projet de GNL, et nous sommes sur le point de ne pas pouvoir réaliser le projet Trans Mountain.

Je vais vous lire quelque chose que vous avez peut-être déjà vu. C’est une lettre adressée par un habitant de Seattle à la rédaction d’un journal. Il s’adressait aux Canadiens, je suppose, puisqu’il avait envoyé sa lettre au Vancouver Sun. Voici donc ce que disait cet Adam Lloyd, de Seattle :

[…] merci aux citoyens de la Colombie-Britannique qui viennent encore une fois de bloquer la construction d’un oléoduc jusqu’à la mer. Nous qui habitons au sud de la frontière continuerons d’avoir le plaisir d’importer votre pétrole à des prix sensiblement réduits et d’exporter le nôtre par les ports du Golfe aux prix mondiaux en vigueur. Nous apprécions beaucoup le cadeau que vous nous faites, d’environ 100 millions de dollars canadiens par jour. Nous nous émerveillons de votre générosité tout en doutant sérieusement de votre santé mentale.

Voilà, honorables sénateurs, où nous en sommes. La Banque de la Nouvelle-Écosse estime que nous perdons 15 milliards de dollars par an à cause de la différence de prix. Or, cette différence pourrait être totalement ou largement annulée avec ce pipeline. Cela permettrait de construire les écoles, les hôpitaux, les routes, les prisons et les autres projets que les gouvernements veulent réaliser, aussi bien provinciaux que fédéral.

Je ne sais pas si Perrin Beatty doit témoigner devant votre comité. C’est le président de la Chambre de commerce du Canada. Il a pris la parole lors du forum sur le pipeline que le sénateur Neufeld a organisé la semaine dernière. Si vous me le permettez, je vais vous lire quelques-unes de ses remarques sur cette question de prospérité et de coût pour le Canada. Voici ce qu’il a dit :

Ici, au Canada, le secteur de l’énergie fournit et assure des dizaines de milliers d’emplois bien rémunérés, directement et indirectement, stimule l’innovation, et aide à financer notre infrastructure et notre système de santé. Sans les revenus et les taxes générés par ce secteur, le Canada et le niveau de vie dont nous jouissons seraient bien différents.

Voyez comment la chute des cours des denrées de base nous a affectés. Dans sa mise à jour économique de l’automne 2017, le gouvernement fédéral décrivait son « effet profond » sur l’économie canadienne et soulignait que, depuis quelques années, la baisse des cours du pétrole a coûté 112 milliards de dollars au pays, soit environ 6 200 $ à chaque travailleur canadien. Et le problème est encore aggravé par le fait que nous ne pouvons pas acheminer notre pétrole sur les marchés mondiaux.

Il n’y a pas de solution intermédiaire dans ce domaine. Nous n’avons qu’un seul marché pour notre pétrole, les États-Unis. Or, grâce à leurs politiques actuelles, les États-Unis sont en train de devenir rapidement le plus grand fournisseur de pétrole et de gaz naturel au monde.

L’expansion du projet Trans Mountain, a souligné monsieur Perrin Beatty, a été approuvée. Il y a eu sept ou huit ans de consultations. L’entreprise a franchi tous les obstacles qu’elle a trouvés sur son chemin et elle a obtenu le certificat nécessaire pour démarrer le projet, mais elle ne le peut pas. Cela envoie un message catastrophique aux investisseurs, dit Perrin Beatty, et il poursuit en disant :

Selon le Conference Board du Canada, l’expansion du pipeline Trans Mountain générera pendant les 20 premières années environ 47 milliards de dollars de taxes et de redevances pour les gouvernements.

Quarante-sept milliards de dollars.

En outre, 23,2 millions de dollars d’impôts municipaux seront payés en Colombie-Britannique et 3,4 millions en Alberta.

Cela montre bien que ce n’est pas l’Alberta qui profite le plus de ce projet, mais la Colombie-Britannique et le reste du Canada. L’Alberta arrive bonne deuxième, mais elle n’est certainement pas la première bénéficiaire du projet.

Honorables sénateurs, telle est la situation à laquelle nous sommes confrontés aujourd’hui. Voulons-nous rester un pays prospère? Voulons-nous dire aux investisseurs que nos portes sont ouvertes? Voulons-nous donner aux entreprises le message que, lorsqu’elles obtiennent un certificat, il vaut quelque chose, ou non?

Nous savons que l’investissement direct étranger au Canada ne s’est pas seulement arrêté, il s’est effondré ces dernières années. Nous avons entendu la semaine dernière Russell Girling, président et PDG de TransCanada, l’une des plus belles entreprises du Canada. Une rumeur largement répandue voudrait qu’elle songe à quitter le pays. On lui a demandé la semaine dernière s’il serait possible de relancer le projet Énergie Est, et il a répondu ceci : « Non, nous ne relancerons pas le projet Énergie Est. J’investis aux États-Unis et au Mexique. »

Encore la semaine dernière, Rich Kruger, PDG de la Compagnie Pétrolière Impériale, a annoncé lors de son assemblée générale annuelle que l’entreprise réduit son investissement au Canada. Dans les projets qu’elle réalise actuellement, dont le projet Aspen dans les sables bitumineux, par exemple, elle réduit son investissement. Ajoutez à cela Encana, une autre superbe compagnie du Canada. Son PDG déménage à Denver. Et je n’ai pas encore parlé de Synova, qui vient d’indiquer qu’elle ne fera pas d’autres investissements au Canada.

Dites-moi quand je dois m’arrêter. Oui, cela aura en effet un impact profond sur nos intérêts financiers nationaux.

J’aimerais soulever brièvement quelques autres enjeux, monsieur le président. Le premier concerne la question très importante de la consultation des Premières Nations autochtones. Le long du pipeline et de la route des navires pétroliers, 43 groupes de Premières Nations ont signé avec Kinder Morgan des ententes sur les répercussions et les avantages. Trente-trois de ces groupes se trouvent en Colombie-Britannique et dix en Alberta. On me dit que cela représente 80 p. 100 — je dis bien 80 p. 100 — des groupes des Premières Nations le long du pipeline et de la voie maritime.

Je vous ai également remis la semaine dernière le document public de Trans Mountain sur les consultations autochtones, qui est un rapport daté de juillet 2017. Vous y trouverez un résumé exhaustif des efforts déployés par Kinder Morgan pour faire participer les peuples autochtones. Je vous recommande de le lire et je vous invite en même temps à tenir compte du fait que 43 groupes, représentant 80 p. 100 des participants, estiment que ce projet est dans leur intérêt. Vous pouvez aussi consulter les communiqués de presse des différents groupes des Premières Nations de la Colombie-Britannique, où ils expriment leur ferme soutien au projet.

Permettez-moi d’ajouter simplement, parce qu’il faut que ce soit dit, qu’un de nos collègues a déclaré que l’article 35 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, ou l’AANB, qui énonce les droits des peuples des Premières Nations, va d’une certaine manière plus loin que cela en leur donnant un droit de veto sur les projets de développement économique. Ce n’est pas dans la loi. Cette affirmation n’est pas exacte, comme l’ont récemment confirmé deux arrêts de la Cour suprême publiés l’an dernier. Certains d’entre vous ont certainement suivi ces dossiers, et je n’entrerai donc pas dans les détails ici, mais je dirai simplement qu’il s’agit de l’arrêt Clyde River du Labrador et de l’arrêt Chippewas of the Thames. Ces deux arrêts confirment qu’il doit y avoir une divulgation franche, honnête et complète et des consultations sérieuses — nous sommes tous d’accord là-dessus —, mais que, s’il n’y a pas d’entente à la fin du processus, il n’y a pas non plus de droit de veto pour les groupes des Premières Nations.

De même, on a évoqué la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, en particulier son article 32. Je vous invite à lire l’article 32 et à lire aussi l’article 46. L’article 32 dispose que « les États consultent les peuples autochtones concernés et coopèrent avec eux de bonne foi » au sujet de leurs droits. Très bien. Même s’il est mal rédigé, cet article n’en est pas moins valide. Il prévoit ensuite, dans son troisième paragraphe, des mécanismes de réparation, mais ceux-ci ne peuvent être invoqués que s’il n’y a pas de résolution du différend. Bref, il est implicite que l’article 32 ne crée pas un droit de veto. Ce droit n’existe pas.

Il faut lire ensuite l’article 46, qui dispose clairement que « l’exercice des droits énoncés dans la présente Déclaration est soumis uniquement aux restrictions prévues par la loi... » — il s’agit de l’approbation d’un pipeline par l’ONE — et conformément aux obligations internationales... et « toute restriction de cette nature sera non discriminatoire et strictement nécessaire à seule fin d’assurer la reconnaissance et le respect des droits et libertés d’autrui... ».

Il en ressort clairement qu’il faut trouver un juste équilibre entre les droits des parties, et que Kinder Morgan a elle aussi des droits dans cette affaire. C’est ainsi que j’interprète cette Déclaration.

