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TRCM - Comité permanent

Transports et communications

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Transports et des communications

Fascicule nº 40 - Témoignages du 17 octobre 2018


OTTAWA, le mercredi 17 octobre 2018

Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd’hui, à 18 h 47, pour étudier la façon de moderniser les trois fédérales sur lestélécommunications (la Loi sur les télécommunications, la Loisur la radiodiffusion et la Loi sur la radiocommunication) pourtenir compte de l’évolution des secteurs de la radiodiffusion etdes télécommunications durant les dernières décennies.

Le sénateur David Tkachuk (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Avant que nous passions à nos témoins, MM. Taylor et Raboy, nous avons un autre point à l’ordre du jour. Il s’agit de l’élection.

Le poste de vice-président du comité est vacant. Je suis prêt à recevoir une motion visant à faire élire un nouveau vice-président du Groupe des sénateurs indépendants. Y a-t-il des candidatures?

[Français]

La sénatrice Gagné : Je propose la sénatrice Julie Miville-Dechêne au poste de vice-présidente.

[Traduction]

La sénatrice Galvez : J’appuie la motion.

Le président : Y a-t-il d’autres candidatures?

Il est proposé que la sénatrice Miville-Dechêne soit la vice-présidente du comité. Vous allez vous joindre au sénateur Dawson, qui est l’autre vice-président. Nous formons maintenant une multiplicité. Désormais, nous aurons tous un titre au sein de notre comité directeur. Plaît-il aux distingués sénateurs d’adopter la motion?

Des sénateurs : D’accord.

Le président : C’est unanime. Félicitations.

La sénatrice Miville-Dechêne : Merci beaucoup. Vous avez affirmé que nous formons une multiplicité, mais nous n’avons pas la parité. Nous n’avons pas la parité hommes-femmes, mais c’est un peu mieux qu’avant.

Le président : À trois, il est difficile d’avoir la parité hommes-femmes.

La sénatrice Miville-Dechêne : Nous y arriverons.

Le président : Je ne suis pas certain de savoir pourquoi c’est important maintenant. Allons-y, mesdames et messieurs les sénateurs.

En juin dernier, le Sénat a autorisé le comité à examiner comment les trois lois fédérales régissant les télécommunications, soit la Loi sur les télécommunications, la Loi sur la radiodiffusion et la Loi sur la radiocommunication, peuvent être modernisées et à produire un rapport à ce sujet.

Ce soir, nous poursuivons notre étude spéciale. Je voudrais souhaiter la bienvenue à nos témoins. Nous recevons Marc Raboy, professeur émérite de la Chaire Beaverbrook en éthique, média et communication de l’Université McGill. Bienvenue. Nous accueillons également Gregory Taylor, professeur adjoint au Département des communications et des études médiatiques et cinématographiques de l’Université de Calgary. Bienvenue à vous, monsieur Taylor, et merci d’avoir fait tout le chemin depuis Calgary. Je vous remercie de vous être présenté à notre séance.

La parole est à vous, monsieur Raboy, veuillez commencer.

Marc Raboy, professeur émérite de la Chaire Beaverbrook en éthique, médias et communications, Université McGill, à titre personnel : Bonsoir, et je vous remercie, monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs, de cette invitation à comparaître.

En guise de présentation, cela fait 35 ans que j’observe de près la politique canadienne relative aux communications, comme enseignant, chercheur, auteur et, occasionnellement, conseiller aux fins du processus stratégique. De 2001 à 2003, j’ai été l’un des deux conseillers experts externes du Comité permanent du patrimoine canadien de la Chambre des communes aux fins de son étude de l’état du système canadien de radiodiffusion, qui a mené au rapport intitulé Notre souveraineté culturelle : le deuxième siècle de la radiodiffusion canadienne, aussi appelé le rapport Lincoln.

Même si vous avez pour mandat d’examiner les trois textes de loi qui régissent le système canadien de télécommunications, ma déclaration portera principalement sur l’une de ces lois : la Loi sur la radiodiffusion, pour des raisons qui devraient se préciser dans quelques instants.

Au début de son rapport, le comité Lincoln a déclaré que cette étude peut être considérée comme un état des lieux de la Loi sur la radiodiffusion. Il a poursuivi en disant :

Le Comité est d’avis que la Loi en elle-même a besoin de peu de révisions. Élaborée avec soin, elle est le fruit d’un consensus atteint au bout d’un long et pénible processus de consultation[...]

Bien qu’elle ait besoin d’un léger remodelage [...] la Loi demeure un instrument de politique efficace. En réalité, la question est de savoir comment réaliser les intentions de la Loi [...]

J’affirmerais que cet énoncé demeure en grande partie véridique aujourd’hui. Même les enjeux clés établis en 2003 sont encore d’actualité : comment promouvoir le contenu canadien; comment assurer le rôle clé de la radiodiffusion publique et un équilibre juste entre les secteurs public et privé; comment revigorer la programmation locale et communautaire, et ainsi de suite. De fait, ces enjeux n’ont pas vraiment changé depuis que le gouvernement fédéral a commencé à établir des politiques en matière de radiodiffusion, dans les années 1920.

Ce qui est nouveau, c’est que, à chaque nouvelle vague de changement technologique, de nouveaux problèmes ou, plus précisément, de nouvelles versions des vieux problèmes apparaissent, et ce sont eux qu’il faut régler. Les leçons les plus importantes que nous pouvons tirer de cette longue expérience à régir la radiodiffusion sont les suivants : premièrement, si la radiodiffusion canadienne répond aux attentes des Canadiens, c’est en grande partie grâce au cadre qui a été mis en place et qui est appuyé par les lois; et, deuxièmement, les lois sont non pas la fin, mais seulement le début d’un processus. Elles énoncent des intentions qui doivent ensuite être réalisées par les institutions qu’elles créent.

Beaucoup de propos ont été tenus au sujet du besoin de changements législatifs, et il y a plus à dire. La plupart des détails sont liés à l’ajout ou à l’abrogation de dispositions, ainsi qu’à la mise à jour et à l’harmonisation de lois existantes. Pendant que vous réfléchissez à la question, je veux vous exhorter à ne pas oublier ce qui doit être préservé dans le cadre législatif qui a été établi au fil des ans et à en tenir compte. Comme vous le savez bien, il est risqué de modifier l’architecture d’un cadre législatif; toute la structure peut s’effondrer.

Vous avez une tâche importante et complexe à accomplir, et je dispose de peu de temps auprès de vous. Je tenterai de m’en tenir à une déclaration simple et ciblée sur quelques éléments clés.

Je vais me concentrer sur l’article 3 de la Loi sur la radiodiffusion, qui s’intitule « Politique canadienne de radiodiffusion ». Cet article commence par une déclaration selon laquelle « le système canadien de radiodiffusion doit être, effectivement, la propriété des Canadiens et sous leur contrôle ». Comme il s’agit du premier de 20 alinéas, dont un grand nombre comprennent de nombreux sous-alinéas, c’est manifestement l’élément prédominant dans l’intention du législateur qui a adopté la loi de 1991. Je ne crois pas que quiconque remette en doute cette prémisse de base.

De mon point de vue, c’est par rapport à l’alinéa suivant qu’il faut être très attentif. C’est là que l’on trouve les trois petits mots auxquels je fais référence dans le titre de mon exposé : « un service public ». D’autres caractéristiques essentielles sont mentionnées dans ce long alinéa : le fait que le système fonctionne en français et en anglais; qu’il est composé d’éléments publics, privés et communautaires; qu’il utilise des fréquences qui sont du domaine public; et qu’il est « essentiel pour le maintien et la valorisation de l’identité nationale et de la souveraineté culturelle ».

Toutefois, le ciment qui tient tous ces éléments ensemble, c’est le fait que la radiodiffusion canadienne est un service public, et il faut que cela continue d’être le cas.

À la fin de l’article 3, la loi répète encore que « le système canadien de radiodiffusion constitue un système unique » aux fins de « la réglementation et [de] la surveillance », de sorte qu’on puisse atteindre les objectifs décrits précédemment.

Ces deux mentions qui concluent essentiellement l’article 3 sont tout à fait cruciales. La radiodiffusion canadienne représente un système unique, lequel constitue un service public. Tous les éléments constitutifs du système fonctionnent à l’intérieur de ce cadre. On doit chercher à atteindre tous les objectifs précisés dans la politique en adoptant ce point de vue.

On se demande alors ce qu’on entend par « un service public ». Par souci de simplicité, je proposerais une analogie : imaginez la communication comme vous voyez les soins de santé ou l’éducation. Ces secteurs sont tout aussi, voire plus complexes et sont composés d’un vaste éventail de services particuliers, dont certains sont entièrement financés par le denier public, d’autres visent la génération de revenus, et d’autres encore sont exploités par des organismes sans but lucratif. Ils sont fondamentalement conçus, exploités et supervisés en tant que systèmes publics.

Je ferais valoir qu’au moment d’envisager la mise à jour et l’harmonisation du cadre législatif du pays pour les communications, il est crucial non seulement que l’on préserve cette qualité de service public de la radiodiffusion canadienne, mais aussi que l’on étende explicitement cette approche au reste du secteur des télécommunications également. Je n’ai pas besoin de vous dire que les lignes entre la radiodiffusion et les télécommunications sont de plus en plus floues. Au fil des ans, les deux secteurs ont été régis par des textes de loi distincts comportant des objectifs distincts, même s’ils sont réglementés par un même organisme depuis 1976, et cela devrait nous indiquer quelque chose.

Votre comité, de même que le gouvernement, se demande maintenant si les lois devraient être harmonisées et dans quelle mesure. Je suis là pour formuler une mise en garde : faites attention de préserver le consensus atteint à la suite d’une étude « élaborée avec soin », pour citer à nouveau le rapport Lincoln. La pièce maîtresse de ce consensus est la qualité de service public du système.

J’ai des commentaires à formuler au sujet d’autres alinéas particuliers de l’article 3, que nous pourrons aborder dans le cadre de vos questions. Merci de votre attention.

Gregory Taylor, professeur adjoint, Département des communications et des études médiatiques et cinématographiques, Université de Calgary, à titre personnel : J’adresse mes sincères remerciements au comité, qui m’a invité à comparaître aujourd’hui. Je crois que le temps est venu de renforcer ce que nous considérons comme les éléments qui fonctionnent dans notre système de télécommunications et, de profiter de l’occasion pour reconnaître les lacunes et étudier certaines des solutions de rechange qui s’offrent à nous, après 100 années de radiodiffusion canadienne.

Tout d’abord, je demanderais au comité de se méfier de tout discours annonçant la « fin de la radiodiffusion » qui peut ressortir de débats comme celui-ci. Les données n’appuient tout simplement pas cet argument. De fait, j’affirme exactement le contraire : dans le domaine médiatique, c’est la résilience surprenante de la radiodiffusion qui constitue l’un des principaux faits saillants de l’ère Netflix. De plus, si l’on fait de la fin de la radiodiffusion une prophétie autoréalisatrice par le truchement des lois, il y aura des conséquences préoccupantes pour la démocratie.

Je crois également que le gouvernement doit cesser de s’attendre à ce que les marchés existants offrent une infrastructure de télécommunications dans les régions rurales. Ce n’est pas arrivé par le passé; il est fort probable que cela ne se produira jamais, et il ne s’agit pas d’un phénomène proprement canadien.

En outre, je voudrais déclarer que, dans le cas des deux lois, je crois que le gouvernement devrait envisager des modifications fondamentales, notamment l’élargissement du mandat du CRTC afin qu’il englobe des fonctions de surveillance du spectre ainsi que la résurrection du ministère des Communications, qui a été démantelé en 1993.

Tout d’abord, concernant la fin de la radiodiffusion, comme je l’affirme, au contraire, la radiodiffusion est très vivante au Canada. Elle ne connaît manifestement pas la croissance du secteur mobile, mais les propres données du CRTC montrent que les recettes de la radiodiffusion stagnent, sans diminuer, à l’ère Netflix.

