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TRCM - Comité permanent

Transports et communications

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Transports et des communications

Fascicule nº 49 - Témoignages du 3 avril 2019


OTTAWA, le mercredi 3 avril 2019

Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications, auquel a été renvoyé le projet de loi C-48, Loi concernant la réglementation des bâtiments transportant du pétrole brut ou des hydrocarbures persistants à destination ou en provenance des ports ou des installations maritimes situés le long de la côte nord de la Colombie-Britannique, se réunit aujourd’hui à 18 h 49 pour étudier le projet de loi.

Le sénateur David Tkachuk (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Chers collègues, je déclare ouverte la séance du Comité sénatorial permanent des transports et des communications. Nous poursuivons aujourd’hui notre étude du projet de loi C-48, Loi concernant la réglementation des bâtiments transportant du pétrole brut ou des hydrocarbures persistants à destination ou en provenance de ports ou d’installations maritimes situés le long de la côte nord de la Colombie-Britannique, parfois appelée la Loi sur le moratoire relatif aux pétroliers.

Nous entendrons deux témoins des plus compétents, mais avant de leur donner la parole, j’aimerais régler quelques points. Premièrement, notre comité de direction recommande que le comité se rende en Alberta et en Saskatchewan. J’espère que nous ferons l’unanimité sur ce point. Nous n’aurons pas besoin de voter si tout le monde est d’accord; il suffira de dire qu’il y a unanimité. Si quelqu’un n’est pas d’accord, nous mettrons la question au vote. Voilà comment nous allons procéder.

Si personne n’est en désaccord, il sera décidé à l’unanimité que nous nous rendrons en Alberta et en Saskatchewan.

Sénateur Black, vouliez-vous dire quelque chose?

Le sénateur D. Black : Si le moment est propice. Ce n’est pas pour m’y opposer. Je voulais simplement remercier chaleureusement le comité au nom des Albertains. Nous vous sommes reconnaissants de cette décision. Je pense que c’est la chose à faire et j’en sais gré au comité.

La sénatrice Busson : J’ai parlé à la sénatrice Simons, que je remplace aujourd’hui, qui m’a demandé de remercier le comité en son nom.

Le président : Bien. Il y a un petit point que j’aimerais que l’on règle.

Le sénateur Plett : Puis-je dire un mot? Comme c’est moi qui ai proposé cette motion à l’origine, je tiens également à remercier le comité.

Le président : D’accord. C’est bon.

Avant de perdre le fil, je rappelle que le comité a fixé au 30 avril l’étude article par article du projet de loi. Or, il nous sera presque impossible durant la période où nous serons en déplacement, de procéder à cette étude et d’en faire rapport. Je vous propose donc de reporter au 9 mai l’étude article par article, date qui est d’ailleurs celle prévue dans la motion présentée par le sénateur Harder. Nous pourrions en décider dès maintenant. Si quelque autre problème se présente, nous pourrons y revenir. Pour le moment, si tous sont d’accord, ce sera la nouvelle date. Cela nous donnera le temps d’effectuer notre déplacement et de produire notre rapport sur le projet de loi. Est-ce que tous sont d’accord?

Des voix : D’accord.

Le président : Excellent. C’est ainsi que nous procéderons.

Nous avons le plaisir d’accueillir ce soir M. Peter Tertzakian, directeur général de l’Institut de recherche sur l’énergie de l’ARC, qui témoignera par vidéoconférence, et de M. Wim Veldman, président de Wim M. Veldman Consulting Inc. Je vous remercie, messieurs, d’avoir accepté de comparaître devant le comité.

Nous allons commencer par M. Tertzakian, qui sera suivi de M. Veldman. Allez-y, monsieur Tertzakian.

Peter Tertzakian, directeur général, Institut de recherche sur l’énergie de l’ARC : Je vous remercie de m’accueillir. C’est pour moi un honneur de pouvoir vous faire part du fruit de mes réflexions sur le projet de loi C-48, texte législatif devant réglementer les navires transportant plus de 12 500 tonnes de pétrole brut, ou d’hydrocarbures persistants, comme on les appelle dans le texte, à destination ou en provenance des installations maritimes de la côte nord de la Colombie-Britannique.

Le projet de loi en est à l’étape de la troisième lecture, et j’en ai étudié toutes les versions. Or, dans ce que j’ai lu, nulle part ne sont exposées les raisons qui justifieraient l’adoption de ce texte. Je me suis donc fié aux renseignements que j’ai pu obtenir dans le débat public. Ces renseignements donnent à penser que les motifs qui sous-tendent le projet de loi C-48 tiennent principalement à des préoccupations environnementales et sociales. Ces dernières, les préoccupations sociales, sont surtout liées à des enjeux autochtones locaux. Quant aux préoccupations environnementales, elles ont trait au risque de déversement de pétrole dans les zones côtières vulnérables. Il y a également, élément implicite de ces préoccupations, la supposition qu’un accroissement de la capacité d’exportation de pétrole canadien qui, brûlé à l’étranger, ajoutera aux émissions de gaz à effet de serre à l’origine du changement climatique.

Pour ma part, je suis bien conscient de ces préoccupations et je crois que les normes sévères d’examen des enjeux environnementaux et sociaux ne sont probablement pas appelées à disparaître et qu’il n’y a pas lieu non plus de les remettre en question. Toutefois, à mon avis, la reconnaissance de ces enjeux sociaux et environnementaux et l’attention qu’ils suscitent ne justifient pas une interdiction totale et indéfinie, c’est-à-dire un moratoire, du transport du pétrole à partir des lieux géographiques désignés dans le projet de loi. Je le répète, je ne crois pas que ces préoccupations justifient un moratoire total et indéfini, tel que le prévoit le projet de loi à sa troisième lecture.

Je crois que le projet de loi C-48, dans sa forme actuelle, est déraisonnable pour quatre raisons. La première, c’est l’effet néfaste, dont il est souvent question dans le débat public, qu’il aura sur l’économie et l’emploi au Canada; en deuxième lieu, le projet de loi C-48 établit ce que je tiens pour une sanction absolue, une interdiction pure et simple, sans aucune souplesse dans sa mise en application; troisièmement, le projet de loi C-48 est incohérent du fait de son application inégale le long de l’immense littoral canadien; quatrièmement, pour ces trois raisons, le projet de loi C-48, dans sa forme actuelle, est source d’un profond antagonisme et sème la discorde au Canada, surtout dans les provinces exportatrices de pétrole comme l’Alberta et la Saskatchewan.

J’aimerais prendre un moment pour récapituler et expliquer ces quatre raisons. Premièrement, je crois que le projet de loi C-48 est déraisonnable dans sa forme actuelle parce qu’il nuit à l’économie canadienne. Cette année, en 2019, les ventes de pétrole et de gaz en amont, c’est-à-dire les revenus des entreprises, devraient dépasser les 100 milliards de dollars canadiens. Selon cet indicateur économique — je peux vous en citer d’autres si vous le voulez —, l’industrie pétrolière et gazière vient au premier rang des industries du secteur primaire du Canada, comptant pour environ 5 p. 100 de son PIB. L’incapacité d’exporter du pétrole, sauf aux États-Unis, se répercute déjà sur notre économie par une forte baisse des prix, en particulier au quatrième trimestre de 2018. Je peux, si vous le souhaitez, vous donner des renseignements plus détaillés à ce sujet pendant la période de questions. La chute des prix a entraîné une diminution de l’investissement, de l’emploi, ainsi que des redevances et des recettes fiscales. À mon avis, la restriction absolue, ou le moratoire sur les exportations par pétrolier depuis des ports comme Kitimat ou Prince Rupert, en Colombie-Britannique, fera que nous en viendrons à dépendre à l’excès des marchés américains, entravera notre capacité d’exporter nos hydrocarbures vers les marchés asiatiques plus lucratifs et entraînera probablement d’autres reculs marqués des prix de notre pétrole et de notre gaz.

Deuxièmement, il y a cette mesure législative tout à fait sans nuances, qui impose une sanction générale illimitée dans le temps et qui n’admet aucun accommodement. Je crois qu’elle procède de la supposition présomptueuse que les normes sévères de sécurité maritime, pas plus que celles visant l’intensité des émissions de carbone, ne pourront jamais être respectées. Cette supposition est fausse. En réalité, se doter d’un système de sécurité maritime supérieure, de calibre mondial, et réduire sensiblement les émissions de gaz à effet de serre en amont de la chaîne d’approvisionnement sont des objectifs qui peuvent être atteints. En fait, ces émissions ont été grandement réduites au cours des dernières années. C’est une erreur de supposer que les progrès nécessaires de la technologie et d’autres pratiques, y compris les innovations sur le plan social et environnemental, ne sont pas réalisables. Ils le sont.

La troisième raison que j’ai invoquée est celle de l’incohérence du champ d’application du projet de loi. En tant que Canadien, je suis réellement troublé par ce projet de loi. J’ai vécu au Canada toute ma vie. J’ai longé en tous sens la côte de la Colombie-Britannique, j’ai visité l’océan Arctique et l’Atlantique, je suis passé par le détroit de Belle-Isle, la baie de Fundy, le golfe du Saint-Laurent et à peu près toutes les voies navigables du pays et je n’arrive pas à comprendre en quoi la côte nord de la Colombie-Britannique serait écologiquement plus vulnérable que le reste du littoral canadien.

Toutes les exigences prévues dans le projet de loi C-48 relatives à la sécurité maritime et aux produits transportés devraient s’appliquer partout, dans toutes les eaux territoriales du Canada, ou ne s’appliquer nulle part. L’élitisme territorial ou géographique, à mon avis, en tant que Canadien, est injuste. Si nous voulons légiférer dans ces domaines, il faut le faire de manière cohérente. La cohérence est primordiale.

L’absence d’une telle cohérence, dont je fais état dans les deux premières raisons que j’ai invoquées, aboutit à la situation sur laquelle se fonde ma quatrième raison.

J’ai l’impression, renforcée du fait que je vis en Alberta, que le projet de loi C-48 suscite beaucoup d’antagonisme et sème la discorde à un degré que je n’ai jamais connu auparavant.

Les effets conjugués de ces facteurs contribuent manifestement à la dégradation de la civilité entre les provinces, qui met en cause le tissu même de la fédération canadienne. Ce sont, bien sûr, de grands mots que j’emploie. Mais la montée du nationalisme régional, l’apparition d’un séparatisme caractérisé dans des endroits comme l’Alberta, ce ne sont pas seulement des mots. Les campagnes électorales sont truffées de discours séparatistes. Je crois vraiment qu’il s’agit d’un moment critique et que des textes législatifs comme le projet de loi C-48 sont tout à fait inutiles et encouragent une tendance absolutiste dans la formulation des lois, dont le projet de loi C-48 porte justement la marque.

Je peux vous dire que, personnellement, je suis loin d’être naïf au sujet des divers facteurs environnementaux, sociaux, politiques, géopolitiques et économiques qui nous ont amenés là où nous en sommes aujourd’hui avec le projet de loi C-48. En d’autres termes, je comprends les conditions qui ont mené à ce projet de loi. Pendant plus de 35 ans, j’ai analysé et suivi l’industrie canadienne de l’énergie dans toutes ses branches — des énergies renouvelables au nucléaire, en passant par le pétrole et le gaz —, et je connais très bien les questions se rapportant aux pipelines et à l’exploitation pétrolière, ainsi que l’historique de ces questions au Canada. Or, je n’ai jamais vu, pendant toutes ces années que j’ai vécues dans notre grand pays et que j’ai étudié la réalité canadienne, un texte législatif aussi rigide que le projet de loi C-48 ni, à bien des égards, aussi lourd de conséquences pour l’avenir du pays.

C’est pourquoi, vu la complexité de la situation actuelle, je me propose, plutôt que de signaler les problèmes, de terminer en formulant trois options à l’intention du gouvernement. La première, si le projet de loi C-48 devait être adopté, consisterait à en supprimer au préalable les aspects de duplicité qui sèment la discorde et à étendre son champ d’application à toutes les côtes du Canada, à l’ouest, au nord et à l’est, en reconnaissance du fait que toutes les zones côtières, et non pas seulement un petit secteur couvert par une sorte de privilège, sont biologiquement vulnérables et pareillement sujettes aux risques que posent le passage des pétroliers.