J’ai une dernière remarque à faire, et après, j’aurai fini, monsieur le président. Je reviens sur ce qu’a dit le sénateur Tannas lors du premier débat sur cette question. Je n’en ai pas encore parlé, mais il convient de le faire maintenant dans le contexte de l’intérêt national. Un vent de fureur est en train de se lever dans l’Ouest canadien, surtout en Alberta — c’est une vraie fureur. On m’en parle tous les jours, que ce soit dans les aéroports, les restaurants, dans la rue et partout où je vais. Les gens me parlent de la frustration profonde qu’ils ressentent à l’égard de la manière dont l’Ouest est traité dans le cadre de ce projet. Jusqu’à la semaine dernière, je pensais que ce n’était qu’un phénomène passager.

CBC a commandé un sondage qui a été publié la semaine dernière. Je n’endosse pas nécessairement ce résultat, mais, s’agissant de l’intérêt national et en notre qualité de sénateurs, nous sommes bien obligés de tenir compte de la réalité. Or, la réalité est que, selon ce sondage, 60 p. 100 des Albertains pensent que ceux qui ont le pouvoir à Ottawa défendent d’abord les intérêts des autres régions du pays, et 70 p.100 des personnes interrogées — il y en avait en tout 1 200, ce qui est statistiquement valide — pensent que le système de péréquation canadien est injuste envers les Albertains.

Je vous cite ce qu’a dit la responsable du sondage, Janet Brown, que je connais bien et qui a une excellente réputation dans ce domaine en Alberta :

Je pense qu’on a beaucoup le sentiment qu’on nous tient pour acquis et que les intérêts des autres régions priment sur ceux de l’Alberta.

Ce n’est pas ce que je dis. Je n’endosse pas cette opinion, mais je dis que c’est celle qu’on entend en ce moment. Nous savons tous que, entre 2000 et 2014, l’Alberta était dans une situation favorable — je le répète, l’Alberta était dans une situation favorable — qui lui a permis de contribuer 200 milliards de dollars au projet national, tout en n’en recevant que 57 millions.

Ce que je veux dire, tout simplement, c’est que, quand il s’agit de défendre l’intérêt national, c’est la règle de droit qui doit primer, car c’est notre position compétitive qui est en jeu ainsi que le tissu même du pays. Je ne saurais trop insister sur la gravité de la situation actuelle. Je sais qu’il y a autour de cette table des sénateurs de l’Ouest qui peuvent certainement confirmer ce que je dis et que je ne prends aucun plaisir à dire.

Je suis prêt à répondre aux questions, monsieur le président.

Le président : Merci, sénateur Black.

Je vais commencer. Comme vous le savez, je suis attentivement ce dossier depuis pas mal de temps. Les gens de la Colombie-Britannique, au moins d’après les recherches et les sondages que j’ai vus, approuvent le projet non seulement dans l’ensemble de la province, mais aussi dans la ville de Vancouver et la région environnante. Comment ce projet de loi changera-t-il l’attitude du gouvernement fédéral à l’égard du projet? Selon moi, et je suis d’accord avec vous, je pense qu’on a déjà le pouvoir d’aller de l’avant et qu’on peut construire ce fameux pipeline, mais rien ne semble avancer. En quoi ce projet de loi va-t-il changer les choses?

Le sénateur D. Black : Merci beaucoup de cette question, sénateur.

Je pense que cela donnera au gouvernement du Canada la légitimité de dire, si la municipalité de Burnaby veut bloquer des routes — j’ajoute en passant que l’ONE peut faire cela maintenant, mais il a malheureusement été sérieusement discrédité par ce gouvernement, et s’il voulait exercer son pouvoir, cela susciterait des questions. Je pense qu’il faut établir un fondement légal à toute action que le gouvernement du Canada pourrait prendre, afin qu’il puisse dire : « Nous en avons le pouvoir. Nous espérons ne pas avoir à l’invoquer, mais, si c’est nécessaire, nous le ferons pour que ce pipeline soit construit. » Il ne faut pas que Burnaby puisse entraver le projet simplement en bloquant des routes, en changeant des feux de circulation, en bloquant l’accès à l’eau ou en empêchant l’évacuation des eaux usées. Comme ce sont des services qui sont sous le contrôle de la municipalité, elle pourrait théoriquement bloquer le projet.

La sénatrice Galvez : Merci beaucoup, sénateur Black. Je pense que c’est la première fois que j’interroge un collègue qui comparaît à titre d’expert.

J’ai consulté votre site web du Sénat hier soir en prévision de cette séance, et j’ai écouté votre discours. Je pensais que nous allions seulement parler de l’importance de ce projet pour le Canada, mais vous avez commencé à parler du projet lui-même, de l’entreprise et de TransCanada. Je n’ai pu m’empêcher de faire le lien avec des informations que donne votre site web, à savoir que vous avez été le fondateur et le président de l’Institut canadien de politique énergétique, qui est connu pour être un organisme de lobbying pour des organismes tels que TransCanada schistes, Suncor et l’Association canadienne des producteurs pétroliers.

Cela étant, j’étais très surprise de vous entendre faire des déclarations qui me semblaient nettement défendre Kinder Morgan. Or, Kinder Morgan est une entreprise américaine du Texas, et vous avez dit que les profits iront essentiellement à la Colombie-Britannique et moins à l’Alberta. En réalité, je crois que les profits iront à Kinder Morgan.

Ne vous méprenez pas, car, comme je l’ai dit dans mon discours, ce pipeline a 60 ans et il a besoin d’être remplacé. Nous avons la règle de droit de notre côté, le projet a franchi avec succès l’étape de l’évaluation de l’impact environnemental et il y a 157…

Le président : Avez-vous une question? Nous n’allons pas résoudre le litige. Nous sommes ici pour traiter du projet de loi.

La sénatrice Galvez : Donnez-moi une seconde et je termine.

Le président : Je fais de mon mieux, sénatrice Galvez.

La sénatrice Galvez : Voici ma question : ne croyez-vous pas que, en approuvant ce projet de loi, nous prenons une décision politique et affirmons que les profits de Kinder Morgan représentent les intérêts du Canada?

Le sénateur D. Black : Merci de cette question, sénatrice. Je vois ce que vous voulez dire.

Non, ce n’est pas une décision politique. C’est une décision juridique, à mon avis. Je ne sais absolument pas quelle est la situation financière de Kinder Morgan, mais j’espère qu’elle est bonne. J’espère aussi qu’elle gagnera énormément d’argent avec ce projet, ce qui serait tout à fait justifié, car elle prend un risque énorme.

Je vous signale que le projet va coûter 7,4 milliards de dollars. C’est de l’argent du secteur privé. J’ai sous les yeux un communiqué de presse de la semaine dernière de l’Independent Contractors and Businesses Association of British Columbia qui appuie le projet. Ce sont des entrepreneurs, pas des sociétés pétrolières indépendantes, ce sont les gens qui réalisent concrètement ces projets.

Ils ont dit ceci :

Le projet Trans Mountain de 7,4 milliards de dollars générera 5,7 milliards de dollars de recettes pour le gouvernement provincial et 922 millions de dollars supplémentaires en taxes municipales. Plus de 15 000 emplois seront créés dans le secteur de la construction, et il y aura des investissements en innovations énergétiques et en formation professionnelle pour les travailleurs du projet.

Donc, oui, j’espère que Kinder Morgan fera des bénéfices, mais surtout, étant donné — et non malgré — mes antécédents dans l’industrie énergétique, je suis bien placé pour savoir combien de taxes et de redevances cette industrie verse au gouvernement, des taxes et des redevances qui servent à aider des provinces comme la vôtre, la province de Québec.

La sénatrice Gagné : Je vous remercie de votre exposé.

L’avantage économique de ce projet est étayé par des données solides, que je ne conteste pas. Je viens du Manitoba et je sais pertinemment que nous avons profité des taxes et redevances versées par cette industrie.

Vous avez dit au cours de votre exposé que le pouvoir du Canada de déclarer un projet d’intérêt général pour le Canada a été invoqué plus de 400 fois. Parmi les projets de loi qui ont été utilisés pour ce faire, combien émanaient du Sénat? Ou venaient-ils tous de la Chambre des communes?

Le sénateur D. Black : Je l’ignore, je suis désolé. Je ne connais pas la réponse, mais je pourrais vous la trouver. Vraiment, je n’en ai aucune idée. Par contre, je sais qu’un certain nombre de ces projets de loi portaient principalement sur les voies ferrées qui traversent des frontières provinciales.

La sénatrice Gagné : Lors de son discours en seconde lecture, le sénateur Pratte a dit que, de toutes les déclarations d’intérêt général qui ont été faites jusqu’à présent, il n’y en a qu’une qui contient elle aussi les mots « ouvrages connexes », et elle remonte à 2014, ce qui est assez nouveau. Je n’ai pas fait de recherche là-dessus, et je ne sais donc pas si cette information est exacte, je ne fais que rapporter ce qu’il a dit. À votre avis, quelle est la portée de l’expression « ouvrages connexes »?

Le sénateur D. Black : Je dirai pour commencer que, d’après moi, l’alinéa 92.10c) nous oblige à reprendre les termes de cet article dans la déclaration. C’est ce que je pense. C’est l’article qui définit ce qu’il faut faire, et par prudence, il vaut mieux réutiliser les mêmes termes dans la loi. C’est la raison pour laquelle j’ai procédé de cette façon.

Qu’entend-on exactement par « ouvrages connexes »? Cette expression a un sens très large. Dans le cas de l’Énergie atomique du Canada, cela incluait même les relations de travail. L’expression ne se limite donc pas aux ouvrages matériels comme les routes, les ponts, les raccords d’eau, les raccords d’électricité ou des structures d’entreposage; elle comprend tout ce qui est relié à la construction, à l’entretien et à l’exploitation de l’ouvrage.