Le phénomène de débranchement du câble ou de déconnexion dont on parle beaucoup est aussi surestimé. Les données du CRTC montrent que les recettes de la câblodistribution ont diminué de 0,5 p. 100 depuis 2012. C’est pour la totalité des entreprises de distribution de radiodiffusion. Il s’agit d’une industrie qui n’a jamais subi de pertes avant 2013. Les données du CRTC montrent également que, généralement, les personnes qui ont abandonné le câble sont tout simplement passées à ce qu’on appelle des services de télévision par IP, comme Bell Fibe, et qu’elles n’ont pas abandonné complètement le système.

Il est clair que la radiodiffusion présente des problèmes. La plupart de ces problèmes sont dans le secteur conventionnel, car les revenus publicitaires continuent de diminuer. Toutefois, dans l’ensemble, ce secteur demeure sain, et les déclarations concernant la mort de la radiodiffusion sont décidément prématurées. Même si ce déclin est lent, je suis d’avis qu’il serait également prudent pour le gouvernement de dissocier le Fonds des médias du Canada des recettes des entreprises de distribution de radiodiffusion, qui diminuent lentement.

Quant à ce qui se passera dans l’ensemble du processus démocratique, j’affirmerais qu’il convient d’étudier ce qui s’est passé lors du débat des chefs de 2015 tenu dans le cadre des dernières élections fédérales. Il nous offre une étude de cas, car les radiodiffuseurs majeurs n’ont pas diffusé les débats des chefs, et les taux de visionnement de ces débats, qui ont surtout été présentés par de petits radiodiffuseurs, ont chuté à 1,5 million de téléspectateurs.

Ils pensaient que le public les visionnerait en ligne, mais environ 440 000 personnes les ont regardés sur YouTube. Pour mettre ces chiffres en perspective, précisons que, lors des élections précédentes, quand Global, CTV et CBC/Radio-Canada ont diffusé des débats en entier, le nombre de téléspectateurs avait été d’environ 10 millions de personnes. En termes simples, le nombre de visionnements en ligne n’équivaut pas au nombre de téléspectateurs de la radiodiffusion traditionnelle.

Selon moi, cette radiodiffusion va continuer de diminuer, mais ce phénomène ne signifie aucunement l’arrêt de mort de cette partie de notre infrastructure de communication. Cela arrivera dans un très grand nombre d’années. Pour l’avenir prévisible, la radiodiffusion aura encore de l’importance.

Concernant la question de la large bande rurale, je pense qu’au Canada la connectivité dans ces régions doit être perçue en grande partie comme une entreprise de services sans fil. C’est tout simplement logique, d’un point de vue technologique et économique, puisque le raccordement de la fibre aux domiciles ruraux n’est pas faisable, d’un point de vue économique.

On appelle le processus consistant à faire passer les utilisateurs du spectre en mouvement d’une bande de fréquences à une autre le « recadrage » du spectre. Toutefois, ce recadrage n’est pas avantageux pour les agriculteurs. Malgré les annonces répétées du gouvernement fédéral au sujet de la connectivité rurale, un fossé numérique persiste au Canada. Je pense que c’est le bon moment pour procéder à une réévaluation de cette situation.

Le gouvernement semble reconnaître lentement que l’approche axée sur le marché comporte ses limites. Pendant plus d’une décennie, nous avons essayé de mettre le spectre aux enchères dans le cadre d’un processus axé sur le marché. Il n’a pas apporté le déploiement que nous avions espéré dans les régions rurales. Les fournisseurs de services à large bande connaissent une énorme croissance financière, mais cette croissance ne se fait pas ressentir sous la forme de travaux de construction ruraux. Je crois qu’il devra y avoir beaucoup plus d’interventions gouvernementales à cet égard dans l’avenir. Je veux également citer les propos que vient tout juste de tenir Mark : il s’agit d’une nouvelle version d’un vieux problème. C’était le cas des téléphones; c’était le cas de la radio; et ce sera le cas de la large bande aujourd’hui. Le fait d’apporter ce dernier petit élément de l’infrastructure jusqu’aux régions rurales est un problème avec lequel le Canada a été aux prises par le passé.

Quant aux changements législatifs, premièrement, je crois que cette surveillance du spectre devrait être transférée au CRTC. Il existe un lien fondamental entre le spectre et la connectivité canadienne, et il ne devrait pas être du ressort d’ISDE, qui s’occupe également de choses comme le secteur de l’automobile.

Le ministre d’ISDE a une influence énorme, et, sous le régime de la loi, peut prendre toute mesure propre à favoriser l’application de la loi. Lors d’une conférence que j’avais organisée, un ancien représentant du gouvernement a affirmé qu’il s’agissait de pouvoirs divins sur le spectre. Je pense que nous devons réfléchir davantage à l’adoption d’une approche indépendante comportant un aspect beaucoup plus tourné vers l’avenir pour examiner l’importante question du spectre.

L’autre raison pour laquelle je pense que la surveillance du spectre devrait être transférée au CRTC, c’est que l’organisme a une tradition de négociation, de participation et de mobilisation publiques. Je pense que ces éléments sont essentiels au moment où nous examinons quelque chose qui est de plus en plus essentiel à la connectivité sans fil du Canada. Il nous faut cet accès public à la procédure gouvernementale.

Si vous jetez un coup d’œil à ce qui arrive à ISDE, tout a souvent lieu derrière des portes closes. Le CRTC fait ces choses en faisant participer le public et beaucoup plus ouvertement.

Je propose également que nous envisagions le rétablissement du ministère des Communications, qui a fonctionné au Canada de 1969 à 1993. Malheureusement, il a été démantelé juste au moment où l’outil de communication le plus puissant de l’histoire — Internet — a commencé à apparaître sur le radar du public. Je pense que ce ministère, se décrivait lui-même comme « représentant une fusion des unités administratives et de recherche... afin d’offrir un point de vue plus cohérent sur les besoins du public canadien », est exactement ce dont nous avons besoin actuellement et quelque chose que le gouvernement et le comité devraient envisager, selon moi.

Mes trois dernières recommandations seront rapides. La première est que CBC/Radio-Canada continue de jouer un rôle clé dans tout avenir des médias canadiens. Nous nous disputons peut-être incessamment au sujet du contenu, mais le caractère central de CBC/Radio-Canada par rapport au système n’a pas diminué... De fait, il s’est peut-être intensifié à l’ère numérique.

Deuxièmement, je pense que les lois du Canada régissant la neutralité du Net doivent être mises à jour et renforcées. Il y a eu de nombreux cas où des FSI ont tenté d’exercer une influence sur le trafic des données dans le but d’obtenir un avantage économique. Pour contrer ce phénomène dans l’avenir, nous devons rester fidèles aux positions relatives à la neutralité du Net et les faire appliquer rigoureusement.

Enfin, je crois que la nouvelle ordonnance d’exemption des médias de 1999 a accordé au nouveau secteur médiatique plus de temps qu’il n’en fallait pour qu’il puisse s’établir. Toutefois, ces nouveaux médias ne sont plus nouveaux. J’appuie les attaques perpétrées contre les distributeurs par contournement étrangers et nationaux qui favorisent la production de médias canadiens. Si c’était à un taux équivalent à celui des distributeurs de radiodiffusion canadiens, soit environ 5 p. 100, cela ajouterait à peu près 50 cents par mois à une facture de Netflix. Je ne considère pas qu’il s’agisse d’un obstacle majeur, et cette mesure semble équitable, si on demande aux médias traditionnels, comme la câblodistribution, d’apporter la même contribution.

Je vous remercie de m’avoir donné la possibilité de prendre la parole aujourd’hui.

Le président : Merci beaucoup. Je vais commencer par poser deux ou trois questions. Monsieur Raboy, je pense que vous avez parlé de la propriété canadienne. A-t-elle autant d’importance, étant donné que nous avons la câblodistribution américaine et la BBC? Essentiellement, grâce au câble et à Internet, nous pouvons obtenir de l’information de partout dans le monde. Pourquoi importe-t-il que la radio de Saskatoon appartienne à un Canadien?

M. Raboy : Tout d’abord, je pense qu’il est question du système dans son ensemble et de chacune de ses composantes. Une radio à Saskatoon est une chose. Bell Canada en est une autre.

La chose importante à prendre en considération, c’est que la propriété canadienne ne signifie aucunement l’exclusion ou la limitation de l’accès à du contenu non canadien. Elle signifie que les institutions canadiennes, surtout les institutions réglementaires, le législateur, ont un certain genre de lien avec les entreprises qui sont exploitées à l’intérieur de notre système.

L’exemple de Netflix n’arrête pas d’être soulevé. Sans vouloir me concentrer indûment sur ce cas, si Netflix était une entreprise canadienne, nous serions beaucoup mieux placés pour négocier avec elle au sujet de la place qui lui convient et de sa contribution au système.

Cela dit, le fait que cette entreprise ne soit pas canadienne ne signifie pas qu’elle n’est pas assujettie aux règles et à la réglementation canadiennes.

Le président : Les règles et la réglementation; tout le reste. Quelle serait la différence si la radio appartenait à une personne de Boston plutôt qu’à un citoyen de Saskatoon? Quelle serait la différence?

M. Raboy : Si une personne de Boston possédait la radio de Saskatoon et que le CRTC prenait un certain genre de décision qui ne plaisait pas à cette personne, elle pourrait fermer la radio.

Le président : Pas si elle fait de l’argent.

M. Raboy : Elle pourrait estimer que son taux de rendement serait meilleur si elle exploitait une autre radio à Indianapolis. Il ne s’agit pas non plus de quelque chose d’essentiel au Canada. De mon point de vue, il s’agit d’un élément fondamental de la souveraineté.

Le président : D’accord. Vous avez mentionné le service public. Voulez-vous dire qu’il importe que l’on fournisse un service public? De quoi s’agit-il?

M. Raboy : Cela signifie que la raison d’être du système est de servir l’intérêt public. Évidemment, si le système comporte des éléments privés, ils doivent réaliser des profits raisonnables. La raison pour laquelle le système permet à cet élément d’exister, c’est que, dans son ensemble, il sert l’intérêt public.

Il règne une certaine confusion au sujet de la distinction entre... Quand la loi énonce que le système est un service public, il importe en fait qu’elle précise dans la même phrase qu’il est « composé d’éléments publics, privés et communautaires ». Rien ne laisse entendre qu’il faille que le système tout entier soit dans le secteur public ou qu’il soit public et financé par le public. C’est seulement que le système dans son ensemble doit être un service public.

J’aime bien faire l’analogie, peut-être un peu tirée par les cheveux — avec les soins de santé et l’éducation. Par exemple, nos hôpitaux sont dotés de machines de plusieurs millions de dollars construites par des entreprises privées qui en tirent un profit. Ces entreprises ne déterminent pas l’orientation du système de soins de santé. Il est fondamentalement exploité en tant que service public, dans l’intérêt public.

Le président : On répond aux besoins du public. Les gens sont malades, ils consultent un médecin, ou bien ils se rendent à l’hôpital. On doit répondre aux besoins du public, n’est-ce pas? Ne doit-on pas le faire? L’hôpital doit répondre aux besoins du public.

M. Raboy : Je pense que je comprends où vous voulez en venir. L’hôpital doit répondre aux besoins du public, mais c’est aussi le cas des institutions publiques, du gouvernement du Canada et des organismes responsables, qui doivent également prêter une certaine attention à ce qui, selon la science, est dans l’intérêt public relativement aux soins de santé, par exemple.

Le président : Qu’est-ce qui distingue CTV, Global et CBC/Radio-Canada du point de vue d’un service public? N’importe lequel d’entre vous peut répondre à la question. Monsieur Taylor, vous pouvez intervenir. Il s’agit de ma dernière question.

M. Taylor : Pour ce qui est de ce qui distingue CTV, Global et CBC/Radio-Canada, si on regarde des éléments comme les obligations relatives au contenu canadien associées à la licence de CBC/Radio-Canada par rapport à celles de CTV et de Global, CBC/Radio-Canada est censée offrir près de 80 p. 100 de contenu canadien dans ses horaires de soirée. Voilà quelque chose que CTV et Global ne font pas. CBC/Radio-Canada fait habituellement mieux que cela régulièrement dans ses horaires de soirée. CTV et Global se préoccupent d’obtenir le bon nombre de téléspectateurs qui visionneront une émission, et c’est compréhensible. CBC/Radio-Canada a un mandat public beaucoup plus vaste, et je pense qu’il se reflète dans l’horaire et la programmation.