La deuxième option consiste à modifier le projet de loi C-48 de façon à y introduire une certaine souplesse. Il s’agira d’éliminer la sanction absolue et d’établir des seuils rigoureux, mais raisonnables et atteignables relativement aux cibles de sécurité et aux cibles sociales et environnementales pour tous les pétroliers, quelle que soit leur taille, et pour chacun des hydrocarbures persistants inscrits dans l’annexe. Cela permettra aux entreprises d’innover, de travailler en fonction de ces objectifs.

Je rappelle les 209 recommandations de l’ONE concernant le pipeline Northern Gateway d’Enbridge vers Kitimat, appelé à devenir un port d’exportation de notre pétrole. À mon avis, c’est un bon point de départ. Les objectifs étaient rigoureux, mais reconnus comme atteignables.

La troisième option que je propose consiste à mettre en application le projet de loi C-48, mais en y définissant les couloirs maritimes étroits menant à des ports industriels comme Kitimat et Prince Rupert et en les exemptant des sanctions légales prévues, qui s’appliqueraient cependant au reste du littoral.

Quelle que soit l’option que vous retiendrez parmi celles que je vous ai présentées ou parmi les propositions qui vous viendront d’ailleurs, je crois qu’il faut agir sans tarder. Il y a énormément d’incertitude, et cette incertitude freine l’investissement, nuit à l’économie et, pire encore, alimente le mécontentement régional que nous constatons au Canada en ce moment.

Je vous remercie de votre temps et d’avoir prêté l’oreille à mes arguments et à mes recommandations.

Le président : Merci, monsieur Tertzakian. Je donne maintenant la parole à M. Veldman.

Wim M. Veldman, président, Wim M. Veldman Consulting Inc. : Je vous remercie, monsieur le président, ainsi que les membres du comité.

J’espère pouvoir, dans le peu de temps dont je dispose, vous transmettre ce que je connais du système d’intervention en cas de déversement en Alaska. Je suis entré à la société Trans-Alaska Pipeline en 1973, où j’ai travaillé à temps plein sur des projets de conception et de construction. Je vivais à Houston, puis je suis déménagé en Alaska. Je suis toujours consultant auprès de cette société. Tout juste la semaine dernière, j’ai signé avec elle une prolongation de deux années de mon contrat de services de consultation.

Dès 1974, je l’aidais à répondre aux questions concernant le transport maritime à partir de Valdez. Je connais donc son système, et l’un des buts de mon exposé aujourd’hui est de vous le faire connaître afin de voir s’il y a moyen d’en mettre en place un semblable pour le transport maritime à partir des ports canadiens dont nous parlons.

J’ai quatre points à faire faire valoir. Je soutiens, premièrement, que Prince Rupert et Kitimat sont des ports très sécuritaires; deuxièmement, que le déversement résultant du naufrage de l’Exxon Valdez en 1989 n’est plus pertinent; troisièmement, que les protocoles modernes de conception et d’exploitation des pétroliers dans le monde sont très sécuritaires, comme en atteste la forte diminution des déversements de pétrole au fil du temps; quatrièmement, que, si vous levez l’interdiction et autorisez le passage de pétroliers, les risques pour l’environnement pourraient être réduits.

Permettez-moi de répéter ce dernier point. Si l’interdiction était levée et les pétroliers autorisés, on pourrait réduire les risques pour l’ensemble de l’environnement que présentent les différents modes de transport.

Je reviens à mon premier point, les ports de Prince Rupert et de Kitimat. Prince Rupert est un port en eau profonde et très largement ouvert sur la mer. La sécurité n’est pas un problème. À Kitimat, le passage le plus étroit du chenal Douglas, qui mène à Kitimat, est 10 fois plus large que la partie la plus étroite du canal de Panama, que j’ai traversé plus d’une douzaine de fois au fil des ans. J’ai vu les travaux d’élargissement du canal de Panama, suffisamment avancés à l’heure actuelle qu’il sera très bientôt possible aux navires de s’y croiser. Le chenal Douglas est au moins 10 fois plus large.

Le risque lié au transport maritime dans ces ports ne devrait pas entrer en ligne de compte et devenir le facteur qui détermine si une interdiction est justifiée ou non. Je ferai remarquer que Transports Canada n’a exprimé aucune préoccupation de taille en 2012 au sujet du transport maritime en partance de Kitimat à l’occasion de l’examen du projet du pipeline Northern Gateway.

Mon deuxième point porte sur la non-pertinence du naufrage de l’Exxon Valdez. La façon la plus simple de parler de l’Exxon Valdez en 1989 par rapport aux pétroliers d’aujourd’hui est peut-être de comparer l’ancien téléphone cellulaire des années 1980 au téléphone intelligent d’aujourd’hui. Il n’y a pas de comparaison possible. Je l’ai d’ailleurs souligné dans mon mémoire. En deux mots, l’Exxon Valdez était un pétrolier à coque simple; de nos jours, tous les pétroliers sont à double coque. La flottille de la société Trans-Alaska Pipeline compte actuellement 10 remorqueurs d’escorte et d’intervention. Ils sont positionnés non seulement à Valdez, mais aussi tout le long du passage jusqu’à la mer libre. Elle a également huit barges de récupération des hydrocarbures, 140 appareils d’écrémage, qui sont les plus grands au monde, et 80 kilomètres de barrages flottants prêts à être déployés.

Ce qu’on appelle le programme des navires de passage constitue le deuxième niveau de son programme d’intervention. C’est grâce à ce programme que 1 500 membres d’équipage de plus de 450 bateaux de pêche locaux ont été formés afin d’être en mesure d’intervenir au besoin. Une formation annuelle est offerte à tous ces gens de la région.

Le troisième niveau d’intervention, qui me paraît très important, est la surveillance par le public. Il s’agit d’un organisme « tout à fait indépendant » de la société Alyeska Pipeline, mais entièrement financé par elle. En 2017, son budget était de 3,6 millions de dollars. Cet organisme, appelé le Prince William Sound Regional Citizens’ Advisory Council, compte 18 employés et est dirigé par un conseil d’administration de 19 membres, tous de la région. Ceux-ci constituent un excellent groupe, indépendant, impartial, présent sur place, qui est en mesure de dire exactement ce qui se passe.

Fait intéressant, le président d’Alyeska Pipeline depuis huit ans, qui est vice-amiral à la retraite de la Garde côtière américaine, supervisait auparavant la formation dans la garde côtière. Son influence sur les activités de Trans-Alaska Pipeline a certainement amené un virage important, passant de l’exploitation du pipeline à l’exploitation de pétroliers, et le récent contrat conclu l’an dernier avec la nouvelle société reflète également sa préoccupation fondamentale et son grand intérêt dans ce domaine.

L’Exxon Valdez ne devrait donc pas entrer dans la discussion. Les pétroliers modernes et le protocole d’exploitation présentent un faible risque. Dans mon mémoire, j’ai inclus quelques graphiques montrant les tendances des déversements de pétrole dans le monde par rapport à l’époque, et on ne peut manquer de constater une diminution spectaculaire.

Si les pétroliers devaient être interdits, quel serait le risque qui subsisterait? Nous savons que les navires exemptés, comme les navires de croisière et les porte-conteneurs, peuvent transporter de 20 à 40 p. 100 du volume total du déversement causé par l’Exxon Valdez. Les navires de ravitaillement pouvant transporter jusqu’à 12 500 tonnes représentent environ 30 p. 100 du volume du déversement de l’Exxon Valdez. Ce sont, pour la plupart, des navires à coque simple, et ils n’ont ni remorqueurs, ni écrémeurs, ni barrages flottants, ni autres moyens à leur disposition.

En ce qui concerne les remorqueurs, Trans-Alaska a un remorqueur relié par câble d’attache au pétrolier jusqu’à son entrée en mer libre et un deuxième remorqueur qui se tient à moins d’un quart de mille d’un pétrolier pour intervenir au besoin. Je crois que nous avons tous eu connaissance, il y a quelques semaines, de l’incident impliquant un navire de croisière, le Viking Star en difficulté au large des côtes norvégiennes, et bien près d’échouer. Par chance, l’équipage a tout juste réussi à démarrer l’une de ses machines à temps.

Des déversements impliquant des navires exemptés se sont produits dans le passé. Nous avons entendu parler du remorqueur Nathan E Stewart en 2016, et il a failli y avoir un autre déversement avec le remorqueur Jake Shearer tirant une grosse barge. Son équipage a réussi, mais tout juste, la manœuvre d’ancrage avant qu’il n’échoue.

Je me demande donc si une situation gagnant-gagnant est possible? En 2017, le ministre Garneau a déclaré qu’une des raisons de l’interdiction et de l’initiative de protection de la forêt pluviale de Great Bear résidait dans le fait qu’il y avait moins de moyens d’intervention en place en cas de déversement dans cette région comparativement à Vancouver et à d’autres régions du Canada. D’où une autre question que je me pose : si nous avions un excellent système d’intervention en place, est-ce que cela invaliderait la raison de l’interdiction et créerait une solution gagnant-gagnant pour toutes les parties en présence?

Voici un scénario. Supposons que le pipeline Eagle Spirit vers Kitimat soit approuvé. Ce serait certainement un gain pour ce projet de 16 milliards de dollars, qui a l’appui des Autochtones. Un système d’intervention en cas de déversement comme celui de Valdez serait établi et mis en application et constituerait un guide de référence pour les opérations. Le pipeline et le terminal de Trans-Alaska, qui se trouvent dans un environnement semblable à celui de cette région, offrent un excellent point de référence pour cette partie de l’Amérique du Nord. Un système d’intervention comme celui de Valdez créerait beaucoup d’emplois dans la région.

Il faudrait ensuite une entente de coopération applicable à des situations hypothétiques dont tous les transporteurs maritimes seraient signataires. Ainsi, le système d’intervention en cas de déversement ne concernerait plus seulement les pétroliers, mais la totalité des transporteurs maritimes, qui auraient à collaborer et à travailler ensemble en cas de déversement, comme cela se fait en Alberta et en Saskatchewan lorsqu’il y a un déversement d’hydrocarbures à partir de pipelines ou d’autres installations.

Il pourrait y avoir un programme des navires de passage, comme celui que l’Alaska a établi pour toutes les situations. Je constate que le Plan de protection des océans de Transports Canada parle d’une certaine formation, mais il faudrait certainement, si vous organisez le programme de cette façon, une formation structurée pour tous les navires de passage.

Je recommanderais également qu’un comité de surveillance, complètement indépendant de la société pétrolière et composé de gens de la région, soit chargé de superviser l’ensemble du système d’intervention.

Je n’affirmerai pas à ce moment-ci que ce scénario se traduira par une réduction générale du risque, mais, avec un système d’intervention comme celui de Valdez, qui n’a connu aucun problème ou déversement depuis le naufrage de l’Exxon Valdez en 1989, ce même système d’intervention s’appliquant uniformément aux pétroliers et étant assorti d’une entente de coopération avec le reste des navires, actuellement exemptés et dépourvus de la capacité d’intervention nécessaire en cas d’incident, il est difficile de s’imaginer que le risque global ne soit pas réduit.

En terminant, je dirai que je suis conscient que l’interdiction des pétroliers figurait dans le programme électoral et qu’elle faisait partie du mandat du ministre Garneau. Mais si la principale raison de l’interdiction réside, comme l’a dit le ministre Garneau, simplement dans le fait qu’il y avait moins de moyens d’intervention en cas de déversement en place dans cette région, force nous est de conclure que, si nous mettons ces systèmes d’intervention en place, cette raison ne tiendra plus. Les deux autres mandats conflictuels, qui influent actuellement sur nos ressources naturelles, pourront alors être exécutés. Dans le cas du ministre Carr, l’une de principales responsabilités figurant dans son mandat est d’acheminer nos ressources naturelles vers les marchés. De plus, le premier ministre a déclaré à maintes reprises que l’acheminement de nos ressources naturelles vers les marchés étrangers se traduit par un renforcement de notre économie et la création d’emplois.

Je vous demande donc de décider de l’utilité réelle de l’interdiction, en supposant que s’accomplisse le scénario que j’ai décrit pour un pipeline comme Eagle Spirit ou un autre genre de pipeline. L’interdiction risque d’avoir des conséquences néfastes imprévues qui pourraient être évitées si, comme je l’ai recommandé, nous mettons en place un système coopératif d’intervention en cas de déversement.

Je vous remercie de votre temps et de votre attention.

Le président : Merci, monsieur Veldman. Nous allons passer maintenant aux questions.

La sénatrice Miville-Dechêne : J’ai quelques observations et questions à l’intention de M. Veldman.