La sénatrice Gagné : Une petite question maintenant : quelles sont les conséquences de l’inclusion d’« ouvrages connexes » pour les provinces et les municipalités?

Le sénateur D. Black : Cela retire aux gouvernements provinciaux et municipaux le pouvoir de prendre des règlements en matière de construction, d’entretien et d’exploitation d’un pipeline. Autrement dit, c’est le gouvernement du Canada qui en a la compétence exclusive. Voilà malheureusement la situation dans laquelle nous nous retrouvons, à cause de toutes les actions qui ont été menées pour entraver le projet.

La sénatrice Gagné : Merci.

Le sénateur Plett : Merci, sénateur Black, de vos commentaires.

Je viens du Manitoba, et je pense que beaucoup de Manitobains éprouvent les mêmes sentiments que les Albertains à l’égard d’un gouvernement qui n’accorde pas nécessairement la même attention à toutes les régions de notre pays. Personnellement, j’éprouve tout à fait les mêmes sentiments que les Albertains à ce sujet-là.

Comme vous, j’espère vraiment que quelqu’un va faire des bénéfices avec ce projet. C’est comme cela que le monde tourne, quand les gens font de l’argent et qu’on n’a pas un déficit de 18 milliards de dollars.

Le 15 avril dernier, le premier ministre a déclaré que le projet d’expansion du pipeline Trans Mountain était d’un intérêt stratégique vital pour le Canada et que le gouvernement fédéral allait étudier les options législatives qui s’offraient à lui pour réaffirmer la compétence du gouvernement du Canada dans ce dossier. Jusqu’à présent, toutefois, ces belles paroles n’ont eu aucune suite.

Sénateur Black, avez-vous consulté des fonctionnaires pour préparer ce projet de loi?

Le sénateur D. Black : Merci, sénateur.

J’ai informé le bureau du ministre des Ressources naturelles et le cabinet du premier ministre. Je ne les ai pas consultés.

Le sénateur Plett : Nous sommes plusieurs à penser qu’informer et consulter, c’est la même chose, alors tant mieux si vous les avez informés.

Le sénateur D. Black : Je les ai informés.

Le sénateur Plett : Dans quelle mesure, sénateur, ce projet de loi risque-t-il de faire double emploi avec d’autres mesures législatives que le gouvernement entend proposer, enfin c’est ce qu’il a dit qu’il allait faire? Cela va-t-il faire double emploi? Sommes-nous aujourd’hui en train d’étudier un projet de loi S-245 qui, dans quelques mois, sera remplacé par une autre version du projet de loi S-245, à condition bien sûr que le gouvernement décide de se remuer un peu les fesses?

Le sénateur D. Black : Merci beaucoup, sénateur Plett, de cette excellente question.

Je pense et j’espère que le gouvernement fera exactement ce que je suis en train de faire et qu’il proposera des mesures législatives.

Le problème qui se pose est le suivant : si un projet de loi est en cours d’étude au Parlement, vous ne pouvez pas présenter un autre projet de loi similaire, qui a le même objectif et le même effet. Si c’est le cas, voilà le projet de loi que le gouvernement doit présenter s’il veut recourir à une déclaration d’intérêt général. Je me trompe peut-être, car je ne sais pas vraiment. Franchement, je serais ravi que le gouvernement du Canada m’appelle aujourd’hui pour me dire : « Sénateur Black, seriez-vous disposés, vous et le sénateur Neufeld, à retirer votre projet de loi du Sénat si nous présentons exactement le même à la Chambre des communes? » À ce moment-là, je proposerais de le parrainer au Sénat.

Si je fais cela, c’est uniquement parce que je suis convaincu que c’est dans l’intérêt national du pays.

Le sénateur Plett : Plusieurs d’entre nous sont d’accord avec vous, sénateur Black.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : J’ai beaucoup de questions. D’abord, bienvenue, monsieur Black. Dans les médias ce matin, un sondage révèle que les Canadiens sont majoritairement favorables à la construction de pipelines. Le Canada vend son pétrole de 20 à 30 p. 100 moins cher sur le marché américain. Le Québec paie 30 p. 100 plus cher son pétrole. Vous dites que ce serait le gouvernement qui devrait promouvoir ce projet de loi.

Pourquoi votre projet de loi ne concerne-t-il pas l’ensemble des pipelines à construire au Canada plutôt que celui de la Colombie-Britannique uniquement, si la problématique en matière de pétrole ne touche pas seulement la Colombie-Britannique ou l’Alberta, mais aussi tout le Canada? Je pense au projet d’oléoduc de l’Est qu’appuyait le gouvernement, et que celui-ci n’a pas eu le courage de mener à terme comme en Colombie-Britannique. Je sais qu’au Québec il y a d’autres possibilités de projets de pipeline. Pourquoi n’a-t-il pas appuyé un projet de loi général plutôt que spécifique?

[Traduction]

Le sénateur D. Black : Merci, sénateur, de votre question.

La loi dispose qu’une déclaration d’intérêt général doit porter sur un projet précis. Le pouvoir déclaratoire qui est prévu à l’article 92 de la Constitution ne peut pas avoir une portée générale, il doit être ciblé. Comme je l’ai dit en réponse à la question posée par mon collègue du Manitoba, ce pouvoir doit être spécifique, inclusif et explicite, c’est ce que dit la loi.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Le gouvernement fédéral est-il propriétaire d’autres pipelines? M. Trudeau a affirmé que le gouvernement participera au financement du pipeline, s’il le faut. Est-ce que le gouvernement fédéral a financé un autre pipeline au Canada dont il serait devenu en partie propriétaire?

[Traduction]

Le sénateur D. Black : Non, pas que je sache.

La sénatrice Bovey : J’aimerais poursuivre sur le même sujet, si vous le voulez bien. Merci, sénateur, de faire avancer les choses. Je voudrais revenir sur ce que vous avez dit à propos du Canada qui donnerait le message qu’il ferme la porte aux investisseurs.

Nous savons que le pipeline a été approuvé. Nous savons que l’industrie s’est abondamment exprimée. Nous savons que les environnementalistes ont été entendus. Nous savons qu’il y a eu beaucoup de consultations, et que le dossier dont nous sommes saisis revêt un intérêt national.

Je vais peut-être faire preuve d’une grande naïveté, mais j’aimerais savoir ce qui se passe en ce moment à la Chambre des communes, car j’ai entendu dire qu’ils avaient l’intention de proposer quelque chose. Si c’est le cas, comment votre texte et le leur seront-ils compatibles? J’essaie de savoir en quoi cela va contribuer au débat. Est-ce qu’on craint que la prolongation des discussions sur quelque chose qui a déjà été approuvé ne ralentisse tout le processus?

Le sénateur D. Black : C’est une très bonne question, pour ce qui est du processus. Je vous répondrai que je n’en sais rien car je n’ai pas été consulté par le gouvernement du Canada. Je pense que, d’un point de vue stratégique, si ce projet de loi est adopté par le Sénat, ils pourront dire que le Sénat a montré par là qu’il estime que cet ouvrage sert l’intérêt national du Canada, et ils pourront alors s’y rallier sans pour autant en avoir été le parrain. C’est ce que je pense.

La sénatrice Bovey : J’ai une autre petite question sur le même sujet.

Le sénateur D. Black : Vous voyez ce que je veux dire?

La sénatrice Bovey : Je vois ce que vous voulez dire. J’espère que vous arrivez à donner un sens à toute cette confusion, même s’il n’y en a pas vraiment une.

Le sénateur D. Black : Non, je ne pense pas qu’il y ait de confusion.

La sénatrice Bovey : J’aimerais maintenant vous poser une question au sujet des échéanciers. Quand on parle d’enjeux d’intérêt national, c’est tantôt sur le long terme, tantôt sur le très court terme, comme nous le constatons dans de nombreux aspects de la société canadienne. Pensez-vous qu’il s’agisse d’un dossier urgent, car il ne faudrait pas donner le message que le Canada ferme la porte aux investissements?

Le sénateur D. Black : Pour le moment, le projet est pour ainsi dire à l’article de la mort, étant donné que Kinder Morgan, qui est l’auteur du projet et qui est prête à débourser 7,4 milliards de dollars de son propre argent, déclare aujourd’hui qu’elle ne peut pas continuer, que le risque est trop élevé. L’entreprise a dit qu’elle avait besoin d’une réponse ferme d’ici au 31 mai.

À la suite des observations fort intéressantes de la sénatrice Galvez, je dirai que Kinder Morgan n’a pas besoin de notre argent. Cette entreprise a besoin de certitude pour pouvoir se prévaloir des approbations qu’elle a légitimement obtenues. Maintenant, si nous voulons lui offrir un filet de sécurité, il n’y a pas une entreprise que je connaisse qui refuserait, mais elle a besoin, avant tout, de certitude. J’estime que ce dossier est urgent, et que ce projet de loi doit être adopté par le Sénat le plus vite possible afin de pouvoir être renvoyé à la Chambre des communes. Si celle-ci estime elle aussi qu’il est urgent, tout peut être réglé d’ici au 31 mai. Je pense que Kinder Morgan se dira alors que le gouvernement fait preuve de fermeté et qu’elle a donc la certitude dont elle a besoin pour mener à bien son projet. C’est le pari que je fais, et l’espoir que je nourris.