Je pense que CBC/Radio-Canada a manifestement une obligation publique qui se distingue un peu de celle des chaînes privées.

Le président : Le nombre de téléspectateurs n’a pas d’importance?

M. Taylor : Si, mais ce n’est pas tout. Par exemple, à CBC/Radio-Canada...

Le président : Vraiment?

M. Taylor : Oui, vraiment. Je le crois.

Le président : Si personne ne regarde, c’est bien?

M. Taylor : Permettez-moi de terminer ma phrase. Par exemple, si, dans le cadre d’un mandat lié au service public, CBC/Radio-Canada présente l’émission The Nature of Things un dimanche soir, oui, ses cotes d’écoute seront battues par celles d’une émission de téléréalité pour célibataires diffusée sur Global et CTV. Toutefois, il n’est pas nécessairement dans l’intérêt public que nos deniers publics servent à nous assurer que nous visionnons cette émission de téléréalité sur CTV et Global.

Oui, je pense fondamentalement qu’il y a plus en jeu que le simple nombre de téléspectateurs qui regardent l’émission à un moment donné. Je pense qu’il y a des obligations publiques, plus particulièrement dans le cas de CBC/Radio-Canada.

Le sénateur Cormier : Je vais poursuivre sur la question du service public...

M. Raboy : Puis-je ajouter quelque chose au sujet de la dernière question? J’étais prêt à répondre.

Le président : Bien sûr.

M. Raboy : Je répondrais à votre question sous un angle différent. Ce qui fait de toutes ces chaînes une partie d’un service public... Il est bien documenté que les radiodiffuseurs privés traditionnels du pays — en français et en anglais — n’existeraient peut-être pas si ce n’était du cadre réglementaire mis en place au départ par la loi en 1968 et, par la suite, par le CRTC.

Sans trop entrer dans les détails techniques, si je dis « substitution de signaux identiques », cette expression veut-elle dire quoi que ce soit pour les gens ici présents? Il s’agit d’une disposition réglementaire du CRTC, selon laquelle les câblodistributeurs et les satellites sont tenus de remplacer le signal de CTV et de Global par le signal américain lorsque les deux réseaux présentent la même émission en même temps. Il s’agit de plusieurs centaines de millions de dollars par année de recettes publicitaires pour les radiodiffuseurs privés du pays, qu’ils n’auraient jamais touchées si ce n’était du cadre réglementaire, de cette disposition réglementaire.

Le compromis tient au fait qu’on leur demande ensuite d’apporter une contribution à des aspects du système qui ne sont peut-être pas si faciles à maintenir sur le marché. Voilà l’idée de base. Il s’agit non pas vraiment du nombre de personnes qui regardent chaque chaîne, mais plutôt de ce que chaque joueur apporte au système et en retire.

Le sénateur Cormier : Je veux poursuivre sur la question du service public. Je pense qu’il est crucial pour notre étude, pour le Canada et pour ce système.

[Français]

Monsieur Raboy, dans certaines de vos publications les plus récentes, vous évoquez le concept des politiques mondiales des médias et des communications. Qu’est-ce que vous entendez par ce concept? Est-ce que le Canada devrait adopter une telle politique? Comment cette politique s’arrime-t-elle à cette idée du service public? Quels en sont les subtilités et les tenants et les aboutissants?

M. Raboy : Félicitations, vous avez manifestement fait vos recherches.

Quand j’ai parlé de la politique mondiale, des médias et des télécommunications, je parlais surtout des aspects globaux, notamment leur évolution au sein des organismes internationaux, que ce soit l’UNESCO, l’Organisation mondiale du commerce, par exemple lors du Sommet mondial sur la société de l’information.

Je caractériserais les enjeux exactement dans les mêmes termes, autant à l’échelon mondial que national. Maintenant, au niveau mondial, le paysage est différent, les acteurs sont différents. Cela exige un autre type d’engagement. Le Canada est d’ailleurs assez actif sur le plan international en faisant la promotion de ces notions.

Entre le national et le mondial, il y a aussi le bilatéral ou le trilatéral. Si on pense, par exemple, à l’ALENA, le Canada a réussi à faire construire ce qu’on appelle « l’exception culturelle » selon le même type d’argumentaire, dans la même logique, quoiqu’il n’emploie pas l’expression « service public », qui est en quelque sorte interchangeable à certains niveaux avec d’autres notions, telles que la souveraineté culturelle. Lorsque le pays va à l’international, il indique ceci : « Laissez-nous faire nos politiques comme nous le voulons et à l’intérieur de nos frontières ». C’est le service public qui devrait...

Le sénateur Cormier : On se confronte à deux visions fondamentales, soit celle du service public et celle du libre marché, où c’est l’entreprise privée qui mène. On laisse les citoyens accéder au contenu auquel ils veulent accéder. Quel est votre point de vue pour réconcilier cela dans une perspective de modernisation de ces lois? Comment peut-on réconcilier ces deux visions qui semblent assez tranchées, je dirais?

[Traduction]

M. Taylor : Il s’agit de quelque chose qui définit le système canadien depuis ses débuts. Le Canada a toujours eu un caractère unique, en ce sens qu’il a soutenu un système à la fois public et privé. Je crois qu’il est possible d’avoir les deux à la fois. Le Canada fournit l’exemple d’un système qui comprend les deux.

Si on regarde ce qui se fait ailleurs actuellement, on commence à voir de plus en plus de systèmes hybrides public-privé. D’une certaine façon, le Canada a joué un rôle de pionnier. Bien sûr, je comprends que ces deux systèmes découlent de deux perspectives différentes, mais c’est pourquoi j’ai dit que, à l’avenir, il sera très important d’accorder une place proéminente à CBC/Radio-Canada et à la radiodiffusion publique. Je suis d’avis qu’il est parfaitement possible d’avoir des radiodiffuseurs publics et privés.

[Français]

M. Raboy : L’exemple que j’ai donné au sujet de la radiodiffusion privée canadienne l’indique. La notion de libre marché dans ce secteur est, en quelque sorte, chimérique. Le libre marché n’existe pas vraiment en radiodiffusion, et même en communication. Peut-être que cela peut exister aux États-Unis, mais dans un pays comme le Canada, qui a un marché relativement restreint et énormément d’acteurs non canadiens avec lesquels il faut composer, où est le libre marché?

Le libre marché est quelque chose qui est hyper-réglementé. Sinon, on devient simplement une branche des services étrangers.

La sénatrice Gagné : Bienvenue au comité, monsieur Raboy, et merci de votre présentation. Vous vous êtes présenté devant le comité dans le cadre de l’étude sur CBC/Radio Canada en 2014, je crois. À ce moment-là, vous avez mentionné que le radiodiffuseur CBC/Radio-Canada devrait bénéficier d’un financement stable et prévisible pour atteindre ses objectifs. Qu’entendez-vous par « financement prévisible et stable »? Est-ce que ce concept devrait être précisé davantage dans la politique?

M. Raboy : Par « stable et prévisible », je veux dire qu’il faut savoir de combien vous disposez sur une période plus longuequ’année après année, selon chaque budget fédéral.

Il y a plusieurs modèles dans les différents pays, où l’échelle de la subvention de la télévision publique est faite sur une base de 5 ou 10 ans, par exemple à la BBC. Il faut dire que c’est aussi un autre modèle de financement, différent d’un financement octroyé directement par le Trésor; c’est ce qui s’appelle les frais de licence, qui est essentiellement ce que nous payons quand nous renouvelons notre immatriculation pour notre voiture tous les ans. C’est un tarif fixé par le gouvernement et que chaque usager doit payer. C’est de cette façon que la BBC est financée. Le taux est fixé sur plusieurs années, donc le diffuseur sait plusieurs années à l’avance quel sera son budget.

La sénatrice Gagné : Est-ce qu’il faudrait faire des ajustements?

M. Raboy : Je crois qu’à l’époque — et je reviens constamment au rapport Lincoln, que je recommande fortement —, on avait proposé que ce soit précisé dans la section de la loi qui traite du mandat de Radio-Canada. C’était une recommandation extrêmement importante que le comité avait faite.

Le sénateur Boisvenu : Bienvenue à nos deux invités. J’ai une question pour chacun d’entre vous. Tout d’abord, monsieur Raboy, lorsque vous parlez de « Canadian broadcasting », faites-vous référence à CBC?

M. Raboy : Non. Dans mon exposé initial? Non, je parle de la radiodiffusion canadienne en général.

Le sénateur Boisvenu : En général. Vous dites qu’elle a un caractère unique. Sur quoi vous basez-vous pour dire qu’elle a un caractère unique si on la compare à la télévision américaine?

M. Raboy : Je ne sais pas, je n’ai pas écouté l’interprétation. Ce n’est pas tant un caractère unique qu’un système unique. C’est tiré directement du paragraphe 3(2) de la Loi sur la radiodiffusion.

Le sénateur Boisvenu : Donc, ce n’est pas une conclusion à laquelle vous arrivez.

M. Raboy : Non, il est déclaré dans la loi que le système canadien de radiodiffusion constitue un système unique.

Le sénateur Boisvenu : J’essaie de comprendre en quoi il est unique si on se compare à d’autres.

M. Raboy : C’est peut-être une mauvaise traduction. En anglais, on parle d’un « single system ».

Le sénateur Boisvenu : Unique dans le sens d’unité. Donc, le terme « unique » n’est pas bon.

Cela dit, monsieur Taylor, le gouvernement actuel s’est engagé à équiper les régions rurales d’Internet sans fil. On sait, au Québec en particulier, que les régions les plus éloignées sont en retard de 30 ans. À ce chapitre, est-ce que ce défi, qui devait être relevé par le gouvernement fédéral, est un échec? Comment le qualifieriez-vous?

[Traduction]

M. Taylor : Oui, je suis d’avis que c’est un échec pour le gouvernement fédéral. Il n’est pas attribuable à un seul gouvernement. Cela s’est produit pendant plusieurs gouvernements consécutifs. Par exemple, je mène beaucoup de travaux sur les politiques relatives au spectre de fréquences. Quand nous avons fait passer la diffusion par ondes hertziennes au-dessus du spectre de 700 mégahertz, cela s’est avéré particulièrement utile dans les régions rurales, parce qu’un signal a une grande portée. Cela a été excellent pour les services utilisant la large bande dans les régions rurales au Canada.

Au moment de l’attribution des licences, en somme, on a dit aux entreprises qui en avaient obtenu une lors des enchères qu’elles devaient couvrir le même territoire qu’auparavant, en cinq ou sept ans environ. Les responsables n’ont pas insisté, comme il l’aurait fallu, pour exiger que tous les services soient offerts dans la région visée par la licence. D’une certaine façon, je crois qu’ils ont capitulé devant les intérêts des fournisseurs de services sans fil à un moment où il aurait été opportun de fournir ce service dans les régions rurales.

Il y a eu des initiatives et des études — je pourrais vous en dresser la liste — par lesquelles le gouvernement a affirmé qu’il agirait en ce sens. J’ai discuté avec la journaliste qui a assuré la couverture de l’annonce des enchères de la bande de 700 mégahertz. Elle a dit que les responsables du gouvernement avaient invité tout le monde dans un chalet perdu dans la nature pour faire l’annonce afin de souligner qu’il s’agirait d’enchères axées sur les régions rurales. Cela ne s’est jamais concrétisé. Je ne jette pas le blâme sur un gouvernement en particulier. Les choses sont ainsi depuis un certain temps. Je crois que, fondamentalement, on s’attend à ce que les règles du marché fassent en sorte que des services seront offerts dans des régions où il n’y a tout simplement pas de possibilité de rendement économique qui permettrait à des entreprises évoluant en quelque sorte dans un libre marché de développer l’infrastructure des communications.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Si je comprends bien, ce type de services ne sera jamais de nature publique, en ce sens où, dans le cas des gens qui n’y ont pas accès actuellement, ils n’y auront pas plus accès à l’avenir, parce que cela relèvera plutôt des intérêts privés que gouvernementaux en termes de diffusion?