Premièrement, j’ai été un peu surprise de vous entendre dire qu’il ne fallait pas tenir compte de l’Exxon Valdez, vu les répercussions à long terme de cet immense déversement. Plus tard, un biologiste du nom de Stanley Rice parlera des effets à long terme de ce déversement sur les loutres de mer, le saumon rose, les embryons de hareng, les épaulards et les collectivités humaines qui dépendent de la pêche. Je tenais simplement à le dire.

Je veux aussi vous entendre sur les progrès sur le plan de la sécurité dont vous avez parlé. Or, nous savons qu’il y a eu pas mal de déversements provenant de pétroliers à double coque dans le monde depuis une dizaine d’années. Je pourrais en donner quelques exemples, entre autres le Bunga Kalena au large de Singapour, et, récemment, le Sanchi dans la mer de Chine orientale. De toute évidence, pour les déversements, il n’y a pas de risque zéro.

M. Veldman : Excusez-moi, je perds le son.

La sénatrice Miville-Dechêne : Je parlais de quelques déversements de pétrole assez importants dans le monde.

Il y a aussi des collectivités — je pense notamment à Haida Gwaii et à d’autres collectivités côtières — qui aimeraient que leurs eaux ne soient pas exposées au risque de déversement de pétrole.

Que répondez-vous à ceux qui veulent pouvoir vivre sans la menace d’un déversement de pétrole?

M. Veldman : Je vais répondre à la première partie de votre question concernant l’Exxon Valdez. Je sais, je reconnais et j’admets que ce déversement a eu des répercussions qui persistent jusqu’à ce jour. Cela n’enlève rien au fait que le protocole d’exploitation de l’Exxon Valdez et les causes du déversement n’existent plus.

Au moment du naufrage, il n’y avait pas de remorqueur attaché à l’Exxon Valdez, il n’y avait pas de deuxième remorqueur, et les barrages flottants et les récupérateurs étaient à une bonne distance. Il a fallu quelques jours pour amener les barrages flottants jusqu’au lieu du déversement et, à ce moment-là, une partie du pétrole avait atteint la côte. Il est tout à fait indubitable que les répercussions à long terme de ce déversement se font encore sentir aujourd’hui, et je sais qu’il y a beaucoup de documents et d’études portant sur ce sujet.

Les pétroliers à double coque présentent toujours un risque. Dans la section des conclusions de mon mémoire, je pose la question : « Le trafic des pétroliers est-il sans risque? » et je réponds « non ». Je proposais et je recommandais d’examiner les risques associés aux pétroliers ayant un protocole moderne d’exploitation par rapport aux risques de déversements provenant de navires exemptés, qui n’ont pas le même protocole d’exploitation ni la même construction à double coque, et de soupeser tout cela. Je ne dis pas en ce moment que l’un est plus fort que l’autre, mais je pense qu’il vaudrait vraiment la peine d’examiner cette question afin de nous assurer de ne pas nous engager dans la voie de l’interdiction des pétroliers pour le regretter plus tard : « Nous avons eu un autre Nathan E Stewart sur les bras. Si nous avions eu des pétroliers et un système d’intervention en cas de déversement, nous aurions pu intervenir plus rapidement. »

Le sénateur Plett : Merci. Monsieur Veldman, j’ai à vous demander quelques renseignements, que je devrais pourtant avoir en tête. Quelle est la capacité des navires dont le passage est interdit à cause du moratoire? Est-ce bien 12 500 tonnes?

M. Veldman : Oui, c’est bien ça.

Le sénateur Plett : Y a-t-il aussi une réglementation visant le genre de navire? Par exemple, si sa capacité était de 12 000 plutôt que 12 500 tonnes, il serait peut-être possible d’utiliser un navire à coque simple pour le transport? Je sais qu’il n’en reste peut-être pas beaucoup, mais serait-il légal de passer par ce chenal avec ce genre de navire, à coque simple?

M. Veldman : Je suis loin de connaître tous les détails des navires qui seraient exemptés aux termes de ce texte législatif, mais je soupçonne que beaucoup des navires ravitailleurs qui sont utilisés depuis longtemps dans cette région sont des navires à coque simple. Mais je ne pourrais pas le jurer.

Le sénateur Plett : Avez-vous des statistiques quant au nombre de déversements d’hydrocarbures d’importance qui se sont produits, disons au cours des cinq dernières années, avec ces navires modernes à double coque que nous avons aujourd’hui?

M. Veldman : Certainement. Les deux dernières pages en annexe du mémoire que j’ai présenté vers la fin de la semaine dernière montrent la tendance mondiale, dans le temps, des déversements d’hydrocarbures, et l’un des graphiques montre le nombre de déversements selon leur ampleur. Les chiffres sont donc là, ventilés par décennie et par volume déversé. Je crois que ces renseignements se trouvent dans les graphiques. Je ne sais pas si vous les avez sous les yeux.

Le sénateur Plett : Je ne les ai pas sous les yeux, mais ça va. Ne vous en faites pas. Je ne vais pas me donner la peine de les retrouver à l’instant. Ce n’est pas un problème.

Monsieur Tertzakian, ou encore monsieur Veldman, pouvez-vous me dire quel sera l’impact économique pour l’Alberta si cette interdiction des pétroliers était adoptée?

M. Tertzakian : Bien sûr. Des répercussions économiques se font déjà sentir en raison de l’incertitude suscitée par un certain nombre de projets législatifs, notamment les projets de loi C-48 et C-69. C’est principalement l’investissement qui en souffre. Au cours des 15 ou 20 dernières années, l’investissement dans l’industrie, par emprunt ou en capitaux propres, était de l’ordre de 10 à 15 milliards de dollars par année. L’an dernier, en 2018, le niveau de l’investissement est tombé à 1 milliard de dollars. Cette année, il sera probablement moindre. L’investissement annuel est donc passé de 10 ou 15 milliards de dollars à 1 milliard ou moins.

Le montant de cet investissement représente les dépenses consacrées directement à l’emploi et aux activités dans les champs pétroliers. Du fait du climat d’incertitude causé par ces projets de loi, ainsi que des différentiels induits des prix du pétrole que nous avons vus en septembre, octobre et novembre, le nombre d’installations de forage au premier trimestre en Alberta, en Saskatchewan et en Colombie-Britannique a chuté à son plus bas niveau depuis plus de 20 ans. Il en résulte un chômage saisonnier généralisé dans les trois provinces, non dans une seule, et les effets d’entraînement de ce genre de phénomène se manifestent de façon décalée dans le temps.

Je serais le premier à reconnaître que le projet de loi C-48 n’est pas la seule cause de ces problèmes. Il prévoit néanmoins des mesures restrictives et, comme je l’ai dit, absolutistes, telles que celle dont nous discutons, qui finissent par convaincre les investisseurs qu’il n’y aura pas d’issue. Par conséquent, une reprise de l’investissement restera peu probable tant que ces problèmes ne seront pas résolus.

L’impact est donc bien réel, même sans faire entrer en ligne de compte les effets des différentiels de prix, qui sont très complexes, mais qui ont certainement une incidence sur les redevances que les trois provinces perçoivent ainsi que sur les recettes fiscales provenant de l’impôt provincial et fédéral sur le revenu des sociétés et, bien entendu, sur le revenu des particuliers, qui est à la baisse en raison du chômage.

Le sénateur Plett : Les chiffres que vous venez de donner, la chute de 15 à 1 milliard de dollars, ne concernent que l’Alberta, et non la Saskatchewan et la Colombie-Britannique, n’est-ce pas?

M. Tertzakian : Non. Ils englobent ce que nous appelons le secteur pétrolier et gazier en amont, qui ne comprend pas, dans ce cas-ci, Terre-Neuve-et-Labrador et ses activités extracôtières, mais qui comprend tout l’Ouest canadien. Et dans l’Ouest canadien, je dirais, sauf erreur, qu’environ 80 p. 100 de l’industrie se trouve en Alberta.

Le sénateur Plett : Merci beaucoup.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Je comprends que le déversement du navire Exxon Valdez est encore très frais dans la mémoire des habitants de la côte Ouest et que ce projet de loi constitue un continuum de ce traumatisme.

À cet égard, on devrait interdire au Canada tout transport de pétrole par train. Cela a coûté la vie à 47 personnes à Lac-Mégantic. Cependant, malgré cette tragédie, on transporte quatre fois plus de pétrole sur les voies ferrées qu’au moment où s’est produit cet événement. Je me demande quelle est la logique de continuer à vivre dans le passé et de se remémorer la tragédie du navire Exxon Valdez, qui ne se reproduirait probablement plus, alors que la problématique liée à un accident de la gravité de celui survenu à Lac-Mégantic est omniprésente, puisqu’on transporte quatre fois plus de pétrole sur les routes. Ainsi, le risque que cela représente est beaucoup plus grand.

Vous avez dit d’entrée de jeu que le pipeline est une façon de limiter les risques, surtout en ce qui a trait aux pertes de vies humaines. D’une part, j’aimerais que vous m’expliquiez cela. D’autre part, j’aimerais que vous me donniez un chiffre : si les deux pipelines Northern Gateway et Eagle Spirit étaient construits, combien de pétroliers les habitants verraient-ils transiter par jour entre la mer et la côte?

[Traduction]

M. Veldman : Je ne pense pas avoir besoin d’épiloguer sur la sécurité des pipelines par rapport à celle du transport ferroviaire. Je crois que la question est bel et bien tranchée. Si les deux pipelines, Northern Gateway et Eagle Spirit, étaient construits, combien de pétroliers faudrait-il? Cela dépendrait un peu du tonnage des pétroliers. Mais la capacité totale de ces deux pipelines serait quand même inférieure à la capacité maximale du pipeline Trans-Alaska, qui était de 2,1 millions de barils par jour au milieu des années 1980. À l’époque, il y avait un peu plus d’un pétrolier par jour qui partait de Valdez. Cela dépend donc du tonnage des pétroliers. Le tonnage des pétroliers diffère, mais il correspond en gros à la capacité totale de deux pipelines. Est-ce que cela répond à votre question?

Le président : S’agit-il d’un pétrolier ou d’un pétrolier par pipeline par jour?

M. Veldman : Il pourrait s’agir, par exemple, d’un pétrolier chargé tous les deux ou trois jours par un pipeline et d’un autre pétrolier chargé à la même fréquence par le deuxième pipeline, puisqu’il est évident que les deux terminaux ne seront probablement pas au même endroit.

Je sais qu’au plus fort, le pipeline Trans-Alaska transportait 2,1 millions de barils par jour; si ma mémoire est bonne, le pipeline Northern Gateway en transportera environ 800 000 et le pipeline Eagle Spirit à peu près autant. Le débit total de ces deux pipelines sera inférieur au débit maximal du pipeline Trans-Alaska au milieu des années 1980, qui assurait le chargement d’un peu plus d’un pétrolier par jour.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Le transport maritime perturbe très peu le milieu naturel. Je comprends la préoccupation des biologistes à l’égard de la protection de la faune. J’ai travaillé une dizaine d’années au ministère de la Faune du Québec. Je suis donc très sensible à cet enjeu. Lorsqu’il est question d’augmenter le trafic maritime en permettant le passage de gros pétroliers, on parle d’une augmentation minime de la quantité de vaisseaux, surtout dans le nord de la Colombie-Britannique. Il s’agit réellement d’une augmentation très peu importante.

[Traduction]

M. Veldman : Oui, et je pense qu’il faut mettre les choses en contexte. Ce ne sera pas d’un grand nombre de pétroliers qu’il faudra pour charger le volume transporté par un ou deux pipelines. D’aucuns pourraient certainement faire valoir que, par rapport au nombre de pétroliers qui circulent actuellement dans ces eaux, ce serait une augmentation importante. Mais le volume transporté par ces quelques pétroliers supplémentaires sera peu important comparativement à ce qui passe par Vancouver ou, évidemment, par certains des ports les plus achalandés du monde. Comme je l’ai fait remarquer au début, chaque port est différent. Je ne doute aucunement que Rupert et de Kitimat soient des ports sécuritaires.

Le président : Combien y a-t-il, un jour donné, de pétroliers sur les océans du monde?

M. Veldman : Je l’ai déjà su, mais je l’ai oublié.

Le président : Je le savais moi aussi et je ne m’en souviens pas non plus. J’espérais que vous puissiez me le rappeler.

M. Veldman : Je suis natif de la Hollande. Rotterdam était jadis le port le plus achalandé du monde. Il y a une époque où je savais quel était le trafic de pétroliers dans le port de Rotterdam. Je pense que Singapour est maintenant le port le plus achalandé au monde. J’ai égaré ce renseignement quelque part. Je préfère ne pas donner de chiffres.