Le président : Dans le cas contraire, l’entreprise peut-elle poursuivre le gouvernement fédéral pour tout l’argent qu’elle a consacré, au cours des cinq dernières années, à la préparation de ce projet? Elle a obtenu toutes les approbations nécessaires, et maintenant, elle ne peut plus rien faire. Peut-elle poursuivre le gouvernement fédéral? Que lui conseilleriez-vous de faire?

Le sénateur D. Black : Je vais retirer ma casquette de sénateur et prendre celle de l’avocat. Je mettrais ma main au feu que c’est ce qu’elle va faire, et qu’elle va aussi poursuivre le gouvernement de la Colombie-Britannique.

Le président : Sénateur Dawson, comment traduiriez-vous cette expression?

Le sénateur Dawson : Je ne peux pas vous le dire.

Le sénateur Manning : Merci, sénateur Black, de votre exposé ce matin.

Pour la gouverne du Canada et plus précisément celle de Terre-Neuve-et-Labrador, je sais pertinemment ce que l’industrie pétrolière signifie pour l’Ouest et pour l’intérêt national, et j’espère vraiment que tout le monde donnera le feu vert à ce projet. Vous venez de dire que ce dont avait besoin Kinder Morgan, ce n’est pas de l’argent mais de la certitude, et j’espère donc que l’adoption de ce projet de loi lui donnera cette certitude.

Le premier ministre Trudeau a dit que le ministre Morneau allait avoir des entretiens avec l’Alberta et Kinder Morgan afin de prendre les mesures nécessaires pour atténuer les risques en cas de retards. Qu’est-ce que cela veut dire exactement? Vous semble-t-il possible que le gouvernement prenne une participation financière dans le projet, afin de lui donner le feu vert dont nous avons besoin?

Le sénateur D. Black : Merci de votre question, sénateur.

Je souhaite évidemment que ce projet démarre, et, par conséquent, j’appuie tout ce qui doit être fait pour qu’il puisse démarrer. En général, je ne suis pas favorable à l’intervention des gouvernements dans les projets privés, parce que les gouvernements font souvent de mauvais choix. Nous ne devrions pas nous trouver dans cette situation. Nous ne devrions pas être ici alors que le gouvernement du Canada et le gouvernement de l’Alberta sont en train de voir comment on peut garantir les risques.

Qu’est-ce que cela signifie? Cela signifie des garanties en cas de retards. Des garanties en cas de litiges. Je ne sais pas jusqu’où cela peut aller, mais ce sont des centaines de millions de dollars de risque qui vont être transférés de l’entreprise au gouvernement. Puisqu’il le faut. Nous avons attendu trop longtemps, et maintenant, voilà où nous en sommes arrivés. Si c’est cela qu’il faut faire, il faut le faire. Et je sais qu’en Alberta, si c’est cela qu’il faut faire, le gouvernement a la volonté de le faire.

L’essentiel, cependant, c’est d’avoir cette certitude, parce que ce n’est pas en changeant simplement les modalités financières que le projet se réalisera. Tout ce que cela permettra de faire, c’est protéger Kinder Morgan. Le fardeau financier sera transféré de Kinder Morgan au gouvernement, mais nous continuerons d’avoir le même problème avec Burnaby et la Colombie-Britannique qui ont décidé de faire échouer le projet. C’est le problème auquel nous sommes confrontés, et nous essayons de le régler avec ce projet de loi.

La sénatrice Boyer : Merci, sénateur Black, de votre exposé fort intéressant.

J’aimerais vous poser quelques questions. Vous avez parlé de la communauté internationale et de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Je me demande si le principe du consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause a été respecté dans le cas des 20 p. 100 qui n’ont pas signé une entente sur les répercussions et les avantages.

Le sénateur D. Black : Merci, madame la sénatrice.

Je n’ai pas de réponse précise, mais ce que je suppose, c’est que les 20 p. 100 qui n’ont pas signé d’entente se sont vu proposer les mêmes possibilités, les mêmes consultations, les mêmes réunions que tous les autres groupes. Ils ont simplement choisi, pour des raisons commerciales ou autres, de ne pas signer ces ententes, c’est tout.

La sénatrice Boyer : Et vous pensez que le principe du consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause a bien été respecté?

Le sénateur D. Black : C’est ce que je suppose. Comme le disait tout à l’heure la sénatrice Galvez, je viens de l’industrie énergétique, et j’en suis fier. J’ai apporté une contribution importante, je pense, à nos politiques énergétiques des dernières décennies, et j’observe que les consultations menées par Kinder Morgan sont devenues la norme pour les consultations sur les pipelines. J’observe aussi que d’autres méthodes ont été utilisées. Je n’en dirai pas plus. Le leader de Kinder Morgan au Canada, un certain Ian Anderson, mérite à mon avis d’être béatifié, car il n’a ménagé aucun effort pour consulter les municipalités, les Premières Nations, les entrepreneurs, les syndicats et toute la gamme des parties prenantes.

Vous n’aurez jamais l’appui de la totalité des gens à votre projet. C’est tout simplement impossible. Eux, ils ont réussi à obtenir l’accord de 80 p. 100 des groupes, dans le cadre d’ententes qui représentent apparemment 400 millions de dollars d’avantages pour les Premières Nations, sans compter les possibilités d’emploi, qui s’ajoutent à cela. Sans compter non plus les municipalités comme celle de Kamloops qui va avoir un nouveau centre sportif. Je n’ai pas de détails là-dessus, mais je sais que c’est le genre de structure qui a été construite le long du trajet.

J’estime que les consultations ont été exhaustives. Vous qui êtes une éminente avocate canadienne, vous savez, notamment depuis l’arrêt Clyde River — qui est fascinant à lire, mais c’est bien sûr le point de vue d’un avocat — et l’arrêt Thames, que la Cour suprême du Canada a statué très clairement qu’il fallait avoir des consultations ouvertes et sérieuses. C’est essentiel. Je crois que Kinder Morgan répondra tout à fait à ces critères.

La sénatrice Boyer : La cour a également statué que l’ampleur de la consultation doit dépendre de la profondeur de l’impact sur les droits des Autochtones, tels qu’ils sont protégés à l’article 35.

Le sénateur D. Black : Je suis tout à fait d’accord avec cette analyse.

La sénatrice Boyer : Merci, sénateur Black.

[Français]

La sénatrice Verner : J’aimerais d’abord préciser que je ne suis pas membre de ce comité, mais qu’à titre de sénatrice, je souhaite participer au débat. Je saisis la balle au bond, sénateur, en vous disant que vous pouvez être fier de votre contribution à l’institut que vous avez fondé sur les politiques liées à l’industrie pétrolière.

Vous avez abordé la question du ressentiment des citoyens face à ce projet dans l’Ouest, plus spécifiquement en Alberta. Ce sont des considérations politiques, mais, contrairement à ce que d’autres ont affirmé, je pense que la priorité de cet enjeu, c’est son caractère économique.

Il est de l’intérêt national de s’assurer qu’une entreprise qui vient investir et qui a franchi toutes les étapes pour obtenir son certificat ne se voit pas retirer son droit de le faire. Au chapitre juridique et économique, c’est un non-sens et, à mon avis, c’est une tache sur la réputation du pays sur la scène internationale.

Cela dit, que répondez-vous à ceux qui affirment que l’adoption d’une loi, telle que vous la proposez, pourrait être contestée devant les tribunaux, ce qui aurait comme conséquence de retarder une fois de plus le projet?

[Traduction]

Le sénateur D. Black : Je comprends tout à fait, et c’est la raison pour laquelle, il y a quelques mois, quand j’ai proposé ce projet de loi, j’ai dit que la première chose à faire, c’était que le gouvernement du Canada l’approuve et qu’il le renvoie à la Cour suprême du Canada pour qu’on en ait le cœur net. Un recours a maintenant été introduit auprès de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique, qui va bien entendu aboutir à la Cour suprême du Canada. C’est ce qu’ils ont prévu. Donc, ce que je ferais, c’est renvoyer immédiatement la question à la Cour suprême du Canada dès que le gouvernement du Canada en a le pouvoir.

Ce matin, dans The Hamilton Spectator, j’ai lu, dans un éditorial, que cela s’était apparemment déjà fait en 1975, lorsque le Sénat et la Chambre des communes ont adopté le contrôle des prix et des salaires. Apparemment, dès qu’ils ont adopté le projet de loi, ils l’ont renvoyé à la Cour suprême du Canada. De même, dans le renvoi au Sénat, il y a deux ou trois ans, le premier ministre a renvoyé certaines questions à la Cour suprême, laquelle a accéléré la procédure.

Je ne peux pas me prononcer au nom de la Cour suprême, mais je pense qu’elle décidera dans ce cas d’une procédure accélérée, parce qu’elle est consciente des conséquences. C’est mon opinion, sénatrice.

[Français]

La sénatrice Verner : Vous avez tout de même parlé d’une date butoir du 31 mai. Or, je me demandais si les choses peuvent se faire aussi rapidement.

Le dernier point que je voulais soulever, c’est que vous avez probablement lu...