[Traduction]

M. Taylor : Je ne crois pas que les choses doivent être ainsi. Je crois que le gouvernement a beaucoup d’occasions de participer. Ce que je tiens à souligner, c’est que la stratégie qui consiste à attendre que le marché fasse en sorte que les services soient offerts dans les régions rurales au Canada ne donnera tout simplement pas de résultats. Ce n’est pas nouveau. On a aussi attendu en vain dans le cas du téléphone et de la radio. Le gouvernement a dû intervenir. C’est ce que je dis : il y a des régions où le marché permet d’offrir des services. La situation semble plutôt bonne dans les villes. Notre infrastructure est assez bonne. On pourrait avancer que les prix sont trop élevés, qu’il pourrait y avoir plus de concurrence, il reste qu’il est possible d’obtenir des services. À mon avis, pour réussir à offrir un service de qualité dans ces régions, nous devons cesser de nous appuyer sur des approches axées sur le marché. Les acteurs du marché ont eu des décennies pour agir. Ils ne l’ont pas fait. Je crois que nous devons maintenant examiner d’autres approches plutôt axées sur les services publics. Je crois que c’est nécessaire et, encore une fois, ce n’est pas inhabituel dans l’histoire des communications au Canada.

Le sénateur Wetston : Monsieur Taylor, ce n’est pas inhabituel en ce qui concerne de nombreuses autres politiques touchant par exemple l’énergie, les transports, l’aviation commerciale et la production et la distribution d’électricité. Les mêmes problèmes se posent quant aux régions rurales du Canada. Ce n’est pas inhabituel. Il s’agit simplement d’un commentaire pour faire suite aux vôtres, que je comprends tout à fait.

Monsieur Raboy, d’après ce que je comprends de vos propos, vous êtes plutôt satisfait de ce qui est en place. À votre avis, cela fonctionne assez bien. Vous souhaitez que l’on prenne les meilleurs éléments et qu’on ne fasse que les améliorer. Je vais formuler un commentaire à ce sujet.

Selon vous, de quelle façon la technologie doit-elle nous rendre service au Canada? Certains commentaires ont été formulés à propos de l’organisme de réglementation. Je crois que les organismes de réglementation ailleurs dans le monde ont de la difficulté à fonctionner à l’ère numérique. À mes yeux, notre organisme de réglementation n’est pas différent de bien d’autres. On ne peut faire de changements petit à petit. Il faut les faire de façon systématique. Les responsables des organismes de réglementation doivent mettre au point une approche qui soutient l’innovation, plutôt que de la réprimer. Je formule ma question de cette façon pour connaître votre point de vue, puisque vous avez mentionné l’environnement réglementaire à un moment ou un autre. Monsieur Taylor, vous pouvez aussi répondre. D’après vous, en quoi le contexte réglementaire existant touche-t-il les fournisseurs dotés d’installations? Les encourage-t-on à entretenir et à améliorer leurs réseaux, qu’ils soient situés en région urbaine ou rurale ? Avez-vous des commentaires à formuler à ce sujet?

M. Raboy : Nous posez-vous la question à tous les deux?

Le sénateur Wetston : Oui.

M. Raboy : Tout d’abord, je ne dis pas que ce qui est en place est très bien, que nous ne devons rien changer et que nous devons passer à autre chose. Ce que je dis, c’est que nous devrions conserver bien des choses qui existent déjà et qu’il y a beaucoup d’autres choses que nous devrions utiliser comme modèle au moment de traiter les problèmes qui se poseront à l’avenir.

Il serait trop long de passer en revue l’histoire du système dont nous parlons, vu que je donne des cours sur ce sujet. Nous avons déjà vécu cette situation. Nous l’avons vécue avec la télévision. L’avènement de la télévision a tout chamboulé. Les dirigeants des radiodiffuseurs existants étaient préoccupés. Ensuite, au fil du temps, les mêmes entreprises sont devenues radiodiffuseurs et télédiffuseurs, et ainsi de suite.

Il y a des choses que nous pouvons préserver dans notre perception du système. Quand une nouvelle technologie arrive sur le marché, nous nous disons : « Très bien, nous souhaitons que le système de radiodiffusion canadien soit organisé d’une certaine façon. Que devons-nous faire pour modifier la technologie pour y arriver? Comment pouvons-nous faire en sorte que la technologie soit à notre service? » Voilà, de toute évidence, la question clé. Je sais que vous avez entendu le témoignage d’experts à ce sujet, mais la neutralité d’Internet... Voilà un moyen de faire en sorte que la technologie soit à notre service, ou de nous assurer qu’elle ne nous nuise pas.

Il ne fait pas de doute qu’il doit y avoir des mesures réglementaires et que nous devrions peut-être en inclure quelques-unes dans des textes législatifs. Quand on examine attentivement les lois existantes, on se rend compte que ce n’est pas là que le problème réside. C’est ce que j’ai tenté de dire dans mon exposé. Les problèmes qui se posent ne découlent pas vraiment du libellé de la loi; ils découlent de la mise en œuvre et de l’application de la loi.

Le sénateur Wetston : Monsieur Taylor?

M. Taylor : J’aimerais poursuivre en ajoutant deux ou trois points. Tout d’abord, l’initiative actuelle du gouvernement visant à ce que le CRTC amène la technologie, en particulier celle qui utilise la large bande, dans les régions rurales est plus que bienvenue. C’est aussi une solution temporaire. Je ne crois pas que ce soit une véritable stratégie à long terme. En ajoutant des choses comme les services sans fil et des spectres de fréquence au mandat du CRTC, et en planifiant à plus long terme ces services, nous pouvons élaborer une véritable stratégie. Ce qui est en place en ce moment ressemble beaucoup plus à une solution temporaire.

Je dirais que nous n’utilisons pas à leur pleine capacité des choses comme le spectre de fréquences, parce que nous le restreignons à des licences exclusives, lesquelles sont acquises par les principaux fournisseurs de services. Je garderais libre une grande partie du spectre de fréquences pour effectuer ce qu’on appelle le développement utilisant des fréquences sans licence, pour aider les nouveaux fournisseurs de services qui n’ont pas les moyens d’investir dans des enchères à avoir accès à des fréquences qu’ils peuvent alors utiliser pour créer de nouvelles technologies sans fil. Ainsi, la réglementation favorise l’émergence et le développement de nouvelles technologies dans le secteur des communications au Canada.

Le sénateur Wetston : Puis-je poser une deuxième question, monsieur le président?

Le président : Bien sûr.

Le sénateur Wetston : Comme je suis un nouveau membre du comité, il s’agit peut-être de la seule faveur que l’on m’accordera.

Je souhaite vous poser une question à propos du géant de la technologie que tout le monde regarde, Netflix. Netflix produit du contenu. Je vais utiliser ce terme, vous en utilisez peut-être un autre.

M. Raboy : Il en produit un peu, mais il distribue principalement du contenu créé par d’autres.

Le sénateur Wetston : Netflix diffuse sur Internet.

M. Raboy : Oui.

Le sénateur Wetston : Le gouvernement versera 500 millions de dollars à Netflix, comme vous le savez, pour la production de contenu canadien au cours des cinq prochaines années. Je crois que c’est ce qui a été entendu.

M. Taylor : Les responsables de Netflix ont affirmé qu’ils produiront pour 500 millions de dollars...

Le sénateur Wetston : Oui, c’est ce qu’ils feront. Vous avez raison. Merci beaucoup.

Voici cependant ma question : quelles leçons les autres entreprises doivent-elles tirer du cas Netflix? C’est-à-dire du point de vue de la concurrence entre producteurs de contenu, dans le contexte canadien en particulier. Avez-vous quelque chose à dire à ce sujet?

Netflix compte parmi les entreprises que l’on distingue par l’euphémisme groupe des FAANG. Connaissez-vous le groupe des FAANG? Au bénéfice de mes collègues, l’acronyme FAANG renvoie aux entreprises Facebook, Amazon, Apple, Netflix et Alphabet — et la lettre « G » vient du fait que l’entreprise Alphabet est la propriété de Google. Comme membre de ce groupe, Netflix suscite beaucoup de questions concernant la puissance commerciale et la concurrence.

Dans le contexte canadien, pouvez-vous me dire ce que vous pensez que Netflix peut fournir comme leçon — c’est le mot que je choisis — à d’autres entreprises au Canada? Avez-vous des commentaires à formuler à ce sujet?

M. Taylor : Il y a deux ou trois choses à savoir à propos de Netflix au Canada. Tout d’abord, le Canada est le premier pays autre que les États-Unis où le service Netflix a été offert. Nous avons été des cobayes. Après que l’expérience se soit avérée satisfaisante, Netflix a commencé son expansion. Ensuite, cela rejoint ce que Marc a dit à propos de l’importance d’aspects comme la propriété canadienne. L’automne dernier a été un moment important pour Netflix. L’entreprise a embauché son premier employé canadien. Ils sont environ 10 millions, — mais, nous ne le savons pas de façon précise, parce qu’elle n’est pas régie par notre système, donc elle ne nous fournit pas ces données. Nous estimons le nombre d’abonnés de Netflix au Canada. Nous savons par contre combien il a d’employés au Canada : un seul. C’est ce qui se passe quand une entreprise extérieure au système commence à participer activement à notre système.

Netflix ne fait pas vraiment partie du système de radiodiffusion au Canada. De fait, les responsables ont été appelés à témoigner devant le CRTC il y a quelques années, et on leur a demandé « Combien d’abonnés avez-vous au Canada? » Ils ont refusé de révéler ce nombre au CRTC. Les responsables du CRTC ont retiré leur témoignage du compte rendu et leur ont demandé de partir.

Voici mon point de vue quant aux leçons que l’on peut tirer de Netflix : premièrement, soyez le premier à pénétrer un marché et vous ferez beaucoup d’argent; et deuxièmement, quand vous ne faites pas vraiment partie du système, notre organisme de réglementation ne peut pas faire grand-chose.

Le sénateur Wetston : Selon le magazine The Economist, monsieur le président, 125 millions de ménages au monde utilisent les services de Netflix, soit deux fois plus qu’en 2014. Les membres de ces ménages regardent Netflix pendant plus de deux heures par jour, en moyenne, consommant ainsi un cinquième de la bande passante en aval mondiale d’Internet.

D’après vous, quel est ce pourcentage au Canada? Pouvez-vous l’évaluer? Je me suis laissé dire qu’il s’établissait à 60 p. 100.

M. Taylor : Vous parlez du nombre de ménages qui utilisent ce service?

Le sénateur Wetston : Oui.

M. Taylor : Je ferais aussi une estimation. Ils ne veulent pas nous donner le nombre. Nous ne devrions pas faire des évaluations. Le comité ne devrait pas avoir à estimer ce nombre.

Le président : Pourquoi devrions-nous nous en soucier? J’ai Netflix, en quoi cela vous préoccupe-t-il?

M. Taylor : Il est important de savoir comment le système fonctionne dans son ensemble. S’ils sont un acteur aussi important que nous le croyons dans le système...

Le président : Ils ne diffusent que de vieux films et des séries télé. Ils ne...

M. Taylor : Non, ce n’est plus le cas. Netflix est maintenant un producteur important. Quant à savoir pourquoi cet aspect est important, si cette entreprise enlève des parts aux producteurs canadiens, alors peut-être qu’elle devrait contribuer à la production de contenu canadien, comme doivent le faire les autres fournisseurs de services canadiens.

Le sénateur Wetston : Voilà ce qui est important.

Le président : N’y a-t-il pas un fournisseur de services canadien qui a tenté de pénétrer ce marché aussi?

M. Taylor : Il y en a eu deux.

Le président : Et l’un des deux n’a pas réussi.

M. Taylor : L’autre a réussi : CraveTV existe toujours. Shomi a abandonné en cours de route.

Le président : Nous avons de la concurrence. Nous avons un fournisseur canadien. Pourquoi nous en soucier?

M. Taylor : Je viens juste de finir d’expliquer pourquoi nous devrions nous en soucier.

Le président : D’accord.