Le sénateur MacDonald : Je tiens à vous remercier tous les deux, messieurs, pour votre témoignage. Il me semble que le bon sens — je ne trouve pas de meilleur terme — fait cruellement défaut quand il s’agit de ce projet de loi. Sur la côte Est du Canada, nous avons une longue expérience de manutention de grandes quantités de pétrole, jusqu’à hauteur de 283 millions de tonnes par année. Environ la moitié de ce pétrole provient des eaux au large de Terre-Neuve et est exporté. L’autre moitié est importée de différents pays : Norvège, Arabie saoudite, Colombie, Algérie, Nigeria, Côte d’Ivoire et Royaume-Uni, et est destiné aux raffineries du Québec et du Nouveau-Brunswick. Nous déboursons plus de 14 milliards de dollars par année pour ce pétrole. C’est de l’argent qui sort du pays.

Quand il s’agit de prendre des décisions de cette nature — je sais que l’expression « politique énergétique nationale » fait grincer des dents dans ce pays, et non sans raison —, nous semblons manquer d’une stratégie énergétique nationale pour gérer nos ressources. Nous acceptons un niveau de risque élevé sur la côte Est, mais c’est un risque géré. Comme vous l’avez souligné à juste titre, il y a de nos jours beaucoup de navires à double coque qui n’existaient pas il y a 20 ou 30 ans. Nous entendons beaucoup parler de l’Exxon Valdez, mais personne à Ottawa ne parle jamais de l’Arrow ou du Kurdistan qui a fait naufrage au large du Cap-Breton en 1979. Si le Canada ne faisait qu’exporter du pétrole, plutôt que d’en importer, il me semble que le pays aurait fait beaucoup plus de progrès dans ce domaine.

L’absence d’une stratégie énergétique nationale pour la gestion du pétrole vous préoccupe-t-elle? Vous connaissez très bien cette industrie et ses activités. Pouvez-vous réfléchir à cette question et nous donner votre opinion sur la façon dont nous gérons nos ressources naturelles, en particulier les hydrocarbures?

M. Tertzakian : Merci beaucoup de ces observations. Je suis tout à fait d’accord avec vous. Je crois que nous avons besoin d’une stratégie nationale cohérente pour toutes les ressources naturelles. Comme je l’ai souligné plus tôt, cette cohérence est importante parce qu’on ne peut pas, comme le voudrait ce projet de loi, restreindre l’application d’une politique à un seul petit secteur du littoral. Si l’on veut l’appliquer à ce secteur, il faut l’appliquer partout ailleurs.

De même, nous devons avoir une vision cohérente du secteur énergétique dans son ensemble, de la lutte contre le changement climatique, de l’approche à adopter pour régler les dossiers autochtones, de notre façon d’aborder les autres enjeux sociaux. Une telle vision nous fait complètement défaut. Il nous faut l’acquérir, mais je crains fort que nous soyons, au contraire, en train de nous en éloigner. Nous suscitons au pays une polarisation inutile qui écarte tout esprit de coopération, pourtant essentiel à la cohérence.

Le point que vous avez mentionné au sujet de l’importation est vraiment important. Je suis venu à Ottawa en 2007. J’avais été invité par le ministère des Affaires étrangères à témoigner sur la sécurité énergétique à cette époque où le prix du pétrole était à la hausse. Nous sommes l’un des rares pays producteurs de pétrole au monde où la production dépasse la consommation. Autrement dit, le Canada est un exportateur net de pétrole. Pourtant, nous ne sommes pas autosuffisants. Nous avons toutes ces ressources pétrolières et gazières dans l’Ouest, mais l’Est du pays doit accroître sans cesse ses importations en provenance de pays peu recommandables, que je n’ai pas besoin de nommer parce que vous en avez énuméré quelques-uns.

Vous m’avez demandé de vous faire part de mes réflexions. Je vais vous raconter une petite histoire vraie. À l’époque des chocs pétroliers des années 1970, dans le sillage de l’embargo pétrolier des pays arabes en 1973, nous avons dû transporter du pétrole de l’Alberta par le pipeline Trans Mountain — l’un de ceux dont nous discutons aujourd’hui — jusqu’à un pétrolier à Vancouver ou à Burnaby. Ce pétrolier, battant pavillon grec, a ensuite contourné le continent par le sud, via le canal de Panama, pour se rendre dans le golfe du Saint-Laurent. Cette histoire, dont je vous épargne les détails, montre bien que nous ne bénéficions pas d'une sécurité énergétique dans ce pays, pas plus que d’une sécurité sur le plan financier. Nous avons actuellement un énorme déficit commercial, précisément pour la raison que vous avez dite. Nous importons beaucoup de pétrole, tout en étant limités dans nos exportations. Cela plombe notre balance commerciale, ce qui ne manque pas de se répercuter sur le dollar canadien et sur toutes sortes d’autres choses. Nous devons trouver une solution. Quiconque regarderait notre pays de l’extérieur en rirait. Il ne comprendrait pas qu’étant riches en ressources énergétiques — pétrole, gaz, uranium, énergie solaire, énergie éolienne, et j’en passe — nous n’ayons pas de stratégie globale.

J’espère que l’étude que vous menez nous ramènera à la raison, comme vous l’avez dit, pour que nous reconnaissions que le Canada est l’un des pays les plus riches du monde en ressources énergétiques. Il faut que nous trouvions moyen de mieux gérer ces ressources sur le plan fiscal, physique et environnemental et que nous montrions aux autres pays la façon de le faire correctement. Merci beaucoup.

M. Veldman : Je suis tout à fait d’accord. En fait, je témoigne demain matin dans le cadre de l’étude du projet de loi C-69. Je vais recommander au gouvernement d’adopter deux politiques qui sont presque identiques à celles de l’Office national de l’énergie. La première sera d’assurer l’autonomie énergétique du pays et la deuxième sera de joindre le geste à la parole quand nous affirmons que nous exportons nos ressources naturelles.

Le sénateur MacDonald : Ma prochaine question s’adresse aussi à vous deux. Je comprends bien sûr l’importance de réduire les risques à un minimum. Vous avez souligné très justement qu’une grande partie du pétrole est aujourd’hui transportée dans des bâtiments à double coque.

Alors j’ai deux ou trois questions à vous poser.

Voici la première : Est-ce que je me trompe en supposant que, dans le cadre de la sûreté de la manutention du pétrole dans les navires ou sur l’océan en général, un navire à coque simple présente un risque plus grand de catastrophe s’il s’échoue qu’un pétrolier à double coque? Serait-ce statistiquement exact?

M. Veldman : Le risque correspond à la probabilité d’une occurrence multipliée par ses conséquences. Je peux affirmer qu’avec un navire à coque simple, qu’il s’agisse d’un pétrolier, d’un porte-conteneurs ou d’un navire de croisière qui contient un gros volume de carburant, la probabilité de causer un incident est plus élevée. Ces bâtiments ne sont pas rattachés à des remorqueurs, ils n’ont pas de remorqueurs de soutien et ils n’ont certainement pas la protection d’une double coque.

Dans le cas des pétroliers, ces navires transportent beaucoup plus de pétrole, beaucoup plus. Il peut y avoir des hydrocarbures différents. C’est la combinaison de ces deux facteurs qui donne le risque.

Évidemment, je n’en ai pas fait le calcul. Cela vaudrait vraiment la peine de le faire, vu le nombre de navires et de pétroliers exemptés. Il serait intéressant de comparer ce risque aux avantages nets. Je pense effectivement qu’il y aurait des avantages avec un système d’intervention en cas de déversement, comme je l’ai décrit, qui permettrait de couvrir les navires exemptés qui n’ont pas la protection et le système d’intervention que nous avons pour les pétroliers.

Le président : Nous avons avec nous deux invités très intéressants, et...

Le sénateur MacDonald : C’est vrai.

Le président : ...un autre invité intéressant va arriver. Je voudrais que nous écoutions ces deux témoins jusqu’à 20 heures, puisqu’un plus grand nombre de sénateurs sont présents. Je voudrais leur donner à tous l’occasion de poser des questions.

Nous consacrerons ensuite une heure entière au témoin suivant, ce qui sera amplement suffisant. Son témoignage ne durera peut-être pas aussi longtemps, mais nous aurons tout le temps voulu.

Poursuivons donc sans tarder pour que tout le monde ait l’occasion d’intervenir.

La sénatrice Galvez : J’ai deux petites questions à poser, l’une à M. Tertzakian et l’autre à M. Veldman.

Ce que vous avez soulevé est très intéressant, monsieur Tertzakian, mais il me semble que vous ignorez le problème le plus évident, celui du moratoire, qui dure depuis des dizaines d’années. Alors, ce que vous dites au sujet des pertes d’emploi et des économies perdantes est très hypothétique. Cela pourrait se manifester à l’avenir, dans le cadre de projets futurs, mais cette restriction dure depuis des dizaines d’années. J’ai l’impression que vous évitez d’en parler.

Vous avez aussi passé très rapidement et discrètement sur le fait que le prix du pétrole est complexe. Il ne dépend pas uniquement d’un manque d’oléoducs ou de capacité. Lorsqu’on a construit le LOOP en Nouvelle-Orléans, on a changé toute la logistique du transport maritime du pétrole. Il existe d’autres moyens de le transporter. En outre, je crois que vous n’êtes pas au courant que le Québec n’importe plus de pétrole de l’Arabie saoudite, il l’achète de l’Alberta. Je tiens donc à corriger ces faits.

Quand mon collègue vous a demandé combien d’argent ils perdent, il serait bon que vous nous citiez des chiffres réels et que vous expliquiez pourquoi, à l’heure actuelle...

Le président : Est-ce une question, sénatrice Galvez?

La sénatrice Galvez : Oui.

Le président : Vous ne témoignez pas.

Monsieur, pourriez-vous commencer par répondre à cela, puis...

La sénatrice Galvez : Non, j’ai une deuxième petite question à poser à M. Veldman.

Le président : Nous pouvons lui demander de répondre à cela, puis vous poserez l’autre question.

La sénatrice Galvez : Monsieur le président, pourquoi m’interrompez-vous continuellement? Quand mes collègues...

Le président : Parce que vous parlez toujours trop longtemps.

La sénatrice Galvez : Et en plus vous m’interrompez.

Le président : Oh, non.

La sénatrice Galvez : Vous agissez toujours ainsi avec moi.

Le président : Sénatrice Galvez, posez votre question.

La sénatrice Galvez : Laissez-moi poser ma question.

Monsieur Veldman, vous nous avez présenté une équation indiquant que le risque correspond à la probabilité multipliée par la conséquence. Donc si l’on augmente la fréquence des pétroliers, la conséquence... là, nous avons la population qui réside dans la région. Donc, ces deux facteurs augmentent.

Comment envisager un risque nul si ces deux facteurs augmentent?

Votre dernier graphique a fait l’objet de critiques, parce qu’il y manque le Deepwater Horizon en 2010. Il devrait y avoir une grosse flèche ici, parce qu’il a déversé près de 5 millions de barils de pétrole, et le nettoyage a coûté 62 milliards de dollars. Qu’avez-vous à dire à ce sujet?

Le président : Monsieur Tertzakian, vous pourriez répondre à la première question, puis nous demanderons à M. Veldman de répondre à la seconde.

M. Tertzakian : Oui, parfait. Il y a plusieurs graves problèmes dont on évite toujours de parler. Je vais brièvement commenter les trois que vous avez mentionnés.

Le premier est très simple. Vous avez raison de dire que le Québec n’achète plus autant de pétrole de pays comme l’Arabie saoudite, mais il n’achète pas son pétrole de l’Alberta. Il l’achète maintenant surtout aux États-Unis. Ce pétrole vient du golfe du Mexique. Je peux vous citer les chiffres de Statistique Canada. Autrement dit, ce pétrole est importé, nous ne sommes pas autosuffisants, ce qui entraîne de graves déficits financiers.

Deuxièmement, parlons du potentiel futur des répercussions. Je ne suis pas d’accord avec vous. Ces répercussions se font déjà sentir aujourd’hui. Pourquoi? En partie, par exemple, parce que les sociétés pétrolières et gazières et les sociétés pipelinières comme Enbridge ont suivi le processus de réglementation pendant de nombreuses années. L’oléoduc Northern Gateway a été approuvé sous 209 conditions. L’industrie s’attendait à ce que la construction du pipeline soit assujettie à une réglementation rigoureuse. Toutefois, comme ces pipelines, dont celui de Trans Mountain, n’ont pas été construits, le pétrole de l’Ouest canadien n’a pas pu sortir à temps, ce qui a donné lieu à des rabais très élevés.