[Traduction]

Le sénateur D. Black : Puis-je dire un mot là-dessus? D’ici au 31 mai, vous ne pourrez pas avoir un renvoi à la Cour suprême du Canada et une décision, et Kinder Morgan a dit qu’elle voulait de la certitude. Qu’elle voulait un plan. À mon avis, si on lui propose un plan qui offre suffisamment de bon sens et de certitude, elle va dire : « D’accord, allons-y. » Merci, madame la sénatrice.

[Français]

La sénatrice Verner : Vous avez probablement lu dans le Globe and Mail du 13 avril un article de John Ibbitson qui proposait une analyse intéressante et en venait à la conclusion que si le projet devait faire face à un échec, les provinces pouvaient devenir des régions économiques autonomes qui ne désireraient plus collaborer à la construction d’infrastructures communes nécessaires au développement et à la prospérité du Canada. On a parlé de conséquences économiques sérieuses, mais celle-là est peut-être encore plus pointue. J’aimerais connaître votre opinion à ce sujet.

[Traduction]

Le sénateur D. Black : C’est tout à fait le risque auquel nous faisons face, auquel s’ajoute celui d’avoir encore plus de pétrole transporté par voie ferrée. La dernière nouveauté, c’est de faire transporter du pétrole par camions, mais personne ne pense que c’est une solution très sûre.

La sénatrice McCoy : Je vous remercie de votre exposé, sénateur Black. C’était très bien fait.

Je vais mettre cartes sur table à l’intention de ceux qui regardent nos délibérations. Je viens de l’Alberta, et mon objectif est donc de faire comprendre aux autres ce qu’est l’intérêt national. Cela ressemble beaucoup, à mon avis, au grand débat sur le pipeline qui a eu lieu dans les années 1960. C’est à cette époque que nous avons construit le gazoduc TransCanada. Après des débats particulièrement houleux à la Chambre des communes et au Sénat, il a été décidé qu’il était dans l’intérêt national de construire ce pipeline jusqu’à l’Atlantique, mais le gazoduc s’est finalement arrêté à Montréal.

Le président : Et ça recommence.

La sénatrice McCoy : Et ça recommence.

Je voudrais dire rapidement quelques mots au sujet du PDG de Kinder Morgan. Je me souviens l’avoir rencontré il y a 10 ans, alors qu’il revenait d’un périple sur le terrain. À cette époque, il passait 80 p. 100 de son temps dans les réserves, à s’entretenir en tête-à-tête avec les chefs. Il négociait avec les gens et restait plusieurs jours avec eux. Il a vraiment montré aux autres dirigeants de l’industrie comment il fallait faire. Certains d’entre eux n’ont toujours pas compris. Je suis tout à fait d’accord.

Il y a une chose dont on n’a pas beaucoup parlé et sur laquelle j’aimerais vous interroger. Certaines des informations économiques qu’on nous transmet sont un peu faussées, soit parce qu’elles ne concernent que ce que reçoit l’Alberta, soit parce qu’elles ne concernent que ce que reçoit l’entreprise. Toutefois, il y a beaucoup d’autres flux de recettes, et on en a parlé. Ce dont on n’a pas vraiment parlé, ce sont les recettes que va toucher le gouvernement fédéral.

Je me souviens d’avoir examiné, il y a quelques années, les flux de recettes provenant des sables bitumineux et d’avoir été surprise de constater que le gouvernement fédéral percevait presque autant, sinon plus, de recettes des sables bitumineux que l’Alberta. Je tiens compte des redevances, puisqu’ils ont leurs propres redevances là-dessus, et des impôts sur les entreprises et les sièges sociaux. Chaque fois qu’un siège social déménage ou réduit la voilure, c’est un manque à gagner pour le Canada. Ce qu’il faut savoir, c’est que ce sont des recettes qui vont dans les coffres fédéraux, et que c’est le Trésor fédéral qui finance les paiements de transfert.

J’aimerais savoir quel montant le gouvernement fédéral perçoit qui permet au Québec d’avoir un système de garderies presque gratuit, grâce aux paiements de transfert que le Canada verse à certains de nos collègues. Nous estimons que nous devrions tous avoir le même niveau de vie, dans toutes les régions du pays

Le président : Attendez-vous une réponse?

La sénatrice McCoy : Je voudrais connaître ce montant. Quel est-il?

Le président : Très bien. Connaissez-vous ce montant?

Le sénateur D. Black : Je crois que nous nous avançons sur un terrain très glissant.

Le président : Vous pouvez faire mieux, sénateur Black.

La sénatrice McCoy : Voulez-vous prendre le temps d’y réfléchir?

Le sénateur D. Black : Me demandez-vous quelle somme a été versée à la province de Québec sous forme de paiement de transfert, l’an dernier?

La sénatrice McCoy : Non. Je veux savoir quelle part des recettes fédérales ces projets, et celui-ci en particulier, représentent. Je suppose que c’est une part considérable des recettes générales, et qu’ils servent aussi à rembourser notre déficit et notre dette.

Le sénateur D. Black : Je vous ferai parvenir cette information, sénatrice, mais je peux vous dire que cela représente, au final, des milliards de dollars. Je sais que l’an dernier, grâce à la péréquation, le Québec a reçu environ 12 milliards de dollars. L’Ontario a reçu 1 milliard de dollars. Et cela, au plus fort des difficultés économiques de l’Ouest. J’ignore si cela a servi à financer le programme de garderies, mais c’est le chiffre exact. J’ajouterai également — et vous serez sans doute d’accord avec moi puisque vous venez de l’Alberta — que les Albertains sont contents de pouvoir y contribuer. Cela ne fait aucun doute.

La sénatrice McCoy : C’est l’un des grands principes du Canada, que j’appuie tout à fait.

Le sénateur D. Black : Nous voulons simplement continuer d’être capables de contribuer à ce système.

[Français]

Le sénateur Cormier : Je vais poser ma question en français.

Merci, sénateur Black, de votre présentation. Je comprends effectivement les enjeux qui sont en cours. En fait, peut-être devrais-je poser ma question à des constitutionnalistes. Elle est plutôt d’ordre politique et porte sur les relations fédérales-provinciales. J’essaie de bien comprendre, compte tenu de ce qui s’est passé avec le projet d’oléoduc Énergie Est et de la position de certaines provinces. Quel serait l’impact de ce projet si le gouvernement fédéral exerçait son pouvoir? Quel serait l’impact de façon rétroactive, à votre avis, sur les relations fédérales-provinciales, lorsqu’on pense à ce qui s’est passé avec le projet d’oléoduc Énergie Est? J’essaie de saisir l’enjeu pour le gouvernement fédéral dans l’évolution de ce projet en ce qui a trait à ses relations avec les provinces.

[Traduction]

Le sénateur D. Black : Merci beaucoup de votre question, sénateur.

Il ne faut pas oublier qu’Énergie Est n’avait pas reçu l’approbation pour construire le pipeline. Ils ont poussé leur projet jusqu’à ce qu’ils rencontrent trop d’obstacles et reconnaissent que cela ne se fera jamais.

Trans Mountain, elle, a reçu l’approbation non seulement du gouvernement du Canada et de l’Office national de l’énergie, mais aussi du gouvernement de la Colombie-Britannique. Elle a obtenu son permis de conduire, pour ainsi dire, et maintenant on lui dit qu’elle ne peut pas conduire. Dans le cas d’Énergie Est, c’était un petit peu différent. Le projet a été annulé avant d’en arriver là.

D’un point de vue constitutionnel, je pense que cela réaffirmera la nécessité d’assurer la libre circulation des biens et des services dans notre pays. C’est mon opinion. J’estime que nous devrions pouvoir transporter librement des produits d’une province à l’autre. Beaucoup ne sont pas d’accord avec cela, y compris la Cour suprême du Canada, mais j’estime que nous devrions avoir le droit de transporter du pétrole de l’Alberta vers une autre province, la vôtre par exemple.

Je sais que ce n’est pas la question que vous m’avez posée, mais votre province importe du pétrole. Le Canada atlantique et le Québec importent 700 000 barils de pétrole par jour au prix mondial, alors que nous pourrions leur vendre le nôtre. C’est invraisemblable, mais c’est un autre débat.

Pour en revenir à votre question, je dirai que Trans Mountain et Énergie Est ne sont pas comparables parce que Trans Mountain a reçu l’approbation alors qu’Énergie Est ne l’a jamais reçue.

Le sénateur Dawson : Je tiens à vous dire, sénateur Black, que je vais vous appuyer. Ma collègue, Josée, et mes autres collègues du Québec ont participé activement à deux référendums pour convaincre les Québécois qu’il était dans leur intérêt de continuer de faire partie du Canada. Je n’ai pas honte de dire que je pense aussi que c’est dans leur intérêt, et vous venez d’en donner un parfait exemple.

Il y a deux choses qui me déplaisent. La première, c’est la lenteur du gouvernement à réagir. Je trouve qu’il devrait prendre des mesures sans tarder. La deuxième, et j’aimerais avoir votre opinion là-dessus, c’est cette date butoir artificielle du 31 mai. Pourquoi avons-nous accepté un délai aussi serré? Que se passera-t-il si, pour toutes sortes de raisons, l’adoption du projet de loi est retardée, ici ou à la Chambre des communes? Que ferons-nous alors? Devrons-nous faire marche arrière?