Le sénateur Mercer : Une des raisons pour lesquelles nous devons nous en soucier, en tant qu’industrie culturelle qui offre des débouchés à la créativité et au talent canadiens... Nous n’avons pas besoin de chercher plus loin que notre industrie de la musique. Quand nous avons imposé un certain nombre de règles sur la quantité de contenu canadien qui doit passer à la radio et dans les stations de musique, notre industrie a soudainement décollé. Elle n’a pas seulement décollé au Canada, mais dans le monde entier, car les Canadiens sont talentueux. C’est pourquoi nous devons nous en soucier. Nous devons nous en occuper.

Le président : Je pense que cela serait arrivé de toute façon. On peut le prouver. Je ne veux pas entrer dans un débat.

Le sénateur Mercer : Sénateur, vous et moi sommes assez âgés pour savoir que la situation n’était pas la même.

Le président : Il n’y avait pas beaucoup de gens dans le métier.

Le sénateur Mercer : Cependant, je veux revenir sur quelque chose. Monsieur Taylor, vous n’avez pas tenu compte des Canadiens qui habitent dans les régions rurales dans votre exposé; du moins, c’est ce que je pense. J’habite en périphérie d’Halifax. J’avais l’habitude de dire que j’habitais dans une collectivité rurale. J’habite à 40 kilomètres d’Halifax; de nos jours, c’est une communauté de banlieue. Quand j’étais enfant, j’habitais dans le nord d’Halifax, et où j’habite aujourd’hui, c’était autrefois une région rurale. C’était à une certaine distance. C’est toujours la même distance, mais c’était plus rural avant.

La prestation de service dans les régions rurales du Canada est fondamentale car, elle permet d’entretenir le rêve canadien : vous pouvez vivre n’importe où au pays et être Canadien. Vous pouvez vivre n’importe où dans ce pays et être branché sur tout ce qui s’y passe.

C’est pour cela que nous avons créé CBC/Radio-Canada et que nous continuons à y investir. Le fait de priver les habitants des régions rurales d’une partie des services continue à mener à la création de deux Canadas — une partie rurale et une partie urbaine. Ce n’est plus le Canada partagé entre le français et l’anglais dont nous avions l’habitude de nous inquiéter; maintenant, c’est le Canada partagé entre les régions rurales et les régions urbaines.

Comment se fait-il que nous nous en soucions plus? Il n’y a pas beaucoup de bons exemples. Quand nous avons mené une étude sur les services téléphoniques cellulaires, il y a quelques années, nous avons constaté que la Saskatchewan avait un système intéressant qui offrait un bon service dans le nord de la Saskatchewan, car les responsables ont imposé et ils ont demandé à ce qu’il soit mis en place. Je pensais, lors de la mise en vente aux enchères du spectre, que nous disions oui, vous allez avoir cela, mais vous devez fournir certains services aux régions rurales du Canada. Cela ne fonctionne-t-il pas?

M. Taylor : Non, je suis désolé de dire que cela ne fonctionne pas. Le système auquel vous faites allusion, des choses comme la vente aux enchères du spectre, n’était pas assez audacieux, car on n’a pas demandé aux fournisseurs de s’assurer d’offrir un service de qualité supérieure dans les régions rurales. Mon argument, c’est que nous devons en faire beaucoup plus pour les régions rurales du Canada que ce que nous avons fait jusqu’ici. Cela peut être fait. Nous commençons à avoir des exemples. Par exemple, je suis originaire de Calgary. À une heure au nord de Calgary se trouve la ville d’Olds, en Alberta. Olds a le débit Internet le plus rapide du Canada. Le réseau a été mis en place par la municipalité qui a reçu un financement local et provincial. Les responsables ont élaboré un fantastique réseau municipal.

Je pense qu’il y a davantage de petites villes au Canada qui feraient la même chose, surtout en ce qui a trait au sans-fil, si, pour commencer, elles pouvaient avoir accès au spectre. L’installation d’une fibre optique coûte cher, surtout pour les maisons, ce qu’ils appellent « le dernier kilomètre. » La partie la plus coûteuse est le segment entre la route et la porte d’entrée. C’est pour cela que je suis si résolument en faveur du service à large bande sans fil, surtout dans les régions rurales.

Pour en revenir à votre question, sénateur Mercer, nous n’avons pas imposé assez de conditions aux fournisseurs de service sans fil au Canada. Ils ont perçu d’énormes rétributions financières et ils ont beaucoup hésité à fournir un service dans les régions... Hier soir, je parlais à un de mes amis qui habite à l’extérieur de Perth. C’est à moins de 45 minutes d’ici. Les services qu’il reçoit sont de mauvaise qualité. Cela ne devrait pas se produire.

Le sénateur Mercer : Je dois avouer, avant de poser ma prochaine question, que j’ai Netflix dans ma maison en Nouvelle-Écosse et dans mon condo, ici à Ottawa. Je vais avouer mon péché avant de poser ma prochaine question sur le contenu canadien.

Je suis très frustré par la télévision canadienne, en particulier par CBC/Radio-Canada et Global. La présentation télévisée n’est plus ce qu’ils affirment qu’elle est. Par exemple, dans le Canada atlantique, le sénateur Cormier, le sénateur MacDonald et moi pouvons regarder CTV en anglais dans les deux provinces. Le bulletin de nouvelles commence à 18 heures, sur les mots « en direct et de votre région ». Eh bien, c’est peut-être en direct, mais ce n’est pas de notre région.

J’habite en Nouvelle-Écosse. Le sénateur MacDonald également. Je ne sais pas ce qu’il en pense, mais pour ma part, les embouteillages au centre-ville de Saint John, au Nouveau-Brunswick ne m’intéresse pas, à moins que j’aille à Saint John. Un jour, j’ai compté cinq nouvelles, dans le bulletin, avant qu’il y en ait une sur la Nouvelle-Écosse. Selon moi, ce n’est ni en direct ni de notre région.

Je comprends pourquoi c’est ainsi. Je comprends qu’il n’est pas rentable d’avoir une station active au Nouveau-Brunswick et une autre en Nouvelle-Écosse. C’est moins cher d’en avoir une qui fournit un service régional, mais le gouvernement offre aux gens la possibilité de mener cette activité. Ne devrait-il pas y avoir un règlement selon lequel, si vous dites « en direct et de votre région » — et je ne propose pas que nous contrôlions ce que les gens disent à la télévision —, puisque vous donnez aux gens la possibilité de faire de l’argent grâce au système, ne devraient-ils pas entretenir le système de la manière décrite en premier lieu?

M. Raboy : Tout d’abord, le problème est différent avec CBC/Radio-Canada et les radiodiffuseurs privés. Je suis sur le point de dire quelque chose qui ne m’aidera pas à me faire des amis à CBC/Radio-Canada — j’aime faire la promotion de CBC/Radio-Canada —, mais je peux vous dire que, si j’étais du même côté que vous, je recommanderais qu’on ajoute à la loi l’obligation pour CBC/Radio-Canada de faire de la programmation locale. Je ne suis pas du même côté que vous.

Il y a quelques années, je ne me rappelle plus si c’était à un comité du Sénat ou de la Chambre, mais l’un des présidents de CBC/Radio-Canada comparaissait devant le comité; et un membre a soulevé la même objection que vous, et le président a dit : « Cela ne relève pas de mon mandat. Je n’ai déjà pas assez d’argent pour faire ce que je suis censé faire. Je ne vais pas faire quelque chose qu’on ne s’attend pas à ce que je fasse. » Ajoutez cette attente à la loi. Puis, donnez-leur plus d’argent. Toutefois, ajoutez au moins cette attente à la loi.

Le président : Sénateur Mercer, pour votre information, Paul Anka, Bobby Curtola, Kenny Shields, The Diamonds, the Crew-Cuts; ils étaient là avant Juno. Tout un monde existait avant Juno.

Le sénateur MacDonald : Monsieur Taylor, je vais revenir sur vos commentaires. Le président les a évoqués. Je veux que vous me convainquiez. Vous ne m’avez pas encore convaincu. CBC/Radio-Canada continue à être un acteur clé, et doit être au cœur de l’avenir des médias canadiens. La plupart des personnes de mon âge ont grandi avec CBC/Radio-Canada... La seule chaîne du Canada. Les deux nouveautés ont été, CTV quand j’avais 10 ans — nous avions alors deux chaînes de télévision — puis les programmes en couleurs. C’était une ère nouvelle; c’était magnifique. Nous étions tous captifs de CBC/Radio-Canada; c’était notre porte ouverte sur le monde.

Je regarde à peine CBC/Radio-Canada. J’avais l’habitude de regarder parfois les matchs de hockey. Je regarderai les matchs de hockey, les événements sportifs spéciaux, quelque chose de particulier. Les responsables ont mis ça au rebut. La plupart des programmes de télévision que je regarde, j’ai choisi de les regarder. C’est le programme que je choisis de regarder, pas nécessairement la station. Vous dites que CBC/Radio-Canada est un élément central du système de communication canadien — en fait, il se peut que cela se soit intensifié —, mais je n’en suis pas convaincu. Peut-être que vous avez raison, mais je veux que vous arriviez à me convaincre. C’est de moins en moins pertinent pour moi, et mes enfants ne la regardent pas. Comme le président dit — et je ne peux qu’être d’accord — que signifie le contenu canadien si personne ne regarde la télévision?

M. Taylor : Tout d’abord, pour ce qui est du rôle de CBC/Radio-Canada ou de sa pertinence... Il y a une étude, entre autres, effectuée à quelques reprises par l’Université de la Colombie-Britannique, qui porte sur l’examen des marques les plus fiables au Canada. La première marque médiatique est de loin CBC/Radio-Canada. Elle reste celle que les Canadiens consultent et en laquelle ils ont confiance.

Vous avez raison. En ce qui concerne les cote d’écoute, elle n’est pas aussi concurrentielle que les réseaux privés, qui ont constamment les cotes les plus élevées. Si vous examinez les émissions qui ont les meilleures cotes... Par exemple, sur CTV, c’est Big Bang Theory, puis Young Sheldon . J’ai examiné les 50 émissions les plus regardées l’année dernière, et c’étaient toutes des importations américaines sur CTV. Il n’y avait aucune contribution au système canadien, à part le fait que ce soit très lucratif pour CTV. C’est une activité commerciale et ce réseau la mène à bien.

Quand nous parlons de choses comme, disons, qui se soucie de qui possède quoi, et que nous cherchons une manière de fournir du contenu canadien... L’Institut C.D. Howe a mené une étude il y a environ 10 ans... Je crois que le titre était Scrambled Signals. Ne me citez pas à ce sujet, mais c’était l’Institut C.D. Howe. Dans cette étude, il est dit que, alors que nous nous tournons vers l’avenir du monde numérique, la seule manière de garantir que nous aurons du contenu canadien à notre disposition, c’est de fournir du financement à CBC/Radio-Canada. C’est vraiment ça, l’avenir. Car ce sera très difficile. Il se peut que nous n’ayons même plus CTV ou Global d’ici 5 ou 10 ans. Pourquoi faudrait-il que ces chaînes nous fournissent des émissions si nous pouvons directement les obtenir à partir d’une source quelconque? Toute leur raison d’être pourrait disparaître dans les 10 prochaines années.

Nous avons encore besoin de quelque chose qui nous permettra de rester connectés en tant que pays.

Si nous devions renoncer à CBC/Radio-Canada, j’ai l’impression que nous allons probablement essayer de la remettre sur pied dans 5 ou 10 ans. Je pense que c’est quelque chose qui continue à fonctionner de manière générale. Ses baladodiffusions fonctionnent parfaitement bien sur les appareils Apple, sur iTunes. Elle essaie d’en faire plus dans le domaine numérique. Nous demandons quasiment l’impossible à CBC/Radio-Canada, qui est maintenant présente à la radio et à la télévision, et qui produit des baladodiffusions et des vidéos en continu. Son site web fonctionne très bien. Je pense qu’elle continue à être pertinente pour le système à bien des égards.

Le sénateur MacDonald : Je ne suis pas encore convaincu. J’ai une autre question.