Plus important encore, comme je l’ai mentionné plus tôt, les espoirs que le Canada parvienne à régler ses problèmes de réglementation sont minces. Par conséquent, et les chiffres parlent d’eux-mêmes, les investissements se sont taris. L’activité et l’emploi sur le terrain sont à la baisse. Comme je l’ai dit, nous ne le ressentons pas encore, mais cela viendra, parce que les répercussions de la baisse des investissements dans l’économie se font toujours sentir un peu plus tard.

Enfin, et vous avez raison, le prix du pétrole est très complexe et il dépend de nombreux facteurs, comme la géopolitique internationale, l’offre, la demande et autres. Mais je peux vous dire que les prix que les producteurs de pétrole de l’Ouest canadien — ceux de la Colombie-Britannique, de l’Alberta et de la Saskatchewan — obtiennent depuis 2012, c’est-à-dire depuis sept ans, sont les plus bas au monde. Nous offrons les prix les plus bas. Autrement dit, d’autres producteurs dans le monde sont conscients des prix du marché mondial, et nous devons composer avec des rabais très importants ou très volatiles. Cela nuit à l’investissement.

Si nous ne réussissons pas à résoudre ces problèmes de réglementation de façon concluante et uniforme, alors je peux vous assurer que la plus grande industrie de notre pays s’en ressentira et que nous en subirons tous les conséquences.

M. Veldman : Tout d’abord, au sujet de ce graphique qui ne comprend pas toute l’information — je pense que tous les graphiques en fait sont comme ça... donc certains graphiques ne présentent que les déversements causés par des pétroliers. Je ne pense pas que les plateformes aient été incluses.

Maintenant, je vais vous expliquer mon équation voulant que le risque soit égal à la probabilité multipliée par la conséquence. Pour la probabilité, prenons par exemple un navire exempté qui perd de la puissance. C’est à peu près ce qui est arrivé au navire de croisière Viking Star il y a deux ou trois semaines.

Si le système d’intervention en cas de déversement que je propose était mis en œuvre, certains remorqueurs de la région seraient chargés d’aider ces navires exemptés qui perdent de la puissance, qu’il s’agisse d’un porte-conteneurs, d’un grand navire de croisière ou d’autres plus petits bâtiments.

Cette intervention réduirait les dommages du déversement causé par le navire exempté, parce que les barrages flottants et les écrémeurs se trouveraient déjà à proximité.

[Français]

Le sénateur Cormier : Hier, M. Peter Ellis nous reconfirmait que le projet de loi C-48 ne vise pas la situation actuelle, mais qu’il s’adresse plutôt aux projets à venir, au développement des marchés vers l’Asie. Je comprends que c’est ce que l’industrie pétrolière souhaite, et c’est tout à fait légitime.

On sait qu’il y a de nombreux enjeux environnementaux; on les a nommés à maintes reprises. On sait que l’écosystème de la côte Ouest — moi, je suis de la côte Est — semble un écosystème plus fragile pour toutes sortes de raisons qu’ont énoncées des spécialistes environnementalistes. On sait aussi qu’il y a de nombreux défis humains pour toute la population qui vit sur la côte Est.

Lorsque je regarde la liste des 14 hydrocarbures persistants qui semblent être des hydrocarbures qui posent problème dans ce domaine des transports, ma question est simple : comment l’industrie pétrolière agit-elle pour s’orienter vers des énergies plus vertes? Pourquoi ces hydrocarbures ne sont-ils pas transformés au Canada et transportés ensuite sous une autre forme?

Ce que je n’entends pas depuis le début de cette étude, c’est ce que fait l’industrie pétrolière au Canada pour transformer ces produits afin qu’ils soient moins dangereux à transporter.

[Traduction]

M. Veldman : Je n’ai rien à vous dire de plus que ce que Peter vous expliquerait.

[Français]

M. Tertzakian : Merci beaucoup de votre question.

[Traduction]

Cela me ramène à mon premier point. Je vais revenir en arrière pour parler du secteur pétrolier et gazier plus écologique. Que signifie « plus vert »? Nous savons que le monde est en pleine transition. Il tient à se tourner de plus en plus vers des sources d’énergie renouvelable, et c’est certainement le cas au Canada. Toutefois, nous devons reconnaître, comme beaucoup d’organismes le font maintenant, que nous utiliserons des combustibles fossiles, y compris le pétrole et le gaz, pendant encore plusieurs décennies. Je suis profondément convaincu que comme nous ne pouvons pas abandonner tout de suite les combustibles fossiles, il sera indispensable que l’industrie pétrolière et gazière devienne plus verte pour résoudre les problèmes que causent les changements climatiques.

L’industrie pétrolière et gazière canadienne devient-elle plus verte? Je n’ai pas les données avec moi, mais j’estime qu’il incombe à ceux qui travaillent dans le domaine de vous les fournir; elles indiquent qu’effectivement, au cours de ces quatre dernières années, le Canada a considérablement fait diminuer l’intensité carbonique, c’est-à-dire la quantité de CO2 libérée par la production d’un baril de pétrole tiré du sol.

Vous avez tout à fait raison. Pourquoi ne pas raffiner nous-mêmes ces produits, que nous avons en abondance, en y rattachant des normes et des pratiques environnementales de calibre mondial, afin de créer des produits secondaires et tertiaires? En fait, cela commence à se produire, et le gouvernement actuel de l’Alberta vous dira qu’un nombre croissant d’usines pétrochimiques cherchent à s’établir en Alberta pour ajouter de la valeur et raffiner ces produits de façon écologique afin de placer le Canada en tête de file dans ce domaine.

Soulignons cependant qu’il faudra du temps pour faire cela et que nous sommes le cinquième producteur mondial de pétrole et de gaz. Nous ne pourrons donc pas passer à la valeur ajoutée de ces produits du jour au lendemain.

Ne négligeons cependant pas l’importance de l’exportation. Selon les mesures d’organismes comme Transparency International, le Canada fait partie d’une poignée de pays qui ont un bilan environnemental très rigoureux, qui respectent la primauté du droit et dont les niveaux de corruption sont très faibles. À bien d’autres égards et non seulement sur le plan environnemental, les ressources que nous exportons, dont le pétrole et le gaz, comptent parmi les meilleures au monde.

Je me demande pourquoi ceux qui veulent limiter les exportations accepteraient de retirer les meilleurs producteurs des chaînes d’approvisionnement mondiales et y laisser ceux qui ne respectent pas la primauté du droit et qui sont très corrompus. J’ajouterais en passant que, comme le montrent les résultats de la recherche universitaire, la corruption est directement proportionnelle à la dégradation de l’environnement.

Il est donc tout à fait justifié que le Canada exporte son pétrole et son gaz en cette période de transition. Nous devrions faciliter cela de façon responsable, en haussant les niveaux de sécurité, comme l’a dit mon collègue, ainsi que les autres contraintes écologiques que nous avons mises en place. Je les appuie sans réserve.

Le sénateur Manning : Je remercie nos témoins. Je serai très bref. Je vis dans le petit village de pêche de St. Bride’s, dans la baie Placentia, à Terre-Neuve. C’est la plus vaste baie de la province. On y a compté 365 îles, une pour chaque jour de l’année. Le rapport Brander-Smith, publié en 1990, souligne que la baie Placentia est très vulnérable aux déversements à cause du grand nombre d’îles qui s’y trouvent et du fait que le brouillard la couvre 200 journées par année.

Depuis chez moi, je vois les pétroliers aller et venir. Nous avons une raffinerie au fond de la baie, et les pétroliers doivent suivre certains corridors. En même temps, 1 100 bateaux de pêche naviguent entre ces grands bâtiments.

Ma question s’adresse à M. Tertzakian. Vous avez parlé des étroits corridors maritimes géographiques qui mènent à des ports industriels. Je ne connais pas à fond les conditions de la côte Ouest, mais s’y trouve-t-il des corridors maritimes géographiques qui mènent à des ports industriels?

Je voudrais être sûr de bien comprendre. Vous dites que Kitimat et Prince Rupert sont exemptés des sanctions prévues dans le projet de loi C-48. Demandez-vous que l’on trace des corridors maritimes vers ces ports industriels? Je veux être sûr d’avoir bien compris.

M. Tertzakian : Oui, merci de poser cette question. Quand j’ai visité la baie Placentia, en fier Canadien que je suis, j’ai pu voir à quoi elle ressemble. J’ai aussi visité la côte Ouest, qui est tout aussi belle.

Dans ma troisième proposition je vous suggérais fortement, si vous décidez d’adopter le projet de loi C-48, de le modifier pour permettre que l’on trace des corridors maritimes dans les zones réglementées. Je ne sais pas quelles sont les règles actuelles sur l’entrée et la sortie des navires. M. Veldman pourra peut-être vous l’expliquer.

Je suggérais qu’au lieu d’imposer le projet de loi C-48 à tout le monde, ce qui équivaudrait par exemple à interdire la navigation de tous les pétroliers au sud de Terre-Neuve, on fasse une exception dans le cas du corridor de la baie Placentia. C’était l’une des trois propositions que je vous demandais d’envisager.

Cela étant, les grands ports de Prince Rupert et de Kitimat, en Colombie-Britannique, sont parfaits parce qu’ils sont des ports naturels en eaux profondes et à proximité de l’Asie. On y transporte déjà beaucoup d’autres matières dangereuses. Il serait donc logique d’en exempter les corridors.

Le sénateur Manning : Monsieur Veldman, j’en reviens au rapport Brander-Smith publié en 1990 et aux inquiétudes que causent les navires à coque simple. Je ne pense pas que l’on puisse s’attendre à ce qu’ils ne causent aucun incident.

Si j’ai bien compris votre mémoire, dès qu’un pétrolier arrive à 60 milles de la terre, on lui envoie un remorqueur qui l’accompagne à son entrée et à sa sortie du port, quel que soit le type de pétrole qu’il transporte, n’est-ce pas?

Pourriez-vous nous décrire plus en détail les mesures protectrices établies à l’égard des pétroliers qui naviguent dans ces eaux?

M. Veldman : J’ai deux ou trois réponses à cela. L’une a trait aux zones d’exclusion. L’Administration portuaire de Prince Rupert a établi des zones d’exclusion à des fins écologiques. L’accès à certaines parties des voies maritimes a même été interdit au trafic.

Quant aux remorqueurs envoyés à 60 milles au large, les sociétés Trans-Alaska et Valdez en ont deux, un attaché au port, et l’autre ancré à un quart de mille au large du port. Ce sont des remorqueurs de 12 000 chevaux-vapeur; ils sont massifs. Ils vont plus loin que le récif Bligh Reef, sur lequel l’Exxon Valdez s’est échoué. Ils y sont certainement attachés, mais ils n’accompagnent que les pétroliers qui sortent du port avec leur chargement et non ceux qui arrivent au port.

La société Trans-Alaska y utilise cinq de ces remorqueurs massifs, deux qui accompagnent chaque pétrolier chargé et trois en attente.

La sénatrice Busson : Comme je viens de la Colombie-Britannique, j’entends beaucoup parler des dangers que les oléoducs et la navigation des pétroliers représentent pour l’environnement. De plus, mon collègue a mentionné l’horrible tragédie de Lac-Mégantic. À voir les trains qui circulent le long du lac près duquel j’habite, le lac Shuswap, et le long de la rivière Thompson et du fleuve Fraser, je me demande pourquoi les spécialistes de l’environnement considèrent cela comme une solution meilleure que le transport par oléoduc. Je vous assure que je n’y comprends rien.

Je voudrais demander à M. Veldman, qui est expert en confinement des hydrocarbures, si l’on a prévu un plan scientifique dans le cas où un pétrolier ou un wagon-citerne se retrouvait dans le flot torrentiel d’une rivière?

M. Veldman : Si le flot est très rapide, il est très difficile d’intervenir. Il ne s’agissait pas de pétroliers, mais l’un de mes projets portait sur le transport d’un produit dangereux vers un endroit déterminé. Nous avons créé un scénario qui consistait à évaluer l’impact écologique d’un déversement causé par un camion tombé dans une rivière à un croisement. C’était un peu comme ce qui s’est passé la semaine dernière quand un camion-citerne est tombé dans la rivière Salmo; le chauffeur en est malheureusement mort, et une certaine quantité de carburant s’est répandue. La possibilité d’établir un barrage flottant dépend beaucoup de la vitesse du courant. Si cette vitesse est trop élevée, a) le carburant s’en va trop rapidement et b) les barrages flottants sont inefficaces dans les flots torrentiels d’une rivière.