Le sénateur D. Black : Je vous remercie, sénateur. Votre question est à la fois pertinente et compliquée.

J’ai déjà eu l’occasion de dire que Kinder Morgan serait sans doute satisfaite si l’on pouvait lui assurer qu’elle recevrait finalement le feu vert. Il n’est donc pas nécessaire que tous les détails soient réglés d’ici le 31 mai. Voilà un premier point.

On peut également se demander la raison de cette date butoir du 31 mai. Je suis en fait assez surpris que Kinder Morgan n’ait pas engagé la procédure il y a presque un an, après le changement de gouvernement en Colombie-Britannique, et le changement de ton. Je suis surpris qu’elle n’ait pas entamé plus tôt les démarches, mais c’est un fait qu’elle n’a pas réagi à l’époque.

D’après moi, l’entreprise a vu se développer un mouvement de désobéissance civile. Elle a entendu ce que disaient les dirigeants du mouvement, c’est-à-dire les dirigeants de mouvements écologistes, ainsi que les personnes payées pour faire obstacle au pipeline, et dont l’action est financée par des intérêts américains. Les responsables de l’entreprise ont compris que leur situation risquait de devenir intenable. Je crois pouvoir dire que leurs employés ont fait l’objet de harcèlements qui les ont obligés à quitter leur poste de travail. C’est une toute petite communauté, et la situation devenait intenable tant les employés se sentaient menacés. On les menaçait sur leur lieu de travail. Leur sécurité était assurée par la GRC, mais il est arrivé un moment où l’on s’est dit : « Ça ne peut pas durer comme ça. On ne peut pas prendre ces risques. »

C’est une grande entreprise, mais son objectif est de construire des pipelines non d’édifier une nation. On ne peut pas s’attendre à ce qu’elle règle les problèmes qui se sont accumulés au cours des 150 dernières années. L’entreprise a pour unique objectif la construction d’un pipeline, afin d’accroître la capacité de l’oléoduc actuel. Or, ses responsables estiment ne pas pouvoir faire face à la présente situation.

Pour des questions de personnel, je pense que le délai qui a été fixé ne peut pas être tenu. C’est du moins mon point de vue. Je pense, cependant, que si, le 31 mai, on entrevoit clairement une possibilité de conciliation qui préserve les intérêts de l’entreprise, un accord sera possible.

La sénatrice Raine : Je vous remercie, sénateur Black, d’avoir déposé ce projet de loi.

Vous n’avez pas beaucoup parlé de l’augmentation du trafic routier et ferroviaire. J’habite moi-même la région de Kamloops, et je me souviens qu’à l’époque où ils ont construit le pipeline, il était question de prévoir une emprise, dont les canalisations n’occuperaient qu’une moitié, l’autre étant mise en réserve jusqu’au jour où les canalisations auraient à être remplacées. Cela me paraît logique.

Je trouve tout cela très frustrant, et, d’après moi, il y a en Colombie-Britannique de nombreuses personnes qui ne prennent aucune part aux manifestations, et qui ne comprennent pas que le projet d’oléoduc puisse être bloqué par un si petit groupe de personnes. Les militants réunissent quelques centaines de personnes à Burnaby, dans le Lower Mainland de la province, pour capter l’attention des médias en agitant les pancartes qu’on leur a distribuées. Or, ces personnes ne représentent pas la Colombie-Britannique.

Auriez-vous les chiffres de l’augmentation du trafic routier? Lorsque je me rends au Sénat, je dois m’arrêter à un passage à niveau et, parfois, j’attends 10 minutes en regardant passer les wagons-citernes remplis de pétrole. Comme vous le savez, au Canada on a commencé par construire les lignes de chemin de fer, et les villes et villages se sont développés le long des lignes qui, souvent, traversent l’agglomération. Nous nous souvenons tous de la tragédie qui a eu lieu à Lac-Mégantic. Or, il ne s’agit pas uniquement du chemin de fer, mais également des transports routiers. Les camions n’emprunteront pas en effet l’autoroute de Coquihalla, mais suivront, comme le chemin de fer, la route tortueuse qui longe la vallée du Fraser. Un accident du chemin de fer dans cette partie de la province entraînerait de graves conséquences pour le saumon du fleuve Fraser, et parfois la simple pensée de combien cela attiserait un feu de forêt m’empêche de dormir.

Avez-vous des chiffres sur l’augmentation du trafic qui en résultera? Si vous ne les avez pas en tête, pourriez-vous nous les obtenir?

Le sénateur D. Black : Bien sûr. Votre question est tout à fait pertinente. C’est, effectivement, quelque chose qui trouble notre sommeil à tous.

À Toronto, les trains passent à côté de là où habite mon fils. La fin de semaine dernière, j’ai vu passer, en plein Toronto, un train de 75 wagons-citernes remplis de pétrole. À Canmore, où j’habite, il m’est arrivé de voir passer un train de 140 wagons qui, à partir de Canmore, s’en allait vers l’Ouest en passant par le col Rogers. C’est invraisemblable.

Je crois savoir que le transport de pétrole par chemin de fer va cette année augmenter de 20 p. 100. J’y vois une régression, car c’est une baisse de 20 p. 100 que l’on devrait envisager. Bien sûr, le pétrole doit être acheminé, et il finira par l’être.

Le sénateur Oh : Je tiens, sénateur Black, à vous remercier pour votre exposé.

Je me suis joint aujourd’hui aux membres du comité. Dans cette affaire, je garde l’esprit ouvert. Nous savons tous que le pipeline en question va être financé par Kinder Morgan, et qu’il n’en coûtera rien au contribuable. Le gouvernement fédéral n’est pas appelé à participer financièrement à sa construction. Le pipeline avait reçu les autorisations nécessaires, mais des obstacles sont ensuite survenus. Or, nous savons pertinemment que le pipeline sera en fait bon pour l’environnement, car il permettra de réduire le trafic routier et ferroviaire. À quoi riment toutes ces difficultés que l’on fait en coulisse? Existerait-il en fait un meilleur projet que nous ignorions tous? Est-ce pour la galerie qu’on s’active ainsi contre les intérêts du Canada?

Le sénateur D. Black : Je vous remercie de poser la question.

C’est pure conjecture de ma part, mais il y a un certain nombre de fondations américaines qui estiment — et en disant cela je n’entends aucunement mettre en cause leur position. J’admets les divers points de vue, même si je ne suis pas d’accord. Or, ces fondations estiment en fait que l’on devrait mettre fin à l’exploitation des sables bitumineux de l’Alberta. Elles considèrent que le meilleur moyen d’y parvenir est d’empêcher l’acheminement du pétrole par oléoduc. Cette stratégie, assez efficace je dois dire, les a fait s’en prendre successivement à plusieurs pipelines, et elles sont sorties victorieuses de chacun des combats qu’elles ont menés. Or, elles aperçoivent désormais la lumière au bout du tunnel, c’est-à-dire qu’elles pensent pouvoir empêcher l’acheminement du bitume vers les marchés en empêchant la construction de nouveaux oléoducs.

Kinder Morgan en est parfaitement consciente. C’est pour cela que l’opposition au pipeline s’est renforcée, car les opposants estiment qu’en l’emportant sur Kinder Morgan, en l’empêchant de doubler l’oléoduc Trans Mountain, ils vont non seulement gagner la bataille, mais gagner la guerre. C’est du moins mon sentiment, et j’interpréterais ainsi la situation bien avant d’être nommé au Sénat.

Le foyer d’opposition est là. Comme la sénatrice Raine l’a fait remarquer, en Colombie-Britannique, ce n’est pas le citoyen moyen qui s’oppose à Kinder Morgan. En effet, d’après les sondages, la population est plutôt favorable à la construction de cet oléoduc. L’opposition est le fait d’un groupe d’écologistes radicaux.

Le sénateur Oh : Qui va, en cela, à l’encontre de l’intérêt national.

Le sénateur D. Black : C’est bien mon avis.

Le président : Toutefois, à supposer que l’on parvienne à bloquer l’oléoduc, ne va-t-on pas tenter de s’en prendre ensuite au transport ferroviaire? Ce que l’on vise, ce n’est pas tellement l’oléoduc, car le but est de liquider l’industrie du pétrole.

Le sénateur D. Black : C’est exact. Et aussi le transport routier.

Le président : Nous allons passer maintenant à notre seconde série de questions.

La sénatrice Galvez : Selon de récentes informations, la Chine commence à se détacher de l’énergie fossile. Or, l’oléoduc était censé transporter le bitume jusqu’à l’océan, pour qu’il puisse être acheminé vers l’Asie. L’Inde a elle aussi engagé la transition vers les énergies renouvelables. À l’heure actuelle, 99 p. 100 du pétrole provenant de nos sables bitumineux est exporté vers les États-Unis. Or, les États-Unis sont en passe de devenir un exportateur net de pétrole. Cela aura sans doute une incidence sur les avantages économiques que présente le projet Trans Mountain. Qu’en pensez-vous? Si l’Asie et les États-Unis abandonnent progressivement l’énergie fossile, à qui va-t-on vendre notre pétrole?

Le sénateur D. Black : Je vous remercie, sénatrice Galvez.

Sénatrice, ce n’est pas comme cela que je vois la situation. Ce que vous dites là n’est pas exact.