M. Taylor : Bien sûr.

Le sénateur MacDonald : Vous avez parlé de l’importance de la fonction publique pour ces entreprises et ces diffuseurs. Qu’est-ce que cela révèle sur leurs obligations publiques, alors qu’ils ne se donnent pas la peine de présenter les débats nationaux pendant une élection fédérale? J’aimerais que vous répondiez tous les deux à cette question. Dans le cadre d’une élection fédérale, ils ne se donnent pas la peine de présenter les débats aux gens qui veulent devenir le premier ministre de notre pays. Ils ont décidé de manière subjective de ne pas le faire. Qu’en est-il de l’obligation publique dans ce domaine?

M. Raboy : C’est le type de choses qui devrait être porté à l’attention du CRTC. Vous n’allez pas inscrire dans la loi que les télédiffuseurs devraient couvrir les débats électoraux. Le CRTC peut prendre l’initiative d’intervenir ou il peut répondre aux plaintes. Normalement, il répond aux plaintes. Il s’agit d’une question de contenu. C’est un type particulier de question de contenu. Je dirais que, si elle était portée à l’attention du CRTC, il aurait de très bons arguments du point de vue de l’obligation de service public prévu par la loi. C’est une des raisons pour lesquelles il est important que cela demeure au plus haut échelon de l’ensemble de la superstructure, si vous voulez. La radiodiffusion est un service public. Vous pouvez ensuite dire à un télédiffuseur : « Pourquoi ne les présentez-vous pas? Nous voulons que vous les présentiez. La prochaine fois, nous voulons nous assurer que vous les présentiez ou peut-être que votre licence sera menacée. » Il y a tout un éventail de choses.

Cela tient vraiment au CRTC. On doit donner au CRTC les outils voulus pour le faire, et ça doit être dans la loi.

Puis-je répondre à la question sur CBC/Radio-Canada?

Le sénateur MacDonald : Oui.

M. Raboy : À vous entendre, j’ai l’impression que vous parlez probablement des émissions dramatiques anglophones, n’est-ce pas?

Le sénateur MacDonald : Je ne regarde pas beaucoup d’émissions dramatiques.

Le sénateur Manning : Et Coronation Street?

Le sénateur MacDonald : Je regarde maintenant à peine les nouvelles au Canada.

M. Raboy : D’accord. Oubliez ça. Ce n’est pas une question de ce que vous regardez. Ce qu’il faut retenir, c’est que CBC/Radio-Canada fait beaucoup de choses. Il est difficile de donner des chiffres, mais les sondages d’opinion publique que j’ai vus au fil des gens montrent qu’un très grand pourcentage des Canadiens utilise au moins un service offert par CBC/Radio-Canada. La télévision est un de ces services. La radio en est un autre. Il y a la radio nationale, la radio locale et le site web, qui est l’un des plus visités pour les nouvelles...

Le président : C’est un journal gratuit, n’est-ce pas? Vous allez sur le site web et vous avez un journal gratuit. Pourquoi les gens ne l’utiliseraient-ils pas?

M. Raboy : Qu’y a-t-il de mal à cela?

Le président : Je ne sais pas. Je dis seulement que les contribuables paient pour ça. Quelqu’un paie pour ça. Pourquoi les citoyens ne l’utiliseraient-ils pas? C’est gratuit, vous n’avez pas à vous abonner comme c’est le cas avec le Globe and Mail, le National Post ou le StarPhoenix.

M. Raboy : C’est une des définitions d’un service public. Il est gratuit.

Le président : Eh bien, allons donc.

M. Raboy : Je n’ai pas vu les chiffres là-dessus, mais il y a de la publicité sur le site web de CBC/Radio-Canada. Si vous écoutez...

Le président : Est-ce juste? Est-ce juste pour le Globe and Mail, le National Post ou le StarPhoenix?

M. Raboy : Oui, c’est juste, parce qu’ils reçoivent des substitutions simultanées et toutes sortes d’autres avantages. Laissez-moi vous dire ceci : si j’étais Dieu, il n’y aurait pas de publicité, et CBC/Radio-Canada serait financé adéquatement, comme un télédiffuseur semblable à la BBC. Cette dernière ne vend pas de publicité. Tout le monde convient qu’elle est le plus grand télédiffuseur du monde.

La radio de CBC/Radio-Canada, lorsque vous l’écoutez, ne présente aucune publicité parce que le CRTC ne le lui permet pas. Toutefois, si vous écoutez la même émission sur le Web, il y aura de la publicité. C’est anormal, à mon avis.

Nous mêlons bien des choses ici. Est-ce juste, est-ce injuste? C’est un type de question. Essentiellement, un télédiffuseur public national comme CBC/Radio-Canada ne devrait pas dépendre de revenus commerciaux découlant de la publicité. C’est ce qui crée un système confus. Bien sûr, lorsque vous allumez la télévision à CBC/Radio-Canada, souvent, vous ne savez pas pendant un moment si vous regardez CTV, Global ou CBC/Radio-Canada. Lorsque vous écoutez la radio de CBC/Radio-Canada, vous le savez immédiatement, que vous l’aimiez ou non. Ce n’est pas une station commerciale.

Le président : Je le sais certainement. C’est facile.

M. Raboy : De toute façon, ce que j’aimerais dire, c’est que nombre de Canadiens obtiennent quelque chose de CBC/Radio-Canada — peut-être pas tout. Ils regardent ou écoutent quelque chose. Ils obtiennent quelque chose qu’ils ne pourraient pas obtenir ailleurs.

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : Après avoir écouté attentivement le débat, depuis que je suis arrivée, je dois tout de même faire une mise au point. J’ai travaillé 30 ans à Radio-Canada. Évidemment, cela me place ici dans une position fort différente de celle d’autres collègues. Je vous avoue tout de suite mon conflit d’intérêts dans la mesure où je crois en Radio-Canada. Je crois que Radio-Canada a façonné, en partie, l’histoire du Québec. Je crois au service public. Je crois que l’existence de Radio-Canada fait en sorte que les télévisions privées au Québec sont meilleures. Parce qu’il y a Radio-Canada, TVA est obligée de diffuser les débats lors des campagnes électorales, et TVA fait de la nouvelle internationale. Il y a au Québec une émulation, grâce à la présence de Radio-Canada, qu’on ne peut nier.

Je serai brève. Étant donné le temps qu’on a pris pour démolir Radio-Canada, je voulais vous donner une autre opinion sur la question.

J’ai tout de même une question à poser, au-delà de mes opinions, sur ce que vous avez dit, monsieur Taylor, en particulier sur l’avenir de la radiodiffusion.

[Traduction]

Vous étiez très optimiste concernant la survie de la radiodiffusion. J’ai été un peu étonnée de votre optimisme. D’après ce que je vois et ce que je lis, il s’agit d’une mort lente, et la publicité en fait partie. Les revenus de la publicité à la télévision baissent. Radio-Canada migre vers Internet. Oui, c’est une excellente nouvelle parce que Radio-Canada maintient les mêmes principes, et son journalisme est encore solide.

J’aimerais savoir pourquoi vous êtes tellement optimiste compte tenu des cotes d’écoute, de la baisse des revenus et de la concurrence provenant d’autres sources?

M. Taylor : Merci beaucoup. À mon avis, lorsque nous parlons de radiodiffusion, il est important de ne pas oublier que nous ne parlons pas seulement de la télévision locale. En fait, depuis la nouvelle loi — eh bien, depuis également l’ancienne loi, j’imagine —, la câble fait maintenant partie du système de radiodiffusion. Sur le plan juridique, les câblodistributeurs, les fournisseurs de services satellitaires et les fournisseurs de services de télévision par IP sont des télédiffuseurs. C’est une partie très solide de notre système. C’est très rentable, même si certains de leurs chiffres baissent — comme je l’ai dit, environ 5 p. 100 pour le câble —, ils ont réussi tant bien que mal à assurer la stabilité de leurs revenus, ce qui signifie qu’ils augmentent leurs prix chaque mois.

La radio est relativement stable. La télévision locale conventionnelle axée sur la publicité souffre. Il n’y a aucun doute là-dessus. Je devrais ajouter que les chaînes spécialisées continuent de très bien se tirer d’affaire sur Internet. Lorsque nous parlons de radiodiffusion au Canada, nous avons tendance à revenir aux histoires sur la télévision locale et CBC/Radio-Canada. Lorsque nous examinons l’ensemble du système, il fonctionne assez bien en réalité. Oui, la télévision conventionnelle éprouve des problèmes. Vous pourriez faire valoir que, si les télédiffuseurs conventionnels n’appartenaient pas à des câblodistributeurs et à des fournisseurs de services satellitaires, ils déploieraient peut-être plus d’efforts pour leurs chaînes locales de télévision généraliste qui sont diffusées sur le câble.

Ils bénéficient d’un certain nombre d’avantages. Je pense que cela pourrait être amélioré.

Mon optimisme va seulement jusqu’à un certain point. Il est modéré par la reconnaissance d’un lent déclin. Actuellement, je ne constate pas de dégringolade. L’industrie de la musique, elle, elle est tombée dans un gouffre. Ce n’est pas le cas de l’industrie de la radiodiffusion. Elle a connu un déclin lent, et même Netflix a connu une baisse de peut-être 5 p. 100. Je parle d’abonnés au câble. Pour ce qui est du visionnement de la télévision, il y a eu une baisse d’une heure par semaine. Nous la regardions 27 heures par semaine, et maintenant, c’est 26 heures depuis l’arrivée de Netflix; on parle de la télévision conventionnelle. Il n’y a pas eu d’effondrement. Le ciel ne nous est pas tombé sur la tête. Les données sont la raison de mon optimisme.

Si la télévision conventionnelle tombe dans un gouffre, je reviendrai et je vous dirai que j’avais tort. Cependant, de ce que j’ai vu jusqu’à maintenant, je ne crois pas que ce sera le cas.

La sénatrice Miville-Dechêne : Monsieur Raboy, que recommanderiez-vous au comité? Comment pouvons-nous nous assurer que le système continue d’offrir un service public? Je sais que c’est une question difficile et ouverte. Je voyais davantage le service public de CBC/Radio-Canada, mais vous avez raison, l’enjeu est plus large. Que devrions-nous faire avec ces trois lois? C’est habituellement plutôt technique de conserver, de maintenir ou d’améliorer la qualité.

M. Raboy : Tout d’abord, je pensais uniquement au libellé de la loi en venant ici parce que, selon ce que je comprends, c’est la nature de votre mandat. Si j’ai bien compris, votre comité va préparer un rapport sur ces lois. Prenez simplement une version de ce que je vous ai dit dans ma déclaration liminaire et dites que cela doit être dans la loi. Je ne tiendrai pas pour acquis que cela figurera dans la loi, non pas à de noirs desseins, mais simplement parce que certaines choses pourraient tomber ou être mises de côté, parce que là n’est pas le cœur du débat.

Ensuite, dans plusieurs années, quelqu’un dira : « Pourquoi CTV ne couvre pas les débats des chefs? » Ce à quoi les dirigeants de CTV répondront : « Parce que nous n’y sommes pas obligés. » Ce pourrait être un bon exemple à utiliser. Encore une fois, si je vous ai bien compris, vous devez proposer des approches. Comment faire en sorte que le système continue d’offrir un service public? Vous devez vraiment vous pencher sur cette question. Nous ne pouvons pas y répondre ce soir. Vous devez mener des recherches sur l’industrie et de vastes consultations.

Une des choses que j’aime à propos de la loi de 1991, comme elle est rédigée, c’est qu’elle découle d’un grand consensus. Il y a eu beaucoup de débats, y compris devant votre comité aux dernières étapes, si je ne me trompe pas, au cours desquels vous avez entendu des intervenants de l’industrie, des organisations non gouvernementales et tout un éventail de personnes. Je pourrais vous indiquer des mots dans la loi qui s’y trouvent par suite de ce processus consensuel.

Je pense que c’est le type de choses que vous devez dire. Le vaste éventail de points de vue sur le processus qu’obtiendra le gouvernement au bout du compte est important s’il réécrit la ou les lois, et il n’est pas nécessairement tenu pour acquis. Il ne faut pas tenir pour acquis qu’il y aura des audiences publiques, où des dizaines de groupes seront invités à témoigner. C’est un processus coûteux, mais c’est la démocratie.