La sénatrice Busson : Cela m’énerve. Les experts de l’environnement semblent préférer le transport ferroviaire des hydrocarbures, alors que les oléoducs seraient bien moins dangereux.

J’ai vraiment besoin de comprendre ces choses. Je regardais votre graphique sur les déversements récents pendant que vous parliez d’un déversement de 700 tonnes dans l’océan Indien. Pourtant, ce projet de loi propose d’exempter, le long de la côte, les navires à simple coque qui transportent deux fois plus de pétrole que cela.

Ai-je mal compris? Sinon, ne faudrait-il pas corriger ces chiffres?

M. Veldman : Vous avez tout à fait raison. En lisant le projet de loi et en examinant le contexte, ce chiffre de 12 500 a été choisi en fonction des navires existants, des précédents et de ce qu’on utilise actuellement dans la région. Compte tenu du contexte du projet de loi, il a été difficile d’en arriver à ce chiffre, et c’est celui sur lequel on s’est arrêté.

La sénatrice Gagné : Monsieur Tertzakian, j’ai lu votre article; je crois qu’il s’agit de celui qui a été publié dans le Financial Post et qui s’intitule « There’s more than lack of pipelines and Bill C-69 that ails the oilpatch. Let me count the ways ». Je vais donc demander à la greffière d’en distribuer des copies. Il est très intéressant.

Dans cet article, vous avez écrit :

Pour le moment, les nouveaux investissements dans les sociétés pétrolières et gazières sont à sec un peu partout, pas seulement au Canada. De 2016 à 2018, le financement du secteur pétrolier et gazier aux États-Unis a également diminué de plus de 75 p. 100. Pourtant, rien n’est statique. Les investisseurs se tourneront vers les entreprises qui sauront surmonter les difficultés.

C’est très intéressant de lire cela dans un article.

Vous avez répondu à une question de mon collègue, le sénateur Cormier, en affirmant que vous n’aviez pas de statistiques indiquant que l’industrie pétrolière et gazière devient plus écologique. Si vous trouvez des renseignements à ce sujet, je vous demanderais de les envoyer à la greffière pour qu’elle nous les distribue.

A-t-on déjà évalué les répercussions économiques d’un grand déversement sur la côte de la Colombie-Britannique? A-t-on effectué des calculs, le savez-vous?

M. Tertzakian : Je vous remercie pour vos observations et pour cette question. Je vous répondrai que je n’en sais rien. Je suppose que quelqu’un l’a déjà fait.

Pour relier ces observations à mon témoignage, je vous assure que ni M. Veldman ni moi ne pensons que le risque est totalement nul. Il faut fixer une certaine tolérance au risque. Tout dépendra du niveau fixé. Je suis profondément convaincu que si l’on fixe un niveau de tolérance très élevé sur la côte de la Colombie-Britannique, il faudra appliquer cette même norme partout au pays.

J’ai voyagé dans toutes les provinces et dans tous les territoires du pays, et vous ne me convaincrez pas que certaines régions sont plus intactes que d’autres. Une telle arrogance renforce la polarisation.

J’ai une autre observation à faire sur cet article. Je vous remercie de l’avoir mentionné. Comme je le disais à quelques sénateurs, je ne veux pas vous donner l’impression que le projet de loi C-69 est le seul facteur. En affirmant cela, je pensais justement à cet article.

Il s’agit plutôt d’un agrégat de problèmes qui frappent l’industrie pétrolière et gazière, et cela non seulement au Canada, mais dans d’autres régions productrices comme la mer du Nord et les États-Unis. À cela s’ajoute, chez nous, une couche d’incertitude provenant de facteurs comme les projets de loi C-48 et C-69 et d’autres facteurs dont nous devons tenir compte.

Pour faire suite à ce qu’a dit plus tôt le sénateur de Terre-Neuve-et-Labrador, il est temps que le Canada adopte une approche holistique sur cette question afin de fixer notre tolérance aux risques financiers et environnementaux. Il faudra aussi déterminer la contribution positive que nous apporterons dans le monde, et non uniquement dans nos petites régions canadiennes. Nous désirons aider, contribuer à la résolution de problèmes urgents comme les changements climatiques. Il y a environ un an, ou pas plus de deux ans, je ne me souviens pas vraiment, j’ai publié un article soulignant la nécessité de réfléchir à une solution mondiale et non locale.

La sénatrice McCoy : Merci de me permettre d’intervenir. Plusieurs de mes préoccupations ont déjà été soulevées, mais j’inviterais M. Tertzakian à nous en faire la démonstration ici parce que nous aimons fonder nos études sur des données probantes.

Je vous ai entendu parler tout à l’heure de l’évolution des fondements des marchés mondiaux du pétrole. Ils ont changé radicalement au cours de ces 10 ou 15 dernières années. Si vous avez une brève réponse à cela pour que nous puissions l’inscrire au compte rendu, je pense que vous aideriez beaucoup le comité.

M. Tertzakian : Avec plaisir.

Le président : Merci beaucoup, monsieur Tertzakian et monsieur Veldman. Cette conversation a été très intéressante. Je vous remercie, chers collègues, d’avoir posé d’excellentes questions.

Comme prochain témoin ce soir, nous avons le plaisir d’accueillir par vidéoconférence M. Stanley Rice, biologiste à la retraite. Êtes-vous l’un des biologistes retraités qui travaillent pour ce ministère?

Stanley Rice, biologiste à la retraite, National Oceanic and Atmospheric Administration, à titre personnel : Non, je suis retraité.

Le président : Bienvenue à notre comité. Nous avons hâte d’entendre votre exposé, et nous aurons ensuite des questions, j’en suis sûr.

M. Rice : Je suis biologiste à la retraite. J’ai travaillé à la NOAA pendant 41 ans. Mon bureau était à Juneau. J’y avais été engagé pour mettre sur pied un programme sur les répercussions du pétrole ici, au laboratoire de pêche d’Auke Bay. J’ai engagé des biologistes et des chimistes et j’ai formé une équipe pour étudier les effets du pétrole. Nous l’avons fait pendant un certain nombre d’années avant le déversement de pétrole de l’Exxon Valdez. Lorsque ce déversement s’est produit, nous étions prêts — on pourrait presque dire que nous avions été entraînés pour cela — à étudier ce déversement. Nous nous sommes unis à plusieurs autres chercheurs qui n’avaient pas d’expertise en chimie du pétrole.

Nous sommes non seulement intervenus lors du déversement de l’Exxon Valdez, mais lors de deux ou trois autres déversements moins graves survenus en Alaska, dans les îles Aléoutiennes. Nous sommes aussi intervenus lors du déversement d’Ixtoc, qui a eu lieu en 1979 dans le golfe du Mexique et, plus tard, en 2010, lors de celui du Deepwater Horizon. Nous avons accumulé une grande expérience et nous avons beaucoup publié à ce sujet.

Les résultats de nos études ainsi que de celles menées par de nombreux autres organismes ont produit les données scientifiques qui ont appuyé les règlements de 1 milliard de dollars et de 18 milliards de dollars découlant des procès intentés sur ces deux grands déversements.

Le déversement de l’Exxon Valdez a complètement changé le paradigme. Avant cela, il en était déjà survenu des centaines, certains même plus graves que celui de l’Exxon Valdez, mais très peu d’entre eux avaient été étudiés en profondeur. On intervenait toujours activement pour enrayer le déversement et pour nettoyer le pétrole, mais en général, on n’en étudiait les effets que visuellement. Les sondages indiquaient que tout était rentré dans l’ordre, alors les gens oubliaient la catastrophe. Il y avait peu d’études à long terme, et pratiquement aucune dans ce cas.

Les déversements étaient enrayés, alors on les traitait comme des incidents à court terme. Ils duraient des mois, mais pas d’innombrables années. Tout a changé après celui de l’Exxon Valdez. On a modifié des lois nationales. La loi de 1990 sur la pollution causée par les déversements a tout changé, aussi bien les méthodes d’intervention que la science des déversements. C’est que nous avions découvert de nombreux impacts à court et à long terme, et cela a transformé à jamais notre façon d’étudier les déversements de pétrole.

Ce déversement a aussi profondément touché la population. Ce n’est pas mon domaine d’expertise, alors je n’en parlerai que brièvement, mais ce facteur est bien documenté. La communauté autochtone de Chenega, dont la subsistance dépend beaucoup des ressources, craignait que la qualité de ses aliments se soit dégradée. Les membres de la communauté ont cessé de récolter des aliments sur leurs plages traditionnelles. La ville de pêcheurs de Cordova a subi les répercussions du déversement, qui a interrompu les campagnes de pêche. Les résidents n’ont pas pu pêcher le hareng, le saumon et d’autres espèces de poisson pendant toute l’année 1989.

Les juges ont fini par leur accorder une compensation financière, mais il a fallu plus de 20 ans pour qu’ils la reçoivent. Les communautés autochtones et celles des pêcheurs ont beaucoup souffert.

On s’attendait à constater de nombreux impacts à court terme du déversement de l’Exxon Valdez. On les avait déjà observés dans le cadre d’autres déversements. Les oiseaux en ont souffert ainsi que tous les mammifères qui devaient soit revenir sur terre, soit remonter à la surface de l’océan à travers des nappes de pétrole pour respirer. Les répercussions ont été terribles. Un grand nombre d’animaux ont été durement touchés. Environ 2 000 loutres de mer en sont mortes ainsi que 200 à 300 phoques communs et 150 000 à 250 000 oiseaux de mer. De plus, 40 p. 100 de deux groupes d’épaulards ont disparu après la première année du déversement, et quelques-uns de leurs juvéniles sont morts au cours de la deuxième année. Les habitats intertidaux étaient lourdement recouverts et contaminés, surtout dans les baies qui font face au nord et où le vent poussait le pétrole.

Quant au nettoyage, il a été très actif dans la baie du Prince-William pendant l’été de 1989, puis en 1990 et en 1991. Le nettoyage s’est ajouté aux dommages immédiats causés par le déversement. Environ 1 500 kilomètres de côte étaient contaminés par le pétrole. La baie du Prince-William se trouvait directement dans la trajectoire du déversement. On a retrouvé une partie de ce pétrole hors de la baie du Prince-William sur une longueur de 1 500 km de plages.

Outre les animaux qui sont morts couverts de pétrole ou d’autres façons, les stades précoces de la vie du saumon rose et du hareng ont également été endommagés. Il n’existe tout simplement pas de harengs pondus en 1989. On n’en a pas retrouvé dans la population de harengs. On constate des taux élevés de mortalité embryonnaire dans les cours d’eau à saumon rose et dans les secteurs d’eau douce des zones intertidales des cours d’eau douce qui traversent le déversement de pétrole. Ces animaux en ont subi les impacts.

Les impacts à grande échelle sur les ressources halieutiques n’avaient jamais été documentés à la suite à des déversements de pétrole. On a commencé à le faire après celui de l’Exxon Valdez.

Nous avons été très surpris de constater des répercussions à long terme au bout de quatre, cinq et six ans, et ainsi de suite jusqu’à 10 et 20 ans, en fait.

Je vais vous présenter quelques exemples des meilleures études qui documentent les dommages à long terme. Commençons par les épaulards. Pendant la première année, nous avons perdu 40 p. 100 des membres du groupe AB des épaulards, qui se nourrit de poisson. La population se rétablit, mais très lentement. Cette espèce vit longtemps, alors il faut du temps à chaque animal pour se rétablir.

Le groupe AT1 se nourrit de mammifères marins. Nous en avons aussi perdu 40 p. 100 après la première année du déversement. Malheureusement, le déversement a tué toutes les femelles reproductrices. Pendant la deuxième année, plusieurs de leurs juvéniles n’ont pas survécu. À cause de cela, ce groupe est en voie d’extinction. Il ne se rétablira jamais.

On a des photos d’animaux de ces deux groupes qui démontrent qu’ils ont été exposés au pétrole.