Permettez-moi de citer un document sur les perspectives énergétiques, publié il y a trois mois par ExxonMobil sous le titre A View to 2040. Selon ce document :

[...] une croissance rapide de la population mondiale et l’augmentation du niveau de vie dans les pays en développement…

— c’est-à-dire l’Inde et la Chine —

… va, entre 2016 et 2040, entraîner une augmentation d’environ 25 p. 100 de la demande énergétique mondiale.

De ces 25 p. 100, le pétrole et le gaz répondront, à hauteur de 55 p. 100, aux besoins énergétiques mondiaux. C’est dire que, d’après ExxonMobil, dont les prévisions sont confirmées par Shell et par Chevron, dans les pays que vous venez d’évoquer, l’Inde et la Chine, la demande en matière de pétrole et de gaz va continuer à augmenter alors qu’on aura atteint le pic pétrolier.

Sur ce point, vous n’avez donc pas raison.

La sénatrice Galvez : Mais cela ne veut aucunement dire qu’ils s’approvisionneront en pétrole auprès de Kinder Morgan. Kinder Morgan a-t-elle passé des contrats avec un pays asiatique?

Le sénateur D. Black : Je suppose que oui. Je n’en suis pas certain, car il s’agit là de renseignements que les entreprises gardent pour elles, mais, madame la sénatrice, Kinder Morgan n’est pas une société pétrolière. Son activité commerciale consiste à construire des oléoducs. C’est aux propriétaires du pétrole qu’il appartient de le vendre. C’est pourquoi j’imagine que les personnes qui ont signé des contrats avec Kinder Morgan ont déjà trouvé des acheteurs pour le pétrole qui va être transporté par l’oléoduc.

La sénatrice Galvez : On peut imaginer bien des choses.

Le sénateur D. Black : Je doute fort que l’entreprise agisse en cela de manière spéculative. Ce dont je suis certain, par contre, c’est que si nous ne construisons pas le pipeline, nous ne vendrons pas notre pétrole et nous ne pourrons pas profiter de la conjoncture.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Quelqu’un a demandé tout à l’heure quel était le nombre de wagons utilisés par année pour transporter le pétrole au Canada. J’aimerais préciser que ce même comité a fait un rapport il y a deux ans sur le transport du pétrole. En 2015, on calculait 400 000 wagons par année et on prévoyait, au tournant des années 2020 et 2025, 800 000 wagons. Il s’agit là d’un volume assez important.

J’enchaîne maintenant avec ma question : le Canada est-il autosuffisant en ce qui concerne l’approvisionnement en pétrole raffiné? Ma question ne vise pas précisément le projet de loi, mais j’aimerais savoir si l’on importe aussi du pétrole raffiné par les Américains. Est-ce que le Canada ne subit pas là une perte économique en transportant du pétrole brut et en rachetant du pétrole raffiné?

L’avenue souhaitée ne serait-elle pas celle de s’interroger sur le fait de savoir si, au Canada, on a besoin d’une raffinerie pour faire en sorte que les profits restent au pays au lieu d’être encaissés par les Américains? On envoie notre pétrole brut aux États-Unis pour qu’ensuite ils nous le retournent sous la forme de pétrole raffiné; je crois qu’il y a là un manque de cohérence.

[Traduction]

Le sénateur D. Black : Vous avez raison. Non seulement cela, mais les producteurs canadiens d’essence perdent actuellement des parts de marché en raison de l’essence importée des États-Unis par l’Ontario. Nous avons l’air bête.

Le président : Nos plus grandes installations de raffinage se trouvent dans les Maritimes, et l’oléoduc Energy Est leur aurait été très utile. À l’heure actuelle, les raffineries de l’Est du Canada doivent raffiner du pétrole provenant d’ailleurs, l’essence étant vendu en partie à nous, mais en majorité aux États-Unis. C’est une situation à peine croyable.

[Français]

La sénatrice Verner : J’aimerais faire une correction à titre de sénatrice du Québec. On a parlé de la péréquation et, comme l’a mentionné mon collègue, le sénateur Dawson, nous sommes très conscients au Québec du fait que nous sommes le plus important destinataire de la péréquation.

J’aimerais toutefois ajouter que, selon le Conference Board du Canada, tel qu’il l’a affirmé en 2016, les Québécois sont également les plus taxés au Canada. Alors, la conclusion selon laquelle la péréquation permet d’offrir des services de congés parentaux et de garderie au Québec me semble un peu simpliste, et je voulais la corriger. Il y a des nuances à apporter. Je sais, sénateur Black, que vous approuvez mon propos à ce sujet, mais c’est une correction que je voulais inscrire au compte rendu.

[Traduction]

Le président : N’est-ce pas en raison d’une certaine perversité de la formule que la province qui a le taux d’imposition le plus élevé touche le plus en matière de paiements de péréquation? C’est bien cela, pourtant. Si, donc, votre taux d’imposition est moins élevé, cela veut dire, selon la formule de péréquation, que vous n’avez pas besoin d’argent et l’argent va donc aux provinces où les impôts sont les plus élevés. L’Alberta devrait ainsi porter à 55 p. 100 son taux d’imposition. Elle verrait bientôt l’argent lui revenir.

Le sénateur D. Black : Je dois dire que je suis tout à fait d’accord avec votre analyse. Vous avez pu voir que dans mes commentaires je me suis montré très prudent, non seulement parce que je suis d’un naturel prudent, mais aussi parce que c’est, pour l’Alberta, une très bonne chose que de pouvoir tant contribuer à la puissance économique de notre pays.

La sénatrice Raine : La semaine dernière, plusieurs sénateurs ont organisé une très bonne séance d’information réunissant les principaux acteurs du secteur du pipeline et du transport maritime des produits pétroliers. J’ai été assez déçue de voir le faible nombre de parlementaires qui s’y sont rendus, mais je sais bien que tout le monde est fort occupé. J’y ai moi-même assisté, et ce que j’ai appris n’a fait que confirmer ce que je savais déjà, c’est-à-dire qu’en matière de sécurité des pipelines, le Canada se situe à l’avant-garde de la technologie, et que cela est également vrai de nos modes de production de pétrole et de gaz ainsi que des mesures de protection de l’environnement.

Pourriez-vous nous dire quelque chose à ce sujet puisqu’il semble y avoir, sur ce plan, une sorte de dichotomie. En effet, bien que notre production pétrolière soit particulièrement axée sur la protection de l’environnement, nous ne parvenons pas à vendre notre pétrole. C’est ainsi que, dans l’Est du Canada, on est obligé d’importer du pétrole de pays qui sont beaucoup moins soucieux que nous de l’environnement. Cela va à l’encontre de l’intérêt national.

Je sais par ailleurs qu’avec sa croissance démographique et l’augmentation du niveau de vie de sa population, la Chine compte beaucoup sur le charbon comme source énergétique. Or, la combustion du charbon est, pour l’environnement, bien pire que la combustion du pétrole ou du gaz.

Pourriez-vous nous dire les conséquences qu’entraînerait le fait de ne pas pouvoir acheminer notre pétrole vers les marchés?

Le sénateur D. Black : Je crois savoir que l’année dernière la Chine a autorisé la construction de 100 nouvelles centrales à charbon. C’est un fait, et je n’ai donc aucune peine à répondre à votre question.

L’année dernière, nous avons entendu les représentants des administrations canadiennes de pilotage et des organismes appelés à intervenir en cas de déversement d’hydrocarbures, tous relevant du gouvernement du Canada. Je peux à cet égard vous citer trois chiffres. D’abord, le bilan de sécurité des oléoducs installés au Canada atteint 99,99 p. 100, chiffre que personne ne conteste désormais. L’autorité de pilotage a déjà eu l’occasion de dire qu’en matière de déversement de pétrole dans les eaux canadiennes, là encore le bilan de sécurité est de 99,9 p. 100 en ce qui concerne les déversements auxquels l’autorité de pilotage a dû faire face. S’agissant de pétrole lourd, je peux vous assurer que le bilan de sécurité atteint 100 p. 100.

[Français]

La sénatrice Gagné : Compte tenu des commentaires de la sénatrice Raine, j’aimerais dire que les déversements sont tout de même une réalité dans le contexte du transport pétrolier. Il ne faut pas le perdre de vue, même si nous disposons de la technologie pour minimiser les risques.

Ma question est la suivante. Est-ce que le ratio coûts-bénéfices est équilibré entre l’Alberta et la Colombie-Britannique? Seriez-vous d’accord pour dire que l’Alberta bénéficiera de ce projet, mais que c’est la Colombie-Britannique qui prendra les risques environnementaux?

[Traduction]

Le sénateur D. Black : Non, je ne suis pas d’accord. Je pars du fait que, en ce qui concerne l’acheminement du pétrole par cet oléoduc, les risques sont minimes. Vous pouvez toujours vérifier, et sans doute allez-vous le faire, mais vous verrez que le bilan de sécurité se chiffre effectivement à 99,9 p. 100. C’est dire que les quantités déversées sont extrêmement faibles. La probabilité d’un déversement est donc de 0,1 p. 100, mais je tiens à préciser qu’une éventuelle fuite pourrait tout aussi bien se produire en Alberta. La fuite peut en effet se produire au point de départ, et la rupture d’un oléoduc pourrait bien sûr avoir lieu en Alberta. Je ne suis donc pas d’accord avec ce que vous venez de dire.