Le sénatrice Miville-Dechêne : Le consensus de 1991 n’existe peut-être pas aujourd’hui. Qu’en pensez-vous?

M. Raboy : En 1991, il y avait également des conflits. On a certainement dégagé un consensus autour des principes généraux. J’ai rédigé un livre sur le processus de 1991, dont la conclusion était qu’il y a eu un intervenant qui s’en est mieux tiré que les autres. Le livre était intitulé Accès inégal parce qu’il portait sur l’industrie de la câblodistribution de l’époque. C’était la seule organisation à avoir un puissant lobby permanent à Ottawa. Elle a écarté l’ensemble des télédiffuseurs conventionnels parce qu’elle avait gagné la faveur des personnes qui rédigeaient la loi. Ce processus peut parfois être très obscur. Pour ce qui est de ce que le système devrait produire relativement à la diversité, par exemple, des articles qui n’existaient pas dans la loi à ce moment-là ont eu une véritable incidence sur la diversité du système.

Il y a des choses que je n’aime pas à propos du libellé de la loi. Par exemple, il est indiqué que la radiodiffusion autochtone devrait être offerte au fur et à mesure de la disponibilité des moyens. Qu’est-ce que cela veut dire? Vous pouvez faire beaucoup de choses, mais vous auriez vraiment à parcourir le texte au peigne fin.

[Français]

La sénatrice Galvez : Merci de votre présence et des renseignements très intéressants que vous avez partagés avec nous.

[Traduction]

Je vais commencer par dire que je suis sénatrice indépendante. Je n’ai jamais été affiliée à quelque parti politique que ce soit. Cela fait deux ans que je suis ici...

Le président : Cela ne vous disqualifie pas.

La sénatrice Galvez : Merci.

Il est intéressant d’analyser et de comparer des situations et des opinions. Vous avez dit que la radiodiffusion et le problème que nous étudions actuellement pourraient être comparés à l’éducation et à la santé. Mon collègue a dit que cela pourrait se comparer au secteur de l’énergie. Je suis tout à fait d’accord avec lui. Au comité, nous étudions un pipeline qui traverse le pays d’un océan à l’autre et qui revêt une importance nationale : il faut qu’il véhicule du contenu canadien et qu’il satisfasse les besoins du Canada. Le pétrole alimente et chauffe nos maisons. Radio-Canada alimente nos cerveaux. Nous avons également besoin de cela. C’est du contenu canadien, et cela devrait également revêtir un intérêt national.

À mon avis, le problème — et je crois que c’est au cœur de la discussion —, c’est qu’il y a trois éléments dans le système. Vous avez dit qu’il s’agit d’un système unique. Je crois qu’il est composé de trois parties. Il y a le producteur de contenu, le distributeur de services Wi-Fi ou de services par satellite, de câblodiffusion ou peu importe, et le télédiffuseur, qui est...

Le président : Avez-vous une question?

La sénatrice Galvez : Oui. Vous avez utilisé tellement de temps.

Le président : Je pose beaucoup de questions.

La sénatrice Galvez : Ma question est la suivante : ne serait-il pas plus efficace qu’une partie de notre législation s’occupe du contenu — c’est ce que nous disions, 80 p. 100 de contenu canadien — et le réglemente? C’est important, parce que je connais des pays où le contenu est du grand n’importe quoi provenant du secteur privé. Au Québec, on a certaines chaînes de radio qui diffusent des âneries. S’il n’y a pas de bonnes options, qu’enseignons-nous à nos enfants?

Il y a une autre partie qui pourrait s’occuper du support par lequel le contenu est distribué, parce que c’est technologique, sans fil, par satellite et par câble. C’est de la technologie. Cela évolue à une très grande vitesse. Pourquoi faut-il qu’il n’y ait qu’une seule chose qui régisse tout? Je pense qu’il existe deux points de vue très différents. Je vous remercie d’avance de votre réponse.

M. Taylor : Je vais commencer par la deuxième partie. Vous avez parlé de la technologie et de la rapidité avec laquelle elle évolue. Je pense que cela revient à quelque chose que disait le professeur Raboy tout à l’heure. L’un des aspects positifs de la loi actuelle est qu’elle est rédigée d’une manière très neutre sur le plan technologique. On ne voit pas de référence à des formes spécifiques de technologie dans la loi. On parle simplement de « distribution ». Je pense qu’il est important que cela soit maintenu, pour la raison que vous avez mentionnée, étant donné la rapidité avec laquelle ces choses évoluent.

Pour ce qui est de savoir pourquoi cela fait partie de l’ensemble du système, lorsque vous faites intervenir la distribution — par exemple, nous finançons le contenu au moyen de la distribution, car tout cela fait partie du même système à l’heure actuelle. Quand la câblodistribution a commencé — c’est quelque chose que j’enseigne dans mes cours —, c’était une industrie pirate ou illégale, un peu comme beaucoup de sites Internet de diffusion en continu le sont aujourd’hui. Que s’est-il passé? Nous l’avons fait entrer, nous l’avons intégrée à l’industrie, et les pirates ont rejoint le groupe. Ce n’est pas moi qui l’ai dit, mais c’est quelque chose qui s’est produit.

Le président : C’est bien dit.

M. Taylor : Cela ne vient pas de moi, c’est de Lawrence Lessig.

Pourquoi les rassemblons-nous tous au même endroit? Parce qu’il n’est pas facile de les séparer, et qu’ils se nourrissent les uns des autres. Ils font partie d’un système.

Pour en venir à ce que vous avez dit plus tôt au sujet du contenu, il est très difficile de mettre l’aspect de la qualité dans une loi. Vous pouvez inclure des modèles de financement; le gouvernement peut le faire. Il est difficile de légiférer sur la qualité. Il est important de reconnaître que les Canadiens, parce que nous revenons sans cesse à CBC/Radio-Canada, paient chacun 29 $ par année pour CBC/Radio-Canada. Même selon les standards de Netflix, c’est une bonne affaire. C’est quelque chose dont il faut tenir compte quand on regarde ce que l’on voit à l’écran — combien payons-nous?

Toutes ces choses ont un prix. En général, les émissions de Netflix coûtent maintenant plus cher que les super productions hollywoodiennes, et nous ne sommes tout simplement pas dans cette ligue, nous ne l’avons jamais été, pas même par rapport aux émissions américaines.

M. Raboy : Vous avez soulevé une question absolument cruciale. Pour réitérer une des choses que Greg a dites et l’expliquer un peu : à un moment donné, la distribution et le contenu — c’est ce dont vous parlez vraiment, le contenu et la distribution... Les mots à la mode étaient auparavant diffusion et contenu. Ils ont été dissociés. C’est vraiment dans les années 1970 que, même s’il y avait deux lois, le gouvernement a créé le CRTC pour appliquer les deux. Déjà à l’époque, il y avait déjà certains chevauchements. Il y en a de plus en plus.

Alors qu’aujourd’hui il y a certaines choses qui sont strictement liées au contenu qui peut être couvert par la Loi sur la radiodiffusion, et il y a des choses qui sont strictement liées, disons, à l’infrastructure, au spectre ou à certains des usages personnels, comme la téléphonie cellulaire ou autre, qui relèvent des télécommunications, mais il y a aussi cette énorme zone au milieu.

De plus, ce sont les mêmes entreprises, ce qui pose un problème supplémentaire. Vous avez les mêmes entreprises qui exercent leurs activités dans tous ces domaines différents. Comment pouvez-vous les réglementer séparément? Vous pouvez réglementer certaines activités séparément. Il doit y avoir une sorte de surveillance globale. Voilà le dilemme. Le Canada a peut-être été le premier des pays industrialisés à le reconnaître dans les années 1970, lorsqu’il a confié le double mandat au CRTC. À cet égard, nous ne nous en tirons pas trop mal en ce sens qu’il n’y a qu’un seul organisme; vous n’avez pas à vous adresser à deux endroits si vous avez affaire à deux versants de la même question.

Il y a également des aspects qui continuent de poser problème. La radiodiffusion et les télécommunications fonctionnent selon une logique différente, si l’on veut. L’une consiste à offrir du contenu, comme vous l’avez dit, et l’autre est l’infrastructure.

Le sénateur Manning : Je remercie nos témoins de ce soir. Pour commencer par la divulgation complète : je regarde Radio-Canada de temps à autre.

Le sénateur Mercer : Vous êtes cette personne.

Le sénateur Manning : J’ai grandi dans une collectivité rurale de Terre-Neuve-et-Labrador. Pendant la plus grande partie de ma vie, je n’ai connu qu’une seule chaîne : CBC/Radio-Canada. Comme le sénateur MacDonald l’a mentionné plus tôt, cela nous a montré un monde extérieur que nous n’aurions pas vu à l’époque.

J’encourage beaucoup les émissions locales. Encore une fois, venant de Terre-Neuve-et-Labrador, je regarde des émissions comme Land and Sea, par exemple. Très peu de Terre-Neuviens ne l’ont pas regardée; nous l’avons tous regardée à l’occasion.

Je ne m’inquiète pas tant du passé que de l’avenir. Dans le monde d’aujourd’hui, dans n’importe quel autre domaine, il y a beaucoup de concurrence. C’est la même chose dans le monde de la radiodiffusion. Nous en avons parlé ce soir — ainsi que des jeunes. Comme je l’ai dit, quand j’étais jeune, il n’y avait qu’une chaîne à regarder. Mes enfants et mes petits-enfants ont maintenant une grande variété. Selon CBC/Radio-Canada, le CRTC a de la concurrence — et M. Raboy a parlé plus tôt des outils. Au chapitre des outils dont le CRTC a besoin pour être en mesure d’assurer la programmation locale, au-delà de CBC/Radio-Canada, y a-t-il quoi que ce soit en place qui puisse aider le CRTC à s’assurer qu’il y ait des émissions locales au-delà de ce qui est offert par CBC/Radio-Canada?

M. Raboy : En ce qui concerne la programmation locale, le CRTC dispose de plus d’outils pour faire pression sur le secteur privé qu’il en a pour le secteur public. Lorsqu’il ne s’agit pas de CBC/Radio-Canada, la loi dit que la programmation devrait provenir de sources locales, régionales, nationales et internationales.

Au fil des ans, le CRTC a parfois imposé des exigences en matière de radiodiffusion locale aux stations de radio et de télévision. Habituellement, il entame des discussions au cours desquelles les stations privées disent, entre autres, ce qui suit : « Nous allons perdre de l’argent ou nous pourrions même faire faillite. » Cela devient une négociation.

En ce qui concerne une question de ce genre, le CRTC est très sensible aux pressions du public. Si une collectivité de Terre-Neuve-et-Labrador devait s’organiser et lui envoyer une pétition décrivant en détail sa situation et ses besoins, le CRTC répondrait probablement d’une façon ou d’une autre. C’est à cela que servent les outils.

On arrive ensuite à la grande question de savoir qui sont les amis de qui et dans quelle mesure le CRTC entend s’attaquer à la question. Encore une fois, cela devient très problématique lorsque la station locale appartient à une énorme entreprise qui a des tentacules dans tout le système. Le CRTC aura beaucoup plus d’influence auprès d’un propriétaire d’une véritable station locale pour l’amener à se conformer ou à être plus souple face aux besoins du public dans la collectivité.

Il y avait une deuxième partie à votre question.

Le sénateur Manning : Je craignais qu’il y ait déjà de la concurrence. Quel est l’attrait du radiodiffuseur national? Que fait-il pour plaire? Tout le monde connaît le montant d’argent qui est versé au radiodiffuseur public. Quel est son attrait? Je connais le site web de CBC/Radio-Canada. Comment faire pour attirer les jeunes? Ils ne regardent pas; soyons honnêtes, ils ne regardent pas.

Le président : Personne ne regarde, ni les jeunes ni les vieux.

M. Raboy : Il y a un mot à la mode en ce moment, et je ne sais pas s’il en a été question dans d’autres témoignages : la découvrabilité.

Senator Manning : Si vous ne trouvez pas la réponse à une question, vous n’avez qu’à trouver un nouveau mot, n’est-ce pas?