Nos observations sur la loutre de mer sont intéressantes. Son rétablissement a été lent dans la plupart des secteurs de la baie du Prince-William fortement touchés par le déversement. Il est très important de tenir compte de l’étendue des dégâts pour comprendre les impacts qu’a subis la loutre de mer. Dans la baie du Prince-William, en général, leur rétablissement s’est bien déroulé. En moins de 10 ans, la population s’est entièrement rétablie après avoir perdu plus de 2 000 individus. Mais en observant la région la plus durement touchée, au nord de l’île Knight, il a fallu 20 ans pour que la population commence à se rétablir. Dans la baie de Herring, qui a été la plus durement touchée, on a trouvé 36 à 38 carcasses de loutres de mer; toutes les loutres y sont mortes. Comme le rétablissement de ce groupe dépendait de l’expansion des populations avoisinantes, qui était nulle, après plus de 25 ans, il ne s’est toujours pas rétabli. Il est donc important de mesurer le rétablissement en fonction de l’étendue des dégâts.

Ces loutres de mer ne se sont pas rétablies, parce que le pétrole s’est logé dans la zone intertidale. Dix ans après le déversement, on a trouvé des hydrocarbures dans les sédiments situés sous la surface de la zone intertidale. Ce n’est pas une zone de choix où les loutres se nourrissent, mais c’est malgré tout un fait.

Comme des gens disaient avoir trouvé des hydrocarbures dans ces zones, nous y avons mené une étude scientifique. Une personne de notre laboratoire est allée observer plus de 100 plages de la baie du Prince-William qui avaient été recouvertes de pétrole. Il a fallu tout l’été, environ 80 jours d’observation sur le terrain pour examiner toutes ces plages.

Nous avons trouvé des hydrocarbures sur plus de la moitié de ces plages. Les vagues déplacent et oxygènent la couche supérieure d’environ 10 cm, mais en dessous, l’eau est anoxique. Le pétrole est demeuré frais et liquide. En piquant dedans avec un bâton, on sentait les vapeurs qui s’en dégageaient. Si on allume des serviettes de papier dans ces vapeurs, elles prennent feu. La couche se trouvant au-dessous de 10 cm d’eau est très toxique.

Cela explique en partie pourquoi la population des loutres de mer ne s’est pas rétablie dans la zone la plus lourdement recouverte de pétrole.

Nous avons alors comparé l’étude sur les loutres de mer que nous menions parallèlement à celle de la persistance des hydrocarbures. Le rétablissement des animaux était très faible dans les zones qui contenaient le plus de pétrole. Ces deux faits sont fortement reliés.

Plus tard, ces scientifiques ont effectué des relevés sur les loutres de mer. Ils leur ont inséré une puce pour observer la profondeur de leurs plongées. Ils ont découvert que les femelles qui avaient des juvéniles plongeaient moins profondément, parce qu’elles ne voulaient pas laisser leurs petits trop longtemps seuls à la surface. Autrement dit, elles plongeaient parfois dans la zone intertidale, mais à marée haute.

En examinant la répartition du pétrole dans la zone intertidale, nous avons constaté un pic au milieu de la zone, puis une baisse graduelle sur les pentes. Cela signifie qu’un tiers du pétrole qui avait recouvert la plage se trouvait dans le tiers le plus profond de la zone intertidale. Normalement, ce secteur contient les palourdes et d’autres aliments dont certaines espèces, y compris les loutres de mer, se délectent.

Quoi qu’il en soit, ces correspondances des deux... et il y a d’autres données probantes sur les loutres de mer. Elles avaient... on a découvert qu’elles métabolisaient le pétrole à l’aide d’enzymes et de ce genre de choses. Nous avons recueilli beaucoup de preuves indiquant qu’elles avaient subi les impacts de ce pétrole.

Les loutres se sont mises à creuser des millions de trous, ce qui a déplacé le pétrole pour l’exposer à l’oxygène. En fait, elles ont mené un excellent effort de restauration, mais elles en ont payé le prix. Elles vivent à la limite de l’instabilité biologique. Elles doivent manger chaque jour l’équivalent de 25 p. 100 de leur poids. C’est tout un travail pour trouver les calories nécessaires.

Pour vous donner un exemple, si un homme qui pèse 200 livres doit manger l’équivalent de 25 p. 100 de son poids, il devrait non seulement manger, mais métaboliser 50 livres de nourriture. Les loutres de mer n’ont pas de couche de gras qui les isole du froid, alors leur métabolisme doit fonctionner plus activement pour générer la chaleur qu’il leur faut pour survivre.

Comme elles sont à leur limite métabolique, toute perturbation risque de nuire à leur survie. En fait, le taux de naissances des loutres de mer qui vivaient dans les zones les plus touchées était égal à leur taux de mortalité. Voilà pourquoi leur population ne s’est pas rétablie. Elles n’ont donc pas pu repeupler cette région...

Le président : Excusez-moi, monsieur Rice, mais pourriez-vous conclure votre présentation? Nous voudrions réserver du temps pour les questions.

M. Rice : Je vais sauter ce qu’il me restait à vous dire sur les loutres de mer.

Je vais vous parler brièvement du problème de sensibilité des embryons. Le taux de mortalité des embryons de saumon est plus élevé dans les rivières qui traversent la zone intertidale. Nous constatons cela depuis quatre ans. L’Alaska Department of Fish and Game comptait les œufs pour déterminer combien d’animaux iraient en mer et reviendraient dans ces rivières. C’est alors que l’on a découvert ces taux de mortalité élevés.

Les essais de toxicité en laboratoire ont révélé que ces embryons avaient une sensibilité d’un niveau d’une partie par milliard. Les essais biologiques précédents avaient démontré que la plupart des poissons étaient vulnérables à une partie par million, mais pas à une partie par milliard. C’est un degré de sensibilité trois fois plus élevé à cette exposition.

Les études les plus sophistiquées ont enfin exposé ces embryons à de faibles niveaux de parties par milliard — cinq parties par milliard, par exemple — puis, à mesure que les animaux sortaient du gravier, on leur installait un marqueur métallique. Cela a été fait en lots de 75 000 par dose. Ils sont ensuite retournés à la mer comme petits alevins. Ils vivent en mer pendant un an et demi avant de revenir. À cinq parties par milliard, 20 p. 100 de moins reviendraient. À 18 parties par milliard, 40 p. 100 reviendraient. Ces animaux sont vraiment sensibles au pétrole. Ces études — la sensibilité et les parties par milliard — ont par la suite été confirmées par des études approfondies menées par des chercheurs qui se sont penchés sur la question du Deepwater Horizon à la suite du déversement qui a eu lieu dans le golfe du Mexique en 2010. C’est un chiffre réel. Les embryons sont hypersensibles.

Je ne parlerai pas du fait que les facteurs de risque jouent un rôle. Ils sont certainement là; mes notes en font état.

Je conclurai en disant que les déversements de pétrole ne sont plus des événements à court terme, mais plutôt des événements à long terme, pour ainsi dire. Parfois, les effets à court terme peuvent durer longtemps, comme dans le cas des épaulards. S’il y a de l’huile persistante et qu’une population animale dépend de l’endroit où se trouve l’huile persistante, il y aura probablement des effets à long terme sur cette population. Quant aux humains, il y a aussi des effets sociologiques à long terme. Deux décennies pour régler les questions judiciaires, par exemple. Beaucoup de stress et de bouleversements dans la vie de ces gens.

Essentiellement, les choses se rétablissent, et le détroit de Prince William est un habitat productif et très viable maintenant, mais les choses ont changé depuis le déversement, et je vais m’arrêter là.

Le président : Qu’est-ce qui a causé l’accident du Valdez?

M. Rice : C’était une erreur humaine. Essentiellement, le capitaine a dit « Déviez du cap », ce qui était acceptable pour contourner la dérive des icebergs, mais il n’a jamais donné l’ordre de reprendre le cap. Je crois que les membres de l’équipage avaient peur de changer de cap même s’ils savaient qu’ils se dirigeaient vers le récif Bligh. Apparemment, il avait consommé de l’alcool pendant les heures de travail, ce qui a mené à certaines condamnations. Il a été condamné pour cela.

Le président : Un navire à double coque aurait-il résisté à cet accident?

M. Rice : Je ne crois pas. Il y aurait certainement eu des fuites de pétrole, mais pas autant. Je suppose qu’elles auraient été moins importantes. Si vous voyez des images de la coque de l’Exxon Valdez, une masse impressionnante — cette chose transportait 55 millions de gallons de pétrole. Seulement un cinquième de cette quantité a été déversé. Le navire a une masse énorme. Même s’il passe en marche arrière, il lui faut 11 milles pour s’immobiliser. Il s’agit d’une masse vraiment volumineuse.

Un examen du dessous de la coque, lorsque le navire était en cale sèche, a révélé l’ampleur des dommages, qui s’étendent sur les deux tiers ou les trois quarts de la longueur du navire. Une brèche d’une longueur de 600 ou 700 pieds et d’une profondeur de 15 pieds dans la coque qui a eu pour résultat d’éventrer les réservoirs. Je suis certain qu’une double coque aurait limité les dégâts, mais elle ne les aurait pas évités dans ce cas particulier.

Le président : Il naviguait dans la mauvaise direction. Ils se dirigeaient vers le récif. Ils ont frappé directement le récif.

M. Rice : Oui, tout à fait.

La sénatrice Miville-Dechêne : Merci de votre exposé, monsieur Rice. C’était très intéressant. Comme vous le savez, nous étudions un projet de loi qui porte sur les pétroliers dans le Nord de la Colombie-Britannique, et j’aimerais savoir quelles leçons nous pouvons tirer ou que vous pourriez nous donner compte tenu du déversement de pétrole de l’Exxon Valdez. Quelles leçons pourraient s’appliquer au nord de la Colombie-Britannique, à la côte nord de la Colombie-Britannique? Avons-nous le même environnement sur le plan des océans et des animaux?

J’aimerais aussi que vous nous parliez du risque que présentent les pétroliers. À l’heure actuelle, les pétroliers ne naviguent pas dans la zone d’exclusion, ou autour de Haida Gwaii et de la côte. Or, je me demande si nous pouvons en tirer des leçons et quels sont les risques que représente, à titre d’exemple, la circulation d’un seul pétrolier par jour à travers cette région de la côte nord de la Colombie-Britannique?

M. Rice : Permettez-moi de répondre d’abord à la dernière question sur le risque. Il y a certainement des risques, et je fais toujours la comparaison avec la loterie. Les chances qu’une personne gagne à la loterie sont minimes; et pourtant quelqu’un gagne à la loterie chaque mois, ou chaque année, et ainsi de suite. Alors cela se produit. En partie, cela s’explique par le fait que, dans notre cas, près de 7 à 10 pétroliers par semaine sortaient de Port Valdez. Cela se produisait 365 jours par année, et dans ce cas-ci, sur une période de plus de 15 ans avant l’accident. Cette navigation se poursuit toujours 25 ou 30 ans plus tard. Au fil du temps, les chances que cela se reproduise augmentent, pour ainsi dire, mais le risque est toujours présent.

La technologie a certainement contribué à atténuer les risques, grâce au GPS et aux doubles coques. Dans le cas de Valdez, les pétroliers sont maintenant escortés, dans le but de prévenir l’erreur humaine. De plus, un remorqueur d’escorte accompagne le pétrolier jusqu’à ce qu’il quitte le détroit du Prince William, jusqu’à l’embouchure. Cela est utile dans l’éventualité d’une panne mécanique, comme dans le cas des autres déversements en Alaska dont j’ai parlé. Mais le risque est là. Lorsqu’il s’agit de pétrole, il y a un risque.

À mon avis, les leçons que nous avons apprises s’appliquent certainement à votre environnement, à Haida Gwaii et ailleurs. Il s’agit d’un environnement intertidal rocheux où vivent des espèces comme le saumon, le hareng, le flétan, et ainsi de suite. Nous avons des espèces semblables, voire identiques. Les habitats sont très semblables. La culture des collectivités de pêcheurs et la culture autochtone de subsistance y sont présentes. Or, ces habitats se ressemblent à plusieurs égards.

La sénatrice Miville-Dechêne : Merci.

La sénatrice Galvez : Merci beaucoup de votre exposé. Comme ma collègue l’a dit, nous nous intéressons à la situation dans le Nord de la Colombie-Britannique. Je voulais vous demander d’envisager un scénario avec moi. Disons qu’un déversement de pétrole se produit et que le pétrole ne provient pas de Valdez — c’est du pétrole lourd — et qu’il y a du saumon et du poisson et qu’une population s’en nourrit. Vous avez parlé du court terme et du long terme. Je voulais vous demander pendant combien de générations il sera dangereux de consommer ce saumon et quel pourrait être l’impact sur la santé des gens dont c’est la principale source de nourriture?