La sénatrice Gagné : Mais qu’en est-il des déversements provenant d’un pétrolier?

Le sénateur D. Black : Dans la zone contrôlée par l’autorité de pilotage, il n’y a pas eu de déversement provenant d’un pétrolier, mais un tel déversement n’affecterait naturellement pas directement l’Alberta.

N’oublions pas, cependant, que ces navires ont une double coque. J’ajoute qu’ils ont à bord non pas un pilote, mais deux. C’est dire l’étendue des précautions qui sont prises. Ainsi que l’a fait remarquer la sénatrice Greene Raine, il ne fait aucun doute que selon tous les critères de sécurité et de gestion de l’environnement, le Canada est en pointe. Cela vous satisfait-il? Je n’en suis pas certain, mais nous sommes en pointe par rapport à toutes les normes. J’ai 1 000 fois dit que la côte de la Colombie-Britannique est aussi la mienne et que je souhaite moi aussi la voir protéger.

Le sénateur Mercer : Merci, sénateur Black. Je vous demande d’excuser mon retard. Nous avons tous fort à faire.

Je voudrais préfacer ma question en disant qu’il est lassant de voir le Canada toujours faire le boy scout. Nous nous attachons à respecter les règles en vigueur. Nous faisons invariablement primer, non pas nos intérêts, mais le fait d’agir comme il se doit. Notre intérêt est pourtant de parvenir à vendre le pétrole que nous avons la chance de pouvoir extraire en Saskatchewan et en Alberta, à Terre-Neuve-et-Labrador. Or, nous continuons à respecter les règles du jeu et, même lorsque nous vendons notre pétrole, c’est à prix réduit que nous le vendons aux Américains. Les Canadiens ne comprennent pas pourquoi il en est ainsi, et je voudrais qu’on leur explique que le pétrole que nous vendons aux Américains, nous le vendons au prix du brut West Texas, c’est-à-dire à un prix réduit par rapport aux prix sur les marchés internationaux. Or il nous faudrait acheminer notre pétrole jusqu’à l’océan afin de pouvoir le vendre aux cours mondiaux.

Bon, on continue à entendre parler de cette campagne d’opposition à l’oléoduc, financée de l’étranger. Comme on dit dans les films :  « Je voudrais bien voir l’argent. » Je voudrais, en l’occurrence, voir les preuves de ce qu’on affirme. Quelqu’un a-t-il des preuves de l’origine du financement des groupes qui s’opposent à la construction du pipeline, et au développement de notre pays?

Le sénateur D. Black : Je suis heureux que vous souleviez la question. Il y a deux points que je voudrais faire valoir.

D’abord, comme j’ai régulièrement l’occasion de le dire lorsque j’évoque ce sujet, il n’y a aucun pays qui ne fait pas tout le nécessaire pour assurer l’exportation de sa production. Or, au Canada, cela n’est pas notre fort. Qu’il s’agisse de canola, de blé, de céréales ou de pétrole, nous arrivons toujours à justifier une certaine réticence, ce qui, comme vous l’avez fait remarquer, est chose plutôt rare.

Je n’ai, à ce sujet, aucune information précise, car je ne me suis guère penché sur la question, mais vous pourriez consulter, à cet égard, les travaux d’une certaine Vivian Krause, entrepreneure installée en Colombie-Britannique. Depuis quatre ou cinq ans, elle se consacre essentiellement à ce que vous avez dit, sénateur, c’est-à-dire à tracer l’origine des financements. Il serait peut-être bon de consulter son site Internet où elle explique l’origine étrangère des fonds destinés à empêcher la construction des pipelines.

La sénatrice Bovey : Pourrais-je vous demander quelques précisions? Pendant plus de 20 ans, j’ai habité l’île de Vancouver, et je m’y trouvais notamment lorsqu’a eu lieu le déversement de l’Exxon Valdez. Vous ne me contredirez pas si je rappelle que les travaux de nettoyage n’ont pas été faciles. Je crois me souvenir que mes filles adolescentes ont beaucoup contribué au nettoyage des plages dans le cadre de projets organisés par leur école.

Et puis, en 2017, il y a eu le déversement qu’a provoqué le déraillement du chemin de fer à Hells Gate. On ne peut par ailleurs pas nier qu’il y ait eu des déversements causés par une fuite de pipeline.

Ne pensez-vous pas qu’il serait sage de ne pas nous enfouir la tête dans le sable en pensant que ce genre de chose ne se produira pas. Ne serait-il pas en effet préférable de nous préparer à faire face à de tels incidents? J’ai habité l’île de Vancouver, et je crois me souvenir que le nettoyage du déversement provoqué par l’Exxon Valdez a pris plus longtemps qu’il n’aurait dû. Quel est votre avis à cet égard? Au lieu de nous faire croire que tout cela ne pose aucun problème, nous devrions plutôt songer à prendre les mesures de protection nécessaires. N’êtes-vous pas d’accord?

Le sénateur D. Black : Il nous faut, bien sûr, être en mesure, dans l’hypothèse peu probable d’un déversement, de réagir en temps utile avec l’équipement nécessaire pour récupérer le pétrole déversé en mer.

Je regrette que vous n’ayez pas pu entendre, la semaine dernière, ce que le pilote et les responsables des opérations de nettoyage nous ont dit au sujet de leurs opérations. Reconnaissons que, au cours des 18 derniers mois, le gouvernement du Canada leur a affecté un crédit de 150 millions de dollars. Il y a, tout au long de la côte de Colombie-Britannique, des équipes et des bateaux qui veillent 24 heures sur 24. À d’autres endroits — et ils ont indiqué sur une carte où ils se trouvent —, des équipements ont été stockés en cas de besoin.

La loi leur donne pour mission, en cas de déversement, de répondre dans les 36 heures. Or cela est absurde. Des responsables nous ont dit, la semaine dernière, qu’ils ont désormais les moyens de répondre dans les six heures, n’importe où dans leur zone d’intervention, qui va de la frontière entre l’État de Washington et la Colombie-Britannique, jusqu’à la frontière avec l’Alaska. Ils estiment être prêts à le faire.

La côte est tellement magnifique que j’éprouve les mêmes inquiétudes que vous. Personne ne veut la voir défigurée. Il y a quelques années, j’ai fait une excursion en bateau, et vous devriez, vous-même, profiter de l’occasion…

La sénatrice Bovey : J’ai décidé de le faire cette année. Ma place est déjà réservée.

Le sénateur D. Black : Les représentants de l’autorité de pilotage m’ont montré les moyens d’intervention dont ils disposent à Prince Rupert, ainsi que près des installations de Kinder Morgan à Burnaby. Je voulais savoir s’ils avaient effectivement, comme ils le disaient, les moyens de protéger la côte. Ils m’ont convaincu qu’ils en ont effectivement les moyens. J’ai été encouragé en voyant que, comme ils nous l’ont affirmé la semaine dernière, leurs moyens n’ont fait que se renforcer au cours de ces dernières années. Vous avez parfaitement raison : nous espérons que tout se passera bien, mais il faut néanmoins être en mesure de parer à toute éventualité.

En ce qui concerne l’Exxon Valdez, n’oublions pas que c’était un pétrolier monocoque et non un navire à double coque. Il n’embarquait qu’un seul pilote. Il a effectivement éprouvé de grandes difficultés, et je n’entends aucunement sous-estimer le besoin de faire les préparatifs nécessaires.

La sénatrice Bovey : J’étais sur place à l’époque, et cela a été désastreux.

Le sénateur D. Black : Je ne dis pas le contraire.

La sénatrice Bovey : Vous avez, en revanche, parfaitement raison de dire que les moyens d’intervention ont été renforcés…

Le sénateur D. Black : Il y a environ 20 ans, il y a eu en ce domaine un remarquable essor technologique.

La sénatrice Bovey : Êtes-vous d’accord que l’intérêt national exige des préparatifs?

Le sénateur D. Black : Tout à fait. Vous vivez au Manitoba, et moi en Alberta, mais vous conviendrez que cette côte est aussi la nôtre.

La sénatrice Bovey : Je suis tout à fait d’accord.

Le sénateur D. Black : Et nous ne souhaitons pas voir endommager une seule partie des plus des 32 000 kilomètres de côte que possède le Canada.

Le président : Honorables sénateurs, je vous remercie, et je tiens également à remercier le sénateur Black. Nous avons eu un débat très fructueux.

Il y avait, parmi les témoins que nous avions invités à la séance de demain, le ministre des Transports, le ministre des Ressources naturelles, ainsi que les représentants du gouvernement de l’Alberta et du gouvernement de Colombie-Britannique. Ils n’ont pas, cependant, été en mesure de répondre à notre invitation, et, par conséquent, nous ne nous réunirons pas demain. La semaine prochaine, nous accueillerons mardi matin deux groupes de témoins, dont des juristes et des économistes. Ce sera, mercredi soir, le tour de dirigeants autochtones. J’espère qu’après cela nous serons en mesure de procéder à l’examen article par article.

Je vais maintenant suspendre la séance avant de la poursuivre à huis clos. Il ne nous faudra que quelques minutes, et puis ce sera tout pour ce matin.

(La séance se poursuit à huis clos.)

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