M. Raboy : On nous dit qu’il y a beaucoup de contenu canadien sur Internet à l’heure actuelle — il est simplement introuvable. Il s’agit d’un domaine où, si nous contrôlons le système, nous avons une certaine marge de manœuvre pour faire connaître le contenu canadien qui existe, obligeant même les radiodiffuseurs à diffuser certaines choses ou à truquer le système de façon à ce que ces choses se présentent et soient l’équivalent des anciens guides de télévision. C’est une approche. C’est un problème mondial; le Canada n’est pas le seul pays à y faire face.

Le monde est tellement inondé de produits de diffusion de masse que les gens ne réfléchissent pas toujours à la question. Ils voient une publicité ou une annonce et ils disent : « Ça semble intéressant. » Ils ne voient jamais l’annonce du produit canadien parce qu’elle n’est pas mise devant leurs yeux comme c’est le cas de l’autre.

Je pense que le CRTC réfléchit à cette question et essaie de trouver des solutions, mais il s’agit d’une façon de régler le problème que vous avez soulevé.

J’avais l’habitude de faire un exercice avec mes élèves dans le cadre duquel je leur posais les questions suivantes : combien d’entre vous ont une télévision? Aucun, personne. Combien d’entre vous regardent des émissions de télévision sur Internet? Tout le monde. Évidemment, sur Internet, il y a tellement plus de contenu accessible, et c’est très difficile de le trouver. Vous ne savez même pas si vous êtes exposé à ce qui vous intéresse vraiment. Vous êtes exposé à ce dont vous êtes inondé.

Le sénateur Manning : L’un ou l’autre d’entre vous peut répondre à cette question. Si vous deviez faire une suggestion ou donner un exemple d’une modification que vous pourriez apporter à la Loi sur la radiodiffusion pour améliorer la programmation locale dans son ensemble, qu’est-ce que ce serait?

M. Taylor : Je dirais que les bulletins de nouvelles de l’heure du souper doivent être une condition de licence. Ils sont bien connus pour être déficitaires. Ils sont coûteux, et les radiodiffuseurs préfèrent de loin diffuser un épisode d’une émission américaine, de préférence une ancienne qui est en rediffusion, et l’insérer à 18 heures parce que c’est là qu’ils font beaucoup plus d’argent. Je dirais, comme condition de licence, que si vous diffusez des émissions américaines à 19 heures et à 20 heures de toute façon, je ne pense pas que ce soit exagéré de vous demander de présenter un bulletin d’information à 18 heures pendant l’heure du souper. Je pense que cela devrait être une condition de licence.

C’est une question qui a été soulevée à maintes reprises concernant CBC/Radio-Canada. Le point que nous faisons valoir est presque identique à un argument de CBC. Radio-Canada n’a pas ce problème dont nous discutons en ce moment. Ses cotes d’écoute sont très bonnes, nous en sommes reconnaissants.

La sénatrice Miville-Dechêne : Les gens regardent.

M. Taylor : Ils le font. Je voulais juste que ce soit clair.

Le président : La Louisiane ne produit pas d’émissions en français, ce qui pourrait être une partie du problème.

La sénatrice Miville-Dechêne : Vous avez dit que personne n’écoute Radio-Canada. Ce n’est pas vrai. C’est faux. Nous atteignons, de façon régulière, des côtes d’écoute dépassant de un à deux millions de téléspectateurs pour des émissions à Radio-Canada.

M. Taylor : Le problème concerne le Canada anglais.

Le président : Effectivement, c’est le cas.

M. Taylor : C’est tout ce que j’ai à dire là-dessus. CBC/Radio-Canada vit encore ces moments, et c’est relatif à notre époque. C’est aujourd’hui l’anniversaire de la mort de Gord Downie, du groupe The Tragically Hip. L’un des derniers grands succès de CBC a été la présentation du concert de ce groupe. Un tiers des Canadiens a regardé cela en même temps sur les ondes de CBC, remplissant ainsi le mandat de la chaîne. Je suis peut-être le reflet de ma génération en regardant cela, mais c’est un moment qui a rassemblé le pays. C’est grâce à CBC. Ce faisant, elle s’acquittait de son mandat en vertu de la Loi sur la radiodiffusion. J’ai juste pensé que ce serait bien de le mentionner.

M. Raboy : Je l’ai mentionné plus tôt en réponse à une autre question, mais je vais le répéter. J’intégrerais dans la loi une obligation selon laquelle on doit diffuser des émissions locales dans le cadre du mandat de CBC/Radio-Canada afin que ce soit clair pour cette dernière. Elle lit son mandat, le prend au sérieux et en assume la responsabilité. Inscrivez cela dans la loi, et, la prochaine fois qu’elle se présentera devant vous, elle devra rendre compte de sa façon de faire. Pour l’instant, elle ne le fait pas.

Le sénateur Wetston : Je vous remercie, monsieur le président, de me donner l’occasion de poser une question complémentaire.

J’ai essayé d’explorer ces questions avec vous un peu plus tôt. Je m’intéresse à la concurrence, au cadre réglementaire et au pouvoir de marché considérable qui existe maintenant clairement entre les entreprises aux échelles nationale et internationale. Internet devient plus focalisé et moins décentralisé. Il est très clair que, de nos jours, le contrôle d’Internet est de plus en plus important. Le contrôle des données est excessif aujourd’hui, et il s’accroît.

J’en viens à la question sur la neutralité du Net. Je suis certain que vous avez tous deux des opinions à ce sujet; vous l’avez déjà mentionné. Les États-Unis ne vont pas en ce sens. La Federal Communications Commission semble abolir certaines des règles concernant la neutralité du Net. Selon moi, cela va favoriser les entreprises, leur donner plus d’emprise sur Internet et leur permettre d’obtenir une rente plus élevée grâce à leur contenu.

Quel est votre avis pour le Canada et la neutralité du Net? Avez-vous des commentaires à faire à ce sujet?

M. Taylor : Je reviens tout juste d’une conférence tenue la semaine dernière à Montréal pour l’Association of Internet Researchers. L’une des impressions que j’avais lorsque j’ai quitté la conférence, c’était que le Canada est tout à fait sur la bonne voie, et une grande partie de l’engouement entourant cette conférence — de la part d’universitaires étrangers — provenait du fait qu’il y a beaucoup de choses positives qui se passent au Canada. À long terme, le Canada pourrait attirer des gens très compétents avec des choses comme l’engagement envers la neutralité du Net.

Si vous êtes une entreprise en démarrage aux États-Unis, il sera de plus en plus difficile de diffuser vos données si vous êtes en concurrence avec des entreprises plus favorisées, alors que le Canada semble très attrayant à cet égard. Je pense que la loi canadienne sur la neutralité du Net présente des avantages tant industriels que sociaux.

Le sénateur Wetston : En attirant au pays des personnes qui ont une expertise technologique?

M. Taylor : C’est exact. J’en suis totalement convaincu.

M. Raboy : Je partage ce sentiment. Je pense que, par principe, la neutralité du Net est extrêmement importante. Sur le plan pratique, je pense que cela fonctionne au Canada. Le contexte américain est complètement différent. Les cinq entreprises que vous avez mentionnées aux États-Unis sont colossales. Nous avons de grandes entreprises — nous nous plaisons à le croire —, mais elles ne sont pas colossales dans ce sens. Ce n’est pas un aussi gros problème pour elles. Les pressions exercées sur la Federal Communications Commission pour qu’elle supprime la neutralité du Net sont absolument énormes, et dans le climat politique actuel, la commission est réceptive à ces arguments.

Au Canada, je ne pense pas que nous ayons les mêmes problèmes politiques en ce qui concerne la neutralité du Net. Comme le dit Greg, nous n’en tirons que des avantages, d’après ce que nous pouvons constater en ce moment.

Le sénateur Wetston : J’aimerais voir qu’il serait possible de tirer un avantage à la suite de ces changements de politique aux États-Unis; ce serait une chose merveilleuse si cela se produisait. Je pense que c’est ce que vous laissez entendre, monsieur Taylor, monsieur Raboy.

Le président : Je suis certain que le marché en décidera.

[Français]

Le sénateur Cormier : Je crois que c’est vous, monsieur Raboy, qui avez dit au début de votre intervention que, au fond, le problème n’était pas tant la loi ou les lois que la mise en application. Qui est responsable ou qui devrait être responsable de la mise en œuvre de la loi ou de ces lois?

Monsieur Taylor, vous avez parlé de la création ou d’un retour du ministère des Communications. J’aimerais mieux comprendre qui seraient les partenaires de ce ministère. Comment s’assurer qu’un système aussi complexe que le système des communications puisse fonctionner? Il y a le CRTC et il y aurait le ministère des Communications. Bref, pouvez-vous nous donner quelques idées qui pourraient nous aider en ce sens?

[Traduction]

M. Taylor : Je ne sais pas si je peux nécessairement écrire la répartition complète de la façon dont le retour de l’ancien ministère fonctionnerait. Ce que je veux dire, c’est que la division actuelle, à mon avis, constitue un obstacle.

J’aimerais voir cela, à la place de ISDE, auparavant Industrie Canada, et du ministère du Patrimoine canadien; je pense que ce pourrait être un seul ministère, en grande partie parce que je crois que la question des communications est tellement essentielle pour le Canada à l’heure actuelle qu’elle ne devrait pas être seulement une partie de plusieurs éléments différents. Je pense que vous avez besoin d’un ministre spécialisé qui s’occupe de ce dossier et qui connaîtra très bien bon nombre des détails complexes en cause. Je ne crois pas que cela va arriver.

Comme je l’ai dit, j’ai de la sympathie pour ceux qui reçoivent le dossier d’ISDE ou de Patrimoine canadien et qui doivent se mettre à l’œuvre; lorsqu’ils auront acquis les connaissances relatives à ce domaine, ils seront prêts à repartir.

Pour ce qui est de la façon dont les choses se dérouleraient, j’ai bien peur de ne pas avoir cette information sous les yeux en ce moment. Toutefois, en ce qui concerne les raisons pour lesquelles nous devrions le faire, je pense qu’il y a clairement quelque chose que nous pourrions gagner à avoir un seul ministère spécialisé dans ce domaine.

[Français]

M. Raboy : D’abord, en ce qui a trait à la mise en application des lois, le CRTC est le principal acteur. Le CRTC, dans certaines situations, doit tout de même obéir aux directives du gouvernement. Ultimement, c’est le gouvernement qui est responsable. Il faut donc une volonté politique pour mettre en place certaines choses. Si on parle de la propriété canadienne, en 1969, c’était le premier ministre Pierre Trudeau qui avait ordonné au CRTC de faire en sorte que les compagnies étrangères se départissent des avoirs dans le secteur. C’est ainsi que l’environnement a été « canadianisé ».

S’il s’agit de créer à nouveau un ministère des Communications, je trouve cette proposition intéressante. Avant de venir ici, j’ai réfléchi à la grande question de savoir si on devrait faire converger les deux lois. La question est très complexe. Il y a des pour et des contre. Une des façons de continuer à vivre avec une législation double, ou une législation bicéphale comme celle que nous avons actuellement serait de faire en sorte que tout se rapporte à un seul ministère. En ce moment, on a des lois qui se rapportent à deux ministères. Or, les ministères ont des objectifs différents. Souvent, ils ne se parlent pas. Sans imputer de mauvaise foi à qui que ce soit, cette proposition serait préférable. Au moment de son abolition, en 1993, une partie du ministère a été transférée à Patrimoine canadien et l’autre, à Industrie Canada. Depuis ce temps, on voit des problèmes et, aujourd’hui, le contexte est encore plus délicat. La question est intéressante.

Le sénateur Cormier : Merci beaucoup, monsieur Raboy.

[Traduction]

Le président : Avez-vous d’autres questions? Messieurs, la séance a été très fructueuse. Je pense que tous les sénateurs en conviendront. Les questions étaient pointues. Comme d’habitude, il a été un peu question de CBC/Radio-Canada. Je pense que c’était pour faire ressortir l’information plus qu’autre chose. Nous avons eu un beau petit débat.

(La séance est levée.)

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