M. Rice : D’une certaine façon, je pense que l’impact sur la santé des humains qui consomment ce saumon sera probablement minime, et la principale raison en est qu’ils n’en mangeront pas.

La sénatrice Galvez : Savez-vous pendant combien d’années cela pourrait durer? Parce que vous avez dit que les gens ont tendance à oublier, lorsque le pétrole a disparu, mais cela ne veut pas dire que...

M. Rice : Pas pour ceux qui habitent là.

La sénatrice Galvez : D’accord.

M. Rice : Et cela fait une très grande différence. D’une certaine façon, les habitants de Chenega subissent encore les effets du déversement de l’Exxon Valdez. Je doute qu’ils soient retournés sur ces plages, qui ont été durement touchées pendant plus d’une décennie, peut-être deux. Je n’ai pas de données directes à ce sujet, mais cela dure très longtemps. Ils ont la mémoire longue. Pour eux, cet enjeu est devenu plus sociologique : de quelle façon vont-ils changer leurs habitudes de pêche? Quels sont leurs plans? Vont-ils dorénavant se nourrir de chevreuil ou importer des aliments d’épiceries, ce genre de choses? De cette façon, il s’agit plus des impacts que des questions précises sur la santé.

Quant au pétrole lourd, j’ai eu quelques expériences avec le pétrole de soute, qui est probablement plus visqueux que le pétrole brut que l’on transporte, mais le pétrole brut dont vous parlez est certainement assez lourd. Le problème, c’est qu’il est très difficile d’en faire le nettoyage. Il est très physique, très collant. Il s’écoule lentement. Il est très difficile de nettoyer une plage contaminée. Le pétrole ne s’écoule pas.

La sénatrice Galvez : J’ai une brève question. Hier et avant-hier, deux ou trois rapports ont souligné que les effets des changements climatiques sont trois fois plus graves au Canada qu’ailleurs, et que les régions du Nord sont plus durement touchées que celles du Sud. Je pense à l’érosion, aux vagues et à la météo le long de ces côtes. Vous vivez à Juneau, en Alaska. Pouvez-vous nous parler de l’impact qu’auront les changements climatiques sur l’évaluation des risques de déversements de pétrole?

M. Rice : Les changements climatiques sont très difficiles à évaluer à cet égard, mais je peux vous donner quelques exemples. Il est certain que dans le Grand Nord, où il y a beaucoup de glace, nous avons un grave problème d’érosion dans le nord de la mer de Béring, dans plusieurs villages. En l’absence de glace, les étendues d’eau libre sont beaucoup plus vastes, et l’érosion a causé de sérieux dommages. C’est ce qui se produit sur le plan météorologique.

D’un autre côté, un changement majeur a eu lieu. Une importante masse d’eau, que nous appelons le « Blob » s’est manifesté dans le nord du golfe d'Alaska. Cette eau chaude n’a aucun rapport avec El Niño. Il ne s’agit pas d’un événement El Niño, seulement d’une énorme masse d’eau chaude. Par eau chaude, je n’entends pas l’eau d’une baignoire, mais une température d’eau plus élevée qu’à l’accoutumée. Cela touche l’écosystème. Or, des espèces d’alevins et de poissons juvéniles y ont migré et, en l’absence de ressources de proie, leurs migrations ont été touchées.

Chaque fois qu’un tel événement se manifeste, il y a des gagnants et des perdants, mais si la base de proie est endommagée, alors les oiseaux de mer, les otaries, les baleines à bosse et les saumons qui se nourrissent de hareng en souffrent. Il s’agit d’un effet domino important.

Nous avons vécu quelques années difficiles en raison de cette augmentation. Ce n’est qu’un exemple des possibilités qui existent.

Le président : Est-ce la première fois que cela se produit?

M. Rice : Je présume que nous ne le savons pas vraiment, mais nous savons que cela s’est produit, et c’est parce que l’un des résultats du règlement dans l’affaire de l’Exxon Valdez a été la formation d’un conseil fiduciaire, et l’une des études qu’il a appuyées porte sur l’océanographie — sur les seuils, si vous voulez. Il s’agit d’une évaluation périodique effectuée au moyen de deux bouées et ce genre de choses. Lorsqu’on associe ces données au faible rendement lors de ces années de recrutement, c’est là qu’il y a une corrélation.

Avant l’Exxon Valdez, nous n’avions pas beaucoup de données scientifiques. Nous avons mené des études sur les populations d’épaulards pendant environ cinq ans, sur les oiseaux marins, le saumon rose et le hareng. Une fois que vous vous extirpez de cela, la base scientifique diminue vraiment, alors je ne peux pas répondre à cette question.

Le sénateur Plett : Merci, monsieur Rice, d’être ici. Nous avons un certain décalage horaire, alors je poserai ma question rapidement.

M. Rice : Je tenterai de répondre rapidement.

Le sénateur Plett : Lors de votre témoignage, je ne vous ai pas vraiment entendu dire que vous êtes en faveur de la circulation des pétroliers ou que vous y êtes opposé, mais vous avez consacré beaucoup de temps aux effets à long terme de la catastrophe de l’Exxon Valdez.

Ici, au Canada, je trouve très curieux que les partisans du projet de loi dont nous discutons, le projet de loi C-48, sur l’interdiction des pétroliers, parlent constamment du déversement de pétrole de l’Exxon Valdez. Ils s’en servent pour renforcer leurs arguments selon lesquels les risques sont beaucoup trop grands pour permettre la circulation des pétroliers au large de la côte nord-ouest de la Colombie-Britannique, même si on le permet partout ailleurs au pays.

Pourtant, l’Alaska n’a pas arrêté l’exportation de pétrole par pétroliers, malgré le fait que le déversement de l’Exxon Valdez se soit produit dans leurs eaux et que le pétrole se soit échoué sur leurs côtes. L’oléoduc trans-Alaska continue d’acheminer du pétrole brut vers la côte Ouest de l’Alaska, qui est ensuite chargé dans des pétroliers puis exporté.

Pourriez-vous m’expliquer pourquoi l’Alaska peut continuer de procéder ainsi et pourquoi on ne le pourrait pas dans le Nord de la Colombie-Britannique?

M. Rice : Eh bien, je peux répondre à la moitié de cette question, celle qui porte sur l’Alaska, mais pas celle qui concerne la Colombie-Britannique.

Tout d’abord, je n’ai pas de position à l’égard de votre projet de loi. Il n’est pas approprié pour moi d’en avoir une, et je n’en parlerai pas du tout. Mais quant à savoir pourquoi l’Alaska n’a pas interdit le transport du pétrole ou quoi que ce soit du genre, le pétrole est notre moteur économique. Les pêches sont certainement un employeur important, mais notre population serait réduite de moitié si nous n’avions pas le pétrole. C’est notre assiette fiscale. Nous n’avons pas d’impôt sur le revenu. Le coût de la vie est très élevé ici, comme vous pouvez le deviner. Nos besoins en matière d’infrastructure — c’est-à-dire les routes, les hôpitaux, les écoles, et ainsi de suite — sont tous réellement importants, compte tenu de la population très éparpillée de nos petits villages et de tout le reste. Sans l’argent du pétrole, notre culture subirait un dur coup, je crois. Ce serait difficile.

Quant à l’autre moitié de votre question, nous avons essayé d’améliorer les choses. Nous devons vivre avec le déversement de pétrole, pour ainsi dire. Les remorqueurs d’escortes et les doubles coques réduisent les risques un peu plus, mais cela n’empêchera pas tous les déversements. Il n’existe aucune solution unique.

Nous espérons avoir réglé le problème de l’erreur humaine, en employant deux remorqueurs d’escorte. Aujourd’hui, il faudrait trois capitaines pour reproduire la même erreur humaine. Nous avons essayé d’améliorer les choses à cet égard, en étant plus intelligents. Nous avons déployé de l’équipement d’intervention en cas de déversement au milieu des baies, ce qui permettrait d’intervenir plus rapidement en cas d’accident, par exemple.

Les compagnies pétrolières utilisent maintenant des tests d’ivressomètre et ce genre de choses pour faire leur propre revérification. Lorsque le règlement se chiffre dans les milliards de dollars — 1 ou 2 milliards de dollars pour les pêcheurs et les Amérindiens et 2,5 milliards de dollars pour nettoyer les dégâts — on peut dire qu’il s’agit d’un incident assez coûteux. Cela oblige les compagnies pétrolières à être un peu plus proactives, pour ainsi dire, sur le plan de la prévention; elles peuvent offrir plus de formation et adopter plus de règlements et de mesures de protection.

Nous avons aussi le RCAC, le Regional Citizens’ Advisory Council, lequel est financé par une taxe sur le pétrole. La quantité de pétrole qui transite par le pipeline fait vivre le RCAC du détroit de Prince William. Il s’agit d’un groupe de surveillance indépendant qui participe aux exercices d’intervention en cas de déversement et qui surveille diverses activités. Il appuie même la recherche dans le but de détecter et lutter contre les déversements de pétrole. Je crois que nous avons en quelque sorte adopté cette approche. On ne peut jamais tout prévenir. Des bateaux de pêche s’échouent parfois aussi sur les rochers.

Le sénateur Plett : Merci beaucoup de cette réponse. Elle était excellente à mon avis. Je crois que de nombreuses régions de notre pays touchées par cela, particulièrement l’Alberta et la Saskatchewan et certaines régions de la Colombie-Britannique, se retrouvent exactement dans la même situation que l’Alaska, quant au fait qu’il s’agit de leur gagne-pain. Je vous inviterais donc à rendre visite à notre gouvernement pour voir s’il peut cesser de faire l’autruche, appuyer ce que vous dites et laisser circuler le pétrole. Merci beaucoup de votre témoignage.

M. Rice : Pourrais-je faire un autre commentaire avant la prochaine question?

La sénatrice McCoy : Oui.

Le président : Oui. Je vous en prie.

M. Rice : D’accord. Je dois dire que j’ai eu ce problème avec des organisations tribales des Premières Nations de la région du bassin du Columbia, là-bas, où le pétrole allait être acheminé par le fleuve Columbia. Cela a mis en péril les pêches amérindiennes.

L’une des choses dont ils se sont plaints, et je pense qu’il convient de le mentionner ici, c’est que ce sont les Albertains, par exemple, qui ont les emplois et qui font de l’argent, mais le risque est en aval, pour ainsi dire. Et c’était l’argument des Premières Nations qui habitent le bassin du fleuve Columbia. Le Wyoming et le Montana faisaient de l’argent en pompant du pétrole, en le transportant et en le vendant, mais les pêches étaient en péril et ils n’en tiraient aucun avantage.

Le sénateur Plett : Ici, tout le pays en bénéficierait.

La sénatrice McCoy : Merci beaucoup de votre témoignage, car il est très important. Je crois que toutes les personnes autour de cette table ont été impressionnées par les préoccupations très légitimes des collectivités côtières du Nord de la Colombie-Britannique. En même temps, ce qui m’inquiète, avec les témoignages que nous avons entendus jusqu’à maintenant et les recherches que j’ai faites, c’est qu’ils n’ont pas un système d’intervention maritime adéquat pour faire face aux risques qui les menacent. Et c’est à cause de toute la circulation de navires de croisière, de pétroliers, de remorqueurs d’escorte à cet endroit et, bien sûr, de toutes les activités de pêche.

Vous avez dit être toujours aux prises avec des déversements de pétrole en Alaska causés par des bateaux de pêche et je présume que vous devez nettoyer ces déversements de façon continue.

M. Rice : Oui, c’est vrai, mais ils sont beaucoup moins importants que les énormes déversements de pétroliers.

La sénatrice McCoy : À une échelle bien moindre, mais avec le même effet. À une échelle beaucoup plus petite, je suis d’accord, mais cela a quand même un impact sur l’écosystème.

M. Rice : En effet. Et comme il s’agit d’une plus petite échelle, je pense que l’environnement a de bien meilleures chances de s’en rétablir relativement rapidement. Cela cause toujours des dommages, mais il serait probablement très difficile de les mesurer à de telles échelles. Dans le cas de l’Exxon Valdez, l’échelle est tellement énorme, le nombre de carcasses et tout cela, qu’on peut facilement quantifier l’immense ampleur des dommages.

Le président : Merci beaucoup. Monsieur Rice, c’était formidable. Merci de votre témoignage. Je vous en suis très reconnaissant. Je pense que les sénateurs ont été ravis de discuter de ces questions avec vous.

Sur ce, je vous remercie au nom de nous tous.

(La séance est levée.)

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